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UBRARY
REVUE DE PHILOLOGIE
CllALON-.SLIl-SAUM';
JMrniMi;i:iK i'iian(;aish kt ouikntaij' dk i,. marceau
\;y FRANÇAISE ^ v^
^ PROVENÇALE '^^
^^ (Ancienne REVUE DES PATOIS) *-
RECUEIL TRIMESTRIEL
CONSACRÉ A l'Étude des langues,
DIALECTES ET PATOIS DE FRANCK
PUBLIÉ PAR
L. CLÉDAT
fllOFKSSEUR A LA FACULTÉ DES LETTKHS DK LYON
Tome V. — 1891
PARIS
EMILE BOUILLON, Éi)rn^:ijR
07, RUE RICHELIEU, 07
{Tous droits réserrés)
TC
-r c^
QUESTIONS D'ORTHOGRAPHE
ET DE GRAMMAIRE
IV
PLAN GÉNÉRAL DE RÉFORME ORTHOGRAPHIQUE
J"ai rec^îu un certain nombre de réponses à propos du plan
général de réforme présenté à la fin de l'article sur les con-
sonnes doubles [Ro.vue de philologie, IV, 253). Celle de M.
Michel Bréal a déjà été signalée dans la Chronique de notre
dernier fascicule.
M. J. Bastin m'écrit qu'il est d'accord avec moi, presque
sur tous les points, et renvoie à ses grammaires, notamment
à sa petite grammaire de 1881. M. Paul Passy, tout en con-
sidérant la graphie legs comme pédante et erronée, serait
d'avis de la conserver parce que le g s'est introduit dans la
prononciation. M. A. Delboulle me fait les observations
suivantes : « A la page 268, vous conseillez d'écrire nœa ;
il n'y a pas de raison, il me semble, pour que ce mot soit
orthographié autrement que heuf, veu, euf\ Je reconnais
avec vous qu'il est très difficile de donner des règles bien
arrêtées en cette matière. L'important serait de choisir dans
le Dictionnaire de rAcadémie un grand nombre de mots dont
l'orthographe bizarre déroute même cens qui ont l'habitude
d'écrire. Je citerai seulement ceus-ei : ballon et ses dérivés,
ballotter, ballottement, etc. Au moins pour la conservation
do ces lettres absolument inutiles, on n'aurait pas à invoquer
(1) [En effet, et c'est bien neu que je propose. J'ai écrit nœu, p. 268.
parce que je n'avais pas encore parle'' de la substitution de eu k œu.]
L. C.
Revue nv. pini.oi.ofUK, v. 1
•J HKvri'. Di: ['im.di.oi.ii: i'raniaisi-;
le lanlôme de 1 etymologic. Vous dites, page 274, que l'on
devrait. écrire prudainent, différament, etc. Je sais bien que
Liltré indique cette prononciation, mais il s'en faut de beau-
coup qu'elle soit générale. »
D'autres réponses sont plus développées :
REPONSE DE M. LOUIS HAVET
Il va sans dire que votre Plan général n'est pas tout
à fait le mien, et que pourtant je serais comblé de
joie s'il était adopté tel quel. Les divergences, en
effet, portent sur des questions très secondaires, et
l'accord porte sur l'essentiel.
Serais-je plus radical que vous, j'entens en me
plaçant comme vous au point de vue de la réforme à
faire dès maintenant '? pas beaucoup, je crois. Je
demanderais un peu moins de respect pour l'étymo-
iogie ; d'abord parce que l'étymologie est , en soi, de
nulle valeur en orthographe. Les braves gens qui
s'imaginent tenir à l'étymologie ne tiennent en réalité
qu'à l'habitude ; ils seraient très épouvantés de mile, à
cause des deus // du latin, et leur culte pour l'étymolo-
gie ne s'offense pas à'annuler. Cela n'est pas sérieus ;
on orthographe, l'étymologie par elle-même doit comp-
ter pour zéro. Parlons d'habitude et non d'étymologie,
et aussitôt les scrupules des gens timorés seront respec-
1al)l(\s ; mais si nous devons respecter les scrupules, ne
respectons pas les prétextes mensongers dont on les
couvre.
Mon second motif pour ne pas respecter l'étymologie,
c'est qu'elle nous mènerait â résoudre, à propos du
français, des questions latines. Je trouve très claire la
doctrine : Lscra simple s'il n'est pas mouillé ; exemple,
mile fille?.. Mais comment se 1 ii-cr d'à ITii ire avec Vêtymo-
lofjie,iiï, ici, c'est une /).S(:v^<:/o-/o/y/V î' Car enfin, pour
clif)isir d'après ce prét(Mulu principe entre mille et
HKPO.NSIi dp; m. LOUIS h.v\"j;t ,1
mile, il faudra avoir une opinion sur l'orthographe du
latin. Millia est plus banal dans les imprimés, plus
familier ans collégiens, plus latin de convention. Mais
miJia est miens appuyé par les documents (jui comptent.
Voyez-vous l'Académie des inscriptions se prononçant
pour niilia, et la soi-disant étymologie menant l'Acadé-
mie française â se prononcer pour mille ? —
Qu'ils viennent de Chaillot, d'Auteuil ou de Pontoise.
Cela ne fait rien.
Voilà la devise 5 adopter, le vrai principe à suivre.
Les gens qui n'entendent rien à l'étymologie continue-
ront à l'invoquer; ne soyons pas leurs complices. Car,
si nous faiblissons, ils nous demanderont de légitimer
l'y barbare Cju'il fut si à la mode d'écrire dans lacrima;
ils le demanderont au nom du français lacrymal; et
nous en viendrons à régler l'orthographe latine sur la
cacographie fi'ançaise. Je me demande où sera la force
de résistance des gens du métier, si, en matière scienti-
fique, ils se laissent imposer les formules des incompé-
tents (1).
Si je méprise absolument l'étymologie appliquée à
l'orthographe, je ne méprise pas la routine. Et voila
comment vous allez me trouver très modéré. Vous
êtes pressé d'ôter le c dans sceau, moi je le suis
moins que vous. J'apprécierai cette réforme le jour où
on l'appliquera aussi à science, conscience. Tant que
sience sera rendu impossible par la routine (je vous en
prie ne dites pas que c'est par l'étymologie), je ne vois
pas que pour seau il y ait urgence. Si donc il me fallait
dresser à mon toui- un Plan (jcncral . j'oternis cet
article et quelques autres. Voila mon impression d'en-
semble qui se dégage : vous demandez eti trop (jrand
nombre des réformes trop timides. Je voudrais abréger
(1) [Je suis tout à fait de l'avis de M. Havet. et c'est uniquement à
titre d'habitude que je tiens compte de l'fMymologic dans mes i)ropo-
sitions de réforme.] I,. C.
4 ki:vi i; dk l'iili.nijKiiK fi!AN( .\isi-;
votre liste doublement : 1" eu ôtaiit quelques réclama-
tions jDratiquement prématurées, 2° en ôtant les restric-
tions de celles qui resteraient. Si j'obtenais d'écrire
toujours J pour g dous, manjer, je nianje, gajure,
jenre, et toujours ca pour qaa intérieur, traficant,
il trafica, je me résignerais bien volontiers à écrire
toute ma \[e poids, /cf/.'^, morceau. Ces façons d'écrire
ne sont que ridicules, tandis que les règles â exceptions
sont malfaisantes.
Ma lettre ne touche guère que les principes généraus;
et en effet les détails, pris isolément, ne peuvent donner
lieu à une discussion bien fructueuse. Permettez-
moi de vous soumettre encore une idée qui a un carac-
tère général.
Etant donné que le but idéal est la simplification par
phonétisme, et que l'obstacle est une résistance opposée
par l'habitude, comment obtenir un maxinmm de sim-
plification avec un minimum de perturbation ?
Ce serait, je crois, en s'imposant certaines règles de
patience. Voici comment.
Pour ne pas trop déranger les habitudes, il ne faut
pas que beaucoup de mots soient modifiés d'une façon
multiple. Je proposerais donc de ne pas du tout s'at-
taquer aus voyelles, et de limiter systématiquement les
réformes immédiates aus consonnes. Dédoubler les nn
dans donner, mettre imj dans sage, voilà déjà une grosse
besogne, et qui cadre avec vos premières réformes, x
remplacé par s, tt par t. Mais abandonnons toute idée
d'écrire maintenant à pour au, è pour ai, an pour en.
Un même mot n'aura jamais; beaucoup de consonnes
atteintes à la fois, et par conséquent l'aspect de l'écriture
ne changera pas trop, ce qui est indispensable au suc-
cès de la réforme.
Mais parmi les réformes touchant aus consonnes,
lesquelles choisir V En vertu du même principe, celles
qui ont chance de ne pas se cumuler sur un même mot.
REPONSt; DE M. CHARLES LEBAIGUE O
La suppression du g chuintant n'atteindra presque
jamais les mots grecs. Eus seuls, au contraire, seront
atteints par la réduction du th, du ch non chuintant,
par la substitution d'J'liph. Voilà donc deus réformes
éminemment compatibles, qui ne peuvent se gêner
l'une l'autre : 1° la réforme du ^ chuintant, 2" la réforme
des consonnes aspirées. Elles devront par conséquent,
— soit maintenant, soit plus tard, — être poursuivies
ensemble (1).
Voilà une bien longue lettre, et qui ne traite qu'un
petit nombre de points. Il m'a semblé que le plus
important n'est pas que vos lecteurs votent pour ainsi
dire sur chaque article de votre programme. C'est que
le programme leur soit l'occasion de se communiquer
leurs pensées, et de s'aider mutuellement à voir clair
dans une question si complexe. Ainsi les principes se
dégageront peu à peu et la réforme arrivera à maturité
par cela même que tous les esprits auront pris l'habi-
tude de l'envisager d'une façon abstraite, et qu'elle
aura cessé d'être, aus yeus du gi^and nombre, une
simple collection d'expédients.
REPONSE DE M. CHARLES LEBAIGUE
I
La réforme que je propose relativement à ceilains
redoublements de consonnes présente, dites- vous, des
difficultés insolubles. Peut-être l'application vous en
paraiti-ait-elle possible si j'en modifiais les termes e1 si
j'en restreignais la conclusion.
Vous admettez avec moi qu'il est simple et logique
de revenir à la formation normale du féminin dans les
(1) [Je suis aussi de cet avis, mais je ae crois pas que ces deus
réformes soient encore mûres.] L. C.
6 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
noms et les adjectifs, et d'écrire cJiate, lione, paysane,
muètej mortèle, soie, comme on écrit i^ate, ourse, cour-
tisane, secrète, fidèle, idiote.
Comme corollaire à cette proposition, ne pourrait-on
pas, en laissant de côté les termes de suffixe et de
terminaison, l'un d'une notion peu courante, l'autre
d'une signification trop vague, ne pourrait-on pas,
dis-je^ établir le principe suivant? « Les dérivés français
s'écriront sans réduplication de consonne quand le mot
formateur aura la consonne simple. » En conséquence,
regret et trot feront regreter et troter, comme rejet
et gigot font rejeter et gigoter ; coton et van feront
cotonade et ranier, comme limon et ruban font
limonade et rubanier ; fief ÎQV^fiéfé, comme tarif fait
tarifé; courir fera courier, comme il fait déjà cou-
reur, etc.
Quant aus dérivés dont le formateur est inconnu ou
hors d'usage, ils prendront aussi la consonne simple par
analogie. On écrira radoter comme gigoter, nautonier
comme limonier, barcarole comme banderole, bestiole.
Cette règle ne comportera d'exception que là où la
prononciation l'exige^ =zgrosseur, gentillesse : exception
déjà admise dans la formation du féminin, grosse, gen-
tille, pareille.
« Par contre, la consonne double subsistera dans les
dérivés quand elle existe légitimement dans le forma-
teur. » On écrira layettier, cannellier, préallable, de
layette, cannelle, aller, comme on écrit lunettier de
lunette, prunellier àe prunelle, etc.
M. Rréal adopte la rectification relative à la forma-
tion des féminins, lione, muète, parce que ce sont des
faits grammaticaus ; il repousse les conséquences que
j'en tire^ parce que c'est du vocabulaire. Il me semble
cependant qu'une réforme qui porte par une prescription
d'ensemble sur un groupe de mots analogues, devient
pai' cela même granmiaticale tout autant que lexicolo-
REPONSE DE M. CHARLES LEBAIGLE 7
giqiie : c'est ce qui a lieu d'ailleurs pour je harcèle, je
jète, graphies nouvelles que M. Bréal approuve sans
hésitation .
Vous pensez comme lui qu'une réforme générale des
consonnes doubles doit se faire par la voie du diction-
naire, et vous ajoutez avec raison : celui de V Académie
ou un autre, car c'est sur Vautre seul qu'il faut compter.
Mais, encore une fois, voyez s'il n'y aurait pas une voie
plus simple et plus courte de résoudre le cas particulier
que je signale.
Quant à la mesure transitoire que vous conseillez, et
qui permettrait d'écrire les mots en litige ad libitum
avec ou sans la réduplication de la consonne, elle a peu
de chance d'être accueillie : elle ne ferait qu'accroître
un désordre dont tout le monde se plaint ; en outre,
elle aurait l'inconvénient de fournir une arme aus
partisans de la liberté absolue en matière d'ortho-
graphe. En France nous aimons la règle par-dessus tout,
remarque fort bien M. Brunot. Or, dans l'espèce, une
règle, quelle qu'en soit la formule, qu'elle vienne du
dictionnaire ou de la grammaire, sera la bienvenue. Il
est nécessaire, il est urgent de faire disparaître des
inconséquences graphiques qui choquent le bon sens et
embarrassent les mémoires les plus solides. Je reproduis
ici le court spécimen que j'en ai donné ailleurs.
MOTS SIMILAIRES MOTS CONGÉNÈRES
Calotte, caroUe{l), gibcloitCj et Barrique, harracjc ., et baril.
papillote, capote, camelote. baraque-
Tutelle et clientèle. Charrue et chariot.
Tabletterie et marqueterie. Trappe et chausse-trapc.
Grelotter, ballotter, et dorlo- Dénommé et innomc.
ter, gri'jnoter. Tutelle et tutclaire.
Capitonner, canner , et l'auto Follet ai folâtre.
ner, cancaner. Abattoir, abattement , Qt abatis.
Pensionnat et patronat. abaiage.
(1) [Carotte ne contient pas le sufïixe otte. C'est un mot savant qui
vient du latin carota, comme le fait remarquer M. Gaston Paris.] L. C.
8 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Personnel et colonel. Bonhomme et bonhomie.
Fanfaronnade et cantonade. Entonner et détoner.
Renoutellenient et ècartcle- Patronner et patronage,
ment, etc. Millionnaire et millionième.
Tanner et tanin, etc.
Si je ne m^abuse, les esprits les moins exercés peu-
vent aisément voir et corriger d'eus-mémes les contra-
dictions d'orthographe que présente ce tableau; et, le
principe une fois établi, en faire l'application à tous les
cas analogues (1).
II
J'ai lu attentivement les pages où vous traitez à nou-
veau la question du redoublement des consonnes.
Vous commencez par l'étude àe^ préfixes. Tout d'a-
bord on pourra vous reprocher l'emploi de ce mot,
comme vous m'avez reproché l'emploi du mot suffixe.
On aurait tort : il me parait impossible de discuter sur
l'orthographe sans avoir recours à ces deus mots.
Si je résume avec exactitude cette partie de votre
article, voici la solution que vous proposez :
Les mots â préfixe ne conserveront la double con-
sonne que dans le cas où le préfixe est d'origine savante.
Ahisi, le latin sub ayant donné la forme savante su et
la forme populaire sou, on écrira d'une part suffisant,
suppléer, insuffler, d'autre part soufrir, soujler. Par la
même raison, on dédoublera la consonne dans ocuper,
ofrlr, comander, éj'rayer, parce que les préfixes latins
oh, cum, e (ex) sont devenus o, co, e (es) dans le fran-
çais populaire ; mais on gardera diff', dl, imm, inn, irr,
coll, corr, qui sont de provenance savante. Il n'y aura
d'exception à la règle de dédoublement que pour satis-
(1) ; C'est l'application ans cas analogues qui n'est pas pratique. Il
faudrait jctléctiir. et souvent longuement, avant d'écrire chaque mot.;
L. C.
REPONSE DE M. CHARLES LEBAIGUE 9
faire aus exigences de la prononciation ; à côté des
graphies simples ocidte, comerce, on aura les graphies
doubles occhision, commuer, etc.
Il semble â première vue que cette proposition doive
satisfaire dans une égale mesure les phonétistes et les
étymologistes ; mais en définitive elle ne satisfera cer-
tainement ni les uns ni les autres. En tout cas, elle n'est
pas de nature a simplifier et à faciliter l'étude de l'or-
thographe.
Si la notion générale de préfixe est comprise de tout
le monde, la distinction que vous établissez entre les
préfixes populaires et les préfixes savants est moins
facile à saisir, et les changements que vous proposez
comme conséquence de cette distinction passeront
malaisément dans la pratique.
Pour me borner à un cas particulier, il est bien vrai
que les formes primitives esforcer, es/rayer auraient
dû donner éjbrccr, éfrayev, comme estendre a donné
étendre, et qu'elles ne sont devenues efforcer, effrayer,
que par analogie avec les mots savants effet, effigie.
Mais il faut remarquer que ce redoublement remonte
déjà au xur siècle, et que d'ailleurs, comme vous le
dites vous-même, il s'appuie sur un motif d'analogie.
Demander le retour aus grai)hies du haut moyen âge,
c'est répondre peut-être aus vœus des érudits, mais
c'est rompre, sans avantage bien réel, avec une écriture
qui en soi n'est pas véritablement anormale et qui a en
quelque sorte possession d'état.
Et puis j'observe en passant qu'après avoir posé
comme prémisses le maintien de la consonne redoublée
dans les mots de formation savante, vous concluez à
écrire éfet, éfigic, conmK^ si effet et effirjie ne devaient
pas être conservés au même titre que dffas ai suffisant.
Pour justifier cette contradiction, vous invoquez un
précédent. En ellet l'Académie, qui en principe main-
tient le redoublement avec le préfixe a {ad), apprendre,
10 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
aggraver, allécher;, accoler, le supprime arbitrairement
dans un certain nombre de mots, agrandir, apercevoir,
aligner, racoler. Elle offre encore ailleurs des dis-
parates du même genre : elle enregistre colégataire après
collaborateur, coreligionnaire après corrélatif, etc.
Mais ce sont là des inconséquences dont il ne faut pas
lui faire un méiitc et qui ne sauraient être érigées en
règle. Le jour où elle se décidera à régulariser l'ortho-
graphe des préfixes^ se rendra-t-elle aus sollicitations
des simplistes en supprimant partout le redoublement
des consonnes f Distinguera-t-elle, comme vous l'y
engagez (1), entre les mots populaires et les mots sa-
vants? On ne sait : c'est le secret des immortels. Pour
ma part, je souhaite qu'elle suive en ceci;, comme en
tout le reste, le sage conseil de Littré, et que, fidèle à
ses propres tendances, elle maintienne ou rectifie les
choses conformément à la tradition et à l'étymologie.
Voilà pour les raisons philologiques. Les réserves
que vous faites à l'égard de la prononciation ne peuvent
qu'amener des complications nouvelles.
Il est un point sur lequel nous sommes entièrement
d'accord, c'est la suppression de la double consonne
après un e muet. Dessus, dessous, ressaisir, resservir
sont des graphies contraires à l'épellation la plus élé-
mentaire : il faut orthographier desus, resaisir comme
on orthographie resucer, contresens, entresol. Mais,
en dehors de ce cas unique, je ne crois pas que la pro-
nonciation doive influer en rien sur l'orthographe des
préfixes. En thèse générale, la prononciation est trop
variable pour servir de règle à l'écriture. Non seule-
ment, comme on l'a dit à satiété, elle diffère de région
à région, d'individu à individu, mais « chez cha-
cun de nous elle subit des modifications infinies
d'accent, de timbre, de durée, que la pliysiologie la
(1) (Ma proposition n'étail qu'un pis-aller. J'aime mieus la premièi'e
solution.! L. C.
RÉPONSE DE M. CHARLES LEI3A1GUE 11
plus profonde et la plus exacte aurait peine à noter
complètement ». Rien de plus vrai que cette observa-
tion de Darmesteter. Sans sortir de la question qui
nous occupe, prenons comme exemple le mot effroi. Il
est bien certain qu'en prononçant ce mot le même
homme glissera ou appuiera sur la double consonne (1)
suivant l'intensité du sentiment qu'il éprouve. Faudra-
t-il pour cela lui laisser la latitude d'une double ortho-
graphe "? Personne n'oserait le soutenir.
Mais voici qui est plus grave. Si la prononciation
fait loi, on devra écrire apétit et appétence, coriger et
correct, inocence et innocuité, c'est-à-dire différencier
au gré de l'oreille et suivant les caprices de la mode
des mots dont la parenté est étroite et la conformation
identique. Mais ni l'œil ni l'esprit ne s'accommoderont
d'une pratique qui trouble des rapports absolument
congénériques et porte ainsi une atteinte gratuite à
l'unité du vocabulaire (2).
M. L. Havet croit à l'établissement futur d'une pro-
nonciation régulière, uniforme et définitive. Cette chi-
mère se réalisera peut-être; mais, en attendant le règne
de Vorthoépie, la langue parlée variera longtemps
encore comme elle a varié à toutes les époques. Actuel-
lement les autorités les plus compétentes ont bien de la
peine à s'entendre pour la fixer. Sur plus d'un point
l'Académie est en désaccord avec Littré, et Littré n'est
pas toujours d'accord avec lui-même. Il figure avec
des différences a-pendice et ap-pcndre, a- fable et inef-
fable, a-loaer et al-location, co-nienter et coni-men-
taire, di-section et dis-séciuer. Ces différences^ en les
(1) [Il pounait aussi bien glisser ou appuyer sur la consonne simple.)
(2) (L'unité du vocabulaire est-elle atteinte parce qu'on écùi faisa-
hle par al, perfectible par ce, factice par ac, effet par e, sujjisant
par i, bien que tous ces mots se rattachent à la même racine ? La
différence de graphie sera-t-ello plus choquante entre apétit et appé-
tence qu'entre projet eX projection, objet et objecter ?]
L. C.
12 REVtlE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
supposant exactes aujourd'liiii, le seront-elles encore
demain? C'est douteus. Quoi qu'il en soit, ici comme
ailleurs, il n'est pas possible, il n'est pas raisonnable
que la langue écrite se plie aus discordances de la
langue parlée, soit que ces discordances résultent de
conventions passagères, soit qu'elles s'expliquent par
des causes plus ou moins légitimes (1). En résumé, je
crois que la meilleure solution est de laisser les choses
en l'état.
J'insiste d'autant plus sur cette conclusion qu'elle
concorde avec vos propres idées dans la suite de la dis-
cussion.
En dehors des préfixes, c'est-à-dire dans le corps des
mots et dans les suffixes, vous êtes d'avis de laisser le
redoublement des consonnes à toutes les formes qui
l'avaient en latin classiciue. Ici vous êtes dans la vérité.
En proposant cette règle, vous n'êtes arrêté ni par des
considérations de philologie historique, ni par les pré-
tendues exigences de la prononciation ; vous obéissez â
ceque vous appelez un scrupule, mais âce quiestvérita-
blement un principe (2), à savoir la loi des étymologies,
loi fondamentale et conservatrice de tout idiome
secondaire ou dérivé. Votre seul tort, à mon sens, c'est
de ne pas étendre l'application du principe à tous les
riiots originaires du bas latin et des langues étrangères.
Vous écrivez m étire, terre, flamme, cr'ppe, qui rap-
))èlcnt le latin classique mdttere, terra, flammxi, cippus ;
pourquoi hésiteriez-vous à écrire natte, manne, bi-
zarre, bouffon, nippe, pour rappeler le bas latin natta,
l'allemand manne, l'espagnol bijarro, l'italien biiffbne,
(1) [Ccpoiuhint, M. Lf'liaigiie i)ropose d'ccriip par nue seule n le
suflixe oner, d'apré.< la prononciation actuelle et bien que «oniier »
représente l'ancienne prononciation on-ner.]
(2) [Ce n'est pas un principe, car alors il faudrait le pousser jusqu'au
bout, parler français mais écrire latin. On prononcerait ciboire et on
oi'tograpliierait c//jo/7ri7M. Notez qu'il ne serait pas phis_compliqué de
lire oriiwi = oirc, que de lire c^a-\-u=ô.\ L. C.
KKl'O.NSI-; 1)K M. (IIAHLKS I.KliAlGfK VA
l'islandais lineppe 1 Est-ce que la connaissance de ces
formes n'a pas le même intérêt pour qui veut remonter
aus sources de notre vocabulaire et en retrouver les
éléments constitutifs (1)?
Appliquée dans une large mesure, la loi desétymolo-
gies ne permettrait pas seulement de rectifier les gra-
phies que vous signalez comme vicieuses, tutelle pour
tutèle, donner pour doner, greffe pour grèfe, verrcd
pour vèrai, etc. ; mais encore elle aiderait à rétablir et
à unifier l'orthographe d'un grand nombre de mots des
provenances les plus diverses. Le redoublement des
consonnes disparaîtrait dans étouffer (de tû^^o?), dans
trappe (de trapo), dans battre (de batuere), dans patte
(depata), etc. Au contraire, il serait rétabli dans m zz/Zf?
(demuffel), et conservé dans bati^e (vraisemblablement
de barra), etc. Par suite, le vocabulaire n'offrirait plus
ces graphies contradictoires, trappe et attraper,
abattoir et abatage, pattu et pataud , barrique et 6a-
/v'/, ce qui serait un véritable progrès.
Cela dit , si je me renferme dans la limite de votre
programme, je vous soumettrai les observations sui-
vantes.
1° Vous demandez que le groupe latin mn, m{i)n, soit
ramené en français à une seule m ou â une seule n :
daner, autone (de daninare,autu7nnus),nonier, home,
famé (de nom(i)nare, hom(i)nem, fem(i)nam). Je ne
vois pas de raison pour changer l'orthographe de dam-
ner, automne, qui, comme en italien, dérivent régu-
lièrement du latin classique; \m, il est vrai, ne se fait
pas sentir dans la prononciation ; mais c'est une règle
d'épellation enseignée par la grammaire. Quant à la
substitution de mm h. m{i)n, elle remonte aus origines
de la langue et tient sans doute i\ des l'aisons de
(1) (Mais la siippiessiou d'une consonne enipêclioi'a-telle de retrou-
ver les éléments constitutifs des mots? J'ai peine à le croire.;
L. C.
14 RKvri-: 1)1-: philologii: fhançaisk
phonétique qui nous échappent ; homme, nommer
sont -des formes aussi anciennes que home, nomer (1).
L'argument tiré de la prononciation n'a pas ici plus
de valeur qu'il n'en aiu^ait pour terre, rjoutte, inter-
valle.
2° Je regrette comme vous que le digramme // après i
ne soit pas exclusivement réservé pour exprimer un son
mouillé : ^/ille cueillir; mais, comme vous aussi, je
reconnais qu'il serait difficile de ne pas en maintenir
le double emploi dans ville, tranquille, vaciller.
3° Arrivant au redoublement de / après e â la fin des
mots, vous conseillez d'écrire exceptionnellement les
pronoms elle, celle, et les adjectif belle, nouvelle. Je
n'en vois pas la nécessité. Les formes masculines il, cel,
bel, nouvel, amènent tout naturellement les féminins
éle, cèle, bêle, nouvel e, comme mol, fol, nul, amènent
mole, foie, nule. Gardons-nous des exceptions le plus
qu'il nous sera possible.
4" C'est d'ailleurs ce c[ue vous faites quand, à propos
des suffixes, vous proposez de réduire la double con-
sonne dans les dérivés français de mots n'ayant qu'une
consonne : dictionaire de diction, floter ôefot. Cette
proposition, je l'ai faite à mon tour à peu près textuel-
lement dans la première partie de ma communication.
Pour faire accepter la règle, il s'agissait de trouver
une formule, et je vous sais gré de me l'avoir fournie.
5° Lors même que la réforme orthographique appor-
terait çà et là quelques dérogations à la loi des étymo-
logies, il ne faudrait pas le regretter. Les étymologistes
les plus fervents comprennent très bien que leur prin-
cipe doive fléchir devant cei'taines nécessités, par
exemple quand il s'agit de généraliser une exception
qui simplifie et facilite l'orthographe sans s'écarter des
rèi^des de l'analo^fie. Ainsi ils admettent sans hésiter la
(1) [C'est une erreur. On a écrit Iiomc, nomer avant d'écrire
homme, nommer.' L. C.
KKI»ONSK DE M. CIIARLF.S LHBALGUE 15
réduction de la double consonne pour toute la classe
des verbes en eler^ eter : f appelé, je jète. Pour la même
raison, ils sont disposés à réclamer cette réduction pour
les terminaisons diminutives elle et eite, qu'elles vien-
nent du latin classique ou d'ailleurs. Le redoublement
n'est pas plus essentiel dans nacelle et fourchette que
dans gloriole, globule, bottine, pâlote (1).
III
Il me reste à vous soumettre mes observations sur la
find e votre article.
Les différentes questions de réforme orthographique
que vous traitez dans cette dernière partie de votre
article peuvent se rattacher, les unes au vocabulaire, les
autres à la grammaire. Je les discuterai sous cette
double rubrique, en reconnaissant toutefois que les
raisons lexicographiques se confondent parfois avec les
raisons grammaticales.
Réforin es lexicocjrap hiq ues
Sur la valeur et l'emploi des caractères de l'alphabet,
vous tenez en général pour le statu cpto, et ce n'est pas
moi qui vous le reprocherai. Tout en signalant certaines
anomalies, vous conserverez l'A muette initiale, le clii
grec (/j, le digrammc qu, la syllabe iî/ prononcée ci : je
n'ai pas à insister sur les motifs de votre décision, les
ayant moi-même exposés ailleurs. Je suis également
d'accord avec vous sur l'usage des bivocales œu, œ, eu
(cœur, ccpuillir, œcuménique). Mais je persiste â croire
(1) [Puisquo M. Lcbaigue admet èlc, cèle, bèlc, nouvcle, narèlc
mamcle, etc., il n'}- a vraiment pas de raison pour ne pas faire c(''der
l'habilude étymologique dans tous les autres cas de redoublement de
consonnes. J'en reviens donc ;Y ma première proposition : simplifica-
tion dans la graphie partout où la consonne est simple dans la pro-
nonciation. Si on se range à mon avis, il ne s'agit plus que de s'en-
tendre sur les mots où la consonne se prononce double.] L. C.
K) i;i;\rK m; I'iiii.oi.ocie i'p,an(;.\isk
c[ue le changement de ph en /'serait une mesure d'ordre
et une simplification utile (1).
C'est à regret que j'avais renoncé à Y y comme repré-
sentant de l'upsilon : aussi je me rallie volontiers à
votre projet de le maintenir ; notre langue scientifique
remonte trop souvent au grec pour que nous négligions
ce précieus ])oint de repère.
Quant â la substitution duj' au g dous, j'ai toujours
les mêmes motifs de la repousser d'une façon générale.
En particulier, j'ai peine à comprendi^e que vous vous
décidiez à écrire purgeons et purje (8), plongea et
plonjon^ et surtout que vous adoptiez mangeable
après avoir répudié bougeoir : il y là une disparité par
trop criante.
D'autre part, je suis choqué comme vous de la
distinction déraisonnable qui s'est établie entre les
purtici^e^fatiguant, intriguant, et les adjectifs verbaus
fatigant, intrigant. Vous indiquez le moyen de la faire
cesser en ne conservant u dans la conjugaison des verbes
en guer que devant e ou i : je fatigue, vous fatiguez,
fatigons, fatigant; cet u serait alors l'équivalent de Ve
dans les verbes en ger et de la cédille dans les verbes
en cer. Mais je me demande pourquoi l'on n'userait pas
de la même méthode avec les verbes en quer '.fexplicpie,
vous expliquez, explicons, explicant. Le changement
de qu en c n'aurait rien d'insolite : nous avons déjà
vacant, suffocant. Quant à laisser le chois entre deus
orthographes, telles (|ue suffoquant et suffocant, je
n'en suis pas partisan, ni ici ni ailleurs : il n'est guère
possible de simplifier l'écriture sans la l'èglementer (3).
(1) [Sans doute; mais je suis persuadé que cette rél'onue n'est pas
encore mûre, j
(2) [Je n'ai pas proposé d'écrire purJe.]
(3) [Je serais assez disposé à admettre la règle suivante : « Les
verbes en ger, guer, quer, cer changent g en j, gu en g, qu en c,
c en c devant a et o. » M. Michel Bréal m'objecte, dans une lettre
particulière, que cette règle aurait le tort de rompre l'unité de la
KRPONSF. 1)K M. CHAlîLIiS 1,1:BA10M; 1/
Je ne vois pas bien l'utilité de remplacer ti par si
dans tous les mots formés de tendo : attention, préten-
tion. Le supin de ce verbe est tentiun et tensuni, d'où
les graphies également correctes attentio et extensio.
Il me paraît tout naturel d'observer cette difEérence en
français, à cause des dérivés attentif, extensible (1).
Mais ce que vous appuyez fort justement, c'est le
changement de ti en ci dans substantiel, essentiel, pes-
tilentiel, qui deviendraient substanciel, essenciel, pés-
tilenciel, malgré l'origine latine, suhstantialis, essen-
tialis,pestilentia. En rattachant ces adjectifs aus noms
français substance, essence, pestilence, on aurait une
seule et même orthographe pour une catégorie de
dérivés ayant une terminaison identique. Comme je
l'ai remarqué au sujet des verbes en eler, eter, il est de
ces anomalies étymologiques qu'il faut accepter sans
hésiter en vue de l'uniformité et de la simplification.
Appliquant ce principe à des cas isolés, vous deman-
dez, non sans raison, qu'on écrive faisseau {de fascel-
lus) comme vaisseau (de vascellum), doit (de digitus)
comme froid (de frigidus), vint (de viginti) comme
trente (de triginia), quelcun (de qualem. quem unum)
comme aucun (de aliquem unum), enfin segond (de
secundus) comme ciguë, dragon (de cicuta, dra-
conem). Cette dernière correction s'appuierait sur la
prononciation, sur l'analogie et sur une ancienne règle
de permutation; mais avec tout cela triompherait-elle
d'une tradition vieille de huit ou dis siècles? Je ne
l'espère pas autant que je le désire.
Parmi les irrégularités étymologiques que rien ne
conjugaison. Mais on écrirait « nous explicons » sans remonter à la
forme de l'infinitif, comme on écrit explication. Ce n'est qu'à l'école
qu'on fait des « conjugaisons »; dans la réalité les différentes formes
et personnes d'un verbe sont indépendantes les unes des autres ;
pense-t-on à cenir quand on écrit ye oicriH ?\
(1) [On ne pense pas à aiie/itf/" quand on écrit attention.]
L. C.
Revue de philolocik. v 2
18 kevl;e de philologie fkançaise •
justifie, il en est plusieurs que vous désespérez de voir
disparaître, non pas seulement parce qu'elles ont la
consécration du temps, mais parce qu'elles sont d'un
emploi quotidien et incessant : ce sont des monnaies
marquées au mauvais coin, mais qui ont cours forcé.
Telles sont car (de quare), dans (de de-intiis), sans (de
sine), et quelques autres.
Mais entre celles-là même qu'un long usage a fait
passer dans la pratique, vous en citez un certain nombre
qu'on pourrait corriger sans rencontrer trop de résis-
tance : ainsi^/b/'ce/zé pour forsené^dessillej' pour déciller,
morceau pour niorseau, vermisseau pour vermiceau,
contraindre pour contreindre, de champ pour de chant,
ne::;, rez, chez, lez, pour nés, rés, chés, lés, et autres.
Tous comprennent, même les conservateurs les plus
tenaces, qu'il y a intérêt à débarrasser la langue de ces
graphies notoirement vicieuses.
J'arrive au chapitre des lettres parasites. La liste que
vous donnez présente quelque confusion. Dans poids,
mets, legs, l'avant-dernière consonne n'est pas, à propre-
ment parler, une superfétation, mais le résultat d'un
contre-sens. Quand on propose de remplacer ces gra-
phies par pois, mes, les ou lais, c'est pour les ramener
à leur véritable origine : pensum {pesum), missum,
laisser. Il en est tout autrement de pouls, puits,
remords, f aulx, mots dans lesquels la pénultième a été
introduite par surérogation, au mépris des formes pri-
mitives/)om6'^ [juis, remors, faus.
A ces rectifications tant de fois réclamées, vous
voudriez en ajouter d'autres, qui ne sont pas toutes sans
objection. On vous accordera sans peine la suppression
de Vh dans heur et ses dérivés (de augurium), celle du
p dans dompter (de domitare), celle du c dans sceau
(de sigillum), et peut-être dans scie/' (de secare); mais
on vous contestera qu'il y ait une lettre parasite dans
rets {refis), lacs (laqueus), fils { filiu.s), rorps (corpus),
RÉPONSE UK M. CHARLES I.KBA Uill-; l*.l
temps [tempus], où les consonnes t^ c, l,p sont non seule-
ment étymologiques, mais vraiment utiles pour l'intel-
ligence des principaus dérivés (1). Pour justifier la sup-
pression de ces consonnes, quelques-uns invoquent les
usages de l'ancienne langue; mais si le/) de corps et de
temps est une addition relativement récente, on ren-
contre dans les plus vieilles chartes Jîh qXJîI (2)^ las ou
lach (3). De votre côté, vous arguez de la réforme inau-
gurée par Bossuet qui élimine une consoniie du radical
dans les verbes je mes, tu rens, il ront\ mais, dans ce
dernier cas, il s'agit d'arriver à une prescription d'en-
semble qui unifie le système de la conjugaison, et la
raison étymologique est primée par le besoin de concor-
dance. D'ailleurs la consonne du radical momentané-
ment omise reparait dans mettons, rende:^, rompent.
Ce que je dis des mots rets, corps, etc., s'applique,
bien entendu, à baptême, k prompt, à sculpter. La con-
cession que vous faites pour exempter (4) ne fait que
compliquer les choses.
Vous voulez aussi qu'on orthographie respet comme
ejfet. Mais, pour être conséquent, vous devez également
retrancher le c dans aspect, direct, exact (5)^ et autres
mots similaires : cela peut vous conduire plus loin que
vous ne pensez. Et puis ferez-vous agréer la liaison
respè-t-hmnain comme conséquence de effè-t-ordi-
naire%
(1) [Oq écrit ornés sans t malgré ornatos ; le ï ne se justifie pas
davantage dans rets. Lacs (de laqueum et non de laqueus) est en
contradiction avec bras (de brachium), etjîls avec Us (lilium). Fils
a en outre le grave inconvénient de se confondre avec le pluriel de
Jil. 11 n'y a pas de raison pour mettre un p dans corps plutôt que dans
corset et corsaçje.]
(2) [A l'époque où 1'^ se prononçait.]
(3) \Lach est une graphie qui correspont à une prononciation
dialectale.]
(4) [Je la retire.)
(5) [Non, parce que; dans ces mots le c se prononce. Il se prononce
aussi en liaison dans respect, et c'est pourquoi je renonce il en deman-
der la suppression.; L. C.
•J(l HKVl.t: 1)K PH11.(JL(Jl;1K fhançajsk
Dans/j/ec/, nœud, nid, vous demandez la suppression
de la consonne finale ; mais là encore, par voie de consé-
quence , il vous faudrait la supprimer dans froid,
lourd, grand, ainsi que dans plomb, drap, irait, gris.
Or, (( les finales devenues muettes, dit fortbienDarraeste-
ter, donnent aux mots sa physionomie propre et l'achè-
vent, et on ne peut y toucher sans altérer la langue. Il
faut les conserver sans se préoccuper du rapport de la
graphie à la prononciation, parce qu'elles expliquent le
plus souvent la dérivation ». Cet argument ne vous
paraît-il pas décisif ? (1)
En dehors des consonnes dites parasites, vous regar-
dez/;«« etjan comme préférable à paon (paonem) et à
faon (Jœtonuni). Cette réduction graphique m'avait
d'abord semblé désirable comme à vous ; mais je crois
qu'il faut y renoncer. Si dans ces mots Yo ne se pro-
nonce pas, c'est par suite d'une convention tout
arbitraire, tout aussi arbitraire que la convention
inverse qui annihile a dans Saône, août, taon. Cet o
et cet a doivent subsister comme éléments essentiels
dans l'écriture (2), Vous reconnaissez vous-même que,
par la suppression de Va dans août, le mot serait si non
méconnaissable, du moins sensiblement défiguré.
Réformes grammaticales
Je ne mentionne que pour mémoire la substitution de
.s k.T final valant .s, deus^jalous ; — l'unification d'écri-
ture dans les verbes en eler et eter : j'épèle, f appelé,
j'achète, Je jète ; — la suppression de l' avant-dernière
(1) [Oui pour les mots que vous citez, mais non pour pied, nœud,
nid. La langue a laissé tomber depuis le xr siècle toutes les dentales
isolées à la fin des mots, et on les a rétablies à tort dans ces trois mots.
Au contraire la langue écrite a conservé sans interruption les
consonnes finales qui en latin classique ou populaire se trouvaient
précédées d'une autre consonne. Telle est la régie.)
(2) [Ce n'est pas mon avis. Il n'y a pas là une convention arbitraire,
mais l'application d'une loi phonétique. J'ai toujours entendu pronon-
cer tan pour taon, et non ton comme l'indique l'Académie.] L. C.
RÉPONSE DE M. CHARLES LEBAIGUE 21
consonne (avec l'emploi constant du t à la 3^ personne)
à l'indicatif présent des verbes en oii\ en re (et en ir ?) :
fassiés, tu combas, ri vont, il rent. Ces rectifications
proposées ou recommandées par la Revue de philologie
française ont paru motivées à tous les partisans de la
réforme orthographique.
Je n'insisterai pas davantage sur quelques modifica-
tions que je vous ai soumises et que vous avez accueillies
sans restriction ; par exemple : la régularisation des
féminins et des pluriels anomaux : une demie
heure (1), des duplicatas] — la variabilité de vingt et de
cent quand ils sont précédés et suivis d'un autre nom
de nombre : quatre-vingts-trois hommes, deus cents
trente vaisseaus.
En outre je retrouve dans votre programme des pro-
positions de réforme qui figuraient dans ma brochure et
ailleurs : l'orthographe dissout et absout pour dissous,
absous, — rassimilation de genre entre s/)/<ère, atmos-
phère, et planisphère, hémisphère; le retour définitif au
masculin des noms orgue, orge, hymne; — la suppres-
sion de l'apostrophe dans grand' mère, entrouvir, etc.
Sur la syntaxe de même adjectif et de même adverbe,
il me semble que nous sommes d'accord, bien que votre
rédaction soit un peu trop vague et prête â l'équi-
voque.
Vous adoptez en partie le changement de ent en wn
dans certains qualificatifs et leurs dérivés : présidant,
présidance, négligeant, négUgeance, négligeamment,
(ou négligeament). Je m'étonne que vous n'élargissiez
pas la règle dans la mesure que j'ai indiquée après
F. Didot : prudant, pjrudance, prudamment {pruda-
(1) (J'écrirais plutôt demiheure en un seul mol, car « des demies
heures » serait contraire h la prononciation. Mais partout ailleurs
demi doit s'accorder aussi bien lorsqu'il précède le nom que lorsqu'il
le suit.' L. C.
22 KEVUK DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
ment) : tôt ou tard vous y serez amené par la force de
l'analogie (1).
Sur d'autres points, vous combattez mes vues, et je
me rens à vos objections, notamment pour les régies de
quelque et pour celle de nouveau, qu'il serait bien diffi-
cile de modifier. J'accepte aussi, non sans regret, pain
bénit, eau bénite (2).
A votre tour, permettez-moi de discuter quelques
parties de votre plan de réforme.
En dehors des mots tirés du grec, je ne suis pas
d'avis de conserver Vy, soit comme voyelle, soit comme
semi-voyelle simple ou double. Notre i me parait pou-
voir suffire à tous les besoins de notre orthographe.
Pourquoi n'écrirait-on pas par un i simple votons,
nioien, grasséier, tuiau, comme on écrit aieul, baion-
nette (3)? Et cela sans ajouter un tréma que ne réclament
ni l'œil ni l'oreille (4).Quant à 1'/ redoublé, qui est déjà en
usage dans certaines formes verbales, nous liions, vous
étudiiez, pourquoi ne continuerait-on pas à l'employer
partout où l'exige la grammaire ou la prononciation :
ploiions (ploi-ions), essuiie^ (essui-ie^), aiiant {ai-iant),
paiier {pai-ier), paiis (pai-is). Pour ces derniers mots,
l'œil serait satisfait (5) sans qu'on eût besoin de recourir
aus formes exclusivement phonétiques qui vous
paraissent appelées à prévaloir un jour, péis, péier,
abbéie.
Est-il à propos de retrancher l'e muet après une
voyelle dans l'intérieur d'un mot? Oui et non. Pour les
(1) (Il fauflrait alors remplacer /jarïort^ par a/i la graphie t'/i pro-
uoncée ait. Mais cette réforme ne me parait pas encore mûre. ■
(2) [Il n'y a aucune raison de ne pas écrire pain béni. La pronon-
ciation n'exige qu'une seule exception, eau bénite. \
(.S) [Il faudrait préalablement trancher la question de prononciation
tu-i.au ou tui-iau, etc.)
(4) (Le tréma est au moins utile dans «^ il Vjaïc », sans quoi on
prononcerait cette forme verbale comme le substantif baic.\
(o) Me ne trouve pas.) I,. C.
RÉPONSE DE M. CHARLES LEBAIGUE 23
adverbes de manière, l'usage a prévalu d'écrire poli-
ment, vraiment, aisément, absolument, au lieu des
formes èt\iTio\ogic[v\Q^ poliemcnt, vraiemetit, aiséement,
absoluement. C'est un fait accompli qu'on doit subir.
La seule chose à faire, c'est de supprimer l'accent aussi
bien dans gaîment, dûment, que dans poliment, abso-
lument.
Pour les substantifs, l'Académie flotte entre l'ortho-
graphe étymologique et l'orthographe phonétique : elle
écrit d'une part nettoiement comme soierie, et de l'autre
agrément comme plaidoirie, ou l)ien encore ad libitum
dénouement et dénoûment. S'il lui arrive un jour de
mettre un peu d'ordre dans cette partie de son voca-
bulaire, vous l'engagez à adopter l'orthographe phoné-
tique ; j'estime, pour moi, qu'elle fera mieus de garder
ou de rétablir partout l'emédial, lettre dormante, mais
significative, qui rappelé le mot formateur.
C'est dire assez qu'elle devra retenir cette même
lettre dans les futurs créerai, jouerai, prierai, ploierai,
et renoncer à la variante syncopée paîrai pour
paierai (1).
Remarquons à ce propos que l'emploi de l'accent cir-
conflexe pour indiquer la chute ou la contraction des
lettres est un expédient avec lequel il est temps d'en
finir, d'autant mieus qu'il n'a rien de fixe et de réglé :
nous écrivons arbitrairement dû (deu) et su (seu).
remerciment {remerciement) et assortiment (assortie-
ment), croître (croistre) et étendre (estendre), côte
(coste) et coteau (costeau). L'accent circonflexe, comme
le grave et l'aigu, doit être uniquement réservé à mar-
quer le timbre ; son véritable office est d'indiquer les
voyelles prononcées longues : âme, aumône, fête, Jlûte.
(1) [Ici encore on invoque runiformité de la conjugaison. Mais
pourquoi nous obliger à rechercher l'infinitif quand on a à écrire un
futur? Les enfants écrivent naturellement crira comme écrira; je n'y
vois pas d'incon veulent.] C. L.
24 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Il est bien vrai, comme vous en faites la remarque, qu'il
ne remplit cet office que d'une façon intermittente et
capricieuse : on ne le met pas sur espace pour le distin-
guer de face, ni sur grosse par opposition à crosse. En
cela on a peut-être tort. Assurément ce serait une com-
plication ; mais, étant logique, elle n'aurait rien de bien
embarrassant. Au surplus, restreinte ou généralisée,
cette destination du circonflexe serait toujours préfé-
rable à l'emploi que vous lui réservez. En faire usage
uniquement pour marquer l'e tonique de tête, quête,
etc., ce serait une innovation par trop contraire à nos
habitudes : jamais l'accent tonique n'a figuré dans
l'écriture française (1).
Devenu un simple signe de prononciation, l'accent
circonflexe disparaîtrait naturellement des mots mûr,
prêter, coûter, île, vous aimâtes, qu'il voulût, et de
tous autres où la syllabe s'est réduite sans s'allonger.
L'accent grave suivrait la même règle : je pense,
comme M. L. Havet, qu'on lui enlève son véritable
caractère en l'affectant â la distinction des homonymes :
a et à, la et là, des et dès, ou et où.
Enfin, vous modifiez quelque peu le système de
Darmesteter sur l'orthographe des mots composés ou
plutôt juxtaposés, en demandant pour les uns la soudure
complète [portemonnaie, guidàne), mais en concédant
pour les autres l'usage facultatif du trait d'union. Cette
latitude a du bon, si elle doit préparer et hâter la réunion
définitive des parties en un tout; mais, en attendant,
l'usage du Irait d'union ne motive pas la syntaxe nou-
velle que vous voudriez faire prévaloir : les arc-en-
ciels, les cliemin-de-fcrs . Vous dites qu'elle concorderait
avec la prononciation usuelle : pour ma part, je n'ai
(1) [M. Lebaigue ne m'a pas compris. Je ne veus pas indiquer
l'accent tonique, mais marquer le timbre dans un cas où on ne peut se
dispenser de le faire puiscjne l'e sans accent se confondrait avec e
muet.' L. C.
RÉPONSE DE M. CHARLES LEBAIGUE 25
pas entendu souvent cette liaison anti-grammati-
cale (1) : les chemùi-de-fer-^-étrangers.
J'aurais voulu ajouter quelques mots sur les règles
ou plutôt sur la règle des participes passés; mais vous
n'en dites rien dans votre dernier travail; et d'ailleurs
la question semble avoir été vidée dans les débats pré-
cédents. Je me bornerai à répéter que je ne suis pas
encore converti à la syntaxe Je les ai vu courir : je
trouve qu'elle est fondée sur une analyse un peu subtile.
Sur les cas en litige et sur d'autres encore, il y aurait
bien des choses à dire; mais j'ai hâte d'arriver h une
conclusion qui s'impose dès à présent.
L'idée d'un congrès réformiste m'avait d'abord fait
sourire : je reconnais aujourd'hui qu'elle est sérieuse,
qu'elle est pratique, et qu'elle peut être féconde. Ainsi
que bien d'autres, j'avais compté sur l'initiative de
l'Académie, qu'on sollicitait de répondre aus légitimes
exigences de l'opinion. C'était mécompte. L'Académie,
qui s'accorde un crédit périodique de trente ou quarante
années pour réviser son œuvre , c'est-à-dire pour
accepter les améliorations qu'on lui propose, et au
besoin pour les repousser, l'Académie est sourde aus
sollicitations et parait résolue à ne pas avancer d'un
jour l'époque de son échéance. Le sort de la pétition
Havet ne laisse aucun doute à cet égard. 11 faut donc
aviser par ailleurs. Si, comme vous en émettez le vœu,
un groupe d'hommes compétents s'entendait pour
adopter un ensemble de rectifications, et pour on dresser
la liste, c'est-à-dire pour rédiger un petit dictionnaire
purement orthographique, il est probable qu'on arrive-
rait aie substituer dans l'usage au dictionnaire officiel.
Ce résultat s'obtiendrait môme assez promptement, si
la presse quotidienne voulait aider par sa publicité
aus efforts du groupe réformateur. Ainsi tout serait
(1) [Elle n'est pas i)liis iiiiU-giainmaticalc que celle de « vaurien-s
insolents » et autres aiialo^ni(!s. ! L. C.
26 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
pour le mieus : l'illustre compagnie ne serait pas trou-
blée dans la quiétude qu'elle juge indispen«:able à son
travail, et le public pourrait, sans attendre l'expiration
de la période trentenaire, être mis en possession d'une
orthographe plus simple, plus régulière et plus homo-
gène.
OBSERVATIONS DE M. CROUSLÉ
Revue de philologie française, tome IV, page 262.
— Noms propres.
Je suis absolument d'avis qu'il n'y faut pas toucher,
d'autant plus que les singularités d'orthographe sont
souvent ce qui en fait des noms propres. Ainsi Lefebvre,
Lefèvre, Lefaivre, etc. De même Dampievre, Dom-
pierre ; Dammartin, Dommartin, etc.
P. 263. — Sangle, cendre.
Il est clair que, si l'on voulait ramener tous les mots
de la langue française à des règles uniformes d'après
l'étymologie et la phonétique, on ferait une langue
presque entièrement nouvelle pour les yeus. Pour les
Français, la tradition serait rompue ; les étrangers qui
connaissent la langue plus par l'écriture que par le
parler, seraient rebutés; l'immense quantité de livres
français qui sont répandus dans le monde, serait à
réimprimer. Et pour quel profit ? Pour une satisfaction
purement théorique. La langue française existe par
elle-même, telle qu'elle est ; les origines, dans le détail,
n'intéressent que les savants ; et si l'on voulait suppri-
mer toutes les anomalies, les difficultés se multiplie-
raient à l'infini, et deviendraient quelquefois insur-
montables. Je persiste donc à croire que plus la réforme
sera modeste, plus elle sera utile.
Je suppose qu'on se mette à écrire cengle (sangle),
parce qu'on écrit cendre. Ou devra, par la même raison.
OBSERVATIONS DE M. CROUSLE 37
écrire cenglier (1) (sanglier). Les personnes peu fami-
lières avec le latin pourront tout aussi bien supposer
un rapport d'étymologie entre cenglier et cengle
qu'entre sanglier et sangle, quoiqu'il n'y en ait aucun.
J'ai bien vu un cours pour les demoiselles où l'on
enseignait que métropole vient de métré, parce qu'il y
a des villes qui servent de mètre ou de mesure aus
autres. On n'a pas à s'occuper de la commodité des
étymologies pour les personnes qui ne possèdent pas
les premiers éléments de la science; et vous dites fort
bien : « quant au public, peu importe qu'il ait ou n'ait
pas la sensation de la parenté entre sangle et ceindre)).
Il me semble que la réforme doit se borner à suppri-
mer les anomalies qui sautent aus yeus de tout le
monde, comme celle de consonne, consonance ; réson-
nant, résonance, etc., et déjà cela mènera loin.
P. 263. — Carré, quarré.
L'usage a établi carré pour quarré, carême pour
quarême.
Mais on écrit encore quadrature, quadragésime,
etc. Il est vrai qu'on prononce couadrature, couadra-
gésime, mais on écrit cjuarantaine : faudra-t-il écrire
carantaine ? Il faudrait alors écrire catre (quatre),
catorze, etc.
Il ne serait peut-être pas diflicile d'introduire cartier
(quartier) ; mais cand (quand) et calité (qualité) me
paraissent malaisés à faire passer.
Gardera-t-on quel en écrivant calité ; ou comment
l'écrira-t-on?
En somme, je suis sui' ce point de votre avis, et je
crois qu'il n'y a rien à tenter pour corriger présente-
ment ces anomalies. L'usage fera tout seul ce qui sera
véritablement commode, comme il l'a fait pour carré
et pour carême. L'usage trouve souvent les meilleures
(1) [C'est ficuijUcr (jni s(>r:iil l'orthographe étymologique! T.. C.
28 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
solutions ; et il faut que les grammairiens se gardent
de tout gâter, comme ils l'ont déjà fait plus d'une fois.
Il ne s'agit pas de rendre l'orthographe irréprochable
au point de vue scientifique, ce que je crois impossible,
mais de la rendre aisée, en sacrifiant le moins possible
de vérités.
P. 263, note 6. — ^muette initiale : huile.
Il est clair qu'on pourrait retrancher cette consonne,
fausse par l'étymologie et nulle par le fait.
Mais écrira-t-on : eureus, maleiw, boneiir?
Tout n'est c^n'eur et maleur. (Prov.)
Et Veur de vous revoir lui semblera plus doux,
Plus elle aura pleuré pour un si cher époux. (Polyeucte.)
Evidemment on doit faire ainsi d'après la règle de
l'étymologie. Mais je ne vais pas si loin. Je crains plus
de défigurer la langue que de tolérer une fausse étymo-
logie, puisqu'il y aura toujours des cas, et plus nom-
breus qu'on ne prévoit, où il faudra reculer devant
l'analogie. Vous-même av^ez déjà, dans ce court essai,
plus d'une fois senti votre courage faiblir.
P. 264. — <( 1° Les mots de même racine que ten-
sion, etc. »
Distinction ingénieuse : on pourrait, en effet, pro-
poser d'écrire attension, intension, etc. ; tandis que
Von conserversiit détention, obtention, etc., à cause de
la différence de racine.
Mais alors on n'allègue plus l'utilité de supprimer le
^/sifflant, puisqu'on le conserve. Ce n'est pas une raison
d'écriture phonétique, mais une raison d'étymologie
que l'on fait valoir. En effet, abolir le ti sifflant me
paraît une entreprise exagérée.
Cette opinion s'applique également au paragraphe
suivant, relatif à confidenciel, etc. Cette réforme serait
OBSERVATIONS UE M. CHOUSLÉ V?'.t
étymologique et non phonétique. A ce point de vue,
elle me paraîtrait fort acceptable.
La difficulté passe sur une autre question^ savoir,
quels sont les mots en iel qui viennent d'un substantif
et cens qui viennent d'un adjectif. Vous écrirez, je
pense, potentiel et nonpotenciel.
Mais il est convenu qu'on renonce à supprimer le t
sifflant, et qu'on ne proposera pas d'écrire racionnel ou
î'as{s)ionnel.
P. 264, I. — Apostrophes, etc.
Je suis absolument d'accord avec vous sur ce que
vous dites de l'apostrophe dans grand' mère, etc. Cepen-
dant, si vous écrivez grand mère, il y aura toujours une
difficulté pour le commun des lecteurs, qui ne com-
prendra pas pourquoi on associe un adjectif masculin
avec un nom féminin. Je proposerais donc qu'on éci'i vît :
grand-mère, grand-route, etc.
Sur votre second paragraphe relatif à l'apostrophe,
je suis tout à fait d'avis qu'on doit écrire entracte,
s entraimer, etc.
Ceci est conforme â mon principe, qu'on doit tendre
le plus possible à I'unification des mots composés.
P. 265. — Je trouve qu'il serait bon d'essayer
qiielcun, à l'imitation d'aucun et de chacun.
J'approuve entièrement votre § 3 : « Je ne maintien-
drais l'apostrophe que... »
De même, et par la raison ci-dessus, votre § 4 : « 11
y aurait lieu de supprimer le trait - d'union. .. » :
contrecoup, s' entretuer.
= L'uNn<'icATiON DES MOTS COMPOSÉS cst unc dcs
réformes les phis utiles, les plus logiques et les plus
aisées que nous ayons à faire.
Par conséquent (§ 4) : portcmonnaie.
Ajoutez gardecôte, gardemalade, etc.
•i'> KEVCE DK PHILOLOGIE FRANÇAISE
Mais la difficulté commence quand deus voyelles se
rencontrent en une position telle qu'il doive s'opérer
une élision : guide âne. Pour moi, j'écrirais guidàne.
Second cas : comment écrira-t-on : arc-en-ciel "^ —
Pour moi j'écrirais : arquenciel, comme arquer, etc. Et,
au pluriel, arcjuenciels. On écrit bien àe,^ gendarmes,
et, ce qui est plus violent, un gendaimie.
Troisième cas chef-d'œuvre, sergent de ville, chemin
de fer. Je distingue :
1° Chef-d'œuvre est vraiment un mot composé : car
chef n'y garde pas un sens distinct par lui-même.
J'écrirais donc chef-d'œuvre (1), et au pluriel chef-
d'ceuvres ; de même des hec-d'ànes. (C'est ce que font
les ouvriers, Cjui disent un bédane.)
2° Sergent de ville et chemin de fer ne sont pas de
vrais mots composés : car chacun des éléments y con-
serve sa signification distincte. J'écrirais donc des
sergents de ville, des chemins de fer.
3" Toutes les fois qu'un mot composé peut, sans diffi-
culté, être unifié, j'en ferais résolument un seul mot,
en remplaçant, quand il y a lieu, les voyelles atones par
des apostrophes :
des contr escarpes, des contr amiraus (et pourquoi
pas contrescarpes, contramiraus ?) ; ou en fondant
simplement les deus mots en un :
des guidânes, des abatvents, des ahatjours, etc.
des brèchedents, chahuants, saintenitouches, etc.
4° Quand les mots ne peuvent vraisemblablement se
fondre ensemble, on emploierait le trait-d'union, mais
toujours en considérant le composé comme un seul mot :
deii pince-sans-rires, des va-et-vients, etc.
(1) (Dans « chef-d "œuvre )y eJic/ a. un sens archaïque, de même que
dans le verbe « a-chev-er ». Je ne vois pas la nécessité du trait
d"uiiion, la préposition liant sulïisarament les deus parties du mot
composé. Ou bien alors il faudrait écrire aussi !<crgent-dc-ville, car,
lorsqu'on emploie ce terme, on ne pense pas au grade de sergent, et
la locution forme vraiment un seul mot.] L. C.
()BSEK\ATIONS DE M. CROUSLÉ ."M
Cependant, je reconnais que cette réforme peut donner
lieu à beaucoup de difficultés, et qu'il y a une multitude
de cas qui méritent d'être discutés individuellement.
Ici encore, je compte sur l'usage (1), qui a fait des mots
simples, comme gendarme^, Justaucorps, chantepleure,
barhacane, arquebuse, etc.
P. 265. § 5. — « Le tréma est inutile dans Noël >>.
Soitj si l'on ne consulte que l'usage le plus récent ;
mais il est certain que, durant des siècles, No-el s'est
prononcé en deus syllabes, et que cette prononciation
est encore nécessaire pour lire les textes qui ne sont
pas d'hier. Noël ne peut être assimilé à moel-le, quoi-
qu'on dise aujourd'hui ce mot en une seule émission de
vois : c'est la prononciation nouvelle qu'il faudrait
réformer, s'il était possible (2).
P. 265, § 6. —à, là, où (suppression de l'accent dans
ces mots).
C'est, à mon sens, une erreur de la pétition de
M. Louis Havet. Beaucoup de personnes que je connais
ont signé cette pétition, sans souscrire mentalement
sur ce point. Cet accent sur à, là^ où est une de ces
inventions de l'usage qui se rapportent à la commodité
et non à la science ; il doit être conservé au titre où il a
été inventé. Il ne déroge en rien à l'emploi ordinaire de
l'accent qui n'est chez nous, en général, qu'un moyen
de rendre la lecture plus facile et non pas un moyen de
hgurer d'une manière constante et uniforme des pro-
(1) [Mais il faut toujours bien que quelqu'un prenne l'initiative de
l'usage.]
(2) [Je prononce encore Nocl en deus syllabes, et la suppression
du tréma n'indique aucune modification de prononciation. Pourquoi
un tréma dans N(j(d quand on n'en met pas dans cruel'l Sans doute
oe se prononce oi dans « moelle », mais c'est un cas exceptionnel, et il
faudrait, dans la graphie de ce mot, changer oe en oi comme on a
changé et en oL dans lel (de legcni) quand la pi'ononciation de ce mot
et des s(!mblables s'est modifiée.] I- C
;{-J REVUE DE PHIl.(»I,OGlE FRANÇAISE
priétés phonétiques. Si l'on veut employer nos accents
d'après des principes scientifiques, tout est à réformer,
P. 266, § « 1. — J'écrirais avec un accent grave sé-
cher, réglementer, etc. »
Je crois cette observation exacte ; et à ce propos j'en
ferai une plus étendue.
11 me semble que quand, par l'efïet de la déclinaison
ou de la conjugaison, une syllabe muette ou mi-muette
se place à la suite d'une syllabe qui avait un é fermé,
cet é devient é dans la prononciation : vénÉrerj'e vénÈ-
rerai; et cela, en vertu d'une disposition générale de
la langue à compter pour ouverte la syllabe qui en pré-
cède une muette dans le même mot :
Sèche, régie, manège, ténèbres, etc.
Le public parisien prononce volontiers évÈnement
(que l'Académie écrit évÈnement) comme avènement.
L'Académie^ qui dans la 6'"^ édition écrivait encore
piège, privilège, siège, etc., écrit, dans [3.7""^, piège,
privilège, siège, etc. Elle a cette fois écouté la pronon-
ciation générale.
Si je ne me trompe^ on prononce communément je
pénétrerai, comme je pénétre. Si mon observation est
juste, on y trouverait la solution des difficultés rela-
tives aus verbes en eler, eter, etc. On pourrait poser la
règle suivante, qui s'appliquerait à la fois aus verbes
en éger, érer, etc., et aus verbes en eler, eter, etc. :
Quand, dans un verbe, une syllabe en é ou en e est
suivie d'une syllabe atone, la première prend è ouvert.
Ex. : Alléger, j'allège, j'allégerai; accélérer, j'accélère,
j'accélérerai, etc. Peler, je pèle, je pèlerai; mener, je
mène, je mènerai, etc.
On pourrait, en vertu de cette règle^ éviter le redou-
blement de la consonne dans appeler, jeter, etc., et
écrire j'appklerai, je chancklerai, je jÈterai, etc.
Voilà ime question que je soumès aus grammairiens.
OBSERVATIONS DE M. CROUSLÉ 'A'A
P. 200, § ^^. — De raccont circonflexe.
11 me semble d'abord que Cet accent, ne représentant
pas d'une manière constante et uniforme une contrac-
tion ou une s retranchée, est bien plus généi'alement
le signe d'une voyelle forte et allongée; et que c'est à
cet usage c[u'il faudrait le réduire : pâte, poêle, etc. Il
est vrai qu'il arrive très souvent c|ue ce son vocal n'est
pas marqué de cet accent, comme à^n^ passe, g/'osse,
c{ue vous citez ; dans Jàble,Jbsse, pot, etc. Faut-il le lui
imposer toujours ? Comme je ne vise ni aus complica-
tions, ni à la régularité absolue, je me contenterais des
cas où il s'agit de distinguer un mot d'un autre : côte,
cote ; mât, mat ; etc. Mais la réforme devrait avoir pour
objectif de marquer de ce signe toutes les voyelles qui,
par leur valeur, en justifieraient l'emploi. Quant à l'éty-
mologie, je pense que, sur ce point comme sur tant
d'autres, il n'y faut plus songer,
P. 267, § 2. — (( J'écrirais seau, et aussi sier... »
La raison étymologique fait valoir cette réforme.
Mais elle introduit de nouveaus homonymes : seau
(sigillum) et seau (sitellum). Quant a sier, il donnera
sieur (de bois). Cet inconvénient, malgré tout ce qu'on
peut dire, me pai'ait plus grand que l'avantage. 11 est
vrai que nous avons d'autres homonymes ; mais il n'est
pas bon d'en augmenter le nombre. Si nous avions à
inventer des lettres parasites pour distinguer les mots,
nous ne le ferions pas. Mais puisque nos pères en ont
pris la responsabilité, profitons du méfait.
§ 3. — Sur legs, mets, rets, j'alléguerai encore que
ces mots, en dépit de leurs vices d'origine, sont plus
commodes que cens qu'on pourrait leur substituer.
§ 4. — Je veus bien qu'on écrive tems (plutôt ({uo
te/is), comme faisaient encore nos grand'mères.
Cors (au lieu de corps) serait bon, s'il n'y avait pas
an pluriel la confusion avec cors (de chasse).
llUVUK DE PHILOLOGIE, V. 3
34 REVUE DE PHILOL(JGlE FRANÇAISE
Scn/te/\ pront, batêine, donier peuvent se soutenir.
Conter (au lieu de compter) est logique. Mais je dirai
encore ici : puisque nos pères ont fait la faute, profi-
tons-en : nous avons deus mots au lieu d'un, tant mieus.
P. 2GS, § 1. — « Je supprimerais \q p de sept, etc. »
Je continuerais à écrire sept, à cause de septembre,
septentrion. Septante, Septimanie, etc. (1).
Je veus bien qu'on écrive remors, pan, fan, vint,
puis.
Pour les mots/)o/s (poids), doit (doigt), pous (pouls),
fis (fils), je fais mes réserves. Cependant pois est la
mieus justifiée de ces corrections, mais c'est aussi, avec
pous, celle qui peut donner lieu au plus grand nombre
d'embarras dans la lecture. Je ne crois pas que nos
pères aient eu si grand tort de rechercher ce qui dis-
tingue les mots dans l'écriture. Car souvent il est visible
qu'ils l'ont cherché : ils ont surchargé l'orthographe du
moyen âge par erreur, par fausse étymologie quelque-
fois, cela est sûr. Mais je soupçonne aussi qu'ils l'ont
fait bien souvent pour rendre la lecture plus coulante
par la diversité de la physionomie des mots.
Quant à la règle absolue de supprimer toutes les con-
sonnes étymologiques qui ne se prononcent plus, je la
crois exagérée ou prématurée. Je n'écrirais jamais cer
(cerf), can ou cam (camp), sour (sourd), bor (bord),
etc. (2). Je consentirais à écrire /)/é^ nœu; mais ni (nid)
m'inquiète : je crains qu'on ne reconnaisse plus ce
mot-là.
P. 268, 111. — Œu, œ, etc.
Je ne vois pas un avantage évident :i écrire cœuillir,
écœud, orgœud, gœule, etc. Je m'en tiens provisoire-
(1) [Mais alors, pour<iu()i ne pas écnre cj/ret à cause ûe pjfcrftcer,
l'ili'.ctij'; dchte à cause de débitcia-, cle. ? j
(2) [C'est aussi mon avis.]
OBSERVATIONS DE M. CROUSLÉ 35
nient à ce qui est. On ne peut faire valoir qiu) l'analogie
de cœur. Mais pourquoi n'écrivons-nous plus cucr
(ou cueur) comme on l'a écrit? c'est ce mot-là qui a
dérogé à l'usage. Doit-il entraîner les autres, ou être
ramené par eus? Il est au moins positif que œ n'a aucune
valeur propre pour marquer c|ue c ou g est dur. C'est
pure convention. On peut donc aussi bien faire porter
la convention sur u : cueillir, gueule ; et il y a de plus
analogie avec qu : quel (1).
P. 269, IV. — Y non grec.
Approuvé, et notamment en ce qui regarde le
futur, etc., des verbes en oyer, uger, ayer.
Mais si l'on veut marcher à pas comptés, on pouii-ait
d'abord poser seulement la règle suivante : « Ces verbes
prennent tous uniformément au futur, etc., i au lieu
de y : j'emploierai, j'emploierais, etc. »
P. 270-271, V. — « E muet après une voyelle dans
l'intérieur des mots. »
Je pense que ce serait aller trop vite que d'écrire -.je
crérai,je prirai,je turai, etc., à cause des règles de la
formation du futur.
Mais j'approuve : (2") gaiment et gaité; (3") soirie,
férié, etc., parce qu'il importe moins qu'on songe à la
manière dont ces mots se sont formés : on n'a plus à les
former.
P. 272, VI. — G et J, etc.
Je conserverais ge dans geôlier, orgeat, etc., â cause
de geôle (2), orge, etc.
Je conserverais également gu dans les verbes en gucr :
(1) |Si ou écrit cu<jf\ rien n'iiiili([U(!r;i la dilï/M'cnce de pruiionciatioii
avec tucf, muer, etc. 11 faudrait doue cucur, qui me parait plus
barbare que cœur; et d'ailleurs il y aurait encore incertitude de
pronouciatiou : comparez tueur, lueur.]
(2) [Mais pourcpioi ne pas écrire 7(5 ^e ?]
3() REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
car, pour indiquer le sou guttural dansée fatige,\\
faudrait marquer le // d'un sigue particulier (1). On est
habitué à Va : a quoi bon en inventer un autre? Mais
j'écrirais les adjectifs comme le participe présent :
fatiguant, intriguant.
Quant à la réforme radicale, qui consiste à réserver g
pour le son guttural, et à lui substituer / pour le son
chuintant : gaje, gajure, il me semble qu'elle défigu-
rei\ait tout d'abord un trop grand nombre de mots, ce
que je crois qu'il est bon d'éviter. Si l'on veut d'un
coup faire une réforme phonétique complète, on décou-
ragera le lecteur; et l'on rencontrera des difficultés
inattendues. Je suis, encore une fois, pour une réforme
très mitigée.
P. 273, VIL — Anomalies diverses.
J'admès douçâtre, segond.
Je ne vois pas d'avantage à écvivQfaisseau au lieu de
faii^ceau.
J'admès forsené, déciller, contreindre, niomeau,
vermiceau, de chant.
Pour nés et rés, je \\q\\ vois pas l'avantage, à moins
qu'on ne supprime résolument le .j final (2), pour lequel
j'ai un faible, ainsi que pour x final.
J'approuve la substitution du t au d final dans diffé-
rend.
Quant à écrire différant pour l'adjectif, c'est une
réforme fort logique, mais qui me paraît entraîner trop
loin.
Je souscrirais plus volontiers â .^avame/it, négli-
geanient, etc.
(1) îOn continuerait à écrire Jatlgue, mais on supprimerait Vu
quand il n'est pas utile : tious Jatic/ons, ilfatiga.]
(2) [Il n'y a pas lieu de supprimer le s final quand il est tradition-
nel, c'est-à-dire quand il correspont à ts latin. Mais dans nez et res,
le s, qui est une graphie moderne, correspont simplement à slatin et
n'a aucune raison d'être.]
OBSERVATIONS DE M. CROUSLÉ 37
Les réformes incomplètes inspireront peut-être le
désir d'aller plus loin ; une réfoi^me complète effraierait
tout d'abord.
P. 275, VIII. — Reformes grammaticales.
J'approuve le 1'"'' §, hormis les réserves que j'ai déjà
faites.
§ 2. Je fais une réserve pour tout. Je crois également
difficile de faire admettre : « Elles sont toutes éton-
nées » (à moins qu'on n'entende qu'elles le sont toutes)
et : « Nous fûmes tout suprises ». Mais j'aimerais mieus
le second parti, auquel on s'habituerait, et qui ne don-
nerait lieu à aucune confusion de sens.
J'admès qu'on ne distingue pas même adverbe de
même adjectif dans les cas où il y a difficulté.
J'admès l'invariabilité de mort et de nouveau dans
mort-né et nouveau-né.
Poiu" arc-eti-ciel et chemin de fer, j'en ai parlé [)lus
haut.
Je n'ai rien à dire sur les paragraphes suivants,
hormis ce qui regarde les noms des consonnes.
Je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'on dise une effe
et un 6é, pourvuquela règle soit constante. Mais je con-
sens qu'on rende tous ces noms uniformémentmasculins.
Page 277.
Votre exemple tiré du Cid n'a certainemeut i)as
mauvaise mine; mais il en faudrait, je crois, plusieurs
tirés d'auteurs plus variés dans leur vocabulaire que
n'est Corneille.
Toutes mes remarc[ues sont faites à h^ hâte ; je ne suis
pas sûr qu'à la prati([U(} je n'aurais pas à me dédire de
qu(;lques-uncs. Je suis beaucoup moins hardi (|ue vous,
bien que j'estime toutes vos corrections I)ion toiidées.
Mais qu'il y a loin de la théorie à la pratique, surtout
lorsqu'on s'adresse non ;'i la pluralité, mais à l'irnivcrsa-
lité des gens !
38 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
TEXTE WALLON
AVEC COMMENTAIRE PHILOLOGIQUE
Le premier d'entre nous a composé cette saynète en patois
de Saint-Hubert sans aucune préoccupation littéraire, pour
l'agrément de quelques douzaines d'ouvriers composant une
société.
L'intérêt ne peut donc en être que purement dialecto-
logique.
Le second s'est chargé de l'adaptation graphique et du
commentaire.
La graphie est la suivante :
VOYELLES
a, a (bref et long).
è, è (e ouvert bref et long).
é, è (e fermé bref et long).
é, ê (e intermédiaire pour la qualité entre è et é. Bref et
long).
i, i (bref et long).
0, o (o ouvert bref et long comme dans sotte et bord).
au, au (o fermé bref et long comme dans chevaux et diplôme).
ô, ô (o assourdi, très proche de ou. Bref et long).
u, u (u bref et long),
ou, ou (ou bref et long).
e, e (eu ouvert bref et long, comme dans veuf et soeur).
eu, eu (eu fermé bref et long comme dans veut et veule).
an, in, on, un (même valeur qu'en français),
w (w anglais),
y (j allemand).
DEMl-VOYELLES
CONSONNES
b, d, f, g (toujours dur), h (toujours aspirée), j, Je, 1, m, n,
p, r, s (toujours dure), t, v, z, dj (j anglais), tcli (ch an-
glais), gn (n mouillée), ly (1 mouillée).
Les tirets séparent des lettres qui, réunies, formeraient un
TEXTK WALLON
39
seul son : on, un, mais o-n, une; an, a-n; in, i-n; tch, t-ch;
dj, d-j ; ou, o-u; etc.
La traduction est aussi littérale que possible. Les mots
topiques du patois y sont conservés, avec leur équivalent en
vieus français, quand ils en ont un. Cela permet au lecteur
quelque peu familiarisé avec les anciens textes, do saisir
immédiatement le sens, la portée et l'étymologie du mot.
C'est une vieille connaissance qu'il retrouve avec plaisir,
quoique affublée d'une défroque locale.
Le commentaire se compose de remarques phonétiques,
morphologiques, syntactiques ou étymologiques.
0-NDUMANT^ A MARYATCII UnE DEMANDE A MARIAGE
[O-n mQMJon ■ d ovri.)
SCÈNE 1
Liza, to fan l tchanp :
S è d-dja tpôy lu dérin-n
Pènkos \
Ku lu pti Pyèr '• nui vè ''
volti.
[Une maison d'ouvrier.)
SCÈNE I
(E)lisa, tout faisant la
chambre :
C'est d'jà d'puis la dai-
rainne (dernière) Pentecôte,
Que le p'tit Pierre me voit
vol (on) tiers.
1. dumant. La voy. d'insertion dans les élisions est u : n-
mandèj dumandè, demander; tchfau, tchuvau, cheval;
rfér, rufér, refaire.
2. m.a.VLJon. a -\- s -{■ cons et « + stj > au : hAU/'è, baiser ;
aucA, aise ; apla.us, tunplâtre.
3. Pènkos. Contrairement à la régie, en entravé n'a pas
donné in dans ce mot. Cf. minton, menton ; djinti, g(Mitil;
vinrdi, vendredi.
4. J^!/ér. On dit pir, pierre; tchèyir, chaise; paupir, f. pi.
cils (palpetra). Pyér, Pierre etfjjér, fier, exceptions, doi-
vent être des emprunts au franc.
5. vè. E fermé tonique libre > K^é ou wa : mirè, mois; pwè,
poids et pois; punir, poire; bioar, boire; ixicar, croire;
Juia, trois ;/io«r, foire.
40
REVL'E DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Pc ès acUé mi, rin n li kos,
11 è todi padri iiiè pi.
Djn m sovêro lontin dol
fyès,
Dj on dansé ason-n au
Fayi'.
Tell - su si kontin-n ku tcli
pyèr lu tyès,
S è 1 pu bê djon-n oni do
payi.
SCÈNE II
Pyèr intran :
E vo, 1 pu l)èl komér do
mont, Liza. (/ / rahrès ')
L.
Vlé bin fini, Pyér! Si m
mér \o z avè vèyu !
P. su rfrotan l boutch acou
s mantcli :
Ka '' bon, Liza! Dju m
nouiirè
Pou(r) être à delez moi, rien
n' lui coûte,
Il est toujours pa(r) derier
mes pieds.
Je m' souviendrai long-
temps de la fête,
J'o/i.s dansé ensemble au
Fays.
J' suis si contente, que j'
pers la tête.
C'est r pvji beau jeune
homme du pays.
SCÈNE II.
Pierre entrant :
Et vous, la pus belle cojn-
mci-c du monde, Lisa. (Il la
l'embrasse = V embrasse. )
L.
V'iez bien fini(r), Pierre ! Si
ma mère vous avait vu !
P. se r frottant la bouche
avec sa manclie.
Com bon (comme c'est
bon), Lisa! Je m'nourrirais '
e -\- y > irè ou u-a : fwa, froid ; du'<t, droit ; stwa, étroit ;
rx£a, roide \ficè, foie ; rwè, loi.
Font exception en è : se (sitim), de fdigitum), tè [tectum],
de (débet).
La combinaison vwè aboutit à vè : ré. aux trois pers. sg.
ind. pr. de voir; sacèr, savoir; acèr^ avoir; duvèr, devoir.
1. Fatji. Quartier de Saint-Hubert.
2. tel) pour dJ, à cause de la sourde qui suit.
l^. rabrcs. Beaucoup de verbes composés avec re iToiit que
la signification du simple. Cf. .sv/ rfrotan plus bas; rfièrl,
giiéiir, eu,-.
4. ha. On ne trouve ce mot que devant un adjectif avec le
TEXTE WALLON 41
sens de combien exclamatif ou de si... que : ka pan k i
jnour/nich,... si peu qu'il mange,.,.
C'est l'équivalent du v. fr. com (= comme). Dans Godc-
froy, s. V. com, on lit les exemples suivants :
Cuens Guis amis, com maie destinée !
[Rum. et past., Bartsch, i, 9, 7).
Se un homme marié habite à la femme d(; son voisin ou
auti'(3 femme mariée, il mesmes S(^ clôt la, porte de paradis^,
et ja n'y entrera, com fort qu'il y busclie.
{Les Ecanfi. des Quenouilles, p. 60, Bibl. elz.)
Cum en composition donne [ku), voy. la note konpar/nii/
plus loin. Mais il reste quelques exemples de ka : kaboléjj,
soupe de bestiaus, co-huUata (en liégeois on a de même
le verbe kabOMr, tr. faire bouillir, à côté du simple 6our,
intr., bouillir); A-a/6o/ï.s', escarpolette, métathèse de kablons,
liégeois kabalans, co-balancia ; kafoiignè, tr., chiffonner,
de co et An fourinè, intr., bouleverser en furetant, cherclnH'
dans quelque chose en y jetant le désordre, et en parlant du
por(t, fouger, l'Ctourner la terre avec le groin ; et peut-être
aussi kapicli, i., (à Namur kopich, à Couvin koupich),
fourmi, de co et de pinkè, pisser : cf. le liégeois pihran, m.,
fourmi rouge ou des bois, de;;/7â, pisser. La fourmi secrète
une liqueur l)rùlante qui passe auprès du vulgaire pour son
urine (Defrecheux, Faune wallonne, s. v. pih^rant).
Je conjecture que ka était le traitement primitif, (|u'il y
a eu une élision k' et qu'alors seulement est intervenue la
voyelle d'élision u qui a donné k{u), phénomène qui s'est
passé encore dans d'autres mots, connue on peut 1(> voir à
la note dune, plus loin.
A propos de fouf/nr, je suis porte'' à me demander s'il
n'('gale pas /b?<//é (sens spécial de bêcher la terre, à Saint-
Hubert), ^fouiller. On a à Saint-Hubert yb«<//n«/i, à Cou-
vin foi/on, taupe; à Saiiit-Hubert kafouf/nè, à Couvin ka-
foutji, chifl'omier; à Saint-Hubert c/ô//(c//7/7r/,n(mtre pluri(^l
ou féminin singulier barbare), doigt de pied, à Lièg(3
dof/non, reniflement difforme à un doigt d(; pied; à Couvin
skai/. ardoise, mais .s/.au///?, écale ou écaille, à lAbgc /tOf/n.
Ly aurait doiuK' ////, en pai'li(> pour des (liiri'reiieiii.lious de
42
REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
t sa tût mu viy.
L.
Têzè f, gran fô. Avé ' auk
du bê a m dir ?
Mu pèr \m tt a 1 eur -,
Liza.
Pinsé k vos mér A'ôrè ' bin?
L.
Ny n ê {pow dj n ê) nin ko
wazu * li umandè.
P.
Tch srè si kontin d es vost
om! T tcliantrè^ lot lu djour-
néy kom o-n oujê ! Dju no toute la journée comme un oi-
rabrèsrin din to le k^'in, non seau ! Je nous vemhrass' rions
\vê •*? ii l rahrès). dans tous les coins, n'est-ce
pas? {il la rembrasse).
d'çà toute ma vie.
L.
Taisez-v's, grand f ou. Avez-
(vous) alque (quelque chose)
de beau à m' dire ?
P.
Mon père vient t't à l'heure,
Lisa.
Pensez - ( vous ) qu'votre
mère voudra bien ?
L.
J' n'ai neent (eu)co(re) osé
lui d'mander.
P.
J' s'rais si content d'être
votre homme ! J' chant'rais
sens. Cf., au point de vue du sens, le fr. fovger, qui se
rattache kfodeve.
1. avé. Dans les phrases interrogatives, on omet le pronom.
Cf. vlé bin fini (plus haut) ; pinsé k vos mér... (plus bas) ;
as fini, as-tu fini ; dovL vas, où vas-tu. Il y a exception,
quand il y a emploi de la tournure qu'est-ce que : k è s ku
t a, qu'est-ce que t'as.
2. ii a l eur. Elision de toi a l eu/-.
3. vàrè. 0 ouvert -\- l -\- cons. > o : /ô, fou ; ko, cou ; ko,
cou p .
4. waza. On dit de même rapicazè, reposer.
5. t tchanirè, pour tch ichantrè qui serait impossible à pro-
noncer.
G. non (vé, et plus loin non dans 1(^ même sens, ou encore
don. Cela é(|ui\au1. je crois, à ne donc, vo/jc: elkne donc.
Beaucoup de patois disent encore n don ou en don dans ce
sens : vo z i y aie, n don, vous y allez, n'est-ce pas. Quant
TEXTE WALLON
43
Finiché, Pyèr, la vos pér.
P., èiin ' alan, a nmèij vicè :
Dju srê padri 1 hay a v ra-
tiiit, Liza.
SCÈNE III
Lu pèr Bastyin, Liza.
Kola Bastyin.
Bondjou, m fay, vos niér
è st èl vosi - ?
L.
Purdé ■' o-u elles '', mosyeu
Bastyin, è ratindé o-n myèt :
dju m va 1 oukè.
SCÈNE IV
Kola Bastyin to seti :
E bin ! fwè t Kola, i ny a
de si ki son pu a 1 auch ku
mi po 1 niomin, Komin va
tell m i priiit po li nmaiidè s
L.
Finissez^ Pierre, (voi)là
votre père.
P., en allant {=■ partant), à
d'mi voix :
Je s'rai pa(r) deriev la haie
à v's rattendre, Lisa,
SCÈNE III
Le père Bastien, Lisa.
(Ni)colas Bastien.
Bonjour, ma fille, votre
mère est-elle voici (ici) ?
L.
P/rrfe^: (prenez) une chaise,
monsieur Bastien, et vaitcn-
dez une miette : je m' vais
la hucher (appeler).
SCÈNE IV
Colas Bastien tout seul :
Hé bien ! foi d' Colas, il y a
desc/(/).s' qui sont j)«s à l'aise
que moi pou(r) V moment.
Comment vais-je m'y prendre
à wè (abréviation de rrêt ou wèté, regarde, regard(^z, cf. le
fr. fjueiter], il est encore usité dans beaucoup de patois :
wè la ha, regarde ou regardez là-bas.
1. ènn. En se dit è devant une consoiuie : s è von, s'en vont ;
ènn ou 'nn devant une voyelle : èl ènn avè deu, elle en
avait deus ; i nn avè deu, il en avait deus.
'2. vo.si, ici; vola, lk{=^ voici, voilà). D'autres patois disciu
droit-ci, droit-là ( à Couvin, p. ex. ), d'autres tout-ci,
tout-là.
3. purdé. Il y a cliulc dr la nasale à la |)roloni(|ue et méta-
thèse.
