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Full text of "Revue de philologie française"

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OtVOHTO 
UBRARY 


REVUE  DE   PHILOLOGIE 


CllALON-.SLIl-SAUM'; 
JMrniMi;i:iK  i'iian(;aish  kt  ouikntaij'  dk  i,.  marceau 


\;y       FRANÇAISE  ^    v^ 
^  PROVENÇALE  '^^ 

^^  (Ancienne    REVUE    DES    PATOIS)  *- 

RECUEIL     TRIMESTRIEL 

CONSACRÉ    A    l'Étude    des    langues, 

DIALECTES    ET   PATOIS    DE    FRANCK 

PUBLIÉ   PAR 

L.  CLÉDAT 

fllOFKSSEUR     A     LA     FACULTÉ     DES     LETTKHS     DK     LYON 


Tome  V.  —  1891 


PARIS 

EMILE   BOUILLON,   Éi)rn^:ijR 

07,    RUE    RICHELIEU,    07 
{Tous  droits  réserrés) 


TC 


-r      c^ 


QUESTIONS    D'ORTHOGRAPHE 
ET    DE    GRAMMAIRE 


IV 
PLAN  GÉNÉRAL  DE  RÉFORME  ORTHOGRAPHIQUE 

J"ai  rec^îu  un  certain  nombre  de  réponses  à  propos  du  plan 
général  de  réforme  présenté  à  la  fin  de  l'article  sur  les  con- 
sonnes doubles  [Ro.vue  de  philologie,  IV,  253).  Celle  de  M. 
Michel  Bréal  a  déjà  été  signalée  dans  la  Chronique  de  notre 
dernier  fascicule. 

M.  J.  Bastin  m'écrit  qu'il  est  d'accord  avec  moi,  presque 
sur  tous  les  points,  et  renvoie  à  ses  grammaires,  notamment 
à  sa  petite  grammaire  de  1881.  M.  Paul  Passy,  tout  en  con- 
sidérant la  graphie  legs  comme  pédante  et  erronée,  serait 
d'avis  de  la  conserver  parce  que  le  g  s'est  introduit  dans  la 
prononciation.  M.  A.  Delboulle  me  fait  les  observations 
suivantes  :  «  A  la  page  268,  vous  conseillez  d'écrire  nœa  ; 
il  n'y  a  pas  de  raison,  il  me  semble,  pour  que  ce  mot  soit 
orthographié  autrement  que  heuf,  veu,  euf\  Je  reconnais 
avec  vous  qu'il  est  très  difficile  de  donner  des  règles  bien 
arrêtées  en  cette  matière.  L'important  serait  de  choisir  dans 
le  Dictionnaire  de  rAcadémie  un  grand  nombre  de  mots  dont 
l'orthographe  bizarre  déroute  même  cens  qui  ont  l'habitude 
d'écrire.  Je  citerai  seulement  ceus-ei  :  ballon  et  ses  dérivés, 
ballotter,  ballottement,  etc.  Au  moins  pour  la  conservation 
do  ces  lettres  absolument  inutiles,  on  n'aurait  pas  à  invoquer 

(1)  [En  effet,  et  c'est  bien  neu  que  je  propose.  J'ai  écrit  nœu,  p.  268. 
parce  que  je  n'avais  pas  encore  parle''  de  la  substitution  de  eu  k  œu.] 

L.  C. 

Revue  nv.  pini.oi.ofUK,  v.  1 


•J  HKvri'.  Di:  ['im.di.oi.ii:  i'raniaisi-; 

le  lanlôme  de  1  etymologic.  Vous  dites,  page  274,  que  l'on 
devrait. écrire  prudainent,  différament,  etc.  Je  sais  bien  que 
Liltré  indique  cette  prononciation,  mais  il  s'en  faut  de  beau- 
coup qu'elle  soit  générale.  » 

D'autres  réponses  sont  plus  développées  : 


REPONSE   DE   M.    LOUIS    HAVET 

Il  va  sans  dire  que  votre  Plan  général  n'est  pas  tout 
à  fait  le  mien,  et  que  pourtant  je  serais  comblé  de 
joie  s'il  était  adopté  tel  quel.  Les  divergences,  en 
effet,  portent  sur  des  questions  très  secondaires,  et 
l'accord  porte  sur  l'essentiel. 

Serais-je  plus  radical  que  vous,  j'entens  en  me 
plaçant  comme  vous  au  point  de  vue  de  la  réforme  à 
faire  dès  maintenant  '?  pas  beaucoup,  je  crois.  Je 
demanderais  un  peu  moins  de  respect  pour  l'étymo- 
iogie  ;  d'abord  parce  que  l'étymologie  est ,  en  soi,  de 
nulle  valeur  en  orthographe.  Les  braves  gens  qui 
s'imaginent  tenir  à  l'étymologie  ne  tiennent  en  réalité 
qu'à  l'habitude  ;  ils  seraient  très  épouvantés  de  mile,  à 
cause  des  deus  //  du  latin,  et  leur  culte  pour  l'étymolo- 
gie ne  s'offense  pas  à'annuler.  Cela  n'est  pas  sérieus  ; 
on  orthographe,  l'étymologie  par  elle-même  doit  comp- 
ter pour  zéro.  Parlons  d'habitude  et  non  d'étymologie, 
et  aussitôt  les  scrupules  des  gens  timorés  seront  respec- 
1al)l(\s  ;  mais  si  nous  devons  respecter  les  scrupules,  ne 
respectons  pas  les  prétextes  mensongers  dont  on  les 
couvre. 

Mon  second  motif  pour  ne  pas  respecter  l'étymologie, 
c'est  qu'elle  nous  mènerait  â  résoudre,  à  propos  du 
français,  des  questions  latines.  Je  trouve  très  claire  la 
doctrine  :  Lscra  simple  s'il  n'est  pas  mouillé  ;  exemple, 
mile  fille?..  Mais  comment  se  1  ii-cr  d'à  ITii  ire  avec  Vêtymo- 
lofjie,iiï,  ici,  c'est  une /).S(:v^<:/o-/o/y/V  î' Car  enfin,  pour 
clif)isir    d'après   ce  prét(Mulu    principe  entre  mille   et 


HKPO.NSIi    dp;    m.    LOUIS    h.v\"j;t  ,1 

mile,  il  faudra  avoir  une  opinion  sur  l'orthographe  du 
latin.  Millia  est  plus  banal  dans  les  imprimés,  plus 
familier  ans  collégiens,  plus  latin  de  convention.  Mais 
miJia  est  miens  appuyé  par  les  documents (jui  comptent. 
Voyez-vous  l'Académie  des  inscriptions  se  prononçant 
pour  niilia,  et  la  soi-disant  étymologie  menant  l'Acadé- 
mie française  â  se  prononcer  pour  mille  ?  — 

Qu'ils  viennent  de  Chaillot,  d'Auteuil  ou  de  Pontoise. 

Cela  ne  fait  rien. 

Voilà  la  devise  5  adopter,  le  vrai  principe  à  suivre. 
Les  gens  qui  n'entendent  rien  à  l'étymologie  continue- 
ront à  l'invoquer;  ne  soyons  pas  leurs  complices.  Car, 
si  nous  faiblissons,  ils  nous  demanderont  de  légitimer 
l'y  barbare  Cju'il  fut  si  à  la  mode  d'écrire  dans  lacrima; 
ils  le  demanderont  au  nom  du  français  lacrymal;  et 
nous  en  viendrons  à  régler  l'orthographe  latine  sur  la 
cacographie  fi'ançaise.  Je  me  demande  où  sera  la  force 
de  résistance  des  gens  du  métier,  si,  en  matière  scienti- 
fique, ils  se  laissent  imposer  les  formules  des  incompé- 
tents (1). 

Si  je  méprise  absolument  l'étymologie  appliquée  à 
l'orthographe,  je  ne  méprise  pas  la  routine.  Et  voila 
comment  vous  allez  me  trouver  très  modéré.  Vous 
êtes  pressé  d'ôter  le  c  dans  sceau,  moi  je  le  suis 
moins  que  vous.  J'apprécierai  cette  réforme  le  jour  où 
on  l'appliquera  aussi  à  science,  conscience.  Tant  que 
sience  sera  rendu  impossible  par  la  routine  (je  vous  en 
prie  ne  dites  pas  que  c'est  par  l'étymologie),  je  ne  vois 
pas  que  pour  seau  il  y  ait  urgence.  Si  donc  il  me  fallait 
dresser  à  mon  toui-  un  Plan  (jcncral .  j'oternis  cet 
article  et  quelques  autres.  Voila  mon  impression  d'en- 
semble qui  se  dégage  :  vous  demandez  eti  trop  (jrand 
nombre  des  réformes  trop  timides.  Je  voudrais  abréger 

(1)  [Je  suis  tout  à  fait  de  l'avis  de  M.  Havet.  et  c'est  uniquement  à 
titre  d'habitude  que  je  tiens  compte  de  l'fMymologic  dans  mes  i)ropo- 
sitions  de  réforme.]  I,.  C. 


4  ki:vi  i;   dk  l'iili.nijKiiK    fi!AN(  .\isi-; 

votre  liste  doublement  :  1"  eu  ôtaiit  quelques  réclama- 
tions jDratiquement  prématurées,  2°  en  ôtant  les  restric- 
tions de  celles  qui  resteraient.  Si  j'obtenais  d'écrire 
toujours  J  pour  g  dous,  manjer,  je  nianje,  gajure, 
jenre,  et  toujours  ca  pour  qaa  intérieur,  traficant, 
il  trafica,  je  me  résignerais  bien  volontiers  à  écrire 
toute  ma  \[e poids,  /cf/.'^,  morceau.  Ces  façons  d'écrire 
ne  sont  que  ridicules,  tandis  que  les  règles  â  exceptions 
sont  malfaisantes. 

Ma  lettre  ne  touche  guère  que  les  principes  généraus; 
et  en  effet  les  détails,  pris  isolément,  ne  peuvent  donner 
lieu  à  une  discussion  bien  fructueuse.  Permettez- 
moi  de  vous  soumettre  encore  une  idée  qui  a  un  carac- 
tère général. 

Etant  donné  que  le  but  idéal  est  la  simplification  par 
phonétisme,  et  que  l'obstacle  est  une  résistance  opposée 
par  l'habitude,  comment  obtenir  un  maxinmm  de  sim- 
plification avec  un  minimum  de  perturbation  ? 

Ce  serait,  je  crois,  en  s'imposant  certaines  règles  de 
patience.  Voici  comment. 

Pour  ne  pas  trop  déranger  les  habitudes,  il  ne  faut 
pas  que  beaucoup  de  mots  soient  modifiés  d'une  façon 
multiple.  Je  proposerais  donc  de  ne  pas  du  tout  s'at- 
taquer aus  voyelles,  et  de  limiter  systématiquement  les 
réformes  immédiates  aus  consonnes.  Dédoubler  les  nn 
dans  donner,  mettre  imj  dans  sage,  voilà  déjà  une  grosse 
besogne,  et  qui  cadre  avec  vos  premières  réformes,  x 
remplacé  par  s,  tt  par  t.  Mais  abandonnons  toute  idée 
d'écrire  maintenant  à  pour  au,  è  pour  ai,  an  pour  en. 
Un  même  mot  n'aura  jamais;  beaucoup  de  consonnes 
atteintes  à  la  fois,  et  par  conséquent  l'aspect  de  l'écriture 
ne  changera  pas  trop,  ce  qui  est  indispensable  au  suc- 
cès de  la  réforme. 

Mais  parmi  les  réformes  touchant  aus  consonnes, 
lesquelles  choisir  V  En  vertu  du  même  principe,  celles 
qui  ont  chance  de  ne  pas  se  cumuler  sur  un  même  mot. 


REPONSt;  DE  M.  CHARLES  LEBAIGUE  O 

La  suppression  du  g  chuintant  n'atteindra  presque 
jamais  les  mots  grecs.  Eus  seuls,  au  contraire,  seront 
atteints  par  la  réduction  du  th,  du  ch  non  chuintant, 
par  la  substitution  d'J'liph.  Voilà  donc  deus  réformes 
éminemment  compatibles,  qui  ne  peuvent  se  gêner 
l'une  l'autre  :  1°  la  réforme  du  ^  chuintant,  2"  la  réforme 
des  consonnes  aspirées.  Elles  devront  par  conséquent, 
—  soit  maintenant,  soit  plus  tard,  —  être  poursuivies 
ensemble  (1). 

Voilà  une  bien  longue  lettre,  et  qui  ne  traite  qu'un 
petit  nombre  de  points.  Il  m'a  semblé  que  le  plus 
important  n'est  pas  que  vos  lecteurs  votent  pour  ainsi 
dire  sur  chaque  article  de  votre  programme.  C'est  que 
le  programme  leur  soit  l'occasion  de  se  communiquer 
leurs  pensées,  et  de  s'aider  mutuellement  à  voir  clair 
dans  une  question  si  complexe.  Ainsi  les  principes  se 
dégageront  peu  à  peu  et  la  réforme  arrivera  à  maturité 
par  cela  même  que  tous  les  esprits  auront  pris  l'habi- 
tude de  l'envisager  d'une  façon  abstraite,  et  qu'elle 
aura  cessé  d'être,  aus  yeus  du  gi^and  nombre,  une 
simple  collection  d'expédients. 


REPONSE    DE    M.    CHARLES    LEBAIGUE 
I 

La  réforme  que  je  propose  relativement  à  ceilains 
redoublements  de  consonnes  présente,  dites- vous,  des 
difficultés  insolubles.  Peut-être  l'application  vous  en 
paraiti-ait-elle  possible  si  j'en  modifiais  les  termes  e1  si 
j'en  restreignais  la  conclusion. 

Vous  admettez  avec  moi  qu'il  est  simple  et  logique 
de  revenir  à  la  formation  normale  du  féminin  dans  les 

(1)  [Je  suis  aussi  de  cet  avis,  mais  je  ae   crois  pas  que  ces  deus 
réformes  soient  encore  mûres.]  L.  C. 


6  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

noms  et  les  adjectifs,  et  d'écrire  cJiate,  lione,  paysane, 
muètej  mortèle,  soie,  comme  on  écrit  i^ate,  ourse,  cour- 
tisane, secrète, fidèle,  idiote. 

Comme  corollaire  à  cette  proposition,  ne  pourrait-on 
pas,  en  laissant  de  côté  les  termes  de  suffixe  et  de 
terminaison,  l'un  d'une  notion  peu  courante,  l'autre 
d'une  signification  trop  vague,  ne  pourrait-on  pas, 
dis-je^  établir  le  principe  suivant?  «  Les  dérivés  français 
s'écriront  sans  réduplication  de  consonne  quand  le  mot 
formateur  aura  la  consonne  simple.  »  En  conséquence, 
regret  et  trot  feront  regreter  et  troter,  comme  rejet 
et  gigot  font  rejeter  et  gigoter  ;  coton  et  van  feront 
cotonade  et  ranier,  comme  limon  et  ruban  font 
limonade  et  rubanier  ;  fief  ÎQV^fiéfé,  comme  tarif  fait 
tarifé;  courir  fera  courier,  comme  il  fait  déjà  cou- 
reur, etc. 

Quant  aus  dérivés  dont  le  formateur  est  inconnu  ou 
hors  d'usage,  ils  prendront  aussi  la  consonne  simple  par 
analogie.  On  écrira  radoter  comme  gigoter,  nautonier 
comme  limonier,  barcarole  comme  banderole,  bestiole. 

Cette  règle  ne  comportera  d'exception  que  là  où  la 
prononciation  l'exige^  =zgrosseur,  gentillesse  :  exception 
déjà  admise  dans  la  formation  du  féminin,  grosse,  gen- 
tille, pareille. 

«  Par  contre,  la  consonne  double  subsistera  dans  les 
dérivés  quand  elle  existe  légitimement  dans  le  forma- 
teur. »  On  écrira  layettier,  cannellier,  préallable,  de 
layette,  cannelle,  aller,  comme  on  écrit  lunettier  de 
lunette,  prunellier  àe prunelle,  etc. 

M.  Rréal  adopte  la  rectification  relative  à  la  forma- 
tion des  féminins,  lione,  muète,  parce  que  ce  sont  des 
faits  grammaticaus  ;  il  repousse  les  conséquences  que 
j'en  tire^  parce  que  c'est  du  vocabulaire.  Il  me  semble 
cependant  qu'une  réforme  qui  porte  par  une  prescription 
d'ensemble  sur  un  groupe  de  mots  analogues,  devient 
pai'  cela  même  granmiaticale  tout  autant  que   lexicolo- 


REPONSE    DE    M.    CHARLES    LEBAIGLE  7 

giqiie  :  c'est  ce  qui  a  lieu  d'ailleurs  pour  je  harcèle,  je 
jète,  graphies  nouvelles  que  M.  Bréal  approuve  sans 
hésitation . 

Vous  pensez  comme  lui  qu'une  réforme  générale  des 
consonnes  doubles  doit  se  faire  par  la  voie  du  diction- 
naire, et  vous  ajoutez  avec  raison  :  celui  de  V Académie 
ou  un  autre,  car  c'est  sur  Vautre  seul  qu'il  faut  compter. 
Mais,  encore  une  fois,  voyez  s'il  n'y  aurait  pas  une  voie 
plus  simple  et  plus  courte  de  résoudre  le  cas  particulier 
que  je  signale. 

Quant  à  la  mesure  transitoire  que  vous  conseillez,  et 
qui  permettrait  d'écrire  les  mots  en  litige  ad  libitum 
avec  ou  sans  la  réduplication  de  la  consonne,  elle  a  peu 
de  chance  d'être  accueillie  :  elle  ne  ferait  qu'accroître 
un  désordre  dont  tout  le  monde  se  plaint  ;  en  outre, 
elle  aurait  l'inconvénient  de  fournir  une  arme  aus 
partisans  de  la  liberté  absolue  en  matière  d'ortho- 
graphe. En  France  nous  aimons  la  règle  par-dessus  tout, 
remarque  fort  bien  M.  Brunot.  Or,  dans  l'espèce,  une 
règle,  quelle  qu'en  soit  la  formule,  qu'elle  vienne  du 
dictionnaire  ou  de  la  grammaire,  sera  la  bienvenue.  Il 
est  nécessaire,  il  est  urgent  de  faire  disparaître  des 
inconséquences  graphiques  qui  choquent  le  bon  sens  et 
embarrassent  les  mémoires  les  plus  solides.  Je  reproduis 
ici  le  court  spécimen  que  j'en  ai  donné  ailleurs. 

MOTS   SIMILAIRES  MOTS   CONGÉNÈRES 

Calotte,  caroUe{l),  gibcloitCj  et  Barrique,  harracjc .,   et   baril. 

papillote,  capote,    camelote.  baraque- 
Tutelle  et  clientèle.  Charrue  et  chariot. 
Tabletterie  et  marqueterie.  Trappe  et  chausse-trapc. 
Grelotter,  ballotter,  et  dorlo-  Dénommé  et  innomc. 

ter,  gri'jnoter.  Tutelle  et  tutclaire. 

Capitonner,  canner ,  et   l'auto  Follet  ai  folâtre. 

ner,  cancaner.  Abattoir,  abattement ,  Qt  abatis. 

Pensionnat  et  patronat.  abaiage. 

(1)  [Carotte  ne  contient  pas  le  sufïixe  otte.  C'est  un  mot  savant  qui 
vient  du  latin  carota,  comme  le  fait  remarquer  M.  Gaston  Paris.]  L.  C. 


8  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Personnel  et  colonel.  Bonhomme  et  bonhomie. 

Fanfaronnade  et  cantonade.  Entonner  et  détoner. 

Renoutellenient     et    ècartcle-      Patronner  et  patronage, 
ment,  etc.  Millionnaire  et  millionième. 

Tanner  et  tanin,  etc. 

Si  je  ne  m^abuse,  les  esprits  les  moins  exercés  peu- 
vent aisément  voir  et  corriger  d'eus-mémes  les  contra- 
dictions d'orthographe  que  présente  ce  tableau;  et,  le 
principe  une  fois  établi,  en  faire  l'application  à  tous  les 
cas  analogues  (1). 


II 


J'ai  lu  attentivement  les  pages  où  vous  traitez  à  nou- 
veau la  question  du  redoublement  des  consonnes. 

Vous  commencez  par  l'étude  àe^  préfixes.  Tout  d'a- 
bord on  pourra  vous  reprocher  l'emploi  de  ce  mot, 
comme  vous  m'avez  reproché  l'emploi  du  mot  suffixe. 
On  aurait  tort  :  il  me  parait  impossible  de  discuter  sur 
l'orthographe  sans  avoir  recours  à  ces  deus  mots. 

Si  je  résume  avec  exactitude  cette  partie  de  votre 
article,  voici  la  solution  que  vous  proposez  : 

Les  mots  â  préfixe  ne  conserveront  la  double  con- 
sonne que  dans  le  cas  où  le  préfixe  est  d'origine  savante. 
Ahisi,  le  latin  sub  ayant  donné  la  forme  savante  su  et 
la  forme  populaire  sou,  on  écrira  d'une  part  suffisant, 
suppléer,  insuffler,  d'autre  part  soufrir,  soujler.  Par  la 
même  raison,  on  dédoublera  la  consonne  dans  ocuper, 
ofrlr,  comander,  éj'rayer,  parce  que  les  préfixes  latins 
oh,  cum,  e  (ex)  sont  devenus  o,  co,  e  (es)  dans  le  fran- 
çais populaire  ;  mais  on  gardera  diff',  dl,  imm,  inn,  irr, 
coll,  corr,  qui  sont  de  provenance  savante.  Il  n'y  aura 
d'exception  à  la  règle  de  dédoublement  que  pour  satis- 

(1)  ;  C'est  l'application  ans  cas  analogues  qui  n'est  pas  pratique.  Il 
faudrait  jctléctiir.  et  souvent  longuement,  avant  d'écrire  chaque  mot.; 

L.  C. 


REPONSE    DE    M.    CHARLES    LEBAIGUE  9 

faire  aus  exigences  de  la  prononciation  ;  à  côté  des 
graphies  simples  ocidte,  comerce,  on  aura  les  graphies 
doubles  occhision,  commuer,  etc. 

Il  semble  â  première  vue  que  cette  proposition  doive 
satisfaire  dans  une  égale  mesure  les  phonétistes  et  les 
étymologistes  ;  mais  en  définitive  elle  ne  satisfera  cer- 
tainement ni  les  uns  ni  les  autres.  En  tout  cas,  elle  n'est 
pas  de  nature  a  simplifier  et  à  faciliter  l'étude  de  l'or- 
thographe. 

Si  la  notion  générale  de  préfixe  est  comprise  de  tout 
le  monde,  la  distinction  que  vous  établissez  entre  les 
préfixes  populaires  et  les  préfixes  savants  est  moins 
facile  à  saisir,  et  les  changements  que  vous  proposez 
comme  conséquence  de  cette  distinction  passeront 
malaisément  dans  la  pratique. 

Pour  me  borner  à  un  cas  particulier,  il  est  bien  vrai 
que  les  formes  primitives  esforcer,  es/rayer  auraient 
dû  donner  éjbrccr,  éfrayev,  comme  estendre  a  donné 
étendre,  et  qu'elles  ne  sont  devenues  efforcer,  effrayer, 
que  par  analogie  avec  les  mots  savants  effet,  effigie. 
Mais  il  faut  remarquer  que  ce  redoublement  remonte 
déjà  au  xur  siècle,  et  que  d'ailleurs,  comme  vous  le 
dites  vous-même,  il  s'appuie  sur  un  motif  d'analogie. 
Demander  le  retour  aus  grai)hies  du  haut  moyen  âge, 
c'est  répondre  peut-être  aus  vœus  des  érudits,  mais 
c'est  rompre,  sans  avantage  bien  réel,  avec  une  écriture 
qui  en  soi  n'est  pas  véritablement  anormale  et  qui  a  en 
quelque  sorte  possession  d'état. 

Et  puis  j'observe  en  passant  qu'après  avoir  posé 
comme  prémisses  le  maintien  de  la  consonne  redoublée 
dans  les  mots  de  formation  savante,  vous  concluez  à 
écrire  éfet,  éfigic,  conmK^  si  effet  et  effirjie  ne  devaient 
pas  être  conservés  au  même  titre  que  dffas  ai  suffisant. 

Pour  justifier  cette  contradiction,  vous  invoquez  un 
précédent.  En  ellet  l'Académie,  qui  en  principe  main- 
tient le  redoublement  avec  le  préfixe  a  {ad),  apprendre, 


10  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

aggraver,  allécher;,  accoler,  le  supprime  arbitrairement 
dans  un  certain  nombre  de  mots,  agrandir,  apercevoir, 
aligner,  racoler.  Elle  offre  encore  ailleurs  des  dis- 
parates du  même  genre  :  elle  enregistre  colégataire  après 
collaborateur,  coreligionnaire  après  corrélatif,  etc. 
Mais  ce  sont  là  des  inconséquences  dont  il  ne  faut  pas 
lui  faire  un  méiitc  et  qui  ne  sauraient  être  érigées  en 
règle.  Le  jour  où  elle  se  décidera  à  régulariser  l'ortho- 
graphe des  préfixes^  se  rendra-t-elle  aus  sollicitations 
des  simplistes  en  supprimant  partout  le  redoublement 
des  consonnes  f  Distinguera-t-elle,  comme  vous  l'y 
engagez  (1),  entre  les  mots  populaires  et  les  mots  sa- 
vants? On  ne  sait  :  c'est  le  secret  des  immortels.  Pour 
ma  part,  je  souhaite  qu'elle  suive  en  ceci;,  comme  en 
tout  le  reste,  le  sage  conseil  de  Littré,  et  que,  fidèle  à 
ses  propres  tendances,  elle  maintienne  ou  rectifie  les 
choses  conformément  à  la  tradition  et  à  l'étymologie. 

Voilà  pour  les  raisons  philologiques.  Les  réserves 
que  vous  faites  à  l'égard  de  la  prononciation  ne  peuvent 
qu'amener  des  complications  nouvelles. 

Il  est  un  point  sur  lequel  nous  sommes  entièrement 
d'accord,  c'est  la  suppression  de  la  double  consonne 
après  un  e  muet.  Dessus,  dessous,  ressaisir,  resservir 
sont  des  graphies  contraires  à  l'épellation  la  plus  élé- 
mentaire :  il  faut  orthographier  desus,  resaisir  comme 
on  orthographie  resucer,  contresens,  entresol.  Mais, 
en  dehors  de  ce  cas  unique,  je  ne  crois  pas  que  la  pro- 
nonciation doive  influer  en  rien  sur  l'orthographe  des 
préfixes.  En  thèse  générale,  la  prononciation  est  trop 
variable  pour  servir  de  règle  à  l'écriture.  Non  seule- 
ment, comme  on  l'a  dit  à  satiété,  elle  diffère  de  région 
à  région,  d'individu  à  individu,  mais  «  chez  cha- 
cun de  nous  elle  subit  des  modifications  infinies 
d'accent,  de  timbre,  de  durée,  que  la  pliysiologie  la 

(1)  (Ma  proposition  n'étail  qu'un  pis-aller.  J'aime  mieus  la  premièi'e 
solution.!  L.  C. 


RÉPONSE    DE    M.    CHARLES    LEI3A1GUE  11 

plus  profonde  et  la  plus  exacte  aurait  peine  à  noter 
complètement  ».  Rien  de  plus  vrai  que  cette  observa- 
tion de  Darmesteter.  Sans  sortir  de  la  question  qui 
nous  occupe,  prenons  comme  exemple  le  mot  effroi.  Il 
est  bien  certain  qu'en  prononçant  ce  mot  le  même 
homme  glissera  ou  appuiera  sur  la  double  consonne  (1) 
suivant  l'intensité  du  sentiment  qu'il  éprouve.  Faudra- 
t-il  pour  cela  lui  laisser  la  latitude  d'une  double  ortho- 
graphe "?  Personne  n'oserait  le  soutenir. 

Mais  voici  qui  est  plus  grave.  Si  la  prononciation 
fait  loi,  on  devra  écrire  apétit  et  appétence,  coriger  et 
correct,  inocence  et  innocuité,  c'est-à-dire  différencier 
au  gré  de  l'oreille  et  suivant  les  caprices  de  la  mode 
des  mots  dont  la  parenté  est  étroite  et  la  conformation 
identique.  Mais  ni  l'œil  ni  l'esprit  ne  s'accommoderont 
d'une  pratique  qui  trouble  des  rapports  absolument 
congénériques  et  porte  ainsi  une  atteinte  gratuite  à 
l'unité  du  vocabulaire  (2). 

M.  L.  Havet  croit  à  l'établissement  futur  d'une  pro- 
nonciation régulière,  uniforme  et  définitive.  Cette  chi- 
mère se  réalisera  peut-être;  mais,  en  attendant  le  règne 
de  Vorthoépie,  la  langue  parlée  variera  longtemps 
encore  comme  elle  a  varié  à  toutes  les  époques.  Actuel- 
lement les  autorités  les  plus  compétentes  ont  bien  de  la 
peine  à  s'entendre  pour  la  fixer.  Sur  plus  d'un  point 
l'Académie  est  en  désaccord  avec  Littré,  et  Littré  n'est 
pas  toujours  d'accord  avec  lui-même.  Il  figure  avec 
des  différences  a-pendice  et  ap-pcndre,  a- fable  et  inef- 
fable, a-loaer  et  al-location,  co-nienter  et  coni-men- 
taire,  di-section  et  dis-séciuer.  Ces  différences^  en  les 

(1)  [Il  pounait aussi  bien  glisser  ou  appuyer  sur  la  consonne  simple.) 

(2)  (L'unité  du  vocabulaire  est-elle  atteinte  parce  qu'on  écùi  faisa- 
hle  par  al,  perfectible  par  ce,  factice  par  ac,  effet  par  e,  sujjisant 
par  i,  bien  que  tous  ces  mots  se  rattachent  à  la  même  racine  ?  La 
différence  de  graphie  sera-t-ello  plus  choquante  entre  apétit  et  appé- 
tence qu'entre  projet  eX  projection,  objet  et  objecter  ?] 

L.  C. 


12  REVtlE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

supposant  exactes  aujourd'liiii,  le  seront-elles  encore 
demain?  C'est  douteus.  Quoi  qu'il  en  soit,  ici  comme 
ailleurs,  il  n'est  pas  possible,  il  n'est  pas  raisonnable 
que  la  langue  écrite  se  plie  aus  discordances  de  la 
langue  parlée,  soit  que  ces  discordances  résultent  de 
conventions  passagères,  soit  qu'elles  s'expliquent  par 
des  causes  plus  ou  moins  légitimes  (1).  En  résumé,  je 
crois  que  la  meilleure  solution  est  de  laisser  les  choses 
en  l'état. 

J'insiste  d'autant  plus  sur  cette  conclusion  qu'elle 
concorde  avec  vos  propres  idées  dans  la  suite  de  la  dis- 
cussion. 

En  dehors  des  préfixes,  c'est-à-dire  dans  le  corps  des 
mots  et  dans  les  suffixes,  vous  êtes  d'avis  de  laisser  le 
redoublement  des  consonnes  à  toutes  les  formes  qui 
l'avaient  en  latin  classiciue.  Ici  vous  êtes  dans  la  vérité. 
En  proposant  cette  règle,  vous  n'êtes  arrêté  ni  par  des 
considérations  de  philologie  historique,  ni  par  les  pré- 
tendues exigences  de  la  prononciation  ;  vous  obéissez  â 
ceque  vous  appelez  un  scrupule,  mais  âce  quiestvérita- 
blement  un  principe  (2),  à  savoir  la  loi  des  étymologies, 
loi  fondamentale  et  conservatrice  de  tout  idiome 
secondaire  ou  dérivé.  Votre  seul  tort,  à  mon  sens,  c'est 
de  ne  pas  étendre  l'application  du  principe  à  tous  les 
riiots  originaires  du  bas  latin  et  des  langues  étrangères. 
Vous  écrivez  m  étire,  terre,  flamme,  cr'ppe,  qui  rap- 
))èlcnt  le  latin  classique  mdttere,  terra,  flammxi,  cippus  ; 
pourquoi  hésiteriez-vous  à  écrire  natte,  manne,  bi- 
zarre,  bouffon,  nippe,  pour  rappeler  le  bas  latin  natta, 
l'allemand  manne,  l'espagnol  bijarro,  l'italien  biiffbne, 

(1)  [Ccpoiuhint,  M.  Lf'liaigiie  i)ropose  d'ccriip  par  nue  seule  n  le 
suflixe  oner,  d'apré.<  la  prononciation  actuelle  et  bien  que  «oniier  » 
représente  l'ancienne  prononciation  on-ner.] 

(2)  [Ce  n'est  pas  un  principe,  car  alors  il  faudrait  le  pousser  jusqu'au 
bout,  parler  français  mais  écrire  latin.  On  prononcerait  ciboire  et  on 
oi'tograpliierait  c//jo/7ri7M.  Notez  qu'il  ne  serait  pas  phis_compliqué  de 
lire  oriiwi  =  oirc,  que  de  lire  c^a-\-u=ô.\  L.  C. 


KKl'O.NSI-;    1)K    M.    (IIAHLKS    I.KliAlGfK  VA 

l'islandais  lineppe  1  Est-ce  que  la  connaissance  de  ces 
formes  n'a  pas  le  même  intérêt  pour  qui  veut  remonter 
aus  sources  de  notre  vocabulaire  et  en  retrouver  les 
éléments  constitutifs  (1)? 

Appliquée  dans  une  large  mesure,  la  loi  desétymolo- 
gies  ne  permettrait  pas  seulement  de  rectifier  les  gra- 
phies que  vous  signalez  comme  vicieuses,  tutelle  pour 
tutèle,  donner  pour  doner,  greffe  pour  grèfe,  verrcd 
pour  vèrai,  etc.  ;  mais  encore  elle  aiderait  à  rétablir  et 
à  unifier  l'orthographe  d'un  grand  nombre  de  mots  des 
provenances  les  plus  diverses.  Le  redoublement  des 
consonnes  disparaîtrait  dans  étouffer  (de  tû^^o?),  dans 
trappe  (de  trapo),  dans  battre  (de  batuere),  dans  patte 
(depata),  etc.  Au  contraire,  il  serait  rétabli  dans  m zz/Zf? 
(demuffel),  et  conservé  dans  bati^e  (vraisemblablement 
de  barra),  etc.  Par  suite,  le  vocabulaire  n'offrirait  plus 
ces  graphies  contradictoires,  trappe  et  attraper, 
abattoir  et  abatage,  pattu  et  pataud ,  barrique  et  6a- 
/v'/,  ce  qui  serait  un  véritable  progrès. 

Cela  dit ,  si  je  me  renferme  dans  la  limite  de  votre 
programme,  je  vous  soumettrai  les  observations  sui- 
vantes. 

1°  Vous  demandez  que  le  groupe  latin  mn,  m{i)n,  soit 
ramené  en  français  à  une  seule  m  ou  â  une  seule  n  : 
daner,  autone  (de  daninare,autu7nnus),nonier,  home, 
famé  (de  nom(i)nare,  hom(i)nem,  fem(i)nam).  Je  ne 
vois  pas  de  raison  pour  changer  l'orthographe  de  dam- 
ner, automne,  qui,  comme  en  italien,  dérivent  régu- 
lièrement du  latin  classique;  \m,  il  est  vrai,  ne  se  fait 
pas  sentir  dans  la  prononciation  ;  mais  c'est  une  règle 
d'épellation  enseignée  par  la  grammaire.  Quant  à  la 
substitution  de  mm  h.  m{i)n,  elle  remonte  aus  origines 
de  la   langue  et  tient   sans   doute    i\    des   l'aisons    de 

(1)  (Mais  la  siippiessiou  d'une  consonne  enipêclioi'a-telle  de  retrou- 
ver les  éléments  constitutifs  des  mots?  J'ai  peine  à  le  croire.; 

L.  C. 


14  RKvri-:  1)1-:  philologii:  fhançaisk 

phonétique  qui  nous  échappent  ;  homme,  nommer 
sont  -des  formes  aussi  anciennes  que  home,  nomer  (1). 
L'argument  tiré  de  la  prononciation  n'a  pas  ici  plus 
de  valeur  qu'il  n'en  aiu^ait  pour  terre,  rjoutte,  inter- 
valle. 

2°  Je  regrette  comme  vous  que  le  digramme  //  après  i 
ne  soit  pas  exclusivement  réservé  pour  exprimer  un  son 
mouillé  :  ^/ille  cueillir;  mais,  comme  vous  aussi,  je 
reconnais  qu'il  serait  difficile  de  ne  pas  en  maintenir 
le  double  emploi  dans  ville,  tranquille,  vaciller. 

3°  Arrivant  au  redoublement  de  /  après  e  â  la  fin  des 
mots,  vous  conseillez  d'écrire  exceptionnellement  les 
pronoms  elle,  celle,  et  les  adjectif  belle,  nouvelle.  Je 
n'en  vois  pas  la  nécessité.  Les  formes  masculines  il,  cel, 
bel,  nouvel,  amènent  tout  naturellement  les  féminins 
éle,  cèle,  bêle,  nouvel  e,  comme  mol,  fol,  nul,  amènent 
mole,  foie,  nule.  Gardons-nous  des  exceptions  le  plus 
qu'il  nous  sera  possible. 

4"  C'est  d'ailleurs  ce  c[ue  vous  faites  quand,  à  propos 
des  suffixes,  vous  proposez  de  réduire  la  double  con- 
sonne dans  les  dérivés  français  de  mots  n'ayant  qu'une 
consonne  :  dictionaire  de  diction,  floter  ôefot.  Cette 
proposition,  je  l'ai  faite  à  mon  tour  à  peu  près  textuel- 
lement dans  la  première  partie  de  ma  communication. 
Pour  faire  accepter  la  règle,  il  s'agissait  de  trouver 
une  formule,  et  je  vous  sais  gré  de  me  l'avoir  fournie. 

5°  Lors  même  que  la  réforme  orthographique  appor- 
terait çà  et  là  quelques  dérogations  à  la  loi  des  étymo- 
logies,  il  ne  faudrait  pas  le  regretter.  Les  étymologistes 
les  plus  fervents  comprennent  très  bien  que  leur  prin- 
cipe doive  fléchir  devant  cei'taines  nécessités,  par 
exemple  quand  il  s'agit  de  généraliser  une  exception 
qui  simplifie  et  facilite  l'orthographe  sans  s'écarter  des 
rèi^des  de  l'analo^fie.  Ainsi  ils  admettent  sans  hésiter  la 

(1)  [C'est  une  erreur.  On  a  écrit  Iiomc,  nomer  avant  d'écrire 
homme,  nommer.'  L.  C. 


KKI»ONSK    DE    M.    CIIARLF.S    LHBALGUE  15 

réduction  de  la  double  consonne  pour  toute  la  classe 
des  verbes  en  eler^  eter  :  f  appelé,  je  jète.  Pour  la  même 
raison,  ils  sont  disposés  à  réclamer  cette  réduction  pour 
les  terminaisons  diminutives  elle  et  eite,  qu'elles  vien- 
nent du  latin  classique  ou  d'ailleurs.  Le  redoublement 
n'est  pas  plus  essentiel  dans  nacelle  et  fourchette  que 
dans  gloriole,  globule,  bottine,  pâlote  (1). 


III 


Il  me  reste  à  vous  soumettre  mes  observations  sur  la 
find  e votre  article. 

Les  différentes  questions  de  réforme  orthographique 
que  vous  traitez  dans  cette  dernière  partie  de  votre 
article  peuvent  se  rattacher,  les  unes  au  vocabulaire,  les 
autres  à  la  grammaire.  Je  les  discuterai  sous  cette 
double  rubrique,  en  reconnaissant  toutefois  que  les 
raisons  lexicographiques  se  confondent  parfois  avec  les 
raisons  grammaticales. 

Réforin es  lexicocjrap hiq ues 

Sur  la  valeur  et  l'emploi  des  caractères  de  l'alphabet, 
vous  tenez  en  général  pour  le  statu  cpto,  et  ce  n'est  pas 
moi  qui  vous  le  reprocherai.  Tout  en  signalant  certaines 
anomalies,  vous  conserverez  l'A  muette  initiale,  le  clii 
grec  (/j,  le  digrammc  qu,  la  syllabe  iî/  prononcée  ci  :  je 
n'ai  pas  à  insister  sur  les  motifs  de  votre  décision,  les 
ayant  moi-même  exposés  ailleurs.  Je  suis  également 
d'accord  avec  vous  sur  l'usage  des  bivocales  œu,  œ,  eu 
(cœur,  ccpuillir,  œcuménique).  Mais  je  persiste  â  croire 

(1)  [Puisquo  M.  Lcbaigue  admet  èlc,  cèle,  bèlc,  nouvcle,  narèlc 
mamcle,  etc.,  il  n'}-  a  vraiment  pas  de  raison  pour  ne  pas  faire  c(''der 
l'habilude  étymologique  dans  tous  les  autres  cas  de  redoublement  de 
consonnes.  J'en  reviens  donc  ;Y  ma  première  proposition  :  simplifica- 
tion dans  la  graphie  partout  où  la  consonne  est  simple  dans  la  pro- 
nonciation. Si  on  se  range  à  mon  avis,  il  ne  s'agit  plus  que  de  s'en- 
tendre sur  les  mots  où  la  consonne  se  prononce  double.]        L.  C. 


K)  i;i;\rK  m;   I'iiii.oi.ocie  i'p,an(;.\isk 

c[ue  le  changement  de ph  en  /'serait  une  mesure  d'ordre 
et  une  simplification  utile  (1). 

C'est  à  regret  que  j'avais  renoncé  à  Y  y  comme  repré- 
sentant de  l'upsilon  :  aussi  je  me  rallie  volontiers  à 
votre  projet  de  le  maintenir  ;  notre  langue  scientifique 
remonte  trop  souvent  au  grec  pour  que  nous  négligions 
ce  précieus  ])oint  de  repère. 

Quant  â  la  substitution  duj' au  g  dous,  j'ai  toujours 
les  mêmes  motifs  de  la  repousser  d'une  façon  générale. 
En  particulier,  j'ai  peine  à  comprendi^e  que  vous  vous 
décidiez  à  écrire  purgeons  et  purje  (8),  plongea  et 
plonjon^  et  surtout  que  vous  adoptiez  mangeable 
après  avoir  répudié  bougeoir  :  il  y  là  une  disparité  par 
trop  criante. 

D'autre  part,  je  suis  choqué  comme  vous  de  la 
distinction  déraisonnable  qui  s'est  établie  entre  les 
purtici^e^fatiguant,  intriguant,  et  les  adjectifs  verbaus 

fatigant,  intrigant.  Vous  indiquez  le  moyen  de  la  faire 
cesser  en  ne  conservant  u  dans  la  conjugaison  des  verbes 
en  guer  que  devant  e  ou  i  :  je  fatigue,  vous  fatiguez, 

fatigons,  fatigant;  cet  u  serait  alors  l'équivalent  de  Ve 
dans  les  verbes  en  ger  et  de  la  cédille  dans  les  verbes 
en  cer.  Mais  je  me  demande  pourquoi  l'on  n'userait  pas 
de  la  même  méthode  avec  les  verbes  en  quer  '.fexplicpie, 
vous  expliquez,  explicons,  explicant.  Le  changement 
de  qu  en  c  n'aurait  rien  d'insolite  :  nous  avons  déjà 
vacant,  suffocant.  Quant  à  laisser  le  chois  entre  deus 
orthographes,  telles  (|ue  suffoquant  et  suffocant,  je 
n'en  suis  pas  partisan,  ni  ici  ni  ailleurs  :  il  n'est  guère 
possible  de  simplifier  l'écriture  sans  la  l'èglementer  (3). 

(1)  [Sans  doute;  mais  je  suis  persuadé  que  cette  rél'onue  n'est  pas 
encore  mûre,  j 

(2)  [Je  n'ai  pas  proposé  d'écrire  purJe.] 

(3)  [Je  serais  assez  disposé  à  admettre  la  règle  suivante  :  «  Les 
verbes  en  ger,  guer,  quer,  cer  changent  g  en  j,  gu  en  g,  qu  en  c, 
c  en  c  devant  a  et  o.  »  M.  Michel  Bréal  m'objecte,  dans  une  lettre 
particulière,  que  cette  règle  aurait   le  tort  de  rompre  l'unité  de  la 


KRPONSF.    1)K    M.    CHAlîLIiS    1,1:BA10M;  1/ 

Je  ne  vois  pas  bien  l'utilité  de  remplacer  ti  par  si 
dans  tous  les  mots  formés  de  tendo  :  attention,  préten- 
tion. Le  supin  de  ce  verbe  est  tentiun  et  tensuni,  d'où 
les  graphies  également  correctes  attentio  et  extensio. 
Il  me  paraît  tout  naturel  d'observer  cette  difEérence  en 
français,  à  cause  des  dérivés  attentif,  extensible  (1). 

Mais  ce  que  vous  appuyez  fort  justement,  c'est  le 
changement  de  ti  en  ci  dans  substantiel,  essentiel,  pes- 
tilentiel, qui  deviendraient  substanciel,  essenciel,  pés- 
tilenciel,  malgré  l'origine  latine,  suhstantialis,  essen- 
tialis,pestilentia.  En  rattachant  ces  adjectifs  aus  noms 
français  substance,  essence,  pestilence,  on  aurait  une 
seule  et  même  orthographe  pour  une  catégorie  de 
dérivés  ayant  une  terminaison  identique.  Comme  je 
l'ai  remarqué  au  sujet  des  verbes  en  eler,  eter,  il  est  de 
ces  anomalies  étymologiques  qu'il  faut  accepter  sans 
hésiter  en  vue  de  l'uniformité  et  de  la  simplification. 

Appliquant  ce  principe  à  des  cas  isolés,  vous  deman- 
dez, non  sans  raison,  qu'on  écrive  faisseau  {de  fascel- 
lus)  comme  vaisseau  (de  vascellum),  doit  (de  digitus) 
comme  froid  (de  frigidus),  vint  (de  viginti)  comme 
trente  (de  triginia),  quelcun  (de  qualem.  quem  unum) 
comme  aucun  (de  aliquem  unum),  enfin  segond  (de 
secundus)  comme  ciguë,  dragon  (de  cicuta,  dra- 
conem).  Cette  dernière  correction  s'appuierait  sur  la 
prononciation,  sur  l'analogie  et  sur  une  ancienne  règle 
de  permutation;  mais  avec  tout  cela  triompherait-elle 
d'une  tradition  vieille  de  huit  ou  dis  siècles?  Je  ne 
l'espère  pas  autant  que  je  le  désire. 

Parmi  les  irrégularités  étymologiques  que  rien  ne 

conjugaison.  Mais  on  écrirait  «  nous  explicons  »  sans  remonter  à  la 
forme  de  l'infinitif,  comme  on  écrit  explication.  Ce  n'est  qu'à  l'école 
qu'on  fait  des  «  conjugaisons  »;  dans  la  réalité  les  différentes  formes 
et  personnes  d'un  verbe  sont  indépendantes  les  unes  des  autres  ; 
pense-t-on  à  cenir  quand  on  écrit  ye  oicriH  ?\ 
(1)  [On  ne  pense  pas  à  aiie/itf/" quand  on  écrit  attention.] 

L.  C. 
Revue  de  philolocik.  v  2 


18  kevl;e  de  philologie  fkançaise  • 

justifie,  il  en  est  plusieurs  que  vous  désespérez  de  voir 
disparaître,  non  pas  seulement  parce  qu'elles  ont  la 
consécration  du  temps,  mais  parce  qu'elles  sont  d'un 
emploi  quotidien  et  incessant  :  ce  sont  des  monnaies 
marquées  au  mauvais  coin,  mais  qui  ont  cours  forcé. 
Telles  sont  car  (de  quare),  dans  (de  de-intiis),  sans  (de 
sine),  et  quelques  autres. 

Mais  entre  celles-là  même  qu'un  long  usage  a  fait 
passer  dans  la  pratique,  vous  en  citez  un  certain  nombre 
qu'on  pourrait  corriger  sans  rencontrer  trop  de  résis- 
tance :  ainsi^/b/'ce/zé  pour forsené^dessillej'  pour  déciller, 
morceau  pour  niorseau,  vermisseau  pour  vermiceau, 
contraindre  pour  contreindre,  de  champ  pour  de  chant, 
ne::;,  rez,  chez,  lez,  pour  nés,  rés,  chés,  lés,  et  autres. 
Tous  comprennent,  même  les  conservateurs  les  plus 
tenaces,  qu'il  y  a  intérêt  à  débarrasser  la  langue  de  ces 
graphies  notoirement  vicieuses. 

J'arrive  au  chapitre  des  lettres  parasites.  La  liste  que 
vous  donnez  présente  quelque  confusion.  Dans  poids, 
mets,  legs,  l'avant-dernière  consonne  n'est  pas,  à  propre- 
ment parler,  une  superfétation,  mais  le  résultat  d'un 
contre-sens.  Quand  on  propose  de  remplacer  ces  gra- 
phies par  pois,  mes,  les  ou  lais,  c'est  pour  les  ramener 
à  leur  véritable  origine  :  pensum  {pesum),  missum, 
laisser.  Il  en  est  tout  autrement  de  pouls,  puits, 
remords,  f aulx,  mots  dans  lesquels  la  pénultième  a  été 
introduite  par  surérogation,  au  mépris  des  formes  pri- 
mitives/)om6'^  [juis,  remors,  faus. 

A  ces  rectifications  tant  de  fois  réclamées,  vous 
voudriez  en  ajouter  d'autres,  qui  ne  sont  pas  toutes  sans 
objection.  On  vous  accordera  sans  peine  la  suppression 
de  Vh  dans  heur  et  ses  dérivés  (de  augurium),  celle  du 
p  dans  dompter  (de  domitare),  celle  du  c  dans  sceau 
(de  sigillum),  et  peut-être  dans  scie/'  (de  secare);  mais 
on  vous  contestera  qu'il  y  ait  une  lettre  parasite  dans 
rets  {refis),  lacs  (laqueus),  fils  {  filiu.s),  rorps  (corpus), 


RÉPONSE    UK    M.    CHARLES    I.KBA  Uill-;  l*.l 

temps  [tempus],  où  les  consonnes  t^  c,  l,p  sont  non  seule- 
ment étymologiques,  mais  vraiment  utiles  pour  l'intel- 
ligence des  principaus  dérivés  (1).  Pour  justifier  la  sup- 
pression de  ces  consonnes,  quelques-uns  invoquent  les 
usages  de  l'ancienne  langue;  mais  si  le/)  de  corps  et  de 
temps  est  une  addition  relativement  récente,  on  ren- 
contre dans  les  plus  vieilles  chartes  Jîh  qXJîI  (2)^  las  ou 
lach  (3).  De  votre  côté,  vous  arguez  de  la  réforme  inau- 
gurée par  Bossuet  qui  élimine  une  consoniie  du  radical 
dans  les  verbes  je  mes,  tu  rens,  il  ront\  mais,  dans  ce 
dernier  cas,  il  s'agit  d'arriver  à  une  prescription  d'en- 
semble qui  unifie  le  système  de  la  conjugaison,  et  la 
raison  étymologique  est  primée  par  le  besoin  de  concor- 
dance. D'ailleurs  la  consonne  du  radical  momentané- 
ment omise  reparait  dans  mettons,  rende:^,  rompent. 

Ce  que  je  dis  des  mots  rets,  corps,  etc.,  s'applique, 
bien  entendu,  à  baptême,  k prompt,  à  sculpter.  La  con- 
cession que  vous  faites  pour  exempter  (4)  ne  fait  que 
compliquer  les  choses. 

Vous  voulez  aussi  qu'on  orthographie  respet  comme 
ejfet.  Mais,  pour  être  conséquent,  vous  devez  également 
retrancher  le  c  dans  aspect,  direct,  exact  (5)^  et  autres 
mots  similaires  :  cela  peut  vous  conduire  plus  loin  que 
vous  ne  pensez.  Et  puis  ferez-vous  agréer  la  liaison 
respè-t-hmnain  comme  conséquence  de  effè-t-ordi- 
naire% 

(1)  [Oq  écrit  ornés  sans  t  malgré  ornatos  ;  le  ï  ne  se  justifie  pas 
davantage  dans  rets.  Lacs  (de  laqueum  et  non  de  laqueus)  est  en 
contradiction  avec  bras  (de  brachium),  etjîls  avec  Us  (lilium).  Fils 
a  en  outre  le  grave  inconvénient  de  se  confondre  avec  le  pluriel  de 
Jil.  11  n'y  a  pas  de  raison  pour  mettre  un  p  dans  corps  plutôt  que  dans 
corset  et  corsaçje.] 

(2)  [A  l'époque  où  1'^  se  prononçait.] 

(3)  \Lach  est  une  graphie  qui  correspont  à  une  prononciation 
dialectale.] 

(4)  [Je  la  retire.) 

(5)  [Non,  parce  que;  dans  ces  mots  le  c  se  prononce.  Il  se  prononce 
aussi  en  liaison  dans  respect,  et  c'est  pourquoi  je  renonce  il  en  deman- 
der la  suppression.;  L.  C. 


•J(l  HKVl.t:    1)K    PH11.(JL(Jl;1K    fhançajsk 

Dans/j/ec/,  nœud,  nid,  vous  demandez  la  suppression 
de  la  consonne  finale  ;  mais  là  encore,  par  voie  de  consé- 
quence ,  il  vous  faudrait  la  supprimer  dans  froid, 
lourd,  grand,  ainsi  que  dans  plomb,  drap,  irait,  gris. 
Or,  ((  les  finales  devenues  muettes,  dit  fortbienDarraeste- 
ter,  donnent  aux  mots  sa  physionomie  propre  et  l'achè- 
vent, et  on  ne  peut  y  toucher  sans  altérer  la  langue.  Il 
faut  les  conserver  sans  se  préoccuper  du  rapport  de  la 
graphie  à  la  prononciation,  parce  qu'elles  expliquent  le 
plus  souvent  la  dérivation  ».  Cet  argument  ne  vous 
paraît-il  pas  décisif  ?  (1) 

En  dehors  des  consonnes  dites  parasites,  vous  regar- 
dez/;««  etjan  comme  préférable  à  paon  (paonem)  et  à 
faon  (Jœtonuni).  Cette  réduction  graphique  m'avait 
d'abord  semblé  désirable  comme  à  vous  ;  mais  je  crois 
qu'il  faut  y  renoncer.  Si  dans  ces  mots  Yo  ne  se  pro- 
nonce pas,  c'est  par  suite  d'une  convention  tout 
arbitraire,  tout  aussi  arbitraire  que  la  convention 
inverse  qui  annihile  a  dans  Saône,  août,  taon.  Cet  o 
et  cet  a  doivent  subsister  comme  éléments  essentiels 
dans  l'écriture  (2),  Vous  reconnaissez  vous-même  que, 
par  la  suppression  de  Va  dans  août,  le  mot  serait  si  non 
méconnaissable,  du  moins  sensiblement  défiguré. 

Réformes  grammaticales 

Je  ne  mentionne  que  pour  mémoire  la  substitution  de 
.s  k.T  final  valant  .s,  deus^jalous  ;  —  l'unification  d'écri- 
ture dans  les  verbes  en  eler  et  eter  :  j'épèle,  f  appelé, 
j'achète,  Je  jète  ;  —  la  suppression  de  l' avant-dernière 

(1)  [Oui  pour  les  mots  que  vous  citez,  mais  non  pour  pied,  nœud, 
nid.  La  langue  a  laissé  tomber  depuis  le  xr  siècle  toutes  les  dentales 
isolées  à  la  fin  des  mots,  et  on  les  a  rétablies  à  tort  dans  ces  trois  mots. 
Au  contraire  la  langue  écrite  a  conservé  sans  interruption  les 
consonnes  finales  qui  en  latin  classique  ou  populaire  se  trouvaient 
précédées  d'une  autre  consonne.  Telle  est  la  régie.) 

(2)  [Ce  n'est  pas  mon  avis.  Il  n'y  a  pas  là  une  convention  arbitraire, 
mais  l'application  d'une  loi  phonétique.  J'ai  toujours  entendu  pronon- 
cer tan  pour  taon,  et  non  ton  comme  l'indique  l'Académie.]    L.  C. 


RÉPONSE    DE    M.    CHARLES    LEBAIGUE  21 

consonne  (avec  l'emploi  constant  du  t  à  la  3^  personne) 
à  l'indicatif  présent  des  verbes  en  oii\  en  re  (et  en  ir  ?)  : 
fassiés,  tu  combas,  ri  vont,  il  rent.  Ces  rectifications 
proposées  ou  recommandées  par  la  Revue  de  philologie 
française  ont  paru  motivées  à  tous  les  partisans  de  la 
réforme  orthographique. 

Je  n'insisterai  pas  davantage  sur  quelques  modifica- 
tions que  je  vous  ai  soumises  et  que  vous  avez  accueillies 
sans  restriction  ;  par  exemple  :  la  régularisation  des 
féminins  et  des  pluriels  anomaux  :  une  demie 
heure  (1),  des  duplicatas] —  la  variabilité  de  vingt  et  de 
cent  quand  ils  sont  précédés  et  suivis  d'un  autre  nom 
de  nombre  :  quatre-vingts-trois  hommes,  deus  cents 
trente  vaisseaus. 

En  outre  je  retrouve  dans  votre  programme  des  pro- 
positions de  réforme  qui  figuraient  dans  ma  brochure  et 
ailleurs  :  l'orthographe  dissout  et  absout  pour  dissous, 
absous,  —  rassimilation  de  genre  entre  s/)/<ère,  atmos- 
phère, et  planisphère,  hémisphère;  le  retour  définitif  au 
masculin  des  noms  orgue,  orge,  hymne;  —  la  suppres- 
sion de  l'apostrophe  dans  grand' mère,  entrouvir,  etc. 

Sur  la  syntaxe  de  même  adjectif  et  de  même  adverbe, 
il  me  semble  que  nous  sommes  d'accord,  bien  que  votre 
rédaction  soit  un  peu  trop  vague  et  prête  â  l'équi- 
voque. 

Vous  adoptez  en  partie  le  changement  de  ent  en  wn 
dans  certains  qualificatifs  et  leurs  dérivés  :  présidant, 
présidance,  négligeant,  négUgeance,  négligeamment, 
(ou  négligeament).  Je  m'étonne  que  vous  n'élargissiez 
pas  la  règle  dans  la  mesure  que  j'ai  indiquée  après 
F.  Didot  :  prudant,  pjrudance,  prudamment  {pruda- 


(1)  (J'écrirais  plutôt  demiheure  en  un  seul  mol,  car  «  des  demies 
heures  »  serait  contraire  h  la  prononciation.  Mais  partout  ailleurs 
demi  doit  s'accorder  aussi  bien  lorsqu'il  précède  le  nom  que  lorsqu'il 
le  suit.'  L.  C. 


22  KEVUK    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

ment)  :  tôt  ou  tard  vous  y  serez  amené  par  la  force  de 
l'analogie  (1). 

Sur  d'autres  points,  vous  combattez  mes  vues,  et  je 
me  rens  à  vos  objections,  notamment  pour  les  régies  de 
quelque  et  pour  celle  de  nouveau,  qu'il  serait  bien  diffi- 
cile de  modifier.  J'accepte  aussi,  non  sans  regret,  pain 
bénit,  eau  bénite  (2). 

A  votre  tour,  permettez-moi  de  discuter  quelques 
parties  de  votre  plan  de  réforme. 

En  dehors  des  mots  tirés  du  grec,  je  ne  suis  pas 
d'avis  de  conserver  Vy,  soit  comme  voyelle,  soit  comme 
semi-voyelle  simple  ou  double.  Notre  i  me  parait  pou- 
voir suffire  à  tous  les  besoins  de  notre  orthographe. 
Pourquoi  n'écrirait-on  pas  par  un  i  simple  votons, 
nioien,  grasséier,  tuiau,  comme  on  écrit  aieul,  baion- 
nette  (3)?  Et  cela  sans  ajouter  un  tréma  que  ne  réclament 
ni  l'œil  ni  l'oreille  (4).Quant  à  1'/ redoublé, qui  est  déjà  en 
usage  dans  certaines  formes  verbales,  nous  liions,  vous 
étudiiez,  pourquoi  ne  continuerait-on  pas  à  l'employer 
partout  où  l'exige  la  grammaire  ou  la  prononciation  : 
ploiions  (ploi-ions),  essuiie^  (essui-ie^),  aiiant  {ai-iant), 
paiier  {pai-ier),  paiis  (pai-is).  Pour  ces  derniers  mots, 
l'œil  serait  satisfait  (5)  sans  qu'on  eût  besoin  de  recourir 
aus  formes  exclusivement  phonétiques  qui  vous 
paraissent  appelées  à  prévaloir  un  jour,  péis,  péier, 
abbéie. 

Est-il  à  propos  de  retrancher  l'e  muet  après  une 
voyelle  dans  l'intérieur  d'un  mot?  Oui  et  non.  Pour  les 


(1)  (Il  fauflrait  alors   remplacer /jarïort^  par  a/i  la   graphie  t'/i  pro- 
uoncée  ait.  Mais  cette  réforme  ne  me  parait  pas  encore  mûre. ■ 

(2)  [Il  n'y  a  aucune  raison  de  ne  pas  écrire  pain  béni.  La  pronon- 
ciation n'exige  qu'une  seule  exception,  eau  bénite. \ 

(.S)  [Il  faudrait  préalablement  trancher  la  question  de  prononciation 
tu-i.au  ou  tui-iau,  etc.) 

(4)  (Le    tréma    est  au   moins  utile  dans  «^  il    Vjaïc  »,  sans  quoi   on 
prononcerait  cette  forme  verbale  comme  le  substantif  baic.\ 

(o)  Me  ne  trouve  pas.)  I,.  C. 


RÉPONSE    DE    M.    CHARLES    LEBAIGUE  23 

adverbes  de  manière,  l'usage  a  prévalu  d'écrire  poli- 
ment, vraiment,  aisément,  absolument,  au  lieu  des 
formes  èt\iTio\ogic[v\Q^ poliemcnt,  vraiemetit,  aiséement, 
absoluement.  C'est  un  fait  accompli  qu'on  doit  subir. 
La  seule  chose  à  faire,  c'est  de  supprimer  l'accent  aussi 
bien  dans  gaîment,  dûment,  que  dans  poliment,  abso- 
lument. 

Pour  les  substantifs,  l'Académie  flotte  entre  l'ortho- 
graphe étymologique  et  l'orthographe  phonétique  :  elle 
écrit  d'une  part  nettoiement  comme  soierie,  et  de  l'autre 
agrément  comme  plaidoirie,  ou  l)ien  encore  ad  libitum 
dénouement  et  dénoûment.  S'il  lui  arrive  un  jour  de 
mettre  un  peu  d'ordre  dans  cette  partie  de  son  voca- 
bulaire, vous  l'engagez  à  adopter  l'orthographe  phoné- 
tique ;  j'estime,  pour  moi,  qu'elle  fera  mieus  de  garder 
ou  de  rétablir  partout  l'emédial,  lettre  dormante,  mais 
significative,  qui  rappelé  le  mot  formateur. 

C'est  dire  assez  qu'elle  devra  retenir  cette  même 
lettre  dans  les  futurs  créerai,  jouerai,  prierai,  ploierai, 
et  renoncer  à  la  variante  syncopée  paîrai  pour 
paierai  (1). 

Remarquons  à  ce  propos  que  l'emploi  de  l'accent  cir- 
conflexe pour  indiquer  la  chute  ou  la  contraction  des 
lettres  est  un  expédient  avec  lequel  il  est  temps  d'en 
finir,  d'autant  mieus  qu'il  n'a  rien  de  fixe  et  de  réglé  : 
nous  écrivons  arbitrairement  dû  (deu)  et  su  (seu). 
remerciment  {remerciement)  et  assortiment  (assortie- 
ment),  croître  (croistre)  et  étendre  (estendre),  côte 
(coste)  et  coteau  (costeau).  L'accent  circonflexe,  comme 
le  grave  et  l'aigu,  doit  être  uniquement  réservé  à  mar- 
quer le  timbre  ;  son  véritable  office  est  d'indiquer  les 
voyelles  prononcées  longues  :  âme,  aumône,  fête,  Jlûte. 

(1)  [Ici  encore  on  invoque  runiformité  de  la  conjugaison.  Mais 
pourquoi  nous  obliger  à  rechercher  l'infinitif  quand  on  a  à  écrire  un 
futur?  Les  enfants  écrivent  naturellement  crira  comme  écrira;  je  n'y 
vois  pas  d'incon veulent.]  C.  L. 


24  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Il  est  bien  vrai,  comme  vous  en  faites  la  remarque,  qu'il 
ne  remplit  cet  office  que  d'une  façon  intermittente  et 
capricieuse  :  on  ne  le  met  pas  sur  espace  pour  le  distin- 
guer de  face,  ni  sur  grosse  par  opposition  à  crosse.  En 
cela  on  a  peut-être  tort.  Assurément  ce  serait  une  com- 
plication ;  mais,  étant  logique,  elle  n'aurait  rien  de  bien 
embarrassant.  Au  surplus,  restreinte  ou  généralisée, 
cette  destination  du  circonflexe  serait  toujours  préfé- 
rable à  l'emploi  que  vous  lui  réservez.  En  faire  usage 
uniquement  pour  marquer  l'e  tonique  de  tête,  quête, 
etc.,  ce  serait  une  innovation  par  trop  contraire  à  nos 
habitudes  :  jamais  l'accent  tonique  n'a  figuré  dans 
l'écriture  française  (1). 

Devenu  un  simple  signe  de  prononciation,  l'accent 
circonflexe  disparaîtrait  naturellement  des  mots  mûr, 
prêter,  coûter,  île,  vous  aimâtes,  qu'il  voulût,  et  de 
tous  autres  où  la  syllabe  s'est  réduite  sans  s'allonger. 

L'accent  grave  suivrait  la  même  règle  :  je  pense, 
comme  M.  L.  Havet,  qu'on  lui  enlève  son  véritable 
caractère  en  l'affectant  â  la  distinction  des  homonymes  : 
a  et  à,  la  et  là,  des  et  dès,  ou  et  où. 

Enfin,  vous  modifiez  quelque  peu  le  système  de 
Darmesteter  sur  l'orthographe  des  mots  composés  ou 
plutôt  juxtaposés,  en  demandant  pour  les  uns  la  soudure 
complète  [portemonnaie,  guidàne),  mais  en  concédant 
pour  les  autres  l'usage  facultatif  du  trait  d'union.  Cette 
latitude  a  du  bon,  si  elle  doit  préparer  et  hâter  la  réunion 
définitive  des  parties  en  un  tout;  mais,  en  attendant, 
l'usage  du  Irait  d'union  ne  motive  pas  la  syntaxe  nou- 
velle que  vous  voudriez  faire  prévaloir  :  les  arc-en- 
ciels,  les  cliemin-de-fcrs .  Vous  dites  qu'elle  concorderait 
avec  la  prononciation  usuelle  :  pour  ma  part,  je  n'ai 

(1)  [M.  Lebaigue  ne  m'a  pas  compris.  Je  ne  veus  pas  indiquer 
l'accent  tonique,  mais  marquer  le  timbre  dans  un  cas  où  on  ne  peut  se 
dispenser  de  le  faire  puiscjne  l'e  sans  accent  se  confondrait  avec  e 
muet.'  L.  C. 


RÉPONSE    DE    M.    CHARLES    LEBAIGUE  25 

pas  entendu  souvent  cette  liaison  anti-grammati- 
cale (1)  :  les  chemùi-de-fer-^-étrangers. 

J'aurais  voulu  ajouter  quelques  mots  sur  les  règles 
ou  plutôt  sur  la  règle  des  participes  passés;  mais  vous 
n'en  dites  rien  dans  votre  dernier  travail;  et  d'ailleurs 
la  question  semble  avoir  été  vidée  dans  les  débats  pré- 
cédents. Je  me  bornerai  à  répéter  que  je  ne  suis  pas 
encore  converti  à  la  syntaxe  Je  les  ai  vu  courir  :  je 
trouve  qu'elle  est  fondée  sur  une  analyse  un  peu  subtile. 

Sur  les  cas  en  litige  et  sur  d'autres  encore,  il  y  aurait 
bien  des  choses  à  dire;  mais  j'ai  hâte  d'arriver  h  une 
conclusion  qui  s'impose  dès  à  présent. 

L'idée  d'un  congrès  réformiste  m'avait  d'abord  fait 
sourire  :  je  reconnais  aujourd'hui  qu'elle  est  sérieuse, 
qu'elle  est  pratique,  et  qu'elle  peut  être  féconde.  Ainsi 
que  bien  d'autres,  j'avais  compté  sur  l'initiative  de 
l'Académie,  qu'on  sollicitait  de  répondre  aus  légitimes 
exigences  de  l'opinion.  C'était  mécompte.  L'Académie, 
qui  s'accorde  un  crédit  périodique  de  trente  ou  quarante 
années  pour  réviser  son  œuvre ,  c'est-à-dire  pour 
accepter  les  améliorations  qu'on  lui  propose,  et  au 
besoin  pour  les  repousser,  l'Académie  est  sourde  aus 
sollicitations  et  parait  résolue  à  ne  pas  avancer  d'un 
jour  l'époque  de  son  échéance.  Le  sort  de  la  pétition 
Havet  ne  laisse  aucun  doute  à  cet  égard.  11  faut  donc 
aviser  par  ailleurs.  Si,  comme  vous  en  émettez  le  vœu, 
un  groupe  d'hommes  compétents  s'entendait  pour 
adopter  un  ensemble  de  rectifications,  et  pour  on  dresser 
la  liste,  c'est-à-dire  pour  rédiger  un  petit  dictionnaire 
purement  orthographique,  il  est  probable  qu'on  arrive- 
rait aie  substituer  dans  l'usage  au  dictionnaire  officiel. 
Ce  résultat  s'obtiendrait  môme  assez  promptement,  si 
la  presse  quotidienne  voulait  aider  par  sa  publicité 
aus  efforts  du  groupe  réformateur.  Ainsi  tout  serait 

(1)  [Elle  n'est  pas  i)liis  iiiiU-giainmaticalc  que  celle  de  «  vaurien-s 
insolents  »  et  autres  aiialo^ni(!s.  !  L.  C. 


26  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

pour  le  mieus  :  l'illustre  compagnie  ne  serait  pas  trou- 
blée dans  la  quiétude  qu'elle  juge  indispen«:able  à  son 
travail,  et  le  public  pourrait,  sans  attendre  l'expiration 
de  la  période  trentenaire,  être  mis  en  possession  d'une 
orthographe  plus  simple,  plus  régulière  et  plus  homo- 
gène. 

OBSERVATIONS  DE  M.  CROUSLÉ 

Revue  de  philologie  française,  tome  IV,  page  262. 
—  Noms  propres. 

Je  suis  absolument  d'avis  qu'il  n'y  faut  pas  toucher, 
d'autant  plus  que  les  singularités  d'orthographe  sont 
souvent  ce  qui  en  fait  des  noms  propres.  Ainsi  Lefebvre, 
Lefèvre,  Lefaivre,  etc.  De  même  Dampievre,  Dom- 
pierre  ;  Dammartin,  Dommartin,  etc. 

P.  263.  —  Sangle,  cendre. 

Il  est  clair  que,  si  l'on  voulait  ramener  tous  les  mots 
de  la  langue  française  à  des  règles  uniformes  d'après 
l'étymologie  et  la  phonétique,  on  ferait  une  langue 
presque  entièrement  nouvelle  pour  les  yeus.  Pour  les 
Français,  la  tradition  serait  rompue  ;  les  étrangers  qui 
connaissent  la  langue  plus  par  l'écriture  que  par  le 
parler,  seraient  rebutés;  l'immense  quantité  de  livres 
français  qui  sont  répandus  dans  le  monde,  serait  à 
réimprimer.  Et  pour  quel  profit  ?  Pour  une  satisfaction 
purement  théorique.  La  langue  française  existe  par 
elle-même,  telle  qu'elle  est  ;  les  origines,  dans  le  détail, 
n'intéressent  que  les  savants  ;  et  si  l'on  voulait  suppri- 
mer toutes  les  anomalies,  les  difficultés  se  multiplie- 
raient à  l'infini,  et  deviendraient  quelquefois  insur- 
montables. Je  persiste  donc  à  croire  que  plus  la  réforme 
sera  modeste,  plus  elle  sera  utile. 

Je  suppose  qu'on  se  mette  à  écrire  cengle  (sangle), 
parce  qu'on  écrit  cendre.  Ou  devra,  par  la  même  raison. 


OBSERVATIONS    DE    M.    CROUSLE  37 

écrire  cenglier  (1)  (sanglier).  Les  personnes  peu  fami- 
lières avec  le  latin  pourront  tout  aussi  bien  supposer 
un  rapport  d'étymologie  entre  cenglier  et  cengle 
qu'entre  sanglier  et  sangle,  quoiqu'il  n'y  en  ait  aucun. 
J'ai  bien  vu  un  cours  pour  les  demoiselles  où  l'on 
enseignait  que  métropole  vient  de  métré,  parce  qu'il  y 
a  des  villes  qui  servent  de  mètre  ou  de  mesure  aus 
autres.  On  n'a  pas  à  s'occuper  de  la  commodité  des 
étymologies  pour  les  personnes  qui  ne  possèdent  pas 
les  premiers  éléments  de  la  science;  et  vous  dites  fort 
bien  :  «  quant  au  public,  peu  importe  qu'il  ait  ou  n'ait 
pas  la  sensation  de  la  parenté  entre  sangle  et  ceindre)). 
Il  me  semble  que  la  réforme  doit  se  borner  à  suppri- 
mer les  anomalies  qui  sautent  aus  yeus  de  tout  le 
monde,  comme  celle  de  consonne,  consonance  ;  réson- 
nant, résonance,  etc.,  et  déjà  cela  mènera  loin. 

P.  263.  —  Carré,  quarré. 

L'usage  a  établi  carré  pour  quarré,  carême  pour 
quarême. 

Mais  on  écrit  encore  quadrature,  quadragésime, 
etc.  Il  est  vrai  qu'on  prononce  couadrature,  couadra- 
gésime,  mais  on  écrit  cjuarantaine  :  faudra-t-il  écrire 
carantaine  ?  Il  faudrait  alors  écrire  catre  (quatre), 
catorze,  etc. 

Il  ne  serait  peut-être  pas  diflicile  d'introduire  cartier 
(quartier)  ;  mais  cand  (quand)  et  calité  (qualité)  me 
paraissent  malaisés  à  faire  passer. 

Gardera-t-on  quel  en  écrivant  calité  ;  ou  comment 
l'écrira-t-on? 

En  somme,  je  suis  sui'  ce  point  de  votre  avis,  et  je 
crois  qu'il  n'y  a  rien  à  tenter  pour  corriger  présente- 
ment ces  anomalies.  L'usage  fera  tout  seul  ce  qui  sera 
véritablement  commode,  comme  il  l'a  fait  pour  carré 
et  pour  carême.  L'usage  trouve  souvent  les  meilleures 

(1)  [C'est  ficuijUcr  (jni  s(>r:iil  l'orthographe  étymologique!       T..  C. 


28  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

solutions  ;  et  il  faut  que  les  grammairiens  se  gardent 
de  tout  gâter,  comme  ils  l'ont  déjà  fait  plus  d'une  fois. 
Il  ne  s'agit  pas  de  rendre  l'orthographe  irréprochable 
au  point  de  vue  scientifique,  ce  que  je  crois  impossible, 
mais  de  la  rendre  aisée,  en  sacrifiant  le  moins  possible 
de  vérités. 

P.  263,  note  6.  —  ^muette  initiale  :  huile. 
Il  est  clair  qu'on  pourrait  retrancher  cette  consonne, 
fausse  par  l'étymologie  et  nulle  par  le  fait. 
Mais  écrira-t-on  :  eureus,  maleiw,  boneiir? 

Tout  n'est  c^n'eur  et  maleur.    (Prov.) 

Et  Veur  de  vous  revoir  lui  semblera  plus  doux, 

Plus  elle  aura  pleuré  pour  un  si  cher  époux.  (Polyeucte.) 

Evidemment  on  doit  faire  ainsi  d'après  la  règle  de 
l'étymologie.  Mais  je  ne  vais  pas  si  loin.  Je  crains  plus 
de  défigurer  la  langue  que  de  tolérer  une  fausse  étymo- 
logie,  puisqu'il  y  aura  toujours  des  cas,  et  plus  nom- 
breus  qu'on  ne  prévoit,  où  il  faudra  reculer  devant 
l'analogie.  Vous-même  av^ez  déjà,  dans  ce  court  essai, 
plus  d'une  fois  senti  votre  courage  faiblir. 

P.  264.  —  <(  1°  Les  mots  de  même  racine  que  ten- 
sion, etc.  » 

Distinction  ingénieuse  :  on  pourrait,  en  effet,  pro- 
poser d'écrire  attension,  intension,  etc.  ;  tandis  que 
Von  conserversiit  détention,  obtention,  etc.,  à  cause  de 
la  différence  de  racine. 

Mais  alors  on  n'allègue  plus  l'utilité  de  supprimer  le 
^/sifflant,  puisqu'on  le  conserve.  Ce  n'est  pas  une  raison 
d'écriture  phonétique,  mais  une  raison  d'étymologie 
que  l'on  fait  valoir.  En  effet,  abolir  le  ti  sifflant  me 
paraît  une  entreprise  exagérée. 

Cette  opinion  s'applique  également  au  paragraphe 
suivant,  relatif  à  confidenciel,  etc.  Cette  réforme  serait 


OBSERVATIONS    UE    M.    CHOUSLÉ  V?'.t 

étymologique  et  non  phonétique.  A  ce  point  de  vue, 
elle  me  paraîtrait  fort  acceptable. 

La  difficulté  passe  sur  une  autre  question^  savoir, 
quels  sont  les  mots  en  iel  qui  viennent  d'un  substantif 
et  cens  qui  viennent  d'un  adjectif.  Vous  écrirez,  je 
pense,  potentiel  et  nonpotenciel. 

Mais  il  est  convenu  qu'on  renonce  à  supprimer  le  t 
sifflant,  et  qu'on  ne  proposera  pas  d'écrire  racionnel  ou 
î'as{s)ionnel. 

P.  264,  I.  —  Apostrophes,  etc. 

Je  suis  absolument  d'accord  avec  vous  sur  ce  que 
vous  dites  de  l'apostrophe  dans  grand' mère,  etc.  Cepen- 
dant, si  vous  écrivez  grand  mère,  il  y  aura  toujours  une 
difficulté  pour  le  commun  des  lecteurs,  qui  ne  com- 
prendra pas  pourquoi  on  associe  un  adjectif  masculin 
avec  un  nom  féminin.  Je  proposerais  donc  qu'on  éci'i  vît  : 
grand-mère,  grand-route,  etc. 

Sur  votre  second  paragraphe  relatif  à  l'apostrophe, 
je  suis  tout  à  fait  d'avis  qu'on  doit  écrire  entracte, 
s  entraimer,  etc. 

Ceci  est  conforme  â  mon  principe,  qu'on  doit  tendre 
le  plus  possible  à  I'unification  des  mots  composés. 

P.  265.  —  Je  trouve  qu'il  serait  bon  d'essayer 
qiielcun,  à  l'imitation  d'aucun  et  de  chacun. 

J'approuve  entièrement  votre  §  3  :  «  Je  ne  maintien- 
drais l'apostrophe  que...  » 

De  même,  et  par  la  raison  ci-dessus,  votre  §  4  :  «  11 
y  aurait  lieu  de  supprimer  le  trait  -  d'union. ..  »  : 
contrecoup,  s' entretuer. 

=  L'uNn<'icATiON  DES  MOTS  COMPOSÉS  cst  unc  dcs 
réformes  les  phis  utiles,  les  plus  logiques  et  les  plus 
aisées  que  nous  ayons  à  faire. 

Par  conséquent  (§  4)  :  portcmonnaie. 

Ajoutez  gardecôte,  gardemalade,  etc. 


•i'>  KEVCE    DK    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Mais  la  difficulté  commence  quand  deus  voyelles  se 
rencontrent  en  une  position  telle  qu'il  doive  s'opérer 
une  élision  :  guide  âne.  Pour  moi,  j'écrirais  guidàne. 

Second  cas  :  comment  écrira-t-on  :  arc-en-ciel  "^  — 
Pour  moi  j'écrirais  :  arquenciel,  comme  arquer,  etc.  Et, 
au  pluriel,  arcjuenciels.  On  écrit  bien  àe,^  gendarmes, 
et,  ce  qui  est  plus  violent,  un gendaimie. 

Troisième  cas  chef-d'œuvre,  sergent  de  ville,  chemin 
de  fer.  Je  distingue  : 

1°  Chef-d'œuvre  est  vraiment  un  mot  composé  :  car 
chef  n'y  garde  pas  un  sens  distinct  par  lui-même. 
J'écrirais  donc  chef-d'œuvre  (1),  et  au  pluriel  chef- 
d'ceuvres  ;  de  même  des  hec-d'ànes.  (C'est  ce  que  font 
les  ouvriers,  Cjui  disent  un  bédane.) 

2°  Sergent  de  ville  et  chemin  de  fer  ne  sont  pas  de 
vrais  mots  composés  :  car  chacun  des  éléments  y  con- 
serve sa  signification  distincte.  J'écrirais  donc  des 
sergents  de  ville,  des  chemins  de  fer. 

3"  Toutes  les  fois  qu'un  mot  composé  peut,  sans  diffi- 
culté, être  unifié,  j'en  ferais  résolument  un  seul  mot, 
en  remplaçant,  quand  il  y  a  lieu,  les  voyelles  atones  par 
des  apostrophes  : 

des  contr  escarpes,  des  contr  amiraus  (et  pourquoi 
pas  contrescarpes,  contramiraus  ?)  ;  ou  en  fondant 
simplement  les  deus  mots  en  un  : 

des  guidânes,  des  abatvents,  des  ahatjours,  etc. 

des  brèchedents,  chahuants,  saintenitouches,  etc. 

4°  Quand  les  mots  ne  peuvent  vraisemblablement  se 
fondre  ensemble,  on  emploierait  le  trait-d'union,  mais 
toujours  en  considérant  le  composé  comme  un  seul  mot  : 

deii  pince-sans-rires,  des  va-et-vients,  etc. 

(1)  (Dans  «  chef-d "œuvre  )y  eJic/ a.  un  sens  archaïque,  de  même  que 
dans  le  verbe  «  a-chev-er  ».  Je  ne  vois  pas  la  nécessité  du  trait 
d"uiiion,  la  préposition  liant  sulïisarament  les  deus  parties  du  mot 
composé.  Ou  bien  alors  il  faudrait  écrire  aussi  !<crgent-dc-ville,  car, 
lorsqu'on  emploie  ce  terme,  on  ne  pense  pas  au  grade  de  sergent,  et 
la  locution  forme  vraiment  un  seul  mot.]  L.  C. 