4. chès. Eni[)runt au fi'unrais. Un dit .'nissi tc/tri/ir (voyez
44 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
bwêsal po m valè ' ? S è k pour lui crmander sa hacelle
Mardjô è st o-n fi-n nioucli -, pour mon valet f C'est qu'
pari ^ ! E dju n pou uin dune ^ Mar(ie)-Jo(sèplie) est une fine
m valè, sin k èl nu dusloy le mouche, paraît-(il) ! Et je u'
kwardê du s bous. Ku 1 dyal peus neent donner mon valet,
apwat le z èfan ! I f flankan sans qu'elle ne délie les cor-
do traka tôt vos viy, è dju n deaus de sa bourse. Que 1'
savan nin komin no z è de- diable emporte les enfants !
barasè. Ils vous flanquent du tracas
toute votre vie, et je n' savons
neent comment nous en dé-
barrasser.
SCÈNE V SCÈNE V
Mardjô è Kola. Marjo et Colas.
M. M.
A ! pèr Kola, ké 1)on van ^ Ah ! père Colas, quel bon
plus loin) et même tchèrir, avec une /• parasite, amenée
sans doute par l'/* postérieure.
1. valè signifie garçon; va.lè, valet, terme de jeu de cartes ;
raU7'/è, domestique.
2. Ji-n mouch, expression française.
o. pari. Beaucoup de patois ont paj'è dans le même sens. Je
me suis donc cru autorisé à traduire p-àv pa}'alt-(il) . Cepen-
dant plus loin nous trouvons paré k i gn a dèz ou/'ê, paraît
. qu'il y a des oiseaus.
4. dune. On a nnè, dune. Ici la voyelle d'insei^tion s'est
substituée à l'atone primitive o. On dit de même dzé, duzé,
dites. D'm d'n > toujours nm et nn : nmu:in, demain,
to n ndnm, tout de même, etc. J'ai oublié de noter cette
transformation dans mon étude Z.e Patois de Saint-Hubert.
.5. van. Van et san, cent, sont les deus seules exceptions à
la règle e -\- n -\- cons. > in. Ce sont sans doute des em-
prunts au français. On remarque surtout l'invasion du fran-
çais dans les noms de nombre, qui s'enseignent à l'école dès
l'âge le plus tendre. On dit de même katàrs au lieu de
katums{[\x\ serait régulier. Cf. V abrégé de phonétique dans
1(^ Patois de Saint-Hul)erl,^\\\) o ouvert entravé : o-\-r-\-
cons. > wa.
TEXTE WALLON 45
è S ki V z ami-n ^ par si? vonlest-c'qirv.'s amène par c/?
K. C.
Bin, tch pasè pa 1 rouw do Bien, j'passais pa(r) 1' rue
Mon, Mardjô, è dju m ê di du Mont, Marjo, et je m'ai
koni sa : alan on pan vèy - dit comme çà : allons un peu
komin k to 1 mont su pwat. voircommentqu'toutrmonde
se porte.
M. M.
S è bin djinti d vos pa'ur, C'est bien gentil d'votre
Kola. Si on n duvnè jamè ' part. Colas. Si on n' devenait
pu viv, dju naurè rin '• a m jamais /^?<.s' vieille, je n'aurais
plint. Mè fau k to 1 mont i rien à m' plaindre. Mais faut
pas! qu' tout 1' monde y passe!
K. C.
E I bwêsal ? Et la bacelle ?
M. M.
0 ! po s k è d lèy % grantè Oh ! pou(i') c' qu'est d' leie
hvat kom on jandarm. (elle), grande et forte comme
un gendarme,
K. C.
V z avé la o-n vrêy péri '■, V's avez là. une vraie perle,
Mardjô. Bin n eureu lu si ki Marjo. Bien heureux le ci(l)
laurè! ((ui l'aura!
M. M.
S è st o-n braf komér é o-n C'est une brave commère
fèm du luéiiatch, Kola. — et une femme de ménage,
Avé sii Colas. — Avez-(vous) été
1. ami-n. Pour mine, mener, cf. strimè, ét^MuiiM' ; pineu,
penaud ; pité, ruer.
2. ne//, s'expliquera par ve{d)eir, ve-ir, ve-i, vè/j.
3. jainè. \a\/ initial prouve (|U(^ le mol est un cmpi'uin au
français.
4. rin.=,]o n'aurais à me plaindre do rien. J)ji( n è rin
dandji ■= je n'ai l)esoin de rien. Je n'ai rien besoin, disent
les paysans^ on parlant frani^'ais.
.5. U'ii. On dit lèjj, (die; d/mièi/, d<'iuie ; mais //, lii ; pi, pis ;
lir, lire.
C. pèrl, mot français. A Liège, pijè/, régulier.
4(J REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
koiitiu cl vos kouebè? content d' votre couchet (co-
chon)?
K. C.
Ay ', il esté ko pu krau ku Oui, il était (en'co(re) pus
1 si d l aiiéy pasèy. [Un si- gras que 1' cifl) d' l'année
lence). passée.
A v dir vrê, Mardjù, dju A v's dire vrai, Marjo, je
1 ë todi vèyu volti. Tai toujours vu vol(on)tiers.
M. M.
Vos kouchè? (èl su bout a Votre couchet f (elle se
rir). boute [met] à vire).
K. C.
Mu kouchè! Vos bwèsal -. Mon couchet! Votre ha-
celle.
M.(détou7'n. la conversation) M.
E kan mougn H on le trip, Et quand mougne-i-on les
Kola? tripes, Colas ?
K. C.
Su srô motô " po sèmdi — Ce s'ra moût tost (sans
Dj ê bin vèyu do ko ku s doute) pou(r) sam'di. — J'ai
esté sa k i falè a m valè. bien vu du coup que c'était
ça qu'il fallait à mon valet.
1. a// doit provenir di'ayi avec contraclion. Beaucoup de
patois disent encore aiji.
2. bivèsal. Il arrive qu'une labiale développe un w, mais le
phénomène n'est pas général : on dit mwin, pwin, Jwin,
miuint (main, pain, faim, maint); mais mes, maître ; mè,
maie ;J'ér, faire ; mènatch, ménage.
3. moufjn. Mougnè, liégeois magni, manger constitue une
exception, les verbes en <iicare' donnant djè. Voy. Abrégé
de Phonétique dans le Pat. de Saint-Hubert, sub a libre.
4. motô, à Liège mutwè, sans doute, peut-être [midtum
tostum). La première partie du mot existe encore avec le
sens de beaucoup, fort [mov.t du v. franc.) : ifè mo Jïca,
il fait bien froid. On s'attendrait à motwa, car l'on dit kwas,
côte ei or entravé > également' »'«. De plus, on est étonné
de ne pas voir persister Ys, à côté de aous, août, ce qui
porte à croire le mot français dans sa seconde syllabe. Le
TEXTE WALLON
M.
O! le fèm mougnan osi
bin le trip ku vos djoii-n^
om, è clju n srênin 1 clêrin-n
su djou la.
K. (saisi)
De trip ! Ki y es ki f kaus
du trip? (à part) Dj c m
tyès ki oui koin lu van d
bich,
M.
S ko si. Kola, tcli kwa -
ku f pyèrdé 1 boul ■'.
K., iwrdaii korditcli.
Chouté, Mardjô. Vo z avé
de bon z ouy è v n esté nin
pu byès k o-n ôt. No dcu z
èfan s konvnan, s è st a no z
ôt d' aranjè " l'afèr.
M,, tapan se mwin o-n
din l ôt.
K è s ku f tchantc la ?
K.
Nu fyô uiii lu stoniakéy,
vo savé biu s ku dj vou dir.
M.
Oh ! les femmes mougnent
aussi bien les tripes que votre
jeune homme, et je n' s'rai
neent la daivainne (dernière)
ce jour-là.
C.
Des tripes! Qui est-c' qui
v's cause de tripes? (à paiH)
J'ai ma tête qui hurle comme
le vent d'bise.
M.
C coup-ci. Colas, j'c(r)ois
que v's perdez la boule.
C, predant {prenant) cou-
rage.
Ecoutez, Marjo. Vous avez
des bons yeus et v's n'êtes
neent pus bête qu'une autre.
Nos deus enfants s' convien-
nent, c'est à nous autres d'ar-
ranger l'affaire.
M., tapant ses mains une
dans l'autre.
Qu'est- c' que v's chantez là?
C.
Ne faites neent la stonia-
quée, vous savez l)ien c' que
j' veus dire.
sono du reste décèle souvent un emprunt au IVane. : cf.
^ô/', tort; i sort, il sort; ôr/x, orgue; katbrs, (piatorze.
Voyez la note ran.
1. djon-n. Pour la nasalisation, cï. foii-n, fourche [{v.foniue ;
J'odinaY, conjecture Scbclcr) et tion-n, midi fnona).
2. kwa. Cons. -[- '' -\- u-^a > chute de /* : f(ca, froid; Lira,
croix; kwar, croire; dwa, droit; stwa, étroit,
o. houl, mol français. 0\\ dit ho/ (\r.iv e\t'm])le, au jeu de
(juilles).
4. aranjè, mol fr;iii(:.
48
REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
M.
A ! dju n su k o-n pôf djin,
Kola, è 1 si ki pins su ter do
Jaur a to prindan ' m komér,
srè vit tumè 1 ku din le
baucli.
K.
Soyé rèzouap -, Mavdjô. S
è por zê k dj on Ira^-ayè djus
k a st eur, non? Dju n plan '
nin le maryè po le lèyi ''
patrouyè din 1 mizér.
M.
Dju n pou nin non pu ' m
flankô so lu strin din mè vi
djou. Le tin son durr è via 1
M.
Ah ! je n'suis qu'une pau-
vre genf, Colas, et 1' ci{l) qui
pense se faire du lard à tout
prendant ma commère, s'ra
vite tamé (tombé) 1' derrière
dans les hanches (boues).
C.
Soyez raisonnable, Marjo.
C'est pour zeus qu' J' ans
travaillé jusqu'à c'tte heure,
n'est-pas ? Je yC poulons (pou-
vons) neent les marier pour
les laier (laisser) patrouiller
(patauger) dans la misère.
M.
Je n' peus neent non pas
m' llanquer su(r) Vestraim
(paille) dans mes vieus jours.
1. prindan o\\ purdan (nnployè plus haut.
2. rêzonâp. Mot emprunté au français. Odaul et ama.ul
(ennuyeus, en parlant d'un enfant) conservent seuls l'an-
cienne forme primitive de ahileni. Le second est amahilem
employé par antiphrase, l'étymologie du premier est plus
difficile : od{ifise) -y- ahileni ne peut être invoqué, le d
serait tombé. D'autres patois emploient pour ce mot les
formes Art?/a/(Hannut), Iièj/aul (Forrières, Luxembourg),
venant manifestement de Juù'r.
3. jj/a;i, élision de polan [pollere). L'infinitif est refait eu
idiiiit. : polii.
4. /c'y/i. C'est un des rares verbes en ij -\- are restés en i.
Cf. Abrégé de phonèt. sub a tonique libre.
5. pu, i)lus. A la fin de la phrase, ou dit pus : i ni va pus,
il n'y va plus. De même pan, peu, à cet endroit devient
pau/i : do-n mal on pAiik, donne me-le un ])eu.
TEXTE WALLON 49
momin ki va viiu du s rap- Les temps sont durs et v'ià
wazc \ y moment qui va v'uir de s'
reposer.
K. C.
Sa n è nin sa ki vo rindrè Ça n'est neent ça qui vous
pu pôf, aie. rendra pus pauvre, allez.
M. M.
El aurè todi do l)in aprè Elle aura tosdis du bien
mi, non? • après moi, n'est-ce pas?
K. C.
Alors"-, n è kauzan pus, ^Zo/'ss^ n'eu causons pM.ss,
Mardjô. Mu valè trouvrè Marjo. Mon valet trouv'ra
todi bin ôt tchôs. tosdi.s bien autre chose.
M. M.
Bin, vèyan ou pauk, la. Bien, voyons un peuc, là.
Kwè vlé ku dj do-n?(Lùa Quoi o'/e^ que j'donne? (Lisa
intur.) Va z è on pau vèy a 1 entre.) Va-z-en un peu voir
uch, si ny n i su nin, m fay. à l'huis, si j' n'y suis neent,
[El sort è èl ravin so l uch ma fille. [Elle sorte et elle
acou Pijér , a mitan ^ revient sur T huis avec Pierre,
katchëy.) à mitan (moitié) cachée.)
1. rapwazè. Re > r[u), mais ra dans un certain nombre de
verbes : raftoadi, refroidir ; radrèsè redresser ; 7'asersè,
ravauder [resartiare] ; rawayè, réveiller. Je suppose que
c'est par analogie avec les verbes composés en re-in et re-ad
qui tous donnent ra : raklàr, renfermer; radjon-ni, rajeu-
nir, e/c.
2. alors, mot emprunté au français, comme le prouve la
prononciation de r.s. Le mot patois est adon.
3. mitan, milieu et aussi moitié. Ce mot offre toujours dans
sa seconde syllabe le traitement de an entravé. A Bour-
bcrain (Cùte-d'Or), cf. Rabiet, Le patois de Bourherain,
p. 16, on a moijjan et an entravé > an àBourberain.Dans
la Belgique wallonne, partout où an enlr. a ce même trai-
tement, à Saint-Hubert, à Liège, où Ton dit gran, grand,
èfan, enfant, dvan, devant, l'on dit également mitan ;
partout au contraire où an entr. > on, où l'on dit yron,
è/bn, dvon (coumu; à Ilannut, province de Liège), on trouve
RlJVUE DU IMIII.OI.OdlIi. V. 4
50 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
aussi miton. Ces traitements sont loin de correspondre
avec les traitements respectifs de tempus, qui sont dans les
localités prénommées : à Bourberain tan, à Saint-Hubert,
à Liège et à Hannut tin. L'étymologie médium tempus de
M. Horning [Zeitschrift fur roman. Philol. ix, 141, x
et XIV, 221) ne paraît donc pas justifiée. Les formes
recueillies à la Bresse, près deGérardmer, mwèto à côté de
to, me semblent résulter d'une coïncidence, d'un hasard.
Mtdietaneus [Romania, x, 609) n'est pas plus satisfaisant.
En ce qui concerne le wallon notamment, la finale aurait
été in.
Il faut donc chercher le thème autre part. Bourberain
(Rabiet, p. 31) a motijan, à côté àefrodyur, froidure, lozi,
loisir, poson, poisson, moyou, uK^illour, votijur, voiture ;
Bournois (Doubs), micètan, à côté de micèchon, moisson,
jncècJion, poisson, vwèlè, vicèki, voici, voilà, vwètur, voi-
ture [Rev. des pat. g.-rom., m, p. 286 sqq.); le wallon
a mitan, à côté de mine, nienev, plneu (pœnosas), piteus,
pilou, étoffe poilue, mi, moi, Jistu, fétu (Saint-Hubert);
le \. fr. mitan n'est pas surprenant à côté de timon. La
protonique résulte donc de e latin.
Une étymologie qui me semble pouvoir être proposée est
*medietantem, d'un *medietare, mis pour mediare, parta-
ger en deus, et refait d'après medietas.
E -\-y de medie- a donné un développement en oi h Bour-
berain et à Bournois : cf. moitié en fr. En wallon aussi,
on s'attent à un développement micètan, si l'on ne consi-
dère que la forme parallèle medietatem qui y devient mwèti.
Mais ce mot paraît être une adaptation du français, e pro-
tonique ne donnant jamais en wallon que i (cf. les exemples
supra), è (cf. pèche, pêcher; pèchon, poisson; mèchnè
{moissonner), glaner; kréchi, croître (formes de Saint-
Hubert), ou o (cf. vormin, certes, vosi, vola {voici, voilà),
ici, là, moyin, moyen, etc., formes de Saint-Hubert. H n'y
a d'exception que pour des formes verbales : kwarè,
croirai, etc.
Pour le sens, on comprent bien que la partie qui sépare
en deus, le partageant en deus {'■''luedietantem), est le
milieu.
TEXTE WALLON
51
{A Colas.) Bill, dju su cl (A Colas.) Bien, je suis
o-n bo-n paus. Kola. Liza d'une bonne pâte, Colas. Liï;a
aurè on kouchè è kék pou- aura un couchet et quéques
yat'.
K.
Non-nè, Mardjù, v li doré*
o-n vatch.
M.
O-n vatch ! vo duvnè iô,
Kola ! Dj ènn aurè nin o-n a
mwins ■' du katôrs pis.
K.
Vo nn avé mwint du kostè,
aie, t se pis la. Vo doré 1
vatch è 1 prè ku v z a\é a 1
Piriy.
M.
O nèui, s ko la! S è st o
dzeu * n mè fwas.
])Oulettes.
C.
Nonnè, Marjo, v's lui dou-
rez (donnerez) une vache.
M.
Une vache ! vous dev'uez
fou, Colas ! J' n'en aurais
neent une à moinss de qua-
torze pièces (louis).
C.
Vous 'n n'avez maintes de
côté, allez, d' ces pièces-là.
Vous dourez la vache et 1'
pré que v's avez à la Pîrie.
M.
O nenni, c' coup-là! C'est
au deseuv (dessus) d' mes
forces.
1. kék poiujat au lieu de kèkè pou yat, forme habituelle de
Tadj. fémin. pluriel en wallon. Voyez vers la fin grande
mizèr. C'est sans doute une influence du français.
2. doré me paraît correspondre au v. franc, durrai qui vient
de dunerai par l'intermédiaire de dunrai (avec nasalisa-
tion). Voy. Horning, Gramm. de Pane, français, dans
Bartsch, Chrestoniathie, p. 53.
3. mwins, à côté des formes ason-n (insimul), tron-n (tre-
mulat), son-n (simulât), von-n (vena), avon-n (avena),
pon-n (pœna), paraît emprunté au français. A Liège, mon,
du reste. Quant à 1' s, elle doit s'être prononcée très tard
en français. En Belgique, des vieillards la prononcent
encore en parlant français. En effet, « s finale se maintient
mieus dans les monosyllabes : us, vis. » (Grannn. de Meyer,
559). En Belgique, foule de gens prononcent ancovc pluss
(dans l'acception de davantage).
4. 0 dzeu c? ^ au dessus de. Dessous (prépos. et adv.) se dit
dzo, duzo : dzo on tonè, sous un tonneau.
52
REVUE DE PHILOI
K.
E pu, on bon li to nou,
kék tchè3àr è o-n tap ' .
M.
Inutil cl aie pu Ion, Kola.
Dj audrê - Liza è vos Pyér
wètrè aprè o-n ôt.
L. du tso l uch, to va-
b/'èsan Pyér.
A! nian, dju n saurè vikè^
sin li.
M., su rtournan.
Aie m fout lu kan, vo deu
plêy. (ï s katchan.) [Mostran
l uch avoit l de. ) Po s fér do
bin, sa f tiii'è lu goléy fou dol
boute h.
.OGIE FRANÇAISE
c.
Et puis, un bon lit tout
neu(f) , quéques chèyères
(chaises) et une table.
M.
Inutile d'aller pus loin,
Colas.
J' garderai Lisa et votre
Pierre guettera {=^ regardera)
après une autre.
L. {de d'ssus l'huis, tout
rembrassant Pierre.
Ah ! man, je \\ saurais
vi{s)/cer sans lui.
M., se retournant.
Allez-(vous) m' f... le camp,
vos deu s. plaies. [Ils se ca-
chent.) {Montrant l'huis avec
le doigt.) Pou(r) s' faire du
bien, ça v"s tir'rait la goulée
fors de la bouche.
Dessus (adv.) se dit duso, tso. Pour la préposition, on
emploie duso{r), tso{r) ou le simple so{r) : duso l kostè,
sur le côté ; sor lèij, sur elle.
1. ta-p. A côté de stBMl {stabuluin), rav/ {rutabulum), Jlamw
{fabula), les mots ta.p et sâp, sable pariiissent bien français.
On dit du reste encore taul dans un quartier, au Fays^ et
dans les villages voisins.
2. audrê. Ce mot présente l'aphérèse de w, g germanique
ayant donné *ic : wazon, gazon ; wayin, regain ; wètè,
regarder.
3. vikè, a. fr. vesquir, parfait vesqui, visker dans les Gloses
wallonnes de Darmstadt, Etudes 7'om. dédiées à G. Paris,
pag. 243.
TEXTE WALLON
53
K.
C.
E bin ! kwè clzé, Mardjô ? Hé bien ! quoi disez, Mar-
]o
M.
V z esté sin keur \ Kola,
on n duspouy nin kom sa o-n
viy djin.
K.
Du m kostè, Mardjô, dju
1ère a Pyér tôt mè z ustèy
du tehaurli è o-n kliyantèl -
tôt fêt. S è st on bo-n ovri ki
frè de z afèr. Mi^ tch sognrô
leu ^ byès, dju 1 mi-nrè o
tchan.
Dju V vêrê* tni konpa-
M.
V's êtes sans cœur, Colas,
on n' dépouille neent comme
ça une vieille gent.
C.
De mon côté, Marjo, je
laiï^ai (laisserai) à Pierre
toutes mes outils de charlier
(charron ) et une clientèle toute
faite. C'est un bon ouvrier
qui f'ra des affaires. Moi, j'
soign'rai leu(r) bête, je la
mèn'rai aus champs.
Je v's viendrai t'nir compa-
1 kevLr et senr, sœur font exception à la règle o ouvert
tonique > OU. Ils sont sans doute empruntes au français.
2. klir/antèl, mot franc.
3. leu. R finale tombe exceptionnellement dans quelques
monosyllabes : dzeu, dessus (a. fr. deseur, desupev) ; /bu,
dehors ; djo\x, jour. Les prépositions duso, tsoj so (sur) ;
pa (par) ; po (pour) ne reprennent Vr que devant un pronom
personnel, l'article indéfini ou les adverbes de lieu si, la :
par o-n 6t,por mi, par la, mais po es, pour être, pa dri,
par derrière. Four/ par J'ouij qui se trouve dans le texte
du Patois de Saint-Hubert paraît être une traduction de
l'expression fran(;ais(\/e;«7/e par feuille.
Dzo, desubtus, ne prend jamais d^r analogique : dzo on
tonè, sous un tonneau. Mais djaska et acau (= aval) en
pi'cnnent uni', dans les conditions de duso,pa, po : djuskar
La, jusqu'à là, acaur si, par ici.
Ko, encore, devient /<or devant une voyelle : h-or on ko,
encore un coup.
4. vèrè. On remarque ici la disparition de la nasale commis
dans dàré ctpurdé (voy. plus haut).
54
REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
gniy ' a 1 sis -. I fau bin 1 z
i fér.leu boneur a se z èfan
la.
Liza, du tso l udi.
Duzé k ay, man.
M. su lèv vitmin è s^ apougn
on haston :
A ! grant sournwès !
K., ^o Varètan ''.
Alon, Marcljô, è s k i n
vau nin mi s araujè paujir-
min ^?
M., s rasyan.
E bin ! èl aurè s vatch è 1
tchan do Tchèuè.
K.
Non-nè, Mardjô, lu ter è
tro mwêch " vola. I fau 1 prè
dol Pii'iy.
gnie à lasz.se (veillée). 11 faut
bien l{eur)-z-ij faire leu(r)
bonheur à ces enfants-là.
Lisa, de d'ssus l'huis.
Disez qu'oui, man.
M. se lève vit'ment et s{i)
empoigne un hàton :
Ah ! grande sournoise !
K., tout V arrêtant.
Allons, Marjo, est-c'qu'il
n'vaut neenX miens s'arran-
ger paisiulement (paisible-
ment) .
M., s' rasseyant.
Hé bien! elle aura sa va-
che et l'champ du Chenet.
C.
Nonnè, Marjo, la terre est
trop niaise (mauvaise) voilà
(là). Il faut Tpré de la Pîrie.
1. konipagniy, mot franc. On dit k{u)bin, combien, k{u)t-
tcar [contor^sus) , contourné, tortu. Les verbes en com
donnent A."( a) ; k{u)vyersè, renverser sens dessus dessous;
k[u]tayè, tailler de ci de là. A Liège k{i)pagnèy.
2. sis. Sessa. Cf. assise.
3. .S'. Cette particule {si du vieux fr.) s'emploie très peu, à
la différence de ce qui se passe dans le wallon de Liège.
4. arètan, mot français. S mêdiale -\- t subsiste en wallon.
Liégeois s'arèsté.
5. paujirmin. PRUJir = paisible {pac(e7n)-ibilis). Seul
exemple resté d'un adjectif en ibilis. Liégeois pa-hul.
Grandgagnage [Dictionnaire] s. v. cite l'anc. wallon pai-
siule. La combinaison iu est devenue à St-Hubert i : cf.
a. fr. siure, sir \ a. fr. siu, {sehuni), si. Pour c > j, cf.
ou/'ê (aucellus), plèji (placere), nou/at (nucetta). L finale
s'est changée en r.
6. mrrêc/t. Masc. mioè. C'est l'a. fr. inais, niaise, qu(î
Scheler [Dictionnaire] s. v. mauvais donne comme
TEXTE WALLON
OO
M.
V z esté pu ' durv ku le pir,
Kola.
K.
E s ku V wazii bin fér lu
maleur du vos bwésal ?
M., aprè on momin.
Vo nmandé bramin -, Kola,
mé pusku sa va d la, sa srè
kom vo z avé di.
K.
Dju savè bin ku v z avi
bon keur, Mardjô.
[On n atin o-n baMch.)
Pare ku v z avé de z oujê
padri 1 ucli.
M.
Liza ! Pyér !
(/ ^ intran.)
M.
V's êtes pus dur que les
pierres, Colas.
Est-c' que v's os'riez bien
faire le malheur de votre
bacelle?
M., après un moment.
Vous d'mandez bravement
(beaucoup), Colas, mais puis-
que ça va d' là, ça s'ra comme
vous avez dit.
C.
Je savais bien que v's aviez
bon cœur, Marjo.
[On entend une baise.)
Paraît que v's avez des oi-
seaus pa(r) derier l'huis.
M.
Lisa ! Pierre !
[Ils entrent.)
appartenant à la langue des trouvères. Dans le Jeu de
Robin et de Marion, on lit : Robert, comme aves maise
r/eule. Pour le ic, voyez la note bicèsal.
. pu (( doit avoir subi Tinfluence de pas )), dit M. Rabiet
p. 64, pour expliquer la chute de 1'/. Je croirais plutôt que
c'est une abréviation de mot très usité, comme amon,
chez {ad ma,nsionem), ko, encore. Voy. sur ce phénomène
la Gr. de Meyer, §634.
brâmin, à Couvin (Namur) branmin, contraction de bra-
vement, a passé tantôt au sens de beaucoup comme ici,
ou a gardé son sens propre, comme à Bourberain, on l'on
trouve branman, bravement. (R;ibiel, p. 18 des tirés à
part). A La Roclie (Luxembourg) br&vmin, beaucoup.
56
REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
SCENE VI
M.
SCENE VI
M.
Pyér, mu fi, djii v clo-n
mu bwêsal. Mê k èl soy eu-
reuz aveu vo.
Liza è Pyér.
A ! man! {Is rahvèsan.)
M.
Alon, vutno 1 got, mu fay,
è vo, Pyér, nu rabrèsé niu '
vos viy Marcljô ?
P.
A ! moman Mardjô ! ké -
bel viyès dj alan vo fér pasè !
K.
A 1 santé t to 1 mont è au
boneur du vos viy, mè z èfan !
(/ bècan.) (A Mardjô.) Dju
vnan d gangnè ' o-n bo-n
djournéy, Mardjô. Dju su si
kontin ku dju n mu sin pus.
Alon, le z èfan, bèvan kor on
ko. (7 bèvan.) De djou parèy
on su rsin duvnu * djon-n,
Pierre, mon fi(ls), je v's
donne ma bacelle. Mais qu'elle
soie heureuse avec vous.
Lisa et Pierre.
Ali ! man ! {Ils se r embras-
sent.)
M.
Allons, rzaV/e nous la goutte,
ma fille, et vous, Pierre^ ne
rembrassez neent votre vieille
Marjo ?
P.
Ah ! maman Marjo! quelle
belle vieillesse f allons vous
faire passer !
C.
A la santé d' tout l' monde
et au bonheur de votre vie,
mes enfants! [Ils boivent.)
{A Marjo.) Je v'nons d" gan-
gner une bonne journée, Mar-
jo. Je suis si content que je
n' me sens puss. Allons, les
enfants, buvons (en)co(re) un
coup. [Ils boivent.) Des jours
1. nin, a. fr. neent, nient. L'e protonique est tombé comme
dans nëul, nul. A Mons, il a produit lo mouillement de
Vn : ngé.
2. ké. La forme fémin. est khn, hi-n. Ici l'accord n'est pas
observé.
3. gangnè. Liégeois trangni. Le g initial semble indiquer
un emprunt au franç-ais. La nasalisation ne paraît pas non
plus régulière, à côté de bagne, baigner; agnè, mordre.
4. rsin duvnu, pour sin rduvnu.
TEXTE WALLON
57
non \ve, v\vezi-n
1? Dj ê 1
kouplè '^ ki m tchant so le
lèp ^ (/ tchant.)
Lu viy a se grande mizér;
De ko k on n a pon 1. pwin,
[pon t tcliaur,
E po rint le z afèr pu klèr,
Lu maladiy vo mougn vo
[kaur
Mê gn a moyin d gangnè s t
[avon-n,
Kan on n aur bo-n ouy è bo-n
[mwin,
E on roviy ' bin vit se pon-n,
Kan vos fèm è la ki f sotin.
pareils, on se /^'sent dev'nir
jeune, n'est-ce pas, voisine?
J'ai r couplet qui m' chante
su(r) les lippes. {IL chante.)
La vie a ses gandès misères :
Des coups qu'on n'a point d'
pain, point d' chair,
Et pour rendre les affaires
pus claires,
La maladie vous mougne vos
quaiHs (sous).
Mais (i)l y a moyen d' gan-
gner son avoine.
Quand on garde bon œil et
bonne main,
Et on roublie bien vite ses
peines,
Quand votre femme est là
qui v's soutient
1. cwèzi-n. Le mot vwèzin est un emprunt au français. La
forme wallonne est vijin ou vèjin, que connaissent beau-
coup de patois.
En effet, e protonique ne devient jamais wè : cf. la note
yyiitan. De plus c dans ce mot devait devenir,/ ; cf. la note
pdiujirniin.
2. kouplè est français. On dit hop, couple; akoplè, accou-
pler.
3. lèp ne représente pas le latin labra; on eût en /é/ (qui
existe du reste, par exemple à Cou vin). Cf. /i/',/<36/'e/?i;
lif, librum. C'est l'équivalent du français lippe, ail.
Lippe.
4. rorig. Rovgè s^'xpliqucra de celle façon. Re-oblitare,
rovli-ier, vovlg-ier, rovg-icr (on sait que / mouillée en
wallon se réduit toujours à, y). Et connue ier s'est simplifié
en 6', on a rovgè. On lit dan le Jeu de Robin et de
Mavion :
Mais quant li cosc est bien alec,
De lecier doit estre oui: H ce.
58 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
L amour, vèyé, s è 1 vrêy L'amour, a-ovcz (vous), c'est
sajès. \ la vraie sagesse,
Po trovu - 1 boneur a s mont Pour trouver 1' bonheur à c'
si. monde-ci.
Eureu 1 si k a l amour a 1 tyès, Heureus Vci(l) qu'a l'amour à
I vè tôt vyolèt ^ autou d li. la tôte.
Il voit toutes violettes autour
d' lui.
{Ason-n, to s purdan pa l [Ensemble, tout s' prenant
nucin.) par la main.)
L amour, etc. L'amour, etc.
Auff. ViERSET.
1. sajès, mot franc.
2. trovu, infin. refait en utum.
3. toi vjiolèt, voy. la note kèk pouyat.
Paul Marchot.
MELANGES
PHONETISME, ARCHAÏSME ET ETYMOLOGISME
Le dissentiment qui existe entre les « plionétistes »
et les « étymologistes » sur le principe de la réforme
orthographique repose, il me semble, sur une confusion
entre deus phénomènes essentiellement distincts, l'ar-
chaïsme et l'étymologisme : le premier est respectable
comme une force naturelle, le second est une véritable
maladie de l'orthographe, maladie inoculée, nullement
constitutive et parfaitement guérissable.
Si le français n'avait pas encore de graphie, si nous
avions à lui en donner une^ nul doute que nous la
ferions phonétique. Mais, en moins d'un siècle, elle
aurait cessé de l'être. En effet, la prononciation d'une
langue ne saurait être fixée ; elle varie plus ou moins
vite, mais elle varie toujours. Or, il est impossible à
l'orthographe de suivre exactement les changements
de la prononciation, parce qu'ils s'opèrent par une
gradation continue dont nous n'avons pas conscience ;
lorsque le changement est assez avancé pour devenir
sensible, on est habitué à représenter le nouveau son
par le signe de l'ancien, et on continue. Pour prendre
un exemple, la diphtongue que nous écrivons oi s'est
jadis prononcée connue nous l'écrivons, c'est-à-dire o
suivi d'un / semi-voyelle ; on est arrivé à la prononcer
ma, mais on l'écrit encore oi par archaïsme. Il n'y
aurait pas de raison pour que l'orthographe ne fût pas
absolument fixe, la signification des lettres variant
seule, si on ne devait ahoulir ainsi, dans beaucoup de
cas, à désigner par le même signe plusieurs sons très
GO REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
différents. Au même signe e de l'orthographe latine
correspondent les sons du français actuel wa dans doit
(débet), i dans cire (cera) et dans prie (precat), ié dans
pied (pedem), è dans perdre (perdere), e muet dans
lever (levare) ; il est évident qu'on ne pouvait pas
maintenir le signe latin e dans tous ces mots avec des
valeurs aussi diverses. Alors le phonétisme reprent ses
droits.
Il résulte de ces remarques que l'orthographe natu-
relle est forcément un mélange de graphies phonétiques
et de graphies archaïques. Et si l'on peut souhaiter que
les premières se substituent le plus souvent et le plus
rapidement possible aus secondes, cette substitution,
fût-elle complète à un moment donné, ne pourrait
jamais être radicale, en ce sens qu'on n'atteindrait
pas les racines mêmes de l'archaïsme, qui pousserait
lelendemain de nouveaus rejetons.
Autre chose est de conserver des graphies ar-
chaïques, aujourd'hui inexactes, mais qui remontent
sans interruption â une notation phonétique, autre
chose de modifier une graphie acquise pour la rap-
procher d'une notation ancienne qui n'est plus exacte.
Dans le premier cas^ on se contente de ralentir le
courant, dans le second cas on le remonte. Nos ancêtres
ont prononcé teste, nous disons et nous écrivons tête :
il serait absurde de revenir à l'orthographe teste. Com-
bien n'est-il pas encore j^lus déraisonnable d'aller
emprunter non pas au viens français, mais au latin,
des lettres qui étaient tombées dès l'époque où le laiin
transformé a pu prendre le nom de français ' Si quel-
({u'iin proposait, do nos jours, d'écrire // '0/7 c/, trcnrjte
à cause du Vàimfrirjiduni, triginta, les étymologistes
les plus passionnés renieraient cet allié compromettant.
C'est cependant ce qui a été fait au xvi'' siècle quand
on a substitué vingt et doigt à la vieille orthographe
française vint et doit. Comment des graphies qu'il
MÉLANGES 61
serait ridicule d'introduire aujourd'hui deviennent-
elles respectables par ce seul fait qu'on les a imaginées
il y a trois ou quatre cents ans? L'âge ne les a pas
rendues meilleures, et d'ailleurs les bonnes graphies
qu'elles ont remplacées sont encore plus anciennes et
plus vénérables. On nous a débarrassés de auUre.faict,
recepvoir, etc. Il est regrettable que du même coup
on n'ait pas supprimé résolument toutes les lettres
parasites, et notamment les consonnes redoublées, car
il n'est pas plus logique d'écrire apprendre avec deus
p C|ue d'écrire debte avec un b.
Notre conclusion est que l'étymologie ne saurait
légitimement être invoquée pour justifier une graphie.
Si, dès l'époque des textes français les plus anciens,
le c latin devant e avait produit le son s, et en le son an^
l'orthographe française du nom de nombre dérivé de
centum eût toujours été >iant, et il serait déraisonnable
de l'écrire autrement. La graphie cent se justifie non
par le latin centiun, mais par l'ancienne prononciation
française, dans laquelle cen et san ne sonnaient pas
de même : c'est un archaïsme et non un étymologisme,
car on n'a pas eu à modifier une vieille orthographe
française pour rapprocher le mot de sa forme latine.
Quant aus mots empruntés plus récemment au latin
ou â d'autres langues, il est naturel de conserver leur
graphie d'origine tant qu'on les emploie comme termes
étrangers, en demandant en quelque sorte, comme dit
Fénelon, la permission d'en user. Mais dès qu'ils ont
acquis droit de cité, il faudrait les habiller à la fran-
çaise. On l'a fait avec raison pour un bon nombre
d'entre eus. Nous écrivons rosbif et non roast-beef ;
})Our(iuoi écrire seidpter quand on prononce sridterf
Ici, aussi bien que dans les mots d'origine populniiv,
la graphie dite étymologiciue est un enfantillage. Une
orthographe rationnelle doit être essentiellement phoné-
tique et accidentellement archaïque ; quant à l'étymo-
03 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
logie, elle n'est admissible que lorsqu'elle se confont
avec l'archaïsme, elle ne doit avoir par elle-même
aucune autorité.
L. C.
II
SUR UN EMPLOI PARTICULIER DU « FUTUR DANS
LE PASSÉ »
M. A.Tobler a fait, le 22 janvier dernier, une intéres-
sante communication à l'Académie des Sciences de
Berlin sur « un emploi particulier de V imparfait du
futur dans les langues romanes ». Cette communication,
qui vient de paraître, appelé quelques remarques.
Tout d'abord, je proteste contre le terme « imparfait
du futur ». Il est incontestable que la valeur temporelle
primitive de notre conditionnel est au futur ce que
l'imparfait est au présent. Mais l'imparfait proprement
dit ne saurait être appelé « imparfait du présent », ce
qui signifierait en bon français que c'est un présent im-
parfait, tandis que c'est en réalité un passé imparfait.
De même, la valeur originelle du conditionnel n'est pas
un futur imparfait, c'est un futur relativement au passé,
unjutuf dans le passé, et il n'y a aucun inconvénient
à lui donner ce nom, qui porte en lui-même sa défini-
tion, et qui a, entre autres avantages, celui de s'appli-
([uer également au temps correspondant de l'italien,
formé non avec l'imparfait, mais avec le prétérit.
Quant à l'emploi particulier du futur dans le passé,
qui fait l'objet de la communication de M. Tobler, je
demande la permission de renvoyer àceque j'en disais en
ISSddtinHÏAfinuaij-e de la Faculté deslettres de Lyon'^.
(1) F'ascicule ii, pages 64-65. Cf. ma Grammaire instoriquc du
franraist, page 22L
MÉLANGES 63
Il n'y a aucun rapprochement à faire avec l'emploi du
futur proprement dit joint à un présent historique. L'ex-
plication est tout autre et très simple. Le mode condi-
tionnel ne s'est formé que dans les propositions princi-
pales et dans les subordonnées dépendant d'une proposi-
tion principale dont le verbe est au présent: « il viendrait
si on l'appelait, je sais qu'il viendrait si on l'ap-
pelait. » Dans ces deus cas l'emploi modal du futur dans
le passé s'est entièrement substitué à sa valeur origi-
nelle ; ce temps est devenu un futw dans le présent ou
un présent (il serait ici si on l'avait appelé) du mode
conditionnel. Les propositions subordonnées non com-
plétives pouvant toujours être remplacées par une coor-
donnée, c'est-à-dire par une principale, le futur dans
le passé ne peut s'y employer qu'avec la signification
du conditionnel, même lorsque le verbe dont elles
dépendent est au passé, et si l'on veut y exprimer un
futur dans le passé de l'indicatif, il faut employer une
formule périphrastique : « il était l'ami de l'ambassa-
deur qui devait arriver. » On peut tourner pai- : u im
nouvel ambassadeur devait arriver, et il était son
ami. »
Mais partout ailleurs, c'est-à-dire dans les proposi-
tions complétives dépendant d'un vei'be principal au
passé, exprimé ou sous-entendu, le « futur dans le
passé » conserve sa valeur primitive. Ainsi s'expliquent
tous les exemples réunis par M. Tobler. Toutes les fois
qu'on trouve un vrai « futur dans le passé » dans une
proposition en apparence principale, c'est qu'on sous-
cntcnt : « il pensait que, on disait que, on demandait... ,
il était sûr que, on pouvait penser que, etc. » et cette
idée est souvent exprimée par une incise : « Goncourt
semblait las, écœuré d'un grand effort dont profiterait
toute une nouvcîllc giMirialion de romanciers et ([ui le
laisserait, du moins i,k pENSArr-ii.. lui, riiistigaleur^
presque inconiui. »
(i4 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
La définition des incidentes complétives doit être for-
mulée.ainsi : « Sont complétives les incidentes dépen-
dant d'une autre complétive et celles où le pronom
relatif peut être remplacé par un interrogatif ou éc|ui-
vaut à tel que. » Exemple : le trait le plus charmant de
son caractère était une spoidanêité... qui la préser-
vercut toujours de la réflexion dans la faute. Entendez :
une spontanéité telle quelle la préserverait.
L. C.
III
UN MANUSCRIT DE LA TRADUCTION FRANÇAISE DE
BARTHÉLÉMY l'aNGLAIS
M. Séguin, de Lyon, a acquis récemment chez un
bouquiniste un manuscrit du xv^ siècle, qui contient
une partie de la traduction française du De proprieta-
tibus rerum de Barthélémy l'Anglais.
Ce manuscrit, sur parchemin, a 47 X 35 centimètres
(30 X 21 en défalquant les marges). Ses 24 cahiers de
huit folios comprennent : la fin du livre xv (ch. 69 â
.175), le xvi« livre (103 chapitres), le xviF (193 cha-
pitres) et cent chapitres du livre xviii.
Plusieurs cahiers sont incomplets. Il manque en tout
onze folios : le premier du premier cahier, un folio entre
les folios actuels 25 et 26, deus autres entre 40 et 41 et
entre 42 et 43, un double folio entre 47 et 48, un entre
58 et 59 et le folio correspondant entre 64 et 65, un
entre 118 et 119, enfin un double folio entre 178 et 179.
Plusieurs des folios arrachés commençaient des livres et
contenaient certainement des miniatures ou des lettres
ornées.
Premières lignes : isle est cent et XX pas de la terre
pus prochaine de lui laquelle fut concpdse, etc. Au
MÉLANGES 65
milieu de la première colonne, on lit en rubrique De la
région de Grèce, LXX, puis Grèce est ait isi appelée de
ung roy.
A la fin de l'avant-dernière colonne commence le
chapitre C y parle des propriétés du torel. Cent. Thorel
est un beiifcpd n'est pas chastre. Dernière ligne : ung
pou de son cuiretsoujle.he cahier suivant commençait
par dedenspour.
IV
LA CONFESSION DE RUTEBEUF
(Traduction archaïque et rythmée) (1).
Renoncer me faut à rimer,
Et je me dois moult étonner
Quand l'ai pu faire si longtemps !
Bien me doit le cœur larmoyer
Que jamais ne pus me plier
A Dieu servir parfaitement.
Mais j'ai mis mon entendement
En jeu et en ébattement,
Jamais ne daignai dire psaumes.
Si ne m'assiste au Jugement
Celle en qui Dieu reçut, asile,
J'ai passé bien mauvais marché.
Tard je viendrai au repentir.
Pauvre moi ! Point ne sut comprendre
Mon fol cœur ce qu'est repentance
Ni à bien faire se résoudre !
Comment oserais-je mot dire
(1) Nous nous proposons de publier une série de traductions
« archaïques et rythmées » des plus belles poésies du moyeu âge.
Nous conservons le nombre des syllabes et la répartition de l'accent
dans chaque vers; mais nous n'essayons pas de reconstituer la rime
quand elle ne se présente pas naturellement. Les rimes de cette
pièce sont aabaab bbabba.
Revue de philologie, v. 6
06 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Quand justes même trembleront?
•Tous les jours j'engraissai ma panse
Du bien d'autrui, d'autrui substance.
Bon clerc est qui mieus sait mentir.
Si je dis « C'est par ignorance
Que point n'ai connu pénitence »,
Cela ne me peut garantir.
Garantir! Las! En quel manière?
Dieu ne fit-il bonté entière,
Qui me donna sens et savoir
Et me fit à sa forme fière ?
Encor me fit bonté plus chère,
Car pour moi voulut mort subir.
Sens me donna de déjouer
L'Ennemi qui me veut avoir
Et me mettre dans sa prison.
Là d'où nul ne se peut ravoir
Par prière ni par richesse :
Je n'en vois nul qui en retourne.
J'ai fait au corps sa volonté,
J'ai fait rimes et j'ai chanté
Sur les uns pour aus autres plaire,
Car l'Ennemi m'a enchanté
Et rendu mon âme orpheline
Pour la mener au noir repaire.
Si Celle en qui brille tout bien
Ne prent en souci mon affaire,
Mauvaise rente m'a valu
Mon cœur, d'oîi me vient tel tourment.
Médecins ni apothicaires
Ne me peuvent donner santé.
Je connais une habile Dame :
Ni à Lyon ni à Vienne,
Ni depuis que le monde dure.
N'a si bonne chirurgienne ;
N'y a plaie, vieille soit-elle.
Qu'elle n'épure et ne nettoie
MÉLANGES 67
Dès qu'elle y veut mettre ses soins.
Elle expurgea de vie honteuse
La bienheureuse Egyptienne (1),
A Dieu la rendit nette et pure.
Comme c'est vrai, qu'elle ait pitié
De ma pauvre âme chrétienne !
Puisque mourir vois faible et fort,
Comment prendrai-je confiance
Que de mort me puisse défendre ?
N'en vois nul, si grand force ait-il.
Qui des pieds ne perde l'appui :
A terre faut le corps étendre.
Que puis-je, hors la mort attendre ?
La mort ne laisse dur ni tendre,
Quelque richesse qu'on lui porte,
Et, quand le corps est mis en cendre,
A Dieu faut-il rendre raison
De ce qu'on fit jusqu'à la mort.
J'ai tant fait que plus je ne puis ;
Aussi me faut tenir en pais :
Dieu veuille que ne soit trop tard !
Tous les jours j'ai accru mon fais,
Et chacun dit, clerc ou laïque :
(( Plus le feu couve, plus il brûle, n
J'ai pensé engeigner Renard :
Rien n'y valent engins ni arts.
Tranquille il est en son palais.
Pour ce siècle qui se finit,
Il m'en faut partir d'autre part :
Nul n'y peut rien, je l'abandonne.
(1) Sainte Marie l'Egyptienne, dont Rutebeuf a raconté la vie.
68
REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
NOMS DE PERSONNES ET SURNOMS
EN PATOIS DE JONS (ISÈRE)
recueillis par A. Ferrand, instituteur.
Lizaheth, Elisabeth.
la Zahau (à Eclose), id.
la Sizon, Suzon.
la Sizanna, Suzanne.
Lyaudo, Claude.
la Lyauda, Claudine.
Guste Auguste.
Gueuste (à Eclose), id.
Bena-î/j Benàt, Benoît.
la Benàta, Benoîte.
Chois, François, François.
la Choèse, Françoise.
Zèty Josèt, Joseph.
Loys, Loyse, Louis, Louise.
Toino, Antoine.
la Toinon, Antoinette.
kl Gidrite, Marguerite.
la Goton (à Eclose), id.
la Fine, Joséphine.
la Viergine, Virginie.
la Vitorine, Victorine.
Felicie, Félicie, Félicienne.
Félisse, Félix.
la Jeni, Eugénie.
la Maudeleine,
Madeleine,
Nord, Honoré.
Norine, Honorine.
Gâte, Agathe.
Lionie, Léonie.
Feliqjpo, Philippe.
Madeleine.
Noms
lo Sandr^o, Alexandre.
la Sandrine, Alexandrine.
Eymé, Amé, Aimé.
Jourj'o, Jôr'jo, Georges.
San Jourjo, Saint Georges.
Fonse, lo Fonse, Alphonse.
la Fonsine, Alphonsine.
Flori, Fleury.
Nimon, Iniraon, Ennemond.
Aninion, id.
Reyné, René.
la Reyne,, Reyne.
San Cliar, Saint Clair.
Cliar, Clair.
la Cliara, Claire.
Marion, Mariette,
Mariane,
San Mûris, Saint Maurice.
Mury, Mu7ns, Moris, Mau-
rice.
Gahryel, Gabriel.
Hustache, Eustache.
la Froisine, Euphrosine.
la Nastazi, Anastasie.
la Fani, Stéphanie.
Maihiu, Mathieu.
Bertholomu, Barthélémy.
la Cathelina, Catherine.
Feriau, Ferréol.
Laurin, Laurent.
Mile, Emile.
Marie.
NOMS DE PERSONNES EN PATOIS DE JONS
69
la Mili, Emilie.
la Nanette, Annette.
la Sanfi^ Sophie.
Saphorin, Safforin, Sym-
phorien.
la Janeton, Jeannette
Zidore, Isidore.
Cinte, Hyacinthe.
Polyte, Hippolyte
Surnoms
Pourpet, teint coloré.
l'alnné, l'aîné, l'ancien.
lo cadet, le cadet.
lofragin, tranquille.
la bouille, bouillant.
la gorda, gourde.
la goapa, gouape.
capitan, fanfaron.
lo siholet, le siffleur.
pat an, paon.
rahatla, remuant.
tabarin, tabarin.
rog, rey, .nre, empereur, pa-
tron, roi, empereur, patron,
autoritaire.
môme, moqueur.
la hyena, l'hyène.
lo chacail, le chacal.
lo chiet (sas à bluter la farine),
le gourmand.
lo frizia, le frisé.
lo poïeton, le maraudeur qui
monte sur les arbres à fruits.
lo cayaut, le malpropre.
quinquet, bien paré,
faraud, brillant.
l'enrullia, l'enroué.
panet, propre.
callemar, écrivain.
gollet, goulet, qui aime la
bouteille.
lo rosset, le roux.
criquet, criquet.
casson, pépin, graine.
bot, laid.
Piroata, pirouette, qui fait la
pirouette.
Gargailli, un fîer-à-bras qui
provoque à une boxe, au pu-
gilat, qui crie haut sa force.
Jta/la, qui se vante, qui fait du
bruit.
habache, qui aime à faire des
farces, des fredaines.
Fallet, trompeur. On dit à
Eclose un bras fallet, une
jambe falleta, un membre
qui ne peut faire son service
par cassure, ou douleur. L'oi-
seau felleye lorsqu'il aban-
donne ses œufs sans les cou-
ver.
Mignon, mignonnet, mignard,
gentil, gracieux.
le blanc, de figure pâle, blan-
ches
cabot, qui a une grosse tête.
gringalet, grand et maigre.
lo gris, gris.
moret, moricaud, brun.
lo cam.ard, camard.
margol, puant.
70
REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Jalon, prétentieus.
Deidiard, deus Hards.
la miséri, la misère.
la pallie, la paille et ses dé-
rivés.
mirliflor, millijleu, mirliflore.
hordet, mâle.
Claron, clare, dont la vois est
claire.
Numération en patois de Jons
jjon, un.
rjuna, une.
du, due, deus.
trey, ira, trois.
quatro, quatre, quatre.
cip, cinq.
chi, chié, sis.
sep, sept.
voui, huit.
nou, neuf.
dizj dis.
yonze, onze.
douze, douze.
treize, treize.
quatorze, quatorze.
quinze, 15.
seize, 16.
dize-sep, 17.
dize-voui, 18,
dize-nou, 19.
rm^, 20.
vinte-yon, 21.
vinte-deus, 22.
vinte-trey, 23.
trenta, trente, trente.
quaranta, 40.
cinquanta, 50.
soixanta, 60.
septanta, 70.
quatro-vintj 80.
noinanta, nouante,
cen^, 100.
?n?7/i, mille.
M/?a millacha, un millier,
t^e millache, des milliers.
Vingt
Les anciens comptent encore par 01^(7^.
Le porc a pesé sjs vingts; sept vingts; huit vingts; neuj
vingts; onze vingts; douze inngts.
La guillarda a pesé quinze vingts; seize vingts.
Guillarda, truie engraissée.
COMPTES RENDUS 71
COMPTES RENDUS
Th. F. Crâne. — The exempta or illustratives stories
from the sermones vulgaires of Jacques de Vitry (Londres,
publication de la Folk-lore Society, chez David Nutt, 1890,
C XVI -303 pages in-8).
C'est une heureuse idée qu'a eue M. Crâne de réunir les
314 exempla contenus dans les sermones vulgares de Jacques
de Vitry. Il était d'ailleurs bien préparé pour mener ce
travail à bonne fin, ayant déjà consacré un mémoire au même
sujet. La copieuse introduction qui précède l'édition des
exempla se compose des chapitres suivants: 1. Usage des
exempla dans les sermons antérieurement à Jacques de Vitry;
2. Vie et ouvrages de Jacques de Vitry (mort cardinal en
1240) ; 3. Usage des exempla dans les sermons postérieure-
ment à Jacques de Vitry ; 4. Les collections d'cxempla pour
les prédicateurs ; 5. Les collections d'exempla non destinés à
la prédication.
Le texte est suivi d'analyses en anglais, et de notes où sont
indiqués de nombreus rapprochements. C'est la partie du
livre qui est le plus susceptible d'améliorations, bien qu'elle
soit déjà abondamment fournie.
Pendant tout le moyen âge les prédicateurs ont fait un
grand usage des historiettes ou exemples, généralement
placées à la fin des sermons, pour réveiller l'attention des
auditeurs et pour leur donner l'enseignement moral sous une
forme frappante, facile et agréable à retenir. Aussi y rencon-
tre-t-on beaucoup de récits, de contes, de fables, dont on a
d'autres rédactions, en dehors des sermons, dans la littérature
médiévale, et c'est ce qui fait l'intérêt du livre de M. Crâne
au point de vue du folk-lore et de l'histoire littéraire.
L'histoire des mœurs y trouve aussi largement son compte ;
l'exemple 242 est un témoignage très probant de l'état de con-
cubinage dans lequel vivaient alors beaucoup de prêtres (1),
(1) Il y a une faute de lecture ou d'impression dans les vers fran-
rais insérés dans cet exemple ; il faut lire : « cil qui prent pais (et
non puis) à la prestresse, » c'cst-à-dirc ccUii qui crhanrjc le. baiser de
pais accc la maîtresse du prêtre.
72 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
ce qui n'empêchait pas les fidèles d'assister à leurs messes ;
on évitait seulement d'échanger le baiser de pais avec la
prêtresse, parce que, disait-on, cela faisait perdre tout le
fruit de la messe. L'exemple 67 montre la faveur dont
jouissaient les jongleurs, par le blâme qui s'y trouve infligé à
un abbé peu hospitalier à leur égard, etc. Un index, dressé dans
l'ordre alphabétique des personnages et des sujets, permet de
se retrouver facilement dans toutes ces historiettes.
En résumé, le livre de M. Crâne est de nature à intéresser
également l'historien, le littérateur et l'amateur de folk-lore.
Hatzfeld, Darmesteter ET Thomas. — Dictionnaire
général de la langue française, 4^ fascicule (Paris, Delà-
grave).
M. Gaston Paris a consacré un article magistral du
Journal des Savants au plan du Dictionnaire de MM. Hatz-
feld, Darmesteter et Thomas. Nous avons reçu le 4^ fascicule
de ce Dictionnaire, accompagné de la note suivante : « Nous
appelons l'attention des lecteurs sur un certain nombre
d'articles dans lesquels se montre d'une manière frappante
l'application de la méthode à la fois logique et historique
exposée par les auteurs dans l'introduction. Tels sont les
mots blanc, bilboquet, bon, border, bosse, botte, bouche,
bouchon, bouquet, bout, bouton, bj^anche, bras, bincole,
brin, broche. Comment du sens premier de bouchon qui est
(( enseigne de feuillage mise à la porte des cabarets » on peut
en venir à un sens comme celui de (( flotteur qui fait surnager
la ligne du pêcheur » ; comment bouquet, forme particulière
du mot bosquet et signifiant primitivement « petit bois, »
désigne par extension de l'idée d'assemblage un faisceau de
fleurs, puis par extension de l'idée de parfum l'arôme d'un
bon vin, voilà, en prenant au hasard, des exemples des
questions posées et résolues ici. »
La classification des sens, telle est en effet la grande
originalité du nouveau Dictionnaire. Cette classification,
dans beaucoup de cas, ne sera pas définitive ; car il y a plus
d'une manière logique de passer d'une acception à une
autre, et souvent les exemples prouvent que la plus invrai-
COMPTES RENDUS 73
semblable est la vraie. Donc, à défaut d'exemples suffisants,
on peut se tromper sur l'ordre de dérivation, prendre même
un sens dérivé pour le sens primitif. Ainsi il me paraît loin
d'être certain que la locution populaire « chose passée au
bleu )) se rattache au substantif le bleu dans le sens de
espaces imaginaires. Mais une hypothèse raisonnable vaut
toujours mieus que le doute absolu ; en provoquantla contra-
diction et de nouvelles recherches, elle conduit à la décou-
verte de la vérité.
On saura gré aus auteurs d'avoir indiqué soigneusement la
prononciation de chaque mot. Mais là encore la solution
indiquée pourra être plus d'une fois utilement contestée. Par
exemple le premier e de blesser est marqué comme un é
fermé, tandis que Littré le considère, avec raison selon nous,
comme un è ouvert. D'autre part il y aurait lieu, pour les
verbes, de signaler les variations possibles de la prononciation
suivant les personnes et les temps. On prononce revêtu mais
il rerèt. J'ai essayé de formuler les raisons et les conditions
de ces différences dans V Annuaire de la Faculté des Lettres
de Lyon, V^ année, fascicule 2, page 112.
Joseph Bédier. — Le fabliau de Richeut (Extrait des
Études romanes dédiées à G. Paris par ses élèves français.
Paris, Bouillon, 1891).
Cette intéressante étiidc de notre plus ancien fableau nous
donne un avanl-goût du grand travail entrepris par M. Bédier
sur les contes en vers du moyen âge. Richeut difière des
autres fableaus parle rythme. Au lieu des octosyllabes rimant
régulièrement deus à deus, on y trouve deus et quelquefois
trois ou quatre octosyllabes précédant un petit vers de quatre
syllabes qui rime avec les octosyllabes suivants ; il en résulte
un enchaînement continu qui ne permet pas de considérer le
poème comme formé dcpetites strophes (1), pas plus qu'on ne
peut dire que les autres fableaus sont formés de strophes de
deus octosyllabes. Il n'est pas très exact non plus dédire que
(1) D"aillcurs (les stiophcs .scraiciil toujours égales ciilrc elles, tandis
que le nombre des octosyllabes qui procèdent le petit vers varie non
seulement dans Richeut m;iis partout où ce rythme est employé.
74 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
ce rythme douDe au poème une allure ironique, car il se
prête aussi à l'expression des idées les plus relevées, comme
dans la Complainte de Guillaume de Saint- Amour par
Rutebeuf :
S'il muert por moi, s'ert de moi plaius.
Voir dires a cousté a mains
Et coustera ;
Mes Dieus, qui est et qui sera.
S'il veut, en pou d'eure fera
Cest bruit remaindre.
Ce rythme est aussi souple que le décasyllabe, dont on
admire l'allure solennelle dans les chansons de geste, mais
qu'on retrouve léger et spirituel dans les contes de La Fon-
taine.
Je ne vois pas entre Richeat et les fableaus du xiii« siècle
l'opposition que signale M. Bédier. L'un et les autres me
paraissent viser également à un double intérêt, celui de
l'intrigue et celui des caractères. Enfin il est exagéré d'affirmer
que l'intention des conteurs du moyen âge n'est nullement
satirique. Sans doute ils cherchent avant tout à raconter une
histoire amusante, mais ils ne négligent pas les occasions d'y
glisser des traits de satire :
Béguins font volontiers domage,
Que c'est li drois de béguinage.
En revanche, je crois avec M. Bédier que dans l'explication
historique du genre des fableaus on a fait une trop large part
à l'imitation des contes indiens, tant pour l'esprit qui les
anime que pour les sujets qu'ils traitent. La théorie nouvelle
qu'annonce M. Bédier ne sera pas la moindre curiosité de sa
grande étude, dont on ne peut que souhaiter le prompt achè-
vement.
IL SucHiER, traduit par P. Monet. — Le français et le
provençal (Paris, Bouillon, 1891, xii-224 pages in-8).
C'est dans le Grnndris.s de G. Grœber qu'a d'abord paru
l'important travail de M. Suchier, dont M. Monet a entrepris
la traduction sur le conseil de M. Gaston Paris. Cette tra-
COMPTES-RENDUS 75
duction est à vrai dire une nouvelle édition, car M. Suchier
en a profité pour revoir et améliorer son œuvre.
Nous avons Là une sorte de grammaire générale comparée
du français, du provençal et de leurs principaus dialectes,
précédée d'un chapitre préliminaire sur les limites anciennes
et actuelles du domaine gallo-roman, et comprenant la pho-
nétique (Ch. n, ni, v, vi), l'étude des flexions (Ch. iv et xni),
la syntaxe (Ch. ix à xn inclus), et l'étude du vocabulaire
(Ch. vn, vni, xiv et xv). Comme on le voit par la correspon-
dance des chapitres, l'ordre suivi n'est pas l'ordre en quelque
sorte classique que nous venons d'indiquer. Celui qu'a pré-
féré M. Suchier est plus compliqué et moins clair. La
complication et l'obscurité se retrouvent souvent dans le
détail. Pour prendre un exemple, si l'on veut formuler la loi
du changement de a tonique en ié, il nous paraît très simple
et rigoureusement exact de dire avec M. Gaston Paris que
ce changement s'est produit après les palatales (c, g,eo\x i en
hiatus). La formule de M. Suchier paraît au premier abord
plus scientifique, elle n'est que plus nuageuse. La voici :
(( a est devenu ie en français : 1*^ après i [palier de pacare) ;
2oaprès les palatales c, ch, g ; 3° après les consonnes mouillées,
de même après s'm et s'/i. » Un autre caractère du livre,
c'est la fidélité do l'auteur à des théories généralement aban-
données aujourd'hui, mais qui pourront, quelques-unes du
moins, reprendre faveur ; nous voulons parler de l'explication
de il singulier par illic, de puis par postea, de lui par illuic,
et quelques autres.
« J'étudie, dit M. Suchier, les principaux changements
qu'a subis le latin vulgaire de la Gaule devenu le français et
le provençal. Peut-être cette étude ne semblera-t-elle pas une
préparation iimtile à la grammaire historique de ces deux
langues. » C'est trop de modestie. Les débutants auraient
d'ailhnn'S quohiue peine à comprendre. Mais cens qui savent
déjà trouveront là un complément et une synthèse très
instructive de leur science, des aperçus nouveaus, souvent
ingénieus, et une vue d'ensemble présentée avec beaucoup
d'autorité. Ajoutons que la partie phonétique renferme des
déterminations dialectales très précises, qui font malheureu-
sement défaut dans |;i iiioipliologie et dans la syntaxe, mais
/b REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
ce n'est pas la faute de Tauteur, c'est la conséquence de la
rareté des travausapprofondis sur les patois.
Nous aurons plus d'une occasion de revenir sur les nom-
breuses questions traitées ou effleurées par M. Suchier.
Nous nous bornerons à indiquer ici des réserves sur quelques
points pris au hasard (1).
Page 27. L'explication la plus plausible pour ier = ariurn
me paraît être celle que M. Gaston Paris a proposée puis
abandonnée, c'est-à-dire la substitution générale de iarium
à arium. L'objection qui consiste à dire que iarium aurait
produit ir ne tient pas devant la comparaison avec erium
qui produit incontestablement ier^ (2). — Page 144. Il faut
beaucoup de bonne volonté pour voir dans falloir' la conti-
nuation de l'ancien chaloir, et cette hypothèse est d'ailleurs
inutile. — Page 36. Le g appuyé ne peut pas produire plus
de mouillure dans plangit que dans ingenium. (( Plaint »
suppose plangt comme (( fait » suppose f'act (Cf. taist de
tacei). L'i atone était tombé entre une gutturale et le t de
flexion, comme l'e entre une gutturale et /' dans plangre,
dicre.
Page 208 et s. — M. Suchier prentà son compte la théorie
d'après laquelle les noms composés tels que porte-monnaie
se rattachent à l'impératif. Cette théorie est une invraisem-
blable aberration, dont on a peine à comprendre le succès.
Jamais nous n'admettrons que pointe-monnaie doive s'inter-
préter par (( va, porte la monnaie. » La partie verbale de
ces mots composés est l'équivalent d'un participe présent,
ou, si l'on préfère, d'un indicatif présent précédé du pronom
relatif, ou encore, ce qui revient au même, d'un « nomen
agentis » suivi d'un génitif (taillefer = tailleur de fer,
comme l'indique la traduction latine). La signification en
est d'ailleurs élastique comme celle du participe présent : de
même que chantant équivaut à « oîi l'on chante » dans
café-chantant , coupe signifie (( endroit où l'on coupe » dans
(1) Quelques fautes d'impression à corriger pour une prochaine édi-
tion : page 161, ligne 12, préposition)^ au lieu de propositions. Page 217,
b' ligne avant-dernière, lie au lieu de ile. A surveiller aussi la nota-
lion des voyelles ouvertes et fermées.
(2) Cf. Rrrur de phUolo'jic française, il, page 295.
COMPTES RENDUS 77
coupe-govge. Comparez encore les noms de lieu Chanteloup,
Chanteraine , où c'est le sujet qui est exprimé au lieu du
régime. Mais l'élasticité ne va jamais jusqu'à introduire
dans ces termes une idée impérative. Les traductions latines
telles que Cantalupis, à côté de Cantans lupus, sont visible-
ment des calques du français. En réalité, la partie verbale
de ces mots composés a exactement la môme origine que les
substantifs verbaus tels que soutien, donne, etc. Le trouble,
c'est « ce qui trouble », et, par extension, le résultat de
l'action (1) ; un trouble-fête, c'est « celui qui trouble » la fête,
et non celui à qui on ordonne de la troubler. Il n'y a là
aucune difficulté phonétique. Trouhle-fète dérive de troubler
fête de la même manière que de ti^ouhler dérive le substantif
trouble, qu'on n'a jamais songé à rattacher à l'impératif.
(1) Par exemple dans la locution : « jeter le trouble daus les esprits. »
REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
CHRONIQUE
M. Tobler, à qui nous avons communiqué l'épreuve de
l'article de Mélange consacré à sa récente communication,
nous écrit : (( Vous avez raison de désapprouver l'emploi du
nom de (( imperfectum futuri » pour désigner ]e conditionnel;
c'est en effet « futurum prœteriti » qu'il faudrait dire, et je
l'aurais dit moi-même si pour le moment je n'avais préféré
éviter toute discussion tendant à écarter le nom malheureu-
sement employé dans la plupart de nos grammaires. »
— M. Roque-Ferrier entreprent la publication d'une revue
mensuelle (( des œuvres et des faits qui intéressent lefélibrige
et ses diverses maintenances. » Cette revue, qui succède à
VOccitania, a pour titre Le félibrige latin. Elle publiera
aussi des études philologiques et des textes provençaus dont
le dialecte sera soigneusement indiqué.
— Dans les Annales de la Société d'Emulation de l'Ain
(XXIII, 349), notre collaborateur, M. Philipon, vient de
publier un curieus poème bressan du xvne siècle, avec
glossaire et notes philologiques.
— M. Vladimir Vladimirovitch de Maïnof nous écrit qu'à
son avis on pourrait tirer du français, en le simplifiant pour
cet usage, une langue vraiment universelle, adaptée aus
besoins du commerce et des relations journalières. On sup-
primerait par exemple les flexions personnelles des verbes,
qui sont rendues inutiles par l'emploi des pronoms, etc.
Cens qui n'ont pas le loisir d'étudier le vrai français, ou qui
n'y ont pas intérêt, trouveraient là une langue facile à ap-
prendre et qui deviendrait rapidement universelle. L'idée,
en soi, nous paraît excellente ; mais un étranger pourra la
réaliser plus facilement qu'un français. Nous souhaitons
bon succès à celui qui l'entreprendra.
COMPTES FiENDUS 711
LIVRES ET ARTICLES SIGNALÉS
Amédée Pages. — Notes sur le chansonnier provençal de
Saragosse (Extrait des Annales du Midi, tome n). — Il
s'agit du chansonnier provençal sur lequel Manuel Milâ y
Fontanals a déjà publié une notice sommaire, malgré la jalou-
sie toujours éveillée du propriétaire, D . Pablo Gil y Gil,
doyen de la Faculté de philosophie et lettres de Saragosse.
Les notes de M, Pages, sans être complètes encore, permettent
de se rendre compte de l'importance du manuscrit.
Le MÊME. — La version catalane de l'Enfant sage (Extrait
des Etudes romanes dédiées à Gaston Parts, Paris, Bouillon,
1891). — M. Pages montre que le dialogue d'Adrien et d'E-
pictète (légende de V Enfant sage) ci été assez répandu au-delà
des Pyrénées. Il publie un texte catalan de la fin du xiv-'
siècle, qui tient de près à une version provençale connue.
L. CoNSTANS. — Notes pour servir au classement des
manuscrits du Roman de Troie (Extrait des Etudes romanes
dédiées à Gaston Paris). — C'est une nouvelle contribution
de M. Constans (cf. Romania, XVIII, 340) au classement
peu commode des mss.dui?07n«/i de Troie. Un court appen-
dice est consacré aus manuscrits fragmentaires, parmi les-
quels doit prendre place le ms. de Namur, que M. Wilmotte
vient de publier dans le Moyen Age (février 1891, page 29).
Franz Kirste. — Historisclie Untersuchung ueher den
Conjunctiv Praes. im altjranzoesischen (Greifswald, Abel,
1890, vi-88 p. in-8). — Répertoire important de formes du
subjonctif présent, avec références dialectales. Le classement
est méthodique et le dépouillement des textes fait avec soin.
Je ne crois pas que duie soit le dérivé régulier de ducam. Cf.
(jidllaïune le maréchal : (( Alez ! diable vos conduenl ! »
[Romania, xi, page GO, vers G812).
Cn. DE TouRTOULON. — Dcs dialectes, de leur classijica-
tion et de leur délimitation géographique (Paris, Maison-
80 COMPTES-RENDUS
neuve, 1891, 60 pages in-8). — Discussion des opinions émises
par M.. Gaston Paris dans sa communication au s Sociétés
Savantes sur les « parlers de France. » La question de savoir
s'il y a des dialectes ou s'il n'y en a pas nous paraît tout-à-
fait oiseuse. C'est une pure querelle de mots, mais il faut
reconnaître que ce n'estpas M.deTourtoulonquiacommencé.
Au fond tout le monde est d'accord sur l'utilité des classe-
ments dialectaus. La préoccupation très légitime de grouper
les phénomènes linguistiques conduit l'auteur à des remar-
ques fort instructives et tout-à-fait dignes de son travail
antérieur sur la limite géographique de la langue d'oïl et de
la langue d'oc.
Le Géj'ant : E. Bouillon.
CHALON-SUR-SAONE, IMPRIMERIE DE L. MARCEAU.
LA CIRCULAIRE MINISTÉRIELLE DU 27 AVRIL 1891
SUR l'orthographe dans l'enseignement
La campagne menée depuis deus ans par la Revue de
philologie française et auparavant par MM. Fran-
cisque Sarcey, Arsène Darmesteter, Paul Passy, Louis
Havet, — pour ne citer que ceus qui ont tenu en France
à tour de rôle le drapeau de la réforme orthographique,
— vient d'aboutir à un résultat dont l'importance est
considérable. A la date du ^7 avril, M. le ministre de
l'Instruction publique adresse à tous les recteurs une
circulaire « ayant pour objet d'interdire l'abus des
exigences grammaticales dans la dictée». Les partisans
d'une réforme rationnelle et méthodique de l'ortho-
graphe seront profondément reconnaissants à M. Léon
Bourgeois pour cet acte de haute sagesse, et ils n'ou-
blieront pas la part de gratitude qu'ils doivent à l'émi-
nent directeur de l'enseignement primaire, M. Buisson,
qui a pris l'initiative delà mesure, ainsi qu'à M. Rabier,
directeur de l'enseignement secondaire r car les ins-
tructions ministérielles s'appliquent aussi bien à l'ensei-
gnement secondaire (pv'à l'enseignement primaire.
Quant à l'enseignement sui)érieur, qui a toujours joui
d'une plus grande indépendance^ depuis longtemps la
pratique éclairée des professeurs a réduit à sa juste va-
leur, dans la correction de la composition française,
l'importance des fautes et prétendues fautes d'ortho-
graphe.
Voici le texte de la circulaire :
Pavis, le 27 avril 1891.
Monsieur le Recteur, au moment où vous préparez la
session annuelle des examens el des concours de l'enseigne-
Revuu de philologie, v. 6,
82 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
ment primaire et secondaire, notamment du certificat d'études
primaires et ceux du concours d'admission aux bourses, je
crois devoir appeler votre attention sur la jurisprudence libé-
rale qu'il conviendrait de recommander aux diverses com-
missions relativement aux épreuves d'orthographe.
Que la connaissance de la langue française soit un des
objets essentiels que se propose l'éducation, soit à l'école,
soit au lycée, il n'est pas besoin de le démontrer : il faudrait
relever plutôt qu'abaisser le niveau des épreuves destinées à
prouver que l'enfant manie correctement sa langue, en res-
pecte les règles, en comprend l'esprit. Mais toute la langue
n'est pas dans la grammaire, ni toute la grammaire dans
l'orthographe. Or c'est seulement de l'importance excessive
accordée parfois, dans les examens, aux singularités et aux
subtilités de l'orthographe que l'opinion publique s'est émue.
A plusieurs reprises déjà le Conseil supérieur a manifesté
son désir de rompre avec ce qu'on a nommé le (( fétichisme
de l'orthographe )) et surtout avec la tarification mécanique
des fautes ; dans tous les règlements qui lui ont été soumis
depuis dix ans, le Conseil a supprimé le caractère élimina-
toire de la dictée, ainsi que l'échelle officielle des fautes d'or-
thographe entraînant au-delà d'un certain chiffre la note seA'o.
S'inspirant du même esprit, tous les pédagogues sont una-
nimes à exprimer le vœu que les fautes soient, comme on l'a
dit (( plutôt pesées que comptées » ; tous aussi supplient les
comités qui choisissent les textes et ceux qui corrigent les
épreuves de s'attacher moins aux mots bizarres, aux curio-
sités linguistiques, aux règles compliquées ou controversées,
aux contradictions de l'usage, qu'à l'intelligence du sens et à
la correction générale de la langue.
Toutes ces recommandations ont trouvé place dans les pro-
grammes des examens, dans les plans d'études des divers
établissements, aussi bien que dans plusieurs circulaires de
mes prédécesseurs. Je voudrais y ajouter une prescription
plus formelle encore et s'adressant par votre intermédiaire,
M. le Recteur, aux présidents et aux membres de nos diverses
commissions d'examens.
Je désire que vous leur fassiez entendre qu'il dépend d'eux
d'assurer à l'enseignement de l'orthographe une direction
CIRCULAIRE MINISTÉRIELLE 83
moins étroite. Ce qui fait maintenir encore dans beaucoup
d'écoles un nombre invraisemblable d'heures exclusivement
consacrées aux exercices grammaticaux les plus minutieux,
c'est la crainte, fondée ou non, des rigueurs qu'aura l'exa-
minateur dans son appréciation de la dictée. C'est donc cette
appréciation même qu'il importe de soumettre à des règles
qui puissent guider plus encore l'opinion des candidats que
le jugement des examinateurs. Je ne puis, il est vrai, ni dres-
ser, ni vous charger, Monsieur le recteur, de dresser vous-
même à l'usage des commissions un tableau officiel des va-
riantes orthographiques qu'il conviendra d'admettre indiffé-
renmient dans les divers examens. Il faudra évidemment
tenir compte et de l'âge des élèves et de la nature des épreuves
et aussi de l'inégale gravité que peuvent avoir les diverses
infractions à l'orthographe. Ce sont là des considérations trop
délicates à. la fois et trop variables pour pouvoir donner ma-
tière à un règlement proprement dit. Les commissions seules
en peuvent être juges. Tout ce que nous pouvons faire, et ce
que je vous demande, c'est de leur rappeler une fois de
plus qu'à des degrés divers tous ces examens ont le caractère
élémentaire, qu'ils sont la sanction d'un enseignement élé-
mentaire lui-même, que dès lors les épreuves de langue ne
peuvent, ne doivent avoir pour but que de montrer si l'enfant
écrit couramment et correctement sa langue ; qu'il faut, par
conséquent, en exclure beaucoup de discussions qui seraient
à leur place dans les épreuves de l'agrégation de gram-
maire.
Pour préciser ces indications générales, je crois utile,
Monsieur le Recteur, que vos instructions aux commissions
d'examen entrent dans quelques détails sur les réformes à
introduire dans la correction "et le jugement de la dictée. Et
je tiens moi-même à fixer par quelques exemples la nature
aussi bien que les motifs de l'indulgence que je vous prie de
recommander.
Les points sur lesquels j'invite les commissions à se mon-
trer loléi'antes peuvent se ramener à trois groupes :
le II faut d'abord renoncer à une rigueur absolue toutes
les fois qu'il y a doute ou partage d'opinion, toutes les fois
que l'usage n'est pas encore fixé ou l'a été tout récemment,
84 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
que la pratique courante varie, que les auteurs diffèrent
d'avis et que l'Académie elle-même enregistre les hésitations
de l'opinion. Jusqu'en 1878, on devait écrire consonnance,
l'Académie admet maintenant consonance, par analogie avec
dissonance. Jusqu'en 1878, on devait écrive phthisie et rhi/-
thme ; depuis, l'Académie supprime l'une des deux h, mais
c'est la seconde dans phtisie, la première dans rythme. Jus-
qu'en 1878, collège était sévèrement compté comme une
faute, on devait écrire collège ; c'est l'inverse aujourd'hui.
De même les excédents ont remplacé les excédants ; tout-à-
fait s'écrit sans trait d'union, et il en est de même pour une
foule de mots composés. Deux des recueils qui font autorité
pour notre langue écrivent sans que personne s'en offusque
les en/ans, les momens. Le pluriel de certains mots étrangers
se marque suivant les auteurs de différentes manières : on dit
des solos, des solo et des soli. L'Académie autorise agendas,
alinéas, et ne paraît pas admettre des duplicatas. Elle pièiëre
des accessit sans condamner des accessits. Nombre de mots
usuels ont également une orthographe sur laquelle, à moins
de pédantisme, nul ne peut prétendre à l'infaillibilité ; de
l'aveu même de l'Académie, on écrit clef ou clé, sofa ou so-
pha, des entre-sol ou des entresols, dévouement ou dévoù-
ment, gaieté ou gaité, la ciguë ou la cigiie, il paye ou il
paie, payement ou paiement ou \\\è\\\e paiment , etc. Dans
ces cas et dans tous les cas semblables, quelle que soit l'opi-
nion personnelle du correcteur, il ne peut pas demander à
rélève d'être plus sûr de lui que les maîtres eux-mêmes.
2» Je réclame la même indulgence pour l'enfant quand la
logique lui donne raison contrel'usage et quand la faute qu'il
commet prouve qu'il respecte mieux que ne l'a fait la langue
elle-même, les lois naturelles de l'analogie. « Une des pre-
mières choses qu'on enseigne aux enfants, dit un maître en
matière de philologie, ce sont les sept noms en ou qui au
lieu de prendre un s au pluriel veulent un x : genoux, bi-
joux, etc. Mais, par quelle secrète raison ne se plient-ils pas
à la règle commune ? Personne n'a jamais pu le découvrir.))
De même, ne sachons pas trop mauvais gré à l'élève qui
écrira contreindre comme étreindre et restreindre, — can-
ionier comme timonier et comme cantonal, — entrouvrir
CIRCULAIRE MINISTÉRIELLE 85
comme entrelacer, — dans V entretemps comme sur ces en-
trefaites, — contrecoup comme contretemps.
Est-il juste de compter comme autant de fautes les infrac-
tions à l'orthographe qui sont précisément des preuves d'at-
tention de sa part ? Ce n'est par exemple ni l'étourderie, ni
l'ignorance, c'est au contraire la réflexion qui l'amène à vou-
loir écrire ou bien dizième comme dizaine ou bien dixaine
comme dixième, — à penser qu'il faut admettre charrette,
charrier, charroi et par suite c/iarrto^ à moins de supprimer
dans tous ces mots le second /* qui ne se prononce pas, — à
maintenir les traits d'union dans chemin- de-fer, dans porte-
manteau, pour pouvoir les conserver dans arc-en-ciel et
porte-monnaie, ou vice-versa. La logique l'empêchera encore
d'admettre imbécile et imbécillité, siffler avec deux / et per-
sifler avec un seul. L'analogie lui fera écrire assoir sans e
malgré Ve de séance, puisque tout le monde a fini par écrire
déchoir sans e malgré celui de déchéance.
Est-ce l'enfant qui a tort d'hésiter quand la langue elle-
même semble se contredire et qu'après pr^^en^ion, contention,
attention, intention, obtention on lui enjoint d'écrire exten-
sion ? Que répondre à l'élève qui veut écrire déciller à cause
de cils, une demie-lieue comme une lieue et demie, forsené
et non pas/orcen^ puisque le mot signifie hors de sens et n'a
aucun rapport avec /orce ? Y a-t-il un maître qui ait pu
donner une bonne raison pour justifier la différence entre
apercevoir et apparaître, entre alourdir et allonger, entre
abatage et abatteur, entre abatis et abattoir, entre agréga-
tion et agglomération ?
Au lieu d'inculquer, en pareil cas, dans l'esprit de l'élève
l'idée d'une règle absolue et inviolable, ne vaut-il pas mieux
lui laisser voir que c'est là au contraire une matière en voie
de transformation ? N'y a-t-il pas toute vraisemblance que
d'ici à une génération ou deux la plupart de ces bizarreries
auront disparu pour faire place à des simplifications analo-
gues à celles qu'ont opérées sous nos yeux, depuis moins
d'un siècle, les éditions successives du Dictionnaire de l'Aca-
démie ?
3" Enfin il est entré depuis le commencement de ce siècle
dans notre orthographe française un certain nombre de règles
86 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
fondées sur des distinctions que les grammairiens jugeaient
déci.sives, que la philologie moderne, plus respectueuse de
l'histoire même de la langue, ne confirme qu'avec beaucoup
de restrictions et, dans tous les cas, sans y attacher à aucun
degré le respect superstitieux dont on voulait les entourer.
C'est sur ces points qu'il faudrait inviter les examinateurs et
les maîtres à glisser légèrement, bien loin de s'y complaire.
C'est là surtout qu'il faut alléger le fardeau. Que d'heures
absolument inutiles pour l'éducation de l'esprit ont été con-
sacrées dans les écoles primaires elles-mêmes à approfondir
les règles de tout et de même, de vingt et de cent, de nu et de
demi, à disserter sur les exceptions et les sous-exceptions
sans nombre de la prétendue orthographe des noms compo-
sés, qui n'est que l'histoire d'une variation perpétuelle !
La presse a plus d'une fois signalé l'inanité des débats sans
fin auxquels donnent lieu dans la dictée certaines locutions
comme des habits d'homme ou d'hommes, la gelée de gr^o-
seille ou de groseilles, de pomme ou de pommes, des moines
en bonnet carré ou en bonnets carrés.
A supposer que l'on ait de bonnes raisons pour justifier
telle ou telle de ces finesses orthographiques, n'est-il pas fla-
grant que l'immense majorité des enfants ont mieux à faire
que d'y consumer leur temps. Et pour ne parler que de la
langue française, n'ont-ils pas infiniment plus besoin, pour
la bien connaître, qu'on leur lise et qu'on leur fasse lire en
classe et hors de classe les plus belles pages de nos classiques
que d'exercer toute l'acuité de leur esprit sur des nuances
grammaticales à peine saisissables, quand elles ne sont pas
de simples vétilles ? Ce souci de l'orthographe à outrance
n'éveille chez eux ni le sentiment du beau, ni l'amour de la
lecture, ni même le véritable sens critique. Il ne pourrait que
leur faire prendre des habitudes d'ergotage. A tant éplucher
les motS;, ils risquent de perdre de vue la pensée, et ils ne
sauront jamais ce que c'est qu'écrire si leur premier mouve-
ment n'est pas de chercher dans le discours, sous l'enveloppe
des mots, la pensée qui en est l'âme.
Je ne doute pas, Monsieur le Recteur, que, communiquées
et expliquées par vous aux commissions que vous avez à
nommer et à diriger, les observations qui précèdent ne soient
CIRCULAIRE MINISTÉRIELLE 87
aisément accueillies et suivies d'effet. Je vous serai recon-
naissant de me tenir au courant des mesures que vous aurez
prises pour qu'il en soit ainsi.
Recevez, Monsieur le Recteur, l'assurance de ma considé-
ration très distinguée.
Le Ministre de l'Instruction publique
et des Beaux-Arts,
Signé : Léon BOURGEOIS.
Y aura-t-il quelqu'un pour trouver que M. le Ministre
de l'Instruction publique empiète sur les attributions
de l'Académie française ? Ce serait être plus royaliste
que le roi, car l'Académie a toujours protesté contre le
rôle qu'on veut lui imposer, de régler l'orthographe.
Elle se borne au contraire, le plus possible, à constater
l'usage, si bien qu'on était enfermé dans un cercle vi-
cieus, les écrivains attendant les décisions de l'Académie
pour modifier leur orthographe, et l'Académie attendant
les innovations des écrivains pour modifier son diction-
naire. Le ministre de l'Instruction publique est tout à
fait dans son rôle quand il réglemente l'enseignement
de l'orthographe en tenant compte des progrès de la
science philologique ; les écrivains qui se sont groupés
autour du programme de réformes delà Revue de philo-
logie française u^Qr\X2i\iiiii\àMàvoii\Q plus légitime en
appliquant leur programme et en travaillant à le pro-
pager. L'Académie ne peut ni ne veut intervenir; elle
enregistrera en temps utile les résultats acquis.
M. le Ministre de l'Instruction publique prévoit les
demandes d'éclaircissements qui pourront lui être
adressées, et il les repousse par avance en déclarant
qu'il ne veut ni dresser, ni charger les recteurs de
dresser des tableaus officiels de variantes orthogra-
phiques. Il se borne à des indications générales et à
des exemples, laissant aus commissions le soin d'appré-
cier chaque cas particulier. Dans les autres épreuves
8o REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
des examens, ce sont toujours les commissions qui,
sous leur responsabilité personnelle, ont mesuré la gra-
vité relative des fautes commises. Pour la rédaction,
par exemple, elles ne se sontjamais avisées de consulter
le Ministre sur la question de savoir si une locution
impropre doit être comptée plus ou moins qu'une tran-
sition faible. Il serait tout aussi étrange de réclamer de
l'administration supérieure une sorte de barème des
fautes d'orthographe.
Mais la liberté laissée aus commissions d'examen
n'implique pas la faculté de persister dans les viens
errements. Le titre de la circulaire est formel : elle
interdit l'abus des exigences grammaticales dans la dic-
tée, et les commissions qui continueraient à faire la
guerre aus prétendues fautes signalées par la circulaire
enfreindraient gravement les instructions du Ministre
de qui elles tiennent leurs pouvoirs. Il saute aus yeus
d'autre part que toutes les fautes indiquées sont au
nombre de celles qui doivent être considérées, non pas
comme légères, mais comme non existantes. « Dans ce
cas, dit M. le Ministre à la fin de ses considérations sur
le premier groupe, et dans tous les cas semblables, le
correcteur ne peut pas demander à l'élève d'être plus
sur de lui que les maîtres eux-mêmes, » Un peu plus
loin : (( Est-il juste (traduisez il est injuste, donc il n'est
pas permis) de compter comme autant de fautes les
infractions à l'orthographe qui sont précisément des
preuves d'attention de la part de Télève ? » Quand,
dans les mêmes paragraphes, à propos des mêmes man-
quements, M. le Ministre parle de a renoncer à une
rigueur absolue », d'être « indulgent », il est clair que
ce sont là des formules atténuées d'une pensée très
nette, à savoir qu'on n(^ doit pas compter de faute dans
tous ces cas. J'irai même plus loin: l'enfant qui écrirait
assoir en vertu d'une comparaison avec déchoir, séance
et déchéance mériterait sans contes te d'être placé avant
CIRCULAIRE MINISTÉRIELLE 89
celui qui se serait conformé machinalement à la graphie
consignée clans le Dictionnaire.