()BSEK\ATIONS    DE    M.    CROUSLÉ  ."M 

Cependant,  je  reconnais  que  cette  réforme  peut  donner 
lieu  à  beaucoup  de  difficultés,  et  qu'il  y  a  une  multitude 
de  cas  qui  méritent  d'être  discutés  individuellement. 
Ici  encore,  je  compte  sur  l'usage  (1),  qui  a  fait  des  mots 
simples,  comme  gendarme^,  Justaucorps,  chantepleure, 
barhacane,  arquebuse,  etc. 

P.  265.  §  5.  —  «  Le  tréma  est  inutile  dans  Noël  >>. 

Soitj  si  l'on  ne  consulte  que  l'usage  le  plus  récent  ; 
mais  il  est  certain  que,  durant  des  siècles,  No-el  s'est 
prononcé  en  deus  syllabes,  et  que  cette  prononciation 
est  encore  nécessaire  pour  lire  les  textes  qui  ne  sont 
pas  d'hier.  Noël  ne  peut  être  assimilé  à  moel-le,  quoi- 
qu'on dise  aujourd'hui  ce  mot  en  une  seule  émission  de 
vois  :  c'est  la  prononciation  nouvelle  qu'il  faudrait 
réformer,  s'il  était  possible  (2). 

P.  265,  §  6.  —à,  là,  où  (suppression  de  l'accent  dans 
ces  mots). 

C'est,  à  mon  sens,  une  erreur  de  la  pétition  de 
M.  Louis  Havet.  Beaucoup  de  personnes  que  je  connais 
ont  signé  cette  pétition,  sans  souscrire  mentalement 
sur  ce  point.  Cet  accent  sur  à,  là^  où  est  une  de  ces 
inventions  de  l'usage  qui  se  rapportent  à  la  commodité 
et  non  à  la  science  ;  il  doit  être  conservé  au  titre  où  il  a 
été  inventé.  Il  ne  déroge  en  rien  à  l'emploi  ordinaire  de 
l'accent  qui  n'est  chez  nous,  en  général,  qu'un  moyen 
de  rendre  la  lecture  plus  facile  et  non  pas  un  moyen  de 
hgurer  d'une  manière  constante  et  uniforme  des  pro- 

(1)  [Mais  il  faut  toujours  bien  que  quelqu'un  prenne  l'initiative  de 
l'usage.] 

(2)  [Je  prononce  encore  Nocl  en  deus  syllabes,  et  la  suppression 
du  tréma  n'indique  aucune  modification  de  prononciation.  Pourquoi 
un  tréma  dans  N(j(d  quand  on  n'en  met  pas  dans  cruel'l  Sans  doute 
oe  se  prononce  oi  dans  «  moelle  »,  mais  c'est  un  cas  exceptionnel,  et  il 
faudrait,  dans  la  graphie  de  ce  mot,  changer  oe  en  oi  comme  on  a 
changé  et  en  oL  dans  lel  (de  legcni)  quand  la  pi'ononciation  de  ce  mot 
et  des  s(!mblables  s'est  modifiée.]  I-  C 


;{-J  REVUE    DE    PHIl.(»I,OGlE    FRANÇAISE 

priétés  phonétiques.  Si  l'on  veut  employer  nos  accents 
d'après  des  principes  scientifiques,  tout  est  à  réformer, 

P.  266,  §  «  1.  —  J'écrirais  avec  un  accent  grave  sé- 
cher, réglementer,  etc.  » 

Je  crois  cette  observation  exacte  ;  et  à  ce  propos  j'en 
ferai  une  plus  étendue. 

11  me  semble  que  quand,  par  l'efïet  de  la  déclinaison 
ou  de  la  conjugaison,  une  syllabe  muette  ou  mi-muette 
se  place  à  la  suite  d'une  syllabe  qui  avait  un  é  fermé, 
cet  é  devient  é  dans  la  prononciation  :  vénÉrerj'e  vénÈ- 
rerai;  et  cela,  en  vertu  d'une  disposition  générale  de 
la  langue  à  compter  pour  ouverte  la  syllabe  qui  en  pré- 
cède une  muette  dans  le  même  mot  : 

Sèche,  régie,  manège,  ténèbres,  etc. 

Le  public  parisien  prononce  volontiers  évÈnement 
(que  l'Académie  écrit  évÈnement)  comme  avènement. 

L'Académie^  qui  dans  la  6'"^  édition  écrivait  encore 
piège,  privilège,  siège,  etc.,  écrit,  dans  [3.7""^,  piège, 
privilège,  siège,  etc.  Elle  a  cette  fois  écouté  la  pronon- 
ciation générale. 

Si  je  ne  me  trompe^  on  prononce  communément  je 
pénétrerai,  comme  je  pénétre.  Si  mon  observation  est 
juste,  on  y  trouverait  la  solution  des  difficultés  rela- 
tives aus  verbes  en  eler,  eter,  etc.  On  pourrait  poser  la 
règle  suivante,  qui  s'appliquerait  à  la  fois  aus  verbes 
en  éger,  érer,  etc.,  et  aus  verbes  en  eler,  eter,  etc.  : 

Quand,  dans  un  verbe,  une  syllabe  en  é  ou  en  e  est 
suivie  d'une  syllabe  atone,  la  première  prend  è  ouvert. 

Ex.  :  Alléger,  j'allège,  j'allégerai;  accélérer,  j'accélère, 
j'accélérerai,  etc.  Peler,  je  pèle,  je  pèlerai;  mener,  je 
mène,  je  mènerai,  etc. 

On  pourrait,  en  vertu  de  cette  règle^  éviter  le  redou- 
blement de  la  consonne  dans  appeler,  jeter,  etc.,  et 
écrire  j'appklerai,  je  chancklerai,  je  jÈterai,  etc. 

Voilà  ime  question  que  je  soumès  aus  grammairiens. 


OBSERVATIONS    DE    M.    CROUSLÉ  'A'A 

P.  200,  §  ^^.  —  De  raccont  circonflexe. 

11  me  semble  d'abord  que  Cet  accent,  ne  représentant 
pas  d'une  manière  constante  et  uniforme  une  contrac- 
tion ou  une  s  retranchée,  est  bien  plus  généi'alement 
le  signe  d'une  voyelle  forte  et  allongée;  et  que  c'est  à 
cet  usage  c[u'il  faudrait  le  réduire  :  pâte,  poêle,  etc.  Il 
est  vrai  qu'il  arrive  très  souvent  c|ue  ce  son  vocal  n'est 
pas  marqué  de  cet  accent,  comme  à^n^  passe,  g/'osse, 
c{ue  vous  citez  ;  dans Jàble,Jbsse,  pot,  etc.  Faut-il  le  lui 
imposer  toujours  ?  Comme  je  ne  vise  ni  aus  complica- 
tions, ni  à  la  régularité  absolue,  je  me  contenterais  des 
cas  où  il  s'agit  de  distinguer  un  mot  d'un  autre  :  côte, 
cote  ;  mât,  mat  ;  etc.  Mais  la  réforme  devrait  avoir  pour 
objectif  de  marquer  de  ce  signe  toutes  les  voyelles  qui, 
par  leur  valeur,  en  justifieraient  l'emploi.  Quant  à  l'éty- 
mologie,  je  pense  que,  sur  ce  point  comme  sur  tant 
d'autres,  il  n'y  faut  plus  songer, 

P.  267,  §  2.  —  ((  J'écrirais  seau,  et  aussi  sier...  » 

La  raison  étymologique  fait  valoir  cette  réforme. 

Mais  elle  introduit  de  nouveaus  homonymes  :  seau 
(sigillum)  et  seau  (sitellum).  Quant  a  sier,  il  donnera 
sieur  (de  bois).  Cet  inconvénient,  malgré  tout  ce  qu'on 
peut  dire,  me  pai'ait  plus  grand  que  l'avantage.  11  est 
vrai  que  nous  avons  d'autres  homonymes  ;  mais  il  n'est 
pas  bon  d'en  augmenter  le  nombre.  Si  nous  avions  à 
inventer  des  lettres  parasites  pour  distinguer  les  mots, 
nous  ne  le  ferions  pas.  Mais  puisque  nos  pères  en  ont 
pris  la  responsabilité,  profitons  du  méfait. 

§  3.  —  Sur  legs,  mets,  rets,  j'alléguerai  encore  que 
ces  mots,  en  dépit  de  leurs  vices  d'origine,  sont  plus 
commodes  que  cens  qu'on  pourrait  leur  substituer. 

§  4.  —  Je  veus  bien  qu'on  écrive  tems  (plutôt  ({uo 
te/is),  comme  faisaient  encore  nos  grand'mères. 

Cors  (au  lieu  de  corps)  serait  bon,  s'il  n'y  avait  pas 
an  pluriel  la  confusion  avec  cors  (de  chasse). 

llUVUK  DE  PHILOLOGIE,    V.  3 


34  REVUE    DE    PHILOL(JGlE    FRANÇAISE 

Scn/te/\  pront,  batêine,  donier  peuvent  se  soutenir. 

Conter  (au  lieu  de  compter)  est  logique.  Mais  je  dirai 
encore  ici  :  puisque  nos  pères  ont  fait  la  faute,  profi- 
tons-en :  nous  avons  deus  mots  au  lieu  d'un,  tant  mieus. 

P.  2GS,  §  1.  —  «  Je  supprimerais  \q p  de  sept,  etc.   » 

Je  continuerais  à  écrire  sept,  à  cause  de  septembre, 
septentrion.  Septante,  Septimanie,  etc.  (1). 

Je  veus  bien  qu'on  écrive  remors,  pan,  fan,  vint, 
puis. 

Pour  les  mots/)o/s  (poids),  doit  (doigt),  pous  (pouls), 
fis  (fils),  je  fais  mes  réserves.  Cependant  pois  est  la 
mieus  justifiée  de  ces  corrections,  mais  c'est  aussi,  avec 
pous,  celle  qui  peut  donner  lieu  au  plus  grand  nombre 
d'embarras  dans  la  lecture.  Je  ne  crois  pas  que  nos 
pères  aient  eu  si  grand  tort  de  rechercher  ce  qui  dis- 
tingue les  mots  dans  l'écriture.  Car  souvent  il  est  visible 
qu'ils  l'ont  cherché  :  ils  ont  surchargé  l'orthographe  du 
moyen  âge  par  erreur,  par  fausse  étymologie  quelque- 
fois, cela  est  sûr.  Mais  je  soupçonne  aussi  qu'ils  l'ont 
fait  bien  souvent  pour  rendre  la  lecture  plus  coulante 
par  la  diversité  de  la  physionomie  des  mots. 

Quant  à  la  règle  absolue  de  supprimer  toutes  les  con- 
sonnes étymologiques  qui  ne  se  prononcent  plus,  je  la 
crois  exagérée  ou  prématurée.  Je  n'écrirais  jamais  cer 
(cerf),  can  ou  cam  (camp),  sour  (sourd),  bor  (bord), 
etc.  (2).  Je  consentirais  à  écrire /)/é^  nœu;  mais  ni  (nid) 
m'inquiète  :  je  crains  qu'on  ne  reconnaisse  plus  ce 
mot-là. 

P.  268,  111.  —  Œu,  œ,  etc. 

Je  ne  vois  pas  un  avantage  évident  :i  écrire  cœuillir, 
écœud,  orgœud,  gœule,  etc.  Je  m'en  tiens  provisoire- 

(1)  [Mais   alors,  pour<iu()i  ne  pas  écnre  cj/ret  à  cause  ûe  pjfcrftcer, 
l'ili'.ctij';  dchte  à  cause  de  débitcia-,  cle.  ?  j 

(2)  [C'est  aussi  mon  avis.] 


OBSERVATIONS    DE    M.    CROUSLÉ  35 

nient  à  ce  qui  est.  On  ne  peut  faire  valoir  qiu)  l'analogie 
de  cœur.  Mais  pourquoi  n'écrivons-nous  plus  cucr 
(ou  cueur)  comme  on  l'a  écrit?  c'est  ce  mot-là  qui  a 
dérogé  à  l'usage.  Doit-il  entraîner  les  autres,  ou  être 
ramené  par  eus?  Il  est  au  moins  positif  que  œ  n'a  aucune 
valeur  propre  pour  marquer  c|ue  c  ou  g  est  dur.  C'est 
pure  convention.  On  peut  donc  aussi  bien  faire  porter 
la  convention  sur  u  :  cueillir,  gueule  ;  et  il  y  a  de  plus 
analogie  avec  qu  :  quel  (1). 

P.  269,  IV.  —  Y  non  grec. 

Approuvé,  et  notamment  en  ce  qui  regarde  le 
futur,  etc.,  des  verbes  en  oyer,  uger,  ayer. 

Mais  si  l'on  veut  marcher  à  pas  comptés,  on  pouii-ait 
d'abord  poser  seulement  la  règle  suivante  :  «  Ces  verbes 
prennent  tous  uniformément  au  futur,  etc.,  i  au  lieu 
de  y  :  j'emploierai,  j'emploierais,  etc.  » 

P.  270-271,  V. —  «  E  muet  après  une  voyelle  dans 
l'intérieur  des  mots.  » 

Je  pense  que  ce  serait  aller  trop  vite  que  d'écrire  -.je 
crérai,je prirai,je  turai,  etc.,  à  cause  des  règles  de  la 
formation  du  futur. 

Mais  j'approuve  :  (2")  gaiment  et  gaité;  (3")  soirie, 
férié,  etc.,  parce  qu'il  importe  moins  qu'on  songe  à  la 
manière  dont  ces  mots  se  sont  formés  :  on  n'a  plus  à  les 
former. 

P.  272,  VI.  —  G  et  J,  etc. 

Je  conserverais  ge  dans  geôlier,  orgeat,  etc.,  â  cause 
de  geôle  (2),  orge,  etc. 

Je  conserverais  également  gu  dans  les  verbes  en  gucr  : 

(1)  |Si  ou  écrit  cu<jf\  rien  n'iiiili([U(!r;i  la  dilï/M'cnce  de  pruiionciatioii 
avec  tucf,  muer,  etc.  11  faudrait  doue  cucur,  qui  me  parait  plus 
barbare  que  cœur;  et  d'ailleurs  il  y  aurait  encore  incertitude  de 
pronouciatiou  :  comparez  tueur,  lueur.] 

(2)  [Mais  pourcpioi  ne  pas  écrire  7(5 ^e  ?] 


3()  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

car,  pour  indiquer  le  sou  guttural  dansée  fatige,\\ 
faudrait  marquer  le  //  d'un  sigue  particulier  (1).  On  est 
habitué  à  Va  :  a  quoi  bon  en  inventer  un  autre?  Mais 
j'écrirais  les  adjectifs  comme  le  participe  présent  : 
fatiguant,  intriguant. 

Quant  à  la  réforme  radicale,  qui  consiste  à  réserver  g 
pour  le  son  guttural,  et  à  lui  substituer  /  pour  le  son 
chuintant  :  gaje,  gajure,  il  me  semble  qu'elle  défigu- 
rei\ait  tout  d'abord  un  trop  grand  nombre  de  mots,  ce 
que  je  crois  qu'il  est  bon  d'éviter.  Si  l'on  veut  d'un 
coup  faire  une  réforme  phonétique  complète,  on  décou- 
ragera le  lecteur;  et  l'on  rencontrera  des  difficultés 
inattendues.  Je  suis,  encore  une  fois,  pour  une  réforme 
très  mitigée. 

P.  273,  VIL  —  Anomalies  diverses. 

J'admès  douçâtre,  segond. 

Je  ne  vois  pas  d'avantage  à  écvivQfaisseau  au  lieu  de 
faii^ceau. 

J'admès  forsené,  déciller,  contreindre,  niomeau, 
vermiceau,  de  chant. 

Pour  nés  et  rés,  je  \\q\\  vois  pas  l'avantage,  à  moins 
qu'on  ne  supprime  résolument  le  .j  final  (2),  pour  lequel 
j'ai  un  faible,  ainsi  que  pour  x  final. 

J'approuve  la  substitution  du  t  au  d  final  dans  diffé- 
rend. 

Quant  à  écrire  différant  pour  l'adjectif,  c'est  une 
réforme  fort  logique,  mais  qui  me  paraît  entraîner  trop 
loin. 

Je  souscrirais  plus  volontiers  â  .^avame/it,  négli- 
geanient,  etc. 

(1)  îOn  continuerait  à  écrire  Jatlgue,  mais  on  supprimerait  Vu 
quand  il  n'est  pas  utile  :  tious  Jatic/ons,  ilfatiga.] 

(2)  [Il  n'y  a  pas  lieu  de  supprimer  le  s  final  quand  il  est  tradition- 
nel, c'est-à-dire  quand  il  correspont  à  ts  latin.  Mais  dans  nez  et  res, 
le  s,  qui  est  une  graphie  moderne,  correspont  simplement  à  slatin  et 
n'a  aucune  raison  d'être.] 


OBSERVATIONS    DE    M.    CROUSLÉ  37 

Les  réformes  incomplètes  inspireront  peut-être  le 
désir  d'aller  plus  loin  ;  une  réfoi^me  complète  effraierait 
tout  d'abord. 

P.  275,  VIII.  —  Reformes  grammaticales. 

J'approuve  le  1'"''  §,  hormis  les  réserves  que  j'ai  déjà 
faites. 

§  2.  Je  fais  une  réserve  pour  tout.  Je  crois  également 
difficile  de  faire  admettre  :  «  Elles  sont  toutes  éton- 
nées »  (à  moins  qu'on  n'entende  qu'elles  le  sont  toutes) 
et  :  «  Nous  fûmes  tout  suprises  ».  Mais  j'aimerais  mieus 
le  second  parti,  auquel  on  s'habituerait,  et  qui  ne  don- 
nerait lieu  à  aucune  confusion  de  sens. 

J'admès  qu'on  ne  distingue  pas  même  adverbe  de 
même  adjectif  dans  les  cas  où  il  y  a  difficulté. 

J'admès  l'invariabilité  de  mort  et  de  nouveau  dans 
mort-né  et  nouveau-né. 

Poiu"  arc-eti-ciel  et  chemin  de  fer,  j'en  ai  parlé  [)lus 
haut. 

Je  n'ai  rien  à  dire  sur  les  paragraphes  suivants, 
hormis  ce  qui  regarde  les  noms  des  consonnes. 

Je  ne  vois  pas  d'inconvénient  à  ce  qu'on  dise  une  effe 
et  un  6é,  pourvuquela  règle  soit  constante.  Mais  je  con- 
sens qu'on  rende  tous  ces  noms  uniformémentmasculins. 

Page  277. 

Votre  exemple  tiré  du  Cid  n'a  certainemeut  i)as 
mauvaise  mine;  mais  il  en  faudrait,  je  crois,  plusieurs 
tirés  d'auteurs  plus  variés  dans  leur  vocabulaire  que 
n'est  Corneille. 

Toutes  mes  remarc[ues  sont  faites  à  h^  hâte  ;  je  ne  suis 
pas  sûr  qu'à  la  prati([U(}  je  n'aurais  pas  à  me  dédire  de 
qu(;lques-uncs.  Je  suis  beaucoup  moins  hardi  (|ue  vous, 
bien  que  j'estime  toutes  vos  corrections  I)ion  toiidées. 
Mais  qu'il  y  a  loin  de  la  théorie  à  la  pratique,  surtout 
lorsqu'on  s'adresse  non  ;'i  la  pluralité,  mais  à  l'irnivcrsa- 
lité  des  gens  ! 


38  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 


TEXTE  WALLON 

AVEC     COMMENTAIRE    PHILOLOGIQUE 


Le  premier  d'entre  nous  a  composé  cette  saynète  en  patois 
de  Saint-Hubert  sans  aucune  préoccupation  littéraire,  pour 
l'agrément  de  quelques  douzaines  d'ouvriers  composant  une 
société. 

L'intérêt  ne  peut  donc  en  être  que  purement  dialecto- 
logique. 

Le  second  s'est  chargé  de  l'adaptation  graphique  et  du 
commentaire. 

La  graphie  est  la  suivante  : 

VOYELLES 

a,  a  (bref  et  long). 

è,  è  (e  ouvert  bref  et  long). 

é,  è  (e  fermé  bref  et  long). 

é,  ê  (e  intermédiaire  pour  la  qualité  entre  è  et  é.  Bref  et 

long). 
i,  i  (bref  et  long). 

0,  o  (o  ouvert  bref  et  long  comme  dans  sotte  et  bord). 
au,  au  (o  fermé  bref  et  long  comme  dans  chevaux  et  diplôme). 
ô,  ô  (o  assourdi,  très  proche  de  ou.  Bref  et  long). 
u,  u  (u  bref  et  long), 
ou,  ou  (ou  bref  et  long). 

e,  e  (eu  ouvert  bref  et  long,  comme  dans  veuf  et  soeur). 
eu,  eu  (eu  fermé  bref  et  long  comme  dans  veut  et  veule). 
an,  in,  on,  un  (même  valeur  qu'en  français), 


w  (w  anglais), 
y  (j  allemand). 


DEMl-VOYELLES 


CONSONNES 


b,  d,  f,  g  (toujours  dur),  h  (toujours  aspirée),  j,  Je,  1,  m,  n, 
p,  r,  s  (toujours  dure),  t,  v,  z,  dj  (j  anglais),  tcli  (ch  an- 
glais), gn  (n  mouillée),  ly  (1  mouillée). 
Les  tirets  séparent  des  lettres  qui,  réunies,  formeraient  un 


TEXTK    WALLON 


39 


seul  son  :  on,  un,  mais  o-n,  une;  an,  a-n;  in,  i-n;  tch,  t-ch; 
dj,  d-j  ;  ou,  o-u;  etc. 

La  traduction  est  aussi  littérale  que  possible.  Les  mots 
topiques  du  patois  y  sont  conservés,  avec  leur  équivalent  en 
vieus  français,  quand  ils  en  ont  un.  Cela  permet  au  lecteur 
quelque  peu  familiarisé  avec  les  anciens  textes,  do  saisir 
immédiatement  le  sens,  la  portée  et  l'étymologie  du  mot. 
C'est  une  vieille  connaissance  qu'il  retrouve  avec  plaisir, 
quoique  affublée  d'une  défroque  locale. 

Le  commentaire  se  compose  de  remarques  phonétiques, 
morphologiques,  syntactiques  ou  étymologiques. 


0-NDUMANT^  A  MARYATCII       UnE  DEMANDE  A   MARIAGE 


[O-n  mQMJon  ■  d  ovri.) 

SCÈNE    1 

Liza,  to  fan  l  tchanp  : 

S  è  d-dja  tpôy  lu  dérin-n 
Pènkos  \ 

Ku  lu  pti  Pyèr  '•  nui  vè  '' 
volti. 


[Une  maison  d'ouvrier.) 

SCÈNE    I 

(E)lisa,  tout  faisant  la 
chambre  : 
C'est  d'jà  d'puis   la  dai- 
rainne  (dernière)  Pentecôte, 

Que  le  p'tit  Pierre  me  voit 
vol  (on)  tiers. 


1.  dumant.  La  voy.  d'insertion  dans  les  élisions  est  u  :  n- 
mandèj  dumandè,  demander;  tchfau,  tchuvau,  cheval; 
rfér,  rufér,  refaire. 

2.  m.a.VLJon.  a  -\-  s  -{■  cons  et  «  +  stj  >  au  :  hAU/'è,  baiser  ; 
aucA,  aise  ;  apla.us,  tunplâtre. 

3.  Pènkos.  Contrairement  à  la  régie,  en  entravé  n'a  pas 
donné  in  dans  ce  mot.  Cf.  minton,  menton  ;  djinti,  g(Mitil; 
vinrdi,  vendredi. 

4.  J^!/ér.  On  dit  pir,  pierre;  tchèyir,  chaise;  paupir,  f.  pi. 
cils  (palpetra).  Pyér,  Pierre  etfjjér,  fier,  exceptions,  doi- 
vent être  des  emprunts  au  franc. 

5.  vè.  E  fermé  tonique  libre  >  K^é  ou  wa  :  mirè,  mois;  pwè, 
poids  et  pois;  punir,  poire;  bioar,  boire;  ixicar,  croire; 
Juia,  trois  ;/io«r,  foire. 


40 


REVL'E    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 


Pc  ès  acUé  mi,  rin  n  li  kos, 
11  è  todi  padri  iiiè  pi. 

Djn  m  sovêro  lontin  dol 
fyès, 

Dj  on  dansé  ason-n  au 
Fayi'. 

Tell  -  su  si  kontin-n  ku  tcli 
pyèr  lu  tyès, 

S  è  1  pu  bê  djon-n  oni  do 
payi. 

SCÈNE    II 

Pyèr  intran  : 

E  vo,  1  pu  l)èl  komér  do 
mont,  Liza.  (/  /  rahrès  ') 

L. 

Vlé  bin  fini,  Pyér!  Si  m 
mér  \o  z  avè  vèyu  ! 

P.  su  rfrotan  l  boutch  acou 
s  mantcli  : 

Ka ''  bon,  Liza!  Dju  m 
nouiirè 


Pou(r)  être  à  delez  moi,  rien 
n'  lui  coûte, 

Il  est  toujours  pa(r)  derier 
mes  pieds. 

Je  m'  souviendrai  long- 
temps de  la  fête, 

J'o/i.s  dansé  ensemble  au 
Fays. 

J'  suis  si  contente,  que  j' 
pers  la  tête. 

C'est  r  pvji  beau  jeune 
homme  du  pays. 

SCÈNE    II. 

Pierre  entrant  : 

Et  vous,  la  pus  belle  cojn- 
mci-c  du  monde,  Lisa.  (Il  la 
l'embrasse  =  V  embrasse.  ) 

L. 

V'iez  bien  fini(r),  Pierre  !  Si 
ma  mère  vous  avait  vu  ! 

P.  se  r  frottant  la  bouche 
avec  sa  manclie. 

Com  bon  (comme  c'est 
bon),   Lisa!  Je  m'nourrirais  ' 


e  -\-  y  >  irè  ou  u-a  :  fwa,  froid  ;  du'<t,  droit  ;  stwa,  étroit  ; 
rx£a,  roide  \ficè,  foie  ;  rwè,  loi. 

Font  exception  en  è  :  se  (sitim),  de  fdigitum),  tè  [tectum], 
de  (débet). 

La  combinaison  vwè  aboutit  à  vè  :  ré. aux  trois  pers.  sg. 
ind.  pr.  de  voir;  sacèr,  savoir;  acèr^  avoir;  duvèr,  devoir. 

1.  Fatji.  Quartier  de  Saint-Hubert. 

2.  tel)  pour  dJ,  à  cause  de  la  sourde  qui  suit. 

l^.  rabrcs.  Beaucoup  de  verbes  composés  avec  re  iToiit  que 
la  signification  du  simple.  Cf.  .sv/  rfrotan  plus  bas;  rfièrl, 
giiéiir,  eu,-. 

4.  ha.  On  ne  trouve  ce  mot  que  devant  un  adjectif  avec  le 


TEXTE    WALLON  41 

sens  de  combien  exclamatif  ou  de  si...   que  :  ka  pan  k  i 
jnour/nich,...  si  peu  qu'il  mange,.,. 

C'est  l'équivalent  du  v.  fr.  com  (=  comme).  Dans  Godc- 
froy,  s.  V.  com,  on  lit  les  exemples  suivants  : 

Cuens  Guis  amis,  com  maie  destinée  ! 

[Rum.  et past.,  Bartsch,  i,  9,  7). 

Se  un  homme  marié  habite  à  la  femme  d(;  son  voisin  ou 
auti'(3  femme  mariée,  il  mesmes  S(^  clôt  la,  porte  de  paradis^, 
et  ja  n'y  entrera,  com  fort  qu'il  y  busclie. 

{Les  Ecanfi.  des  Quenouilles,  p.  60,   Bibl.  elz.) 

Cum  en  composition  donne  [ku),  voy.  la  note  konpar/nii/ 
plus  loin.  Mais  il  reste  quelques  exemples  de  ka  :  kaboléjj, 
soupe  de  bestiaus,  co-huUata  (en  liégeois  on  a  de  même 
le  verbe  kabOMr,  tr.  faire  bouillir,  à  côté  du  simple  6our, 
intr.,  bouillir);  A-a/6o/ï.s', escarpolette, métathèse  de  kablons, 
liégeois  kabalans,  co-balancia  ;  kafoiignè,  tr.,  chiffonner, 
de  co  et  An  fourinè,  intr.,  bouleverser  en  furetant,  cherclnH' 
dans  quelque  chose  en  y  jetant  le  désordre,  et  en  parlant  du 
por(t,  fouger,  l'Ctourner  la  terre  avec  le  groin  ;  et  peut-être 
aussi  kapicli,  i.,  (à  Namur  kopich,  à  Couvin  koupich), 
fourmi, de  co  et  de  pinkè,  pisser  :  cf.  le  liégeois pihran,  m., 
fourmi  rouge  ou  des  bois,  de;;/7â,  pisser.  La  fourmi  secrète 
une  liqueur  l)rùlante  qui  passe  auprès  du  vulgaire  pour  son 
urine  (Defrecheux,  Faune  wallonne,  s.  v.  pih^rant). 

Je  conjecture  que  ka  était  le  traitement  primitif,  (|u'il  y 
a  eu  une  élision  k'  et  qu'alors  seulement  est  intervenue  la 
voyelle  d'élision  u  qui  a  donné  k{u),  phénomène  qui  s'est 
passé  encore  dans  d'autres  mots,  connue  on  peut  1(>  voir  à 
la  note  dune,  plus  loin. 

A  propos  de  fouf/nr,  je  suis  porte''  à  me  demander  s'il 
n'('gale  pas  /b?<//é  (sens  spécial  de  bêcher  la  terre,  à  Saint- 
Hubert),  ^fouiller.  On  a  à  Saint-Hubert  yb«<//n«/i,  à  Cou- 
vin  foi/on,  taupe;  à  Saiiit-Hubert  kafouf/nè,  à  Couvin  ka- 
foutji,  chifl'omier;  à  Saint-Hubert  c/ô//(c//7/7r/,n(mtre  pluri(^l 
ou  féminin  singulier  barbare),  doigt  de  pied,  à  Lièg(3 
dof/non,  reniflement  difforme  à  un  doigt  d(;  pied;  à  Couvin 
skai/.  ardoise,  mais  .s/.au///?,  écale  ou  écaille,  à  lAbgc  /tOf/n. 
Ly  aurait  doiuK'  ////,  en  pai'li(>  pour  des  (liiri'reiieiii.lious  de 


42 


REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 


t  sa  tût  mu  viy. 
L. 
Têzè  f,  gran  fô.  Avé  '  auk 
du  bê  a  m  dir  ? 


Mu   pèr  \m  tt  a  1  eur  -, 
Liza. 
Pinsé  k  vos  mér  A'ôrè  '  bin? 

L. 

Ny  n  ê  {pow  dj  n  ê)  nin  ko 
wazu  *  li  umandè. 
P. 
Tch  srè  si  kontin  d  es  vost 
om!  T  tcliantrè^  lot  lu  djour- 
néy  kom  o-n  oujê  !  Dju  no  toute  la  journée  comme  un  oi- 
rabrèsrin  din  to  le  k^'in,  non  seau  !  Je  nous  vemhrass' rions 
\vê  •*?  ii  l  rahrès).  dans  tous  les  coins,  n'est-ce 

pas?  {il  la  rembrasse). 


d'çà  toute  ma  vie. 
L. 
Taisez-v's,  grand  f  ou.  Avez- 
(vous)  alque  (quelque  chose) 
de  beau  à  m'  dire  ? 
P. 
Mon  père  vient  t't  à  l'heure, 
Lisa. 

Pensez  -  (  vous  )       qu'votre 
mère  voudra  bien  ? 
L. 
J'  n'ai  neent  (eu)co(re)  osé 
lui  d'mander. 
P. 
J'  s'rais  si   content  d'être 
votre  homme  !   J'  chant'rais 


sens.  Cf.,  au  point  de  vue  du  sens,  le  fr.  fovger,  qui  se 
rattache  kfodeve. 

1.  avé.  Dans  les  phrases  interrogatives,  on  omet  le  pronom. 
Cf.  vlé  bin  fini  (plus  haut)  ;  pinsé  k  vos  mér...  (plus  bas)  ; 
as  fini,  as-tu  fini  ;  dovL  vas,  où  vas-tu.  Il  y  a  exception, 
quand  il  y  a  emploi  de  la  tournure  qu'est-ce  que  :  k  è  s  ku 
t  a,  qu'est-ce  que  t'as. 

2.  ii  a  l  eur.  Elision  de  toi  a  l  eu/-. 

3.  vàrè.  0  ouvert  -\-  l  -\-  cons.  >  o  :  /ô,  fou  ;  ko,  cou  ;  ko, 
cou  p . 

4.  waza.  On  dit  de  même  rapicazè,  reposer. 

5.  t  tchanirè,  pour  tch  ichantrè  qui  serait  impossible  à  pro- 
noncer. 

G.  non  (vé,  et  plus  loin  non  dans  1(^  même  sens,  ou  encore 
don.  Cela  é(|ui\au1.  je  crois,  à  ne  donc,  vo/jc:  elkne  donc. 
Beaucoup  de  patois  disent  encore  n  don  ou  en  don  dans  ce 
sens  :  vo  z  i  y  aie,  n  don,  vous  y  allez,  n'est-ce  pas.  Quant 


TEXTE    WALLON 


43 


Finiché,  Pyèr,  la  vos  pér. 

P.,  èiin  '  alan,  a  nmèij  vicè  : 

Dju  srê  padri  1  hay  a  v  ra- 
tiiit,  Liza. 

SCÈNE    III 

Lu  pèr  Bastyin,  Liza. 

Kola  Bastyin. 
Bondjou,  m  fay,  vos  niér 
è  st  èl  vosi  -  ? 

L. 
Purdé  ■'  o-u  elles  '',  mosyeu 
Bastyin,  è  ratindé  o-n  myèt  : 
dju  m  va  1  oukè. 

SCÈNE   IV 

Kola  Bastyin  to  seti  : 

E  bin  !  fwè  t  Kola,  i  ny  a 

de  si  ki  son  pu  a  1  auch  ku 

mi   po  1  niomin,   Komin  va 

tell  m  i  priiit  po  li  nmaiidè  s 


L. 

Finissez^    Pierre,    (voi)là 
votre  père. 
P.,  en  allant  {=■  partant),  à 

d'mi  voix  : 

Je  s'rai  pa(r)  deriev  la  haie 
à  v's  rattendre,  Lisa, 

SCÈNE    III 

Le  père  Bastien,  Lisa. 

(Ni)colas  Bastien. 
Bonjour,   ma   fille,   votre 
mère  est-elle  voici  (ici)  ? 

L. 

P/rrfe^:  (prenez)  une  chaise, 
monsieur  Bastien,  et  vaitcn- 
dez  une  miette  :  je  m'  vais 
la  hucher  (appeler). 

SCÈNE    IV 

Colas  Bastien  tout  seul  : 

Hé  bien  !  foi  d'  Colas,  il  y  a 

desc/(/).s'  qui  sont  j)«s  à  l'aise 

que  moi    pou(r)  V  moment. 

Comment  vais-je  m'y  prendre 


à  wè  (abréviation  de  rrêt  ou  wèté,  regarde,  regard(^z,  cf.  le 

fr.  fjueiter],  il  est  encore  usité  dans  beaucoup  de  patois  : 

wè  la  ha,  regarde  ou  regardez  là-bas. 
1.  ènn.  En  se  dit  è  devant  une  consoiuie  :  s  è  von,  s'en  vont  ; 

ènn  ou   'nn  devant  une  voyelle  :   èl  ènn  avè  deu,  elle  en 

avait  deus  ;  i  nn  avè  deu,  il  en  avait  deus. 
'2.  vo.si,  ici;  vola,  lk{=^  voici,  voilà).  D'autres  patois  disciu 

droit-ci,   droit-là   (  à  Couvin,  p.  ex.  ),    d'autres  tout-ci, 
tout-là. 

3.  purdé.  Il  y  a  cliulc  dr  la  nasale  à  la  |)roloni(|ue  et  méta- 
thèse. 

4.  chès.  Eni[)runt  au  fi'unrais.  Un  dit  .'nissi  tc/tri/ir  (voyez 


44  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

bwêsal  po  m  valè  '  ?  S  è  k  pour  lui  crmander  sa  hacelle 
Mardjô  è  st  o-n  fi-n  nioucli -,  pour  mon  valet  f  C'est  qu' 
pari  ^  !  E  dju  n  pou  uin  dune  ^  Mar(ie)-Jo(sèplie)  est  une  fine 
m  valè,  sin  k  èl  nu  dusloy  le  mouche,  paraît-(il)  !  Et  je  u' 
kwardê  du  s  bous.  Ku  1  dyal  peus  neent  donner  mon  valet, 
apwat  le  z  èfan  !  I  f  flankan  sans  qu'elle  ne  délie  les  cor- 
do  traka  tôt  vos  viy,  è  dju  n  deaus  de  sa  bourse.  Que  1' 
savan  nin  komin  no  z  è  de-  diable  emporte  les  enfants  ! 
barasè.  Ils  vous  flanquent  du  tracas 

toute  votre  vie,  et  je  n'  savons 
neent  comment  nous  en  dé- 
barrasser. 

SCÈNE   V  SCÈNE  V 

Mardjô  è  Kola.  Marjo  et  Colas. 

M.  M. 

A  !  pèr  Kola,  ké  1)on  van  ^         Ah  !  père  Colas,  quel  bon 

plus  loin)  et  même  tchèrir,  avec  une  /•  parasite,  amenée 
sans  doute  par  l'/*  postérieure. 

1.  valè  signifie  garçon;  va.lè,  valet,  terme  de  jeu  de  cartes  ; 
raU7'/è,  domestique. 

2.  Ji-n  mouch,  expression  française. 

o.  pari.  Beaucoup  de  patois  ont  paj'è  dans  le  même  sens.  Je 
me  suis  donc  cru  autorisé  à  traduire  p-àv  pa}'alt-(il) .  Cepen- 
dant plus  loin  nous  trouvons  paré  k  i  gn  a  dèz  ou/'ê,  paraît 
.  qu'il  y  a  des  oiseaus. 

4.  dune.  On  a  nnè,  dune.  Ici  la  voyelle  d'insei^tion  s'est 
substituée  à  l'atone  primitive  o.  On  dit  de  même  dzé,  duzé, 
dites.  D'm  d'n  >  toujours  nm  et  nn  :  nmu:in,  demain, 
to  n  ndnm,  tout  de  même,  etc.  J'ai  oublié  de  noter  cette 
transformation  dans  mon  étude  Z.e  Patois  de  Saint-Hubert. 

.5.  van.  Van  et  san,  cent,  sont  les  deus  seules  exceptions  à 
la  règle  e  -\-  n  -\-  cons.  >  in.  Ce  sont  sans  doute  des  em- 
prunts au  français.  On  remarque  surtout  l'invasion  du  fran- 
çais dans  les  noms  de  nombre,  qui  s'enseignent  à  l'école  dès 
l'âge  le  plus  tendre.  On  dit  de  même  katàrs  au  lieu  de 
katums{[\x\  serait  régulier.  Cf.  V abrégé  de  phonétique  dans 
1(^  Patois  de  Saint-Hul)erl,^\\\)  o  ouvert  entravé  :  o-\-r-\- 
cons.  >  wa. 


TEXTE    WALLON  45 

è  S  ki  V  z  ami-n  ^  par    si?  vonlest-c'qirv.'s  amène  par  c/? 

K.  C. 

Bin,  tch  pasè  pa  1  rouw  do  Bien,  j'passais  pa(r)  1'  rue 

Mon,   Mardjô,  è  dju  m  ê  di  du  Mont,   Marjo,  et  je  m'ai 

koni  sa  :  alan  on  pan  vèy  -  dit  comme  çà  :  allons  un  peu 

komin  k  to  1  mont  su  pwat.  voircommentqu'toutrmonde 

se  porte. 

M.  M. 

S  è  bin  djinti  d  vos  pa'ur,  C'est    bien    gentil   d'votre 

Kola.  Si  on  n  duvnè  jamè  '  part.  Colas.  Si  on  n' devenait 

pu  viv,  dju  naurè  rin '•  a  m  jamais /^?<.s' vieille,  je  n'aurais 

plint.   Mè  fau  k  to  1  mont  i  rien  à  m'  plaindre.  Mais  faut 

pas!  qu'  tout  1'  monde   y  passe! 

K.  C. 

E  I  bwêsal  ?  Et  la  bacelle  ? 

M.  M. 

0  !  po  s  k  è  d  lèy  %  grantè  Oh  !  pou(i')  c'  qu'est  d'  leie 

hvat  kom  on  jandarm.  (elle),  grande  et  forte  comme 

un  gendarme, 

K.  C. 

V  z  avé  la  o-n  vrêy  péri  '■,  V's  avez  là.  une  vraie  perle, 

Mardjô.  Bin  n  eureu  lu  si  ki  Marjo.  Bien  heureux  le  ci(l) 

laurè!  ((ui  l'aura! 

M.  M. 

S  è  st  o-n  braf  komér  é  o-n  C'est  une    brave  commère 

fèm   du   luéiiatch,   Kola.  —  et    une    femme    de  ménage, 

Avé  sii  Colas.  —  Avez-(vous)  été 

1.  ami-n.  Pour  mine,  mener,  cf.  strimè,  ét^MuiiM'  ;  pineu, 
penaud  ;  pité,  ruer. 

2.  ne//,  s'expliquera  par  ve{d)eir,  ve-ir,  ve-i,  vè/j. 

3.  jainè.  \a\/  initial  prouve  (|U(^  le  mol  est  un  cmpi'uin  au 
français. 

4.  rin.=,]o  n'aurais  à  me  plaindre  do  rien.  J)ji(  n  è  rin 
dandji  ■=  je  n'ai  l)esoin  de  rien.  Je  n'ai  rien  besoin,  disent 
les  paysans^  on  parlant  frani^'ais. 

.5.  U'ii.  On  dit  lèjj,  (die;  d/mièi/,  d<'iuie  ;  mais  //,  lii  ;  pi,  pis  ; 

lir,  lire. 
C.  pèrl,  mot  français.  A  Liège,  pijè/,  régulier. 


4(J  REVUE    DE     PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

koiitiu  cl  vos  kouebè?  content  d'  votre  couchet  (co- 
chon)? 

K.  C. 

Ay  ',  il  esté  ko  pu  krau  ku  Oui,  il  était  (en'co(re)  pus 

1  si  d  l  aiiéy  pasèy.  [Un  si-  gras  que   1'  cifl)  d'  l'année 

lence).  passée. 

A  v  dir   vrê,  Mardjù,  dju  A  v's  dire  vrai,    Marjo,   je 

1  ë  todi  vèyu  volti.  Tai   toujours  vu  vol(on)tiers. 

M.  M. 

Vos  kouchè?  (èl  su  bout  a  Votre    couchet  f    (elle    se 

rir).  boute  [met]  à  vire). 

K.  C. 

Mu  kouchè!  Vos  bwèsal -.  Mon   couchet!  Votre     ha- 

celle. 

M.(détou7'n.  la  conversation)  M. 

E  kan  mougn  H  on  le  trip,  Et  quand  mougne-i-on  les 

Kola?  tripes,  Colas  ? 

K.  C. 

Su  srô  motô  "  po  sèmdi —  Ce    s'ra    moût    tost    (sans 

Dj  ê  bin  vèyu  do  ko  ku  s  doute)  pou(r)  sam'di.  —  J'ai 

esté  sa  k  i  falè  a  m  valè.  bien  vu  du  coup  que    c'était 

ça  qu'il  fallait  à  mon   valet. 

1.  a//  doit  provenir  di'ayi  avec  contraclion.  Beaucoup  de 
patois  disent  encore  aiji. 

2.  bivèsal.  Il  arrive  qu'une  labiale  développe  un  w,  mais  le 
phénomène  n'est  pas  général  :  on  dit  mwin,  pwin,  Jwin, 
miuint  (main,  pain,  faim,  maint);  mais  mes,  maître  ;  mè, 
maie  ;J'ér,  faire  ;  mènatch,  ménage. 

3.  moufjn.  Mougnè,  liégeois  magni,  manger  constitue  une 
exception,  les  verbes  en  <iicare' donnant  djè.  Voy.  Abrégé 
de  Phonétique  dans  le  Pat.  de  Saint-Hubert,  sub  a  libre. 

4.  motô,  à  Liège  mutwè,  sans  doute,  peut-être  [midtum 
tostum).  La  première  partie  du  mot  existe  encore  avec  le 
sens  de  beaucoup,  fort  [mov.t  du  v.  franc.)  :  ifè  mo  Jïca, 
il  fait  bien  froid.  On  s'attendrait  à  motwa,  car  l'on  dit  kwas, 
côte  ei  or  entravé  >  également' »'«.  De  plus,  on  est  étonné 
de  ne  pas  voir  persister  Ys,  à  côté  de  aous,  août,  ce  qui 
porte  à  croire  le  mot  français  dans  sa  seconde  syllabe.  Le 


TEXTE    WALLON 


M. 

O!  le  fèm  mougnan  osi 
bin  le  trip  ku  vos  djoii-n^ 
om,  è  clju  n  srênin  1  clêrin-n 
su  djou  la. 

K.  (saisi) 
De  trip  !  Ki  y  es  ki  f  kaus 
du  trip?  (à  part)   Dj  c  m 
tyès  ki  oui   koin  lu   van   d 
bich, 

M. 
S  ko  si.   Kola,  tcli  kwa  - 
ku  f  pyèrdé  1  boul  ■'. 

K.,  iwrdaii  korditcli. 

Chouté,  Mardjô.  Vo  z  avé 
de  bon  z  ouy  è  v  n  esté  nin 
pu  byès  k  o-n  ôt.  No  dcu  z 
èfan  s  konvnan,  s  è  st  a  no  z 
ôt  d'  aranjè  "  l'afèr. 

M,,  tapan  se  mwin  o-n 

din  l  ôt. 
K  è  s  ku  f  tchantc  la  ? 

K. 
Nu  fyô  uiii  lu  stoniakéy, 
vo  savé  biu  s  ku  dj  vou  dir. 


M. 

Oh  !  les  femmes  mougnent 
aussi  bien  les  tripes  que  votre 
jeune  homme,  et  je  n'  s'rai 
neent  la  daivainne  (dernière) 
ce  jour-là. 

C. 
Des  tripes!  Qui  est-c'  qui 
v's  cause  de  tripes?  (à  paiH) 
J'ai  ma  tête  qui  hurle  comme 
le  vent  d'bise. 
M. 
C  coup-ci.  Colas,  j'c(r)ois 
que  v's  perdez  la  boule. 
C,  predant  {prenant)  cou- 
rage. 
Ecoutez,  Marjo.  Vous  avez 
des  bons  yeus    et  v's   n'êtes 
neent  pus  bête  qu'une  autre. 
Nos  deus  enfants  s'  convien- 
nent, c'est  à  nous  autres  d'ar- 
ranger l'affaire. 
M.,  tapant  ses  mains  une 
dans  l'autre. 
Qu'est- c' que  v's  chantez  là? 
C. 
Ne  faites  neent  la  stonia- 
quée,  vous  savez  l)ien  c'  que 


j'  veus  dire. 

sono  du  reste  décèle  souvent  un  emprunt  au  IVane.  :  cf. 

^ô/',  tort;  i  sort,   il   sort;  ôr/x,  orgue;    katbrs,   (piatorze. 

Voyez  la  note  ran. 
1.  djon-n.  Pour  la  nasalisation,  cï.  foii-n,  fourche  [{v.foniue  ; 

J'odinaY,  conjecture  Scbclcr)  et  tion-n,  midi  fnona). 
2.  kwa.  Cons.  -[-  ''  -\-  u-^a  >  chute  de  /*  :  f(ca,  froid;  Lira, 

croix;  kwar,  croire;  dwa,  droit;  stwa,  étroit, 
o.  houl,  mol  français.   0\\  dit   ho/  (\r.iv  e\t'm])le,  au  jeu  de 

(juilles). 
4.  aranjè,  mol  fr;iii(:. 


48 


REVUE    DE     PHILOLOGIE    FRANÇAISE 


M. 

A  !  dju  n  su  k  o-n  pôf  djin, 
Kola,  è  1  si  ki  pins  su  ter  do 
Jaur  a  to  prindan  '  m  komér, 
srè  vit  tumè  1  ku  din  le 
baucli. 

K. 

Soyé  rèzouap  -,  Mavdjô.  S 
è  por  zê  k  dj  on  Ira^-ayè  djus 
k  a  st  eur,  non?  Dju  n  plan  ' 
nin  le  maryè  po  le  lèyi  '' 
patrouyè  din  1  mizér. 


M. 

Dju  n  pou  nin  non  pu  '  m 
flankô  so  lu  strin  din  mè  vi 
djou.  Le  tin  son  durr  è  via  1 


M. 

Ah  !  je  n'suis  qu'une  pau- 
vre genf,  Colas,  et  1'  ci{l)  qui 
pense  se  faire  du  lard  à  tout 
prendant  ma  commère,  s'ra 
vite  tamé  (tombé)  1'  derrière 
dans  les  hanches  (boues). 
C. 

Soyez  raisonnable,  Marjo. 
C'est  pour  zeus  qu'  J'  ans 
travaillé  jusqu'à  c'tte  heure, 
n'est-pas  ?  Je  yC poulons  (pou- 
vons) neent  les  marier  pour 
les  laier  (laisser)  patrouiller 
(patauger)  dans  la  misère. 
M. 

Je  n'  peus  neent  non  pas 
m'  llanquer  su(r)  Vestraim 
(paille)  dans  mes  vieus  jours. 


1.  prindan  o\\  purdan  (nnployè  plus  haut. 

2.  rêzonâp.  Mot  emprunté  au  français.  Odaul  et  ama.ul 
(ennuyeus,  en  parlant  d'un  enfant)  conservent  seuls  l'an- 
cienne forme  primitive  de  ahileni.  Le  second  est  amahilem 
employé  par  antiphrase,  l'étymologie  du  premier  est  plus 
difficile  :  od{ifise)  -y-  ahileni  ne  peut  être  invoqué,  le  d 
serait  tombé.  D'autres  patois  emploient  pour  ce  mot  les 
formes  Art?/a/(Hannut),  Iièj/aul  (Forrières,  Luxembourg), 
venant  manifestement  de  Juù'r. 

3.  jj/a;i,  élision  de  polan  [pollere).  L'infinitif  est  refait  eu 
idiiiit.  :  polii. 

4.  /c'y/i.  C'est  un  des  rares  verbes  en  ij  -\-  are  restés  en  i. 
Cf.  Abrégé  de  phonèt.  sub  a  tonique  libre. 

5.  pu,  i)lus.  A  la  fin  de  la  phrase,  ou  dit  pus  :  i  ni  va  pus, 
il  n'y  va  plus.  De  même  pan,  peu,  à  cet  endroit  devient 
pau/i  :  do-n  mal  on  pAiik,  donne  me-le  un  ])eu. 


TEXTE    WALLON  49 

momin  ki  va  viiu  du  s  rap-  Les  temps  sont  durs  et  v'ià 

wazc  \  y  moment  qui  va  v'uir  de  s' 

reposer. 

K.  C. 

Sa  n  è  nin  sa  ki  vo  rindrè  Ça  n'est  neent  ça  qui  vous 

pu  pôf,  aie.  rendra  pus  pauvre,  allez. 

M.  M. 

El  aurè  todi  do  l)in  aprè  Elle  aura  tosdis  du    bien 

mi,  non?                                •  après  moi,  n'est-ce  pas? 

K.  C. 

Alors"-,  n  è  kauzan  pus,  ^Zo/'ss^  n'eu  causons  pM.ss, 

Mardjô.    Mu    valè    trouvrè  Marjo.    Mon  valet    trouv'ra 

todi  bin  ôt  tchôs.  tosdi.s  bien  autre  chose. 

M.  M. 

Bin,   vèyan  ou  pauk,  la.  Bien,  voyons  un  peuc,  là. 

Kwè  vlé  ku  dj  do-n?(Lùa  Quoi  o'/e^  que  j'donne?  (Lisa 

intur.)  Va  z  è  on  pau  vèy  a  1  entre.)  Va-z-en  un  peu  voir 

uch,  si  ny  n  i  su  nin,  m  fay.  à  l'huis,  si  j'  n'y  suis  neent, 

[El  sort  è  èl  ravin  so  l  uch  ma  fille.  [Elle  sorte  et  elle 

acou     Pijér  ,      a      mitan  ^  revient  sur  T huis  avec  Pierre, 

katchëy.)  à  mitan  (moitié)  cachée.) 

1.  rapwazè.  Re  >  r[u),  mais  ra  dans  un  certain  nombre  de 
verbes  :  raftoadi,  refroidir  ;  radrèsè  redresser  ;  7'asersè, 
ravauder  [resartiare]  ;  rawayè,  réveiller.  Je  suppose  que 
c'est  par  analogie  avec  les  verbes  composés  en  re-in  et  re-ad 
qui  tous  donnent  ra  :  raklàr,  renfermer;  radjon-ni,  rajeu- 
nir, e/c. 

2.  alors,  mot  emprunté  au  français,  comme  le  prouve  la 
prononciation  de  r.s.  Le  mot  patois  est  adon. 

3.  mitan,  milieu  et  aussi  moitié.  Ce  mot  offre  toujours  dans 
sa  seconde  syllabe  le  traitement  de  an  entravé.  A  Bour- 
bcrain  (Cùte-d'Or),  cf.  Rabiet,  Le  patois  de  Bourherain, 
p.  16,  on  a  moijjan  et  an  entravé  >  an  àBourberain.Dans 
la  Belgique  wallonne,  partout  où  an  enlr.  a  ce  même  trai- 
tement, à  Saint-Hubert,  à  Liège,  où  Ton  dit  gran,  grand, 
èfan,  enfant,  dvan,  devant,  l'on  dit  également  mitan  ; 
partout  au  contraire  où  an  entr.  >  on,  où  l'on  dit  yron, 
è/bn,  dvon  (coumu;  à  Ilannut,  province  de  Liège),  on  trouve 

RlJVUE    DU   IMIII.OI.OdlIi.    V.  4 


50  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

aussi  miton.  Ces  traitements  sont  loin  de  correspondre 
avec  les  traitements  respectifs  de  tempus,  qui  sont  dans  les 
localités  prénommées  :  à  Bourberain  tan,  à  Saint-Hubert, 
à  Liège  et  à  Hannut  tin.  L'étymologie  médium  tempus  de 
M.  Horning  [Zeitschrift  fur  roman.  Philol.  ix,  141,  x 
et  XIV,  221)  ne  paraît  donc  pas  justifiée.  Les  formes 
recueillies  à  la  Bresse,  près  deGérardmer,  mwèto  à  côté  de 
to,  me  semblent  résulter  d'une  coïncidence,  d'un  hasard. 
Mtdietaneus  [Romania,  x,  609)  n'est  pas  plus  satisfaisant. 
En  ce  qui  concerne  le  wallon  notamment,  la  finale  aurait 
été  in. 

Il  faut  donc  chercher  le  thème  autre  part.  Bourberain 
(Rabiet,  p. 31)  a  motijan,  à  côté  àefrodyur,  froidure,  lozi, 
loisir,  poson,  poisson,  moyou,  uK^illour,  votijur,  voiture  ; 
Bournois  (Doubs),  micètan,  à  côté  de  micèchon,  moisson, 
jncècJion,  poisson,  vwèlè,  vicèki,  voici,  voilà,  vwètur,  voi- 
ture [Rev.  des  pat.  g.-rom.,  m,  p.  286  sqq.);  le  wallon 
a  mitan,  à  côté  de  mine,  nienev,  plneu  (pœnosas),  piteus, 
pilou,  étoffe  poilue,  mi,  moi,  Jistu,  fétu  (Saint-Hubert); 
le  \.  fr.  mitan  n'est  pas  surprenant  à  côté  de  timon.  La 
protonique  résulte  donc  de  e  latin. 

Une  étymologie  qui  me  semble  pouvoir  être  proposée  est 
*medietantem,  d'un  *medietare,  mis  pour  mediare,  parta- 
ger en  deus,  et  refait  d'après  medietas. 

E  -\-y  de  medie-  a  donné  un  développement  en  oi  h  Bour- 
berain et  à  Bournois  :  cf.  moitié  en  fr.  En  wallon  aussi, 
on  s'attent  à  un  développement  micètan,  si  l'on  ne  consi- 
dère que  la  forme  parallèle  medietatem  qui  y  devient  mwèti. 
Mais  ce  mot  paraît  être  une  adaptation  du  français,  e  pro- 
tonique ne  donnant  jamais  en  wallon  que  i  (cf.  les  exemples 
supra),  è  (cf.  pèche,  pêcher;  pèchon,  poisson;  mèchnè 
{moissonner),  glaner;  kréchi,  croître  (formes  de  Saint- 
Hubert),  ou  o  (cf.  vormin,  certes,  vosi,  vola  {voici,  voilà), 
ici,  là,  moyin,  moyen,  etc.,  formes  de  Saint-Hubert.  H  n'y 
a  d'exception  que  pour  des  formes  verbales  :  kwarè, 
croirai,  etc. 

Pour  le  sens,  on  comprent  bien  que  la  partie  qui  sépare 
en  deus,  le  partageant  en  deus  {'■''luedietantem),  est  le 
milieu. 


TEXTE    WALLON 


51 


{A  Colas.)  Bill,  dju  su  cl  (A  Colas.)  Bien,  je  suis 
o-n  bo-n  paus.  Kola.  Liza  d'une  bonne  pâte,  Colas.  Liï;a 
aurè  on  kouchè  è  kék  pou-    aura  un  couchet  et  quéques 


yat'. 


K. 


Non-nè,  Mardjù,  v li  doré* 
o-n  vatch. 

M. 

O-n  vatch  !  vo  duvnè  iô, 
Kola  !  Dj  ènn  aurè  nin  o-n  a 
mwins  ■'  du  katôrs  pis. 

K. 

Vo  nn  avé  mwint  du  kostè, 
aie,  t  se  pis  la.  Vo  doré  1 
vatch  è  1  prè  ku  v  z  a\é  a  1 
Piriy. 

M. 

O  nèui,  s  ko  la!  S  è  st  o 
dzeu  *  n  mè  fwas. 


])Oulettes. 

C. 
Nonnè,  Marjo,  v's  lui  dou- 
rez  (donnerez)  une  vache. 
M. 
Une  vache  !  vous  dev'uez 
fou,    Colas  !   J'  n'en   aurais 
neent  une  à  moinss  de  qua- 
torze pièces  (louis). 
C. 
Vous  'n  n'avez  maintes  de 
côté,  allez,  d'  ces  pièces-là. 
Vous  dourez   la  vache  et  1' 
pré  que  v's  avez  à  la  Pîrie. 
M. 
O  nenni,  c' coup-là!  C'est 
au   deseuv  (dessus)   d'    mes 
forces. 


1.  kék  poiujat  au  lieu  de  kèkè  pou  yat,  forme  habituelle  de 
Tadj.  fémin.  pluriel  en  wallon.  Voyez  vers  la  fin  grande 
mizèr.  C'est  sans  doute  une  influence  du  français. 

2.  doré  me  paraît  correspondre  au  v.  franc,  durrai  qui  vient 
de  dunerai  par  l'intermédiaire  de  dunrai  (avec  nasalisa- 
tion). Voy.  Horning,  Gramm.  de  Pane,  français,  dans 
Bartsch,  Chrestoniathie,  p.  53. 

3.  mwins,  à  côté  des  formes  ason-n  (insimul),  tron-n  (tre- 
mulat),  son-n  (simulât),  von-n  (vena),  avon-n  (avena), 
pon-n  (pœna),  paraît  emprunté  au  français.  A  Liège,  mon, 
du  reste.  Quant  à  1'  s,  elle  doit  s'être  prononcée  très  tard 
en  français.  En  Belgique,  des  vieillards  la  prononcent 
encore  en  parlant  français.  En  effet,  «  s  finale  se  maintient 
mieus  dans  les  monosyllabes  :  us,  vis.  »  (Grannn.  de  Meyer, 
559).  En  Belgique,  foule  de  gens  prononcent  ancovc  pluss 
(dans  l'acception  de  davantage). 

4.  0  dzeu  c?  ^  au  dessus  de.  Dessous  (prépos.  et  adv.)  se  dit 
dzo,  duzo  :  dzo  on  tonè,  sous  un  tonneau. 


52 


REVUE   DE    PHILOI 

K. 


E  pu,  on  bon  li  to  nou, 
kék  tchè3àr  è  o-n  tap  ' . 

M. 

Inutil  cl  aie  pu  Ion,  Kola. 

Dj  audrê  -  Liza  è  vos  Pyér 
wètrè  aprè  o-n  ôt. 

L.  du  tso  l  uch,  to  va- 
b/'èsan  Pyér. 

A!  nian,   dju  n  saurè  vikè^ 
sin  li. 

M.,  su  rtournan. 

Aie  m  fout  lu  kan,  vo  deu 
plêy.  (ï  s  katchan.)  [Mostran 
l  uch  avoit  l  de.  )  Po  s  fér  do 
bin,  sa  f  tiii'è  lu  goléy  fou  dol 
boute  h. 


.OGIE    FRANÇAISE 

c. 

Et  puis,  un  bon  lit  tout 
neu(f) ,  quéques  chèyères 
(chaises)  et  une  table. 

M. 

Inutile  d'aller  pus  loin, 
Colas. 

J'  garderai  Lisa  et  votre 
Pierre  guettera  {=^  regardera) 
après  une  autre. 

L.   {de  d'ssus  l'huis,  tout 
rembrassant  Pierre. 

Ah  !  man,  je  \\  saurais 
vi{s)/cer  sans  lui. 

M.,  se  retournant. 

Allez-(vous)  m' f...  le  camp, 
vos  deu  s.  plaies.  [Ils  se  ca- 
chent.) {Montrant  l'huis  avec 
le  doigt.)  Pou(r)  s'  faire  du 
bien,  ça  v"s  tir'rait  la  goulée 
fors  de  la  bouche. 


Dessus  (adv.)  se  dit  duso,  tso.  Pour  la  préposition,  on 
emploie  duso{r),  tso{r)  ou  le  simple  so{r)  :  duso  l  kostè, 
sur  le  côté  ;  sor  lèij,  sur  elle. 

1.  ta-p.  A  côté  de  stBMl  {stabuluin),  rav/  {rutabulum),  Jlamw 
{fabula),  les  mots  ta.p  et  sâp,  sable  pariiissent  bien  français. 
On  dit  du  reste  encore  taul  dans  un  quartier,  au  Fays^  et 
dans  les  villages  voisins. 

2.  audrê.  Ce  mot  présente  l'aphérèse  de  w,  g  germanique 
ayant  donné  *ic  :  wazon,  gazon  ;  wayin,  regain  ;  wètè, 
regarder. 

3.  vikè,  a.  fr.  vesquir,  parfait  vesqui,  visker  dans  les  Gloses 
wallonnes  de  Darmstadt,  Etudes  7'om.  dédiées  à  G.  Paris, 
pag.  243. 


TEXTE    WALLON 


53 


K. 


C. 


E  bin  !  kwè  clzé,  Mardjô  ?  Hé  bien  !  quoi  disez,  Mar- 


]o 


M. 

V  z  esté  sin  keur  \  Kola, 
on  n  duspouy  nin  kom  sa  o-n 
viy  djin. 

K. 

Du  m  kostè,  Mardjô,  dju 
1ère  a  Pyér  tôt  mè  z  ustèy 
du  tehaurli  è  o-n  kliyantèl  - 
tôt  fêt.  S  è  st  on  bo-n  ovri  ki 
frè  de  z  afèr.  Mi^  tch  sognrô 
leu  ^  byès,  dju  1  mi-nrè  o 
tchan. 

Dju  V  vêrê*  tni    konpa- 


M. 


V's  êtes  sans  cœur,  Colas, 
on  n'  dépouille  neent  comme 
ça  une  vieille  gent. 

C. 

De  mon  côté,  Marjo,  je 
laiï^ai  (laisserai)  à  Pierre 
toutes  mes  outils  de  charlier 
(charron  )  et  une  clientèle  toute 
faite.  C'est  un  bon  ouvrier 
qui  f'ra  des  affaires.  Moi,  j' 
soign'rai  leu(r)  bête,  je  la 
mèn'rai  aus  champs. 

Je  v's  viendrai  t'nir  compa- 


1  kevLr  et  senr,  sœur  font  exception  à  la  règle  o  ouvert 
tonique  >  OU.  Ils  sont  sans  doute  empruntes  au  français. 

2.  klir/antèl,  mot  franc. 

3.  leu.  R  finale  tombe  exceptionnellement  dans  quelques 
monosyllabes  :  dzeu,  dessus  (a.  fr.  deseur,  desupev)  ;  /bu, 
dehors  ;  djo\x,  jour.  Les  prépositions  duso,  tsoj  so  (sur)  ; 
pa  (par)  ;  po  (pour)  ne  reprennent  Vr  que  devant  un  pronom 
personnel,  l'article  indéfini  ou  les  adverbes  de  lieu  si,  la  : 
par  o-n  6t,por  mi,  par  la,  mais  po  es,  pour  être,  pa  dri, 
par  derrière.  Four/  par  J'ouij  qui  se  trouve  dans  le  texte 
du  Patois  de  Saint-Hubert  paraît  être  une  traduction  de 
l'expression  fran(;ais(\/e;«7/e  par  feuille. 

Dzo,  desubtus,  ne  prend  jamais  d^r  analogique  :  dzo  on 
tonè,  sous  un  tonneau.  Mais  djaska  et  acau  (=  aval)  en 
pi'cnnent  uni',  dans  les  conditions  de  duso,pa,  po  :  djuskar 
La,  jusqu'à  là,  acaur  si,  par  ici. 

Ko,  encore,  devient  /<or  devant  une  voyelle  :  h-or  on  ko, 
encore  un  coup. 

4.  vèrè.  On  remarque  ici  la  disparition  de  la  nasale  commis 
dans  dàré  ctpurdé  (voy.  plus  haut). 


54 


REVUE    DE   PHILOLOGIE    FRANÇAISE 


gniy  '  a  1  sis  -.  I  fau  bin  1  z 
i  fér.leu  boneur  a  se  z  èfan 
la. 

Liza,  du  tso  l  udi. 
Duzé  k  ay,  man. 
M.  su  lèv  vitmin  è  s^  apougn 
on  haston  : 
A  !  grant  sournwès  ! 
K.,  ^o  Varètan  ''. 
Alon,  Marcljô,  è   s   k  i  n 
vau  nin  mi  s  araujè  paujir- 
min  ^? 

M.,  s  rasyan. 
E  bin  !  èl  aurè  s  vatch  è  1 
tchan  do  Tchèuè. 
K. 
Non-nè,  Mardjô,  lu  ter  è 
tro  mwêch  "  vola.  I  fau  1  prè 
dol  Pii'iy. 


gnie  à  lasz.se  (veillée).  11  faut 
bien    l{eur)-z-ij   faire    leu(r) 
bonheur  à  ces  enfants-là. 
Lisa,  de  d'ssus  l'huis. 
Disez  qu'oui,  man. 
M.  se   lève   vit'ment   et   s{i) 
empoigne  un  hàton  : 
Ah  !  grande  sournoise  ! 
K.,  tout  V arrêtant. 
Allons,    Marjo,  est-c'qu'il 
n'vaut   neenX  miens  s'arran- 
ger  paisiulement    (paisible- 
ment) . 

M.,  s' rasseyant. 
Hé  bien!  elle  aura  sa  va- 
che et  l'champ  du  Chenet. 
C. 
Nonnè,  Marjo,  la  terre  est 
trop  niaise  (mauvaise)  voilà 
(là).  Il  faut  Tpré  de  la  Pîrie. 


1.  konipagniy,  mot  franc.  On  dit  k{u)bin,  combien,  k{u)t- 
tcar  [contor^sus) ,  contourné,  tortu.  Les  verbes  en  com 
donnent  A."( a)  ;  k{u)vyersè,  renverser  sens  dessus  dessous; 
k[u]tayè,  tailler  de  ci  de  là.  A  Liège  k{i)pagnèy. 

2.  sis.  Sessa.  Cf.  assise. 

3.  .S'.  Cette  particule  {si  du  vieux  fr.)  s'emploie  très  peu,  à 
la  différence  de  ce  qui  se  passe  dans  le  wallon  de  Liège. 

4.  arètan,  mot  français.  S  mêdiale  -\-  t  subsiste  en  wallon. 
Liégeois  s'arèsté. 

5.  paujirmin.  PRUJir  =  paisible  {pac(e7n)-ibilis).  Seul 
exemple  resté  d'un  adjectif  en  ibilis.  Liégeois  pa-hul. 
Grandgagnage  [Dictionnaire]  s.  v.  cite  l'anc.  wallon  pai- 
siule.  La  combinaison  iu  est  devenue  à  St-Hubert  i  :  cf. 
a.  fr.  siure,  sir  \  a.  fr.  siu,  {sehuni),  si.  Pour  c  >  j,  cf. 
ou/'ê  (aucellus),  plèji  (placere),  nou/at  (nucetta).  L  finale 
s'est  changée  en  r. 

6.  mrrêc/t.  Masc.  mioè.  C'est  l'a.  fr.  inais,  niaise,  qu(î 
Scheler   [Dictionnaire]    s.    v.    mauvais    donne    comme 


TEXTE    WALLON 


OO 


M. 

V  z  esté  pu  '  durv  ku  le  pir, 
Kola. 

K. 

E  s  ku  V  wazii  bin  fér  lu 
maleur  du  vos  bwésal  ? 

M.,  aprè  on  momin. 

Vo  nmandé bramin  -,  Kola, 
mé  pusku  sa  va  d  la,  sa  srè 
kom  vo  z  avé  di. 


K. 

Dju  savè  bin  ku  v  z  avi 
bon  keur,  Mardjô. 

[On  n  atin  o-n  baMch.) 

Pare  ku  v  z  avé  de  z  oujê 
padri  1  ucli. 

M. 

Liza  !  Pyér  ! 

(/  ^  intran.) 


M. 

V's  êtes  pus   dur  que  les 
pierres,  Colas. 


Est-c'  que  v's  os'riez  bien 
faire  le  malheur  de  votre 
bacelle? 

M.,  après  un  moment. 

Vous  d'mandez  bravement 
(beaucoup),  Colas,  mais  puis- 
que ça  va  d' là,  ça  s'ra  comme 
vous  avez  dit. 

C. 

Je  savais  bien  que  v's  aviez 
bon  cœur,  Marjo. 

[On  entend  une  baise.) 

Paraît  que  v's  avez  des  oi- 
seaus  pa(r)  derier  l'huis. 

M. 

Lisa  !  Pierre  ! 

[Ils  entrent.) 


appartenant  à  la  langue  des  trouvères.  Dans  le  Jeu  de 
Robin  et  de  Marion,  on  lit  :  Robert,  comme  aves  maise 
r/eule.  Pour  le  ic,  voyez  la  note  bicèsal. 
.  pu  ((  doit  avoir  subi  Tinfluence  de  pas  )),  dit  M.  Rabiet 
p.  64,  pour  expliquer  la  chute  de  1'/.  Je  croirais  plutôt  que 
c'est  une  abréviation  de  mot  très  usité,  comme  amon, 
chez  {ad  ma,nsionem),  ko,  encore.  Voy.  sur  ce  phénomène 
la  Gr.  de  Meyer,  §634. 

brâmin,  à  Couvin  (Namur)  branmin,  contraction  de  bra- 
vement, a  passé  tantôt  au  sens  de  beaucoup  comme  ici, 
ou  a  gardé  son  sens  propre,  comme  à  Bourberain,  on  l'on 
trouve  branman,  bravement.  (R;ibiel,  p.  18  des  tirés  à 
part).  A  La  Roclie  (Luxembourg)  br&vmin,  beaucoup. 


56 


REVUE    DE    PHILOLOGIE   FRANÇAISE 


SCENE    VI 


M. 


SCENE   VI 


M. 


Pyér,  mu  fi,  djii  v  clo-n 
mu  bwêsal.  Mê  k  èl  soy  eu- 
reuz  aveu  vo. 

Liza  è  Pyér. 

A  !  man!  {Is  rahvèsan.) 

M. 

Alon,  vutno  1  got,  mu  fay, 
è  vo,  Pyér,  nu  rabrèsé  niu  ' 
vos  viy  Marcljô  ? 

P. 

A  !  moman  Mardjô  !  ké  - 
bel  viyès  dj  alan  vo  fér  pasè  ! 

K. 

A  1  santé  t  to  1  mont  è  au 
boneur  du  vos  viy,  mè  z  èfan  ! 
(/  bècan.)  (A  Mardjô.)  Dju 
vnan  d  gangnè  '  o-n  bo-n 
djournéy,  Mardjô.  Dju  su  si 
kontin  ku  dju  n  mu  sin  pus. 
Alon,  le  z  èfan,  bèvan  kor  on 
ko.  (7  bèvan.)  De  djou  parèy 
on  su   rsin   duvnu  *  djon-n, 


Pierre,   mon  fi(ls),  je  v's 
donne  ma  bacelle.  Mais  qu'elle 
soie  heureuse  avec  vous. 
Lisa  et  Pierre. 

Ali  !  man  !  {Ils  se  r embras- 
sent.) 

M. 

Allons,  rzaV/e  nous  la  goutte, 
ma  fille,  et  vous,  Pierre^  ne 
rembrassez  neent  votre  vieille 
Marjo  ? 

P. 

Ah  !  maman  Marjo!  quelle 
belle  vieillesse  f  allons  vous 
faire  passer  ! 

C. 

A  la  santé  d' tout  l' monde 
et  au  bonheur  de  votre  vie, 
mes  enfants!  [Ils  boivent.) 
{A  Marjo.)  Je  v'nons  d"  gan- 
gner  une  bonne  journée,  Mar- 
jo. Je  suis  si  content  que  je 
n'  me  sens  puss.  Allons,  les 
enfants,  buvons  (en)co(re)  un 
coup.  [Ils  boivent.)  Des  jours 


1.  nin,  a.  fr.  neent,  nient.  L'e  protonique  est  tombé  comme 
dans  nëul,  nul.  A  Mons,  il  a  produit  lo  mouillement  de 
Vn  :  ngé. 

2.  ké.  La  forme  fémin.  est  khn,  hi-n.  Ici  l'accord  n'est  pas 
observé. 

3.  gangnè.  Liégeois  trangni.  Le  g  initial  semble  indiquer 
un  emprunt  au  franç-ais.  La  nasalisation  ne  paraît  pas  non 
plus  régulière,  à  côté  de  bagne,  baigner;  agnè,  mordre. 

4.  rsin  duvnu,  pour  sin  rduvnu. 


TEXTE    WALLON 


57 


non  \ve,  v\vezi-n 


1?  Dj  ê  1 
kouplè  '^  ki  m  tchant  so  le 
lèp  ^  (/  tchant.) 

Lu  viy  a  se  grande  mizér; 
De  ko  k  on  n  a  pon  1.  pwin, 

[pon  t  tcliaur, 
E  po  rint  le  z  afèr  pu  klèr, 
Lu   maladiy    vo    mougn  vo 

[kaur 
Mê  gn  a  moyin  d  gangnè  s  t 

[avon-n, 
Kan  on  n  aur  bo-n  ouy  è  bo-n 

[mwin, 
E  on  roviy  '  bin  vit  se  pon-n, 
Kan  vos  fèm  è  la  ki  f  sotin. 


pareils,  on  se  /^'sent  dev'nir 
jeune,  n'est-ce  pas,  voisine? 
J'ai  r  couplet  qui  m'  chante 
su(r)  les  lippes.  {IL  chante.) 
La  vie  a  ses  gandès  misères  : 
Des  coups  qu'on  n'a  point  d' 

pain,  point  d'  chair, 
Et  pour  rendre  les  affaires 

pus  claires, 
La  maladie  vous  mougne  vos 

quaiHs  (sous). 
Mais  (i)l  y  a  moyen  d'  gan- 

gner  son  avoine. 
Quand  on  garde  bon  œil  et 

bonne  main, 
Et  on  roublie  bien  vite  ses 

peines, 
Quand   votre   femme  est  là 

qui  v's  soutient 


1.  cwèzi-n.  Le  mot  vwèzin  est  un  emprunt  au  français.  La 
forme  wallonne  est  vijin  ou  vèjin,  que  connaissent  beau- 
coup de  patois. 

En  effet,  e  protonique  ne  devient  jamais  wè  :  cf.  la  note 
yyiitan.  De  plus  c  dans  ce  mot  devait  devenir,/  ;  cf.  la  note 
pdiujirniin. 

2.  kouplè  est  français.  On  dit  hop,  couple;  akoplè,  accou- 
pler. 

3.  lèp  ne  représente  pas  le  latin  labra;  on  eût  en /é/ (qui 
existe  du  reste,  par  exemple  à  Cou  vin).  Cf. /i/',/<36/'e/?i; 
lif,    librum.    C'est    l'équivalent  du    français    lippe,    ail. 

Lippe. 

4.  rorig.  Rovgè  s^'xpliqucra  de  celle  façon.  Re-oblitare, 
rovli-ier,  vovlg-ier,  rovg-icr  (on  sait  que  /  mouillée  en 
wallon  se  réduit  toujours  à, y).  Et  connue  ier  s'est  simplifié 
en  6',  on  a  rovgè.  On  lit  dan  le  Jeu  de  Robin  et  de 
Mavion  : 

Mais  quant  li  cosc  est  bien  alec, 
De  lecier  doit  estre  oui: H ce. 


58  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

L  amour,   vèyé,  s  è  1  vrêy      L'amour,  a-ovcz  (vous),  c'est 
sajès.  \  la  vraie  sagesse, 

Po  trovu  - 1  boneur  a  s  mont      Pour  trouver  1'  bonheur  à  c' 
si.  monde-ci. 

Eureu  1  si  k  a  l  amour  a  1  tyès,      Heureus  Vci(l)  qu'a  l'amour  à 

I  vè  tôt  vyolèt  ^  autou  d  li.  la  tôte. 

Il  voit  toutes  violettes  autour 
d'  lui. 
{Ason-n,  to  s  purdan  pa  l  [Ensemble,  tout  s' prenant 

nucin.)  par  la  main.) 

L  amour,  etc.  L'amour,  etc. 

Auff.   ViERSET. 


1.  sajès,  mot  franc. 

2.  trovu,  infin.  refait  en  utum. 

3.  toi  vjiolèt,  voy.  la  note  kèk  pouyat. 

Paul  Marchot. 


MELANGES 


PHONETISME,    ARCHAÏSME    ET   ETYMOLOGISME 

Le  dissentiment  qui  existe  entre  les  «  plionétistes  » 
et  les  «  étymologistes  »  sur  le  principe  de  la  réforme 
orthographique  repose,  il  me  semble,  sur  une  confusion 
entre  deus  phénomènes  essentiellement  distincts,  l'ar- 
chaïsme et  l'étymologisme  :  le  premier  est  respectable 
comme  une  force  naturelle,  le  second  est  une  véritable 
maladie  de  l'orthographe,  maladie  inoculée,  nullement 
constitutive  et  parfaitement  guérissable. 

Si  le  français  n'avait  pas  encore  de  graphie,  si  nous 
avions  à  lui  en  donner  une^  nul  doute  que  nous  la 
ferions  phonétique.  Mais,  en  moins  d'un  siècle,  elle 
aurait  cessé  de  l'être.  En  effet,  la  prononciation  d'une 
langue  ne  saurait  être  fixée  ;  elle  varie  plus  ou  moins 
vite,  mais  elle  varie  toujours.  Or,  il  est  impossible  à 
l'orthographe  de  suivre  exactement  les  changements 
de  la  prononciation,  parce  qu'ils  s'opèrent  par  une 
gradation  continue  dont  nous  n'avons  pas  conscience  ; 
lorsque  le  changement  est  assez  avancé  pour  devenir 
sensible,  on  est  habitué  à  représenter  le  nouveau  son 
par  le  signe  de  l'ancien,  et  on  continue.  Pour  prendre 
un  exemple,  la  diphtongue  que  nous  écrivons  oi  s'est 
jadis  prononcée  connue  nous  l'écrivons,  c'est-à-dire  o 
suivi  d'un  /  semi-voyelle  ;  on  est  arrivé  à  la  prononcer 
ma,  mais  on  l'écrit  encore  oi  par  archaïsme.  Il  n'y 
aurait  pas  de  raison  pour  que  l'orthographe  ne  fût  pas 
absolument  fixe,  la  signification  des  lettres  variant 
seule,  si  on  ne  devait  ahoulir  ainsi,  dans  beaucoup  de 
cas,  à  désigner  par  le  même  signe  plusieurs  sons  très 


GO  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

différents.  Au  même  signe  e  de  l'orthographe  latine 
correspondent  les  sons  du  français  actuel  wa  dans  doit 
(débet),  i  dans  cire  (cera)  et  dans  prie  (precat),  ié  dans 
pied  (pedem),  è  dans  perdre  (perdere),  e  muet  dans 
lever  (levare)  ;  il  est  évident  qu'on  ne  pouvait  pas 
maintenir  le  signe  latin  e  dans  tous  ces  mots  avec  des 
valeurs  aussi  diverses.  Alors  le  phonétisme  reprent  ses 
droits. 

Il  résulte  de  ces  remarques  que  l'orthographe  natu- 
relle est  forcément  un  mélange  de  graphies  phonétiques 
et  de  graphies  archaïques.  Et  si  l'on  peut  souhaiter  que 
les  premières  se  substituent  le  plus  souvent  et  le  plus 
rapidement  possible  aus  secondes,  cette  substitution, 
fût-elle  complète  à  un  moment  donné,  ne  pourrait 
jamais  être  radicale,  en  ce  sens  qu'on  n'atteindrait 
pas  les  racines  mêmes  de  l'archaïsme,  qui  pousserait 
lelendemain  de  nouveaus  rejetons. 

Autre  chose  est  de  conserver  des  graphies  ar- 
chaïques, aujourd'hui  inexactes,  mais  qui  remontent 
sans  interruption  â  une  notation  phonétique,  autre 
chose  de  modifier  une  graphie  acquise  pour  la  rap- 
procher d'une  notation  ancienne  qui  n'est  plus  exacte. 
Dans  le  premier  cas^  on  se  contente  de  ralentir  le 
courant,  dans  le  second  cas  on  le  remonte.  Nos  ancêtres 
ont  prononcé  teste,  nous  disons  et  nous  écrivons  tête  : 
il  serait  absurde  de  revenir  à  l'orthographe  teste.  Com- 
bien n'est-il  pas  encore  j^lus  déraisonnable  d'aller 
emprunter  non  pas  au  viens  français,  mais  au  latin, 
des  lettres  qui  étaient  tombées  dès  l'époque  où  le  laiin 
transformé  a  pu  prendre  le  nom  de  français  '  Si  quel- 
({u'iin  proposait,  do  nos  jours,  d'écrire // '0/7 c/,  trcnrjte 
à  cause  du  Vàimfrirjiduni,  triginta,  les  étymologistes 
les  plus  passionnés  renieraient  cet  allié  compromettant. 
C'est  cependant  ce  qui  a  été  fait  au  xvi''  siècle  quand 
on  a  substitué  vingt  et  doigt  à  la  vieille  orthographe 
française  vint  et  doit.   Comment  des  graphies   qu'il 


MÉLANGES  61 

serait  ridicule  d'introduire  aujourd'hui  deviennent- 
elles  respectables  par  ce  seul  fait  qu'on  les  a  imaginées 
il  y  a  trois  ou  quatre  cents  ans?  L'âge  ne  les  a  pas 
rendues  meilleures,  et  d'ailleurs  les  bonnes  graphies 
qu'elles  ont  remplacées  sont  encore  plus  anciennes  et 
plus  vénérables.  On  nous  a  débarrassés  de  auUre.faict, 
recepvoir,  etc.  Il  est  regrettable  que  du  même  coup 
on  n'ait  pas  supprimé  résolument  toutes  les  lettres 
parasites,  et  notamment  les  consonnes  redoublées,  car 
il  n'est  pas  plus  logique  d'écrire  apprendre  avec  deus 
p  C|ue  d'écrire  debte  avec  un  b. 

Notre  conclusion  est  que  l'étymologie  ne  saurait 
légitimement  être  invoquée  pour  justifier  une  graphie. 
Si,  dès  l'époque  des  textes  français  les  plus  anciens, 
le  c  latin  devant  e  avait  produit  le  son  s,  et  en  le  son  an^ 
l'orthographe  française  du  nom  de  nombre  dérivé  de 
centum  eût  toujours  été  >iant,  et  il  serait  déraisonnable 
de  l'écrire  autrement.  La  graphie  cent  se  justifie  non 
par  le  latin  centiun,  mais  par  l'ancienne  prononciation 
française,  dans  laquelle  cen  et  san  ne  sonnaient  pas 
de  même  :  c'est  un  archaïsme  et  non  un  étymologisme, 
car  on  n'a  pas  eu  à  modifier  une  vieille  orthographe 
française  pour  rapprocher  le  mot  de  sa  forme  latine. 

Quant  aus  mots  empruntés  plus  récemment  au  latin 
ou  â  d'autres  langues,  il  est  naturel  de  conserver  leur 
graphie  d'origine  tant  qu'on  les  emploie  comme  termes 
étrangers,  en  demandant  en  quelque  sorte,  comme  dit 
Fénelon,  la  permission  d'en  user.  Mais  dès  qu'ils  ont 
acquis  droit  de  cité,  il  faudrait  les  habiller  à  la  fran- 
çaise. On  l'a  fait  avec  raison  pour  un  bon  nombre 
d'entre  eus.  Nous  écrivons  rosbif  et  non  roast-beef  ; 
})Our(iuoi  écrire  seidpter  quand  on  prononce  sridterf 
Ici,  aussi  bien  que  dans  les  mots  d'origine  populniiv, 
la  graphie  dite  étymologiciue  est  un  enfantillage.  Une 
orthographe  rationnelle  doit  être  essentiellement  phoné- 
tique et  accidentellement  archaïque  ;  quant  à  l'étymo- 


03  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

logie,  elle  n'est  admissible  que  lorsqu'elle  se  confont 
avec  l'archaïsme,  elle  ne  doit  avoir  par  elle-même 
aucune  autorité. 

L.  C. 


II 


SUR  UN  EMPLOI  PARTICULIER  DU  «  FUTUR  DANS 
LE  PASSÉ  » 

M.  A.Tobler  a  fait,  le  22  janvier  dernier,  une  intéres- 
sante communication  à  l'Académie  des  Sciences  de 
Berlin  sur  «  un  emploi  particulier  de  V imparfait  du 
futur  dans  les  langues  romanes  ».  Cette  communication, 
qui  vient  de  paraître,  appelé  quelques  remarques. 

Tout  d'abord,  je  proteste  contre  le  terme  «  imparfait 
du  futur  ».  Il  est  incontestable  que  la  valeur  temporelle 
primitive  de  notre  conditionnel  est  au  futur  ce  que 
l'imparfait  est  au  présent.  Mais  l'imparfait  proprement 
dit  ne  saurait  être  appelé  «  imparfait  du  présent  »,  ce 
qui  signifierait  en  bon  français  que  c'est  un  présent  im- 
parfait, tandis  que  c'est  en  réalité  un  passé  imparfait. 
De  même,  la  valeur  originelle  du  conditionnel  n'est  pas 
un  futur  imparfait,  c'est  un  futur  relativement  au  passé, 
unjutuf  dans  le  passé,  et  il  n'y  a  aucun  inconvénient 
à  lui  donner  ce  nom,  qui  porte  en  lui-même  sa  défini- 
tion, et  qui  a,  entre  autres  avantages,  celui  de  s'appli- 
([uer  également  au  temps  correspondant  de  l'italien, 
formé  non  avec  l'imparfait,  mais  avec  le  prétérit. 

Quant  à  l'emploi  particulier  du  futur  dans  le  passé, 
qui  fait  l'objet  de  la  communication  de  M.  Tobler,  je 
demande  la  permission  de  renvoyer  àceque  j'en  disais  en 
ISSddtinHÏAfinuaij-e  de  la  Faculté  deslettres  de  Lyon'^. 

(1)  F'ascicule  ii,  pages  64-65.  Cf.  ma  Grammaire  instoriquc  du 
franraist,  page  22L 


MÉLANGES  63 

Il  n'y  a  aucun  rapprochement  à  faire  avec  l'emploi  du 
futur  proprement  dit  joint  à  un  présent  historique.  L'ex- 
plication est  tout  autre  et  très  simple.  Le  mode  condi- 
tionnel ne  s'est  formé  que  dans  les  propositions  princi- 
pales et  dans  les  subordonnées  dépendant  d'une  proposi- 
tion principale  dont  le  verbe  est  au  présent:  «  il  viendrait 
si  on  l'appelait,  je  sais  qu'il  viendrait  si  on  l'ap- 
pelait. »  Dans  ces  deus  cas  l'emploi  modal  du  futur  dans 
le  passé  s'est  entièrement  substitué  à  sa  valeur  origi- 
nelle ;  ce  temps  est  devenu  un  futw  dans  le  présent  ou 
un  présent  (il  serait  ici  si  on  l'avait  appelé)  du  mode 
conditionnel.  Les  propositions  subordonnées  non  com- 
plétives pouvant  toujours  être  remplacées  par  une  coor- 
donnée, c'est-à-dire  par  une  principale,  le  futur  dans 
le  passé  ne  peut  s'y  employer  qu'avec  la  signification 
du  conditionnel,  même  lorsque  le  verbe  dont  elles 
dépendent  est  au  passé,  et  si  l'on  veut  y  exprimer  un 
futur  dans  le  passé  de  l'indicatif,  il  faut  employer  une 
formule  périphrastique  :  «  il  était  l'ami  de  l'ambassa- 
deur qui  devait  arriver.  »  On  peut  tourner  pai-  :  u  im 
nouvel  ambassadeur  devait  arriver,  et  il  était  son 
ami.  » 

Mais  partout  ailleurs,  c'est-à-dire  dans  les  proposi- 
tions complétives  dépendant  d'un  vei'be  principal  au 
passé,  exprimé  ou  sous-entendu,  le  «  futur  dans  le 
passé  »  conserve  sa  valeur  primitive.  Ainsi  s'expliquent 
tous  les  exemples  réunis  par  M.  Tobler.  Toutes  les  fois 
qu'on  trouve  un  vrai  «  futur  dans  le  passé  »  dans  une 
proposition  en  apparence  principale,  c'est  qu'on  sous- 
cntcnt  :  «  il  pensait  que,  on  disait  que,  on  demandait... , 
il  était  sûr  que,  on  pouvait  penser  que,  etc.  »  et  cette 
idée  est  souvent  exprimée  par  une  incise  :  «  Goncourt 
semblait  las,  écœuré  d'un  grand  effort  dont  profiterait 
toute  une  nouvcîllc  giMirialion  de  romanciers  et  ([ui  le 
laisserait,  du  moins  i,k  pENSArr-ii..  lui,  riiistigaleur^ 
presque  inconiui.  » 


(i4  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

La  définition  des  incidentes  complétives  doit  être  for- 
mulée.ainsi  :  «  Sont  complétives  les  incidentes  dépen- 
dant d'une  autre  complétive  et  celles  où  le  pronom 
relatif  peut  être  remplacé  par  un  interrogatif  ou  éc|ui- 
vaut  à  tel  que.  »  Exemple  :  le  trait  le  plus  charmant  de 
son  caractère  était  une  spoidanêité...  qui  la  préser- 
vercut  toujours  de  la  réflexion  dans  la  faute.  Entendez  : 
une  spontanéité  telle  quelle  la  préserverait. 

L.  C. 


III 


UN  MANUSCRIT  DE  LA  TRADUCTION    FRANÇAISE      DE 
BARTHÉLÉMY    l'aNGLAIS 

M.  Séguin,  de  Lyon,  a  acquis  récemment  chez  un 
bouquiniste  un  manuscrit  du  xv^  siècle,  qui  contient 
une  partie  de  la  traduction  française  du  De proprieta- 
tibus  rerum  de  Barthélémy  l'Anglais. 

Ce  manuscrit,  sur  parchemin,  a  47  X  35  centimètres 
(30  X  21  en  défalquant  les  marges).  Ses  24  cahiers  de 
huit  folios  comprennent  :  la  fin  du  livre  xv  (ch.  69  â 
.175),  le  xvi«  livre  (103  chapitres),  le  xviF  (193  cha- 
pitres) et  cent  chapitres  du  livre  xviii. 

Plusieurs  cahiers  sont  incomplets.  Il  manque  en  tout 
onze  folios  :  le  premier  du  premier  cahier,  un  folio  entre 
les  folios  actuels  25  et  26,  deus  autres  entre  40  et  41  et 
entre  42  et  43,  un  double  folio  entre  47  et  48,  un  entre 
58  et  59  et  le  folio  correspondant  entre  64  et  65,  un 
entre  118  et  119,  enfin  un  double  folio  entre  178  et  179. 
Plusieurs  des  folios  arrachés  commençaient  des  livres  et 
contenaient  certainement  des  miniatures  ou  des  lettres 
ornées. 

Premières  lignes  :  isle  est  cent  et  XX pas  de  la  terre 
pus  prochaine  de  lui  laquelle  fut  concpdse,  etc.  Au 


MÉLANGES  65 

milieu  de  la  première  colonne,  on  lit  en  rubrique  De  la 
région  de  Grèce,  LXX,  puis  Grèce  est  ait isi  appelée  de 
ung  roy. 

A  la  fin  de  l'avant-dernière  colonne  commence  le 
chapitre  C y  parle  des  propriétés  du  torel.  Cent.  Thorel 
est  un  beiifcpd  n'est  pas  chastre.  Dernière  ligne  :  ung 
pou  de  son  cuiretsoujle.he  cahier  suivant  commençait 
par  dedenspour. 

IV 

LA  CONFESSION  DE  RUTEBEUF 

(Traduction  archaïque  et  rythmée)  (1). 


Renoncer  me  faut  à  rimer, 
Et  je  me  dois  moult  étonner 
Quand  l'ai  pu  faire  si  longtemps  ! 
Bien  me  doit  le  cœur  larmoyer 
Que  jamais  ne  pus  me  plier 
A  Dieu  servir  parfaitement. 
Mais  j'ai  mis  mon  entendement 
En  jeu  et  en  ébattement, 
Jamais  ne  daignai  dire  psaumes. 
Si  ne  m'assiste  au  Jugement 
Celle  en  qui  Dieu  reçut,  asile, 
J'ai  passé  bien  mauvais  marché. 

Tard  je  viendrai  au  repentir. 
Pauvre  moi  !  Point  ne  sut  comprendre 
Mon  fol  cœur  ce  qu'est  repentance 
Ni  à  bien  faire  se  résoudre  ! 
Comment  oserais-je  mot  dire 

(1)  Nous  nous  proposons  de  publier  une  série  de  traductions 
«  archaïques  et  rythmées  »  des  plus  belles  poésies  du  moyeu  âge. 
Nous  conservons  le  nombre  des  syllabes  et  la  répartition  de  l'accent 
dans  chaque  vers;  mais  nous  n'essayons  pas  de  reconstituer  la  rime 
quand  elle  ne  se  présente  pas  naturellement.  Les  rimes  de  cette 
pièce  sont  aabaab  bbabba. 

Revue  de  philologie,  v.  6 


06  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Quand  justes  même  trembleront? 
•Tous  les  jours  j'engraissai  ma  panse 
Du  bien  d'autrui,  d'autrui  substance. 
Bon  clerc  est  qui  mieus  sait  mentir. 
Si  je  dis  «  C'est  par  ignorance 
Que  point  n'ai  connu  pénitence  », 
Cela  ne  me  peut  garantir. 

Garantir!  Las!  En  quel  manière? 
Dieu  ne  fit-il  bonté  entière, 
Qui  me  donna  sens  et  savoir 
Et  me  fit  à  sa  forme  fière  ? 
Encor  me  fit  bonté  plus  chère, 
Car  pour  moi  voulut  mort  subir. 
Sens  me  donna  de  déjouer 
L'Ennemi  qui  me  veut  avoir 
Et  me  mettre  dans  sa  prison. 
Là  d'où  nul  ne  se  peut  ravoir 
Par  prière  ni  par  richesse  : 
Je  n'en  vois  nul  qui  en  retourne. 

J'ai  fait  au  corps  sa  volonté, 
J'ai  fait  rimes  et  j'ai  chanté 
Sur  les  uns  pour  aus  autres  plaire, 
Car  l'Ennemi  m'a  enchanté 
Et  rendu  mon  âme  orpheline 
Pour  la  mener  au  noir  repaire. 
Si  Celle  en  qui  brille  tout  bien 
Ne  prent  en  souci  mon  affaire, 
Mauvaise  rente  m'a  valu 
Mon  cœur,  d'oîi  me  vient  tel  tourment. 
Médecins  ni  apothicaires 
Ne  me  peuvent  donner  santé. 

Je  connais  une  habile  Dame  : 
Ni  à  Lyon  ni  à  Vienne, 
Ni  depuis  que  le  monde  dure. 
N'a  si  bonne  chirurgienne  ; 
N'y  a  plaie,  vieille  soit-elle. 
Qu'elle  n'épure  et  ne  nettoie 


MÉLANGES  67 

Dès  qu'elle  y  veut  mettre  ses  soins. 
Elle  expurgea  de  vie  honteuse 
La  bienheureuse  Egyptienne  (1), 
A  Dieu  la  rendit  nette  et  pure. 
Comme  c'est  vrai,  qu'elle  ait  pitié 
De  ma  pauvre  âme  chrétienne  ! 

Puisque  mourir  vois  faible  et  fort, 
Comment  prendrai-je  confiance 
Que  de  mort  me  puisse  défendre  ? 
N'en  vois  nul,  si  grand  force  ait-il. 
Qui  des  pieds  ne  perde  l'appui  : 
A  terre  faut  le  corps  étendre. 
Que  puis-je,  hors  la  mort  attendre  ? 
La  mort  ne  laisse  dur  ni  tendre, 
Quelque  richesse  qu'on  lui  porte, 
Et,  quand  le  corps  est  mis  en  cendre, 
A  Dieu  faut-il  rendre  raison 
De  ce  qu'on  fit  jusqu'à  la  mort. 

J'ai  tant  fait  que  plus  je  ne  puis  ; 
Aussi  me  faut  tenir  en  pais  : 
Dieu  veuille  que  ne  soit  trop  tard  ! 
Tous  les  jours  j'ai  accru  mon  fais, 
Et  chacun  dit,  clerc  ou  laïque  : 
((  Plus  le  feu  couve,  plus  il  brûle,  n 
J'ai  pensé  engeigner  Renard  : 
Rien  n'y  valent  engins  ni  arts. 
Tranquille  il  est  en  son  palais. 
Pour  ce  siècle  qui  se  finit, 
Il  m'en  faut  partir  d'autre  part  : 
Nul  n'y  peut  rien,  je  l'abandonne. 

(1)  Sainte  Marie  l'Egyptienne,  dont  Rutebeuf  a  raconté  la  vie. 


68 


REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 


NOMS  DE  PERSONNES  ET  SURNOMS 

EN   PATOIS    DE   JONS    (ISÈRE) 

recueillis  par  A.  Ferrand,  instituteur. 


Lizaheth,  Elisabeth. 

la  Zahau  (à  Eclose),  id. 

la  Sizon,  Suzon. 

la  Sizanna,  Suzanne. 

Lyaudo,  Claude. 

la  Lyauda,  Claudine. 

Guste  Auguste. 

Gueuste  (à  Eclose),  id. 

Bena-î/j  Benàt,  Benoît. 

la  Benàta,  Benoîte. 

Chois,  François,  François. 

la  Choèse,  Françoise. 

Zèty  Josèt,  Joseph. 

Loys,  Loyse,  Louis,  Louise. 

Toino,  Antoine. 

la  Toinon,  Antoinette. 

kl  Gidrite,  Marguerite. 

la  Goton  (à  Eclose),  id. 

la  Fine,  Joséphine. 

la  Viergine,  Virginie. 

la  Vitorine,  Victorine. 

Felicie,  Félicie,  Félicienne. 

Félisse,  Félix. 

la  Jeni,  Eugénie. 

la  Maudeleine, 

Madeleine, 

Nord,  Honoré. 

Norine,  Honorine. 

Gâte,  Agathe. 

Lionie,  Léonie. 

Feliqjpo,  Philippe. 


Madeleine. 


Noms 

lo  Sandr^o,  Alexandre. 
la  Sandrine,  Alexandrine. 
Eymé,  Amé,  Aimé. 
Jourj'o,  Jôr'jo,  Georges. 
San  Jourjo,  Saint  Georges. 
Fonse,  lo  Fonse,  Alphonse. 
la  Fonsine,  Alphonsine. 
Flori,  Fleury. 

Nimon,   Iniraon,   Ennemond. 
Aninion,  id. 

Reyné,  René. 
la  Reyne,,  Reyne. 
San  Cliar,  Saint  Clair. 
Cliar,  Clair. 
la  Cliara,  Claire. 
Marion,  Mariette, 
Mariane, 

San  Mûris,  Saint  Maurice. 
Mury,   Mu7ns,  Moris,   Mau- 
rice. 
Gahryel,  Gabriel. 
Hustache,  Eustache. 
la  Froisine,  Euphrosine. 
la  Nastazi,  Anastasie. 
la  Fani,  Stéphanie. 
Maihiu,  Mathieu. 
Bertholomu,  Barthélémy. 
la  Cathelina,  Catherine. 
Feriau,  Ferréol. 
Laurin,  Laurent. 
Mile,  Emile. 


Marie. 


NOMS  DE  PERSONNES  EN  PATOIS  DE  JONS 


69 


la  Mili,  Emilie. 
la  Nanette,  Annette. 
la  Sanfi^  Sophie. 
Saphorin,   Safforin,   Sym- 
phorien. 


la  Janeton,  Jeannette 
Zidore,  Isidore. 
Cinte,  Hyacinthe. 
Polyte,  Hippolyte 


Surnoms 


Pourpet,  teint  coloré. 

l'alnné,  l'aîné,  l'ancien. 

lo  cadet,  le  cadet. 

lofragin,  tranquille. 

la  bouille,  bouillant. 

la  gorda,  gourde. 

la  goapa,  gouape. 

capitan,  fanfaron. 

lo  siholet,  le  siffleur. 

pat  an,  paon. 

rahatla,  remuant. 

tabarin,  tabarin. 

rog,  rey,  .nre,  empereur,  pa- 
tron, roi,  empereur,  patron, 
autoritaire. 

môme,  moqueur. 

la  hyena,  l'hyène. 

lo  chacail,  le  chacal. 

lo  chiet  (sas  à  bluter  la  farine), 
le  gourmand. 

lo  frizia,  le  frisé. 

lo  poïeton,  le  maraudeur  qui 
monte  sur  les  arbres  à  fruits. 

lo  cayaut,  le  malpropre. 

quinquet,  bien  paré, 

faraud,  brillant. 

l'enrullia,  l'enroué. 

panet,  propre. 

callemar,  écrivain. 

gollet,  goulet,  qui  aime  la 
bouteille. 


lo  rosset,  le  roux. 

criquet,  criquet. 

casson,  pépin,  graine. 

bot,  laid. 

Piroata,  pirouette,  qui  fait  la 
pirouette. 

Gargailli,  un  fîer-à-bras  qui 
provoque  à  une  boxe,  au  pu- 
gilat, qui  crie  haut  sa  force. 

Jta/la,  qui  se  vante,  qui  fait  du 
bruit. 

habache,  qui  aime  à  faire  des 
farces,  des  fredaines. 

Fallet,  trompeur.  On  dit  à 
Eclose  un  bras  fallet,  une 
jambe  falleta,  un  membre 
qui  ne  peut  faire  son  service 
par  cassure,  ou  douleur.  L'oi- 
seau felleye  lorsqu'il  aban- 
donne ses  œufs  sans  les  cou- 
ver. 

Mignon,  mignonnet,  mignard, 

gentil,  gracieux. 

le  blanc,  de  figure  pâle,  blan- 
ches 

cabot,  qui  a  une  grosse  tête. 

gringalet,  grand  et  maigre. 

lo  gris,  gris. 

moret,  moricaud,  brun. 

lo  cam.ard,  camard. 

margol,  puant. 


70 


REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 


Jalon,  prétentieus. 
Deidiard,  deus  Hards. 
la  miséri,  la  misère. 
la  pallie,  la  paille  et  ses  dé- 
rivés. 


mirliflor,  millijleu,  mirliflore. 
hordet,  mâle. 

Claron,  clare,  dont  la  vois  est 
claire. 


Numération  en  patois  de  Jons 


jjon,  un. 

rjuna,  une. 

du,  due,  deus. 

trey,  ira,  trois. 

quatro,  quatre,  quatre. 

cip,  cinq. 

chi,  chié,  sis. 

sep,  sept. 

voui,  huit. 

nou,  neuf. 

dizj  dis. 

yonze,  onze. 

douze,  douze. 

treize,  treize. 

quatorze,  quatorze. 

quinze,  15. 

seize,  16. 

dize-sep,  17. 


dize-voui,  18, 
dize-nou,  19. 
rm^,  20. 
vinte-yon,  21. 
vinte-deus,  22. 
vinte-trey,  23. 
trenta,  trente,  trente. 
quaranta,  40. 
cinquanta,  50. 
soixanta,  60. 
septanta,  70. 
quatro-vintj  80. 
noinanta,  nouante, 
cen^,  100. 
?n?7/i,  mille. 

M/?a  millacha,  un  millier, 
t^e  millache,  des  milliers. 


Vingt 

Les  anciens  comptent  encore  par  01^(7^. 
Le  porc  a  pesé  sjs  vingts; sept  vingts;  huit  vingts;  neuj 
vingts;  onze  vingts;  douze  inngts. 

La  guillarda  a  pesé  quinze  vingts;  seize  vingts. 
Guillarda,  truie  engraissée. 


COMPTES  RENDUS  71 

COMPTES  RENDUS 

Th.  F.  Crâne.  —  The  exempta  or  illustratives  stories 
from  the  sermones  vulgaires  of  Jacques  de  Vitry  (Londres, 
publication  de  la  Folk-lore  Society,  chez  David  Nutt,  1890, 
C XVI -303  pages  in-8). 

C'est  une  heureuse  idée  qu'a  eue  M.  Crâne  de  réunir  les 
314  exempla  contenus  dans  les  sermones  vulgares  de  Jacques 
de  Vitry.  Il  était  d'ailleurs  bien  préparé  pour  mener  ce 
travail  à  bonne  fin,  ayant  déjà  consacré  un  mémoire  au  même 
sujet.  La  copieuse  introduction  qui  précède  l'édition  des 
exempla  se  compose  des  chapitres  suivants:  1.  Usage  des 
exempla  dans  les  sermons  antérieurement  à  Jacques  de  Vitry; 
2.  Vie  et  ouvrages  de  Jacques  de  Vitry  (mort  cardinal  en 
1240)  ;  3.  Usage  des  exempla  dans  les  sermons  postérieure- 
ment à  Jacques  de  Vitry  ;  4.  Les  collections  d'cxempla  pour 
les  prédicateurs  ;  5.  Les  collections  d'exempla  non  destinés  à 
la  prédication. 

Le  texte  est  suivi  d'analyses  en  anglais,  et  de  notes  où  sont 
indiqués  de  nombreus  rapprochements.  C'est  la  partie  du 
livre  qui  est  le  plus  susceptible  d'améliorations,  bien  qu'elle 
soit  déjà  abondamment  fournie. 

Pendant  tout  le  moyen  âge  les  prédicateurs  ont  fait  un 
grand  usage  des  historiettes  ou  exemples,  généralement 
placées  à  la  fin  des  sermons,  pour  réveiller  l'attention  des 
auditeurs  et  pour  leur  donner  l'enseignement  moral  sous  une 
forme  frappante,  facile  et  agréable  à  retenir.  Aussi  y  rencon- 
tre-t-on  beaucoup  de  récits,  de  contes,  de  fables,  dont  on  a 
d'autres  rédactions,  en  dehors  des  sermons,  dans  la  littérature 
médiévale,  et  c'est  ce  qui  fait  l'intérêt  du  livre  de  M.  Crâne 
au  point  de  vue  du  folk-lore  et  de  l'histoire  littéraire. 
L'histoire  des  mœurs  y  trouve  aussi  largement  son  compte  ; 
l'exemple  242  est  un  témoignage  très  probant  de  l'état  de  con- 
cubinage dans  lequel  vivaient  alors  beaucoup   de  prêtres  (1), 

(1)  Il  y  a  une  faute  de  lecture  ou  d'impression  dans  les  vers  fran- 
rais  insérés  dans  cet  exemple  ;  il  faut  lire  :  «  cil  qui  prent  pais  (et 
non  puis)  à  la  prestresse,  »  c'cst-à-dirc  ccUii  qui  crhanrjc  le.  baiser  de 
pais  accc  la  maîtresse  du  prêtre. 


72  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

ce  qui  n'empêchait  pas  les  fidèles  d'assister  à  leurs  messes  ; 
on  évitait  seulement  d'échanger  le  baiser  de  pais  avec  la 
prêtresse,  parce  que,  disait-on,  cela  faisait  perdre  tout  le 
fruit  de  la  messe.  L'exemple  67  montre  la  faveur  dont 
jouissaient  les  jongleurs,  par  le  blâme  qui  s'y  trouve  infligé  à 
un  abbé  peu  hospitalier  à  leur  égard,  etc.  Un  index,  dressé  dans 
l'ordre  alphabétique  des  personnages  et  des  sujets,  permet  de 
se  retrouver  facilement  dans  toutes  ces  historiettes. 

En  résumé,  le  livre  de  M.  Crâne  est  de  nature  à  intéresser 
également  l'historien,  le  littérateur  et  l'amateur  de  folk-lore. 

Hatzfeld,  Darmesteter  ET  Thomas.  —  Dictionnaire 
général  de  la  langue  française,  4^  fascicule  (Paris,  Delà- 
grave). 

M.  Gaston  Paris  a  consacré  un  article  magistral  du 
Journal  des  Savants  au  plan  du  Dictionnaire  de  MM.  Hatz- 
feld, Darmesteter  et  Thomas.  Nous  avons  reçu  le  4^  fascicule 
de  ce  Dictionnaire,  accompagné  de  la  note  suivante  :  «  Nous 
appelons  l'attention  des  lecteurs  sur  un  certain  nombre 
d'articles  dans  lesquels  se  montre  d'une  manière  frappante 
l'application  de  la  méthode  à  la  fois  logique  et  historique 
exposée  par  les  auteurs  dans  l'introduction.  Tels  sont  les 
mots  blanc,  bilboquet,  bon,  border,  bosse,  botte,  bouche, 
bouchon,  bouquet,  bout,  bouton,  bj^anche,  bras,  bincole, 
brin,  broche.  Comment  du  sens  premier  de  bouchon  qui  est 
((  enseigne  de  feuillage  mise  à  la  porte  des  cabarets  »  on  peut 
en  venir  à  un  sens  comme  celui  de  ((  flotteur  qui  fait  surnager 
la  ligne  du  pêcheur  »  ;  comment  bouquet,  forme  particulière 
du  mot  bosquet  et  signifiant  primitivement  «  petit  bois,  » 
désigne  par  extension  de  l'idée  d'assemblage  un  faisceau  de 
fleurs,  puis  par  extension  de  l'idée  de  parfum  l'arôme  d'un 
bon  vin,  voilà,  en  prenant  au  hasard,  des  exemples  des 
questions  posées  et  résolues  ici.  » 

La  classification  des  sens,  telle  est  en  effet  la  grande 
originalité  du  nouveau  Dictionnaire.  Cette  classification, 
dans  beaucoup  de  cas,  ne  sera  pas  définitive  ;  car  il  y  a  plus 
d'une  manière  logique  de  passer  d'une  acception  à  une 
autre,  et  souvent  les  exemples  prouvent  que  la  plus  invrai- 


COMPTES  RENDUS  73 

semblable  est  la  vraie.  Donc,  à  défaut  d'exemples  suffisants, 
on  peut  se  tromper  sur  l'ordre  de  dérivation,  prendre  même 
un  sens  dérivé  pour  le  sens  primitif.  Ainsi  il  me  paraît  loin 
d'être  certain  que  la  locution  populaire  «  chose  passée  au 
bleu  ))  se  rattache  au  substantif  le  bleu  dans  le  sens  de 
espaces  imaginaires.  Mais  une  hypothèse  raisonnable  vaut 
toujours  mieus  que  le  doute  absolu  ;  en  provoquantla  contra- 
diction et  de  nouvelles  recherches,  elle  conduit  à  la  décou- 
verte de  la  vérité. 

On  saura  gré  aus  auteurs  d'avoir  indiqué  soigneusement  la 
prononciation  de  chaque  mot.  Mais  là  encore  la  solution 
indiquée  pourra  être  plus  d'une  fois  utilement  contestée.  Par 
exemple  le  premier  e  de  blesser  est  marqué  comme  un  é 
fermé,  tandis  que  Littré  le  considère,  avec  raison  selon  nous, 
comme  un  è  ouvert.  D'autre  part  il  y  aurait  lieu,  pour  les 
verbes,  de  signaler  les  variations  possibles  de  la  prononciation 
suivant  les  personnes  et  les  temps.  On  prononce  revêtu  mais 
il  rerèt.  J'ai  essayé  de  formuler  les  raisons  et  les  conditions 
de  ces  différences  dans  V Annuaire  de  la  Faculté  des  Lettres 
de  Lyon,  V^  année,  fascicule  2,  page  112. 

Joseph  Bédier.  —  Le  fabliau  de  Richeut  (Extrait  des 
Études  romanes  dédiées  à  G.  Paris  par  ses  élèves  français. 
Paris,  Bouillon,  1891). 

Cette  intéressante  étiidc  de  notre  plus  ancien  fableau  nous 
donne  un  avanl-goût  du  grand  travail  entrepris  par  M.  Bédier 
sur  les  contes  en  vers  du  moyen  âge.  Richeut  difière  des 
autres  fableaus  parle  rythme.  Au  lieu  des  octosyllabes  rimant 
régulièrement  deus  à  deus,  on  y  trouve  deus  et  quelquefois 
trois  ou  quatre  octosyllabes  précédant  un  petit  vers  de  quatre 
syllabes  qui  rime  avec  les  octosyllabes  suivants  ;  il  en  résulte 
un  enchaînement  continu  qui  ne  permet  pas  de  considérer  le 
poème  comme  formé  dcpetites  strophes  (1),  pas  plus  qu'on  ne 
peut  dire  que  les  autres  fableaus  sont  formés  de  strophes  de 
deus  octosyllabes.  Il  n'est  pas  très  exact  non  plus  dédire  que 

(1)  D"aillcurs  (les  stiophcs  .scraiciil  toujours  égales  ciilrc  elles,  tandis 
que  le  nombre  des  octosyllabes  qui  procèdent  le  petit  vers  varie  non 
seulement  dans  Richeut  m;iis  partout  où  ce  rythme  est  employé. 


74  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

ce  rythme  douDe  au  poème  une  allure  ironique,  car  il  se 
prête  aussi  à  l'expression  des  idées  les  plus  relevées,  comme 
dans  la  Complainte  de  Guillaume  de  Saint- Amour  par 
Rutebeuf  : 

S'il  muert   por  moi,  s'ert  de    moi  plaius. 
Voir  dires  a  cousté  a  mains 

Et  coustera  ; 
Mes  Dieus,  qui  est  et  qui  sera. 
S'il  veut,  en  pou  d'eure  fera 

Cest  bruit  remaindre. 

Ce  rythme  est  aussi  souple  que  le  décasyllabe,  dont  on 
admire  l'allure  solennelle  dans  les  chansons  de  geste,  mais 
qu'on  retrouve  léger  et  spirituel  dans  les  contes  de  La  Fon- 
taine. 

Je  ne  vois  pas  entre  Richeat  et  les  fableaus  du  xiii«  siècle 
l'opposition  que  signale  M.  Bédier.  L'un  et  les  autres  me 
paraissent  viser  également  à  un  double  intérêt,  celui  de 
l'intrigue  et  celui  des  caractères.  Enfin  il  est  exagéré  d'affirmer 
que  l'intention  des  conteurs  du  moyen  âge  n'est  nullement 
satirique.  Sans  doute  ils  cherchent  avant  tout  à  raconter  une 
histoire  amusante,  mais  ils  ne  négligent  pas  les  occasions  d'y 
glisser  des  traits  de  satire  : 

Béguins  font  volontiers  domage, 
Que  c'est  li  drois  de  béguinage. 

En  revanche,  je  crois  avec  M.  Bédier  que  dans  l'explication 
historique  du  genre  des  fableaus  on  a  fait  une  trop  large  part 
à  l'imitation  des  contes  indiens,  tant  pour  l'esprit  qui  les 
anime  que  pour  les  sujets  qu'ils  traitent.  La  théorie  nouvelle 
qu'annonce  M.  Bédier  ne  sera  pas  la  moindre  curiosité  de  sa 
grande  étude,  dont  on  ne  peut  que  souhaiter  le  prompt  achè- 
vement. 


IL  SucHiER,  traduit  par  P.  Monet.  —  Le  français  et  le 
provençal  (Paris,  Bouillon,  1891,  xii-224  pages  in-8). 

C'est  dans  le  Grnndris.s  de  G.  Grœber  qu'a  d'abord  paru 
l'important  travail  de  M.  Suchier,  dont  M.  Monet  a  entrepris 
la  traduction  sur  le  conseil  de  M.  Gaston   Paris.  Cette  tra- 


COMPTES-RENDUS  75 

duction  est  à  vrai  dire  une  nouvelle  édition,  car  M.  Suchier 
en  a  profité  pour  revoir  et  améliorer  son  œuvre. 

Nous  avons  Là  une  sorte  de  grammaire  générale  comparée 
du  français,  du  provençal  et  de  leurs  principaus  dialectes, 
précédée  d'un  chapitre  préliminaire  sur  les  limites  anciennes 
et  actuelles  du  domaine  gallo-roman,  et  comprenant  la  pho- 
nétique (Ch.  n,  ni,  v,  vi),  l'étude  des  flexions  (Ch.  iv  et  xni), 
la  syntaxe  (Ch.  ix  à  xn  inclus),  et  l'étude  du  vocabulaire 
(Ch.  vn,  vni,  xiv  et  xv).  Comme  on  le  voit  par  la  correspon- 
dance des  chapitres,  l'ordre  suivi  n'est  pas  l'ordre  en  quelque 
sorte  classique  que  nous  venons  d'indiquer.  Celui  qu'a  pré- 
féré M.  Suchier  est  plus  compliqué  et  moins  clair.  La 
complication  et  l'obscurité  se  retrouvent  souvent  dans  le 
détail.  Pour  prendre  un  exemple,  si  l'on  veut  formuler  la  loi 
du  changement  de  a  tonique  en  ié,  il  nous  paraît  très  simple 
et  rigoureusement  exact  de  dire  avec  M.  Gaston  Paris  que 
ce  changement  s'est  produit  après  les  palatales  (c,  g,eo\x  i  en 
hiatus).  La  formule  de  M.  Suchier  paraît  au  premier  abord 
plus  scientifique,  elle  n'est  que  plus  nuageuse.  La  voici  : 
((  a  est  devenu  ie  en  français  :  1*^  après  i  [palier  de  pacare)  ; 
2oaprès  les  palatales  c,  ch,  g  ;  3°  après  les  consonnes  mouillées, 
de  même  après  s'm  et  s'/i.  »  Un  autre  caractère  du  livre, 
c'est  la  fidélité  do  l'auteur  à  des  théories  généralement  aban- 
données aujourd'hui,  mais  qui  pourront,  quelques-unes  du 
moins,  reprendre  faveur  ;  nous  voulons  parler  de  l'explication 
de  il  singulier  par  illic,  de  puis  par  postea,  de  lui  par  illuic, 
et  quelques  autres. 

«  J'étudie,  dit  M.  Suchier,  les  principaux  changements 
qu'a  subis  le  latin  vulgaire  de  la  Gaule  devenu  le  français  et 
le  provençal.  Peut-être  cette  étude  ne  semblera-t-elle  pas  une 
préparation  iimtile  à  la  grammaire  historique  de  ces  deux 
langues.  »  C'est  trop  de  modestie.  Les  débutants  auraient 
d'ailhnn'S  quohiue  peine  à  comprendre.  Mais  cens  qui  savent 
déjà  trouveront  là  un  complément  et  une  synthèse  très 
instructive  de  leur  science,  des  aperçus  nouveaus,  souvent 
ingénieus,  et  une  vue  d'ensemble  présentée  avec  beaucoup 
d'autorité.  Ajoutons  que  la  partie  phonétique  renferme  des 
déterminations  dialectales  très  précises,  qui  font  malheureu- 
sement défaut  dans  |;i  iiioipliologie  et  dans  la  syntaxe,  mais 


/b  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

ce  n'est  pas  la  faute  de  Tauteur,  c'est  la  conséquence  de  la 
rareté  des  travausapprofondis  sur  les  patois. 

Nous  aurons  plus  d'une  occasion  de  revenir  sur  les  nom- 
breuses questions  traitées  ou  effleurées  par  M.  Suchier. 
Nous  nous  bornerons  à  indiquer  ici  des  réserves  sur  quelques 
points  pris  au  hasard  (1). 

Page  27.  L'explication  la  plus  plausible  pour  ier  =  ariurn 
me  paraît  être  celle  que  M.  Gaston  Paris  a  proposée  puis 
abandonnée,  c'est-à-dire  la  substitution  générale  de  iarium 
à  arium.  L'objection  qui  consiste  à  dire  que  iarium  aurait 
produit  ir  ne  tient  pas  devant  la  comparaison  avec  erium 
qui  produit  incontestablement  ier^  (2). —  Page  144.  Il  faut 
beaucoup  de  bonne  volonté  pour  voir  dans  falloir'  la  conti- 
nuation de  l'ancien  chaloir,  et  cette  hypothèse  est  d'ailleurs 
inutile.  —  Page  36.  Le  g  appuyé  ne  peut  pas  produire  plus 
de  mouillure  dans  plangit  que  dans  ingenium.  ((  Plaint  » 
suppose  plangt  comme  ((  fait  »  suppose  f'act  (Cf.  taist  de 
tacei).  L'i  atone  était  tombé  entre  une  gutturale  et  le  t  de 
flexion,  comme  l'e  entre  une  gutturale  et  /'  dans  plangre, 
dicre. 

Page  208  et  s.  —  M.  Suchier  prentà  son  compte  la  théorie 
d'après  laquelle  les  noms  composés  tels  que  porte-monnaie 
se  rattachent  à  l'impératif.  Cette  théorie  est  une  invraisem- 
blable aberration,  dont  on  a  peine  à  comprendre  le  succès. 
Jamais  nous  n'admettrons  que  pointe-monnaie  doive  s'inter- 
préter par  ((  va,  porte  la  monnaie.  »  La  partie  verbale  de 
ces  mots  composés  est  l'équivalent  d'un  participe  présent, 
ou,  si  l'on  préfère,  d'un  indicatif  présent  précédé  du  pronom 
relatif,  ou  encore,  ce  qui  revient  au  même,  d'un  «  nomen 
agentis  »  suivi  d'un  génitif  (taillefer  =  tailleur  de  fer, 
comme  l'indique  la  traduction  latine).  La  signification  en 
est  d'ailleurs  élastique  comme  celle  du  participe  présent  :  de 
même  que  chantant  équivaut  à  «  oîi  l'on  chante  »  dans 
café-chantant ,  coupe  signifie  ((  endroit  où  l'on  coupe  »  dans 


(1)  Quelques  fautes  d'impression  à  corriger  pour  une  prochaine  édi- 
tion :  page  161,  ligne  12,  préposition)^  au  lieu  de  propositions.  Page  217, 
b'  ligne  avant-dernière,  lie  au  lieu  de  ile.  A  surveiller  aussi  la  nota- 
lion  des  voyelles  ouvertes  et  fermées. 

(2)  Cf.  Rrrur  de  phUolo'jic  française,  il,  page  295. 


COMPTES  RENDUS  77 

coupe-govge.  Comparez  encore  les  noms  de  lieu  Chanteloup, 
Chanteraine ,  où  c'est  le  sujet  qui  est  exprimé  au  lieu  du 
régime.  Mais  l'élasticité  ne  va  jamais  jusqu'à  introduire 
dans  ces  termes  une  idée  impérative.  Les  traductions  latines 
telles  que  Cantalupis,  à  côté  de  Cantans  lupus,  sont  visible- 
ment des  calques  du  français.  En  réalité,  la  partie  verbale 
de  ces  mots  composés  a  exactement  la  môme  origine  que  les 
substantifs  verbaus  tels  que  soutien,  donne,  etc.  Le  trouble, 
c'est  «  ce  qui  trouble  »,  et,  par  extension,  le  résultat  de 
l'action  (1)  ;  un  trouble-fête,  c'est  «  celui  qui  trouble  »  la  fête, 
et  non  celui  à  qui  on  ordonne  de  la  troubler.  Il  n'y  a  là 
aucune  difficulté  phonétique.  Trouhle-fète  dérive  de  troubler 
fête  de  la  même  manière  que  de  ti^ouhler  dérive  le  substantif 
trouble,  qu'on  n'a  jamais  songé  à  rattacher  à  l'impératif. 

(1)  Par  exemple  dans  la  locution  :  «  jeter  le  trouble  daus  les  esprits.  » 


REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 


CHRONIQUE 

M.  Tobler,  à  qui  nous  avons  communiqué  l'épreuve  de 
l'article  de  Mélange  consacré  à  sa  récente  communication, 
nous  écrit  :  ((  Vous  avez  raison  de  désapprouver  l'emploi  du 
nom  de  ((  imperfectum  futuri  »  pour  désigner  ]e  conditionnel; 
c'est  en  effet  «  futurum  prœteriti  »  qu'il  faudrait  dire,  et  je 
l'aurais  dit  moi-même  si  pour  le  moment  je  n'avais  préféré 
éviter  toute  discussion  tendant  à  écarter  le  nom  malheureu- 
sement employé  dans  la  plupart  de  nos  grammaires.  » 

—  M.  Roque-Ferrier  entreprent  la  publication  d'une  revue 
mensuelle  ((  des  œuvres  et  des  faits  qui  intéressent  lefélibrige 
et  ses  diverses  maintenances.  »  Cette  revue,  qui  succède  à 
VOccitania,  a  pour  titre  Le  félibrige  latin.  Elle  publiera 
aussi  des  études  philologiques  et  des  textes  provençaus  dont 
le  dialecte  sera  soigneusement  indiqué. 

—  Dans  les  Annales  de  la  Société  d'Emulation  de  l'Ain 
(XXIII,  349),  notre  collaborateur,  M.  Philipon,  vient  de 
publier  un  curieus  poème  bressan  du  xvne  siècle,  avec 
glossaire  et  notes  philologiques. 

—  M.  Vladimir  Vladimirovitch  de  Maïnof  nous  écrit  qu'à 
son  avis  on  pourrait  tirer  du  français,  en  le  simplifiant  pour 
cet  usage,  une  langue  vraiment  universelle,  adaptée  aus 
besoins  du  commerce  et  des  relations  journalières.  On  sup- 
primerait par  exemple  les  flexions  personnelles  des  verbes, 
qui  sont  rendues  inutiles  par  l'emploi  des  pronoms,  etc. 
Cens  qui  n'ont  pas  le  loisir  d'étudier  le  vrai  français,  ou  qui 
n'y  ont  pas  intérêt,  trouveraient  là  une  langue  facile  à  ap- 
prendre et  qui  deviendrait  rapidement  universelle.  L'idée, 
en  soi,  nous  paraît  excellente  ;  mais  un  étranger  pourra  la 
réaliser  plus  facilement  qu'un  français.  Nous  souhaitons 
bon  succès  à  celui  qui  l'entreprendra. 


COMPTES  FiENDUS  711 


LIVRES  ET  ARTICLES  SIGNALÉS 

Amédée  Pages.  —  Notes  sur  le  chansonnier  provençal  de 
Saragosse  (Extrait  des  Annales  du  Midi,  tome  n).  —  Il 
s'agit  du  chansonnier  provençal  sur  lequel  Manuel  Milâ  y 
Fontanals  a  déjà  publié  une  notice  sommaire,  malgré  la  jalou- 
sie toujours  éveillée  du  propriétaire,  D .  Pablo  Gil  y  Gil, 
doyen  de  la  Faculté  de  philosophie  et  lettres  de  Saragosse. 
Les  notes  de  M,  Pages,  sans  être  complètes  encore,  permettent 
de  se  rendre  compte  de  l'importance  du  manuscrit. 

Le  MÊME. — La  version  catalane  de  l'Enfant  sage  (Extrait 
des  Etudes  romanes  dédiées  à  Gaston  Parts,  Paris,  Bouillon, 
1891).  —  M.  Pages  montre  que  le  dialogue  d'Adrien  et  d'E- 
pictète  (légende  de  V Enfant  sage)  ci  été  assez  répandu  au-delà 
des  Pyrénées.  Il  publie  un  texte  catalan  de  la  fin  du  xiv-' 
siècle,  qui  tient  de  près   à  une  version  provençale  connue. 

L.  CoNSTANS.  —  Notes  pour  servir  au  classement  des 
manuscrits  du  Roman  de  Troie  (Extrait  des  Etudes  romanes 
dédiées  à  Gaston  Paris).  —  C'est  une  nouvelle  contribution 
de  M.  Constans  (cf.  Romania,  XVIII,  340)  au  classement 
peu  commode  des  mss.dui?07n«/i  de  Troie.  Un  court  appen- 
dice est  consacré  aus  manuscrits  fragmentaires,  parmi  les- 
quels doit  prendre  place  le  ms.  de  Namur,  que  M.  Wilmotte 
vient  de  publier  dans  le  Moyen  Age  (février  1891,  page  29). 

Franz  Kirste.  —  Historisclie  Untersuchung  ueher  den 
Conjunctiv  Praes.  im  altjranzoesischen  (Greifswald,  Abel, 
1890,  vi-88  p.  in-8).  —  Répertoire  important  de  formes  du 
subjonctif  présent,  avec  références  dialectales.  Le  classement 
est  méthodique  et  le  dépouillement  des  textes  fait  avec  soin. 
Je  ne  crois  pas  que  duie  soit  le  dérivé  régulier  de  ducam.  Cf. 
(jidllaïune  le  maréchal  :  ((  Alez  !  diable  vos  conduenl  !  » 
[Romania,  xi,  page  GO,  vers  G812). 

Cn.  DE  TouRTOULON.  —  Dcs  dialectes,  de  leur  classijica- 
tion  et  de  leur  délimitation  géographique  (Paris,  Maison- 


80  COMPTES-RENDUS 

neuve, 1891,  60  pages  in-8). —  Discussion  des  opinions  émises 
par  M..  Gaston  Paris  dans  sa  communication  au  s  Sociétés 
Savantes  sur  les  «  parlers  de  France.  »  La  question  de  savoir 
s'il  y  a  des  dialectes  ou  s'il  n'y  en  a  pas  nous  paraît  tout-à- 
fait  oiseuse.  C'est  une  pure  querelle  de  mots,  mais  il  faut 
reconnaître  que  ce  n'estpas  M.deTourtoulonquiacommencé. 
Au  fond  tout  le  monde  est  d'accord  sur  l'utilité  des  classe- 
ments dialectaus.  La  préoccupation  très  légitime  de  grouper 
les  phénomènes  linguistiques  conduit  l'auteur  à  des  remar- 
ques fort  instructives  et  tout-à-fait  dignes  de  son  travail 
antérieur  sur  la  limite  géographique  de  la  langue  d'oïl  et  de 
la  langue  d'oc. 


Le  Géj'ant  :   E.  Bouillon. 


CHALON-SUR-SAONE,    IMPRIMERIE  DE  L.    MARCEAU. 


LA  CIRCULAIRE  MINISTÉRIELLE  DU  27  AVRIL  1891 
SUR  l'orthographe  dans  l'enseignement 


La  campagne  menée  depuis  deus  ans  par  la  Revue  de 
philologie  française  et  auparavant  par  MM.  Fran- 
cisque Sarcey,  Arsène  Darmesteter,  Paul  Passy,  Louis 
Havet, —  pour  ne  citer  que  ceus  qui  ont  tenu  en  France 
à  tour  de  rôle  le  drapeau  de  la  réforme  orthographique, 
—  vient  d'aboutir  à  un  résultat  dont  l'importance  est 
considérable.  A  la  date  du  ^7  avril,  M.  le  ministre  de 
l'Instruction  publique  adresse  à  tous  les  recteurs  une 
circulaire  «  ayant  pour  objet  d'interdire  l'abus  des 
exigences  grammaticales  dans  la  dictée».  Les  partisans 
d'une  réforme  rationnelle  et  méthodique  de  l'ortho- 
graphe  seront  profondément  reconnaissants  à  M.  Léon 
Bourgeois  pour  cet  acte  de  haute  sagesse,  et  ils  n'ou- 
blieront pas  la  part  de  gratitude  qu'ils  doivent  à  l'émi- 
nent  directeur  de  l'enseignement  primaire,  M.  Buisson, 
qui  a  pris  l'initiative  delà  mesure,  ainsi  qu'à  M.  Rabier, 
directeur  de  l'enseignement  secondaire  r  car  les  ins- 
tructions ministérielles  s'appliquent  aussi  bien  à  l'ensei- 
gnement secondaire  (pv'à  l'enseignement  primaire. 
Quant  à  l'enseignement  sui)érieur,  qui  a  toujours  joui 
d'une  plus  grande  indépendance^  depuis  longtemps  la 
pratique  éclairée  des  professeurs  a  réduit  à  sa  juste  va- 
leur, dans  la  correction  de  la  composition  française, 
l'importance  des  fautes  et  prétendues  fautes  d'ortho- 
graphe. 

Voici  le  texte  de  la  circulaire  : 

Pavis,  le  27  avril  1891. 

Monsieur  le  Recteur,  au  moment  où  vous  préparez  la 
session  annuelle  des  examens  el  des  concours  de  l'enseigne- 
Revuu  de  philologie,  v.  6, 


82  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

ment  primaire  et  secondaire,  notamment  du  certificat  d'études 
primaires  et  ceux  du  concours  d'admission  aux  bourses,  je 
crois  devoir  appeler  votre  attention  sur  la  jurisprudence  libé- 
rale qu'il  conviendrait  de  recommander  aux  diverses  com- 
missions relativement  aux  épreuves  d'orthographe. 

Que  la  connaissance  de  la  langue  française  soit  un  des 
objets  essentiels  que  se  propose  l'éducation,  soit  à  l'école, 
soit  au  lycée,  il  n'est  pas  besoin  de  le  démontrer  :  il  faudrait 
relever  plutôt  qu'abaisser  le  niveau  des  épreuves  destinées  à 
prouver  que  l'enfant  manie  correctement  sa  langue,  en  res- 
pecte les  règles,  en  comprend  l'esprit.  Mais  toute  la  langue 
n'est  pas  dans  la  grammaire,  ni  toute  la  grammaire  dans 
l'orthographe.  Or  c'est  seulement  de  l'importance  excessive 
accordée  parfois,  dans  les  examens,  aux  singularités  et  aux 
subtilités  de  l'orthographe  que  l'opinion  publique  s'est  émue. 

A  plusieurs  reprises  déjà  le  Conseil  supérieur  a  manifesté 
son  désir  de  rompre  avec  ce  qu'on  a  nommé  le  ((  fétichisme 
de  l'orthographe  ))  et  surtout  avec  la  tarification  mécanique 
des  fautes  ;  dans  tous  les  règlements  qui  lui  ont  été  soumis 
depuis  dix  ans,  le  Conseil  a  supprimé  le  caractère  élimina- 
toire de  la  dictée,  ainsi  que  l'échelle  officielle  des  fautes  d'or- 
thographe entraînant  au-delà  d'un  certain  chiffre  la  note  seA'o. 
S'inspirant  du  même  esprit,  tous  les  pédagogues  sont  una- 
nimes à  exprimer  le  vœu  que  les  fautes  soient,  comme  on  l'a 
dit  ((  plutôt  pesées  que  comptées  »  ;  tous  aussi  supplient  les 
comités  qui  choisissent  les  textes  et  ceux  qui  corrigent  les 
épreuves  de  s'attacher  moins  aux  mots  bizarres,  aux  curio- 
sités linguistiques,  aux  règles  compliquées  ou  controversées, 
aux  contradictions  de  l'usage,  qu'à  l'intelligence  du  sens  et  à 
la  correction  générale  de  la  langue. 

Toutes  ces  recommandations  ont  trouvé  place  dans  les  pro- 
grammes des  examens,  dans  les  plans  d'études  des  divers 
établissements,  aussi  bien  que  dans  plusieurs  circulaires  de 
mes  prédécesseurs.  Je  voudrais  y  ajouter  une  prescription 
plus  formelle  encore  et  s'adressant  par  votre  intermédiaire, 
M.  le  Recteur,  aux  présidents  et  aux  membres  de  nos  diverses 
commissions  d'examens. 

Je  désire  que  vous  leur  fassiez  entendre  qu'il  dépend  d'eux 
d'assurer  à  l'enseignement   de    l'orthographe  une  direction 


CIRCULAIRE     MINISTÉRIELLE  83 

moins  étroite.  Ce  qui  fait  maintenir  encore  dans  beaucoup 
d'écoles  un  nombre  invraisemblable  d'heures  exclusivement 
consacrées  aux  exercices  grammaticaux  les  plus  minutieux, 
c'est  la  crainte,  fondée  ou  non,  des  rigueurs  qu'aura  l'exa- 
minateur dans  son  appréciation  de  la  dictée.  C'est  donc  cette 
appréciation  même  qu'il  importe  de  soumettre  à  des  règles 
qui  puissent  guider  plus  encore  l'opinion  des  candidats  que 
le  jugement  des  examinateurs.  Je  ne  puis,  il  est  vrai,  ni  dres- 
ser, ni  vous  charger,  Monsieur  le  recteur,  de  dresser  vous- 
même  à  l'usage  des  commissions  un  tableau  officiel  des  va- 
riantes orthographiques  qu'il  conviendra  d'admettre  indiffé- 
renmient  dans  les  divers  examens.  Il  faudra  évidemment 
tenir  compte  et  de  l'âge  des  élèves  et  de  la  nature  des  épreuves 
et  aussi  de  l'inégale  gravité  que  peuvent  avoir  les  diverses 
infractions  à  l'orthographe.  Ce  sont  là  des  considérations  trop 
délicates  à.  la  fois  et  trop  variables  pour  pouvoir  donner  ma- 
tière à  un  règlement  proprement  dit.  Les  commissions  seules 
en  peuvent  être  juges.  Tout  ce  que  nous  pouvons  faire,  et  ce 
que  je  vous  demande,  c'est  de  leur  rappeler  une  fois  de 
plus  qu'à  des  degrés  divers  tous  ces  examens  ont  le  caractère 
élémentaire,  qu'ils  sont  la  sanction  d'un  enseignement  élé- 
mentaire lui-même,  que  dès  lors  les  épreuves  de  langue  ne 
peuvent,  ne  doivent  avoir  pour  but  que  de  montrer  si  l'enfant 
écrit  couramment  et  correctement  sa  langue  ;  qu'il  faut,  par 
conséquent,  en  exclure  beaucoup  de  discussions  qui  seraient 
à  leur  place  dans  les  épreuves  de  l'agrégation  de  gram- 
maire. 

Pour  préciser  ces  indications  générales,  je  crois  utile, 
Monsieur  le  Recteur,  que  vos  instructions  aux  commissions 
d'examen  entrent  dans  quelques  détails  sur  les  réformes  à 
introduire  dans  la  correction  "et  le  jugement  de  la  dictée.  Et 
je  tiens  moi-même  à  fixer  par  quelques  exemples  la  nature 
aussi  bien  que  les  motifs  de  l'indulgence  que  je  vous  prie  de 
recommander. 

Les  points  sur  lesquels  j'invite  les  commissions  à  se  mon- 
trer loléi'antes  peuvent  se  ramener  à  trois  groupes  : 

le  II  faut  d'abord  renoncer  à  une  rigueur  absolue  toutes 
les  fois  qu'il  y  a  doute  ou  partage  d'opinion,  toutes  les  fois 
que  l'usage  n'est  pas  encore  fixé  ou  l'a  été  tout  récemment, 


84  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

que  la  pratique  courante  varie,  que  les  auteurs  diffèrent 
d'avis  et  que  l'Académie  elle-même  enregistre  les  hésitations 
de  l'opinion.  Jusqu'en  1878,  on  devait  écrire  consonnance, 
l'Académie  admet  maintenant  consonance,  par  analogie  avec 
dissonance.  Jusqu'en  1878,  on  devait  écrive  phthisie  et  rhi/- 
thme  ;  depuis,  l'Académie  supprime  l'une  des  deux  h,  mais 
c'est  la  seconde  dans  phtisie,  la  première  dans  rythme.  Jus- 
qu'en 1878,  collège  était  sévèrement  compté  comme  une 
faute,  on  devait  écrire  collège  ;  c'est  l'inverse  aujourd'hui. 
De  même  les  excédents  ont  remplacé  les  excédants  ;  tout-à- 
fait  s'écrit  sans  trait  d'union,  et  il  en  est  de  même  pour  une 
foule  de  mots  composés.  Deux  des  recueils  qui  font  autorité 
pour  notre  langue  écrivent  sans  que  personne  s'en  offusque 
les  en/ans,  les  momens.  Le  pluriel  de  certains  mots  étrangers 
se  marque  suivant  les  auteurs  de  différentes  manières  :  on  dit 
des  solos,  des  solo  et  des  soli.  L'Académie  autorise  agendas, 
alinéas,  et  ne  paraît  pas  admettre  des  duplicatas.  Elle  pièiëre 
des  accessit  sans  condamner  des  accessits.  Nombre  de  mots 
usuels  ont  également  une  orthographe  sur  laquelle,  à  moins 
de  pédantisme,  nul  ne  peut  prétendre  à  l'infaillibilité  ;  de 
l'aveu  même  de  l'Académie,  on  écrit  clef  ou  clé,  sofa  ou  so- 
pha,  des  entre-sol  ou  des  entresols,  dévouement  ou  dévoù- 
ment,  gaieté  ou  gaité,  la  ciguë  ou  la  cigiie,  il  paye  ou  il 
paie,  payement  ou  paiement  ou  \\\è\\\e  paiment ,  etc.  Dans 
ces  cas  et  dans  tous  les  cas  semblables,  quelle  que  soit  l'opi- 
nion personnelle  du  correcteur,  il  ne  peut  pas  demander  à 
rélève  d'être  plus  sûr  de  lui  que  les  maîtres  eux-mêmes. 

2»  Je  réclame  la  même  indulgence  pour  l'enfant  quand  la 
logique  lui  donne  raison  contrel'usage  et  quand  la  faute  qu'il 
commet  prouve  qu'il  respecte  mieux  que  ne  l'a  fait  la  langue 
elle-même,  les  lois  naturelles  de  l'analogie.  «  Une  des  pre- 
mières choses  qu'on  enseigne  aux  enfants,  dit  un  maître  en 
matière  de  philologie,  ce  sont  les  sept  noms  en  ou  qui  au 
lieu  de  prendre  un  s  au  pluriel  veulent  un  x  :  genoux,  bi- 
joux, etc.  Mais,  par  quelle  secrète  raison  ne  se  plient-ils  pas 
à  la  règle  commune  ?  Personne  n'a  jamais  pu  le  découvrir.)) 
De  même,  ne  sachons  pas  trop  mauvais  gré  à  l'élève  qui 
écrira  contreindre  comme  étreindre  et  restreindre,  —  can- 
ionier  comme  timonier  et  comme  cantonal,   —  entrouvrir 


CIRCULAIRE    MINISTÉRIELLE  85 

comme  entrelacer,  —  dans  V entretemps  comme  sur  ces  en- 
trefaites, —  contrecoup  comme  contretemps. 

Est-il  juste  de  compter  comme  autant  de  fautes  les  infrac- 
tions à  l'orthographe  qui  sont  précisément  des  preuves  d'at- 
tention de  sa  part  ?  Ce  n'est  par  exemple  ni  l'étourderie,  ni 
l'ignorance,  c'est  au  contraire  la  réflexion  qui  l'amène  à  vou- 
loir écrire  ou  bien  dizième  comme  dizaine  ou  bien  dixaine 
comme  dixième,  —  à  penser  qu'il  faut  admettre  charrette, 
charrier,  charroi  et  par  suite  c/iarrto^  à  moins  de  supprimer 
dans  tous  ces  mots  le  second  /*  qui  ne  se  prononce  pas,  —  à 
maintenir  les  traits  d'union  dans  chemin- de-fer,  dans  porte- 
manteau, pour  pouvoir  les  conserver  dans  arc-en-ciel  et 
porte-monnaie,  ou  vice-versa.  La  logique  l'empêchera  encore 
d'admettre  imbécile  et  imbécillité,  siffler  avec  deux  /  et  per- 
sifler avec  un  seul.  L'analogie  lui  fera  écrire  assoir  sans  e 
malgré  Ve  de  séance,  puisque  tout  le  monde  a  fini  par  écrire 
déchoir  sans  e  malgré  celui  de  déchéance. 

Est-ce  l'enfant  qui  a  tort  d'hésiter  quand  la  langue  elle- 
même  semble  se  contredire  et  qu'après  pr^^en^ion,  contention, 
attention,  intention,  obtention  on  lui  enjoint  d'écrire  exten- 
sion ?  Que  répondre  à  l'élève  qui  veut  écrire  déciller  à  cause 
de  cils,  une  demie-lieue  comme  une  lieue  et  demie,  forsené 
et  non  pas/orcen^  puisque  le  mot  signifie  hors  de  sens  et  n'a 
aucun  rapport  avec /orce  ?  Y  a-t-il  un  maître  qui  ait  pu 
donner  une  bonne  raison  pour  justifier  la  différence  entre 
apercevoir  et  apparaître,  entre  alourdir  et  allonger,  entre 
abatage  et  abatteur,  entre  abatis  et  abattoir,  entre  agréga- 
tion et  agglomération  ? 

Au  lieu  d'inculquer,  en  pareil  cas,  dans  l'esprit  de  l'élève 
l'idée  d'une  règle  absolue  et  inviolable,  ne  vaut-il  pas  mieux 
lui  laisser  voir  que  c'est  là  au  contraire  une  matière  en  voie 
de  transformation  ?  N'y  a-t-il  pas  toute  vraisemblance  que 
d'ici  à  une  génération  ou  deux  la  plupart  de  ces  bizarreries 
auront  disparu  pour  faire  place  à  des  simplifications  analo- 
gues à  celles  qu'ont  opérées  sous  nos  yeux,  depuis  moins 
d'un  siècle,  les  éditions  successives  du  Dictionnaire  de  l'Aca- 
démie ? 

3"  Enfin  il  est  entré  depuis  le  commencement  de  ce  siècle 
dans  notre  orthographe  française  un  certain  nombre  de  règles 


86  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

fondées  sur  des  distinctions  que  les  grammairiens  jugeaient 
déci.sives,  que  la  philologie  moderne,  plus  respectueuse  de 
l'histoire  même  de  la  langue,  ne  confirme  qu'avec  beaucoup 
de  restrictions  et,  dans  tous  les  cas,  sans  y  attacher  à  aucun 
degré  le  respect  superstitieux  dont  on  voulait  les  entourer. 
C'est  sur  ces  points  qu'il  faudrait  inviter  les  examinateurs  et 
les  maîtres  à  glisser  légèrement,  bien  loin  de  s'y  complaire. 
C'est  là  surtout  qu'il  faut  alléger  le  fardeau.  Que  d'heures 
absolument  inutiles  pour  l'éducation  de  l'esprit  ont  été  con- 
sacrées dans  les  écoles  primaires  elles-mêmes  à  approfondir 
les  règles  de  tout  et  de  même,  de  vingt  et  de  cent,  de  nu  et  de 
demi,  à  disserter  sur  les  exceptions  et  les  sous-exceptions 
sans  nombre  de  la  prétendue  orthographe  des  noms  compo- 
sés, qui  n'est  que  l'histoire  d'une  variation  perpétuelle  ! 

La  presse  a  plus  d'une  fois  signalé  l'inanité  des  débats  sans 
fin  auxquels  donnent  lieu  dans  la  dictée  certaines  locutions 
comme  des  habits  d'homme  ou  d'hommes,  la  gelée  de  gr^o- 
seille  ou  de  groseilles,  de  pomme  ou  de  pommes,  des  moines 
en  bonnet  carré  ou  en  bonnets  carrés. 

A  supposer  que  l'on  ait  de  bonnes  raisons  pour  justifier 
telle  ou  telle  de  ces  finesses  orthographiques,  n'est-il  pas  fla- 
grant que  l'immense  majorité  des  enfants  ont  mieux  à  faire 
que  d'y  consumer  leur  temps.  Et  pour  ne  parler  que  de  la 
langue  française,  n'ont-ils  pas  infiniment  plus  besoin,  pour 
la  bien  connaître,  qu'on  leur  lise  et  qu'on  leur  fasse  lire  en 
classe  et  hors  de  classe  les  plus  belles  pages  de  nos  classiques 
que  d'exercer  toute  l'acuité  de  leur  esprit  sur  des  nuances 
grammaticales  à  peine  saisissables,  quand  elles  ne  sont  pas 
de  simples  vétilles  ?  Ce  souci  de  l'orthographe  à  outrance 
n'éveille  chez  eux  ni  le  sentiment  du  beau,  ni  l'amour  de  la 
lecture,  ni  même  le  véritable  sens  critique.  Il  ne  pourrait  que 
leur  faire  prendre  des  habitudes  d'ergotage.  A  tant  éplucher 
les  motS;,  ils  risquent  de  perdre  de  vue  la  pensée,  et  ils  ne 
sauront  jamais  ce  que  c'est  qu'écrire  si  leur  premier  mouve- 
ment n'est  pas  de  chercher  dans  le  discours,  sous  l'enveloppe 
des  mots,  la  pensée  qui  en  est  l'âme. 

Je  ne  doute  pas,  Monsieur  le  Recteur,  que,  communiquées 
et  expliquées  par  vous  aux  commissions  que  vous  avez  à 
nommer  et  à  diriger,  les  observations  qui  précèdent  ne  soient 


CIRCULAIRE    MINISTÉRIELLE  87 

aisément  accueillies  et  suivies  d'effet.  Je  vous  serai  recon- 
naissant de  me  tenir  au  courant  des  mesures  que  vous  aurez 
prises  pour  qu'il  en  soit  ainsi. 

Recevez,  Monsieur  le  Recteur,  l'assurance  de  ma  considé- 
ration très  distinguée. 

Le  Ministre  de  l'Instruction  publique 
et  des  Beaux-Arts, 

Signé  :  Léon  BOURGEOIS. 

Y  aura-t-il  quelqu'un  pour  trouver  que  M.  le  Ministre 
de  l'Instruction  publique  empiète  sur  les  attributions 
de  l'Académie  française  ?  Ce  serait  être  plus  royaliste 
que  le  roi,  car  l'Académie  a  toujours  protesté  contre  le 
rôle  qu'on  veut  lui  imposer,  de  régler  l'orthographe. 
Elle  se  borne  au  contraire,  le  plus  possible,  à  constater 
l'usage,  si  bien  qu'on  était  enfermé  dans  un  cercle  vi- 
cieus, les  écrivains  attendant  les  décisions  de  l'Académie 
pour  modifier  leur  orthographe,  et  l'Académie  attendant 
les  innovations  des  écrivains  pour  modifier  son  diction- 
naire. Le  ministre  de  l'Instruction  publique  est  tout  à 
fait  dans  son  rôle  quand  il  réglemente  l'enseignement 
de  l'orthographe  en  tenant  compte  des  progrès  de  la 
science  philologique  ;  les  écrivains  qui  se  sont  groupés 
autour  du  programme  de  réformes  delà  Revue  de  philo- 
logie française  u^Qr\X2i\iiiii\àMàvoii\Q  plus  légitime  en 
appliquant  leur  programme  et  en  travaillant  à  le  pro- 
pager. L'Académie  ne  peut  ni  ne  veut  intervenir;  elle 
enregistrera  en  temps  utile  les  résultats  acquis. 

M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique  prévoit  les 
demandes  d'éclaircissements  qui  pourront  lui  être 
adressées,  et  il  les  repousse  par  avance  en  déclarant 
qu'il  ne  veut  ni  dresser,  ni  charger  les  recteurs  de 
dresser  des  tableaus  officiels  de  variantes  orthogra- 
phiques. Il  se  borne  à  des  indications  générales  et  à 
des  exemples,  laissant  aus  commissions  le  soin  d'appré- 
cier chaque  cas  particulier.  Dans  les  autres  épreuves 


8o  REVUE    DE   PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

des  examens,  ce  sont  toujours  les  commissions  qui, 
sous  leur  responsabilité  personnelle,  ont  mesuré  la  gra- 
vité relative  des  fautes  commises.  Pour  la  rédaction, 
par  exemple,  elles  ne  se  sontjamais  avisées  de  consulter 
le  Ministre  sur  la  question  de  savoir  si  une  locution 
impropre  doit  être  comptée  plus  ou  moins  qu'une  tran- 
sition faible.  Il  serait  tout  aussi  étrange  de  réclamer  de 
l'administration  supérieure  une  sorte  de  barème  des 
fautes  d'orthographe. 

Mais  la  liberté  laissée  aus  commissions  d'examen 
n'implique  pas  la  faculté  de  persister  dans  les  viens 
errements.  Le  titre  de  la  circulaire  est  formel  :  elle 
interdit  l'abus  des  exigences  grammaticales  dans  la  dic- 
tée, et  les  commissions  qui  continueraient  à  faire  la 
guerre  aus  prétendues  fautes  signalées  par  la  circulaire 
enfreindraient  gravement  les  instructions  du  Ministre 
de  qui  elles  tiennent  leurs  pouvoirs.  Il  saute  aus  yeus 
d'autre  part  que  toutes  les  fautes  indiquées  sont  au 
nombre  de  celles  qui  doivent  être  considérées,  non  pas 
comme  légères,  mais  comme  non  existantes.  «  Dans  ce 
cas,  dit  M.  le  Ministre  à  la  fin  de  ses  considérations  sur 
le  premier  groupe,  et  dans  tous  les  cas  semblables,  le 
correcteur  ne  peut  pas  demander  à  l'élève  d'être  plus 
sur  de  lui  que  les  maîtres  eux-mêmes,  »  Un  peu  plus 
loin  :  ((  Est-il  juste  (traduisez  il  est  injuste,  donc  il  n'est 
pas  permis)  de  compter  comme  autant  de  fautes  les 
infractions  à  l'orthographe  qui  sont  précisément  des 
preuves  d'attention  de  la  part  de  Télève  ?  »  Quand, 
dans  les  mêmes  paragraphes,  à  propos  des  mêmes  man- 
quements, M.  le  Ministre  parle  de  a  renoncer  à  une 
rigueur  absolue  »,  d'être  «  indulgent  »,  il  est  clair  que 
ce  sont  là  des  formules  atténuées  d'une  pensée  très 
nette,  à  savoir  qu'on  n(^  doit  pas  compter  de  faute  dans 
tous  ces  cas.  J'irai  même  plus  loin:  l'enfant  qui  écrirait 
assoir  en  vertu  d'une  comparaison  avec  déchoir,  séance 
et  déchéance  mériterait  sans  contes  te  d'être  placé  avant 


CIRCULAIRE    MINISTÉRIELLE  89 

celui  qui  se  serait  conformé  machinalement  à  la  graphie 
consignée  clans  le  Dictionnaire. 

Le  nouvel  esprit  introduit  dans  la  correction  des 
épreuves  orthographiques  doit  avoir  pour  effet  a  d'assu- 
rer à  l'enseignement  de  l'orthographe  une  direction 
moins  étroite  ».  C'est  là  une  conséquence  qu'on  ne  sau- 
rait trop  mettre  en  relief.  La  recommandation  faite  aus 
commissions  de  ne  plus  considérer,  par  exemple,  «  des 
caillons  »  comme  une  faute  d'orthographe  implique  for- 
cément, pour  les  instituteurs  et  les  professeurs^  l'obli- 
gation de  ne  plus  perdre  leur  temps  à  enseigner  les 
sept  noms  en  ou  qui  devaient  prendre  un  x.  Combien 
d'autres  règles  absurdes  vont  se  trouver  caduques  par 
le  fait  même  de  l'application  de  la  circulaire  !  Nous 
verrons  donc  enfin  réduire  «  le  nombre  invraisemblable 
d'heures  consacrées  aux  exercices  grammaticaux  les  plus 
minutieux.»  Quel  soulagement  pour  les  maîtres  et  pour 
les  élèves.  Quel  triomphe  pour  le  bons  sens  ! 

Nous  allons  indiquer  brièvement  quelques-unes  des 
applications  possibles  de  la  circulaire  du  27  avril. 

1.  Gravité  relative  des  fautes.  —  «  Les  fautes 
doivent  être  plutôt  pesées  que  comptées.  »  Les  fautes 
les  plus  graves  sont  évidemment  celles  qui  touchentnon 
seulement  à  l'orthograplie,  mais  encore  à  la  langue. 
Ces  fautes  sont  rares  chez  les  Français.  Seuls,  les  en- 
fants du  premier  cours  ouïes  étrangers  qui  commencent 
à  ap])rendre  notre  langue  pourront  dire  ou  écrire  :  des 
cheval  s,  un  chevau,  etc. 

Viennent  ensuite  les  fautes  contre  les  grandes  règles 
de  la  grammaire^  Ve  du  féminin  dans  les  adjectifs,  l's 
du  pluriel,  etc. 

Nous  mettons  en  troisième  ligne  la  faute  qui  consiste 
à  se  tromper  entre  deus  graphies  qui  ont  la  même  va- 
leur, par  exemi)le  ain  et  em,  sen  et  cen.  Cette  erreur 


90  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

est  d'autant  plus  légère  que  le  mot  se  rencontre 
moins  souvent.  Il  n'y  a  pas  de  faute  si  la  graphie  adop- 
tée est  plus  conforme  que  la  graphie  officielle  à  l'origine 
du  mot,  si  on  écrit/orsené  au  lieu  de  forcené,  déciller 
au  lieu  de  dessiller. 

2.  Mots  composés  (1).  —  La  circulaire  ministérielle 
nous  met  en  garde  contre  (^  les  exceptions  et  les  sous- 
exceptions  sans  nombre  de  la  prétendue  orthographe 
des  noms  composés,  qui  n'est  c|ue  l'histoire  d'une  va- 
riation perpétuelle  !  » 

Il  est  logique  d'écrire  en  un  seul  mot  tous  les  mots 
composés  qui  commencent  par  entre  et  contre,  et  ceus 
qui  sont  formés  d'un  verbe  suivi  d'un  régime  direct  : 
entredeux  comme  entremets,  contrecoup  comme  con- 
trefaçon, portenionnaie  conwnQ portemanteau ,  etc. 

On  ne  peut  considérer  comme  une  faute  l'omission 
du  trait  d'union  dans  les  mots  composés  au  milieu  des- 
quels se  trouve  une  préposition,  ou  dans  ceus  qui  sont 
formés  d'un  substantif  et  d'un  adjectif  c|ui  s'y  rapporte: 
arc  en  cze/ comme  chemin  defer,  plain  chant  comme 
pleine  lune,  et  aussi  demi  litre,  etc. 

3.  Formation  et  emploi  du  pluriel  (2).  —  La  cir- 
culaire permet  d'écrire  des  rjenous  comme  des  verrous, 
etc.  Elle  autorise  également  l'.s  du  pluriel  à  la  fin  de 
tous  les  noms  d'origine  étrangère  :  des  allégros  comme 
des  solos,  des  exéats  comme  des  accessits,  etc. 

Il  est  aussi  logic^ue  de  mettre  que  de  ne  pas  mettre 
d's  au  pluriel  des  noms  propres,  sans  faire  aucune  dis- 
tinction de  sens.  La  distinction  qu'établissent  nos 
grammaires  ne  remonte  qu'au  xviii^  siècle.  Racine  écrit: 
((Corneille,  comparable  aux  Eschyles,  aux  Sophocles, 
aux  Euripides.  » 

(1)  Cf.  Reçue  de  Philologie /ranr.aLse,  tome  iv,  pages  265  et  314; 
tome  V,  page  29. 

(2)  Ibidem,  tome  iv,  pages  217,  275  et  314. 


CIRCULAIRE    MINISTÉRIELLE  91 

Rien  ne  justifie  l'omission  systématique  du  signe  du 
pluriel  après  vingt  et  cent  lorsque  ces  mots  sont  suivis 
d'un  autre  nombre.  On  peut  écrire  quatre-vr'ngts-deux 
comme  quatre-vingts. 

On  doit  pouvoir  mettre  les  compléments  au  singulier 
ou  au  pluriel  toutes  les  fois  qu'il  y  a  une  double  inter- 
prétation possible  :  des  habits  d'homme  ou  d'hommes 
(pour  un  homme,  ou  comme  en  portent  les  hommes), 
de  la  gelée  de  groseille  ou  de  groseilles,  etc. 

Aucune  raison  sérieuse  ne  peut  empêcher  d'écrire 
«  des  habits  bleujc  »  comme  a  les  textes  hébreux  »,  ou 
mieus  encore  les  hébreus  comme  les  bleus. 


4.  Accord  de  l'adjectif.  —  La  circulaire  autorise 
l'accord  de  demi  et  de  nu,  quelle  que  soit  la  place  de  ces 
mots.  11  faut  y  joindre  les  adjectifs/ew  qI  fort  :  feue  la 
j^eine  comme  la  feue  reine,  a  elle  se  i^ài forte  »  comme 
«  elle  se  fait  belle  ». 

L'adverbe  tout  doit  s'accorder,  devant  un  adjectif 
singulier,  aussi  bien  quand  l'adjectif  commence  par  une 
voyelle  que  lorsqu'il  commence  par  une  consonne  : 
toute  entière  comme  toute  pleine. 

5.  Verbes.  —  Les  verbes  coudre  et  moudre  sont 
absolument  semblables  à  absoudre  et  à  résoudre.  Rien 
n'empêche  donc  d'écrire  :  «  je  cous,  il  coût,  je  mous,  il 
moût.  » 

Il  est  tout  à  fait  illogique  d'écrire  je  veux,  je  peux 
autrement  que  je  meus. 

La  circulaire  fait  remarquer  qu'on  écrit  collège  après 
avoir  écrit  collège.  Cette  remarque  doit  évidemment 
s'interpréter  dans  ce  sens,  qu'il  est  logique  d'écrire 
avec  un  accent  grave  les  e  qui  ont  le  son  ouvert.  Con- 
cluons que  les  élèves  peuvent  écrire  par  è,  au  futur  et 
au  conditionnel,  les  verbes  qui  ont  déjà  cet  è  au  sin- 


92  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

gulier  de  l'indicatif  présent  :  je  protégerai  comme  Je 
pi^otège{\). 

Les  fameuses  règles  du  participe  passé  rentrent  évi- 
demment dans  ces  ^(  règles  fondées  sur  des  distinctions 
que  les  grammairiens  jugeaient  décisives,  que  la  philolo- 
gie moderne,  plus  respectueuse  de  l'histoire  même  de  la 
langue,  ne  confirme  qu'avec  beaucoup  de  restrictions  ». 
Tous  les  philologues  sont  aujourd'hui  d'accord  pour 
admettre  qu'on  doit  laisser  aus  enfants  la  liberté  com- 
plète de  l'accord  (2)  sans  aucune  distinction  :  1°  pour 
les  participes  coûté  et  valu  ;  2°  quand  le  complément  est 
le  pronom  en  (3)  ;  3"  quand  le  participe  est  suivi  d'un 
infinitif  sans  préposition  (je  les  ai  vu  ou  vus  venir).  On 
peut  aussi  faire  accorder  librement  le  participe  avec  le 
collectif  «  le  peu  »  ou  avec  son  complément,  quel  que 
soit  le  sens  :  «  le  peu  d'ardeur  que  vous  avez  montré  ou 
montrée.  » 


6.  Consonnes  doubles.  —  La  circulaire  admet  im- 
plicitement qu'on  ne  redouble  pas  la  consonne  (sauf  l's 
naturellement)  dans  la  formation  du  féminin,  et  qu'on 
puisse  écvirechate  comme  rate^  paysans  comme  cour- 
tisane, pâlote  comme  manchote,  sujète  comme  dis- 
crète,  etc. 

Au  mot  appeler,  Littré  dit  :  «  Dans  ce  verbe  l'Aca- 
démie exprime  par  ell  le  passage  de  l'e  muet  à  l'e 
ouvert  ;  ailleurs  elle  rend  ce  passage  par  é/,  comme 
dans  je  gèle  ;  il  serait  bien  utile  d'adopter  pour  tous  les 
cas  une  orthographe  uniforme.  »  En  attendant  que 
l'orthographe  uniforme  s'établisse,  on  doit  laisser  le 
chois  aus  élèves,  pour  tous  les  verbes  en  eler  et  en  eter, 


(1)  Cf.  Rcmœ  de  Philologie  française,  t.  iv,  p.  266  ot  t.  v,  p.  32. 