Le nouvel esprit introduit dans la correction des
épreuves orthographiques doit avoir pour effet a d'assu-
rer à l'enseignement de l'orthographe une direction
moins étroite ». C'est là une conséquence qu'on ne sau-
rait trop mettre en relief. La recommandation faite aus
commissions de ne plus considérer, par exemple, « des
caillons » comme une faute d'orthographe implique for-
cément, pour les instituteurs et les professeurs^ l'obli-
gation de ne plus perdre leur temps à enseigner les
sept noms en ou qui devaient prendre un x. Combien
d'autres règles absurdes vont se trouver caduques par
le fait même de l'application de la circulaire ! Nous
verrons donc enfin réduire « le nombre invraisemblable
d'heures consacrées aux exercices grammaticaux les plus
minutieux.» Quel soulagement pour les maîtres et pour
les élèves. Quel triomphe pour le bons sens !
Nous allons indiquer brièvement quelques-unes des
applications possibles de la circulaire du 27 avril.
1. Gravité relative des fautes. — « Les fautes
doivent être plutôt pesées que comptées. » Les fautes
les plus graves sont évidemment celles qui touchentnon
seulement à l'orthograplie, mais encore à la langue.
Ces fautes sont rares chez les Français. Seuls, les en-
fants du premier cours ouïes étrangers qui commencent
à ap])rendre notre langue pourront dire ou écrire : des
cheval s, un chevau, etc.
Viennent ensuite les fautes contre les grandes règles
de la grammaire^ Ve du féminin dans les adjectifs, l's
du pluriel, etc.
Nous mettons en troisième ligne la faute qui consiste
à se tromper entre deus graphies qui ont la même va-
leur, par exemi)le ain et em, sen et cen. Cette erreur
90 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
est d'autant plus légère que le mot se rencontre
moins souvent. Il n'y a pas de faute si la graphie adop-
tée est plus conforme que la graphie officielle à l'origine
du mot, si on écrit/orsené au lieu de forcené, déciller
au lieu de dessiller.
2. Mots composés (1). — La circulaire ministérielle
nous met en garde contre (^ les exceptions et les sous-
exceptions sans nombre de la prétendue orthographe
des noms composés, qui n'est c|ue l'histoire d'une va-
riation perpétuelle ! »
Il est logique d'écrire en un seul mot tous les mots
composés qui commencent par entre et contre, et ceus
qui sont formés d'un verbe suivi d'un régime direct :
entredeux comme entremets, contrecoup comme con-
trefaçon, portenionnaie conwnQ portemanteau , etc.
On ne peut considérer comme une faute l'omission
du trait d'union dans les mots composés au milieu des-
quels se trouve une préposition, ou dans ceus qui sont
formés d'un substantif et d'un adjectif c|ui s'y rapporte:
arc en cze/ comme chemin defer, plain chant comme
pleine lune, et aussi demi litre, etc.
3. Formation et emploi du pluriel (2). — La cir-
culaire permet d'écrire des rjenous comme des verrous,
etc. Elle autorise également l'.s du pluriel à la fin de
tous les noms d'origine étrangère : des allégros comme
des solos, des exéats comme des accessits, etc.
Il est aussi logic^ue de mettre que de ne pas mettre
d's au pluriel des noms propres, sans faire aucune dis-
tinction de sens. La distinction qu'établissent nos
grammaires ne remonte qu'au xviii^ siècle. Racine écrit:
((Corneille, comparable aux Eschyles, aux Sophocles,
aux Euripides. »
(1) Cf. Reçue de Philologie /ranr.aLse, tome iv, pages 265 et 314;
tome V, page 29.
(2) Ibidem, tome iv, pages 217, 275 et 314.
CIRCULAIRE MINISTÉRIELLE 91
Rien ne justifie l'omission systématique du signe du
pluriel après vingt et cent lorsque ces mots sont suivis
d'un autre nombre. On peut écrire quatre-vr'ngts-deux
comme quatre-vingts.
On doit pouvoir mettre les compléments au singulier
ou au pluriel toutes les fois qu'il y a une double inter-
prétation possible : des habits d'homme ou d'hommes
(pour un homme, ou comme en portent les hommes),
de la gelée de groseille ou de groseilles, etc.
Aucune raison sérieuse ne peut empêcher d'écrire
« des habits bleujc » comme a les textes hébreux », ou
mieus encore les hébreus comme les bleus.
4. Accord de l'adjectif. — La circulaire autorise
l'accord de demi et de nu, quelle que soit la place de ces
mots. 11 faut y joindre les adjectifs/ew qI fort : feue la
j^eine comme la feue reine, a elle se i^ài forte » comme
« elle se fait belle ».
L'adverbe tout doit s'accorder, devant un adjectif
singulier, aussi bien quand l'adjectif commence par une
voyelle que lorsqu'il commence par une consonne :
toute entière comme toute pleine.
5. Verbes. — Les verbes coudre et moudre sont
absolument semblables à absoudre et à résoudre. Rien
n'empêche donc d'écrire : « je cous, il coût, je mous, il
moût. »
Il est tout à fait illogique d'écrire je veux, je peux
autrement que je meus.
La circulaire fait remarquer qu'on écrit collège après
avoir écrit collège. Cette remarque doit évidemment
s'interpréter dans ce sens, qu'il est logique d'écrire
avec un accent grave les e qui ont le son ouvert. Con-
cluons que les élèves peuvent écrire par è, au futur et
au conditionnel, les verbes qui ont déjà cet è au sin-
92 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
gulier de l'indicatif présent : je protégerai comme Je
pi^otège{\).
Les fameuses règles du participe passé rentrent évi-
demment dans ces ^( règles fondées sur des distinctions
que les grammairiens jugeaient décisives, que la philolo-
gie moderne, plus respectueuse de l'histoire même de la
langue, ne confirme qu'avec beaucoup de restrictions ».
Tous les philologues sont aujourd'hui d'accord pour
admettre qu'on doit laisser aus enfants la liberté com-
plète de l'accord (2) sans aucune distinction : 1° pour
les participes coûté et valu ; 2° quand le complément est
le pronom en (3) ; 3" quand le participe est suivi d'un
infinitif sans préposition (je les ai vu ou vus venir). On
peut aussi faire accorder librement le participe avec le
collectif « le peu » ou avec son complément, quel que
soit le sens : « le peu d'ardeur que vous avez montré ou
montrée. »
6. Consonnes doubles. — La circulaire admet im-
plicitement qu'on ne redouble pas la consonne (sauf l's
naturellement) dans la formation du féminin, et qu'on
puisse écvirechate comme rate^ paysans comme cour-
tisane, pâlote comme manchote, sujète comme dis-
crète, etc.
Au mot appeler, Littré dit : « Dans ce verbe l'Aca-
démie exprime par ell le passage de l'e muet à l'e
ouvert ; ailleurs elle rend ce passage par é/, comme
dans je gèle ; il serait bien utile d'adopter pour tous les
cas une orthographe uniforme. » En attendant que
l'orthographe uniforme s'établisse, on doit laisser le
chois aus élèves, pour tous les verbes en eler et en eter,
(1) Cf. Rcmœ de Philologie française, t. iv, p. 266 ot t. v, p. 32.
(2) Cf. frf., tome iv, page 2.3.5.
(3) Dans ce cas il vaut miciis ne jamais faire l'accord, car on ne le
fait pas quand le féminin se prononce autrement que le masculin.
On ne dit jamais « combien j'en ai prises ! »
CIRCULAIRE MINISTÉRIELLE 93
entre la consonne simple et la consonne double. La
consonne simple est évidemment préférable, comme à
l'infinitif.
L'Académie, ce que beaucoup de personnes ignorent,
a déjà enregistré la graphie par un seul g de tous les
mots commençant par le préfixe a suivi de g. Rien
n'empêche d'appliquer la même simplification, comme
l'indique M. le ministre, de l'Instruction publique, au
même préfixe suivi d'une consonne quelconque : alon-
ger comme alourdir, etc.
La circulaire signale un bon nombre d'autres mots à
consonnes doubles que l'on peut simplifier en s'ap-
puyant sur des analogies. Nous ajouterons avec M. Félix
Hément, inspecteur général de l'instruction jn'imaire,
honeur d'après honorer et honorable, doner d'après
donateur et donation, et avec M. Charles Lebaigue,
calote d'après capote, tutèle d'après clientèle, gi^eloter
d'après grig/ioter, pensionat d'txpres patronat, personel
d'après colonel, bariqae comme baril, trape comme
chausse-trape, folet comme folâtre, millionaire comme
millionième.
En réalité, il y a là une réforme générale qui s'impo-
sera à bref délai : la simplification des consonnes dou-
bles dans tous les mots où elles se prononcent simples(l).
Cette réforme est souhaitée par M. Gaston Paris.
Elle a failli être appliquée, il y a quelques mois, dans
un journal quotidien de Paris, par M. Edouard Hervé,
membre de l'Académie française. M. Hervé n'a renoncé
(provisoirement) à son proj('t (|ue faute de trouver à ce
moment un autre journal qui voulût s'associer à sa
tentative. Mais, comme le dit M. le Ministre, « il y a
toute vraisemblance que d'ici à une génération ou deux
la plupart de ces bizarreries auront disparu. Au lieu
d'inculquer en pareil cas, dans l'esprit de l'élève, l'idée
(1) Reruo de phllolorjie française, tome iv, p. 241 et suiv.et 315.
94 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
d'une règle absolue et inviolable, ne vaut-il pas mieux
lui laisser entrevoir que c'est là au contraire une matière
en voie de transformation? » Quel inconvénient peut-il
y avoir à ce que nos enfants fassent comme nos ancêtres,
qui écrivaient clientèle ou clientelle, noiwèle ou nouvelle
avec la même indifférence que nous écrivons aujour-
d'hui/)a?eraz"^ payerai, onpaîraif
7. L'orthographe dans l'enseignement secon-
daire. — M. le Ministre de l'instruction publique dit
qu'il faut « tenir compte de l'âge des élèves ». Est-ce à
dire que les graphies autorisées par la circulaire doivent
être interdites à un certain âge? Assurément non.
Mais, quand l'esprit de l'élève se développe, on peut
introduire dans les exercices grammaticaus, — en évi-
tant toujours les subtilités, — des difficultés de langue
que l'on doit soigneusement écarter des études élémen-
taires. Quant aus latitudes dans l'orthographe des mots,
loin de les restreindre dans l'enseignement secondaire,
on devrait bien plutôt les étendre. L'élève peut ne pas
ignorer que des linguistes dont il connaît bien les noms,
dont il a les ouvrages entre les mains, MM. Michel
Bréal , Marty-Laveaux, Louis Havet, Charles Lebaigue,
Ferdinand Brunot, etc., se sont entendus pour adopter
une réforme orthographique dont les deus points prin-
cipaus sont les suivants :
1° Substitution de l's à l'cZ' final valant s, ce qui a le
triple avantage de conserver la graphie latine et celle
du viens français et de noter exactement la prononcia-
tion actuelle en liaison : latin légales, viens français
loyaus, prononciation actuelle loyaus et. . .
2° Rétablissement de la flexion régulière t (conforme
à l'histoire de la langue et à la prononciation) à la 3" per-
sonne sing. de l'indicatif présent de tous les verbes en
/•<? et oif : il s'assiet, il prent.
Supposons qu'un élève de l'enseignement secondaire,
CIRCULAIRE MINISTÉRIELLE 95
mis au courant de cette réforme par son professeur,
l'applique lui-même clans un devoir ou dans un examen.
Faudra-t-il lui compter comme fautes des graphies que
l'on peut lire depuis un an au-dessus de la signature de
M. Michel Bréal et de M. Marty-Laveaux ? La réponse
n'est pas douteuse.
Nous n'avons signalé qu'une partie des applications
possibles de la circuhiire du 27 avril. On ne connaîtra
qu'à l'usage toute l'étendue de ce bienfait. Il n'était que
temps d'enlever à notre siècle le fâcheus renom qui me-
naçait de lui rester, d'avoir été par excellence et jus-
qu'au bout le siècle du fétichisme orthographique. Si
encore notre culte s'était adressé à une orthographe
logique, bien réglée, respectueuse de la vraie tradition !
Mais c'était précisément le contraire. L'idole que nous
adorions n'était pas un beau marbre bien taillé, c'était
le plus grossier assembhige des pièces et des matières
les plus disparates. On ne voudra pas croire, au siècle
prochain, que nous ayons été astreints à des exercices
réitérés pour apprendre la règle et les exceptions du
redoublement des consonnes au féminin, pour arriver à
écrire tutelle avec deux /, clientèle et tutélaire avec une
seule. Sans doute, l'orthographe ne va pas devenir
rationnelle du jour au lendemain. Mais c'est un progrès
considérable que de reconnaître qu'elle ne l'est pas
encore, et de la remettre à la place modeste qu'elle
occupait dans les siècles précédents, avant le coup de
fortune extraordinaire qui l'a portée au premier rang
des connaissances requises. L'étude de la langue doit
gagner tout ce que perdra celle des minuties orthogra-
l)hi(|ues.
L. Clédat.
L'ÉVOLUTION PHONOGRAPHIQUE DE VOI FRANÇAIS
par
D. FERNANDO ARAUJO
Professeur à Tolède
C'est une bien curieuse liistoire que celle de la trans-
tormation de la combinaison oi (que l'on trouvait jadis
dans tous les imparfaits de l'indicatif et dans les condi-
tionnels des verbes français, et dans des mots tels que
françois, anglois, paroître, roicle, monnoie, etc.) en ai,
telle que nous la trouvons partout aujourd'hui, histoire
aussi curieuse au point de vue de l'évolution phonique,
depuis le son primitif 6i jusqu'au son actuel è qu'au
point de vue de la graphie, tantôt influencée par les pré-
tentions étymologiques, tantôt assujétie aus exigences
de la prononciation. Il y a bien des gens, même érudits,
qui croient encore que cette réforme, qui souleva tant de
contestations et de si vives querelles parmi les grammai-
riens et les littérateurs français et même étrangers, a été
une réforme proposée, plus ou moins arbitrairement,
par Voltaire et imposée par son génie. C'est une erreur :
Voltaire n'a pas été le premier à proposer une telle trans-
formation dans l'ortliographe et l'eût-il été, il n'aurait pu
la faire réussir, malgré toute son autorité et toute l'opi-
niâtreté de son caractère, si elle n'avait pas eu de pro-
fondes racines dans la langue française et si elle n'avait
pas trouvé une atmosphère toute préparée pour son dé-
veloppement et sa réussite.
Je vais essayer de retracer l'intéressant récit de cette
évolution, dont j'ai trouvé les preuves tout à fait éparses
dans toute sorte de documents, en tcàchant de présenter
au lecteur tout l'ensemble des faits et des opinions qui
s'y rapportent, pour bien faire saisir les étroites relations
entre la phonique et la graphie dans l'histoire littéraire,
KATJHîTION DK l'oI FRANÇAIS 97
et pour montrer aussi combien d'elfoi'ts ont été néces-
saires, combien de luttes il a fallu engager pour pro-
duire d'abord la métamorphose d'un seul son, et puis la
métamorphose du signe destiné à le représenter dans
l'écriture. Je crois rendre un petit service à la phonogra-
phologie historique en entreprenant ce travail d'en-
S'.mible où je ne compte assurément avancer que très
peu de chose de nouveau, mais où je pourrai redresser
quelques erreurs qui se s'ont glissées un peu partout
et qui ont encore cours, et où je m'efforcerai surtout de
développer d'une manière suivie l'histoire de cette ques-
tion en faisant de mon micus pour qu'elle puisse être
étudiée sous tous ses différents rapports.
Tout le monde connaît les intimes relations de parenté
qui existent entre la langue française et le latin. On
discute encore et on discutera peut-être pendant long-
temps , quoique ces discussions soient déjà tout à fait
inutiles, ayant porté tous leurs fruits et ayant donné des
conclusions presque irréfutables) si le latin est le frère
aine et le français le cadet, tous deus rejetons d'une tige
commune, ou s'ils ont plutôt, comme le veut la théorie
classique, des liens de filiation directe, le latin étant le
père et le français le fils, de même que l'espagnol, le
portugais, l'italien et le roumain, avec tout l'ensemble
de langues et de dialectes compris sous le nom commun de
novo-latins (1 1. Quoi qu'il en soit, ce qui est incontestable,
c'est le fait même de la parenté. Or, comme le latin a eu
un développement littéraire bien antérieur à celui du
français (développement auquel est vraisemblablement
dû l'empiétement des formes latines sur les gauloises et
la perte de celles-ci, du moins dans le langage écrit, le
seul qui nous ait laissé des monuments durables et au-
thenti(iues), il nous faut, pour éclairer la plupart des
questions d'origine, avoir recours au latin, parce que là
seulement nous pouvons trouver des témoignages irré-
futables sur les formes originaires des mots des langues
novo-latincs, surtout. lorsque ces formes sont incontesta-
blement dérivées du latin.
(1) jl.a question, ii notre avis, n'est pas (lout(Hise.| L. C.
RkVUE de PHILOLOfilE, V. "j
98 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Cela posé, d'où !a forme oi est-elle venue? Si nous
laissons de côté la foule de cas particuliers qui peuvent
se présenter dans des mots isolés ou dans des groupes
très peu nombreus de mots, il faut reconnaître que les
sources les plus importantes de la combinaison oi du
français, sont (1) :
1° O latin -\- i : cognôscere, d'où cognoistre, connoistre ;
glôria, d'où gloire ; testimônium, d'où témoin.
2° t/" latin -\- i : jânctum, à'oxx joint ; cdneum, d'où coin ;
pùnctum, d'où point ; angûstiam, d'où angoisse.
3*^ Au latin -}- i : âudio, d'où oie; gàudia, d'où joie;
clàustruni, d'où cloistve. cloitfe.
4° E latin -1- i : crèscere, d'où cveistre, croître ; hahé-
bani, [régein, d'où roi), d'où aveie, avoie ; monétam, d'où
monneie, nionnoie; crédere, d'où creire, croire ; francénsis,
d'où franceis, français.
5° /latin -\- i : rigidus, d'où roide :frlgidus, d'où froid;
Franciscus, d'où François.
Quel était le son originaire représenté par la combi-
naison oklans tous ces divers cas ? Après les concluantes
recherches des savants romanistes qui ont jeté tant de
jour sur la phonétique du moyen âge, on peut aujourd'hui
affirmer sans hésitation que le son primitif de la combi-
naison oi était celui de o + ^ en portant l'accent sur \'o -.
ôi. Si l'on nous demandait des preuves, nous donnerions
comme telles : r Les anciennes rimes ; c'est ainsi que
(1) Four la provenance particulière de l'o et de Yi du groupe oi,
voyez surtout Ross.mann Fransôsisches -oi. Nous ne voulons aucu-
nement épuiser l'analyse des sources de la combinaison oi, et nous
donnons les cinq origines signalées dans le texte comme quelques-
unes des plus générales, mais par voie d'exemple seulement, car il
y en a bien d'autres. Nous ne descendons pas non plus aus détails
de la quantité et de la tonicité des sons originaires, parce que tout
cela nous éloignerait du but que nous nous sommes proposé. 11 nous
suffit de quelques indications sommaires sur la provenance de Voi et
rien de plus. Le problème que nous allons étudier n'est que celui des
diverses transformations que la prononciation et l'écriture de Voi a
subies, en partant de l'existence de Voi même, établie par les faits
linguistiques.
ÉVOLUTION DE l'oi FRANÇAIS 99
nous voyons dans les rimes imparfaites ou en assonance
des vieilles poésies, home rimer avec reconomsent dans
Y Alexis ; anrjoisset avec tonient dans Roland ; joie avec
close dans le Voyage de Cliarlemague ; coist avec tosl dans
VEulalie ; estoires avec cordes dans Jourdain de Blaivies ;
esloire avec /b;re dans Ave d'Avignon, etc. (1). 2° L'exis-
tence de Vo tonique dans les langues novo-latines, sœurs
du français : istôria, glôria, Victoria, testimônio, co-
7i6zco, etc. 3'^ La prononciation dans les langues étran-
gères des mots pris de l'ancien français : adroit, noice,
voice en anglais ; proi, tornoi, vol en moyen néerlandais ;
sc/ioj/e, poinder, boie en moyen haut-allemand; po/j, Wonfpoi
Kpôofi'ji en grec, etc (2). 4" La condensation dialectale de
oi en ô : crû de crois, étô cVétoit, srô de seroit (3). 5° Les
quelques mots qui, dans le langage actuel, s'écartent
encore de la prononciation courante, et où l'on conserve
les traces, plus ou moins effacées, de la prononciation
primitive : encoignure, oignon, foyer, poignard, etc. (4).
Il faut, cependant, donner à cette affirmation de la
prononciation de l'ancien oi le sens le plus large, sans
tenir compte ni des nuances de cette prononciation, ni
des formes dialectales qu'elle a pu revêtir et qui, au-
jourd'hui même, pourraient nous fourvoyer si nous
(1) Voyez Nkumann, Zur Laut-und Fleœlonslehre des Altjransô-
sischon. — Lûcking, Die âltesten/'ransôsiscjien Mundarten. — Sievers,
Grundzuf/e der Phoiiétih. — Rossmann, Fransôsischcs oi. — Lùtgenau,
Ausspraclio des Fransôsischen. — Diez, Graniinatik der romanischen
S/irae/ien. Voyez aussi les travaus de Gaston Paris, Paul Meyer,
Grôber, Willenberg, Schuchardt, etc.dansla /Î07?ia7ifa, la Zcitsr/iri/t
et les Roinanlsche Studien.
(2) Voyez Dikz, Graininatik der romanlsflien Spraelicii : « Dans
le néerlandais talioor (tailloir) ou kantoor (comptoir), dans notre
Framose ou dans l'italien Franrioso, Vi s'est perdu tout entier dans
la voyeUe dominante « (traduction d'Aug. Brachet et G. Paris).
(3) Voyez Diez, o/;. cit.
(4) Pour e/ico/r/rtu/'C (qui nous renseigne sur la proiionriation de coin.,
laquelle nous sert à son tour pour rétablir celle de ces similaires, ,/bm,
besoin, témoin, loin) on voit bien que l'accent porte sur l'o et que IV,
tout à fait absorbé, n'est (pi'un signe graphique ; pour foyer et ses
similaires on sait bien qu'à côté do la prononciation fœa-iè, il y a
celk' do /b-t('. Voyez Girault-Duvivier, Lan<lais, Lilti'é. Diez, etc.
100 UEVliE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
tenions à les faire rentrer toutes dans notre tableau (1) ;
chacune de ces formes, de même que chacun des cas par-
ticuliers qui se présenteront (2) a une explication et une
histoire spéciale qu'il nous faut, en règle générale, né-
gliger pour ne pas sortir de la tâche que nous nous
sommes imposée, ce qui nous mènerait trop loin ; nous
allons droit à notre but sans nous laisser arrêter par des
détails négligeables qui, somme toute, ne sauront jamais
porter nulle atteinte à notre doctrine (3).
En partant de la prononciation 6i, on peut avancer
avec Rossmann, pour déterminer la série évolutive de ce
son et l'époque où chaque transformation a eu lieu que,
au commencement de la seconde moitié du \if siècle,
01 était prononcé généralement 6i (4), dans le dernier
quart du même siècle pi{5), et au commencement du
xni^ siècle 6i (6) ; en sorte que l'évolution commencée
(1) Pour ne pas citer d'autres exemples, je me contenterai de rap-
porter le fait de la prononciation des oi dans les diSérents cantons
d'un seul département de la Haute-Bretagne (Côtes-du-Nord) : noir
par exemple, tantôt est nâ, tantôt nô, tantôt np (v. Sébillot, Reçue de
ling. et de phil.).
(2) Telles sont, par exemple, les formes rimées bai-un, puign, raisun,
suign, bastun, juint, respunt, Juindre de la C/ianson de Roland; le
mélange dans beaucoup de documents de ol avec ui : noit. nuit
(Chanson de Roland) la transformation de corium en cuir et de
moriam en tnuir, à côté de memôrie mémoire de mémoriam et
virtôrie victoire de ôictoriam ; la graphie, la phonétique, l'histoire de
ces faits, et de pas mal d'autres, qui leur ressemblent, s'expliquent
parfaitement, et nul d'eus n'infirme la valeur ôi de l'ancien oi.
(3) Les signes que nous allons employer, tout à fait conventionnels,
servent à exprimer autant de nuances de la prononciation des élé-
ments phonétiques de l'ai.- L'p marque l'o fermé du mot eau ;
o ou ô, l'o ouvert de port ; ô le son d'un eu fermé, tel que celui
de peu, et 1'^' celui d'un eu ouvert, tel que celui de peur ; o est plus
ouvert encore ; de même l'e n'est qu'un e fermé (et) et l'e un e ouvert
{est) ; l'accent aigu servant à marquer la voyelle tonique.
(4) Aboit, amoit dans Jourdain de Blavies ; poi, anoi, oie, aljoic dans
Le Roman d'Alixandrc ; anoie, oie, dans Renaut de Montauban ;
voyez Rossmann, Fransôsisches ci.
(5) Osteroie,joie, cstoient, oient, voire, estoire. dans le Petit Graal;
joie, coie dans le Chevalier au lyon.
(6) Nois, crois, dansMaynet; crois, rois dans Gaydon; cois, crois
dans Gauficv.
ÉVOLUTION DE LOI FRANÇAIS 101
dans le xii° siècle et finie, pour la première phase de la
transformation, au commencement du xni', a revêtu
trois formes successives : f^oi; 2« 6i\ 3° ôi. Dans le
xnf siècle, on trouve les trois oi mélangés les uns avec
les autres (1), mais 61, qui est le dernier de la série, gagna
le dessus à la fin sur tous les autres. Le trait caractéris-
tique de cette première phase de l'évolution est la con-
servation de 1'/ atone et de la tonicité de Vo.
Gomment se fit alors le changement de oi arrivé à 6i,
en pe ? Rossmann i2) explique ce fait par l'assimilation
progressive , tandis qu'Ulbrich (3) donne d'abord le
changement d'o en o et d'/ en ô d'où il tire après, par
dissimilation, la forme oe; pour moi l'explication en est
moins obscure et c'est à l'influence de l'accent que j'at-
tribue raff"aiblissement de la palatale i dans la gutturo"
palatale e ; gloire devient glôere, estait estôet parce
que d'abord la tonicité de Vo tent à eff'acer la sonorité
de Vi et après le caractère gutturo-labial de Vo amène la
transformation de la palatale i qui n'a rien de commun
avec Vo, en la gutturo-palatale e ; l'assimilation est
l'effet de la tonicité et rien de plus. Pour la détermina-
tion du son de cet oe, je suis d'accord avec Ulbrich ; seu-
lement je crois que le changement de ôi en ôo ne s'est
pas fait sans transition et il faut admettre entre ces deus
sons un autre son intermédiaire, un ôe\ gloire devient
d'abord glôere ; mais comme l'apparition de cet e, par
l'influence de la tonicité de Vo, introduit dans la combi-
naison oi un élément guttural commun, et comme l'ato-
nicité de Ve rendait par trop obscure sa prononciation à
côté de celle de Vo, il se produit un phénomène assez
naturel : celui de l'assimilation réciproque de Vo et de
l'é" qui transforme pour ainsi dire instantanément ot^ en
(1) Courtois, poirs, mois, oirs, François, cois, rodais, nois, crois,
dans Maynet;,/ptJ, cois, Moine poino dans le Roman du Renart; crois,
oi, cois, ai, ôi dans Gaydon, connoist, croist, côist dans Le Chccalicr
as deus espées. Voyez Rossmann, d'où j'ai tiré tous ces exemples.
(2) Framôsischos ni. Cette évolution se fit d'abord dans l'intérieur
des mots, et puis dans les terminaisons.
(3) Zeitschri/tjur romanisc/ic P/iilolo'jic, m.
102 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
ôo, glôere en glôore. Je crois trouver les traces bien sen-
sibles de cette prononciation même à côté des autres
degrés de l'évolution, dans des mots tels que mo (moi), to
(toi), vor (voir), savor (savoir), espor [espoir], droture (droi-
ture), du Dialogus anime ; enmenot, portot, coiilot, de Li
Romanis VAlixandre; et dans les rimes comme parole,
estoile, Aucheurre voirre, d'Adam de la Halle, ou moeve
apercoeve, noeve recoeve du Roman de la Rose, et même
soef, œf, de Villon.
En tout cas, cet oe [ôo) ne tarda pas, après avoir pro-
duit l'avancement de l'accent, à développer un oé, qui
constitue le couronnement de la seconde phase de l'évolu-
tion de Voi: 61, ôe, oo, ôo, o long, oé, caractérisée, comme
on vient de voir, par le changement de l'élément palatal
i par un autre élément gutturo-palatal qui parvient à
l'emporter sur l'élément gutturo-labial, qui devient à la
fin atone. L'avancement de l'accent était la conséquence
nécessaire de cette nouvelle évolution, étant donnée la
tendance de la langue française à porter le ton sur les
sons terminaus, par l'assimilation réciproque des élé-
ments phonétiques de la combinaison arrivés à l'état de
OO, qui donnait à peu près o long, d'où, par euphonie oé.
Rossmann(l) explique le changement de ôe en oé par la
loi de l'aptitude sonnante des voyelles de Sievers (2).
Suivant cette loi, une voyelle est d'autant plus sonore
qu'elle est plus prochaine de Va dans l'échelle des sons ;
Va est donc posé comme le son le plus sensible, et
l'échelle de sonorité est établie comme il suit :
La voyelle donc qui soit le plus proche de Va, c'est-à-
dire la plus gutturale, dans une diphtongue, celle-là sera
la plus sonore, et l'accent se portera sur elle dès le
moment où un mot quelconque qui la renferme rentrera
(1) RossMANN, Fransôsischcs oi.
(2) Sievers, Gundsûgcn dcr Phonctik.
ÉVOLUTION DE LOI FRANÇAIS 103
dans le parler commun et courant, pourvu pourtant
qu'un des éléments de la diphtongue doive porter
l'accent. « Tel était le cas — dit Rossmann — dans
l'évolution historique de Vôi ; après qu'il eut avancé
jusqu'à ôe, l'accent dut se porter sur Ve parce que Ve a
plus d'aptitude sonnante que Vo ». Cette explication vient
à l'appui de la nôtre et ne s'oppose nullement à rien de ce
que nous venons de dire. Le déplacement de l'accent de
ôo était exigé par le génie de la langue française ; il restait
à savoir, oo devenu o long, laquelle des deus voyelles,
lequel des deus sons contenus dans o long, le gutturo-labial
0 ou le gutturo-palatal e, aurait le dessus et l'emporterait
sur l'autre dans le développement euphonique diphton-
gue de o long; la plus grande sonorité de Ve l'emporta, et
0 long devint pé; c'est du moins notre avis, et il nous
semble que, en outre de sa conlormité avec les faits, cette
explication est aussi claire que possible.
La période où le déplacement de l'accent sur Ve devint
général fut la seconde moitié du xiif siècle, et la valeur
phonique oé s'est maintenue après pendant longtemps,
et elle est parvenue, quoique à titre d'exception, jusqu'à
nos jours. Pour cette transformation, comme pour toutes
les autres, il faut avertir que la date fixée ne veut nulle-
ment dire qu'à une telle époque se soit produit un chan-
gement quelconque d'une manière tranchée et définitive,
tellement que ni les formes antérieures ne se soient
conservées, ni ce même cliangement n'ait eu des précé-
dents avant l'époque indiquée ; ici, comme partout
ailleurs, il y a lieu d'appliquer et de reconnaître la
vérité de la maxime latine natura nihil fecit per sallum :
à côté d'une forme générale quelconque, il y en a toujours
d'autres qui restent à l'état de patois, de dialectes, de
faits particuliers tant que les conditions du milieu où
elles se produisent ne sont pas favorables pour leur déve-
loppement; mais aussitôt que ces conditions du milieu
viennent à changer, telle forme, jusque là étouffée et
délaissée sinon proscrite et défendue, prent de l'essor
et de la vie, revendi([ue ses droits à l'existence littéraire,
gagne peu à peu du terrain dans le domaine du langage,
104 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
aus dépens des autres formes similaires qui vieillissent
et tendent à disparaître, d'autant plus que la nouvelle
forme se répant, et devient à la fin la seule admise et
honorée par l'usage. Il faut bien se pénétrer de la
manière dont ces évolutions, apparemment si capri-
cieuses, s'accomplissent, pour ne pas tomber en erreur
quand on trouve une date quelconque, même indiquée
vaguement par un siècle, demi-siècle ou quart de siècle,
assignée à une des étapes de telle ou telle évolution.
Après cet avertissement, que nous avons cru néces-
saire pour bien fixer la porlée de nos opinions, nous
devons donner des preuves de la dernière transformation
subie par oi et que nous venons d'étudier; ici nous.
n'avons que l'embarras du chois : le Roman de Renart
nous donne les rimes croire-fere, vet-exploit, convoite-
jete, etc. ; le Roman de la Rose nous fournit f aie-joie,
engoissent-lessent, paroir-air, etc. ; Rutebeuf raine-cha-
noine, moine-enmaine, etc. ; Gautier de Coincy celes-
apostoiles, cloistre-estre, poire-faire, etc. ; Geffroi de Paris
estre-connoistre, estoile-novelle, etc. ; Christine de Pisan
aise-poise, convoite-sou ff'rete, vraies-proies, etc. ; Charles
d'Orléans avoine-Touraine, plaine-avoine, etc ; Villon
Saint Antoine-Seine, fenestres-cloislres, testes-boytes, etc.;
Marot sot'f (suavis) — so//'(sitis), reine- Antoine, mémoire-
repaire, etc. Pour les temps qui suivent, les témoignages
formels des grammairiens, surtout de ceus qui donnent
la prononciation figurée des mots et de ceus qui pré-
tendent réformer l'orthographe en l'accordant avec la
phonétique, ne laissent nul doute sur la valeur oè de oi,
là où cette valeur s'était encore conservée (1) ; nous
reviendrons sur ces témoignages quand nous aurons à
(1) Voyez, Meigret, Le Trettecle la Grammaire françoesc ; Perion,
De linguœ r/allicœ origine ;lîi\yw s, Gramere; Henri Estienne, Deuœ
dialogues du nouceau langage françois italianisé; Pelletier, Dialo-
gue de l'Ortografe e prononciation /rançoesa ; Baif, Etrenes de poésie
françoese, etc. Voj^ez aussi Livet, La Grammaire et les grammai-
riens du seizième siècle; Quiciierat, Traité de versification fran-
çaise ; Darmesteter, Le seisième siècle en France; Didot, Obserca-
tions sur l'orthographe ou orthographie française.
ÉVOLUTION DE LOI FRANÇAIS 105
étudier l'évolution graphique de l'o/ où ils nous serviront
de guides.
Revenons maintenant sur nos pas : oi, devenu oé, va
désormais suivre une double <lirection : dans un sens il
va devenir oâ, dans un autre il se transformera en e.
Pour bien comprendre cette double transformation, rap-
pelons-nous les diverses sources de la combinaison oi,
et arrêtons-nous sur Yei de l'ancien français, provenant
en général d'un e long latin ; c'est la source la plus
féconde; parmi les formes qui en découlent, se trouvent
tous les imparfaits de l'indicatif et tous les conditionnels;
l'exceptionnelle importance de ce groupe de formes, tant
par leur nombre que par la fréquence de leur emploi,
mérite d'arrêter nos regards d'une manière tout à fait
spéciale.
Nous savons que les terminaisons des imparfaits latins
étaient, suivant les conjugaisons, abam, abas, abat ou
ebam, dms, ébat : amàbam, amâbas, amàbat; mouébam,
monébas, monébat : lerjébam, legébas, kg ébat ; audiébam,
audiébas, aurliébat, formes toutes toniques, qui portaient
l'accent sur r«ou sur Ve qui précédait le b. L'obscurcis-
sement de Va d'abam^ abas, abat, produisit, dans les
dialectes dérivés du latin parlés en France, la confusion
des deus formes, et il ne resta que la terminaison
ébam, ébas, ébat pour servir de point de départ à l'évo-
lution que le français devait accomplir en prenant les
formes latines pour constituer ses conjugaisons. Les
divers dialectes de la langue française nous donnaient,
à côté des terminaisons latines, les formes que voici :
i" Une forme en éve, éves, éve{\) correspondant générale-
ment aus verbes latins en al)am, abas, et appartenant
surtout à quelques variétés dialectales du nord-est {cluui-
tève, c/iantèves, cliantève; taisève, taisèves, taisève). 2" Une
autre forme en eie,eics, eiet ou eU, correspondant surtout
(1) Chassang, Bruuot, Clôdat, etc. Le professeur Stengel, en corri-
geant les épreuves de cet article dans sa première rédaction, veut
que celte forme des imparfaits soit rendue par éec, écet^, ère plutôt
que par èce, èces, ècc. Voyez aussi LiicKiNG, Die àltcstcii fransô-
sisc/ien Mundartcn, et Neu.mann, Zur Laut-Und Fleaeionslchrc des
Altjranz-ô2i!<chcii. — [ 11 faut en effet ôcc] L. C.
106 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
aus verbes en ebam, ebas, ébat, et appartenant principa-
lement ans dialectes de la Normandie (aveie, aveies, aveit;
esteie, esteies, estnct ou esteit). 3° Une forme en 6i, ois,
ait, appartenant aus parlers de la Picardie et de la Bour-
gogne (chantoi, chantois, chantait ; avoi, avais, avait) avec
quelques variantes plus ou moins marquées, suivant que
Va était plus ou moins ouvert ou labial, ou que 1'/ se rap-
prochait plus ou moins de Ve.
Qu'arriva-t-il dans la lutte engagée par ces diverses
formes les unes contre les autres pour avoir le dessus,
tant dans le langage des écrivains et de la cour que dans
celui des gens illettrés ? Ce qui arrive dans toutes les
luttes : l'adversaire le plus tort remporta la victoire. Or
comme la forme phonique la plus forte était celle en
ai, oLs, oit, suivant la loi de sonorité de Sievers, et que
d'ailleurs l'Ile-de-France était alors très influencée par
la Bourgogne, voilà tout naturellement adoptée la pro-
nonciation picarde et bourguignonne (I) comme la plus
correcte, de même que l'était aussi l'orthographe en oi,
par analogie avec des mots comme crais,pais, qui avaient
le même son, et acceptées partout les formes chantoi,
avois, rompait {'2,), qui se prononçaient à peu près (l'évo-
lution de pi en oé étant une fois accomplie) chantaè, avaè,
rampaè, en glissant tout vite sur l'o, légèrement teint en
oUj, c'est-à-dire en déplaçant l'accent originaire qui,
porté d'abord sur Vo, d'après ce que nous avons exposé
plus haut, s'avança à la fin sur 1'^^ en étouffant, ou à peu
près, Vo précédent. De cette prononciation de la combi-
naison graphique oi, dont nous'pouvons aisément suivre
les traces parfaitement conservées à travers les écrits de
Palsgrave, Meigret, Pelletier, Périon, Bamus, Baïf, Pas-
quier et Bèze dans le xvi^ siècle, et de Poisson, Simon,
Godard et Somaize, parmi d'autres, dans le xvn^ nous
avons encore des débris dans des mots tels que coin, foin,
loin,oii Voi se trouve influencé par le n, et chacun sait que
dans les campagnes des environs de Paris et ailleurs, on
(1) Voyez DiEZ. Grammntil,- <lcr rotnanii'chen Spraclten. — Bonn.
-1856-60 (2'- édit.).
(2) Parfois écrites c/iantoi, ami, roinpoi, etc., parfois chantoir,
a cote rompoie.
ÉVOLUTION DE LOI FRANÇAIS 107
dit encore aujourd'hui la foc pour la foà, le roè pour le
roà, etc. Si nous ajoutons que, par une fausse orthographe
introduite lorsqu'on avait perdu le bon sens linguistique,
s'il nous est permis de nous exprimer de la sorte, on prit
l'habitude de faire finir les premières personnes du singu-
lier des imparfaits de l'indicatif par un s (1), et que toutes
ces transformations se sont appliquées nécessairement
aus conditionnels (qui ne sont que les composés syn-
copés des infinitifs et des imparfaits : pavlcr-avois =
parler-ois ; ftnir-avoit = finiv-oit ; rendre-avoit = rendr-
oU), nous voilà arrivés à l'orthographe uniforme des
mots et des flexions en oi pour la représentation du son
oê : chaniois, chantewis, connoistre, français, lois, mon-
noics, roide.
Jusqu'ici nous ne nous sommes pas occupé de l'évolu-
tion graphique, parce que jusqu'à l'invention de l'im-
primerie cette évolution, par le manque de règles encore
non formulées, était généralement laissée à l'arbitraire
des copistes, et chacun, suivant ses goûts, son éducation
ou ses préjugés, employait une orthographe fantaisiste,
tantôt modelée sur les manuscrits latins, tantôt réglée
par la prononciation, plus ou moins correcte, de celui
qui en faisait usage, tantôt enfin, ce qui était assez
fréquent, bizarrement éclectique, ici écrivant un mot
d'une façon et là le rendant d'une autre, sans règle ni
logique. Mais dès le moment où nous approchons de
l'invention de l'imprimerie qui, par l'exacte reproduc-
tion des exemplaires, allait fixer l'orthographe et répan-
dre ses principes dans le grand public, en agissant d'une
manière aussi directe que puissante sur l'éducation litté-
raire, tantôt subissant l'influence de la prononciation,
tantôt réagissant sur la prononciation elle-même, nous
ne pouvons plus laisser de côté l'étude de l'évolution
graphique, et nous devons rendre compte des efforts
tentés i)ar les écrivains, grammairiens ou litléraleurs
(1) Voy. SucHiEiî, traduit par Monht, Le Français et If Prorenral,
p. 100. L'iiitroductioii de ce « dans les premières personnes date du
XIV siècle; on a tellement perdu le sens étymologique dos formes do
la première personne, qu'on a cru que les formes croi, roi, etc., sont
des licences poétiques.
108 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
pour modifier rorthographe, d'autant plus que ces
efforts, visant toujours à mettre d'accord l'écriture avec
la prononciation, viennent tout exprès à notre aide
pour nous éclairer dans notre voie et pour nous fournir
de précieus renseignements aussi précis que possible
sur les variations de la prononciation (1).
Deus siècles environ s'étaient écoulés depuis la géné-
ralisation de pe, et cette prononciation, de même que le
système graphique qui en rendait compte, avait dominé
presque sans contestation pendant tout ce temps dans
le langage français. On trouvait, il est vrai, plusieurs
nuances de prononciation entre le son oe de certains
cantons du Nord-Ouest et le son oà dont le Père Buffier(2)
se plaignait encore au commencement du xvnr siècle,
lorsqu'il constatait que c'était la prononciation commune
à Paris « même parmi d'honnêtes gens ». Il n'en est pas
moins vrai que partout, au Nord comme au Midi, on
écrivait par oi toutes les terminaisons des imparfaits de
l'indicatif et conditionnels, des adjectifs de nationalité,
des verbes en oistre et de pas mal de substantifs où l'on
entendait le son oé ci-dessus cité, tels que monnoie,
gloire, ainsi que d'adjectifs tels que foible, roide. etc. Ce
fut l'époque, passez le mot, du monopole grapho-pho-
nique de Voi = oé dans le français (3).
(1) La partie vraiment originale et nouvelle de notre étude est pré-
cisément cette évolution graphique dont nous parlons, tout ce qui
précède n'étant réellement qu'une espèce d'introduction à l'exposé des
efforts tentés par les écrivains pour mettre d'accord la graphie avec
la phonétique. Nous tenons à déclarer que si pour l'évolution phoné-
tique nous ne faisons en général que répéter (non sans quelques
doutes, et en nous réservant pour une autre occasion le droit de con-
trôler les faits et de rectifier les thèmes) ce que d'autres ont déjà dit,
pour l'évolution graphique notre travail est tout à fait original, et nos
recherches tout à fait personnelles.
(2) Claude Buffier, jésuite : Giriinmaii-c /'rançoisc sur un jilan
noueeau. — Paris, 1709.
(3) Ampère, Formation de la lanfiue française, croit que l'ancienne
prononciation de oi était otié; mais Diez — Grain, des rom. spracheri
— lui fait remarquer le peu de fondement de son opinion. On pourrait
pourtant soutenir la prononciation ouô, mais seulement comme une
des nuances extrêmes du son de oi ; de même en effet que le son de
l'o flottait entre l'o et Vou, celui de 1'? flottait entre Vè et l't'.
ÉVOLUTION DE L OI FRANÇAIS 109
A côté pourtant de ceus qui employaient l'orthograplie
routinière en oi, il y avait d'autres qui n'hésitaient pas à
traduire par des signes plus appropriés la prononciation
courante sans l'afîubler d'ailleurs, ce qui était logique,
des inventions et des chinoiseries des latinistes ; c'est à
ceus-là que nous sommes redevables de la constatation
des laits phonétiques qui nous permettent de suivre pas
à pas les progrès de l'évolution phonographique. Nous
trouvons ainsi dans un glossaire latin-français du
xve siècle (1) le mot crois rendu par croais et le mot
mâchoire écrit maclioere, tandis qu'un autre diction-
naire de la seconde moitié du même siècle (2) écrivait
ce dernier mot macliouere. Le xvf siècle nous fournit
de nombreuses preuves du maintien du son oé : Pals-
grave (3), en 1530, donne pour l'o de oi le son o, et pour
i un son presque égal à a (4), tant dans les mots mono-
syllabiques devant s, t, x terminales ou dans les poli-
syllabes devants, t, terminales aussi, que dans l'intérieur
des mots lorsque oi va suivi de / ou r : boys, fois, soyt,
croist, noix, croijx pour le premier cas ; aincoys, Francoys,
disoyt, lisoyt pour le second ; poille, noille, gloyre, croyre
pour le troisième; dans tous les autres cas lorsque Voi
était terminal ou qu'il était entre deus voyelles, ou qu'il
était suivi d'une consonne autre que celles que nous
avons citées, oi avait un son semblable à Voy anglais
dans boye : ainsi se prononçaient soy, moy, moyen,
envoyer, oyndre, moytie (o). Sylvius, en 1531 (G), ne
(1) Glof<!^arium lut. (jaLl. Bibl. imp. MS 7679 cité par Didol. Obxcr-
cations sur l'ortlio<jraplic ou l'oftof/rqfio J)-anraise.
(2) Glosaarium gallico-lat. MS 7684 de la même Bibliothèque; ibid.
(3) Jehan Palsc.ravk, L'esciarcissemant de la langue /rancoyse
com/iose par maistre Jehan Palsrjrace, j\ngloys natyf de Londres et
gradue de Paris. Londres, 1530.
(4) « Alniost like en a « ; c'est évidemment, pour nous du moins, un
e ouvert.
(.")) Voyez, outre L'csclarcisscment du même Palsgrave, Die Aus-
sprache des Fransôsischen de Lûtoenau ; La Grammaire française et
les Grammairiens duwv siècle de Livet; Sciiuchardt, Litterarischcs
Centralblatt, 1877; Ulbuich, Zeitschri/t fur romanische Philologie.
(6) Jacques Sylvius (Dubois) : In linguam gallicam isagcagcPuris,
1531. — C'est à Sylvius que nous devons la distinction du,/ d'avec Vi
du (5 d'avec I'm. 11 cm])loyait généralement le patois picard.
110 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
parvint pas à bien faire la distinction de la prononciation
d'avec l'orthographe, et c'est pourquoi il donne pour le
son d'oi la représentation d'o + i- Meigret, quelques
années plus tard (i), en écrivant dans son ouvrage le
plus renommé et le plus discuté et combattu, le Tretté,
le mot fmnçoese, témoignait ainsi formellement de la
prononciation de Voi en même lemps qu'il le remplaçait
par oe. Pelletier, en 1550 {^), déterminait mieus encore
cette prononciation en la rendant par oe à sa manière :
fmnçoese. Périon. cinq années plus tard (3), signalait
aussi oé, mais seulement pour Voi des syllabes finales ; il
écrivait droëct à côté de crolstre et prononçait vouloir
comme vouloér, et il disait : « Cum oi est extrema syllaba
» aut ejus pars, manet illa quidem tota, sed tamen
» novum quendam sonum i efficit qui ad e accedere
» videtur, ut //oî moi, ^ol toi, ita pronunciamus ut si moé,
» toé esset (4). » Dans Ramus (la Ramée), en 1562, les
exemples de ïoe comme écriture phonétique abondent
partout (5) : dans un seul alinéa nous trouvons avoer,
avoe, toutefoes, pretendoet, fiwisoes, etc. De Baïf, en
1574(6), emploie des moyens semblables à cens de Pelle-
tier pour rendre sensible la prononciation de Voi en
écrivant fmnçoese. Claude de Saint-Lien, dans le dernier
(1) Louis Meigret : Traité touchant le commun usage de l'escri-
ture/rançoise; auquel est débattu des Jdultes et abus en la craye et
ancienne puissance des letres. — Paris, 1545. — Le trette de la gram-
maire françoese, Paris 1550. — Meigret fut un des plus chauds
partisans d'une réforme orthographique et donna son nom à l'école
des meigrcttistes.
(2) Jacques Pelletier, du Mans : Dialogue de l'ortograje e pro-
nonciation françoese départi en deus Hures. Poitiers 1550. — L'Art
poétique depiarti an deus Hures, Lyon, 1555.
(3) JoACHiMi Perionii bencdictini cormœriaceni Dialogorum de
linguœ gallicœ origine eiusque cum grœca cognatione libri quatuor.
— Paris. — 1555.
(4) Théodork dk Bkzi': recommande aussi de prononcer moi, toi,
loi, comme moai, toai, loai; « ai, dit il, pro e aperto ».
(5) Pierre Ra.mus, ou delà Ramée; Gramere, Paris, 1562 (édition
anonyme).
(6) Jean Antoine de Baïk : Etrénes de poéïie françoese an cers
mezurés. — Paris, 1574.
ÉVOLUTION DE l"oI FRANÇAIS 111
quart du xvi^ siècle (1), rent encore voiidrois par voii-
droé, et enfin, même au commencement du xvne siècle,
nous trouvons, dans Simon (2), bâtissait écrit, suivant
son système, baatissoeet. Et si nous demandions aus
rimes de nouvelles preuves de la prononciation en oé,
en outre de celles que nous avons déjà plus haut ramas-
sées, nous pourrions citer avec Diez (3) des liaisons
comme pécheresse-paroisse, damoy selles- estoiles, en y
ajoutant beaucoup d'autres comme maistre-accroistre,
senestre-conçpioistre de Marot, paroistre-estre, adroitte-
Poete de Mathieu Régnier (4), etc., etc.
Mais dans le royaume du langage comme partout
ailleurs, il n'y a rien de vraiment solide, et le domaine
graphique de Voi que nous venons de voir assailli
par les oé des uns et par les oè des autres, et qui
paraissait être si bien fondé, était exposé, de même que
le domaine graphique de Voè qu'il prétendait repré-
senter, à tous les dangers, à toutes les révolutions. Le
son è de Voé grandissant de plus en plus aus dépens de
l'o, tendait sans cesse à rester le seul que l'on puisse
entendre; et la répugnance de quelques dialectes pour
la prononciation en oè et l'introduction dans la cour des
(1) Claudii Sancto a Vinculo de Pronuntiatione llnr/uœ galUcœ
libri II, ad illustrissimam sirnulqtce docUssimani Elisahetham
Anglorum Rer/inani. — Londros 1580. — Le livre de Claude de Saint-
Lien contient des dialogues très curieus où chaque locution latine est
traduite en français avec; rancienne et la nouvelle orthographe et
prononciation.
(2) Etienne Simon, docteur-médecin : La craye et ancienne ortho-
rjraphe française restaurée, tellement que désormais l'on aprcndra
parfaitement à lire et à escrire et encore auec tant de facilité et
breueté que ce sera en moins de mois que l'on ne faisait d'années. —
Paris, 1609. — L'orthographe du titre ne nous renseigne que très im-
parfaitement sur le système de notation de l'auteur; en voici un
échantillon .•
Ssache, o blasfeemateur, q'avant sseet uniueers
Dieu baatissoet anfcer. pour punir lees peerueers
Dont le .ssans orgeilheus an jugement apeele
Pour ssanssureer ssees fées la ssaj cesse eetérneele.
(3) Diez, Grammatik der romanischen Sprarhen.
(4) Voyez Quichekat : Traité de eersifiration française ,
112 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Italiens, dont les oreilles se sentaient blessées par de tels
hiatus et dont la langue ne parvenait jamais à les rendre
fidèlement, ne faisaient qu'aider, et d'une manière bien
puissante et décisive, à produire la transformation pho-
nétique de Voè en è et la métamorphose graphique de
ïoi en è ou ai. Qui pouvait se douter que les guerres des
xye, xvF et xvne siècles, qui changèrent tant de fois la
carte de l'Europe, la politique intérieure, qui subit tant
de variations, et le mariage des rois et des princes
français qui choisissaient leurs épouses tantôt parmi les
maisons princières italiennes, tantôt parmi les prin-
cesses d'Espagne, d'Angleterre ou d'Allemagne, qui pou-
vait se douter, disons-nous, que tous ces faits, réalisés
dans le champ de la guerre, de la politique et de la
diplomatie, auraient un tel retentissement dans le
domaine si éloigné du langage qu'ils aboutiraient au
renversement du pouvoir de Voi = oè et à l'intronisation
de Voi ^= è? Rien n'est pourtant plus exact.
Il faut, pour bien comprendre cette double transforma-
tion, ne pas l'attribuer seulement, comme c'est l'habi-
tude, à l'influence italienne, quoique Ton ne puisse non
plus nier le rôle considérable joué par cette influence
dans l'évolution de ïoi. J'avoue sincèrement que moi-
même j'avais cru d'abord, égaré par les nombreus et
autorisés témoignages des grammairiens du xvf siècle,
que l'influence italienne, à elle seule, avait suffi à pro-
duire le changement de oè en è\ une fine remarque du
savant romaniste Stengei (1) me fit réfléchir sur la pres-
que impossibilité d'une transformation phonétique pro-
duite par la seule action, quelque puissante qu'elle fût,
de la cour, et répandue tout de suite dans toutes les
classes de la société; c'est que je ne tenais pas compte de
l'existence en Normandie, en équivalence de Voi français,
(1) « Waruin aber. — me (l(Mn:uKl;ut-il en faisant la correclion de
l'épreuve de cet article que M. Victor lui avait envoyé, — bebielt
demi danuoi seine Aussprache in Worten wie/o/,etc.?» Cette question,
à laquelle je répondrai plus loin, servit à me donner l'éveil, et je ne
tardai pas à me convaincre qu'il fallait d'autres causes pour produire
un cbangement phonétique si considérable et si général.
ÉVOLUTION DE LOI FRANÇAIS 113
(run el prononcé è (1), et que par conséquent, simulta-
nément aus formes fmnçois, parloit du français commun,
il y avait les tormes f)wiceis, parleit [fransoè, parloè et
fnuisê, parlé respectivement) dans le normand et qu'il
faudrait nier la lumière du soleil pour ne pas admettre
l'action directe et de tous les jours de ces formes-ci sur
celles-là et réciproquement. Si Ton n'oublie pas non plus
l'influence de l'accent et l'affaiblissement de la voyelle
atone des diphtongues et si l'on compare après le sort de Voè
avec le sort de Veu {deii devenu du, S(?///' devenu sur, meur
mur, etc.), on arrivera aisément à établir que la tendance
générale à la simplification par la loi de la tonicité a été
la cause première de la transformation que nous étu-
dions; qu'à cette cause s'est ajoutée l'action du dialecte
normand dont les rapports avec le français étaient aussi
directs et contmus que possible; que le caractère de fai-
blesse et le peu de stabilité du son de la voyelle préposi-
tive de la diphtongues^ ne servait qu'à hâter l'absorption
de cette voyelle par la voyelle postpositive; et qu'enfin
l'influence italienne de la Cour, coïncidant avec ces autres
causes, et trouvant une atmosphère toute préparée pour
la réussite, s'est posée comme la eause occasionnelle de la
transformation indiquée. Voilà les conclusions où je suis
arrivé et qui se trouvent d'ailleurs tout à fait conformes
à celles de Diez (2) et de Rossmann (3).
(1) Voyez Roinania, xi, Dikz — Gramm. dcr roin. Sp., — Metzke.
Dei- dialekt con Ilo-de-Franœ in IS und 14 Jh. — Pour ne pas citer
d'autres autorités, je me contenterai de produire celle de Gaston
Paris, qui, dans le volume de Roinania en cours de publication, en
faisant le compte rendu d'un livre de Bartsch, dit : « le normand dit
réellement non pas nicis, mais bien me [Rom. xviii). »
(2) « Ilemaniuons — dit-il — que la prononciation ci, (|uoique limitée
par un petit nombre de mots el de formes, se répandit de la Norman-
die, à ce qu'on croit, sur l'Ile-de-France, et lut établie comme clas-
sique, grâi'e ;\ l'influence des courtisans italiens, bien qu'autrefois
la prononciation picarde et bourguignone oi y eût été dominante
(Du;/,, Grammatik, traduction d'Auguste lîrachet et de Gaston Paris).
(.3) « Si dans quelques mots, — dit-il, — la prononciation è de la
cour est aujourd'hui démontrée par les grammairiens, nous osons indi-
quer que l'influence italienne s'est bornée à pousser tout au plus la
tendance existante depuis bien longtemps en français à la simplifica-
tion de o(! » (Rossmann, Fi-anùt^it^chc^ oi).
Revue dk puilologik, v. b
114 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
La révolte, quoique latente, se produisit, au contraire
de foules les révoltes, en apparence du moins, de haut
en bas. Le séjour au delà des Alpes des soldats de
Charles VIII, de Louis XII et de François I«', à l'époque
où l'éclat des arts et des sciences de la renaissance ita-
lienne éblouissait l'Europe entière, était déjà un pas bien
considérable vers l'effacement de ïo de la diphtongue oè.
L'entrée en France, pour s'asseoir sur le trône et y impo-
ser la mode et le goût, des princesses de la maison de
Médicis marqua, si nous osons nous exprimer ainsi, le
début officiel de la réforme phonétique que nous étu-
dions.
L'influence italienne, qui se prolongea dans la Cour
depuis Catherine de Médicis jusqu'à Mazarin, joue en
effet, on aurait tort de le méconnaître,, un rôle des plus
considérables dans cette transformation. La langue ita-
lienne manque du son oè et la Reine et sa suite auraient
eu grand'peine à le prononcer comme il faut« nam ab liac
diphtliongo sic ahhorret italica llngua » suivant le mot de
Bèze. Au lieu donc de dire, comme c'était alors l'habitude
à Paris, les Amjloès, les Portugoès, ûloèt, venoèt, la Reine
disait les Angles, les Portugès, aie, venè; tous les courti-
sans, c'est une règle aussi vieille que le monde, s'em-
pressèrent d'imiter la souveraine, et le peuple parisien à
son tour, développant en même temps la tendance
naturelle de la diphtongue à la simplification, s'empressa
d'imiter les courtisans, et les provinces enfin, quoique
plus lentement, tinrent à honneur d'imiter la capitale.
C'est toujours le sort de toutes les modes heureuses qui
font le tour du monde, surtout si elles naissent dans des
circonstances favorables, lorsqu'elles sont imposées par
le goût de cens qui en tiennent le sceptre. Un écrivain
espagnol du xv« siècle faisait ressortir cette puissante
efficacité de l'exemple quand il procède d'en haut en
disant dans son langage coloré : « Jugaba el rey, éramos
tuilos tahiwes : estudia la Rei/ua, somos agora estu-
dianles{i). » Lorsque Marie de Médicis, un demi- siècle
(1) C'est-à-dire: « Le Roi joiuiit, nous étions tous des tripoteurs; la
Heine étudie, nous voilà maintenant des étudiants. »
ÉVOLUTION DE l'oI FRANÇAIS 115
après, donna l'autorité de son exemple et de son nom à
la mode linguistique, la révolution se trouva faite, sans
troubles, d'une manière graduelle et presque insensible,
d'autant mieus que dans la prononciation oè, le son o,
comme nous ne le savons que trop, était presque étouffé,
en sa qualité d'inaccentué, et menaçait déjà de disparaître
devant le son tonique è à la première occasion.
On ne doit pourtant pas croire que le triomphe de Vè
sur Voè eut lieu sans combat ; sans doute il gagne tou-
jours du terrain ; mais on trouve dans les xvi^ et xvu" siè-
cles beaucoup de cas où tantôt nous entendons le son è,
tantôt oè pour les mots écrits par oi. La triple alliance —
passez le mot — formée pour renverser le son oè se trouve
parfaitement décrite par le grammairien Bèze (1) qui di-
sait déjà à propos du changement qui avait lieu de son
temps : « Hujus diphthongi pinguiorein et lallorem soninn
» (oai) nounulli vitanles expuwjunt o,et solam diplithonçjum
» ai, ifl est e apertum relinuerinii ut Nornuouii qui pvo ïo[
» [fuies] scribunt et pnmunc'nuil fai ; et vuhjus pavisien-
» siiim parlet (loquelmtur) allet (ibat) venet {venieljat) pro
» parloit, alloit, venoit et Halo Franel pro Anglois, Fran-
» cois, Escossois pronuntiant Angles, Frances, Ecosses,
» per e apertum, ab Itcilis nominibus Anglese, Francese,
» Scozzese. Nam ab liac cliphthomio sie abhorret Italica
>■> luiqua, ut Un, moi, et similia per (liali/slii produeto
)) etiam o pronuntient fo-i et mo-i dissyllaba. » Il y avait
donc une influence dialectale, une autre étrangère et une
troisième de la Cour qui s'accordaient toutes trois à
effacer le son o de la prononciation oè de oi en transfor-
mant cet oi en ai ou en e ouvert. Contre toutes ces in-
lluences qui venaient favoriser l'action, si puissante à
elle seule, de la tonicité, la routine et la tradition s'effor-
çaient pour maintenir leurs droits.
Le travail évolutif de la langue s'était spontanément
exercé sur qu(Mques mots isolés provenant en général
d'un ei dont la source était principalement un è long
latin, soit originaire, soit produit par contraction après
(1) TiiKouoru; m; Bkzf. : De ffancii-œ Uiujuœ recta pronunriatione
trurtatus. — Paris, 1584.
IIG REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
la chute d'une consonne mtevméâmve ( pœna, regina) ;
lorsque cet ancien ei était suivi d'une nasale ou des
liquides /, r, l'évolution en è était si naturelle que nous
trouvons, bien longtemps avant la simplitication de ïoi
des imparfaits, plusieurs mots où ïei donnant oi était
devenu è de très bonne heure ; c'est le cas pour chan-
delles à côté de chandoiles dans le Roman de Renart :
vaire, nécessaire, exemplaire, à côté de voire, necessoire,
exemploire, et paintes à côté de pointes dans le Roman de
la Rose ; mains [de minus) à côté de mains (de manus) et
painne à côté de poinne, dans Rutebeuf ; mains (de manus)
à côté de 7nains (de minus) et chandeles à côté de chan-
doiles, dans Gautier de Coincy; apostelle à côté iVapos-
toile, dans Jeffroy de Paris; paine, fontaine, dans Christine
de Pisan; plaine, paine, sepmaine, dans Charles d'Orléans;
reine déjà dans Marot, à côté de royne employé encore
par Villon ; verre, dans Régnier à côté de voirre dans
Marot. Nous pourrions multiplier indéfiniment les exem-
ples, car nous en trouvons partout ; mais il suffit de
ceus-ci pour prouver notre thèse.
Ce travail évolutif, dont nous venons de voir les pro-
grès, avait déjà produit, dans lexvi^ siècle, le résultat de
fixer le son f dans un grand nombre de mots, d'un usage
assez commun, ce qui n'était pas le moins propre pour
favoriser un changement semblable dans des cas où
l'analogie d'origine ou la ressemblance des éléments
phoniques étaient frappantes ; c'est alors que les in-
tluences de l'Italie et de la Cour italianisée vinrent
aider le mouvement. Le premier groupe des oè qui eut à
subir la transformation fut celui des imparfaits des ver-
bes à voyelle radicale finale : étudi-er, cré-er, lou-er ;
l'hiatus de lou-oè, cré-oè, étudi-oè était par trop désa-
gréable pour ne pas tâcher de l'éviter; Pelletier (1) témoi-
gnait, en looO, du changement qui avait eu lieu dans ces
imparfaits en disant : « Nous prononçons priet, criet,
» eludiet et toutes tierces personnes de l'imparfait indi-
» catif venant des infinitifs en ier, toutefois, nous écri-
(1) Jacques Pelletier, du Mans : Dialoijur de l'ortograjçe pronon-
ciation françoese départi an </('itt< liurçs. —Poitiers, 1550.
ÉVOLUTION DE L*OI FRANÇAIS 117
» VOUS pi'ioU, eludioit ; nç nous est permis d'en user au-
» trçment, car ce serait fairç tort à l'usagç, à la déduc-
» tioii et à rintelligencç des mots ». Le premier pas
fait et le succès acquis, rien de plus naturel, l'influence
de la Cour aidant, que de développer la règle établie pour
quelques verbes et de l'appliquer à tous les autres; c'est
ce qui arriva et ce que le même Pelletier nous fait savoir
lorsqu'il ajoute à ce que nous avons copié : « E mesmç.
» aujourd'hui s'en trouvçnt qui s'estiment grands cour-
» tisans et bien parlans qui vous diront : f ailes, je feses,
» il diret, il iret. » On voit ici que le son è avait déjà
envahi non seulement le domaine de Voè de tous les im-
parfaits, mais aussi celui des conditionnels, et sans tenir
nul compte des exigences euphoniques qui lui avaient
d'abord frayé le chemin, ce qui n'était que trop logique ;
mais il faut remarquer que, tandis que l'emploi de Vè
pour les verbes à voyelle radicale finale ne soulevait
pas de critiques, l'application de cette règle aus autres
verbes, même par Pelletier, qui n'était pas assurément
de ceusqui se piquaient de purisme, n'était employée
que pour constater un fait connu de tous, dont il rejetait
la responsabilité sur les courtisans et les gens qui en
étaient les auteurs : « Mesmes à la plupart des courtisans
» — ajoutait-il — vous orrez dirç i% allèt, iz venèt \)Our
» ils allaient, ils venoienl ».
Les plus chauds adversaires et les plus zélés ennemis de
l'innovation phonique introduite à la Cour hésitaient
parfois, alors qu'il n'y avait pas d'autorité linguistique ni
grammaticale, dans l'orthographe à suivre. C'est pour-
quoi, dans l'avertissement placé en tête des Dialofiues du
kmfjarfe françois ilalianizé, Henri Estiennedisaiten lo78(l) :
« Sçachez, lecteurs, que ce n'est pas sans cause que vous
» avez ici les mesmes mots escrits en deux sortes : asça-
» voir, non seulement fraurois, mais frances et non seu-
» lement Je disais, Je faisiiis, feslois, mais unss'i Je dises,
» Je feses, f estes. Car tant ici qu'es autres lieux ou cette
(1) HivNiu EsTiKNNE : Dru,x ilin.lnguoft ilu nnnrcaa lanf/ar/c/ranrots
italicnizc et autrement (/esr/uizc, pi-inci/ialcnicnt entre les courtisans
de ce temps. — Gcniivc, 1578.
118 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
» diphtongue a esté changé en e (comme les mots dret et
» endret pour droit et endroit) c'a esté pour représenter
» la prononciation usitée en la Cour. » On voit ici, non
seulement le manque de règles et les hésitations de
l'orthographe, mais aussi les progrès de l'évolution pho-
nétique, qui, après la transformation des terminaisons
des imparfaits et conditionnels, avait aussi changé Voè
des adjectifs de nationalité et même de b eaucoup d'autres
mots avec un tel succès, que le même Estiennc, qui
n'aimait pourtant pas la réforme, a vouait, dans l'ouvrage
cité, que l'on n'oserait dire « François ni Françoises sur
peine d'estre appelé pedent; mais il faut dire Frances et
, Franceses comme Auf/les et Angleses ».
L'instabilité de l'orthographe était si sensible et le
besoin de la fixer en conformité avec la prononciation
était si grand, que Henri Estienne même disait alors dans
un autre de ses ouvrages (i) : « J'ay aussi vn mot à dire
» touchant l'ortographe de ce liure : c'est que je ne
» l'approuue pas du tout coriime elle est; ains que ma
» délibération estoit de faire tailler quelques poinçons
» exprès pour les lettres superflues quant à la pronon-
» dation, et toutesfois characteristiques. Mais ayant eu
» le temps trop court pour ce faire i'ay remis tel entre-
» prise iusques à l'autre liure françois promis ci-dessus,
» lequel surpassera ma promesse s'il plaist à Dieu de me
» prester la vie encore quelques mois (2). » C'est aussi
pour éviter des malentendus produits par les différences
de prononciations que le célèbre Meigret, se posant
comme l'avant-coureur du phonétisme moderne, avait
fondé, quelques années auparavant, son école (3) qui fit sa
(1) Hkniu Estienne, Traicté de la conformité du lancjage françois
acoc le f/rec (sans lieu ui date, mais, suivant Didot, à Genève, 1565).
(2) Suivant Didot la multiplicité des travaus de Henri Estienne lui
aura fait ajourner ce projet, car toute trace de ce passage a disparu
dans les réimpressions de ce livre. Voyez Didot, Obscrcations sur
l'orthofjra/ihe ou orthografie française.
(3) Je trouve soulignés, dans l'épreuve de la première rédaction de
cet article, les mots son école, et puis, en marge, cette question de la
main de Stengel : « Wer sind die Anhàrgcr Meigret's ? » Je remercie
de tout mon cœur le savant romaniste de l'occasion qu'il me fournit
ÉVOLUTION DE l'oI FRANÇAIS 110
bannière et son programme des principes contenus dans
les livres si discutés du maître le Traité touchant le
avec ses questions de bien peser mes affirmations et de prouver ce
que j'avance s'il y a lieu; d'abord il est démontré par les contempo-
rains, que Meigret fut le premier qui osa aborder franchement la
réforme phonétique de l'ortographe, et c'est déjà bien un titre pour
ne pas lui marchander le nom de fondateur d'école ; puis l'ouvrage
ou les ouvrages de Meigret donnèrent lieu à un mouvement littéraire
auquel prirent part, parmi d'autres écrivains, Pelletier, Ramus,
Ronsard, Baïf, des Autels, etc.; enfin l'appellation de meigrettistcs
souvent employée pour désigner les partisans du système de Meigret
{Traité touchant l'ancien ortographe françois et écriture de la
langue française contre l'ortographe des Meygreitistes, par Glaumalis
de Vezelet),ne laisse nul doute sur l'existence des partisans de Meigret;
mais si l'on nous demande des preuves' plus directes encore, nous
n'avons qu'à reproduire (juelques textes des grammairiens et des
littérateurs contemporains de Meigret. Voici comment s'exprime
Ronsard dans son Abrégé do l'Art poétique [Avertissement au lecteur):
» l'avois délibéré, lecteur, suiure en l'orthographe de mon liure la
» plus grande partie des raisons de Louis Meigret, homme de sain et
» parfait ingénient (qui a le premier osé desiller les yeux pour voir
» l'abus de nostre escriture) sans l'aduertissement de mes amis plus
» studieux de mon renom que de la vérité, me peignant au deuant
» des yeux le vulgaire, l'antiquité et l'opiniastre aduis des plus cele-
» bres ignorants de nostre temps, laquelle temoignance ne m'a tant
» sceu espouuanter que tu n'y voyes encore quelques marques des
» raisons de Meigret. » Joachim du Bellay, dans La défense et
illustration de la langue française, après avoir reconnu que -« l'or-
thographe françoise a esté dépravée par les praticiens » et déclaré
que « Meigret a traité cette partie non moins amplement que docte-
ment » avoue qu'il « approuve et loue grandement les raisons de
ceux qui ont voulu reformer l'orthographie, mais voyant que telle
nouueaute despiaist aux doctes comme aux indoctes » il aime mieus
louer l'intention que de la suivre parce qu'il ne fait pas imprimer
ses œuvres dans le but « qu'ils seruent do cornetz aux apothicaires,
ou qu'on les employé a quelque autre plus vil mestier » ; Pelletier
aussi, sans partager en tous les détails les opinions de Meigret, se
montre très favorable à sa reforme en adoptant plusieurs des innova-
tions introduites imr le renommé maître lyonnais, et pour mieus
faire voir la haute estime qu'il fait de lui, place en tête de son Dialo-
gue de l'Ortografe e Prononciation françoese une Apologie à Louis
Meigret Lionnoes, qui lui valut, quelques mois après, la Réponse de
Louis Meigret à l'Apologie de Jacques Pelletier, de même que les
critiques de Guillaume des Autels produisirent les Défenses et Répli-
ques (le Meigret, (jui n'était pas homme à se taire et qui avait toutes
les qualités d'un fondateur d'école, surtout la conviction de l'utilité
de son système et l'aspiration à le voir pratiqué partout : Jean
li?0 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
commun vsage de Vescriiure fmncolse (1) et Le Tretté de
la Grammaire françoeze (2), premier défi lancé à l'ortho-
graphe traditionnelle qui donna l'éveil à tous les esprits
qui aimaient à voir le langage écrit comme l'image du
langage parlé.
La lutte, après la publication des ouvrages de Meigret,
était engagée, non seulement sur le champ de la pronon-
ciation, mais aussi sur celui de l'orthographe à suivre.
Antoine de Baïf, dans ses Etrcncs de Poc^ic /ransopsc, suit aussi les
traces de Meigret, et déclare bien hautement qu'il peut s'engager
sans crainte dans la voie ouverte par l'innovateur dont il prône les
principes et développe et perfectionne à sa façon les règles ; Ramus,
le savant linguiste lecteur du Roi dans l'Université de Paris, ne fait
non plus que suivre le programme de réforme phonographique for-
mulé hardiment par Meigret, sur l'ouvrage duquel il émet ce flatteur
jugement : « Le bâtiment ds set'euvre (la formation de la grammaire
« française) plu'haut e plus ma/îiflica, e de plu'riÇs e divers'etofs e propre
« a Loui' Megret » ; Pasquier, enfin, pour ne pas trop multiplier les
citations, l'auteur renommé des Recherches sur la France, résume
parfaitement le mouvement produit par Meigret, quoiqu'il le con-
damne sans hésitation, et montre bien l'esprit d'école qui guidait les
deux partis, dans une de ses Lettres à M. Ramus, où il dit : « Or,
» sus, je vous veux dénoncer une forte guerre et ne m'y veux pas
» présenter que bien empoint. Car je sçay combien il y a de braves
» capitaines qui sont de vostre party. Le premier qui de nostre temps
« prit ceste querelle en main contre la commune fut Louys Meigret,
» et après luy Jacques Peletier, grand poëte, arithméticien et bon
» médecin. A la suite desquels vint Jean Antoine de Baïf, amy
» commua de nous deux, lequel apporta encore des règles et propo-
» sitions plus estroites. Et finalement vous pour clorre le pas ». C'es^
assez, je crois, pour justifier mon dire, lorsque j'ai parlé de l'école de
Meigret, et je pense que la qualification de fondateur ou chef d'école,
prise dans un sens large, n'est pas déplacée, appliquée à Meigret,
quoique plusieurs de cens qui y puisèrent leurs idées de réforme
se soient plus ou moins écartés des enseignements du maître, tout
en respectant les grandes lignes de sou programme. Didot le dit
bien clairement : « Meigret eut l'honneur de faire école; pendant plu-
sieurs années on parla beaucoup des tiioigrettistes et l'on rompit des
lances, dont le fer n'était pas toujours émoulu, contre eux ou en leur
honneur. »
(1) Louis Meigret, Traite toucliant le commun rscujc de l'escri-
ture francoise ; auquel est débattu des faultcs et abus en la craye et
ancienne puissance des letrcs. — Paris, 1545.
(2) Louis Meigret, Le trettc de la G rammaire J'rançoeze, Paris,
1550.
ÉVOLUTION DE l"0I FRANÇAIS 121
Il y avait d'un côte les amis de la tradition, cens qui
voulaient conserver quand même la prononciation qu'ils
avaient entendue de la bouche de leurs pères et Tortlio-
graphe qu'on leur avait apprise ; de l'autre côté se trou-
vaient les enthousiastes des innovations, ceus qui pré-
tendaient faire une règle des caprices de la mode ou
des variations de l'usage et qui voulaient aussi que
l'orthographe suivît toutes ces variations et rendit un
compte exact de la prononciation du jour; et je ne parle
pas d'un autre groupe d'écrivains qui, tout épris des
formes grecques et latines, prétendaient travestir le
français au point de le rendre méconnaissable, en res-
suscitant des lettres disparues ou qui n'avaient jamais
existé, en faisant revivre des mots surannés, en créant
des tours incroyables, en enchevêtrant de lettres inutiles
les lettres sonores, et en creusant ainsi le plus profond
abiine entre le mot parlé et le mot écrit, comme si l'un
ne devait jamais être la représentation de l'autre ; le tout
sous prétexte de rappeler les étymologies et pour faire
parade d'une érudition aussi déplacée que gênante et
trompeuse. Je n'ai pas l'intention d'exposer cette curieuse
querelle dans toute son étendue ; je me bornerai seule-
ment à marquer les traits qui font directement partie de
mon sujet.
Pour la phonétique, nous avons déjà vu que le son c.
avait remplacé Xoè du temps de Henri Estienne (la78)
dans les terminaisons des imparfaits de l'indicatit et des
conditionnels des verbes, et dans un grand nombre
d'adjectifs de nationalité; les partisans delà tradition
nationale ne manquèrent pourtant pas de s'attaquer aus
néologues ; ils étaient nombreus et respectables, et ils
n'épargnèrent pas leurs railleries et leurs boutades aus
innovateurs en tournant en l'idicule les nouvelles façons
de parler, mais ils ne pouvaient éviter que la réforme ne
fit son chemin et ne s'appliquât même à des mots sur
lesquels elle revint longtemps après : Guillaume des
Autels épuisa, dans sa dispute contre Meigret (l),tout le
(1) Au Traité touchant le coinman isaijcdi; l'cfc/-iturcJ'rancoise ûc
Meigret répondit Guillauiuc des Autels, sous le pseudonyme de Glau-
122 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
catalogue des bonnes et mémo des mauvaises raisons
contre les reformations : « Pourquoi quelque dame — de-
mandait-il — voulant bien contrefaire la courtisane à
l'entrée decest hiver, dira-elle qu'il iâiifred? » Pasquier,
s'adressant à Ramus, emploie déjà les plus sérieus argu-
ments qu'on ait jamais trouvés contre les réformateurs
de la phonétique et surtout de la graphie : «Je sçay
écrivait-il dans une de ses Lettres au lecteur duRoy — que
» vostre proposition est très précieuse de prime ren-
» contre; car si l'escriture est la vraye image du parler,
» à quoy nous pouvons nous mieux estudier que de
» représenter par icelle en son naïf, ce pourquoy elle est
» inventée? Belles paroles vrayement. Mais je vous dy
» que quelque diligence que vous y apportiez, il vous
» est impossible à tous de parvenir au-dessus de vostre
» intention Je le cognois par vos escrits ; car combien
» que vous décochiez toutes vos tleches à un mesme
)> blanc, toutes fois nul de vous n'a sçeu y atteindre : ayant
» chacun son orthographe particulière, au lieu de celle
» qui est commune à la France. Qui me faict dire que
» pensant y apporter quelque ordre, vous y apportez le
» desordre, parce que chacun se donnant la mesme
» liberté que vous, se forgera une orthographe particu-
» lière. Ceux qui mettent la main à la plume prennent leur
» origine de divers pais de la France et est mal aisé qu'en
» nostre prononciation il ne demeure tousjours en nous je
» ne sçay quoy du ramage de nostre païs. Je le voy
» par eflfect en vous, auquel, quelque longue demeure
» qu'ayez faite dans la ville de Paris, je recognois de jour
» à autre plusieurs traits de vostre picard, tout ainsi
» que PoUion recognoissoiten Tite-Live, je ne S(;ay quoy
malis (le Vezelet, par le Traité touchant l'ancien ort/iofjra/ihe français
et écriture de la langue franeoise contre Vortographe des Meigret-
tistes ; Meigret répliqua par les Défenses de Louis Moigrct touchant
son livre de l'ortographc franeoise contre les censures et calomnies
de Glaumalis de Veselet et ses adherans ; Des Autels riposta par la
Réplique de Guillaume Des Autels auce furieuses défenses de Louis
Meigret ; et Meigret enfin mit un terme au débat par la Réponse à la
désespérée réplique de Glaumalis de Veselet, transformé en Guil-
laume Des Autels.
ÉVOLUTION DE l'oI FRANÇAIS 123
» de son padouan. Le courtisan aux mots douillets nous
» couchera de ces paroles reyrie, allét, tenét, venét, me-
» net. Ni vous ni moy (je m'en assure) ne prononcerons
» et moins encore escrirons ces mots de reiine, allét,
» tenél, venét, et menét, ains demeurerons en nos anciens,
» qui sont forts, roiine, alloit, tenoit, venoit, menoit (1). »
Henri Estienne, le savant auteur de la Précellence de la
langue fvançoise, se moquait à son tour très plaisamment
de la mode linguistique en plaçant vis-à-vis les deus
partis représentés dans un dialogue railleur (2) par
Celtopliile (l'ami des celtes ou français) et Philausone
(l'ami des italiens), en les faisant parler de la manière
suivante : & Celtopliile : Où alliez- vous quand je vous ai
» rencontré ? — Philausone : « Je m'en allés à Space ; car
» j'ai ceste usanze de spaceger après le past et mesme
» qvielqiievolte incontinent après, quand j'ai un peu de
» fastide ou. de marcel en teste. »
Mais tous les badinages des Estienne, et tous les pam-
phlets des Des Autels, et tous les arguments des Pasquier
étaient impuissants pour arrêter l'invasion de la mode,
enracinée déjà a la cour et répandue partout, grâce aus
circonstances politiques et à toutes les autres causes
dont nous avons parlé. Le groupe des verbes en oistre
[paroistre, cotjnoistre) suivit le sort des imparfaits et con-
ditionnels, puis on appliqua un peu partout la pronon-
ciation é à la plupart des oi, quelque origine qu'ils eussent,
La prononciation pourtant n'avait rien de fixe dans le
xvF siècle, pas plus que dans le xvno. Si Ramus employait
partout Voe (3) avoer, pansoes, toute f'oes, pretendoet, loe,
etc., et si Estienne et Pelletier(4) constataient la pronon-
ciation en è des imparfaits et de quelques mots comme
dret, endret (pour droit, endroit (o) nous trouvons en 1579
(1) Œuci-cs d'E.-itiennc Pasquier. — Aïïïiiiardam, 1723.
(2) Dcuc cUalof/ues du nouooau langage J'ranrois itaUanisé et
nut/'oinaiit dei<rjui!é, f)i-i.nripal,cnirnt eiitt-e lex <-ofirtisans de ee tcDipf.
Genève, 1578.
('^) l'iKiiuE Ramus ou de la Ramke, Gramerc. Paris, 1562.
(4) HicNiii Estienne et Jacques Pelletiek, ouvrages cités.
(5) Dans ces mots, et dans quelques autres comme erais (eroit<).
/'raid (froid), sait (soit), etc., la langue a fait un retour; du temps de
124 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
dans Joubert (1) lo mot [musais h côté de droite, et moy
à côte de soguensemciU, ce qui prouve que l'élément oi de
tous ces exemples était aussi différent pour la pronon-
ciation qu'il l'était pour l'écriture; au commencement du
xvne siècle, Poisson (â), qui n'hésite pas à employer une
orthographe à lui et qui écrit, sans doute parce que
c'était là sa prononciation, œt, contrére, jamés, palœs,
écrit aussi étoieut, seroienl, fransois, de même que
Simon (3) plaçait faisoit, français, à côté de parfelement,
batissoet ; trente années plus tard Oudin (4), secrétaire
interprète du Roy, avouait qu'il est « plus doux et plus
mignard de prononcer connaislre, paraistre, drait, frait,
extrait, eourtais, Français, eourtaisie » ; « il y a pourtant
droit — ajoutait-il — qui se prononce droet quand il
signifie la raison de Justice (5) » ; quelques années plus
tard, l'instabilité du son des oi dans les différents mots et
les caprices et les bizarreries de l'usage, ici favorable à
une prononciation, là à une autre, se trouvent parfaite-
Lartigaut (1669) on disait encore ^e^ (soit) et M. A. -F. Didot dit qu'il
avait entendu dans sa jeunesse M. Tracy prononcer il crait (ci-oit)
et endroit (endroit).
(1) Laurent Joubert : Dialo'juc sur la cacograpliiefi-ansaizo expli-
quant la cause de sa corruption. — Paris 1579. — Joubert était
*; médecin ordinaire du Roi de France et du Roi de Navarre, premier
docteur, régent, chancelier et juge de l'Université en Médecine de
Montpellier. »
(2) Robert Poisson : Alfabct nouceau do la crée et pure orto-
fjra/e fransoise et modèle sus icelui en forme do Diœioncro. Dédié au
roide Franse et de Nacarrc Henri IIII, par Robert Poisson équicr
(Aucile) de Valonnes, en Noi-innndie. — Paris, 1609.
(3) Etienne Simon. La eraye et ancienne orthographe françoiso
restaurée, tellement que désormais l'onaprandra parfctemcnt à lire
et à escrire et encor auce tant dejacilité et breueté que ce sera en
moins de mois que l'on ne faisoit d'années. Paris. 1609.
(4) Antoine Oudin. Grammaire françoise. rapportée au langage
du temps. — Paris, 1633.
. (ô) Cette différence entre droèt (droit, jus) et dret (droit, rectum,
rigidum) jette quelque jour sur l'action du vulgaire dans la pronon-
ciation ; dret en effet était le mot courant de tout le monde : allez
tout droit, marcher droit ; droet était le mot classique, un terme
technique (jus) ; voilà pourquoi il avait fait moins de chemin et s'était
arrêté dans son évolution.
ÉVOLUTION DE l'oI FRANÇAIS 125
meiiL exposés dans louvrago de Vaugelas (1). véritable
code grammatical de la langue française par la forme et
par l'autorité; nous y voyons que mo///s était prononcé
mains quoique ce fût blâmable ; que tous les monosyl-
labes en oi devaient être prononcés oè, tels que loy, bois,
dois, quoi), moij, ton, <'*'^^' f'^lh ^lois, etc., en exceptant
froid, crois, droit, soient, voit, que l'on prononçait [raid,
crais, drait, etc. ; que pour les polysyllabes, boire, mémoire,
gloire, foire devaient èti'e prononcés par oè (boère, (jloère)
mais croire, accroire, croyence, croistre, accroistrc, con-
noistre, paroistre, etc. par è {craire, craistre, paraistre) ; il
fallait dire je connais, tu connais, il connait, et non je con-
noès, lu connocs, il connoèt; pour les adjectifs de nationa-
lité, on disait Français, Hollandais, Milanais, Polonais, mais
aussi Genoès, ^ledoès, Ué(ieoès{%\ Patru cependant remar-
quait, sur la prononciation de Français, Anglais, etc. (3)
que « en discours familiers et dans les ruelles cela est
» vrai ; mais en parlant en public, il taut prononcer les
» François, Anglois, Uollandois, Polonois (c'est-à-dire, par
>y oè) ; et quand je haranguai la reine de Suède, je pro-
» nonçai l'Académie Françoise, suivant l'avis de la Com-
» pagnie, qui se trouva conforme au mien. » Il faudrait
croire, en lisant cette remarque et plusieurs autres sem-
blables, comme celle de Vaugelas : « Il faut d'ivc avoine,
avec toute la Cour, et non pas aveine avec tout Paris»,
que les inlluences qui avaient agi sur Voi s'étaient ciian-
gées, et que la Cour, après avoir poussé, sinon inauguré
la transformation de ïoè en è, revenait sur son arrêt et
(1) Claude Favre de Vauoki.as : Remarques sur- la laïKjue fran-
roise. — Paris, 1G47.