(2)  Cf.  frf.,  tome  iv,  page  2.3.5. 

(3)  Dans  ce  cas  il  vaut  miciis  ne  jamais  faire  l'accord,  car  on  ne  le 
fait  pas  quand  le  féminin  se  prononce  autrement  que  le  masculin. 
On  ne  dit  jamais  «  combien  j'en  ai  prises  !  » 


CIRCULAIRE    MINISTÉRIELLE  93 

entre  la  consonne  simple  et  la  consonne  double.  La 
consonne  simple  est  évidemment  préférable,  comme  à 
l'infinitif. 

L'Académie,  ce  que  beaucoup  de  personnes  ignorent, 
a  déjà  enregistré  la  graphie  par  un  seul  g  de  tous  les 
mots  commençant  par  le  préfixe  a  suivi  de  g.  Rien 
n'empêche  d'appliquer  la  même  simplification,  comme 
l'indique  M.  le  ministre,  de  l'Instruction  publique,  au 
même  préfixe  suivi  d'une  consonne  quelconque  :  alon- 
ger  comme  alourdir,  etc. 

La  circulaire  signale  un  bon  nombre  d'autres  mots  à 
consonnes  doubles  que  l'on  peut  simplifier  en  s'ap- 
puyant  sur  des  analogies.  Nous  ajouterons  avec  M.  Félix 
Hément,  inspecteur  général  de  l'instruction  jn'imaire, 
honeur  d'après  honorer  et  honorable,  doner  d'après 
donateur  et  donation,  et  avec  M.  Charles  Lebaigue, 
calote  d'après  capote,  tutèle  d'après  clientèle,  gi^eloter 
d'après  grig/ioter,  pensionat  d'txpres patronat,  personel 
d'après  colonel,  bariqae  comme  baril,  trape  comme 
chausse-trape,  folet  comme  folâtre,  millionaire  comme 
millionième. 

En  réalité,  il  y  a  là  une  réforme  générale  qui  s'impo- 
sera à  bref  délai  :  la  simplification  des  consonnes  dou- 
bles dans  tous  les  mots  où  elles  se  prononcent  simples(l). 
Cette  réforme  est  souhaitée  par  M.  Gaston  Paris. 
Elle  a  failli  être  appliquée,  il  y  a  quelques  mois,  dans 
un  journal  quotidien  de  Paris,  par  M.  Edouard  Hervé, 
membre  de  l'Académie  française.  M.  Hervé  n'a  renoncé 
(provisoirement)  à  son  proj('t  (|ue  faute  de  trouver  à  ce 
moment  un  autre  journal  qui  voulût  s'associer  à  sa 
tentative.  Mais,  comme  le  dit  M.  le  Ministre,  «  il  y  a 
toute  vraisemblance  que  d'ici  à  une  génération  ou  deux 
la  plupart  de  ces  bizarreries  auront  disparu.  Au  lieu 
d'inculquer  en  pareil  cas,  dans  l'esprit  de  l'élève,  l'idée 

(1)  Reruo  de  phllolorjie française,  tome  iv,  p.  241  et  suiv.et  315. 


94  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

d'une  règle  absolue  et  inviolable,  ne  vaut-il  pas  mieux 
lui  laisser  entrevoir  que  c'est  là  au  contraire  une  matière 
en  voie  de  transformation?  »  Quel  inconvénient  peut-il 
y  avoir  à  ce  que  nos  enfants  fassent  comme  nos  ancêtres, 
qui  écrivaient  clientèle  ou  clientelle,  noiwèle  ou  nouvelle 
avec  la  même  indifférence  que  nous  écrivons  aujour- 
d'hui/)a?eraz"^  payerai,  onpaîraif 

7.  L'orthographe  dans  l'enseignement  secon- 
daire. —  M.  le  Ministre  de  l'instruction  publique  dit 
qu'il  faut  «  tenir  compte  de  l'âge  des  élèves  ».  Est-ce  à 
dire  que  les  graphies  autorisées  par  la  circulaire  doivent 
être  interdites  à  un  certain  âge?  Assurément  non. 
Mais,  quand  l'esprit  de  l'élève  se  développe,  on  peut 
introduire  dans  les  exercices  grammaticaus,  —  en  évi- 
tant toujours  les  subtilités,  —  des  difficultés  de  langue 
que  l'on  doit  soigneusement  écarter  des  études  élémen- 
taires. Quant  aus  latitudes  dans  l'orthographe  des  mots, 
loin  de  les  restreindre  dans  l'enseignement  secondaire, 
on  devrait  bien  plutôt  les  étendre.  L'élève  peut  ne  pas 
ignorer  que  des  linguistes  dont  il  connaît  bien  les  noms, 
dont  il  a  les  ouvrages  entre  les  mains,  MM.  Michel 
Bréal ,  Marty-Laveaux,  Louis  Havet,  Charles  Lebaigue, 
Ferdinand  Brunot,  etc.,  se  sont  entendus  pour  adopter 
une  réforme  orthographique  dont  les  deus  points  prin- 
cipaus  sont  les  suivants  : 

1°  Substitution  de  l's  à  l'cZ'  final  valant  s,  ce  qui  a  le 
triple  avantage  de  conserver  la  graphie  latine  et  celle 
du  viens  français  et  de  noter  exactement  la  prononcia- 
tion actuelle  en  liaison  :  latin  légales,  viens  français 
loyaus,  prononciation  actuelle  loyaus  et. . . 

2°  Rétablissement  de  la  flexion  régulière  t  (conforme 
à  l'histoire  de  la  langue  et  à  la  prononciation)  à  la  3"  per- 
sonne sing.  de  l'indicatif  présent  de  tous  les  verbes  en 
/•<?  et  oif  :  il  s'assiet,  il prent. 

Supposons  qu'un  élève  de  l'enseignement  secondaire, 


CIRCULAIRE    MINISTÉRIELLE  95 

mis  au  courant  de  cette  réforme  par  son  professeur, 
l'applique  lui-même  clans  un  devoir  ou  dans  un  examen. 
Faudra-t-il  lui  compter  comme  fautes  des  graphies  que 
l'on  peut  lire  depuis  un  an  au-dessus  de  la  signature  de 
M.  Michel  Bréal  et  de  M.  Marty-Laveaux  ?  La  réponse 
n'est  pas  douteuse. 

Nous  n'avons  signalé  qu'une  partie  des  applications 
possibles  de  la  circuhiire  du  27  avril.  On  ne  connaîtra 
qu'à  l'usage  toute  l'étendue  de  ce  bienfait.  Il  n'était  que 
temps  d'enlever  à  notre  siècle  le  fâcheus  renom  qui  me- 
naçait de  lui  rester,  d'avoir  été  par  excellence  et  jus- 
qu'au bout  le  siècle  du  fétichisme  orthographique.  Si 
encore  notre  culte  s'était  adressé  à  une  orthographe 
logique,  bien  réglée,  respectueuse  de  la  vraie  tradition  ! 
Mais  c'était  précisément  le  contraire.  L'idole  que  nous 
adorions  n'était  pas  un  beau  marbre  bien  taillé,  c'était 
le  plus  grossier  assembhige  des  pièces  et  des  matières 
les  plus  disparates.  On  ne  voudra  pas  croire,  au  siècle 
prochain,  que  nous  ayons  été  astreints  à  des  exercices 
réitérés  pour  apprendre  la  règle  et  les  exceptions  du 
redoublement  des  consonnes  au  féminin,  pour  arriver  à 
écrire  tutelle  avec  deux  /,  clientèle  et  tutélaire  avec  une 
seule.  Sans  doute,  l'orthographe  ne  va  pas  devenir 
rationnelle  du  jour  au  lendemain.  Mais  c'est  un  progrès 
considérable  que  de  reconnaître  qu'elle  ne  l'est  pas 
encore,  et  de  la  remettre  à  la  place  modeste  qu'elle 
occupait  dans  les  siècles  précédents,  avant  le  coup  de 
fortune  extraordinaire  qui  l'a  portée  au  premier  rang 
des  connaissances  requises.  L'étude  de  la  langue  doit 
gagner  tout  ce  que  perdra  celle  des  minuties  orthogra- 
l)hi(|ues. 

L.  Clédat. 


L'ÉVOLUTION  PHONOGRAPHIQUE   DE   VOI  FRANÇAIS 


par 

D.  FERNANDO  ARAUJO 
Professeur  à  Tolède 


C'est  une  bien  curieuse  liistoire  que  celle  de  la  trans- 
tormation  de  la  combinaison  oi  (que  l'on  trouvait  jadis 
dans  tous  les  imparfaits  de  l'indicatif  et  dans  les  condi- 
tionnels des  verbes  français,  et  dans  des  mots  tels  que 
françois,  anglois,  paroître,  roicle,  monnoie,  etc.)  en  ai, 
telle  que  nous  la  trouvons  partout  aujourd'hui,  histoire 
aussi  curieuse  au  point  de  vue  de  l'évolution  phonique, 
depuis  le  son  primitif  6i  jusqu'au  son  actuel  è  qu'au 
point  de  vue  de  la  graphie,  tantôt  influencée  par  les  pré- 
tentions étymologiques,  tantôt  assujétie  aus  exigences 
de  la  prononciation.  Il  y  a  bien  des  gens,  même  érudits, 
qui  croient  encore  que  cette  réforme,  qui  souleva  tant  de 
contestations  et  de  si  vives  querelles  parmi  les  grammai- 
riens et  les  littérateurs  français  et  même  étrangers,  a  été 
une  réforme  proposée,  plus  ou  moins  arbitrairement, 
par  Voltaire  et  imposée  par  son  génie.  C'est  une  erreur  : 
Voltaire  n'a  pas  été  le  premier  à  proposer  une  telle  trans- 
formation dans  l'ortliographe  et  l'eût-il  été,  il  n'aurait  pu 
la  faire  réussir,  malgré  toute  son  autorité  et  toute  l'opi- 
niâtreté de  son  caractère,  si  elle  n'avait  pas  eu  de  pro- 
fondes racines  dans  la  langue  française  et  si  elle  n'avait 
pas  trouvé  une  atmosphère  toute  préparée  pour  son  dé- 
veloppement et  sa  réussite. 

Je  vais  essayer  de  retracer  l'intéressant  récit  de  cette 
évolution,  dont  j'ai  trouvé  les  preuves  tout  à  fait  éparses 
dans  toute  sorte  de  documents,  en  tcàchant  de  présenter 
au  lecteur  tout  l'ensemble  des  faits  et  des  opinions  qui 
s'y  rapportent,  pour  bien  faire  saisir  les  étroites  relations 
entre  la  phonique  et  la  graphie  dans  l'histoire  littéraire, 


KATJHîTION    DK    l'oI    FRANÇAIS  97 

et  pour  montrer  aussi  combien  d'elfoi'ts  ont  été  néces- 
saires, combien  de  luttes  il  a  fallu  engager  pour  pro- 
duire d'abord  la  métamorphose  d'un  seul  son,  et  puis  la 
métamorphose  du  signe  destiné  à  le  représenter  dans 
l'écriture.  Je  crois  rendre  un  petit  service  à  la  phonogra- 
phologie  historique  en  entreprenant  ce  travail  d'en- 
S'.mible  où  je  ne  compte  assurément  avancer  que  très 
peu  de  chose  de  nouveau,  mais  où  je  pourrai  redresser 
quelques  erreurs  qui  se  s'ont  glissées  un  peu  partout 
et  qui  ont  encore  cours,  et  où  je  m'efforcerai  surtout  de 
développer  d'une  manière  suivie  l'histoire  de  cette  ques- 
tion en  faisant  de  mon  micus  pour  qu'elle  puisse  être 
étudiée  sous  tous  ses  différents  rapports. 

Tout  le  monde  connaît  les  intimes  relations  de  parenté 
qui  existent  entre  la  langue  française  et  le  latin.  On 
discute  encore  et  on  discutera  peut-être  pendant  long- 
temps , quoique  ces  discussions  soient  déjà  tout  à  fait 
inutiles,  ayant  porté  tous  leurs  fruits  et  ayant  donné  des 
conclusions  presque  irréfutables)  si  le  latin  est  le  frère 
aine  et  le  français  le  cadet,  tous  deus  rejetons  d'une  tige 
commune,  ou  s'ils  ont  plutôt,  comme  le  veut  la  théorie 
classique,  des  liens  de  filiation  directe,  le  latin  étant  le 
père  et  le  français  le  fils,  de  même  que  l'espagnol,  le 
portugais,  l'italien  et  le  roumain,  avec  tout  l'ensemble 
de  langues  et  de  dialectes  compris  sous  le  nom  commun  de 
novo-latins  (1 1.  Quoi  qu'il  en  soit,  ce  qui  est  incontestable, 
c'est  le  fait  même  de  la  parenté.  Or,  comme  le  latin  a  eu 
un  développement  littéraire  bien  antérieur  à  celui  du 
français  (développement  auquel  est  vraisemblablement 
dû  l'empiétement  des  formes  latines  sur  les  gauloises  et 
la  perte  de  celles-ci,  du  moins  dans  le  langage  écrit,  le 
seul  qui  nous  ait  laissé  des  monuments  durables  et  au- 
thenti(iues),  il  nous  faut,  pour  éclairer  la  plupart  des 
questions  d'origine,  avoir  recours  au  latin,  parce  que  là 
seulement  nous  pouvons  trouver  des  témoignages  irré- 
futables sur  les  formes  originaires  des  mots  des  langues 
novo-latincs,  surtout. lorsque  ces  formes  sont  incontesta- 
blement dérivées  du  latin. 

(1)  jl.a  question,  ii  notre  avis,  n'est  pas  (lout(Hise.|  L.  C. 

RkVUE   de    PHILOLOfilE,    V.  "j 


98  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Cela  posé,  d'où  !a  forme  oi  est-elle  venue?  Si  nous 
laissons  de  côté  la  foule  de  cas  particuliers  qui  peuvent 
se  présenter  dans  des  mots  isolés  ou  dans  des  groupes 
très  peu  nombreus  de  mots,  il  faut  reconnaître  que  les 
sources  les  plus  importantes  de  la  combinaison  oi  du 
français,  sont  (1)  : 

1°  O  latin  -\-  i  :  cognôscere,  d'où  cognoistre,  connoistre  ; 
glôria,  d'où  gloire  ;  testimônium,  d'où  témoin. 

2°  t/"  latin  -\-  i  :  jânctum,  à'oxx  joint  ;  cdneum,  d'où  coin  ; 
pùnctum,  d'où  point  ;  angûstiam,  d'où  angoisse. 

3*^  Au  latin  -}-  i  :  âudio,  d'où  oie;  gàudia,  d'où  joie; 
clàustruni,  d'où  cloistve.  cloitfe. 

4°  E  latin  -1-  i  :  crèscere,  d'où  cveistre,  croître  ;  hahé- 
bani,  [régein,  d'où  roi),  d'où  aveie,  avoie  ;  monétam,  d'où 
monneie,  nionnoie;  crédere,  d'où  creire,  croire  ;  francénsis, 
d'où  franceis,  français. 

5°  /latin  -\-  i  :  rigidus,  d'où  roide  :frlgidus,  d'où  froid; 
Franciscus,  d'où  François. 

Quel  était  le  son  originaire  représenté  par  la  combi- 
naison oklans  tous  ces  divers  cas  ?  Après  les  concluantes 
recherches  des  savants  romanistes  qui  ont  jeté  tant  de 
jour  sur  la  phonétique  du  moyen  âge,  on  peut  aujourd'hui 
affirmer  sans  hésitation  que  le  son  primitif  de  la  combi- 
naison oi  était  celui  de  o  +  ^  en  portant  l'accent  sur  \'o  -. 
ôi.  Si  l'on  nous  demandait  des  preuves,  nous  donnerions 
comme  telles  :   r  Les  anciennes  rimes  ;  c'est  ainsi  que 

(1)  Four  la  provenance  particulière  de  l'o  et  de  Yi  du  groupe  oi, 
voyez  surtout  Ross.mann  Fransôsisches  -oi.  Nous  ne  voulons  aucu- 
nement épuiser  l'analyse  des  sources  de  la  combinaison  oi,  et  nous 
donnons  les  cinq  origines  signalées  dans  le  texte  comme  quelques- 
unes  des  plus  générales,  mais  par  voie  d'exemple  seulement,  car  il 
y  en  a  bien  d'autres.  Nous  ne  descendons  pas  non  plus  aus  détails 
de  la  quantité  et  de  la  tonicité  des  sons  originaires,  parce  que  tout 
cela  nous  éloignerait  du  but  que  nous  nous  sommes  proposé.  11  nous 
suffit  de  quelques  indications  sommaires  sur  la  provenance  de  Voi  et 
rien  de  plus.  Le  problème  que  nous  allons  étudier  n'est  que  celui  des 
diverses  transformations  que  la  prononciation  et  l'écriture  de  Voi  a 
subies,  en  partant  de  l'existence  de  Voi  même,  établie  par  les  faits 
linguistiques. 


ÉVOLUTION    DE    l'oi    FRANÇAIS  99 

nous  voyons  dans  les  rimes  imparfaites  ou  en  assonance 
des  vieilles  poésies,  home  rimer  avec  reconomsent  dans 
Y  Alexis  ;  anrjoisset  avec  tonient  dans  Roland  ;  joie  avec 
close  dans  le  Voyage  de  Cliarlemague  ;  coist  avec  tosl  dans 
VEulalie  ;  estoires  avec  cordes  dans  Jourdain  de  Blaivies  ; 
esloire  avec  /b;re  dans  Ave  d'Avignon,  etc.  (1).  2°  L'exis- 
tence de  Vo  tonique  dans  les  langues  novo-latines,  sœurs 
du  français  :  istôria,  glôria,  Victoria,  testimônio,  co- 
7i6zco,  etc.  3'^  La  prononciation  dans  les  langues  étran- 
gères des  mots  pris  de  l'ancien  français  :  adroit,  noice, 
voice  en  anglais  ;  proi,  tornoi,  vol  en  moyen  néerlandais  ; 
sc/ioj/e,  poinder,  boie  en  moyen  haut-allemand;  po/j,  Wonfpoi 
Kpôofi'ji  en  grec,  etc  (2).  4"  La  condensation  dialectale  de 
oi  en  ô  :  crû  de  crois,  étô  cVétoit,  srô  de  seroit  (3).  5°  Les 
quelques  mots  qui,  dans  le  langage  actuel,  s'écartent 
encore  de  la  prononciation  courante,  et  où  l'on  conserve 
les  traces,  plus  ou  moins  effacées,  de  la  prononciation 
primitive  :  encoignure,  oignon,  foyer,  poignard,  etc.  (4). 

Il  faut,  cependant,  donner  à  cette  affirmation  de  la 
prononciation  de  l'ancien  oi  le  sens  le  plus  large,  sans 
tenir  compte  ni  des  nuances  de  cette  prononciation,  ni 
des  formes  dialectales  qu'elle  a  pu  revêtir  et  qui,  au- 
jourd'hui même,    pourraient   nous   fourvoyer  si  nous 


(1)  Voyez  Nkumann,  Zur  Laut-und  Fleœlonslehre  des  Altjransô- 
sischon. —  Lûcking,  Die  âltesten/'ransôsiscjien  Mundarten. —  Sievers, 
Grundzuf/e  der  Phoiiétih. — Rossmann,  Fransôsischcs  oi. —  Lùtgenau, 
Ausspraclio  des  Fransôsischen.  —  Diez,  Graniinatik  der  romanischen 
S/irae/ien.  Voyez  aussi  les  travaus  de  Gaston  Paris,  Paul  Meyer, 
Grôber,  Willenberg,  Schuchardt,  etc.dansla /Î07?ia7ifa,  la  Zcitsr/iri/t 
et  les  Roinanlsche  Studien. 

(2)  Voyez  Dikz,  Graininatik  der  romanlsflien  Spraelicii  :  «  Dans 
le  néerlandais  talioor  (tailloir)  ou  kantoor  (comptoir),  dans  notre 
Framose  ou  dans  l'italien  Franrioso,  Vi  s'est  perdu  tout  entier  dans 
la  voyeUe  dominante  «  (traduction  d'Aug.  Brachet  et  G.  Paris). 

(3)  Voyez  Diez,  o/;.  cit. 

(4)  Pour e/ico/r/rtu/'C  (qui nous  renseigne  sur  la  proiionriation  de  coin., 
laquelle  nous  sert  à  son  tour  pour  rétablir  celle  de  ces  similaires, ,/bm, 
besoin,  témoin,  loin)  on  voit  bien  que  l'accent  porte  sur  l'o  et  que  IV, 
tout  à  fait  absorbé,  n'est  (pi'un  signe  graphique  ;  pour  foyer  et  ses 
similaires  on  sait  bien  qu'à  côté  do  la  prononciation  fœa-iè,  il  y  a 
celk'  do /b-t('.  Voyez  Girault-Duvivier,  Lan<lais,  Lilti'é.  Diez,  etc. 


100  UEVliE    DE     PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

tenions  à  les  faire  rentrer  toutes  dans  notre  tableau  (1)  ; 
chacune  de  ces  formes,  de  même  que  chacun  des  cas  par- 
ticuliers qui  se  présenteront  (2)  a  une  explication  et  une 
histoire  spéciale  qu'il  nous  faut,  en  règle  générale,  né- 
gliger pour  ne  pas  sortir  de  la  tâche  que  nous  nous 
sommes  imposée,  ce  qui  nous  mènerait  trop  loin  ;  nous 
allons  droit  à  notre  but  sans  nous  laisser  arrêter  par  des 
détails  négligeables  qui,  somme  toute,  ne  sauront  jamais 
porter  nulle  atteinte  à  notre  doctrine  (3). 

En  partant  de  la  prononciation  6i,  on  peut  avancer 
avec  Rossmann,  pour  déterminer  la  série  évolutive  de  ce 
son  et  l'époque  où  chaque  transformation  a  eu  lieu  que, 
au  commencement  de  la  seconde  moitié  du  \if  siècle, 
01  était  prononcé  généralement  6i  (4),  dans  le  dernier 
quart  du  même  siècle  pi{5),  et  au  commencement  du 
xni^  siècle  6i  (6)  ;  en  sorte  que  l'évolution  commencée 


(1)  Pour  ne  pas  citer  d'autres  exemples,  je  me  contenterai  de  rap- 
porter le  fait  de  la  prononciation  des  oi  dans  les  diSérents  cantons 
d'un  seul  département  de  la  Haute-Bretagne  (Côtes-du-Nord)  :  noir 
par  exemple,  tantôt  est  nâ,  tantôt  nô,  tantôt  np  (v.  Sébillot,  Reçue  de 
ling.  et  de  phil.). 

(2)  Telles  sont,  par  exemple,  les  formes  rimées  bai-un,  puign,  raisun, 
suign,  bastun,  juint,  respunt,  Juindre  de  la  C/ianson  de  Roland;  le 
mélange  dans  beaucoup  de  documents  de  ol  avec  ui  :  noit.  nuit 
(Chanson  de  Roland)  la  transformation  de  corium  en  cuir  et  de 
moriam  en  tnuir,  à  côté  de  memôrie  mémoire  de  mémoriam  et 
virtôrie  victoire  de  ôictoriam  ;  la  graphie,  la  phonétique,  l'histoire  de 
ces  faits,  et  de  pas  mal  d'autres,  qui  leur  ressemblent,  s'expliquent 
parfaitement,  et  nul  d'eus  n'infirme  la  valeur  ôi  de  l'ancien  oi. 

(3)  Les  signes  que  nous  allons  employer,  tout  à  fait  conventionnels, 
servent  à  exprimer  autant  de  nuances  de  la  prononciation  des  élé- 
ments phonétiques  de  l'ai.-  L'p  marque  l'o  fermé  du  mot  eau  ; 
o  ou  ô,  l'o  ouvert  de  port  ;  ô  le  son  d'un  eu  fermé,  tel  que  celui 
de  peu,  et  1'^'  celui  d'un  eu  ouvert,  tel  que  celui  de  peur  ;  o  est  plus 
ouvert  encore  ;  de  même  l'e  n'est  qu'un  e  fermé  (et)  et  l'e  un  e  ouvert 
{est)  ;  l'accent  aigu  servant  à  marquer  la  voyelle  tonique. 

(4)  Aboit,  amoit  dans  Jourdain  de  Blavies  ;  poi,  anoi,  oie,  aljoic  dans 
Le  Roman  d'Alixandrc  ;  anoie,  oie,  dans  Renaut  de  Montauban  ; 
voyez  Rossmann,  Fransôsisches  ci. 

(5)  Osteroie,joie,  cstoient,  oient,  voire,  estoire.  dans  le  Petit  Graal; 
joie,  coie  dans  le  Chevalier  au  lyon. 

(6)  Nois,  crois,  dansMaynet;  crois,  rois  dans  Gaydon;  cois,  crois 
dans  Gauficv. 


ÉVOLUTION    DE    LOI    FRANÇAIS  101 

dans  le  xii°  siècle  et  finie,  pour  la  première  phase  de  la 
transformation,  au  commencement  du  xni',  a  revêtu 
trois  formes  successives  :  f^oi;  2«  6i\  3°  ôi.  Dans  le 
xnf  siècle,  on  trouve  les  trois  oi  mélangés  les  uns  avec 
les  autres  (1),  mais  61,  qui  est  le  dernier  de  la  série,  gagna 
le  dessus  à  la  fin  sur  tous  les  autres.  Le  trait  caractéris- 
tique de  cette  première  phase  de  l'évolution  est  la  con- 
servation de  1'/  atone  et  de  la  tonicité  de  Vo. 

Gomment  se  fit  alors  le  changement  de  oi  arrivé  à  6i, 
en  pe  ?  Rossmann  i2)  explique  ce  fait  par  l'assimilation 
progressive ,  tandis  qu'Ulbrich  (3)  donne  d'abord  le 
changement  d'o  en  o  et  d'/  en  ô  d'où  il  tire  après,  par 
dissimilation,  la  forme  oe;  pour  moi  l'explication  en  est 
moins  obscure  et  c'est  à  l'influence  de  l'accent  que  j'at- 
tribue raff"aiblissement  de  la  palatale  i  dans  la  gutturo" 
palatale  e  ;  gloire  devient  glôere,  estait  estôet  parce 
que  d'abord  la  tonicité  de  Vo  tent  à  eff'acer  la  sonorité 
de  Vi  et  après  le  caractère  gutturo-labial  de  Vo  amène  la 
transformation  de  la  palatale  i  qui  n'a  rien  de  commun 
avec  Vo,  en  la  gutturo-palatale  e  ;  l'assimilation  est 
l'effet  de  la  tonicité  et  rien  de  plus.  Pour  la  détermina- 
tion du  son  de  cet  oe,  je  suis  d'accord  avec  Ulbrich  ;  seu- 
lement je  crois  que  le  changement  de  ôi  en  ôo  ne  s'est 
pas  fait  sans  transition  et  il  faut  admettre  entre  ces  deus 
sons  un  autre  son  intermédiaire,  un  ôe\  gloire  devient 
d'abord  glôere  ;  mais  comme  l'apparition  de  cet  e,  par 
l'influence  de  la  tonicité  de  Vo,  introduit  dans  la  combi- 
naison oi  un  élément  guttural  commun,  et  comme  l'ato- 
nicité  de  Ve  rendait  par  trop  obscure  sa  prononciation  à 
côté  de  celle  de  Vo,  il  se  produit  un  phénomène  assez 
naturel  :  celui  de  l'assimilation  réciproque  de  Vo  et  de 
l'é"  qui  transforme  pour  ainsi  dire  instantanément  ot^  en 


(1)  Courtois,  poirs,  mois,  oirs,  François,  cois,  rodais,  nois,  crois, 
dans  Maynet;,/ptJ,  cois,  Moine  poino  dans  le  Roman  du  Renart;  crois, 
oi,  cois,  ai,  ôi  dans  Gaydon,  connoist,  croist,  côist  dans  Le  Chccalicr 
as  deus  espées.  Voyez  Rossmann,  d'où  j'ai  tiré  tous  ces  exemples. 

(2)  Framôsischos  ni.  Cette  évolution  se  fit  d'abord  dans  l'intérieur 
des  mots,  et  puis  dans  les  terminaisons. 

(3)  Zeitschri/tjur  romanisc/ic  P/iilolo'jic,  m. 


102  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

ôo,  glôere  en  glôore.  Je  crois  trouver  les  traces  bien  sen- 
sibles de  cette  prononciation  même  à  côté  des  autres 
degrés  de  l'évolution,  dans  des  mots  tels  que  mo  (moi),  to 
(toi),  vor  (voir),  savor  (savoir),  espor  [espoir],  droture  (droi- 
ture), du  Dialogus  anime  ;  enmenot,  portot,  coiilot,  de  Li 
Romanis  VAlixandre;  et  dans  les  rimes  comme  parole, 
estoile,  Aucheurre  voirre,  d'Adam  de  la  Halle,  ou  moeve 
apercoeve,  noeve  recoeve  du  Roman  de  la  Rose,  et  même 
soef,  œf,  de  Villon. 

En  tout  cas,  cet  oe  [ôo)  ne  tarda  pas,  après  avoir  pro- 
duit l'avancement  de  l'accent,  à  développer  un  oé,  qui 
constitue  le  couronnement  de  la  seconde  phase  de  l'évolu- 
tion de  Voi:  61,  ôe,  oo,  ôo,  o  long,  oé,  caractérisée,  comme 
on  vient  de  voir,  par  le  changement  de  l'élément  palatal 
i  par  un  autre  élément  gutturo-palatal  qui  parvient  à 
l'emporter  sur  l'élément  gutturo-labial,  qui  devient  à  la 
fin  atone.  L'avancement  de  l'accent  était  la  conséquence 
nécessaire  de  cette  nouvelle  évolution,  étant  donnée  la 
tendance  de  la  langue  française  à  porter  le  ton  sur  les 
sons  terminaus,  par  l'assimilation  réciproque  des  élé- 
ments phonétiques  de  la  combinaison  arrivés  à  l'état  de 
OO,  qui  donnait  à  peu  près  o  long,  d'où,  par  euphonie  oé. 
Rossmann(l)  explique  le  changement  de  ôe  en  oé  par  la 
loi  de  l'aptitude  sonnante  des  voyelles  de  Sievers  (2). 
Suivant  cette  loi,  une  voyelle  est  d'autant  plus  sonore 
qu'elle  est  plus  prochaine  de  Va  dans  l'échelle  des  sons  ; 
Va  est  donc  posé  comme  le  son  le  plus  sensible,  et 
l'échelle  de  sonorité  est  établie  comme  il  suit  : 


La  voyelle  donc  qui  soit  le  plus  proche  de  Va,  c'est-à- 
dire  la  plus  gutturale,  dans  une  diphtongue,  celle-là  sera 
la  plus  sonore,  et  l'accent  se  portera  sur  elle  dès  le 
moment  où  un  mot  quelconque  qui  la  renferme  rentrera 

(1)  RossMANN,  Fransôsischcs  oi. 

(2)  Sievers,  Gundsûgcn  dcr  Phonctik. 


ÉVOLUTION    DE    LOI    FRANÇAIS  103 

dans  le  parler  commun  et  courant,  pourvu  pourtant 
qu'un  des  éléments  de  la  diphtongue  doive  porter 
l'accent.  «  Tel  était  le  cas  —  dit  Rossmann  —  dans 
l'évolution  historique  de  Vôi  ;  après  qu'il  eut  avancé 
jusqu'à  ôe,  l'accent  dut  se  porter  sur  Ve  parce  que  Ve  a 
plus  d'aptitude  sonnante  que  Vo  ».  Cette  explication  vient 
à  l'appui  de  la  nôtre  et  ne  s'oppose  nullement  à  rien  de  ce 
que  nous  venons  de  dire.  Le  déplacement  de  l'accent  de 
ôo  était  exigé  par  le  génie  de  la  langue  française  ;  il  restait 
à  savoir,  oo  devenu  o  long,  laquelle  des  deus  voyelles, 
lequel  des  deus  sons  contenus  dans  o  long,  le  gutturo-labial 
0  ou  le  gutturo-palatal  e,  aurait  le  dessus  et  l'emporterait 
sur  l'autre  dans  le  développement  euphonique  diphton- 
gue de  o  long;  la  plus  grande  sonorité  de  Ve  l'emporta,  et 
0  long  devint  pé;  c'est  du  moins  notre  avis,  et  il  nous 
semble  que,  en  outre  de  sa  conlormité  avec  les  faits,  cette 
explication  est  aussi  claire  que  possible. 

La  période  où  le  déplacement  de  l'accent  sur  Ve  devint 
général  fut  la  seconde  moitié  du  xiif  siècle,  et  la  valeur 
phonique  oé  s'est  maintenue  après  pendant  longtemps, 
et  elle  est  parvenue,  quoique  à  titre  d'exception,  jusqu'à 
nos  jours.  Pour  cette  transformation,  comme  pour  toutes 
les  autres,  il  faut  avertir  que  la  date  fixée  ne  veut  nulle- 
ment dire  qu'à  une  telle  époque  se  soit  produit  un  chan- 
gement quelconque  d'une  manière  tranchée  et  définitive, 
tellement  que  ni  les  formes  antérieures  ne  se  soient 
conservées,  ni  ce  même  cliangement  n'ait  eu  des  précé- 
dents avant  l'époque  indiquée  ;  ici,  comme  partout 
ailleurs,  il  y  a  lieu  d'appliquer  et  de  reconnaître  la 
vérité  de  la  maxime  latine  natura  nihil  fecit  per  sallum  : 
à  côté  d'une  forme  générale  quelconque,  il  y  en  a  toujours 
d'autres  qui  restent  à  l'état  de  patois,  de  dialectes,  de 
faits  particuliers  tant  que  les  conditions  du  milieu  où 
elles  se  produisent  ne  sont  pas  favorables  pour  leur  déve- 
loppement; mais  aussitôt  que  ces  conditions  du  milieu 
viennent  à  changer,  telle  forme,  jusque  là  étouffée  et 
délaissée  sinon  proscrite  et  défendue,  prent  de  l'essor 
et  de  la  vie,  revendi([ue  ses  droits  à  l'existence  littéraire, 
gagne  peu  à  peu  du  terrain  dans  le  domaine  du  langage, 


104  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

aus  dépens  des  autres  formes  similaires  qui  vieillissent 
et  tendent  à  disparaître,  d'autant  plus  que  la  nouvelle 
forme  se  répant,  et  devient  à  la  fin  la  seule  admise  et 
honorée  par  l'usage.  Il  faut  bien  se  pénétrer  de  la 
manière  dont  ces  évolutions,  apparemment  si  capri- 
cieuses, s'accomplissent,  pour  ne  pas  tomber  en  erreur 
quand  on  trouve  une  date  quelconque,  même  indiquée 
vaguement  par  un  siècle,  demi-siècle  ou  quart  de  siècle, 
assignée  à  une  des  étapes  de  telle  ou  telle  évolution. 

Après  cet  avertissement,  que  nous  avons  cru  néces- 
saire pour  bien  fixer  la  porlée  de  nos  opinions,  nous 
devons  donner  des  preuves  de  la  dernière  transformation 
subie  par  oi  et  que  nous  venons  d'étudier;  ici  nous. 
n'avons  que  l'embarras  du  chois  :  le  Roman  de  Renart 
nous  donne  les  rimes  croire-fere,  vet-exploit,  convoite- 
jete,  etc.  ;  le  Roman  de  la  Rose  nous  fournit  f  aie-joie, 
engoissent-lessent,  paroir-air,  etc.  ;  Rutebeuf  raine-cha- 
noine, moine-enmaine,  etc.  ;  Gautier  de  Coincy  celes- 
apostoiles,  cloistre-estre,  poire-faire,  etc.  ;  Geffroi  de  Paris 
estre-connoistre,  estoile-novelle,  etc.  ;  Christine  de  Pisan 
aise-poise,  convoite-sou ff'rete,  vraies-proies,  etc.  ;  Charles 
d'Orléans  avoine-Touraine,  plaine-avoine,  etc  ;  Villon 
Saint  Antoine-Seine,  fenestres-cloislres,  testes-boytes,  etc.; 
Marot  sot'f  (suavis)  —  so//'(sitis),  reine- Antoine,  mémoire- 
repaire,  etc.  Pour  les  temps  qui  suivent,  les  témoignages 
formels  des  grammairiens,  surtout  de  ceus  qui  donnent 
la  prononciation  figurée  des  mots  et  de  ceus  qui  pré- 
tendent réformer  l'orthographe  en  l'accordant  avec  la 
phonétique,  ne  laissent  nul  doute  sur  la  valeur  oè  de  oi, 
là  où  cette  valeur  s'était  encore  conservée  (1)  ;  nous 
reviendrons  sur  ces  témoignages  quand  nous  aurons  à 


(1)  Voyez,  Meigret,  Le  Trettecle  la  Grammaire  françoesc  ;  Perion, 
De  linguœ  r/allicœ  origine ;lîi\yw s,  Gramere;  Henri  Estienne,  Deuœ 
dialogues  du  nouceau  langage  françois  italianisé;  Pelletier,  Dialo- 
gue de  l'Ortografe  e  prononciation  /rançoesa  ;  Baif,  Etrenes  de  poésie 
françoese,  etc.  Voj^ez  aussi  Livet,  La  Grammaire  et  les  grammai- 
riens du  seizième  siècle;  Quiciierat,  Traité  de  versification  fran- 
çaise ;  Darmesteter,  Le  seisième  siècle  en  France;  Didot,  Obserca- 
tions  sur  l'orthographe  ou  orthographie  française. 


ÉVOLUTION    DE    LOI    FRANÇAIS  105 

étudier  l'évolution  graphique  de  l'o/  où  ils  nous  serviront 
de  guides. 

Revenons  maintenant  sur  nos  pas  :  oi,  devenu  oé,  va 
désormais  suivre  une  double  <lirection  :  dans  un  sens  il 
va  devenir  oâ,  dans  un  autre  il  se  transformera  en  e. 
Pour  bien  comprendre  cette  double  transformation,  rap- 
pelons-nous les  diverses  sources  de  la  combinaison  oi, 
et  arrêtons-nous  sur  Yei  de  l'ancien  français,  provenant 
en  général  d'un  e  long  latin  ;  c'est  la  source  la  plus 
féconde;  parmi  les  formes  qui  en  découlent,  se  trouvent 
tous  les  imparfaits  de  l'indicatif  et  tous  les  conditionnels; 
l'exceptionnelle  importance  de  ce  groupe  de  formes,  tant 
par  leur  nombre  que  par  la  fréquence  de  leur  emploi, 
mérite  d'arrêter  nos  regards  d'une  manière  tout  à  fait 
spéciale. 

Nous  savons  que  les  terminaisons  des  imparfaits  latins 
étaient,  suivant  les  conjugaisons,  abam,  abas,  abat  ou 
ebam,  dms,  ébat  :  amàbam,  amâbas,  amàbat;  mouébam, 
monébas,  monébat  :  lerjébam,  legébas,  kg  ébat  ;  audiébam, 
audiébas,  aurliébat,  formes  toutes  toniques,  qui  portaient 
l'accent  sur  r«ou  sur  Ve  qui  précédait  le  b.  L'obscurcis- 
sement de  Va  d'abam^  abas,  abat,  produisit,  dans  les 
dialectes  dérivés  du  latin  parlés  en  France,  la  confusion 
des  deus  formes,  et  il  ne  resta  que  la  terminaison 
ébam,  ébas,  ébat  pour  servir  de  point  de  départ  à  l'évo- 
lution que  le  français  devait  accomplir  en  prenant  les 
formes  latines  pour  constituer  ses  conjugaisons.  Les 
divers  dialectes  de  la  langue  française  nous  donnaient, 
à  côté  des  terminaisons  latines,  les  formes  que  voici  : 
i"  Une  forme  en  éve,  éves,  éve{\)  correspondant  générale- 
ment aus  verbes  latins  en  al)am,  abas,  et  appartenant 
surtout  à  quelques  variétés  dialectales  du  nord-est  {cluui- 
tève,  c/iantèves,  cliantève;  taisève,  taisèves,  taisève).  2"  Une 
autre  forme  en  eie,eics,  eiet  ou  eU,  correspondant  surtout 

(1)  Chassang,  Bruuot,  Clôdat,  etc.  Le  professeur  Stengel,  en  corri- 
geant les  épreuves  de  cet  article  dans  sa  première  rédaction,  veut 
que  celte  forme  des  imparfaits  soit  rendue  par  éec,  écet^,  ère  plutôt 
que  par  èce,  èces,  ècc.  Voyez  aussi  LiicKiNG,  Die  àltcstcii  fransô- 
sisc/ien  Mundartcn,  et  Neu.mann,  Zur  Laut-Und  Fleaeionslchrc  des 
Altjranz-ô2i!<chcii.  —  [  11  faut  en  effet  ôcc]  L.  C. 


106  REVUE  DE  PHILOLOGIE  FRANÇAISE 

aus  verbes  en  ebam,  ebas,  ébat,  et  appartenant  principa- 
lement ans  dialectes  de  la  Normandie  (aveie,  aveies,  aveit; 
esteie,  esteies,  estnct  ou  esteit).  3°  Une  forme  en  6i,  ois, 
ait,  appartenant  aus  parlers  de  la  Picardie  et  de  la  Bour- 
gogne (chantoi,  chantois,  chantait  ;  avoi,  avais,  avait)  avec 
quelques  variantes  plus  ou  moins  marquées,  suivant  que 
Va  était  plus  ou  moins  ouvert  ou  labial,  ou  que  1'/  se  rap- 
prochait plus  ou  moins  de  Ve. 

Qu'arriva-t-il  dans  la  lutte  engagée  par  ces  diverses 
formes  les  unes  contre  les  autres  pour  avoir  le  dessus, 
tant  dans  le  langage  des  écrivains  et  de  la  cour  que  dans 
celui  des  gens  illettrés  ?  Ce  qui  arrive  dans  toutes  les 
luttes  :  l'adversaire  le  plus  tort  remporta  la  victoire.  Or 
comme  la  forme  phonique  la  plus  forte  était  celle  en 
ai,  oLs,  oit,  suivant  la  loi  de  sonorité  de  Sievers,  et  que 
d'ailleurs  l'Ile-de-France  était  alors  très  influencée  par 
la  Bourgogne,  voilà  tout  naturellement  adoptée  la  pro- 
nonciation picarde  et  bourguignonne  (I)  comme  la  plus 
correcte,  de  même  que  l'était  aussi  l'orthographe  en  oi, 
par  analogie  avec  des  mots  comme  crais,pais,  qui  avaient 
le  même  son,  et  acceptées  partout  les  formes  chantoi, 
avois,  rompait  {'2,),  qui  se  prononçaient  à  peu  près  (l'évo- 
lution de  pi  en  oé  étant  une  fois  accomplie)  chantaè,  avaè, 
rampaè,  en  glissant  tout  vite  sur  l'o,  légèrement  teint  en 
oUj,  c'est-à-dire  en  déplaçant  l'accent  originaire  qui, 
porté  d'abord  sur  Vo,  d'après  ce  que  nous  avons  exposé 
plus  haut,  s'avança  à  la  fin  sur  1'^^  en  étouffant,  ou  à  peu 
près,  Vo  précédent.  De  cette  prononciation  de  la  combi- 
naison graphique  oi,  dont  nous'pouvons  aisément  suivre 
les  traces  parfaitement  conservées  à  travers  les  écrits  de 
Palsgrave,  Meigret,  Pelletier,  Périon,  Bamus,  Baïf,  Pas- 
quier  et  Bèze  dans  le  xvi^  siècle,  et  de  Poisson,  Simon, 
Godard  et  Somaize,  parmi  d'autres,  dans  le  xvn^  nous 
avons  encore  des  débris  dans  des  mots  tels  que  coin,  foin, 
loin,oii  Voi  se  trouve  influencé  par  le  n,  et  chacun  sait  que 
dans  les  campagnes  des  environs  de  Paris  et  ailleurs,  on 

(1)  Voyez  DiEZ.  Grammntil,-  <lcr  rotnanii'chen  Spraclten.  —  Bonn. 
-1856-60  (2'-  édit.). 

(2)  Parfois  écrites  c/iantoi,  ami,  roinpoi,  etc.,  parfois  chantoir, 
a  cote   rompoie. 


ÉVOLUTION    DE    LOI    FRANÇAIS  107 

dit  encore  aujourd'hui  la  foc  pour  la  foà,  le  roè  pour  le 
roà,  etc.  Si  nous  ajoutons  que,  par  une  fausse  orthographe 
introduite  lorsqu'on  avait  perdu  le  bon  sens  linguistique, 
s'il  nous  est  permis  de  nous  exprimer  de  la  sorte,  on  prit 
l'habitude  de  faire  finir  les  premières  personnes  du  singu- 
lier des  imparfaits  de  l'indicatif  par  un  s  (1),  et  que  toutes 
ces  transformations  se  sont  appliquées  nécessairement 
aus  conditionnels  (qui  ne  sont  que  les  composés  syn- 
copés des  infinitifs  et  des  imparfaits  :  pavlcr-avois  = 
parler-ois  ;  ftnir-avoit  =  finiv-oit  ;  rendre-avoit  =  rendr- 
oU),  nous  voilà  arrivés  à  l'orthographe  uniforme  des 
mots  et  des  flexions  en  oi  pour  la  représentation  du  son 
oê  :  chaniois,  chantewis,  connoistre,  français,  lois,  mon- 
noics,  roide. 

Jusqu'ici  nous  ne  nous  sommes  pas  occupé  de  l'évolu- 
tion graphique,  parce  que  jusqu'à  l'invention  de  l'im- 
primerie cette  évolution,  par  le  manque  de  règles  encore 
non  formulées,  était  généralement  laissée  à  l'arbitraire 
des  copistes,  et  chacun,  suivant  ses  goûts,  son  éducation 
ou  ses  préjugés,  employait  une  orthographe  fantaisiste, 
tantôt  modelée  sur  les  manuscrits  latins,  tantôt  réglée 
par  la  prononciation,  plus  ou  moins  correcte,  de  celui 
qui  en  faisait  usage,  tantôt  enfin,  ce  qui  était  assez 
fréquent,  bizarrement  éclectique,  ici  écrivant  un  mot 
d'une  façon  et  là  le  rendant  d'une  autre,  sans  règle  ni 
logique.  Mais  dès  le  moment  où  nous  approchons  de 
l'invention  de  l'imprimerie  qui,  par  l'exacte  reproduc- 
tion des  exemplaires,  allait  fixer  l'orthographe  et  répan- 
dre ses  principes  dans  le  grand  public,  en  agissant  d'une 
manière  aussi  directe  que  puissante  sur  l'éducation  litté- 
raire, tantôt  subissant  l'influence  de  la  prononciation, 
tantôt  réagissant  sur  la  prononciation  elle-même,  nous 
ne  pouvons  plus  laisser  de  côté  l'étude  de  l'évolution 
graphique,  et  nous  devons  rendre  compte  des  efforts 
tentés  i)ar  les  écrivains,   grammairiens  ou  litléraleurs 

(1)  Voy.  SucHiEiî,  traduit  par  Monht,  Le  Français  et  If  Prorenral, 
p.  100.  L'iiitroductioii  de  ce  «  dans  les  premières  personnes  date  du 
XIV  siècle;  on  a  tellement  perdu  le  sens  étymologique  dos  formes  do 
la  première  personne,  qu'on  a  cru  que  les  formes  croi,  roi,  etc.,  sont 
des  licences  poétiques. 


108  REVUE  DE  PHILOLOGIE  FRANÇAISE 

pour  modifier  rorthographe,  d'autant  plus  que  ces 
efforts,  visant  toujours  à  mettre  d'accord  l'écriture  avec 
la  prononciation,  viennent  tout  exprès  à  notre  aide 
pour  nous  éclairer  dans  notre  voie  et  pour  nous  fournir 
de  précieus  renseignements  aussi  précis  que  possible 
sur  les  variations  de  la  prononciation  (1). 

Deus  siècles  environ  s'étaient  écoulés  depuis  la  géné- 
ralisation de  pe,  et  cette  prononciation,  de  même  que  le 
système  graphique  qui  en  rendait  compte,  avait  dominé 
presque  sans  contestation  pendant  tout  ce  temps  dans 
le  langage  français.  On  trouvait,  il  est  vrai,  plusieurs 
nuances  de  prononciation  entre  le  son  oe  de  certains 
cantons  du  Nord-Ouest  et  le  son  oà  dont  le  Père  Buffier(2) 
se  plaignait  encore  au  commencement  du  xvnr  siècle, 
lorsqu'il  constatait  que  c'était  la  prononciation  commune 
à  Paris  «  même  parmi  d'honnêtes  gens  ».  Il  n'en  est  pas 
moins  vrai  que  partout,  au  Nord  comme  au  Midi,  on 
écrivait  par  oi  toutes  les  terminaisons  des  imparfaits  de 
l'indicatif  et  conditionnels,  des  adjectifs  de  nationalité, 
des  verbes  en  oistre  et  de  pas  mal  de  substantifs  où  l'on 
entendait  le  son  oé  ci-dessus  cité,  tels  que  monnoie, 
gloire,  ainsi  que  d'adjectifs  tels  que  foible,  roide.  etc.  Ce 
fut  l'époque,  passez  le  mot,  du  monopole  grapho-pho- 
nique  de  Voi  =  oé  dans  le  français  (3). 

(1)  La  partie  vraiment  originale  et  nouvelle  de  notre  étude  est  pré- 
cisément cette  évolution  graphique  dont  nous  parlons,  tout  ce  qui 
précède  n'étant  réellement  qu'une  espèce  d'introduction  à  l'exposé  des 
efforts  tentés  par  les  écrivains  pour  mettre  d'accord  la  graphie  avec 
la  phonétique.  Nous  tenons  à  déclarer  que  si  pour  l'évolution  phoné- 
tique nous  ne  faisons  en  général  que  répéter  (non  sans  quelques 
doutes,  et  en  nous  réservant  pour  une  autre  occasion  le  droit  de  con- 
trôler les  faits  et  de  rectifier  les  thèmes)  ce  que  d'autres  ont  déjà  dit, 
pour  l'évolution  graphique  notre  travail  est  tout  à  fait  original,  et  nos 
recherches  tout  à  fait  personnelles. 

(2)  Claude  Buffier,  jésuite  :  Giriinmaii-c  /'rançoisc  sur  un  jilan 
noueeau.  —  Paris,  1709. 

(3)  Ampère,  Formation  de  la  lanfiue  française,  croit  que  l'ancienne 
prononciation  de  oi  était  otié;  mais  Diez —  Grain,  des  rom.  spracheri 
—  lui  fait  remarquer  le  peu  de  fondement  de  son  opinion.  On  pourrait 
pourtant  soutenir  la  prononciation  ouô,  mais  seulement  comme  une 
des  nuances  extrêmes  du  son  de  oi  ;  de  même  en  effet  que  le  son  de 
l'o  flottait  entre  l'o  et  Vou,  celui  de  1'?  flottait  entre  Vè  et  l't'. 


ÉVOLUTION    DE    L  OI    FRANÇAIS  109 

A  côté  pourtant  de  ceus  qui  employaient  l'orthograplie 
routinière  en  oi,  il  y  avait  d'autres  qui  n'hésitaient  pas  à 
traduire  par  des  signes  plus  appropriés  la  prononciation 
courante  sans  l'afîubler  d'ailleurs,  ce  qui  était  logique, 
des  inventions  et  des  chinoiseries  des  latinistes  ;  c'est  à 
ceus-là  que  nous  sommes  redevables  de  la  constatation 
des  laits  phonétiques  qui  nous  permettent  de  suivre  pas 
à  pas  les  progrès  de  l'évolution  phonographique.  Nous 
trouvons  ainsi  dans  un  glossaire  latin-français  du 
xve  siècle  (1)  le  mot  crois  rendu  par  croais  et  le  mot 
mâchoire  écrit  maclioere,  tandis  qu'un  autre  diction- 
naire de  la  seconde  moitié  du  même  siècle  (2)  écrivait 
ce  dernier  mot  macliouere.  Le  xvf  siècle  nous  fournit 
de  nombreuses  preuves  du  maintien  du  son  oé  :  Pals- 
grave  (3),  en  1530,  donne  pour  l'o  de  oi  le  son  o,  et  pour 
i  un  son  presque  égal  à  a  (4),  tant  dans  les  mots  mono- 
syllabiques devant  s,  t,  x  terminales  ou  dans  les  poli- 
syllabes  devants,  t,  terminales  aussi,  que  dans  l'intérieur 
des  mots  lorsque  oi  va  suivi  de  /  ou  r  :  boys,  fois,  soyt, 
croist,  noix,  croijx  pour  le  premier  cas  ;  aincoys,  Francoys, 
disoyt,  lisoyt  pour  le  second  ;  poille,  noille,  gloyre,  croyre 
pour  le  troisième;  dans  tous  les  autres  cas  lorsque  Voi 
était  terminal  ou  qu'il  était  entre  deus  voyelles,  ou  qu'il 
était  suivi  d'une  consonne  autre  que  celles  que  nous 
avons  citées,  oi  avait  un  son  semblable  à  Voy  anglais 
dans  boye  :  ainsi  se  prononçaient  soy,  moy,  moyen, 
envoyer,  oyndre,  moytie  (o).   Sylvius,    en    1531  (G),    ne 

(1)  Glof<!^arium  lut.  (jaLl.  Bibl.  imp.  MS  7679  cité  par  Didol.  Obxcr- 
cations  sur  l'ortlio<jraplic  ou  l'oftof/rqfio  J)-anraise. 

(2)  Glosaarium  gallico-lat.  MS  7684  de  la  même  Bibliothèque;  ibid. 

(3)  Jehan  Palsc.ravk,  L'esciarcissemant  de  la  langue  /rancoyse 
com/iose  par  maistre  Jehan  Palsrjrace,  j\ngloys  natyf  de  Londres  et 
gradue  de  Paris.  Londres,  1530. 

(4)  «  Alniost  like  en  a  «  ;  c'est  évidemment,  pour  nous  du  moins,  un 
e  ouvert. 

(."))  Voyez,  outre  L'csclarcisscment  du  même  Palsgrave,  Die  Aus- 
sprache  des  Fransôsischen  de  Lûtoenau  ;  La  Grammaire  française  et 
les  Grammairiens  duwv  siècle  de  Livet;  Sciiuchardt,  Litterarischcs 
Centralblatt,  1877;  Ulbuich,  Zeitschri/t  fur  romanische  Philologie. 

(6)  Jacques  Sylvius  (Dubois)  :  In  linguam  gallicam isagcagcPuris, 
1531. —  C'est  à  Sylvius  que  nous  devons  la  distinction  du,/  d'avec  Vi 
du  (5  d'avec  I'm.  11  cm])loyait  généralement  le  patois  picard. 


110  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

parvint  pas  à  bien  faire  la  distinction  de  la  prononciation 
d'avec  l'orthographe,  et  c'est  pourquoi  il  donne  pour  le 
son  d'oi  la  représentation  d'o  +  i-  Meigret,  quelques 
années  plus  tard  (i),  en  écrivant  dans  son  ouvrage  le 
plus  renommé  et  le  plus  discuté  et  combattu,  le  Tretté, 
le  mot  fmnçoese,  témoignait  ainsi  formellement  de  la 
prononciation  de  Voi  en  même  lemps  qu'il  le  remplaçait 
par  oe.  Pelletier,  en  1550  {^),  déterminait  mieus  encore 
cette  prononciation  en  la  rendant  par  oe  à  sa  manière  : 
fmnçoese.  Périon.  cinq  années  plus  tard  (3),  signalait 
aussi  oé,  mais  seulement  pour  Voi  des  syllabes  finales  ;  il 
écrivait  droëct  à  côté  de  crolstre  et  prononçait  vouloir 
comme  vouloér,  et  il  disait  :  «  Cum  oi  est  extrema  syllaba 
»  aut  ejus  pars,  manet  illa  quidem  tota,  sed  tamen 
»  novum  quendam  sonum  i  efficit  qui  ad  e  accedere 
»  videtur,  ut  //oî  moi,  ^ol  toi,  ita  pronunciamus  ut  si  moé, 
»  toé  esset  (4).  »  Dans  Ramus  (la  Ramée),  en  1562,  les 
exemples  de  ïoe  comme  écriture  phonétique  abondent 
partout  (5)  :  dans  un  seul  alinéa  nous  trouvons  avoer, 
avoe,  toutefoes,  pretendoet,  fiwisoes,  etc.  De  Baïf,  en 
1574(6),  emploie  des  moyens  semblables  à  cens  de  Pelle- 
tier pour  rendre  sensible  la  prononciation  de  Voi  en 
écrivant  fmnçoese.  Claude  de  Saint-Lien,  dans  le  dernier 


(1)  Louis  Meigret  :  Traité  touchant  le  commun  usage  de  l'escri- 
ture/rançoise;  auquel  est  débattu  des  Jdultes  et  abus  en  la  craye  et 
ancienne  puissance  des  letres.  —  Paris,  1545.  —  Le  trette  de  la  gram- 
maire françoese,  Paris  1550.  —  Meigret  fut  un  des  plus  chauds 
partisans  d'une  réforme  orthographique  et  donna  son  nom  à  l'école 
des  meigrcttistes. 

(2)  Jacques  Pelletier,  du  Mans  :  Dialogue  de  l'ortograje  e  pro- 
nonciation françoese  départi  en  deus  Hures.  Poitiers  1550.  —  L'Art 
poétique  depiarti  an  deus  Hures,  Lyon,  1555. 

(3)  JoACHiMi  Perionii  bencdictini  cormœriaceni  Dialogorum  de 
linguœ  gallicœ  origine  eiusque  cum  grœca  cognatione  libri  quatuor. 
—  Paris.  —  1555. 

(4)  Théodork  dk  Bkzi':  recommande  aussi  de  prononcer  moi,  toi, 
loi,  comme  moai,  toai,  loai;  «  ai,  dit  il,  pro  e  aperto  ». 

(5)  Pierre  Ra.mus,  ou  delà  Ramée;  Gramere,  Paris,  1562  (édition 
anonyme). 

(6)  Jean  Antoine  de  Baïk  :  Etrénes  de  poéïie  françoese  an  cers 
mezurés.  —  Paris,  1574. 


ÉVOLUTION  DE  l"oI  FRANÇAIS  111 

quart  du  xvi^  siècle  (1),  rent  encore  voiidrois  par  voii- 
droé,  et  enfin,  même  au  commencement  du  xvne  siècle, 
nous  trouvons,  dans  Simon  (2),  bâtissait  écrit,  suivant 
son  système,  baatissoeet.  Et  si  nous  demandions  aus 
rimes  de  nouvelles  preuves  de  la  prononciation  en  oé, 
en  outre  de  celles  que  nous  avons  déjà  plus  haut  ramas- 
sées, nous  pourrions  citer  avec  Diez  (3)  des  liaisons 
comme  pécheresse-paroisse,  damoy selles- estoiles,  en  y 
ajoutant  beaucoup  d'autres  comme  maistre-accroistre, 
senestre-conçpioistre  de  Marot,  paroistre-estre,  adroitte- 
Poete  de  Mathieu  Régnier  (4),  etc.,  etc. 

Mais  dans  le  royaume  du  langage  comme  partout 
ailleurs,  il  n'y  a  rien  de  vraiment  solide,  et  le  domaine 
graphique  de  Voi  que  nous  venons  de  voir  assailli 
par  les  oé  des  uns  et  par  les  oè  des  autres,  et  qui 
paraissait  être  si  bien  fondé,  était  exposé,  de  même  que 
le  domaine  graphique  de  Voè  qu'il  prétendait  repré- 
senter, à  tous  les  dangers,  à  toutes  les  révolutions.  Le 
son  è  de  Voé  grandissant  de  plus  en  plus  aus  dépens  de 
l'o,  tendait  sans  cesse  à  rester  le  seul  que  l'on  puisse 
entendre;  et  la  répugnance  de  quelques  dialectes  pour 
la  prononciation  en  oè  et  l'introduction  dans  la  cour  des 

(1)  Claudii  Sancto  a  Vinculo  de  Pronuntiatione  llnr/uœ  galUcœ 
libri  II,  ad  illustrissimam  sirnulqtce  docUssimani  Elisahetham 
Anglorum  Rer/inani.  —  Londros  1580.  —  Le  livre  de  Claude  de  Saint- 
Lien  contient  des  dialogues  très  curieus  où  chaque  locution  latine  est 
traduite  en  français  avec;  rancienne  et  la  nouvelle  orthographe  et 
prononciation. 

(2)  Etienne  Simon,  docteur-médecin  :  La  craye  et  ancienne  ortho- 
rjraphe  française  restaurée,  tellement  que  désormais  l'on  aprcndra 
parfaitement  à  lire  et  à  escrire  et  encore  auec  tant  de  facilité  et 
breueté  que  ce  sera  en  moins  de  mois  que  l'on  ne  faisait  d'années.  — 
Paris,  1609.  —  L'orthographe  du  titre  ne  nous  renseigne  que  très  im- 
parfaitement sur  le  système  de  notation  de  l'auteur;  en  voici  un 
échantillon  .• 

Ssache,  o  blasfeemateur,  q'avant  sseet  uniueers 
Dieu  baatissoet  anfcer.  pour  punir  lees  peerueers 
Dont  le  .ssans  orgeilheus  an  jugement  apeele 
Pour  ssanssureer  ssees  fées  la  ssaj cesse  eetérneele. 

(3)  Diez,  Grammatik  der  romanischen  Sprarhen. 

(4)  Voyez  Quichekat  :  Traité  de  eersifiration  française , 


112  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Italiens,  dont  les  oreilles  se  sentaient  blessées  par  de  tels 
hiatus  et  dont  la  langue  ne  parvenait  jamais  à  les  rendre 
fidèlement,  ne  faisaient  qu'aider,  et  d'une  manière  bien 
puissante  et  décisive,  à  produire  la  transformation  pho- 
nétique de  Voè  en  è  et  la  métamorphose  graphique  de 
ïoi  en  è  ou  ai.  Qui  pouvait  se  douter  que  les  guerres  des 
xye,  xvF  et  xvne  siècles,  qui  changèrent  tant  de  fois  la 
carte  de  l'Europe,  la  politique  intérieure,  qui  subit  tant 
de  variations,  et  le  mariage  des  rois  et  des  princes 
français  qui  choisissaient  leurs  épouses  tantôt  parmi  les 
maisons  princières  italiennes,  tantôt  parmi  les  prin- 
cesses d'Espagne,  d'Angleterre  ou  d'Allemagne,  qui  pou- 
vait se  douter,  disons-nous,  que  tous  ces  faits,  réalisés 
dans  le  champ  de  la  guerre,  de  la  politique  et  de  la 
diplomatie,  auraient  un  tel  retentissement  dans  le 
domaine  si  éloigné  du  langage  qu'ils  aboutiraient  au 
renversement  du  pouvoir  de  Voi  =  oè  et  à  l'intronisation 
de  Voi  ^=  è?  Rien  n'est  pourtant  plus  exact. 

Il  faut,  pour  bien  comprendre  cette  double  transforma- 
tion, ne  pas  l'attribuer  seulement,  comme  c'est  l'habi- 
tude, à  l'influence  italienne,  quoique  Ton  ne  puisse  non 
plus  nier  le  rôle  considérable  joué  par  cette  influence 
dans  l'évolution  de  ïoi.  J'avoue  sincèrement  que  moi- 
même  j'avais  cru  d'abord,  égaré  par  les  nombreus  et 
autorisés  témoignages  des  grammairiens  du  xvf  siècle, 
que  l'influence  italienne,  à  elle  seule,  avait  suffi  à  pro- 
duire le  changement  de  oè  en  è\  une  fine  remarque  du 
savant  romaniste  Stengei  (1)  me  fit  réfléchir  sur  la  pres- 
que impossibilité  d'une  transformation  phonétique  pro- 
duite par  la  seule  action,  quelque  puissante  qu'elle  fût, 
de  la  cour,  et  répandue  tout  de  suite  dans  toutes  les 
classes  de  la  société;  c'est  que  je  ne  tenais  pas  compte  de 
l'existence  en  Normandie,  en  équivalence  de  Voi  français, 


(1)  «  Waruin  aber.  —  me  (l(Mn:uKl;ut-il  en  faisant  la  correclion  de 
l'épreuve  de  cet  article  que  M.  Victor  lui  avait  envoyé,  —  bebielt 
demi  danuoi  seine  Aussprache  in  Worten  wie/o/,etc.?»  Cette  question, 
à  laquelle  je  répondrai  plus  loin,  servit  à  me  donner  l'éveil,  et  je  ne 
tardai  pas  à  me  convaincre  qu'il  fallait  d'autres  causes  pour  produire 
un  cbangement  phonétique  si  considérable  et  si  général. 


ÉVOLUTION    DE    LOI    FRANÇAIS  113 

(run  el  prononcé  è  (1),  et  que  par  conséquent,  simulta- 
nément aus  formes  fmnçois,  parloit  du  français  commun, 
il  y  avait  les  tormes  f)wiceis,  parleit  [fransoè,  parloè  et 
fnuisê,  parlé  respectivement)  dans  le  normand  et  qu'il 
faudrait  nier  la  lumière  du  soleil  pour  ne  pas  admettre 
l'action  directe  et  de  tous  les  jours  de  ces  formes-ci  sur 
celles-là  et  réciproquement.  Si  Ton  n'oublie  pas  non  plus 
l'influence  de  l'accent  et  l'affaiblissement  de  la  voyelle 
atone  des  diphtongues  et  si  l'on  compare  après  le  sort  de  Voè 
avec  le  sort  de  Veu  {deii  devenu  du,  S(?///' devenu  sur,  meur 
mur,  etc.),  on  arrivera  aisément  à  établir  que  la  tendance 
générale  à  la  simplification  par  la  loi  de  la  tonicité  a  été 
la  cause  première  de  la  transformation  que  nous  étu- 
dions; qu'à  cette  cause  s'est  ajoutée  l'action  du  dialecte 
normand  dont  les  rapports  avec  le  français  étaient  aussi 
directs  et  contmus  que  possible;  que  le  caractère  de  fai- 
blesse et  le  peu  de  stabilité  du  son  de  la  voyelle  préposi- 
tive de  la  diphtongues^  ne  servait  qu'à  hâter  l'absorption 
de  cette  voyelle  par  la  voyelle  postpositive;  et  qu'enfin 
l'influence  italienne  de  la  Cour,  coïncidant  avec  ces  autres 
causes,  et  trouvant  une  atmosphère  toute  préparée  pour 
la  réussite,  s'est  posée  comme  la  eause  occasionnelle  de  la 
transformation  indiquée.  Voilà  les  conclusions  où  je  suis 
arrivé  et  qui  se  trouvent  d'ailleurs  tout  à  fait  conformes 
à  celles  de  Diez  (2)  et  de  Rossmann  (3). 

(1)  Voyez  Roinania,  xi,  Dikz —  Gramm.  dcr  roin.  Sp.,  —  Metzke. 
Dei-  dialekt  con  Ilo-de-Franœ  in  IS  und  14  Jh.  —  Pour  ne  pas  citer 
d'autres  autorités,  je  me  contenterai  de  produire  celle  de  Gaston 
Paris,  qui,  dans  le  volume  de  Roinania  en  cours  de  publication,  en 
faisant  le  compte  rendu  d'un  livre  de  Bartsch,  dit  :  «  le  normand  dit 
réellement  non  pas  nicis,  mais  bien  me  [Rom.  xviii).  » 

(2)  «  Ilemaniuons  —  dit-il  —  que  la  prononciation  ci,  (|uoique  limitée 
par  un  petit  nombre  de  mots  el  de  formes,  se  répandit  de  la  Norman- 
die, à  ce  qu'on  croit,  sur  l'Ile-de-France,  et  lut  établie  comme  clas- 
sique, grâi'e  ;\  l'influence  des  courtisans  italiens,  bien  qu'autrefois 
la  prononciation  picarde  et  bourguignone  oi  y  eût  été  dominante 
(Du;/,,  Grammatik,  traduction  d'Auguste  lîrachet  et  de  Gaston  Paris). 

(.3)  «  Si  dans  quelques  mots,  —  dit-il,  —  la  prononciation  è  de  la 
cour  est  aujourd'hui  démontrée  par  les  grammairiens,  nous  osons  indi- 
quer que  l'influence  italienne  s'est  bornée  à  pousser  tout  au  plus  la 
tendance  existante  depuis  bien  longtemps  en  français  à  la  simplifica- 
tion de  o(!  »  (Rossmann,  Fi-anùt^it^chc^  oi). 

Revue  dk  puilologik,  v.  b 


114  REVUE   DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

La  révolte,  quoique  latente,  se  produisit,  au  contraire 
de  foules  les  révoltes,  en  apparence  du  moins,  de  haut 
en  bas.  Le  séjour  au  delà  des  Alpes  des  soldats  de 
Charles  VIII,  de  Louis  XII  et  de  François  I«',  à  l'époque 
où  l'éclat  des  arts  et  des  sciences  de  la  renaissance  ita- 
lienne éblouissait  l'Europe  entière,  était  déjà  un  pas  bien 
considérable  vers  l'effacement  de  ïo  de  la  diphtongue  oè. 
L'entrée  en  France,  pour  s'asseoir  sur  le  trône  et  y  impo- 
ser la  mode  et  le  goût,  des  princesses  de  la  maison  de 
Médicis  marqua,  si  nous  osons  nous  exprimer  ainsi,  le 
début  officiel  de  la  réforme  phonétique  que  nous  étu- 
dions. 

L'influence  italienne,  qui  se  prolongea  dans  la  Cour 
depuis  Catherine  de  Médicis  jusqu'à  Mazarin,  joue  en 
effet,  on  aurait  tort  de  le  méconnaître,,  un  rôle  des  plus 
considérables  dans  cette  transformation.  La  langue  ita- 
lienne manque  du  son  oè  et  la  Reine  et  sa  suite  auraient 
eu  grand'peine  à  le  prononcer  comme  il  faut«  nam  ab  liac 
diphtliongo  sic  ahhorret  italica  llngua  »  suivant  le  mot  de 
Bèze.  Au  lieu  donc  de  dire,  comme  c'était  alors  l'habitude 
à  Paris,  les  Amjloès,  les  Portugoès,  ûloèt,  venoèt,  la  Reine 
disait  les  Angles,  les  Portugès,  aie,  venè;  tous  les  courti- 
sans, c'est  une  règle  aussi  vieille  que  le  monde,  s'em- 
pressèrent d'imiter  la  souveraine,  et  le  peuple  parisien  à 
son  tour,  développant  en  même  temps  la  tendance 
naturelle  de  la  diphtongue  à  la  simplification,  s'empressa 
d'imiter  les  courtisans,  et  les  provinces  enfin,  quoique 
plus  lentement,  tinrent  à  honneur  d'imiter  la  capitale. 
C'est  toujours  le  sort  de  toutes  les  modes  heureuses  qui 
font  le  tour  du  monde,  surtout  si  elles  naissent  dans  des 
circonstances  favorables,  lorsqu'elles  sont  imposées  par 
le  goût  de  cens  qui  en  tiennent  le  sceptre.  Un  écrivain 
espagnol  du  xv«  siècle  faisait  ressortir  cette  puissante 
efficacité  de  l'exemple  quand  il  procède  d'en  haut  en 
disant  dans  son  langage  coloré  :  «  Jugaba  el  rey,  éramos 
tuilos  tahiwes  :  estudia  la  Rei/ua,  somos  agora  estu- 
dianles{i).  »  Lorsque  Marie  de  Médicis,  un  demi- siècle 

(1)  C'est-à-dire:  «  Le  Roi  joiuiit,  nous  étions  tous  des  tripoteurs;  la 
Heine  étudie,  nous  voilà  maintenant  des  étudiants.  » 


ÉVOLUTION  DE  l'oI  FRANÇAIS  115 

après,  donna  l'autorité  de  son  exemple  et  de  son  nom  à 
la  mode  linguistique,  la  révolution  se  trouva  faite,  sans 
troubles,  d'une  manière  graduelle  et  presque  insensible, 
d'autant  mieus  que  dans  la  prononciation  oè,  le  son  o, 
comme  nous  ne  le  savons  que  trop,  était  presque  étouffé, 
en  sa  qualité  d'inaccentué,  et  menaçait  déjà  de  disparaître 
devant  le  son  tonique  è  à  la  première  occasion. 

On  ne  doit  pourtant  pas  croire  que  le  triomphe  de  Vè 
sur  Voè  eut  lieu  sans  combat  ;  sans  doute  il  gagne  tou- 
jours du  terrain  ;  mais  on  trouve  dans  les  xvi^  et  xvu"  siè- 
cles beaucoup  de  cas  où  tantôt  nous  entendons  le  son  è, 
tantôt  oè  pour  les  mots  écrits  par  oi.  La  triple  alliance  — 
passez  le  mot  —  formée  pour  renverser  le  son  oè  se  trouve 
parfaitement  décrite  par  le  grammairien  Bèze  (1)  qui  di- 
sait déjà  à  propos  du  changement  qui  avait  lieu  de  son 
temps  :  «  Hujus  diphthongi  pinguiorein  et  lallorem  soninn 
»  (oai) nounulli vitanles expuwjunt o,et solam diplithonçjum 
»  ai,  ifl  est  e  apertum  relinuerinii  ut  Nornuouii  qui  pvo  ïo[ 
»  [fuies]  scribunt  et  pnmunc'nuil  fai  ;  et  vuhjus  pavisien- 
»  siiim  parlet  (loquelmtur)  allet  (ibat)  venet  {venieljat)  pro 
»  parloit,  alloit,  venoit  et  Halo  Franel  pro  Anglois,  Fran- 
»  cois,  Escossois  pronuntiant  Angles,  Frances,  Ecosses, 
»  per  e  apertum,  ab  Itcilis  nominibus  Anglese,  Francese, 
»  Scozzese.  Nam  ab  liac  cliphthomio  sie  abhorret  Italica 
>■>  luiqua,  ut  Un,  moi,  et  similia  per  (liali/slii  produeto 
))  etiam  o  pronuntient  fo-i  et  mo-i  dissyllaba.  »  Il  y  avait 
donc  une  influence  dialectale,  une  autre  étrangère  et  une 
troisième  de  la  Cour  qui  s'accordaient  toutes  trois  à 
effacer  le  son  o  de  la  prononciation  oè  de  oi  en  transfor- 
mant cet  oi  en  ai  ou  en  e  ouvert.  Contre  toutes  ces  in- 
lluences  qui  venaient  favoriser  l'action,  si  puissante  à 
elle  seule,  de  la  tonicité,  la  routine  et  la  tradition  s'effor- 
çaient pour  maintenir  leurs  droits. 

Le  travail  évolutif  de  la  langue  s'était  spontanément 
exercé  sur  qu(Mques  mots  isolés  provenant  en  général 
d'un  ei  dont  la  source  était  principalement  un  è  long 
latin,  soit  originaire,  soit  produit  par  contraction  après 

(1)  TiiKouoru;  m;  Bkzf.  :  De  ffancii-œ  Uiujuœ  recta  pronunriatione 
trurtatus.  —  Paris,  1584. 


IIG  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

la  chute  d'une  consonne  mtevméâmve  ( pœna,  regina)  ; 
lorsque  cet  ancien  ei  était  suivi  d'une  nasale  ou  des 
liquides  /,  r,  l'évolution  en  è  était  si  naturelle  que  nous 
trouvons,  bien  longtemps  avant  la  simplitication  de  ïoi 
des  imparfaits,  plusieurs  mots  où  ïei  donnant  oi  était 
devenu  è  de  très  bonne  heure  ;  c'est  le  cas  pour  chan- 
delles à  côté  de  chandoiles  dans  le  Roman  de  Renart  : 
vaire,  nécessaire,  exemplaire,  à  côté  de  voire,  necessoire, 
exemploire,  et  paintes  à  côté  de  pointes  dans  le  Roman  de 
la  Rose  ;  mains  [de  minus)  à  côté  de  mains  (de  manus)  et 
painne  à  côté  de  poinne,  dans  Rutebeuf  ;  mains  (de  manus) 
à  côté  de  7nains  (de  minus)  et  chandeles  à  côté  de  chan- 
doiles, dans  Gautier  de  Coincy;  apostelle  à  côté  iVapos- 
toile,  dans  Jeffroy  de  Paris;  paine,  fontaine,  dans  Christine 
de  Pisan;  plaine,  paine,  sepmaine,  dans  Charles  d'Orléans; 
reine  déjà  dans  Marot,  à  côté  de  royne  employé  encore 
par  Villon  ;  verre,  dans  Régnier  à  côté  de  voirre  dans 
Marot.  Nous  pourrions  multiplier  indéfiniment  les  exem- 
ples, car  nous  en  trouvons  partout  ;  mais  il  suffit  de 
ceus-ci  pour  prouver  notre  thèse. 

Ce  travail  évolutif,  dont  nous  venons  de  voir  les  pro- 
grès, avait  déjà  produit,  dans  lexvi^  siècle,  le  résultat  de 
fixer  le  son  f  dans  un  grand  nombre  de  mots,  d'un  usage 
assez  commun,  ce  qui  n'était  pas  le  moins  propre  pour 
favoriser  un  changement  semblable  dans  des  cas  où 
l'analogie  d'origine  ou  la  ressemblance  des  éléments 
phoniques  étaient  frappantes  ;  c'est  alors  que  les  in- 
tluences  de  l'Italie  et  de  la  Cour  italianisée  vinrent 
aider  le  mouvement.  Le  premier  groupe  des  oè  qui  eut  à 
subir  la  transformation  fut  celui  des  imparfaits  des  ver- 
bes à  voyelle  radicale  finale  :  étudi-er,  cré-er,  lou-er  ; 
l'hiatus  de  lou-oè,  cré-oè,  étudi-oè  était  par  trop  désa- 
gréable pour  ne  pas  tâcher  de  l'éviter;  Pelletier  (1)  témoi- 
gnait, en  looO,  du  changement  qui  avait  eu  lieu  dans  ces 
imparfaits  en  disant  :  «  Nous  prononçons  priet,  criet, 
»  eludiet  et  toutes  tierces  personnes  de  l'imparfait  indi- 
»  catif  venant  des  infinitifs  en  ier,   toutefois,  nous  écri- 

(1)  Jacques  Pelletier,  du  Mans  :  Dialoijur  de  l'ortograjçe  pronon- 
ciation françoese  départi  an  </('itt<  liurçs.  —Poitiers,  1550. 


ÉVOLUTION  DE  L*OI  FRANÇAIS  117 

»  VOUS  pi'ioU,  eludioit  ;  nç  nous  est  permis  d'en  user  au- 
»  trçment,  car  ce  serait  fairç  tort  à  l'usagç,  à  la  déduc- 
»  tioii  et  à  rintelligencç  des  mots  ».  Le  premier  pas 
fait  et  le  succès  acquis,  rien  de  plus  naturel,  l'influence 
de  la  Cour  aidant,  que  de  développer  la  règle  établie  pour 
quelques  verbes  et  de  l'appliquer  à  tous  les  autres;  c'est 
ce  qui  arriva  et  ce  que  le  même  Pelletier  nous  fait  savoir 
lorsqu'il  ajoute  à  ce  que  nous  avons  copié  :  «  E  mesmç. 
»  aujourd'hui  s'en  trouvçnt  qui  s'estiment  grands  cour- 
»  tisans  et  bien  parlans  qui  vous  diront  :  f  ailes,  je  feses, 
»  il  diret,  il  iret.  »  On  voit  ici  que  le  son  è  avait  déjà 
envahi  non  seulement  le  domaine  de  Voè  de  tous  les  im- 
parfaits, mais  aussi  celui  des  conditionnels,  et  sans  tenir 
nul  compte  des  exigences  euphoniques  qui  lui  avaient 
d'abord  frayé  le  chemin,  ce  qui  n'était  que  trop  logique  ; 
mais  il  faut  remarquer  que,  tandis  que  l'emploi  de  Vè 
pour  les  verbes  à  voyelle  radicale  finale  ne  soulevait 
pas  de  critiques,  l'application  de  cette  règle  aus  autres 
verbes,  même  par  Pelletier,  qui  n'était  pas  assurément 
de  ceusqui  se  piquaient  de  purisme,  n'était  employée 
que  pour  constater  un  fait  connu  de  tous,  dont  il  rejetait 
la  responsabilité  sur  les  courtisans  et  les  gens  qui  en 
étaient  les  auteurs  :  «  Mesmes  à  la  plupart  des  courtisans 
»  —  ajoutait-il  —  vous  orrez  dirç  i%  allèt,  iz  venèt  \)Our 
»  ils  allaient,  ils  venoienl  ». 

Les  plus  chauds  adversaires  et  les  plus  zélés  ennemis  de 
l'innovation  phonique  introduite  à  la  Cour  hésitaient 
parfois,  alors  qu'il  n'y  avait  pas  d'autorité  linguistique  ni 
grammaticale,  dans  l'orthographe  à  suivre.  C'est  pour- 
quoi, dans  l'avertissement  placé  en  tête  des  Dialofiues  du 
kmfjarfe françois  ilalianizé,  Henri  Estiennedisaiten  lo78(l) : 
«  Sçachez,  lecteurs,  que  ce  n'est  pas  sans  cause  que  vous 
»  avez  ici  les  mesmes  mots  escrits  en  deux  sortes  :  asça- 
»  voir,  non  seulement  fraurois,  mais  frances  et  non  seu- 
»  lement  Je  disais,  Je  faisiiis,  feslois,  mais  unss'i  Je  dises, 
»  Je  feses,  f  estes.  Car  tant  ici  qu'es  autres  lieux  ou  cette 

(1)  HivNiu  EsTiKNNE  :  Dru,x  ilin.lnguoft  ilu  nnnrcaa  lanf/ar/c/ranrots 
italicnizc  et  autrement  (/esr/uizc,  pi-inci/ialcnicnt  entre  les  courtisans 
de  ce  temps.  —  Gcniivc,  1578. 


118  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

»  diphtongue  a  esté  changé  en  e  (comme  les  mots  dret  et 
»  endret  pour  droit  et  endroit)  c'a  esté  pour  représenter 
»  la  prononciation  usitée  en  la  Cour.  »  On  voit  ici,  non 
seulement  le  manque  de  règles  et  les  hésitations  de 
l'orthographe,  mais  aussi  les  progrès  de  l'évolution  pho- 
nétique, qui,  après  la  transformation  des  terminaisons 
des  imparfaits  et  conditionnels,  avait  aussi  changé  Voè 
des  adjectifs  de  nationalité  et  même  de  b  eaucoup  d'autres 
mots  avec  un  tel  succès,  que  le  même  Estiennc,  qui 
n'aimait  pourtant  pas  la  réforme,  a  vouait,  dans  l'ouvrage 
cité,  que  l'on  n'oserait  dire  «  François  ni  Françoises  sur 
peine  d'estre  appelé  pedent;  mais  il  faut  dire  Frances  et 
,  Franceses  comme  Auf/les  et  Angleses  ». 