(2) C'était toujours raction du vulgaire dans le langage ; pour les
mots qui étaient dans la bouche de tout le monde, révolution était
arrivée au dernier terme de son développement ; pour les mots peu
connus, ou dont l'usage était plus restreint, on les pronon(;ait sacam-
meat, s'il nous est permis d'employer le mot. Pourquoi cependant le
prénom /•'/•« «co/.s-? C'était assinénuMit pour ne pas le confondre avec
/raiirais.
(3) Olivier Patru. Ohseroatioiif^ sur les Ui'iiuinjnes de \'«H;/t'/(/.s.
— Paris. 1(381 (ouvrage posthume).
126 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
modifiait ses goûts (1), La prononciation, même pour les
imparfaits, hésitait encore dans la seconde moitié du
xviie siècle, quoique les progrès de i'è fussent évidents ;
le jésuite Cliiflet (^2) disait en 16o9 : « Aux prétérits
» imparfaits qui sont terminés en ois : comme je par-
» lois, tu parlois, etc., je parlerois, tu parlerois, etc., ois
» se prononce de meilleur grâce et avec plus de douceur
» en e ouvert, ou qui est le même en ai, je parlais, je
» parlerais, etc Quoy qu'à la rigueur on ne condamne
» pas pour une faute de les prononcer en oi. Les etran-
» gers ont tort de dire que cette prononciation est une
» nouveauté ; car il y a plus de quarante ans que je l'ai
» veuë observer dans le commun usage. Il est vrai qu'on
» y a longtemps résisté comme à une molesse affectée de
» langage efféminé ; mais enfin elle a gagné le dessus. »
Somaize, dans le Dictionnaire des Prétieuses (3), nous
donne, parmi les mots réformés par la célèbre <• coterie»,
parêt, parêtre, reconnétre, naître, rédeur, frédeur (4),
conaît, gâtait, mais il nous donne en même temps étoit,
eoûloit, meconnoissante, ef'roij, troisième, éloigner, etc., ce
qui nous montre assez bien les hésitations de l'usage.
En dehors du champ cultivé par les grammairiens, on
ne trouve qu'exceptionnellement quelques traces de
l'évohition qui s'accomplissait dans le langage parlé;
(1) Nous reviendrons sur cette question; voyez plus loin, dans l'ex-
posé de l'évolution graphique, la modification de quelques vers de
Racine.
(2) Le Père Laur,ent Chiflet : Essay d'une parfaite f/rammaire
(le la laïKjae fraiiçoise où le lecteur trouvera en bel ordre tout ce qui
est de plus nécessaire, de plus curieuse et de plus elac/ant en la
pureté, en l'orthographe et en la prononciation de cette langue.
— Anvers, 1659.
(3) Antoine BoDKau de Somaize : Le grand Dictionnaire des
Prétieuses, historique, poétique, géographique, cosmographique,
cronologique et arnioiriquo où l'on cerra leur antiquité, costume,
decise, etc. — Paris, 1661.
(4) DinoT, dans ses Observations sur l'orthographe ou ortografie
française, remarque que certaines amplifications comme celle de
J'rédaur, constatent une prononciation exceptionnelle alors et restreinte
peut-être au cercle des Prétieuses. Les textes cités d'Oudin et de
Vaugelas, et beaucoup d'autres, prouvent le contraire.
ÉVOLUTION DE l'oI FRANÇAIS 127
l'orthographe traditionnelle des premiers impnmés, dé-
guisant les mots, affublait du même habillement les sons
les plus différents, et l'œil trompé ne parviendrait
aujourd'hui à rien distinguer du tout s'il n'était pas
guidé dans ses recherches par la lumière qui se dégage
des études grammaticales de l'époque. Avant que la
réforme phonétique et graphique lût couronnée de
succès, le grand siècle de la France étonna l'Europe
entière de son éblouissant- éclat, et les grands écrivains,
orateurs ou poètes, qui fondèrent l'empire littéraire du
langage trançais, tenus à l'écart des querelles grammati-
cales, sanctionnèrent dans leurs immortels ouvrages
l'orthographe en ai qui était généralement pratiquée, et
que l'on trouve partout dans leurs écrits. Mais il ne faut
pas se laisser méprendre à cette unanimité trompeuse,
et conclure de l'uniformité de l'orthographe à l'unifor-
mité de la prononciation ; il s'en fallait de beaucoup que
cette prononciation des oi que l'on trouvait dans l'écri-
ture fût aussi uniforme qu'elle en avait l'air; nous en
trouvons la preuve dans les poètes mêmes qui hono-
rèrent le siècle de Louis XIV; comment en pouvait-il être
autrement ? Quand nous venons de voir les différences
si tranchées qui existaient dans la prononciation des oi,
il ne faut pas croire ([ue dans les ouvrages où ces diffé-
rences n'étaient pas signalées, elles n'existaient pas. La
prononciation qui correspondait à chaque mot, suivant
les cas, était connue de tout le monde, et personne ne se
laissait tromper par la manière tout à fait égale de repré-
senter des sons différents, comme nous ne nous trompons
pas non plus (|uand nous trouvons oi en roide, en (jloire
et en oujnon. Voici d'ailleurs deus échantillons de la pro-
nonciation en oèi\), ({ue Racine nous donne:
(1) Il y iKiiiolqiuî chose (l'iuccrlaiii dans notre afliruiation et nous
ne saurions fournir — il faut l'avouer— des preuves assez concluantes
de la i)rononciation qua nous attribuons aus mots soulignés dans les
vers; c'est une intuition plutôt qu'une conviction qui nous porte à
établir la prononciation oè; mais la lecture des grammaires de l'époque
vient fortifier tellement notre opinion que nous n'hésitons pas i\
l'avancer comme l'expression de la vérité.
128 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Tenez, voilà le cas qu'on fait de votre exploit.
— Quoi! C'était un exploit que ma fille lisait!
[Les Plaideurs.)
La colère revient, et je me reconnois ;
hnmolons en partant trois ingrats à In. fois.
[Mithridate.)
Corneille et Molière nous fournissent aussi, parmi
beaucoup d'autres, ces exemples de la même prononcia-
tion en oè .
Car s^il avait affaire à quelque maladroit.
Le piège est bien tendu, sans doute il \c perdrait.
(Corneille.)
Tu sais qu'en pareil cas, ce seroit avec yofe
Que je te le rendrois en la même monnoie (1).
(Molière.)
Voici d'un autre côté, deus échantillons de Racine,
que nous choisissons préféremment à cens d'autres
poètes, pour la prononciation en è :
Quel plaisir d'élever un enfant qu'on voit croître,
Non plus comme un esclave élevé par son maître !
{Andromaque .)
(1) Dans la rime jote-moiinole de Molière, je suis tenté de voir, au
lieu d'un oè, un oà ou ouâ; le son oà pour Voi de quelques mots
était alors, comme nous aurons tout de suite l'occasion de le voir, assez
répandu et tendait à remplacer Vc et Voe surtout dans les oi terminaus,
et Molière était, on le sait, le poète à la mode. Et puis n'y a-t-il pas
quelque chose de blessant et d'inharmonique dans ce rendfoè {rendrota)
qui lernie l'hémistiche, plact'ï entre Joio et monnoie, si la lecture de ces
mots devait êivejoè, monoè ? Ne sera-t-il pas plus conforme à la vérité
de lire « que Je te lerendroè en la nu' me monoà », que de lire que je te le
rendroè on la même monoè ? Nous n'osons pourtant trancher résolu-
ment la question; ;\ d'autres plus habiles de la résoudre dé fi uili ve-
inent : c'cv;! assez jioui' nous de la posi^i'.
ÉVOLUTION DR l'oi FRANÇAIS 129
Déti'uisons ces lionneurs et faisons dispar^oitre
La honte de cent rois et la mienne peut-être (1).
{Mithridate.)
Mais il y avait plus encore : l'évolution de Voi arrêtée
pour quelques mots en oè, et arrivée pour d'autres à è,
tendait à faire un nouveau pas, mais dans une autre
direction, en transformant Voè en oà. D'où cette nouvelle
transformation était-elle venue et comment l'expliquer?
« Oua — dit Diez (2) — est uii développement plus avancé
» (que ouè), et comme aucune raison physiologique n'ex-
» plique sa présence, on ne peut mieux le faire qu'en l'at-
» tribuant au goût de la langue, qui trouvait plus commode
» un à à la finale dans cette combinaison. C'est donc le
>i déplacement de l'accent, comme nous l'observerons
» pour ui, qui a préparé la prononciation nouvelle de la
» diphthongue oi, « Le déplacement de l'accent, en effet,
en faisant tomber le ton sur Vè, pouvait produire un dou-
ble effet: l'effacement de ïo, ce qui donnait pour oi è et
le renforcement de l'^^ qui le changeait en a (3); voilà
aussi notre explication de l'apparition de Voà.
(1) Pourrait-on voir dans les oi, de croître, disparoitre des oè,
croHro, disparoctre ? Nous croyons que non , et voici les raisons que
nous avons pour établir la négative ; la rime croètre- mètre n'est pas
admissible, surtout dans un poète aussi soucieus des règles de l'har-
monie que Racine ; l'é de oè n'est pas en effet un simple è ; l'a et l'é
se mêlent tellement que l'e se trouve affecté du son consono-vocalique
de l'p et s'en teint ; en outre, la prononciation des oestre en être était
alors reçue partout ; enfin, Racine, qui était arrivé à prononcer (et
même à écrire, voyez plus loin), faire (fuirois), prononçait assuré-
ment — c'est du moins notre avis — crètro, reconètrc.
(2) Fried. Duîz : Grammatik der romanischcn Sprac/ien, Iraduolioa
d'Aug. Brachct et de G. Paris.
(8) Ce renforcement de Vè provenant d'oè eu a n'est que trop naturel,
Vo est une voyelle guttur-labiale,et l'é une voyelle guttur-palatale ; l'élé
ment commun entre l'é et l'p est la gutturalité ; mais dans l'è la guttu-
ralitédomine, tandis ijue dans Vo c'est la labialité qui est dominante ; le
déplacement de l'accent, portant le ton sur l't', renforce l'élément gut-
tural et produit le changement de l'é en a aus dépens des éléments
guttnraus de l'o dont la labialité s'accroitau pointde devenir presque un
ou, les éléments guttnraus de Vo ayant été attirés par le son pleinement
g.uttural de l'rt. C'est du moins la seule manière satisfaisante d'expli-
. Huer un phénomène pour lequel Diez ne trouvait « aucune raison
pliysiologiciue ».
RliVUE DE HniLOLOGIE, V. 9
130 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Pourquoi maintenant Voi de tels mots était-il prononcé
è,el loi de tels autres oà? Pourquoi françois esi-W devenu
franc es eX François /"ra/isort ? Pourquoi monnoie s'est-il
ctiangé en monè el joie en joàî Vonrqnoi roideur s'est-il
transformé en rédeur, et froideur en froàdeur? Pourquoi
anglois, écossois sont-ils devenus angle, écossè, et danois,
liégeois se prononcent danoà, liéjoàî! Pourquoi connoistre,
paroistre se sont-ils transformés en conèlre, parètre, et
croislre, accroistre en croàtre, accroàlre? Pourquoi ar-
moire est-il devenu armoàre ? Il n'est vraiment pas de
raison assez solide pour expliquer de telles velléités du
langage; on peut dire que ce sont simplement des capri-
ces de l'usage, mais c'est trancher, ne pas résoudre le
problème; car quelle a été la cause de tels caprices?
La seule explication que nous osions hasarder est de dire
que pour les mots où la prononciation en è ne s'était pas
l)ien fixée, la langue, qui avait fait un retour sur ses
pas en conservant Yoè où l'on pouvait le faire encore,
avait développé la tendance gutturale de 1'^' de la di-
phtongue jusqu'à la transformer en a, oà Pour les
imparfaits et conditionnels, tant que pour les noms de
nationalité vulgarisés etconsacrés par l'usage, et pour les
verbes en oistre, la prononciation entrent le dessus, sans
qu'on put la renverser quand on essaya d"y parvenir;
pour tous les autres mots, oè devint oà qui, employé
d'abord dans les monosyllabes foi, trois, loi, croix, vois,
froid, parce qu'il leur donnait un son plus plein, s'appli-
qua plus tard logiquement aus dérivés troisième, loyal,
croisée, froideur, et puis, par analogie, ou par le goût de
la langue, à beaucoup d'autres mots au commencement,
au milieu ou à la fin, sans distinction; pour quelques
mots isolés, qui ne formaient pas de groupe, la pronon-
ciation, tantôt favorable à 1'^^ tantôtà l'a, hésita longtemps
entre ces deus sons et finit par se fixer soit dans l'un,
soit dansft'autre; de là raide et droit, joie et monnaie etc.
Quoi qu'il en soit, ce qui est bien certain et bien
acquis, c'est que cette prononciation ne naquit qu'après
le déplacement de l'accent de la diphthongue ; que les
exemples les plus anciens qu'on en ait recueillis sont de
ÉVOLUTION DE l'oI FRANÇAIS 131
ia seconde moitié du xv« siècle, tels que les rimes de
Villon : barre, carre, poirre[i), et que c'est au menu peu-
l)le parisien que nous devons principalement la conser-
vation, si non l'invention, et la vulgarisation du son
oadQoi;Eenn Estienne en effet remarque(2),qu'«il ne faut
pas moins éviter de prononcer mous, foas, troas, roas,
comme le menu peuple parisien »; Théodore de Bèze (3)
dit de son côté : « corruptlsslme vero parisienslum vulgus
Dorc's ~}.v.zetd^o-jTrxç iinHati, pro voirre (vitriim) sive, ut alii
seribiDil, verre, Uyivvefpak'u farraceaj Hcrlbunl cl proniui ■
liant voarre et foarre itidemque pro trois (très) troas et
tras. » Cette prononciation, malgré tous les efforts tentés
pour la faire disparaître, gagna peu à peu du terrain et ce
qui n'était d'abord qu'une corruption digne de tous les
mépris, ce qui n'était encore arrivé à la fm du xvi" siècle
qu'à ètrc^ employé par le menu peuple, par le vulgaire
parisien, était déjà, au commencement du xviii*, un siècle
après, « la prononciation commune à Paris, même parmi
dlionnétes gens » suivant le témoignage du P. Buffier (4),
et aujourd'hui est la seule prononciation courante pour
Voi orthographique, car pour tous les autres oi, ou
l'évolution graphique s'est consommée {était, serait,
raide, monnaie, anrjlais), ou ils restent à l'état de pro-
nonciations exceptionnelles à côté de la règle générale.
Le nouveau pas que l'évolution en oà de ïoi menaçait de
faire en effaçant tout à fait le son de Vo absorbé par Va,
ce qui n'était que la conséquence logique et naturelle de
ia tonicité de l'a, reste encore à l'état de fait isolé, de cas
de corrujition ou d'exemple de patois sans portée sur la
prononciation courante, malgré ce qu'on pouvait craindi'e
en voyant Bèze, il y a trois siècles, signaler à notre atten-
tion le mot Iras (trois) pour froàs.
(1) Voyoz RossMANN : F/-o/u-/i.</.svAr.< oi. d'où j'ai pris ces cxoinplos.
(2) HiîNRi EsTiiîNNE : D(Ui,E i/ialof/ui's (/u noiiroau lanf/xf/c /raiirois
italianizô, etc.
(8) TiiiioDOUE i)K Bè'/.k: Dr /'/■aii<'i'iae liiu/uac recta /ironuntiatioiii'
Irartatuf'. — Paris 1584.
(4) Claude Bukeier, jésiiilo : (i/riminairc l'ranroi.<c sur un />/<ut
nourcau. — Paris, 1709.
132 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Et ce n'était pas tout non plus .- si ïoi était prononcé
dans- les xvf et xvif siècles tantôt è, tantôt oè, tantôt gà
(sans tenir compte des nuances de ces sons, vraiment
négligeables) il y avait encore un groupe très considérable
de mots où il y avait une autre prononciation : c'était le
groupe où Vol était suivi d'une nasale dans la même
syllabe .- la combinaison oiri avait eu à l'origine la valeur
On [ogn) Vi n'y figurant que pour mouiller le n, de la même
manière que dans les combinaisons il, ille {détail, ver-
meil, bataille, treillis) Yi ne joue pas non plus d'autre rôle
que celui de mouiller le l{\); les rimes besoing-poins,
poing-loing, dans Renaud de Montalban, tesmoing-besoing
dans Huon de Boi\\ed.ux; poing-soing-besoing dansGaydon,
etc., toutes employées dans des tirades de versassonnants
en 0, prouvent assez la prononciation en on :pon, son, Ion,
bezon ; mais comme le son du h mouillé {n\ contient un /,
qui est précisément celui qui donne au n le caractère
palatal qui le distingue du u, cet / dans le développement
delà langue, se dégagea du n, et la décomposition du n
donnant i-\-n, on donna à son tour o-l-Z-f-^^- Cette pronon-
ciation eut très peu de durée ; 1'/ devant n, dans le Roman
de la Rose et dans Rutebeuf, s'est déjà transformé en e et
oin en o-j-e/i, comme le prouvent les rimes paintes-cointes,
paintes-poinles du Roman de la Rose, plaindre- joindre,
lourdain-enjoin, saintes- jointes de Rutebeuf, et même
baing-poing, paintes-accointes de Charles d'Orléans dans
le quinzième siècle ; le n ne tarda pas à se fondre avec la
voyelle précédente en la nasalisant, et alors o/'/?.se changea
en oé nasal. A côté cependant de o-\-en subsista long-
temps o-\-in comme le prouventPalsgrave et Ramus, et à
côté de oé nasal subsista aussi oi nasal comme le prou-
vent les remarques de Chitlet ; on peut donner pour
certain qu'à la fin du xvii^ siècle la prononciation cou-
rante, attestée par De la Touehe, était oé nasal (2). Mais
(1) Voyez SiKVHRs : VerhandluiiQan der Leipsiger PhilologenccT-
sammlung con 1872 et aussi dans les GrumhiUje der P/ionctik.
(2) Voyez Livet : La (iramniairc française et les f/rairiinai'/'Leni<
du sehième t^iè^le. — LIi,nm<:n : 7j'it>fe]iriJ't fur /■omcaiisc/wH pliilolo-
ÉVOLUTION DE l'oI FRANÇAIS 133
de la même manière que oé était devenu oà dans le der-
nier degré de son évolution, oé nasal évolua aussi en oà
nasal, et nous sommes aujourd'hui précisément, comme
l'atteste M. Passy (1), dans une époque de transition, où
tantôt nous entendons prononcer coin, loin par kive, Iwe
tantôt par kwn Iwa ; quelques-uns, comme M Logeman(2)
voudraient établir une distinction entre l'om de coin et
Voiufj de poinff, mais nous croyons, avec Paul Passy (3),
que cette distinction est purement artificielle et qu'elle
ne répont pas aus faits, d'autant moins que, pour l'éty-
mologie, on aurait pu conserver le g aussi bien pour loing
(longe), que pourvoi»//.
(A suicre.)
(jie ///. — SiEVF.KS : Vci-han(Uun;jca dcr Leipsigcr Philologcaccr-
sammUcnf/ cou 1872. — Littré ; Histoire de La langue française. —
LuTGENAU : Die Aussprache des Frajizôsischen. — Neu.mann : Zur
Laut- tuid Flaœionslohra der Alt/ransôsischen — Forster : Sehicksale
des lateinisehoii 6 in P ranzôsiselicn. — Rossmann : Franzôsisches oi.
(1) Paul Passy : Kiirze darstellung des framôsischen Lautsystcm
(Phonetische Studien, i) « Ichfwâ swâ u. s. w. sage, dit le savant
phonétiste français — mehrere meiner geschwister clagegen ficà
sieàn Logeman {ibidem) lui ayant reproché cette distinction, Passy lui
répondit : « Je puis affirmer que — oin se prononce de deux manières;
je prononce J}cdsird comme M. Logeman ; c'est peut-être la pronon-
ciation la plus habituelle, mais j'entends constamment ./(ràsr<;à et
dans ma famille et ailleurs. » Moi aussi j'ai pu constater cette double
prononciation et il m'est même arrivé une chose bien curieuse : ayant
eu quelques doutes sur le son de Voin à Paris et en Suisse, je me
suis adressé à M. Passy et à M. Ferrette, de Paris et de Lausanne, et
ils m'ont répondu tout à fait le contraire l'un de l'autre : poui' l'un la
règle était œd pour l'autre wà.
(2) Willem, S. Lo(;eman : Romarhs on Paul Passy l'rench plione-
tics (Phonetische Studien, i.)
(3) « Quant à la différenciation, dit le distingué collaborateur des
Pmonetisciie Studien i. — entre les deux formes (wâ dans coing,
/)oing, Loing et wà dans coin, point, loin) je ne l'ai observée que chez
«luclques personnes; peut-être est-elle artificielle. » Nous n'avons pas
non plus constaté cette différenciation ; on prononce suivant les goûts ou
li's liabitudes œd, ou R"«,mais de même pour un mot (|u<' pour l'autre.
CHANSONS SATIRIQUES EN PATOIS LYONNAIS (1)
Publiées par E. Philipon
II
NOËL EN PATOIS LYONNAIS
1721 à 1725 (?)
Le Noël était devenu au siècle dernier l'arme favorite
des chansonniers qui faisaient naître Jésus à Paris ou à
Lyon, en Provence ou en Bourgogne, pour avoir occa-
sion de rire tout à leur aise des petits ridicules de leurs
concitoyens. On était alors aus antipodes de la liberté
de la presse. Des peines d'une sévérité extrême atten-
daient les imprimeurs de libelles ; aussi, la plupart des
pièces satiriques restaient-elles manuscrites. L'auteur
se contentait d'en faire tirer des copies â la main qu'on
se passait secrètement. Tel fut le sort du Noc! en patois
lyonnais, dont on ne connaît qu'une seule copie com-
plète : c'est celle qui a passé de la collection Coste à la
Bibliothèque de la ville de Lyon (2). L'érudit Cochard
possédait quelques fragments de notre Noël qui m'ont
été obligeamment communiqués par M. Véricel, leur
détenteur actuel. Je désignerai par A la copie de la
Bibliothèque de Lyon, et par B les fragments de
Cochard. Les ms. A et B proviennent visiblement de
deus soiu^ces différentes.
Notre Noël a été attribué sans raison bien décisive au
chirurgien lyonnais Pierre Laurés , auteur d'autres com-
])Ositions du môme genre.
(1) Voyez Revue de Philologie française, iv, page 215.
(2) Noël on patois If/onnais, lait en l'année 1741, suivi de
(|uolqucs autres chansons, ms. pet. ln-18^ marocain plein (Cata-
lorjiie Coste, n" 17332 et Catal. de la Biblioth . de la Ville, n" 680,j.
NOËL EN PATOIS LYONNAIS 1)^5
Divers indices relevés dans le Noël lui-même per-
mettent de placer, avec une suffisante vraisemblance,
la date de sa composition entre 1721 et 1725.
Le Noël en patois lyonnais a été édité deus fois déjà :
la première, en 1846, par Montfalcon, pour la Collection
des Bibliophiles lyonnais (1); la seconde, en 1882, par
Nizier du Puitzpelu, sous ce titre : « Un Noël satirique
en patois lyonnais » (2). L'édition que j'en donne aujour-
d'hui diffère notablement des éditions précédentes, tant
pour l'établissement du texte que pour l'interprétation
de certains passages difficiles. Elle a été préparée d'après
une copie que j'ai prise moi-même, avec le plus grand
soin, sur le ms. de la Bibliothèque de Lyon.
{\) Facéties lyonnaises^ Chansons lyonnaises, Lyon, Th. Lé-
pagnez, 1846.
(2) Un Noël satirique en patois lyonnais, traduit et annote
par Ni.sier du Puit^pclu, Lyon, 1882. Depuis l'époque où j'écri-
vais ces lignes (septembre 1886), Nizier du Puitspelu, a donné
une « seconde édition entièrement refondue » du « Noël satirir/ne'y>,
édition pour laquelle il a mis à profit une copie incomplète trouvée
dans les papiers de Breghot du Lut. Les variantes relevées entre
le texte de ce fragment et le texte imprimé, ou sont de mince
importance, ou proviennent de mauvaises lectures du ms. Coste :
c'est ainsi qu'au couplet 2, on lit très distinctement los amis et
non les amis, comme l'imprime N. du P.; de môme au couplet 5
per et non par derry.
1 Un enfant qu'est novio na
Meigna, veni atropa (1) Qu'a ben bonna teta,
A cella bella fêta; Y nos a pris à la gola (2)
(1) Ms. a Iropa Enfants, venez attroupés, on foule. Sur
meifina voyez Ducange, GL Mainnada et Gl. Gai. maisnie.
(2) Goulée, grosse bouchée, ce qu'on avale d'un seul coup.
(Richelet, Le Noaceaa Dictionnaire Jrancois; Cotgravo,
A french and enrjUsh Diclionnarji et Littré v" goulée).
136
REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
De la gcula de Rapina (3i
Et Ion, lan, la, (la) rerilenla,
Et Ion, lan, la, lerire.
Ay (4) no faut donc ben rengi
Tretous d'una tyre (5).
Alons vito los amis,
Que n'y a pas à rire;
De votra via vo n'avi viii
Un si gros petit monsieu.
Et Ion, len, la, etc.
3
Copa donc, s'y a moyen,
Gagnon la dressyre (6).
Diable, soveny-vo bien
De l'apela Syre,
Puis en prés, cria bien fort :
Te rogamus audi nos.
4
Ma fay, je cray que j^y son,
Totore (7) à la porta;
Je vayo lo viu patron (8)^
Qu'est après sa sopa (9);
Y la fat bien mittona,
Mais n'est pas per notron na.
5
Qu'et-ay cely charbony (10)
Qu'avize la mare ?
Et l'autro qu'est per derry
Cely qu'i dion son pare ?
Et l'autro qu'est par devant
Qu'empoisonne (11) avoy
[d'encen (12).
(3) Glouton, vorace, sobriquet pittoresque donné au diable.
Cf. Cotgrave v^ Rapineux. Le sens est celui-ci : Jésus nous
a arraché de la gueule du diable, au moment où celui-ci se
disposait à ne faire de nous qu'une bouchée.
(4) Ay est le pron. pers. neutre, lat. hàc. Marguerite d'Oingt
emploie la forme hay, ay concurremment avec la forme oy
(hoc). Au xvije siècle oy a disparu. La Bernarda-Buyandiri,
la Ville de Lyon en vers burlesques et les Noëls lyonnais ne
connaissent que les formes hay, liai, ay, ai ou ey.
(5) Tous d'une tire, à la suite les uns des autres.
(6) Vfr. dressiere\ prov. dresseyra (Raynouard, Lexique
Roman, V. 73), sentier qui abrège, voie la plus directe.
(7) Tout à l'heure, bientôt.
(8) Saint Joseph.
(9) Etre après, signifie, en lyonnais, être occupé à. Être
après sa sopa, c'est être occupé à préparer sa soupe.
(10) Le charbonnier, c'est le roi nègre de la légende sacrée.
(11) Empoisonner a gardé dans notre patois le sens intran-
sitif de répandre une mauvaise odeur.
(12) Avec de l'encens. Notons qu'en lyonnais, de pris parti-
tivement n'exige pas après lui l'article défini le, la, les.
NOËL EN PATOIS LYONNAIS 137
6 Chacun lieu divisa.
Vay-tu pas qu'i est de ray Ne manquons pas notron
Du fin fon du mondo, [coup,
Arrivas d'huer u sai, Fiançons nous dcrri lo bou.
A causa d'un songo (13) ? 8
L'étaila los a conduit, Vay-tu lo pauro petit ?
Totmondamen (14) amynuit. Mon Diu qu'il est drolo !
Sa mare que l'echandit (16)
^ - Avouayque son soflo !
Fortsenfans, n'ayons pas pou, Lo pare, tôt ebobi (17),
Entrons tôt de fila, Qongnc a l'ane un coup de
Per entendre de tertou (15) [pi (s) (18).
comme cela a lieu en français. Cette façon de parler est cons-
tante chez nous .
(13) Prononcez sonjo.
(14) Tout clairement, comme en plein jour, du lat. nuwdas.
A écrit mon damen.
(15) Du lat. *transtotéi qui adonné tretou et par mélathèse
tertou.
(16) £'eA«nrfi, réchauffer, répont à un hypothétique *ecrcan-
dire, et non à l'inchoatif excandiscere, qui aurait donné en
lyonnais echandeitre. Le patois de Saint-Genis-les-Ollières
(Rhône) emploie la forme echàndre (lat.*escàno?ere), au sens
de faire chauffer, rendre chaud. Le forézien a la double forme
echàndre et echandi. (P. Gras, Diction, du patois forézien.)
(17) Le ms. A écrit eboli ; mais eboli (pour ebol^i), éven-
tré, écrasé, ne convient pas du tout comme sens ; eholi (d'e^r-
buUire), au sens de bouillant (?), serait bien étrange appliqué
au placide mari de la Vierge ; sans compter que cette inter-
prétation va à rencontre des règles les plus élémentaires de
la syntaxe, en donnant à une forme passive une signification
active. Je propose de lire ebobi, pour ébaubi, qui convient à
merveille à la simplicité proverbiale du bon saint Joseph.
(18) Littéralement : cogne à l'âne un coup de pied. Le ms.
résiste à la lecture Gonr/ue. Quanikhilcçon g inr/ue, proposé(>
par l'un des précédents éditeurs, elle n'est pas admissible,
f/inr/uer signifiant à lui seul lancer un coup de pied. Pour
la leçon qongne (lat. cunearc) cf. le français ])opiii;n're cogner
battre, rosser.
138 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
9 Y n'est, mou ama (21), pas
Et lo bou avouay sa quat (19) [soit (22),
Qu'et-ay qu'y tortille? Sou (23), naydiu (24), tomba-
Te devrias bien ly donna [me-lo (25).
Un coup de calliche (20).
(19) Les patois actuels prononcent couà (lat. caudam), en
rejetant l'accent sur la métatonique. Cf. Patois de Saint-
Genis-les-Ollières §§ 59 et 41, dans cette même Revue, t. II,
pp. 29 et 35.
(20) La calliche est la masse dont se servent les bouchers
pour assommer les boeufs. Calliche dérive du lat. cala, pieu,
bâton (Forcellini, v» cala). Le patois de Saint-Genis possède
le diminutif calichet, petit bouquet de cerises.
(21) Expression affirmative; c'est l'analogue de l'expression
française : sur mon âme. Les bugistes disent dans le môme
sens : m'/i arma oua.
(22) Les précédents éditeurs ont imprimé : sot. Cet adjectif
appliqué au boucher ne s'explique guère ; appliqué au bœuf,
il ne s'explique pas du tout. Le ms. A porte d'ailleurs très
visiblement soit et non sot. Soit (lat. solutum) signifie délié,
détaché; cf. le franc, soulte. Le sens devient dès lors très
clair : le boucher, pour donner du cœur à son compagnon,
l'assure que le bœuf est attaché.
(23) Zou, allons !
(24) Dans les textes en patois lyonnais du xviii^ siècle, cette
expression ne se rencontre que sur les lèvres des bouchers.
On a voulu y voir une contraction de nus aist Dieu, Dieu
nous aide ; outre que 1 elipse serait forte, on ne s'explique pas
bien pourquoi ce juron serait devenu la propriété exclusive
des bouchers. D'autre part naidiu équivaut à naigu, par suite
de la confusion, habituelle aus dialectes de notre région,
entrela dentale mouillée et la gutturale (Gî</ea pour Z)ie?<, etc.) ;
cette forme naigu se trouve, d'ailleurs, dans l'un des Noëls
lyonnais publié par Lyon-Recue (1885 p. 123). Or, naigu
est encore aujourd'hui le nom donné aus bouchers qui tuent
des bêtes de qualité inférieure {Patois de Saint-Genis).
Naidiu parait avoir ici, comme dans les autres textes lyonnais
du siècle dernier, le sens de bour^her ou mieus gar('on bou-
cher. Qiuint à l'étymologie du mot, elle m'échappe encore.
(25) Abat-moi-le.
NOËL EN PATOIS LYONNAIS 130
10 Y sont lo biaux fins pro-
Vey, qu'i aret im bio moyen [mis (29)
D'avay noutra grâce ! Avouay tôt lieu mondo :
Ne te sovin-tu pas bien St-Just, St-Paul que lo sui,
De noutra bella farce, Et lo crota de St-Nezy (30).
Sourtout de la vilaine action 12
Quand je manquiron Ma- « Grand roy, nous vous de-
[rion (26). [mandons
11 • » Avouayque (30 bis) soup-
Quaisi-vo (27), si vo voly, [plesse.
Que vaicia lo Conto (28) ; » La continuation
(26) Le sieur Marion était directeur jde la ferme de Lyon.
Le couplet 10 fait allusion à la révolte fomentée, en 1714, par
les bouchers, à l'occasion d'un impôt que l'on avait mis sur
les bestiaus destinés à la consommation de la ville (Péricaud,
Tablettes chronologiques, 1714). Dans son catalogue des
mss. de la Bibliothèque de Lyon, sous le n» 1297, Delandine
mentionne une pièce en patois lyonnais intitulée : Lo com-
pare Liode Levet. « C'est, dit le catalogue, une lettre en pa-
tois lyonnais dans laquelle un boucher de Lyon rend compte
à son compare Meïachon de l'insurrection arrivée en 1704
(1714), contre Marion, fermier des droits d'octroi. « La
brouille ne vint que de ce que celi Marion volave empéchi
notra marchandi d'alla mengi l'herba dans lo fossé de la
ville et que lo bouchi sont des ouvri que ne se mouchon pas
du code. » Cette pièce a disparu.
(27) Taisez-vous. Cf. 1(; bugeysien se cajé, se taire ; d'un
hypothétique quetiare pour quietare. De même en anglais
io be quiet signifie à la fois rester tranquille et garder h^ silence.
(28) Les chanoines de Saint-Jean, comtes de Lyon.
(29) Les heaus fins premiers, tout les premiers.
(30) L(! sens de ce vers m'échappe. Saint-Nizier a une
crypte célèbre que les archéologues lyonnais de l'école ecclé-
siastique font remonter au temps des martyrs de Lyon. Lo
rrotà seraient ce les chanoines de la crypte? Ou bien l'auteur
joue-t-il sur le double sens du mot lyonnais crota, qui signi-
fie à la fois crijpte, firoiie ou crotie'i Saint Just et Saint Paul,
ce sont les chapitres de St-Just et d(> St-Paul.
(30 bis) Ms. avec.
140 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
» De nos privilèges, 14
» Co.ntre Messieurs de «Grand Dieu, nous vous de-
[Lyon (31) [mandons
» Surtout quand nous baty- » Une petite grâce :
[rons. )) » Que dans les processions,
13 » Nous ayons notre place,
Lo novio noblo d'Ainay (32) » Car nous sommes bien do-
Porton lieu bandyre (33) : [lants
Il venon tôt d'un cœur gay, » De ne point avoir de-
En sonant arrire (34) ; [vant (36). »
U premy coût de sifflet 1^
Il en dabort eta quet (35). Vayquia ben los Innocens
Devers la Plattire (37).
(3J) Le Consulat de Lyon. Il paraît qu'un conflit s'était
élevé entre la ville et le chapitre de Saint-Jean, à l'occasion
de l'exercice du droit de voirie dans les limites du cloître de
Saint-Jean. Ce conflit fut tranché en faveur des comtes de
Lyon, par arrêt du Conseil d'État, en date du 22 sept. 1725,
(Nizier du Puitzpelu, Noël satirique , 1^ éd°", p. 32, note 1).
(32) Les chanoines d'Ainay qui, paraît-il, étaient de petite
noblesse.
(33) Bandiere, bannière, du b. lat. bandum, bande.
(34) En criant : arrière. Sonà, dans les patois actuels et notam-
ment dans celui dePollionay,aprisle sens transitif d'appeler.
(35) La leçon etagnet admise dans les éditions précédentes
pro voient d'une mauvaise lecture. Le ms. A porte très lisible-
ment etaquet. Quel, vfr. quei. quoit, franc, mod. coi, latin
quietus. — Dabort a gardé en Ij'^onnais le sens de sur l'heure,
tout de suite, qu'il a ici.
(36) Pour : avoir le devant. Il s'agit là, comme on maint
autre passage de notre Noël, de l'une de ces querelles de pré-
séance qui passionnaient les associations religieuses.
(37) Voici bien les Innocents de la Platière. Devers (lat.
de versus) est une préposition lyonnaise marquant l'éloignc-
nient ; le Noël lyonnais II dit de même : « No venien de var
chi no = nous venons de chez nous. » L'emploi de devers au
sens du français du côté de est très ancien en lyonnais ; on
lit dans un Compte des fortifications de Lyon, au xivo siècle :
(( Item en la dicta maison derrier, devers Sauna... » (.4/'-
chices de la ville de Lt/otij CC 191, 1° 2.)
NOËL EN PATOIS LYONNAIS 141
Hela, qu'ils sont bonnes gens! En bon père Helia? (41)
Y ne sant ren clire(38). Et puis quand ay faut
Y sont tôt à maitia fou, fmocla (42),
Baillont de liard per de Y ne sant per un passa (43).
[sous (39).
16
17
Los Augustins, lieu veu-
Lo Carmo fant-ils (40) pas [sins (44),
[bien. N'en faut pas de mémo;
Dedin lieu cuizina, Y s'y prenonde matin
De baire fort et souvent, Per baire à lieu aizo.
(38) Ils ne savent rien dire. Sant (lat. sapiunt) est à rappro-
cher des formes ant (habent), /aniî (faciunt) et vant (vadunt).
Cf. P. Meyer, Les troidèmes personnes du pluriel en pro-
vençal, ROMANIA, IX, 192.
(39) La ville de Lyon en vers burlesques (Éd°" des Facé-
ties lyonnaises, p. 76) consacre quelques vers à ces « fous
raisonnables, » qui, suivant un proverbe lyonnais, prenaient
des sous pour des liards. Nizier du Puitzpelu conjecture avec
vraisemblance que notre couplet vise non les habitants du
quartier de la Platière, mais bien les religieus de Saint Ruf,
qui administraient la paroisse de ce nom.
(40) Font-ils, lat. faciunt. Cf. la note 38.
(41) On sait que les Carmes prétendent remonter au pro-
phète Élie qui se retira sur le mont Carmel. A en croire notre
chansonnier, cet Élie aurait été un solide buveur.
(42) Et puis quand il faut partir. Moda (lat. niovitnre)ix.\.\.
sens de partir, s'éloigner est fort usité dans les patois lyon-
nais, bugeysien, bressan, savoyard et genevois.
(43) Ils ne savent par où passer. Ont, on, un, qu'il faut
bi(Mi se garder d(; corriger en on, dérivent du lat. unde et cor-
respondent, en lyonnais, à Tad verbe français où (lat. ubi).
Cf. la Bernarda Buyandiin II, 24 Lyon, 1885.
(44) Prononcez vusins. Sur le changement inorganique ch>
i ou e en u dans le voisinage d'une labiale, voyez Patois de
St-Genis, n"^ 36 et 51 {Revue des Patois, t. II pp. 33 et 37).
Le couvent des Augustins était, en effet, voisin de celui des
Carmes (Clapassoii, Descript. deLyon, p. 145).
142 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Et per mai'chi bien sodin (45), 19
Il en fait jamba de vin (46). Y volon perlant parla
-•o A la bonna Mare ;
Que 1}^ volont-y donna ?
Qu'et-ay dont celos ou- ^^^^^^^^ (^^^^ ^.^^^ ^^,^^^^
[yri • (40 De ^on liuilo d'Araraon (53)
Ay et lo Minimo ! p^^, j^ ^,^.^,^ ^^ ^^^^^^^^ ^54^
Pesta ! queu gaillefreti (48),
Per de bigro a riiuilo ! (49) 20
Yl en fouaytta lo motardi (50) . Los Entonin venou bien
Patreday nos u a dit (51). Portant do menuise (55),
(45) Soudain, parait signifier ici d'un pas alerte et décidé?
(46) Faire jambe de vin, c'est « bien boire, pour marcher
mieux, » (Riclielet, v» /a/)i6e et Leroux, Diction. Comique);
to drink havd hefore a journexj, traduit Cotgrave, v^ Jambe.
(47 1 Oucri est pris ici en mauvaise part. Il en est de même
dans la Bernarda Buyandiri, I, vers 195.
(48) Galefretier. Ce mot, déjà vieilli au commencement du
siècle ^dernier, avait le sens de coquin, vaurien, coureur,
(Cotgrave, Richelet et Leroux). Il semble avoir ici le sens de
solide gaillard,
(49) Allusion à la règle des Minimes, qui défendait l'usage
du beurre. Bigro est l'équivalent du français hoarjre, pris au
sens de gaillard, luron.
(50) Au siècle dernier, fouetter, dans le langage familier,
signifiait « boire sec, sabler, lamper. » (Leroux, Dict. Com.)
Fouetter le moutardier est à rapprocher de fesser la pinte.
(51) Patreday nous l'a dit. U est le latin lioc, français le.
Voici le couplet consacré aux Minimes, dans le ms. Co-
chard : — Qu'est-o don celos iqui ? — I sont los Minime. —
Peste, queu galafreli. — Pair de bigr' a l'huille! — Iz on
l'oita lo motardi; — Patrodai nos u a di.
(52) Renucler, c'est sentir, flairer, aspirer avec les narines.
(53) Aramon, est aujourd'hui un chef-lieu de canton de l'ar-
rondissement de Nîmes, qui produit de l'huile d'olive estimée.
i54) Pour lui faire des beignets, des bugnes, comme on dit
encore à Lyon, dans le parler populaire.
(55) Menues parties du porc dont on fait àcf^ fricassées;
menuèse dans le patois de Saint-Genis.
21
NOËL EN PATOIS LYONNAIS 143
Quenelioucoutonpasren(56): Et puis lo pouro Camio (59)
Utor de Teglisa, Que lieu fait lo pi de vio (GO).
St-Antoino, lieu patron, 22
Lieu engraisse de caion (57). je n'avian pas encor viu
Lo père Lasare (Gl) ;
Y baissent tretou los yeu ;
St-I renée vint bien fort, N'y a pas un que parle.
Avouayque sa trogna, Avisa lo bon Joseiph,
St-Joseip (58) la suit dabort,. Comme y lorgne lieu mo-
Quan ben qu'n'en bode; [chet (G2).
(56) Pau ren, négation redoublée, rien du tout.
(57) Allusion à l'étrange privilège qu'avaient les Antonins
de laisser vaguer à travers la ville les pourceaus qu'ils éle-
vaient, en souvenir de leur patron. Caion, porc, est à rappro-
cher du languedocien caliou (Honnorat), môme sens.
(58) Les prêtres de la Congrégation de Saint-Joseph, établis
à Lyon depuis IGGI. {Almanachs de Lj/on.) Sur le sens de
dabort, voyez la note 35.
(59) Quel était ce « pauvre Camio? » Je l'ignore, mais ce
dont je suis certain, c'est qu'il ne faut pas lire lo pouro
Carmo, les pauvres Carmes, comme l'ont fait les éditeurs
précédents. D'abord, le manuscrit s'y oppose, portant très vi-
siblement Camio, avec un point sur Vi; puis l'o atone de
Carmo ne saurait rimer avec l'o accentué de vio; enfin, et
ceci est décisif, le verbe dont Camio est le sujet est à la 3*^ pers.
du sing. Aussi bien, il a été question des grands Carmes
au couplet IG, et le couplet 33 sera consacré aus Carmes
Déchaus ; il n'y a donc pas place ici pour le plus petit Carme.
(GO) Faire le pied de veau à quelqu'un, (( c'est lui faire la
révérence avec de basses soumissions. » (Richeletet Leroux.)
(Gl) Les Missionnaires de Saint-Lazare, établis à Lyon de-
puis 1GG8 (L'abbé Guillon, Lijon tel qu'il était, \:>. 99). Voici
le couplet consacré aus Lazaristes, dans le ms. Cochard : —
((Je n'avions pas encore vu — Los paire Lazare. — I baissons
tartou les yeux — Y n'y a pas un qui parle. — Avisa lou bon
Joseph — Comme y lorgna leur niouchet. »
(62) Moustach(^ barbiche. Les Lazaristes étaient les seuls
religieux qui eussent des moustaches {Note de CocJuird).
144 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
23 [Q]ue lieu sert de cabor-
Tay vaiqui lo Jacopins (63), [ne (68) !
Avouayque lieu ron- [I]z y sont tôt en un cu-
[fle ! (64) ^ [chon (69)
[l]ls en pou, per lo certain, [Et]n'y van qu'a caca bo-
Que la mare gronde, [son (70).
[DJ'avay vendu lieu payi ^^
[C]ontra de fichu papi (65). Tai encor lo Cordeli !
Ay et l'Observance (71).
24 Jésus, Maria, queu gosi !
[G]ran Diu, faite-lo payi, 0 queu groussa pance !
[Q]u'y n'en an bien fauta(66). Il en, ma fay, tan ceula (72),
[Si]vo vaya lieu chini (67) Qu'ils ne povont plus jappa.
(63) Les Dominicains ou Jacobins, établis à Lyon depuis
1218.
(64) Ronfle, groz nez.
(65) Il paraît qu'en 1714, les Jacobins vendirent une grande
partie des terrains qui joignaient leur maison, pour acheter
des actions de la trop célèbre Compagnie des Indes, qui
sombra en 1720.
(66) Avoir faute, c'est avoir besoin.
(67) Chini, chenil.
(68) Caborna, trou, caverne, grotte; bugeysien, canboarna ;
dauphinois, calaborna.
(69) Cuchon, monceau, tas : un cuchon de foin; bugeysien
Koçon.
(70) Se mettre à cacaboson, c'est s'ciccroupir.
(71) Il y avait à Lyon deus communautés de Cordeliers,
celle de Saint-Bonaventure et celle de l'Observance. Comme
nous n'avons pas encore vu passer de Cordeliers, il est à pré-
sumer que le couplet consacré à la communauté de Saint-
Bonaventure a été omis par le copiste. (Cf. Abnanach de
Lyon pour 1788).
(72) Si je lis bien, — ce qui n'est point certain, le ms. étant
surchargé en cet endroit^ — ceula est soit le résultat d'une
erreur du copiste, qui aurait écrit ceula yiouvgeula, soit un
exemple du passage de la sonore à la sourde. La correction
saoula proposée par un précédent éditeur a contre elle et le
nis. et la Gr;nTHuairi'.
NOËL EN PATOIS LYONNAIS 145
26 28
La Recollets son iqui Qu'et-ay donc celos iqui ?
Tretous en bon ordre ; Y sont en chemise !
Ils en d[e] biau rateli (73), Je lo conoisso d'ici (77),
Necherchontqu'amordre. Y est lo Genevivo,
Que lieu baret (74) a dina Ils en bailla la pâla u eu
Lo faret pas ren (75) plura. U chanoino qu'étant viu (78) .
27 29
Lo joly Feuillan toblan, I n'en (79) reste un prou malin
Lieu barba bien faita, Que s'appelle Antoine;
An présenta a l'enfan II est ben aussi mutin
2 bonne requeste : Que celo grou moino.
L'une per los enrichi Y ne vou pas résina,
Et l'autra per lo chossi (70). Per lo bien faire baila(80).
(73) Beau râtelier, deus rangées de dents bien complètes.
(74) Baret, donnerait; c'est le condition, du verbe ôaA'ï,
donner.
(75) Pas rien, négation redoublée, cf. la note 56.
(76) Les Feuillants furent condamnés, en 1577, par leur
réformateur, Jean delà Barrière, à marcher pieds nus. Quel-
ques années plus tard, en 1595, ils obtinrent la permission
de porter des sandales de bois. Mais voyez comme les désirs
de l'homme sont insatiables ! Les voilà qui demandent des
souliers.
(77) Je les reconnais pour être d'ici.
(78) Les Génovéfains ou chanoines réguliers de l'ordre de
Saint-Augustin prirent, en 1702, la place d'autres chanoines
non réformés du môme ordre qui desservaient la collégiale de
Saint-Irénée. (Almannchs de Lyon.)
(79) iVest une particule euphonique fréquente en lyonnais.
(80) Antoine était vraisemblablement un des anciens cha-
noines non réformés qui s'était refusé à céder la place aus
nouveaus venus. i?<?.s-ma est l'équivalent du français resigner'
qui, en matière bénéficiale, signifiait abandonner un bénéfice
à un autre ecclésiastique. Le ms. porte très visiblement ré-
sina et non vesina, comme on l'a lu à tort. Sur l'absence de
la mouillure cf. le patois de St-Genis-les-011ièr(>s.s'/'no, signer.
Quant à haila, où l'on a voulu voir l'infinitif bailli donner,
Revue dk I'iiilologh;, v. 10
146 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
30 Raport a la dama du coin
Vaiquia ben lo Capucin Qu'il eu pri en Bicheve-
Avouay lieu grand barba! [lin (84).
[Y] sont, mon ama, 120, 32
[S]en conta lo frare Et los Augustius decho
Que son resta en arri, De la bonnaCroix- Rossa,
U solei, per se puilli (81). Sont ben de joli mogno (85)
Per menqua la nossa !
Ils en bu de bon pynoy (86),
Lo pares Camelots per cria : « Vive le Roy ».
De la Guillotire (82)
Dion (83) qu'i sont lou grans 33
[amy Lo Carmo decho, to bon (87),
De notrou biau sire. Qu'an ben prou misère(88),
c'est le dérivé du b. lat. helave bêler, et par extension crier, se
plaindre.
(81) « Sepouiller. » Voici ce couplet dans le ms. Cochard :
— « Vaiciabin los Capucins, — Avoy lieu grand barbe! — Y
sont, mon ame, cent vingt, — Sans compta los frare. — Qui
sont resta par dari — Au solai, par se pulli. »
(82) Au xviii« siècle, camelot se disait d'un homme de rien,
d'un gueus. 11 s'agit ici des pères du tiers ordre de Saint-
François, établis à la Guillotière depuis 1606 et qui, à en
croire notre Noëliste, n'étaient que de la camelotte au regard
des autres ordres religieus.
(83) Dion = lat. dicunt, disent.
(84) Allusion à un fait aujourd'hui bien oublié. Raport à
est une manière de langage très usitée en lyonnais, au sens
de à cause de.
(85) De jolis moineaus, de drôles de gaillards. Le Noëliste
veut sans doute parler des Augustins réformés que l'arche-
vêque de Marquemont appela, en 1624, dans le faubourg de
la Croix-Rousse, alors dénué d'église.
(86) Vin fait avec du pineau, raisin fort noir et estimé.
(87) Les Carmes déchaussés, établis en 1618, par le mar-
quis de Nerestang, à la place d'une ancienne recluserie appe-
lée le grand Thune. To bon, est une cheville destinée à
fournir une rime à popon.
(88) Qui oui bien assez de misère
NOËL EN PATOIS LYONNAIS 147
Demandent vite u popon(89) De n'être pas à pi nu
S'i n'y a ren de reste ; A cella bellaféta?
Lo bon Joseiph dit que non Mai lieu pare St-Brugno
Et cache vito lo grobon. Vou qu'i n'aillan qu'à chivio.
34 36
Que diran-no don de bon Yl en ben, si vo voli,
De lo Trinitairo? (90) Fait quoque largesse;
Toujour avouay de grands A cou seur que lo peti
[fonds Connay lieu finesse
Vaut clieu lo corsaire ; [Y] sent de ben fenian
Puis fan petalieu rançon (91) [Q] ue dermon 8 may de l'an.
Qui n'en vaut diablamen long. 3^^
35 Lo Celestins (93) van bien
Et lo bon père Chatru (92), [plan (94),
Ant-i perdu la têta, Mais y est sen malice,
(89) Popon du lat pupus petit garçon, s'applique aus tout
jeunes enfants de l'un et l'autre sexe.
(90) Lesroligieus Trinitaires étaient venus s'établir à Lyon
en 1G58 : leur ordre avait été fondé pour le rachat des chré-
tiens faits captifs par les corsaires barbaresques.
(91) Puis ils font peter leurs rançons, ils s'approprient l'ar-
gent qu'on leur a donné pour racheter les captifs.
(92) Les Chartreus, établis sur la côte Saint-Vincent par
Henri IV. Chatru pour Chartru est diÀ à la dfïiculté qu'éprou-
vent les Lyonnais à prononcer le groupe r -\- consonne -|- /' :
on dit encore à Lyon inècredi pour tyiercredi.
(93) Les Celestins furent établis à Lyon, en 1407, par
Amédé(^ VIII, premier duc de Savoie, qui leur céda les ter-
rains autrefois possédés par les Templiers. Oji lit dans 1'^/-
manach de la cille de Li/on, pour l'année 1746, p. 33, sous
la rubrique Céleslin.s, la phrase suivante : (( Ce monastère a
été depuis peu d'années (1721-1722) rebâti à neuf. » L'arrêté
d'alignement donné à ces religions par le Consulat, porte la
date du G mars 1721. (Niz. du Puitzpelu loc. cit. loéd"", p. 4.)
— La façade ayant été consumée par un incendie fut recons-
truite en 1746. (Alm. de Lyon pour 17 63, p. 38.)
(94) Aller plan, c'est aller doucement. Le lyonnais plan est
ici l'analogue de l'ital. piano, dans le proverbe : Chiva
piano, va sano.
148
REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Y sont ocupa tôt l'an,
Deden lieu bâtisse.
Et puis tôt lo samedy
200 ouvris a payi.
38
Lo plus bio est en dior,
A ce qu'on vou dire;
On crae qu'i n'est pas pro fort,
Y laissont tôt dire.
Qu'y payant solamen bien
Celoqu'i fourron deden.
39
Tay ! notron bon mari-
[chau (95),
Qu'a ben bona mina,
Dessus son peti chevo,
Avouay sou oussina.
Lo petit Jésus n'en ry,
Et s'e laissia baisi lo py.
40
Qu'et-ay don celo grou gra ?
Ei est la Justice !
Ils an lo gosi pava.
Ne vivon que d'épice.
Hélas, laissi-lo passa,
Qu'n'y a ren a s'y frotta.
41
Ils en utor de levri (96)
Qu'en mauvaisa cara (97).
Y m'an l'air, se m'et avi,
D'alla a font de cala.
Y n'oblion pas lo tort
De lieu pare Bellacor (98).
42
O queu tropa de corbiau !
Ay et (99) lo Jesuisto.
La sala sorta d'isio,
[PJerloJansenisto! (100)
(95) Le maréchal de Villeroy, le triste héros de Crémone et
de Ramillies. On sait que le gouvernement du Lyonnais était
dans la famille des Villeroy, depuis l'année 1608. Cf. A. Ving-
trinier, Le dernier des Villerorj et sa famille, 1888. Le cou-
plet 39 de A est le premier de B : — « Vaissia notro mari-
chiau — Qu'a bin bona mina — Dessu son petit cheviau,
— Avoi sa ussine. — Le petit Jésus a ri, — S'est laissia
baisi los pi. »
(96) On appelait lévriers, dans le langage familier, les ser-
gents et les archers qu'on lançait à la poursuite des criminels.
{Dictionnaire Comique de Leroux.)
(97) On dit encore à Lyon d'un homme qui a mauvaise
tournure, qu'il a « mauvaise cale, » lat. cara.
(98) Allusion à quelque mesure prise par l'intendant du
Lyonnais, dont l'hôtel était à Bellecour, contre la rapacité
des bas officiers de justice.
(99) Ms. A. : Aquet.
(100) Le copiste de A a écrit on manchette, à la suite de ce
vers : « rr)ratoire, » c'est-à-dire les prêtres de la congréga-
NOËL EN PATOIS LYONNAIS 149
[Y] ne cherchon qu'a bi- Lo prêtro d'église !
[chi (101) Prion joliamen to bas
[P] er devant et per dcrri. Que Dieu lo bénisse,
43 Per qu'ils puissian s'acorda,
o- XX. . Mr\.^\ Una fay sensé morgua( 105).
Si portant y tenon bon (102) -^ & \ /
Dedens lieu misère,
45
L'ecritto de heu maison
Lo tire d'affaire. , Queu tropa de Don Juan
Infanti Jésus sacrum, (103) Du festin de Piare!
N'est-ay pas un bieau Ne connois-tu pas, Fagan,
[vayon (104) Lo Confalonaire ?
44 Yz-a[n] fa trimbla l'infant
Assa, sont-y tôt passa, Qu'apouducamisablan(106).
tion de l'Oratoire, qui, à tort ou à raison, passaient pour
favorables aus doctrines jansénistes.
(101) Ils ne cherchent qu'à donner des coups de bec. Les
précédents éditeurs ont imprimé je ne sais pourquoi : a que
sa bichi. » Le ms. A porte très lisiblement : « qu'a bichi, »
et le ms. Cochard aussi : — « O queu tropa de corbiau ! — Y
sont los Jujuistres, — La sala sortad'isiau, — Par los Janse-
nistrc. — Y ne charchont qu'à bichi, — Par devant et par
dari. » Les canuts appellent couramment les Jansénistes des
Gens sinistres. On sait qu'il existe encore aujourd'hui, parmi
les ouvriers tisseurs, des adeptes de Jansénius.
(102) Le ms. A porte en regard de ce vers lamention : «les
Oratoires. »
(103) Je ne m'explique pas les lectures des précédents édi-
teurs : le ms. est ici très lisible. Ma leçon est d'ailleurs mise
hors de conteste par le ms. Cochard : — ((Si portant y tenont
bon, — Dedans leur misaire, — L'ecritiau de leur maison
— Los tire d'affaire : — Infanti Jesu Sacron, — N'ait-ai pas
un bon vayon.
(104) Ms. N'est tatj. D'après N. du P. vaijon signifierait,
en lyonnais, le (( bouclion de pin qui sert d'enseigne aus
cabarets. » (?)
(105) Morguer, c'est se moquer avec insolence. (Richelet
v» morf/ue).
(lOG) Il s'agit ici des pénitents blancs de N.-D. du Con-
150
REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
46
D'on vinqu'}^ n'i a quelogrou
Iqui que se montron ?
Et qu'i fourrent tant de coups
U petit qu'avançon.
Et puis quand faudra
[pona (107)
Y lo saran bien trova.
47
Tretou los art de mety
Coron per tôt vair(a) ;
Surtout lo tafetati,
Lo pouro riclairo (108).
Y vodrian pri}^ l'enfan
De parla a lieu mar-
[chant (109).
48
Notron Prevot des marchans
Amaine bonbance ;
Et per folata l'enfan,
Y vou que l'on dence.
Vaiquia los arquebusi, (110)
Qu'amainont lo menetri.
49
Los echevins,grou marchands
De la loge du Change,
Volon, utor de l'enfant,
Densi tôt un branlo.
Du mai ne et lo2 Tan-
[liards (111)
Lieu fan faire un bel escart.
50
Et lo chenapan du guet,
Qu'amon tant la luna,
Metria[nJ 200 poches à sec,
Sen en manqua una (112).
Si vo n'avi pas lo sou,
Gara la bouaytte u cail-
lou (113).
falon [Almanach de Lyon pour 1789, p. 49). Ce couplet, le
huitième du ms. Cochard, manque dans A.
(107) Ponev signifie encore, à Lyon, dans le parler vul-
gaire : donner de l'argent, paijer.
(108) C'est le franc, populaire foireus.
(109) Leurs maîtres-marchands fabricants, comme on di-
sait à Lyon, au xviiie siècle.
(llOi La compagnie des arquebusiers. Voyez, sur cette
compagnie, V Almanach de Lijon pour 1788, p. 130.
(111) C'étaient, paraît-il, les trois sergents des arbalétriers,
en 1723.
(112) Ms. A: une.
(113 Dans l'argot des deus derniers siècles, la boîte aus
caillons, c'était la prison (Oudin, Curiosités franc, et Leroux
Dict. com.). Le ms. A porte non pas hoaejjttere caillou,
comme on l'a imprimé à tort, mais houagtteri caillou. L'une
et l'autre leçon, d'ailleurs, ne donnent aucun sens satisfai-
NOËL EN PATOIS LYONNAIS
151
51
Colombi, lieu offici,
Est ben so les armes.
Lo 3 sergen, per derri,
A le bonne[s] âmes !
Dabort qu'i serant la ba,
Lo diablo va bien bâfra.
52
Queu grand diablo desoudar;
De la partd'Herode !
Te neto guero manqua,
Y sont de le porte (114).
Venont-y no massacra.
Repilly et revolla ?
53
Queutropade cartochin (115)!
Non, je me raviso,
[C] est sont lo Misse pe-
[pien (116),
[Jj'u conaisso u Suisso.
Ils an la livra du Ray,
[Bjriquet Naimo, est-ay vrai?
54
D'on pervin qu'il an prenu
Tôt la serra fila,
Et qu'i sont si orguillu,
Quand y sont en villa ?
C'est qu'i san (116 bis) que lo
[popon
A fait baissi le ation.
55
Avisa lo patessi (117),
Avouayque Delormo.
A ! s'i u'êtave que gris,
[I] seret prous drolo!
[I] n'est ren gri, ny ren
[sou (118),
Il aporte de pet de lou.
sant. J'ai adopté la correction proposée par M. P. Meyer dans
Romania XVI, 629. — Sur la compagnie du guet, voyez VAl-
manach de Lyon, pour 1788, p. 129.
(114) Il s'agit ici de la compagnie franche établie à la garde
des portes, en 1670. [Almanach de Lxjon, 1788, p. 128).
(115). Quelle troupe de Cartouches, de Mandrins.
(116) N. du P. conjecture, avec vraisemblance, qu'il s'agit
ici du bureau des Finances de Lyon, lequel aurait été chargé
du placement des actions de la banque de Law, hypothéquées,
comme on sait, sur les brouillards du Mississipi.
(116 bis) C'est qu'ils savent. San est le lat. sapiuni; cf. la
note 38.
(117) Regarde les pâtissiers. Les précédents éditeurs ont lu
à iOYt palessi, qui n'a pas de sens; à la vérité, la barre du /
est peu apparente, mais elle ne l'est pas davantage dans
nombre d'autres mots où le doute n'est pas possible, comm(>
dans rateli ciu couplet 26, conta au couplet 30, etc.
(118) Les pets de loup devaient être proches parents des
pets de nonne.
152 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
56 A le bonne lingue !
Moche (119) lo gagne déni Y prometton u peti
Detotele bende. ^(^) ne jamus plus sacrayi.
«Van-no, diont-y u petit (120) ,
[Jj'enben noutre seingle».
La Doana fait banda à part, Assa, ey et ben tentou tem
AvouaylobicloMoyard(121). Que l'enfant repose,
ry Crayi-me, allons-nos en,
Tiron noutre chosse;
Lo vai-tu lo cnarreti, r> ■ ^ mc»^\
. , , . „ Baison so pour paton (123),
A le 4 pointe r t^ / i .-»!• \ t •
, ^ Prenan 124 sa penedixion.
Lieufumessontper
derri (122),
(119) Moche qu'un des précédents éditeurs a pris pour
un portefais renommé est tout simplement l'impératif sin-
gulier du vulgaire moucher, pris au sens de regarder tout
à coup et à l'improviste. Après avoir annoncé l'entrée en
scène des pâtissiers par ce vers: « Avisa lo patessi, » l'auteur
a recours au même procédé pour attirer l'attention sur les
gagne-deniers : (( Moche lo gagne déni. » Au couplet sui-
vant, il dira de même : (( Lo vai-tu lo charreti ? »
(120) La sangle est la courroie de cuir dont se servent les
portefais lyonnais pour assujettir leurs fardeaus sur les
épaules.
(121) C'est le vieus franc, bide, louche.
(122) Sur le changement inorganique de e en u cf. Patois
de Saint-Genis, n» 36, [Rev. des Pat. II, 33.)
(123) Pa^on, petit pied d'enfant.
(124) Ms. prenant.
[Les versions suisses du Coq à l'âne en patoL< lyonnais publié dans
le volume précédent de la Revue, p. 215, se trouventdans la iîoma/u'a,
1875, p. 210 et dans le Recueil des morceaux choisis en patois de la
Suisse française (par Corbaz), Lausanne 1842, p. 205. |
, COMPTES RENDUS 153
COMPTES RENDUS
N. DU PuiTSPELU. — Dictionnaire étymologique da patois
li/onnais (Lyon, Georg, 1887-90, cxx-470 pages in-4).
Le même. — Les Vieilleries lyonnaises, 2^ édition (Lyon,
Bcrnoux et Cumin, 1891. ni-398 pages, grand in-8).
Pour bien marquer le point de départ du Dictionnaire
étymologique du patois lyonnais, je demande la permission
de reproduire ce que je disais en 1885, dans la Reçue des
langues romanes, de la première œuvre philologique de
l'auteur : « Tous les Lyonnais connaissent l'aimable et fin
lettré qui se cache aus profanes sous le spirituel pseudonyme
de Nizier du Puitspelu, de l'Académie du Gourguillon. Si
ses amis, qui sont nombreus, ne le savaient, par expérience^
capable de tout (hors de mal), ils auraient été sans doute fort
étonnés, il y a dous ans, de le voir quitter tout à coup les
hautes régions de la fantaisie, où il régnait en maître, et
couper sans pitié les ailes à son imagination pour se mettre
avec elle au service d'une science despotique entre toutes,
qui se nomme la philologie. La quantité des connaissances
toutes nouvelles qu'il fallait s'assimiler aurait eflfrayé une
volonté moins tenace et rebuté un esprit moins robuste. En
dépit de toutes les difficultés de l'entreprise, et grâce à une
activité presque invraisemblable, M. Nizier du Puitspelu a
réussi, en deus ans, à produii'c un livre qui est un des
meilleurs travaus dialectologiques parus dans ces dernières
années, et qu'il intitule modestement : « Très humble essai
de phonétique lyonnaise. »
Le Très humble essai, revu et encore amélioré, forme
aujourd'hui l'introduction du Dictionnaire étymologique, qui
s'y réfère constamment, par des renvois précis, pour l'expli-
cation des transformations phonétiques des mots. Le diction-
naire; a tenu tout ce que promettait la première édition de
l'introduction. C'est une ample moisson de mots, toujours
intéressants, souvent pittoresques, dont la prononciation
exacte est notée avec grand soin, dont le vrai sens et les
acceptions dérivées sont démêlés et formulés avec une netteté
aussi précieuse que rare dans les travaus lexicographiques,
enfin dont les origines et les parentés sont reclierchées ,
154 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
devinées parfois et presque toujours solidement établies,
avec toute la sagacité d'un esprit très littéraire et très délié,
et toute la sûreté scientifique d'un philologue de profession.
Et cependant, comme tous les savants de bonne race,
Puitspelu n'est jamais satisfait de lui-même. Il corrige et
corrige sans cesse. Il est assailli de doutes pour la solution
desquels il consulte tantôt les Lyonnais les plus patoisants,
tantôt les philologues les plus éminents, comme M. Camille
Chabaneau, tantôt et surtout lui-même. Il en appelé sans
relâche à Puitspelu mieus informé. De là un supplément de
trente pages et un errata de sis, sans compter les rectifications
nouvelles pour lesquelles il taille déjà sa plume. Ainsi Littré
ajoutait à son dictionnaire un supplément, des additions au
supplémentjCt des notestardives pour compléter les additions.
Comme le dit Littré, « le vocabulaire d'une langue vivante
n'est jamais clos ; ce qui n'empêche pas qu'un dictionnaire
fait avec soin ne soit, chaque fois qu'on l'arrête, une œuvre
suffisamment définitive pour rendre service à la langue et au
lecteur ». Le vocabulaire des parlers vivants s'accroît chaque
jour. Ainsi le patois lyonnais, ou, pour être plus exact, le
français populaire de Lyon, s'est enrichi depuis un an et
demi d'un mot que beaucoup de personnes emploient déjà
sans en connaître l'origine, et dont l'explication embarrassera
fort nos successeurs, si le mot n'est pas introduit dans une
prochaine édition d'un des livres « pardurables » de Puitspelu.
C'est hufalo au sens de voiture publique légère et économique,
ouverte sur les côtés, circulant sur les rails des tramways, et
traînée par un seul cheval (1).
Le hasard a fait que les voitures de ce modèle se sont
trouvées prêtes à circuler au moment oiî un industriel amé-
ricain, qui venait de montrer à Paris, pendant l'exposition
universelle de 1889, une troupe de sauvages et de chasseurs
de bufïles, s'arrêtait à Lyon pour donner une série de repré-
sentations sur l'hippodrome de Bonneterre. C'est par le mot
hufalo, forme italienne^ et anglaise de « buffle )) que commen-
çaient les affiches nionumentaU^s du spectacle, et, à Lyon
(1) Chi'Oiiiquc locale du Li/on Réjjublicain , 23 juin 1S!)1 : « M. X.
sortait d'un établissement sur le cours Vitton, (juand un tramway dit
hul'alo le renversa. »
COMPTES RENDUS 155
comme à Paris, on prit riiabitucle de désigner exclusivement
par ce mot le chef de la troupe et le spectacle lui-même :
on allait à Bufalo. La compagnie des tramways de Lyon
ayant inauguré à ce moment ses voitures légères, pour trans-
porter le public à Bonneterre, on appela ces voitures des
hufalos, et le nom leur est resté. Concluons : les « bufalos »
sont des voitures semblables à celles que l'on prenait à Lyon
en 1890 pour se rendre aus représentations données par des
chasseurs de « bufalos. » A défaut de cet éclaircissement, les
étymologistes de l'avenir s'ingénieront peut-être à tirer bufalo
de plaustrum comme Ménage tirait haricot de faba.
Nizier du Puitspelu vient de faire paraître, un an après
l'achèvement de son Dictionnaire, la seconde édition de ses
Vieilleries lyonnaises, ouvrage où la fantaisie reprent tous
ses droits sans que la philologie y perde les siens. La relation
entre les deus livres est indiquée par les premières lignes de
la savoureuse préface des Vieilleries : « Que si tut'enquières,
ami lecteur, de la raison pourquoi cette seconde édition, je te
dirai apertement que c'est parce que, la première étant épuisée
et montant dans les encans à des prix ridiculement forcés, des
éditeurs m'ont requis et prié d'en mettre au jour une nou-
velle. Ceci est la raison externe, pour le commun peuple,
mais à toi je te confesserai privément dans le canal auditif,
que la raison occulte et interne, c'est que j'avais fait maint
bousillage dans la première édition à l'endroit de nos bons
vieux mots lyonnais, et que j'ai toujours ouï dire à feu mon
grand, qu'il fallait toujours se dire bête à soi-même avant que
les autres vous le disent. » Ce qui signifie, en simple prose,
que Puitspelu a mis son livre au courant de la science, de
.sa science pourrait-on dire, car elle est sienne en ce quil a
largement contribué à la faire, et qu'il ne s'est pas borné à la
recevoir.
Dans ses Vieilleries, l'auteur reclific non stnilcmcnt la pre-
mière édition du même livre, mais encore, à l'occasion,. son
Dictionnaire. CcHt dire que les linguistes y trouveront même
plaisir et môme profit que les folk-loristes et les puis Lyonnais.
Signalons au hasard les chapitres suivants : Le uieux canut.
— Les jeux des gones. — Les bêches. — Les cadettes. — Le
Gourguillon. — De nos expressions de tendresse, etc. Et
ajoutons, à seule fin de rassurer les Parisiens et autres pro-
15B REVlîE^DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
vinciaus^ qu'ils trouveront page 369 et suivantes un « Guide-
âne à l'usage des bonnes gens qui ne sont pas natifs de Lyon,
pour l'intelligence de quelques mots de l'ouvrage ».
Pour que les dictionnaires patois-français puissent servir
commodément aus recherches de phonétique générale et
comparée, il est presque indispensable qu'ils soient accom-
pagnés d'un index français-patois, renvoyant pour chaque
mot français au terme patois correspondant. Sans cet index
secourable la forme patoise d'un mot français déterminé sera
presque toujours difficile et longue à trouver pour les « bonnes
gens qui ne sont pas natifs de Lyon ». Il est donc à souhai-
ter que l'auteur fasse exécuter à bref délai une sorte de table
de son Dictionnaire étymologique, dans l'ordre alphabétique
des mots français. Ce sera une si belle occasion d'insérer
quelques « notes tardives », si chères à un lexicographe scru-
puleus !
Puisque nous sommes en train d'émettre des vgeus, il n'en
coîite pas davantage de demander aussi à Puitspelu une
étude développée sur les flexions verbales en lyonnais, qu'il
est mieus que personne en état de nous donner. Ce qu'il eu
dit, à la fin de sa phonétique, suffit pour l'introduction d'un
Dictionnaire. Mais la question mérite d'être reprise et traitée
à part. A côté de la double conjugaison dérivée des verbes
latins en are et de la conjugaison inchoative, qui sont encore
vivantes, il n'y a, en lyonnais comme en français, que des
débris des autres conjugaisons latines, stérilisées depuis
l'origine de notre langue et pour lesquelles les paradigmes
particuliers ne peuvent qu'induire en erreur. Ces conjugai-
sons n'ont pas cessé de s'assimiler de plus en plus les unes
aus autres, de telle sorte qu'on peut les ramener à un seul
type, sous réserve de formes diverses pour certains temps et
certaines personnes. Cette conception, en généralisant les
règles de conjugaison, permet d'y faire rcnitrer beaucoup de
formes dites irrégulières, qui ne paraissent telles que parce
qu'on les compare à des paradigmes trop étroits et par cela
même faus. La plupart des particularités qu'offrent les pré-
tendus paradigmes et les prétendues irrégularités s'expliquent
par des modifications phonétiques ou analogiques du radical,
(|u'il est extrêmement intéressant d'étudier, qui ne correspon-
dent pas le plus souvent aus terminaisons diverses dcl'infinitif ,
COMPTES RENDUS 157
mais qu'on peut arriver à classer et à rattacher, sous forme
de remarques spéciales, au type général des conjugaisons
mortes.
En maintenant, à titre de simples exemples, les paradigmes
proposés, il serait nécessaire de donner la liste, aussi com-
plète que possible, des verbes ausquels chacun d'eus s'appli-
que plus ou moins rigoureusement. A défaut de ces listes, il
est impossible à un philologue non lyonnais de faire, d'après
les éléments fournis par l'introduction au Dictionnaire éitj-
mologique, le travail dont nous venons de signaler l'utilité et
d'esquisser le plan L. C.
Ernest Langlois. — Origines et sources da roman de la
Rose (fascicule cinquante-huitième de la Bibliothèque des
Écoles françaises d'Athènes et de Rome. Paris, Thoriii,
1891, vni 203 pages in-8o).
Le même. — De artihus rhetoricœ rhythniicœ (Paris,
Bouillon, 1890, 119 pages in-8o).
L'auteur présente son livre sur les origines du Roman de
la Rose comme une sorte de travail préparatoire entrepris
par lui en vue d^une édition critique du Roman. Assurément
la connaissance des œuvres latines ausquelles Jean de Meung
a fait des emprunts peut être d'un secours très précieus pour
la classification des manuscrits et pour l'établissement du
texte du Roman de la Rose. Mais cette connaissance offre
par elle-même un grand intérêt, indépendamment de toute
utilisation ultérieure. L'étude des origines et des sources du
célèbre roman est un chapitre important qui manquait à
notre histoire littéraire, et qui, maintenant, grâce à M. Lan-
glois, n'est plus à faire.
En ce qui touche la première partie du roman de la Rose
due à Guillaume de Lorris, il résulte du travail très fouillé
(l(^ M. Langlois que « si on examine à part chacun des élé-
ments dont elle est composée, l'esprit dans lequel l'œuvre a
été conçue, sa méthode, son cadre, ses ornements poétiques,
ses idées, on reconnaît qu'aucun d'eux n'est original, qu'on
les trouv(î tous épars dans les œuvres antérieures. »
158 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Quant à Jean de Meung(l), « il était très familier avec la
littérature latine, il avait lu tout ce qu'on pouvait en lire de
son temps, c'est-à-dire, à peu de chose près, ce qui nous en
est parvenu », et il en fait un usage constant, sans dissimuler
ses emprunts, et sans faire effort pour y introduire une note
personnelle. C'est ainsi qu'on imitait de son temps. Mais
il reste dans son œuvre et dans celle de son devancier des
qualités remarquables d'adaptation et de style, et chez l'un
une grande finesse d'analyse, chez l'autre une verve satirique
puissante, qui justifient amplement la célébrité persistante
du Roman.
Tous les rapprochements indiqués par M. Langlois sont
intéressants, et ils sont mis en valeur avec une grande dex-
térité. Je me permettrai une seule critique à propos de l'é-
pisode de Faux-Semblant. C'est un des passages les plus
justement admirés du roman de la Rose, et M. Langlois en
trouve la source unique dans les œuvres latines de Guillaume
de Saint-Amour. Mais à la même époque, un ami de Guil-
laume, Rutebeuf, le grand satirique du xiiie siècle, expri-
mait en beaus vers français les mêmes idées, soit qu'elles
lui fussent communes avec Guillaume de Saint-Amour, soit
que l'un les empruntât à l'autre. Or un bon nombre des
poésies de Rutebeuf dirigées contre les hypocrites sont con-
temporaines de la grande querelle entre l'Université et les
Ordres mendiants, et par conséquent antérieures à la conti-
nuation du roman de la Rose. N'est-il pas extrêmement vrai-
semblable que Jean de Meung les a connues et a pu s'en
servir? La question, en tout cas, méritait d'être posée.
L'étude sur les sources du roman de la Rose a été pré-
sentée par l'auteur à la Sorbonne comme thèse française de
doctorat. Il présentait en même temps, comme thèse latine,
un travail intitulé De ariihufi rhetoricœ i-hythmicce, c'est-à-
dire sur les arts poétiques écrits en France du xiv« au milieu
du xvi« siècle. Le sujet n'y est pas traité à fond, mais on y
trouve des indications bibliographiques qui complètent utile-
ment le Manuel de M. Gaston Paris. L. C.
(1) Sans doute l'orthographe Meung est grotesque ; mais, tant qu'on
écrira ainsi le nom de lieu, il sera utile de ne pas écrire autrement
If nom du i)oète.
CHRONIQUE 159
CHRONIQUE
Notre collaborateur M. Bourciez vient de publier des
réflexions très judicieuses et très suggestives sur VEnseigne-
uieni français et l'enseignement supérieur des langues
romanes. Il s'agit d'abord de l'enseignement secondaire
spécial, auquel un décret récent vient précisément de donner
le nom de (( enseignement secondaire moderne ». Le même
décret supprime l'agrégation de l'enseignement secondaire
spécial. Cette solution était prévue par M. Bourciez, qui
disait : « Je me demande ce que feront des professeurs qui
auront passé cinq ou six ans à préparer des examens dont le
grec et le latin forment le fond, le jour où, brusquement, ils
n'auront plus à enseigner que le français ». Ces professeurs,
très probablement, se prêteront mal à un enseignement qu'ils
considéreront évidemment comme inférieur. Est-ce à dire
qu'il faille revenir à un recrutement spécial du corps ensei-
gnant? Oui, dit M. Bourciez, mais à la condition qu'on
créera une agrégation nouvelle, véritablement forte, dont
l'étude des langues romanes sera la bas3. Car « les langues
romanes, étudiées dans leur structure grammaticale et dans
leur floraison littéraire, peuvent devenir un instrument de
culture générale très efficace et très suffisant », C'est tout à
fait notre avis, et nous souhaitons que les idées de M. Bour-
ciez fassent rapidement leur chemin. Pour résoudre cette
question si compliquée, il vaut mieus reconstruire que de
replâtrer. La politique d'expédients est la pire de toutes.
NÉCROLOGIE. — Le promoteur de la Renaissance proven-
çale, le vieil ami de Mistral, Joseph Roumanille, auteur de
tant d'œuvres charmantes, est mort à Avignon, le 24 mai
dernier. Voici en quels termes le Consistoire et les Mainte-
nances du félibrigc ont annoncé à leurs amis cette doulou-
reuse nouvelle: « Lou Consistôri Felibrcn ; li Mantenènço
Felibrenco de Prouvônço, de Lengadô, d'A(|uitâni e de Cata-
lougno, doulourousamen vous fan assaupre que lou Capou-
liédôu Felibrige, En Jôusè Roumanille es mort dins la Pas
(le Dieu, en Avignon n, lou 21 de mai 1891, jour di Sànti
Mario. »
160 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
LIVRES ET ARTICLES SIGNALÉS
Ernest Langlois. — Notice des manuscrits fraiiçais et
provençaux de Rome antérieurs au XVI^ siècle {Thè des
Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque Natio-
nale et autres bibliothèques, t. xxiii, 2^ partie. Paris, imp.
Nationale, 1889, 347 p. grand iD-4o). — On sait combien les
diverses bibliothèques de Rome renferment de manuscrits
importants pour l'histoire littéraire de la France au mo^^en
âge. Les renseignements qu'on possédait sur ces mss. étaient
très incomplets et très épars. Il faut savoir gré à M. Langlois
de nous avoir donné un catalogue de toutes ces richesses,
dressé avec soin et compétence. C'est un travail considérable,
qu'il a su mener de front avec son étude sur le Roman de la
Rose, dont nous rendons compte ci-dessus.
— Le dernier fascicule des Phonetische Studien (3e du
4« vol.) contient la première partie d'un Essai de grammaire
phonétique du français, rédigé en français par M . Gustave
Rolin, de Prague, élève de l'éminent romaniste M. Cornu.
— Signalons, dans le Literaturblatt fiir germani^che und
romanische Philologie, un article important de W. Fœrster
sur les Œuvres de Gautier d'Arras publiées par M. Lœseth
(Paris, Bouillon, 1890).
Carl Theodor Hoefft. — France, franceis et franc
im Rolandsliede (Dissertation de Strasbourg, 189 L). — Cette
dissertation, dédiée à M. le professeur Grœber, est un bon
travail de début. Le sujet, un peu étroit, indiqué par le titre,
s'élargit dans l'exécution par de nombreus rapprochements.
Henri Bardy. — Le folk-lore du Val-de-Rosemont (Ex-
trait du Bulletin n» 5 de la section des Hautes- Vosges du
Club Alpin Français, 22 pages in-8o). — Cette intéressante
brochure contient une nouvelle édition du chant populaire
dit (( Chant du Roscmont », dont le texte a été revu par le
philologue vosgien le plus compétent, M. le chanoine Hingre.
Le Gèruid : E. Bouillon.
CIIALON-SUn-PAONK, nunilMKRIK I)K L. MARCEAU
i
L'ÉVOLUTION PHONOGRAPHIQUE DE L'Oi FRANÇAIS
( Suite)
Laissant de côté tous les cas isolés qui pourraient
mener trop loin nos recherches, nous voici donc en pré-
sence de trois systèmes phoniques (oé, è, oa, sans compter
les oin) bien différents et dont chacun avait ses partisans
et ses adversaires. Gomment trancher graphiquement la
question ? L'anomalie que nous trouvons aujourd'hui
encore à prononcer roule comme mide, coin comme kwe,
et roi comme roà, sans mettre en ligne de compte oignon
pour onô [ognon] ou encoignure pour akohiir et d'autres,
s'étendait donc, dans le xvi" et xvn" siècle à tous les mots
où l'on trouvait le oi et on se heurtait toujours contre la
ditïiculté de ne pas connaître sûrement comment on devait
prononcer ces mots, soit par oe dans ses diverses nuances,
soitparoaou par è. Les mots dont la cour et les écrivains
en renom, les poètes surtout, s'étaient déjà servis, étaient
pour ainsi dire, à peu près sacrés ; du moins on savait à
quoi s'en tenir parmi les gens cultivés ; mais pour tous
les autres — et il faut bien reconnaître que c'était le plus
grand nombre — c'était l'anarchie, tellement qu'à côté
des mots comme /'/'rt»fo/.s, foible, monnoie on en trouvait
d'autres comme danois, Iwurgeois, joie, qui paraissaient
devoir être assujettis à la même loi d'évolution phonétique
et qui ne l'étaient pas toutefois, les uns ayant trop avancé,
et les autres s'étant arrêtés dans leur transformation.
Il fallait donc, pour démêler ces divers mots, opérer
dans l'orthographe une évolution analogue à celle qui
s'était opérée dans la prononciation. Si l'écriture doit être
la plus (idèle représentation du langage, c'était à l'écriture
de chercher des formes graphiques nouvelles pour les
mettre en équivalence avec l'es nouvelles formes phoniques-
Ce fut à peu près ce raisonnement-ci que se tinrent sans
doute les écrivains, grammairiens ou littérateurs, qui
depuis les temps les plus reculés avaient été frappés du
besoin d'accorder la prononciation avec l'orthographe et
HevuI'; uk rmi.Di.oi.ii;. \. 11
162 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
s'étaieat efforcés d'employer une ortliographe phonétique.
On a attribué à Voltaire la transformation de l'orthographe
oi en aï, et cette opinion erronée, que nous voyons patron-
née même par Diez (1), a jeté de telles racines que, même
aujourd'hui, M. Vernier, maître de conférences à la
Faculté des Lettres de Besançon, n'a pas hésité à la repro-
duire (2). D'autres ont donné comme auteur de cette inno-
vation M. Berain, et moi-même, dans la première rédac-
tion de cet article (3) la lui avais aussi attribuée (4)
(1) Fried. Diez: Grammatik der romanisc/ien Sprachen. v. Les mois
dans lesquels on prononce (et depuis rexemple de Voltaire et de
quelques auti'es on écrit) ai pour oi — dit l'éminent romaniste alle-
mand— sont/ra7içois et d'autres noms de peuples semblables, /oiôie^
folde, inonnole, Iiarnois, paroitre, connoitre, et les flexions verbales
ois, oit, oient. » (Edition française, traduction d'Aug. Brachet et de G.
Paris.)
(2) Dans le numéro du mois de juillet 1889 (pendant que nous rédi-
gions cet article) de La iwuoèle oi-tografe , organe de la Société de
réforme ortographique, nous trouvons le suivant extrait de Voltaire
grammairien par M. Vernier : « La réforme relative à la diphtongue
» oi a une importance assez considérable ; en debors de son utilité,
» elle montre ce que peut un grand écrivain dans le domaine des
» réformes grammaticales. Il serait à souhaiter qu'on en fit autant de
» temps en temps... Que u'a-t-on pas dit de Voltaire ? N'a-t-il pas été
» accusé d'avoir ourdi une trame machiavélique contre les grands
» écrivains qui l'avaient précédé ? » — [M. Araujo se méprent sur la
pensée de M. Vernier, qui ne prêtent pas que Voltaire ait le premier
proposé de changer oi en ai, quoi qu'il en pensât lui-même ; il constate
seulement que c'est lui qui, grâce à son autorité littéraire, fit préva-
loir la réforme. Et Diez, en somme, n'a pas dit autre chose.] L. C.
(3) Les métamorphoses d'un son, dans la Reoiœ de linguistique et
de philologie comparée de Paris XXI, travail très faible de mon temps
d'élève à TUniversité.
(4) « Ce fut à peu près ce raisonnement-ci, disais-je,que se tint un avocat
» du Parlement de Rouen, M. Besain ou Berain, l'an 1652, lorsqu'il
» publia ses Remarques grammaticales, à l'instar deVaugelas, où il
» demanda de substituer le ai à oi. On lui a contesté longtemps ce
)) mérite, en attribuant la réforme d'abord à Voltaire, et après à un
» certain Lesclache. Pour ce dernier, c'est M. Chassang (Nouvelle
» grammaire française, Paris 1885) qui la lui attribue ; mais je crois
» qu'il a tort, et qu'il a été trompé par la date qui généralement se
» trouve accolée au nom de Berain dans presque tous les auteurs,
» entre autres dans les Grammaires de Girault-Duvivier et de Napoléon
» Landais ; cette date est celle de 1675, et comme Lesclache, suivant
» Chassang, écrivit son ouvrage en 1668. rien de plus naturel que
ÉVOLUTION DE l'oI FRANÇAIS 16H
d'accord avec plusieurs grammairiens entre autres Girault-
Duvivier (l), Landais (2), Tell (3) etc., en rejetant en même
temps une autre opinion de M. Chassang, qui accordait
la paternité de la réforme au grammairien Lesclache (4).
Mais les nouvelles études que j'ai eu l'occasion de faire,
par suite surtout d'un amical avertissement de M, Victor,
qui me mit en garde contre le témoignage de M. Tell,
m'ont amené à formuler des conclusions, en partie nou-
velles, qui me font rejeter décidément non seulement
l'opinion de ceus qui ont cru Voltaire auteurde la réforme
(rectification qui était faite dès longtemps) mais aussi de
ceus qui l'ont attribuée à Lesclache et même à Berain ;
pour celui-ci cependant je maintiens encore en partie
mes primitives conclusions. Mais racontons les faits,
parce que l'on en peut tirer de très utiles enseignements,
et parce qu'il est curieus de voir comment se forment
parfois les opinions, pour ne pas se laisser aller à une
crédulité nuisible.
Quand j'eus lu dans Chassang que Lesclache avait le
premier proposé la réforme de Voi en ai (5), affirmation
tout à fait nouvelle, du moins pour moi, et qui renversait
les opinions reçues, je n'osai pas mettre en doute le fait
même de l'innovation, et comme je n'avais alors à
ma disposition ni l'ouvrage de Lesclache ni celui de Berain,
j'aurais admis sans constestation l'assertion de Chassang,
» de lui attribuer la paternité de la réforme. Berain cependant
» publia ses /îemar^î<f'.s l'an 1652 (Tei.l, Les grammairiens J'rançais)
)> comme nous l'avons dit ci-dessus, c'est-à-dire seize années aupara-
» vant, ce qui renverse de fond en comble tout l'échafaudage élevé
» par M. Chassang. On ne peut donc, ce nous semble, pour le
» moment, contester à M. Berain la priorité de l'innovation. «
(1) GiRAULT-DuviviEii : Grammaire dos grammaires ou Analyse
raisonnée dos meilleurs travaux sur la langue françoise. Paris, 1811.
(2) Napoléon Landais : Grammaire générale ou résumé de
toutes les Grammaires françaises. — Paris, 1841.
(3) Tell : Les grammairiens français. — Paris, 1874.
(4) Chassang : Nouoelle grammaire française. — Paris, 1885.
(5) Voici les mots textuels de Chassang ; « Dés le xvn'' siècle, le
» grammairien de Lesclache (1668) proposa de conformer l'orthographe
» à la prononciation, et d'écrire à l'imparfait ais au lieu de ois. Cetto
»> tentative fut renouvelée en 1675 par Berain, avocat au parlement. »>
164 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
sans la différence des dates données pour la publication
des Remarques de Berain; j'avais trouvé en effet dans
Girault-Duvivier et dans Landais la date de 1675 comme
celle de l'année où l'ouvrage de Berain avait paru, mais
Tell de son côté donnait la date de 1652 pour le même fait.
Comme l'ouvrage de Tell était postérieur et que Tell,
pour le composer, devait avoir eu sous les yeus les gram-
mairiens qu'il citait ou dont il faisait le compte rendu,
quelque superficiel et sommaire qu'il fût, je considérai sa
rectification, et la date par conséquent de 1652, comme
l'expression de la vérité ; alors je parvins à m'expliquer
l'afïirmation de Chassang comme une erreur, née simple-
ment de la croyance que l'ouvrage de Lesclaclie, publié
en 1668, était antérieur à celui de Berain, paru, suivant les
données (que je croyais erronées) de Girault-Duvivier,
Landais et d'autres, en 1675 et non en 1652 comme Tell
disait et comme je l'admettais; tout s'expliquait ainsi,
par la date donnée par Tell (1652) pour l'ouvrage de
Berain, et par celle donnée par Chassang pour celui de
Lesclaclie (1668). Je rejetais l'affirmation de Chassang et
je rétablissais Berain dans tous les honneurs qu'on lui
avait auparavant accordes. C'était agir avec trop de légè-
reté assurément, et je n'ai pour m'excuser que la foi que
j'ajoutais aus affirmations et aus données de Tell et de
Chassang.
Je me méfiais pourtant quelque peu de mes conclusions;
je cherchai l'ouvrage de Berain dans la bibliothèque
universitaire de Salamanque, dans la Nationale et dans
celle de Saint-Isidore de Madrid, dans celles de Tolède,
de l'Escurial, de Barcelone, mais je ne le trouvais nulle
part et je voyais tous mes efforts échouer; je feuilletai
plusieurs catalogues de librairies et de bibliothèques
particulières, j'eus recours à Brunet«t à beaucoup d'autres
bibliographies, mais je n'y trouvai pas non plus de tra-
ces de Berain. J'aurais voulu pouvoir arriver à me former
une conviction sur la date de publication des Remarques
de Berain et sur son vrai nom, car tantôt je le trouvai
écrit Rerain tantôt Resain et même Rez-ain. Il y fallait
renoncer, pour le moment du moins. C'est alors que
>L Victor me remit le travail de Rossmann, Franxô-
ÉVOLUTIOX DE l"oI FRANÇAIS 165
sisclies oi, où je trouvai encore autorisée l'opinion de ceus
qui donnaient Berain comme l'auteur de la réforme de
Voi en ai, mais il datait l'ouvrage de Berain de 167S; c'était
un troisième témoignage, moderne celui-ci, en faveur de
cette date et je décidai alors, vu ces contradictions,
d'ajourner la publication de mon article, qui était déjà
sous presse, en profitant de cet ajournement pour le
compléter en y ajoutant le résultat de mes études sur
l'évolution phonétique de l'oi; cardans la première rédac-
tion je m'étais borné à l'exposition de l'évolution gra-
phique de Voi ou pour mieus dire à l'exposition des
luttes entamées par les grammairiens et les littérateurs
sur l'adoption ou le rejet de ai ou è pour oi. Cet ajourne-
ment m'a permis de refaire radicalement tout mon travail
primitif, et d'offrir au public une étude, aussi complète
que possible, et aussi consciencieuse que je l'ai pu, sur
l'évolution phonographique de Voi, en montrant groupé
en un seul tout les différents résultats qui s'y rapportent.
Ayant échoué dans mes efforts pour arriver à voir
de mes yeus l'ouvrage de Berain, je pris le parti de
m'adresser alors à la Direction de la Bibliothèque Natio-
nale de Paris, et je n'eus pas l'occasion de m'en repentir,
car M. Delisle s'empressa de me répondre, en me fournis-
sant les renseignements que je lui avais demandés (1); la
date de l'ouvrage était celle de 1675, et l'auteur s'appelait
N. Berain (ni Louis, ni Besain comme Tell l'appelait); donc
Telln'avait \)d.s\w\(is Remarques de l'avocat grammairien.
Chassang avait-il donc raison? Il fallait voir. Je fis d'abord
des recherches, je profitai plus tard de mon voyage à
Paris à l'occasion de l'Exposition universelle pour étudier
à la Bibliothèque Nationale les ouvrages de Berain, de
Lesclache et d'autres encore, et j'aboutis à la conclusion
que la date du livre de Lesclache était bien celle de 1668
donnée par Chassang, mais que Lesclache n'avait pas
(1) « Voici le titre dorouvrago — me disait M. Delisle — que vous
m'avez faitriionneur de me demander: u Amoncelles \ remarques \ sur
la I laurjua J'ranraise \ [lar M . N. B. avocat | au Parlement de Paris
I a Rouen \ chez Eustacitc Viret impri \ meur ordinaire du Roi
dans I la cour du palais MDcLXXV. » Volume in-16. La dédicace
qui est en tête est signée : BERAIN. »
166 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
proposé la réforme de Voi par ai. Le seul titre de
l'ouvrage de Lesclaclie (1) montre assez bien quel était
le système graphique de l'auteur; là en effet, on ne trouve
pas écrit française comme dans les Nouvelles remarques
de Berain, mais francéze ; et pour peu que l'on feuilleté
Les véritables régies de rortographe franeèze, on y trouve
à chaque instant des etét, des parétre, des eonétre, des
empecherét, etc., qui ne laissent pas le moindre doute.
Ce n'était pas ai mais é que de l'Esclache proposait
pour remplacer oi et il n'hésitait pas à soutenir sa
manière de voir et à indiquer directement et d'une façon
catégorique sa pensée sur la réforme graphique : « Il ne
» faut pas, disait-il, condamner dans les viens livres ces
B fasons d'écrire /rt/mo/s, // aimoit, je parlais, il parloit,
» car éles ont été conformes à la parole de leurs auteurs ;
» mais comme la prononsiasion an a été adoucie, ceus qui
» les retiénentà prézant après avoir aprouvé lechanjement
» de leur original sont ridicules de préférer un mauvais
» uzaje à la raison. Nous devons donc écrire f aimés, il
» aimét, je parlés, ilparlét, ils parlèeni, etc. (2).»
Et maintenant est-ce Berain qui est l'auteur de l'innova-
tion graphique qui aboutit à la substitution de ai à oVt S'il
s'agit de celui qui a le premier proposé cette innovation
en l'appliquant systématiquement à tous les cas où elle
pourrait être appliquée, oui sans doute ; Berain est l'au-
teur de l'innovation. Mais pour lui décerner sans contes-
tation possible ce titre, il faudrait que Berain eût été le
premier à employer ai pour oi, et il n'en est rien : Berain
est certes l'apôtre convaincu de la réforme, celui qui a le
premier systématisé et généralisé ses applications, mais
il s'en faut de beaucoup qu'il ait été le premier à employer
rt/pour o/.Sans parler des temps antérieurs à l'apparition
des premiers grammairiens français, temps oixVoi primi-
(1) Voici le tilre de l'ouvrage de ce grammairien, qui ne s'appelait
non plus Lesclache, comme le dit Chassang, mais de l'Esclache : Les
Kéritables Règles de l'ortografe fvancése oc l'art d'aprandre en
peu de tains à écrire côrectcmant par Louis de l'Esclache. A Paris,
M.DC.LXVIIf. »
(2) De l'Esclache : Les céritablcs Régies de l'ortogra/e françé:ie.
page 23.
ÉVOLL'TION DE l"oi FRANÇAIS 167
tif avait déjà disparu, remplacé par ai, en plusieurs mots,
nous trouvons beaucoup d'écrivains qui ont fait emploi
de Vai (soit systématiquement pour tel ou tel groupe de
mots, soit seulement pour constater la prononciation usi-
tée de leur temps, qu'ils blâmaient ou qu'ils approuvaient,
suivant le goût de chacun) avant Berain. Dans ce sens on
ne peut attribuer à Berain la paternité de la réforme
qu'avec quelques restrictions.
Le premier écrivain où nous trouvions employée la
graphie ai au lieu de oi est un médecin, du nom de Jou-
bert, auteur d'un Traité du ris à la suite duquel il avait
placé un dialogue très curieus, sur la cacofjraphie fran-
saise; rouvrage(l) était daté de 1579. Joubert était un
esprit éclairé, et suivant son neveu Christophe de Beau-
chatel, il avait « premièrement la maxime qu'il faut
écrire tout ainsi que l'on parle et prononce » ; son sys-
tème (2) est assurément des mieus réussis; borné à
exprimer par écrit le naïf parler du français, il n'in-
troduit pas de nouvelles lettres et sans charger l'écri-
ture d'accents ni de crocs, parvient aisément à produire
(1) Voici le titre complet du livre de M. Joubert : « Traité du ris,
contenant son essance, ses cavses et merveilheus essais, curieuse-
ment recerchés, raisonnes et observés par M. Lavr. Jovbert, conselier
et Médecin ordinaire du Roy, et du Roy de Nauarre, premier Docteur
regeant, Chancelier et Juge de rvniversité au Médecine de Mompelier.
Item, La cause morale du Ris de Democrite expliquée et témognée
par Hippocras. Plus, vn Dialogue sur la Cacographie Fransaise, avec
les Annotacions sur l'orthographie de M . lovbert. A Paris, Chez
Nicolas Chesneau, rue S. Jaques, au Chesne Verd. M.D.LXXIX. »
Les deux aiitreparlcurs du Dialogue sont Fransais et Wol/f'gang.
Les annotacions appartiennent à Christophe de Beauchatel, neveu et
disciple de M. Joubert.
(2) Voici un spécimen de l'écriture de M. Joudert : « Certains
» princes d'Alemagne m'ont donné charge d'essayer à comprendre
» exactement ce langage (le fransais) pour le savoir par après commu-
» niquer aus leurs et an parlant et an écrivant, ainsi qu'il le faut
» prononcer. Et pour ce j'ay méprisé tous livres écris en fransais et me
» suis contraint d'apprandre le langage an conversant familieremant
» avec ceus qui parlei mieux, observant trœ sogneusemant la vraye
>) prolaciou. De laquelle m'étant bien assuré, j'ay commancé d'expri-
» mer par écrit le naïf parler du fransais. » Pour bien apprécier tout
le mérite de cette orthograplie, il faut la comparer aus écrits contem-
porains tout hérissés de dillicultés et presque illisibles.
168 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
une orthographe aussi shnple et facile que propre à
la représentation de la prononciation usuelle. Joubert
écrit fransais, pourrois, domitioint, tenoint, soint, met-
troit, connois, etoit, elorpier, etc., où l'on voit qu'il
conserve les oi pour les flexions des imparfaits, des con-
ditionnels et des verbes en oistre, sans doute parce que
de son temps, la prononciation ne s'était pas encore
décidée en faveur de 1'^; mais il emploie ai dans les
adjectifs de nationalité comme fransais. Si quelqu'un
mérite donc les honneurs d'être l'introducteur de l'ortho-
graphe en ai, c'est à Laurent Joubert qu'il faut les accor-
der
Après Joubert, je n'hésite pas à compter Oudin au
nombre de ceus qui ont aidé à l'adoption des ai. Oudin,
il est vrai, est un des ennemis les plus convaincus des
réformes graphiquesil); mais qu'importe, si lorsqu'il
veut représenter la prononciation usitée de son temps,
il lui faut recourir à l'orthographe en ai, et dire par
exemple de connoistre, paroistre, etc., qu'il est « plus
doux et plus mignard de les prononcer connaistre, parais-
Ire, cirait, frait, estrait, courtais, français, courtaisie »?
N'est-ce pas là une manière de contribuer à répandre
l'écriture en ai? Car si connaistre est plus doux que
connoistre et si connoistre ne sert plus à représenter
connaistre, pourquoi donc n'écrira-t-on pas connaistre
tel qu'on le prononce? Quiconque, libre de préjugés, lira
Oudin, en tirera certes cette conséquence.
Dans le même cas qu'Oudin se trouve Vaugelas ; celui-
ci non plus n'ose toucher à l'orthographe admise de son
temps; mais s'il veut faire la distinction, à l'égard de la
prononciation, des adjectifs de nationalité qui se pro-
noncent d'une manière d'avec ceus qui se prononcent
(1) Antoine Oudin : Grammaire françoise rapportée au langage
du temps. Paris, 1633. « le m'estonne, dit-il, de quelques modernes
» qui, sans aucune considération, se sont meslez de reformer, mais
» plustost de rennerser nostre orthographe. Qui sera-ce d'entre eux
» qui, bannissant lettres radicales, vray fondement de l'origine de
» nos dictions, nous tirera des confusions où nous iette leur imperti-
« nente façon d'escrirc qu'ils accommodent à ;la prononciation ?
') Comment discernera-t-on an (annus) d'auec en (in) préposition ;
» amande (amigdala) et amende (muleta), etc. ? »
ÉVOLUTION DK l'oI FRANÇAIS 169
d'une autre, il lui faut dire que François, Anrjlois, HoUan-
dois, se prononcent Français, Anglais, HollandaLs par ai^,
tandis que Senois, Suédois, Liéfjeois se prononcent comme
ils s'écrivent, par oi; il prescrit aussi de prononcer /;ois,
dois, mois, par oi, mais au contraire, paix, crais, drait,
par ai; il trouve ridicule de mettre ai, au lieu de oi, en
boire, gloire, mémoire, mais il aime mieus cette substi-
tution en craire, connaistre, paraistre (1) ; ce sont — qui
peut le nier? — autant d'arguments en faveur de l'ortho-
graphe en ai et autant de moyens pour y habituer les
yeus du public et préparer la voie de la réforme. Et ne
perdons pas de vue que Vaugelas était une puissante
autorité et qu'il prétendait jouer le rôle de témoin de
l'usage des gens lettrés et de la cour.
Le P. Chiflet, qui vient après, n'aime pas les innovations
en matière de prononciation, et il s'en tient en général,
quand il y a des hésitations dans l'usage, à la prononciation
traditionnelle; mais pour l'orthographe c'est tout autre
chose : on peut résister au courant de la néopliémie,mais
une fois que l'usage s'est décidé pour une nouvelle pro-
nonciation, on doit y accommoder l'écriture qui doit tou-
jours être réglée par la prononciation, sans trop se soucier
des exigences étymologiques. Il suit la voie tracée
par Oudin et Vaugelas, en employant la transcription ai
pour constater la variation subie par la prononciation
des oi, quoiqu'il ne s'en serve pas pour son usage per-
sonnel, peut-être parce qu'il aimait encore à prononcer
les oi par oè. « Aux prétérits imparfaits — dit-il — qui
» sont terminez en ois, comme je par lois, tuparlois, etc.,
» je parlerois tu parlerois, etc., ois se prononce de meil-
» leure grâce et avec plus de douceur en couvert, ou qui est
» le même, en ai : je parlais, je parlerais, etc. Quoy qu'à
» la rigueur on ne condamne pour une faute de les pro-
» noncer en oi (2) ».
(1) Claude Favhk dk Vaugelas : Remarques sur la lanr/uc J'ran-
<:oise. Paris, 1644.
(2) Le P. Laurent Ciiiflet, jésuite : Essay d'une parfaite Gram-
maire de la langue françoisc, où le lecteur trouvera en tel ordre
tout ce qui est de plus nécessaire, de plus curieux, et déplus élégant
en la pureté, en l'orthografe et en la prononciation de cette langue.
Anvers, 1659.
170 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Un coup droit porté à l'ancienne orthographe des
ni et qui eut assurément un grand retentissement, ce fut
la publication de la Grammaire des Pères de Port-Royal,
Lancelot et ses savants confrères. Ils avaient arboré
hautement l'étendard du phonétisme, et en énonçaient les
principes avec une très grande précision, de manière
à frapper les esprits et à éclairer les intelligences ; ils
proclamaient les lois qui doivent régir les rapports entre
la phonétique et l'orthographe, en exprimant ouvertement
leurs aspirations, suivant lesquelles il fallait : « l°Que
» toute figure marquast quelque son, c'est à dire qu'on
» n'écriuist rien qui ne se prononçast. 2° Que tout son tust
» marqué par vne figure, c'est à dire qu'on ne prononçast
» rien qui ne fust écrit, 3° Que chaque figure ne marquast
» qu'vn son, ou simple ou double, car ce n'est pas contre
» la perfection de l'écriture qu'il y ait des lettres doubles
» puisqu'elles la facilitent en l'abrégeant. 4° Qu'vn mesme
» son ne fust pas marqué par de différentes figures. »
Malheureusement et malgré l'extraordinaire lucidité d'es-
prit et la force de conviction que ces principe accusent,
MM. de Port-Royal (1) n'osèrent les mettre en action et ils
continuèrent en donnant un frappant exemple de la sou-
mission aus préjugés, comme on peut s'en convaincre par
le morceau que nous venons de copier. Ils n'osèrent
« toucher aux fausses combinaisons de voyelles - disaient-
ils — tèles que les ai, ei, oi, pour ne pas trop effaroucher
les ieux »; mais ils avouent qu'il serait pourtant plus
naturel d'écrire français que franeois; ils font remarquer
que ai est encore une fausse combinaison pour exprimer
le son de la voyelle è, mais ils trouvent le mérite à cette
écriture d'être du moins <' sans équivoque ». Ils nous font
voir en même temps les progrès que la réforme avait
déjà faits quand ils affirment que da plupart des auteurs
écrivent aujourd'hui conaître, paraître, français », ce
qu'il n'est [las difficile de prouver en feuilletant les édi-
(1) MM. DE Port-Royal (Ariiault et Lancelot). Grammaire générale
et raisonnée contenant les fondements de l'art do parler, expliqués
d'une manière claire et naturelle. Paris, 1660. MM. de Port-Royal
ont toujours exercé la plus grande influence dans les études qu'il
cultivèrent.
ÉVOLUTION DE l'oI FRANÇAIS 171
tions du temps. Tout cela se passait quinze années
avant la publication des Nouvelles Remarques de Berain.
Un an seulement après la Grammaire de Port-Royal,
parut le Dictionnaire des Prétieuses (i) de Somaize. Là
aussi nous trouvons de nouvelles consécrations de l'or-
thographe Joubert. Dans la petite liste donnée par Somaize
lorsqu'il raconte l'histoire des Prétieuses et de leurs
projets réformistes, suivant la citation de M. Wey (2),
liste qui ne comprent qu'une très faible partie des déci-
sions prises par les Prétieuses, mais qui nous renseigne
suffisamment sur le système de la célèbre « coterie »,
nous relevons à côté d'étoit pour estoit et de coûtoit
pour coustoit, où l'on n'a fait que supprimer les s du radical
sans toucher les terminaisons, parét pour paroist, parêtre
\)Our parois tre, et reconètre iwur reconuoistre, mais aussi
coîiait pour conuoist et (pltail pour gastoit. Il paraît que
le caprice présidait quelque peu aus réformes des
amies de Claristène et qu'elles n'aimaient guère
l'esprit d'uniformité, à moins pourtant que nous sup-
posions chez les Prétieuses une oreille assez fine et un
souci assez grand du phonétisme pour rendre sensibles
par l'écriture les nuances les plus délicates qui peut-être
existaient dans la prononciation; mais c'est très peu
probable ; en tout cas nous trouvons dans l'orthographe
adoptée par Roxalie, Didamieet Silénie (3), de nouveaus
témoignages des progrès que le remplacement des oi par
ai faisait sans cesse.
C'est après tous ces travaus et tous ces essais que parut
en 1675 l'ouvrage de Berain (4^. Il passa à peu près
inaperçu, d'abord par suite du peu de notoriété de l'au-
(1) Antoine Bodeau dk Somaize. Le Grand Dictionnaire des Pré-
ticusef, historique, poétique, géographique, cosmographique, chro-
nologique et armoiriquo où l'on cerra leur antiquité, costume,
dccise, etc. Paris, 1661.
(2) Francis Wey. Remarques sur la langue française. Paris, 1845.
(3) M'"" r,E Roy, M""^ ue La Dur.ANniiiRE et M"'' de Saint-Mauuice
Claristène était M. Le Clerc.
(4) N. Berain dédie ?,(i?, Nourelles Remarques sur la langue J'ran-
çaise « A Mcssirc Jean Mole, Chevalier, seigneur de Champh'Urcux,
de Laci, etc.. Conseiller du roi en tous ses conseils, et Président au
Parlemciit de Paris ». Berain écrit était, devrait, ût, scgrét, etc.
172 REVIE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
leur, surtout en matières grammaticales, et puis parce que
sa réforme n'offrait réellement rien de nouveau, comme
nous venons de le voir. Berain a cependant le mérite
d'avoir proposé ouvertement cette néographie et d'avoir
pratiqué systématiquement, sans hésitation, l'innovation
qu'il adoptait en l'appliquant à tous les cas où elle pouvait
être appliquée, La première de ses Remarques « si l'on
peut écrire comme on parle » est consacrée à Voi ;
Berain signale les cas où l'on doit écrire et prononcer
oi : « moins, loi, bois dois, moi, toi, soi, mois, croix,
» voix, noix, choix, soit, droit; les mos en oir, noms
» ou verbes, où Voi est très ouvert; le singulier du pré-
» sent de l'indicatif des verbes en çois ; les mos en oire,
* en oie, en oile, en oine, en oise, en ois, en oit et en oi;
» les verbes composés d'autres verbes monosyllabiques
» {prévois, revoit); Benoit et François, et quelques noms
» nationaux et provinciaux comme les Gaulois, les Alba-
» nois, les Suédois, etc. >y, après avoir signalé si conscien-
cieusement les mots {mos comme il écrivait) où l'emploi
de Voi était justifié par la prononciation, il dit que l'on doit
écrire par ai comme on prononce « les Français, la langue
» française, les Anglais, les Écossais, les Polonnais, les
» Arragonnais, les Hollandais, les Zéllandais, les Milan-
» nais, les Lyonnais, les Cliatelleraudais, les Lambalais,
» les Maltais ; étr ait, étraite, étraitement ; ie connais, tu
» connais, il connait, etc.; je dinais, je voudrais, etc ; la
» Gourdes Monnaies, quoi qu'il en sait, il fait fraid, je le
» crais, voilà ma créance, ajouter créance à ce qu'il dit,
» des létres de créance, un homme drait, etc. ». « Pour
» moi — ajoute-il — je ne vois rien qui s'opose à céte
» ortographe qu'un ancien usage qui doit blesser la vue
» et la raison dans l'écriture comme il blesserait l'oreille
» si on rétendait jusqu'à la prononciation. »
Berain cependant — nous l'avons déjà dit — n'avait
ni l'autorité suffisante ni assez de notoriété pour faire
accepter le chîingement des oi en ai; il n'était qu'un
chaînon de plus dans la longue chaîne de ceux qui dési-
raient cette transformation et la favorisaient de leur
eoncours; mais elle se heurtait, non seulement contre
l'opposition des uns et l'ignorance des autres, contre la
ÉVOLL'TION DE l'oI FRANÇAIS 178
routine et la force de l'habitude et de la tradition, mais
aussi, ce qui était bien plus grave, contre la division qui
régnait parmi les réformateurs. Pasquier avait raison
lorsqu'il critiquait le système de Ramus en disant que
chaque grammairien voulait avoir un système à lui et le
faire accepter par tout le monde; cette diversité de
transcriptions proposées n'était pas le moindre obstacle
au succès de la réforme; les divers systèmes s'entre-
discréditaient les uns les autres et tous étaient sérieuse-
ment menacés de tomber dans l'oubli. La semence était
cependant jetée, elle devait donc plus tôt ou plus tard
porter ses fruits. La langue française, dans son ortho-
graphe surtout, était depuis les premiers essais gram-
maticausdes Palsgrave (1) et des Sylvius (2) en butte à de
constantes tentatives de perfectionnements ; un langage
dont Laurent Joubert, dans son Dialogue de la cacogmp/iie
française avait dit, et très bien dit en 1579 qu' « il faut
oublier l'écriture pour le bien prononcer », devait être
toujours un sujet d'études et de réformes comme il l'a été
en effet, comme il l'est encore de nos jours, comme il le
sera assurément tant que le divorce entre le langage
parlé et le langage écrit durera et qu'on ne se décidera
pas tout franchement pour l'adoption d'une écriture
phonétique consciencieusement étudiée et solidement
établie.
F. Araujo,
Pi'ofesseur à Tolède.
(A suivre.)
(1) Iehan Palsc.ravf'; : L'i.'firlarcissemertt df la langue J'iancoyse.
Londres, 1530.
(2) Jacques Syi.vius (Duroisi : In Unçiuam (jalliraiti Isaf/oiçio.
Paris, 15.31.
DICTIONNAIRE DU LANGAGE POPULAIRE
VERDUNO-CHALONNAIS
( Saône-ei- Loire j
C
(Suite)
CocHON-DE-CAVE, S. m., cloporte.
ha,t., porcellio^ cutio. ItaX., porceletto. Anj., trée. Berry, treiie.
Cham^., pourcelet, porcelet, pou de s. Antoine. Dauph., caïon.
¥v. -Clé., pou de s. Claude. Gasc, coussoun. Genev., clopote
(fém.). Lang.^ pourcelet. Lyon, caion. Morv. , treucuôde.
Norm., cochon, tréc-plèe. Prov., pourquct de crota.
Coco, s. m., œuf.
Lille, cocodac. Morv., coco. Saint., cocot. Sav., coquet.
Coco, terme dérisoire, pris adjectivement : « T'ét encore euu
joli coco! » — Dans une localité voisine, un vieil avare,
qui était borgne, avait reçu des gamins le surnom de
« Coco-bel-œil». Il avait un singulier moyen de déjeuner.
Les jours de marché, plusieurs fois par semaine, il se
rendait place Saint-Vincent, et avait l'air de regarder les
paysannes. Il s'approchait des vendeuses de fromages
blancs, marchandait et goûtait au frais produit. Aussitôt
la bouchée prise, il se détournait, portait vivement la main
sous sa redingote crasseuse, d'un croûton de viens pain
arrachait une bouchée... et avalait pain et fromage. Il
n'achetait pas, allait plus loin, et recommençait son manège
jusqu'à extinction de sa provision cachée. Les bonnes
femmes n'étant pas toujours les mêmes, il pratiqua long-
temps avant d'être signalé.
CocoDÈTE, onomat. enfantine, iuiitanl le cri de la poule qui
pont. Parfois on multiplie les premières syllabes : (( Co-
co-co-codète! n Le çocodac lillois traduirait bien cette
formule.
LANGAGE populairf: verduno- chalonnais 175
CocoDRiLLE, S. m., crocodile,
Lat., cvococUlus. Prov., cocodrilh. Rouch., cococlrile. Vs. fr.,
cocatrix.
CÔDRE, s. f., courge.
Lat., cucurbita. It., cucus^a. Bourg., co^^. Jura, conrde. Montr.,
codre. St Am., curda. (V. Côrge.)
CÔDRON, s. m. petite courge. Dim. de cadre.
CÔGER [se], V. pr., se taire, se calmer, s'apaiser : « Côge-te,
vou ben je!... » Ce fragment de phrase est tout bonnement
un Quos ego de village.
Lat., tacere, quiescere. Berry, se coager, s'accoiser. Bourg., se
(^ogè, se couse, se cousai. Bress., se coiser. Bugist., se quaijé.
Dauph., se quésié. Forez, se quaisi, se caisiâ. Fr.-Cté., se coisi,
se coiser. Gasc, aea/o-^e (tiens-toi tranquille). Guien., id., (id.)
Isère, se quaïsié. Lang., se tai^er. Lorr., se coujer. Lyon., caisi,
quesir, quiesir, quaiser. Metz, se cahier, couhier. Montr., se
coinger. Morv., côger, couyer, cochier. Prov., teissé. Rom., se
coiser, taiser, taser. Sav., se câgev. St Am., cheqiiàjë.
Cogne, s. f. coin, angle retiré : (( J'iai métu dans la cogne
de la ch'vinée. »
Bourg., cogne, cognotte. Wall., coine. Vs. fr., coignet. ÇV. Bor-
giiote. Carre, Couiiot.)
Cogner, v. ir., battre, flanquer une correction : u Attens,
matou! j'm'en vas i'cogner po t'éprende à miger mon
beùre! »
Berry, coag/ier. Wall., coniiil.
Coïer, s. m. collier. (Prononcez c6-ïer).
Prov., colar.
Colafane, s. f., colophane : « Voui dà! l'crincrin n'a jar
gros usé cVcolafane; po la danse, ça n'va pas. »
Prov., colofaniu. Toul, colofonio, colofano.
Colas, adj., dim. de Nicolas; sot, niais.
Lille, colas. Poit., id. (V. Jan-Jan.)
Collet, s. m., espèce de cible rembourrée, formant un rec-
tangle élevé, et qu'on plante sur la butte pour recevoir les
flèches dans le tir à l'arc. Las! où est le beau Jeu d'arc
d'antan !
176 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
CoMBEN, ady., combien.
Bourg., co/nbé. Lorr., cobiii. Wall., corabcn, kiben-
CÔMUNS (/e.s), s. m., les cabinets d'aisance, les anciens retraits.
Toujours placés assez loin de l'appartement. On a, pour s'y
rendre, à traverser au moins une cour, ou un jardin...
Genev., communs.
CoMPANiE, s. f., compagnie.
Genev., companie. Morv., compainrjnie. Prov., companhia.
CoMPARÀïoN, S. L, comparaison.
Morv., id. Prov., comparaso.
Compare, s. m., compère, pour un baptême; camarade de
parties fines.
Bourg, Compeire. Dauph., compare. Lorr., id. Pic, copére.
Prov., compaivc. Sav., Compare^ y\'cà\., copère.
CoMPEURNOTE, S. f., comprélieusion, facilité d'esprit, intelli-
gence.
Berry, comprenouèrc. Morv., id. Pic, comprenoii\ Poit., com-
prenouére. Saint., entcndoci^e. VJaU., compernos.iy . Jugeote.)
CoMPEURNu, part, de comprende, compris.
CoNCHisE, et CoNciRE, S. m., chemin creus et plus étroit que
le contour (un mètre au plus) et servant à l'assainissement
de la pièce de terre.
Montr., consire. (V. Barignon.)
Condition [être en), loc. Un garçon, une fille sont (( en
condition » chez leurs maîtres. On dit logiquement
aussi « Entrer en condition ».
CoNDURE, V. tr., conduire.
Lat., cuin-ducere. It., condurre. h\on.,condurre, conduère.MàC,
condure. Morv.. coadeuve. Prov., condurre. Wall., kidûre.
CoNFusiÔNER, V. ir., donucr de la confusion, de la honte,
rendre timide : (( Vrâ, mare Michaud, d'avou toutes vos
chateries, vous me confusibnez. »
Genev., con fusionner.
CoNRiER, V. tr., broyer, travailler la terre destinée à faire de
la brique.
LANGAGE POPI'LAIRR VF.RnUXOCHALONXAIS 177
Conscience, s. f., plastron en bois, ([uc s'applique le fabri-
cant de cercles, ])onr é\iter l(>s coupures à sa veste.
Montr., iil.
CoNSENTU, part., consenti, accepté.
Morv., id.
Consulte, s. f. , consultation d'un avocat, d'un médecin ou
de plusieurs : « ôl é bé inau ; va y avoi'uM-, cà c'maitin, eùne
consulte. »
Ital., ronsul/n. Genev.. coil-^i/Iic. Lyon., id. Midi. id. Rouch., id.
Wall., id.
Constreure, v. tr., construire.
Lat., roiistriirrc. Morv., Coiish'Ci/re. Mac. coiif^trurc. Prov.,
fostritire.
Contour, s. m., sorte d(^ plate-bande ou chemin, de trois
met. environ de large, entourant la pièce de terre, et
donnant au laboureur Tiispace nécessaire pour i-etourner
sa charrue lorsqu'il est au bout d'un sillon.
Montr., contour. Morv., contnr. Norni., forièvc. (V. Chai)} Ire).
CoNTRARE, S. m. le contraire, et adj.
Prov., Contran'. St Ani., contrèrou. Wall., contrârc.
Côp, s. m., coup, choc, blessure. Le 73 est muet : (( Ah ben!
por cep'tiot côp, t'cries tôjor. N'y é ran que c' qui. »
Lat., colpus. Bourg., cô. Lim., couo. Tout, cap. (N'empêche pas
coup.) (V. ce dernier mot, et co.)
CÔPER, v. tr., couper, séparer.
Bourg., cô/iai, cucupai. Lorr., côpè, l.cupc. Mac, cùpai. Morv.,
copor. Pic , copor. Roucli., id. St-Am., I.roùpc. Sav., coppù,
Wall., copcr.
CÔPEROT, S. m., couperet, couteau de cuisine.
Bourg., cùpcrô. Rouch., copcrct.
CÔPLE, S. m., couple.
Berry., coahc, cokIi/c lion\"j;., copie. Genev., rouble, hang. ,coifl)k'.
Morv., copie. Pio\ ., coiihla,, cohla. Saint., rouble. Wall., cn/ic.
CÔPLER, V. tr., accoupler, mettre au joug, atteler.
Morv., copier. Saint., coiiblcr.
CÔPURE, s. i. cou|)ure, tout(îs sortes d'incisions.
Pic, copurc. Rouch. ^ id.
Revuk df. philologie, \ . 12
178 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
CoQUARDiAU, S. lu., giroflée.
Lang., coucardo. Morv., coquardian. Pic, cocardcau.
CÔQUELUCHOT, S. lu. capuchon,
Lat., cucullus. Bouvg., côr/ueluchô. Bi'ess.,co(iuelnchon.Movv.,\à.
CÔQUER, V. tr., choquer, heurter, frapper du talon ; briser la
coque d'un fruit.
Bourg., côquai.
CÔQUESiMARGouix, S. m., vieus galantin de campagne, vieus
(( coq de village ».
CÔQUERiLLE, S. f., coquillc : (( De c'qui? J't'en beillerô pas
tant s'ment eime coq'ville d'ù. )) L orthographe cocnlle,
adoptée par plusieurs, est moins logique,
Bourg., côquerillc.^ViV?^.. cocrlllc L'un.. coik/kHIc. S>a\.,corcâillc
(V. Creuse).
CÔQUERiLLER [se] , V. pr., sc recroqueviller : (( C'te corde
s'déroule mau; âll' se cbquerille tôjor. ))
CÔR, s. f., cour, espace devant ou derrière la maison.
Bourg., cor, cô. Montr., co. Morv., vnrt. Norni.. court. Prov.,
cort. St Am., cou.
CÔR, s. m., cours d'eau, cours des choses : « Que v'tu'.-*
J 'pouvons pas empocher Vcor du temps. »
Bourg., cor. Pro%'., cors.
CÔRTE, adj. court : (( .l'avons lire à la carte bûche, é pis y
(■' lu qu'a gagné. ))
Lat-, curtus. Bourg., cor (au fôm. cote). Genev.. cor. Montr., co.
Morv., cort. Prov., cort. St Am., eue, urta.
CÔRAGE, S. m., courage, persévérance.
liai., coraî/f/lo. Bourg., coraiç/c. Prov., eoratgc.
CÔRANDE, S. L, courante, danse du cru, qui a été fort en
vogue, — et aussi diarrhée.
Montr.. c.ouraiidc. Vs. fr., courance, {'2' accept.)
CÔRBE, ad]., courbe.
Lat., currus. Montr., corhc. Morv., corhu Prov., corb. (V.
Courbe).
CÔRBE, S. m., corme, fruit du sorbier ou cormier.
Lat., cornum. Berrj', corbc. Genev., id. Morv., id. Poit., corme
(boisson faite avec des cormes).
LAXGAGF: FOpr'F.ArRR verdino-chalonnais 179
CÔRBER, V ir., courber.
Lat., cnrcnrc. Berry, rovhor, corhii'. Prov., covhrn\ nividr. St
Am., cvotibi.
CÔRBiER, s. m., cormior, ou sorbier domestique.
Berry, corir'cr. Morv. , corhié.
CÔRBiAU, S. m., corbeau.
Berry, corbi/i. Dauph , corbat. Wall-, cotrbâ. Vs. fr., rorbrl.
covbiaus. (V. Couà, Cran.)
CÔRDiAU, s. m., cordeau, cordon.
Lille, cordian. Rouch., id. Wall., coirdai .
CoRDouNiER, s. lu., cordoRuier.
Berry, cordonnier, cordoufincr. Champ., cordouenniev. Lang .,
conrdoui/nè. Morv., cordannic. Prov., cordonnier, St Ani.,
Kyiirdani. Suiss. r.,cordan(/ni. Vs. iv.,cordouan.. (V. Car' Ion.)
CÔRE, adv., encore, de nouveau.
Bourg., aiicor. U.-V., cor.horr., co. Morv., encoi,encoii(''. Norm.,
co. Rouch., id., coi-, St Am., encoure.
CORÉE, s. f., cœur, au propre et au figuré.
Lat., cor. Ital., corata- Berry, corèe. Bourg., cœn. Lyon, cora.
Montr., corrèc. Morv., coucrée. Narbon., corade. Norm.. corèe,
courre. Rouch., id. Wall., id.
CÔRGE, s. f., courge.
Lat., cucurhita. Bress., cuerda. Lyon., corla. Sav., queurda
Toul., cou/'o. (V. Côdre.)
CÔRGiE, s. 1'., fouet pour les chevaux, et autre sorte de fouet
pour corriger (?) les enfants : « Tâche d'été sage, polisson !
Si te n'te tiens pas tranquille J 'vas t'ilanquer d'ia cor(/ie ».
. h'dt., cor ri(jia, corric/ere. Arden., courj/ie. Berrj^, corijeo/i. Bourg.,
courtjie, ècour(/ie. Jura, écouryc. Lang., courèjo, couréjou.
Lorr., corjen. Luxemb., scorc/ia, couriau, couriette. Maine,
courgeou. Morv., courc/ie, corgie, ècorgie. Norm.. courgéc,
courget. Orne, courget (lanière de cuir). Poit., corgeon. Prov.,
rourragea. Rouch., écourie. Vend., courge, courgette. \\'all.,
corie, coriètc.
CÔRi, V. intr., courir. S'emploie aussi fréquemment que
couri : (( V'tu cori ! » dit-on, pour renvoyei' un ent'aiU (|ui
vous importune.
Lat., currerc. Berry, courre. Bourg., cori, corre. Bress., id., id.
Dauph., id. Il.-V., coure. Lorr., couri. Lyon., codre. Montr.,
l.SU REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
carre. Morv., rori, corrr, roit/ii, courre. Pic, l;enrir. Prov.,
carrer. Rouch., eorir. St-Ani., rotire, conri.
Plusieurs localités ont la loc. » r-o/'/ tant qu'on ad'jambes.))
CÔRJON, s. m., cordon qui sort à tenir les tabliers, les
jupons, etc.
Bourg., cor/on. Prov.. eoirlo.
CÔRJÔNER, V. tr., attacher les cordons de son tablier, do ses
jupes : « Oh! Tanguigne! âll' ne cbrjone pas tant seuFraent
son d'vantei! »
Corne, s. f., cor, durillon : « Mon eselot m'a fait v'ni eùne
chvne, »
Lat., cornu. Bourg., cône. Morv., corne. St Am.. /.//c/î. Wall.,
coi ne.
CORNER, \. intr., souffler, bourdonner. Employé dans celte
locution : « Les oreilles me cornent » pour : J'ai un bour-
donnement d'oreilles. « Le vent corne dans la ch'vinée. ))
Bourg., conal. Prov., cornac. Wall., coirner.
CÔRNiAus, s. m., gros nuages noirs, que Ton voit avant
l'orage : « I va faire un bigre de temps; v'ià ben des
corniaufi qui v'nont. »
Charol., cornions.
CÔRNiLLE, s. f., corneille.
Lat.^ cornix. Y^ouvu.. , conoiia i Ile . \\.-\' .. cônillc. coi/rntdlle. Prov..
corne! ha.
CÔRNJOTE, s. f., sorte de petit gâteau aus œufs, ainsi nommé
parce qu'il est à plusieurs cornes.
Les Verdunoises le réusissent à merveille.
Norm., corno'te (espèce d'éehaudé). Poit., cor/me (autre gàteaiij.
CÔRNÔT, S. m., cornet.
Morv., cornât. Prov., cornet.
CÔROu, adj., coureur, mauvais sujet, vagabond.
Morv., coroii. Prov., corredor. Vs. fr., coreor.
CoRPORANCE, S. f., forpuleiice : « Padi! (''((u'ù dèi mainger
d'avou c'te corporance! ))
Lai., corjnilentid. Genev., cor/torence. Lyon., id. Midi, cor/io-
rance. Poit., cor/torence. Prov., corpulencia. Vs. l'r., corpo-
rance.
LANGAOK POFMLAIKK VERDUNO-CHALONNAIS 181
CORSE. S. f., course.
Morv.. corse. Prov., coi'so.
CÔRTisou, s. m , garçon (|ui fait sa cour à la fille qu'il veui
épouser.
Toul., courti^ou.
CôsiN, E, s. m. et f., cousin, e. On dit. en Bourgogne : « Aler
vouer les cosines » pour : Aller voir les filles.
lt&\. ,cugino. Bonvg. ,cosein,ci()nc,co((^ain, aigne. Morv.. càaiii, e.
Prov., cosin, co;in. Rouch., roscn, ènc, couscn, èno. St-Am.,
cK^èn, a.
CôsiNAGE, S. m., cousinage, en parenté et en amitié : c Bénédi
et José sont prou d'côsinage ».
Rouch., cosciiuche, rouscnacho.
CÔT, s. m. mite, insecte qui ronge les laines : « Rang'ben
tout çan tien, s'coue tes lain- nages; t'sais qu'y a gros des
cots cheû nous. »
Berry, cosson. Fr.-Cté., co. Montr., col. Morv., cô. Norm.,
cosson (charençon).
CÔTÉ et Coûté, s. m., côté, bord.
Ital., coslato. Berry, coûté. Bourg., coûtai. Bvess., coûte. Lorr.,
coûté. Montr., côte. Morv., coûté. Prov., costat. St-Am., h/a»,
Saint., coûté.
CÔTE [la), s. f., la Côte-d'Or. Dans le pays, pour désigner ce
départ., dont nous sommes limitrophes, on dit(( La Côte »
tout court.
Bourg., la Côte.
CÔTE (à ou d'à), loc. adv,, à côté.
Montr., à côte.
CÔTEUME, et CouTEUME, S. [. , coutumc.
Berry, cotumc, couteuinc. Bourg., cueutuinc, quetume. Morv.,
coteâme. Prov., costuma.
CÔTi, s. m., morceau de viande taillé dans les côtes de
l'animal, et que prennent souvent les ménagères.
Berry, coti (froissé). Bourg., côti. Poit., coti (meurtri). St Am.,
ki/eûta.
CÔTÔNE, s. 1'., cotonnade : « J'm'é écheté eùne bàle robe de
cbtbne. »
Genev., colonne, Lille, cotonncttc
182 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Cou, adj., caché, couvert. Ce mot, redoublé, est une des
exclamations les plus populaires parmi nos nourrices
jouant avec l'enfant : « Cou-cou! ... ah! le voilà! »
Ital., cHcolo. (V. Coui).
CouÀ, s. m., corbeau. Onomatopée.
Norm.. couas. (V. Crau, Crû, Corhiau).
CouÂRNE, S. f., couenne^ peau du cochon.
Genevois, couanne. Morv., couarnc. Norm., coaunc, quouaiic.
Poit., couagne. Prov., codena. Suis?., couane. Wall., coiènc
Couchettes, s. f., langes : « Aile a ben entortillé l'petiot
dans ses couchettes. »
Lim., couedcjeo (couche).
CoucHi, V. tr., coucher.
Lat., collocare. Bourg., cochai. Lim., coueija. Pic, couker.
Prov., colgar.
Coucou [m... de), s. f., gomme des pruniers, cerisiers, etc.
Cogn., id.
CouÉE, s. f., suite, nichée, ribambelle, queue : (( Ah! c'te
Bertiaude, allé a eùne couée d'enfants. »
Berry, couée. Bourg., id. Montr., id. Poit., id., coûte, grouée,
grouie. Saint., id. Sav., co«à. Toul., coueto. couo. Vend., couèe.
CouÉNE, adj., niais, imbécile : « T'ii as lassé prende tes
gobilles? Oh! qu'té couéne, va! »
Lille, coinne. Pic, couane.
CouÉTE et Coite, lit de plumes.
Berry, coMei!e. Champ., couette.Fv.-Cté., coutra, couètva. Genev.,
coitre,couatre. Jura, coitre. Morv., couéte. Norm., coete, keute.
Prov., cota.
CouGNÉ, s. m., cognassier.
Berry, couignier. Morv., coingnie. Poit., cougnai. Vs. fr., coi-
gnier.
CouGNiE, s. f., cognée.
Lat., cuneus. Berry. cognie, cougnée. Morv., coingnie. Pic,
quignic. Rouch., queuniè. Saint., cougnée.
Coui! excl. Les enfants, en jouant, jettent ce cri pour faire
savoir qu'ils sont cachés. (V. Coù, Cachot.)
CouiNARD, adj., pleurard, qui geint.
Morv., couinar.
LANGAGE E^OPL'LAIRE VERDUNO-CH ALONNAIS 183
CouiNcouiN, onomat., sorte de crépitement que font entendre
les souliers neufs. Les jeunes villageoises mettent ceus-ci
au rang de la plus attrayante parure. Elles en sont toutes
fières lorsqu'elles entrent à l'église, vont à l'offrande,
emportent le pain bénit. Toutes font la cour à leur cor-
donnier pour en obtenir le couin-couin dans leurs souliers.
Coquetterie des campagnes.
Bourg., ciônai (l'aire ce bruit). Champ., rlo/ier (id.). hon-., pin-
chant.
CouLNER, V. intr., pleurer avec affectation et en criant. Un
chien couine quand on le frappe. Se dit du cri plaintif de
plus, animaus et, d'une façon triviale, du cri des enfants
que l'on corrige : (( C'bigre de p'tiot, ô n'fait qu'couine/-! »
Berry, couiner, couiler. Bourg., couinai. Champ., couiner, coui-
fjner. Genev., coin/ier. Guevn. ,couinaire. Hte-Marne, co«î(/î(e/'.
Jura, couiner, coinner.h&ng.yquinçur. Lim., quinquina. \-.Yon,,
quino, quiner, quinchcr. Morv., couiner, coinner. Norm., id.,
couineier, houiner, hinner. Poit., id., couinai, coinor. Rom.,
qtiilar, quillar. Sav., coinnà. (V. Bêler, Bôler, Chouiner,
Chouf/nicr.)
CouissE, s. f., poule qui couve. Pour le verbe, nous l'avons.
Nous avons aussi gvouer (v. ce mot) ; mais firouev n'a pas
son substantif.
Berry, couissc, couasse. Montr.. id. Morv., couette, couotte.
CouissE, adj. fém., plaignarde. (V. Couiasou.)
CouissER, V. intr., se dit du cri de la poule couveuse, et
signifie aussi : grogner, se croire malade, se plaindre sans
motif, geindre : « Côge-te donc; te couisses tôjor. »
Couissou, adj., celui qui couisse, femme qui geint, plai-
gnarde. A aussi parfois l'acception de gauche : « Voui,
'd'avou Jacôte, j'évô ben eiàne brave fille; ma allé étô si
couis.sou.sel... » (V. Couisse, CouLiche.)
CouLÀRE, s. f., colère, irritation.
Ital., collera. Bourg., quclèrc. Lang., coulcro. Morv., coulcrc.
Prov., coulera, colera.
CouLEURER, V. tr., mettre en couleur, colorier.
Ital., colorirc. Cogn., côleurer. Genev., colorer. Morv., coulourcr.
184 REVUE l)K PHILOLOGIE FRANÇAISE
CouLiBLN, adj., lent, maladroit.
Rouch., ainhin. (Y. Cotiissc, Couiiche.)
CouLicHE, ad]'., tatillon, niais, pas pressé. (V. Couisse.
Coulibin.)
CoLLou, s. m., petit vase de bois troué, filtre n'ayant pour
fond qu'un linge fin, à travers lequel on passe le lait, qui
tombe dans le grielot.
Lang., couladou. Lyon., colon, coliiri. Morv., id.
CouMÂRE, s. f. , commère, voisine camarade.
Berry, coumère. Bourg., qucinelre. Dauph., coniniarc. Piov. ,
comairc. Saint., coumère. Sav., qKc/uârc.
CouME, conj., comme, de même que.
Lat., r/uomodo. BasNorm., coume. Berry, id. Bourg., loinc,
queinc. Lim., coiimo. Lorr., couine. Saint., id., heu/ne. [Y-
Cment.)
Coume, adv., en même temps que... : c 01 et érivé coume
son p'tiot ». (V. Chinent.)
CouMEAU, S. m., couche de bouillie laitée, œuvée, sucrée,
qu'on étent sur la croûte des flans, et. qui fait le régal des
gourmets locaus.
Bress., courno, caniar.
CouMENCER, V. tr., commenccr.
Sav., quemcchcr (V. C'mcnccv).
Coume tout, loc. adv., beaucoup : « Allé é brave coume
tout. )) (( 01 a de l'argent coume tout. »
Centre, id., Norm., id., Rouch., id., Wall. id.
CouNAissANCE, S. f., conuaissance.
It.. conoscen~a. Bourg., queneussance. Morv., qucusance, cunot-
sance. Poit., queuneussctnce. Prov., conoissensa. Vs'. fr., conors-
sance, quenoissence.
CouNAissu, part, de counaitre, connu.
Bourg., qucuncussu, q'ricussu, q'nessu. Morv., comiesau.
CouNAiTRE, et CouNÀTRE, V. tr., connaître.
Lat., cogiwscere. Berry, couneûtrc. Bourg., qucu/ioitre, cueuneu-
tro. Morv., queùtrc. PoiL. queneuire. St-Am., counjiàtrc.
Saint., quencutvc. Wall., kinolie.
LANGAGE POPULAIHK \HRDr NOCHALONNA IS 185
CouNÔT, S. m., coin : « Le coûnot du fcù. » — (( J'ons métu
l'sian dans l'coûnot. »
Lat., ciatciis. Bourg., carrenô. Fr.-Cté., counot. Lim , cokc/i.
Lorr., corjno. Lyon., cuffin, couffin. Prov., conli, ctuih. St-Am..
cHèn. Wall., coinc. (V. Carre.)
Coup, s. m., fois. N'est guère usité que dans quelqu(>s locu-
tions : « Por eùn coup. » — « Ah! pou Vcoup. » (V. Cbp.)
CouRAu, s. f., couiToie. L'écolier attache ses livres avec sa
courau.
Ital., corrcgr/ia. Bevvy, coiirrair. Boiw^g., cor roo. Moiv.., coureaa.
Prov., corrcj/a, coritja.
CouRAUD, E, adj., coureur, coureuse; garçon qui court après
les filles, fille qui court après les garçons : « L'bestiâ!
v'ià-t-i pas qu'ô va parler à c'te couvaude!... »
Berry, courandicr. Genev., couratià. Maine, coarassier. Morv.,
courandiè. Norm., courandicr. Pic, couratic. Wall., id.
Courbe, adj., courbé : « L'pauvre houme! ô marche tout
courbe. )) On trouvera, dans ce Glossaire, un certain
nombre d'adjectifs verbaus ainsi formés. (V. Cbvbe.).
CouRi, V. intr., entrer dans, en parlant des années : (( 01 é
d'eùne bâle âge! ô court ses 95 ans. » (V. Cbr'i.)
CouRJON, s. m., branche d'arbre, baguette, tresse de jonc,
d'osier, dont on fait des liens.
Morv., courQcon, côrgeoa. Poit., cuer;/eon (lanière).
CouTELER, V. tr., étendre, étirer et plier les draps, le linge
après la lessive.
CouTERiE, s. f., aiguillée 4c fil.
Louhans, coutric. Mac, coutalrl. Montr.. coulcric. Morv., cou-
Irie, aigllic. Sav , coidria.
CouTEURÉRE, S. f., coccinellc, bête à bon Dieu.
CouTEURÉRE, S. f., couturièrc, ouvrière en robes.
Morv., couircrc. Prov., corduricra.
CouTiAu, S. m., couteau.
Lat., cultcUus. Berry, coutiou. Bourg., coutiau. I''lani., id. Fr.-
Cté., cutiou. Il.-V., coufiau. Lorr., coûte. Mac, cntiau. Montr.,
coutieau. Morv., coutiau. Pic, id., couticu. Pio\. ■,collcl/i. St-
18G REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Am , cutc. Saint., coûta. Sâv., cociai. Suiss. v., coûté, coiUhi.
Toul., coutel. Wall., coûtai.
CouTRE, s. f., oreiller.
Morv., coutre.
Couvert, s. m., toit, couvercle : « 01 a fait ranger Vcourert
de sa mâïon. )) Le couvert d'une tabatière, d'une boîte, d'une
marmite.
Lat., cooperculuin. Bonvg.,coucur, ùtoi. Dauph., cocert. Genev.,
coucert. Lorr., tô. Midi, couvert. Morv., id., quièclc. Sav., ta.
Wall., coucicppe, couocrture.
Couverte, s. f., couverture : « I fait frèd; faut m'méte ma
couverte d'iain-ne. »
Bourg., coucaturc. Bress., cucertiou. Fr.-Cté., coucathe. Genev.,
couverte. Liui., cuherturo. Midi, couverte. Morv., coucrie,
couvartcu. Pic, couverte. Poit., cuverte. Prov., coopertura,
cubertura. Rouch., couoerto. St Km.,cuârta. Wall.^ couverte,
cofeteu. Vs. fr., covertor, couvretoir.
Couvéte, s. f., chaufferette.
Rouch., couvé. (V. Couvot.)
CouvÔT, s. m., couvet, vase en terre tenant lieu de chauffe-
rette : (( Tout l'temps allé a son côwro^ sous ses jupes. »
Bourg., côcô. Champ., couvet. Flam., couvé. Genev., cové, covet.
Lorr., covet. Midi, couvot. Moi'v., couveau. \\a.ii.,coaé, haœé,
couvé. (V. Chauféte, couvéte.)
CouvRi, V. tr., couvrir. Le part, est également couvri, comme
ouvri pour : ouvert.
Berry, corrir. Bourg., covri, côvre. Pic, cœuvrlr. Prov., cobrir,
cubrir. Rouch., couver. Saint., cJiuvrir. St Am., crevt. Wall.,
covri.
Crà, s. m., corbeau. (V. Corbiau. Cov/i, Crau.)
Cràchie, s. f., résidu du beurre que l'on vient de fondre.
Les enfants, friands de ce produit, le demandent beaucoup
en rôties (tartines).
Bas-lat., drasqua. Genev., dràchée. Montr., crachée. Norm.,
crache (graisse"). Pic, crache{i&). Rom., il rasche, dréchc (marc
du grain qui a servi à la fabric. de la bière).
Craicher, v. intr., cracher.
Berry, crâier. Bourg., craichai, creichai. Morv., crailler. Pic,
raker. Prov., escracar. Wall., rachi, rechi.
LANGAGE POPULAIRIO VERDUNO-CHALONNAIS 187
Cramayère, s. f., crémaillère : (( Quand qu'la mâïon sera
fi ni te, j 'planterons la cramayère. ))
Bas-lat.,cr«/;;«c?</«s. Bonr^-, cramaillc. BvesH., cout/iaclc, quomo-
clio. Champ., cramai [. Genev., comàcle. Isère, coumaclo. Jura,
crainail. Lang., crèinal. Morv.j r/uiérâme, crcinaiUe,crcnnUè.
Norm., craniillaie, creinillcc. Pic, crainailU, cre/naillè. Piov.,
cuinasclc. Rouch., cramcglic, crcméglic St Am., keinôlijoa.
Wall., crama, cramion.
Cramper [se), V. réfl., se cramponner, s'attacher avec force :
(( Le p"tiot é ben genti ; drès qu'jérive, ô s crampe après
moi. » A aussi parfois le sens de : se raidir, se révolter.
Fr.-Cté., se cramper.
Crapiau, s. m., crapaud.
Bas-lat., crapahius. Berry, f/rapaud. Bourg., craipau. Lim.,
f/ropa(,crapaos. Pic, crapeux. Pi'oy., fjrapaat, crapaut. Wall.,
crapan. Vs. h'., crapos, crapaut. (V. Bot.)
Craque, s. f., mensonge, hâblerie: « Vouah! c'qu'ôm'dit, j'n'y
creis guâre; y é tôjor des craques. »
Norm., craque. Rouch., id.
Craquer, v. intr., mentir : « T'airas biau dire, va, on n'te
creirapus; t'nous craques du maitin au souér. »
Craquer, v. tr., déchirer, faire craquer : « T'as craqué ton
pantalon. »
Cràquiller, v. intr., produire un petit bruit : « Y a eùn
grain de sâbe dans ta sôpe; ô \\\ cracpdllc sô la dent. »
Morv., cràquiller.
Cràquou, s. m. etadj., menteur, qui dit des « craques )).
Crasse, s, f., ladrerie, et mauvais tour : « Non, je n'ii parle
pus ; ô m'a fait ei!nie crasse. »
Cogn , crasse. St Am., crache.
Crasse, adj. crasseus, avare, malpropre : « 01 é crasse; à
n'donne jamâ ran. »
Lat., crassus. Berry, crassous. Cogn., crassou. Morv., id., crai.'<-
sou. Saint., crassous. St Am., crâssou.
Crau, corbeau.
Ital., rjrola. Bourg., crau. (V. Corhiau, Coud, Crû.)
188 REVUE DE rMIlLOLOGlE FRANÇAISE
Crèche, s. f., crèche.
Ital., greppiq. Berry, ècré'-'/ir. Bourg., crcirhe. Bress., crècc.
Lim., cràicho. Morv., croiche, croiiéche. Pi'ov.. crepio, rrep-
cha, erupia. Wall., crcpc, cripo.
Crei, et Croué s. L. crois.
Lat., c/'Kj-. Ital., rrocc. Ai'tois, croc, croie. Berry, qucroix, quc-
rouc. Morv. crouè. Pic, cros. Prov., croU. Rouch., cro.
Wall., créas. (V. Croué.)
Crein-me, s. f., crème, ce délicieus produit qui nous donne
le beurre, mais qui le remplace fréquemment dans les pré-
parations culinaires.
Lat., creniuii). Champ, cz-a/uf. Morv., crànie. Pïoy., cre/na. St-
Am.. crènina. Sav., crannia. Suiss. v.. crama, cratnrna.
Creire, V. intr., croire, s'imaginer.
Lat. et Ital., credere. Auv., creire. Berry, id. Bugey, crère. Fr.-
Cté., creire. Gasc.,id. Il.-V., craire. Lang., creire. Lim., crérè.
Lorr., crôre. Morv., craire, creire. Poit., creire. Prov., id.
Rouch., crère. St-Am., cràre. Saint., crère. Suiss. r.. creire.
Toul., creyre, cre:;e. Wall., creure.
Creire (s'e/i), loc, se croire quelque chose, s'enorgueillir :
« Dion de Diou! dépeù qu'ôl a été noumé gard'champéte,
ô S'en creit prou!... »
Genev., .s'en creire. Rouch., id., s'en crère.
Creuche, s. f., cruche.
Bourg., brechie.
Creuiller, V. tr., creuser, surtout enlever le milieu d'un
fruit, poire ou pomme, pour une préparation culinaire,
beignets, compote, etc.
Prov., cro^ar. Vs. fr., croscr. (V. Creûillort.)
Creuillon, s. m., cœur de pomme, de poiriî, non lorsque le
fruit est entier, mais quand ce dernier vient d'être croqué
à belles dents jusqu'au centre : « 01 a maingé sa poume,
épi ô m'beillôt l'creiÀillon ! »
Bress.. rrcni/loii (bois enlevé en creusant les sabots). Genev.,
corui/lfiii, conraillon. Montr., ci^cuillons (de sabotier). Norm.,
ràquHloa. Sav., rœraillon. Suiss. r., corahlon. (V. Roiigeon.)
Creuse, s. f., coque, coquille. Une « creiîse » de cala; une
« creuse d'w. » Le mot contient une image de concavité.
LANGAGE POPULAIRK VERDUNO-CHALONNAIS 189
Beriy, creuse. Bourg., id. Forez, crcu (m.). ¥v.-Cté., eretiche,
crut^e, crosille. Guern., cviique. Lyon., créa (noyau). Monti'.,
creuse. Morv., crcuçie, creulUe. Nivern., id. Poit. , crucheas.
Suiss. r., crutsc/w, crou(.-e, craisilla. (V. Coquerille.)
Creus, s. m., mare, dont le lit a été creusé accidentellement;
le {( Creux-QiùxiWon », par exemple, qui se trouve à l'em-
placement même d'une tuilerie emportée par une violente
inondation. (V. Cvot.)
Crèyance, croyance.
Morv., tvY?//rt/iC(', crc'i/ance. Vs. fr. créance, croïancc.
Creyu, part, de cveive : (( Vrà! jTaurô pas créi/u, »
Morv., crouéyu.
Crocher, V. tr., agrafer : « Croc/te me donc ma broche ;
j'peus pas en v'ni à bout. »
Genev., croc/ier.
Crochot, s. m., crochet, objet recourbé.
Bourg., creuchô.
Crôler, V. tr., agiter, remuer, secouer un arbre pour en
l'aire tomber les fruits : « On a crôLé l'peùrnei. »
Ital., croUare. Bourg., crôlai, craului. Fr.-Cté., cranter. Lang\,
crolar. Marne, croller. Morv., croler. Poit., crolinai. Sav.,
crulà. Vosg., crauler. Wall., croler. Vs. fr. . cro/lfr.
Cro.mpire, s. f., pomme de terre.
AUeni., (jruiid-hirii. Louhans, catroche. Mor\'., conipire. Pic.
cro/iipire, cro//ipile. Roucli., cron/'ir. Wall., crompii'. Yonne.
co/npire. (V. Cul-de-pouint.)
Crosser, v. tr., malmener, m;illrailer.
Norm., crosser. \'s. U-., r/vt/.ss//'.
Crot, s. m., creus, trou, fosse : (( J'tTai fichu dans l'crot. )i
Aube, '/o/t. Berry, cros. Bourg., crô. Montr., crot. Morv., crû.
crùdiau (creus plein d'eau). Pot., rro. Prov., cros. Rom..''?•r>^
Sav., croet, (jolet. (V. C.reu.<.)
Crùte, s. f., croûte. Les enl;inis «'niploiciii ciili'c eus ce mol
comme terme d'amitié :
(( Ma mie, ma crôte,
« J" C ain-me aidant (jn'eiit aut'e. »
Artois, crustc. Bourg., crôfe. Cogn., craute. Pro\ ., crosta. St-.\ni.,
creûfa. \\'all.. crose.
190 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Crôtot, s. m., creus de la nuque. Dim. de crot.
Bas-lat,, cvotum. Bourg., crùtô. Champ., crottot.
Crôton, s. m., crotte, crotiii, boue sèche.
Pi'ov., crota. Saint., cvoton.
Crotou, adj., boueus, crotté, barbouillé. Se dit des personnes
et des choses salies dans la boue, mais surtout des vaches
et des moutons qui ont ramassé aus jambes et au train de
derrière une couche granuleuse de crottes en se couchant
dans retable. Les paysans leur laissent complaisamment
cette couche comme preuve d'une bonne litière !...
Moi'v., crottou.
Croupeton (à) et A grepton, loc, accroupi, à genous et assis
sur ses talons : « J'mé métu à croupeton por cuver mes
fraises. » — « Pou s'chaufer, ô s'met à cvoapeton d'vant
l'feù. »
Berry, à croupeton, à cropçton. Bourg., à croupeton. Bress., à
crepoton, à crcupetoii. Forez,, en. acroupeton, à croupeton.
Genev., à cropetons, à crcpeton^. ll.-V., accropi, s'accropir.
Jura, à crepetons. Lille, à croucron. Lorr., à cripotons. Lyon.,
à et en graboton, à cacabosoii. Morv., en queurpoton. Neufch.,
à crepotons . Rouch., àcroacrou. Sav., à cr'pion, à f/r'bœfjnoN.
(V. Accroupetoner, Aqueùler.)
Croution, s. i., cimiton : (( Quand l'pauv' viens qui va aus
portes li dit qu'ôl a faim, âll' li beille eùn fanieus croution. »
Berry, crougnon, crouston, crousson. Genev., croution. Morv.,
crougnon. Poit., crougnon, cregnon, corgnaon.
Cte, pr. démonstr., cette : (( C'te foune! »
Bourg., c'teu. Mac, cela. Morv., ceute.
C'té-là, pr. dém., celle-là.
Bourg., cetei-lai. Morv., cetele-i/ui.
C'téqui, e, pr. dém., celui, celui-ci, celle, celle-ci : « Qu'é-
c'quié que c'téqui'^ »
Berry, ceti-ci. Bourg., cctu-'iui. F'orez, cetn, cvtui. Fr.-Cté.,s?t'7?//,
àtieci. Morv., cetu-f/ui. Pic, c'ii-dii.
C'ti-l.\, etCxu-LÀ, i)ron. dém., cchii-là : (((Jh! c'tidàl vous
a-t-i (;in bagou ! ))
Bas-Norm., ch'tilà. Bourg., cetu-lai, c'tu-lai. Forez, eetui- Lorr.,
c' tu-lé. Morv., ccti-lai, c'tu, c'tu-qui.
LANGAGE POPULAIRE VRRDL'NO-CHALONNAIS 191
CucHOT, S. m., extrémité supérieure, sommet, faîte, cime,
tas. Le cuchot de la tête; le cucJiot d'un arbre; un cuchot
de blé, de trèfle : « C't'agasse a fait son nid au fin cuchot
du peùpier. » — « L'foin étôt sec ; les foineuses l'ont mélu
en cuchot. » Un petit tas de fourrage est un cuchot ; un
gros tas est une mate.
Ain, cuchoii{û.Q foin). Bugey, id. Forez, id. Fr.-Cté., qucchot.
Genev., cachet. Lyon., ci/c/ion, cuchoun, quiehon. Montr.,
cuchot. Prov., ciichd. Roni<, i-ii'-hc ciicho/, cnchon. St-Atn ,
litjCHJiljClljOU.
CuEucuEUTE, S. f., bouillie que l'on prépare pour les enfants.
Mot bizarrement composé du masc. et du fém. de l'adj.
cueùt, e.
Lat., coda. Bress., i/ncw/nctirt'
CuEUDE, S. m., coude.
Lat., cubitus. Berry, code. Pic, hciitc. Prov.. code, coiile. Rouch.,
(jucute.
CuEUDRE, V. tr., cueillir : (( N'y a qn'Qà d'neuzilles; y é tout
c'que j'ai pouvu cueùdre. »
Lat., collifjere. Berry, quilllr. Bress., qneudve. Lim., couseij.
Montr., cueudre. Namur, eof/f/e. Prow. , coilltr, cuelhir, culhtj\
Wall., code. Vs. fr., queudre, coillir. (V. Cueùïer. euqer).
CiJEUDRE, V. tr., coudre.
lta,\., cadre. Bourg., queudre. Lyon., cadre. Namur., hei'cte Prov.,
coscr,co^ir,casir. Ronch., queute, heide. St-Ani.. cof/zr. Saint.,
coa.i:ir. Toul., cou.-c. Wall., /.■('à.<i'.
Cueudre, coudrier.
Arden., caurier. Bourg., queudre. Morv., id., (/uiciuire, (/iieure.
Pic, caare. Poit., coure. Roach., cuarier. Wall., (-(''re. côri.
CuEUÏER, V. tr.. cueuillir : « .Fous cueùié tous nos râms. »
Genev., callir. Lang., cali. Rouch., cuea/ier. St-Am., cali. (V.
Caeàdrc, Cujier.)
CuEURE, V. tr., cuire. Acception générale de cuisson pour
tout ce qu'on met sur le feu : « Mes faviôles ne voulont
pas cueùre. » — « Mon fricot n'é pas cueùt. »
Lat., coquerr. Ital., cnoccrc. lîi'oss., cr/rure. Daupli., coëre. Fi.-
Cté., qaeare. Lor., id. Lyon., coaère. Montr., caeure. Morv.,
queurc. Poit., quiearc. Prov., caser, cotre. Saint., cheure. Sav.,
coaire. Toul., coi/re. Wall., câre. (V. le mot >:nivant.)
19'2 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Cl'eure, V. tr., cuire. Acception restreinte et spécialisée
«'appliquant, chez nous, à toute la manipulation du pain.
Quand on dit qu'une ménagère cuit, cela comprent depuis
le pétrissage jusqu'au retour du four, en un mot, l'opération
complète : « Ah! vous v'ià, Nan-néte! Làvoù portez-vous
c'boinon? — rcueils cheû l'grand Micliau. » Certaines
disent : u Je fais au for », ce que dit aussi le Genevois, et
que le Savoyard traduit exactement dans : faire i J'œur
(faire au four).
Bourg., queïirc. Montr., citcurc.
CuEURÉE, S. f., curée.
Morv.. queurée.
CuEURER, v. tr., écurer. Fig., mettre à sec, dépouiller quel-
qu'un. Terme de jeu employé par les enfants de nos con-
trées, qui ne manquent jamais dédire, lorsqu'ils ont gagné
toutes les gobilles d'un camarade : (( Oh! j'iai cneùrél »
Les gamins de Chalon disent : cueùsser.
Lat., curare. Bress., quciircr. Moiv., id., èqucurcr, t'qniller.
CuEUSENiER, S. ui., cuisinicr.
Yionvg., cuzenei. Prov., cosme/-. Rouch.. nilsènicr. St-Am.. '''/-v///.
Saint., cheunier. Sav., coe senior.
CuEusiNE, s. f., cuisine.
Lat., coqulna. Bourg., cusènc Prov., rn:^lna. Roueh., cuisciic. St-
Ani., cii^ëna. Saint., clim/uic. Sav., co(\~eii(i. Wall., couhéiu'.
CuEussE, et CuEUCHE, S. f., cuisse.
Lat., coxa. Bourg., cueûasc, qiieùsse. Bte^s., quoussc, qiœuc/w.
Champ., qucurhc. Cogn., kieiisse. Fv.-Cté., eusse. IL-V., quèsso.
Lille., cuiche. Lorr., queu.che. Lyon., coissi, couessL Montr.,
cuaiiss/ics. Morv., qucuche. Norm., queusse, cuassc. Poit.,
Cfussc. Prov., cuci.ssd, roissa. St-Xm., cuir'hc. Saint. . rh<'ii.s.->i'.
Toul., quèj/sso.
Ci'EussER, V. lr.. dépouiller. Syn. cliMloniiais de ciicùrer.
(V. ce mot.i
Noi'm., acusscr inietlic un joumu- /' l'ul .<('(■}■
CuEUT, adj., cuil.
Bottïg., queut, cœu. Lim., I.rii'ho. Loir., eu. Morv. , 7?/(v/. StAni.,
ciii , i(i . Wall . . rui .
LANGAGE POPlîr.AlHF, VKK'ni'N'(1-CHALONNAlS 193
CuEUTE, S. 1'., cuite, cuisson : (( Tant d'michesque (;a ! boufre !
y et eùne bâle cueùtel
Bourg., queute. Lorr., cueute. Montr., id. Mov\., queute. Norm.,
quisse, quisson. Poit., qussc, queusse. Rouch., cuiiie. Sav.,
coaita. Wall., cutèc, cuitée.
Cl'gnot, ad., mou, engourdi, un peu niais, qui manque
d'énergie, ou se remue sans rien faire : « T'n'as donc pas
fini? Que qu'te fais là? Ran du tout. Va, t'n'è qu'un
pauv' cugnot. »
CuGNOTER, V. intr., tourner sur place sans rien faire, mettre
longtemps pour n'arriver à rien, ne pas sortir d'une
besogne.
CuL-DE-POULOT, S. m., pouimc de tcrrc. (V. Crompire.)
CuL-DE-s!NGE, S. m., uèfle.
Litn., népld .
CuLETON. s. m., coffret situé à l'arriére cV une fourq nette.
Curie, s. f. , éruption de boutons fréquente chez les enfants
du premier âge.
CuRTi, CoRTi, et CouRTi, S. m., jardin. A la campagne,
c'était un champ entouré de haies; à la vill(\ un jardin
clos de nuirs.
Bas-lat., curtile. Atden., coiirn's. Artois, (jardin. Beri-y, couvlil.
Boury. , nirtih, cuUil:-. Bress., rurti , coutillo, cortil.
Champ., court !!<. Fi'.-Ctr., coiithl. Genev., corti, court!. Isère,
hiiert. Lang., courtial. Liai., coi-til, conrti, vnrfjler. Lyon.,
cnrtil. court! I. Mac, curi!. Marne, courtis. Mayen., court!.
Montr., curlU. Morv., corti, court!, court!/. Norm., courlil.
Pc'rig., <-ortil, court!. Pic, id., id. Poit., court!!. Rouch., court!.
St-Am., c//rti. Sa\., cocrti, court!!. Sinian., curti. Toul., orf,
ortct, hori. horto. couxlùrc. Wall., court!. Vs. fr., corlil,
courtil.
CuYEiî, V. Ir., cueillir.
Lini., riili. Moi'x., ci/ïci\(\'. Curiûer. Curiu/re).
CiYKRE, s. f., cuillère.
Boi'iy, quHlcre. Lang.. ciiic. Moi\ ., id. Piow. culhicr, entier. St-
\\\\.. rlltljc. Wall., (•///.
F. Fertiault.
IvKvn: i)h; i-iiii.oi.oiai;. v. i;-i
LE CONDITIONNEL EN FRANÇAIS (D
par
J. BASTIN
Professeur à Saint- Fétorsbourj
CONDITIONNEL PRESENT ET FUTUR
1) Le conditionnel a reçu ce nom, parce qu'il raconte
des faits dont l'exécution dépent souvent d'une condi-
tion {2).
Si Je rccecais cet argent aujourd'hui, mais je ne l'espère guère,
je partirais déjà demain. — Je serais heureux si mes parents
étaient ici. — Il avait promis qu'il écrirait si nous lui écrivions
de notre côté. — Si nous lui avions écrit, il serait déjà ici.
Remarque. — La condition peut se présenter sous
différentes formes :
A ce compte (si l'on compte ainsi, si l'on comptait ainsi, à cette
condition), il céderait tous ses droits. — X'aijacc; pas (si vous
agacez) ce chien, il vous mordrait, il pourrait vous mordre. —
Je croirais lui taire, en allant c/ie;- lui (si j'allais chez lui),
beaucoup d'honneur. — Je serais bien taché de le voir arriver
(s'il arrivait, si je le voijais arriver). — Il serait bon d'envoyer
chercher le médecin (ce serait bien si l'gn envoyait, etc.). Je le
reconnaîtrais entre mille (si je le voyais., s'il se trouvait entre
mille autres). Je crois que sans vous il ne partirait pas.
(1) [La grammaire de M. Bastiii (Étude p/iilolo(jique de la langue
française) est épuisée depuis longtemps. Nous sommes heureus de
donner à nos lecteurs un des chapitres de cet excellent livre, corrigé
par l'auteur. Nous souhaitons vivement que M. Bastiu publie bientôt,
et chez un éditeur français, une seconde édition de sa grammaire,
trop peu connue eu France. La netteté des formules et l'abondance
des e.\eniplos frapperont certainement nos lecteurs, et ils s'associeront
à notre vœuj. L. C.
(2) Le conditionnel préserU etj'utu/- qui manque en latin représente
ou remplace l'iinjiarfait du subjonctif de la langue latine dans le cas
où ce dernier temps a un sens conditionnel ou hypot/œtique (proposi-
tions principales). Le conditionnel passé remplace danè les mêmes cas
le jdus-que-fjarjait du conjonctif latin.
LE COXDllIDNNF.L i;\ l'UANlJAIS 1^)5
2) En réalité, ce qui se voit plus facilement que
partout ailleurs dans la proposition subordonnée, le
conditionnel est le futur des temps passés, sans qu'il y
ait pour cela aucune condition exprimée ou sous-
entendue. Pour cette raison, le conditionnel devrait
plutôt s'appeler le futur des temps passés (futurum
imperfecti on, par extension, futurum /jc//ec//, futurum
prœteriti), car c'est le xrni futur des temps passés. (Cf.
ci-dessus pages G2 et 78 l'article de M. Clédatet l'appro-
bation de M. Toblcr.)
11 déclaia qu'il se déciderait bientôt. Il a dit (il avait dit)
qu'il partirait, et, en effet, il est parti dès le lendemain du joui*
où il avait annoncé qu'il s'en irait. — Le roi répondit que la
garnison serait pendue. -— 11 fut décidé qu'on remettrait au
roi les clefs de la ville. Il dit (passé défini) qu'il allait deman-
der (demanderait) à ses voisins de l'aider dans son travail. —
11 crut ([u'il ne serait pas en retard en arrivant au palais à cinq
iieures du matin (le conditionnel, dans tous ces exemples, se
traduit en russe par ie futur. Dans le cas où il peut se rendre en
latin par l'accusatif avecl'innnitif. la langue latine emploie aussi,
dans ces cas, l'injinitif futur).
3) Api^ès le passé indéfini, on peut cependant em-
ployer \q futur simple au lieu du conditionnel présent
ou futur, dont on peut aussi se servii-, ([uand l'action
dont on parle ne pourra se faire que dans l'avenir. Le
conditionnel est la règle, \e futur est l'exception (1) :
Perrctte a rêvé qu'elle gagnera (gagnerait) le gros lot au
tirage qui aura lieu le piemier du uiois prochain.
Mais le f util/' est impossible après le passé indéfini
quand l'action ou le fait dont on parle a déjà pu ou dû
se faire dans \e passé.
Perrctte a rcrr, il y a quinze jours, qu'elle gagnerait le gros
lot au tii'age qui a eu lieu hier, mais elle n'a rien gagné. — Notre
(1) [Pour la généralisation de cette règle, on me perniedra de ren-
voyer à la page 259 et suivantes de ma Nourelle i/raninudrc hi.<to-
rique du franraia.] L. C.
196 KEVfE DE F'HIIJ^LDGIE FRANÇAISE
ami nous <i <:lir Ider laatiit qu'il partirait le soir, il doit donc
être parti.
J'ai cm que des présents calmeraient son courroux,
Que ce Dieu, quel qu'il soit, on deviendrait plus doux.
(Racine, Atludle, IL 5.)
4) ]^e futur simple Qi \q futur antérieur sont quelque-
fois employés par les écrivains poui^ raconter des événe-
ments qui se sont passés avant le temps où ils ont écril,
parce que ces écrivains se représentent comme vivant
ou ayant vécu à Tépoque passée d'où ils semblent pré-
voir les événements qui sont réellement arrivés plus
tard.
Mais en suivant logiquement le récit au point de vue
de l'époque passée oi\ les événements ont pu arriver,
l'écrivain aura alors le conditionnel (futur des temps
passés) pour raconter les événements yi^/^^/'s relative-
ment aus J'aits passés qui commencent le récit. Les
faits sont ici présentés comme éventuels, mais sans
aucune condition sous-entendue (1).
Le jeune homme aimait sa mère de toute son âme et l'aimait
peut-être plus encore depuis qu'il la voi/air triste, malade, dési-
reuse de quitter une maison de deuil. Il irait avec elle dans un
climat plus chaud, il ne la quitterait pas d'un instant, il
veillerait sur elle, la soignerait cunime une enfant, la verrait
guérie, passerait encore des jours heureux avec elle. Il lui Mt
connaître son projet de voyage, elle consentit aussitôt. — Le je\ine
liomme coulait une explication, il l'aurait, il saurait à quoi
s'en tenir, et il agirait en conséquence. — Anne de Bretagne,
femme de Louis XII, arait beau admirer et aimer ses filles; c'é-
taient des filles, elles n'hériteraient pas du trône de France
{Reçue politique et littéraire). — Le roi se montra plein de
générosité; il n'exiijeait que la remise de l'artillerie, des muni-
tions et des armes : tons les hommes, officiers et soldats de-
meureraient libres et pourraient retourner dans leurs foyers.
1) f^'écrivain ne se pose pas ici comme rictint à une (''j>0(]ue pastire
tlunl il veut raconter les événements /«i^/'-s- (qu'il semble prévoir) ; il
raconte ici au point de vue du /)ass('', les événements /«?»/•.-• ricutucl^
qui devaieni .<uii rc cens qui coimnencem sa narration.
LE CONDITIONNEL EN FRANÇAIS 197
— Les cinq ans écoulés n'avaient pas laissé sur lui de traces
visibles : à trente ans, il portait quelques années de plus que
son âge ; mais à quarante-cinq il aurait encore l'air jeune
(H. Gréville, M"" de Dreux). — Les coudriers /)o/'^«îe/i,(! à peine au
bout de leurs branches souples les petits nœuds tendres et veloutés
d'où sortiraient les feuilles {Eadcm, Idylles). A dater de ce jour,
ils organisèrent leur vie, ils ne se quitteraient plus (Revue des
D.-M). — L'héroïne de la pièce, on le savait, mourrait au
dénouement (J. Lemaître). C'était Aonc décidé. La Revue annuelle
aurait lieu le 9 juin suivant. Avec le grand prix qui deoait être
couru (qui serait couru) dans la même semaine, ce serait
l'événement parisien par excellence clôturant les fêtes du prin-
temps (Jacques Normand, Mère, fcniino, fille ou sauir, Lecture,
10 mars 1891).
Remarque. — Cette inanièie de raconter se rappro-
che du discours indirect, et \e conditionnel se compren-
dra, facilement en supposant comme sous-entendus des
mots qui ne le sont cependant pas en réalité :
Voyant sa mère triste, le jeune homme (décida qu'jil l'emmè-
nerait, etc. — C'était (c'étaient) des filles, la mère savait, il était
certain qu'elles n'hériteraient pas, etc. — On (pouvait dés
lors prévoir) qu'à quarante-cinq ans il paraîtrait encore jeune
(il aurait encore l'air jeune), etc., etc.
5) Dans les propositions principales, comme dans les
propositions subordonnées, le conditionnel simple peut
exprimer des ^ciion^ pi'ésentes on futures :
Si vous m'aviez écrit plus tôt, je serais di'jâ maint enun t en route
pour aller vous voir. — Si j'avais cet argent, j'en enverrais, dés
demain, une partie à mon frère.
6) Après si, exprimant une condition ou une suppo-
sition, c'est l'imparfait de l'indicatif que l'on emploie
presque toujours au lieu du conditionnel j)résent ou
futur.
Si je recevais demain cet argent, je partirais pour Paris. —
S'il recevait (quand il recevait) de l'argent, il ne travaillait plus
(autre sens).
198 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Mais lorsque si n'exprime qu'un doute, c'est le con-
ditionnel qu'il faut employer :
Je ne savais pas encore alors s'il irait à Berlin.
Après si, exprimant plutôt une possibilité qu'une
conditidJi ou une supposition, on emploie très bien le
conditionnel (1) :
Que je meure si je saurais vous le dire (Malherbe). Si, tout fin
diable que vous êtes, vous ne sauriez vous tirer d'affaire, com-
ment un chétif mortel pourra-t-il en venir à bout (Lesage). Si les
plantes du midi ne sauraient croître au nord, celles du nord ne
réussissent pas mieux au midi (B. de Saint-Pierre). Et, en effet,
messieurs, s'il serait injuste de ne pas accorder dans ces succès
une part considérable à l'habileté de notre gouvernement, il
faut dire cependant que c'est à la France agricole que nous devons
la réparation de nos désastres (L. Passy). S'il y aurait peu de
courage à pousser un cri d'alarme, il serait également puéril de
méconnaître la leçon que nous avons reçue dans l'échec que nous
venons de subir (Le Figaro). — Il a fait venir ici deux artistes
comme s'il n'aurait pas pu (s'il ne pouvait, s'il n'avait pas pu)
attendre son prochain retour à Paris pour faire les portraits (Théod.
Barrière et L. Capendu^ les Faux bonshommes). Il est arrêté que
l'honneur nous ordonne de nous taire sur ces choses-là, comme si
l'honneur véritable ne consisterait pas à en dénoncer l'infamie
au monde entier (P. Bourget, Mensonges ; Lecture, 1888, p. 210).
— Si les vers que Corneille a mis dans la bouche de Cléopâtre
seraient tout aussi bien placés dans celle de son Emilie, les
reines d'Orient parlent donc chez lui comme les Romaines [Reçue
des D.-M., 1880, p. 864 ; Brunetièrc, Études sur le xvif siècle).
Si ta haine m'envie un supplice trop doux, ou si d'un sang trop
vil ta main serait trempée (2), au défaut de ton bras prête-moi
ton cpée (Racine). Il s'imagine qu'il donnera par là une haute idée
(1) L'aclion, après .•••(■, est surtout roprèsentée ici comme i/iccz-taine,
comme pos)<i bU(y.é coi\ditionnc\lc. {V oir Clûu.vv ,Graininai t-c II istori'qtic ,
pp. 234-239). La conjonction .-/ pourrait facilement disparaître dans
presque tous ces cas, qui ne sont que des aflirmations initi!jcc.<.
présentant un doute dans la pensée de celui (jui parle.
(2) Si (lu crois que) ta main en frappant serait trempée (pourrait
être trempée) d'un sang trop vil, donne-moi ion cpùe. j(^ me frapperai
moi-même. — [M. Hastin ajoute tu cfoii^ que pour expliquer le sons ;
mais il n'y a pas plus d'ellipse ici (|ue dans les autres exenq^ics. Cf.
ma G/-aininairc /listoriquc, p. 238, noie 1.] I.. C.
LE CONDITIONNEL EN FRANÇAIS 199
de cette femme, comme si Thésée n'aurait pas pu être touché de
quelque chose de médiocre (Fénelon ; dans cet exemple nous em-
ploierions aujourd'hui le plus-que-parfait de l'indicatif ou le second
conditionnel passé). — Si l'on dirait volontiers que c'est à l'élo-
quence de la chaire qu'il emprunte le sujet de ses prédications, on
peut assurer sans craindre que M""" de Staël s'est plu souvent aussi
à prendre comme modèles de ses observations ceux qu'on peutappe-
1er nos petits moralistes (Hecï^cffes Z).-iV/.,l" juin 1890, Brunetière).