L'instabilité  de  l'orthographe  était  si  sensible  et  le 
besoin  de  la  fixer  en  conformité  avec  la  prononciation 
était  si  grand,  que  Henri  Estienne  même  disait  alors  dans 
un  autre  de  ses  ouvrages  (i)  :  «  J'ay  aussi  vn  mot  à  dire 
»  touchant  l'ortographe  de  ce  liure  :  c'est  que  je  ne 
»  l'approuue  pas  du  tout  coriime  elle  est;  ains  que  ma 
»  délibération  estoit  de  faire  tailler  quelques  poinçons 
»  exprès  pour  les  lettres  superflues  quant  à  la  pronon- 
»  dation,  et  toutesfois  characteristiques.  Mais  ayant  eu 
»  le  temps  trop  court  pour  ce  faire  i'ay  remis  tel  entre- 
»  prise  iusques  à  l'autre  liure  françois  promis  ci-dessus, 
»  lequel  surpassera  ma  promesse  s'il  plaist  à  Dieu  de  me 
»  prester  la  vie  encore  quelques  mois  (2).  »  C'est  aussi 
pour  éviter  des  malentendus  produits  par  les  différences 
de  prononciations  que  le  célèbre  Meigret,  se  posant 
comme  l'avant-coureur  du  phonétisme  moderne,  avait 
fondé,  quelques  années  auparavant,  son  école (3) qui  fit  sa 

(1)  Hkniu  Estienne,  Traicté  de  la  conformité  du  lancjage françois 
acoc  le  f/rec  (sans  lieu  ui  date,  mais,  suivant  Didot,  à  Genève,  1565). 

(2)  Suivant  Didot  la  multiplicité  des  travaus  de  Henri  Estienne  lui 
aura  fait  ajourner  ce  projet,  car  toute  trace  de  ce  passage  a  disparu 
dans  les  réimpressions  de  ce  livre.  Voyez  Didot,  Obscrcations  sur 
l'orthofjra/ihe  ou    orthografie  française. 

(3)  Je  trouve  soulignés,  dans  l'épreuve  de  la  première  rédaction  de 
cet  article,  les  mots  son  école,  et  puis,  en  marge,  cette  question  de  la 
main  de  Stengel  :  «  Wer  sind  die  Anhàrgcr  Meigret's  ?  »  Je  remercie 
de  tout  mon  cœur  le  savant  romaniste  de  l'occasion  qu'il  me  fournit 


ÉVOLUTION  DE  l'oI  FRANÇAIS  110 

bannière  et  son  programme  des  principes  contenus  dans 
les  livres  si  discutés  du  maître  le  Traité  touchant  le 

avec  ses  questions  de  bien  peser  mes  affirmations  et  de  prouver  ce 
que  j'avance  s'il  y  a  lieu;  d'abord  il  est  démontré  par  les  contempo- 
rains, que  Meigret  fut  le  premier  qui  osa  aborder  franchement  la 
réforme  phonétique  de  l'ortographe,  et  c'est  déjà  bien  un  titre  pour 
ne  pas  lui  marchander  le  nom  de  fondateur  d'école  ;  puis  l'ouvrage 
ou  les  ouvrages  de  Meigret  donnèrent  lieu  à  un  mouvement  littéraire 
auquel  prirent  part,  parmi  d'autres  écrivains,  Pelletier,  Ramus, 
Ronsard,  Baïf,  des  Autels,  etc.;  enfin  l'appellation  de  meigrettistcs 
souvent  employée  pour  désigner  les  partisans  du  système  de  Meigret 
{Traité  touchant  l'ancien  ortographe  françois  et  écriture  de  la 
langue  française  contre  l'ortographe  des  Meygreitistes,  par  Glaumalis 
de  Vezelet),ne  laisse  nul  doute  sur  l'existence  des  partisans  de  Meigret; 
mais  si  l'on  nous  demande  des  preuves'  plus  directes  encore,  nous 
n'avons  qu'à  reproduire  (juelques  textes  des  grammairiens  et  des 
littérateurs  contemporains  de  Meigret.  Voici  comment  s'exprime 
Ronsard  dans  son  Abrégé  do  l'Art  poétique  [Avertissement  au  lecteur): 
»  l'avois  délibéré,  lecteur,  suiure  en  l'orthographe  de  mon  liure  la 
»  plus  grande  partie  des  raisons  de  Louis  Meigret,  homme  de  sain  et 
»  parfait  ingénient  (qui  a  le  premier  osé  desiller  les  yeux  pour  voir 
»  l'abus  de  nostre  escriture)  sans  l'aduertissement  de  mes  amis  plus 
»  studieux  de  mon  renom  que  de  la  vérité,  me  peignant  au  deuant 
»  des  yeux  le  vulgaire,  l'antiquité  et  l'opiniastre  aduis  des  plus  cele- 
»  bres  ignorants  de  nostre  temps,  laquelle  temoignance  ne  m'a  tant 
»  sceu  espouuanter  que  tu  n'y  voyes  encore  quelques  marques  des 
»  raisons  de  Meigret.  »  Joachim  du  Bellay,  dans  La  défense  et 
illustration  de  la  langue  française,  après  avoir  reconnu  que  -«  l'or- 
thographe françoise  a  esté  dépravée  par  les  praticiens  »  et  déclaré 
que  «  Meigret  a  traité  cette  partie  non  moins  amplement  que  docte- 
ment »  avoue  qu'il  «  approuve  et  loue  grandement  les  raisons  de 
ceux  qui  ont  voulu  reformer  l'orthographie,  mais  voyant  que  telle 
nouueaute  despiaist  aux  doctes  comme  aux  indoctes  »  il  aime  mieus 
louer  l'intention  que  de  la  suivre  parce  qu'il  ne  fait  pas  imprimer 
ses  œuvres  dans  le  but  «  qu'ils  seruent  do  cornetz  aux  apothicaires, 
ou  qu'on  les  employé  a  quelque  autre  plus  vil  mestier  »  ;  Pelletier 
aussi,  sans  partager  en  tous  les  détails  les  opinions  de  Meigret,  se 
montre  très  favorable  à  sa  reforme  en  adoptant  plusieurs  des  innova- 
tions introduites  imr  le  renommé  maître  lyonnais,  et  pour  mieus 
faire  voir  la  haute  estime  qu'il  fait  de  lui,  place  en  tête  de  son  Dialo- 
gue de  l'Ortografe  e  Prononciation  françoese  une  Apologie  à  Louis 
Meigret  Lionnoes,  qui  lui  valut,  quelques  mois  après,  la  Réponse  de 
Louis  Meigret  à  l'Apologie  de  Jacques  Pelletier,  de  même  que  les 
critiques  de  Guillaume  des  Autels  produisirent  les  Défenses  et  Répli- 
ques (le  Meigret,  (jui  n'était  pas  homme  à  se  taire  et  qui  avait  toutes 
les  qualités  d'un  fondateur  d'école,  surtout  la  conviction  de  l'utilité 
de    son   système  et  l'aspiration   à   le  voir  pratiqué  partout  :    Jean 


li?0  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

commun  vsage  de  Vescriiure  fmncolse  (1)  et  Le  Tretté  de 
la  Grammaire  françoeze  (2),  premier  défi  lancé  à  l'ortho- 
graphe traditionnelle  qui  donna  l'éveil  à  tous  les  esprits 
qui  aimaient  à  voir  le  langage  écrit  comme  l'image  du 
langage  parlé. 

La  lutte,  après  la  publication  des  ouvrages  de  Meigret, 
était  engagée,  non  seulement  sur  le  champ  de  la  pronon- 
ciation, mais  aussi  sur  celui  de  l'orthographe  à  suivre. 

Antoine  de  Baïf,  dans  ses  Etrcncs  de  Poc^ic /ransopsc,  suit  aussi  les 
traces  de  Meigret,  et  déclare  bien  hautement  qu'il  peut  s'engager 
sans  crainte  dans  la  voie  ouverte  par  l'innovateur  dont  il  prône  les 
principes  et  développe  et  perfectionne  à  sa  façon  les  règles  ;  Ramus, 
le  savant  linguiste  lecteur  du  Roi  dans  l'Université  de  Paris,  ne  fait 
non  plus  que  suivre  le  programme  de  réforme  phonographique  for- 
mulé hardiment  par  Meigret,  sur  l'ouvrage  duquel  il  émet  ce  flatteur 
jugement  :  «  Le  bâtiment  ds  set'euvre  (la  formation  de  la  grammaire 
«  française)  plu'haut  e  plus  ma/îiflica,  e  de  plu'riÇs  e  divers'etofs  e  propre 
«  a  Loui'  Megret  »  ;  Pasquier,  enfin,  pour  ne  pas  trop  multiplier  les 
citations,  l'auteur  renommé  des  Recherches  sur  la  France,  résume 
parfaitement  le  mouvement  produit  par  Meigret,  quoiqu'il  le  con- 
damne sans  hésitation,  et  montre  bien  l'esprit  d'école  qui  guidait  les 
deux  partis,  dans  une  de  ses  Lettres  à  M.  Ramus,  où  il  dit  :  «  Or, 
»  sus,  je  vous  veux  dénoncer  une  forte  guerre  et  ne  m'y  veux  pas 
»  présenter  que  bien  empoint.  Car  je  sçay  combien  il  y  a  de  braves 
»  capitaines  qui  sont  de  vostre  party.  Le  premier  qui  de  nostre  temps 
«  prit  ceste  querelle  en  main  contre  la  commune  fut  Louys  Meigret, 
»  et  après  luy  Jacques  Peletier,  grand  poëte,  arithméticien  et  bon 
»  médecin.  A  la  suite  desquels  vint  Jean  Antoine  de  Baïf,  amy 
»  commua  de  nous  deux,  lequel  apporta  encore  des  règles  et  propo- 
»  sitions  plus  estroites.  Et  finalement  vous  pour  clorre  le  pas  ».  C'es^ 
assez,  je  crois,  pour  justifier  mon  dire,  lorsque  j'ai  parlé  de  l'école  de 
Meigret,  et  je  pense  que  la  qualification  de  fondateur  ou  chef  d'école, 
prise  dans  un  sens  large,  n'est  pas  déplacée,  appliquée  à  Meigret, 
quoique  plusieurs  de  cens  qui  y  puisèrent  leurs  idées  de  réforme 
se  soient  plus  ou  moins  écartés  des  enseignements  du  maître,  tout 
en  respectant  les  grandes  lignes  de  sou  programme.  Didot  le  dit 
bien  clairement  :  «  Meigret  eut  l'honneur  de  faire  école;  pendant  plu- 
sieurs années  on  parla  beaucoup  des  tiioigrettistes  et  l'on  rompit  des 
lances,  dont  le  fer  n'était  pas  toujours  émoulu,  contre  eux  ou  en  leur 
honneur.  » 

(1)  Louis  Meigret,  Traite  toucliant  le  commun  rscujc  de  l'escri- 
ture  francoise  ;  auquel  est  débattu  des  faultcs  et  abus  en  la  craye  et 
ancienne  puissance  des  letrcs.  —  Paris,  1545. 

(2)  Louis  Meigret,  Le  trettc  de  la  G rammaire  J'rançoeze,  Paris, 
1550. 


ÉVOLUTION  DE  l"0I  FRANÇAIS  121 

Il  y  avait  d'un  côte  les  amis  de  la  tradition,  cens  qui 
voulaient  conserver  quand  même  la  prononciation  qu'ils 
avaient  entendue  de  la  bouche  de  leurs  pères  et  Tortlio- 
graphe  qu'on  leur  avait  apprise  ;  de  l'autre  côté  se  trou- 
vaient les  enthousiastes  des  innovations,  ceus  qui  pré- 
tendaient faire  une  règle  des  caprices  de  la  mode  ou 
des  variations  de  l'usage  et  qui  voulaient  aussi  que 
l'orthographe  suivît  toutes  ces  variations  et  rendit  un 
compte  exact  de  la  prononciation  du  jour;  et  je  ne  parle 
pas  d'un  autre  groupe  d'écrivains  qui,  tout  épris  des 
formes  grecques  et  latines,  prétendaient  travestir  le 
français  au  point  de  le  rendre  méconnaissable,  en  res- 
suscitant des  lettres  disparues  ou  qui  n'avaient  jamais 
existé,  en  faisant  revivre  des  mots  surannés,  en  créant 
des  tours  incroyables,  en  enchevêtrant  de  lettres  inutiles 
les  lettres  sonores,  et  en  creusant  ainsi  le  plus  profond 
abiine  entre  le  mot  parlé  et  le  mot  écrit,  comme  si  l'un 
ne  devait  jamais  être  la  représentation  de  l'autre  ;  le  tout 
sous  prétexte  de  rappeler  les  étymologies  et  pour  faire 
parade  d'une  érudition  aussi  déplacée  que  gênante  et 
trompeuse.  Je  n'ai  pas  l'intention  d'exposer  cette  curieuse 
querelle  dans  toute  son  étendue  ;  je  me  bornerai  seule- 
ment à  marquer  les  traits  qui  font  directement  partie  de 
mon  sujet. 

Pour  la  phonétique,  nous  avons  déjà  vu  que  le  son  c. 
avait  remplacé  Xoè  du  temps  de  Henri  Estienne  (la78) 
dans  les  terminaisons  des  imparfaits  de  l'indicatit  et  des 
conditionnels  des  verbes,  et  dans  un  grand  nombre 
d'adjectifs  de  nationalité;  les  partisans  delà  tradition 
nationale  ne  manquèrent  pourtant  pas  de  s'attaquer  aus 
néologues  ;  ils  étaient  nombreus  et  respectables,  et  ils 
n'épargnèrent  pas  leurs  railleries  et  leurs  boutades  aus 
innovateurs  en  tournant  en  l'idicule  les  nouvelles  façons 
de  parler,  mais  ils  ne  pouvaient  éviter  que  la  réforme  ne 
fit  son  chemin  et  ne  s'appliquât  même  à  des  mots  sur 
lesquels  elle  revint  longtemps  après  :  Guillaume  des 
Autels  épuisa,  dans  sa  dispute  contre  Meigret  (l),tout  le 

(1)  Au  Traité  touchant  le  coinman  isaijcdi;  l'cfc/-iturcJ'rancoise  ûc 
Meigret  répondit  Guillauiuc  des  Autels,  sous  le  pseudonyme  de  Glau- 


122  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

catalogue  des  bonnes  et  mémo  des  mauvaises  raisons 
contre  les  reformations  :  «  Pourquoi  quelque  dame  —  de- 
mandait-il —  voulant  bien  contrefaire  la  courtisane  à 
l'entrée  decest  hiver,  dira-elle  qu'il  iâiifred?  »  Pasquier, 
s'adressant  à  Ramus,  emploie  déjà  les  plus  sérieus  argu- 
ments qu'on  ait  jamais  trouvés  contre  les  réformateurs 
de  la  phonétique  et  surtout  de  la  graphie  :  «Je  sçay 
écrivait-il  dans  une  de  ses  Lettres  au  lecteur  duRoy  — que 
»  vostre  proposition  est  très  précieuse  de  prime  ren- 
»  contre;  car  si  l'escriture  est  la  vraye  image  du  parler, 
»  à  quoy  nous  pouvons  nous  mieux  estudier  que  de 
»  représenter  par  icelle  en  son  naïf,  ce  pourquoy  elle  est 
»  inventée?  Belles  paroles  vrayement.  Mais  je  vous  dy 
»  que  quelque  diligence  que  vous  y  apportiez,  il  vous 
»  est  impossible  à  tous  de  parvenir  au-dessus  de  vostre 
»  intention  Je  le  cognois  par  vos  escrits  ;  car  combien 
»  que  vous  décochiez  toutes  vos  tleches  à  un  mesme 
)>  blanc,  toutes  fois  nul  de  vous  n'a  sçeu  y  atteindre  :  ayant 
»  chacun  son  orthographe  particulière,  au  lieu  de  celle 
»  qui  est  commune  à  la  France.  Qui  me  faict  dire  que 
»  pensant  y  apporter  quelque  ordre,  vous  y  apportez  le 
»  desordre,  parce  que  chacun  se  donnant  la  mesme 
»  liberté  que  vous,  se  forgera  une  orthographe  particu- 
»  lière.  Ceux  qui  mettent  la  main  à  la  plume  prennent  leur 
»  origine  de  divers  pais  de  la  France  et  est  mal  aisé  qu'en 
»  nostre  prononciation  il  ne  demeure  tousjours  en  nous  je 
»  ne  sçay  quoy  du  ramage  de  nostre  païs.  Je  le  voy 
»  par  eflfect  en  vous,  auquel,  quelque  longue  demeure 
»  qu'ayez  faite  dans  la  ville  de  Paris,  je  recognois  de  jour 
»  à  autre  plusieurs  traits  de  vostre  picard,  tout  ainsi 
»  que  PoUion  recognoissoiten  Tite-Live,  je  ne  S(;ay  quoy 

malis  (le  Vezelet,  par  le  Traité  touchant  l'ancien  ort/iofjra/ihe  français 
et  écriture  de  la  langue  franeoise  contre  Vortographe  des  Meigret- 
tistes  ;  Meigret  répliqua  par  les  Défenses  de  Louis  Moigrct  touchant 
son  livre  de  l'ortographc  franeoise  contre  les  censures  et  calomnies 
de  Glaumalis  de  Veselet  et  ses  adherans  ;  Des  Autels  riposta  par  la 
Réplique  de  Guillaume  Des  Autels  auce  furieuses  défenses  de  Louis 
Meigret  ;  et  Meigret  enfin  mit  un  terme  au  débat  par  la  Réponse  à  la 
désespérée  réplique  de  Glaumalis  de  Veselet,  transformé  en  Guil- 
laume Des  Autels. 


ÉVOLUTION  DE  l'oI  FRANÇAIS  123 

»  de  son  padouan.  Le  courtisan  aux  mots  douillets  nous 
»  couchera  de  ces  paroles  reyrie,  allét,  tenét,  venét,  me- 
»  net.  Ni  vous  ni  moy  (je  m'en  assure)  ne  prononcerons 
»  et  moins  encore  escrirons  ces  mots  de  reiine,  allét, 
»  tenél,  venét,  et  menét,  ains  demeurerons  en  nos  anciens, 
»  qui  sont  forts,  roiine,  alloit,  tenoit,  venoit,  menoit  (1).  » 
Henri  Estienne,  le  savant  auteur  de  la  Précellence  de  la 
langue  fvançoise,  se  moquait  à  son  tour  très  plaisamment 
de  la  mode  linguistique  en  plaçant  vis-à-vis  les  deus 
partis  représentés  dans  un  dialogue  railleur  (2)  par 
Celtopliile  (l'ami  des  celtes  ou  français)  et  Philausone 
(l'ami  des  italiens),  en  les  faisant  parler  de  la  manière 
suivante  :  &  Celtopliile  :  Où  alliez- vous  quand  je  vous  ai 
»  rencontré  ?  —  Philausone  :  «  Je  m'en  allés  à  Space  ;  car 
»  j'ai  ceste  usanze  de  spaceger  après  le  past  et  mesme 
»  qvielqiievolte  incontinent  après,  quand  j'ai  un  peu  de 
»  fastide ou.  de  marcel  en  teste.  » 

Mais  tous  les  badinages  des  Estienne,  et  tous  les  pam- 
phlets des  Des  Autels,  et  tous  les  arguments  des  Pasquier 
étaient  impuissants  pour  arrêter  l'invasion  de  la  mode, 
enracinée  déjà  a  la  cour  et  répandue  partout,  grâce  aus 
circonstances  politiques  et  à  toutes  les  autres  causes 
dont  nous  avons  parlé.  Le  groupe  des  verbes  en  oistre 
[paroistre,  cotjnoistre)  suivit  le  sort  des  imparfaits  et  con- 
ditionnels, puis  on  appliqua  un  peu  partout  la  pronon- 
ciation é  à  la  plupart  des  oi,  quelque  origine  qu'ils  eussent, 
La  prononciation  pourtant  n'avait  rien  de  fixe  dans  le 
xvF  siècle,  pas  plus  que  dans  le  xvno.  Si  Ramus  employait 
partout  Voe  (3)  avoer,  pansoes,  toute f'oes,  pretendoet,  loe, 
etc.,  et  si  Estienne  et  Pelletier(4)  constataient  la  pronon- 
ciation en  è  des  imparfaits  et  de  quelques  mots  comme 
dret,  endret  (pour  droit,  endroit  (o)  nous  trouvons  en  1579 

(1)  Œuci-cs  d'E.-itiennc  Pasquier.  —  Aïïïiiiardam,  1723. 

(2)  Dcuc  cUalof/ues  du  nouooau  langage  J'ranrois  itaUanisé  et 
nut/'oinaiit  dei<rjui!é,  f)i-i.nripal,cnirnt  eiitt-e  lex  <-ofirtisans  de  ee  tcDipf. 
Genève,  1578. 

('^)  l'iKiiuE  Ramus  ou  de  la  Ramke,  Gramerc.  Paris,  1562. 

(4)  HicNiii  Estienne  et  Jacques  Pelletiek,  ouvrages  cités. 

(5)  Dans  ces  mots,  et  dans  quelques  autres  comme  erais  (eroit<). 
/'raid  (froid),  sait  (soit),  etc.,  la  langue  a  fait  un  retour;  du  temps  de 


124  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

dans  Joubert  (1)  lo  mot  [musais  h  côté  de  droite,  et  moy 
à  côte  de  soguensemciU,  ce  qui  prouve  que  l'élément  oi  de 
tous  ces  exemples  était  aussi  différent  pour  la  pronon- 
ciation qu'il  l'était  pour  l'écriture;  au  commencement  du 
xvne  siècle,  Poisson  (â),  qui  n'hésite  pas  à  employer  une 
orthographe  à  lui  et  qui  écrit,  sans  doute  parce  que 
c'était  là  sa  prononciation,  œt,  contrére,  jamés,  palœs, 
écrit  aussi  étoieut,  seroienl,  fransois,  de  même  que 
Simon  (3)  plaçait  faisoit,  français,  à  côté  de  parfelement, 
batissoet  ;  trente  années  plus  tard  Oudin  (4),  secrétaire 
interprète  du  Roy,  avouait  qu'il  est  «  plus  doux  et  plus 
mignard  de  prononcer  connaislre,  paraistre,  drait,  frait, 
extrait,  eourtais,  Français,  eourtaisie  »  ;  «  il  y  a  pourtant 
droit  —  ajoutait-il  —  qui  se  prononce  droet  quand  il 
signifie  la  raison  de  Justice  (5)  »  ;  quelques  années  plus 
tard,  l'instabilité  du  son  des  oi  dans  les  différents  mots  et 
les  caprices  et  les  bizarreries  de  l'usage,  ici  favorable  à 
une  prononciation,  là  à  une  autre,  se  trouvent  parfaite- 

Lartigaut  (1669)  on  disait  encore  ^e^  (soit)  et  M.  A. -F.  Didot  dit  qu'il 
avait  entendu  dans  sa  jeunesse  M.  Tracy  prononcer  il  crait  (ci-oit) 
et  endroit  (endroit). 

(1)  Laurent  Joubert  :  Dialo'juc  sur  la  cacograpliiefi-ansaizo  expli- 
quant la  cause  de  sa  corruption.  —  Paris  1579.  —  Joubert  était 
*;  médecin  ordinaire  du  Roi  de  France  et  du  Roi  de  Navarre,  premier 
docteur,  régent,  chancelier  et  juge  de  l'Université  en  Médecine  de 
Montpellier.    » 

(2)  Robert  Poisson  :  Alfabct  nouceau  do  la  crée  et  pure  orto- 
fjra/e  fransoise  et  modèle  sus  icelui  en  forme  do  Diœioncro.  Dédié  au 
roide  Franse  et  de  Nacarrc  Henri  IIII,  par  Robert  Poisson  équicr 
(Aucile)  de  Valonnes,  en  Noi-innndie.  —  Paris,  1609. 

(3)  Etienne  Simon.  La  eraye  et  ancienne  orthographe  françoiso 
restaurée,  tellement  que  désormais  l'onaprandra  parfctemcnt  à  lire 
et  à  escrire  et  encor  auce  tant  dejacilité  et  breueté  que  ce  sera  en 
moins  de  mois  que  l'on  ne  faisoit  d'années.  Paris.  1609. 

(4)  Antoine  Oudin.  Grammaire  françoise.  rapportée  au  langage 
du  temps.  —  Paris,  1633. 

.  (ô)  Cette  différence  entre  droèt  (droit,  jus)  et  dret  (droit,  rectum, 
rigidum)  jette  quelque  jour  sur  l'action  du  vulgaire  dans  la  pronon- 
ciation ;  dret  en  effet  était  le  mot  courant  de  tout  le  monde  :  allez 
tout  droit,  marcher  droit  ;  droet  était  le  mot  classique,  un  terme 
technique  (jus)  ;  voilà  pourquoi  il  avait  fait  moins  de  chemin  et  s'était 
arrêté  dans  son  évolution. 


ÉVOLUTION  DE  l'oI  FRANÇAIS  125 

meiiL  exposés  dans  louvrago  de  Vaugelas  (1).  véritable 
code  grammatical  de  la  langue  française  par  la  forme  et 
par  l'autorité;  nous  y  voyons  que  mo///s  était  prononcé 
mains  quoique  ce  fût  blâmable  ;  que  tous  les  monosyl- 
labes en  oi  devaient  être  prononcés  oè,  tels  que  loy,  bois, 
dois,  quoi),  moij,  ton,  <'*'^^'  f'^lh  ^lois,  etc.,  en  exceptant 
froid,  crois,  droit,  soient,  voit,  que  l'on  prononçait  [raid, 
crais,  drait,  etc.  ;  que  pour  les  polysyllabes,  boire,  mémoire, 
gloire,  foire  devaient  èti'e  prononcés  par  oè  (boère,  (jloère) 
mais  croire,  accroire,  croyence,  croistre,  accroistrc,  con- 
noistre,  paroistre,  etc.  par  è  {craire,  craistre,  paraistre)  ;  il 
fallait  dire  je  connais,  tu  connais,  il  connait,  et  non  je  con- 
noès,  lu  connocs,  il  connoèt;  pour  les  adjectifs  de  nationa- 
lité, on  disait  Français,  Hollandais,  Milanais,  Polonais,  mais 
aussi  Genoès,  ^ledoès,  Ué(ieoès{%\  Patru  cependant  remar- 
quait, sur  la  prononciation  de  Français,  Anglais,  etc.  (3) 
que  «  en  discours  familiers  et  dans  les  ruelles  cela  est 
»  vrai  ;  mais  en  parlant  en  public,  il  taut  prononcer  les 
»  François,  Anglois,  Uollandois,  Polonois  (c'est-à-dire,  par 
>y  oè)  ;  et  quand  je  haranguai  la  reine  de  Suède,  je  pro- 
»  nonçai  l'Académie  Françoise,  suivant  l'avis  de  la  Com- 
»  pagnie,  qui  se  trouva  conforme  au  mien.  »  Il  faudrait 
croire,  en  lisant  cette  remarque  et  plusieurs  autres  sem- 
blables, comme  celle  de  Vaugelas  :  «  Il  faut  d'ivc  avoine, 
avec  toute  la  Cour,  et  non  pas  aveine  avec  tout  Paris», 
que  les  inlluences  qui  avaient  agi  sur  Voi  s'étaient  ciian- 
gées,  et  que  la  Cour,  après  avoir  poussé,  sinon  inauguré 
la  transformation  de  ïoè  en  è,  revenait  sur  son  arrêt  et 


(1)  Claude  Favre  de  Vauoki.as  :  Remarques  sur-  la  laïKjue  fran- 
roise.  —  Paris,  1G47. 

(2)  C'était  toujours  raction  du  vulgaire  dans  le  langage  ;  pour  les 
mots  qui  étaient  dans  la  bouche  de  tout  le  monde,  révolution  était 
arrivée  au  dernier  terme  de  son  développement  ;  pour  les  mots  peu 
connus,  ou  dont  l'usage  était  plus  restreint,  on  les  pronon(;ait  sacam- 
meat,  s'il  nous  est  permis  d'employer  le  mot.  Pourquoi  cependant  le 
prénom  /•'/•« «co/.s-?  C'était  assinénuMit  pour  ne  pas  le  confondre  avec 
/raiirais. 

(3)  Olivier  Patru.  Ohseroatioiif^  sur  les  Ui'iiuinjnes  de  \'«H;/t'/(/.s. 
—  Paris.  1(381  (ouvrage  posthume). 


126  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

modifiait  ses  goûts  (1),  La  prononciation,  même  pour  les 
imparfaits,  hésitait  encore  dans  la  seconde  moitié  du 
xviie  siècle,  quoique  les  progrès  de  i'è  fussent  évidents  ; 
le  jésuite  Cliiflet  (^2)  disait  en  16o9  :  «  Aux  prétérits 
»  imparfaits  qui  sont  terminés  en  ois  :  comme  je  par- 
»  lois,  tu  parlois,  etc.,  je  parlerois,  tu  parlerois,  etc.,  ois 
»  se  prononce  de  meilleur  grâce  et  avec  plus  de  douceur 
»  en  e  ouvert,  ou  qui  est  le  même  en  ai,  je  parlais,  je 
»  parlerais,  etc  Quoy  qu'à  la  rigueur  on  ne  condamne 
»  pas  pour  une  faute  de  les  prononcer  en  oi.  Les  etran- 
»  gers  ont  tort  de  dire  que  cette  prononciation  est  une 
»  nouveauté  ;  car  il  y  a  plus  de  quarante  ans  que  je  l'ai 
»  veuë  observer  dans  le  commun  usage.  Il  est  vrai  qu'on 
»  y  a  longtemps  résisté  comme  à  une  molesse  affectée  de 
»  langage  efféminé  ;  mais  enfin  elle  a  gagné  le  dessus.  » 
Somaize,  dans  le  Dictionnaire  des  Prétieuses  (3),  nous 
donne,  parmi  les  mots  réformés  par  la  célèbre  <•  coterie», 
parêt,  parêtre,  reconnétre,  naître,  rédeur,  frédeur  (4), 
conaît,  gâtait,  mais  il  nous  donne  en  même  temps  étoit, 
eoûloit,  meconnoissante,  ef'roij,  troisième,  éloigner,  etc.,  ce 
qui  nous  montre  assez  bien  les  hésitations  de  l'usage. 

En  dehors  du  champ  cultivé  par  les  grammairiens,  on 
ne  trouve  qu'exceptionnellement  quelques  traces  de 
l'évohition  qui  s'accomplissait  dans  le  langage  parlé; 

(1)  Nous  reviendrons  sur  cette  question;  voyez  plus  loin,  dans  l'ex- 
posé de  l'évolution  graphique,  la  modification  de  quelques  vers  de 
Racine. 

(2)  Le  Père  Laur,ent  Chiflet  :  Essay  d'une  parfaite  f/rammaire 
(le  la  laïKjae  fraiiçoise  où  le  lecteur  trouvera  en  bel  ordre  tout  ce  qui 
est  de  plus  nécessaire,  de  plus  curieuse  et  de  plus  elac/ant  en  la 
pureté,  en  l'orthographe  et  en  la  prononciation  de  cette  langue. 
—  Anvers,  1659. 

(3)  Antoine  BoDKau  de  Somaize  :  Le  grand  Dictionnaire  des 
Prétieuses,  historique,  poétique,  géographique,  cosmographique, 
cronologique  et  arnioiriquo  où  l'on  cerra  leur  antiquité,  costume, 
decise,  etc.  —  Paris,  1661. 

(4)  DinoT,  dans  ses  Observations  sur  l'orthographe  ou  ortografie 
française,  remarque  que  certaines  amplifications  comme  celle  de 
J'rédaur,  constatent  une  prononciation  exceptionnelle  alors  et  restreinte 
peut-être  au  cercle  des  Prétieuses.  Les  textes  cités  d'Oudin  et  de 
Vaugelas,  et  beaucoup  d'autres,  prouvent  le  contraire. 


ÉVOLUTION  DE  l'oI  FRANÇAIS  127 

l'orthographe  traditionnelle  des  premiers  impnmés,  dé- 
guisant les  mots,  affublait  du  même  habillement  les  sons 
les  plus  différents,  et  l'œil  trompé  ne  parviendrait 
aujourd'hui  à  rien  distinguer  du  tout  s'il  n'était  pas 
guidé  dans  ses  recherches  par  la  lumière  qui  se  dégage 
des  études  grammaticales  de  l'époque.  Avant  que  la 
réforme  phonétique  et  graphique  lût  couronnée  de 
succès,  le  grand  siècle  de  la  France  étonna  l'Europe 
entière  de  son  éblouissant-  éclat,  et  les  grands  écrivains, 
orateurs  ou  poètes,  qui  fondèrent  l'empire  littéraire  du 
langage  trançais,  tenus  à  l'écart  des  querelles  grammati- 
cales, sanctionnèrent  dans  leurs  immortels  ouvrages 
l'orthographe  en  ai  qui  était  généralement  pratiquée,  et 
que  l'on  trouve  partout  dans  leurs  écrits.  Mais  il  ne  faut 
pas  se  laisser  méprendre  à  cette  unanimité  trompeuse, 
et  conclure  de  l'uniformité  de  l'orthographe  à  l'unifor- 
mité de  la  prononciation  ;  il  s'en  fallait  de  beaucoup  que 
cette  prononciation  des  oi  que  l'on  trouvait  dans  l'écri- 
ture fût  aussi  uniforme  qu'elle  en  avait  l'air;  nous  en 
trouvons  la  preuve  dans  les  poètes  mêmes  qui  hono- 
rèrent le  siècle  de  Louis  XIV;  comment  en  pouvait-il  être 
autrement  ?  Quand  nous  venons  de  voir  les  différences 
si  tranchées  qui  existaient  dans  la  prononciation  des  oi, 
il  ne  faut  pas  croire  ([ue  dans  les  ouvrages  où  ces  diffé- 
rences n'étaient  pas  signalées,  elles  n'existaient  pas.  La 
prononciation  qui  correspondait  à  chaque  mot,  suivant 
les  cas,  était  connue  de  tout  le  monde,  et  personne  ne  se 
laissait  tromper  par  la  manière  tout  à  fait  égale  de  repré- 
senter des  sons  différents,  comme  nous  ne  nous  trompons 
pas  non  plus  (|uand  nous  trouvons  oi  en  roide,  en  (jloire 
et  en  oujnon.  Voici  d'ailleurs  deus  échantillons  de  la  pro- 
nonciation en  oèi\),  ({ue  Racine  nous  donne: 


(1)  Il  y  iKiiiolqiuî  chose  (l'iuccrlaiii  dans  notre  afliruiation  et  nous 
ne  saurions  fournir  —  il  faut  l'avouer— des  preuves  assez  concluantes 
de  la  i)rononciation  qua  nous  attribuons  aus  mots  soulignés  dans  les 
vers;  c'est  une  intuition  plutôt  qu'une  conviction  qui  nous  porte  à 
établir  la  prononciation  oè;  mais  la  lecture  des  grammaires  de  l'époque 
vient  fortifier  tellement  notre  opinion  que  nous  n'hésitons  pas  i\ 
l'avancer  comme  l'expression  de  la  vérité. 


128  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Tenez,  voilà  le  cas  qu'on  fait  de  votre  exploit. 
—  Quoi!  C'était  un  exploit  que  ma  fille  lisait! 

[Les  Plaideurs.) 

La  colère  revient,  et  je  me  reconnois  ; 
hnmolons  en  partant  trois  ingrats  à  In.  fois. 

[Mithridate.) 

Corneille  et  Molière  nous  fournissent  aussi,  parmi 
beaucoup  d'autres,  ces  exemples  de  la  même  prononcia- 
tion en  oè  . 

Car  s^il  avait  affaire  à  quelque  maladroit. 

Le  piège  est  bien  tendu,  sans  doute  il  \c  perdrait. 

(Corneille.) 

Tu  sais  qu'en  pareil  cas,  ce  seroit  avec yofe 
Que  je  te  le  rendrois  en  la  même  monnoie  (1). 

(Molière.) 

Voici  d'un  autre  côté,  deus  échantillons  de  Racine, 
que  nous  choisissons  préféremment  à  cens  d'autres 
poètes,  pour  la  prononciation  en  è  : 

Quel  plaisir  d'élever  un  enfant  qu'on  voit  croître, 
Non  plus  comme  un  esclave  élevé  par  son  maître  ! 

{Andromaque .) 

(1)  Dans  la  rime  jote-moiinole  de  Molière,  je  suis  tenté  de  voir,  au 
lieu  d'un  oè,  un  oà  ou  ouâ;  le  son  oà  pour  Voi  de  quelques  mots 
était  alors,  comme  nous  aurons  tout  de  suite  l'occasion  de  le  voir,  assez 
répandu  et  tendait  à  remplacer  Vc  et  Voe  surtout  dans  les  oi  terminaus, 
et  Molière  était,  on  le  sait,  le  poète  à  la  mode.  Et  puis  n'y  a-t-il  pas 
quelque  chose  de  blessant  et  d'inharmonique  dans  ce  rendfoè  {rendrota) 
qui  lernie  l'hémistiche,  plact'ï  entre  Joio  et  monnoie,  si  la  lecture  de  ces 
mots  devait  êivejoè,  monoè  ?  Ne  sera-t-il  pas  plus  conforme  à  la  vérité 
de  lire  «  que  Je  te  lerendroè  en  la  nu' me  monoà  »,  que  de  lire  que  je  te  le 
rendroè  on  la  même  monoè  ?  Nous  n'osons  pourtant  trancher  résolu- 
ment la  question;  ;\  d'autres  plus  habiles  de  la  résoudre  dé  fi  uili  ve- 
inent :  c'cv;!  assez  jioui'  nous  de  la  posi^i'. 


ÉVOLUTION  DR  l'oi  FRANÇAIS  129 

Déti'uisons  ces  lionneurs  et  faisons  dispar^oitre 
La  honte  de  cent  rois  et  la  mienne  peut-être  (1). 

{Mithridate.) 

Mais  il  y  avait  plus  encore  :  l'évolution  de  Voi  arrêtée 
pour  quelques  mots  en  oè,  et  arrivée  pour  d'autres  à  è, 
tendait  à  faire  un  nouveau  pas,  mais  dans  une  autre 
direction,  en  transformant  Voè  en  oà.  D'où  cette  nouvelle 
transformation  était-elle  venue  et  comment  l'expliquer? 
«  Oua  —  dit  Diez  (2)  —  est  uii  développement  plus  avancé 
»  (que  ouè),  et  comme  aucune  raison  physiologique  n'ex- 
»  plique  sa  présence,  on  ne  peut  mieux  le  faire  qu'en  l'at- 
»  tribuant  au  goût  de  la  langue,  qui  trouvait  plus  commode 
»  un  à  à  la  finale  dans  cette  combinaison.  C'est  donc  le 
>i  déplacement  de  l'accent,  comme  nous  l'observerons 
»  pour  ui,  qui  a  préparé  la  prononciation  nouvelle  de  la 
»  diphthongue  oi,  «  Le  déplacement  de  l'accent,  en  effet, 
en  faisant  tomber  le  ton  sur  Vè,  pouvait  produire  un  dou- 
ble effet:  l'effacement  de  ïo,  ce  qui  donnait  pour  oi  è  et 
le  renforcement  de  l'^^  qui  le  changeait  en  a  (3);  voilà 
aussi  notre  explication  de  l'apparition  de  Voà. 

(1)  Pourrait-on  voir  dans  les  oi,  de  croître,  disparoitre  des  oè, 
croHro,  disparoctre  ?  Nous  croyons  que  non  ,  et  voici  les  raisons  que 
nous  avons  pour  établir  la  négative  ;  la  rime  croètre- mètre  n'est  pas 
admissible,  surtout  dans  un  poète  aussi  soucieus  des  règles  de  l'har- 
monie que  Racine  ;  l'é  de  oè  n'est  pas  en  effet  un  simple  è  ;  l'a  et  l'é 
se  mêlent  tellement  que  l'e  se  trouve  affecté  du  son  consono-vocalique 
de  l'p  et  s'en  teint  ;  en  outre,  la  prononciation  des  oestre  en  être  était 
alors  reçue  partout  ;  enfin,  Racine,  qui  était  arrivé  à  prononcer  (et 
même  à  écrire,  voyez  plus  loin),  faire  (fuirois),  prononçait  assuré- 
ment —  c'est  du  moins  notre  avis  —  crètro,  reconètrc. 

(2)  Fried.  Duîz  :  Grammatik  der  romanischcn  Sprac/ien,  Iraduolioa 
d'Aug.  Brachct  et  de  G.  Paris. 

(8)  Ce  renforcement  de  Vè  provenant  d'oè  eu  a  n'est  que  trop  naturel, 
Vo  est  une  voyelle  guttur-labiale,et  l'é  une  voyelle  guttur-palatale  ;  l'élé 
ment  commun  entre  l'é  et  l'p  est  la  gutturalité  ;  mais  dans  l'è  la  guttu- 
ralitédomine,  tandis  ijue  dans  Vo  c'est  la  labialité  qui  est  dominante  ;  le 
déplacement  de  l'accent,  portant  le  ton  sur  l't',  renforce  l'élément  gut- 
tural et  produit  le  changement  de  l'é  en  a  aus  dépens  des  éléments 
guttnraus  de  l'o  dont  la  labialité  s'accroitau  pointde  devenir  presque  un 
ou,  les  éléments  guttnraus  de  Vo  ayant  été  attirés  par  le  son  pleinement 
g.uttural  de  l'rt.  C'est  du  moins  la  seule  manière  satisfaisante  d'expli- 
. Huer  un  phénomène  pour  lequel  Diez  ne  trouvait  «  aucune  raison 
pliysiologiciue  ». 

RliVUE   DE   HniLOLOGIE,   V.  9 


130  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Pourquoi  maintenant  Voi  de  tels  mots  était-il  prononcé 
è,el  loi  de  tels  autres  oà?  Pourquoi  françois  esi-W  devenu 
franc  es  eX  François  /"ra/isort  ?  Pourquoi  monnoie  s'est-il 
ctiangé  en  monè  el  joie  en  joàî  Vonrqnoi  roideur  s'est-il 
transformé  en  rédeur,  et  froideur  en  froàdeur?  Pourquoi 
anglois,  écossois  sont-ils  devenus  angle,  écossè,  et  danois, 
liégeois  se  prononcent  danoà,  liéjoàî!  Pourquoi  connoistre, 
paroistre  se  sont-ils  transformés  en  conèlre,  parètre,  et 
croislre,  accroistre  en  croàtre,  accroàlre?  Pourquoi  ar- 
moire est-il  devenu  armoàre  ?  Il  n'est  vraiment  pas  de 
raison  assez  solide  pour  expliquer  de  telles  velléités  du 
langage;  on  peut  dire  que  ce  sont  simplement  des  capri- 
ces de  l'usage,  mais  c'est  trancher,  ne  pas  résoudre  le 
problème;  car  quelle  a  été  la  cause  de  tels  caprices? 
La  seule  explication  que  nous  osions  hasarder  est  de  dire 
que  pour  les  mots  où  la  prononciation  en  è  ne  s'était  pas 
l)ien  fixée,  la  langue,  qui  avait  fait  un  retour  sur  ses 
pas  en  conservant  Yoè  où  l'on  pouvait  le  faire  encore, 
avait  développé  la  tendance  gutturale  de  1'^'  de  la  di- 
phtongue jusqu'à  la  transformer  en  a,  oà  Pour  les 
imparfaits  et  conditionnels,  tant  que  pour  les  noms  de 
nationalité  vulgarisés  etconsacrés  par  l'usage,  et  pour  les 
verbes  en  oistre,  la  prononciation  entrent  le  dessus,  sans 
qu'on  put  la  renverser  quand  on  essaya  d"y  parvenir; 
pour  tous  les  autres  mots,  oè  devint  oà  qui,  employé 
d'abord  dans  les  monosyllabes  foi,  trois,  loi,  croix,  vois, 
froid,  parce  qu'il  leur  donnait  un  son  plus  plein,  s'appli- 
qua plus  tard  logiquement  aus  dérivés  troisième,  loyal, 
croisée,  froideur,  et  puis,  par  analogie,  ou  par  le  goût  de 
la  langue,  à  beaucoup  d'autres  mots  au  commencement, 
au  milieu  ou  à  la  fin,  sans  distinction;  pour  quelques 
mots  isolés,  qui  ne  formaient  pas  de  groupe,  la  pronon- 
ciation, tantôt  favorable  à  1'^^  tantôtà  l'a,  hésita  longtemps 
entre  ces  deus  sons  et  finit  par  se  fixer  soit  dans  l'un, 
soit  dansft'autre;  de  là  raide  et  droit,  joie  et  monnaie  etc. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  qui  est  bien  certain  et  bien 
acquis,  c'est  que  cette  prononciation  ne  naquit  qu'après 
le  déplacement  de  l'accent  de  la  diphthongue  ;  que  les 
exemples  les  plus  anciens  qu'on  en  ait  recueillis  sont  de 


ÉVOLUTION  DE  l'oI  FRANÇAIS  131 

ia  seconde  moitié  du  xv«  siècle,  tels  que  les  rimes  de 
Villon  :  barre,  carre,  poirre[i),  et  que  c'est  au  menu  peu- 
l)le  parisien  que  nous  devons  principalement  la  conser- 
vation, si  non  l'invention,  et  la  vulgarisation  du  son 
oadQoi;Eenn  Estienne  en  effet  remarque(2),qu'«il  ne  faut 
pas  moins  éviter  de  prononcer  mous,  foas,  troas,  roas, 
comme  le  menu  peuple  parisien  »;  Théodore  de  Bèze  (3) 
dit  de  son  côté  :  «  corruptlsslme  vero  parisienslum  vulgus 
Dorc's  ~}.v.zetd^o-jTrxç  iinHati,  pro  voirre  (vitriim)  sive,  ut  alii 
seribiDil,  verre,  Uyivvefpak'u  farraceaj Hcrlbunl  cl proniui  ■ 
liant  voarre  et  foarre  itidemque  pro  trois  (très)  troas  et 
tras.  »  Cette  prononciation,  malgré  tous  les  efforts  tentés 
pour  la  faire  disparaître,  gagna  peu  à  peu  du  terrain  et  ce 
qui  n'était  d'abord  qu'une  corruption  digne  de  tous  les 
mépris,  ce  qui  n'était  encore  arrivé  à  la  fm  du  xvi"  siècle 
qu'à  ètrc^  employé  par  le  menu  peuple,  par  le  vulgaire 
parisien,  était  déjà,  au  commencement  du  xviii*,  un  siècle 
après,  «  la  prononciation  commune  à  Paris,  même  parmi 
dlionnétes  gens  »  suivant  le  témoignage  du  P.  Buffier  (4), 
et  aujourd'hui  est  la  seule  prononciation  courante  pour 
Voi  orthographique,  car  pour  tous  les  autres  oi,  ou 
l'évolution  graphique  s'est  consommée  {était,  serait, 
raide,  monnaie,  anrjlais),  ou  ils  restent  à  l'état  de  pro- 
nonciations exceptionnelles  à  côté  de  la  règle  générale. 
Le  nouveau  pas  que  l'évolution  en  oà  de  ïoi  menaçait  de 
faire  en  effaçant  tout  à  fait  le  son  de  Vo  absorbé  par  Va, 
ce  qui  n'était  que  la  conséquence  logique  et  naturelle  de 
ia  tonicité  de  l'a,  reste  encore  à  l'état  de  fait  isolé,  de  cas 
de  corrujition  ou  d'exemple  de  patois  sans  portée  sur  la 
prononciation  courante,  malgré  ce  qu'on  pouvait  craindi'e 
en  voyant  Bèze,  il  y  a  trois  siècles,  signaler  à  notre  atten- 
tion le  mot  Iras  (trois)  pour  froàs. 

(1)  Voyoz  RossMANN  :  F/-o/u-/i.</.svAr.<  oi.  d'où  j'ai  pris  ces  cxoinplos. 

(2)  HiîNRi  EsTiiîNNE  :  D(Ui,E  i/ialof/ui's  (/u  noiiroau  lanf/xf/c  /raiirois 
italianizô,  etc. 

(8)  TiiiioDOUE  i)K  Bè'/.k:  Dr /'/■aii<'i'iae  liiu/uac  recta  /ironuntiatioiii' 
Irartatuf'.  —  Paris  1584. 

(4)  Claude  Bukeier,  jésiiilo  :  (i/riminairc  l'ranroi.<c  sur  un  />/<ut 
nourcau.  —  Paris,  1709. 


132  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Et  ce  n'était  pas  tout  non  plus  .-  si  ïoi  était  prononcé 
dans- les  xvf  et  xvif  siècles  tantôt  è,  tantôt  oè,  tantôt  gà 
(sans  tenir  compte  des  nuances  de  ces  sons,  vraiment 
négligeables)  il  y  avait  encore  un  groupe  très  considérable 
de  mots  où  il  y  avait  une  autre  prononciation  :  c'était  le 
groupe  où  Vol  était  suivi  d'une  nasale  dans  la  même 
syllabe  .-  la  combinaison  oiri  avait  eu  à  l'origine  la  valeur 
On  [ogn)  Vi  n'y  figurant  que  pour  mouiller  le  n,  de  la  même 
manière  que  dans  les  combinaisons  il,  ille  {détail,  ver- 
meil, bataille,  treillis)  Yi  ne  joue  pas  non  plus  d'autre  rôle 
que  celui  de  mouiller  le  l{\);  les  rimes  besoing-poins, 
poing-loing,  dans  Renaud  de  Montalban,  tesmoing-besoing 
dans  Huon  de  Boi\\ed.ux; poing-soing-besoing  dansGaydon, 
etc.,  toutes  employées  dans  des  tirades  de  versassonnants 
en  0,  prouvent  assez  la  prononciation  en  on  :pon,  son,  Ion, 
bezon  ;  mais  comme  le  son  du  h  mouillé {n\  contient  un  /, 
qui  est  précisément  celui  qui  donne  au  n  le  caractère 
palatal  qui  le  distingue  du  u,  cet  /  dans  le  développement 
delà  langue,  se  dégagea  du  n,  et  la  décomposition  du  n 
donnant  i-\-n,  on  donna  à  son  tour  o-l-Z-f-^^-  Cette  pronon- 
ciation eut  très  peu  de  durée  ;  1'/  devant  n,  dans  le  Roman 
de  la  Rose  et  dans  Rutebeuf,  s'est  déjà  transformé  en  e  et 
oin  en  o-j-e/i,  comme  le  prouvent  les  rimes  paintes-cointes, 
paintes-poinles  du  Roman  de  la  Rose,  plaindre- joindre, 
lourdain-enjoin,  saintes- jointes  de  Rutebeuf,  et  même 
baing-poing,  paintes-accointes  de  Charles  d'Orléans  dans 
le  quinzième  siècle  ;  le  n  ne  tarda  pas  à  se  fondre  avec  la 
voyelle  précédente  en  la  nasalisant,  et  alors  o/'/?.se  changea 
en  oé  nasal.  A  côté  cependant  de  o-\-en  subsista  long- 
temps o-\-in  comme  le  prouventPalsgrave  et  Ramus,  et  à 
côté  de  oé  nasal  subsista  aussi  oi  nasal  comme  le  prou- 
vent les  remarques  de  Chitlet  ;  on  peut  donner  pour 
certain  qu'à  la  fin  du  xvii^  siècle  la  prononciation  cou- 
rante, attestée  par  De  la  Touehe,  était  oé  nasal  (2).  Mais 


(1)  Voyez  SiKVHRs  :   VerhandluiiQan  der  Leipsiger  PhilologenccT- 
sammlung  con  1872  et  aussi  dans  les  GrumhiUje  der  P/ionctik. 

(2)  Voyez  Livet  :  La  (iramniairc  française  et   les    f/rairiinai'/'Leni< 
du  sehième  t^iè^le.  —  LIi,nm<:n  :  7j'it>fe]iriJ't  fur  /■omcaiisc/wH  pliilolo- 


ÉVOLUTION  DE  l'oI  FRANÇAIS  133 

de  la  même  manière  que  oé  était  devenu  oà  dans  le  der- 
nier degré  de  son  évolution,  oé  nasal  évolua  aussi  en  oà 
nasal,  et  nous  sommes  aujourd'hui  précisément,  comme 
l'atteste  M.  Passy  (1),  dans  une  époque  de  transition,  où 
tantôt  nous  entendons  prononcer  coin,  loin  par  kive,  Iwe 
tantôt  par  kwn  Iwa  ;  quelques-uns,  comme  M  Logeman(2) 
voudraient  établir  une  distinction  entre  l'om  de  coin  et 
Voiufj  de  poinff,  mais  nous  croyons,  avec  Paul  Passy  (3), 
que  cette  distinction  est  purement  artificielle  et  qu'elle 
ne  répont  pas  aus  faits,  d'autant  moins  que,  pour  l'éty- 
mologie,  on  aurait  pu  conserver  le  g  aussi  bien  pour  loing 
(longe),  que  pourvoi»//. 

(A  suicre.) 

(jie  ///.  —  SiEVF.KS  :  Vci-han(Uun;jca  dcr  Leipsigcr  Philologcaccr- 
sammUcnf/  cou  1872.  —  Littré  ;  Histoire  de  La  langue  française.  — 
LuTGENAU  :  Die  Aussprache  des  Frajizôsischen.  —  Neu.mann  :  Zur 
Laut-  tuid  Flaœionslohra der  Alt/ransôsischen  —  Forster  :  Sehicksale 
des  lateinisehoii  6  in  P ranzôsiselicn.  —  Rossmann  :  Franzôsisches  oi. 

(1)  Paul  Passy  :  Kiirze  darstellung  des  framôsischen  Lautsystcm 
(Phonetische  Studien,  i)  «  Ichfwâ  swâ  u.  s.  w.  sage,  dit  le  savant 
phonétiste  français  —  mehrere  meiner  geschwister  clagegen  ficà 
sieàn  Logeman  {ibidem)  lui  ayant  reproché  cette  distinction,  Passy  lui 
répondit  :  «  Je  puis  affirmer  que  —  oin  se  prononce  de  deux  manières; 
je  prononce J}cdsird  comme  M.  Logeman  ;  c'est  peut-être  la  pronon- 
ciation la  plus  habituelle,  mais  j'entends  constamment  ./(ràsr<;à  et 
dans  ma  famille  et  ailleurs.  »  Moi  aussi  j'ai  pu  constater  cette  double 
prononciation  et  il  m'est  même  arrivé  une  chose  bien  curieuse  :  ayant 
eu  quelques  doutes  sur  le  son  de  Voin  à  Paris  et  en  Suisse,  je  me 
suis  adressé  à  M.  Passy  et  à  M.  Ferrette,  de  Paris  et  de  Lausanne,  et 
ils  m'ont  répondu  tout  à  fait  le  contraire  l'un  de  l'autre  :  poui'  l'un  la 
règle  était  œd  pour  l'autre  wà. 

(2)  Willem,  S.  Lo(;eman  :  Romarhs  on  Paul  Passy  l'rench plione- 
tics  (Phonetische  Studien,  i.) 

(3)  «  Quant  à  la  différenciation,  dit  le  distingué  collaborateur  des 
Pmonetisciie  Studien  i.  —  entre  les  deux  formes  (wâ  dans  coing, 
/)oing,  Loing  et  wà  dans  coin,  point,  loin)  je  ne  l'ai  observée  que  chez 
«luclques  personnes;  peut-être  est-elle  artificielle.  »  Nous  n'avons  pas 
non  plus  constaté  cette  différenciation  ;  on  prononce  suivant  les  goûts  ou 
li's  liabitudes  œd,  ou  R"«,mais  de  même  pour  un  mot  (|u<'  pour  l'autre. 


CHANSONS  SATIRIQUES  EN  PATOIS  LYONNAIS  (1) 
Publiées  par  E.  Philipon 


II 

NOËL     EN     PATOIS    LYONNAIS 

1721  à  1725  (?) 


Le  Noël  était  devenu  au  siècle  dernier  l'arme  favorite 
des  chansonniers  qui  faisaient  naître  Jésus  à  Paris  ou  à 
Lyon,  en  Provence  ou  en  Bourgogne,  pour  avoir  occa- 
sion de  rire  tout  à  leur  aise  des  petits  ridicules  de  leurs 
concitoyens.  On  était  alors  aus  antipodes  de  la  liberté 
de  la  presse.  Des  peines  d'une  sévérité  extrême  atten- 
daient les  imprimeurs  de  libelles  ;  aussi,  la  plupart  des 
pièces  satiriques  restaient-elles  manuscrites.  L'auteur 
se  contentait  d'en  faire  tirer  des  copies  â  la  main  qu'on 
se  passait  secrètement.  Tel  fut  le  sort  du  Noc!  en  patois 
lyonnais,  dont  on  ne  connaît  qu'une  seule  copie  com- 
plète :  c'est  celle  qui  a  passé  de  la  collection  Coste  à  la 
Bibliothèque  de  la  ville  de  Lyon  (2).  L'érudit  Cochard 
possédait  quelques  fragments  de  notre  Noël  qui  m'ont 
été  obligeamment  communiqués  par  M.  Véricel,  leur 
détenteur  actuel.  Je  désignerai  par  A  la  copie  de  la 
Bibliothèque  de  Lyon,  et  par  B  les  fragments  de 
Cochard.  Les  ms.  A  et  B  proviennent  visiblement  de 
deus  soiu^ces  différentes. 

Notre  Noël  a  été  attribué  sans  raison  bien  décisive  au 
chirurgien  lyonnais  Pierre  Laurés ,  auteur  d'autres  com- 
])Ositions  du  môme  genre. 

(1)  Voyez  Revue  de  Philologie  française,  iv,  page  215. 

(2)  Noël  on  patois  If/onnais,  lait  en  l'année  1741,  suivi  de 
(|uolqucs  autres  chansons,  ms.  pet.  ln-18^  marocain  plein  (Cata- 
lorjiie  Coste,  n"  17332  et  Catal.  de  la  Biblioth .  de  la  Ville,  n"  680,j. 


NOËL    EN    PATOIS    LYONNAIS  1)^5 

Divers  indices  relevés  dans  le  Noël  lui-même  per- 
mettent de  placer,  avec  une  suffisante  vraisemblance, 
la  date  de  sa  composition  entre  1721  et  1725. 

Le  Noël  en  patois  lyonnais  a  été  édité  deus  fois  déjà  : 
la  première,  en  1846,  par  Montfalcon,  pour  la  Collection 
des  Bibliophiles  lyonnais  (1);  la  seconde,  en  1882,  par 
Nizier  du  Puitzpelu,  sous  ce  titre  :  «  Un  Noël  satirique 
en  patois  lyonnais  »  (2).  L'édition  que  j'en  donne  aujour- 
d'hui diffère  notablement  des  éditions  précédentes,  tant 
pour  l'établissement  du  texte  que  pour  l'interprétation 
de  certains  passages  difficiles.  Elle  a  été  préparée  d'après 
une  copie  que  j'ai  prise  moi-même,  avec  le  plus  grand 
soin,  sur  le  ms.  de  la  Bibliothèque  de  Lyon. 

{\)  Facéties  lyonnaises^  Chansons  lyonnaises,  Lyon,  Th.  Lé- 
pagnez,  1846. 

(2)  Un  Noël  satirique  en  patois  lyonnais,  traduit  et  annote 
par  Ni.sier  du  Puit^pclu,  Lyon,  1882.  Depuis  l'époque  où  j'écri- 
vais ces  lignes  (septembre  1886),  Nizier  du  Puitspelu,  a  donné 
une  «  seconde  édition  entièrement  refondue  »  du  «  Noël  satirir/ne'y>, 
édition  pour  laquelle  il  a  mis  à  profit  une  copie  incomplète  trouvée 
dans  les  papiers  de  Breghot  du  Lut.  Les  variantes  relevées  entre 
le  texte  de  ce  fragment  et  le  texte  imprimé,  ou  sont  de  mince 
importance,  ou  proviennent  de  mauvaises  lectures  du  ms.  Coste  : 
c'est  ainsi  qu'au  couplet  2,  on  lit  très  distinctement  los  amis  et 
non  les  amis,  comme  l'imprime  N.  du  P.;  de  môme  au  couplet  5 
per  et  non  par  derry. 


1  Un  enfant  qu'est  novio  na 

Meigna,  veni  atropa  (1)  Qu'a  ben  bonna  teta, 

A  cella  bella  fêta;  Y  nos  a  pris  à  la  gola  (2) 

(1)  Ms.  a  Iropa  Enfants,  venez  attroupés,  on  foule.  Sur 
meifina  voyez  Ducange,  GL  Mainnada  et  Gl.  Gai.  maisnie. 

(2)  Goulée,  grosse  bouchée,  ce  qu'on  avale  d'un  seul  coup. 
(Richelet,  Le  Noaceaa  Dictionnaire  Jrancois;  Cotgravo, 
A  french  and  enrjUsh  Diclionnarji  et  Littré  v"  goulée). 


136 


REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 


De  la  gcula  de  Rapina  (3i 
Et  Ion,  lan,  la,  (la)  rerilenla, 
Et  Ion,  lan,  la,  lerire. 


Ay  (4)  no  faut  donc  ben  rengi 
Tretous  d'una  tyre  (5). 

Alons  vito  los  amis, 
Que  n'y  a  pas  à  rire; 

De  votra  via  vo  n'avi  viii 

Un  si  gros  petit  monsieu. 

Et  Ion,  len,  la,  etc. 

3 

Copa  donc,  s'y  a  moyen, 
Gagnon  la  dressyre  (6). 

Diable,  soveny-vo  bien 
De  l'apela  Syre, 


Puis  en  prés,  cria  bien  fort  : 
Te  rogamus  audi  nos. 

4 

Ma  fay,  je  cray  que  j^y  son, 
Totore  (7)  à  la  porta; 

Je  vayo  lo  viu  patron  (8)^ 
Qu'est  après  sa  sopa  (9); 

Y  la  fat  bien  mittona, 

Mais  n'est  pas  per  notron  na. 

5 

Qu'et-ay  cely  charbony  (10) 
Qu'avize  la  mare  ? 

Et  l'autro  qu'est  per  derry 
Cely  qu'i  dion  son  pare  ? 

Et  l'autro  qu'est  par  devant 

Qu'empoisonne  (11)  avoy 
[d'encen  (12). 


(3)  Glouton,  vorace,  sobriquet  pittoresque  donné  au  diable. 
Cf.  Cotgrave  v^  Rapineux.  Le  sens  est  celui-ci  :  Jésus  nous 
a  arraché  de  la  gueule  du  diable,  au  moment  où  celui-ci  se 
disposait  à  ne  faire  de  nous  qu'une  bouchée. 

(4)  Ay  est  le  pron.  pers.  neutre,  lat.  hàc.  Marguerite  d'Oingt 
emploie  la  forme  hay,  ay  concurremment  avec  la  forme  oy 
(hoc).  Au  xvije  siècle  oy  a  disparu.  La  Bernarda-Buyandiri, 
la  Ville  de  Lyon  en  vers  burlesques  et  les  Noëls  lyonnais  ne 
connaissent  que  les  formes  hay,  liai,  ay,  ai  ou  ey. 

(5)  Tous  d'une  tire,  à  la  suite  les  uns  des  autres. 

(6)  Vfr.  dressiere\  prov.  dresseyra  (Raynouard,  Lexique 
Roman,  V.  73),  sentier  qui  abrège,  voie  la  plus  directe. 

(7)  Tout  à  l'heure,  bientôt. 

(8)  Saint  Joseph. 

(9)  Etre  après,  signifie,  en  lyonnais,  être  occupé  à.  Être 
après  sa  sopa,  c'est  être  occupé  à  préparer  sa  soupe. 

(10)  Le  charbonnier,  c'est  le  roi  nègre  de  la  légende  sacrée. 

(11)  Empoisonner  a  gardé  dans  notre  patois  le  sens  intran- 
sitif de  répandre  une  mauvaise  odeur. 

(12)  Avec  de  l'encens.  Notons  qu'en  lyonnais,  de  pris  parti- 
tivement  n'exige   pas  après  lui   l'article  défini   le,  la,  les. 


NOËL    EN    PATOIS    LYONNAIS  137 

6  Chacun  lieu  divisa. 

Vay-tu  pas  qu'i  est  de  ray  Ne   manquons   pas   notron 
Du  fin  fon  du  mondo,  [coup, 

Arrivas  d'huer  u  sai,  Fiançons  nous  dcrri  lo  bou. 

A  causa  d'un  songo  (13)  ?  8 

L'étaila  los  a  conduit,  Vay-tu  lo  pauro  petit  ? 
Totmondamen  (14)  amynuit.  Mon  Diu  qu'il  est  drolo  ! 

Sa  mare  que  l'echandit  (16) 
^  -  Avouayque  son  soflo  ! 

Fortsenfans,  n'ayons  pas  pou,  Lo  pare,  tôt  ebobi  (17), 

Entrons  tôt  de  fila,  Qongnc  a  l'ane  un  coup  de 
Per  entendre  de  tertou  (15)  [pi  (s)  (18). 

comme  cela  a  lieu  en  français.  Cette  façon  de  parler  est  cons- 
tante chez  nous . 

(13)  Prononcez  sonjo. 

(14)  Tout  clairement,  comme  en  plein  jour,  du  lat.  nuwdas. 
A  écrit  mon  damen. 

(15)  Du  lat.  *transtotéi  qui  adonné  tretou  et  par  mélathèse 
tertou. 

(16)  £'eA«nrfi,  réchauffer,  répont  à  un  hypothétique  *ecrcan- 
dire,  et  non  à  l'inchoatif  excandiscere,  qui  aurait  donné  en 
lyonnais  echandeitre.  Le  patois  de  Saint-Genis-les-Ollières 
(Rhône)  emploie  la  forme  echàndre  (lat.*escàno?ere),  au  sens 
de  faire  chauffer,  rendre  chaud.  Le  forézien  a  la  double  forme 
echàndre  et  echandi.  (P.  Gras,  Diction,  du  patois  forézien.) 

(17)  Le  ms.  A  écrit  eboli  ;  mais  eboli  (pour  ebol^i),  éven- 
tré,  écrasé,  ne  convient  pas  du  tout  comme  sens  ;  eholi  (d'e^r- 
buUire),  au  sens  de  bouillant  (?),  serait  bien  étrange  appliqué 
au  placide  mari  de  la  Vierge  ;  sans  compter  que  cette  inter- 
prétation va  à  rencontre  des  règles  les  plus  élémentaires  de 
la  syntaxe,  en  donnant  à  une  forme  passive  une  signification 
active.  Je  propose  de  lire  ebobi,  pour  ébaubi,  qui  convient  à 
merveille  à  la  simplicité  proverbiale  du  bon  saint  Joseph. 

(18)  Littéralement  :  cogne  à  l'âne  un  coup  de  pied.  Le  ms. 
résiste  à  la  lecture  Gonr/ue.  Quanikhilcçon  g inr/ue,  proposé(> 
par  l'un  des  précédents  éditeurs,  elle  n'est  pas  admissible, 
f/inr/uer  signifiant  à  lui  seul  lancer  un  coup  de  pied.  Pour 
la  leçon  qongne  (lat.  cunearc)  cf.  le  français  ])opiii;n're  cogner 
battre,  rosser. 


138  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

9  Y  n'est,  mou  ama  (21),  pas 

Et  lo  bou  avouay  sa  quat  (19)  [soit  (22), 

Qu'et-ay  qu'y  tortille?  Sou  (23),  naydiu  (24),  tomba- 

Te  devrias  bien  ly  donna  [me-lo  (25). 

Un  coup  de  calliche  (20). 

(19)  Les  patois  actuels  prononcent  couà  (lat.  caudam),  en 
rejetant  l'accent  sur  la  métatonique.  Cf.  Patois  de  Saint- 
Genis-les-Ollières  §§  59  et  41,  dans  cette  même  Revue,  t.  II, 
pp.  29  et  35. 

(20)  La  calliche  est  la  masse  dont  se  servent  les  bouchers 
pour  assommer  les  boeufs.  Calliche  dérive  du  lat.  cala,  pieu, 
bâton  (Forcellini,  v»  cala).  Le  patois  de  Saint-Genis  possède 
le  diminutif  calichet,  petit  bouquet  de  cerises. 

(21)  Expression  affirmative;  c'est  l'analogue  de  l'expression 
française  :  sur  mon  âme.  Les  bugistes  disent  dans  le  môme 
sens  :  m'/i  arma  oua. 

(22)  Les  précédents  éditeurs  ont  imprimé  :  sot.  Cet  adjectif 
appliqué  au  boucher  ne  s'explique  guère  ;  appliqué  au  bœuf, 
il  ne  s'explique  pas  du  tout.  Le  ms.  A  porte  d'ailleurs  très 
visiblement  soit  et  non  sot.  Soit  (lat.  solutum)  signifie  délié, 
détaché;  cf.  le  franc,  soulte.  Le  sens  devient  dès  lors  très 
clair  :  le  boucher,  pour  donner  du  cœur  à  son  compagnon, 
l'assure  que  le  bœuf  est  attaché. 

(23)  Zou,  allons  ! 

(24)  Dans  les  textes  en  patois  lyonnais  du  xviii^  siècle,  cette 
expression  ne  se  rencontre  que  sur  les  lèvres  des  bouchers. 
On  a  voulu  y  voir  une  contraction  de  nus  aist  Dieu,  Dieu 
nous  aide  ;  outre  que  1  elipse  serait  forte,  on  ne  s'explique  pas 
bien  pourquoi  ce  juron  serait  devenu  la  propriété  exclusive 
des  bouchers.  D'autre  part  naidiu  équivaut  à  naigu,  par  suite 
de  la  confusion,  habituelle  aus  dialectes  de  notre  région, 
entrela  dentale  mouillée  et  la  gutturale  (Gî</ea pour  Z)ie?<,  etc.)  ; 
cette  forme  naigu  se  trouve,  d'ailleurs,  dans  l'un  des  Noëls 
lyonnais  publié  par  Lyon-Recue  (1885  p.  123).  Or,  naigu 
est  encore  aujourd'hui  le  nom  donné  aus  bouchers  qui  tuent 
des  bêtes  de  qualité  inférieure  {Patois  de  Saint-Genis). 
Naidiu  parait  avoir  ici,  comme  dans  les  autres  textes  lyonnais 
du  siècle  dernier,  le  sens  de  bour^her  ou  mieus  gar('on  bou- 
cher. Qiuint  à  l'étymologie  du  mot,  elle  m'échappe  encore. 

(25)  Abat-moi-le. 


NOËL    EN    PATOIS    LYONNAIS  130 

10  Y   sont   lo    biaux   fins   pro- 
Vey,  qu'i  aret  im  bio  moyen  [mis  (29) 

D'avay  noutra  grâce  !  Avouay  tôt  lieu  mondo  : 

Ne  te  sovin-tu  pas  bien  St-Just,  St-Paul  que  lo  sui, 

De  noutra  bella  farce,  Et  lo  crota  de  St-Nezy  (30). 

Sourtout  de  la  vilaine  action  12 

Quand    je    manquiron    Ma-  «  Grand  roy,  nous  vous  de- 

[rion  (26).  [mandons 

11  •  »  Avouayque  (30  bis)  soup- 
Quaisi-vo  (27),  si  vo  voly,  [plesse. 

Que  vaicia  lo  Conto  (28)  ;      »  La  continuation 

(26)  Le  sieur  Marion  était  directeur  jde  la  ferme  de  Lyon. 
Le  couplet  10  fait  allusion  à  la  révolte  fomentée,  en  1714,  par 
les  bouchers,  à  l'occasion  d'un  impôt  que  l'on  avait  mis  sur 
les  bestiaus  destinés  à  la  consommation  de  la  ville  (Péricaud, 
Tablettes  chronologiques,  1714).  Dans  son  catalogue  des 
mss.  de  la  Bibliothèque  de  Lyon,  sous  le  n»  1297,  Delandine 
mentionne  une  pièce  en  patois  lyonnais  intitulée  :  Lo  com- 
pare Liode  Levet.  «  C'est,  dit  le  catalogue,  une  lettre  en  pa- 
tois lyonnais  dans  laquelle  un  boucher  de  Lyon  rend  compte 
à  son  compare  Meïachon  de  l'insurrection  arrivée  en  1704 
(1714),  contre  Marion,  fermier  des  droits  d'octroi.  «  La 
brouille  ne  vint  que  de  ce  que  celi  Marion  volave  empéchi 
notra  marchandi  d'alla  mengi  l'herba  dans  lo  fossé  de  la 
ville  et  que  lo  bouchi  sont  des  ouvri  que  ne  se  mouchon  pas 
du  code.  »  Cette  pièce  a  disparu. 

(27)  Taisez-vous.  Cf.  1(;  bugeysien  se  cajé,  se  taire  ;  d'un 
hypothétique  quetiare  pour  quietare.  De  même  en  anglais 
io  be  quiet  signifie  à  la  fois  rester  tranquille  et  garder  h^  silence. 

(28)  Les  chanoines  de  Saint-Jean,  comtes  de  Lyon. 

(29)  Les  heaus  fins  premiers,  tout  les  premiers. 

(30)  L(!  sens  de  ce  vers  m'échappe.  Saint-Nizier  a  une 
crypte  célèbre  que  les  archéologues  lyonnais  de  l'école  ecclé- 
siastique font  remonter  au  temps  des  martyrs  de  Lyon.  Lo 
rrotà  seraient  ce  les  chanoines  de  la  crypte?  Ou  bien  l'auteur 
joue-t-il  sur  le  double  sens  du  mot  lyonnais  crota,  qui  signi- 
fie à  la  fois  crijpte,  firoiie  ou  crotie'i  Saint  Just  et  Saint  Paul, 
ce  sont  les  chapitres  de  St-Just  et  d(>  St-Paul. 

(30  bis)  Ms.  avec. 


140  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

»  De  nos  privilèges,  14 

»  Co.ntre    Messieurs    de  «Grand  Dieu,  nous  vous  de- 

[Lyon  (31)  [mandons 

»  Surtout  quand  nous  baty-  »  Une  petite  grâce  : 

[rons.  ))  »  Que  dans  les  processions, 

13  »  Nous  ayons  notre  place, 

Lo  novio  noblo  d'Ainay  (32)  »  Car  nous  sommes  bien  do- 

Porton  lieu  bandyre  (33)  :  [lants 

Il  venon  tôt  d'un  cœur  gay,  »  De     ne     point    avoir    de- 

En  sonant  arrire  (34)  ;  [vant  (36).  » 

U  premy  coût  de  sifflet  1^ 

Il  en  dabort  eta  quet  (35).  Vayquia  ben  los  Innocens 

Devers  la  Plattire  (37). 

(3J)  Le  Consulat  de  Lyon.  Il  paraît  qu'un  conflit  s'était 
élevé  entre  la  ville  et  le  chapitre  de  Saint-Jean,  à  l'occasion 
de  l'exercice  du  droit  de  voirie  dans  les  limites  du  cloître  de 
Saint-Jean.  Ce  conflit  fut  tranché  en  faveur  des  comtes  de 
Lyon,  par  arrêt  du  Conseil  d'État,  en  date  du  22  sept.  1725, 
(Nizier  du  Puitzpelu,  Noël  satirique ,  1^  éd°",  p.  32,  note  1). 

(32)  Les  chanoines  d'Ainay  qui,  paraît-il,  étaient  de  petite 
noblesse. 

(33)  Bandiere,  bannière,  du  b.  lat.  bandum,  bande. 

(34)  En  criant  :  arrière.  Sonà,  dans  les  patois  actuels  et  notam- 
ment dans  celui  dePollionay,aprisle  sens  transitif  d'appeler. 

(35)  La  leçon  etagnet  admise  dans  les  éditions  précédentes 
pro voient  d'une  mauvaise  lecture.  Le  ms.  A  porte  très  lisible- 
ment etaquet.  Quel,  vfr.  quei.  quoit,  franc,  mod.  coi,  latin 
quietus.  —  Dabort  a  gardé  en  Ij'^onnais  le  sens  de  sur  l'heure, 
tout  de  suite,  qu'il  a  ici. 

(36)  Pour  :  avoir  le  devant.  Il  s'agit  là,  comme  on  maint 
autre  passage  de  notre  Noël,  de  l'une  de  ces  querelles  de  pré- 
séance qui  passionnaient  les  associations  religieuses. 

(37)  Voici  bien  les  Innocents  de  la  Platière.  Devers  (lat. 
de  versus)  est  une  préposition  lyonnaise  marquant  l'éloignc- 
nient  ;  le  Noël  lyonnais  II  dit  de  même  :  «  No  venien  de  var 
chi  no  =  nous  venons  de  chez  nous.  »  L'emploi  de  devers  au 
sens  du  français  du  côté  de  est  très  ancien  en  lyonnais  ;  on 
lit  dans  un  Compte  des  fortifications  de  Lyon,  au  xivo  siècle  : 
((  Item  en  la  dicta  maison  derrier,  devers  Sauna...  »  (.4/'- 
chices  de  la  ville  de  Lt/otij  CC  191,  1°  2.) 


NOËL  EN  PATOIS  LYONNAIS  141 

Hela,  qu'ils  sont  bonnes  gens!  En  bon  père  Helia?  (41) 

Y  ne  sant  ren  clire(38).  Et  puis    quand   ay    faut 

Y  sont  tôt  à  maitia  fou,  fmocla  (42), 

Baillont  de  liard  per  de  Y  ne  sant  per  un  passa  (43). 


[sous  (39). 
16 


17 


Los    Augustins,    lieu   veu- 
Lo  Carmo  fant-ils  (40)  pas  [sins  (44), 

[bien.  N'en  faut  pas  de  mémo; 

Dedin  lieu  cuizina,  Y  s'y  prenonde  matin 

De  baire  fort  et  souvent,  Per  baire  à  lieu  aizo. 

(38)  Ils  ne  savent  rien  dire.  Sant  (lat.  sapiunt)  est  à  rappro- 
cher des  formes  ant  (habent), /aniî  (faciunt)  et  vant  (vadunt). 
Cf.  P.  Meyer,  Les  troidèmes  personnes  du  pluriel  en  pro- 
vençal, ROMANIA,  IX,  192. 

(39)  La  ville  de  Lyon  en  vers  burlesques  (Éd°"  des  Facé- 
ties lyonnaises,  p.  76)  consacre  quelques  vers  à  ces  «  fous 
raisonnables,  »  qui,  suivant  un  proverbe  lyonnais,  prenaient 
des  sous  pour  des  liards.  Nizier  du  Puitzpelu  conjecture  avec 
vraisemblance  que  notre  couplet  vise  non  les  habitants  du 
quartier  de  la  Platière,  mais  bien  les  religieus  de  Saint  Ruf, 
qui  administraient  la  paroisse  de  ce  nom. 

(40)  Font-ils,  lat.  faciunt.  Cf.  la  note  38. 

(41)  On  sait  que  les  Carmes  prétendent  remonter  au  pro- 
phète Élie  qui  se  retira  sur  le  mont  Carmel.  A  en  croire  notre 
chansonnier,  cet  Élie  aurait  été  un  solide  buveur. 

(42)  Et  puis  quand  il  faut  partir.  Moda  (lat.  niovitnre)ix.\.\. 
sens  de  partir,  s'éloigner  est  fort  usité  dans  les  patois  lyon- 
nais, bugeysien,  bressan,  savoyard  et  genevois. 

(43)  Ils  ne  savent  par  où  passer.  Ont,  on,  un,  qu'il  faut 
bi(Mi  se  garder  d(;  corriger  en  on,  dérivent  du  lat.  unde  et  cor- 
respondent, en  lyonnais,  à  Tad verbe  français  où  (lat.  ubi). 
Cf.  la  Bernarda  Buyandiin  II,  24  Lyon,  1885. 

(44)  Prononcez  vusins.  Sur  le  changement  inorganique  ch> 
i  ou  e  en  u  dans  le  voisinage  d'une  labiale,  voyez  Patois  de 
St-Genis,  n"^  36  et  51  {Revue  des  Patois,  t.  II  pp.  33  et  37). 
Le  couvent  des  Augustins  était,  en  effet,  voisin  de  celui  des 
Carmes  (Clapassoii,  Descript.  deLyon,  p.  145). 


142  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Et  per  mai'chi  bien  sodin  (45),  19 

Il  en  fait  jamba  de  vin  (46).      Y  volon  perlant  parla 

-•o  A  la  bonna  Mare  ; 

Que  1}^  volont-y  donna  ? 
Qu'et-ay  dont  celos  ou-  ^^^^^^^^  (^^^^  ^.^^^  ^^,^^^^ 

[yri  •  (40      De  ^on  liuilo  d'Araraon  (53) 
Ay  et  lo  Minimo  !  p^^,  j^  ^,^.^,^  ^^  ^^^^^^^^  ^54^ 

Pesta  !  queu  gaillefreti  (48), 

Per  de  bigro  a  riiuilo  !  (49)  20 

Yl  en  fouaytta  lo  motardi  (50) .  Los  Entonin  venou  bien 

Patreday  nos  u  a  dit  (51).  Portant  do  menuise  (55), 

(45)  Soudain,  parait  signifier  ici  d'un  pas  alerte  et  décidé? 

(46)  Faire  jambe  de  vin,  c'est  «  bien  boire,  pour  marcher 
mieux,  »  (Riclielet,  v» /a/)i6e  et  Leroux,  Diction.  Comique); 
to  drink  havd  hefore  a  journexj,  traduit  Cotgrave,  v^  Jambe. 

(47 1  Oucri  est  pris  ici  en  mauvaise  part.  Il  en  est  de  même 
dans  la  Bernarda  Buyandiri,  I,  vers  195. 

(48)  Galefretier.  Ce  mot,  déjà  vieilli  au  commencement  du 
siècle  ^dernier,  avait  le  sens  de  coquin,  vaurien,  coureur, 
(Cotgrave,  Richelet  et  Leroux).  Il  semble  avoir  ici  le  sens  de 
solide  gaillard, 

(49)  Allusion  à  la  règle  des  Minimes,  qui  défendait  l'usage 
du  beurre.  Bigro  est  l'équivalent  du  français  hoarjre,  pris  au 
sens  de  gaillard,  luron. 

(50)  Au  siècle  dernier,  fouetter,  dans  le  langage  familier, 
signifiait  «  boire  sec,  sabler,  lamper.  »  (Leroux,  Dict.  Com.) 
Fouetter  le  moutardier  est  à  rapprocher  de  fesser  la  pinte. 

(51)  Patreday  nous  l'a  dit.  U  est  le  latin  lioc,  français  le. 
Voici  le  couplet  consacré  aux  Minimes,  dans  le  ms.  Co- 

chard  :  —  Qu'est-o  don  celos  iqui  ?  —  I  sont  los  Minime.  — 
Peste,  queu  galafreli.  —  Pair  de  bigr'  a  l'huille!  —  Iz  on 
l'oita  lo  motardi;  —  Patrodai  nos  u  a  di. 