Si je n'oserais dire que de tous les romans de Feuillet, l'Histoire
d'une Parisienne soit le meilleur, c'en est peut-être le plus expan-
sif, le plus significatif (Idem, ibidem, l" fév. 91).
Quand si n'exprime ({u'uii doute, on peut mettre
après lui tous les temps de l'indicatif :
.Te ne sais pas si mon frère travaille maintenant, s'il tra-
vaillait alors, s'il a travaillé liier ; s'il travaillera demain
s'il travaillerait quand même on le punirait. Je ne sais pas s'il
avait déjà alors fini son travail, s'il l'aurait fini (s'il l'eût fini)
hier en travaillant mieux qu'il ne fait.
Après quand, quand même, alo/'s, alors même que,
employés dans le sens de si, si même, on emploie le
conditionnel.
Je no viendrais pas à bout de ce travail <iuand {quand /Hr"/;)r) je
travaillerais toute la journée ; alors même que je travaille-
rais jusqu'à minuit.
Lorsque la proposition subordonnée commençant par
si même est changée en proposition principale, c'est
aussi le conditionnel qu'il faut employer :
Il ne pleurerait pas si même il coyait mourir le dernier de ses
enfants. — 11 verrait mourir le dernier de ses enfants qu'il ne
verserait i)as une seule larme. Vous tirez fort bien, mon ami,
vous manqueriez le but, si môme il était à trois pas (quand
môme il serait à trois pas). Vous tirez fort bien, mon ami, le
but serait-il à (rois pas, vous le manqueriez encore. Les avares
auraient tout l'or du Pérou, qu'ils en désireraient (Micorc. Il
verrait périr tous ses amis, qu'il ne s'en affecterait pas, il
n'en mangerait pas un morceau de moins. Alcibiadc avait
coupé la queue à son chien ; il serait arrivé quelque grand
événement à Athènes qu'on n'en aurait pas parlé davantage.
200 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Après si, n'exprimant qu'un simple doute, c'est
encore le conditionnel qu'il faut employer:
Je ne savais pas encore aloi-s si tout serait prêt pour notre
voyage.
7) Le conditionnel présent s'emploie aussi pour
raconter des événements probables, possibles, incer-
tains :
On a parlé de bandes d'enfants qui mendieraient pour le
compte d'un entrepreneur. — Je vous en dirai les raisons dans le
cas où cela vous intéresserait. 11 craint que ses valeurs ne lui
soient enlevées dans le cas possible où la ville serait envahie.
— Votre ami n'est pas venu nous voir ce matin ; serait-il malade ?
8) Le conditionnel s'emploie encore souvent, sans
qu'il y ait aucune condition exprimée, lorsqu'il s'agit
d'exprimer un désir, wne supposition , une question ou
une affirmation mitigée :
On dirait (il semble, il parait) qu'il va pleuvoir. — Je vou-
drais lui parler. — Je désirerais lui laisser un souvenir. —
Aurait-il l'intention de nous quitter? — A l'en croire il serait
supérieur à tous ses collègues. — Seriez-vous assez osé pour le
faire ?
11 faudrait, je crois, être plus sévère avec cet enfant. — Vous
devriez, me semble-t-il, agir avec plus d'indulgence. — Se
pourrait-il qu'il arrivât sitôt. — 11 se pourrait que mon père
partit bientôt pour Paris. - Je désirerais que ce travail me fut
bientôt remis. Il serait nécessaire que le Jeune homme revînt
chez ses parents.
9) Le conditionnel présent du verbe savoir s'emploie
parfois pour \q présent de V indicatif un \erhe pouvoir:
Je ne saurais (je ïig puis, il m'est impossible de) vous le dire.
10) L'imparfait du verbe avoir, suivi de la préposition
à et d'un infinitif, exprime souvent, comme ]e présent
dans le même cas, une idée obligatoii'e àQ futur {le
futur, au point de vue du présent : le conditionnel , au
point de vue du /lassé).
LE CONDITIONNEL EN FRANÇAIS 201
Vous savez que j'ai à vous parler ce soir (je dois vous
parler ce soii', je vous parlerai ce soir). Je vous ai déjà dit que
j'avais à vous parler ce soii' (que je devais vous parler ce
soir, que je vous parlerais ce soir ; qu'il faut que je vous parle,
qu'il fallait que je vous parlasse).
11) Dans les propositions conditionnelles, l'itnpfir-
J'ait du subjonctif rem])la('e parfois le conditionnel
présent :
Fût-il (serait-il. si nirine il était) encore plus riche, je ne
voudrais pas le connaître. — Dussé-je périr, je n'obéirai pas à
cet ordre injuste. — Le ministre, eût-il plus d'énersie encore, serait
impuissant contre l'opposition. -- Acceptât-on un congrès euro-
péen on ne fera rien pour notre pays.— Les Lacédémoniens. lussent-
ils seuls, attendront les Perses de pied ferme. L'entreprise, dût-
l'Ue échouer, il sera toujours glorieux de l'avoir tentée (1).
12) Les temps à employer changent encore ici selon
la pensée que Ton veut exprimer :
Si la chose peut se faire, je suis persuadé qu'il vous rendrait
ce service (qu'il vous rendra ce service)... Si la chose pouvait
se faire, il vous rendrait, je crois (il vous rendra ce service).
ViniparJ'nit est ici moins allirmatii' que le présent et
\q, futur présente les faits d'une manière plus certaine
que le conditionnel.
Remarquons le conditionnel futur immédiat ou
rapproché :
Mon frère racontait ce matin qu'il allait partir (qu'il parti-
rait) demain pour Moscou (conditionnel, futur des temps passés,
conditionnel sans aucune idée de condition).
(1) Si l'on veut accepter en français r/««.s- formes de conditionnel
passé, il faudrait alors, d';iprcs les exemples qui précèdent, admettre
également, pour être logique, deus formes de conditionnel présent.
20Z REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
CONDITIONNEL PASSE ET CONDITIONNEL
FUTUR ANTÉRIEUR
1) Le conditionnel passé s'emploie pour les actions
Jlitures (idée de futur antérieur), comme pour les
actions /cassées. — Il désigne des actions qui se seraient
faites dans \q passé si la condition dont on parle s'était
accomplie. Pour \q futur il désigne des actions qui
seraient faites avant une époque à venir, si la condition
dont on parle s'accomplissait ou s'était accomplie :
Si J'avais mieux- tracacllc, j'aurais fini mou travail depuis
longtemps. — Mon travail ne sera fiai que dans deux mois ; je
l'aurais fini beaucoup plus tôt (je le finirais beaucoup plus tôt),
si j'acais mieux travaillé (si je travaillais mieux). — Je lui
demande quand il aura fini son travail (futur antérieur); ce
matin je lui ai demandé quand il aurait fini son travail {con-
ditionnel futur antérieur). — J'aurais eu fini mon travail
beaucoup plus tôt, si j'avais mieux travailb' (temps surcomposé)
— Sans cette malencontreuse visite, j'aurais dîné de meilleure
heure; sans cette visite, j'aurais eu dîné de meilleure heure
(temps surcomposé).
2) Après si, exprimant une condition ou une suppo-
sition, le conditionnel passé (première forme) se rem-
place par le phis-que-parfcdt de l'indicatif, ou par le
second conditionnel passé, qui n'est, en réalité, que le
plus-queparfait du subjonctif:
Si la douleur de notre captivité ne nous eiit rendus (ne nous
avait rendus) insensibles à tous les plaisirs, nos yeux auraient
été charmés (nos yeux eussent été charmés) en voyant
cetti^ feitile tiMi'e d'Egypte (Fêneli)n).
Mais lorsque si n'exprime (jifitu doute, le condi-
tion i tel passé reprent sa place:
Je ne sais pas s'il serait venu (s'il fût venu) quand même
on l'aurait invité. (|uaiid même on l'eùl incité.
LE CONDITIONNEL EN FRANÇAIS 203
3) Les deus formes du conditioniiel passé ont la même
signification et peuvent s'employer l'une pour l'autre
(excepté après .sv'. exprimant une condition ou une
supposition). La première forme s'emploie en parlant et
en écrivant, la seconde s'emploie surtout en écrivant (1).
La princesse Louise de Prusse n'eût pas été (n'aurait pas été;
seulement le gracieux ornement du trône d'Angleterre, elle aurait
certainement exercé (elle eiît certainement exercé) l'influence
la plus salutaire sur l'esprit du prince de Galles, plus tard
George IV (Saint-René Taillandier). N'eût-il pas été pauvre, il
aurait (il eût) encore mené une vio frugale. Eût-il été même
plus habile, il serait (il fût) encore tombé.
Je vous aurais rendu ce service depuis longtemps si cela avait
pu se faire. — Je vous aurais rendu ce service si cela pouvait
se faire (si c'était une chose ton/ours possible, qu'il est p(M'mis de
faire en tout temps).
4) Le conditionnel passé s'emploie souvent pour
exprimer des événements douteiis, c[ui ont pu arriver
dans lepassé, et il est équivalent alors à un passé indéfini
mitigé :
Il no rentre pas, lui serait-il arrivé (lui est-il arrivé par
hasard) quelque malheur ? — S'il faut en croiie les journau.x, le
roi de Prusse aurait dit (a dit) hier qu'il fera (ferait) tout
pour conserver la pai.w
5) Il s'emploie même pour les faits certains, quand il
y a doute sur la manière ou le moment de leur exécu-
tion :
C'e^t peiit-rtrc VII i:e iiki/uciiI ([W^ dix-lulit gentilshommes fran-
çais seraient venus (sont venus, vinrent) fondre sur le roi
d'Angleterre (^Michelet, fait ccfLaiii; moment douteux). — C'est à
ce moment, croit-on, que le meurtre aurait été commis (a dû être
commis). Ce bonheur lui aurait-il été réservé, comme je le
(1) La troisième pcrsoiuic du singulier fait cependant exception et
s'emploie volontiers, même dans la conversation. Le conditiomiel
passé surcomposé s'emploie encore moins volontiers ; si j'eusse eu
fini i)lus tôt hier, je serais allé vous voir.
204 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
souhaite ? — A reiitencU'e, il serait allé chez son camarade et
lui aurait manifesté tout le regret qu'il éprouvait de l'avoir
offensé.
6) La seconde J'orine du conditionnel passé, qui n'est
partout, en réalité, qu un pi as-que-par fait du subjonctif,
s'emploie dans les propositions conditionnelles pour
exprimer des actions passées ou futures-antérieures :
S'ils avaient mieux travaillé, eussent-ils fini pour cela ce long
travail avant la fin du mois prochain ? — Eût-il été plus riche
encore (s'il avait été plus riche), je n'aurais pas voulu le con-
naître. — N'eût été l'arrivée de mon ami chez moi, je serais
déjà depuis longtemps à Paris (si ce n'tœait été, si ce n'eût
été l'arrivée, etc.). — Voir ci-dessus le conditionnel présent,
dernière règle.
I
TKXTES DK I;EXTHÊWE NORD
ET DE L'EXTRÊME SUD WALLON
En ce qui concerne la graphie emplo3'ée ici, il y a lieu de
remarquer que :
è =: e ouvert bref,
é r=r e id. long,
é = e fermé,
0 = 0 ouvert bref,
à =: o ferme,
H = u français,
ou = ou id.
eu = eu fermé.
e = eu ouv'ert ou e mu<'t franc, [uie],
cm, in, on, un = an, in, on, un fram^ais,
w = \v anglais,
jj = yoâ,
(j est toujours dur,
li est toujours aspirée,
.s est toujours dure,
fin = gn français, c'est-à-dire n mouillée.
Tous les autres caractères gardent leur valeur française.
Deus signes séparés par une barre verticale représentent un
son intermédiaire: ainsi, bjii'jin, bien, indiijuc une demi
nasale.
Pour plus de ra<'ilil(', louic ("lisioii esi représcnti'c par une
apostrophe.
'2()i> hkvl;!-: ui-: i-irii.ni.oi.n-: fi<a\( aisi;
^^'lTRY (Luxembourg)
Le nuton
I (jii è o pti vilatcli' de V'iènèy' en plas' k' on Ini.tc/i' (( d
i^otcJi de nuton ».
.Se rotclt la es' troiwan su Cèic do/ Si(r\
A pou pj'è a niitan dolkwas\ i gn è un trou tayè dè/in la
rotcK è ki va sorti a e/i' demi euf pu Ion, su V pastevatdt'
de Winvèy\ a en' plus' A-' on hutch' osa « rotcJi' de nuton. »
On di // es' ti^ou la asté abitè pa de nuton, k' astl de p'ti z
oin'' ki rC astl ni pu gvan U de z a/an de chij an.
Se p''ti z oni' la n' astl ni médian, kan on n^ lèz ifé ryèlin
A Uèstè, i vikl avu de pèchon k' i pêrnl a V èu:\- on d' je
osu A' i pèrnl de lifèf' a kouvan apvè.
A V icèr, i d' ni dè/in le màjon do vilatch' demandé un
hokè d' lié/ in. On le z l d' né bijè/in v'iè tj/è po n' m aicar de
mizèr avu z eu.
On d'jé k" i sari èrtrouvi (sic) se s' Ar' asté perdu è k' i savl
osa vo wàV de tôt'' sort' de maladl', si bi/é/in j)o le djèjin
k' po le hés .
Le otjèif djèlin d' Jon kè s'è d'pu A' on z è II /' èvanjil' da
Sin Djan aprè la mes'. A' on n' le z è pu vu : iz on stu vouy
dèpu lor avu to le sorsyè è le sorsyèr'.
P)-iyèr po V ma d' vint'.
0 non do gran Dye ki no lem' è A' è mes' de to, mal de
flan! mal dèjlan! djè f konjur' de sorti do vint' de s' djèlin
la è de t' a n aie o gran bwè, dus' kè V t rouvre a V plasè ou
a t' met'. Ainsi-soit-il !
Extrait
« Djè ni' sovyè/in A' èm' gran péi-' m'è di un djour : Valè,
dit-i, on z è tchindjè le bondèn' de noù kartyè d' Bonèmon.
Por mi, s' n' è ryè/in d' àt' kè la vuHi do si ki le z è tchindjè,
ki rcyè/in.
(( Si on m' vu chouti (sic), d/' vèron d' min torto su f ter
dolfalich'' è kan la vwa krirè ko, dj' rèspondron torto ason-n':
« Mè la dûs' kè t' U è pri. ))
ri'.XTR WALLON JOT
Les nidons
Il y a au petit village de Volaiville une place qu'on In.iche
(( aus roches des nutons )).
Ces roches-là se trouvent sur l'eau de la Sûre.
A peu près à mitan de la côte, il y a un trou taillé dans la
roche et qui va sortir à une demi-heure plus loin, sur le
pâturage de Winville, à une place qu'on huche aussi « roches
des nutons ».
On dit que ce trou-là était habité par des nutons, qui étaient
des petits hommes qui n'étaient nient plus grands que des
enfants de sis ans.
Ces petits hommes-là n'étaient nient méchants, quand on
ne les-y fait (faisait) rien.
A /'été, ils tiquaient avec des poissons qu'ils prenaient à
l'eau; on disait aussi qu'ils prenaient des lièvres en courant
après.
A /'hiver, ils venaient dans les maisons du village deman-
der un hoquet (morceau) de pain. On les-y donnait volontiers
pour ne nient avoir des misères avec-z-eus.
On disait qu'ils savaient retrouver ce-c' qui était perdu et
qu'ils savaient aussi vous garde àe toutes sortes de maladies,
si bien pour les gens que pour les bêtes.
Les vieilles gens disent que c'est depuis qu'on-z-a lu
l'évangile de-à Saint-Jean après la messe, qu'on ne les a plus
vus : ils ont été [en] voie depuis lors avec tous les sorciers et
les sorcières.
Prière pour le mal de ventre
Au nom du grand Di(.'u qui nous lame (éclaire) et qui est
maître de tout, mal de liane ! mal de flanc ! je te conjure de
sortir du ventre de cette gent-lkei de t'en aller au grand bois,
doù (où) ce que tu trouveras à te placer ou à te mettre...
Extrait
« Je me souviens que mon grand père m'a dit un jour :
Valet, dit-il, on-z-a cliangé les bondines (bornes) du neuf
quartier de Bonainiont. Pour moi, ce n'est rien d'autre (|ue la
vois du cil qui les a changées, qui revient.
» Si on me veut écouter, y'e ciendrons demain tretous sur le
terne de la /'alise et quand la vois criera encore, y e répondrons
iretous ensemble : (( Mès-la doù (où) ce que tu l'as prise. »
•208 rryi'e de pliii.olor.ie française
Hannut (Liège)
Li fi de mouyni
S'èsteu onfènèyan ki rC voleaf né travaiji koni' lèz ouloC
fré et par conséquent les frères lui en voulaient, è i di a s'
matïi': Dji m' va ^nn aie, è iprin on pani è on kok divin, è i
^nn è va, è i rof si Ion, si Ion, k' il arif din on payi k' if
zeii todi neur, Ar' i n' aveu pon d'djou. 5" èsteu todi V ne. E
din s' payi-la, on n' aveu jamê vèyu d' kok. Il intréy' divin
un} ôbèrch' po s' ripwazé è on li n' rnonf sou k' il aveu din s'
tchèna. On icêt' si byès' è on di : A-' è s' kiv' z avo la? No
n' avonjamê vèyu un' byès^ konx' sa. — A ! s' è-st-un^ byès'
rar, dist-i. Dji va nn è fèprèzin à rwè, pas'ki kon èV va tchonté,
li djou vav'nu è ivafé klér, i n! àvè pu dondji o?' lonp\ li
Solya s' mostéyrè èij'rè djou. E dji so sur ki li rwè va m'
rèkonpinsé. To lèz om A"' èstin' èkabarè dihè: E-s' ki vo n'
é/' vindri né, è V plas' di l'aie doné à rwè ? — Si vo v'io mèC
ottan, dji v' z èV vindrè. Donk, i Je maiHchi avou to lèz oni
de kabarè, è kon il a le sou' i r' fil' è s' payi è il arif" è s'
mohon' . E i don' se sou a s' mam' è idi: mani' , vola sou k'dj'a
gàgni. Alou/àr, il èsteu bin vnu èi vikin' fwar bin. Mais
quand l'argent a été mangé, il fallait de nouveau retravailler
è V fènèyan n' voleufi ko rin fé. E i di ko a s' mam': Dji m 'è
va 'nn aie, è il atrap' un blonk' sori è i V mè d' vin un' giyol'
è i di a s' mam': Vo n' diro né ki dj' so èvoujôy^ Il è va si
Ion, si Ion, k' il arif divin on payi inkonu. Arivé din un
molion' po z i pasé l' né, on li n' mont' kén' byès' k' il aveu
la, èjamè din s' payi-la on n' aveu vèyu de sori. I di : s' è-st-
un' byès' bin rar' è dji m' va èfé prézin à rwè. E pokwè ki
v' li pwarté s' byès'-laf Pas' ki s' è-st-wî byès , dist-i, ki, .s?
vl k' on seuy' , kon on mè .s*' deu d'su, on rid' vin kom' a l'adj'
di vint on. Dji m' èl' vapinf la à plafon, a s' clà-la,po k' èl'
seuy' bin trankil' è n mwin matin dji m' è va avou po l'
pwarté à rwè. I va dwarmu Min din s' mohon la, i n aveu
un' viy' fèrn di katre-vin-z-on k' èsteu su s' lé è ki n saveuf
pu boudjl, safè ki lèz èjhn dihè : Si no polin fé met' lideu di
yran maman su C byè.s' di .s7 atn'-ht. ri' rid' réreu djon-n è
no Hèrin' bin n eureu.
TEXTE WALLON 209
Le Jlls du meunier. — C'était un fainéant qui ne voulait
nient li'availler comme les autres frères
et il dit à sa mère : Je me vais en aller, et il prent un panier
et un coq dedans, et il en en va, et il route si loin, si loin ,
qu'il arrive dans un pays qu'il faisait toujours noir, qu'il n'a-
vait point de jour. C'était toujours la nuit. Et dans ce pays-
là, on n'avait jamais vu de coq. Il entre dedans une auberge
pour se reposer et on lui demande ce qu'il avait dans son
*chènas. On regarde sa bête et'on dit : Qu'est-ce que vous avez
là ? Nous n'avons jamais vu une bête comme ça. — Ah ! c'est
une bête rare, dit-il. Je vais en en faire présent au roi, parce
que, quand elle va chanter, le jour va venir et il va faire clair,
il n'y aura plus danger de lampe, le *soleau se montrera et il
fera jour. Et je suis sûr que le roi va me récompenser. Tous
les hommes qui étaient en le cabaret disent : Est-ce que vous
ne la vendriez nient, en la place de l'aller donner au roi ? —
Si vous voulez mettre altretant, je vous la vendrai. Donc, il fait
marché avec tous les hommes du cabaret, et quand il a les
sous, il refile en son pays et il arrive en sa maison. Et il
donne ses sous à sa mère et il dit : mère, voilà ce que j'ai
gagné. Alors, il était bien venu et ils oicjuaient fort bien
et le fainéant ne voulait encore rien faire. Et il dit encore à
sa mère : Je m en vais en aller, et il attrape une blanche sou-
ris et il la met dedans une geôle (cage) et il dit à sa mère :
Vous ne direz nient que je suis envoie. Il il en va si loin, si
loin, qu'il arrive dedans un pays inconnu. Arrivé dans une
maison pour-z-y passer la nuit, on lui demande quelle bête
^a'il av^ait là, et jamais dans ce pays-là on n'avait vu des
souris. Il dit : c'est une bête bien rare et je me vais en faire
présent au roi. — Et pourquoi que vous lui portez cette bête-
là? — Parce que c'est une bête, dit-il, qui, si viens qu'on
soie, quand on met son doigt dessus, on redevient comme à
râg(; de vingt ans. Je me la vais pendre là au plafond, à ce
clou-là, pour qu'elle soie bien tranquille et demain matin je
m'en vais avec pour la porter au roi. Il va dormir. Mais dans
cette maison-là, il y avait une vieille femme de quatre-vingts
ans qui était sur son lit et qui ne savait plus bouger. Ça fait
que les enfants disent : Si nous *poulions faire mettre le doigt
de grand'maman sur la bête de cet homme-là, elle redevien-
drait jeune et nous serions bien heureus.
liEVUli DE l'UILOLOGIE, V. 14
210 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
I Ti wazin dispinf li giyoV , min po zi y ai'ivé i niètè un
tàf è pwi un! tchiyir' . On va kwi la gran maman, on V
apwat\ on V nionf su t tchiyir , on li prin s' mwin, è on
droùf li p'tif giyoV pofé mèC li deu dèl gran maman su /'
sori, è ositou/6 ki C giyoV è st oucyèf , li sori potcfi foù è V
gran maman n' a né V tin di mèf si deu d' su. Le djin èstin
pu mwar ki vikon è i s' dihin : k' alon n div nu. Si li rwè
aprin sa, i va no fé kùr din d' V oujàl\ Li fi de mougni ki
icèteuf pa on p'ti troujô de plontchi aveu to ètindu. A matin
i s lèf; après oyu d* djuné, ifè lèkons' di rin, i va r^prinf si
giyoV è i Vz-i di: A! s'è kom! sa ki v z avo li 'nn aie mipHif
byès\ è bin ! dji m va trové li rwè è dji li va r^akonté è voz
èftosùrk' i c' va fé kùr din d' V ou/àl'. Le djin s' mètè akriy i
è i priyè an gras' li fi de mougni k' i n' vày' né dir' sa à
rwè, è k' i li dou/ôron to s' k' iz on. E li fi de mougni konsin.
Il inpli se pote h'' d'où/ or è d'ardjin et vola k' il è rva à gran
galo. I s mètè a bin viké è tot'lè djin s aporsuvin' ki chak'
koujo ki r fi de mougni rvineuf , k' il èsteu fwar ritcK è i
volin soyu a to pri ou s' k' il aveu stl. Min lu, i n voleuf
jamè j'in dir è i rèspondeuf to bounmin ki sa n le r gar~
deuf né, si bin ki f djalouziy' le pouseuf" è k" on bya djou,
i s' dihin' torto èson-n' : E bin! pisk' i n vou nin dir ou s' k'
iva, noV foutron è pous. On dimègn d matin iTatirin divin
on kabarè è la torto d'akou/ôr i II loyin le pi è le mwin è V
m,ètin din on sètch\ èvolèla parti po l'aie tapé è pous. Min
kom s'èsteu dimègn! , i soneuf djustumin èson-n a mes' è i
d'hin infz èl : Pisk' i n pou ma de sou/àrti de sètch', alon
a mès\ noz alon tapé V sètch' din V horya dèl rouf . Su l'tin
k' iz èstin' a mes', vola k' i vin a pasé on byèrdji avou un
hèt' di mouton. Li byèrdji kiveu on sètch' la tapé, li fiank' on
koujà d' sabo. Lê-m' la, va, dist-i ; dj' a de màleur asé. —
7Yn, dist-i, k' è s' ki f fé la din on sètch'! — O ! dist-i l'ouj
6t' , on m' vou fé prins' di Lîtch' è dji n' se ni skrir' ni lir\
TEXTE WALLON 211
Ils n'osaient dépendre la geôle, mais pour-z-y arriver ils
mettent une table et puis une chaière. On va guérir la grand'
maman, on l'apporte, onlamonte sur la cAaière, on lui prent
sa main, et on *droiwe la petite geôle pour faire mettre le doigt
de la grand' maman sur la souris, et aussitôt que la geôle est
ouverte, la souris *poche (saute) hors et la grand'maman n'a
nient le temps de mettre son doigt dessus. Les gens étaient
plus morts que viquants et ils se disaient : Qu'allons-nous
devenir? Si le roi apprent ga, il va nous faire cuire dans de
l'huile. Le fils du meunier qui regardait par un petit trou du
plancher avait tout entendu. Au matin, il se lève ; après avoir
déjeuné, il fait les quanses de rien, il va reprendre sa geôle
et il les-g dit: ah! c'est comme ça que vous avez laie en
aller ma petite bête; hé bien ! je me vais trouver le roi et je
lui vais raconter et vous êtes surs qu'il vous va faire cuire dans
de l'huile. Les gens se mettent à crier (pleurer) et ils prient
en grâce le fils du meunier qu'il ne*baie nient dire ça au roi,
et qu'ils lui donneront tout ce qu'ils ont. Et le fils du meunier
consent. Il emplit ses poches d'or et d'argent et voilà qu'il en
reca au grand galop. Ils se mettent à bien viquer et toutes les
gens s'apercevaient que chaque coup que le fils du meunier
revenait, ^a'il était fort riche et ils voulaient savoir à tout pris
où-ce qu'il avait s^m^. Mais lui, il ne voulait jamais rien dire
et il répondait tout bonnement que ça ne les regardait nient, si
bien que la jalousie les poussait et qu'un beau jour, ils se
disaient tretous ensemble : Hé bien ! puisqu'il ne veulnient
dire où-ce qu'il va, nous le foutrons en /e puits. Un dimanche
au matin, ils l'attiraient dedans un cabaret et là tretous d'ac-
cord, ils lui liaient les pieds et les mains et le mettaient dans
un sac, et vois-les-là partis pour l'aller taper en le puits. Mais
comme c'était dimanche, il sonnait justement ensemble à
messe et ils disaient entre-z-eZ.9 : Puisqu'il ne peut mal de
sortir du sac, allons à messe, nous allons taper le sac dans le
*/ïo/'eaa (fossé) de la route;. Sur le temps qu'ils étaient à messe,
voilà qu'il vient à passer un berger avec une herde de mou-
tons. Le berger qui voit un sac là tapé, lui flanque un coup
de sabot : Laie-n\o\ là, va, dit-il ; j'ai du malheur assez. —
Tiens, dit-il, qu'est-ce que tu fais là dans un sac? — Oh !
dit-il l'autre, on me veut faire prince do Liège et je ne sais ni
■Jl'2 HEVrt; DE PHILOLOGI-E FRANÇAISE
dji n è sai-eujamè sou/or/i. — O bin ! si s' n è k' sa, dist-i
I byèrdji, dji se bin Lir' è skriv\ mi, è dj- vou bin aie è {
plas\ I disloujôif li sètch' è i l'/'ê soii/àrti è i mous' divin.
Kon l mes' èfiniif , lèz om vinè r'prinf leu sètcli è /' von
tapé è pous è to kontin i rintrè din leu vitjatcK a to d'hon. I
n^ no vèrè pu anbètè avou se ritchès\ sit-la. Min vola ki C
prunii A'' i oèyè, sèsteu bin V fi de mougni aoou un' bel' hèt'
di mouton. Po s' koujo la, i pinsin' ki l' dyàV se mèleuf è i
II n'mondin : A! galyàr, t'è ko un fiy riv nul — O bin !
dist'i, ou-s' ki v' m'avé sti tapé, kon on n è st à /on, on veu
tôt' le 7'itchès' k' on pou sondji. Dji poleuf tchùzi d'oyu la on
bya tchèstya ou bin un vwèter' a kat' tchivà è mi dj a
tchùzi un'hèt' di mouton. La d'su^ lès om' si d hin : E bin !
noz iron osi, è ositou/ô i d'hè sa a leu parin è il è von torto
po z aie tchùzi de trèzouj ôr din /' pous. Il l sàt'lin a V pu
vit' è djusk'à viyè fèm' ki s'i f'zin miné. Si bin k'iz on sti
torto touwé èk^ a l' fin li pous ènn a sti to innpli.
Li pavadi dèz aw' (1).
On vî kuré vikeuf aoou s'maseur è il aveu l'non d'oyu on
gvo trèzou/àr. On malin aveu Vidéy d'oyu to sou k'il aveu.
On djou, a /'ne, il intréy din Cèglis' e i va soné din Vtour.
Li kuré di a s'maseur : Min, k'è s'A' i n a èl èglis' ? I va
veuyè i n mont' : K'è s'kè la f — C'est un ange de Dieu qui
vous appelé pour vous dire ce qu'il faut faire pour aller en
paradis. — Ah bien ! je suis prêt à faire tout ce qu'il faut
faire. — Hé bien ! il faut donner tout votre argent et puis je
suis chargé de vous conduire en paradis. — S'il ne faut que
ça, dist-i l'kurè, je vais vous le chercher. E i va kwi si
trèzouj àr. Si pou/àfmaseur li n'mont' : Ou w è s' ki vz alo
avou to vo kicdr. — O bin! dji va st aie en paradis et l'ange
de Dieu est venu ra'appeler, mais il faut que je lui porte tout
notre argent. Min, mdlureu, avou kwè va-dj' vikéf — Obin!
maseur, vo vèré en paradis aprè mi. Vola l'kuré ki s'è va
avou tôt' si. bous' è i va l'mùt' à pi d'I'anch' k'ès^teud'vin l'tour.
Aloujôr i di : Vo m'aie ptrarté en paradis. — Dji va v' bander
(1) La luirralrice se leul coinplc que ceci n'est plus que l'épisode
liiial d'un coule, dont elle a oublié le commencement.
J
TEXTE WALLON 213
écrire ni lire, je n'en saurais jamais sortir. — Oh bien ! si ce
n'est que ça, dit-il le berger, je sais bien lire et écrire, moi, et
je veus bien aller en ta place. Il délie le sac et il le fait sortir
et il musse dedans. Quand la messe est finie, les hommes
viennent reprendre leur sac et le vont taper en le puits et tout
contents ils rentrent dans leur village à tout disant : Il ne
nous viendra plus embêter avec ses richesses, cist-là. Mais
voilà que le premier qu'ils voient, c'était bien le fils du meu-
nier avec une belle herde de moutons. Pour ce coup-là, ils
pensaient que le diable s'en mêlait et ils lui demandaient :
Ah ! gaillard, tu es encore une^^e revenu ? — Oh bien ! dit-
il, où-ce que vous m'avez stiut tapé, quand on est au fond, on
voittoutes les richesses qu'on peut songer. Je *poulais choisir
d'avoir là un beau château ou bien une voiture à quatre che-
vaus et moi j'ai choisi une herde de moutons. Là-dessus, les
hommes se disaient : Hé bien ! nous irons aussi, et aussitôt
ils disaient ça à leurs parents et ils en vont tretous pour-z-
aller choisir des trésors dans le puits. Us y sautelaient à la
plus vite et jusqu'aus vieill-és femmes qui s'y faisaient mener.
Si bien qu ils ont stiut tretous tués et qu'à la fin le puits en a
stiut tout rempli.
Le paradis des oies.
Un vieus curé piquait avec sa ma sœur et il avait le nom
d'avoir un gros trésor. Un malin avait l'idée d'avoir tout ce
qu'il avait.
Un jour, à la nuit, il entre dans l'église et il va sonner
dans la tour. Le curé dit à sa ma sœur : Mais, qu'est-ce qu'rV
a en l'église? Il va voir et il demande : Qa'est-ce qu'est là?
— C'est un ange
Et il va quérir son trésor. Sa pauvre yna sœur
lui demande : Où est-ce que vous allez avec tous voh quarts'^
— Oh bien! je vas-st-sdlor en paradis et
Mais, malheureus, avec quoi rfl.s-je viquerlf
Oh hen! ma sœur, vous viendrez en paradis après moi. Voilà
le curé qui s'en va avec toute sa bourse et il va la mettre aus
pieds de l'ange ^a'était dedans la tour. Alors il dit : Vous
m'allez porter en paradis. — Je vas vous bander les yeus et
214 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
les yeus é dji r' pwarCrè en paradis. / Vfè mèV din on sètch'
è i l'prin sus'do. Min a to disr/indon le gré dèl tour, li sètcJi'
tokeuf su lé gré è Vpou/6f kuré kriyeuf'è Vandi U rèspon-
deuf : Courage, c'est pour le bon Dieu. Krokl Jèzu. Arivé
en bas des escaliers, Vanf va avou tsètcK li mèf din li stà
dèz aw è i rsèr toux (1). Li -pou/ôf maseur ki hrèijeuf
si /ré è ko pu s' trèzoujôr, va à matin po sogni sèz aie . ET
veu on sètcK è èV ètin djèmi : K'ès^ k'è la? — O ! s'è mi,
maseur, dji so st en paradis^ c?on? L'ancK ni a pwarté en
paradis. O bin! nionfré, voz esté è paradi dèz aw' vèsi!
R'ièf ti krès', mon coq.
/ n aveu un fera k'èsteu todi malàC è éZ' vogeuf si t orn
a to lé sin k'èV sondjeuf po z ohtinr si gèrizon. On djou, i
rèskontréy'on pou/ôfki v'neuf todi ri mondé V charité è s
mohon è li vi y orn li di : Voz avo bin Vèr anoyeu, monsyeu.
K'è s ki vz avo, don"? — 0 bin! mi pou/of fènx è todi malàC
è dji nsé kwèfépo Vrifé. E bin! kén maladiy a-t-èV , don?
— Dji ne se rin. Min èC mi vou/ôy a to le sin to kosté. —
E bin! mi, dji se bin s' maladiy, dist-i li vi pou/ôf\ è si vo
volo niJiouté, dji v frè veuy sou k'èl'a è èl' sèrè vif rifèt'. —
E bin! dji vou bin, vo nirindri bin on gron servis' !
Li vipoujôf k'aveu todi on hof a s' do, ou sk'i mèteuf a
fiy' dèpolè, li di : Lntré è m'hof è vo nboudj'ro né, ton k'dji
v' houk'rè. Li vi pou/ô/'è va avou s' hof a s'do è arif a
Vnè è V mohon' dèï fèrn Tofli mohon èsteuf en réjouissance.
On z aveufè on bon sopé, i n aveu de kuré invité, k'èstin le
ptit-è konèsans dèV fèni. Kon li pou/ôf veu ki madanri
èsteu bin djoyeus è en train d'sopé, i droùf si hof è i kriy
a Corn k'èsteu d'vin : R'ièf ton (sic) krès, mon coq, é I'otïi prin
s baston è i k'mins' a flanké on bon ratournéy' a s'jèrnè a
to le si k'èstin la. Li fèm a stl r'fèf po todi è, po l' rèkon-
pinsé, fom' apri fvi pou/6 f avou lu korn dômèstik'.
(1) L'a; représentera ici le ch allemaud dous dans icii, mic/i, etc.
TEXTE WALLON 215
je VOUS porterai en paradis. Il le fait mettre dans un sac et il
le prent sur son dos. Mais à tout descendant les grés de la
tour, le sac toquait sur les grés et le pauvre curé criait et
l'ange lui répondait : Croc !
Jésus. Arrivé en bas des escaliers, l'ange va avec le sac le
mettre dans l'étable des oies et il r^esserre l'huis.
La pauvre ma sœur qui hrayait (pleurait) son frère et
encore plus son trésor, va au matin pour soigner ses oies.
Elle voit un sac et elle entent gémir : Qa'est-ce quesX là? —
Oh ! c'est moi, ma sœur, je suis-s/-en paradis, n'est-ce pas? —
Oh ben! mon frère, vous êtes en le paradis des oies *oaici !
Relève ta crête, moji coq.
Il avait une femme qu'était toujours malade et elle (en)
voyait son homme à tous les saints pour-^-obtenir sa gué-
rison. Un jour, il rencontre un pauvre qui venait toujours
demander la charité en sa maison, et le viens homme lui dit :
Vous avez bien l'air ennmjeus, monsieur! Qu'est-ce que
vous avez, donc? — Oh hen! ma pauvre femme est toujours
malade et je ne sais quoi faire pour la refaire. Hé ben! quelle
maladie a-t-elle, donc? — Je n'en sais rien. Mais elle m'
(en)voie à tous les saints tout côté. — Hé ben! moi, je sais
bien sa maladie, dit-il, le viens pauvre, et si vous voulez
m'écouter, je vous ferai voir ce qu'elle a et elle sera vite
refaite. — Hé ben! je veus bien, vous me rendriez bien
un grand service !
Le vieus pauvre ^w'avait toujours une hotte à son dos, où-
ce çM'il mettait à ^^es des poulets, lui dit : Entrez en ma
hotte et vous ne bougerez nient, tant que je vous hacherai.
Le vieus pauvre en va avec sa hotte à son dos et arrive à la
nuit en la maison de la femme. Toute la maison était en
réjouissance. On-^-avait fait un bon souper, il avait des curés
invités, qu'étaient les petit-ès connaissances de la femme.
Quand le pauvre voit que madame était bien joyeuse et en
train de souper, il *drouve sa hotte et il crie à l'homme qu était
dedans : Relève ton crête, mon coq, et l'homme prent son
bâton et il commence à flanquer une bonne ratournée à sa
femme et à tous les cils (/^'étaient là. La femme a stiut
refaite pour toujours, et, pour le récompenser, l'homme a
pris le vieus pauvre avec lui comme domestique.
216 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Li fou.
UrC jpoujôf fèrrC n'aceu k'onfi k^èsteu ènosinè ki njizeuf
jamè rin koni' un oujôV. On djou, él' li di : Aie tiré dèV
bir\ Lifou -prin on fuzik' è va tiré din Vtonija. Màlureu,
k'èl' li di, k'è s'ki t'afè, faflanké tof nos' bîr^ à dr/dl'. Va
mèf lifeu è for, ivè la, po kùr nos' picin. Vola Vfou ki
ramas' to le fago è to le strin kH pou trové è ki fou Vfeu
din C forni.
JJri! oujôCkoujô, èV li di : Viii, noz iron à bwè, dispèicK-
tu è hètcli (1) Voux a Vdo. Li fou aràtf Voux è il è va en
Vpwarton su s'do. Arivé à bwè, il ètindè de voleur ki v'nii}'
è Ifèm di a s'fi : Monton vif sur un dp' ou, sin kwè, le
voleur von no touwé. I monté abiy su Vàp è djustumin lé
voleur v'nè d'zo po konté to leur kwàr. Iz avin' osi on
djonbon è to contents i s^mètè a magni on bokè. To d^on
kou/ô' i n a onk di z èV ki di : Ké damatch ki no n'acon né
dèV mostàf è in' nyèt' di vinêk\' Lifou k'esteu su Vàp' aveu
un' téV sogn' kH di a s'mam' : Mam\ df a dondji di fé
m'komisyon. E t fèm' diheuf" : Màlureu, tu va no fé k'nox'.
— Dji n sàreujamè pu mi r'tinr'. En min-m' tin, i s'mèafé
s' komisyon è a pihi. Le voleur pinsin ki Vhon Dyu Vz i
avoyeuf dèl' mostàf è de vinèk', kom' il avin dimondé.
Min to d'on kou/ô li fou k'aveuf todi s'pwaf a s'do, di a
s'mam' : Mam\, dji nsàreu jamè pu tim^' Voux è patatri,
patatra, vola Vpwaf ki dègringoV è ki toum dreu su le
voleur. Vola ki pinsè ki s'è Vhon Dyu ki vou lèz asomé, i
s'mètè a s' sdvé è il abandonè to leu sètclf. Alou/ôr lifou ki
vèyeuf to lé kwàr a Vtèr\ disyin avou s' mam\ I ramasè to
Vardjin è i s'è r'von à gron galo.
(1) Eœ 4- a. fr. sar/iicr.
TEXTE WALLON 217
Le fou.
Une pauvre femme n'avait qu'un fils ç'w'était innocent et
qui ne faisait jamais rien comme un autre. Un jour, elle lui
dit : Allez tirer de la bière. Le fou prent un *fusique, et va
tirer dans le tonneau. Malheureus, r/^t'elle lui dit, qu'est-ce
que tu as fait, tu as flanqué toute notre bière au diable ! Va
mettre le feu en le four, tieiis là! pour cuire notre pain. Voilà
le fou qui ramasse tous les fagots et tous les éirains qu'il
peut trouver et qui f... le feu dans le fournil.
Un autre coup, elle lui dit : Viens, nous irons au bois,
dépêche-toi et sache Thuis à ton dos. Le fou arrache l'huis
et il en va en le portant sur son dos. Arrivé au bois, ils
entendent des voleurs qui venaient et la femme dit à son fils :
Montons vite sur un arbre ou sans quoi les voleurs vont
nous tuer. Ils montent habile (vite) sur l'arbre et justement
les voleurs viennent dessous pour conter tous leurs quarts.
Ils avaient aussi un jambon et tous contents ils se mettent à
magner un hoquet. Tout d'un coup, il en a *unque à.Q-z-els
qui dit : Quel dommage que nous n'avons nient de la mou-
tarde et une miette de vinaigre! Le fou (/«'était sur l'arbre
avait une telle sogne qu'il dit à sa mère : Mère, j'ai danger
(besoin) de faire ma commission. La femme disait : Malheu-
reus , tu vas nous faire connaître. — Je ne saurais jamais plus
me retenir. En même temps^ il se met à faire sa commission
et à pisser. Les voleurs pensaient que le bon Dieu les y
envoyait de la moutarde et du vinaigre, comme ils avaient
demandé. Mais tout d'un coup, le fou ^/t'avait toujours sa
porte à son dos, dit à sa mère : Mère, je ne saurais jamais
plus tenir l'huis et patatri, patatra, voilà la porte qui dégrin-
gole et qui tume droit sur les voleurs. Voilà qu'ils pensent
que c'est le bon Dieu qui veut les assommer, ils se mettent à
se sauver et ils abandonnent tous leurs sacs. Alors le fou qui
voyait tous les quarts à la terre^ descent avec sa mèi'c. Ils
ramassent tout l'argent et ils s'en revont au grand galop.
318 REVUE PE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Grizalî.
On poulàf cl y oni k'on noineur Ginz-ali rCaveu khin'
poy' è on sètch\ E i roteuf" tof li djournérf a to n^mondon
Vcharité è a Une i tokeufa un' nxolion : K es' Uè la? — S'è
Grizali. — K'è s^k'i vouf — / vou/àr'eu hin a lodji jior lu è
pos^porj'. — Ohin! Grizali, no v'iod/'ron hin, min no navon
né de poy\ no n''avon A-' dèz aw\ — O hin! mété ni^ poy^ avou
voz aic\ ô ! E vola Grizalî ki va dicarniu aprèz oyu niètu
s'poy' avou lèz aw\ Li matin, i s' lèf è on li don' un jaf di
kafè è i vou aie rpririfsi poy\ Min lèz aie Vavin ton
hètcht, k'èr èsteu touicéy\ Grizali s'inè a kriyi è i di : Dji
so riciné! Dji naveu k'un poulôf poxf è èV è touwéy\ — E
bin! Grizali, pirdo un aïo' èV plas\ Grizali prin un aw\
li mè din s' sètch' è il è va avou.
Kon il a roté tof li djournèy , il ariv din un mohon' è
i n'monf a lodji. ICè s'kè la'? Etc., etc.. min no n'avon k'dè
poursya. I fàrè nfièf vost aw avou le poursya. Li matin,
Grizali s'ièf è aprèz oyu hu Vkafè, i vou aie r'prinf si t
aiv . Min kon on droùf li std, raie' èsteu magniy\ Vola
Grizali kis'mè, etc., etc. E hin! Grizali, vo n'avo k'a prinf
onk di no poursyaè nriv'nojiu.
Grizali tchèseuf si poursya è il èsteu hin kontin. E a Vnè,
ifaleuf ko lodji, i va toké a on' piiit' sins'- ICè s'/c'é laf —
Etc., etc., min no n'avon k'dè vatcli . — Bin, mèté-V avou
vo vatcK , 6, dist-i. On mè V poursya din li std de vatcKè
Grizali va dwarmu. Li matin, i vou aie rkici s poursya,
min le vatcli s'avin' dislou/àyi è èlï avin' ton soukè Vpour-
sya k'il èsteu mwar. Vola Grizali, etc., etc. — Se st on
màleur, min no ne p'ian rin. — A bin! vo z è p'io iodi,
dist-i, s'é vo vatcli ki Von touicé. — Savo bin kwè, Grizali?
Pirdo on vatcJi è n'rivnojamè pu.
Vola Grizali ki prin on' bèV vatcîi è il è va avou è il èsteu
bin kontin è i diheuf : Ké damatcK ki s'n'è né on tclifà.
Dji montreu d'su. I rot' djusk'a Vfin' neur'nè è i va
n mondé a lodji addé on marichon di tcKfà. Tok, tok, a
Voux. K'è s'k'è la? Etc., etc Bin, vo Vmètro avou le
TEXTE WALLON 219
Groseiller. — Un pauvre vieus homme, qu'on nommait Gro-
seiller, n'avait qu'une poule et un sac. Et il routait toute la
journée à tout demandant la charité et à la nuit il toquait à une
maison : Qa'est-ce qu'est là? — C'est Groseiller. — Qu'est-ce
qu'il veut? — Il voudrait bien à loger pour lui et pour sa poule.
— Oh ben! Groseiller, nous vous logerons bien, mais nous
n'avons nient des poules, nous n'avons que des oies. — Oh
ben! mettez ma poule avec vos oies, oh! Et voilà Groseiller
qui va dormir après avoir mettu sa poule avec les oies. Le
matin, il se lève et on lui donne une jatte de café et il veut
aller reprendre sa poule. Mais les oies l'avaient tant becquée,
qu^elle était tuée. Groseiller se met à ctner (pleurer) et il dit:
Je suis ruiné! Je n'avais qu'une pauvre poule et elle est tuée !
— Hé ben! Groseiller, predez une oie en la place. Groseiller
prent une oie, la met dans son sac et il en va avec.
Quand il a routé toute la journée, il arrive dans une maison
et il demande à loger. Qu'est-ce ç'u'estlà? Etc., etc., mais
nous n'avons que des pourceaus. Il faudra mettre votre oie
avec les pourceaus. Le matin, Groseiller se lève, et après
avoir bu le café, il veut aller reprendre son oie. Mais quand
on *drouve l'étable, l'oie était mangée. Voilà Groseiller qui
se met, etc., etc.. Hé ben! Groseiller, vous n'avez qu'à
prendre *unque de nos pourceaus et ne revenez plus.
Groseiller chassait son pourceau et il était bien content.
Et à la nuit, il fallait encore loger, il va toquer à une petite
censé. Qu'est-ce qu'est là? — Etc., etc., mais nous n'avons
que des vaches. — Ben! mettez-le avec vos vaches, oh! dit-il.
On met le pourceau dans l'étable des vaches et Groseiller va
dormir. Le matin, il veut aller requérir son pourceau, mais
les vaches s'avaient délié et elles avaient tant *suqué (donné
des coups de corne) le pourceau, qu'il était mort. Voilà
Groseiller, etc., etc. C'est un malheur, mais nous n'en
*poulons rien. — Ah ben! vous en *poulez toujours, dit-il,
c'est vos vaches qui Tont tué. — Savez bien quoi, Groseiller?
Predez une vache et ne revenez jamais plus.
Voilà Groseiller qui prent une belle vache et il en va avec
et il était bien content et il disait : Quel dommage que ce
n'est nient un cheval. Je monterais dessus. Il route jusqu'à
la fine noire nuit et il va demander à loger à delez un
marchand de chevaus. Toc, toc, à l'huis. Qa'fcSt-ce ç'w'est
là? Etc., etc.. Ben, vous la mettrez avec les chevaus. Voilà
"320 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
tch'fà. Vola Grizali ki va dwarmu. Li matin, le tcK fà
avin' ton pité, ton pité Vcatcli , k^èV aveu deu djonp' kaséy'
è k'èV èsteu prêt' a kî'ècé. Vola Grizali ki, etc., etc.-. Tu
nak'a prinfon tcKfà, mi, dji va touwé VvatcK è on Vmagnrè.
Vola s'kou/ô-la Grisali k'èsteu bin kontin. I mè s'sètch'
su li tcNfà, i mont' disu è i s'di : Dji m'ca st aie Uvinf a
Vfoujôr è dj ôrè brâmin de kivâr por mi viké. I va din
^nou/àbèrcJi po lodjl è i mè si icKJ'à din Vèkuriif. Min
kojn li tell f à èsteu fccar kroté, li servant' di rou/ôbèrcJi
vou l'aie rispômé à batcli, min maleureus''min il aveu tourné
de vèrgla è vola li tclifà ki g lis' è ki s'kas' un djonp\
Kon Grizali s'ièf, i veu si tcli'fn k'aveu un djonp' kasét/ è
i s'mè a brèr. Etc., etc. E bin, pirdo rsèrvanV. — E
bin! pisk'i s'é st insi, dji va l'prinf avou mi. El' ni vleuf
né roté, i Vfè intré è sètcK è i l'pwaV a s'do. Il arif
alou/ôr bin nàhi (1) a Vnèpo lodji din un mohon\ Tok,
tok. K'è s'kè laf Etc. , etc.. I vou/6reuJ" bin a lodji por lu
è po s' sètch\ — A bin! no vlodj'ron bin, m,in m,èté vos'
sètch' padri l'oux. I l'mè è i va dwarmu. S' èsteu djustumin
li djou dèl' novèl on è on f'zeuf le galet' è l'/èm' de l
mohon' di kom'sa : Enn avo torto, mè z èfon, de galet' ? — '
Inapu k'mi, màrèn'. — K'è.s'ki di sa'? Vola k'on hoiW
è s'èsteu din l'sètch'. On l'dislou/ôy', èV rakont' l'istwèr'
è èl' di : Si vo pou/àri m'sdvé. Vola k'iè djin d'hè : Noz
alon v'katchi è no rinplix'ron l'sètch' di tôt' sou/àrt'. On
ramaS' de pir , de gazon, on n atrap' de ra, de sori è on
rinpli l'sètch' di to sa. E Grizali, d matin, r'prin s' sètch' su
s' do è il è va.
Min il èsteu bin pèzon è Grisait diheuf tôt' si vou/ôg' :
Dji t'a pwarté, min tu m'pwat'rè, va! A l'fin, il èsteu si
nàhi, k'i tap' si sètch' a l'tèr' è k'i di : S'è st a ftour a
m'pœarté. E kon i droùf .s/ sètch' , i n a tôt' le byès' ki
potchè foù è ki s'sâvè din tut' li konpagn . E Grizali ki
krigeuf" todi : Tarravinèt! Tarravinèt ! èina puinnk'a
r'vinu din s'sètch' è il a todi sti n'mondé l'charité è i n'a
jamè pu rin ogu.
(1) Nnuseatut<, Houning, ZcUxclu-ift. ix, 490.
TEXTK WALLON 221
Gi'oseillor qui va dormir. Le matin, les chcVcius avaient tant
*pité (rué), tant *pité la vache, qu'elle avait deus jambes
cassées et qu'elle était prête à crever. Voilà Groseiller
qui, etc., etc.. Tu n'as qu'à prendre un cheval, moi, je vais
tuer la vache et on la magnera.
Voilà ce coup-là Groseiller ^a'était bien content. Il met son
sac sur le cheval, il monte dessus et il se dit : Je me vais
aller le vendre à la foire et j'aurai bracement des quarts
pour moi virjuer. Il va dans une auberge pour loger et il
met son cheval dans l'écurie. Mais comme le cheval était
fort crotté , la servante veut l'aller laver au bac , mais
malheureusement il avait tumé du verglas et voilà le cheval
qui glisse et qui se casse une jambe. Quand Groseiller se
lève, il voit son cheval ^^a'avait une jambe cassée et il se met
à braire (pleurer). Etc., etc.. Hé ben, predez la servante. —
Hé ben! puisque c'est ainsi, je vas la prendre avec moi.
Elle ne voulait nient router, il la fait entrer en le sac et
il la porte à son dos. Il arrive alors bien fatigué à la nuit
pour loger dans une maison. Toc, toc Qa'est-ce qu'Q'&X
là? Etc., etc.. Il voudrait bien à loger pour lui et pour son
sac. — Ah bien! nous vous logerons bien, mais mettez votre
sac parrferfe/' l'huis. Il le met et il va dormir. C'était juste-
ment le jour de la nouvel an et on faisait les galettes et la
femme de la maison dit comme ça : En avez-(vous) tretous,
mes enfants, des galettes? — // n'a plus que moi, marraine.
— Qa'est-ce qui dit ça? Voilà qu'on écoute et c'était dans le
sac On le délie, elle raconte l'histoire et elle dit : Si vous
pourriez me sauver! Voilà que les gens disent : Nous allons
vous cacher et nous remplirons le sac de toutes sortes. On
ramasse des pierres, des gazons, on attrape des rats, des
souris et on remplit le sac de tout ça. Et Groseiller, au matin,
reprent son sac sur son dos et il en va.
Mais il était bien pesant et Groseiller disait toute sa voie :
Je t'ai porté, mais tu me porteras, va! A la fin, il était si
fatigué, qu'il tape le sac à la terre et qu'il dit : C'est à ton
tour à me porter. Et quand il *drouve son sac, il a toutes les
bêtes qui ^pochent (sautent) fors, et qui se sauvent dans
toute la campagne. Et Groseiller qui criait toujours : Tarra-
vinette! Tarravinette ! et il n'a plus rien qua revenu dans
son sac et il a toujours stiut demander la charité et il n'a
jamais plus rien eu.
222 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
WITRY. — Le Lorrain en Belgique
Witry est un village situé à environ trois lieues à l'est de
la petite ville de Neufchâteau, le chef-lieu d'arrondissement.
C'est la dernière commune de langue romane en allant vers
l'est ; Fauvillers qui vient après est à moitié allemand, Tin-
tange et Martelange plus au delà le sont entièrement, v.
sucHiER, Le français et le pr^ovençal, trad. par Monet, p. 7.
Mais Witry n'attire pas l'intérêt qu'à ce titre : il est aussi
point frontière du domaine wallon par rapport au lorrain.
Anlier, à deus lieues au sud, appartient déjà à ce dialecte ; j'ai
eu l'occasion de le constater sans aucune espèce de doute dans
une excursion récente que j'y ai faite.
Le Lorrain en Belgique est appelé uniquement gaumé et
plus d'un Wallon qui en connaît l'existence, pour e^i avoir
entendu parler sous ce dernier nom, ignore qu il ne s'agit là
que du Lorrain. Ce langage cesse d'être compréhensible pour
un Wallon. Il englobe en Belgique à peu près la partie
formée par l'arrondissement de Virton avec, comme centres
principaus, Virton, Etalle et Florenville, les trois chefs-lieus
de canton. Bouillon à l'est et Neufchâteau au nord sont
essentiellement wallons. Il ne sera pas sans intérêt de men-
tionner que les habitants de cette frontière linguistique se
rendent compte qu'il y a là un assez brusque changement de
dialecte: j'ai du reste personnellement constaté le fait à
Anlier, Habay la Neuve et Habay la Vieille, où je ne com-
prenais plus le patois courant.
C'est M. Fenat, instituteur à Saint-Hubert, qui m'a fourni
le texte de Witry, village dont il est originaire.
Dans la Rev. défi pat. gallo-rom., iv, 17-32, j'ai étudié la
phonétique des patois du Luxembourg central, en allant, dans
la direction de Witry, jusqu'à Sainte-Marie, à trois lieues au
nord-ouest. Si l'on se reporte à ce travail, l'on pourra ainsi
suivre les principales variations phonétiques des patois depuis
la frontière lorraine orientale jusqu'aus confins de la province
de Namur (jusqu'à Gedinne et Nassogne).
TEXTE Wallon 223
II
HANNUT. — Version de la Parabole
Hannut est un bourg d'environ 2,000 habitants situé au
nord-ouest de la province de Liège, sur la frontière linguis-
tique flamande : d'après Suôhier, op. cil, 6, note 1, celle-ci est
à une bonne lieue au nord, à Houtain l'Evêque. Le patois
s'en rattache encore intimement pour le vocabulaire et la
plupart des phénomènes phonétiques à ce parler employé
d'une manière générale et avec de légères variations dans
toute la province de Liège et même plus au delà vers le sud
(jusqu'à Laroche, Luxembourg). Mais si l'on franchit vers
l'ouest la frontière de Brabant et de la province de Liège, et
que l'on aille par exemple jusqu'à Jodoigne (à trois lieues de
distance), on se trouve en présence d'un patois dififérent pour
le lexique et les phénomènes ; si l'on jète un simple coup
d'œil sur les comédies qu'a éditées E. Etienne en patois de
Jodoigne, on se convaincra aisément du fait.
Le texte publié ci-dessus m'a été fourni par une personne
de ma famille, originaire de Hannut ; il n'est pas sans pré-
senter un certain intérêt folk-lorique, mais ce n'est pas le lieu
de l'étudier sous cet aspect ici.
Il n'y a d'édité jusqu'à présent dans ce patois que la
parabole de l'Enfant prodigue dans les Versions wallonnes
de cette parabole, p. 150. Ce texte est assez fidèlement
transcrit, si ce n'est qu'il mérite la rectification suivante : Le
parler de Hannut prononce la plupart des i et des u assez
ouverts ; si l'on s'avance vers l'ouest, cette particularité se
confirme de plus en plus, si bien qu'à Jodoigne des mots
comme fini, pipe, niui-aille, plus, Bruxelles dexiennenX/ene,
pep', meray, pe, Bresèl, etc. Le traducteur, voulant noter ce
phénomène, a écrit presque tous les i par é ; mais il a sans
nul doute dépassé le but. Pour les u, il n'a pas manifesté la
même velléité excessive de précision et il est resté fidèle à u.
Paul Marchot.
Saint-Hubert (lAixonitjourgl. juin 1891.
UN MANUSCRIT PERDU DE CONTES ET FARLEAUS
La description de ce manuscrit nous a été communi-
Cjuée par M. le D'' Galy, de Périgueux, quelques années
avant sa mort, avec cette indication que le manuscrit
avait fait partie du cabinet de M. de Mourcin. qu'il avait
été vendu au libraire Claudin, et cju'il avait passé en
Angleterre. M. Gaston Raynaud, dont on connaît la
compétence en ces matières, nous a déclaré que ce
manuscrit n'avait jamais été signalé. La description ci-
dessous contient un certain nombre de fautes très
apparentes, mais qui peuvent se trouver dans l'original,
et que nous conservons à ce titre.
1. Incipit vita patrum, de duobus quorum unus incidit in
fornicationem.
Aide Diex, joie, Ihs. cr-is:
2. De la dammoiselle qui mist sus a l'ermite qu'il l'avoit
engrosie.
Qui qui les repote il les voit.
3. 4. D'un hermite c'une foie femme vot engingnier.
Qui talent a de bien aprendve (1).
5. D'un liermite qui pria a Nostre Signeur qui li montrast
son pareil au monde.
Quant Damne Diex le monde Jist.
6. D'un hermile qui se mist en prison pour un autre home.
Diex qui ces biens nous abandonne.
7. D'un hermite avec cui une sienne nièse se rendi.
Bien truece qui en bien se tient.
(1) Deus luuiiéros oui été mis par erreur eti t'ace de i'iudioatioii de
ce seul conte.
MANiscKir im CONTES ET kablkaus 'c2o
8. D'un hermile cui li dyables fit choir en péchié.
Vies pechiés fait noiwelle honte
Si coin li proverbes raconte.
9. D'un heriuite qui se gloirefioit en ses bonnes euvres a
cui Diex démontra c'uns jongleres estoitses parens.
In vitis Patru/n, un haut livrée
Qui les bons essanples nous livre.
10. Dou petit juif qui se commenia avec les crétiens.
Qui verges espargne si het
Son enfant, et si rie le set,
Ainsij Salemons le nous dist.
11. C'est dou bourjois qui venoit renoier Nostre Dame.
Folie faire à esciant
Cil qui s'afole a grant talent.
12. Dou larron qui vint a penitance. (Ce titre est au bas de
la page.)
12 [bis). De celui qui laissa l'aumosne pour sa femme.
Si comme lifus sous l'escorce
Se tient en vertu et en force.
13. Du chevalier qui ne se voloit confesser.
Lors est c/ue chascuns... si peine
Selont le...
14. L'abaesse que ses nonnains acusèrent.
Si comme Li solaus a euvre
La rose et le bouton desqueuvre
15. Du prestre qui perdi l'oistc seur son autel par son pechié.
Tant grate chievre que mal gist.
Qui Dieu laise pour son delist
La chievre resemble qui grate.
16. De l'ermite qui copa sa langue.
Autresi comme la quintaine
Resoit l'escops et la painne.
RlCVUK DE FllII.OLOGni, V. 15
226 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
17. D'un moinne qui vist le dyable qui emportoit un chastel
de...
Qui a ij signeurs veut servir
L'un en çouvient à merservir.
18. De l'ermite qui fist desteroir le sarrasin qui ne voloit mie
resuciter et pour morir et alat en Paradis.
U escripture nous dist pour voir
Que bien doit son louier avoir
Cil qui le désert par sa painne.
19. Du gouliart qui devint moinne pour rober salère.
El tans que Salemons vivoit
Qui en soi touz les sens savoit.
20. De iiij ermites qui eurent envie l'un sur l'autre.
Cil qui Dieu crient riens ne li faut
Et s'il Vaimme bien tant li vaut.
21. Du chapelain qui acusa le Roine de sa confession.
Qui sens et raison a ensanle,
Et il n'en euvre, si resenble
E aulne qui el tans se despueille
Et de son fruit et de sa fueille.
22. Du moinne qui racheta le chevalier et son fil de l'uzerier.
Moult est cis povres oui Diex het
Et eruiorrnis qui Diex ne croit.
23. De l'uzerier qui se repenti et fu meugiés des tarentes.
Qui n'a c'un cuit souvent le tort
Car il set bien se selui perl.
24. De la non nain qui menja le cholet.
Mauvais est qui ne guerredonne
Et ne désert ce qiCon li donne.
25. C'est que li ami terriens ne valent riens.
Tant as tant vausetje tant faim
Et signeur et ami te clain,
Et se riens n'as riens ne te pris.
MANUSCRIT DK CONTES ET FABLEAUS 227
26. De la bourjoise qui ot un enfant de son fil que li dyables
acusa a l'enpereur.
Bien est gai-dez ce que Diex garde.
Et qui se mest hoi's de sa garde
En très mauvais conduit se tient.
27. Du crucefi qui sainna quant uns le feri en coste.
Des bons ist li biens par droiture,
Et li sers cuers a sa nature
Se tient et d'autrui duel se rist
Et en mal/aire se nourist.
28. Dou diable qui se mit en prison pour le soucretain.
Desous Betléem, en un pré,
Venez avant vous qui ni'aniez.
29. De l'enfant qui estoit pendus que Notre-Dame délivra.
.S'a en ariere a Rome avint
Q'uns povres lions sa femme tint
Qui estoit de bonne manière.
Et li preudons iert labouréres.
30. De la dame qui disoit cures de Nostre-Dame et vigiles
d'amor.
Jadis uns chevaliers estoit
Qui bêle femme etjone avoit.
31. De l'ermite qui s'acompaingna à l'engle.
En saint père en Egypte avoit
En ermitage mis estoit.
32. De l'ermite qui sala son pain.
Aussi con li aubre verdissent
Gest leur fueilles et ftourissent.
33. Du clerqui saluoit voliMitiers Nostre-Dame et fu ocis.
A Chartres fu, ce tans, uns clers
Orguilleus, nobles et despers.
228 RICVUH DK PHILOLOGIE FHAXrAISE
34. Du nioinne qui souvent s'en}-vroil.
Cis moinnefu d'une ahéie
Qui madame sainte Marie
Servait .
35. Du cler qui fu enragiés, que Nostre-Dame délivra.
Pour plusieurs gens plus. ..ber,
A Noste-Dame miex amer.
36. De la poure femme et de l'uzerier qui morurent en une
tour.
Tant li miracle Nostre-Dame
Sont moult piteus et dous p^ar m'arme.
37. Dou clerc qui mist son ennel en doit de l'ymage.
Par devant une vies eglyse
Un ymage orent laiens mise.
38. De l'enfant qui fu dempnez au dyable.
En escrist truis comfu uns hons
De grant a/aire et de grant non.
39. Du moinne qui fist sa prière seur les v lettres de Maria.
Un brief miracle moult ydoine
Conter vous veild'un simple moinne.
40. Du moinne qui fu mors sans confession, que Saint-Pierres
délivra.
Si con li livres nous tesmoingne
A Saint-Pierre davant Guiloingne.
41. D'un chevalier qui si haoit Dieu et amoit sa mère.
A ceus qui ammer doucement
La mère au haut Roi qui ne ment
Un dous miracle veil retraire.
42. Du preudome qui dust alcr a Saint-Jacques et li diables
s'aparut a lui.
Un bel miracle vous veit dire,
Qu'en son tempoure fit escrire
Sdint-Hiws l'abbes de Clugni.
i
MANrsrniT de contks kt fableacs 229
43. D'un larron qui fu ij jours as fourches sans morir.
Ci après vous veil mestre en hrief
Un binu mirnclp court et hrief.
44. De la dame qui fortrait le baron a sa visine.
Je truis que ij dames estaient
Qui durement s'entrehaoient.
45. Dou vilain qui liaoit son prestj^e et fu escommeniés et le
prestre morut.
En escrit truis que fu un prestres
Cui vie iert sainte et...
46. Du preudomme cui dyables cuida engignier.
Puisqu' oiseuse est la mort a Uame
Com aucun dist de Nostre-Dame.
47. Du prestre luxurieus qui chascun jour chantoit.
En escrit truis quil ost vers Sens
Un prévoir e si hors de sens.
48. Du moinne qui fu batus en chapitre pour ce qu'il n'i dist
mot.
Ilfu, ce truis, une abéie
De madame Sainte-Marie.
49. De la damoiscllo qui ost non Thays, qui so convertit.
// n'est pas hors quant que reluit ;
Li autres qui ne porte fruits
Doist estrc esbranchiés et copés.
50. De l'ermite qui disoit : miserere tui Deus.
Qui a oreilles pour oïr
Oïrdoit ce dont doit j oïr
S'il a en soi point de science.
51. Du Roi qui volt faire ardoir le fil de son senechal.
Vilains est qui fait a autrui
Ce qu'il ne veut c'onface a lui.
230 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
52. Des iij clers qui se rendirent en divers lieus.
Si comme la terre brehaingne
Par pluie ou par humeur empreingne.
53. De l'ermite qui converti le pécheur murdrier qui sans et
il fu dempnés.
Pierre volage ne tient mouse;
Qui de mal faire miex se trouse
Li maus...
54. De la soucretaine qui laisa s'abaïe et Nostre-Dame fu
pour lui.
Assez- raut miex amis en voie
Que ne fait argens en couroie.
55. De celui qui donna tout a son fil.
Diex de qui toute boutez ist
Et par V évangile nous dist
Honneure ton père et ta mère
Pour eschiver la mort ammère.
56. Du clerc qui touz jours disoit Ave Maria.
Encores ne me puis-je taire
De ces courtoisies retraire.
57. De l'Emperis de Rome que ses serourges ama.
Uns sages dist et fait savoir
Li sages livres de savoir.
58. D'un bourjois qui emprunta deniers sur la majesté
Nostre-Seigneur et seur la majesté Nostre-Dame.
Tant truis escrit, foi que doi iriame.
Des dous miracle Nostre-Dame.
59. De ij frères qui ièrent manant à Romme, Pierres et
Esteves.
Qui bon miracle veut trait ier
Moult li couvient a recerchier.
MANUSCRIT DE CONTES ET FABLEAL'S 231
60. D'un homme lai qui fu sauvés.
Conter vous veit, sans nul délai,
Le miracle d^un homme lai.
61. D'un jongleur a oui Nostre-Dame envoia son sierge.
La douce mère au Créatour
A l'église a Roche-Madour
Fait tans miracles et a fais
Que uns biaus licres en est fais.
62. D'un ménestrel qui servoit Nostre-Dame de son propre
mestier.
Es vies des ensiens pères
La ou sont les bonnes matères.
63. D'un enfant clerc qui cliantoit un respons de Nostre-
Dame, Gaude Maria.
Sainte escripture nous tesmoingne
Qu'on doit seur toute autre besoingne
Les secrès Jhesu-Crist celer
Et ses euvres bien révéler.
64. D'un vilain bouvier qui ne creoit mie les miracles dou
soler Nostre-Dame de Soissons.
Ici après veil resciter
Un miracle dou Saint-Soller.
65. Li fabliaus qui devise les ouner de l'ostel.
Chascuns pense de sonafaire,
Pour ce me veilj poi retraire
De mon corage.
Je ne teing pas celui a sage
Qui entre ij fois en mainnage
Ne iij ne quatre.
66. De l'enfant de noif.
Jadis estait uns marcheans
Qui n'estait mie mescheans.
232 REVrE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
67. D'une femme qui fist entendant a son baron qu'il est.oit
mors.
Se fabiaus puet ceriiez estre
Dont avint-il, ce dist mes mestres,
Cuns vilains ahoilleus jnenoit
Froumens et terres ahenoit.
68. D'un bouchier d'Abbeville.
Signeur oés une merveille,
Onques n^ottes sa pareille.
69. De la dame qui fist iij tours entour lo moutier.
Quifeiyime voudroit décevoir
E lifas bien apersevoir.
70. La fiance que on doit avoir en femme.
Quiconques veut mener
Pure et saintime vie
Femmes aint et les croie
Et de tout s'i ajle.
71. Le fablel dou pet au vilain qui fut portés en enfer.
En Paradis V esperitable
Ont grantpart la gent charitable.
72. Dou vilain qui randi le bufet.
Trubers en ces fablel fablie
Qui de bien dire ne s'oublie.
73. Dou cheval que li marchans vendi.
J'ai un cheval que je veil vendre
Pour avoir argent a despendre
Mais je cuit qui rachètera
Peu darjent i gaaingnera.
74. C'est le vie Sainte-Katherine.
Nous trouviommes es vies escris
Cuns E mperéres fu jadis
Qui Contantins fu apelés.
LA BARGIERO (La Bergère)
Chanson de Procenœ. rKcueilUe par le cicomte de CollcciUc
i
Moun pèro a très jouines filhos
Moun pèro a très jouines filhos
Toutes a l'agi à marida
Toutes a l'agi à marida.
lou que n'en siou la plus petito (hii^j
Les blans moutouns mé fan garda, (bis)
Si crèsoun que gardé sou lèto (bis)
Mon bel ami viens avec moi. (bis)
D'où tèn que mé pignon, mélavou, (bis)
Mei blans moutons se soun souva. (bis)
N'en faou faire dire uno messo (bis)
A nouestro damo de piéta. (bis)
Quand la messo siègue esta dicho (bis)
Meis blancs moutouns se soun trouvas, (bis)
Moun péro n'en voou sache (bis)
Ounté aï passa toute la nuech. (bis)
L'ai passa dcssouto un gros aoubré (bis)
Que l'appi^loun lou romanin. (bis)
Lou roumanin llouris è grano (bis)
Faï senti bouen tout lou jardin, (bis)
CHRONIQUE
D'après les renseignements qui nous sont parvenus, les
Commissions d'examen pour le certificat d'études primaires
et pour le brevet de capacité ont tenu fort peu de compte de
la circulaire ministérielle du 27 avril. Nous aimons à croire
que cette attitude des commissions s'explique par l'embarras
où elles se sont trouvées d'appliquer à des cas particuliers les
prescriptions générales contenues dans la circulaire.
Il serait extrêmement important que le texte des dictées
d'examen fût arrêté pour toute la France par la Direction de
l'enseignement primaire, ou au moins choisi dans chaque
Académie parle professeur ou maître de conférences qui, dans
chaque Faculté des lettres, est chargé d'enseigner la gram-
maire française. Ce texte serait accompagné de trois ou quatre
lignes d'annotations s'adressant aus correcteurs, et indiquant
les fautes prévues ou prétendues fautes qui devraient être to-
lérées ou n'être comptées que pour fraction.
C'est là le seul moyen de remettre la dictée au rang qui lui
appartient parmi les épreuves des divers examens, et ce sera
déjà un grand progrès. Quant à réagir sur l'enseignement
lui-même, selon le vœu si vivement formulé par M. le Mi-
nistre de l'instruction publique, des informations puisées à
bonne source me permettent d'affirmer qu'on n'y arrivera que
par des prescriptions formelles et détaillées. Je viens de publier
un petit livre d'exercices grammaticaus, que j'ai composé
pour l'instruction de mes enfants, et d'où j'ai exclu avec soin
les exceptions et sous-exceptions condamnées aujourd'hui par
l'unanimité des philologues. Or, je suis persuadé que les
instituteurs qui se serviront de ce livre, — s'il s'en trouve, —
y rétabliront tous les exercices que j'ai systématiquement sup-
primés. N'étant point assurés que les commissions d'examen
ne compteront pas comme faute un s mis à la place d'un x
dans le pluriel des noms en ou ou de hleu et hébreu, etc., ils
continueront, pour ne pas exposer leurs élèves à un échec,
à leur enseigner ces distinctions absurdes, et on ne saurait les
en blâmer. Il faudrait donc que la circulaire du 27 avril fût
complétée et corroborée par un arrêté impératif qui donnerait
flIKON'UjIK 235
aus instituteurs l'assurance que certaines graphies équiva-
lentes seront désormais considérées comme facultatives dans
tous les examens.
En ce qui touche la « propagande par le fait », pour em-
ployer l'heureuse expression de M. Michel Brêal, nous con-
tinuerons à pratiquer ici le petit programme sur lequel tous
les partisans de la réforme se sont mis d'accord, et nous sou-
haitons vivement que d'autres revues et journaus s'y rallient.
Les directeurs de Périodiques qui le trouveraient d'une appli-
cation un peu difficile pour la correction des épreuves, pour-
raient le réduire aus trois articles suivants :
1° Substitution de s a a? final valant .s*.
2" Substitution de t k d k la 3'^ personne du singulier :
il cotnprent, il répont, etc., comme il peint.
S° Simplification des consonnes doubles dans tous les
verbes en eler et en eter : il rappelé, iljète, etc.
On pourrait môme se borner au premier article, qui est le
plus important des trois. Il est certain que si on arrivait seu-
lement à faire prévaloir dans l'usage Vs final substitué à Vx,
ce serait une belle victoire sur la routine.
Dans un livre, on peut aller plus loin que dans une revue
ou dans un journal, et je n'hésiterais pas, le cas échéant, à
mettre en pratique le plan général de réforme qui a été exposé
ici même (1), en étendant la simplification des consonnes à
tous les cas où elles se prononcent simples.
Je propose donc aus amis de la réforme d(^ porter nos efforts
sur les points suivants :
4" Obtenir de M. le Ministre de l'instruction publique
qu'il réglemente le chois des dictées d'examcm, et qu'il prenne
un arrêté formel pour rendre facultatives certaines façons
d'écrire recoimues bonnes par tous les philologues;
2" Propager dans la Presse le programme que nous avons
adopté d'un commun accord, en le réduisant si c'est néces-
saire ;
3" Appliquer dans les livres que nous publierons une ré-
forme plus étendue, mais de nature à troubler le moins pos-
sible les habitudes de l'ceil.
(1) Malheureusemeiit, on se heurtera plus d'une fois à la résistance
des éditeurs. J'en ai fait récemment rexpérience.
23G REVUE DK PHILOLOGIE FRANÇAISE
— Notre collaborateur de la première heure, M. Ferdinand
Brunot, vient de soutenir brillamment en Sorbonne ses thèses
de doctorat. La thèse française est une étude approfondie sur
la Doctrine de Malherbe d'après son Commentaire sur
Desportes. Nous en rendrons compte dans un prochain
fascicule.
— La Société du Folklore icallon entreprent la publication
d'un Bulletin de Folklore, dont le directeur, pour 1891, est
M. Eugène Monseur, professeur à l'Université de Bruxelles.
Nous avons sous les yeus le premier fascicule (ler semestre
1891) qui ne laisse aucun doute sur la compétence et les
tendances très scientifiques de la Direction. Ajoutons que le
Bulletin permet à ses collaborateurs d'adopter les modifica-
tions orthographiques proposées par notre Revue. Cette
adhésion nous est extrêmement précieuse.
— Nous souhaitons aussi la bienvenue à la nouvelle revue
trimestrielle Langues et dialectes, publiée par M. Tito Zanar-
delli, professeur aus cours de la ville de Bruxelles. Le premier
fascicule (mai 1891) contient notamment des textes en parler
namurois, une étude grammaticale sur ce patois, et des
remarques sur les préfixes du vieus français du Nord.
— Dans une conférence faite à Alger, le 12 mai dernier, par
M. Foncin, secrétaire général de V Alliance française , nous
relevons le passage suivant : (( Notre erreur a été jusqu'ici
de considérer les petits Arabes comme des élèves ordinaires
et de leur enseigner le français sans prendre garde qu'ils
l'ignorent ;... nous les avons affligés de notions grammaticales
alors qu'ils ne connaissent pas le sens des mots français les
plus usuels. Nous avons oublié que leurs mères leur ont
parlé arabe ou kabyle et non français. Ce travail de l'éduca-
tion maternelle qui leur a manqué, il faut commencer par
le faire avec eux. Nos écoles doivent être d'abord des écoles
de langage. Un homme de grand sens et de grand cœur,
M. Carré, l'a démontré excellemment et je vous renvoie à
sa méthode. Elle est déjà appliquée par tous les maîtres
intelligents et instruits. Elle est applicable, cette méthode,
aux petits Flamands, aux petits Basques, aux petits Bretons,
chroniquk 237
comme aux petits Arabes et aux petits Berbères. Elle est
attrayante et instructive, rationnelle et pratique. Elle permet
une conversation animée et variée dès le premier jour de
classe entre l'éducateur et ses enfants adoptifs. C'est la
méthode maternelle. »
Nous ne pouvons que souhaiter la prompte diffusion de la
méthode de M. Carré. Assurément, il faut tout d'abord
exercer nos élèves étrangers à « parler français », un peu
plus tard on leur apprendra à lire le français, et plus tard
encore à l'écrire dans uue orthographe simplifiée et ration-
nelle, suffisamment claire pour être comprise de tout le monde
sans effort. Il est utile qu'ils lisent l'orthographe officielle,
mais ce serait perdre son temps et le leur que de les dresser
à l'écrire, pour aboutir, en somme, à leur donner une ortho-
graphe de cuisinière illettrée. Il nous faut, suivant le mot de
M. Martin, une ortho(jraphe coloniale.
Comment former des maîtres vraiment capables d'enseigner
\q français parlé parla (( méthode maternelle » et \e français
écrit par la méthode phonétique ? Nous répondrons : en les
habituant à pratiquer ces méthodes dans une école normale
spéciale où l'on réunirait les jeunes instituteurs qui aspirent
à la glorieuse mission d'augmenter pacifiquement à l'étranger
et dans les colonies la clientèle de la France. On leur don-
nerait en outre des notions d'hygiène adaptée aus différents
climats, sans lesquelles ils sont exposés à périr victimes de
leur dévouement, — les exemples ne sont pas rares. Ils profite-
raient eus-mémes et feraient profiter les indigènes de leurs
petites connaissances médicales, ce qui leur assurerait un
surcroît d'influence. Enfin, on les exercerait aussi à parler
les langues des pays qu'ils doivent habiter, autre moyen
puissant d'accroître leur autorité et de la faire pénétrer
efficacement dans toutes les couches de la population. Nous
soumettons cette idée d'une « école normale coloniale » au
comité directeur de V Alliance française.
LIVRES ET ARTICLES SIGNALÉS
Léon G. Pélissier. — Lettres de Ménage à Magliabecchi
et à Carlo Dati (Extrait de la Revue des langues i^omanes,
Montpellier, 1891, 37 pages). — Les lettres publiées et soi-
gneusement annotées par M. Pélissier sont conservées à la
bibliothèque nationale centrale de Florence. Les unes sont en
italien, d'autres en latin, d'autres en français. Dans ces der-
nières nous relevons les graphies suivantes : « long tans, je
rans, je praus, depuis ce tau-là. »
Auguste Durand, professeur au lycée de Bièlaïa-Tsèrkof
en Russie. — Nouvelle orthographe française (Paris, 1891,
en vente chez l'auteur, rue de Richelieu, 23 bis. 36 pages
in-12i. — L'orthographe proposée par M. Durand est une
graphie phonétique, agrémentée de quelques signes diacri-
tiques (notamment pour distinguer ou adverbe et ou conjonc-
tion). Elle a l'avantage de se lire aisément. Une graphie de
ce genre peut faciliter l'enseignement du français, mais il ne
faut pas se bercer de l'illusion qu'on pourra la substituer
complètement à l'orthographe officielle, de notre temps du
moins. Ce ne peut être qu'une écriture accessoire. Dès lors,
puisqu'il faudra toujours apprendre au moins à lire l'ortho-
graphe officielle, il n'y a aucun inconvénient à conserver les
notations de cette orthographe qui n'offrent aucune équivoque,
par exemple oi, ou, etc. Je ne puis que renvoyer à ce que j'ai
dit sur ce point dans mon Précis d'orthographe et de gram-
maire phonétiques.
Paul Passv. — Étude sur les changements phonétiques
et leurs caractères généraux (Paris, Firmin-Didot, 1890,
270 pages in-8o). — Nous espérons revenir bientôt sur cet
ouvrage de grande valeur, qui a servi de thèse de doctorat à
M. Paul Passy. On y trouvera en particulier des notions
très complètes et clairement exposées sur le mécanisme de la
parole. L'auteur a publié depuis des « corrections et addi-
tions » sous forme de supplément au Maître phonétique de
juillet 1891.
I
LIVRKS ET ARTICLES SIGNALÉS 289
D'' A. Bos. — Glossaire de la langue d'oïl (XI^-
XIV^ siècles) ouvrage à l'usage des classes d'humanités
et des étudiants (Paris, Maisonneuve, 1891). — Nous ne
connaissons ce glossaire que par la préface, qui a été tirée à
part. Le livre était difficile à faire, mais il rendra assurément
de grands services si l'exécution répont aus promesses de la
préface.
Jean Fleury. — La presqu'île de la Manche et L'archipel
anglo-normand , essai sur le patois de ce pays (Paris, Mai-
sonneuve, 1891. Extrait des Mémoires de la Société acadé-
mique de Cherbourg . 56 pages in-8*^). — Contribution nou-
velle à l'étude des patois normands de la Manche, et discus-
sion de certains points contestés par M. Joret.
A. DE Jubainville, Ernault et Dottin. — Les noms
gaulois chez César et Hirtius, l'^^ série ; Les composés dont
rix est le dernier terme (Paris, Bouillon, xv-259 pages in-12).
J. Bastin. — Étude sur les principaux adverbes (Paris,
Bouillon, 1891. 69 pages in-8o). — Notre collaborateur
M. Bastin étudie pratiquement et historiquement les princi-
paus adverbes d'affirmation, négation et manière. Nous
recommandons particulièrement les pages relatives à l'emploi
de ne explétif.
Werner Sœderhjelm. — La dama sanza mercede, version
italienne du poème d'Alain CJiartier (Extrait de la Revue
des langues l'omanes, x-27 pages).
Dr Hermann Fitting. — Vorlàufige Mittheilungen ûber
eine Summa Codicis in provençalischer Sprache (4 pages
in-4o. — Sitzungsberichte der kôniglich preussischen Aka-
demie der Wissenschaften zu Berlin).
Darmesteter, Hatzfeld et Thomas. — Dictionnaire
général de la langue française du xvii° siècle jusqu'à nos
jours. — Le fascicule 5, qui vient de paraître, s'étent du mot
brouette au mot cependant. Il contient notaiiiment l'explica-
lion et l'histoire complète des mots bruit, buffet, buisson,
240 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
hureaitj burin, cabale, cabaret, cabinet, cajé^ caisse, calotte,
canon, capital, cardinal, carême^ carreau, carte, cause, etc.
On peut dire de ce dictionnaire ce qu'on a dit de celui de
Littré : qu'il n'est pas seulement à consulter, mais à lire.
Quoi de plus curieus, par exemple, que de suivre les évolu-
tions du mot bureau désignant successivement un meuble,
la pièce où il se trouve, l'administration dont cette pièce
fait partie, enfin les membres mômes qui composent cette
administration, et a3-ant comme origine le nom de l'étoffe
bure ou bureau qui recouvrait les tables à écrire. Quoi
de plus piquant que de voir les deus sens du mot canon,
pièce d'artillerie ou modeste verre de vin pris au cabaret,
avoir une seule et même origine, c'est-à-dire l'italien canna,
tube — tube à lancer des projectiles — tube à mesurer les
liquides, le canon ou petit tube étant le 1/6 de la pinte.
Librairie Ch. Delagrave, 15, rue Soufflot. — Chaque
livraison 1 fr. — Le dictionnaire comprendra au moins
30 fascicules. On souscrit d'avance à l'ouvrage complet au
pris de 30 fr.
ERRATUM. — Page 207, lignes 6 et 5 avant la fin, lire
de nos quartiers au lieu de « du neuf quartier ».
Le Gérant : E. Bouillon.
CH.\LON-SU)i-SAONK. 1 M l'I; I M IMiU-; DK I.. NL\KCliAU.
NOTES
SUR QUELQUES PATOIS VOSGIENS
1. - Cette élude, fruit d'un séjour de trois semaines a
Plombières, ne peut être évidemment complète sous aucun
rapport, ni même minutieusement exacte dans tous ses dé-
tails. J'ai résolu de la publier quand même, dabord parce-
qu'il n'existe, je crois, aucun travail sur les parlers de cette
région (1); ensuite pour encourager les personnes qui sont
a même d'observer ces patois, a en entreprendre l'étude, en
leur montrant combien il est facile (a condition de savoir un
peu de phonétique) d'y recueillir une toule de faits des plus
intéressants.
2. — Voici la liste des communes dont j'ai pu observer
le parler.
1 . Plombières (pjome:R, P), petite ville d'eaus de 2.000 ha-
bitants, au bord de TAugronne, dans une vallée encaissée.
Le patois se parle encor sur la route d'Epinal, au N. 0. de la
ville; ailleurs, les gens âgés le parlent rarement; les enfants
l'ignorent. — A.utorité : Mme Mélanie Vial, doucheuse au
Bain National.
2. Les Granges (la: gr£:5, G), commune de 1,000 habitants
formée de fermes et d'habitations isolées, sur la hauteur au
N. 0. de P. Ce n'est pas une paroisse, et les habitants vont
a l'église, ainsi qu'au marché, a P. ; ce qui n'empêche pas
le patois de différer sensiblement. — Autorités : Mme F.
Louis(notre hôtesse), propriétaire a P., 59 ans; — Mme Bi-
zot, boulangère a P. ; — M. Joseph Grémillot, dit Bicot,
laitier ausG. ; — Mme Jeanne Jeanvoine, établie depuis
longtems au Va d'Ajo, etc.