(52)  Renucler,  c'est  sentir,  flairer,  aspirer  avec  les  narines. 

(53)  Aramon,  est  aujourd'hui  un  chef-lieu  de  canton  de  l'ar- 
rondissement de  Nîmes,  qui  produit  de  l'huile  d'olive  estimée. 

i54)  Pour  lui  faire  des  beignets,  des  bugnes,  comme  on  dit 
encore  à  Lyon,  dans  le  parler  populaire. 

(55)  Menues  parties  du  porc  dont  on  fait  àcf^  fricassées; 
menuèse  dans  le  patois  de  Saint-Genis. 


21 


NOËL    EN    PATOIS    LYONNAIS  143 

Quenelioucoutonpasren(56):      Et  puis  lo  pouro  Camio  (59) 
Utor  de  Teglisa,  Que  lieu  fait  lo  pi  de  vio  (GO). 

St-Antoino,  lieu  patron,  22 

Lieu  engraisse  de  caion  (57).      je  n'avian  pas  encor  viu 

Lo  père  Lasare  (Gl)  ; 
Y  baissent  tretou  los  yeu  ; 

St-I renée  vint  bien  fort,  N'y  a  pas  un  que  parle. 

Avouayque  sa  trogna,  Avisa  lo  bon  Joseiph, 

St-Joseip  (58)  la  suit  dabort,.     Comme   y   lorgne  lieu    mo- 
Quan  ben  qu'n'en  bode;  [chet  (G2). 


(56)  Pau  ren,  négation  redoublée,  rien  du  tout. 

(57)  Allusion  à  l'étrange  privilège  qu'avaient  les  Antonins 
de  laisser  vaguer  à  travers  la  ville  les  pourceaus  qu'ils  éle- 
vaient, en  souvenir  de  leur  patron.  Caion,  porc,  est  à  rappro- 
cher du  languedocien  caliou  (Honnorat),  môme  sens. 

(58)  Les  prêtres  de  la  Congrégation  de  Saint-Joseph,  établis 
à  Lyon  depuis  IGGI.  {Almanachs  de  Lj/on.)  Sur  le  sens  de 
dabort,  voyez  la  note  35. 

(59)  Quel  était  ce  «  pauvre  Camio?  »  Je  l'ignore,  mais  ce 
dont  je  suis  certain,  c'est  qu'il  ne  faut  pas  lire  lo  pouro 
Carmo,  les  pauvres  Carmes,  comme  l'ont  fait  les  éditeurs 
précédents.  D'abord,  le  manuscrit  s'y  oppose,  portant  très  vi- 
siblement Camio,  avec  un  point  sur  Vi;  puis  l'o  atone  de 
Carmo  ne  saurait  rimer  avec  l'o  accentué  de  vio;  enfin,  et 
ceci  est  décisif,  le  verbe  dont  Camio  est  le  sujet  est  à  la  3*^  pers. 
du  sing.  Aussi  bien,  il  a  été  question  des  grands  Carmes 
au  couplet  IG,  et  le  couplet  33  sera  consacré  aus  Carmes 
Déchaus  ;  il  n'y  a  donc  pas  place  ici  pour  le  plus  petit  Carme. 

(GO)  Faire  le  pied  de  veau  à  quelqu'un,  ((  c'est  lui  faire  la 
révérence  avec  de  basses  soumissions.  »  (Richeletet  Leroux.) 

(Gl)  Les  Missionnaires  de  Saint-Lazare,  établis  à  Lyon  de- 
puis 1GG8  (L'abbé  Guillon,  Lijon  tel  qu'il  était, \:>.  99).  Voici 
le  couplet  consacré  aus  Lazaristes,  dans  le  ms.  Cochard  :  — 
((Je  n'avions  pas  encore  vu  —  Los  paire  Lazare.  —  I  baissons 
tartou  les  yeux  —  Y  n'y  a  pas  un  qui  parle.  —  Avisa  lou  bon 
Joseph  —  Comme  y  lorgna  leur  niouchet.  » 

(62)  Moustach(^  barbiche.  Les  Lazaristes  étaient  les  seuls 
religieux  qui  eussent  des  moustaches  {Note  de  CocJuird). 


144  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

23  [Q]ue  lieu  sert  de  cabor- 
Tay  vaiqui  lo  Jacopins  (63),  [ne  (68)  ! 

Avouayque  lieu   ron-  [I]z  y  sont  tôt  en  un  cu- 

[fle  !  (64)  ^  [chon  (69) 

[l]ls  en  pou,  per  lo  certain,  [Et]n'y   van   qu'a  caca  bo- 

Que  la  mare  gronde,  [son  (70). 

[DJ'avay  vendu  lieu  payi  ^^ 

[C]ontra  de  fichu  papi  (65).  Tai  encor  lo  Cordeli  ! 

Ay  et  l'Observance  (71). 

24  Jésus,  Maria,  queu  gosi  ! 
[G]ran  Diu,  faite-lo  payi,  0  queu  groussa  pance  ! 
[Q]u'y  n'en  an  bien  fauta(66).  Il  en,  ma  fay,  tan  ceula  (72), 
[Si]vo  vaya  lieu  chini  (67)  Qu'ils  ne  povont  plus  jappa. 

(63)  Les  Dominicains  ou  Jacobins,  établis  à  Lyon  depuis 
1218. 

(64)  Ronfle,  groz  nez. 

(65)  Il  paraît  qu'en  1714,  les  Jacobins  vendirent  une  grande 
partie  des  terrains  qui  joignaient  leur  maison,  pour  acheter 
des  actions  de  la  trop  célèbre  Compagnie  des  Indes,  qui 
sombra  en  1720. 

(66)  Avoir  faute,  c'est  avoir  besoin. 

(67)  Chini,  chenil. 

(68)  Caborna,  trou,  caverne,  grotte;  bugeysien,  canboarna  ; 
dauphinois,  calaborna. 

(69)  Cuchon,  monceau,  tas  :  un  cuchon  de  foin;  bugeysien 
Koçon. 

(70)  Se  mettre  à  cacaboson,  c'est  s'ciccroupir. 

(71)  Il  y  avait  à  Lyon  deus  communautés  de  Cordeliers, 
celle  de  Saint-Bonaventure  et  celle  de  l'Observance.  Comme 
nous  n'avons  pas  encore  vu  passer  de  Cordeliers,  il  est  à  pré- 
sumer que  le  couplet  consacré  à  la  communauté  de  Saint- 
Bonaventure  a  été  omis  par  le  copiste.  (Cf.  Abnanach  de 
Lyon  pour  1788). 

(72)  Si  je  lis  bien,  —  ce  qui  n'est  point  certain,  le  ms.  étant 
surchargé  en  cet  endroit^  —  ceula  est  soit  le  résultat  d'une 
erreur  du  copiste,  qui  aurait  écrit  ceula  yiouvgeula,  soit  un 
exemple  du  passage  de  la  sonore  à  la  sourde.  La  correction 
saoula  proposée  par  un  précédent  éditeur  a  contre  elle  et  le 
nis.  et  la  Gr;nTHuairi'. 


NOËL  EN  PATOIS  LYONNAIS  145 

26  28 

La  Recollets  son  iqui  Qu'et-ay  donc  celos  iqui  ? 

Tretous  en  bon  ordre  ;  Y  sont  en  chemise  ! 

Ils  en  d[e]  biau  rateli  (73),  Je  lo  conoisso  d'ici  (77), 

Necherchontqu'amordre.  Y  est  lo  Genevivo, 

Que  lieu  baret  (74)  a  dina  Ils  en  bailla  la  pâla  u  eu 

Lo  faret  pas  ren  (75)  plura.  U  chanoino  qu'étant  viu  (78) . 

27  29 

Lo  joly  Feuillan  toblan,  I  n'en  (79)  reste  un  prou  malin 
Lieu  barba  bien  faita,  Que  s'appelle  Antoine; 

An  présenta  a  l'enfan  II  est  ben  aussi  mutin 
2  bonne  requeste  :  Que  celo  grou  moino. 

L'une  per  los  enrichi  Y  ne  vou  pas  résina, 

Et  l'autra  per  lo  chossi  (70).  Per  lo  bien  faire  baila(80). 

(73)  Beau  râtelier,  deus  rangées  de  dents  bien  complètes. 

(74)  Baret,  donnerait;  c'est  le  condition,  du  verbe  ôaA'ï, 
donner. 

(75)  Pas  rien,  négation  redoublée,  cf.  la  note  56. 

(76)  Les  Feuillants  furent  condamnés,  en  1577,  par  leur 
réformateur,  Jean  delà  Barrière,  à  marcher  pieds  nus.  Quel- 
ques années  plus  tard,  en  1595,  ils  obtinrent  la  permission 
de  porter  des  sandales  de  bois.  Mais  voyez  comme  les  désirs 
de  l'homme  sont  insatiables  !  Les  voilà  qui  demandent  des 
souliers. 

(77)  Je  les  reconnais  pour  être  d'ici. 

(78)  Les  Génovéfains  ou  chanoines  réguliers  de  l'ordre  de 
Saint-Augustin  prirent,  en  1702,  la  place  d'autres  chanoines 
non  réformés  du  môme  ordre  qui  desservaient  la  collégiale  de 
Saint-Irénée.  (Almannchs  de  Lyon.) 

(79)  iVest  une  particule  euphonique  fréquente  en  lyonnais. 

(80)  Antoine  était  vraisemblablement  un  des  anciens  cha- 
noines non  réformés  qui  s'était  refusé  à  céder  la  place  aus 
nouveaus  venus.  i?<?.s-ma  est  l'équivalent  du  français  resigner' 
qui,  en  matière  bénéficiale,  signifiait  abandonner  un  bénéfice 
à  un  autre  ecclésiastique.  Le  ms.  porte  très  visiblement  ré- 
sina et  non  vesina,  comme  on  l'a  lu  à  tort.  Sur  l'absence  de 
la  mouillure  cf.  le  patois  de  St-Genis-les-011ièr(>s.s'/'no,  signer. 
Quant  à  haila,  où  l'on  a  voulu  voir  l'infinitif  bailli  donner, 

Revue  dk  I'iiilologh;,  v.  10 


146  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

30  Raport  a  la  dama  du  coin 

Vaiquia  ben  lo  Capucin  Qu'il  eu   pri   en  Bicheve- 
Avouay  lieu  grand  barba!  [lin  (84). 

[Y]  sont,  mon  ama,  120,  32 

[S]en  conta  lo  frare  Et  los  Augustius  decho 
Que  son  resta  en  arri,  De  la  bonnaCroix- Rossa, 

U  solei,  per  se  puilli  (81).  Sont  ben  de  joli  mogno  (85) 

Per  menqua  la  nossa  ! 
Ils  en  bu  de  bon  pynoy  (86), 

Lo  pares  Camelots  per  cria  :  «  Vive  le  Roy  ». 

De  la  Guillotire  (82) 
Dion  (83)  qu'i  sont  lou  grans  33 

[amy  Lo  Carmo  decho,  to  bon  (87), 
De  notrou  biau  sire.  Qu'an  ben  prou  misère(88), 

c'est  le  dérivé  du  b.  lat.  helave  bêler,  et  par  extension  crier,  se 
plaindre. 

(81)  «  Sepouiller.  »  Voici  ce  couplet  dans  le  ms.  Cochard  : 
—  «  Vaiciabin  los  Capucins,  — Avoy  lieu  grand  barbe!  —  Y 
sont,  mon  ame,  cent  vingt,  —  Sans  compta  los  frare.  —  Qui 
sont  resta  par  dari  —  Au  solai,  par  se  pulli.  » 

(82)  Au  xviii«  siècle,  camelot  se  disait  d'un  homme  de  rien, 
d'un  gueus.  11  s'agit  ici  des  pères  du  tiers  ordre  de  Saint- 
François,  établis  à  la  Guillotière  depuis  1606  et  qui,  à  en 
croire  notre  Noëliste,  n'étaient  que  de  la  camelotte  au  regard 
des  autres  ordres  religieus. 

(83)  Dion  =  lat.  dicunt,  disent. 

(84)  Allusion  à  un  fait  aujourd'hui  bien  oublié.  Raport  à 
est  une  manière  de  langage  très  usitée  en  lyonnais,  au  sens 
de  à  cause  de. 

(85)  De  jolis  moineaus,  de  drôles  de  gaillards.  Le  Noëliste 
veut  sans  doute  parler  des  Augustins  réformés  que  l'arche- 
vêque de  Marquemont  appela,  en  1624,  dans  le  faubourg  de 
la  Croix-Rousse,  alors  dénué  d'église. 

(86)  Vin  fait  avec  du  pineau,  raisin  fort  noir  et  estimé. 

(87)  Les  Carmes  déchaussés,  établis  en  1618,  par  le  mar- 
quis de  Nerestang,  à  la  place  d'une  ancienne  recluserie  appe- 
lée le  grand  Thune.  To  bon,  est  une  cheville  destinée  à 
fournir  une  rime  à  popon. 

(88)  Qui  oui  bien  assez  de  misère 


NOËL    EN    PATOIS    LYONNAIS  147 

Demandent  vite  u  popon(89)  De  n'être  pas  à  pi  nu 
S'i  n'y  a  ren  de  reste  ;  A  cella  bellaféta? 

Lo  bon  Joseiph  dit  que  non  Mai  lieu  pare  St-Brugno 

Et  cache  vito  lo  grobon.  Vou  qu'i  n'aillan  qu'à  chivio. 

34  36 
Que  diran-no  don  de  bon            Yl  en  ben,  si  vo  voli, 

De  lo  Trinitairo?  (90)  Fait  quoque  largesse; 

Toujour   avouay    de  grands  A  cou  seur  que  lo  peti 
[fonds  Connay  lieu  finesse 

Vaut  clieu  lo  corsaire  ;  [Y]  sent  de  ben  fenian 

Puis  fan  petalieu  rançon  (91)  [Q]  ue  dermon  8  may  de  l'an. 
Qui  n'en  vaut  diablamen  long.  3^^ 

35  Lo  Celestins   (93)  van   bien 
Et  lo  bon  père  Chatru  (92),  [plan  (94), 

Ant-i  perdu  la  têta,  Mais  y  est  sen  malice, 

(89)  Popon  du  lat  pupus  petit  garçon,  s'applique  aus  tout 
jeunes  enfants  de  l'un  et  l'autre  sexe. 

(90)  Lesroligieus  Trinitaires  étaient  venus  s'établir  à  Lyon 
en  1G58  :  leur  ordre  avait  été  fondé  pour  le  rachat  des  chré- 
tiens faits  captifs  par  les  corsaires  barbaresques. 

(91)  Puis  ils  font  peter  leurs  rançons,  ils  s'approprient  l'ar- 
gent qu'on  leur  a  donné  pour  racheter  les  captifs. 

(92)  Les  Chartreus,  établis  sur  la  côte  Saint-Vincent  par 
Henri  IV.  Chatru  pour  Chartru  est  diÀ  à  la  dfïiculté  qu'éprou- 
vent les  Lyonnais  à  prononcer  le  groupe  r  -\-  consonne -|-  /'  : 
on  dit  encore  à  Lyon  inècredi  pour  tyiercredi. 

(93)  Les  Celestins  furent  établis  à  Lyon,  en  1407,  par 
Amédé(^  VIII,  premier  duc  de  Savoie,  qui  leur  céda  les  ter- 
rains autrefois  possédés  par  les  Templiers.  Oji  lit  dans  1'^/- 
manach  de  la  cille  de  Li/on,  pour  l'année  1746,  p.  33,  sous 
la  rubrique  Céleslin.s,  la  phrase  suivante  :  ((  Ce  monastère  a 
été  depuis  peu  d'années  (1721-1722)  rebâti  à  neuf.  »  L'arrêté 
d'alignement  donné  à  ces  religions  par  le  Consulat,  porte  la 
date  du  G  mars  1721.  (Niz.  du  Puitzpelu  loc.  cit.  loéd"",  p.  4.) 
—  La  façade  ayant  été  consumée  par  un  incendie  fut  recons- 
truite en  1746.  (Alm.  de  Lyon  pour  17 63,  p.  38.) 

(94)  Aller  plan,  c'est  aller  doucement.  Le  lyonnais  plan  est 
ici  l'analogue  de  l'ital.  piano,  dans  le  proverbe  :  Chiva 
piano,  va  sano. 


148 


REVUE     DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 


Y  sont  ocupa  tôt  l'an, 
Deden  lieu  bâtisse. 
Et  puis  tôt  lo  samedy 
200  ouvris  a  payi. 

38 
Lo  plus  bio  est  en  dior, 

A  ce  qu'on  vou  dire; 
On  crae  qu'i  n'est  pas  pro  fort, 

Y  laissont  tôt  dire. 
Qu'y  payant  solamen  bien 
Celoqu'i  fourron  deden. 

39 

Tay  !  notron    bon    mari- 
[chau  (95), 

Qu'a  ben  bona  mina, 
Dessus  son  peti  chevo, 

Avouay  sou  oussina. 
Lo  petit  Jésus  n'en  ry, 
Et  s'e  laissia  baisi  lo  py. 


40 
Qu'et-ay  don  celo  grou  gra  ? 

Ei  est  la  Justice  ! 
Ils  an  lo  gosi  pava. 

Ne  vivon  que  d'épice. 
Hélas,  laissi-lo  passa, 
Qu'n'y  a  ren  a  s'y  frotta. 

41 

Ils  en  utor  de  levri  (96) 
Qu'en  mauvaisa  cara  (97). 

Y  m'an  l'air,  se  m'et  avi, 

D'alla  a  font  de  cala. 

Y  n'oblion  pas  lo  tort 

De  lieu  pare  Bellacor  (98). 

42 
O  queu  tropa  de  corbiau  ! 

Ay  et  (99)  lo  Jesuisto. 
La  sala  sorta  d'isio, 

[PJerloJansenisto!  (100) 


(95)  Le  maréchal  de  Villeroy,  le  triste  héros  de  Crémone  et 
de  Ramillies.  On  sait  que  le  gouvernement  du  Lyonnais  était 
dans  la  famille  des  Villeroy,  depuis  l'année  1608.  Cf.  A.  Ving- 
trinier,  Le  dernier  des  Villerorj  et  sa  famille,  1888.  Le  cou- 
plet 39  de  A  est  le  premier  de  B  :  —  «  Vaissia  notro  mari- 
chiau  —  Qu'a  bin  bona  mina  —  Dessu  son  petit  cheviau, 
—  Avoi  sa  ussine.  —  Le  petit  Jésus  a  ri,  —  S'est  laissia 
baisi  los  pi.  » 

(96)  On  appelait  lévriers,  dans  le  langage  familier,  les  ser- 
gents et  les  archers  qu'on  lançait  à  la  poursuite  des  criminels. 
{Dictionnaire  Comique  de  Leroux.) 

(97)  On  dit  encore  à  Lyon  d'un  homme  qui  a  mauvaise 
tournure,  qu'il  a  «  mauvaise  cale,  »  lat.  cara. 

(98)  Allusion  à  quelque  mesure  prise  par  l'intendant  du 
Lyonnais,  dont  l'hôtel  était  à  Bellecour,  contre  la  rapacité 
des  bas  officiers  de  justice. 

(99)  Ms.  A.  :  Aquet. 

(100)  Le  copiste  de  A  a  écrit  on  manchette,  à  la  suite  de  ce 
vers  :  «  rr)ratoire,  »  c'est-à-dire  les  prêtres  de  la  congréga- 


NOËL  EN  PATOIS  LYONNAIS  149 

[Y]  ne   cherchon   qu'a   bi-  Lo  prêtro  d'église  ! 

[chi  (101)  Prion  joliamen  to  bas 
[P]  er  devant  et  per  dcrri.  Que  Dieu  lo  bénisse, 

43  Per  qu'ils  puissian  s'acorda, 

o-       XX.  .       Mr\.^\      Una  fay  sensé morgua(  105). 

Si  portant  y  tenon  bon  (102)  -^  &      \       / 

Dedens  lieu  misère, 

45 
L'ecritto  de  heu  maison 

Lo  tire  d'affaire.  ,  Queu  tropa  de  Don  Juan 

Infanti  Jésus  sacrum,   (103)  Du  festin  de  Piare! 

N'est-ay    pas    un    bieau  Ne  connois-tu  pas,  Fagan, 

[vayon  (104)  Lo  Confalonaire  ? 

44  Yz-a[n]  fa  trimbla  l'infant 
Assa,  sont-y  tôt  passa,  Qu'apouducamisablan(106). 

tion  de  l'Oratoire,  qui,  à  tort  ou  à  raison,   passaient  pour 
favorables  aus  doctrines  jansénistes. 

(101)  Ils  ne  cherchent  qu'à  donner  des  coups  de  bec.  Les 
précédents  éditeurs  ont  imprimé  je  ne  sais  pourquoi  :  a  que 
sa  bichi.  »  Le  ms.  A  porte  très  lisiblement  :  «  qu'a  bichi,  » 
et  le  ms.  Cochard  aussi  :  — «  O  queu  tropa  de  corbiau  !  —  Y 
sont  los  Jujuistres,  —  La  sala  sortad'isiau,  —  Par  los  Janse- 
nistrc.  —  Y  ne  charchont  qu'à  bichi,  —  Par  devant  et  par 
dari.  »  Les  canuts  appellent  couramment  les  Jansénistes  des 
Gens  sinistres.  On  sait  qu'il  existe  encore  aujourd'hui,  parmi 
les  ouvriers  tisseurs,  des  adeptes  de  Jansénius. 

(102)  Le  ms.  A  porte  en  regard  de  ce  vers  lamention  :  «les 
Oratoires.  » 

(103)  Je  ne  m'explique  pas  les  lectures  des  précédents  édi- 
teurs :  le  ms.  est  ici  très  lisible.  Ma  leçon  est  d'ailleurs  mise 
hors  de  conteste  par  le  ms.  Cochard  :  —  ((Si  portant  y  tenont 
bon,  —  Dedans  leur  misaire,  —  L'ecritiau  de  leur  maison 
—  Los  tire  d'affaire  :  —  Infanti  Jesu  Sacron,  —  N'ait-ai  pas 
un  bon  vayon. 

(104)  Ms.  N'est  tatj.  D'après  N.  du  P.  vaijon  signifierait, 
en  lyonnais,  le  ((  bouclion  de  pin  qui  sert  d'enseigne  aus 
cabarets.  »  (?) 

(105)  Morguer,  c'est  se  moquer  avec  insolence.  (Richelet 
v»  morf/ue). 

(lOG)  Il  s'agit  ici  des  pénitents  blancs  de  N.-D.  du  Con- 


150 


REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 


46 
D'on  vinqu'}^ n'i a quelogrou 

Iqui  que  se  montron  ? 
Et  qu'i  fourrent  tant  de  coups 

U  petit  qu'avançon. 
Et    puis    quand     faudra 
[pona  (107) 

Y  lo  saran  bien  trova. 

47 

Tretou  los  art  de  mety 
Coron  per  tôt  vair(a)  ; 

Surtout  lo  tafetati, 

Lo  pouro  riclairo  (108). 

Y  vodrian  pri}^  l'enfan 

De   parla  a  lieu   mar- 
[chant  (109). 

48 

Notron  Prevot  des  marchans 
Amaine  bonbance  ; 


Et  per  folata  l'enfan, 

Y  vou  que  l'on  dence. 
Vaiquia  los  arquebusi,  (110) 
Qu'amainont  lo  menetri. 

49 
Los  echevins,grou  marchands 

De  la  loge  du  Change, 
Volon,  utor  de  l'enfant, 
Densi  tôt  un  branlo. 
Du  mai  ne   et  lo2  Tan- 
[liards  (111) 
Lieu  fan  faire  un  bel  escart. 

50 

Et  lo  chenapan  du  guet, 
Qu'amon  tant  la  luna, 

Metria[nJ  200  poches  à  sec, 
Sen  en  manqua  una (112). 

Si  vo  n'avi  pas  lo  sou, 

Gara  la  bouaytte  u  cail- 
lou (113). 


falon  [Almanach  de  Lyon  pour  1789,  p.  49).  Ce  couplet,  le 
huitième  du  ms.  Cochard,  manque  dans  A. 

(107)  Ponev  signifie  encore,  à  Lyon,  dans  le  parler  vul- 
gaire :  donner  de  l'argent,  paijer. 

(108)  C'est  le  franc,  populaire  foireus. 

(109)  Leurs  maîtres-marchands  fabricants,  comme  on  di- 
sait à  Lyon,  au  xviiie  siècle. 

(llOi  La  compagnie  des  arquebusiers.  Voyez,  sur  cette 
compagnie,  V Almanach  de  Lijon  pour  1788,  p.  130. 

(111)  C'étaient,  paraît-il,  les  trois  sergents  des  arbalétriers, 
en  1723. 

(112)  Ms.  A:  une. 

(113  Dans  l'argot  des  deus  derniers  siècles,  la  boîte  aus 
caillons,  c'était  la  prison  (Oudin,  Curiosités  franc,  et  Leroux 
Dict.  com.).  Le  ms.  A  porte  non  pas  hoaejjttere  caillou, 
comme  on  l'a  imprimé  à  tort,  mais  houagtteri  caillou.  L'une 
et  l'autre  leçon,  d'ailleurs,  ne  donnent  aucun  sens  satisfai- 


NOËL    EN    PATOIS    LYONNAIS 


151 


51 

Colombi,  lieu  offici, 
Est  ben  so  les  armes. 

Lo  3  sergen,  per  derri, 
A  le  bonne[s]  âmes  ! 

Dabort  qu'i  serant  la  ba, 

Lo  diablo  va  bien  bâfra. 

52 

Queu  grand  diablo  desoudar; 

De  la  partd'Herode  ! 
Te  neto  guero  manqua, 

Y  sont  de  le  porte  (114). 
Venont-y  no  massacra. 
Repilly  et  revolla  ? 

53 

Queutropade  cartochin  (115)! 

Non,  je  me  raviso, 
[C]  est  sont  lo  Misse  pe- 
[pien  (116), 


[Jj'u  conaisso  u  Suisso. 
Ils  an  la  livra  du  Ray, 
[Bjriquet  Naimo,  est-ay  vrai? 

54 
D'on  pervin  qu'il  an  prenu 

Tôt  la  serra  fila, 
Et  qu'i  sont  si  orguillu, 
Quand  y  sont  en  villa  ? 
C'est  qu'i  san  (116  bis)  que  lo 
[popon 
A  fait  baissi  le  ation. 

55 
Avisa  lo  patessi  (117), 

Avouayque  Delormo. 
A  !  s'i  u'êtave  que  gris, 
[I]  seret  prous  drolo! 
[I]  n'est  ren  gri,  ny  ren 
[sou  (118), 
Il  aporte  de  pet  de  lou. 


sant.  J'ai  adopté  la  correction  proposée  par  M.  P.  Meyer  dans 
Romania  XVI,  629.  —  Sur  la  compagnie  du  guet,  voyez  VAl- 
manach  de  Lyon,  pour  1788,  p.  129. 

(114)  Il  s'agit  ici  de  la  compagnie  franche  établie  à  la  garde 
des  portes,  en  1670.  [Almanach  de  Lxjon,  1788,  p.  128). 

(115).  Quelle  troupe  de  Cartouches,  de  Mandrins. 

(116)  N.  du  P.  conjecture,  avec  vraisemblance,  qu'il  s'agit 
ici  du  bureau  des  Finances  de  Lyon,  lequel  aurait  été  chargé 
du  placement  des  actions  de  la  banque  de  Law,  hypothéquées, 
comme  on  sait,  sur  les  brouillards  du  Mississipi. 

(116  bis)  C'est  qu'ils  savent.  San  est  le  lat.  sapiuni;  cf.  la 
note  38. 

(117)  Regarde  les  pâtissiers.  Les  précédents  éditeurs  ont  lu 
à  iOYt palessi,  qui  n'a  pas  de  sens;  à  la  vérité,  la  barre  du  / 
est  peu  apparente,  mais  elle  ne  l'est  pas  davantage  dans 
nombre  d'autres  mots  où  le  doute  n'est  pas  possible,  comm(> 
dans  rateli  ciu  couplet  26,  conta  au  couplet  30,  etc. 

(118)  Les  pets  de  loup  devaient  être  proches  parents  des 
pets  de  nonne. 


152  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

56  A  le  bonne  lingue  ! 

Moche  (119)  lo  gagne  déni  Y  prometton  u  peti 

Detotele  bende.  ^(^)  ne  jamus  plus  sacrayi. 

«Van-no,  diont-y  u  petit  (120) , 

[Jj'enben  noutre  seingle». 

La  Doana  fait  banda  à  part,  Assa,  ey  et  ben  tentou  tem 

AvouaylobicloMoyard(121).  Que  l'enfant  repose, 

ry  Crayi-me,  allons-nos  en, 

Tiron  noutre  chosse; 
Lo  vai-tu  lo  cnarreti,  r>  ■  ^       mc»^\ 

.  ,    ,      .       „  Baison  so  pour  paton  (123), 

A  le  4  pointe  r  t^  /  i  .-»!•  \  t  • 

,  ^  Prenan   124    sa  penedixion. 

Lieufumessontper 

derri  (122), 

(119)  Moche  qu'un  des  précédents  éditeurs  a  pris  pour 
un  portefais  renommé  est  tout  simplement  l'impératif  sin- 
gulier du  vulgaire  moucher,  pris  au  sens  de  regarder  tout 
à  coup  et  à  l'improviste.  Après  avoir  annoncé  l'entrée  en 
scène  des  pâtissiers  par  ce  vers:  «  Avisa  lo  patessi,  »  l'auteur 
a  recours  au  même  procédé  pour  attirer  l'attention  sur  les 
gagne-deniers  :  ((  Moche  lo  gagne  déni.  »  Au  couplet  sui- 
vant, il  dira  de  même  :  ((  Lo  vai-tu  lo  charreti  ?  » 

(120)  La  sangle  est  la  courroie  de  cuir  dont  se  servent  les 
portefais  lyonnais  pour  assujettir  leurs  fardeaus  sur  les 
épaules. 

(121)  C'est  le  vieus  franc,  bide,  louche. 

(122)  Sur  le  changement  inorganique  de  e  en  u  cf.  Patois 
de  Saint-Genis,  n»  36,  [Rev.  des  Pat.  II,  33.) 

(123)  Pa^on,  petit  pied  d'enfant. 

(124)  Ms.  prenant. 

[Les  versions  suisses  du  Coq  à  l'âne  en  patoL<  lyonnais  publié  dans 
le  volume  précédent  de  la  Revue,  p.  215,  se  trouventdans  la iîoma/u'a, 
1875,  p.  210  et  dans  le  Recueil  des  morceaux  choisis  en  patois  de  la 
Suisse  française  (par  Corbaz),  Lausanne  1842,  p.  205. | 


,  COMPTES    RENDUS  153 

COMPTES   RENDUS 

N.  DU  PuiTSPELU.  — Dictionnaire  étymologique  da  patois 
li/onnais  (Lyon,  Georg,  1887-90,  cxx-470  pages  in-4). 

Le  même.  —  Les  Vieilleries  lyonnaises,  2^  édition  (Lyon, 
Bcrnoux  et  Cumin,  1891.  ni-398  pages,  grand  in-8). 

Pour  bien  marquer  le  point  de  départ  du  Dictionnaire 
étymologique  du  patois  lyonnais,  je  demande  la  permission 
de  reproduire  ce  que  je  disais  en  1885,  dans  la  Reçue  des 
langues  romanes,  de  la  première  œuvre  philologique  de 
l'auteur  :  «  Tous  les  Lyonnais  connaissent  l'aimable  et  fin 
lettré  qui  se  cache  aus  profanes  sous  le  spirituel  pseudonyme 
de  Nizier  du  Puitspelu,  de  l'Académie  du  Gourguillon.  Si 
ses  amis,  qui  sont  nombreus,  ne  le  savaient,  par  expérience^ 
capable  de  tout  (hors  de  mal),  ils  auraient  été  sans  doute  fort 
étonnés,  il  y  a  dous  ans,  de  le  voir  quitter  tout  à  coup  les 
hautes  régions  de  la  fantaisie,  où  il  régnait  en  maître,  et 
couper  sans  pitié  les  ailes  à  son  imagination  pour  se  mettre 
avec  elle  au  service  d'une  science  despotique  entre  toutes, 
qui  se  nomme  la  philologie.  La  quantité  des  connaissances 
toutes  nouvelles  qu'il  fallait  s'assimiler  aurait  eflfrayé  une 
volonté  moins  tenace  et  rebuté  un  esprit  moins  robuste.  En 
dépit  de  toutes  les  difficultés  de  l'entreprise,  et  grâce  à  une 
activité  presque  invraisemblable,  M.  Nizier  du  Puitspelu  a 
réussi,  en  deus  ans,  à  produii'c  un  livre  qui  est  un  des 
meilleurs  travaus  dialectologiques  parus  dans  ces  dernières 
années,  et  qu'il  intitule  modestement  :  «  Très  humble  essai 
de  phonétique  lyonnaise.  » 

Le  Très  humble  essai,  revu  et  encore  amélioré,  forme 
aujourd'hui  l'introduction  du  Dictionnaire  étymologique,  qui 
s'y  réfère  constamment,  par  des  renvois  précis,  pour  l'expli- 
cation des  transformations  phonétiques  des  mots.  Le  diction- 
naire; a  tenu  tout  ce  que  promettait  la  première  édition  de 
l'introduction.  C'est  une  ample  moisson  de  mots,  toujours 
intéressants,  souvent  pittoresques,  dont  la  prononciation 
exacte  est  notée  avec  grand  soin,  dont  le  vrai  sens  et  les 
acceptions  dérivées  sont  démêlés  et  formulés  avec  une  netteté 
aussi  précieuse  que  rare  dans  les  travaus  lexicographiques, 
enfin  dont  les  origines  et  les   parentés   sont   reclierchées  , 


154  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

devinées  parfois  et  presque  toujours  solidement  établies, 
avec  toute  la  sagacité  d'un  esprit  très  littéraire  et  très  délié, 
et  toute  la  sûreté  scientifique  d'un  philologue  de  profession. 

Et  cependant,  comme  tous  les  savants  de  bonne  race, 
Puitspelu  n'est  jamais  satisfait  de  lui-même.  Il  corrige  et 
corrige  sans  cesse.  Il  est  assailli  de  doutes  pour  la  solution 
desquels  il  consulte  tantôt  les  Lyonnais  les  plus  patoisants, 
tantôt  les  philologues  les  plus  éminents,  comme  M.  Camille 
Chabaneau,  tantôt  et  surtout  lui-même.  Il  en  appelé  sans 
relâche  à  Puitspelu  mieus  informé.  De  là  un  supplément  de 
trente  pages  et  un  errata  de  sis,  sans  compter  les  rectifications 
nouvelles  pour  lesquelles  il  taille  déjà  sa  plume.  Ainsi  Littré 
ajoutait  à  son  dictionnaire  un  supplément,  des  additions  au 
supplémentjCt  des  notestardives  pour  compléter  les  additions. 

Comme  le  dit  Littré,  «  le  vocabulaire  d'une  langue  vivante 
n'est  jamais  clos  ;  ce  qui  n'empêche  pas  qu'un  dictionnaire 
fait  avec  soin  ne  soit,  chaque  fois  qu'on  l'arrête,  une  œuvre 
suffisamment  définitive  pour  rendre  service  à  la  langue  et  au 
lecteur  ».  Le  vocabulaire  des  parlers  vivants  s'accroît  chaque 
jour.  Ainsi  le  patois  lyonnais,  ou,  pour  être  plus  exact,  le 
français  populaire  de  Lyon,  s'est  enrichi  depuis  un  an  et 
demi  d'un  mot  que  beaucoup  de  personnes  emploient  déjà 
sans  en  connaître  l'origine,  et  dont  l'explication  embarrassera 
fort  nos  successeurs,  si  le  mot  n'est  pas  introduit  dans  une 
prochaine  édition  d'un  des  livres  «  pardurables  »  de  Puitspelu. 
C'est  hufalo  au  sens  de  voiture  publique  légère  et  économique, 
ouverte  sur  les  côtés,  circulant  sur  les  rails  des  tramways,  et 
traînée  par  un  seul  cheval  (1). 

Le  hasard  a  fait  que  les  voitures  de  ce  modèle  se  sont 
trouvées  prêtes  à  circuler  au  moment  oiî  un  industriel  amé- 
ricain, qui  venait  de  montrer  à  Paris,  pendant  l'exposition 
universelle  de  1889,  une  troupe  de  sauvages  et  de  chasseurs 
de  bufïles,  s'arrêtait  à  Lyon  pour  donner  une  série  de  repré- 
sentations sur  l'hippodrome  de  Bonneterre.  C'est  par  le  mot 
hufalo,  forme  italienne^  et  anglaise  de  «  buffle  ))  que  commen- 
çaient les  affiches  nionumentaU^s  du  spectacle,   et,    à  Lyon 

(1)  Chi'Oiiiquc  locale  du  Li/on  Réjjublicain ,  23  juin  1S!)1  :  «  M.  X. 
sortait  d'un  établissement  sur  le  cours  Vitton,  (juand  un  tramway  dit 
hul'alo  le  renversa.  » 


COMPTES    RENDUS  155 

comme  à  Paris,  on  prit  riiabitucle  de  désigner  exclusivement 
par  ce  mot  le  chef  de  la  troupe  et  le  spectacle  lui-même  : 
on  allait  à  Bufalo.  La  compagnie  des  tramways  de  Lyon 
ayant  inauguré  à  ce  moment  ses  voitures  légères,  pour  trans- 
porter le  public  à  Bonneterre,  on  appela  ces  voitures  des 
hufalos,  et  le  nom  leur  est  resté.  Concluons  :  les  «  bufalos  » 
sont  des  voitures  semblables  à  celles  que  l'on  prenait  à  Lyon 
en  1890  pour  se  rendre  aus  représentations  données  par  des 
chasseurs  de  «  bufalos.  »  A  défaut  de  cet  éclaircissement,  les 
étymologistes  de  l'avenir  s'ingénieront  peut-être  à  tirer  bufalo 
de  plaustrum  comme  Ménage  tirait  haricot  de  faba. 

Nizier  du  Puitspelu  vient  de  faire  paraître,  un  an  après 
l'achèvement  de  son  Dictionnaire,  la  seconde  édition  de  ses 
Vieilleries  lyonnaises,  ouvrage  où  la  fantaisie  reprent  tous 
ses  droits  sans  que  la  philologie  y  perde  les  siens.  La  relation 
entre  les  deus  livres  est  indiquée  par  les  premières  lignes  de 
la  savoureuse  préface  des  Vieilleries  :  «  Que  si  tut'enquières, 
ami  lecteur,  de  la  raison  pourquoi  cette  seconde  édition,  je  te 
dirai  apertement  que  c'est  parce  que,  la  première  étant  épuisée 
et  montant  dans  les  encans  à  des  prix  ridiculement  forcés,  des 
éditeurs  m'ont  requis  et  prié  d'en  mettre  au  jour  une  nou- 
velle. Ceci  est  la  raison  externe,  pour  le  commun  peuple, 
mais  à  toi  je  te  confesserai  privément  dans  le  canal  auditif, 
que  la  raison  occulte  et  interne,  c'est  que  j'avais  fait  maint 
bousillage  dans  la  première  édition  à  l'endroit  de  nos  bons 
vieux  mots  lyonnais,  et  que  j'ai  toujours  ouï  dire  à  feu  mon 
grand,  qu'il  fallait  toujours  se  dire  bête  à  soi-même  avant  que 
les  autres  vous  le  disent.  »  Ce  qui  signifie,  en  simple  prose, 
que  Puitspelu  a  mis  son  livre  au  courant  de  la  science,  de 
.sa  science  pourrait-on  dire,  car  elle  est  sienne  en  ce  quil  a 
largement  contribué  à  la  faire,  et  qu'il  ne  s'est  pas  borné  à  la 
recevoir. 

Dans  ses  Vieilleries,  l'auteur  reclific  non  stnilcmcnt  la  pre- 
mière édition  du  même  livre,  mais  encore,  à  l'occasion,. son 
Dictionnaire.  CcHt  dire  que  les  linguistes  y  trouveront  même 
plaisir  et  môme  profit  que  les  folk-loristes  et  les  puis  Lyonnais. 
Signalons  au  hasard  les  chapitres  suivants  :  Le  uieux  canut. 
—  Les  jeux  des  gones.  —  Les  bêches.  —  Les  cadettes.  —  Le 
Gourguillon.  —  De  nos  expressions  de  tendresse,  etc.  Et 
ajoutons,  à  seule  fin  de  rassurer  les  Parisiens  et  autres  pro- 


15B  REVlîE^DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

vinciaus^  qu'ils  trouveront  page  369  et  suivantes  un  «  Guide- 
âne  à  l'usage  des  bonnes  gens  qui  ne  sont  pas  natifs  de  Lyon, 
pour  l'intelligence  de  quelques  mots  de  l'ouvrage  ». 

Pour  que  les  dictionnaires  patois-français  puissent  servir 
commodément  aus  recherches  de  phonétique  générale  et 
comparée,  il  est  presque  indispensable  qu'ils  soient  accom- 
pagnés d'un  index  français-patois,  renvoyant  pour  chaque 
mot  français  au  terme  patois  correspondant.  Sans  cet  index 
secourable  la  forme  patoise  d'un  mot  français  déterminé  sera 
presque  toujours  difficile  et  longue  à  trouver  pour  les  «  bonnes 
gens  qui  ne  sont  pas  natifs  de  Lyon  ».  Il  est  donc  à  souhai- 
ter que  l'auteur  fasse  exécuter  à  bref  délai  une  sorte  de  table 
de  son  Dictionnaire  étymologique,  dans  l'ordre  alphabétique 
des  mots  français.  Ce  sera  une  si  belle  occasion  d'insérer 
quelques  «  notes  tardives  »,  si  chères  à  un  lexicographe  scru- 
puleus  ! 

Puisque  nous  sommes  en  train  d'émettre  des  vgeus,  il  n'en 
coîite  pas  davantage  de  demander  aussi  à  Puitspelu  une 
étude  développée  sur  les  flexions  verbales  en  lyonnais,  qu'il 
est  mieus  que  personne  en  état  de  nous  donner.  Ce  qu'il  eu 
dit,  à  la  fin  de  sa  phonétique,  suffit  pour  l'introduction  d'un 
Dictionnaire.  Mais  la  question  mérite  d'être  reprise  et  traitée 
à  part.  A  côté  de  la  double  conjugaison  dérivée  des  verbes 
latins  en  are  et  de  la  conjugaison  inchoative,  qui  sont  encore 
vivantes,  il  n'y  a,  en  lyonnais  comme  en  français,  que  des 
débris  des  autres  conjugaisons  latines,  stérilisées  depuis 
l'origine  de  notre  langue  et  pour  lesquelles  les  paradigmes 
particuliers  ne  peuvent  qu'induire  en  erreur.  Ces  conjugai- 
sons n'ont  pas  cessé  de  s'assimiler  de  plus  en  plus  les  unes 
aus  autres,  de  telle  sorte  qu'on  peut  les  ramener  à  un  seul 
type,  sous  réserve  de  formes  diverses  pour  certains  temps  et 
certaines  personnes.  Cette  conception,  en  généralisant  les 
règles  de  conjugaison,  permet  d'y  faire  rcnitrer  beaucoup  de 
formes  dites  irrégulières,  qui  ne  paraissent  telles  que  parce 
qu'on  les  compare  à  des  paradigmes  trop  étroits  et  par  cela 
même  faus.  La  plupart  des  particularités  qu'offrent  les  pré- 
tendus paradigmes  et  les  prétendues  irrégularités  s'expliquent 
par  des  modifications  phonétiques  ou  analogiques  du  radical, 
(|u'il  est  extrêmement  intéressant  d'étudier,  qui  ne  correspon- 
dent pas  le  plus  souvent  aus  terminaisons  diverses  dcl'infinitif , 


COMPTES    RENDUS  157 

mais  qu'on  peut  arriver  à  classer  et  à  rattacher,  sous  forme 
de  remarques  spéciales,  au  type  général  des  conjugaisons 
mortes. 

En  maintenant,  à  titre  de  simples  exemples,  les  paradigmes 
proposés,  il  serait  nécessaire  de  donner  la  liste,  aussi  com- 
plète que  possible,  des  verbes  ausquels  chacun  d'eus  s'appli- 
que plus  ou  moins  rigoureusement.  A  défaut  de  ces  listes,  il 
est  impossible  à  un  philologue  non  lyonnais  de  faire,  d'après 
les  éléments  fournis  par  l'introduction  au  Dictionnaire  éitj- 
mologique,  le  travail  dont  nous  venons  de  signaler  l'utilité  et 
d'esquisser  le  plan  L.  C. 


Ernest  Langlois.  —  Origines  et  sources  da  roman  de  la 
Rose  (fascicule  cinquante-huitième  de  la  Bibliothèque  des 
Écoles  françaises  d'Athènes  et  de  Rome.  Paris,  Thoriii, 
1891,  vni  203  pages  in-8o). 

Le  même.  —  De  artihus  rhetoricœ  rhythniicœ  (Paris, 
Bouillon,  1890,  119  pages  in-8o). 

L'auteur  présente  son  livre  sur  les  origines  du  Roman  de 
la  Rose  comme  une  sorte  de  travail  préparatoire  entrepris 
par  lui  en  vue  d^une  édition  critique  du  Roman.  Assurément 
la  connaissance  des  œuvres  latines  ausquelles  Jean  de  Meung 
a  fait  des  emprunts  peut  être  d'un  secours  très  précieus  pour 
la  classification  des  manuscrits  et  pour  l'établissement  du 
texte  du  Roman  de  la  Rose.  Mais  cette  connaissance  offre 
par  elle-même  un  grand  intérêt,  indépendamment  de  toute 
utilisation  ultérieure.  L'étude  des  origines  et  des  sources  du 
célèbre  roman  est  un  chapitre  important  qui  manquait  à 
notre  histoire  littéraire,  et  qui,  maintenant,  grâce  à  M.  Lan- 
glois, n'est  plus  à  faire. 

En  ce  qui  touche  la  première  partie  du  roman  de  la  Rose 
due  à  Guillaume  de  Lorris,  il  résulte  du  travail  très  fouillé 
(l(^  M.  Langlois  que  «  si  on  examine  à  part  chacun  des  élé- 
ments dont  elle  est  composée,  l'esprit  dans  lequel  l'œuvre  a 
été  conçue,  sa  méthode,  son  cadre,  ses  ornements  poétiques, 
ses  idées,  on  reconnaît  qu'aucun  d'eux  n'est  original,  qu'on 
les  trouv(î  tous  épars  dans  les  œuvres  antérieures.  » 


158  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Quant  à  Jean  de  Meung(l),  «  il  était  très  familier  avec  la 
littérature  latine,  il  avait  lu  tout  ce  qu'on  pouvait  en  lire  de 
son  temps,  c'est-à-dire,  à  peu  de  chose  près,  ce  qui  nous  en 
est  parvenu  »,  et  il  en  fait  un  usage  constant,  sans  dissimuler 
ses  emprunts,  et  sans  faire  effort  pour  y  introduire  une  note 
personnelle.  C'est  ainsi  qu'on  imitait  de  son  temps.  Mais 
il  reste  dans  son  œuvre  et  dans  celle  de  son  devancier  des 
qualités  remarquables  d'adaptation  et  de  style,  et  chez  l'un 
une  grande  finesse  d'analyse,  chez  l'autre  une  verve  satirique 
puissante,  qui  justifient  amplement  la  célébrité  persistante 
du  Roman. 

Tous  les  rapprochements  indiqués  par  M.  Langlois  sont 
intéressants,  et  ils  sont  mis  en  valeur  avec  une  grande  dex- 
térité. Je  me  permettrai  une  seule  critique  à  propos  de  l'é- 
pisode de  Faux-Semblant.  C'est  un  des  passages  les  plus 
justement  admirés  du  roman  de  la  Rose,  et  M.  Langlois  en 
trouve  la  source  unique  dans  les  œuvres  latines  de  Guillaume 
de  Saint-Amour.  Mais  à  la  même  époque,  un  ami  de  Guil- 
laume, Rutebeuf,  le  grand  satirique  du  xiiie  siècle,  expri- 
mait en  beaus  vers  français  les  mêmes  idées,  soit  qu'elles 
lui  fussent  communes  avec  Guillaume  de  Saint-Amour,  soit 
que  l'un  les  empruntât  à  l'autre.  Or  un  bon  nombre  des 
poésies  de  Rutebeuf  dirigées  contre  les  hypocrites  sont  con- 
temporaines de  la  grande  querelle  entre  l'Université  et  les 
Ordres  mendiants,  et  par  conséquent  antérieures  à  la  conti- 
nuation du  roman  de  la  Rose.  N'est-il  pas  extrêmement  vrai- 
semblable que  Jean  de  Meung  les  a  connues  et  a  pu  s'en 
servir?  La  question,  en  tout  cas,  méritait  d'être  posée. 

L'étude  sur  les  sources  du  roman  de  la  Rose  a  été  pré- 
sentée par  l'auteur  à  la  Sorbonne  comme  thèse  française  de 
doctorat.  Il  présentait  en  même  temps,  comme  thèse  latine, 
un  travail  intitulé  De  ariihufi  rhetoricœ  i-hythmicce,  c'est-à- 
dire  sur  les  arts  poétiques  écrits  en  France  du  xiv«  au  milieu 
du  xvi«  siècle.  Le  sujet  n'y  est  pas  traité  à  fond,  mais  on  y 
trouve  des  indications  bibliographiques  qui  complètent  utile- 
ment le  Manuel  de  M.  Gaston  Paris.  L.  C. 

(1)  Sans  doute  l'orthographe  Meung  est  grotesque  ;  mais,  tant  qu'on 
écrira  ainsi  le  nom  de  lieu,  il  sera  utile  de  ne  pas  écrire  autrement 
If  nom  du  i)oète. 


CHRONIQUE  159 


CHRONIQUE 


Notre  collaborateur  M.  Bourciez  vient  de  publier  des 
réflexions  très  judicieuses  et  très  suggestives  sur  VEnseigne- 
uieni  français  et  l'enseignement  supérieur  des  langues 
romanes.  Il  s'agit  d'abord  de  l'enseignement  secondaire 
spécial,  auquel  un  décret  récent  vient  précisément  de  donner 
le  nom  de  ((  enseignement  secondaire  moderne  ».  Le  même 
décret  supprime  l'agrégation  de  l'enseignement  secondaire 
spécial.  Cette  solution  était  prévue  par  M.  Bourciez,  qui 
disait  :  «  Je  me  demande  ce  que  feront  des  professeurs  qui 
auront  passé  cinq  ou  six  ans  à  préparer  des  examens  dont  le 
grec  et  le  latin  forment  le  fond,  le  jour  où,  brusquement,  ils 
n'auront  plus  à  enseigner  que  le  français  ».  Ces  professeurs, 
très  probablement,  se  prêteront  mal  à  un  enseignement  qu'ils 
considéreront  évidemment  comme  inférieur.  Est-ce  à  dire 
qu'il  faille  revenir  à  un  recrutement  spécial  du  corps  ensei- 
gnant? Oui,  dit  M.  Bourciez,  mais  à  la  condition  qu'on 
créera  une  agrégation  nouvelle,  véritablement  forte,  dont 
l'étude  des  langues  romanes  sera  la  bas3.  Car  «  les  langues 
romanes,  étudiées  dans  leur  structure  grammaticale  et  dans 
leur  floraison  littéraire,  peuvent  devenir  un  instrument  de 
culture  générale  très  efficace  et  très  suffisant  »,  C'est  tout  à 
fait  notre  avis,  et  nous  souhaitons  que  les  idées  de  M.  Bour- 
ciez fassent  rapidement  leur  chemin.  Pour  résoudre  cette 
question  si  compliquée,  il  vaut  mieus  reconstruire  que  de 
replâtrer.  La  politique  d'expédients  est  la  pire  de  toutes. 

NÉCROLOGIE.  —  Le  promoteur  de  la  Renaissance  proven- 
çale, le  vieil  ami  de  Mistral,  Joseph  Roumanille,  auteur  de 
tant  d'œuvres  charmantes,  est  mort  à  Avignon,  le  24  mai 
dernier.  Voici  en  quels  termes  le  Consistoire  et  les  Mainte- 
nances du  félibrigc  ont  annoncé  à  leurs  amis  cette  doulou- 
reuse nouvelle:  «  Lou  Consistôri  Felibrcn  ;  li  Mantenènço 
Felibrenco  de  Prouvônço,  de  Lengadô,  d'A(|uitâni  e  de  Cata- 
lougno,  doulourousamen  vous  fan  assaupre  que  lou  Capou- 
liédôu  Felibrige,  En  Jôusè  Roumanille  es  mort  dins  la  Pas 
(le  Dieu,  en  Avignon n,  lou  21  de  mai  1891,  jour  di  Sànti 
Mario.  » 


160  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

LIVRES  ET  ARTICLES    SIGNALÉS 

Ernest  Langlois.  —  Notice  des  manuscrits  fraiiçais  et 
provençaux  de  Rome  antérieurs  au  XVI^  siècle  {Thè  des 
Notices  et  extraits  des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  Natio- 
nale et  autres  bibliothèques,  t.  xxiii,  2^  partie.  Paris,  imp. 
Nationale,  1889,  347  p.  grand  iD-4o).  —  On  sait  combien  les 
diverses  bibliothèques  de  Rome  renferment  de  manuscrits 
importants  pour  l'histoire  littéraire  de  la  France  au  mo^^en 
âge.  Les  renseignements  qu'on  possédait  sur  ces  mss.  étaient 
très  incomplets  et  très  épars.  Il  faut  savoir  gré  à  M.  Langlois 
de  nous  avoir  donné  un  catalogue  de  toutes  ces  richesses, 
dressé  avec  soin  et  compétence.  C'est  un  travail  considérable, 
qu'il  a  su  mener  de  front  avec  son  étude  sur  le  Roman  de  la 
Rose,  dont  nous  rendons  compte  ci-dessus. 

—  Le  dernier  fascicule  des  Phonetische  Studien  (3e  du 
4«  vol.)  contient  la  première  partie  d'un  Essai  de  grammaire 
phonétique  du  français,  rédigé  en  français  par  M .  Gustave 
Rolin,  de  Prague,  élève    de  l'éminent  romaniste  M.  Cornu. 

—  Signalons,  dans  le  Literaturblatt  fiir  germani^che  und 
romanische  Philologie,  un  article  important  de  W.  Fœrster 
sur  les  Œuvres  de  Gautier  d'Arras  publiées  par  M.  Lœseth 
(Paris,  Bouillon,  1890). 

Carl  Theodor  Hoefft.  —  France,  franceis  et  franc 
im  Rolandsliede  (Dissertation  de  Strasbourg,  189 L).  —  Cette 
dissertation,  dédiée  à  M.  le  professeur  Grœber,  est  un  bon 
travail  de  début.  Le  sujet,  un  peu  étroit,  indiqué  par  le  titre, 
s'élargit  dans  l'exécution  par  de  nombreus  rapprochements. 

Henri  Bardy.  —  Le  folk-lore  du  Val-de-Rosemont  (Ex- 
trait du  Bulletin  n»  5  de  la  section  des  Hautes-  Vosges  du 
Club  Alpin  Français,  22  pages  in-8o).  —  Cette  intéressante 
brochure  contient  une  nouvelle  édition  du  chant  populaire 
dit  ((  Chant  du  Roscmont  »,  dont  le  texte  a  été  revu  par  le 
philologue  vosgien  le  plus  compétent,  M.  le  chanoine  Hingre. 


Le  Gèruid  :  E.  Bouillon. 


CIIALON-SUn-PAONK,    nunilMKRIK    I)K   L.    MARCEAU 


i 


L'ÉVOLUTION  PHONOGRAPHIQUE  DE  L'Oi  FRANÇAIS 

(  Suite) 


Laissant  de  côté  tous  les  cas  isolés  qui  pourraient 
mener  trop  loin  nos  recherches,  nous  voici  donc  en  pré- 
sence de  trois  systèmes  phoniques  (oé,  è,  oa,  sans  compter 
les  oin)  bien  différents  et  dont  chacun  avait  ses  partisans 
et  ses  adversaires.  Gomment  trancher  graphiquement  la 
question  ?  L'anomalie  que  nous  trouvons  aujourd'hui 
encore  à  prononcer  roule  comme  mide,  coin  comme  kwe, 
et  roi  comme  roà,  sans  mettre  en  ligne  de  compte  oignon 
pour  onô  [ognon]  ou  encoignure  pour  akohiir  et  d'autres, 
s'étendait  donc,  dans  le  xvi"  et  xvn"  siècle  à  tous  les  mots 
où  l'on  trouvait  le  oi  et  on  se  heurtait  toujours  contre  la 
ditïiculté  de  ne  pas  connaître  sûrement  comment  on  devait 
prononcer  ces  mots,  soit  par  oe  dans  ses  diverses  nuances, 
soitparoaou  par  è.  Les  mots  dont  la  cour  et  les  écrivains 
en  renom,  les  poètes  surtout,  s'étaient  déjà  servis,  étaient 
pour  ainsi  dire,  à  peu  près  sacrés  ;  du  moins  on  savait  à 
quoi  s'en  tenir  parmi  les  gens  cultivés  ;  mais  pour  tous 
les  autres  —  et  il  faut  bien  reconnaître  que  c'était  le  plus 
grand  nombre  —  c'était  l'anarchie,  tellement  qu'à  côté 
des  mots  comme /'/'rt»fo/.s,  foible,  monnoie  on  en  trouvait 
d'autres  comme  danois,  Iwurgeois,  joie,  qui  paraissaient 
devoir  être  assujettis  à  la  même  loi  d'évolution  phonétique 
et  qui  ne  l'étaient  pas  toutefois,  les  uns  ayant  trop  avancé, 
et  les  autres  s'étant  arrêtés  dans  leur  transformation. 

Il  fallait  donc,  pour  démêler  ces  divers  mots,  opérer 
dans  l'orthographe  une  évolution  analogue  à  celle  qui 
s'était  opérée  dans  la  prononciation.  Si  l'écriture  doit  être 
la  plus  (idèle  représentation  du  langage,  c'était  à  l'écriture 
de  chercher  des  formes  graphiques  nouvelles  pour  les 
mettre  en  équivalence  avec  l'es  nouvelles  formes  phoniques- 
Ce  fut  à  peu  près  ce  raisonnement-ci  que  se  tinrent  sans 
doute  les  écrivains,  grammairiens  ou  littérateurs,  qui 
depuis  les  temps  les  plus  reculés  avaient  été  frappés  du 
besoin  d'accorder  la  prononciation  avec  l'orthographe  et 

HevuI';  uk   rmi.Di.oi.ii;.  \.  11 


162  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

s'étaieat  efforcés  d'employer  une  ortliographe  phonétique. 
On  a  attribué  à  Voltaire  la  transformation  de  l'orthographe 
oi  en  aï,  et  cette  opinion  erronée,  que  nous  voyons  patron- 
née même  par  Diez  (1),  a  jeté  de  telles  racines  que,  même 
aujourd'hui,  M.  Vernier,  maître  de  conférences  à  la 
Faculté  des  Lettres  de  Besançon,  n'a  pas  hésité  à  la  repro- 
duire (2).  D'autres  ont  donné  comme  auteur  de  cette  inno- 
vation M.  Berain,  et  moi-même,  dans  la  première  rédac- 
tion de  cet  article  (3)  la  lui  avais  aussi  attribuée  (4) 

(1)  Fried.  Diez:  Grammatik  der  romanisc/ien  Sprachen.  v.  Les  mois 
dans  lesquels  on  prononce  (et  depuis  rexemple  de  Voltaire  et  de 
quelques  auti'es  on  écrit)  ai  pour  oi — dit  l'éminent  romaniste  alle- 
mand—  sont/ra7içois  et  d'autres  noms  de  peuples  semblables, /oiôie^ 
folde,  inonnole,  Iiarnois,  paroitre,  connoitre,  et  les  flexions  verbales 
ois,  oit,  oient.  »  (Edition  française,  traduction  d'Aug.  Brachet  et  de  G. 
Paris.) 

(2)  Dans  le  numéro  du  mois  de  juillet  1889  (pendant  que  nous  rédi- 
gions cet  article)  de  La  iwuoèle  oi-tografe  ,  organe  de  la  Société  de 
réforme  ortographique,  nous  trouvons  le  suivant  extrait  de  Voltaire 
grammairien  par  M.  Vernier  :  «  La  réforme  relative  à  la  diphtongue 
»  oi  a  une  importance  assez  considérable  ;  en  debors  de  son  utilité, 
»  elle  montre  ce  que  peut  un  grand  écrivain  dans  le  domaine  des 
»  réformes  grammaticales.  Il  serait  à  souhaiter  qu'on  en  fit  autant  de 
»  temps  en  temps...  Que  u'a-t-on  pas  dit  de  Voltaire  ?  N'a-t-il  pas  été 
»  accusé  d'avoir  ourdi  une  trame  machiavélique  contre  les  grands 
»  écrivains  qui  l'avaient  précédé  ?  »  —  [M.  Araujo  se  méprent  sur  la 
pensée  de  M.  Vernier,  qui  ne  prêtent  pas  que  Voltaire  ait  le  premier 
proposé  de  changer  oi  en  ai,  quoi  qu'il  en  pensât  lui-même  ;  il  constate 
seulement  que  c'est  lui  qui,  grâce  à  son  autorité  littéraire,  fit  préva- 
loir la  réforme.  Et  Diez,  en  somme,  n'a  pas  dit  autre  chose.]      L.  C. 

(3)  Les  métamorphoses  d'un  son,  dans  la  Reoiœ  de  linguistique  et 
de  philologie  comparée  de  Paris  XXI,  travail  très  faible  de  mon  temps 
d'élève  à  TUniversité. 

(4)  «  Ce  fut  à  peu  près  ce  raisonnement-ci,  disais-je,que  se  tint  un  avocat 
»  du  Parlement  de  Rouen,  M.  Besain  ou  Berain,  l'an  1652,  lorsqu'il 
»  publia  ses  Remarques  grammaticales,  à  l'instar  deVaugelas,  où  il 
»  demanda  de  substituer  le  ai  à  oi.  On  lui  a  contesté  longtemps  ce 
))  mérite,  en  attribuant  la  réforme  d'abord  à  Voltaire,  et  après  à  un 
»  certain  Lesclache.  Pour  ce  dernier,  c'est  M.  Chassang  (Nouvelle 
»  grammaire  française,  Paris  1885)  qui  la  lui  attribue  ;  mais  je  crois 
»  qu'il  a  tort,  et  qu'il  a  été  trompé  par  la  date  qui  généralement  se 
»  trouve  accolée  au  nom  de  Berain  dans  presque  tous  les  auteurs, 
»  entre  autres  dans  les  Grammaires  de  Girault-Duvivier  et  de  Napoléon 
»  Landais  ;  cette  date  est  celle  de  1675,  et  comme  Lesclache,  suivant 
»  Chassang,  écrivit  son  ouvrage   en    1668.  rien  de  plus   naturel  que 


ÉVOLUTION  DE  l'oI  FRANÇAIS  16H 

d'accord  avec  plusieurs  grammairiens  entre  autres  Girault- 
Duvivier  (l),  Landais  (2),  Tell  (3)  etc.,  en  rejetant  en  même 
temps  une  autre  opinion  de  M.  Chassang,  qui  accordait 
la  paternité  de  la  réforme  au  grammairien  Lesclache  (4). 
Mais  les  nouvelles  études  que  j'ai  eu  l'occasion  de  faire, 
par  suite  surtout  d'un  amical  avertissement  de  M,  Victor, 
qui  me  mit  en  garde  contre  le  témoignage  de  M.  Tell, 
m'ont  amené  à  formuler  des  conclusions,  en  partie  nou- 
velles, qui  me  font  rejeter  décidément  non  seulement 
l'opinion  de  ceus  qui  ont  cru  Voltaire  auteurde  la  réforme 
(rectification  qui  était  faite  dès  longtemps)  mais  aussi  de 
ceus  qui  l'ont  attribuée  à  Lesclache  et  même  à  Berain  ; 
pour  celui-ci  cependant  je  maintiens  encore  en  partie 
mes  primitives  conclusions.  Mais  racontons  les  faits, 
parce  que  l'on  en  peut  tirer  de  très  utiles  enseignements, 
et  parce  qu'il  est  curieus  de  voir  comment  se  forment 
parfois  les  opinions,  pour  ne  pas  se  laisser  aller  à  une 
crédulité  nuisible. 

Quand  j'eus  lu  dans  Chassang  que  Lesclache  avait  le 
premier  proposé  la  réforme  de  Voi  en  ai  (5),  affirmation 
tout  à  fait  nouvelle,  du  moins  pour  moi,  et  qui  renversait 
les  opinions  reçues,  je  n'osai  pas  mettre  en  doute  le  fait 
même  de  l'innovation,  et  comme  je  n'avais  alors  à 
ma  disposition  ni  l'ouvrage  de  Lesclache  ni  celui  de  Berain, 
j'aurais  admis  sans  constestation  l'assertion  de  Chassang, 


»  de  lui  attribuer  la  paternité  de  la  réforme.  Berain  cependant 
»  publia  ses /îemar^î<f'.s  l'an  1652  (Tei.l,  Les  grammairiens  J'rançais) 
)>  comme  nous  l'avons  dit  ci-dessus,  c'est-à-dire  seize  années  aupara- 
»  vant,  ce  qui  renverse  de  fond  en  comble  tout  l'échafaudage  élevé 
»  par  M.  Chassang.  On  ne  peut  donc,  ce  nous  semble,  pour  le 
»  moment,  contester  à  M.  Berain  la  priorité  de  l'innovation.  « 

(1)  GiRAULT-DuviviEii  :  Grammaire  dos  grammaires  ou  Analyse 
raisonnée  dos  meilleurs  travaux  sur  la  langue  françoise.  Paris,  1811. 

(2)  Napoléon  Landais  :  Grammaire  générale  ou  résumé  de 
toutes  les  Grammaires  françaises.  —  Paris,  1841. 

(3)  Tell  :  Les  grammairiens  français.  —  Paris,  1874. 

(4)  Chassang  :  Nouoelle  grammaire  française.  —  Paris,  1885. 

(5)  Voici  les  mots  textuels  de  Chassang  ;  «  Dés  le  xvn''  siècle,  le 
»  grammairien  de  Lesclache  (1668)  proposa  de  conformer  l'orthographe 
»  à  la  prononciation,  et  d'écrire  à  l'imparfait  ais  au  lieu  de  ois.  Cetto 
»>  tentative  fut  renouvelée  en  1675  par  Berain,  avocat  au  parlement.  »> 


164  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

sans  la  différence  des  dates  données  pour  la  publication 
des  Remarques  de  Berain;  j'avais  trouvé  en  effet  dans 
Girault-Duvivier  et  dans  Landais  la  date  de  1675  comme 
celle  de  l'année  où  l'ouvrage  de  Berain  avait  paru,  mais 
Tell  de  son  côté  donnait  la  date  de  1652  pour  le  même  fait. 
Comme  l'ouvrage  de  Tell  était  postérieur  et  que  Tell, 
pour  le  composer,  devait  avoir  eu  sous  les  yeus  les  gram- 
mairiens qu'il  citait  ou  dont  il  faisait  le  compte  rendu, 
quelque  superficiel  et  sommaire  qu'il  fût,  je  considérai  sa 
rectification,  et  la  date  par  conséquent  de  1652,  comme 
l'expression  de  la  vérité  ;  alors  je  parvins  à  m'expliquer 
l'afïirmation  de  Chassang  comme  une  erreur,  née  simple- 
ment de  la  croyance  que  l'ouvrage  de  Lesclaclie,  publié 
en  1668,  était  antérieur  à  celui  de  Berain,  paru,  suivant  les 
données  (que  je  croyais  erronées)  de  Girault-Duvivier, 
Landais  et  d'autres,  en  1675  et  non  en  1652  comme  Tell 
disait  et  comme  je  l'admettais;  tout  s'expliquait  ainsi, 
par  la  date  donnée  par  Tell  (1652)  pour  l'ouvrage  de 
Berain,  et  par  celle  donnée  par  Chassang  pour  celui  de 
Lesclaclie  (1668).  Je  rejetais  l'affirmation  de  Chassang  et 
je  rétablissais  Berain  dans  tous  les  honneurs  qu'on  lui 
avait  auparavant  accordes.  C'était  agir  avec  trop  de  légè- 
reté assurément,  et  je  n'ai  pour  m'excuser  que  la  foi  que 
j'ajoutais  aus  affirmations  et  aus  données  de  Tell  et  de 
Chassang. 

Je  me  méfiais  pourtant  quelque  peu  de  mes  conclusions; 
je  cherchai  l'ouvrage  de  Berain  dans  la  bibliothèque 
universitaire  de  Salamanque,  dans  la  Nationale  et  dans 
celle  de  Saint-Isidore  de  Madrid,  dans  celles  de  Tolède, 
de  l'Escurial,  de  Barcelone,  mais  je  ne  le  trouvais  nulle 
part  et  je  voyais  tous  mes  efforts  échouer;  je  feuilletai 
plusieurs  catalogues  de  librairies  et  de  bibliothèques 
particulières,  j'eus  recours  à  Brunet«t  à  beaucoup  d'autres 
bibliographies,  mais  je  n'y  trouvai  pas  non  plus  de  tra- 
ces de  Berain.  J'aurais  voulu  pouvoir  arriver  à  me  former 
une  conviction  sur  la  date  de  publication  des  Remarques 
de  Berain  et  sur  son  vrai  nom,  car  tantôt  je  le  trouvai 
écrit  Rerain  tantôt  Resain  et  même  Rez-ain.  Il  y  fallait 
renoncer,  pour  le  moment  du  moins.  C'est  alors  que 
>L   Victor  me   remit  le  travail  de  Rossmann,   Franxô- 


ÉVOLUTIOX  DE  l"oI  FRANÇAIS  165 

sisclies  oi,  où  je  trouvai  encore  autorisée  l'opinion  de  ceus 
qui  donnaient  Berain  comme  l'auteur  de  la  réforme  de 
Voi  en  ai,  mais  il  datait  l'ouvrage  de  Berain  de  167S;  c'était 
un  troisième  témoignage,  moderne  celui-ci,  en  faveur  de 
cette  date  et  je  décidai  alors,  vu  ces  contradictions, 
d'ajourner  la  publication  de  mon  article,  qui  était  déjà 
sous  presse,  en  profitant  de  cet  ajournement  pour  le 
compléter  en  y  ajoutant  le  résultat  de  mes  études  sur 
l'évolution  phonétique  de  l'oi;  cardans  la  première  rédac- 
tion je  m'étais  borné  à  l'exposition  de  l'évolution  gra- 
phique de  Voi  ou  pour  mieus  dire  à  l'exposition  des 
luttes  entamées  par  les  grammairiens  et  les  littérateurs 
sur  l'adoption  ou  le  rejet  de  ai  ou  è  pour  oi.  Cet  ajourne- 
ment m'a  permis  de  refaire  radicalement  tout  mon  travail 
primitif,  et  d'offrir  au  public  une  étude,  aussi  complète 
que  possible,  et  aussi  consciencieuse  que  je  l'ai  pu,  sur 
l'évolution  phonographique  de  Voi,  en  montrant  groupé 
en  un  seul  tout  les  différents  résultats  qui  s'y  rapportent. 
Ayant  échoué  dans  mes  efforts  pour  arriver  à  voir 
de  mes  yeus  l'ouvrage  de  Berain,  je  pris  le  parti  de 
m'adresser  alors  à  la  Direction  de  la  Bibliothèque  Natio- 
nale de  Paris,  et  je  n'eus  pas  l'occasion  de  m'en  repentir, 
car  M.  Delisle  s'empressa  de  me  répondre,  en  me  fournis- 
sant les  renseignements  que  je  lui  avais  demandés  (1);  la 
date  de  l'ouvrage  était  celle  de  1675,  et  l'auteur  s'appelait 
N.  Berain  (ni  Louis,  ni  Besain  comme  Tell  l'appelait);  donc 
Telln'avait  \)d.s\w\(is Remarques  de  l'avocat  grammairien. 
Chassang  avait-il  donc  raison?  Il  fallait  voir.  Je  fis  d'abord 
des  recherches,  je  profitai  plus  tard  de  mon  voyage  à 
Paris  à  l'occasion  de  l'Exposition  universelle  pour  étudier 
à  la  Bibliothèque  Nationale  les  ouvrages  de  Berain,  de 
Lesclache  et  d'autres  encore,  et  j'aboutis  à  la  conclusion 
que  la  date  du  livre  de  Lesclache  était  bien  celle  de  1668 
donnée  par  Chassang,  mais  que  Lesclache  n'avait  pas 

(1)  «  Voici  le  titre  dorouvrago  —  me  disait  M.  Delisle  —  que  vous 
m'avez  faitriionneur  de  me  demander:  u  Amoncelles  \  remarques  \  sur 
la   I  laurjua  J'ranraise  \  [lar  M .  N.  B.  avocat  |  au  Parlement  de  Paris 

I  a  Rouen  \  chez  Eustacitc  Viret  impri  \  meur  ordinaire  du  Roi 
dans  I   la  cour  du  palais  MDcLXXV.  »  Volume  in-16.  La    dédicace 

qui  est  en  tête  est  signée  :  BERAIN.  » 


166  REVUE  DE  PHILOLOGIE  FRANÇAISE 

proposé  la  réforme  de  Voi  par  ai.  Le  seul  titre  de 
l'ouvrage  de  Lesclaclie  (1)  montre  assez  bien  quel  était 
le  système  graphique  de  l'auteur;  là  en  effet,  on  ne  trouve 
pas  écrit  française  comme  dans  les  Nouvelles  remarques 
de  Berain,  mais  francéze  ;  et  pour  peu  que  l'on  feuilleté 
Les  véritables  régies  de  rortographe  franeèze,  on  y  trouve 
à  chaque  instant  des  etét,  des  parétre,  des  eonétre,  des 
empecherét,  etc.,  qui  ne  laissent  pas  le  moindre  doute. 
Ce  n'était  pas  ai  mais  é  que  de  l'Esclache  proposait 
pour  remplacer  oi  et  il  n'hésitait  pas  à  soutenir  sa 
manière  de  voir  et  à  indiquer  directement  et  d'une  façon 
catégorique  sa  pensée  sur  la  réforme  graphique  :  «  Il  ne 
»  faut  pas,  disait-il,  condamner  dans  les  viens  livres  ces 
B  fasons  d'écrire /rt/mo/s,  //  aimoit,  je  parlais,  il  parloit, 
»  car  éles  ont  été  conformes  à  la  parole  de  leurs  auteurs  ; 
»  mais  comme  la  prononsiasion  an  a  été  adoucie,  ceus  qui 
»  les  retiénentà  prézant  après  avoir  aprouvé  lechanjement 
»  de  leur  original  sont  ridicules  de  préférer  un  mauvais 
»  uzaje  à  la  raison.  Nous  devons  donc  écrire  f  aimés,  il 
»  aimét,  je  parlés,  ilparlét,  ils  parlèeni,  etc.  (2).» 

Et  maintenant  est-ce  Berain  qui  est  l'auteur  de  l'innova- 
tion graphique  qui  aboutit  à  la  substitution  de  ai  à  oVt  S'il 
s'agit  de  celui  qui  a  le  premier  proposé  cette  innovation 
en  l'appliquant  systématiquement  à  tous  les  cas  où  elle 
pourrait  être  appliquée,  oui  sans  doute  ;  Berain  est  l'au- 
teur de  l'innovation.  Mais  pour  lui  décerner  sans  contes- 
tation possible  ce  titre,  il  faudrait  que  Berain  eût  été  le 
premier  à  employer  ai  pour  oi,  et  il  n'en  est  rien  :  Berain 
est  certes  l'apôtre  convaincu  de  la  réforme,  celui  qui  a  le 
premier  systématisé  et  généralisé  ses  applications,  mais 
il  s'en  faut  de  beaucoup  qu'il  ait  été  le  premier  à  employer 
rt/pour  o/.Sans  parler  des  temps  antérieurs  à  l'apparition 
des  premiers  grammairiens  français,  temps  oixVoi  primi- 

(1)  Voici  le  tilre  de  l'ouvrage  de  ce  grammairien,  qui  ne  s'appelait 
non  plus  Lesclache,  comme  le  dit  Chassang,  mais  de  l'Esclache  :  Les 
Kéritables  Règles  de  l'ortografe  fvancése  oc  l'art  d'aprandre  en 
peu  de  tains  à  écrire  côrectcmant  par  Louis  de  l'Esclache.  A  Paris, 
M.DC.LXVIIf.  » 

(2)  De  l'Esclache  :  Les  céritablcs  Régies  de  l'ortogra/e  françé:ie. 
page  23. 


ÉVOLL'TION    DE    l"oi    FRANÇAIS  167 

tif  avait  déjà  disparu,  remplacé  par  ai,  en  plusieurs  mots, 
nous  trouvons  beaucoup  d'écrivains  qui  ont  fait  emploi 
de  Vai  (soit  systématiquement  pour  tel  ou  tel  groupe  de 
mots,  soit  seulement  pour  constater  la  prononciation  usi- 
tée de  leur  temps,  qu'ils  blâmaient  ou  qu'ils  approuvaient, 
suivant  le  goût  de  chacun)  avant  Berain.  Dans  ce  sens  on 
ne  peut  attribuer  à  Berain  la  paternité  de  la  réforme 
qu'avec  quelques  restrictions. 

Le  premier  écrivain  où  nous  trouvions  employée  la 
graphie  ai  au  lieu  de  oi  est  un  médecin,  du  nom  de  Jou- 
bert,  auteur  d'un  Traité  du  ris  à  la  suite  duquel  il  avait 
placé  un  dialogue  très  curieus,  sur  la  cacofjraphie  fran- 
saise;  rouvrage(l)  était  daté  de  1579.  Joubert  était  un 
esprit  éclairé,  et  suivant  son  neveu  Christophe  de  Beau- 
chatel,  il  avait  «  premièrement  la  maxime  qu'il  faut 
écrire  tout  ainsi  que  l'on  parle  et  prononce  »  ;  son  sys- 
tème (2)  est  assurément  des  mieus  réussis;  borné  à 
exprimer  par  écrit  le  naïf  parler  du  français,  il  n'in- 
troduit pas  de  nouvelles  lettres  et  sans  charger  l'écri- 
ture d'accents  ni  de  crocs,  parvient  aisément  à  produire 

(1)  Voici  le  titre  complet  du  livre  de  M.  Joubert  :  «  Traité  du  ris, 
contenant  son  essance,  ses  cavses  et  merveilheus  essais,  curieuse- 
ment recerchés,  raisonnes  et  observés  par  M.  Lavr.  Jovbert,  conselier 
et  Médecin  ordinaire  du  Roy,  et  du  Roy  de  Nauarre,  premier  Docteur 
regeant,  Chancelier  et  Juge  de  rvniversité  au  Médecine  de  Mompelier. 
Item,  La  cause  morale  du  Ris  de  Democrite  expliquée  et  témognée 
par  Hippocras.  Plus,  vn  Dialogue  sur  la  Cacographie  Fransaise,  avec 
les  Annotacions  sur  l'orthographie  de  M .  lovbert.  A  Paris,  Chez 
Nicolas  Chesneau,  rue  S.  Jaques,  au  Chesne  Verd.  M.D.LXXIX.  » 
Les  deux  aiitreparlcurs  du  Dialogue  sont  Fransais  et  Wol/f'gang. 
Les  annotacions  appartiennent  à  Christophe  de  Beauchatel,  neveu  et 
disciple  de  M.  Joubert. 

(2)  Voici  un  spécimen  de  l'écriture  de  M.  Joudert  :  «  Certains 
»  princes  d'Alemagne  m'ont  donné  charge  d'essayer  à  comprendre 
»  exactement  ce  langage  (le  fransais)  pour  le  savoir  par  après  commu- 
»  niquer  aus  leurs  et  an  parlant  et  an  écrivant,  ainsi  qu'il  le  faut 
»  prononcer.  Et  pour  ce  j'ay  méprisé  tous  livres  écris  en  fransais  et  me 
»  suis  contraint  d'apprandre  le  langage  an  conversant  familieremant 
»  avec  ceus  qui  parlei  mieux,  observant  trœ  sogneusemant  la  vraye 
>)  prolaciou.  De  laquelle  m'étant  bien  assuré,  j'ay  commancé  d'expri- 
»  mer  par  écrit  le  naïf  parler  du  fransais.  »  Pour  bien  apprécier  tout 
le  mérite  de  cette  orthograplie,  il  faut  la  comparer  aus  écrits  contem- 
porains tout  hérissés  de  dillicultés  et  presque  illisibles. 


168  REVUE  DE  PHILOLOGIE  FRANÇAISE 

une  orthographe  aussi  shnple  et  facile  que  propre  à 
la  représentation  de  la  prononciation  usuelle.  Joubert 
écrit  fransais,  pourrois,  domitioint,  tenoint,  soint,  met- 
troit,  connois,  etoit,  elorpier,  etc.,  où  l'on  voit  qu'il 
conserve  les  oi  pour  les  flexions  des  imparfaits,  des  con- 
ditionnels et  des  verbes  en  oistre,  sans  doute  parce  que 
de  son  temps,  la  prononciation  ne  s'était  pas  encore 
décidée  en  faveur  de  1'^;  mais  il  emploie  ai  dans  les 
adjectifs  de  nationalité  comme  fransais.  Si  quelqu'un 
mérite  donc  les  honneurs  d'être  l'introducteur  de  l'ortho- 
graphe en  ai,  c'est  à  Laurent  Joubert  qu'il  faut  les  accor- 
der 

Après  Joubert,  je  n'hésite  pas  à  compter  Oudin  au 
nombre  de  ceus  qui  ont  aidé  à  l'adoption  des  ai.  Oudin, 
il  est  vrai,  est  un  des  ennemis  les  plus  convaincus  des 
réformes  graphiquesil);  mais  qu'importe,  si  lorsqu'il 
veut  représenter  la  prononciation  usitée  de  son  temps, 
il  lui  faut  recourir  à  l'orthographe  en  ai,  et  dire  par 
exemple  de  connoistre,  paroistre,  etc.,  qu'il  est  «  plus 
doux  et  plus  mignard  de  les  prononcer  connaistre,  parais- 
Ire,  cirait,  frait,  estrait,  courtais,  français,  courtaisie  »? 
N'est-ce  pas  là  une  manière  de  contribuer  à  répandre 
l'écriture  en  ai?  Car  si  connaistre  est  plus  doux  que 
connoistre  et  si  connoistre  ne  sert  plus  à  représenter 
connaistre,  pourquoi  donc  n'écrira-t-on  pas  connaistre 
tel  qu'on  le  prononce?  Quiconque,  libre  de  préjugés,  lira 
Oudin,  en  tirera  certes  cette  conséquence. 