3. Le Val d'Ajol. ou plutôt le Va d'Ajo (le vo daso, V.),
vaste commune de 7,600 habitants comprenant toute la hau-
teur au S. et à l'E. de P., et la vallée de la Combeaulé au
delà. On m'a dit qu'il y avait des petites différences entre
(1) Le Dictionnaire de M. Haillaut, que me communi(iueI\l. Gilliéron,
contient dea mots du Va d'Ajo. Je ne coimaia paa autre chose.
242 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
les parlors des diverses sections, notamment entre cens de
Laitre (le principal village, situé dans la vallée) et du Hario\
je ne les ai pas observé, ayant surtout étudié le parler de
la Groisette (k krœhat), au S. de P. — Le parler du Girmont
(le 5œrm3), commune de montagne de 750 habitants, a l'E.,
récemment détachée du V. , ne parait presque pas en différer,
quoique les habitants soient très isolés et aillent au marché
a Remiremont. — Autorités : pour la Groisette, les épous
Vançon, dits Toutou, cultivateurs, et leurs enfants, surtout
Gonstant (13 ans), Eugénie et Gonstance: — pour le Gir-
mont, M. Fleurot, aubergiste au Girmont. — Le patois du
V. est celui que j'ai le plus pratiqué.
4. AilleviUers (a:jevle, A.), a l'O. de P. et du V. — Je n'ai
étudié ce patois que quelques minutes, avec un homme dont
j'ignore le nom.
5. Fougerolles (fo5oly:r, F.), 5,800 habitants, au S. 0. du
V., dans la Haute-Saône. — Autorités : M. et Mme Bigé,
meuniers a P., et leurs enfants, Alfonse (14 ans) et Ahne
(13 ans), qui continuent a parler leur patois.
6. Sainl-Bresson (s? p$3. S.), au S. du V., dans la Haute-
Saône. — Autorité : Mme Titoine, femme d'un cultivateur
des G. établi au V.
7. Cleuri{C]^ a l'E. de Remiremont, par conséquent assez
loin de tous les villages précédents. — Autorité : M. Man-
suy, courrier entre P. et Remiremont.
3. Je vais donner maintenant, dabord les textes suivis
que j'ai pu recueillir dans ces patois; puis un glossaire des
mots que j'ai recueilli ; des remarques sur la phonétique,
avec une liste de mots comparés, sur la morphologie et sur
la syntaxe; enfin quelques observations g'énérales.
La transcription dont je me sers est la transcription inter-
nationale du Maître Phonétique. On notera que :
u, y, j, S, 5i N, a, valent respectivement
ott, w, T/î c/i, y, gn, e léminin,
(o) est un 0 ouvert ; (e) un e ouvert ; {0) un eu fermé ; (a) un
a grave: (r) un r grasseyé; (c) (j) sont des explosives pala-
tales; (x) le c/i Allemand dans ach;[\\) une variété de/i, dont
je parlerai plus loin. Les voyelles tildées sont nasalisées.
(:) marque la longueur.
NOTES SUR QUELQUES PATOIS VOSGIENS 243
TEXTES
4. — Plombières. — La journée de Mme Vial. — 59 m
l^:v do bweniKR, e kwalR u:r, epj;^ 39 fa do f0:, pu
fa:R lo de5ynô £ mon o:m. 59 pRe:pa:R mo di:n£, ep^
3 m ô:ve du$e me: de:m, 3ysk9 0:3 u:r. 3 n a k lo to dg fa:R
î po lo py gRO d me bzo:n, epp' 39 Rdevol e duz u:r
0 galo, 39 Repwen mo servIs 3ysk9 $£13 u:r do so.
£:si 3 n a waR dg to d R£$t. £ $£13 u:r 39 tRipot mo
sœpe pu kà:t mon o:m £Ri:f, £ s£t u:r; epjz^ 39 sœpo,
mon o:m fym s£ pip sy not œ$ œn d9m£ju:R, ep^ 5
no ku$o. — Mme Vial.
Découverte des eaus minérales. — î $£su patœ £ l£ $£8
£vo so $jo ; £ gR£tœ 0 pje d î $£:n, e so ma:t no
s£vœ mi pukw£ k £ gR£loe ; £l 0 £pRœSœ do 1 a:bR,
e s £tœ k s etœ $o: ; vw£l£ uskg lo kRysifi 0 £ty
dekRœvaiR ; e s £ty l£ pR9mjeR suus k £ty dekRœvait
£ pjome:R. — Mme Vial.
5. — Granges. — La chèvre et les chevreaus. — l£
me:r da: pti biki, k£ s apr£t^ pu al£ 0 mwarje £$!£
dx: ptit prœvizjô, « ma: pti biki, vo f£r£ bj£n ata:sjô
d£ n mi dœve:r 1 œx k£ kà:t 3£ m3tr£ra m£ bjà:^
p£t. » — l£ v\v£l£ p£ti: ; pi o bu d T momo, « tok
tok » ; — a kjosk 0 po k ? » — « s 0: vot màmà ma: pti
biki, k£ vo r£put da gatou ! d — « m5tr£ p£t bjà:^. »
— vw£l£ lo lu k £và:s to dosmà n gro:s p£t ne:r.
la; pti biki s£ rtiro; « 0: s 0 lo lu ! n — « a: la: pti
kokî! £ta £ta, 3£ v£ [a:z £tr£p£. »
£ s ôv£ dà ~i mœlî trap£ s£ pet dà î sak d£ ferin ;
ma: à mar$à le fërin $y. lo vw£le k s 3 rvje, « tok
tok »: lo lu fej^ n p£tit vwa tôt fin, « dœvre ma. pti
biki, s d: vot màmà ke voz eput de le gel£t ». —
« môtre pet bjà:^ ». — vwele mo lu k £và:s to dosmà
s£ p£t pu k l£ f£rin n£ S£jœs mi,- ma vat t£ promue:!
£ll eve $œj à rot, la: pti biki di:r, « 0: s 0 ko lo
lu 1 » e se so:v^;r 0 fô d k Sà:br.
epfi vw£si l£ me:r Sje:f k £ s 5 vje £vo sa: du
pen£:j £ ^ek br£, « tok tok »; — « kjosk 0 tôle ? »
— « s 0: vot màmà k£ voz eput lopjl da: bwen petit
244 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
$o:s. » — 1. môtr£ pet bjà:^. » — £ll £và:s S£ bjà:$
p£t, e la: pti biki dœvr0:r 1 œx. e r£k5tœ:r s lyt
me:r ke lo lu eve vny du fw£, ma: k e n Ij £vî
mi dœve:r.
« voz £ bje fa: ma: pti biki, paske s tœ to:r lo lu,
k£ voz £ro krok£. — £bj£, 3 alo 1 £tr£p£. 5 a:b pr£-
p£r£ I grà tyi d£zo le $œmnei, £p^ 3 1 £tr£prô. »
vw£l£ mo lu k £ty dmid£ £ prat£ la:z £bi d î p£-
krî. a kjosk o tol£ ?» — « s 0: 1 po:r p£l£rî k£ mœ:r
d£ mize:r, d£ so e d£ (ï. » — « o:bje, p£S£ po lo to,
vo p£sre po le $œmnei, paske no pti biki 5 pœdy le
cje d not œx. s
vwele mo gro: lu to kôtà k£ s r£30J£ d£ kroke la:
biki e ko lyt me:r ; ep^ lo vw£l£ k£ so:t po l£ $œm-
nei dà lo grà f0i. e Ï0 grœje kmo î budî, {Mme Louis.)
Découverte des eaus minérales. — do lo to k£ pjame:R s
£t£ n foR£, oz ô tRœv£ l£ pRœme:R surs, s ety î $asu
k £ £ta$£ so $vo £pR£ îu a:bR, ep^ lo $vo à gRetà
evo sa: pje, £l £ dekwoje d 1 o:f $o:t ; s 0 k pRoe-
me:R surs k oz 5 tRœv£. l£ surs ô 1 £p£l le surs do
kaysifi. {J. Gremillot.)
Les fous de Ruau (1). — 3e n se kà la: Rjotde evujô
lyt ma:R eko lo gaRt Sàp£:t £ RmeRmô pu la:z cfa:R
de le komyn. kàt e r^:R pu desyne, e dmà:d^:R
do py fo:R e do mwejo mwaR^e ; e la:z i eputœiR de
le mutaRd. à le mî:3à, lo ma:R brcje ; l o:t li de/z^,
« futy be:t, koske t bua:, s 0 l£ komyn k£ p£:j. r
£n fw£ k £l £vî pœdy lo tô do kre:do, £ R£sàbjo:R
lo kÔse:j pu ta:$e d lo RtRœve. à môtà a: 5£3a:lc, to
d T ko 1 ad3W£ vy î gRO puj sy lo do do ma:r. e z
(1) Le village de Ruau, à l'O. des G., a, dans les Vosges, la ré-
putation d'être habité par des imbécilee, comme ailleurs Cliambli, la
Ferté-Gauclier, etc. Daprès les traditions locales, ce sont <r les fous
de Ruau » qui ont pavé les champs pour empêcher les mauvaises
herbes d'y pousser; — qui ont hissé un taureau par un nœud coulant
pour lui faire manger une touffe d'herbe sur le clocher ; — qui ont
voulu tuer un brochet en le jetant a l'eau, et des taupes en les enter-
rant vivantes, etc.
I
NOTES SUR QUELQUES PATOIS VOSGIENS 245
bot^ £ $àt£, « 0: vwele î gro puj, età bugii i t ty:iia:!K
— ep^ c Rtun^:R. lo tô do kiie:do f0 RlRœvc.
en fw£ k £ vlï fa:R be lyt vile:^, z n ev£ î Jje k
£ve 5J£ sy 1 œx do mot£J. e n s£vî knio fair pu lo
R0:t£. £ s R£ynis^:R toRty, pu fa:R £n gRo:s kwo:t,
pu liR£ tj0 lo mOt£J. N £V£ î fERS^IR k£ RJ£, £ lo
Ro:tœ d 1 kulpJE. z tiRoe:R sy lyt kwo:t, lyt kwo:t
kas^, £ 5yR toRty sy lyt ky ; £ s£ Rlœv^iR, e kRy:R
k£ lo mot£J £V£ ^y-'.^z t pj£s : £ s 3nol^:R ^ez o
toRty bj£ kôtà — (Mme Bizot.)
Les Vêpres de Ruau (1). — « ki sk£ t tœ m£rire »,
di: 3 £ mô fi ; a kà sk£ t tœ m£rire, di mœ lo, di. ï>
— « 3£ m m£rira djomw£:$, m£ ba:l m£ bw£n me:r ;
3£ m m£rira djomw?:^, 5£ vo lo di ^ n£ krei tor vo
mi k£ s s£ra ly:di, na:ni, na:ni. »
a £vo kjosk£ t tœ m£rire », di: 3 £ mô fi ; <t îvo
kjosk£ t tœ m£rire, di mœ lo, di ». — « £V0 n bal
3J£n d£m\vaz£l, m£ ba:l, m£ bw£n me:r ; evo n bal
3J£n d£mwaz£l, 3£ vo lo di ; n£ kr£i tor vo mi ks s
s£ra n vej sorsje:r to kmà vo, nami, na:ni. i
a ke: bej £bi k£ t li £3£tre », di: 3 z mô fi ; « ke:
bej £bi k£ t li £3£tre, di mœ lo, di ». — a da:z £bi
d£ t£l lîdy:, m£ ba:I, m£ bw£n me:r, 3£ vo lo di ;
n£ kr£i tor vo mi k£ s sera d \z s\vo:j, na:ni, na:ni. »
« kjosk£ t hy^re z tx: nos », di: 3 £ mô fi ;
« kjosk£ t hy^re £ ta nos, di mœ lo, di ». — dx: be
mosj^ e ko da: bal 3J£n d£mwaz£l, m£ bail, me bAven
me:r, 3£ vo lo di ; ne krei toi' vo mi k£ s s£ra dx:
v£j bot to kmi vo, na:ni, na:ni. »
(T kosk£ l \x:z i b£jre z mè:3e », di: 3 e mô fi ;
« koske t \x:z i bejre £ mè;3e, di mœ lo, di ». —
« di l5c:se pri £vo dx: pwer d£ te:i', m£ ba:l, me bwen
me:r, 5£ vo lo di ; n£ kr£i tor vo mi k£ s s£ra d k
Sjo:, na:ni, na:ni. »
« £vu k£ t ]£ m;itrc £ ku$£ t£ fom », di: 3 £ mô
fi ; « £vu k£ t l£ maire z ku^e, di mœ lo, di. » —
« 3 le matra z ku^e e not ekyri, me ba:l, me bvvçn
(1) Se chante u]Xï Tixirtlc Vêpres,
246 RtVUE DE PHILOLOGIE FEANÇAISE
me:r, 5e vo lo di ; ne krei tor vo mi k£ s sera dà
ï be bjà lei, na:ni, nami. » — (Mme Jeanvoine.)
Dans la cuisine. — 3e ve eply^e ma: fe:v evo mo
kutei. 5 la: me di n terin pu W. levé. 5 la: matra
h]y.:\\ evo d 1 o:f. âpre 5 la: fra so:le 0 by:r ; s 0
di:n£ ke 5 la: fra koe:r. 5e le:v la ka:rat dà n ekerl ;
epi 5 la botra a kœ:r evo d 1 o:f. 3 la: pol evo î
kutei. 3e bej le paly:r e ma: pli lepT. 3 on a tro.
1 eke:l 0 sy le to:j. le to:j el 0 fat a bo t sepî ;
lo pje 0 à Sa:n.
not kœ-Hin 0 peve. la: [y.-.hv el s3 pjà^i. — [Mme Louis.)
Le tems. — 0 e p']0 oôdfii ; e feje be: jermà. e foro
bje k e fejes be: dms : el e fa me$i to lo mwa d
au. — 0: vwele k e fa: bei ; lo slo ly ; ma: j 0 do vo.
0 foro k e fejes bei kmo sle tololto. — [Mme Louis.)
Histoire de l'abbé Sans-Souci (1). — s ete 1 abe sàsusi
k ele si jjurju, ke pesé 1030 dvà lo ro si j o:te so
$apei. e lo ro j ekri en lat, kit e lo: le lat, el te
bjen enœje. vwesi so my:nej ke \n0 li di:r k e n
pwaje py mo:r, paske la: 3a pernT 1 o:f pu tune dà
la: pre, e k e n pwaje py mo:r. « lej me tràkil, 3e
m fi$ pa: mo de to mœlî, 5 a d ot sws k sele. » —
« ma koske vz e do, mo ma:t, 3e n voz a 3ema: vy
di:ne. » — « lej me tràkil, s n 0 mi efa:r e î bàb?
kmo ti. » — « ma 5 n se mi, stepwe, dne t030. » —
« ebe tje, piske t ]0 lo sevwe, vwele n lat ke lo ro m
e vweje, k e f 0 g 3 a:lys lo trœve, g 3 e n sej ni
e pje ni e ^vo, ni fti, ni to ny. » — el le bje
àpwen ! — « 0: s n 0 k sele ? 3 i vira bje, n eje mi
p^:r. »
vwele lo my:nej ke s àvbp dà ï file t puxu, ep^ e
s exe sy en burik, ep^ e s ôva.
kàt el erif 0 kordegard, 3 hu, « kivi:f ? » — « leje
|)ese, s 0 1 abe sàsusi ke j^ ko:ze lo ro, ke n 0 ni
e pje ni e $vo, ni ko fti ni ko to ny. » — e diia o
ro, « vwele 1 abe sàsusi ke ']0 vo ko:ze, ke n 0 ni e
pje ni e J^'o, ni ko fti ni ko to ny. » — « komo
jja:l)l osk el 0 dô » lo ro dire, a feje lo àtre. — t ç
(1) Ce conte a été daltord enteiulii en Françtvis,
NOTi:S SUR QUELQUES PATOS VOSGIENS 247
raHô, pursqi, to pws o bwe. ma s n o mi torto sle,
e fo k tœ m d£H^:s u sk o lo mwîto do mô:t. » —
« si:r, b£J£ m wer vot kan. » — e fi du tro: to dà
le kœHin, le pjà:d dà î 3WÈ t peve, ep^ e di, « vwele
1 mwito du m5:t ; si vo n vêle mi lo kr£:r, myzyre
lo ! »
« t £ ko 1050 raHÔ, » lo ro due ; « ma s n 0 mi
lorto sle, £ fo k tœ m d£Hp':s kobje k le lyn pe:s. »
— « el pe:s en li:f, ell e kwat ka:)*, e kwat ka:r ftji
bje n li:f. »
« 0: te ko 1050 rfiHô, pursiii 1050, to pw^ bwe ;
ma s n 0 ko mi torto sle, j a ko ot$o:s ; e fo k tœ m
deHp-.s me fesô t pase, u tœ sre pa^dy devà k e d
mè:3e me sop. » — « si:r » k el i dne, « vol pase, s
0 g vo kreje ko:ze 1 abe sàsusi, es n 0 k so my:nej »
— « ve, te sre abei, e 1 abe sre mymej. » — Mme Jeanvoine.
6. — Va d'Ajo. — La chèvre et les chevrenus, 1 (1).
— e N eva n $.je:f k eva da: pti biki. ep^ le me:r
s ônale \y.z i kwe:r da: pti biskqi. ep0 le lu vne, e
take e le pwo:t ; la: pti biki dHe:r, « s 0 vo màmà ?
motra we:r vot h]y.:\ pet. — o: s 0 kôpe:r le lu, s 0
kôpe:r le lu, » k e dHe:r; pask el e n gri:x pet.
e f^ we:r \y. xo:vu:s pu s fe:r bot en bjà:^ pet,
pu ala me:5e \y.: pti biki. e vne e 1 ux^ epj2( e take
e moire se pet ; el ta bji:$. e dœvreir le pwo:t, e
sorte txy, el y. me:5e do:s, la:z o:t se sa:ve:r dedà T
sabo, e n a po py awe.
le me:r revne, el take e le pwo:t ; \y.: pli biki dneir,
« motra no le bji:^ pel. » e dœvre.T 1 ux, la: pti biki.
ep^i el i rekôte:r ke le lu eva vny me:3e ly pti fre:r;
ep^ !e me:r \y..z i beje \y.: biskqi kel ev ejta el due
« alla, no 1 etreprô. » — el bote di bo: dezo le Jœmne:,
el i fi î be: lej, el pri î po d of So:d, el môte txy
1 to, e le \\Q Ireba le $œmne: ; le lu bwe, « i t^
^oda ! pik le ky, $ak le pet, sema 5e n m à re^ep. »
— Eugénie Vanson.
(1) Il y u di.ns cette liiKtoire des lacunes évidentes, et le C^^) '^^'•
lit dvipicie pluase inditiue nue origine étitui^cre ;)u V,
248 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
La chèvre et les chevreaus 2 (1). — la; pti biki, le
me:r \x:z i dne k el ala kwe:r da: biskqi e d k
bwen galet, k lu vne, ep0 e take e k pwo:t, op^
la: pti biki li dneir, « motra vot pet bjà:^, e i vo
dœve:ra le pwo:t tœtsqit. «en eva pwà t pet bjà:^ ;
la: pli biki refwerme:r k pwo:t.
le lu (0 we:r le mymej (el e mwarka k bulà:3£,
ma s o le mymej), e li dmàde we:r si e via k e
tmpes se pet dà î sak de krin ; le mymej li repôde
ke wi. ma le krin ^eje à $mî. e vne taka e le pwo:t-,
e li fwerme:r kwa le p\vo:t ; k lu s ônale.
le me:r revne e el take e k pwoit, e la: pti biki
li dnerr de motra s pet bjà:$. le me:r da: pti biki
li moire se pet, e li dœvre:r le pwo:l e li rek5te:r
e le me: F ks k lu eva vny,
ep0 le lu revne kwa evo î fœzi. k me:r li dne,
t pesa pwa le $œmne:. » ep^ le me:r da: pti biki fi
î grl \'0, dità k e dévala le Sœmne;. e ^eje ddà ; e f^
gerje kmà î budî. — Constant Vanson.
La journée de Constant. — i m lœv e sî:k u:r, i vo
treveje, en syske meidi, ep^ epre: sa i vna: desyna.
(1) Cette histoire a été lue en FrançaÎH par Constant Vanson, qui
l'a raconté en patois a sa sœur Constance ; celle ci l'a écrit, et
Constant me l'a relu. — Comme curiosité, je donne ici, telle quelle,
la rédaction de Constance :
« Las petit biqui l'ai mère l'a s'y dejé quel alla coire d'as buisquit
et dé l'aie boine galette le loup vené et peu et taqué et l'aie peaute
et peu l'as petit biqui dejére montra vote paite bianche et y vos deu-
vaira l'aie peaute teau suite et n'aiva pient dé paite bianclie l'as p.
bii). rcfoirmére l'aie peaute lé loup feu voire le boulangé et l'y démandé
voire s'y et via que tranpése s'aie paitte d'edans le sac dé farine lé
boulanj^er Ile réponde fpiè oui mais l'ai fairine chaignè en chmi et
véiié ta(juat et l'aie peaute et l'ie foirmére qu'a l'aie peaute le loup
s'oimalé l'aie mère ré vené et elle taqué et l'aie peaute et l'as petit
biqui l'ie déjère de motra s'aie paitte bianche lai mèi^ d'as petit biqui
l'aie motré et l'y deuvrcre. l'aie peaute et raicoiitére et l'aie mère que
lé loup ai va venu et peu le révéné qua ai veau ie feusi l'aie mère das
petit biipii lie déjé puisa poie l'aie clieumnaie et peu l'aie mère das
[Htlit bi(pii fégnè ie grand feau ditant qu'aie dévala l'aie cheumèuaie
gi fhaigné dédaus le l'eau et feu hreula quomand ie boudie. ))
NOTES SUR QUELQUES PATOIS YOSGIENS 249
i l'vo LioVcje, epp rvena sopa z 0:1 u:r. epp i vo i
Ici, i dmura 5yska m£tî — kàt i alu e 1 eko:], s eta
kwa le mam $o:s, ep0 i fju ma: dwe:r, ep^ etyju
mx: Isô, ep^ i alu £ 1 ekol z le krœliat. — Constant
Vanson.
La journée d'Eugénie. — i m a Iva e sî:k u:r, i m
a fti, i a di ma: prie:r, i m a peiNe, i m a nata, i
a de3œnuta, i a fti no ptiL, i a \0 wad3a not ve^,
ep^ i a t^ i mwe.-no: épi:d nat tref, i a de5yna, i
a 10 putja 1 de3Ù e pjame:r e not Iwi, i a rveny, i
m a exy dedzo t \e no, i a le da: revat à patwa
dexy T li:v, î be:Nà m e fa i le:r. s o fini, le 3une
n 0 kwa mi esqi:. — Eugénie Vanson.
La journée de Constance. - i m a Iva e sî k u:r,
i m a fti, i a di ma: prie:r, i m a p£:Ne, not 3eni
m £ nata, i a de3ynuta^ i a fti ortà:s (me ptit xj^:^),
i a i0 wad3a le ve^ evo not 3e: ni, not kôstà m e
hy$e, i a Ifi e 1 erb i Nœ ^à, i a rve:ny, i a. {0 a:
pwerat evo not kôstà $y bwerô:, i la:z a remesa, i a
rveny, i a leva la: pwerat, i a pala 1 ga:z3, i a 10
epàd di rwc evo màmà, i a rveny, i a de3yn:i, ep^ i
m a emyrza dedzo t ^e: no, i a me:3e da: blo:x, i a
fa T kolje. s 0 fini. — Constance Vanson.
Ma journée. — voz a Iva e kwatr u:r, vo voz a fti,
vo voz a leva, voz a di vo prie.-r. voz a t0 vo promna
dwa 1 vo d ^130 voz a rveny, voz a de3nutta, voz a
beje £ de3nutta e vot fo:m, voz a le: en mw£cje e
vot fo:m, ep^ voz a kii ddà T li:v ; voz a de3yna,
voz a niôta tosi, ey)0 nœ noz a exy. - Constance
Vanson.
Lex sangliers. — di là k i alu e 1 eko:l e le krœuat,
le ma:t nœ mwane e 1 elà da: pre:t dexy le jjes
pu galje. p0 no vy:r en kwoj k eva do:s peti 3Je:ri ;
s eta da: pwo sîjja. p0 àii o yn ke s .sa:ve dzo T
kô:dy ; p^ 0 N ^ î Sje k i-o:te txy, pçi e 1 cqe. la:z
o:t e s sa:ve r devo le me:r. — Constant Vanson.
Dialogue. — Mme Vanson. vo vera kwa 1 po voz
exe:r devà g d ônala e pjame:r ; vo vera bwo:r en
ta:s de la:sç:, — ^oi. 0: i i0 bje. — Vanson. vo^
250 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
£:ma mp di la:se k le got, s n o mi kmà mi. — Moi.
i n à. bœva pwà d le got, ni di vî. — Vanson. ni
di vT? s 0 pu vot sà:te k \y.: mstsî vo 1 defàdà ?
— Moi. na:ni, s o î v^ k i a fa, de n mi bwe:r ni
vT, ni bridvï, ni bje:r. ni sid. — Eugénu. papa vo duro
bje far di:na. — Moi. puke, 3e:ni ? — Vanson. puke k
i duro far di:na, gamin ? s o pask i bœva da: fwe
le got, de tro. — o: j a 15:tà k i n n a pwà
by!
7. — FouGEKOLLES. — La journée d'Aline. — ajo e
m a: lœve e [z\ u:r. i a poci e mo lèse, i a de5ynote,
i a t^ e 1 o:v, i a toR$i le vesel, i a tRJkote, i a
de5yne, i a: tp' e 1 £Rb. i a: eply^i: da: pweaat, i a
levé n sala:,), i a: ^we y.: dem epp' y.: ka:c devo mo
fRe:R, i a sœpe, i a Rkomà:se d 5we a: dem ep^
ekwe y. ka:c devo mima, i a: \0 devo maai Rœmi
a: tike, ell e geNi en bal penyj, e,'^^ mi n a Rà: 10 ;
ep0 j a t^ m ku$i:. — Aline Bigé.
HiHoires plaisantes. — j £ n fom k e ve kri da: erà ;
lo moï^j(i Je ki el aie \y.: kri se nom pipi. ep0 zn
atri, el di, « b35ii età, e vo kwa dy. pipi ?» — 1
om e repôdy, « noz à: kwa da: eri, e no n i py k
î pipi. »
— j e n fwa in fom k e s ôve $i î mw^r^i pu
aie ^ar^i di tapjoka, e el demàd^ di tapjapja.
— j eve n twa î pte gaml ke pes^?^ pre d en fom.
le fom pat^, lo pte gaml i d5^, « voz ônale tu5u patà?
vo pœje voz aNe. s o k j an a T na:r e î bji. jja:b
e vot ky, e e^ô ty p^jy. — Aljonse et Aline Bigé.
Livrogne et sa femme. — s ete n fwe 3a nikola pi:ro
ekwe se fom, k el etî tu5u su. el 5 elœve î pte guri
kœ5nei di n petet fyta;j deri lo $tuf. T be: 5U: k el
etl su to \y.: du, el s ôvà e le ^ery:, e kà:t le fom e
rveny. ell e truve lo guri k eva $te: be 1 erlwe:5 0
mweli di pal ; lo kadri ^Y ^ ^^S^^ e n e mi lo kase.
e\)0 11 e di, <- nrj:j^ iïi-^:j^, nod guri e futy be not
erlwe:3 ! e fo: k i alu œ^i 3^ nikol^ ; 3a nikob ! vï
we I nod guri e futy be not erlwe:3 !» — « o: kre
JaroN, » k £ d3() 1 om, « t e kwa suK bu:gro t salop 1
I
NOTES SUR QUELQUES PATOIS VOSGIENS 251
t £ sul, t £ sul, vile:ii ! « — epp £l rciiiEse la: pu»
dà so d£ft£:j ; « y.: 50zefin, sivupk, r£m£S£ l£ pàdu:j ! n
ep^ lo guri, eti ^y bwi Ei'lwese, n £ mi £màde, £l £t
^ tro t kasmi t te:t. — Mme Bigé (témoin oculaire).
St-Bresson. — La matinée de Mme Titoini^. — i m a
lœva a duz u:r di mat? pu Ïx-.y di pi ôkwa di tot$e
d£ boro:$ ; âpre i s^ avy trair le: vat$ ; b£ji a mSidsi:
le: po: ; âpre on 5 ôfuna lo pÈ ; âpre ô va rkœji d 1
aw£n, ôkwa d la gri:z ; âpre kosk on 5 fa, i n se
py rà ; âpre 5 virô s plota pu drœmi l som, pu sœ
rpj^:za ; âpre kosk 5 vO: di:r, i n à se py rà. —
Mme Tilome.
Les fous de Ruau. — £ for£ v^ di:r œn pœt£t rakô-
i0:Y. — œn fwa £ j ;iv£ le: fu d£ rjo:, k£ ikyl! \0
e:gli:z, akos k £ j av£ œn marda t l$£ ; a rkyll ]0
e:gli:z, ôkwa le kj^:t$, dov£ n ko:d5 da l£:n. la ko:d5
s£ tàde, a kr^:r k£ \0 e:gli:z s ava rkyla. — Mme
Titoine.
Chanson d'enfants. — i rvœnà d£ barbari, tritsi
\]0 d£ tt$i no, i a pasa t^'i 5a de: i\0 ; 3a de i\0
m £ vry bat ; sa fom n £ pe: vry, al mœ b£je: n
ekel d£ \y.:sz ; i sri avy la bwar Jy ^a po:t$ dî ly:
b£:t ; j a: vy la py bo:r k £ta krœva: ; i a pri la p£ po m
îx'.r l mà:t£, le kôn pu m ïy.w œn trô:pot ; i m y. sy
inora, tyrlytytà, to di lô d£ la: vil ; i a trove £n v£j
sot, k £ n £va ni ky ni m! ; i 1 a: pri pwa le torô,
i 1 a tjàpa 6y. l bo^ô. — Mme Titoine.
Les Lorrains. — j a itidy di:r k £ n ava ks iro
hvy.w om di la lœr£n ; ap^ a so ko pady. — Mme
Titoine.
GLOSSAIUE
j a V S fai\ z\ a il a; noz a nous avo'is: vo/. a V
vovs avez. — j an a da: bw£n V.
a G est. — sa [)u mi ced f'our moi.
di{\) S. il, ils. elles.
ad ras V adresse.
a:jevla V. a:jevle A. Aillevillers,
gikosk S parceque,
252 REVUE DE PHILOLUGIE FRANÇAISE
ala V aller ; j alu f allais.
BNe F agneau.
apj£ji S atteler. — apJ£Ji le: by.
ap^ S et puis.
a:r V air. — 1 kurà d a:r.
armwe:r V armoire. — i vo ala di 1 armwe:r.
aro:j G oreille.
arozu S arrosoir.
asi;t S assiette.
a$o F hier.
at$ S hache.
au G V août.
avy S allé.
a3^ P facile.
3 a: P G fai.
a:(z) G V A F ans. — i va a: grs:^ V.
abosu S entonnoir.
a:br G V a;bR P arbre.
a-.He V aisé, facile.
en a: te S un hêtre.
àifl V gw^n. — à:fî ki l?:: fo kopà bje...I
àmwsna V emmener.
ànora S en allé, parti : — i m à sy ànora.
àpul^a V emporte/ .
bal G V F belle.
ba^e vo S baissez vous.
bat^:z S burette.
baislat G ba:slot P petite fille.
bàkta S gouler.
be S be: V bei G beau. — rawate wor ke s o: be. S. —
0 1 be: a:br V. — ke bej ebi G.
be:t£ S chap/au de bœuf.
he F bas.
b£J£ G b£ji V S donner. — s£ k£ vot mirai vo b£:j
V. — £ la:z i bcje di ps V, — b£je m vjt kan G. —
i le: b£jra £ not fom S.
b(£)lo:x V b(£)lox G prune mirabelle. — î tut$e: d b£lo:x
V î tutei d b£lox G.
b£rbi G brtbis, mouton,
NOTES SUR QUELQUES PATOIS VOSGIENS 253
bsro G bélier.
b£$ F baisse.
bet V battre.
bete: V chapeau de bœuf.
b£X£ G b£xi V baisser.
bi: F S bien.
bifD G S buffet.
biki G V biquet, chevreau.
bjas G (poire) blette.
hjx Y orge. — s o di bja.
bjà: G V A F S C blanc.
h}à:l G V A F G blanche.\
bjài^i G cuire [dans l eau). — 3 la: m£tr£ bji:$i £vo d
1 o:f.
bjàttj s blanche.
bje, bj£ G V bj£ P bien.
bje P bj£ G orge.^
bj^ G V P bœuf. — s 0 doc: bj^ G V.
blo;d V blo:t G blouse.
blo$£J F blox£J V blox£J G prunier.
bly: V brimbeUe.
blw£$ F prune mirabelle.
bo G A V C bois.
bos A boS F box G bourse.
bot G V^ S ;e/(?r, mettre. — s 0 pu boL fj^ \z vw£tin
d£ dvo 1 bja V. — £ z bol^ £ \oi\.e G. — £ for£ k
e l£ bote:s bx V. — bote le: di vot put$ S.
boko V bouquet.
b»rN G orrcL
bo:r S belle.
boro:$ S prune mirabelle, i tutje: d boro:^.
boro:$i S prunier.
bo^ô S bassin.
bô S bon.
le b5:jj^ V />iVjM.
b^ S bois.
b^:r S beurre.
£ bra G V «7 pleure.
bra:mà S joliment.
254 REVUE DE PHILOLOaiE FRANÇAISE
bra:je G bœuf tacheté.
\:)vy.:]z\ G vache tachette.
bràdvî V eau de vie.
bri:s V S branche.
bre S br£j V F A bre'.j G P berceau.
bros F bro$ S brox G V brosse.
brôiNi S poteau.
brujot S bruvat V brouette.
bu: F bois.
but, V. bot.
budî G V boudin.
bu:l V bulei G bouleau.
buno G boiinef.
burik G V bourrique, due.
bu$o G bouc.
buxô V buisson.
by S by: F bosuf.
hy.HÔ V faucon.
by:r G beurre.
bwà V F Z*o/i.
bwa:r S bwe:r V boire. — 55 bw£, 5e bw£vo G. i
bœva, no bœvà V. i bw£vo, no bwsvà F. 5s bwe,
5£ b\v£vo G. — i bw£ A. — j a by, i n a mi by V.
bwe C berceau.
bw£ G bo7i.
bw£n G V A F S bonne.
bw£ro:j F bonjour.
bwo:d V (bourde), mensonge.
bwo:$ V pétrin.
bwo:x V bourse.
bwon, bwô G bonne, bon.
bwox G bourse.
bzo:n P besogne.
cja V S clé.
cjsil G robinet.
cj£ G A F C clé.
cj(je:r S clore, fermer. — i cjoim 1 ux Y je ferme 'a
porte. — l£ pwo:t o cjo:s V. l£ pw£:c 0 cjo:s A.
— cj£U 1 œx G. cjo k pw£:c A.
NOTES SUR QUELQUES PATOIS VOSGIENS 255
cqe V tua.
dagiTgola V dégringoler.
darje G derrière.
dà V F denl.
dàt|5je V pissenlit.
de: P S des.
de: m P dame.
d£ G V de.
d£dà V dans, d-dans — £ j a da; trœd d£dà 1 ry.
d£dpy V davanlagc. — i vuro on £vw£ dzdpy.
d£d5yna S déjeuner (v.), faire le premier repa>i.
d£ft£:j S tablier.
d(£)Ha V dire. — komà k fo d£Ha. — £l i due k£
\vi. — « s 0 bje » k £l i dueir. — £ li dn^ G. —
£ fo k tœ m d£H^;s G. — à dnà V. »
d£HNœf G V 10.
dsifH) V 10. d£iii u:r.
d£iH^:t G V 18.
d£is£t F 17.
d£iS P d£ix G 10.
d£ixs£t G V 17.
d£i5^:t F 18.
d|;krœva:t, dekicevaiu P découvertes découvert.
d£kwo5£ G découvrir.
d£m F dame.
d£me:S G dommage.
d(£)n)£j V demi. — £11 d£m£j u:r. — £n u;r £ dm£j.
d;£)mura V d£mur£ G demeurer, rester. — £ n d£inu:r mi
tràkil.
d£$at S /^. ,
d£$avula V échevclé.
d£55:t P descendre.
d£txy V au-dessus. — î po d£txy t Ce no.
d£va]a V d£val£ G descendre.
dEvàta^o F avant-hier.
d£veza S deviner.
d(£)vo V F avec.
d£vol£ P descendre.
d(£)xy V sur. — ô \z]y. Ixy not ky.
256 REVUE DE PHILOLOGIE. FRANÇAISE
dezo V d£zo G sous.
d£5 S JO.
d£5N£:v F d£5Ny:f S J9.
d£5^:t S /^.
d£5noto "V déjeuner (n.), premier repas.
d£5nota V déjeuner (v.), faire le premier repas.
de5una V d£5y;ne F diner (v.), faire le repas de midi.
d£5yni G desyne P déjeuner (n.). premier repas.
d£5ynoLe F de3ynuta V déjeuner (v.).
d£3ynô P d£3Ù G V diner (n.), repas de midi.
di V du. — s 0 di bo. — s o l£ $mT di harjo.
di:l£ F aifisi, comme ça.
di:mw£d5 S dimanche.
di:na V di:n£ G ainsi, comme ça.
♦djomwÈ:^ G djomw£:5 V dimanche.
do A G P du. — s 0 do bo G.
do V do:j G doigt. — j a fro a: do V.
do: s G V F du;z S douze.
do G P dent.
dov£ S avec.
dœm£j P demi.
dœve;r G V ouvrir. — i dœvra l'ux V j'ouvre la porte.
— dœvre G ouvrez. — 1 œ$ o dœva;t P.
dro V droit, debout. — i n tapa mi dro. — i n s^
mi su d £d dro je ne suis pas fatigué d^être debout.
drœmi V S dormir. 5 drœm V F A G ô dRœm P
on dort.
du(z) G V S, dus ¥2— duz u:r s dm£j V.
dvàt£ s, dv£t£;j G tablier.
dwa V vers, du côté de.
à^evh S gerbe.
d5U S joug.
d3y;n S jeune. — d3y;n om garçon.
P. Passy, Neuilly sur Seine.
(a suivre.)
L'ÉVOLUTION PHONOGRÂPHIQUE DE VOl FRANÇAIS
(Suite et fin *)
A côté de rorthographo en ai, l'orthographe en e avait
en effet aussi ses partisans et faisait valoir ses droits à la
préférence. C'était un retour à l'ancienne écriture phoné-
tique des premiers monuments littéraires de la langue.
Meigret (1) n'écrivait pas fmuses, mais c'est parce qu'il
prononçait fmnçoês, et qu'il écrivait comme il pronon-
çait ; en revanche, il écnvàd iiecesseres et iamès. Pelle-
tier (2)'transcrivait aussi fmuçoese et représentait pare le
son que de son temps avait l'o/des imparfaits et des con-
ditionnels : // priet, il étudiel, f ailes, il diret. Ramus(H)
employait oe où il prononçait o^^ [avoer, avoe, loe, fransoes,
pourcoe, etc.) mais e tout simplement où l'on entendait le
son è : me [mais], i)le:<,ir, fet, trete, père, etc. Pasquier (4)
rejetait la prononciation et l'orthographe corrompues —
selon lui — par l'usage, et qu'il représentait par des mots
comme allét, tenét, venét, mais il montrait, en employant
cette transcription, quel était, à son avis, le système
graphique qui rendait le mieus ces sons corrompus.
Henri Estienne(5), pour constater aussi la mauvaise pro-
nonciation des gens de la Cour et des italianisés, était
* Voir ci-dessus pages 96 et 161.
(1) Louis Meigrkt : Traita touchant le coinuri csage de l'escriture
francoisc. Paris, 1545. — Le Trctte de la Grammaire J'raiiroc2e.
Paris, 1550.
(2) Jacquks Pklletirr, du Mans : Dialogue de l'ortogra/e e Pro-
nonciation Françoese, départi an deus Hures. Poitiers, 1550.
(3) PiiiunE Il.\Mus (de la Ramée) : Gramere. Paris, 1562.
(4) Etienne Pasquier : Lettres à M. Ramus, professeur du Roy en
la philosophie et les mathématiques (dans ses Œucres, Amster-
dam, 1723).
(5) Henri Estienne : Deuje dialogues du nouceau langage J'ranrois
italianisé et autrement desguizé, /)rincipalemcnt entre les courtisans
de ce temps. Genève, 1578.
Revue de i'iiilologie, v. 17
258 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
obligé d'écrire, tout en blâmant ces formes, /a//gs, frances,
f estes, je dises. Soit donc (comme nous l'avons vu pour
ai] pour la proposer et la pratiquer, soit pour la décrier
et la blâmer, l'écriture de l'ancien oi par e faisait aussi
son chemin et elle avait déjà eu tout ce développement
lorsque Joubert(r) vint l'arrêter en la remplaçant par ai.
La lutte s'engagea alors entre les deus nouveaus sys-
tèmes et l'orthographe traditionnelle. Tantôt ai avait le
dessus, tantôt e l'emportait, tantôt la tradition, profitant
des luttes et des hésitations des neographes, reprenait
ses droits qu'on paraissait vouloir méconnaître.
Théodore de Bèze (2) préférait la transcription par e
pour exprimer le son de e apertum que de son temps
avait oi, en écrivant, de même que Henri Estienne,
Angles, Frances, Ecosses, et aussi parlet, allet, venet.
Robert Poisson (3) ne toucha pas aus -oi, peut-être parce
qu'il ne les prononçait pas par è ouvert, mais il écrivait
nésésére, contrércjamés, mes, vrée, dixionére, etc. Etienne
Simon (4) qui prononçait encore -oi = oè, ne pouvait non
plus se servir ni de e ni de ai pour représenter sa pro-
nonciation; mais sa manière d'écrire parfait (parfeet),
affaire [afeere], solitaire isoliteere), etc., nous donne la
mesure de son système, dont nous devons tenir compte,
comme de tous les autres, quoiqu'il ne se rapporte pas
directement à -oi, pour mieus suivre les progrès que
faisaient les différentes formes de transcriptions propo-
sées. Jusqu'ici, on voit que la tentative de Joubert, si
bornée et restreinte qu'elle fût, n'avait guère eu de
suites, du moins parmi les grammairiens, qui ne s'écar-
(1) Laurent Joubert : Dialof/ue sur la cacograp/iio française.
Paris, 1579.
(2) Théodore de Bèze : De J'rancicœ linguœ recta pronuntiatione
tractatus. Paris, 1584.
(3) Robert Poisson : Alfabet nouceau de la crée et pure ortogra/e
fransoise et modèle sus iselui en forme de dixionére. Dédié au roi
de Franse et de Naearre, Henri IIII, par Robert Poisson equier
(Aucile) de Valonnes, en Normandie. Paris, 1609.
(4) Etienne Simon : La oraye et ancienne orthographe française
restaurée tellement que désormais l'on aprandra parfetement à lire
et à escrire et encor auec tant de facilité et breueté que ce sera en
moins de mois que l'on ne faisait d'années. Paris. 1609.
ÉVOLUTION DE l'oI FRANÇAIS 259
talent pas de la tradition, ou qui proposaient, pour
représenter le son de Ve ouvert, un e, soit sans accent
(détail qui n'a guère de signification ni de portée, eu
égard à ce que l'emploi des accents était alors tout
récent et ne s'était pas encore généralisé), soit muni
d'un accent grave ou aigu (détail qui ne mérite non plus
de nous arrêter, attendu le peu de fixité qu'il y avait
alors dans l'usage des accents, chacun les employant à
son gré'. C'est alors, quand on pouvait croire que l'or-
thographe ene aurait le dessus — ce dont nous devrions
nous féliciter, — que parurent, l'un après l'autre, les
ouvrages d'Oudin(l), Vaugelas ^2^, Chillet (3) et Port-
Royal (4), dont aucun, comme nous l'avons vu plus
haut, ne patronnait des modifications dans V-oi tra-
ditionnel, mais qui employaient tous néanmoins l'écri-
ture ai pour représenter le son donné à \'-oi, ce qui
équivalait à recommander ai à tous ceus qui ne voulaient
pas suivre la routine. L'affirmation si catégorique de
MM. de Port-Royal que « la plupart des auteurs écrivent
aujourd'hui connaître , paraître, français », nous donne la
mesure du terrain gagné en peu de temps par ai sur e et
sur oi.
Le Dictionnaire des Prétieuses (o), — nous l'avons vu, —
fait des concessions à tous les systèmes, peut-être, comme
nous l'avons indiqué, parce que la prononciation était
aussi incertaine que l'écriture : d'accord avec l'ortho-
graphe traditionnelle, on y trouve (je ne parle que des
mots réformés) étoit, coùtoit, méconnaissante; d'accord
avec les partisans de Vai, on y trouve conaît, gâtait ;
d'accord avec Poisson, reconnétre, rédeiir, frédeur, et
(1) Antoine Oudin : Grammaire françoiso rapportée au langage
du temps. Paris, 1633.
(2) Claude Faviuc de Vaugelas : Remarques sur la langue fran-
çoiso. Paris, 1647.
(3) Le P. Laurent Ciiiflet : Essai, d'une parfaite grammaire de
la langue française, etc. .\iivers, 1659.
(4) MM. DE Poht-Royal : Grammaire générale et raisonnée con-
tenant les fondement'^ do l'art de parler, etc. Paris, 1660.
(5) Antoine Bodeau de Somaize : Le grand Dictionnaire des
Prétieuses. Paris, 1661.
260 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
enfin, pour présenter des échantillons de toutes les néo-
graphies, parêt, parétre, forme nouvelle où l'accent cir-
conflexe était assurément destiné à représenter le son long
de la voyelle, par compensation de la perte de la diphton-
gue et de l's. C'était l'éclectisme graphique, s'il m'est
permis d'employer le mot.
La réforme, qui paraissait pencher du côté des ai,
revint sur ses pas, et la transformation des oi en e eut
encore une fois le dessus. De l'Esclache (I) remit en hon-
neur les é, « pansant, — comme il disait, — que l'ortôgrafe
doit être conforme à la parole » contre l'opinion de cens qui
« âsûrent qu'éle doit marquer l'origine des mos que nous
emploïons pour exprimer nos pansées ». Lartigaut (2),
avec un esprit aussi logique qu'éclairé, remplaça par ê
tous les ai, e, é et oi, quelle que fût leur orthographe
reçue, dont la prononciation était è ; il écrit fmncéx^e, fêl,
région, lêx>é, conèx:, pouvêt, conlrêres, sujet, règles, faudrét,
plêze, etc., et il faut reconnaître qu'il n'a pas tort de
vanter son zèle pour éviter les contradictions, lorsqu'il
assure que « je condane moi-même les fautes que je puis
» avoir lésé couler (ou l'imprimeur) contre les principes
» qu'il faut suivre ; et je puis dire sans vanité que je suis
y> le seul qui n'établis rien qui leur sèt opozé et qui ne
» me contredis pas ; qui et asurément le pluz grand
» point que l'on puise et que l'on doive garder, mes que
» persone n'a pu ancor observer sur ce sujet ». C'est
alors que Berain (3), cinq années après, publia son
ouvrage avec le peu de succès que nous avons eu l'occa-
sion de constater, et il faut sauter jusqu'à l'abbé Girard,
(1) Louis de l'Esclache : Le*' rùritables Régies de l'ortôgrafe
francésc, ou l'Art d'api-andre en pou de tains à écrire côrectemant.
Paris, 1668.
(2) Nicolas Lajitigaut : Les progrès de la réritable Ortografe,
ou l'ortôgrafe francôse fondée sur ses principes, confirmée par
démonstracions. Ouvrage particulier et nécésêr à toutes sortes de
jiersonnes qui veulent lire, prononcer ou écrire parfèteniant par
règles. P.aris, 1669. — Principes infaillibles et règles assurées de la
juste prononciation de la langue françoise. Paris, 1670.
(3) N. Berain : Nouvelles remarques sur la langue françoise.
Rouen, 1675.
ÉVOLUTION DE l'oI FRANÇAIS 261
en passant par-dessus Milleran, pour retrouver en hon-
neur l'orthographe en ai.
La publication du Dictionnaire de rAcadémie appro-
chait et les questions orthographiques étaient à tout
moment sur le tapis. On s'accordait à trouver mauvaise
l'écriture généralement pratiquée, mais le désaccord
éclatait aussitôt qu'il s'agissait de la rélormer; chacun
mettait en avant son opinion et voulait la faire triom-
pher. « Le principal, — disait Bossuet en donnant son
» avis, — est de se fonder en bons principes et de bien
» faire connoistre l'intention de la Compaignie, qu'elle ne
» peut soutîrir une fausse règle qu'on a uoulu introduire
» d'escrire comme on prononce, parce qu'en uoulant
» instruire les estrangers et leur faciliter la prononcia-
» tion de nostre langue, on la fait mesconnoistre aus
» François mesmes. Si on escriuoit tans, chan, cliani,
» émais ou émés, antcrreman, connaissais, faisaient, qui
» reconnoistroit ces mots (1)? » Il est vrai qu'il s'opposait
aussi aus prétentions des étymologistes, qui blessent les
yeus d'une autre sorte « en leur remettant en ueuë des
lettres dont ils sont desaccoutumez et que l'oreille n'a
jamais connues » ; mais il n'en est pas moins certain
que Bossuet, se posant comme l'ennemi du changement
de V-oi et comme le champion de l'usage reçu, laissa
sans défense dans l'Académie, où les étymologistes
étaient en majorité, les droits de la langue aus innova-
tions graphiques exigées par des changements phoné-
tiques autorisés par l'usage. Ce fut une occasion manquée
dont la langue a eu à subir les conséquences pendant des
siècles, et dont on constate encore les suites fâcheuses.
Entre l'ouvrage de Berain et celui de l'abbé Girard, il
faut placer les Doutes sur l'ortographe de M. Rodilard (-2),
partisan, mais seulement à demi, de l'emploi dese; les
Deux Grammaires fransaizes de M. Milleran (3), partisan
(1) Daus les Cahiers de remarques sur l'orthorjrap/ic française
pour le Dictionnaire de 1691. (Édition de Marty-Laveaux. Paris, 1863.)
(2) François Rodilard : Doutes stcr l'ortographe francese. Paris,
1693. — Il écrivait /'/•anccj, holandes, mais aussi /)a/'0^^r<?, cenoit.
(3) René Milleran, professeur des langues fransaize, aleraande et
anglaize ; Les deux grammaires fransaizes, l'ordinaire d'apresant
262 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
déclaré des ai ; la première édition du Dictionnaire de
l'Académie (1), qui venait consacrer la plupart des exa-
gérations des étymologistes et l'orthographe en oi, — cela
va sans dire, — et enfin le Projet (Vun Esei de granmére
francé:ie (2], dont l'orthographe faisait bien voir que si
l'Académie avait parlé, elle n'était pas obéie sans protes-
tations et que l'esprit d'innovation, fort des raisons où
il s'appuyait, ne renonçait nullement à faire valoir ses
droits devant le grand public. Je ne parle ni de Pierre
Corneille, ni de Choisy, ni de Dangeau, ni de Ménage, ni
de Régnier des Marais, ni de tant d'autres qui, quelque
mérite qu'ils aient acquis par leurs ouvrages, et quelles
qu'aient pu être leurs opinions en matière d'orthographe,
n'ont point parlé de notre sujet d'étude, mais ont respecté
et pratiqué, par conviction ou par habitude, ou par
quelque autre cause, l'écriture en oi. Nous n'avons rien
à faire ici de ces grammairiens si ce n'est de constater,
en passant, leur respect pour la tradition orthographique.
Mais venons à l'abbé Girard qui, au commencement du
xvin° siècle, arbora résolument l'étendard de la réforme
en prêtant son puissant concours aus partisans de la néo-
graphie en ai, dans son ouvrage L'ortografe française
sans équivoques (3). Il y donne les raisons les plus impor-
et la plus noucelle qu'on puise faire sans altérer ni changer les
mots par le moyen d'une nouvelle ortografe si juste et si facile
qu'on peut apranclre la bôté et la pureté de la prononciation en
moins de tans qu'il ne fat pour lire cet ourrage jjar la dij'erance
de caractères qui sont osi bien dans le cors dos réglas que dans
leurs exenples, ce qui est d'otant plus particulier qu'elles sont très
faciles et incontestables, la prononciation étant la partie la plus
esancielle de toutes les langues. Marseille, 1694.
(1) Dictionnaire de l'Académie. Paris, 1694.
(2) Projet d'un Esei de granmére francése de laqele on ôtc toutes
les létres inutiles, é où l'onflcsc la prononsiasion de celés qui sont
néceséres : par le moyen de qoi l'on aprendra le francéz plus faci-
lement é an moins de tans qo par l'ortografe ordinére. Genève, 1704.
(.3) Gabriel Girard : L'ortografe frccnçaise sans cquieoqucs et dans
ses principes naturels : ou l'art d'écrire notre langue selon lés loioe
de la raison et de l'usage, d'une manière aisée pour lés dames,
commode pour lés étrangers, instrurtice /)0ur lés procinciaujc, et
nécessaire pour exprimer et distinguer toutes lés dijférances de la
prononciation. Paris, 1716.
I
ÉVOLUTION DE l'oI FRANÇAIS 263
tantes alléguées par les deiis partis, celui de la raison, —
comme il les appelé, ~ et celui de l'usage, reporte ses
lecteurs quelques siècles plus tard, dans le temps où le
français ne vivra que dans les collèges, sauvé seulement
du complet oubli par la beauté des ouvrages de Des-
préaux, La Fontaine et Molière, comme le latin s'est sauvé
grâce aus beautés des ouvrages de Virgile, d'Horace et de
Plaute, et il s'écrie éloquemment : « Alors point de cour,
» point d'Académie, point d'oreille pour décider du bel
» usage : lés livres seuls présenteront aux yeux toute la
» pureté de la langue. Si nous n'écrivons pas aujourd'hui
y comme on parle, alors on parlera comme nous avons
» écrit ; on cherchera dans l'arrangement dés lettres
ù celui dés sons de la voix ; et ce sera dans l'ortografe
» qu'on étudiera la prononciation dés mots. Mais hélas !
» quelle horrible confusion ne me sàmble-t-il pas voir !
» Ne vous figurez-vous pas ce cahos affreux et ce boule-
» versement général du langage causé par ces lettres
» inutiles en mille endroits et nécessaires en mille
» autres, par ce protéisme continuel dés caractères, par
B ces ambiguïtés et ces équivoques perpétuelles dans le
» son et dans la valeur dés lettres? Car cete langue si
» belle, si noble et si polie dans la bouche, n'est plus sur
» le papier qu'un barbare langage, qui choque lés yeux
» et que l'oreille ne pourroit soufrir si la langue pronon-
» çoit tout ce que la plume a dessiné. » C'était bien
défendre la cause de la néographie ; Girard, d'accord
avec ces principes, écrivait français, anglais, hollandais,
paraître, connaître, mais par un reste de préjugé, il con-
servait Voi dans les imparfaits et dans les conditionnels
des verbes, en donnant pour cause ou pour excuse qu'« il
seroit plutôt témérité que couragedc vouloir l'en déloger».
Malheureusement pour le parti de la réforme, l'abbé
Girard déserta ses rangs en se rétractant solennellement
longtemps après, dans les Vrais principes de la lan/pie
françoise{i), de la profession de foi de sa jeunesse. A quoi
(1) Garriki- Girard : Les vrais principes de la langue française
ou la Parole, réduite en méthode, conformément aux lois de l'usage.
Paris, 1748.
264 REVUE DE PHILOLOGIE- FRANÇAISE
devons-nous attribuer cette réaction qui se fit dans les
esprits en arrêtant les progrès de l'innovation ? Aus pré-
jugés d'abord, très difficiles toujours et partout à déra-
ciner; puis à la diversité même des opinions émises et
des systèmes adoptés pour représenter le même son-
tantôt figuré par ai, suivant Joubert, Berain, Somaize et
Milleran, tantôt par e, d'accord avec Ramus et Rodilard,
soit par ee selon Simon, soit par é d'après Poisson et de
l'Esclache, ici par è suivant Meigret, et là par ê suivant
Lartigaut ; enfin et surtout à l'existence d'une autorité et
d'une règle : le Dictionnaire de l'Académie. Quoi qu'il en
soit, il nous faut constater cette rétrogradation, dont nous
trouvons aussi les traces, même dans les ouvrages de
Racine. Ce grand poète, en effet, dont on a toujours
reconnu et loué l'exquise correction et le goût éclairé,
avait écrit dans la première édition de son Andromaque,
en 1667 :
Lassé de ses trompeurs attraits
Au lieu de l'enlever, seigneur, je la fuirais.
Mais dans les éditions postérieures, depuis celle de 1673,
sept années après, le dernier vers se trouve changé;
pour désavouer l'orthographe et même la prononciation
auparavant adoptées, Racine écrit :
Lassé de ses trompeurs attraits
Au lieu de l'enlever, fuyez-la pour jamais (1).
Ce fait nous prouve, d'un côté l'étendue et la portée
de la nouvelle orthographe, qui prenait place même
dans les écrits les plus autorisés, et de l'autre l'oppo-
sition que l'on faisait à la réforme, opposition si puis-
sante et si persévérante qu'elle réussit à obtenir d'aussi
éclatantes rétractations. Si nous rapprochons d'ailleurs
ce fait des remanjues de Vaugelas sur la prononciation
ù'aveine et de la rectification de Patru à la prononciation
donnée par Vaugelas pour les -oi des adjectifs de natio-
(1) Jkan Racink ; Andromaque, acte 111, scène I. Voyez sur celte
question Girault-Duvivicr et Landais.
ÉVOLUTION DE l'oi FRANÇAIS 265
nalité (1), il faudrait convenir que la modification du
vers de Racine n'était pas seulement un tribut payé aus
préjugés graphiques, mais aussi une rectification de sa
prononciation première.
On ne peut nier l'abandon, ou du moins le ralentisse-
ment de la réforme des oi dans le domaine de la littéra-
ture didactique et grammaticale, après la publication du
Dictionnaire de l'Académie ; l'abbé de Saint-Pierre (2)
lui-même — qui, en constatant la différence de pronon-
ciation entre le verbe courois et le substantif convoyé,
(différence qui n'existait pas auparavant, parce qu'il avait
entendu des vieillards les prononcer de la même manière
l'un que l'autre^, reconnaît que, puisque la prononciation
a changé, il serait raisonnable de changer aussi l'écri-
ture, — n'ose pourtant pas pratiquer ce changement, et
il écrit partout françom, avoit, pcwoître, etc On se trom-
perait beaucoup toutefois si on jugeait de l'état de l'opi-
nion et de l'attitude du public par les écrits des gram-
mairiens seulement. La preuve que le public était d'autre
avis, nous la trouvons dans la chaleur même que les
adversaires de la néographie mettent dans leurs discours :
l'illustre d'Olivet, le continuateur de Vllistoire de l'Aca-
démie de Pellisson, adressa aus réformateurs l'apostrophe
suivante, d'autant plus remarquable qu'elle vient d'un
savant qui travaillait, d'accord avec l'Académie et pour
la troisième édition de son dictionnaire, « à ôter toutes
les superfluités qui pourroient être retranchées sans
consé((uence » de l'orthographe, non sans avertir qu'en
cela « le public étoit allé plus vite et plus loin qu'elle (3) ».
« Pourquoi, — s'écriait d'Olivet, — pourquoi touchons-
» nous à notre orthographe? Belle demande! Nous le
» faisons, dit-on, pour faciliter la lecture de nos livres
') aux étrangers. Comme si les voyelles portoient tou-
» jours à l'oreille d'un Anglois, d'un Polonois le même
» son qu'elles portent à la mienne ! Qui ne sait que les
(1) Voyez plus haut, page 168.
(2) CiiARLES-IiŒNicK Castkl, abbé de Saint-Pierre : Di.-^cours
pour perfectionner l'ortografc, 1724. (Dans les Mémoires de Trévoux.)
(3) L'Abbé d'Olivet : Histoire de V Académie française. Faris, 1729.
266 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
» savants des nations différentes, s'ils veulent se parler
» en latin, ont peine à s'entendre ou même ne s'en-
» tendent point du tout, quoique l'orthographe soit
» précisément et invariablement la même pour toutes les
» nations? Plusieurs de nos jeunes auteurs se plaisent,
» depuis quelque temps, à écrire ils chantaient, je clian-
» tais, et il n'est pas difficile d'en deviner la raison :
» Ainsi les courtisans d'Alexandre se croyaient parvenus
» à être des héros lorsque, à l'exemple de leur maître,
» ils penchoient la tête d'un côté (1). »
Des raisonnements si vifs et si chaudement exprimés
ne pouvaient manquer de frapper les esprits en les
détournant des nouveautés. Mais on avait beau fou-
droyer la néographie par des raisons et des invectives,
la néographie taisait son chemin comme la néophonie
avait fait le sien, malgré tous les raisonnements et toutes
les philippiques ; c'est qu'elle répondait au besoin d'ac-
corder le langage avec l'écriture, besoin toujours senti,
et dont les réformes partielles de l'Académie ne faisaient
que raviver la force et montrer la raison.
Le flot de la contre-réforme montait cependant toujours
et menaçait de tout engloutir; on discutait d'abord s'il
vaudrait mieus changer oi en ai ou en è ; plus tard on
ne voulut point de changement. Du Marsais, en 1730,
proclamait (^2) que « l'écriture n'a été inventée que pour
» indiquer la prononciation ; qu'elle n'a pu peindre la
» parole, qui est son original ; elle ne doit pas en doubler
» les traits, ni lui en donner ceux qu'elle n'a pas, ni
» s'obstiner à la peindre à présent telle qu'elle était il y
» a plusieurs siècles » ; il disait après cela que « si l'on
» vouloit une réforme, il falloit plutôt la prendre des
(1) L'abbé d'Omvet : Retnai-qucs sur Racine. 11 donne pour motifs
de la conservation de l'orthographe reçue que «'', ainsi que oi, a
plusieurs sons différents. Dans une lettre au président Bouhier
(1" janvier 1736), il déclare « qu'il y a six mois que l'on délibère sur
l'orthographe » dans l'Académie ; et que toutes ces délibérations
« n'ont servi qu'à faire voir qu'il étoit impossible que rien de systé-
raaticiue partit d'une compagnie ».
(2) CiisAR DU Marsais : Des tropes, ou des différcns sens dans les-
quels on peut prendre un même moi dans une même langue. Paris, 1730.
i
EVOLUTION DK L OI FRANÇAIS
267
» mois accès, procès, succès, très, après, dès, que de se
» régler sur palais et un petit nombre de mots pareils
» que l'on écrit par ai à cause de l'étimologie palatium,
» et parce que telle étoit la prononciation de nos pères;
» autrement c'est réformer un abus par un plus grand »;
après quoi il s'en tenait aus oi dans la pratique, ce qui
n'était pas très logique. Le renommé critique M. Duclos (1)
remarque aussi vers 1756 que, de ses jours, Cliarolois est
devenu Charolès, liarnois a fait liâmes ; en reconnaissant
ces changements dans la prononciation, il ne veut pour-
tant pas changer l'orthographe, et il explique cette con-
tradiction par f< l'instabilité naturelle de la prononciation,
et l'impression durable que fait l'écriture sur les imagi-
nations » ; « je n'ai pas cru, — dit-il aussi, — devoir
» toucher aux fausses combinaisons de voyèles tôles que
» les ai, ei, oi, etc., pour ne pas efaroucher les ieux ; je
» n'ai donc pas écrit conêtre au lieu de comioître, francès
» au lieu de français, jamès au lieu de jamais, frèn au lieu
» de frein, pêne au lieu de pci)ie, ce qui seroit pourtant
» plus naturel ». Voilà où nous en étions de logique et
de conséquence. C'est pourquoi on lit avec plaisir le
Précepteur (2), quoiqu'il n'ose toucher qu'aus adjectifs
de nationalité, et surtout les ouvrages d'un académicien
comme de Wailly (3) qui n'hésite pas à renier les préjugés
et à pratiquer ouvertement les principes qu'il soutient,
quoique non dans toute leur étendue. Il demande, par la
bouche des dames, une réforme à l'Académie, et il dit,
parmi d'autres choses, aus membres de la Compagnie :
« Vous ririez si vous nous entendiez prononcer oi l'An-
» {/lois, le François, le Polonois, je paroissois, qu'il
(1) Charles Pinaud-Duclos : Remarques à la çjrammaire de
Port-Royal. Paris, 1756.
(2) Le Précepteur, c'est-à-dire huit traités, sacoir une grammaire
francése, une ortografe francèse, etc. Paris, 1750. Sans nom d'auteur.
(3) Noël-François Wailly : Principes généraux et particuliers
de la langue française, acèc les moyens de simplifier notre ortho-
graphe, des remarques sur les lètres, la prononciation, la prosodie,
la ponctuation, l'orthographe et un abrégé de la ce rsificat ion fran-
çaise. Paris, 1754. — De l'orthographe. Paris, 1771. — L'orthographe
des dames fondée sur la bonne prononciation. Paris, 1782.
268 REVUE DE PHILOLOGIE -FRANÇAISE
» paroisse, etc., comme ces lettres se prononçaient autre-
fois, et comme elles se prononcent encore aujourd'hui
dans le Danois, Saint-Fmiiçois, la paroisse, etc. Pour-
quoi cela? C'est que les lois de l'usage pour la pronon-
ciation sont à notre portée. Il n'en est pas de même
dans l'orthographe actuelle. Voilà pourquoi nous vous
en demandons la réforme. Ne demanderiez-vous pas
à un législateur la réforme de ses lois s'il vous étoit
moralement impossible de les suivre? Qui pourroit en
ce cas iDlàmer votre demande ? Qui oseroit la traiter de
ridicule? Il est sans contredit louable en fait d'ortho-
graphe, comme en autre chose, de quitter une mau-
vaise habitude pour en contracter une bonne. Un
usage qui n'est pas à la portée du plus grand nombre
de ceux qui doivent l'observer est contraire à la rai-
son. C'est une erreur, un abus qui doit être corrigé
avec empressement. L'erreur, quelque invétérée qu'elle
soit, demeure toujours erreur : la multitude de ses
sectateurs ne sauroit lui donner le glorieux titre de la
vérité. » Wailly cependant, lui aussi, malgré ces rai-
sons aussi nettement conçues que clairement exprimées,
écrivait fèt, èder, mes, rêson, jamés, francês, conêsanse,
panUra, mais à côté de seroit, étoit. L'auteur du supplé-
ment de la grammaire de Wailly (1) emploie ai au lieu
de ê, comme dans français, etc. Demandre (2) aussi, pre-
nant position contre les néographes, leur faisait quelques
concessions comme celle de Portugais par exemple. « Lors-
» que dans les finales des verbes, — disait-il, — il y a le
» son d'é ouvert, on l'écrit toujours par oi; plusieurs
» noms terminés par le même son et surtout des noms
» de peuples, s'écrivent aussi par ois, comme François,
» Anglais, Polonais, etc., Portugais s'écrit par ai.» — « PIu-
« sieui's écrivains célèbres, — ajoutait-il, — trouvent
» cette i)ratiquc si vicieuse qu'ils ne se font point scru-
" pule de l'abandonner; ils écrlxeni f aimais, j'aimerais,
(1) De l'ofthor/ra/ihe ou des moyens simples et raiso?inés de dimi-
nuer les imperfections de notre orthographe, etc. Paris, 1771.
(2) Jean-Baptistiî Demandre : Dictionnaire de l'élocution fran-
çoise. Paris, 1763.
ÉVOLUTION DE l'oI FRANÇAIS 269
') il aimait, ils aimeraient. Français, Ançilais, Polonais,
» etc. ; d'autres Francès, Angles, etc. Ils disent qu'autre-
» fois on écrivoit ces mots par o, parce que l'on prononçait
» ces oi durs, comme on le fait encore dans Suédois,
') qu'on prononce à peu près Suédouais, mais que la pro-
» nonciation ayant change, la façon d'écrire doit changer
» aussi, puisque celle-ci est et doit être toujours soumise
» à celle-là, et que, dès qu'on ne dit plus fainiouais, les
" Anglouais, les Françouais, on ne doit plus écrire fai-
» mois, Anglais, François. » M. de G***, collaborateur du
Journal de Paris, emploie aussi le système blâmé par
Demandre en écrivant, en 178 1 , français, voulait, serait, etc.
C'était, pour celui-ci comme pour tant d'autres, l'effet
de l'exemple retentissant de Voltaire, l'Alexandre dont
l'abbé d'Olivet parlait.
Le groupe si nombreus et si autorisé des contre-réfor-
mistes se vit encore renforcé par l'appui de Beauzée (l),
le savant académicien, rédacteur des articles de gram-
maire de V Encyclopédie méthodique Beauzée mit ses
talents au service de l'orthographe traditionnelle, et
rejeta d'abord toute modification en déclarant que si
l'orthographe est moins sujette que la voix à subir des
changements de forme, elle devient par là môme dépo-
sitaire et témoin de l'ancienne prononciation des mots,
et qu'elle conserve les traces de la génération d'une
langue, et rent un hommage durable aus langues mèreS
({ue la prononciation semble désavouer en les tiéfigurant.
Les convictions étymologiques de Beauzée furent néan-
moins plus tard tout à fait ébranlées, et en dehors de
l'écriture des oi qu'il conserva partout suivant l'ancien
usage, il prit la défense du néographisme, en montrant
l'inanité des arguments qu'on opposait à ses partisans.
« Ces changements, — dit-il en exposant ces arguments,
') — en produiroient d'autres. Oui, j'en conviens; l'art
» de lire, réduit à un nombre déterminé d'éléments pré-
» cis, seroit mis par sa facilité à la portée des plus stu-
>^ pides et s'apprendroit en piîii de temps; l'orthographe
(1) Nicolas Beauzék : Articles Oi-tliorjraijke el Nùoyrajjhiaine de
V Encyclopédie méthodique. Paris, 1789.
270 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
» simplifiée et réduite à des principes clairs et généraux,
» n'embarasseroit plus que ceux qui ne voudroient pas
» s'en occuper quelques semaines. Oh ! voilà, je l'avoue,
» d'affreux bouleversements ! — On perdroit toutes les
» étymologies. Oui, on perdroit les traces incommodes
» des étymologies; mais les savants, que cet objet regarde
» uniquement, sauroicnt les retrouver. La langue appar-
» tient à la nation ; la multitude n'a nul besoin de remon-
» ter aux étymologies, qui sont même perdues pour elle,
» malgré les caractères étymologiques dont on l'embar-
» rasse dans les livres destinés à leur instruction. — Mais
» passons à ce qui choque réellement le plus les défen-
» seurs de l'ancienne orthographe : c'est qu'ils seroient
» réduits à se placer avec les enfants pour aprendre à
» lire et à écrire, et qu'il leur faudroit changer de tête et
» d'ieux. Eh ! messieurs, n'en changez pas ; gardez votre
» ancienne orthographe, puisqu'elle vous plait ; mais
» permettez aux générations suivantes d'en adopter une
» autre qui leur coûtera moins que la votre ne vous a
» coûté, qui leur sera plus utile, qui servira, au contraire
» de ce que vous dites, à fixer notre langue, à la répandre,
* à la faire adopter pour les étrangers. »
On voit par toutes ces citations que, dans le terrain
cultivé par les gens de lettres, le remplacement des oi,
même de la part de ceus qui étaient le plus convaincus de
son utilité, ne promettait guère de réussir Déjà en 1769,
un siècle après MM. de Port-Royal, qui avaient déclaré
que la plupart des auteurs écrivaient connaître, paraître,
français, Demandre (1) avouait que le plus grand usage
de son temps était contraire au remplacement des -oi par
-ai ou par -è, lorsque Voltaire se mit hardiment du côté
des vaincus, sans respect pour les imposantes autorités
qui voulaient le maintien du statu quo, et proclama sans
hésitation la révolution orthographique en arborant son
étendard et mettant partout ses principes en pratique, en
procurant à la réforme des -oi, comme dit Rossmann (:2),
(1) Jean-Rai'tistk Dkmandiie : Dictionnairp de l'élocutioti J'ran-
çoise. Paris, 1769.
(2) Rossmann : Frnn:-ôsii'c/u:'< oi. Eiiiingeii, 1882.
ÉVOLUTION DE l'oI FRANÇAIS 271
la propagande universelle. L'Académie entendit ses
raisons , mais elle se prononça , sans craindre les
railleries du puissant écrivain, pour la conservation et
le maintien des -oi; d'Alembert même, consulté par Vol-
taire, en 1770, n'osa non plus lui donner une réponse
favorable, eu égard, — disait-il, — à ce que français écrit
par ai, ne représente pas mieus la prononciation que
frauçois écrit par oi, et qu'alors cet emploi de ai, au lieu
de oi, est un autre abus (1). Malgré tout, Voltaire persé-
véra dans son opinion, proclama la réforme, et enjoignant
l'exemple à ses prédications, contrairement à ce qu'on
avait jusqu'alors généralement pratiqué, il lit usage des
-ai dans tous ses ouvrages, et séduisit, par l'autoi'ité de
son nom et l'etïicacité de son exemple, plusieurs esprits,
comparés plaisamment par leurs railleurs adversaires,
comme nous l'avons vu ci-dessus (2), aus courtisans
d'Alexandre qui se croyaient des héros lors(iue, à l'exem-
ple de leur maître, ils penchaient la tète d'un côté, com-
paraison qui, certes, ne manquait pas toujours de vérité.
La réforme orthographique dont il s'agit, qui avait
déjà été adoptée depuis un demi-siècle par les impri-
meurs de Hollande et d'Allemagne, reprit alors, en France
aussi, son premier essor. S'il nous fallait croire Girault-
Duvivier (3), elle serait tombée cei)endant dans un oubli
général après la mort de Voltaire. Mais nous ne pouvons
pas ne pas contester cette attirmation, parce que toute
l'histoire de la réforme que nous étudions nous montre
l'impossibilité de cet oubli, invraisemblable alors plus
que jamais, puisque les ouvrages de Voltaire jouissaient
de la plus grande faveur et étaient entre les mains de tout
le monde; il faut d'ailleurs remai'qiier que la réforme
indiquée était après tout mie solution, bonne ou mauvaise,
mais solution enliii du |)i'oblème orthoi^rapliique (ju'on
avait toujours en vue, et (|ue toutes les fois (pi'on lâchait
(1) Lettre du 11 mars 1770 de o'Ai.KMniiRT k Voltaiuk.
(2) L'abbé d'Oi.ivkt: Histoire do V Académie française, l^aris, 1729.
Voyez plus haut, page 266.
(3) Cii.\iii,i:s-PiKRHE GiiiAULT-DuviviHR : Grammaire des gram-
maires ou Analyse raisonnée des meilleurs travaux sur la langue
françoise. Paris, 1811.
272 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
de résoudre ce problème (et c'était à toute heure) on ne
pouvait oublier, pour les adopter ou pour les rejeter sui-
vant l'avis de chacun, les solutions proposées. En outre
de ces considérations a priori, nous avons des preuves
tout à fait concluantes de Tin interruption de la tradition
réformatrice et du mouvement néographique après la
mort de Voltaire (30 mai illS), dans le Journal de Paris de
1781 où M. de G*** se plaint du « barbarisme le plus bizarre
et le plus énorme qui subsiste encore dans la peinture de
quelques mots de notre langue, particulièrement l'emploi
de l'o que l'on conserve au lieu de l'a dans foiblesse, con-
noistre, françois, etc. (1) » ; dans les premiers travaus de
Domergue, qui remontent à 1778, Tannée même de la
mort de Voltaire, et où il emploie ai (2), quoique non
systématiquement; et dans Bouilliette,qui fait aussi usage
des ai (3). sans parler des auteurs, grammairiens ou
autres, qui se sont occupés des questions néographiques
quelques années plus tard.
Ce qui est vrai, c'est que le développement des événe-
ments politiques attira les esprits d'un autre côté et que
la grande révolution politique, sociale et religieuse qui
éclata alors ne laissa pas de loisir pour se préoccuper de la
petite révolution grammaticale; elle fut reléguée à un plan
si éloigné qu'il n'est pas étonnant qu'elle ait passé tout à
fait inaperçue Elle ne s'en fit pas moins, et on signale la
date du 1"' novembre 1790 comme celle où le change-
ment des -oi en -ai eut lieu dans le Moniteur, pas vrai-
ment décisif dans le chemin du succès de la réforme.
L'auteur du changement portait un nom aussi inconnu
en littérature et en grammaire que celui du maître de
postes à Sainte-Ménéhould, Drouet, l'était en politique;
il s'appelait Colas, et il était prote à l'imprimerie du
Moniteur ; c'était le temps des hommes d'action, et l'in-
(1) A. F. DinoT : Obsercatlons sur l'ortliographc ou l'ortorjrafie
française. Paris, 1868.
(2) Urbain Domergue : Grammaire f rançalsc simpUJlée. Paris, 1778.
— Journal de la langue française. Paris, 1868.
(3) BouiLLiiîTTE : Traité des sons de la langue française et des
caractères qui les représentent. Paris, 1788. (Cité par Didot ; je n'ai
pas pu me procurer cet ouvrage.)
ÉVOLUTION DE L'OI FRANÇAIS 273
connu Colas, en introduisant ce changement, fit plus
pour la ncographic que les prédications des Girard et
des Wailly n'avaient fait, de mémo que l'intervention
de Drouet, en arrêtant Louis XVI à Varennes, fit plus
pour le succès de la Révolution que n'avaient fait les
écrits de Rousseau et de Montesquieu.
Lorsque le calme revint, relativement, aus esprits,
les discussions recommencèrent de plus belle, quoique
le thème fût épuisé depuis bien longtemps. En 1801,
Lévizac(l) reproduisait les raisons de Du Marsais contre
l'emploi de ïai et jugeait préférable, dans les mots où
oi avait le son d'une voyelle {2), de le remplacer par ê,
tout en respectant l'autorité de l'Académie « seul juge
compétent de cette matière ». Roinvilliers (3), une année
après, se place du côté de l'orthographe dite de Voltaire;
r)omergue(4) était de l'avis de Lévizac, et dans l'alphabet
de son invention (o), il remplaçait l'ancien oi, suivant
(1) Jean-Pont-Victor Lecoutz, abbé de Lévizac : L'az-t de parler
et d'écrire correctement la langue française ou Grammaire pkilo-
fojihique et littéraire de cette langue. Paris, 1801.
(2) Voici les cas, selon Lévizac, où la graphie oi avait de son temps
le son de c : « Oi est voyelle, — disait-il, — ayant le son de l'è
» ouvert : 1" Dans les imparfaits et les conditionnels des verbes :
» je disois, je dirais ; 2" dans les verbes en oitre qui ont plus de
» deux syllabes : paraître, disparaître; 3" dans /oiVv^c et ses dérivés,
» dans roide, dans monnaie et ses dérivés, dans harnais et C/iaro-
» lois ; 4" dans les noms de nations dont on parle beaucoup. »
(3) Jean-Forestier Boinvilliers-Desjardins : Grammaire rai-
sonnée ou cours tliéorique et pratique de la langue française.
Paris, 1802.
(4) UiiMAiN DoMEiKiUE : G/'ammaifc française simplifiée (2' édit.).
Paris, 1792. « Oi est mal, — dit-il, — parce que c'est un signe trom-
» peur ; mais ai l'est également, puisqu'on le prononce d'une manière
» dans es.'^ai, délai, et d'une autre manière dans bienfaisant, j'aimai,
» j'aimerai, etc. Or, dans les réformes on ne doit remplacer un abus
» par un abus. De la combinaison de Va ou de l'o avec l't, ne peut
» résulter un é ; une voi.^ simple ne doit s'e.xprimer que par un carac-
» tère simple. » Il inventa à cet effet des caractères spéciaus dont il lit
usage dans la Prononciation françoise.
(5) Urbain Domi:r(;ue : La prononciation française, déterminée
par des signes invariables, arec application à divers morceaux, on
prose et en vers, contenant tout ce qu'il faut saooir pour lire aoec
correction et avec goût; suicie de notions orthographiques et de la
nomenclature des mots à dijjicultés. Paris, l'an V (1797).
Kevuk de i'iiii.oi.O(iii;, V. 18
274 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
les cas, soit par e moyen, soit par e grave, figuré le pre-
mier par un e ordinaire et le second par un e avec une
petite virgule à gauche. Girault-Diivivier (1) se déclarait
contre les innovateurs, et Maugard (±), en 1812, regardait
la réforme du même œil que d'Olivet, et se plaisait à
répéter la chaude philippique du savant auteur des
Heinarques sur liacinc contre les néograplies
Tout était déjà inutile : Destutt de Tracy (3), Vohiey (4),
Bulet (5), Fortia d'Urbain (6), et beaucoup d'autres avaient
pi'aliqué la réforme, et l'écriture ai Tavait tellement
emporté, malgré toutes les contrariétés, que lorsque
Laveaux écriv'it, en 1823 (7), son Dictionnaire, en même
temps qu'il blâmait la nouveauté graiihique en pro])osant
de remplacer Voi par c, il n'osait marcher hardiment
contre le courant, et il écrivit comme tout le monde,
français et non français ni francès, /allais et non f allais
ni faites, tout de même que Marie (8), Vanier (9) ou
Faure(lO), qui étaient des néographes. L'an 1835, l'Aca-
(1) CHAR.LES-FiEnp.,E GiRAULT-DuviviER : Grammaire des gram-
maires, ou Analyse /■aisonnée des meilleurs tracaux sur la langue
françoise. Paris, 1811.
(2) M.\UGARD : Cours de langue françoise et de langue latine
comparées. Paris, 1812.
(3) Destutt de Tracy : Éléments d'Idéologie : Grammai/-c. Paris,
'an XI (1803).
(4) VoLNEY : L'aljdbet européen ajipliqué aux langues asiatiques,
oucrage élémentaire utile à tout coyageur en Asie. Paris, 1821.
(5) P. R. Fr. Butet : Mémoire historique et critique dans lequel
l's se plaint des irrujdions orthographiques de l'x, qui l'a sup-
plantée dans plusieurs cas, sans aucune autorisation ni étymolo-
gique, ni analogique ; à Messieurs les Membres de l'Académie fran-
çaise et de celle des Inscriptions et Belles-Lettres. Paris, 1821.
(6) Fortia d'Urbain : Nouceau système de Bibliographie alpha-
bétique. Pans, 1822.
(7) Jkan-Ciiarles L.wkau.x .• Dictionnaire des difficultés de la
langue française. Paris, 1823.
(8) Marle : Journal de la langue française, didactique et litté-
raire. Paris (1827-1829).
(9) V.-A. Vanier : La réforme orthographique aux prises arec le
peuple, ou le pour et le contre. Paris, 1829.
(10) L. Faure : Essai sur la composition d'un noucel aljihabet
pour seroir à représenter les sons de la coix humaine aeec plus de
fidélité que par tous les alphabets connus. Paris, 1831.
EVOLUTION m-; LOI FRANÇAIS 2/.^
demie elle-même, fidèle à ses traditions, autorisa la
réforme orthographique en l'employant dans la sisième
édition de son Dictionnaire. Elle avait écrit sur sa ban-
nière, presque dès sa fondation : « Mon désir n'est pas
» de réformer nostre langue, ny d'abolir des mots, ny
» d'en faire, mais seulement de monstrer le bon vsage de
» ceux qui sont faicts, et s'il est douteux ou inconnu, de
» l'esclaircir et de le faire connolstre ; je ne fais que
') rapporter ce que j'ai vu et oiii ». Ce n'était que la pré-
face de Vaugelas; mais l'Académie, en la répétant, élevait
les propositions de cette préface au rang des règles de sa
conduite, à la hauteur de véritables lois linguistiques.
C'est donc à tort que l'on a reproché et que l'on reproche
encore à l'Académie d'être arriérée, et de ne pas marcher
en avant dans. le chemin des innovations raisonnables;
ce n'est pas, ni ce n'a jamais été sa mission (1) ; elle ne
pouvait que constater les faits et prêter l'autorité de son
témoignage aus changements introduits par l'usage, bons
ou mauvais, tels qu'ils étaient. Le temps était venu de
témoigner que l'usage voulait plutôt de l'orthographe en
ai que de celle en oi, et l'Académie le constatait, en en
prenant loyalement acte dans son Dictionnaire ; rien de
plus.
Ce ne fut pourtant pas sans contradiction : « il y eut, —
» dit l'académicien Sainte-Beuve (2), — des protestations
» individuelles remarquables. Charles Nodier par inimitié
» contre Voltaire d'abord, par l'effet d'un retour ullra-
» romantique vers le passé, par plusieurs raisons ou
» fantaisies rétrospectives, continua de maintenir et de
» pratiquer l'o. Lamennais aussi, radical sur tant de
» points, était rétrograde et réactiomiaire sur Yo ; il
» affectait de le maintenir; Chateaubriand de môme;
» c'était un coin de cocarde, un lien de plus avec le
» passé ». Comment faire;* Tout le monde n'est pas tenu
(1) Voyez dans La iioacèlc ortof/raf'c de Paris (1889) mon avis sur
la qucsUon actuelle de la réforme graphique et sur le rôle qu'y doit
jouer l'Académie.
(2) CiiAiiLKS-AutiUSTE Saintk-Bkuvi'; : Article inséré dans le Moni-
teur du 2 mars 1868.
276 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
d'être d'accord avec son voisin, et il faut qu'il y ait tou-
jours des mécontents. La réforme n'en triompha pas
moins : la révolution néographique des -oi, proposée en
1578 par Joubert, aboutissait donc, près de trois siècles
plus tard, après de longues et pénibles luttes où tous les
esprits éclairés prirent part. Ceci doit nous apprendre,
d'un côté que nous ne devons jamais nous laisser
emporter par l'impatience au découragement, et d'un
autre que nous ne devons nullement demander à l'Aca-
démie ce qu'elle n'a pas ni ne peut avoir, de l'initiative,
de l'enthousiasme pour les réformes, quelque raison-
nables qu'elles soient. C'est à nous, les partisans des
progrès de l'enseignement et de l'éducation, de travailler
sans relâche à la propagande des principes phonétiques,
de les faire accepter partout, et d'établir l'usage des
innovations ; alors, et seulement alors, viendra le tour
de l'Académie pour constater cet usage et pour le sanc-
tionner en le revêtant de son autorité.
Combien de temps s'écoulera-t-il jusqu'à ce que la
combinaison ai soit remplacée par une autre repré-
sentation graphique plus conforme à la prononciation ?
Ce sera alors le cas de reprendre l'histoire des tentatives
qui ont échoué jusqu'à présent, et de voir, — en laissant
de côté les projets néographiques ultra-réformistes, trop
hardis et presque impraticables, à la manière de ceus de
Domergue, — laquelle des quatre tendances qui se sont
présentées remportera, ou celle de ïe de l'ancien français
de Pelletier, Ramus, Estienne, Bèze et Rodilard (1), ou
celle de \'é à accent aigu de l^asquier. Poisson et de TEs-
clache, ou celle de ïê à accent circonflexe des Prétieuses,
Lartigaut, Wailly et Féline (2), ou celle de ïè à accent
grave de Meigret, Du Marsais, Duclos, Lévizac, Domer-
(1) Nous voulons parler, non seulement des auteurs de réformes,
mais aussi de ceus qui ont employé un procédé quelconque pour
rendre la prononciation et constater les faits phonétiques de leur
temps, même lorsque d'ailleurs ils ont pratiqué l'orthographe tradi-
tionnelle.
(2) Adrien Fiii.iNii : Mémoire sur la réforme de l'alphabet à
l'cœemple de celle des poids et mesures. Paris, 1848. — Méthode pour
apprendre à lire par le si/stèntc plionétiipic. Paris, 1854.
KXOLUIK^N I)K l'oi FRANÇAIS 577
gue, Lavcaux, Marie, Henricy (1) et Raoux (2), ou quel-
que autre caractère enfin, comme l's grec employé par
y Association plionéUque de Paris (3), quoique nous ne
croyons pas probable que l'écriture ordinaire et courante
s'écarte jamais des signes qui lui sont habituels et adopte
des caractères étrangers. Lorsque je me rappelé que
Ve de l'ancien français, Ve ouvert dont parlait Bèze, est
aujourd'hui représenté par un è a accent grave ; lorsque
je vois que presque tous les phonétistes modernes se
sont déclarés pour l'adoption de cet è, je crois pouvoir
compter que cette réforme du moins ne tardera pas à
entrer dans le courant de l'usage et que l'Académie s'em-
pressera de l'autoriser ; je fais tous mes vœus pour que
les efforts des innovateurs soient bientôt couronnés du
succès qu'ils méritent.