Dans  le  même  cas  qu'Oudin  se  trouve  Vaugelas  ;  celui- 
ci  non  plus  n'ose  toucher  à  l'orthographe  admise  de  son 
temps;  mais  s'il  veut  faire  la  distinction,  à  l'égard  de  la 
prononciation,  des  adjectifs  de  nationalité  qui  se  pro- 
noncent d'une  manière  d'avec  ceus  qui  se  prononcent 

(1)  Antoine  Oudin  :  Grammaire  françoise  rapportée  au  langage 
du  temps.  Paris,  1633.  «  le  m'estonne,  dit-il,  de  quelques  modernes 
»  qui,  sans  aucune  considération,  se  sont  meslez  de  reformer,  mais 
»  plustost  de  rennerser  nostre  orthographe.  Qui  sera-ce  d'entre  eux 
»  qui,  bannissant  lettres  radicales,  vray  fondement  de  l'origine  de 
»  nos  dictions,  nous  tirera  des  confusions  où  nous  iette  leur  imperti- 
«  nente  façon  d'escrirc  qu'ils  accommodent  à  ;la  prononciation  ? 
')  Comment  discernera-t-on  an  (annus)  d'auec  en  (in)  préposition  ; 
»  amande  (amigdala)  et  amende  (muleta),  etc.  ?  » 


ÉVOLUTION  DK  l'oI  FRANÇAIS  169 

d'une  autre,  il  lui  faut  dire  que  François,  Anrjlois,  HoUan- 
dois,  se  prononcent  Français,  Anglais,  HollandaLs  par  ai^, 
tandis  que  Senois,  Suédois,  Liéfjeois  se  prononcent  comme 
ils  s'écrivent,  par  oi;  il  prescrit  aussi  de  prononcer /;ois, 
dois,  mois,  par  oi,  mais  au  contraire,  paix,  crais,  drait, 
par  ai;  il  trouve  ridicule  de  mettre  ai,  au  lieu  de  oi,  en 
boire,  gloire,  mémoire,  mais  il  aime  mieus  cette  substi- 
tution en  craire,  connaistre,  paraistre  (1)  ;  ce  sont  —  qui 
peut  le  nier?  —  autant  d'arguments  en  faveur  de  l'ortho- 
graphe en  ai  et  autant  de  moyens  pour  y  habituer  les 
yeus  du  public  et  préparer  la  voie  de  la  réforme.  Et  ne 
perdons  pas  de  vue  que  Vaugelas  était  une  puissante 
autorité  et  qu'il  prétendait  jouer  le  rôle  de  témoin  de 
l'usage  des  gens  lettrés  et  de  la  cour. 

Le  P.  Chiflet,  qui  vient  après,  n'aime  pas  les  innovations 
en  matière  de  prononciation,  et  il  s'en  tient  en  général, 
quand  il  y  a  des  hésitations  dans  l'usage,  à  la  prononciation 
traditionnelle;  mais  pour  l'orthographe  c'est  tout  autre 
chose  :  on  peut  résister  au  courant  de  la  néopliémie,mais 
une  fois  que  l'usage  s'est  décidé  pour  une  nouvelle  pro- 
nonciation, on  doit  y  accommoder  l'écriture  qui  doit  tou- 
jours être  réglée  par  la  prononciation,  sans  trop  se  soucier 
des  exigences  étymologiques.  Il  suit  la  voie  tracée 
par  Oudin  et  Vaugelas,  en  employant  la  transcription  ai 
pour  constater  la  variation  subie  par  la  prononciation 
des  oi,  quoiqu'il  ne  s'en  serve  pas  pour  son  usage  per- 
sonnel, peut-être  parce  qu'il  aimait  encore  à  prononcer 
les  oi  par  oè.  «  Aux  prétérits  imparfaits  —  dit-il  —  qui 
»  sont  terminez  en  ois,  comme  je  par  lois,  tuparlois,  etc., 
»  je  parlerois  tu  parlerois,  etc.,  ois  se  prononce  de  meil- 
»  leure  grâce  et  avec  plus  de  douceur  en  couvert,  ou  qui  est 
»  le  même,  en  ai  :  je  parlais,  je  parlerais,  etc.  Quoy  qu'à 
»  la  rigueur  on  ne  condamne  pour  une  faute  de  les  pro- 
»  noncer  en  oi  (2)  ». 

(1)  Claude  Favhk  dk  Vaugelas  :  Remarques  sur  la  lanr/uc  J'ran- 
<:oise.  Paris,  1644. 

(2)  Le  P.  Laurent  Ciiiflet,  jésuite  :  Essay  d'une  parfaite  Gram- 
maire de  la  langue  françoisc,  où  le  lecteur  trouvera  en  tel  ordre 
tout  ce  qui  est  de  plus  nécessaire, de  plus  curieux,  et  déplus  élégant 
en  la  pureté,  en  l'orthografe  et  en  la  prononciation  de  cette  langue. 
Anvers,  1659. 


170  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Un  coup  droit  porté  à  l'ancienne  orthographe  des 
ni  et  qui  eut  assurément  un  grand  retentissement,  ce  fut 
la  publication  de  la  Grammaire  des  Pères  de  Port-Royal, 
Lancelot  et  ses  savants  confrères.  Ils  avaient  arboré 
hautement  l'étendard  du  phonétisme,  et  en  énonçaient  les 
principes  avec  une  très  grande  précision,  de  manière 
à  frapper  les  esprits  et  à  éclairer  les  intelligences  ;  ils 
proclamaient  les  lois  qui  doivent  régir  les  rapports  entre 
la  phonétique  et  l'orthographe,  en  exprimant  ouvertement 
leurs  aspirations,  suivant  lesquelles  il  fallait  :  «  l°Que 
»  toute  figure  marquast  quelque  son,  c'est  à  dire  qu'on 
»  n'écriuist  rien  qui  ne  se  prononçast.  2°  Que  tout  son  tust 
»  marqué  par  vne  figure,  c'est  à  dire  qu'on  ne  prononçast 
»  rien  qui  ne  fust  écrit,  3°  Que  chaque  figure  ne  marquast 
»  qu'vn  son,  ou  simple  ou  double,  car  ce  n'est  pas  contre 
»  la  perfection  de  l'écriture  qu'il  y  ait  des  lettres  doubles 
»  puisqu'elles  la  facilitent  en  l'abrégeant.  4°  Qu'vn  mesme 
»  son  ne  fust  pas  marqué  par  de  différentes  figures.  » 
Malheureusement  et  malgré  l'extraordinaire  lucidité  d'es- 
prit et  la  force  de  conviction  que  ces  principe  accusent, 
MM.  de  Port-Royal  (1)  n'osèrent  les  mettre  en  action  et  ils 
continuèrent  en  donnant  un  frappant  exemple  de  la  sou- 
mission aus  préjugés,  comme  on  peut  s'en  convaincre  par 
le  morceau  que  nous  venons  de  copier.  Ils  n'osèrent 
«  toucher  aux  fausses  combinaisons  de  voyelles  -  disaient- 
ils  —  tèles  que  les  ai,  ei,  oi,  pour  ne  pas  trop  effaroucher 
les  ieux  »;  mais  ils  avouent  qu'il  serait  pourtant  plus 
naturel  d'écrire  français  que  franeois;  ils  font  remarquer 
que  ai  est  encore  une  fausse  combinaison  pour  exprimer 
le  son  de  la  voyelle  è,  mais  ils  trouvent  le  mérite  à  cette 
écriture  d'être  du  moins  <'  sans  équivoque  ».  Ils  nous  font 
voir  en  même  temps  les  progrès  que  la  réforme  avait 
déjà  faits  quand  ils  affirment  que  da  plupart  des  auteurs 
écrivent  aujourd'hui  conaître,  paraître,  français  »,  ce 
qu'il  n'est  [las  difficile  de  prouver  en  feuilletant  les  édi- 

(1)  MM.  DE  Port-Royal  (Ariiault  et  Lancelot).  Grammaire  générale 
et  raisonnée  contenant  les  fondements  de  l'art  do  parler,  expliqués 
d'une  manière  claire  et  naturelle.  Paris,  1660.  MM.  de  Port-Royal 
ont  toujours  exercé  la  plus  grande  influence  dans  les  études  qu'il 
cultivèrent. 


ÉVOLUTION  DE  l'oI  FRANÇAIS  171 

tions  du  temps.  Tout  cela  se  passait  quinze  années 
avant  la  publication  des  Nouvelles  Remarques  de  Berain. 

Un  an  seulement  après  la  Grammaire  de  Port-Royal, 
parut  le  Dictionnaire  des  Prétieuses  (i)  de  Somaize.  Là 
aussi  nous  trouvons  de  nouvelles  consécrations  de  l'or- 
thographe Joubert.  Dans  la  petite  liste  donnée  par  Somaize 
lorsqu'il  raconte  l'histoire  des  Prétieuses  et  de  leurs 
projets  réformistes,  suivant  la  citation  de  M.  Wey  (2), 
liste  qui  ne  comprent  qu'une  très  faible  partie  des  déci- 
sions prises  par  les  Prétieuses,  mais  qui  nous  renseigne 
suffisamment  sur  le  système  de  la  célèbre  «  coterie  », 
nous  relevons  à  côté  d'étoit  pour  estoit  et  de  coûtoit 
pour  coustoit,  où  l'on  n'a  fait  que  supprimer  les  s  du  radical 
sans  toucher  les  terminaisons,  parét  pour  paroist,  parêtre 
\)Our  parois tre,  et  reconètre  iwur  reconuoistre,  mais  aussi 
coîiait  pour  conuoist  et  (pltail  pour  gastoit.  Il  paraît  que 
le  caprice  présidait  quelque  peu  aus  réformes  des 
amies  de  Claristène  et  qu'elles  n'aimaient  guère 
l'esprit  d'uniformité,  à  moins  pourtant  que  nous  sup- 
posions chez  les  Prétieuses  une  oreille  assez  fine  et  un 
souci  assez  grand  du  phonétisme  pour  rendre  sensibles 
par  l'écriture  les  nuances  les  plus  délicates  qui  peut-être 
existaient  dans  la  prononciation;  mais  c'est  très  peu 
probable  ;  en  tout  cas  nous  trouvons  dans  l'orthographe 
adoptée  par  Roxalie,  Didamieet  Silénie  (3),  de  nouveaus 
témoignages  des  progrès  que  le  remplacement  des  oi  par 
ai  faisait  sans  cesse. 

C'est  après  tous  ces  travaus  et  tous  ces  essais  que  parut 
en  1675  l'ouvrage  de  Berain  (4^.  Il  passa  à  peu  près 
inaperçu,  d'abord  par  suite  du  peu  de  notoriété  de  l'au- 

(1)  Antoine  Bodeau  dk  Somaize.  Le  Grand  Dictionnaire  des  Pré- 
ticusef,  historique,  poétique,  géographique,  cosmographique,  chro- 
nologique et  armoiriquo  où  l'on  cerra  leur  antiquité,  costume, 
dccise,  etc.  Paris,  1661. 

(2)  Francis  Wey.  Remarques  sur  la  langue  française.  Paris,  1845. 

(3)  M'""  r,E  Roy,  M""^  ue  La  Dur.ANniiiRE  et  M"''  de  Saint-Mauuice 
Claristène  était  M.  Le  Clerc. 

(4)  N.  Berain  dédie  ?,(i?,  Nourelles  Remarques  sur  la  langue  J'ran- 
çaise  «  A  Mcssirc  Jean  Mole,  Chevalier,  seigneur  de  Champh'Urcux, 
de  Laci,  etc..  Conseiller  du  roi  en  tous  ses  conseils,  et  Président  au 
Parlemciit  de  Paris  ».  Berain  écrit  était,  devrait,  ût,  scgrét,  etc. 


172  REVIE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

leur,  surtout  en  matières  grammaticales,  et  puis  parce  que 
sa  réforme  n'offrait  réellement  rien  de  nouveau,  comme 
nous  venons  de  le  voir.  Berain  a  cependant  le  mérite 
d'avoir  proposé  ouvertement  cette  néographie  et  d'avoir 
pratiqué  systématiquement,  sans  hésitation,  l'innovation 
qu'il  adoptait  en  l'appliquant  à  tous  les  cas  où  elle  pouvait 
être  appliquée,  La  première  de  ses  Remarques  «  si  l'on 
peut  écrire  comme  on  parle  »  est  consacrée  à  Voi  ; 
Berain  signale  les  cas  où  l'on  doit  écrire  et  prononcer 
oi  :  «  moins,  loi,  bois  dois,  moi,  toi,  soi,  mois,  croix, 
»  voix,  noix,  choix,  soit,  droit;  les  mos  en  oir,  noms 
»  ou  verbes,  où  Voi  est  très  ouvert;  le  singulier  du  pré- 
»  sent  de  l'indicatif  des  verbes  en  çois  ;  les  mos  en  oire, 
*  en  oie,  en  oile,  en  oine,  en  oise,  en  ois,  en  oit  et  en  oi; 
»  les  verbes  composés  d'autres  verbes  monosyllabiques 
»  {prévois,  revoit);  Benoit  et  François,  et  quelques  noms 
»  nationaux  et  provinciaux  comme  les  Gaulois,  les  Alba- 
»  nois,  les  Suédois,  etc.  >y,  après  avoir  signalé  si  conscien- 
cieusement les  mots  {mos  comme  il  écrivait)  où  l'emploi 
de  Voi  était  justifié  par  la  prononciation,  il  dit  que  l'on  doit 
écrire  par  ai  comme  on  prononce  «  les  Français,  la  langue 
»  française,  les  Anglais,  les  Écossais,  les  Polonnais,  les 
»  Arragonnais,  les  Hollandais,  les  Zéllandais,  les  Milan- 
»  nais,  les  Lyonnais,  les  Cliatelleraudais,  les  Lambalais, 
»  les  Maltais  ;  étr ait,  étraite,  étraitement  ;  ie  connais,  tu 
»  connais,  il  connait,  etc.;  je  dinais,  je  voudrais,  etc  ;  la 
»  Gourdes  Monnaies,  quoi  qu'il  en  sait,  il  fait  fraid,  je  le 
»  crais,  voilà  ma  créance,  ajouter  créance  à  ce  qu'il  dit, 
»  des  létres  de  créance,  un  homme  drait,  etc.  ».  «  Pour 
»  moi  —  ajoute-il  —  je  ne  vois  rien  qui  s'opose  à  céte 
»  ortographe  qu'un  ancien  usage  qui  doit  blesser  la  vue 
»  et  la  raison  dans  l'écriture  comme  il  blesserait  l'oreille 
»  si  on  rétendait  jusqu'à  la  prononciation.  » 

Berain  cependant  —  nous  l'avons  déjà  dit  —  n'avait 
ni  l'autorité  suffisante  ni  assez  de  notoriété  pour  faire 
accepter  le  chîingement  des  oi  en  ai;  il  n'était  qu'un 
chaînon  de  plus  dans  la  longue  chaîne  de  ceux  qui  dési- 
raient cette  transformation  et  la  favorisaient  de  leur 
eoncours;  mais  elle  se  heurtait,  non  seulement  contre 
l'opposition  des  uns  et  l'ignorance  des  autres,  contre  la 


ÉVOLL'TION    DE    l'oI    FRANÇAIS  178 

routine  et  la  force  de  l'habitude  et  de  la  tradition,  mais 
aussi,  ce  qui  était  bien  plus  grave,  contre  la  division  qui 
régnait  parmi  les  réformateurs.  Pasquier  avait  raison 
lorsqu'il  critiquait  le  système  de  Ramus  en  disant  que 
chaque  grammairien  voulait  avoir  un  système  à  lui  et  le 
faire  accepter  par  tout  le  monde;  cette  diversité  de 
transcriptions  proposées  n'était  pas  le  moindre  obstacle 
au  succès  de  la  réforme;  les  divers  systèmes  s'entre- 
discréditaient  les  uns  les  autres  et  tous  étaient  sérieuse- 
ment menacés  de  tomber  dans  l'oubli.  La  semence  était 
cependant  jetée,  elle  devait  donc  plus  tôt  ou  plus  tard 
porter  ses  fruits.  La  langue  française,  dans  son  ortho- 
graphe surtout,  était  depuis  les  premiers  essais  gram- 
maticausdes  Palsgrave  (1)  et  des  Sylvius  (2)  en  butte  à  de 
constantes  tentatives  de  perfectionnements  ;  un  langage 
dont  Laurent  Joubert,  dans  son  Dialogue  de  la  cacogmp/iie 
française  avait  dit,  et  très  bien  dit  en  1579  qu'  «  il  faut 
oublier  l'écriture  pour  le  bien  prononcer  »,  devait  être 
toujours  un  sujet  d'études  et  de  réformes  comme  il  l'a  été 
en  effet,  comme  il  l'est  encore  de  nos  jours,  comme  il  le 
sera  assurément  tant  que  le  divorce  entre  le  langage 
parlé  et  le  langage  écrit  durera  et  qu'on  ne  se  décidera 
pas  tout  franchement  pour  l'adoption  d'une  écriture 
phonétique  consciencieusement  étudiée  et  solidement 
établie. 

F.  Araujo, 

Pi'ofesseur  à  Tolède. 
(A  suivre.) 

(1)  Iehan  Palsc.ravf';  :    L'i.'firlarcissemertt  df  la  langue  J'iancoyse. 
Londres,  1530. 

(2)  Jacques    Syi.vius  (Duroisi  :    In    Unçiuam    (jalliraiti    Isaf/oiçio. 
Paris,  15.31. 


DICTIONNAIRE  DU   LANGAGE   POPULAIRE 
VERDUNO-CHALONNAIS 

(  Saône-ei- Loire  j 


C 

(Suite) 

CocHON-DE-CAVE,  S.  m.,  cloporte. 

ha,t.,  porcellio^  cutio.    ItaX.,  porceletto.  Anj.,  trée.  Berry,  treiie. 

Cham^., pourcelet,  porcelet,  pou  de  s.  Antoine.  Dauph.,  caïon. 

¥v. -Clé.,  pou  de  s.  Claude.  Gasc,  coussoun.  Genev.,  clopote 

(fém.).    Lang.^   pourcelet.    Lyon,    caion.    Morv. ,    treucuôde. 

Norm.,  cochon,  tréc-plèe.  Prov.,  pourquct  de  crota. 

Coco,  s.  m.,  œuf. 

Lille,  cocodac.  Morv.,  coco.  Saint.,  cocot.  Sav.,  coquet. 

Coco,  terme  dérisoire,  pris  adjectivement  :  «  T'ét  encore  euu 
joli  coco!  »  —  Dans  une  localité  voisine,  un  vieil  avare, 
qui  était  borgne,  avait  reçu  des  gamins  le  surnom  de 
«  Coco-bel-œil».  Il  avait  un  singulier  moyen  de  déjeuner. 
Les  jours  de  marché,  plusieurs  fois  par  semaine,  il  se 
rendait  place  Saint-Vincent,  et  avait  l'air  de  regarder  les 
paysannes.  Il  s'approchait  des  vendeuses  de  fromages 
blancs,  marchandait  et  goûtait  au  frais  produit.  Aussitôt 
la  bouchée  prise,  il  se  détournait,  portait  vivement  la  main 
sous  sa  redingote  crasseuse,  d'un  croûton  de  viens  pain 
arrachait  une  bouchée...  et  avalait  pain  et  fromage.  Il 
n'achetait  pas,  allait  plus  loin,  et  recommençait  son  manège 
jusqu'à  extinction  de  sa  provision  cachée.  Les  bonnes 
femmes  n'étant  pas  toujours  les  mêmes,  il  pratiqua  long- 
temps avant  d'être  signalé. 

CocoDÈTE,  onomat.  enfantine,  iuiitanl  le  cri  de  la  poule  qui 
pont.  Parfois  on  multiplie  les  premières  syllabes  :  ((  Co- 
co-co-codète!  n  Le  çocodac  lillois  traduirait  bien  cette 
formule. 


LANGAGE  populairf:  verduno- chalonnais  175 

CocoDRiLLE,  S.  m.,  crocodile, 

Lat.,  cvococUlus.  Prov.,  cocodrilh.  Rouch.,  cococlrile.  Vs.  fr., 
cocatrix. 

CÔDRE,  s.  f.,  courge. 

Lat.,  cucurbita.  It.,  cucus^a.  Bourg.,  co^^.  Jura,  conrde.  Montr., 
codre.  St  Am.,  curda.  (V.  Côrge.) 

CÔDRON,  s.  m.  petite  courge.  Dim.  de  cadre. 

CÔGER  [se],  V.  pr.,  se  taire,  se  calmer,  s'apaiser  :  «  Côge-te, 
vou  ben  je!...  »  Ce  fragment  de  phrase  est  tout  bonnement 
un  Quos  ego  de  village. 

Lat.,  tacere,  quiescere.  Berry,  se  coager,  s'accoiser.  Bourg.,  se 
(^ogè,  se  couse,  se  cousai.  Bress.,  se  coiser.  Bugist.,  se  quaijé. 
Dauph.,  se  quésié.  Forez,  se  quaisi,  se  caisiâ.  Fr.-Cté.,  se  coisi, 
se  coiser.  Gasc,  aea/o-^e  (tiens-toi  tranquille).  Guien.,  id.,  (id.) 
Isère,  se  quaïsié.  Lang.,  se  tai^er.  Lorr.,  se  coujer.  Lyon.,  caisi, 
quesir,  quiesir,  quaiser.  Metz,  se  cahier,  couhier.  Montr.,  se 
coinger.  Morv.,  côger,  couyer,  cochier.  Prov.,  teissé.  Rom.,  se 
coiser,  taiser,  taser.  Sav.,  se  câgev.  St  Am.,  cheqiiàjë. 

Cogne,  s.  f.  coin,  angle  retiré  :  ((  J'iai  métu  dans  la  cogne 

de  la  ch'vinée.  » 
Bourg.,  cogne,  cognotte.  Wall.,  coine.  Vs.  fr.,  coignet.  ÇV.  Bor- 

giiote.  Carre,  Couiiot.) 

Cogner,  v.  ir.,  battre,  flanquer  une  correction  :  u  Attens, 
matou!  j'm'en  vas  i'cogner  po  t'éprende  à  miger  mon 
beùre!  » 

Berry,  coag/ier.  Wall.,  coniiil. 

Coïer,  s.  m.  collier.  (Prononcez  c6-ïer). 
Prov.,  colar. 

Colafane,  s.  f.,  colophane  :  «  Voui  dà!  l'crincrin  n'a  jar 

gros  usé  cVcolafane;  po  la  danse,  ça  n'va  pas.  » 
Prov.,  colofaniu.  Toul,  colofonio,  colofano. 

Colas,  adj.,  dim.  de  Nicolas;  sot,  niais. 
Lille,  colas.  Poit.,  id.  (V.  Jan-Jan.) 

Collet,  s.  m.,  espèce  de  cible  rembourrée,  formant  un  rec- 
tangle élevé,  et  qu'on  plante  sur  la  butte  pour  recevoir  les 
flèches  dans  le  tir  à  l'arc.  Las!  où  est  le  beau  Jeu  d'arc 
d'antan  ! 


176  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

CoMBEN,  ady.,  combien. 

Bourg.,  co/nbé.  Lorr.,  cobiii.  Wall.,  corabcn,  kiben- 

CÔMUNS  (/e.s),  s.  m.,  les  cabinets  d'aisance,  les  anciens  retraits. 
Toujours  placés  assez  loin  de  l'appartement.  On  a,  pour  s'y 
rendre,  à  traverser  au  moins  une  cour,  ou  un  jardin... 

Genev.,  communs. 

CoMPANiE,  s.  f.,  compagnie. 

Genev.,  companie.  Morv.,  compainrjnie.  Prov.,  companhia. 

CoMPARÀïoN,  S.  L,  comparaison. 
Morv.,  id.  Prov.,  comparaso. 

Compare,  s.  m.,  compère,  pour  un  baptême;  camarade  de 

parties  fines. 
Bourg,  Compeire.    Dauph.,    compare.    Lorr.,   id.    Pic,    copére. 

Prov.,  compaivc.  Sav.,  Compare^ y\'cà\.,  copère. 

CoMPEURNOTE,  S.  f.,  comprélieusion,  facilité  d'esprit,  intelli- 
gence. 
Berry,  comprenouèrc.  Morv.,  id.  Pic,  comprenoii\  Poit.,  com- 
prenouére.  Saint.,  entcndoci^e.  VJaU.,  compernos.iy .  Jugeote.) 

CoMPEURNu,  part,  de  comprende,  compris. 

CoNCHisE,  et  CoNciRE,  S.  m.,  chemin  creus  et  plus  étroit  que 
le  contour  (un  mètre  au  plus)  et  servant  à  l'assainissement 
de  la  pièce  de  terre. 

Montr.,  consire.  (V.  Barignon.) 

Condition  [être  en),  loc.  Un  garçon,  une  fille  sont  ((  en 
condition  »  chez  leurs  maîtres.  On  dit  logiquement 
aussi  «    Entrer  en  condition  ». 

CoNDURE,  V.  tr.,  conduire. 

Lat.,  cuin-ducere.  It., condurre.  h\on.,condurre,  conduère.MàC, 
condure.  Morv..  coadeuve.  Prov.,  condurre.  Wall.,  kidûre. 

CoNFusiÔNER,  V.  ir.,  donucr  de  la  confusion,  de  la  honte, 
rendre  timide  :  ((  Vrâ,  mare  Michaud,  d'avou  toutes  vos 
chateries,  vous  me  confusibnez.  » 

Genev.,  con fusionner. 

CoNRiER,  V.  tr.,  broyer,  travailler  la  terre  destinée  à  faire  de 
la  brique. 


LANGAGE    POPI'LAIRR    VF.RnUXOCHALONXAIS  177 

Conscience,  s.  f.,  plastron  en  bois,  ([uc  s'applique  le  fabri- 
cant de  cercles,  ])onr  é\iter  l(>s  coupures  à  sa  veste. 
Montr.,  iil. 

CoNSENTU,  part.,  consenti,  accepté. 
Morv.,  id. 

Consulte,  s.  f. ,  consultation  d'un  avocat,  d'un  médecin  ou 
de  plusieurs  :  «  ôl  é  bé  inau  ;  va  y  avoi'uM-,  cà  c'maitin,  eùne 
consulte.  » 

Ital.,  ronsul/n.  Genev..  coil-^i/Iic.  Lyon.,  id.  Midi.  id.  Rouch.,  id. 
Wall.,  id. 

Constreure,  v.  tr.,  construire. 

Lat.,  roiistriirrc.  Morv.,  Coiish'Ci/re.  Mac.  coiif^trurc.  Prov., 
fostritire. 

Contour,  s.  m.,  sorte  d(^  plate-bande  ou  chemin,  de  trois 
met.  environ  de  large,  entourant  la  pièce  de  terre,  et 
donnant  au  laboureur  Tiispace  nécessaire  pour  i-etourner 
sa  charrue  lorsqu'il  est  au  bout  d'un  sillon. 

Montr.,  contour.  Morv.,  contnr.  Norni.,  forièvc.  (V.  Chai)} Ire). 

CoNTRARE,  S.  m.  le  contraire,  et  adj. 

Prov.,  Contran'.  St  Ani.,  contrèrou.  Wall.,  contrârc. 

Côp,  s.  m.,  coup,  choc,  blessure.  Le  73  est  muet  :  ((  Ah  ben! 

por  cep'tiot  côp,  t'cries  tôjor.  N'y  é  ran  que  c'  qui.  » 
Lat.,  colpus.  Bourg.,  cô.  Lim.,  couo.  Tout,  cap.  (N'empêche  pas 

coup.)  (V.  ce  dernier  mot,  et  co.) 

CÔPER,  v.  tr.,  couper,  séparer. 

Bourg.,  cô/iai,  cucupai.   Lorr.,  côpè,  l.cupc.  Mac,  cùpai.  Morv., 

copor.  Pic  ,   copor.  Roucli.,  id.  St-Am.,  I.roùpc.  Sav.,  coppù, 

Wall.,  copcr. 

CÔPEROT,  S.  m.,  couperet,  couteau  de  cuisine. 
Bourg.,  cùpcrô.  Rouch.,  copcrct. 

CÔPLE,  S.  m.,  couple. 

Berry.,  coahc,  cokIi/c  lion\"j;.,  copie.  Genev.,  rouble,  hang. ,coifl)k'. 
Morv.,  copie.  Pio\ .,  coiihla,,  cohla.  Saint.,  rouble.  Wall.,  cn/ic. 

CÔPLER,  V.  tr.,  accoupler,  mettre  au  joug,  atteler. 
Morv.,  copier.  Saint.,  coiiblcr. 

CÔPURE,  s.  i.  cou|)ure,  tout(îs  sortes  d'incisions. 
Pic,  copurc.  Rouch. ^  id. 

Revuk  df.  philologie,  \ .  12 


178  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

CoQUARDiAU,  S.  lu.,  giroflée. 

Lang.,  coucardo.  Morv.,  coquardian.  Pic,  cocardcau. 

CÔQUELUCHOT,  S.  lu.  capuchon, 

Lat.,  cucullus.  Bouvg., côr/ueluchô.  Bi'ess.,co(iuelnchon.Movv.,\à. 

CÔQUER,  V.  tr.,  choquer,  heurter,  frapper  du  talon  ;  briser  la 

coque  d'un  fruit. 
Bourg.,  côquai. 

CÔQUESiMARGouix,  S.  m.,  vieus  galantin  de  campagne,  vieus 
((  coq  de  village  ». 

CÔQUERiLLE,  S.  f.,  coquillc  :  ((  De  c'qui?  J't'en  beillerô  pas 

tant  s'ment  eime  coq'ville  d'ù.    ))  L  orthographe  cocnlle, 

adoptée  par  plusieurs,  est  moins  logique, 
Bourg.,  côquerillc.^ViV?^..  cocrlllc  L'un..  coik/kHIc.  S>a\.,corcâillc 

(V.   Creuse). 
CÔQUERiLLER  [se] ,  V.   pr.,  sc  recroqueviller   :   ((  C'te  corde 

s'déroule  mau;  âll'  se  cbquerille  tôjor.  )) 

CÔR,  s.  f.,  cour,  espace  devant  ou  derrière  la  maison. 
Bourg.,  cor,  cô.  Montr.,  co.  Morv.,  vnrt.  Norni..  court.  Prov., 
cort.  St  Am.,  cou. 

CÔR,  s.  m.,  cours  d'eau,   cours  des  choses   :  «    Que  v'tu'.-* 

J 'pouvons  pas  empocher  Vcor  du  temps.  » 
Bourg.,  cor.  Pro%'.,  cors. 

CÔRTE,  adj.  court  :  ((  .l'avons  lire  à  la  carte  bûche,  é  pis  y 

(■'  lu  qu'a  gagné.  )) 
Lat-,  curtus.  Bourg.,  cor  (au  fôm.  cote).  Genev..  cor.  Montr.,  co. 

Morv.,  cort.  Prov.,  cort.  St  Am.,  eue,  urta. 

CÔRAGE,  S.  m.,  courage,  persévérance. 

liai.,  coraî/f/lo.  Bourg.,  coraiç/c.  Prov.,  eoratgc. 

CÔRANDE,  S.  L,  courante,  danse  du  cru,   qui  a  été  fort  en 

vogue,  —  et  aussi  diarrhée. 
Montr..  c.ouraiidc.  Vs.  fr.,  courance,  {'2'  accept.) 

CÔRBE,  ad].,  courbe. 

Lat.,    currus.    Montr.,    corhc.    Morv.,    corhu     Prov.,    corb.    (V. 
Courbe). 

CÔRBE,  S.  m.,  corme,  fruit  du  sorbier  ou  cormier. 
Lat.,  cornum.  Berrj',  corbc.  Genev.,  id.  Morv.,  id.   Poit.,  corme 
(boisson  faite  avec  des  cormes). 


LAXGAGF:  FOpr'F.ArRR  verdino-chalonnais  179 

CÔRBER,  V  ir.,  courber. 

Lat.,  cnrcnrc.  Berry,  rovhor,  corhii'.  Prov.,  covhrn\  nividr.  St 
Am.,  cvotibi. 

CÔRBiER,  s.  m.,  cormior,  ou  sorbier  domestique. 
Berry,  corir'cr.  Morv. ,  corhié. 

CÔRBiAU,  S.  m.,  corbeau. 

Berry,  corbi/i.  Dauph  ,  corbat.  Wall-,  cotrbâ.  Vs.  fr.,  rorbrl. 
covbiaus.  (V.  Couà,  Cran.) 

CÔRDiAU,  s.  m.,  cordeau,  cordon. 

Lille,  cordian.  Rouch.,  id.  Wall.,  coirdai . 

CoRDouNiER,  s.  lu.,  cordoRuier. 

Berry,  cordonnier,  cordoufincr.  Champ.,  cordouenniev.  Lang  ., 
conrdoui/nè.  Morv.,  cordannic.  Prov.,  cordonnier,  St  Ani., 
Kyiirdani.  Suiss.  r.,cordan(/ni.  Vs.  iv.,cordouan..  (V.  Car' Ion.) 

CÔRE,  adv.,  encore,  de  nouveau. 

Bourg.,  aiicor.  U.-V.,  cor.horr.,  co.  Morv.,  encoi,encoii(''.  Norm., 
co.  Rouch.,  id.,  coi-,  St  Am.,  encoure. 

CORÉE,  s.  f.,  cœur,  au  propre  et  au  figuré. 

Lat.,  cor.  Ital.,  corata-  Berry,  corèe.  Bourg.,  cœn.  Lyon,  cora. 

Montr.,  corrèc.  Morv.,  coucrée.  Narbon.,  corade.  Norm..  corèe, 

courre.  Rouch.,  id.  Wall.,  id. 

CÔRGE,  s.  f.,  courge. 

Lat.,  cucurhita.  Bress.,  cuerda.  Lyon.,  corla.  Sav.,  queurda 
Toul.,  cou/'o.  (V.  Côdre.) 

CÔRGiE,  s.  1'.,  fouet  pour  les  chevaux,  et  autre  sorte  de  fouet 
pour  corriger  (?)  les  enfants  :  «  Tâche  d'été  sage,  polisson  ! 
Si  te  n'te  tiens  pas  tranquille J 'vas  t'ilanquer  d'ia  cor(/ie  ». 

.  h'dt.,  cor ri(jia,  corric/ere.  Arden.,  courj/ie.  Berrj^,  corijeo/i.  Bourg., 
courtjie,  ècour(/ie.  Jura,  écouryc.  Lang.,  courèjo,  couréjou. 
Lorr.,  corjen.  Luxemb.,  scorc/ia,  couriau,  couriette.  Maine, 
courgeou.  Morv.,  courc/ie,  corgie,  ècorgie.  Norm..  courgéc, 
courget.  Orne,  courget  (lanière  de  cuir).  Poit.,  corgeon.  Prov., 
rourragea.  Rouch.,  écourie.  Vend.,  courge,  courgette.  \\'all., 
corie,  coriètc. 

CÔRi,  V.  intr.,  courir.  S'emploie  aussi  fréquemment  que 
couri  :  ((  V'tu  cori !  »  dit-on,  pour  renvoyei'  un  ent'aiU  (|ui 
vous  importune. 

Lat.,  currerc.  Berry,  courre.  Bourg.,  cori,  corre.  Bress.,  id.,  id. 
Dauph.,  id.   Il.-V.,  coure.  Lorr.,  couri.  Lyon.,  codre.  Montr., 


l.SU  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

carre.  Morv.,  rori,  corrr,  roit/ii,  courre.  Pic,  l;enrir.  Prov., 

carrer.  Rouch.,  eorir.  St-Ani.,  rotire,  conri. 

Plusieurs  localités  ont  la  loc.  »  r-o/'/ tant  qu'on  ad'jambes.)) 

CÔRJON,    s.    m.,    cordon    qui    sort  à    tenir   les    tabliers,    les 

jupons,  etc. 
Bourg.,  cor/on.  Prov..  eoirlo. 

CÔRJÔNER,  V.  tr.,  attacher  les  cordons  de  son  tablier,  do  ses 
jupes  :  «  Oh!  Tanguigne!  âll'  ne  cbrjone  pas  tant  seuFraent 
son  d'vantei!  » 

Corne,  s.  f.,  cor,  durillon  :  «  Mon  eselot  m'a   fait  v'ni  eùne 

chvne,  » 
Lat.,   cornu.  Bourg.,  cône.   Morv.,  corne.  St  Am..  /.//c/î.  Wall., 

coi  ne. 

CORNER,  \.  intr.,  souffler,  bourdonner.  Employé  dans  celte 
locution  :  «  Les  oreilles  me  cornent  »  pour  :  J'ai  un  bour- 
donnement d'oreilles.  «  Le  vent  corne  dans  la  ch'vinée.  )) 

Bourg.,  conal.  Prov.,  cornac.  Wall.,  coirner. 

CÔRNiAus,  s.  m.,  gros  nuages  noirs,  que  Ton  voit  avant 
l'orage  :  «  I  va  faire  un  bigre  de  temps;  v'ià  ben  des 
corniaufi  qui  v'nont.  » 

Charol.,  cornions. 

CÔRNiLLE,  s.  f.,  corneille. 

Lat.^  cornix.  Y^ouvu.. ,  conoiia i Ile .  \\.-\' ..  cônillc.  coi/rntdlle.  Prov.. 
corne!  ha. 

CÔRNJOTE,  s.  f.,  sorte  de  petit  gâteau  aus  œufs,  ainsi  nommé 

parce  qu'il  est  à  plusieurs  cornes. 

Les  Verdunoises  le  réusissent  à  merveille. 
Norm.,  corno'te  (espèce  d'éehaudé).  Poit.,  cor/me  (autre  gàteaiij. 

CÔRNÔT,  S.  m.,  cornet. 
Morv.,  cornât.  Prov.,  cornet. 

CÔROu,  adj.,  coureur,  mauvais  sujet,  vagabond. 
Morv.,  coroii.  Prov.,  corredor.  Vs.    fr.,  coreor. 

CoRPORANCE,  S.  f.,  forpuleiice  :  «  Padi!  (''((u'ù  dèi  mainger 
d'avou  c'te  corporance!  )) 

Lai.,  corjnilentid.  Genev.,  cor/torence.  Lyon.,  id.  Midi,  cor/io- 
rance.  Poit.,  cor/torence.  Prov.,  corpulencia.  Vs.  l'r.,  corpo- 
rance. 


LANGAOK    POFMLAIKK    VERDUNO-CHALONNAIS  181 

CORSE.  S.  f.,  course. 
Morv..  corse.  Prov.,  coi'so. 

CÔRTisou,  s.  m  ,  garçon  (|ui  fait  sa  cour  à  la  fille  qu'il  veui 

épouser. 
Toul.,  courti^ou. 

CôsiN,  E,  s.  m.  et  f.,  cousin,  e.  On  dit.  en  Bourgogne  :  «  Aler 
vouer  les  cosines  »  pour  :  Aller  voir  les  filles. 

lt&\. ,cugino.  Bonvg. ,cosein,ci()nc,co((^ain,  aigne.  Morv..  càaiii,  e. 
Prov.,  cosin,  co;in.  Rouch.,  roscn,  ènc,  couscn,  èno.  St-Am., 
cK^èn,  a. 

CôsiNAGE,  S.  m.,  cousinage,  en  parenté  et  en  amitié  :  c  Bénédi 

et  José  sont  prou  d'côsinage  ». 
Rouch.,  cosciiuche,  rouscnacho. 

CÔT,  s.  m.  mite,  insecte  qui  ronge  les  laines  :  «  Rang'ben 
tout  çan  tien,  s'coue  tes  lain- nages;  t'sais  qu'y  a  gros  des 
cots  cheû  nous.  » 

Berry,  cosson.  Fr.-Cté.,  co.  Montr.,  col.  Morv.,  cô.  Norm., 
cosson  (charençon). 

CÔTÉ  et  Coûté,  s.  m.,  côté,  bord. 

Ital.,  coslato.  Berry,  coûté.  Bourg.,  coûtai.  Bvess.,  coûte.  Lorr., 

coûté.  Montr.,  côte.  Morv.,  coûté.  Prov.,  costat.  St-Am.,  h/a», 

Saint.,  coûté. 

CÔTE  [la),  s.  f.,  la  Côte-d'Or.  Dans  le  pays,  pour  désigner  ce 
départ.,  dont  nous  sommes  limitrophes,  on  dit((  La  Côte  » 
tout  court. 

Bourg.,  la  Côte. 

CÔTE  (à  ou  d'à),  loc.  adv,,  à  côté. 
Montr.,  à  côte. 

CÔTEUME,  et  CouTEUME,  S.  [. ,  coutumc. 

Berry,  cotumc,  couteuinc.  Bourg.,  cueutuinc,  quetume.  Morv., 
coteâme.  Prov.,  costuma. 

CÔTi,  s.  m.,  morceau  de  viande  taillé  dans  les  côtes  de 
l'animal,  et  que  prennent  souvent  les  ménagères. 

Berry,  coti  (froissé).  Bourg.,  côti.  Poit.,  coti  (meurtri).  St  Am., 
ki/eûta. 

CÔTÔNE,  s.  1'.,  cotonnade  :  «  J'm'é  écheté  eùne  bàle  robe  de 

cbtbne.  » 
Genev.,  colonne,  Lille,  cotonncttc 


182  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Cou,  adj.,  caché,  couvert.  Ce  mot,  redoublé,  est  une  des 
exclamations  les  plus  populaires  parmi  nos  nourrices 
jouant  avec  l'enfant  :  «  Cou-cou! ...  ah!  le  voilà!  » 

Ital.,  cHcolo.  (V.  Coui). 

CouÀ,  s.  m.,  corbeau.  Onomatopée. 
Norm..  couas.  (V.  Crau,  Crû,  Corhiau). 

CouÂRNE,  S.  f.,  couenne^  peau  du  cochon. 
Genevois,  couanne.  Morv.,  couarnc.  Norm.,   coaunc,  quouaiic. 
Poit.,  couagne.  Prov.,  codena.  Suis?.,  couane.  Wall.,  coiènc 

Couchettes,  s.  f.,  langes  :  «  Aile  a  ben  entortillé  l'petiot 

dans  ses  couchettes.  » 
Lim.,  couedcjeo  (couche). 

CoucHi,  V.  tr.,  coucher. 

Lat.,  collocare.  Bourg.,  cochai.  Lim.,  coueija.  Pic,  couker. 
Prov.,  colgar. 

Coucou  [m...  de),  s.  f.,  gomme  des  pruniers,  cerisiers,  etc. 
Cogn.,  id. 

CouÉE,  s.  f.,  suite,  nichée,  ribambelle,  queue  :  ((  Ah!  c'te 

Bertiaude,  allé  a  eùne  couée  d'enfants.  » 
Berry,  couée.  Bourg.,  id.  Montr.,  id.  Poit.,  id.,  coûte,   grouée, 

grouie.  Saint.,  id.  Sav., co«à.  Toul.,  coueto.  couo.  Vend.,  couèe. 

CouÉNE,  adj.,  niais,  imbécile  :  «  T'ii  as  lassé  prende  tes 

gobilles?  Oh!  qu'té  couéne,  va!  » 
Lille,  coinne.  Pic,  couane. 

CouÉTE  et  Coite,  lit  de  plumes. 

Berry,  coMei!e.  Champ.,  couette.Fv.-Cté.,  coutra,  couètva.  Genev., 

coitre,couatre.  Jura,  coitre.  Morv.,  couéte.  Norm.,  coete,  keute. 

Prov.,  cota. 

CouGNÉ,  s.  m.,  cognassier. 

Berry,  couignier.  Morv.,  coingnie.  Poit.,  cougnai.  Vs.  fr.,  coi- 
gnier. 

CouGNiE,  s.  f.,  cognée. 

Lat.,  cuneus.  Berry.  cognie,  cougnée.  Morv.,  coingnie.  Pic, 
quignic.  Rouch.,  queuniè.  Saint.,  cougnée. 

Coui!  excl.  Les  enfants,  en  jouant,  jettent  ce  cri  pour  faire 
savoir  qu'ils  sont  cachés.  (V.  Coù,  Cachot.) 

CouiNARD,  adj.,  pleurard,  qui  geint. 
Morv.,  couinar. 


LANGAGE    E^OPL'LAIRE    VERDUNO-CH ALONNAIS  183 

CouiNcouiN,  onomat.,  sorte  de  crépitement  que  font  entendre 
les  souliers  neufs.  Les  jeunes  villageoises  mettent  ceus-ci 
au  rang  de  la  plus  attrayante  parure.  Elles  en  sont  toutes 
fières  lorsqu'elles  entrent  à  l'église,  vont  à  l'offrande, 
emportent  le  pain  bénit.  Toutes  font  la  cour  à  leur  cor- 
donnier pour  en  obtenir  le  couin-couin  dans  leurs  souliers. 
Coquetterie  des  campagnes. 

Bourg.,  ciônai  (l'aire  ce  bruit).  Champ.,  rlo/ier  (id.).  hon-.,  pin- 
chant. 

CouLNER,  V.  intr.,  pleurer  avec  affectation  et  en  criant.  Un 
chien  couine  quand  on  le  frappe.  Se  dit  du  cri  plaintif  de 
plus,  animaus  et,  d'une  façon  triviale,  du  cri  des  enfants 
que  l'on  corrige  :  ((  C'bigre  de  p'tiot,  ô  n'fait  qu'couine/-!  » 

Berry,  couiner,  couiler.  Bourg.,  couinai.  Champ.,  couiner,  coui- 
fjner.  Genev.,  coin/ier.  Guevn. ,couinaire.  Hte-Marne,  co«î(/î(e/'. 
Jura,  couiner,  coinner.h&ng.yquinçur.  Lim.,  quinquina.  \-.Yon,, 
quino,  quiner,  quinchcr.  Morv.,  couiner,  coinner.  Norm.,  id., 
couineier,  houiner,  hinner.  Poit.,  id.,  couinai,  coinor.  Rom., 
qtiilar,  quillar.  Sav.,  coinnà.  (V.  Bêler,  Bôler,  Chouiner, 
Chouf/nicr.) 

CouissE,  s.  f.,  poule  qui  couve.  Pour  le  verbe,  nous  l'avons. 

Nous  avons  aussi  gvouer  (v.  ce  mot)  ;  mais  firouev  n'a  pas 

son  substantif. 
Berry,  couissc,  couasse.  Montr..  id.  Morv.,  couette,  couotte. 

CouissE,  adj.  fém.,  plaignarde.  (V.  Couiasou.) 

CouissER,  V.  intr.,  se  dit  du  cri  de  la  poule  couveuse,  et 
signifie  aussi  :  grogner,  se  croire  malade,  se  plaindre  sans 
motif,  geindre  :  «  Côge-te  donc;  te  couisses  tôjor.  » 

Couissou,  adj.,  celui  qui  couisse,  femme  qui  geint,   plai- 
gnarde. A  aussi  parfois  l'acception  de  gauche  :   «  Voui, 
'd'avou   Jacôte,  j'évô  ben  eiàne  brave  fille;  ma  allé  étô  si 
couis.sou.sel...  »  (V.  Couisse,  CouLiche.) 

CouLÀRE,  s.  f.,  colère,  irritation. 

Ital.,  collera.  Bourg.,  quclèrc.  Lang.,  coulcro.  Morv.,  coulcrc. 
Prov.,  coulera,  colera. 

CouLEURER,  V.  tr.,  mettre  en  couleur,  colorier. 

Ital.,  colorirc.  Cogn.,  côleurer.  Genev.,  colorer.  Morv.,  coulourcr. 


184  REVUE    l)K     PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

CouLiBLN,  adj.,  lent,  maladroit. 
Rouch.,  ainhin.  (Y.  Cotiissc,  Couiiche.) 

CouLicHE,  ad]'.,  tatillon,  niais,  pas  pressé.  (V.  Couisse. 
Coulibin.) 

CoLLou,  s.  m.,  petit  vase  de  bois  troué,  filtre  n'ayant  pour 
fond  qu'un  linge  fin,  à  travers  lequel  on  passe  le  lait,  qui 
tombe  dans  le  grielot. 

Lang.,  couladou.  Lyon.,  colon,  coliiri.  Morv.,  id. 

CouMÂRE,  s.  f. ,  commère,  voisine  camarade. 
Berry,  coumère.   Bourg.,   qucinelre.   Dauph.,   coniniarc.    Piov. , 
comairc.  Saint.,  coumère.  Sav.,  qKc/uârc. 

CouME,  conj.,  comme,  de  même  que. 

Lat.,    r/uomodo.    BasNorm.,   coume.   Berry,   id.   Bourg.,    loinc, 

queinc.   Lim.,    coiimo.   Lorr.,   couine.  Saint.,  id.,    heu/ne.  [Y- 

Cment.) 

Coume,  adv.,  en  même  temps  que...  :  c  01  et  érivé  coume 
son  p'tiot  ».  (V.  Chinent.) 

CouMEAU,  S.  m.,  couche  de  bouillie  laitée,  œuvée,  sucrée, 
qu'on  étent  sur  la  croûte  des  flans,  et. qui  fait  le  régal  des 
gourmets  locaus. 

Bress.,  courno,  caniar. 

CouMENCER,  V.  tr.,  commenccr. 
Sav.,  quemcchcr  (V.  C'mcnccv). 

Coume  tout,  loc.  adv.,  beaucoup   :    «  Allé  é  brave  coume 

tout.  ))  ((  01  a  de  l'argent  coume  tout.  » 
Centre,  id.,  Norm.,  id.,  Rouch.,  id.,  Wall.  id. 

CouNAissANCE,  S.  f.,  conuaissance. 

It..  conoscen~a.  Bourg.,  queneussance.  Morv.,  qucusance,  cunot- 

sance.  Poit.,  queuneussctnce.  Prov.,  conoissensa.  Vs'.  fr.,  conors- 

sance,  quenoissence. 

CouNAissu,  part,  de  counaitre,  connu. 

Bourg.,  qucuncussu,  q'ricussu,  q'nessu.  Morv.,  comiesau. 

CouNAiTRE,  et  CouNÀTRE,  V.  tr.,  connaître. 

Lat.,  cogiwscere.  Berry,  couneûtrc.  Bourg.,  qucu/ioitre,  cueuneu- 

tro.    Morv.,    queùtrc.    PoiL.    queneuire.    St-Am.,    counjiàtrc. 

Saint.,  quencutvc.  Wall.,  kinolie. 


LANGAGE    POPULAIHK    \HRDr  NOCHALONNA  IS  185 

CouNÔT,  S.  m.,  coin  :  «  Le  coûnot  du  fcù.  »  —  ((  J'ons  métu 

l'sian  dans  l'coûnot.  » 
Lat.,  ciatciis.  Bourg.,   carrenô.  Fr.-Cté.,   counot.    Lim  ,   cokc/i. 

Lorr.,  corjno.  Lyon.,  cuffin,  couffin.  Prov.,  conli,  ctuih.  St-Am.. 

cHèn.  Wall.,  coinc.  (V.  Carre.) 

Coup,  s.  m.,  fois.  N'est  guère  usité  que  dans  quelqu(>s  locu- 
tions :  «  Por  eùn  coup.  »  —  «  Ah!  pou  Vcoup.  »  (V.  Cbp.) 

CouRAu,  s.  f.,  couiToie.  L'écolier  attache  ses  livres  avec  sa 

courau. 
Ital.,  corrcgr/ia.  Bevvy,  coiirrair.  Boiw^g.,  cor roo.  Moiv..,  coureaa. 

Prov.,  corrcj/a,  coritja. 

CouRAUD,  E,  adj.,  coureur,  coureuse;  garçon  qui  court  après 
les  filles,  fille  qui  court  après  les  garçons  :  «  L'bestiâ! 
v'ià-t-i  pas  qu'ô  va  parler  à  c'te  couvaude!...  » 

Berry,  courandicr.  Genev.,  couratià.  Maine,  coarassier.  Morv., 
courandiè.  Norm.,  courandicr.  Pic,  couratic.  Wall.,  id. 

Courbe,  adj.,  courbé  :  «  L'pauvre  houme!  ô  marche  tout 
courbe.  ))  On  trouvera,  dans  ce  Glossaire,  un  certain 
nombre  d'adjectifs  verbaus  ainsi  formés.  (V.    Cbvbe.). 

CouRi,  V.  intr.,  entrer  dans,  en  parlant  des  années  :  ((  01  é 
d'eùne  bâle  âge!  ô  court  ses  95  ans.  »  (V.  Cbr'i.) 

CouRJON,  s.  m.,  branche  d'arbre,  baguette,  tresse  de   jonc, 

d'osier,  dont  on  fait  des  liens. 
Morv.,  courQcon,  côrgeoa.  Poit.,  cuer;/eon  (lanière). 

CouTELER,  V.  tr.,  étendre,  étirer  et  plier  les  draps,  le  linge 
après  la  lessive. 

CouTERiE,  s.  f.,  aiguillée  4c  fil. 

Louhans,  coutric.  Mac,  coutalrl.  Montr..  coulcric.  Morv.,  cou- 
Irie,  aigllic.  Sav  ,  coidria. 

CouTEURÉRE,  S.  f.,  coccinellc,  bête  à  bon  Dieu. 

CouTEURÉRE,  S.  f.,  couturièrc,  ouvrière  en  robes. 
Morv.,  couircrc.  Prov.,  corduricra. 

CouTiAu,  S.  m.,  couteau. 

Lat.,  cultcUus.  Berry,  coutiou.  Bourg.,  coutiau.  I''lani.,  id.  Fr.- 
Cté.,  cutiou.  Il.-V.,  coufiau.  Lorr.,  coûte.  Mac,  cntiau.  Montr., 
coutieau.  Morv.,  coutiau.  Pic,  id.,  couticu.  Pio\. ■,collcl/i.  St- 


18G  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Am  ,  cutc.  Saint.,  coûta.  Sâv.,  cociai.  Suiss.  v.,  coûté,  coiUhi. 
Toul.,  coutel.  Wall.,  coûtai. 

CouTRE,  s.  f.,  oreiller. 
Morv.,  coutre. 

Couvert,  s.  m.,  toit,  couvercle  :  «  01  a  fait  ranger  Vcourert 

de  sa  mâïon.  ))  Le  couvert  d'une  tabatière,  d'une  boîte,  d'une 

marmite. 
Lat.,  cooperculuin.  Bonvg.,coucur,  ùtoi.  Dauph.,  cocert.  Genev., 

coucert.  Lorr.,  tô.  Midi,  couvert.  Morv.,  id.,  quièclc.  Sav.,  ta. 

Wall.,  coucicppe,  couocrture. 

Couverte,  s.  f.,  couverture  :  «  I  fait  frèd;  faut  m'méte  ma 
couverte  d'iain-ne.  » 

Bourg.,  coucaturc.  Bress.,  cucertiou.  Fr.-Cté.,  coucathe.  Genev., 
couverte.  Liui.,  cuherturo.  Midi,  couverte.  Morv.,  coucrie, 
couvartcu.  Pic,  couverte.  Poit.,  cuverte.  Prov.,  coopertura, 
cubertura.  Rouch.,  couoerto.  St  Km.,cuârta.  Wall.^  couverte, 
cofeteu.  Vs.  fr.,  covertor,  couvretoir. 

Couvéte,  s.  f.,  chaufferette. 
Rouch.,  couvé.  (V.  Couvot.) 

CouvÔT,  s.  m.,  couvet,  vase  en  terre  tenant  lieu  de  chauffe- 
rette :  ((  Tout  l'temps  allé  a  son  côwro^  sous  ses  jupes.  » 

Bourg.,  côcô.  Champ.,  couvet.  Flam.,  couvé.  Genev.,  cové,  covet. 
Lorr.,  covet.  Midi,  couvot.  Moi'v.,  couveau.  \\a.ii.,coaé,  haœé, 
couvé.  (V.  Chauféte,  couvéte.) 

CouvRi,  V.  tr.,  couvrir.  Le  part,  est  également  couvri,  comme 

ouvri  pour  :  ouvert. 

Berry,  corrir.  Bourg.,  covri,  côvre.  Pic,  cœuvrlr.  Prov.,  cobrir, 

cubrir.  Rouch.,  couver.  Saint.,  cJiuvrir.  St  Am.,  crevt.  Wall., 

covri. 

Crà,  s.  m.,  corbeau.  (V.  Corbiau.  Cov/i,  Crau.) 

Cràchie,  s.   f.,  résidu  du  beurre  que  l'on  vient  de  fondre. 

Les  enfants,  friands  de  ce  produit,  le  demandent  beaucoup 

en  rôties  (tartines). 
Bas-lat.,  drasqua.   Genev.,   dràchée.    Montr.,  crachée.    Norm., 

crache  (graisse").  Pic,  crache{i&).  Rom.,  il rasche,  dréchc  (marc 

du  grain  qui  a  servi  à  la  fabric.  de  la  bière). 

Craicher,  v.  intr.,  cracher. 

Berry,  crâier.  Bourg.,  craichai,  creichai.  Morv.,  crailler.  Pic, 
raker.  Prov.,  escracar.  Wall.,  rachi,  rechi. 


LANGAGE    POPULAIRIO    VERDUNO-CHALONNAIS  187 

Cramayère,  s.  f.,  crémaillère  :  ((  Quand  qu'la  mâïon  sera 
fi  ni  te,  j 'planterons  la  cramayère.  )) 

Bas-lat.,cr«/;;«c?</«s.  Bonr^-, cramaillc.  BvesH., cout/iaclc,  quomo- 
clio.  Champ.,  cramai [.  Genev.,  comàcle.  Isère,  coumaclo.  Jura, 
crainail.  Lang.,  crèinal.  Morv.j  r/uiérâme,  crcinaiUe,crcnnUè. 
Norm.,  craniillaie,  creinillcc.  Pic,  crainailU,  cre/naillè.  Piov., 
cuinasclc.  Rouch.,  cramcglic,  crcméglic  St  Am.,  keinôlijoa. 
Wall.,  crama,  cramion. 

Cramper  [se),  V.  réfl.,  se  cramponner,  s'attacher  avec  force  : 
((  Le  p"tiot  é  ben  genti  ;  drès  qu'jérive,  ô  s  crampe  après 
moi.  »  A  aussi  parfois  le  sens  de  :  se  raidir,  se  révolter. 

Fr.-Cté.,  se  cramper. 

Crapiau,  s.  m.,  crapaud. 

Bas-lat.,   crapahius.    Berry,    f/rapaud.   Bourg.,   craipau.   Lim., 

f/ropa(,crapaos.  Pic,  crapeux.  Pi'oy.,  fjrapaat,  crapaut.  Wall., 

crapan.  Vs.  h'.,  crapos,  crapaut.  (V.  Bot.) 

Craque,  s.  f.,  mensonge,  hâblerie:  «  Vouah!  c'qu'ôm'dit,  j'n'y 

creis  guâre;  y  é  tôjor  des  craques.  » 
Norm.,  craque.  Rouch.,  id. 

Craquer,  v.  intr.,  mentir  :  «  T'airas  biau  dire,  va,  on  n'te 
creirapus;  t'nous  craques  du  maitin  au  souér.  » 

Craquer,  v.  tr.,  déchirer,  faire  craquer  :  «  T'as  craqué  ton 
pantalon.  » 

Cràquiller,  v.  intr.,  produire  un  petit  bruit  :   «  Y  a  eùn 

grain  de  sâbe  dans  ta  sôpe;  ô  \\\  cracpdllc  sô  la  dent.  » 
Morv.,  cràquiller. 

Cràquou,  s.  m.  etadj.,  menteur,  qui  dit  des  «  craques  )). 

Crasse,  s,  f.,  ladrerie,  et  mauvais  tour  :  «  Non,  je  n'ii  parle 

pus  ;  ô  m'a  fait  ei!nie  crasse.  » 
Cogn  ,  crasse.  St  Am.,  crache. 

Crasse,  adj.  crasseus,  avare,  malpropre  :  «  01  é  crasse;  à 

n'donne  jamâ  ran.  » 
Lat.,  crassus.  Berry,  crassous.  Cogn.,  crassou.  Morv.,  id.,  crai.'<- 

sou.  Saint.,  crassous.  St  Am.,  crâssou. 

Crau,  corbeau. 

Ital.,  rjrola.  Bourg.,  crau.  (V.  Corhiau,  Coud,  Crû.) 


188  REVUE    DE    rMIlLOLOGlE    FRANÇAISE 

Crèche,  s.  f.,  crèche. 

Ital.,    greppiq.   Berry,    ècré'-'/ir.    Bourg.,   crcirhe.   Bress.,  crècc. 

Lim.,  cràicho.  Morv.,  croiche,  croiiéche.   Pi'ov..  crepio,  rrep- 

cha,  erupia.  Wall.,  crcpc,  cripo. 

Crei,  et  Croué  s.  L.  crois. 

Lat.,  c/'Kj-.  Ital.,  rrocc.  Ai'tois,  croc,  croie.  Berry,  qucroix,  quc- 

rouc.   Morv.    crouè.    Pic,   cros.    Prov.,   croU.    Rouch.,    cro. 

Wall.,  créas.  (V.  Croué.) 

Crein-me,  s.  f.,  crème,  ce  délicieus  produit  qui  nous  donne 
le  beurre,  mais  qui  le  remplace  fréquemment  dans  les  pré- 
parations culinaires. 

Lat.,  creniuii).  Champ,  cz-a/uf.  Morv.,  crànie.  Pïoy.,  cre/na.  St- 
Am..  crènina.  Sav.,  crannia.  Suiss.  v..  crama,  cratnrna. 

Creire,  V.  intr.,  croire,  s'imaginer. 

Lat.  et  Ital.,  credere.  Auv.,  creire.  Berry,   id.  Bugey,  crère.  Fr.- 

Cté.,  creire.  Gasc.,id.  Il.-V.,  craire.  Lang.,  creire.  Lim.,  crérè. 

Lorr.,  crôre.  Morv.,  craire,    creire.    Poit.,   creire.  Prov.,   id. 

Rouch.,  crère.  St-Am.,   cràre.  Saint.,  crère.  Suiss.  r..  creire. 

Toul.,  creyre,  cre:;e.  Wall.,  creure. 

Creire  (s'e/i),  loc,  se  croire  quelque  chose,  s'enorgueillir  : 
«  Dion  de  Diou!  dépeù  qu'ôl  a  été  noumé  gard'champéte, 
ô  S'en  creit  prou!...  » 

Genev.,  .s'en  creire.  Rouch.,  id.,  s'en  crère. 

Creuche,  s.  f.,  cruche. 
Bourg.,  brechie. 

Creuiller,  V.  tr.,  creuser,  surtout  enlever  le  milieu  d'un 
fruit,  poire  ou  pomme,  pour  une  préparation  culinaire, 
beignets,  compote,  etc. 

Prov.,  cro^ar.  Vs.  fr.,  croscr.  (V.  Creûillort.) 

Creuillon,  s.  m.,  cœur  de  pomme,  de  poiriî,  non  lorsque  le 
fruit  est  entier,  mais  quand  ce  dernier  vient  d'être  croqué 
à  belles  dents  jusqu'au  centre  :  «  01  a  maingé  sa  poume, 
épi  ô  m'beillôt  l'creiÀillon  !  » 

Bress..  rrcni/loii  (bois  enlevé  en  creusant  les  sabots).  Genev., 
corui/lfiii,  conraillon.  Montr.,  ci^cuillons  (de  sabotier).  Norm., 
ràquHloa.  Sav.,  rœraillon.  Suiss.  r.,  corahlon.  (V.  Roiigeon.) 

Creuse,  s.  f.,  coque,  coquille.  Une  «  creiîse  »  de  cala;  une 
«  creuse  d'w.  »  Le  mot  contient  une  image  de  concavité. 


LANGAGE    POPULAIRK    VERDUNO-CHALONNAIS  189 

Beriy,  creuse.  Bourg.,  id.  Forez,  crcu  (m.).  ¥v.-Cté.,  eretiche, 
crut^e,  crosille.  Guern.,  cviique.  Lyon.,  créa  (noyau).  Monti'., 
creuse.  Morv.,  crcuçie,  creulUe.  Nivern.,  id.  Poit. ,  crucheas. 
Suiss.  r.,  crutsc/w,  crou(.-e,  craisilla.  (V.  Coquerille.) 

Creus,  s.  m.,  mare,  dont  le  lit  a  été  creusé  accidentellement; 
le  {(  Creux-QiùxiWon  »,  par  exemple,  qui  se  trouve  à  l'em- 
placement même  d'une  tuilerie  emportée  par  une  violente 
inondation.  (V.  Cvot.) 

Crèyance,  croyance. 

Morv.,  tvY?//rt/iC(',  crc'i/ance.  Vs.  fr.  créance,  croïancc. 

Creyu,  part,  de  cveive  :  ((  Vrà!  jTaurô  pas  créi/u,  » 
Morv.,  crouéyu. 

Crocher,  V.  tr.,  agrafer  :  «   Croc/te  me  donc  ma  broche  ; 

j'peus  pas  en  v'ni  à  bout.  » 
Genev.,  croc/ier. 

Crochot,  s.  m.,  crochet,  objet  recourbé. 
Bourg.,  creuchô. 

Crôler,  V.  tr.,  agiter,  remuer,  secouer  un  arbre  pour  en 
l'aire  tomber  les  fruits  :  «  On  a  crôLé  l'peùrnei.  » 

Ital.,  croUare.  Bourg.,  crôlai,  craului.  Fr.-Cté.,  cranter.  Lang\, 
crolar.  Marne,  croller.  Morv.,  croler.  Poit.,  crolinai.  Sav., 
crulà.  Vosg.,  crauler.  Wall.,  croler.  Vs.  fr. .  cro/lfr. 

Cro.mpire,  s.  f.,  pomme  de  terre. 

AUeni.,  (jruiid-hirii.   Louhans,   catroche.  Mor\'.,  conipire.   Pic. 

cro/iipire,  cro//ipile.  Roucli.,  cron/'ir.  Wall.,  crompii'.    Yonne. 

co/npire.  (V.  Cul-de-pouint.) 

Crosser,  v.  tr.,  malmener,  m;illrailer. 
Norm.,  crosser.  \'s.  U-.,  r/vt/.ss//'. 

Crot,  s.  m.,  creus,  trou,  fosse  :  ((  J'tTai  fichu  dans  l'crot.  )i 
Aube, '/o/t.  Berry,  cros.  Bourg.,  crô.  Montr.,  crot.  Morv.,  crû. 

crùdiau  (creus  plein  d'eau).  Pot.,  rro.  Prov.,  cros.  Rom..''?•r>^ 

Sav.,  croet,  (jolet.  (V.  C.reu.<.) 

Crùte,  s.  f.,  croûte.  Les  enl;inis  «'niploiciii  ciili'c  eus  ce  mol 
comme  terme  d'amitié  : 

((  Ma  mie,  ma  crôte, 
«  J" C ain-me  aidant  (jn'eiit  aut'e.  » 
Artois,  crustc.  Bourg.,  crôfe.  Cogn.,  craute.  Pro\ .,  crosta.  St-.\ni., 
creûfa.  \\'all..  crose. 


190  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Crôtot,  s.  m.,  creus  de  la  nuque.  Dim.  de  crot. 
Bas-lat,,  cvotum.  Bourg.,  crùtô.  Champ.,  crottot. 

Crôton,  s.  m.,  crotte,  crotiii,  boue  sèche. 
Pi'ov.,  crota.  Saint.,  cvoton. 

Crotou,  adj.,  boueus,  crotté,  barbouillé.  Se  dit  des  personnes 
et  des  choses  salies  dans  la  boue,  mais  surtout  des  vaches 
et  des  moutons  qui  ont  ramassé  aus  jambes  et  au  train  de 
derrière  une  couche  granuleuse  de  crottes  en  se  couchant 
dans  retable.  Les  paysans  leur  laissent  complaisamment 
cette  couche  comme  preuve  d'une  bonne  litière  !... 

Moi'v.,  crottou. 

Croupeton  (à)  et  A  grepton,  loc,  accroupi,  à  genous  et  assis 
sur  ses  talons  :  «  J'mé  métu  à  croupeton  por  cuver  mes 
fraises.  » — «  Pou  s'chaufer,  ô  s'met  à  cvoapeton  d'vant 
l'feù.  » 

Berry,  à  croupeton,  à  cropçton.  Bourg.,  à  croupeton.  Bress.,  à 
crepoton,  à  crcupetoii.  Forez,,  en.  acroupeton,  à  croupeton. 
Genev.,  à  cropetons,  à  crcpeton^.  ll.-V.,  accropi,  s'accropir. 
Jura,  à  crepetons.  Lille,  à  croucron.  Lorr.,  à  cripotons.  Lyon., 
à  et  en  graboton,  à  cacabosoii.  Morv.,  en  queurpoton.  Neufch., 
à  crepotons .  Rouch.,  àcroacrou.  Sav.,  à  cr'pion,  à  f/r'bœfjnoN. 
(V.  Accroupetoner,  Aqueùler.) 

Croution,  s.  i.,  cimiton  :  ((  Quand  l'pauv'  viens  qui  va  aus 
portes  li  dit  qu'ôl  a  faim,  âll'  li  beille  eùn  fanieus  croution.  » 

Berry,  crougnon,  crouston,  crousson.  Genev.,  croution.  Morv., 
crougnon.  Poit.,  crougnon,  cregnon,  corgnaon. 

Cte,  pr.  démonstr.,  cette  :  ((  C'te  foune!  » 
Bourg.,  c'teu.  Mac,  cela.  Morv.,  ceute. 

C'té-là,  pr.  dém.,  celle-là. 
Bourg.,  cetei-lai.  Morv.,  cetele-i/ui. 

C'téqui,  e,  pr.  dém.,  celui,  celui-ci,  celle,  celle-ci  :   «   Qu'é- 

c'quié  que  c'téqui'^  » 
Berry,  ceti-ci.  Bourg.,  cctu-'iui.  F'orez,  cetn,  cvtui.  Fr.-Cté.,s?t'7?//, 

àtieci.  Morv.,  cetu-f/ui.  Pic,  c'ii-dii. 

C'ti-l.\,  etCxu-LÀ,  i)ron.  dém.,  cchii-là  :  (((Jh!  c'tidàl  vous 

a-t-i  (;in  bagou  !  )) 
Bas-Norm.,  ch'tilà.  Bourg.,  cetu-lai,  c'tu-lai.  Forez,  eetui-  Lorr., 

c' tu-lé.  Morv.,  ccti-lai,  c'tu,  c'tu-qui. 


LANGAGE    POPULAIRE    VRRDL'NO-CHALONNAIS  191 

CucHOT,  S.  m.,  extrémité  supérieure,  sommet,  faîte,  cime, 
tas.  Le  cuchot  de  la  tête;  le  cucJiot  d'un  arbre;  un  cuchot 
de  blé,  de  trèfle  :  «  C't'agasse  a  fait  son  nid  au  fin  cuchot 
du  peùpier.  »  —  «  L'foin  étôt  sec  ;  les  foineuses  l'ont  mélu 
en  cuchot.  »  Un  petit  tas  de  fourrage  est  un  cuchot  ;  un 
gros  tas  est  une  mate. 

Ain,  cuchoii{û.Q  foin).  Bugey,  id.  Forez,  id.  Fr.-Cté.,  qucchot. 
Genev.,  cachet.  Lyon.,  ci/c/ion,  cuchoun,  quiehon.  Montr., 
cuchot.  Prov.,  ciichd.  Roni<,  i-ii'-hc  ciicho/,   cnchon.  St-Atn  , 

litjCHJiljClljOU. 

CuEucuEUTE,  S.  f.,  bouillie  que  l'on  prépare  pour  les  enfants. 

Mot  bizarrement  composé  du  masc.  et  du  fém.  de  l'adj. 

cueùt,  e. 
Lat.,  coda.  Bress.,  i/ncw/nctirt' 

CuEUDE,  S.  m.,  coude. 

Lat.,  cubitus.  Berry,  code.  Pic,  hciitc.  Prov..  code,  coiile.  Rouch., 
(jucute. 

CuEUDRE,  V.  tr.,  cueillir  :  ((  N'y  a  qn'Qà  d'neuzilles;  y  é  tout 

c'que  j'ai  pouvu  cueùdre.  » 

Lat.,  collifjere.  Berry,  quilllr.  Bress.,  qneudve.  Lim.,  couseij. 
Montr.,  cueudre.  Namur,  eof/f/e.  Prow. ,  coilltr,  cuelhir,  culhtj\ 
Wall.,  code.  Vs.  fr.,  queudre,  coillir.  (V.  Cueùïer.  euqer). 

CiJEUDRE,  V.  tr.,  coudre. 

lta,\., cadre.  Bourg.,  queudre.  Lyon.,  cadre.  Namur.,  hei'cte  Prov., 

coscr,co^ir,casir.  Ronch.,  queute,  heide.  St-Ani..  cof/zr.  Saint., 

coa.i:ir.  Toul.,  cou.-c.  Wall.,  /.■('à.<i'. 

Cueudre,  coudrier. 

Arden.,  caurier.  Bourg.,  queudre.  Morv.,  id.,  (/uiciuire,  (/iieure. 
Pic,  caare.  Poit.,  coure.  Roach.,  cuarier.  Wall.,   (-(''re.  côri. 

CuEUÏER,  V.  tr..  cueuillir  :  «  .Fous  cueùié  tous  nos  râms.  » 
Genev.,  callir.  Lang.,  cali.   Rouch.,  cuea/ier.  St-Am.,  cali.  (V. 
Caeàdrc,  Cujier.) 

CuEURE,  V.  tr.,  cuire.  Acception  générale  de  cuisson  pour 
tout  ce  qu'on  met  sur  le  feu  :  «  Mes  faviôles  ne  voulont 
pas  cueùre.  »  —  «  Mon  fricot  n'é  pas  cueùt.  » 

Lat.,  coquerr.  Ital.,  cnoccrc.  lîi'oss.,  cr/rure.  Daupli.,  coëre.  Fi.- 
Cté.,  qaeare.  Lor.,  id.  Lyon.,  coaère.  Montr.,  caeure.  Morv., 
queurc.  Poit.,  quiearc.  Prov.,  caser, cotre.  Saint.,  cheure.  Sav., 
coaire.  Toul.,  coi/re.  Wall.,  câre.  (V.  le  mot  >:nivant.) 


19'2  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Cl'eure,  V.  tr.,  cuire.  Acception  restreinte  et  spécialisée 
«'appliquant,  chez  nous,  à  toute  la  manipulation  du  pain. 
Quand  on  dit  qu'une  ménagère  cuit,  cela  comprent  depuis 
le  pétrissage  jusqu'au  retour  du  four,  en  un  mot,  l'opération 
complète  :  «  Ah!  vous  v'ià,  Nan-néte!  Làvoù  portez-vous 
c'boinon?  —  rcueils  cheû  l'grand  Micliau.  »  Certaines 
disent  :  u  Je  fais  au  for  »,  ce  que  dit  aussi  le  Genevois,  et 
que  le  Savoyard  traduit  exactement  dans  :  faire  i  J'œur 
(faire  au  four). 

Bourg.,  queïirc.  Montr.,  citcurc. 

CuEURÉE,  S.  f.,  curée. 
Morv..  queurée. 

CuEURER,  v.  tr.,  écurer.  Fig.,  mettre  à  sec,  dépouiller  quel- 
qu'un. Terme  de  jeu  employé  par  les  enfants  de  nos  con- 
trées, qui  ne  manquent  jamais  dédire,  lorsqu'ils  ont  gagné 
toutes  les  gobilles  d'un  camarade  :  ((  Oh!  j'iai  cneùrél  » 
Les  gamins  de  Chalon  disent  :  cueùsser. 

Lat.,  curare.  Bress.,  quciircr.  Moiv.,  id.,  èqucurcr,  t'qniller. 

CuEUSENiER,  S.  ui.,  cuisinicr. 

Yionvg., cuzenei.  Prov., cosme/-.  Rouch..  nilsènicr.  St-Am..  '''/-v///. 
Saint.,  cheunier.  Sav.,  coe senior. 

CuEusiNE,  s.  f.,  cuisine. 

Lat.,  coqulna.  Bourg.,  cusènc  Prov.,  rn:^lna.  Roueh.,  cuisciic.  St- 
Ani.,  cii^ëna.  Saint.,  clim/uic.  Sav.,  co(\~eii(i.  Wall.,  couhéiu'. 

CuEussE,  et  CuEUCHE,  S.  f.,  cuisse. 

Lat.,  coxa.  Bourg.,  cueûasc,  qiieùsse.  Bte^s.,  quoussc,  qiœuc/w. 
Champ.,  qucurhc.  Cogn., kieiisse.  Fv.-Cté.,  eusse.  IL-V.,  quèsso. 
Lille.,  cuiche.  Lorr.,  queu.che.  Lyon.,  coissi,  couessL  Montr., 
cuaiiss/ics.  Morv.,  qucuche.  Norm.,  queusse,  cuassc.  Poit., 
Cfussc.  Prov.,  cuci.ssd,  roissa.  St-Xm.,  cuir'hc.  Saint. .  rh<'ii.s.->i'. 
Toul.,  quèj/sso. 

Ci'EussER,  V.  lr..  dépouiller.    Syn.   cliMloniiais  de  ciicùrer. 

(V.  ce  mot.i 
Noi'm.,  acusscr  inietlic  un  joumu-  /'  l'ul  .<('(■}■ 

CuEUT,  adj.,  cuil. 

Bottïg.,  queut,  cœu.  Lim.,  I.rii'ho.  Loir.,  eu.  Morv. ,  7?/(v/.  StAni., 
ciii ,  i(i .  Wall . .  rui . 


LANGAGE    POPlîr.AlHF,    VKK'ni'N'(1-CHALONNAlS  193 

CuEUTE,  S.  1'.,  cuite,  cuisson  :  ((  Tant  d'michesque  (;a  !  boufre  ! 

y  et  eùne  bâle  cueùtel 
Bourg.,  queute.  Lorr.,  cueute.  Montr.,  id.  Mov\., queute.  Norm., 

quisse,  quisson.   Poit.,  qussc,  queusse.   Rouch.,  cuiiie.  Sav., 

coaita.  Wall.,  cutèc,  cuitée. 

Cl'gnot,  ad.,  mou,  engourdi,  un  peu  niais,  qui  manque 
d'énergie,  ou  se  remue  sans  rien  faire  :  «  T'n'as  donc  pas 
fini?  Que  qu'te  fais  là?  Ran  du  tout.  Va,  t'n'è  qu'un 
pauv'  cugnot.  » 

CuGNOTER,  V.  intr.,  tourner  sur  place  sans  rien  faire,  mettre 
longtemps  pour  n'arriver  à  rien,  ne  pas  sortir  d'une 
besogne. 

CuL-DE-POULOT,  S.  m.,  pouimc  de  tcrrc.  (V.  Crompire.) 

CuL-DE-s!NGE,  S.  m.,  uèfle. 
Litn.,  népld . 

CuLETON.  s.  m.,  coffret  situé  à  l'arriére  cV une  fourq nette. 

Curie,  s.  f. ,  éruption  de  boutons  fréquente  chez  les  enfants 
du  premier  âge. 

CuRTi,  CoRTi,  et  CouRTi,  S.  m.,  jardin.  A  la  campagne, 
c'était  un  champ  entouré  de  haies;  à  la  vill(\  un  jardin 
clos  de  nuirs. 

Bas-lat.,  curtile.  Atden.,  coiirn's.  Artois,  (jardin.  Beri-y,  couvlil. 
Boury. ,  nirtih,  cuUil:-.  Bress.,  rurti ,  coutillo,  cortil. 
Champ.,  court !!<.  Fi'.-Ctr.,  coiithl.  Genev.,  corti,  court!.  Isère, 
hiiert.  Lang.,  courtial.  Liai.,  coi-til,  conrti,  vnrfjler.  Lyon., 
cnrtil.  court! I.  Mac,  curi!.  Marne,  courtis.  Mayen.,  court!. 
Montr.,  curlU.  Morv.,  corti,  court!,  court!/.  Norm.,  courlil. 
Pc'rig.,  <-ortil,  court!.  Pic,  id.,  id.  Poit.,  court!!.  Rouch.,  court!. 
St-Am.,  c//rti.  Sa\.,  cocrti,  court!!.  Sinian.,  curti.  Toul.,  orf, 
ortct,  hori.  horto.  couxlùrc.  Wall.,  court!.  Vs.  fr.,  corlil, 
courtil. 

CuYEiî,  V.  Ir.,  cueillir. 

Lini.,  riili.  Moi'x.,  ci/ïci\(\'.  Curiûer.  Curiu/re). 

CiYKRE,  s.  f.,  cuillère. 

Boi'iy,  quHlcre.  Lang..  ciiic.  Moi\ .,  id.  Piow.  culhicr,  entier.  St- 

\\\\..    rlltljc.    Wall.,    (•///. 

F.   Fertiault. 

IvKvn:  i)h;  i-iiii.oi.oiai;.  v.  i;-i 


LE     CONDITIONNEL    EN    FRANÇAIS    (D 


par 

J.  BASTIN 

Professeur   à    Saint-  Fétorsbourj 


CONDITIONNEL    PRESENT    ET    FUTUR 

1)  Le  conditionnel  a  reçu  ce  nom,  parce  qu'il  raconte 
des  faits  dont  l'exécution  dépent  souvent  d'une  condi- 
tion {2). 

Si  Je  rccecais  cet  argent  aujourd'hui,  mais  je  ne  l'espère  guère, 
je  partirais  déjà  demain.  —  Je  serais  heureux  si  mes  parents 
étaient  ici.  —  Il  avait  promis  qu'il  écrirait  si  nous  lui  écrivions 
de  notre  côté.  —  Si  nous  lui  avions  écrit,  il  serait  déjà  ici. 

Remarque.  —  La  condition  peut  se  présenter  sous 
différentes  formes  : 

A  ce  compte  (si  l'on  compte  ainsi,  si  l'on  comptait  ainsi,  à  cette 
condition),  il  céderait  tous  ses  droits. —  X'aijacc;  pas  (si  vous 
agacez)  ce  chien,  il  vous  mordrait,  il  pourrait  vous  mordre. — 
Je  croirais  lui  taire,  en  allant  c/ie;-  lui  (si  j'allais  chez  lui), 
beaucoup  d'honneur.  —  Je  serais  bien  taché  de  le  voir  arriver 
(s'il  arrivait,  si  je  le  voijais  arriver).  —  Il  serait  bon  d'envoyer 
chercher  le  médecin  (ce  serait  bien  si  l'gn  envoyait,  etc.).  Je  le 
reconnaîtrais  entre  mille  (si  je  le  voyais.,  s'il  se  trouvait  entre 
mille  autres).  Je  crois  que  sans  vous  il  ne  partirait  pas. 