D^ Fernando ARAUJO,
Professeur à Tolède.
Salamanca (Espagne).
(1) Casimih HiîNRicv : La tribune des Uiir/uistes. Paris, 1850. —
Gfamèro fransèse d'apr-ès la ré/orme ortor/rafiqc. Paris, 1864.
(2) Edouard Raoux : Orthof/raphe rationnelle ou écriture phoné-
tique, moyen d'universaliser rapidement la lecture, l'écriture, la
bonne prononciation et l'orthographe, et de réduire considérable-
ment lo prix des journaux et des livres. Lausanne, 1865. — Supplé-
ment à l'orthographe rationnelle ou réforme graphique sans nou-
veaux signes. Lausanne, 1866.
(3) Voyez l'organe de la Société Le maître phonétique. Paris. —
Voyez aussi Paui- Pas.sy : Les sons du fransais. Paris, 1889 (2" édition).
L'IMPARFAIT OU PASSÉ DP:SCRIPTIF EN FRANÇAIS
pcar
J. BASTIN
Professeur 'à Saint-Pétersbourg
1) Uimparfait est, relativement parlant, identique
aupj'êsent de rindicatif. Les grammairiens l'appèlent
le présent clans le passé (pnesens in prœterito). En
d'autres termes équivalents, V imparfait est un présent
relatif:
Que faisiez-vous hiei' lorsque midi sonnait? Je déjeunais.
Nous soupions lorsqu'il arriva. Nous dormions encore qu'il
était déjà parti depuis longtemps. — Pourquoi «-t-il dormi
pendant que je travaillais (pendant que j'ai travaillé)? Il
écrivait déjà sa lettre avant que vous cussic.^- pensé à écrire la
vôtre.
2) Uirnparfait raconte les actions (pii avaient déjà
commencé depuis un certain temps à un moment dé-
signé du passé (ou qui est dans la pensée), qui con-
tinuaient encore à ce moment, et ont pu se prolonger plus
tard (1). L'action qui survient pendant (|u'une autre
était en train de se faire se meta un autre temps passé:
Nous dînions, lorsqu'il arriva, lorsqu'il est arrivé. — Mon
frère écrivait son travail, lorsque ma sœur est rentrée
(rentra) à la maison. — Il travaillait déjà ce matin avant
.(juo le soleil fût levé (que le soleil n'était pas encore levé). — Il
écrivait déjà ce matin avant que la cloche eût sonné pour le
travail des élèves.
3) \J inïparfait s'emploie dans les descriptions, parce
que les desci-iptions indiquent ce qui était déjà, ce qui .se
passait déjà depuis un certain tcinp>^ et a. pu durer
(1) Cette définition est la même (iu(> celle qu'on doit donner pour
le présent: celle-ci pour le temps présent, celle de iitnparjuit pour
le temps passé (présent dans le passé). Cf. L. Cléd.\t, Nouvelle
'/ram/nairc historique du franrais, page 218.
l'imparfait ou passé descriptif en français 279
après le moment passé dont on parle. L'imparfait prent
l'action ou Véiat dans une partie de leur durée :
Hier soir, quand nous sommes sortis, le temps était magni-
fique, les rues étaient remplies de monde, toutes les maisons
étaient pavoisées pour recevoir le chef de l'État.
4) Les récits, les contes commencent aussi presque
toujours par V imparfait, parce que ce temps décrit
Vétat existant des personnes ou des choses au moment
où allaient commencer les faits que l'on veut raconter.
Dans un récit Y imparfait arrête la narration pour faire
tableau, en décrivant, en dépeignant (1). U imparfait
est donc essentiellement descriptif quoiqu'il raconte
aussi très bien les faits (narratif) :
Il y avait autrefois une veuve qui avait deus filles; l'ainée
ressemblait à sa mère, elle était belle et bonne comme sa
mère; la cadette ressemblait à son père.
5) \J imparfait s'emploie encore dans les propositions
subordonnées, lorsque celles-ci indiquent un état de
choses, ou portent un jugement sur des faits qui du-
raient encore au moment passé dont on parle. L'im-
parfait interront encore ici le récit pour faire tableau
ou exposer des réflexions sur les événements (2) :
L'Etat sembla avoir perdu l'âme qui le faisait mouvoir (sous-
entendu : pendant qu'il était encore animé de cette âme qui le
faisait mouvoir). — Pierre le Grand, arrivé (à Paris) à l'hôtel
qu'on lui avait destiné, fit tirer un lit de camp d'un fourgon qui
le suivait dans son coi/acje.
(1) Les grammairiens latins disaient déjà : Perfecto procedit, Imper-
fccto iusistit oratio (par le jinrfait, notre passé défini, le discours
avance dans le temps; par Vim/>ar/ait il s'arrctc, il reste dans le
même temps).
(2) Lire, dans ma Clirestomathie {Y)a.gG Id'i), le morceau intitule:
J.-J. Rousseau couché à la belle étoile, pour voir Vimpa/-/àit faisant
tableau, le passé défini racontant les événements qui se succèdent, se
suivent les uns les autres. — Lire aussi Pierre le Grand à Paris,
p. 125. Quelques années du règne de Pierre le Grand, p. 127 (7" édition
1891).
280 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
6) U imparfait , nous l'avons dit plus haut, est rela-
tivement identique au présent .
a) Leprése/it raconte les faits qui ont lieu au moment
de la parole; V imparfait, cens qui avaient lieu au
moment passé dont on parle (dans les deus temps.
actions en train de se faire).
b) Le présent s'emploie pour les actions futures
rapprochées, Vimpjarfait s'emploie également pour des
actions futures rapprochées relativement au temps
passé dont on parle :
On raconte que vous partez (partirez) ce soir; on racontait
ce matin que vous partiez (partiriez) ce soir (conditionnel, Z»/'?//"
des temps passes). — II tombe (il r« ionihcr) si vous ne le
retenez; il tombait [allait tomber) si vous ne l'aviez retenu. —
Si j'avais dit un mot, on vous donnait (on allait vous donner)
la mort (on allait vous tuer). — La ville était prise {allait être
prise) si vos troupes n'étaient arrivées à son secours.
Nous pouvons, au lieu de V imparfait qui se trouve
dans les trois derniers exemples, employer le condi-
tiotinel passé, mais les deus tem])s ne seront nullement
employés l'un poiu' l'autre. Uimparfait. qui raconte
ici les événements au point de vue ([npassé. est employé
pour nxifutur prochain relatif (imperfectum-futurum-
periphrastioum), comme \e présent aussi pour unj}(tur
rapproché (prœsens-futurum-periphrasticum). Le con-
ditionnel passé raconte, au contraire, les événements
passés au point de vue du présent où nous sommes,
et non du passé après lequel ils devaient se pro-
diuK' :
Je partais (j'allais partir) hier, si mon ami n'était (pas)
arrivé {fntaridon relativement au passé, au point de vue du passé).
— Je serais parti hier, si mon ami n'était (point) arrivé (fait
jugé au pdiiil (le \ ue dn présent où nous sommes).
Nous aurons la même chose dans les exemj)les sui-
vants, et comparons encore \e présent employé au lieu
au futur, avec Vimparfait employé au lieu du condi-
l'imparfait Oi: passé OKSCHIPTIF en FKANrAlS 2^1
tionnel présent dans sa valeur de J'utui' des temps
p'assés :
Si vo\i^ faites cela, je vous punis (je vous punirai, je vais
vous punir; présent employé pour \e futur). — Je lui ai dit que
s'il faisait cela, je le punissais sévèrement (que je le punirais,
j'allais le punir sévèrement; imparfait employé pour le condi-
tionnel, qui est ici \q futur des temps passés).
Si nous exprimons ces faits dans un iem\)ii postéiieur
à celui où ils se sont passés, en les rapportant au
présent oit nous sommes . nous n'aurons, pour les quatre
temps ici exprimés, que le conditionnel passé:
S'il avait fait ce dont je lui ai parlé, je l'aurais puni fil
aurait été puni) très sévèrement (1).
Ce dernier exemple juge \e^ faits passés au point de
vue du présent où nous sommes; les premiers les jugent
au point de vue du passé dans lequel on les exprime
comme devant arriver.
AUTRES EXEMPLES :
Dans cette bataille le général périssait (allait périr ; peri-
turus erat; imperfectum-fnturum-perip/irasdcum) si ses soldats
n'étaient arrivés à son secours. — Ce général aurait (eût)
certainement péri (periisset) si ses soldats, etc. — Si cette entre-
prise avait (eût) réussi, mon ami était riche (allait être riche);
mon ami eût été riche, aurait été riciie, serait devenu
riche si cette entreprise acait (eût) i-éussi
(1) Le conditionnel passé remplacerait donc alors, chose impossible,
tout aussi bien le présent, employé pour le futur simple, que Vini-
parfait employé pour un futur rapproché (conditionnel, futur des
temps passés). — Le conditionnel passé est ici employé pour lui-même
(pa.'-sé relativement au présent où nous sommes), tandis que Vim/iar-
fait est mis pour un futur relativement au passé. Eu raisonnant
comme nos grammairiens on pourrait dire (chose absurde) que le
participe présent a parfois le sens d'un plus-que-par lait employé pour
conditionnel passé : V'ous vous seriez, en tombant, fait beaucoup
de mal (si vous étiez tombé, avec la val(>ur de si vous fussiez
tombé, — si vous seriez tombé, non français). Voir Cilxssang, qui
est ici dans l'erreur.
282 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Le latin dit aussi à Vimparfait, que nous pouvons
rendre par notTQ futur relatif:
Si per Metellum liciium esset, matres illorum, uxores, sorores
veniebant; si Metellus Veut permis (l'avait permis), leurs
mères, leurs femmes, leurs sœurs étaient mises en vente,
allaient être vendues); auraient été vendues, eussent
été vendues.
lu' imparfait et le conditionnel passé racontent ici le
même fait sous des points de vue difEërents; ils ne sont
nullement mis l'un pour l'autre (1).
On trouve même en latin, ^yec pœne (presque), le
perfectum historicuni (notre passé défini), employé là
où nous pouvons employer notre futur relatif la chose
ayant presque été faite, ou sur le point de se faire :
Pons sublicias iter pœne hostibus dédit, nisi unus vir fuisset
(Tite Live) : Le pont de bois donnait (allait donner; aurait
donné, eût donné) passage aus ennemis si un homme (cou-
rageus) ne n'était troucé \k (ne se fût trouvé là).
Les exemples de l'emploi de V imparfait français pour
xm futur relatif sont nombreus :
Pyrrhus vivait (allait vivre) heureus s'il eût pu l'écouter
(Boileau). Il devenait riche (il allait devenir riche) s'il avait
su profiter de cette bonne occasion de- faire fortune. Si vous
n'étiez arrivé aujourd'hui chez moi, j'arrivais (j'allais arriver)
demain chez vous.
7) luQ présent et V imparfait offrent encore des faits
parallèles dans :
Mon ami raconte qu'il va partir demain. — Mon ami racon-
tait ce matin qu'il allait partir demain.
(1) Nous ne voyons daus tous ces exemples aucun commencement
({'exécution, comme le disent quelques grammaires latines, mais
l'afïirmaUon éCunfait résolu roininc deoant bientôt s'exécuter si des
circonstances n'étaient venues en cmpéciier la réalisation. On trouve
déjà dans Joinville des exemples de cet emploi de l'i'npar/ait, et cet
emploi, depuis lors, n'a fait que prendre de l'extension daus notre
langue. — Dans l'ancienne langue on le trouve souvent avec l'im-
parfait de dcrofr sui\i d'un iiiliiiitif.
l'imparfait ou passé descriptif en français 283
Il va partir est le profecturus est du latin (futur
périphrastique relativement mi présent). Il allait partir
est le profecturus erat du latin [futur périphrastique
relativement au passé).
8) Autres taïU parai lèles :
Si je reçois (présent employé pour \q futur) cet argent demain,
je partirai après-demain. Si je recevais [itnparf. employé
pour un conditionnel-futur) cet argent demain, je partirais
après-demain.
9) \f indicatif présent du verbe venir, suivi d'un
infinitif précédé de la préposition de, équivaut à un
véritable /)assé indéfini, et \e passé indéfini e^iXe passé
du présent :
Mon frère vient de partir fil est parti depuis très peu de
temps).
U imparfait du ver])e venir, dans le même cas,
équivaut à un pi us-q ue-parfcdt , et \e plus-que-parfait
est le vrai passé de Vimparfait :
Il venait de partir (il était parti depuis très peu de
temps) quand je suis arrivé chez lui (1).
10) Après si exprimant une supposition ou une con-
dition, on emploie le présent au lieu du futur.
Si je reçois demain cet argent, je partirai
Après s/ exprimant une supposition ou une condition.
on emploie de même Vimparfait au. lieu du conditionnel
futur :
Si je recevais demain cet argent, je partirais piMir Paris. —
S'il faisait (quand il faisait) beau tem[)s, il allait se pro-
mener (autre sens). (S'il fait (quand il fait) beau temps, il va
se promener.
(l) Le verbe ccnir, suivi de la préposition «, ;i une tout autre
signification; il signifie alors par hai^ard : S'il vient à vous dire
cela, vous lui répondrez ceci : c'cst-iVdire : .si jiar /*«,>*«/•(/ il vous dit,
s'il arrioe qu'il oous dise cela, vous lui répondrez ceci
284 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Mais après si exprimant un doute, c'est le condi-
tionnel qu'il faut employer :
Je ne sacais pas encore alors si elle viendrait chez ses |»arents;
(je ne sais pas encore si elle viendra, etc.).
11) 11 lui aurait rendu service hier si cela acait pu (si cela
eût pu) se faire. Il lui aurait rendu service si cela pouvait se
faire (si la chose pouvait se faire en tout temps, clans le présent,
comme dans le /)«s.sé ou l'avenir).
12) Uimparfait précédé de si , outre la signification
qui lui est propre^ peut encore exprimer un passé, un
présent aussi bien q\ïun/iitiu' :
Si j'avais le temps en ce moment, j'irais me promener
(Vimpurfnit équivaut ici à un conditionnel-présent). — S'il
avait alors de la fortune, comment se fait-il qu'il soit pauvre
maintenant (V imparfait désigne ici un passé). — Si j'avais le
temps demain, }irais me promener {{'imparfait équivaut ici à
un conditionnel futur).
13) Le présent peut s'employer au lieu du passé
défini. \f iniparfait s'emploie aussi (iuel([uefois au lieu
du ptassé défini pour rendre la narration plus vive,
plus animée, comme le fait le /j/'c'st?/?/ dansle même
cas ; V imparfait raconte en faisant tableau :
En 753 avant J -C, Romulus jetait (jeta) les fondements de
Rome, et quelques années après il trouvait (trouva) déjà sa
jeune ville assez forte pour lutter avec avantage contre tous les
peuples voisins (Michelet). — A midi nos troupes traversaient
(traversèrent) la rivière, et le soir elles entraient (entrèrent)
dans la ville ennemie. — 3e passai la nuit chez de pauvres gens
que je </uittai après m'ètre reposé, et vers le milieu du jour suivant
j'arrivais (j'arrivai) chez les Indiens (Belin de Launay). — Le
soir même le maréchal expirait (expira), entouré de ses amis.
— Il partait (partit) l'âme émue d'une tristesse indéfinissable.
— Peu après son arrivée à Paris, elle perdait (perdit) son
unique entant.
L'imparfait s'emploie, dans le même cas, après les
expressions tout à l'heure, à l'instant, il n'y a qu'un
l'imparfait ou passé descriptif F,N FRXNÇAIS 285
instant, (qu'un moment), tantôt, il n'y a pas long-
temps :
Je lai demandais encore tout à l'heure s'il voulait faire une
promenade, mais il a refusé. — C'est ce que je lui demandais,
il n'y a qu'un instant. — Répétez, je vous prie, je n'ai pas bien
entendu. Vous disiez?...
14) Quand nous prononçons un jugement sur les
personnes ou les nations pour dire comment elles
étaient, ce qu' eWes/aisaient pendant l'époque ou à une
certaine époque de leur existence, c'est Vimparfait que
nous devons alors employer :
Les Romains étaient braves; les Spartiates étaient sobres;
les Egyptiens étaient supcrstitieus.
Mais quand, en portant des jugements, nous ne vou-
lons raconter les faits que comme simplement passés,
sans vouloir les mettre en parallèle avec l'époque à
laquelle ils se sont passés, nous pouvons alors employer
soit le passé défini, soit le passé indéfini :
Les Romains furent braves, ont été braves. — Les Spartiates
furent (ont été) sobres. — Les Lgyptions furent (ont été)
superstitieus.
\Jimp)arf'ait donne ici un jugement (indique un état)
sur les peuples pendant la durée de leur (>xistence; les
deus passés exposent les faits comme écoulés dans un
temps qui n'existe plus.
15) 'De l'idée d'c^/r//, de situation prolongée â l'idée
d'actions répétées ou liahitudes, il n'y a (prim pas.
]J imparfait , et c'est toujours le contexte (jui le dira,
exprimera donc des actions répétées ou des coût /unes,
quand la durée de l'actiôii n'est i)as rcslrcinlc par le
.sens de la [)lirasc :
Les Egyptiens embaumaient leurs morts (coutume, liabitude).
— Les Égyptiens embaumaient leurs morts quand l'ennemi
vint les aitu'/uiT à rifiijir(>vi.-<tc (une fois). — Cet été, à la cam-
pagne, nous déjeunions à midi, nous dînions à sis heures et
■-?8G REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
soupions à dis heures du soir (coutume, tous les jours de l'été).
— Hier nous dînions quand notre ami est arrivé (une fois).
L'été dernier, l'un et l'autte dînait (dînaient) tous les jours chez
nous (tous deus dînaient chaquu jour chez nous, Dictionnaire
de l'Académie). — Charles XII montait à cheval trois fois par
jour, se levait à quatre heures du matin, s'habillait seul, ne
buvait point de vin, ne restait à table qu'un quart d'heure,
exerçait ses troupes tous les jours, et ne connaissait d'autre
plaisir que celui de faire trembler l'Europe (Voltaire).
C'est encore le contexte seul, l'emploi ou l'omission
de l'article, qui donne un sens tout différent aus exem-
ples suivants :
Ce bateau arrivait /cv^f/ir' (arriva, est arrivé) au moment
où nous déjeunions. — Ce bateau arrivait le jeudi au
moment où nous déjeunions (coutume dans ce dernier cas, tous
les jeudis).
16) ^imparfait s'emploie encore assez souvent là où
l'on pourrait employer Xq présent. \J imparfait présente
les choses d'une manière moins triuichante, et, dans ces
cas, l'emploi de Vimparfait n'est souvent qu'un men-
songe déguisé :
Vous pensez ceci; quant à moi, je pensais cela (je pense
cela, c'est-à-dire : je pense autrement que vous). — Je venais,
Monsieur, vous annoncer une mauvaise nouvelle (je viens, etc.).
17) \J imparfait s'emploie souvent,, au lieu {\\\ présent,
pour représenter des vérités générales, de tous les temps^
des sentences:
Quand j'étais jeune, mes parents me répétaient toujours, avec
l'Évangile^ qu'il fallait (qu'il faut) aimer son prochain comme
soi-même.
18) La forme passive oM're un sens dilïérent selon
qu'elle e\[)riine V (tel ion soiifl'ciie ou Y état qui en
résulte :
Le crimint'l était exécuté (on l'exécutait) juste au moment
où nous passions sur la place (action soulîei'te; i-rai passif). —
Le frimiiii'l était exécuté depuis longtemps quand nous pas-
l'imparfait ou passé descriptif en français 287
sions (quand nous passâmes, quand nous avons passé) siir la
place {fuas passif; le crinnui-l avait été exécuté oraii/ notre
arrivée, on l'avait exécuté longtonips auparavant).
Dans le premier exemple il y a simultanéité entre
les actions, clans le second il n'y en a aucune.
19) L'imparfait ne raconte pas toujours des faits qui
sont arrivés e/i nié/ne temps; il peut parfaitement,
comme le passé défini et le passé indéfini, raconter les
faits qui se suicenf ; \o. ])oiiit de vue seul du narrateur
est différent :
a) Voici le palais qu'a habité Louis XVI. ("ost ici que le
17 septembre 1(572, la troupe du roi a représenté les Femmes
suçantes de Molière; au mois d'avril 1674, Bourdaloue y a
prêché le Carême; le 11 juillet de la môme année on y a joué
\q Malade rmafji/iairc. Voyez, c'est par laque la malheureuse
Marie Antoinette s'est échappée un jour pour aller chercher un
refuge près de Louis XVI.
b) Voici le palais qu'habita Louis XIV. C'est ici que le
17 septembre 1672, la troupe du roi représenta les Femmes
sacantes de Molière; au mois d'avril 1674, Bourdaloue y prêcha
le Carême; le 11 juillet de la même année on y joua le Malade
imaginaire... Voyez^ c'est par là que la malheureuse Marie
Antoinette s'échappa un jour |)0ur aller chercher un refuge près
de Louis XVI.
c) Voici, Messieurs, le palais qu'habitait Louis XIV. C'est ici
que le 17 septembre 1672^ la troupe du roi jouait les Fem/nes
sacantes de Molière; au mois d'aviil 1674, Bourdaloue y prê-
chait le Carême; le 11 juillet de la môme année on y jouait le
Malade Imat/inalre... Voyez, c'est par là que la malheureuse
Marie Antoinette sortait un jour pour aller chercher un refuge
près de Louis XVI (Imbort de Saint-Armand, qui raconte ces
événements avec V imparfait).
A Wagram, Bcrnadotte, ayant laissé percer notre ligne,
arrêta avec cent bouches à feu le centre victorieux de l'armée de
l'archiduc Charles, et rétablit le combat que Davout termina
en enlevant le plateau tic W'agram (les événements .se .<ulcant,
j'emploie le passé dé/lnl; mais Thlers emploie ici Vimparfait,
comme Imbert de Saint-Amand, et son récit est excellent).
20) Quand on raconte des faits isolés, ou lorsque
dans une narration il est question de faits Itistoifques,
288 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
c'est le passé défini qu'il faut employer, lors même
qu'il s'agit de faits qui ont duré très longtemps. La règle
latine ne diffère pas ici de la règle française : les deus
langues procèdent de la même manière et n'ont rien de
commun avec le russe, qui emploie toujours Y imparfait
quand l'action a une loïKjue durée:
Qtio tempore Philippus Grœciam ecertit (événement raconté),
tum Athen» gloruà litterarum et artium florebant : A l'époque
où Philippe bouleversa la Grèce, Athènes florissait encore par
la gloire des lettres et des arts.
Uiinparfait indique ici un état qui existait avant
l'époque dont on parle et durait encore dans le même
temps. Mais on dirait, quoique la durée soit longue:
Atheme nuiKa sœcula litterarum et artium gloria floruerunt:
Athènes fleurit pendant plusieurs siècles, etc.
Parce qu'on n'énonce qu'un fait historique isolé,
sans le mettre en rapport avec aucune époque donnée
pendant laquelle la chose s'est passée; il n'y a pas ici
de conte/npora/iéité, de simultanéité.
Cœsar consilium mutca:it (récit d'un fait); videbat enim,
nihil tam exigais copiis confici posse (indication des vues de
César accent de c/ianger d'aais et pendant qu'il faisait ce chan-
gement de projet) : César changea d'avis, car il voyait {alors,
dans ce moment-là), qu'on ne pouvait rien faire avec de si petites
forces (avec des forces si exiguës).
Si l'on mettait ici vidit (il vit), cela signifierait que
César changea d'abord d'avis^ et que ce ne fut que plus
ta/-(l (\\Y\\ vit, (lu'il remarqua (lu'il avait bien agi:
Rom;c quotannis bini consules creabantur. A Rome on
créait tous les ans deus consuls (expression d'une coutume
pendant tout le temps que cette coutume a duré) ; mais : Quamdiu
Roina libéra fuit, semper bini consules fuerunt : Tant (aussi
longtemps) que Rome fut libre, il y eut toujours deus consuls
(expression d'un fait qui a duré cependant très longtemps).
^1) L'imparfait russe, qui s'emploie pour les faits de
longue dui-ée, ne se traduira donc i)as par l'imparfait
l'imparfait ou passé descriptif en français 289
français quand il s'agit de faits isolés, sans qu'il y ait
idée de simaltanéité, de conteinpoi'aiiéité.
Je l'ai rencontré Irèi souvent dans la rue. — J'ai demeuré à
Paris peudaut vingt ans. — Cet homme a vécu (vécut) ({uatre-
vingts ans ; etc.
22) Avec les temps passés, la simultanéité, qui
s'exprime en français par Y imparfait, se rent en russe
\)ViY\Q présent de l'indicatif (présent relatif) :
11 s'annonçait comme un médecin qui herborisait (en russe:
herborise). — Aussitôt que Cortez sut (apprit) que Velasquez
pensait (en russe: pense— à le retenir. — Le prince assura qu'il
ne craignait pas le danger. — La vieille femme demanda au
jeune homme s'il désirait manger quelque chose. — On lui
demanda ce qu'il pensait ; etc., etc.
En mettant ici le passé en russe, nous aurions en
français^ non V imparfait, mais Xa plus-que-parfait :
11 s'annonça comme un médecin qui avait herborisé dans
le pays. Quand Cortez sut que Velasquez avait pensé à le
retenir; etc., etc.
Kkvuk I)K i'nii,()i.O(.ii;. v. l!)
TRADUCTIONS ARCHAÏQUES ET RYTHMÉES (1]
Par L. CLÉDAT
CHANT DE CROISADE ANONYME (ti'aduit clu vieus français)
Vous qui aimez de vraie amour,
Eveillez- vous, ne dormez pas.
L'alouette amène le jour
Et nous annonce en ses refrains
Que venu est le jour de pais.
Que Dieu, par sa très grand douceur.
Donnera à ceus qui pour lui
Prendront la crois et pour leur fais
Souffriront peine nuit et jour :
Ainsi verra ses amants vrais.
Celui doit être condamné
Qui au danger son seigneur laisse.
n le sera, bien le sachez.
Assez aura peine et tourment
Au jour du dernier jugement.
Quand Dieu ses côtés, mains et pieds
Montrera sanglants et blessés ;
Car ceus qui auront le mieus fait
Seront si fortement troublés
Qu'ils trembleront, quoi qu'ils en aient.
Qui pour nous fut sur la crois mis
Ne nous aimait pas feintement,
Mais nous aimait en ami sûr :
Et pour nous amiablement
La sainte crois moult doucement
Entre ses bras, sur sa poitrine.
Comme agneau dous, pieus et simple,
Portait si angoisseusement !
Puis y fut à trois clous fixé
Par pieds, par mains, étroitement.
(1) Voj'ez ci-dessus, page 65.
TRADUCTIONS ARCHAÏQUES ET RYTHMÉES 291
J'ai ouï dire ce proverbe :
« Bon marché attire l'argent »,
Et doit avoir le cœur léger,
S'il voit le bien,, qui prent le mal.
Savez-vous ce que Dieu promet
A ceus qui se voudront croiser ?
Dieu m'aide ! C'est un bon loyer :
Paradis éternellement !
Celui qui peut gagner un bien
Est bien fou s'il tarde à demain.
Et nous n'avons nul lendemain.
Sûrement le pouvons savoir :
Tel pense avoir le cœur très sain,
Qui, trois jours après, plus ne prise
Ni son savoir, ni sa richesse,
Lorsque la mort lui met le frein.
Tant qu'il ne peut ni pied ni main
A lui ni tirer ni mouvoir.
Le froment laisse, prent la paille,
Mais trop tard il s'en aperçoit.
Fable de Marie de France
Du loup il (1) conte et de l'agneau ;
Tous deus buvaient à un ruisseau :
Le loup à la source buvait,
Et l'agneau en aval était.
Avec courrons parla le loup.
Qui moult était grand querelleur... :
(( Tu m'as, dit-il, fait grand ennui (2). »
Et l'agneau lui a répondu :
(( Sire^ comment? — Ne vois-tu donc ?
Tu m'as toute cette eau troublée,
Je n'en puis plus boire mon saoul.
Il faudra, je crois, m'en aller
Comme je vins, mourant de soif. »
L'agnelet adonc lui répont :
(1) Esope.
(2) Le mot « ennui » avait beaucoup plus de force qu'aujourd'hui.
292 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
(( Sire, vous buvez en amont :
De vous me vient ce que j'ai bu.
— Quoi! fit le loup, tu m'injuries? »
L'agneau répont : (( n'en ai vouloir. »
Le loup lui dit : « J'en suis certain :
Tout de même me fit ton père
A cette source où nous étions
Y a sis mois, je m'en souviens.
— Qu'en faites-vous sur moi tomber?
Je n'étais pas né, ce me semble.
— C'est pour cela, le loup a dit.
Que tu me fais aujourd'hui tort
Et chose que tu ne dois faire ! »
Lors prit le loup l'agneau petit,
Des dents l'étrangle, ainsi le tue.
Ainsi font les puissants voleurs,
Les vicomtes et les jugeurs,
De cens qu'ils ont en leur justice.
Fausses raisons par convoitise
Ils trouvent bien pour les confondre.
Les font souvent citer au plaid,
La chair leur prennent et la peau
Comme le loup fit à l'agneau.
Poésie de Pierre Cardinal (traduite du viens provençal)
Raison est que m'ébaudisse
Et que sois joyeus et gai
Et dise chansons et lais
Et déploie un sirventès,
Car Loyauté a vaincu
Fausseté, et n'y a guère
Que j'ai entendu conter
Qu'un puissant traître a perdu
Et son pouvoir et sa force.
Dieu fait et fera et fit,
— Ainsi qu'il est dous et vrai, —
Droit aus lâches et aus preus
Et merci selon leur vie ;
TRADUCTIONS ARCHAÏQUES ET RYTHMÉES 293
Car à la paye ils vont tous,
Le trompeur et le trompé,
Ainsi qu'Abel et son frère :
Les traîtres seront détruits
Et les trahis bienvenus.
Que Dieu confonde les traîtres,
Les renverse et les abaisse
Comme il fit pour les Algais,
Car ils sont pires trompeurs.
Car, la chose est bien connue,
Pire est traître que larron.
Tout ainsi que l'on peut faire
D'un convers moine tondu,
On fait d'un traître un pendu.
En fait de loups et brebis,
Les brebis sont plus nombreuses ;
Et pour un vautour qui naît
Il vient bien mille perdris.
On doit par là reconnaître
Que voleur ni meurtrier
Ne plaît tant à Dieu le père
Et qu'il n'aime tant son fruit
Que celui du menu peuple.
On peut avoir beaus harnois,
Et chevaus ferrands et bais
Et tours et murs et palais.
Si l'on a Dieu renié !
Lors a bien le sens perdu
Celui qui a tel avis
Qu'en prenant le bien d'autrui
Il puisst! au salut venir.
Ni qu'au voleur Dieu le donn(>.
Car Dieu tient son arc tendu
Et tire où il veut tirer.
Et fait le couj) ((u'il doit faire,
Comme chacun le mérite,
Selon vices et vertus.
COMPTE RENDU
Étude fiuv les changements phonétiques et leurs caractères
généraux, par Paul Passy. — Paris, Firmiii-Didot, 1890,
617 pages in-S".
Les sons vocaus qui constituent le langage ont-ils une
histoire? En d'autres termes, sont-ils soumis à un dévelop-
pement, à un accroissement et à des transformations qui
suivent un cours régulier et en vertu desquels les phéno-
mènes nouveaus se substituent aus anciens et s'expliquent
par eus? L'ouvrage entier de M. Passy semble fondé sur
l'hypothèse qui répont affirmativement à cette question, et
pourtant nulle part on n'y voit d'une façon bien nette le
souci des conditions qu'implique cette position du problème.
Là, à mon avis, est le grand défaut d'un travail qui mérite
tant d'éloges à d'autres égards. M. Passy sait beaucoup de
choses par les livres, mais il est surtout observateur curieus,
diligent et sagace. Son travail abonde en remarques person-
nelles et en réflexions propres qui ont leur pris. Par malheur,
la mise en œuvre de ces richesses laisse à désirer surtout
par le côté dont je viens déjà de dire un mot et sur lequel je
voudrais encore présenter quelques observations.
A la méthode chronologique ou historique, la seule, ce me
semble, qui permette d'établir une classification rationnelle
des éléments phonétiques du langage, M. Passy substitue
en fait, et sans trop sans douter à ce qu'il semble, la méthode
physiologique ou celle qui consiste à fonder les rapports que
les sons ont entre eus sur des considérations essentiellement
actuelles et uniquement dérivées de l'examen des organes
qui concourent à les émettre. Au point de vue linguistique,
aucune manière de procéder ne saurait être plus radicalement
stérile. On comprentque la science qu'on a appelée orthoépie
ait à bénéficier de la connaissance du jeu des muscles de
l'usage desquels dépent l'émission de tel ou tel son corres-
pondant. Des exercices particuliers, un entrainement s))écial,
peuvent avoir pour effet, on le comprenttrès bien, de donner
à telle partie faible des organes vocaus la souplesse nécessaire
COMPTE RENDU 295
pour rectifier une prononciation vicieuse. C'est ainsi sans doute
que le lambdacisme, par exemple, peut être corrigé. Mais voilà
le champ et l'usage de la physiologie en ce qui concerne le
langage : elle est susceptible d'en corriger les défauts indivi-
duels et de ramener à la forme commune les formes excen-
triques et les écarts contraires à la tradition généralement
adoptée.
Tout autre est l'objet de la linguistique proprement dite
qui est l'histoire des sons acquis et qui n'atteint cet objet,
comme toute histoire, qu'en les observant dans leur succession
ou leur filiation. Or, je ne saurais trop le redire, il m'est
impossibl(> d'apercevoir ici l'utilité du rôle de la physiologie.
Pour elle, tous les faits du langage se présentent sur le même
plan et elle ne favorise ainsi ({ue l'inventaire des sons
existants, alors que les linguistes s'intéressent surtout
à leur généalogie.
Quelques exemples montreront dans le détail à quelles
assertions douteuses, sinon absolument inacceptables, l'ab-
sence des principes historiques a pu conduire M. Passy.
Au paragraphe 522, il affirme, en se couvrant il est vrai de
l'autorité de M. Havet, que le \aX\\\ famulum vient defamlom.
Non seulement la forme famul contredit le fait absolument,
mais l'étude historique des transformations du latin nous
montre que famulom a pu se contracter en famlum sans que
l'inverse soit vrai. M.' Passy nous dit lui-même d'ailleurs
(492) que le suffixe ctt^am se change en crwm dans sepulcrum,
etc., et cette fois il a raison quant à la contraction qu'il paraît
admettre, mais il commet en même temps une grave erreur
en supposant un changement de / en /■ qui est le contraire
môme du processus constant de ces sons dans les langues
indo-européennes. Dans le cas particulier, c'est e(u)lurn qui
vient de c{u)rum, et d'une manière générale, en latin, en grec,
en sanscrit, etc., l dcscent de /•, sans ([uo jamais le chan-
gement contrains ait lieu. C'est encore une loi que l'histoire
des sons lui aurait apprise s'il s'en était préoccupé.
Troisième et dernière remarque : M. P. ( 19G) attribue au
phénomène très contestable qu'il appelé dissimilation la
désaspiration qui se produit à la consonne initiale d'un verbe
à redoublement connue tI/Jy.im, pour OlOcixi. Ici connue [)Our les
296 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
cas précédents, rexamen historique du mouvement des sons
lui aurait fait voir à propos de ce fait et des analogues :
1° qu'en général les éléments phonétiques d'un redoublement
tendant à s'affaiblir eu égard à cens de la syllable qu'ils
représentent ; 2" que la désaspiration est une des formes de
l'affaiblissement des consonnes en pareil cas. Le t de rlBr.ui est
donc purement et simplement un état faible du 6 de la syllabe
suivante; absolument comme le t de la racine pal danspa^ior
est un état faible et constant en latin (langue qui n'a pas
gardé l'aspirée dentale) du 6 de la rac. 7r«ô dans ndOoc.
Le livre de M. Passy fournirait matière à de nombreuses
critiques de détail du même genre, mais qui résultent presque
toutes de l'oubli dont l'étude des lois historiques des sons
indo-européens ont été l'objet de sa part.
Comme conséquences générales de ses observations, M.
Passy aboutit aus deus principes suivants :
1° Le langage tent constamment à se débarrasser de ce qui
est superflu ;
2° Le langage tent constamment à mettre en relief ce qui
est nécessaire.
Ni l'un ni l'autre ne sauraient être approuvés, du moins
sous la forme dont l'auteur se sert pour les exprimer.
En ce qui concerne le premier, qu'il me suffise de faire
remarquer que si quelque chose dans le langage est nécessaire,
différent du superflu et par conséquent de nature à être
. conservé en vertu des principes en question, ce sont les
désinences casuelles qui, dans les langues synthétiques, déter-
minent le rôle syntactique des mots déclinables au sein de la
phrase à laquelle ils appartiennent. Or, comment expliquer
que le langage se soit « débarrassé » en grec et en latin du
locatif, de l'instrumental et le plus souvent de l'ablatif, en
allemand de tous les cas primitifs excepté deus ou trois, et
dans la transition du latin au viens français de tous ces
mêmes cas à part le nominatif et l'accusatif ? Voilà des
exemples qui, à côté de bien d'autres, vont absolument à
rencontre de la règle posée par M. Passy.
Nous pouvons toutefois en retenir ce fait que le langage
tent constamment à user les éléments phonétiques qu'il
emploie, ce qui infirme a priori le dousième principe de
COMPTE RENDU 297
notre auteur. Il nous suffira d'ailleurs d'examiner les cas où
M. Passy croit le voir agir pour nous rendre compte de l'illu-
sion à laquelle il s'est abandonné sur ce point. D'après lui c'est
à ce (( principe d'emphase» que sont dus : 1° «l'aspiration et
l'affriquement des explosives » ; — les explosives ne s'aspirent
pas, l'aspiration est primitive et la désaspiration est le seul
processus historique bien établi ; 2° « la prosthèse d'un son en
tête d'un groupe », — M. Passy est-il bien sur que ïe dit
prosthétique de kpv^poi n'est pas primitif? En tous cas, en quoi
un pareil élément qui manque dans les correspondans sans-
crit et latin rudhira, rutilas peut-il être considéré comme
nécessaire'.^ — 3° (( l'insertion d'une voyelle entre deus con-
sonnes ou d'une consonne entre deus voyelles ». — Ces faits
sont des plus plus douteus ; en général les formes se contrac-
tent, et il n'est pas une seule des prétendues épenthèses de
M. Passy qui ne soit contestable ; — 4° « la dissimilation ».
— Nous avons déjà vu ce qu'il faut en penser, à proi)os des
redoublements et des prétendus changements de l en /• ; dans
la plupart des cas, la dissimilation est une fausse explication ;
— 5° (( le changement d'un son peu sonore comme u en un
autre plus sonore comme v. » — Où M. Passy a-t-il vu que
la consonnantification des semi-voyelles ait pour effet une
augmentation de la valeur phonétique des sons transformés?
S'il en était ainsi, comment se ferait-il que le digamma soit
tombé en grec alors que le y s'est maintenu, et comment surtout
considérer comme nécessaire l'amplification d'un son qui n'a
pas tardé à disparaître entièrement?
Cette dernière remarque porte d'ailleurs sur toutes les
catégories de phénomènes que M. Passy attribue au «principe
d'emphase». Nulle part ces phénomènes, tels qu'il les décrit,
n'ont « pour effet de mettre; en r(>lief » quelque partie
nécessaire à l'intelligence du mot où l'on nous dit que la
modification s'est produite; dans ce but.
Il est i)ourtant un point, et des plus importants, sur lequel
je suis tout à fait d'accord avec M. Passy, tellement d'accord
que j(; pourrais être en droit de m'étonner que, saeliant si bien
connnent la question a été trait(';e jusqu'en Danemarck et
en Suède, il paraisse ignorer ce que j'ai publié à cet égard
d'après des vues semblables et autéricuros ans sieMuiesen
298 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
France même. Je veus parler du fameus débat sur le carac-
tère absolu ou non des lois phonétiques. Malgré quelques
précautions oratoires, dont je comprens du reste toute la
nécessité étant données les circonstances, M. Passy se déclare
hostile au dogme de l'inflexibilité de ces lois. Je ne saurais
que l'en féliciter. Lui-même doit d'autant plus s'applaudir
d'avoir soutenu cette thèse que ses idées sont partagées et
appu3'ées par un savant d'une autorité aussi grande en
pareille matière que l'est M. Bréal (1). Cependant, l'on peut
trouver étrange que n'admettant pas cette pierre angulaire des
théories néo-grammaticales, M. Passy ait pris « constamment
pour guide» l'évangile de l'école, c'est-à-dire le Gvandriss de
M. Brugmann. On dirait un adversaire des tourbillons de
Descartes dont la physique, la mécanique et la cosmographie
seraient empruntées au philosophe tourangeau.
Cette contradiction fondamentale, ajoutée à celles que j'ai
déjà eu l'occasion de signaler, contribue encore à priver
d'autorité les conclusions de M. Passy. Aussi bien son
ouvrage n'est que provisoire. C'est surtout comme réunion
de faits, dont bon nombre sont neufs et curieus, qu'il a droit à
l'attention des linguistes. Nul doute qu'il ne les reprenne un
jour pour les coordonner et les interpréter d'après des prin-
cipes plus sûrs, plus en harmonie logique avec eus-mêmes et
surtout plus conformes à la méthode qu'exige le sujet. Il y
est bien préparé et fera ainsi, quand il le voudra, une œuvre
qui comptera définitivement dans la science.
Paul Regnaud.
(1) Voir l'article <le la Reçue des Dciuc Mondes , numéro du
1^' décembre 1891, intitulé Les langues et les nationalités.
LIVRES ET ARTICLES SIGNALÉS
Blanc Saint-Hilaire. — Les Easkariens ou Basques,
leur' origine, leur langue et leur histoire (Paris, Picard,
iv-446 pages grand in-8°). (( Ce livre, dit l'autear^ est le
résumé de notes volumineuses recueillies depuis que le grand
âge m'a donné des loisirs après une vie occupée et agitée...
Si je me décide à le faire imprimer, ce n'est du moins qu'à
un très petit nombre d'exemplaires. C'est un simple souvenir
d'octogénaire que je laisse à mes cliers enfants. » A un
ouvrage entrepris dans de pareilles conditions on ne saurait
demander l'application des méthodes rigoureuses que s'im-
posent aujourd'hui l'histoire et la philologie. La partie philo-
logique et littéraire est d'ailleurs très restreinte ; elle se borne
à l'introduction (aperçu sur la langue basque) et à la fin du
dernier chapitre (proverbes, sentences, littérature, poésie).
Mais l'auteur nous avertit, dans sa préface, qu'il a composé
un dictionnaire basque-français et français-basque, qui forme
un (( volumineux manuscrit », où sans doute un linguiste
compétent trouvera plus tard les matériaus d'une publication
utile à la science.
GusTAv KÔRTiNG. — Lateinisch-7'omanisches Wôrierbuch
(Paderborn, F. Schôningh, 1891). — Les dernières livraisons
de cet ouvrage viennent de paraître. Elles contiennent de
copieus index et un important supplément. C'est assurément,
comme on l'a dit, un des meilleurs instruments de travail
qu'on ait encore mis à la disposition des romanistes.
— Nous signalerons, dans les Phonetisclie Siudien de
Victor, la fin de 1' « essai de grammaire phonétique » de
Gustav Rolin (tome v, p. 33) et d'intéressantes recensions de
deus ouvrages de M. Paul Passy, Les sons du français et
VEtude sur les chanf/emcnts phonétiques (même tome,
pages 199 et 212).
Georges Doutrepont. — Etude linguistique sur Jacques
de Hemricourt et son époque (92 pages in-8". Extrait du
tome XLvi des Mémoires publiés par l'Académie royale de
300 REVUE DE PHILOLOGIE FilANÇAISE
Belgique, 1891). — La partie phonétique de cette étude est
de beaucoup la plus développée. C'est un travail méthodique
et soigné, le premier qui ait été consacré à la langue de
l'historien liégeois.
Gaston Paris. — Compte vendu de t Ehreo errante in
Italia de M. Morpurf/o (16 pages m-A'^. Extrait du Journal
des Sacants, septembre 1891).
Le même. — Extraits de la cJianson de Roland, 3^ édition
(Paris, Hachette, 1891). — M. Gaston Paris est de cens qui
ne se contentent pas de réimprimer leurs livres avec des
corrections insignifiantes. Malgré la valeur de la première
édition, chaque édition nouvelle marque un progrès sensible.
Outre les améliorations de détail^, comme l'emploi de signes
spéciaus pour représenter t et d caducs, et les corrections
importantes comme celle de/eïstes enfesistes, nous signale-
rons dans la présente édition une introduction littéraire et
historique de 27 pages. Les observations grammaticales
gagneraient encore à être mises davantage à la portée des
élèves de l'enseignement secondaire, qui ignorent tout de ces
questions.
Le môme et A. Jeanroy. — Extraits des clironiqueurs
français (Paris, Hachette, 1891, iii-480 pages). — Dans la
préparation de ce volume, M. Jeanroy s'est montré tout à fait
• digne de l'honneur que lui a fait le maître de nos études en
l'appelant à collaborer avec lui. Nous regrettons qu'on ait été
obligé de supprimer l'introduction grammaticale et le
glossaire qui accompagnaient les extraits de Joinville quand
ils étaient joints aus extraits de la chanson de Roland.
H. Varnhagen. — Passio sandre Catherinœ Alexandrinœ
metrica è duohus libris ninnuscriptis édita (Erlangen, Fr.
Junge, 1891, 25 pages in-4o).
Paul Marchot. — Les patois du Luxembourg central.
(Extrait du numéro 13 de la Reçue des p. gallo-romans). —
Au début de cette étude, notre collaborateur M. Marchot
renvoie à son travail Le patois de Saint-Hubert, dont le
tirage à part est épuisé, mais qu'on trouvera dans notre
Reçue, tome iv, page 94.
LIVRES ET ARTICLES SIGNALÉS 301
Albert Stimming. — Bertran von Boni (Halle, Niemeycr,
1892, 246 pages). — M. Stimming avait déjà donné une
édition de Bertran de Born. Celle-ci est bien supérieure à la
première. Nous réservons, pour un prochain fascicule, les
quelques observations qu'appelé l'introduction historique par
laquelle s'ouvre le volume.
Dictionnaire général de la langue française du commence-
ment du xvii'^ siècle jusqu'à nos jours, par Ad. Hatzfeld,
Ars. Darmesteter et Ant. Thomas, 6^ livraison. (Librairie
Delagrave. Paris).
La sisième livraison de cette œuvre considérable (1), qui
vient de paraître à la librairie Delagrave, contient comme les
précédentes un grand nombre de mots des plus curieus par
leur origine, tels que chef et coin où le sens qui nous paraît
un sens dérivé, chef tète et (( coin à frapper les monnaies »
est précisément le sens principal; char et chemin qui dérivent
du latin directement et indirectement du celtique ; chapelle—
lieu où l'on mettait les chapes, etc.
L'explication des mots très employés prent parfois des
proportions considérables, comme pour le mot chambre où
les trois sens — pièce d'une maison — réunion de personnes
(Chambre des députés, Chambre des communes) — et enfin
le sens technique et scientifique (chambre de mine, chambre
noire, etc.)^ sont traités de la manière la plus complète.
(1) Le Dictionnaire de la langue française formera environ
30 livraisons. Pris de souscription à l'ouvrage complet ;, 30 fr.
CHRONIQUE
Comme M. Paul Passy l'explique plus loiu, notre Chro-
nique se terminera désormais par le Bulletin de la Société
de réforme orthofjraphique.
Le projet d'une « école normale coloniale », dont nous
parlions dans notre dernier fascicule, pourrait être réalisé à
peu de frais si on en faisait une simple annexe de l'Ecole
Normale primaire de la Seine, près de laquelle il suffirait
d'instituer deus cours nouveaus : un cours de pédagogie
grammaticale appliquée à l'enseignement du français à
l'étranger et un cours d'hygiène coloniale. Au point de vue
des langues étrangères, les élèves pourraient être répartis en
plusieurs groupes, d'après leur destination, et ils suivraient,
en dehors de l'Ecole, les cours de langues orientales qui
existent déjà à Paris en assez grand nombre; il n'y aurait
donc de ce fait aucune dépense nouvelle.
L'école normale coloniale de Paris deviendrait vite une
école d'élite, d'où sortiraient les professeurs qui sont néces-
saires pour diriger des cours analogues dans nos colonies et
pour y former d'autres maîtres qui enseigneraient directe-
ment aus indigènes. Il est question d'établir un cours de ce
genre près de l'Ecole normale d'Alger, qui formerait ainsi
chaque année de 30 à 40 jeunes maîtres français pour l'ensei-
gnement des indigènes. A propos de ce cours, M. l'inspec-
teur général Carré m'écrivait : « Il faudrait, pour diriger cet
enseignement un candidat intelligent, zélé, dévoué, bref un-
maître fort difficile à trouver. Et pourtant tout est là : ce sont
des hommes qu'il faudrait! » Ces hommes, on les trouvera à
l'Ecole normale coloniale de Paris, si on consent à l'orga-
niser; nulle question n'est plus digne de la sollicitude des
pouvoirs publics.
On pourrait encore rattaclier l'Ecole dont nous demandons
la création à V Ecole coloniale du ministère du commerce, où
il suffirait d'introduire un cours nouveau, celui de pédagogie
grammaticale appliquée à l'instruction des étrangers.
CHRONIQUE 303
Nécrologie. — Les études romanes viennent de faire une
perte sensible en la personne d'un jeune savant de grand
avenir, M. Eugène Rabict, qui nous donnait récemment un
compte rendu (tome iv, page 150). Nous reproduisons l'ar-
ticle nécrologique que lui consacre un de ses compatriotes,
M. J. Durandeau :
« Le 22 janvier 1891, je recevais de Fribourg (en Suisse),
une lettre de notre compatriote, dont voici le début :
— Je vous suis très reconnaissant des renseignements que vous
me donnez dans votre lettre du 28 de ce mois... Moi aussi, j'ai été
fortement touché par l'influenza, et l'on a beau avoir du sang
bourguignon dans les veines, quand le thermomètre marque 22
degrés au-dessous de zéro comme par exemple hier matin, les idées
elles-mêmes se congèlent au fond du cerveau.
)) C'est donc des suites de l'influenza qu'est mort l'abbé
bourguignon Eugène Rabict , celui-là même dont j'avais
commencé à publier les contes populaires, recueillis par lui
à Bourberain et dans les environs. Il était aux eaux de la
Bourboule quand la mort l'enleva presque subitement.
» Voici la brève notice qu'un ami a bien voulu m'envoyer de
Paris sur son camarade si brusquement arraché à ses travaux
et à l'enseignement, notice à la((uclle nous n'ajoutons que
bien peu de choses.
)) Né à Bourberain (Côte-d'Or) en 1858, Rabict fit ses études
au petit séminaire de Plombières-lès-Dijon, où, sa théologie
achevée, il revint en qualité de professeur. Il quitta sa chaire
au bout de <|uelques années, et alla étudier à l'université
catholique de Lyon; là, il se fit recevoir licencié es lettres.
» Il prit ensuite un préceptorat qui lui permit de séjourner
en Allemagne et de suivre les cours de l'Université de Fvi-
houv(l-en-Brii<(jaH. De retour en Fi'ance, il se fixa à Paris,
fréquenta la Sorbonnc, et obtint le titre d'élève de l'école pra-
tique des Hautes-Études. Des communications faites par lui
sur des inscriptions romaines furent remarquées, et le firent
recevoir menibn; de la société des aiiti(|uaires de France.
Mais, à la même épo(iue, il s'adonnait surtout à rétiule de
la philologi(> romane, et c'est alors ((u'il traduisit de l'alle-
mand la Ofamniaii-e des langues romanes, de \V. Meyer,
destinée à remplacer l'ouvrage vieilli <Ie Dietz.
304 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
))En même temps, il collaborait à des revues philologiques
et publiait un premier travail aurle jjatois de son paj^s natal,
fascicule de 75 pages dont il m'adressait un exemplaire avec
cette dédicace : « Hommage res^ectexix d'un fervent patoi-
sant. )) Que ces derniers mots sont vrais, et combien ils m'ont
touché à cette époque! Il y a tant de nigauds qui n'ont que
du mépris pour leur langue maternelle!
» En 1889, lors de la création de l'Université de Fribourg-
en-Suisse, il fut, sur la recommandation de MM. Châtelain
et Gaston Paris, du Collège de France, pourvu de la chaire
de langue et philologie romanes, et même, pendant quelque
temps, il fut doyen delà Faculté de philosophie, fonction qui
correspond à peu près au décanat des Facultés des lettres et
des sciences. Il est mort à la Bourboule, le 8 août de cette
année, après avoir publié un second fascicule sur le patois
de Bourberain. La perte d'un travailleur si fervent et d'un
si bon patoisant sera sentie par tous les vrais Bourguignons.
» J. D. »
BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ DE RÉFORME ORTHOGRAPHIQUE
Aus membres
de la Société de Réforme Orthographique
A la suite d'un arrangement conclu entre la Société de
Réforme (orthographique et la Revue de Philologie Fran-
çaise, une partie de la Chronique de cette Revue servira
dorénavant de Bulletin à la Société. Comme rédacteur démis-
sionnaire du journal La Nouvelle Orthographe, qui rem-
plissait cet office jusqu'ici, on me demande de donner à ce
sujet quelques mots d'explications à nos collègues.
Depuis le dépôt de notre pétition à V Académie (1890),
notre Société n'a guère fait parler d'elle. Il y avait d'abord
une raison de convenance ; nous devions attendre la réponse
de l'Académie. Celle-ci nous ayant tacitement opposé une fin
de non-recevoir, et nous ayant invités, en fait, à faire nous-
mêmes la réforme, nous avons voulu reprendre la campagne ;
mais nos fonds étaient épuisés, nous avions près de 1300 francs
de dettes, et les membres, ne recevant plus de journal, n'en-
voyaient pas leurs cotisations. Nous n'avons donc pas pu
faire grand'chose ; il a fallu nous contenter d'applaudir,
quand notre collègue, M. Clédat, a pris la résolution hardie
de publier la Revue de Philologie Française en orthographe
simplifiée; d'applaudir encore, quand M. le Ministre de
Revue de puilologh:, v. 'ZO
306 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
l'Instruction Publique a porté au fétichisme orthographique
un coup mortel par la circulaire du 27 avril 1891.
Cependant nous sentions qu'il était temps d'agir. L'opinion
publique, naguère indifférente ou hostile, se familiarisait
avec nos réclamations et les trouvait justes ; l'Administration
nous était favorable, une partie de la presse se montrait dis-
posée à entrer dans la voie des réformes pratiques. Nous ne
pouvions pas rester plus longtemps inactifs.
C'est alors que notre cher trésorier, M. Roussey, a proposé
aus membres les plus zélés de tenter un effort suprême pour
combler le déficit; prêchant d'exemple, il a souscrit 65 francs.
D'autres dons ont suivi. Une réunion, sans caractère officiel,
mais à laquelle assistaient la plupart des membres de l'ancien
Conseil d'Administration, a eu lieu le 3 décembre. Le déficit
est tombé à 240 francs, somme insignifiante que vont sans
doute fournir les premières cotisations de 1892.
En même temps, les membres du bureau, avec l'approba-
tion de la réunion dû 3 décembre, ont conclu avec M. Clédat
l'arrangement dont il est parlé plus haut. Il est entendu
qu'une partie de la Chronique de la Revue de Philologie,
formant le Bulletin de la Société de Réforme Orthographi-
que, sera tirée à part et envoyée à tous les membres, comme
l'était autrefois la iVoMceZ/e Orthor/raphe. Cet arrangement
offre de grands avantages pour nous ; il nous donne une
grande publicité, dans un milieu sympathique à nos idées ;
il nous permet de continuer notre campagne à peu de frais.
— Il y a un inconvénient, c'est que notre Bulletin ne paraîtra
que tous les trois mois, comme la Revue ; nous verrons, au
bout d'une année d'essai, si nous pouvons faire mieus. Rien
n'empêcherait d'ailleurs, si l'argcMit A'cnait en abondance, de
publier des numéros supplémentaires.
C'est donc M. Clédat qui est dorénavant rédacteur en chef
de notre Bulletin. C'est à lui que devront être adressés les
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE RÉFORME ORTHOGRAPHIQUE 307
articles, correspondances, coupures de journaus, etc., les
volumes et brochures dont on désire un compte rendu, ainsi
que les cotisations. J'espère qu'il recevra le tout en abon-
dance, et que notre Bulletin sera plus intéressant et plus
utile que du temps où je le dirigeais. — Mes collègues peu-
vent d'ailleurs être assurés qu'en me retirant de la direc-
tion (1), je ne déserte pas notre cause, et qu'ils peuvent
compter sur moi toutes les fois que je pourrai rendre service
à notre Société.
Paul Fassy.
Neuilly-sur-Seine.
AVIS
Ce fascicule sera envoyé à tous les membres de la Société
de Réforme Orthographique qui ne nous ont pas signifié
leur démission. Cens qui désirent rester membres voudront
bien (s'ils ne l'ont pas encore fait) envoyer au plus tôt le
montant de leur cotisation pour 1892 ; les autres seront
considérés comme démissionnaires.
Nous prions aussi les personnes qui s'intéressentà la réforme
de l'orthographe, et qui recevront ce fascicule, de vouloir
bien nous donner une marque visible de leur sympathie en
s'inscrivant parmi nos membres. On sait que nous avons
quatre catégories de membres (outre les membres honoraires),
à savoir^ des membres fondateurs (10 francs par an), des
membres actifs (5 fr.), des membres adliérents (2 fr.), et des
membres adjoints (0 fr.50) qui ne reçoivent que le numéro où
paraît leur nom.
(1) [On me permettra d'exprimer ici le vœu que M. Paul Passy,
qui a déjà rendu tant de services ù. la cause de la réforme orthogra-
phique, veuille bien colluljorer à la direction du nouveau Bulletin et
m'aider à le rendre aussi intéressant et aussi utile que l'ancien.]
L. C.
308 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Les membres suivants se chargent de recevoir les cotisa-
tions :
MM. L. Clédat, 30, rue Saint-Maurice, Lyon ;
E. Faivre, 150, rue Mouffetard, Paris ;
F. Funck-Brentano, 7, rue de Passy, Paris ;
J. Passy, à la Bibliothèque, Toulon ;
P. Passy, G, rue Labordère, Neuilly-sur-Seine ;
Ch. Roussey, 23, rue Cujas, Paris,
La liste complète des membres paraîtra dans le prochain
numéro,
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
Une assemblée générale des membres de la « Société de
Réforme Orthographique » aura lieu le jeudi 14 janvier 1892,
à huit heures du soir, chez M. Faivre, 150, rue Mouffetard,
à Paris (au coin de l'avenue des Gobelins),
Ordre du jour : Élection du bureau ;
Compte rendu de la situation ;
Propositions diverses. ■
Les membres fondateai-s ou actifs de la u Société de Ré-
forme Orthographique » pourront s'abonner à la Revue de
Philologie Française au pris de faveur de dis francs (au
lieu tle quinze) consenti par l'éditeur, M. Bouillon,
LETTRES au journal Le Soleil mr la simplification
fie rorfhof/rapJie il).
I
La circulaire niinistéi'iclle du 27 avril ls!)l a remis à l'ordre
du jour la question da la réiornie orthographique.
(1) Ces lettres ont paru dans les numéros du 10, du 14 et du 16
juin 1891. Elles m'avaient été demandées parle directeur du journal,
M. Edouard Hervé, membre de l'Académie française.
BULLETIN UE LA SOCIÉTÉ DE RÉFORME ORTHOGRAPHIQUE 309
L'idée d'une réfonne radicale de l'orthographe n'est pas nouvelle,
et elle a été exprimée en particulier par celui que l'on considère
comme le créateur de la prose française. Le 12 janvier 1638, Des-
cartes écrivait : « Au reste je n'ai point dessein de réformer
l'orthographe françoise ni ne voudrois conseiller de l'apprendre à
personne dans un livre imprimé à Lejale; mais s'il faut ici que
j'en dise mon opinion^ je crois que si on suivoit exactement la
prononciation, cela apporteroit beaucoup plus de commodité aux
étrangers pour apprendre notre langue que l'ambiguïté de quel-
ques équivoques ne donneroit d'incommodité à eux ou à nous :
car c'est en parlant qu'on compose les langues plutôt qu'en écri-
vant; et s'il se rencontroit en la prononciation des équivoques qui
causassent souvent de l'ambiguïté, l'usage y changeroit inconti-
nent quelque chose pour l'éviter. » MM. Paul Passy et Louis
Havet n'ont pas dit autre chose, et les ironies dédaigneuses par
lesquelles certains critiques ont accueilli leur théorie, s'adres-
saient par dessus leur tête à Descartes.
Qu'il nous soit permis, à ce propos, de dissiper une équivoque
qui est devenue le lieu commun favori des antiréformistes. Quand
on leur parle de modifier l'orthographe, ils répondent qu'il ne faut
pas modifier la langue. « Ne touchons pas, s'écrient-ils, à la
langue de Bossuet, de Corneille, de Descartes, etc. ! » Mais la
langue est, en cette affaire, aussi hors de cause que la politique !
Personne n'a proposé de réformer la langue. Supposons qu'on
adopte la réforme orthographique la plus radicale, imaginons
. même qu'on invente d'autres lettres pour rendre les sons. Il est
certain qu'au premier abord une oraison funèbre de Bossuet,
transcrite d'après le nouveau système, nous étonnerait, choquerait
nos habitudes. Mais quand nous serions familiarisés avec ces
lettres, quand nous serions arrivés à lire couramment l'écriture
nouvelle, nous nous retrouverions exactement dans les conditions
actuelles : nous aurions la môme facilité pour goûter l'œuvre et
pour apprécier non seulement les idées, mais les formes du lan-
gage. La langue est comme Tincarnation de la pensée, l'ortho-
graphe n'est qu'un vêtement, et on ne change pas la valeur d'un
homme en modifiant son costume. Si l'on proposait de prononcer
« des chevals » ou « un chevau », on porterait en effet la main
sur la langue. Mais on ne demande rien de semblable. Point
n'est besoin d'éveiller les défenseurs du Capitole, alors que per-
sonne ne le menace.
On comprendrait mieus le langage suivant : « Nous sommes
habitués à orthographier les mots comme nous les trouvons écrits
dans Corneille, dans Racine et dans Voltaire, et nous préférons
310 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
la mode du dis-septième et du dis-huitième siècles aus modes
nouvelles qu'on nous vante. » Il n'y a rien à dire contre ce rai-
sonnement, si ce n'est qu'il pêche par la base, car sur bien des
points les réformateurs demandent précisément qu'on revienne à
l'orthographe des écrivains du grand siècle, qui a été abandonnée
sans raison. « Lorsqu'on réimprima nos classiques, dit M. Marty-
Laveaux, on prit soin, sans doute par respect pour leur mémoire,
de corriger très consciencieusement leurs prétendues fautes. Le
plus joli, c'est que les manuels pratiques, tels que celui de
Girault-Duvivier, citèrent ensuite avec candeur les éditions
récentes des œuvres de Racine, à l'appui des règles qu'il avait
enfreintes dans ses éditions originales. »
L'orthographe n'est donc pas restée identique à elle-même
depuis le dis-septième siècle jusqu'à nos jours. Mais notre siècle a
arrêté brusquement son évolution. Il l'a immobilisée et en a fait
une idole digne de toutes les vénérations. L'Académie a été érigée,
un peu malgré elle, en prêtresse du nouveau culte. D'après le
préjugé universellement répandu, elle seule a le droit de modifier
le dogme orthographique. Elle répète à qui veut l'entendre qu'en
vertu de ses traditions et du bon sens elle doit se borner à cons-
tater l'usage : on l'a compromise en lui persuadant de supprimer
un /( ou deus de sa propre autorité. Elle continue cependant à
déclarer qu'elle attent l'initiative des écrivains pour modifier son
Dictionnaire, et les écrivains attendent les décisions de l'Aca-
démie pour modifier leur orthographe. S'il en est qui veuillent
aller de l'avant, je sais par expérience qu'ils se heurtent à l'iné-
branlable résistance des éditeurs. Dans son édition de la Mcdée
de Corneille, Voltaire pouvait imprimer aprochcs, soufrir, cou-
roux, aluinerait. En l'an de grâce 1891, aucun libraire n'aurait
voulu éditer son livre.
Il fallait cependant sortir de cette impasse. Un certain nombre
de littérateurs et de philologues se sont entendus pour adopter
un petit programme de réforme qu'ils appliquent depuis un an
àa.nH la, liecne (le p/tilologie française, et ils ont fait appel à
l'administration supérieure de l'Instruction publique en lui
demandant, non pas d'imposer leur programme dans l'enseigne-
ment, mais de réprimer les sévérités des correcteurs de dictées
dans les cas douteus et sur les points où les façons d'écrire
actuelles sont manifestement mauvaises.
Nous sommes, en effet, dans les meilleures conditions pour
arriver à une réforme rationnelle de l'ortliographe. Depuis une
trentaine d'années, les études grammaticales et la connaissance de
l'histoire de la langue ont fait des progrès considérables. On sait
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE RÉFORME ORTHOGRAPHIQUE 311
à merveille aujourd'hui les raisons, et trop souvent les déraisons
de nos règles orthographiques. Tandis que Voltaire et les écri-
vains des siècles passés se dirigeaient un peu à tâtons dans leurs
tentatives de réformes, nous avons l'avantage de pouvoir procé-
der à coup sur, On a dit, à propos de la circulaire de M. le mi-
nistre de l'instruction publique : « Qu'en penseront les gram-
mairiens ? » La réponse est facile. Les grammairiens, j'entens les
savants qui s'occupent de questions grammaticales, sont una-
nimes cà reconnaître, à proclamer l'utilité de la réforme Ils l'ap-
pèlent de tous leurs vœus et y contribuent de tout leur pouvoir.
11 ne s'agit pas seulement, on ne saurait trop le répéter, d^
rendre l'orthographe plus commode pour les enfants et pour les
étrangers. Ce sera une conséquence de la réforme, et il serait sin-
gulier de s'en plaindre et de préférer une façon d'écrire absurde,
parce qu'elle est difficile, à une forme rationelle qui n'a que l'in-
convénient d'être facile. Mais le but visé n'est pas la facilité, c'est
la correction de l'orthographe. Par suite de circonstances fâcheuses,
qui ne se sont pas produites chez nos voisins, notre orthographe est
remplie de contradictions et de puérilités dont les autres langues
néo-latines sont exemptes. A vouloir l'épurer complètement, on
risquerait de trop changer la physionomie des mots et de heurter
trop violemment des habitudes de l'œil. Mais on peut au moins
corriger les erreurs les plus grossières, et tous les amis sincères de
notre langue doivent favoriser ce mouvement ; car si l'ortho-
graphe n'est qu'un costume, encore faut-il que le costume d'une
lajigue honorable soit décent. L'Académie a un rôle utile à jouer,
et nous espérons qu'elle n'y faillira pas. Elle peut agir très légi-
timement et très efficacement sur l'usage général en se hâtant
d'enregistrer l'usage particulier et les desiderata des écrivains et
des savants dont la compétence, en ces matières, est indéniable.
II
Nous avons établi la légitimité d'une reforme orthographique,
et nous avons montré que si, à d'autres époques, on a pu modifier
aisément l'orthographe française, tout changement de ce genre
était devenu extrêmement difTicile aujourd'hui par suite de l'idée
fausse que notre siècle s'est faite du rôle do l'Académie, et do
l'importance exagérée que l'enseignement de notre mauvaise or-
thographe a prise dans les études.
Un préjugé tenace, quoique récent, d'une part, et un fétichisme
312 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
intolérant de l'autre, tels sont donc les obstacles qui s'opposaient
à une amélioration rationnelle de notre façon d'écrire. Mais il s'est
produit, en l'espace d'un an, deus faits nouveaus qui semblent
devoir nous permettre de franchir enfin ces obstacles, en apparence
insurmontables. C'est d'abord l'entente, sur un programme limité,
de tous les savants qui s'occupent de questions grammaticales, et la
décision qu'ils ont prise de mettre leur programme en pratique,
sans attendre une nouvelle édition du dictionnaire de l'Académie.
C'est ensuite la circulaire par laquelle M. le ministre de l'ins-
truction publique porte un coup décisif à l'incroyable tyrannie que
des règles, aujourd'hui reconnues fausses, exerçaient depuis trop
longtemps sur l'enseignement.
Le programme de réforme, auquel nous venons de faire allusion,
est adopté depuis un an par la Reçue de philologie française. Il
a déjà été publié par le Soleil, et nous allons en rappeler les points
essentiels, en demandant pardon au lecteur pour les détails un peu
techniques dans lesquels nous serons obligé d'entrer.
Une des particularités les plus extraordinaires de l'ortliographe
actuelle, c'est ïx final. L'article pluriel les s'écrit par s, comme
en latin (illos), et nous maintenons s dans la forme contracte des
pour de les, mais nous le changeons en x dans aux pour à les.
L's est la lettre caractéristique du pluriel, que nous avons héritée
de la déclinaison latine. Par quel mystère doit-on lui substituer
un X dans choux qui vient de caules, dans royaux, qui vient de
regales, dans lieux, qui vient de locos, etc. ? Pourquoi Vs des
féminins dans mauvaise, curieuse, est-il représenté pars dans le
masculin mauvais et par a? dans le masculin curieux'^ Il n'y
a pas trace d'x dans le latin curiosus. Quelle peut être la signi-
fication de ïx dans/)r?j?, qui vient depretium, tandis que palais,
qui vient de palatium, prent un s ? Po\iv noix, on alléguera aux,
mais on sait aujourd'hui que. ce mot vient de nucem. D'ailleurs,
si on écrit noixà cause de nux, pourquoi ne pas écrire ror'j? à cause
de rex ?
Voilà toute une série de pourquoi ausquels on eût été bien em-
barrassé de répondre au siècle dernier. Aussi conservait-on toutes
ces bizarreries, faute de pouvoir donner de bonnes raisons pour
les supprimer. La philologie moderne a trouvé le secret de l'é-
nigme, et le voici. Antérieurement au quinzième siècle, nos an-
cêtres écrivaient très régulièrement aus, roi/aus, curieus, pris,nois.
Mais les copistes, pour économiser le temps et le parchemin, rem-
plaçaient souvent us, terminaison très fréquente, par un signe
abréviatif, toutconvcntionnel, qui ressemblait à un ^r. On écrivait
donc checaus ou bien quelquechose comme checax. Mais chevaux
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE RÉFORME ORTHOGRAPHIQUE 313
était un barbarisme, car cette forme aurait dû se transcrire
exactement checauus. On commit souvent ce barbarisme parce
qu'on pensait au signe abréviatif quand on avait à écrire un mot
terminé par us, et il arrivait que, d'abord parmégarde, onécrivait
quand même ïn. La faute tourna en habitude, on confondit tout à
fait le signe abréviatif avec un x, et on en vint à considérer l'x
comme l'équivalent de 5 dans les mots terminés [)ar /<6-. On écrivit
dès lors chccaiix, r/lor-iciix. tu i'et(x, etc., et ou mit aussi V x, qui
n'avait plus que lavaleurdes, à quelques autres mots, notamment
à cens dont le nominatif latin finissait par cette consonne: coix,
paix, croix.
C'est ainsi que Vx final, auquel le pédantisme des ignorants
voudrait nous condamner à perpétuité, est le résultat et la con-
sécration d'une erreur grossière. Quelques mots en ^/.s échappèrent,
comme par miracle, à la déformation qui atteignait les autres : le
pluriel de bleu, iemcus, lepluriel d'un bon nombrede noms en ou.
Ce sont ceus-là qui représentent la saine et ?jonne tradition, et
quijustifientlepremierarticledu programmede réforme : remplacer
par s Vx final valant s.
La seconde modification importante adoptée par les collaborateurs
de la Reçue de philologie française consiste à rendre uniformes
les terminaisons de l'indicatif présent dans les verbes en re, oir et
ir. L'histoire delà langue nous apprent que, pour tous ces verbes,
la terminaison caractéristique delà troisième personnedu singulier
est le t. Le radical de dormir est dor/n, mais on remplace Vin
par un t dans « il dort ». On doit également écrire: il pcrt,i\
prent, il répaiit, il réponf. il coid, il moût, il s'assief, etc. Car
on n'écrit pas: il dorm, il doiv, il écriv, il peind, il résoud, il
void.. La consonne fliiale du radical français ou latin, que ce soit
un d ou toute autre lettre, doit logiquement faire place à la ter-
minaison régulière de la troisième personne du singulier. De même,
à la première et à la seconde personne, cette consonne doit dis-
paraître devant la terminaison s, et non pas s'ajouter à Vs. Les
formes « tu perds, tu prends, tu couds, etc. » sont aussi incorrectes
que le seraient tu dor/ns, tu doios, tupcinds, tu rèsouds, tu voids.
L'orthographe « tu défens, il défont », qui est celle de tous nos
anciens textes pendant sept siècles, n'a été abandonnée que pour
aboutir à un type factice de conjugaison. Mais elle n'avait jjoint
disparu complètoment au dis-septième siècle. Racine écrit :« Je
prens, j'attcns, je répons. »
Quand nous aurons ajouté qu'on supprime radicalenuMit les sub-
tilités de la règle des participes, en laissant toute liberté dans le
cas où une double interprétation est possible, nous aurons in-
314 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
diqué les traits essentiels de la modeste réforme entreprise par
nos grammairiens. La légitimité de ces différentes modifications
est incontestable, et, en parcourant ces articles, on reconnaîtra
qu'elles ne changent pas beaucoup la physionomie générale de
l'écriture et qu'elles ne choquent pas trop violemment nos habi-
tudes.
Les tolérances recommandées par M. le ministre de l'instruction
publique ont le même caractère. Bien loin d'abaisser le niveau des
études grammaticales pour les mettre à la portée du plus grand
nombre^ la circulaire sanctionne, au contraire, les découvertes les
plus importantes de la science philologique, et nous devons tous
nous réjouir que l'orthographe la plus correcte se trouve être en
même temps la plus facile.
Ce qui est un signe des temps, c'est que M. le ministre de l'ins-
truction publique est visiblement préoccupé de ne pas froisser les
adorateurs du fétiche orthographique, tant le préjugé est devenu
puissant ! Et c'est ce qui explique la méprise de quelques-uns de
nos confrères qui, entendant parler « d'indulgence » dans la cor-
rection de la dictée, ont cru à un acte de faiblesse et à un abais-
sement des épreuves grammaticales. L'indulgence réclamée équivaut
en réalité, comme on peut s'en convaincre en lisant avec soin la
circulaire, à l'autorisation absolue d'employer des formes consi-
dérées à tort comme fautives, et dont les unes sont meilleures, les
autres aussi bonnes que les formes usuelles.
Nous espérons que les commissions d'examen ne s'y tromperont
pas, et les professeurs comprendront que l'effet du nouveau régime
doit être «d'assurer à l'enseignement de l'orthographe une direction
moins étroite » et plus scientifique. Le profit serait médiocre si on
se contentait de ne plus compter dans les examens ces prétendues
fautes, et si l'enseignement continuait à être encombré d'exercices
pour les éviter.
La circulaire ministérielle, qui procède par exemples et par
indications générales, autorise implicitement dans les écoles des
façons d'écrire qui ne sont i:>as comprises dans le programme de la
Reçue de philologie française. Mais ce programme, de l'aveu de
ceusqui l'ont formulé, n'est qu'une première étape, et nous aurons
à examiner s'il no serait pas opportun d'y ajouter dès maintenant
quelques autres réformes, aussi justifiées que les premières et ne
choquant pas davantage les habitudes de l'œil.
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE RÉFORME ORTHOGRAPHIQUE 315
III
Les philologues approuvent entièrement toutes les laçons d'écrire
indiquées comme non répréhensibles par M. le ministre de l'ins-
truction publique. Ils les ont signalées depuis longtemps, et ils ne
voient que des avantages à ce qu'on les tolère, à ce qu'on les
encourage même dans les écoles. S'ils ne les mettent pas toutes
en pratique immédiatement, c'est par considération pour messieurs
les prêtes, qui sont des facteurs importants de la réforme. On ne
voudrait pas leur imposer une tache trop lourde. Aussi cherche-
t-on avec le plus grand soin des modifications qui s'appliquent,
non à des termes isolés, mais à des groupes de mots, et qui
puissent se formuler et se retenir aisément. Quoi de plus simple
que de remplacer pai* s Vx final valant s et de substituer t final à
d à. la troisième personne de l'indicatif présent?
11 y a une autre réforme importante qui remplirait bien les
conditions requises, c'est la simplification des consonnes doubles
partout où on n'en prononce qu'une.
Il n'est pas question ici du redoublement de l's, qui est une
façon de distinguer s dur de s dous, ni du redoublement de 1'/
dans le signe traditionnel ill par lequel on note / mouillé. Per-
sonne ne propose aujourd'hui de modifier notre orthographe sur
ces deus points. Cette réserve faite, on remarquera la fréquence
toute particulière du redoublement des consonnes après l'e. Pour
se l'expliquer, il faut remonter à l'époque, qui n'est pas si loin-
taine, où l'on n'avait pas encore imaginé de se servir des accents
pour marquer les différentes prononciations de la lettre c. Quand
on voyait écrit le mot reiiouccle, il était impossible de savoir a
priori s'il fallait lire renouvelé ou renouvelé. Au lieu de songer
ans accents, on eut d'abord l'idée de redoubler la consonne après
Ve non muet. Dès lors on sut que renouvelé devait plutôt se lire
renouvelé, et renouvelle: renouvelé. L'hésitation était moindre
dans les terminaisons en aie, île, ule, olc (ou aie, ape, etc.); car
il y avait au moins une voyelle sur deus, dont la prononciation
ne faisait pas doute. Cependant, là encore, le redoublement pou-
vait indiquer que la voyelle suivante était un e muet. On put
avoir l'idée d'écrire voile pour rôle, et vole pour volè\ mais dans
les cas de ce genre on ne constate pas de système bien arrêté.
Quand on eut la ressource de placer un accent sur les e non
muets, l'emploi ou le non-emploi de cet accent faisait le même
ofiQce que le redoublement ou le non-redoublement do la consonne.
316 KEVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Ayant deus moyens à sa disposition, on se servit librement tantôt
de l'un et tantôt de l'autre. On écrivit, sans y attacher d'autre impor-
tance, cUentellc ou clientèle, tutellcow tutèle, discrète ou discrette,
belle ou. hèle, etc. Puis, quand l'orthographe fut codifiée, l'Aca-
démie adopta pour chacun de ces mots, un peu au hasard, soit è
accentué, soit e suivi d'une consonne double, et cette distinction
une fois établie, on s'y conforma avec d'autant plus de scrupule
qu'on devint incapable, au bout de peu de temps, d'en scruter
l'origine. L'histoire de la langue et de son orthographe est une
science toute récente; avant qu'elle se fût constituée, on respectait
les particularités orthographiques les plus étranges, parce qu'on
supposait bonnement qu'elles reposaient sur des principes cachés,
mais excellents. On les conservait parce qu'on ne pouvait formuler
les raisons de les supprimer. Nous n'en sommes plus là aujour-
d'hui.
Sans doute, au moment du triage entre les è accentués et les
e suivis d'une consonne redoublée, on maintint surtout le redou-
blement dans les mots qui l'avaient en latin, et on procéda de
même après les autres voyelles et particulièrement au commen-
cement des mots. Mais il s'en faut que ce système ait été rigou-
reusement suivi ; car nous écrivons tutelle, carotte, chandelle,
malgré la consonne unique de tutela, carota, çandela, et imbécile,
annuler, etc., malgré inibecillum et nulluni. D'ailleurs, il n'est
pas admissible que l'on introduise ou que l'on conserve _une lettre
non prononcée dans un mot français, pour cette seule raison que
la lettre figurait dans le mot latin correspondant. Personne n'o-
serait plus proposer aujourd'hui d'écrire froigd ou trenijte,
quoiqu'il y eût un g dans frigiduni et dans triginta. Les Latins
prononçaient bel-la, nous prononçons hèle. Ecrire belle avec deus
/, dont une muette, n'est pas moins ridicule que d'écrire froigd
ou trengte, puisque, grâce à la possibilité d'employer l'accent
grave, le redoublement n'est plus utile pour marquer la pronon-
ciation de Vè.
De tout temps, l'orthograplie française a laissé tomber les lettres
qui disparaissaient de la prononciation. Le mot dérivé de laudatum
a d'abord été lodèt, jusqu'à la fin du onzième siècle. Puis, \e d et
le t n'étant plus prononcés, on a écrit loè, loué. Le mot dérivé
de videre a été successivement prononcé et orthographié vedeir,
ceeir, veoir, voir, si bien qu'il ne reste plus d'autre trace du
radical que la consonne o. La suppression d'un l dans belle est
aussi justifiée que l'a été la suppression du d et de Ve dans vedeir,
ceoir.
Le redoublement des consonnes nasales n et m a une origine
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ DE REFORME ORTHOGRAPHIQUE 317
toute spéciale. On peut s'étonner de voir deus n dans sonne, alors
qu'il n'y en avait qu'une dans le latin sonat. C'est que la
prononciation française de ce mot a été successivement sone, puis
son-ne. Elle est redevenue sone, mais on a conservé l'orthographe
du temps où on disait so/i-«c. Le bon sens exige impérieusement
que nous revenions à l'orthographe primitive.
L'histoire de la langue nous conduit donc à cette conclusion
que le redoublement des consonnes qui se prononcent simples ne
s'appuie sur aucune raison sérieuse et doit être considéré, scientifi-
quement, comme une incorrection. Il est facile d'en débarrasser
notre orthographe. Contre cette réforme, on a objecté que, parmi
les mots d'une même famille, les uns se prononcent avec la con-
sonne double, les autres avec la consonne simple, ce qui obligerait
à écrire par exemple inocent avec un n et innocuité avec deus.
Pourquoi non, puisque c'est ainsi qu'on prononce? On prononce
et on écrit effectif avec un c et e.ff'ct sans c, bien que ces deus
mots soient aussi apparentés qu'inoccnt et innocuité.
Pour faire passer dans la pratique la réforme des consonnes
doubles, il n'y aura de difficulté qu'à propos des mots, en nombre
assez restreint, dont la prononciation n'est pas tout à fait sûre,
où les uns font entendre deus consonnes et les autres une seule.
Pour ces mots, il vaut mieus évidemment se conformer à la pro-
nonciation la plus générale. On la trouvera indiquée dans le
dictionnaire de Littré et dans celui de MM. Hatzfeld, Darmcsteter
et Thomas, qui est en cours de publication. D'ailleurs, en simpli-
fiant la consonne d'un mot douteus, on ne courra jamais que le
risque d'être un peu en avance sur la langue. Car la tendance ma-
nifeste du français, depuis ses origines jusqu'à nos jours, est de
réduire les consonnes redoublées.
Quand nous empruntons un mot à une langue étrangère, vivante
ou morte, s'il a une consonne double nous la prononçons telle
pendant un temps plus au moins long; mais on peut dire qu'elle
devient inlailliblement simple dès que le mot a vraiment pénétré
dans la langue populaire, en prenant «populaire» dans le sens
le plus étendu. Collège, bien que d'origine savante, est devenu un
mot de la langue courante : il se prononce par l simple, c'est la
marque de sa naturalisation. Colligcr, qui est de la même famille,
est encore un étranger, bien qu'on l'ait habillé à la française, car
on fait entendre sa double consonne. Enfin, il y a des mots qui
sont tout à fait français par la prononciation populaire, mais où
les lettrés, sous l'iniïuence de l'orthographe, maintiennent ou
rétablissent la consonne double. Avant de modifier la façon de
les écrire, il convient d'attendre que la prononciation populaire
318 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
de ces mots soit devenue générale. La réforme que nous proposons
respecte donc les nuances de la langue et permettra même, dans
l'avenir, de les mieus constater.
Est-elle de nature à changer beaucoup la physionomie de l'écri-
ture ? On en jugera par ces quatre vers de Corneille, où nous
conservons purement et simplement (sauf dans èle et conais)
l'orthographe adoptée par Voltaire dans son édition de 1764 :
Pour èle, vous savez que j'en fuis les aproches ;
J'aurais peine à soufrir l'orgueil de ses reproches;
Et je me conais mal, ou dans notre entretien,
Son couroux s'alumant aluraerait le mien.
Il n'est pas douteus qu'on s'habituera très vite à voir les mots
ainsi écrits. Et l'écriture, en devenant plus exacte, préservera la
langue française des corruptions trop fréquentes qu'engendre notre
mauvaise orthographe. Car on commence à entendre des gens qui
font sonner les deus /• de courroux ; ils vous diront même que ce
redoublement peint bien l'exès de la colère ! On en viendrait à
prononcer sot'te, coClègc, tant il est vrai que l'orthographe
actuelle, loin de garantir l'intégrité de la langue, est au contraire,
sa pire ennemie.
L. CLÉDAT.
Le Gérant : E. Bouillon.
TABLE DU TOME V
DE LA REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
1891
Pages
Louis Havet, Ch. Lebaigue, L. Crouslé. — Le plan
général de réforme orthographique 1
Paul Marchot et Aug. Vicrset. — Texte Wallon avec
commentaire philologique 38
L. Clédat. — Phonétisme , arcltaïsme et étymologisme. 59
L. C. — Sur un emploi particulier du a futur dans
le passé » 62
L. C. — Un manuscrit de la traduction française de
Barthélémy V Anglais 64
L. C. — La confession de Rutebeuf, traduction ar-
chaïque et rythmée 65
A. Ferrand. — Noms de personnes et surnoms en
patois de Jons {Isère) 68
L. Clédat. — La ci/oculaire ministérielle du 27 avril
1891 sur l'orthographe dans renseignement 81
F. Araujo. — L'évolution phono graphique de V ai fran-
çais 96, 161, 257
L. Philipon. — Noël de 1721 ou 1725 en patois
lyonnais 134
F. Fertiault. — Dictionnaire du langage populaire
Verduno-ChalonnaiSj lettre C (suite) 174
J. Bastin. — Le conditionnel en français 194
P. Marchot. — Textes de l'extrême nord et de l'ex-
trême sud Wallon 205
D'" Galy. — Un manuscrit perdu de contes et f'ableaus. 224
Vicomte de Colleville. — La Bergère, chanson de
Provence 233
Paul Passy. — Notes sur quelques patois vosgiens
(à suivre) 241
320 REVUE DE PHILOLOGIE FRANÇAISE
Pages
J. Bastiii. — L'imparfait ou pasfié descriptif en fran-
çais 278
L. Clédat. — Traductions archaïques et religieuses :
1. Chant de croisade anonyme ; 2. Fable de Marie
de France ; 3. Poésie de Pierre Cardinal 290
Chroniques 78, 159, 234, 302
Bulletin delà Société de réforme orthographique. 305
Livres et articles signalés 79, 160, 138. 299
COMPTES RENDUS
The exempta or illustratices stories from the sermones
vulgares of Jacques de Vitry, par Th. F. Crâne ... 71
Dictionnaire général de la langue française, par
Hatzfeld, Darmesteter et Thomas [4" fascicule) 72
Le fabliau de Richcut par Joseph Bédier 73
Le français et le provençal ^ùxYL.'èwchiçv, traduit par
P. Mouet 74
Dictionnaire étymologique du patois lyonnais et Les
Vieilleries lyonnaises par N. du Puitspelu 153
Origines et sources du roman de la Rose et De artibus
rhetoricœ rhythmicœ, par Ernest Langlois 157
Etude sur les changements phonétiques et leurs carac-
tères généraux, par Paul Passy (c. r. de Paul
Regnaud) 294
rHALON-SUH-SAONK, IMIMil MKItl K l)K I,. MARCKAU
PC
2701
R5
t. 5
Revue de philologie française
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