(1)  [La  grammaire  de  M.  Bastiii  (Étude  p/iilolo(jique  de  la  langue 
française)   est  épuisée  depuis  longtemps.  Nous   sommes  heureus  de 

donner  à  nos  lecteurs  un  des  chapitres  de  cet  excellent  livre,  corrigé 
par  l'auteur.  Nous  souhaitons  vivement  que  M.  Bastiu  publie  bientôt, 
et  chez  un  éditeur  français,  une  seconde  édition  de  sa  grammaire, 
trop  peu  connue  eu  France.  La  netteté  des  formules  et  l'abondance 
des  e.\eniplos  frapperont  certainement  nos  lecteurs,  et  ils  s'associeront 
à  notre  vœuj.  L.  C. 

(2)  Le  conditionnel  préserU  etj'utu/-  qui  manque  en  latin  représente 
ou  remplace  l'iinjiarfait  du  subjonctif  de  la  langue  latine  dans  le  cas 
où  ce  dernier  temps  a  un  sens  conditionnel  ou  hypot/œtique  (proposi- 
tions principales).  Le  conditionnel  passé  remplace  danè  les  mêmes  cas 
le  jdus-que-fjarjait  du  conjonctif  latin. 


LE     COXDllIDNNF.L    i;\    l'UANlJAIS  1^)5 

2)  En  réalité,  ce  qui  se  voit  plus  facilement  que 
partout  ailleurs  dans  la  proposition  subordonnée,  le 
conditionnel  est  le  futur  des  temps  passés,  sans  qu'il  y 
ait  pour  cela  aucune  condition  exprimée  ou  sous- 
entendue.  Pour  cette  raison,  le  conditionnel  devrait 
plutôt  s'appeler  le  futur  des  temps  passés  (futurum 
imperfecti  on,  par  extension,  futurum /jc//ec//,  futurum 
prœteriti),  car  c'est  le  xrni  futur  des  temps  passés.  (Cf. 
ci-dessus  pages  G2  et  78  l'article  de  M.  Clédatet  l'appro- 
bation de  M.  Toblcr.) 

11  déclaia  qu'il  se  déciderait  bientôt.  Il  a  dit  (il  avait  dit) 
qu'il  partirait,  et,  en  effet,  il  est  parti  dès  le  lendemain  du  joui* 
où  il  avait  annoncé  qu'il  s'en  irait.  —  Le  roi  répondit  que  la 
garnison  serait  pendue.  -—  11  fut  décidé  qu'on  remettrait  au 
roi  les  clefs  de  la  ville.  Il  dit  (passé  défini)  qu'il  allait  deman- 
der (demanderait)  à  ses  voisins  de  l'aider  dans  son  travail.  — 
11  crut  ([u'il  ne  serait  pas  en  retard  en  arrivant  au  palais  à  cinq 
iieures  du  matin  (le  conditionnel,  dans  tous  ces  exemples,  se 
traduit  en  russe  par  ie  futur.  Dans  le  cas  où  il  peut  se  rendre  en 
latin  par  l'accusatif  avecl'innnitif.  la  langue  latine  emploie  aussi, 
dans  ces  cas,  l'injinitif futur). 

3)  Api^ès  le  passé  indéfini,  on  peut  cependant  em- 
ployer \q  futur  simple  au  lieu  du  conditionnel  présent 
ou  futur,  dont  on  peut  aussi  se  servii-,  ([uand  l'action 
dont  on  parle  ne  pourra  se  faire  que  dans  l'avenir.  Le 
conditionnel  est  la  règle,  \e  futur  est  l'exception  (1)  : 

Perrctte  a  rêvé  qu'elle  gagnera  (gagnerait)  le  gros  lot  au 
tirage  qui  aura  lieu  le  piemier  du  uiois  prochain. 

Mais  le  f util/'  est  impossible  après  le  passé  indéfini 
quand  l'action  ou  le  fait  dont  on  parle  a  déjà  pu  ou  dû 
se  faire  dans  \e passé. 

Perrctte  a  rcrr,  il  y  a  quinze  jours,  qu'elle  gagnerait  le  gros 
lot  au  tii'age  qui  a  eu  lieu  hier,  mais  elle  n'a  rien  gagné.  — Notre 

(1)  [Pour  la  généralisation  de  cette  règle,  on  me  perniedra  de  ren- 
voyer à  la  page  259  et  suivantes  de  ma  Nourelle  i/raninudrc  hi.<to- 
rique  du  franraia.]  L.  C. 


196  KEVfE    DE    F'HIIJ^LDGIE    FRANÇAISE 

ami  nous  <i  <:lir  Ider  laatiit  qu'il  partirait  le  soir,  il  doit  donc 
être  parti. 

J'ai  cm  que  des  présents  calmeraient  son  courroux, 
Que  ce  Dieu,  quel  qu'il  soit,  on  deviendrait  plus  doux. 

(Racine,  Atludle,  IL  5.) 

4)  ]^e  futur  simple  Qi  \q  futur  antérieur  sont  quelque- 
fois employés  par  les  écrivains  poui^  raconter  des  événe- 
ments qui  se  sont  passés  avant  le  temps  où  ils  ont  écril, 
parce  que  ces  écrivains  se  représentent  comme  vivant 
ou  ayant  vécu  à  Tépoque  passée  d'où  ils  semblent  pré- 
voir les  événements  qui  sont  réellement  arrivés  plus 
tard. 

Mais  en  suivant  logiquement  le  récit  au  point  de  vue 
de  l'époque  passée  oi\  les  événements  ont  pu  arriver, 
l'écrivain  aura  alors  le  conditionnel  (futur  des  temps 
passés)  pour  raconter  les  événements yi^/^^/'s  relative- 
ment aus  J'aits  passés  qui  commencent  le  récit.  Les 
faits  sont  ici  présentés  comme  éventuels,  mais  sans 
aucune  condition  sous-entendue  (1). 

Le  jeune  homme  aimait  sa  mère  de  toute  son  âme  et  l'aimait 
peut-être  plus  encore  depuis  qu'il  la  voi/air  triste,  malade,  dési- 
reuse de  quitter  une  maison  de  deuil.  Il  irait  avec  elle  dans  un 
climat  plus  chaud,  il  ne  la  quitterait  pas  d'un  instant,  il 
veillerait  sur  elle,  la  soignerait  cunime  une  enfant,  la  verrait 
guérie,  passerait  encore  des  jours  heureux  avec  elle.  Il  lui  Mt 
connaître  son  projet  de  voyage,  elle  consentit  aussitôt.  —  Le  je\ine 
liomme  coulait  une  explication,  il  l'aurait,  il  saurait  à  quoi 
s'en  tenir,  et  il  agirait  en  conséquence.  —  Anne  de  Bretagne, 
femme  de  Louis  XII,  arait  beau  admirer  et  aimer  ses  filles;  c'é- 
taient des  filles,  elles  n'hériteraient  pas  du  trône  de  France 
{Reçue  politique  et  littéraire).  —  Le  roi  se  montra  plein  de 
générosité;  il  n'exiijeait  que  la  remise  de  l'artillerie,  des  muni- 
tions et  des  armes  :  tons  les  hommes,  officiers  et  soldats  de- 
meureraient libres  et  pourraient  retourner  dans  leurs  foyers. 

1)  f^'écrivain  ne  se  pose  pas  ici  comme  rictint  à  une  (''j>0(]ue  pastire 
tlunl  il  veut  raconter  les  événements /«i^/'-s-  (qu'il  semble  prévoir)  ;  il 
raconte  ici  au  point  de  vue  du  /)ass('',  les  événements  /«?»/•.-•  ricutucl^ 
qui  devaieni  .<uii  rc  cens  qui  coimnencem  sa  narration. 


LE    CONDITIONNEL    EN    FRANÇAIS  197 

—  Les  cinq  ans  écoulés  n'avaient  pas  laissé  sur  lui  de  traces 
visibles  :  à  trente  ans,  il  portait  quelques  années  de  plus  que 
son  âge  ;  mais  à  quarante-cinq  il  aurait  encore  l'air  jeune 
(H.  Gréville,  M""  de  Dreux).  —  Les  coudriers /)o/'^«îe/i,(!  à  peine  au 
bout  de  leurs  branches  souples  les  petits  nœuds  tendres  et  veloutés 
d'où  sortiraient  les  feuilles  {Eadcm,  Idylles).  A  dater  de  ce  jour, 
ils  organisèrent  leur  vie,  ils  ne  se  quitteraient  plus  (Revue  des 
D.-M).  —  L'héroïne  de  la  pièce,  on  le  savait,  mourrait  au 
dénouement  (J.  Lemaître).  C'était  Aonc  décidé.  La  Revue  annuelle 
aurait  lieu  le  9  juin  suivant.  Avec  le  grand  prix  qui  deoait  être 
couru  (qui  serait  couru)  dans  la  même  semaine,  ce  serait 
l'événement  parisien  par  excellence  clôturant  les  fêtes  du  prin- 
temps (Jacques  Normand,  Mère,  fcniino,  fille  ou  sauir,  Lecture, 
10  mars  1891). 

Remarque.  —  Cette  inanièie  de  raconter  se  rappro- 
che du  discours  indirect,  et  \e  conditionnel  se  compren- 
dra, facilement  en  supposant  comme  sous-entendus  des 
mots  qui  ne  le  sont  cependant  pas  en  réalité  : 

Voyant  sa  mère  triste,  le  jeune  homme  (décida  qu'jil  l'emmè- 
nerait, etc. — C'était  (c'étaient)  des  filles,  la  mère  savait,  il  était 
certain  qu'elles  n'hériteraient  pas,  etc.  —  On  (pouvait  dés 
lors  prévoir)  qu'à  quarante-cinq  ans  il  paraîtrait  encore  jeune 
(il  aurait  encore  l'air  jeune),  etc.,  etc. 

5)  Dans  les  propositions  principales,  comme  dans  les 
propositions  subordonnées,  le  conditionnel  simple  peut 
exprimer  des  ^ciion^  pi'ésentes  on  futures  : 

Si  vous  m'aviez  écrit  plus  tôt,  je  serais  di'jâ  maint enun  t  en  route 
pour  aller  vous  voir.  — Si  j'avais  cet  argent,  j'en  enverrais,  dés 
demain,  une  partie  à  mon  frère. 

6)  Après  si,  exprimant  une  condition  ou  une  suppo- 
sition, c'est  l'imparfait  de  l'indicatif  que  l'on  emploie 
presque  toujours  au  lieu  du  conditionnel  j)résent  ou 
futur. 

Si  je  recevais  demain  cet  argent,  je  partirais  pour  Paris.  — 
S'il  recevait  (quand  il  recevait)  de  l'argent,  il  ne  travaillait  plus 

(autre  sens). 


198  REVUE  DE  PHILOLOGIE  FRANÇAISE 

Mais  lorsque  si  n'exprime  qu'un  doute,  c'est  le  con- 
ditionnel qu'il  faut  employer  : 

Je  ne  savais  pas  encore  alors  s'il  irait  à  Berlin. 

Après  si,  exprimant  plutôt  une  possibilité  qu'une 
conditidJi  ou  une  supposition,  on  emploie  très  bien  le 
conditionnel  (1)  : 

Que  je  meure  si  je  saurais  vous  le  dire  (Malherbe).  Si,  tout  fin 
diable  que  vous  êtes,  vous  ne  sauriez  vous  tirer  d'affaire,  com- 
ment un  chétif  mortel  pourra-t-il  en  venir  à  bout  (Lesage).  Si  les 
plantes  du  midi  ne  sauraient  croître  au  nord,  celles  du  nord  ne 
réussissent  pas  mieux  au  midi  (B.  de  Saint-Pierre).  Et,  en  effet, 
messieurs,  s'il  serait  injuste  de  ne  pas  accorder  dans  ces  succès 

une  part  considérable  à  l'habileté  de  notre  gouvernement,  il 

faut  dire  cependant  que  c'est  à  la  France  agricole  que  nous  devons 
la  réparation  de  nos  désastres  (L.  Passy).  S'il  y  aurait  peu  de 
courage  à  pousser  un  cri  d'alarme,  il  serait  également  puéril  de 
méconnaître  la  leçon  que  nous  avons  reçue  dans  l'échec  que  nous 
venons  de  subir  (Le  Figaro).  —  Il  a  fait  venir  ici  deux  artistes 
comme  s'il  n'aurait  pas  pu  (s'il  ne  pouvait,  s'il  n'avait  pas  pu) 
attendre  son  prochain  retour  à  Paris  pour  faire  les  portraits  (Théod. 
Barrière  et  L.  Capendu^  les  Faux  bonshommes).  Il  est  arrêté  que 
l'honneur  nous  ordonne  de  nous  taire  sur  ces  choses-là,  comme  si 
l'honneur  véritable  ne  consisterait  pas  à  en  dénoncer  l'infamie 
au  monde  entier  (P.  Bourget,  Mensonges  ;  Lecture,  1888,  p.  210). 
—  Si  les  vers  que  Corneille  a  mis  dans  la  bouche  de  Cléopâtre 
seraient  tout  aussi  bien  placés  dans  celle  de  son  Emilie,  les 
reines  d'Orient  parlent  donc  chez  lui  comme  les  Romaines  [Reçue 
des  D.-M.,  1880,  p.  864  ;  Brunetièrc,  Études  sur  le  xvif  siècle). 
Si  ta  haine  m'envie  un  supplice  trop  doux,  ou  si  d'un  sang  trop 
vil  ta  main  serait  trempée  (2),  au  défaut  de  ton  bras  prête-moi 
ton  cpée  (Racine).  Il  s'imagine  qu'il  donnera  par  là  une  haute  idée 

(1)  L'aclion,  après  .•••(■,  est  surtout  roprèsentée  ici  comme  i/iccz-taine, 
comme pos)<i bU(y.é coi\ditionnc\lc.  {V oir Clûu.vv ,Graininai t-c II istori'qtic , 
pp.  234-239).  La  conjonction  .-/  pourrait  facilement  disparaître  dans 
presque  tous  ces  cas,  qui  ne  sont  que  des  aflirmations  initi!jcc.<. 
présentant  un  doute  dans  la  pensée  de  celui  (jui  parle. 

(2)  Si  (lu  crois  que)  ta  main  en  frappant  serait  trempée  (pourrait 
être  trempée)  d'un  sang  trop  vil,  donne-moi  ion  cpùe.  j(^  me  frapperai 
moi-même. —  [M.  Hastin  ajoute  tu  cfoii^  que  pour  expliquer  le  sons  ; 
mais  il  n'y  a  pas  plus  d'ellipse  ici  (|ue  dans  les  autres  exenq^ics.  Cf. 
ma  G/-aininairc  /listoriquc,  p.  238,  noie  1.]  I..  C. 


LE    CONDITIONNEL    EN    FRANÇAIS  199 

de  cette  femme,  comme  si  Thésée  n'aurait  pas  pu  être  touché  de 
quelque  chose  de  médiocre  (Fénelon  ;  dans  cet  exemple  nous  em- 
ploierions aujourd'hui  le  plus-que-parfait  de  l'indicatif  ou  le  second 
conditionnel  passé).  —  Si  l'on  dirait  volontiers  que  c'est  à  l'élo- 
quence de  la  chaire  qu'il  emprunte  le  sujet  de  ses  prédications,  on 
peut  assurer  sans  craindre  que  M"""  de  Staël  s'est  plu  souvent  aussi 
à  prendre  comme  modèles  de  ses  observations  ceux  qu'on  peutappe- 
1er  nos  petits  moralistes  (Hecï^cffes  Z).-iV/.,l"  juin  1890,  Brunetière). 
Si  je  n'oserais  dire  que  de  tous  les  romans  de  Feuillet,  l'Histoire 
d'une  Parisienne  soit  le  meilleur,  c'en  est  peut-être  le  plus  expan- 
sif,  le  plus  significatif  (Idem,  ibidem,  l"  fév.  91). 

Quand  si  n'exprime  ({u'uii  doute,  on  peut  mettre 
après  lui  tous  les  temps  de  l'indicatif  : 

.Te  ne  sais  pas  si  mon  frère  travaille  maintenant,  s'il  tra- 
vaillait alors,  s'il  a  travaillé  liier  ;  s'il  travaillera  demain 
s'il  travaillerait  quand  même  on  le  punirait.  Je  ne  sais  pas  s'il 
avait  déjà  alors  fini  son  travail,  s'il  l'aurait  fini  (s'il  l'eût  fini) 
hier  en  travaillant  mieux  qu'il  ne  fait. 

Après  quand,  quand  même,  alo/'s,  alors  même  que, 
employés  dans  le  sens  de  si,  si  même,  on  emploie  le 
conditionnel. 

Je  no  viendrais  pas  à  bout  de  ce  travail  <iuand  {quand  /Hr"/;)r)  je 
travaillerais  toute  la  journée  ;  alors  même  que  je  travaille- 
rais jusqu'à  minuit. 

Lorsque  la  proposition  subordonnée  commençant  par 
si  même  est  changée  en  proposition  principale,  c'est 
aussi  le  conditionnel  qu'il  faut  employer  : 

Il  ne  pleurerait  pas  si  même  il  coyait  mourir  le  dernier  de  ses 
enfants.  —  11  verrait  mourir  le  dernier  de  ses  enfants  qu'il  ne 
verserait  i)as  une  seule  larme.  Vous  tirez  fort  bien,  mon  ami, 
vous  manqueriez  le  but,  si  môme  il  était  à  trois  pas  (quand 
môme  il  serait  à  trois  pas).  Vous  tirez  fort  bien,  mon  ami,  le 
but  serait-il  à  (rois  pas,  vous  le  manqueriez  encore.  Les  avares 
auraient  tout  l'or  du  Pérou,  qu'ils  en  désireraient  (Micorc.  Il 
verrait  périr  tous  ses  amis,  qu'il  ne  s'en  affecterait  pas,  il 
n'en  mangerait  pas  un  morceau  de  moins.  Alcibiadc  avait 
coupé  la  queue  à  son  chien  ;  il  serait  arrivé  quelque  grand 
événement  à  Athènes  qu'on  n'en  aurait  pas  parlé  davantage. 


200  REVUE    DE     PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Après  si,  n'exprimant  qu'un  simple  doute,  c'est 
encore  le  conditionnel  qu'il  faut  employer: 

Je  ne  savais  pas  encore  aloi-s  si  tout  serait  prêt  pour  notre 
voyage. 

7)  Le  conditionnel  présent  s'emploie  aussi  pour 
raconter  des  événements  probables,  possibles,  incer- 
tains : 

On  a  parlé  de  bandes  d'enfants  qui  mendieraient  pour  le 
compte  d'un  entrepreneur.  —  Je  vous  en  dirai  les  raisons  dans  le 
cas  où  cela  vous  intéresserait.  11  craint  que  ses  valeurs  ne  lui 
soient  enlevées  dans  le  cas  possible  où  la  ville  serait  envahie. 
— Votre  ami  n'est  pas  venu  nous  voir  ce  matin  ;  serait-il  malade  ? 

8)  Le  conditionnel  s'emploie  encore  souvent,  sans 
qu'il  y  ait  aucune  condition  exprimée,  lorsqu'il  s'agit 
d'exprimer  un  désir,  wne  supposition ,  une  question  ou 
une  affirmation  mitigée  : 

On  dirait  (il  semble,  il  parait)  qu'il  va  pleuvoir.  —  Je  vou- 
drais lui  parler.  —  Je  désirerais  lui  laisser  un  souvenir.  — 
Aurait-il  l'intention  de  nous  quitter?  —  A  l'en  croire  il  serait 
supérieur  à  tous  ses  collègues.  —  Seriez-vous  assez  osé  pour  le 
faire  ? 

11  faudrait,  je  crois,  être  plus  sévère  avec  cet  enfant.  —  Vous 
devriez,  me  semble-t-il,  agir  avec  plus  d'indulgence.  —  Se 
pourrait-il  qu'il  arrivât  sitôt.  —  11  se  pourrait  que  mon  père 
partit  bientôt  pour  Paris.  -  Je  désirerais  que  ce  travail  me  fut 
bientôt  remis.  Il  serait  nécessaire  que  le  Jeune  homme  revînt 
chez  ses  parents. 

9)  Le  conditionnel  présent  du  verbe  savoir  s'emploie 
parfois  pour  \q  présent  de  V  indicatif  un  \erhe  pouvoir: 

Je  ne  saurais  (je  ïig  puis,  il  m'est  impossible  de)  vous  le  dire. 

10)  L'imparfait  du  verbe  avoir,  suivi  de  la  préposition 
à  et  d'un  infinitif,  exprime  souvent,  comme  ]e  présent 
dans  le  même  cas,  une  idée  obligatoii'e  àQ  futur  {le 
futur,  au  point  de  vue  du  présent  :  le  conditionnel ,  au 
point  de  vue  du /lassé). 


LE    CONDITIONNEL    EN    FRANÇAIS  201 

Vous  savez  que  j'ai  à  vous  parler  ce  soir  (je  dois  vous 
parler  ce  soii',  je  vous  parlerai  ce  soir).  Je  vous  ai  déjà  dit  que 
j'avais  à  vous  parler  ce  soii'  (que  je  devais  vous  parler  ce 
soir,  que  je  vous  parlerais  ce  soir  ;  qu'il  faut  que  je  vous  parle, 
qu'il  fallait  que  je  vous  parlasse). 

11)  Dans  les  propositions  conditionnelles,  l'itnpfir- 
J'ait  du  subjonctif  rem])la('e  parfois  le  conditionnel 
présent  : 

Fût-il  (serait-il.  si  nirine  il  était)  encore  plus  riche,  je  ne 
voudrais  pas  le  connaître.  —  Dussé-je  périr,  je  n'obéirai  pas  à 
cet  ordre  injuste.  — Le  ministre,  eût-il  plus  d'énersie encore,  serait 
impuissant  contre  l'opposition.  --  Acceptât-on  un  congrès  euro- 
péen on  ne  fera  rien  pour  notre  pays.— Les  Lacédémoniens.  lussent- 
ils  seuls,  attendront  les  Perses  de  pied  ferme.  L'entreprise,  dût- 
l'Ue  échouer,  il  sera  toujours  glorieux  de  l'avoir  tentée  (1). 

12)  Les  temps  à  employer  changent  encore  ici  selon 
la  pensée  que  Ton  veut  exprimer  : 

Si  la  chose  peut  se  faire,  je  suis  persuadé  qu'il  vous  rendrait 
ce  service  (qu'il  vous  rendra  ce  service)...  Si  la  chose  pouvait 
se  faire,  il  vous  rendrait,  je  crois  (il  vous  rendra  ce  service). 

ViniparJ'nit  est  ici  moins  allirmatii'  que  le  présent  et 
\q, futur  présente  les  faits  d'une  manière  plus  certaine 
que  le  conditionnel. 

Remarquons  le  conditionnel  futur  immédiat  ou 
rapproché  : 

Mon  frère  racontait  ce  matin  qu'il  allait  partir  (qu'il  parti- 
rait) demain  pour  Moscou  (conditionnel,  futur  des  temps  passés, 
conditionnel  sans  aucune  idée  de  condition). 


(1)  Si  l'on  veut  accepter  en  français  r/««.s-  formes  de  conditionnel 
passé,  il  faudrait  alors,  d';iprcs  les  exemples  qui  précèdent,  admettre 
également,  pour  être  logique,  deus  formes  de  conditionnel  présent. 


20Z  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 


CONDITIONNEL    PASSE    ET    CONDITIONNEL 
FUTUR   ANTÉRIEUR 

1)  Le  conditionnel  passé  s'emploie  pour  les  actions 
Jlitures  (idée  de  futur  antérieur),  comme    pour    les 

actions /cassées. —  Il  désigne  des  actions  qui  se  seraient 
faites  dans  \q  passé  si  la  condition  dont  on  parle  s'était 
accomplie.  Pour  \q  futur  il  désigne  des  actions  qui 
seraient  faites  avant  une  époque  à  venir,  si  la  condition 
dont  on  parle  s'accomplissait  ou  s'était  accomplie  : 

Si  J'avais  mieux-  tracacllc,  j'aurais  fini  mou  travail  depuis 
longtemps.  —  Mon  travail  ne  sera  fiai  que  dans  deux  mois  ;  je 
l'aurais  fini  beaucoup  plus  tôt  (je  le  finirais  beaucoup  plus  tôt), 
si  j'acais  mieux  travaillé  (si  je  travaillais  mieux).  —  Je  lui 
demande  quand  il  aura  fini  son  travail  (futur  antérieur);  ce 
matin  je  lui  ai  demandé  quand  il  aurait  fini  son  travail  {con- 
ditionnel futur  antérieur).  —  J'aurais  eu  fini  mon  travail 
beaucoup  plus  tôt,  si  j'avais  mieux  travailb'  (temps  surcomposé) 
—  Sans  cette  malencontreuse  visite,  j'aurais  dîné  de  meilleure 
heure;  sans  cette  visite,  j'aurais  eu  dîné  de  meilleure  heure 
(temps  surcomposé). 

2)  Après  si,  exprimant  une  condition  ou  une  suppo- 
sition, le  conditionnel  passé  (première  forme)  se  rem- 
place par  le  phis-que-parfcdt  de  l'indicatif,  ou  par  le 
second  conditionnel  passé,  qui  n'est,  en  réalité,  que  le 
plus-queparfait  du  subjonctif: 

Si  la  douleur  de  notre  captivité  ne  nous  eiit  rendus  (ne  nous 
avait  rendus)  insensibles  à  tous  les  plaisirs,  nos  yeux  auraient 
été  charmés  (nos  yeux  eussent  été  charmés)  en  voyant 
cetti^  feitile  tiMi'e  d'Egypte  (Fêneli)n). 

Mais  lorsque  si  n'exprime  (jifitu  doute,  le  condi- 
tion i  tel  passé  reprent  sa  place: 

Je  ne  sais  pas  s'il  serait  venu  (s'il  fût  venu)  quand  même 
on  l'aurait  invité.  (|uaiid  même  on  l'eùl  incité. 


LE    CONDITIONNEL    EN    FRANÇAIS  203 

3)  Les  deus  formes  du  conditioniiel  passé  ont  la  même 
signification  et  peuvent  s'employer  l'une  pour  l'autre 
(excepté  après  .sv'.  exprimant  une  condition  ou  une 
supposition).  La  première  forme  s'emploie  en  parlant  et 
en  écrivant,  la  seconde  s'emploie  surtout  en  écrivant  (1). 

La  princesse  Louise  de  Prusse  n'eût  pas  été  (n'aurait  pas  été; 
seulement  le  gracieux  ornement  du  trône  d'Angleterre,  elle  aurait 
certainement  exercé  (elle  eiît  certainement  exercé)  l'influence 
la  plus  salutaire  sur  l'esprit  du  prince  de  Galles,  plus  tard 
George  IV  (Saint-René  Taillandier).  N'eût-il  pas  été  pauvre,  il 
aurait  (il  eût)  encore  mené  une  vio  frugale.  Eût-il  été  même 
plus  habile,  il  serait  (il  fût)  encore  tombé. 

Je  vous  aurais  rendu  ce  service  depuis  longtemps  si  cela  avait 
pu  se  faire.  —  Je  vous  aurais  rendu  ce  service  si  cela  pouvait 
se  faire  (si  c'était  une  chose  ton/ours  possible,  qu'il  est  p(M'mis  de 
faire  en  tout  temps). 

4)  Le  conditionnel  passé  s'emploie  souvent  pour 
exprimer  des  événements  douteiis,  c[ui  ont  pu  arriver 
dans  lepassé,  et  il  est  équivalent  alors  à  un  passé  indéfini 
mitigé  : 

Il  no  rentre  pas,  lui  serait-il  arrivé  (lui  est-il  arrivé  par 
hasard)  quelque  malheur  ?  —  S'il  faut  en  croiie  les  journau.x,  le 
roi  de  Prusse  aurait  dit  (a  dit)  hier  qu'il  fera  (ferait)  tout 
pour  conserver  la  pai.w 

5)  Il  s'emploie  même  pour  les  faits  certains,  quand  il 
y  a  doute  sur  la  manière  ou  le  moment  de  leur  exécu- 
tion : 

C'e^t  peiit-rtrc  VII  i:e  iiki/uciiI  ([W^  dix-lulit  gentilshommes  fran- 
çais seraient  venus  (sont  venus,  vinrent)  fondre  sur  le  roi 
d'Angleterre  (^Michelet,  fait  ccfLaiii;  moment  douteux).  —  C'est  à 
ce  moment,  croit-on,  que  le  meurtre  aurait  été  commis  (a  dû  être 
commis).  Ce  bonheur  lui  aurait-il  été  réservé,  comme  je  le 

(1)  La  troisième  pcrsoiuic  du  singulier  fait  cependant  exception  et 
s'emploie  volontiers,  même  dans  la  conversation.  Le  conditiomiel 
passé  surcomposé  s'emploie  encore  moins  volontiers  ;  si  j'eusse  eu 
fini  i)lus  tôt  hier,  je  serais  allé  vous  voir. 


204  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

souhaite  ?  —  A  reiitencU'e,  il  serait  allé  chez  son  camarade  et 
lui  aurait  manifesté  tout  le  regret  qu'il  éprouvait  de  l'avoir 
offensé. 

6)  La  seconde J'orine  du  conditionnel  passé,  qui  n'est 
partout,  en  réalité,  qu  un  pi  as-que-par fait  du  subjonctif, 
s'emploie  dans  les  propositions  conditionnelles  pour 
exprimer  des  actions  passées  ou  futures-antérieures  : 

S'ils  avaient  mieux  travaillé,  eussent-ils  fini  pour  cela  ce  long 
travail  avant  la  fin  du  mois  prochain  ?  —  Eût-il  été  plus  riche 
encore  (s'il  avait  été  plus  riche),  je  n'aurais  pas  voulu  le  con- 
naître. —  N'eût  été  l'arrivée  de  mon  ami  chez  moi,  je  serais 
déjà  depuis  longtemps  à  Paris  (si  ce  n'tœait  été,  si  ce  n'eût 
été  l'arrivée,  etc.).  —  Voir  ci-dessus  le  conditionnel  présent, 
dernière  règle. 


I 


TKXTES  DK  I;EXTHÊWE  NORD 

ET    DE    L'EXTRÊME    SUD    WALLON 


En  ce  qui  concerne  la  graphie  emplo3'ée  ici,  il  y  a  lieu  de 
remarquer  que  : 

è  =:  e  ouvert  bref, 

é  r=r  e  id.  long, 

é  =  e  fermé, 

0  =  0  ouvert  bref, 

à  =:  o  ferme, 

H  =  u  français, 

ou  =  ou  id. 

eu  =  eu  fermé. 

e  =  eu  ouv'ert  ou  e  mu<'t  franc,  [uie], 

cm,  in,  on,  un  =  an,  in,  on,  un  fram^ais, 

w  =  \v  anglais, 

jj  =  yoâ, 

(j  est  toujours  dur, 

li  est  toujours  aspirée, 

.s  est  toujours  dure, 

fin  =  gn  français,  c'est-à-dire  n  mouillée. 

Tous  les  autres  caractères  gardent  leur  valeur  française. 

Deus  signes  séparés  par  une  barre  verticale  représentent  un 
son  intermédiaire:  ainsi,  bjii'jin,  bien,  indiijuc  une  demi 
nasale. 

Pour  plus  de  ra<'ilil(',  louic  ("lisioii  esi  représcnti'c  par  une 
apostrophe. 


'2()i>  hkvl;!-:  ui-:   i-irii.ni.oi.n-:  fi<a\(  aisi; 

^^'lTRY  (Luxembourg) 
Le  nuton 

I  (jii  è  o  pti  vilatcli'  de  V'iènèy'  en  plas'  k'  on  Ini.tc/i'  ((  d 
i^otcJi  de  nuton  ». 

.Se  rotclt  la  es'  troiwan  su  Cèic  do/  Si(r\ 

A  pou pj'è  a  niitan  dolkwas\  i gn  è  un  trou  tayè  dè/in  la 
rotcK  è  ki  va  sorti  a  e/i'  demi  euf  pu  Ion,  su  V  pastevatdt' 
de  Winvèy\  a  en' plus'  A-'  on  hutch'  osa  «  rotcJi'  de  nuton.  » 

On  di  //  es'  ti^ou  la  asté  abitè  pa  de  nuton,  k'  astl  de  p'ti  z 
oin''  ki  rC  astl  ni  pu  gvan  U  de  z  a/an  de  chij  an. 

Se p''ti  z  oni'  la  n'  astl  ni  médian,  kan  on  n^  lèz  ifé  ryèlin 

A  Uèstè,  i  vikl  avu  de  pèchon  k'  i  pêrnl  a  V  èu:\-  on  d' je 
osu  A'  i  pèrnl  de  lifèf'  a  kouvan  apvè. 

A  V  icèr,  i  d'  ni  dè/in  le  màjon  do  vilatch'  demandé  un 
hokè  d' lié/ in.  On  le  z  l  d'  né  bijè/in  v'iè  tj/è  po  n'  m  aicar  de 
mizèr  avu  z  eu. 

On  d'jé  k"  i  sari  èrtrouvi  (sic)  se  s'  Ar'  asté  perdu  è  k'  i  savl 
osa  vo  wàV  de  tôt''  sort'  de  maladl',  si  bi/é/in  j)o  le  djèjin 
k'  po  le  hés  . 

Le  otjèif  djèlin  d' Jon  kè  s'è  d'pu  A'  on  z  è  II  /'  èvanjil'  da 
Sin  Djan  aprè  la  mes'.  A'  on  n'  le  z  è  pu  vu  :  iz  on  stu  vouy 
dèpu  lor  avu  to  le  sorsyè  è  le  sorsyèr'. 

P)-iyèr  po  V  ma  d'  vint'. 

0  non  do  gran  Dye  ki  no  lem'  è  A'  è  mes'  de  to,  mal  de 
flan!  mal  dèjlan!  djè  f  konjur'  de  sorti  do  vint'  de  s' djèlin 
la  è  de  t'  a  n  aie  o  gran  bwè,  dus'  kè  V  t rouvre  a  V  plasè  ou 
a  t'  met'.  Ainsi-soit-il  ! 

Extrait 

«  Djè  ni'  sovyè/in  A'  èm'  gran  péi-'  m'è  di  un  djour  :  Valè, 
dit-i,  on  z  è  tchindjè  le  bondèn'  de  noù  kartyè  d'  Bonèmon. 
Por  mi,  s'  n'  è  ryè/in  d'  àt'  kè  la  vuHi  do  si  ki  le  z  è  tchindjè, 
ki  rcyè/in. 

((  Si  on  m'  vu  chouti  (sic),  d/'  vèron  d'  min  torto  su  f  ter 
dolfalich''  è  kan  la  vwa  krirè  ko,  dj'  rèspondron  torto  ason-n': 
«  Mè  la  dûs'  kè  t'  U  è  pri.  )) 


ri'.XTR    WALLON  JOT 

Les  nidons 

Il  y  a  au  petit  village  de  Volaiville  une  place  qu'on  In.iche 
((  aus  roches  des  nutons  )). 

Ces  roches-là  se  trouvent  sur  l'eau  de  la  Sûre. 

A  peu  près  à  mitan  de  la  côte,  il  y  a  un  trou  taillé  dans  la 
roche  et  qui  va  sortir  à  une  demi-heure  plus  loin,  sur  le 
pâturage  de  Winville,  à  une  place  qu'on  huche  aussi  «  roches 
des  nutons  ». 

On  dit  que  ce  trou-là  était  habité  par  des  nutons,  qui  étaient 
des  petits  hommes  qui  n'étaient  nient  plus  grands  que  des 
enfants  de  sis  ans. 

Ces  petits  hommes-là  n'étaient  nient  méchants,  quand  on 
ne  les-y  fait  (faisait)  rien. 

A  /'été,  ils  tiquaient  avec  des  poissons  qu'ils  prenaient  à 
l'eau;  on  disait  aussi  qu'ils  prenaient  des  lièvres  en  courant 
après. 

A  /'hiver,  ils  venaient  dans  les  maisons  du  village  deman- 
der un  hoquet  (morceau)  de  pain.  On  les-y  donnait  volontiers 
pour  ne  nient  avoir  des  misères  avec-z-eus. 

On  disait  qu'ils  savaient  retrouver  ce-c'  qui  était  perdu  et 
qu'ils  savaient  aussi  vous  garde àe  toutes  sortes  de  maladies, 
si  bien  pour  les  gens  que  pour  les  bêtes. 

Les  vieilles  gens  disent  que  c'est  depuis  qu'on-z-a  lu 
l'évangile  de-à  Saint-Jean  après  la  messe,  qu'on  ne  les  a  plus 
vus  :  ils  ont  été  [en]  voie  depuis  lors  avec  tous  les  sorciers  et 
les  sorcières. 

Prière  pour  le  mal  de  ventre 

Au  nom  du  grand  Di(.'u  qui  nous  lame  (éclaire)  et  qui  est 
maître  de  tout,  mal  de  liane  !  mal  de  flanc  !  je  te  conjure  de 
sortir  du  ventre  de  cette  gent-lkei  de  t'en  aller  au  grand  bois, 
doù  (où)  ce  que  tu  trouveras  à  te  placer  ou  à  te  mettre... 

Extrait 

«  Je  me  souviens  que  mon  grand  père  m'a  dit  un  jour  : 
Valet,  dit-il,  on-z-a  cliangé  les  bondines  (bornes)  du  neuf 
quartier  de  Bonainiont.  Pour  moi,  ce  n'est  rien  d'autre  (|ue  la 
vois  du  cil  qui  les  a  changées,  qui  revient. 

»  Si  on  me  veut  écouter, y'e  ciendrons  demain  tretous  sur  le 
terne  de  la /'alise  et  quand  la  vois  criera  encore,  y  e  répondrons 
iretous  ensemble  :  ((  Mès-la  doù  (où)  ce  que  tu  l'as  prise.  » 


•208  rryi'e  de  pliii.olor.ie  française 

Hannut    (Liège) 

Li  fi  de  mouyni 

S'èsteu  onfènèyan  ki  rC  voleaf  né  travaiji  koni'  lèz  ouloC 
fré  et  par  conséquent  les  frères  lui  en  voulaient,  è  i  di  a  s' 
matïi':  Dji  m'  va  ^nn  aie,  è  iprin  on  pani  è  on  kok  divin,  è  i 
^nn  è  va,  è  i  rof  si  Ion,  si  Ion,  k'  il  arif  din  on  payi  k'  if 
zeii  todi  neur,  Ar'  i  n'  aveu  pon  d'djou.  5"  èsteu  todi  V  ne.  E 
din  s' payi-la,  on  n'  aveu  jamê  vèyu  d'  kok.  Il  intréy'  divin 
un}  ôbèrch' po  s'  ripwazé  è  on  li  n'  rnonf  sou  k'  il  aveu  din  s' 
tchèna.  On  icêt'  si  byès'  è  on  di  :  A-'  è  s'  kiv'  z  avo  la?  No 
n'  avonjamê  vèyu  un'  byès^  konx'  sa.  —  A  !  s'  è-st-un^  byès' 
rar,  dist-i.  Dji  va  nn  è  fèprèzin  à  rwè,  pas'ki  kon  èV  va  tchonté, 
li  djou  vav'nu  è  ivafé  klér,  i  n!  àvè  pu  dondji  o?'  lonp\  li 
Solya  s'  mostéyrè  èij'rè  djou.  E  dji  so  sur  ki  li  rwè  va  m' 
rèkonpinsé.  To  lèz  om  A"'  èstin'  èkabarè  dihè:  E-s'  ki  vo  n' 
é/'  vindri  né,  è  V  plas'  di  l'aie  doné  à  rwè  ? —  Si  vo  v'io  mèC 
ottan,  dji  v'  z  èV  vindrè.  Donk,  i  Je  maiHchi  avou  to  lèz  oni 
de  kabarè,  è  kon  il  a  le  sou'  i  r' fil'  è  s'  payi  è  il  arif"  è  s' 
mohon' .  E  i  don'  se  sou  a  s'  mam'  è  idi:  mani' ,  vola  sou  k'dj'a 
gàgni.  Alou/àr,  il  èsteu  bin  vnu  èi  vikin'  fwar  bin.  Mais 
quand  l'argent  a  été  mangé,  il  fallait  de  nouveau  retravailler 
è  V  fènèyan  n'  voleufi  ko  rin  fé.  E  i  di  ko  a  s'  mam':  Dji  m  'è 
va  'nn  aie,  è  il  atrap'  un  blonk' sori  è  i  V  mè  d'  vin  un'  giyol' 
è  i  di  a  s'  mam':  Vo  n'  diro  né  ki  dj'  so  èvoujôy^  Il  è  va  si 
Ion,  si  Ion,  k'  il  arif  divin  on  payi  inkonu.  Arivé  din  un 
molion'  po  z  i  pasé  l'  né,  on  li  n'  mont'  kén'  byès'  k'  il  aveu 
la,  èjamè  din  s' payi-la  on  n'  aveu  vèyu  de  sori.  I  di  :  s'  è-st- 
un'  byès'  bin  rar'  è  dji  m'  va  èfé  prézin  à  rwè.  E  pokwè  ki 
v'  li  pwarté  s'  byès'-laf  Pas'  ki  s'  è-st-wî  byès  ,  dist-i, ki,  .s? 
vl  k'  on  seuy' ,  kon  on  mè  .s*'  deu  d'su,  on  rid'  vin  kom'  a  l'adj' 
di  vint  on.  Dji  m'  èl'  vapinf  la  à  plafon,  a  s'  clà-la,po  k'  èl' 
seuy'  bin  trankil'  è  n  mwin  matin  dji  m'  è  va  avou  po  l' 
pwarté  à  rwè.  I  va  dwarmu  Min  din  s'  mohon  la,  i  n  aveu 
un'  viy'  fèrn  di  katre-vin-z-on  k'  èsteu  su  s' lé  è  ki  n  saveuf 
pu  boudjl,  safè  ki  lèz  èjhn  dihè  :  Si  no  polin  fé  met'  lideu  di 
yran  maman  su  C  byè.s'  di  .s7  atn'-ht.  ri'  rid'  réreu  djon-n  è 
no  Hèrin'  bin  n  eureu. 


TEXTE    WALLON  209 

Le  Jlls  du  meunier.  —   C'était  un  fainéant  qui  ne  voulait 

nient  li'availler  comme  les  autres  frères 

et  il  dit  à  sa  mère  :  Je  me  vais  en  aller,  et  il  prent  un  panier 
et  un  coq  dedans,  et  il  en  en  va,  et  il  route  si  loin,  si  loin , 
qu'il  arrive  dans  un  pays  qu'il  faisait  toujours  noir,  qu'il  n'a- 
vait point  de  jour.  C'était  toujours  la  nuit.  Et  dans  ce  pays- 
là,  on  n'avait  jamais  vu  de  coq.  Il  entre  dedans  une  auberge 
pour  se  reposer  et  on  lui  demande  ce  qu'il  avait  dans  son 
*chènas.  On  regarde  sa  bête  et'on  dit  :  Qu'est-ce  que  vous  avez 
là  ?  Nous  n'avons  jamais  vu  une  bête  comme  ça.  —  Ah  !  c'est 
une  bête  rare,  dit-il.  Je  vais  en  en  faire  présent  au  roi,  parce 
que,  quand  elle  va  chanter,  le  jour  va  venir  et  il  va  faire  clair, 
il  n'y  aura  plus  danger  de  lampe,  le  *soleau  se  montrera  et  il 
fera  jour.  Et  je  suis  sûr  que  le  roi  va  me  récompenser.  Tous 
les  hommes  qui  étaient  en  le  cabaret  disent  :  Est-ce  que  vous 
ne  la  vendriez  nient,  en  la  place  de  l'aller  donner  au  roi  ?  — 
Si  vous  voulez  mettre  altretant,  je  vous  la  vendrai.  Donc,  il  fait 
marché  avec  tous  les  hommes  du  cabaret,  et  quand  il  a  les 
sous,  il  refile  en  son  pays  et  il  arrive  en  sa  maison.  Et  il 
donne  ses  sous  à  sa  mère  et  il  dit  :  mère,  voilà  ce  que  j'ai 

gagné.  Alors,  il  était  bien  venu  et  ils  oicjuaient  fort  bien 

et  le  fainéant  ne  voulait  encore  rien  faire.  Et  il  dit  encore  à 
sa  mère  :  Je  m  en  vais  en  aller,  et  il  attrape  une  blanche  sou- 
ris et  il  la  met  dedans  une  geôle  (cage)  et  il  dit  à  sa  mère  : 
Vous  ne  direz  nient  que  je  suis  envoie.  Il  il  en  va  si  loin,  si 
loin,  qu'il  arrive  dedans  un  pays  inconnu.  Arrivé  dans  une 
maison  pour-z-y  passer  la  nuit,  on  lui  demande  quelle  bête 
^a'il  av^ait  là,  et  jamais  dans  ce  pays-là  on  n'avait  vu  des 
souris.  Il  dit  :  c'est  une  bête  bien  rare  et  je  me  vais  en  faire 
présent  au  roi. —  Et  pourquoi  que  vous  lui  portez  cette  bête- 
là? —  Parce  que  c'est  une  bête,  dit-il,  qui,  si  viens  qu'on 
soie,  quand  on  met  son  doigt  dessus,  on  redevient  comme  à 
râg(;  de  vingt  ans.  Je  me  la  vais  pendre  là  au  plafond,  à  ce 
clou-là,  pour  qu'elle  soie  bien  tranquille  et  demain  matin  je 
m'en  vais  avec  pour  la  porter  au  roi.  Il  va  dormir.  Mais  dans 
cette  maison-là,  il  y  avait  une  vieille  femme  de  quatre-vingts 
ans  qui  était  sur  son  lit  et  qui  ne  savait  plus  bouger.  Ça  fait 
que  les  enfants  disent  :  Si  nous  *poulions  faire  mettre  le  doigt 
de  grand'maman  sur  la  bête  de  cet  homme-là,  elle  redevien- 
drait jeune  et  nous  serions  bien  heureus. 

liEVUli    DE    l'UILOLOGIE,    V.  14 


210  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

I  Ti  wazin  dispinf  li  giyoV ,  min  po  zi  y  ai'ivé  i  niètè  un 
tàf  è  pwi  un!  tchiyir' .  On  va  kwi  la  gran  maman,  on  V 
apwat\  on  V  nionf  su  t  tchiyir  ,  on  li  prin  s'  mwin,  è  on 
droùf  li  p'tif  giyoV  pofé  mèC  li  deu  dèl  gran  maman  su  /' 
sori,  è  ositou/6  ki  C  giyoV  è  st  oucyèf ,  li  sori  potcfi  foù  è  V 
gran  maman  n'  a  né  V  tin  di  mèf  si  deu  d'  su.  Le  djin  èstin 
pu  mwar  ki  vikon  è  i  s'  dihin  :  k'  alon  n  div  nu.  Si  li  rwè 
aprin  sa,  i  va  no  fé  kùr  din  d'  V  oujàl\  Li  fi  de  mougni  ki 
icèteuf  pa  on  p'ti  troujô  de  plontchi  aveu  to  ètindu.  A  matin 
i  s  lèf;  après  oyu  d*  djuné,  ifè  lèkons'  di  rin,  i  va  r^prinf  si 
giyoV  è  i  Vz-i  di:  A!  s'è  kom!  sa  ki  v  z  avo  li  'nn  aie  mipHif 
byès\  è  bin  !  dji  m  va  trové  li  rwè  è  dji  li  va  r^akonté  è  voz 
èftosùrk'  i  c'  va  fé  kùr  din  d'  V  ou/àl'.  Le  djin  s'  mètè  akriy  i 
è  i  priyè  an  gras'  li  fi  de  mougni  k'  i  n'  vày'  né  dir'  sa  à 
rwè,  è  k'  i  li  dou/ôron  to  s'  k'  iz  on.  E  li  fi  de  mougni  konsin. 
Il  inpli  se  pote  h''  d'où/ or  è  d'ardjin  et  vola  k'  il  è  rva  à  gran 
galo.  I  s  mètè  a  bin  viké  è  tot'lè  djin  s  aporsuvin'  ki  chak' 
koujo  ki  r  fi  de  mougni  rvineuf ,  k'  il  èsteu  fwar  ritcK  è  i 
volin  soyu  a  to  pri  ou  s'  k'  il  aveu  stl.  Min  lu,  i  n  voleuf 
jamè  j'in  dir  è  i  rèspondeuf  to  bounmin  ki  sa  n  le  r  gar~ 
deuf  né,  si  bin  ki  f  djalouziy'  le  pouseuf"  è  k"  on  bya  djou, 
i  s'  dihin'  torto  èson-n'  :  E  bin!  pisk'  i  n  vou  nin  dir  ou  s'  k' 
iva,  noV  foutron  è  pous.  On  dimègn  d  matin  iTatirin  divin 
on  kabarè  è  la  torto  d'akou/ôr  i  II  loyin  le  pi  è  le  mwin  è  V 
m,ètin  din  on  sètch\  èvolèla  parti  po  l'aie  tapé  è  pous.  Min 
kom  s'èsteu  dimègn! ,  i  soneuf  djustumin  èson-n  a  mes'  è  i 
d'hin  infz  èl  :  Pisk'  i  n  pou  ma  de  sou/àrti  de  sètch',  alon 
a  mès\  noz  alon  tapé  V  sètch'  din  V  horya  dèl  rouf .  Su  l'tin 
k'  iz  èstin'  a  mes',  vola  k'  i  vin  a  pasé  on  byèrdji  avou  un 
hèt'  di  mouton.  Li  byèrdji  kiveu  on  sètch'  la  tapé,  li  fiank'  on 
koujà  d'  sabo.  Lê-m'  la,  va,  dist-i  ;  dj'  a  de  màleur  asé.  — 
7Yn,  dist-i,  k'  è  s'  ki  f  fé  la  din  on  sètch'! — O  !  dist-i  l'ouj 
6t' ,  on  m'  vou  fé  prins'  di  Lîtch'  è  dji  n'  se  ni  skrir'  ni  lir\ 


TEXTE    WALLON  211 

Ils  n'osaient  dépendre  la  geôle,  mais  pour-z-y  arriver  ils 
mettent  une  table  et  puis  une  chaière.  On  va  guérir  la  grand' 
maman,  on  l'apporte,  onlamonte  sur  la  cAaière,  on  lui  prent 
sa  main, et  on  *droiwe  la  petite  geôle  pour  faire  mettre  le  doigt 
de  la  grand' maman  sur  la  souris,  et  aussitôt  que  la  geôle  est 
ouverte,  la  souris  *poche  (saute)  hors  et  la  grand'maman  n'a 
nient  le  temps  de  mettre  son  doigt  dessus.  Les  gens  étaient 
plus  morts  que  viquants  et  ils  se  disaient  :  Qu'allons-nous 
devenir?  Si  le  roi  apprent  ga,  il  va  nous  faire  cuire  dans  de 
l'huile.  Le  fils  du  meunier  qui  regardait  par  un  petit  trou  du 
plancher  avait  tout  entendu.  Au  matin,  il  se  lève  ;  après  avoir 
déjeuné,  il  fait  les  quanses  de  rien,  il  va  reprendre  sa  geôle 
et  il  les-g  dit:  ah!  c'est  comme  ça  que  vous  avez  laie  en 
aller  ma  petite  bête;  hé  bien  !  je  me  vais  trouver  le  roi  et  je 
lui  vais  raconter  et  vous  êtes  surs  qu'il  vous  va  faire  cuire  dans 
de  l'huile.  Les  gens  se  mettent  à  crier  (pleurer)  et  ils  prient 
en  grâce  le  fils  du  meunier  qu'il  ne*baie  nient  dire  ça  au  roi, 
et  qu'ils  lui  donneront  tout  ce  qu'ils  ont.  Et  le  fils  du  meunier 
consent.  Il  emplit  ses  poches  d'or  et  d'argent  et  voilà  qu'il  en 
reca  au  grand  galop.  Ils  se  mettent  à  bien  viquer  et  toutes  les 
gens  s'apercevaient  que  chaque  coup  que  le  fils  du  meunier 
revenait,  ^a'il  était  fort  riche  et  ils  voulaient  savoir  à  tout  pris 
où-ce  qu'il  avait  s^m^.  Mais  lui,  il  ne  voulait  jamais  rien  dire 
et  il  répondait  tout  bonnement  que  ça  ne  les  regardait  nient,  si 
bien  que  la  jalousie  les  poussait  et  qu'un  beau  jour,  ils  se 
disaient  tretous  ensemble  :  Hé  bien  !  puisqu'il  ne  veulnient 
dire  où-ce  qu'il  va,  nous  le  foutrons  en  /e  puits.  Un  dimanche 
au  matin,  ils  l'attiraient  dedans  un  cabaret  et  là  tretous  d'ac- 
cord, ils  lui  liaient  les  pieds  et  les  mains  et  le  mettaient  dans 
un  sac,  et  vois-les-là  partis  pour  l'aller  taper  en  le  puits.  Mais 
comme  c'était  dimanche,  il  sonnait  justement  ensemble  à 
messe  et  ils  disaient  entre-z-eZ.9  :  Puisqu'il  ne  peut  mal  de 
sortir  du  sac,  allons  à  messe,  nous  allons  taper  le  sac  dans  le 
*/ïo/'eaa  (fossé)  de  la  route;.  Sur  le  temps  qu'ils  étaient  à  messe, 
voilà  qu'il  vient  à  passer  un  berger  avec  une  herde  de  mou- 
tons. Le  berger  qui  voit  un  sac  là  tapé,  lui  flanque  un  coup 
de  sabot  :  Laie-n\o\  là,  va,  dit-il  ;  j'ai  du  malheur  assez.  — 
Tiens,  dit-il,  qu'est-ce  que  tu  fais  là  dans  un  sac?  —  Oh  ! 
dit-il  l'autre,  on  me  veut  faire  prince  do  Liège  et  je  ne  sais  ni 


■Jl'2  HEVrt;    DE    PHILOLOGI-E    FRANÇAISE 

dji  n  è  sai-eujamè  sou/or/i.  —  O  bin  !  si  s'  n   è  k'  sa,  dist-i 

I  byèrdji,  dji  se  bin  Lir'  è  skriv\  mi,  è  dj-  vou  bin  aie  è  { 
plas\  I  disloujôif  li  sètch'  è  i  l'/'ê  soii/àrti  è  i  mous'  divin. 
Kon  l  mes'  èfiniif ,  lèz  om  vinè  r'prinf  leu  sètcli  è  /'  von 
tapé  è  pous  è  to  kontin  i  rintrè  din  leu  vitjatcK  a  to  d'hon.  I 
n^  no  vèrè  pu  anbètè  avou  se  ritchès\  sit-la.  Min  vola  ki  C 
prunii  A''  i  oèyè,  sèsteu  bin  V  fi  de  mougni  aoou  un'  bel'  hèt' 
di  mouton.  Po  s'  koujo  la,  i  pinsin'  ki  l'  dyàV  se  mèleuf  è  i 

II  n'mondin  :  A!  galyàr,  t'è  ko  un  fiy  riv  nul —  O  bin  ! 
dist'i,  ou-s'  ki  v'  m'avé  sti  tapé,  kon  on  n  è  st  à  /on,  on  veu 
tôt'  le  7'itchès'  k' on  pou  sondji.  Dji  poleuf  tchùzi  d'oyu  la  on 
bya  tchèstya  ou  bin  un  vwèter'  a  kat'  tchivà  è  mi  dj  a 
tchùzi  un'hèt'  di  mouton.  La  d'su^  lès  om'  si  d  hin  :  E  bin  ! 
noz  iron  osi,  è  ositou/ô  i  d'hè  sa  a  leu  parin  è  il  è  von  torto 
po  z  aie  tchùzi  de  trèzouj ôr  din  /'  pous.  Il  l  sàt'lin  a  V  pu 
vit'  è  djusk'à  viyè  fèm'  ki  s'i  f'zin  miné.  Si  bin  k'iz  on  sti 
torto  touwé  èk^  a  l' fin  li  pous  ènn  a  sti  to  innpli. 

Li  pavadi  dèz  aw'  (1). 

On  vî  kuré  vikeuf  aoou  s'maseur  è  il  aveu  l'non  d'oyu  on 
gvo  trèzou/àr.  On  malin  aveu  Vidéy  d'oyu  to  sou  k'il  aveu. 

On  djou,  a  /'ne,  il  intréy  din  Cèglis'  e  i  va  soné  din  Vtour. 
Li  kuré  di  a  s'maseur  :  Min,  k'è  s'A'  i  n  a  èl  èglis'  ?  I  va 
veuyè  i  n  mont'  :  K'è  s'kè  la  f  —  C'est  un  ange  de  Dieu  qui 
vous  appelé  pour  vous  dire  ce  qu'il  faut  faire  pour  aller  en 
paradis.  —  Ah  bien  !  je  suis  prêt  à  faire  tout  ce  qu'il  faut 
faire.  —  Hé  bien  !  il  faut  donner  tout  votre  argent  et  puis  je 
suis  chargé  de  vous  conduire  en  paradis.  —  S'il  ne  faut  que 
ça,  dist-i  l'kurè,  je  vais  vous  le  chercher.  E  i  va  kwi  si 
trèzouj àr.  Si  pou/àfmaseur  li  n'mont'  :  Ou  w  è  s'  ki  vz  alo 
avou  to  vo  kicdr.  —  O  bin!  dji  va  st  aie  en  paradis  et  l'ange 
de  Dieu  est  venu  ra'appeler,  mais  il  faut  que  je  lui  porte  tout 
notre  argent.  Min,  mdlureu,  avou  kwè  va-dj'  vikéf  —  Obin! 
maseur,  vo  vèré  en  paradis  aprè  mi.  Vola  l'kuré  ki  s'è  va 
avou  tôt'  si.  bous'  è  i  va  l'mùt'  à  pi  d'I'anch'  k'ès^teud'vin  l'tour. 
Aloujôr  i  di  :  Vo  m'aie  ptrarté  en  paradis.  —  Dji  va  v'  bander 

(1)  La  luirralrice  se  leul  coinplc  que  ceci  n'est  plus  que  l'épisode 
liiial  d'un  coule,  dont  elle  a  oublié  le  commencement. 


J 


TEXTE    WALLON  213 

écrire  ni  lire,  je  n'en  saurais  jamais  sortir.  —  Oh  bien  !  si  ce 
n'est  que  ça,  dit-il  le  berger,  je  sais  bien  lire  et  écrire,  moi,  et 
je  veus  bien  aller  en  ta  place.  Il  délie  le  sac  et  il  le  fait  sortir 
et  il  musse  dedans.  Quand  la  messe  est  finie,  les  hommes 
viennent  reprendre  leur  sac  et  le  vont  taper  en  le  puits  et  tout 
contents  ils  rentrent  dans  leur  village  à  tout  disant  :  Il  ne 
nous  viendra  plus  embêter  avec  ses  richesses,  cist-là.  Mais 
voilà  que  le  premier  qu'ils  voient,  c'était  bien  le  fils  du  meu- 
nier avec  une  belle  herde  de  moutons.  Pour  ce  coup-là,  ils 
pensaient  que  le  diable  s'en  mêlait  et  ils  lui  demandaient  : 
Ah  !  gaillard,  tu  es  encore  une^^e  revenu  ?  —  Oh  bien  !  dit- 
il,  où-ce  que  vous  m'avez  stiut  tapé,  quand  on  est  au  fond,  on 
voittoutes  les  richesses  qu'on  peut  songer.  Je  *poulais  choisir 
d'avoir  là  un  beau  château  ou  bien  une  voiture  à  quatre  che- 
vaus  et  moi  j'ai  choisi  une  herde  de  moutons.  Là-dessus,  les 
hommes  se  disaient  :  Hé  bien  !  nous  irons  aussi,  et  aussitôt 
ils  disaient  ça  à  leurs  parents  et  ils  en  vont  tretous  pour-z- 
aller  choisir  des  trésors  dans  le  puits.  Us  y  sautelaient  à  la 
plus  vite  et  jusqu'aus  vieill-és  femmes  qui  s'y  faisaient  mener. 
Si  bien  qu  ils  ont  stiut  tretous  tués  et  qu'à  la  fin  le  puits  en  a 
stiut  tout  rempli. 

Le  paradis  des  oies. 

Un  vieus  curé  piquait  avec  sa  ma  sœur  et  il  avait  le  nom 
d'avoir  un  gros  trésor.  Un  malin  avait  l'idée  d'avoir  tout  ce 
qu'il  avait. 

Un  jour,  à  la  nuit,  il  entre  dans  l'église  et  il  va  sonner 
dans  la  tour.  Le  curé  dit  à  sa  ma  sœur  :  Mais,  qu'est-ce  qu'rV 
a  en  l'église?  Il  va  voir  et  il  demande  :  Qa'est-ce  qu'est  là? 

—  C'est  un  ange 

Et  il  va  quérir  son  trésor.  Sa  pauvre  yna  sœur 

lui  demande  :  Où  est-ce  que  vous  allez  avec  tous  voh  quarts'^ 

—  Oh  bien!  je  vas-st-sdlor  en  paradis  et 

Mais,  malheureus,  avec  quoi  rfl.s-je  viquerlf 

Oh  hen!  ma  sœur,  vous  viendrez  en  paradis  après  moi.  Voilà 
le  curé  qui  s'en  va  avec  toute  sa  bourse  et  il  va  la  mettre  aus 
pieds  de  l'ange  ^a'était  dedans  la  tour.  Alors  il  dit  :  Vous 
m'allez  porter  en  paradis.  —  Je  vas  vous  bander  les  yeus  et 


214  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

les  yeus  é  dji  r'  pwarCrè  en  paradis.  /  Vfè  mèV  din  on  sètch' 
è  i  l'prin  sus'do.  Min  a  to  disr/indon  le  gré  dèl  tour,  li  sètcJi' 
tokeuf  su  lé  gré  è  Vpou/6f  kuré  kriyeuf'è  Vandi  U  rèspon- 
deuf  :  Courage,  c'est  pour  le  bon  Dieu.  Krokl  Jèzu.  Arivé 
en  bas  des  escaliers,  Vanf  va  avou  tsètcK  li  mèf  din  li  stà 
dèz  aw  è  i  rsèr  toux  (1).  Li  -pou/ôf  maseur  ki  hrèijeuf 
si /ré  è  ko  pu  s'  trèzoujôr,  va  à  matin  po  sogni  sèz  aie  .  ET 
veu  on  sètcK  è  èV  ètin  djèmi  :  K'ès^  k'è  la?  —  O !  s'è  mi, 
maseur,  dji  so  st  en  paradis^  c?on?  L'ancK  ni  a  pwarté  en 
paradis.    O  bin!   nionfré,   voz  esté  è  paradi  dèz  aw'  vèsi! 


R'ièf  ti  krès',  mon  coq. 

/  n  aveu  un  fera  k'èsteu  todi  malàC  è  éZ'  vogeuf  si  t  orn 
a  to  lé  sin  k'èV  sondjeuf  po  z  ohtinr  si  gèrizon.  On  djou,  i 
rèskontréy'on  pou/ôfki  v'neuf  todi  ri  mondé  V charité  è  s 
mohon  è  li  vi  y  orn  li  di  :  Voz  avo  bin  Vèr  anoyeu,  monsyeu. 
K'è  s  ki  vz  avo,  don"? —  0  bin!  mi  pou/of  fènx  è  todi  malàC 
è  dji  nsé  kwèfépo  Vrifé.  E  bin!  kén  maladiy  a-t-èV ,  don? 
—  Dji  ne  se  rin.  Min  èC  mi  vou/ôy  a  to  le  sin  to  kosté.  — 
E  bin!  mi,  dji  se  bin  s'  maladiy,  dist-i  li  vi  pou/ôf\  è  si  vo 
volo  niJiouté,  dji  v  frè  veuy  sou  k'èl'a  è  èl'  sèrè  vif  rifèt'.  — 
E  bin!  dji  vou  bin,  vo  nirindri  bin  on  gron  servis'  ! 

Li  vipoujôf  k'aveu  todi  on  hof  a  s' do,  ou  sk'i  mèteuf  a 
fiy'  dèpolè,  li  di  :  Lntré  è  m'hof  è  vo  nboudj'ro  né,  ton  k'dji 
v'  houk'rè.  Li  vi  pou/ô/'è  va  avou  s'  hof  a  s'do  è  arif  a 
Vnè  è  V mohon'  dèï  fèrn  Tofli  mohon  èsteuf  en  réjouissance. 
On  z  aveufè  on  bon  sopé,  i  n  aveu  de  kuré  invité,  k'èstin  le 
ptit-è  konèsans  dèV  fèni.  Kon  li  pou/ôf  veu  ki  madanri 
èsteu  bin  djoyeus  è  en  train  d'sopé,  i  droùf  si  hof  è  i  kriy 
a  Corn  k'èsteu  d'vin  :  R'ièf  ton  (sic)  krès,  mon  coq,  é  I'otïi  prin 
s  baston  è  i  k'mins'  a  flanké  on  bon  ratournéy'  a  s'jèrnè  a 
to  le  si  k'èstin  la.  Li  fèm  a  stl  r'fèf  po  todi  è,  po  l'  rèkon- 
pinsé,  fom'  apri  fvi  pou/6 f  avou  lu  korn  dômèstik'. 

(1)  L'a;  représentera  ici  le  ch  allemaud  dous  dans  icii,   mic/i,  etc. 


TEXTE    WALLON  215 

je  VOUS  porterai  en  paradis.  Il  le  fait  mettre  dans  un  sac  et  il 
le  prent  sur  son  dos.  Mais  à  tout  descendant  les  grés  de  la 
tour,  le  sac  toquait  sur  les  grés  et  le  pauvre  curé  criait  et 

l'ange  lui  répondait  : Croc  ! 

Jésus.  Arrivé  en  bas  des  escaliers,  l'ange  va  avec  le  sac  le 
mettre  dans  l'étable  des  oies  et  il  r^esserre  l'huis. 

La  pauvre  ma  sœur  qui  hrayait  (pleurait)  son  frère  et 
encore  plus  son  trésor,  va  au  matin  pour  soigner  ses  oies. 
Elle  voit  un  sac  et  elle  entent  gémir  :  Qa'est-ce  quesX  là?  — 
Oh  !  c'est  moi,  ma  sœur,  je  suis-s/-en  paradis,  n'est-ce  pas?  — 
Oh  ben!  mon  frère,  vous  êtes  en  le  paradis  des  oies  *oaici  ! 

Relève  ta  crête,  moji  coq. 

Il  avait  une  femme  qu'était  toujours  malade  et  elle  (en) 
voyait  son  homme  à  tous  les  saints  pour-^-obtenir  sa  gué- 
rison.  Un  jour,  il  rencontre  un  pauvre  qui  venait  toujours 
demander  la  charité  en  sa  maison,  et  le  viens  homme  lui  dit  : 
Vous  avez  bien  l'air  ennmjeus,  monsieur!  Qu'est-ce  que 
vous  avez,  donc?  —  Oh  hen!  ma  pauvre  femme  est  toujours 
malade  et  je  ne  sais  quoi  faire  pour  la  refaire.  Hé  ben!  quelle 
maladie  a-t-elle,  donc?  —  Je  n'en  sais  rien.  Mais  elle  m' 
(en)voie  à  tous  les  saints  tout  côté.  —  Hé  ben!  moi,  je  sais 
bien  sa  maladie,  dit-il,  le  viens  pauvre,  et  si  vous  voulez 
m'écouter,  je  vous  ferai  voir  ce  qu'elle  a  et  elle  sera  vite 
refaite.  —  Hé  ben!  je  veus  bien,  vous  me  rendriez  bien 
un  grand  service  ! 

Le  vieus  pauvre  ^w'avait  toujours  une  hotte  à  son  dos,  où- 
ce  çM'il  mettait  à  ^^es  des  poulets,  lui  dit  :  Entrez  en  ma 
hotte  et  vous  ne  bougerez  nient,  tant  que  je  vous  hacherai. 
Le  vieus  pauvre  en  va  avec  sa  hotte  à  son  dos  et  arrive  à  la 
nuit  en  la  maison  de  la  femme.  Toute  la  maison  était  en 
réjouissance.  On-^-avait  fait  un  bon  souper,  il  avait  des  curés 
invités,  qu'étaient  les  petit-ès  connaissances  de  la  femme. 
Quand  le  pauvre  voit  que  madame  était  bien  joyeuse  et  en 
train  de  souper,  il  *drouve  sa  hotte  et  il  crie  à  l'homme  qu  était 
dedans  :  Relève  ton  crête,  mon  coq,  et  l'homme  prent  son 
bâton  et  il  commence  à  flanquer  une  bonne  ratournée  à  sa 
femme  et  à  tous  les  cils  (/^'étaient  là.  La  femme  a  stiut 
refaite  pour  toujours,  et,  pour  le  récompenser,  l'homme  a 
pris  le  vieus  pauvre  avec  lui  comme  domestique. 


216  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 


Li  fou. 

UrC  jpoujôf  fèrrC  n'aceu  k'onfi  k^èsteu  ènosinè  ki  njizeuf 
jamè  rin  koni'  un  oujôV.  On  djou,  él'  li  di  :  Aie  tiré  dèV 
bir\  Lifou  -prin  on  fuzik'  è  va  tiré  din  Vtonija.  Màlureu, 
k'èl'  li  di,  k'è  s'ki  t'afè,  faflanké  tof  nos'  bîr^  à  dr/dl'.  Va 
mèf  lifeu  è  for,  ivè  la,  po  kùr  nos'  picin.  Vola  Vfou  ki 
ramas'  to  le  fago  è  to  le  strin  kH  pou  trové  è  ki  fou  Vfeu 
din  C  forni. 

JJri!  oujôCkoujô,  èV  li  di  :  Viii,  noz  iron  à  bwè,  dispèicK- 
tu  è  hètcli  (1)  Voux  a  Vdo.  Li  fou  aràtf  Voux  è  il  è  va  en 
Vpwarton  su  s'do.  Arivé  à  bwè,  il  ètindè  de  voleur  ki  v'nii}' 
è  Ifèm  di  a  s'fi  :  Monton  vif  sur  un  dp'  ou,  sin  kwè,  le 
voleur  von  no  touwé.  I  monté  abiy  su  Vàp  è  djustumin  lé 
voleur  v'nè  d'zo  po  konté  to  leur  kwàr.  Iz  avin'  osi  on 
djonbon  è  to  contents  i  s^mètè  a  magni  on  bokè.  To  d^on 
kou/ô'  i  n  a  onk  di  z  èV  ki  di  :  Ké  damatch  ki  no  n'acon  né 
dèV  mostàf  è  in'  nyèt'  di  vinêk\'  Lifou  k'esteu  su  Vàp'  aveu 
un'  téV  sogn'  kH  di  a  s'mam'  :  Mam\  df  a  dondji  di  fé 
m'komisyon.  E  t  fèm'  diheuf"  :  Màlureu,  tu  va  no  fé  k'nox'. 
—  Dji  n  sàreujamè  pu  mi  r'tinr'.  En  min-m'  tin,  i  s'mèafé 
s' komisyon  è  a  pihi.  Le  voleur  pinsin  ki  Vhon  Dyu  Vz  i 
avoyeuf  dèl'  mostàf  è  de  vinèk',  kom'  il  avin  dimondé. 
Min  to  d'on  kou/ô  li  fou  k'aveuf  todi  s'pwaf  a  s'do,  di  a 
s'mam'  :  Mam\,  dji  nsàreu  jamè  pu  tim^'  Voux  è  patatri, 
patatra,  vola  Vpwaf  ki  dègringoV  è  ki  toum  dreu  su  le 
voleur.  Vola  ki  pinsè  ki  s'è  Vhon  Dyu  ki  vou  lèz  asomé,  i 
s'mètè  a  s'  sdvé  è  il  abandonè  to  leu  sètclf.  Alou/ôr  lifou  ki 
vèyeuf  to  lé  kwàr  a  Vtèr\  disyin  avou  s'  mam\  I  ramasè  to 
Vardjin  è  i  s'è  r'von  à  gron  galo. 

(1)  Eœ  4-  a.  fr.  sar/iicr. 


TEXTE    WALLON  217 


Le  fou. 

Une  pauvre  femme  n'avait  qu'un  fils  ç'w'était  innocent  et 
qui  ne  faisait  jamais  rien  comme  un  autre.  Un  jour,  elle  lui 
dit  :  Allez  tirer  de  la  bière.  Le  fou  prent  un  *fusique,  et  va 
tirer  dans  le  tonneau.  Malheureus,  r/^t'elle  lui  dit,  qu'est-ce 
que  tu  as  fait,  tu  as  flanqué  toute  notre  bière  au  diable  !  Va 
mettre  le  feu  en  le  four,  tieiis  là!  pour  cuire  notre  pain.  Voilà 
le  fou  qui  ramasse  tous  les  fagots  et  tous  les  éirains  qu'il 
peut  trouver  et  qui  f...  le  feu  dans  le  fournil. 

Un  autre  coup,  elle  lui  dit  :  Viens,  nous  irons  au  bois, 
dépêche-toi  et  sache  Thuis  à  ton  dos.  Le  fou  arrache  l'huis 
et  il  en  va  en  le  portant  sur  son  dos.  Arrivé  au  bois,  ils 
entendent  des  voleurs  qui  venaient  et  la  femme  dit  à  son  fils  : 
Montons  vite  sur  un  arbre  ou  sans  quoi  les  voleurs  vont 
nous  tuer.  Ils  montent  habile  (vite)  sur  l'arbre  et  justement 
les  voleurs  viennent  dessous  pour  conter  tous  leurs  quarts. 
Ils  avaient  aussi  un  jambon  et  tous  contents  ils  se  mettent  à 
magner  un  hoquet.  Tout  d'un  coup,  il  en  a  *unque  à.Q-z-els 
qui  dit  :  Quel  dommage  que  nous  n'avons  nient  de  la  mou- 
tarde et  une  miette  de  vinaigre!  Le  fou  (/«'était  sur  l'arbre 
avait  une  telle  sogne  qu'il  dit  à  sa  mère  :  Mère,  j'ai  danger 
(besoin)  de  faire  ma  commission.  La  femme  disait  :  Malheu- 
reus ,  tu  vas  nous  faire  connaître.  —  Je  ne  saurais  jamais  plus 
me  retenir.  En  même  temps^  il  se  met  à  faire  sa  commission 
et  à  pisser.  Les  voleurs  pensaient  que  le  bon  Dieu  les  y 
envoyait  de  la  moutarde  et  du  vinaigre,  comme  ils  avaient 
demandé.  Mais  tout  d'un  coup,  le  fou  ^/t'avait  toujours  sa 
porte  à  son  dos,  dit  à  sa  mère  :  Mère,  je  ne  saurais  jamais 
plus  tenir  l'huis  et  patatri,  patatra,  voilà  la  porte  qui  dégrin- 
gole et  qui  tume  droit  sur  les  voleurs.  Voilà  qu'ils  pensent 
que  c'est  le  bon  Dieu  qui  veut  les  assommer,  ils  se  mettent  à 
se  sauver  et  ils  abandonnent  tous  leurs  sacs.  Alors  le  fou  qui 
voyait  tous  les  quarts  à  la  terre^  descent  avec  sa  mèi'c.  Ils 
ramassent  tout  l'argent  et  ils  s'en  revont  au  grand  galop. 


318  REVUE    PE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 


Grizalî. 

On  poulàf  cl  y  oni  k'on  noineur  Ginz-ali  rCaveu  khin' 
poy'  è  on  sètch\  E  i  roteuf"  tof  li  djournérf  a  to  n^mondon 
Vcharité  è  a  Une  i  tokeufa  un'  nxolion  :  K es'  Uè  la? —  S'è 
Grizali.  —  K'è  s^k'i  vouf  —  /  vou/àr'eu  hin  a  lodji  jior  lu  è 
pos^porj'.  —  Ohin!  Grizali,  no  v'iod/'ron  hin,  min  no  navon 
né  de  poy\  no  n''avon  A-'  dèz  aw\  —  O  hin!  mété  ni^ poy^  avou 
voz  aic\  ô  !  E  vola  Grizalî  ki  va  dicarniu  aprèz  oyu  niètu 
s'poy'  avou  lèz  aw\  Li  matin,  i  s'  lèf  è  on  li  don'  un  jaf  di 
kafè  è  i  vou  aie  rpririfsi  poy\  Min  lèz  aie  Vavin  ton 
hètcht,  k'èr  èsteu  touicéy\  Grizali  s'inè  a  kriyi  è  i  di  :  Dji 
so  riciné!  Dji  naveu  k'un  poulôf  poxf  è  èV  è  touwéy\  —  E 
bin!  Grizali,  pirdo  un  aïo'  èV  plas\  Grizali  prin  un  aw\ 
li  mè  din  s'  sètch'  è  il  è  va  avou. 

Kon  il  a  roté  tof  li  djournèy  ,  il  ariv  din  un  mohon'  è 
i  n'monf  a  lodji.  ICè  s'kè  la'?  Etc.,  etc..  min  no  n'avon  k'dè 
poursya.  I  fàrè  nfièf  vost  aw  avou  le  poursya.  Li  matin, 
Grizali  s'ièf  è  aprèz  oyu  hu  Vkafè,  i  vou  aie  r'prinf  si  t 
aiv  .  Min  kon  on  droùf  li  std,  raie'  èsteu  magniy\  Vola 
Grizali  kis'mè,  etc.,  etc.  E  hin!  Grizali,  vo  n'avo  k'a  prinf 
onk  di  no  poursyaè  nriv'nojiu. 

Grizali  tchèseuf  si  poursya  è  il  èsteu  hin  kontin.  E  a  Vnè, 
ifaleuf  ko  lodji,  i  va  toké  a  on'  piiit'  sins'-  ICè  s'/c'é  laf  — 
Etc.,  etc.,  min  no  n'avon  k'dè  vatcli  .  —  Bin,  mèté-V  avou 
vo  vatcK ,  6,  dist-i.  On  mè  V poursya  din  li  std  de  vatcKè 
Grizali  va  dwarmu.  Li  matin,  i  vou  aie  rkici  s  poursya, 
min  le  vatcli  s'avin'  dislou/àyi  è  èlï  avin'  ton  soukè  Vpour- 
sya  k'il  èsteu  mwar.  Vola  Grizali,  etc.,  etc.  —  Se  st  on 
màleur,  min  no  ne  p'ian  rin.  —  A  bin!  vo  z  è  p'io  iodi, 
dist-i,  s'é  vo  vatcli  ki  Von  touicé.  —  Savo  bin  kwè,  Grizali? 
Pirdo  on   vatcJi   è  n'rivnojamè  pu. 

Vola  Grizali  ki  prin  on'  bèV  vatcîi  è  il  è  va  avou  è  il  èsteu 
bin  kontin  è  i  diheuf  :  Ké  damatcK  ki  s'n'è  né  on  tclifà. 
Dji  montreu  d'su.  I  rot'  djusk'a  Vfin'  neur'nè  è  i  va 
n  mondé  a  lodji  addé  on  marichon  di  tcKfà.  Tok,  tok,  a 
Voux.   K'è  s'k'è  la?  Etc.,  etc Bin,  vo  Vmètro  avou  le 


TEXTE    WALLON  219 

Groseiller.  —  Un  pauvre  vieus  homme,  qu'on  nommait  Gro- 
seiller,  n'avait  qu'une  poule  et  un  sac.  Et  il  routait  toute  la 
journée  à  tout  demandant  la  charité  et  à  la  nuit  il  toquait  à  une 
maison  :  Qa'est-ce  qu'est  là?  —  C'est  Groseiller.  —  Qu'est-ce 
qu'il  veut? —  Il  voudrait  bien  à  loger  pour  lui  et  pour  sa  poule. 

—  Oh  ben!  Groseiller,  nous  vous  logerons  bien,  mais  nous 
n'avons  nient  des  poules,  nous  n'avons  que  des  oies.  —  Oh 
ben!  mettez  ma  poule  avec  vos  oies,  oh!  Et  voilà  Groseiller 
qui  va  dormir  après  avoir  mettu  sa  poule  avec  les  oies.  Le 
matin,  il  se  lève  et  on  lui  donne  une  jatte  de  café  et  il  veut 
aller  reprendre  sa  poule.  Mais  les  oies  l'avaient  tant  becquée, 
qu^elle  était  tuée.  Groseiller  se  met  à  ctner  (pleurer)  et  il  dit: 
Je  suis  ruiné!  Je  n'avais  qu'une  pauvre  poule  et  elle  est  tuée  ! 

—  Hé  ben!  Groseiller,  predez  une  oie  en  la  place.  Groseiller 
prent  une  oie,  la  met  dans  son  sac  et  il  en  va  avec. 

Quand  il  a  routé  toute  la  journée,  il  arrive  dans  une  maison 
et  il  demande  à  loger.  Qu'est-ce  ç'u'estlà?  Etc.,  etc.,  mais 
nous  n'avons  que  des  pourceaus.  Il  faudra  mettre  votre  oie 
avec  les  pourceaus.  Le  matin,  Groseiller  se  lève,  et  après 
avoir  bu  le  café,  il  veut  aller  reprendre  son  oie.  Mais  quand 
on  *drouve  l'étable,  l'oie  était  mangée.  Voilà  Groseiller  qui 
se  met,  etc.,  etc..  Hé  ben!  Groseiller,  vous  n'avez  qu'à 
prendre  *unque  de  nos  pourceaus  et  ne  revenez  plus. 

Groseiller  chassait  son  pourceau  et  il  était  bien  content. 
Et  à  la  nuit,  il  fallait  encore  loger,  il  va  toquer  à  une  petite 
censé.  Qu'est-ce  qu'est  là?  —  Etc.,  etc.,  mais  nous  n'avons 
que  des  vaches.  —  Ben!  mettez-le  avec  vos  vaches,  oh!  dit-il. 
On  met  le  pourceau  dans  l'étable  des  vaches  et  Groseiller  va 
dormir.  Le  matin,  il  veut  aller  requérir  son  pourceau,  mais 
les  vaches  s'avaient  délié  et  elles  avaient  tant  *suqué  (donné 
des  coups  de  corne)  le  pourceau,  qu'il  était  mort.  Voilà 
Groseiller,  etc.,  etc.  C'est  un  malheur,  mais  nous  n'en 
*poulons  rien.  —  Ah  ben!  vous  en  *poulez  toujours,  dit-il, 
c'est  vos  vaches  qui  Tont  tué.  —  Savez  bien  quoi,  Groseiller? 
Predez  une  vache  et  ne  revenez  jamais  plus. 

Voilà  Groseiller  qui  prent  une  belle  vache  et  il  en  va  avec 
et  il  était  bien  content  et  il  disait  :  Quel  dommage  que  ce 
n'est  nient  un  cheval.  Je  monterais  dessus.  Il  route  jusqu'à 
la  fine  noire  nuit  et  il  va  demander  à  loger  à  delez  un 
marchand  de  chevaus.  Toc,  toc,  à  l'huis.  Qa'fcSt-ce  ç'w'est 
là?  Etc.,  etc..  Ben,  vous  la  mettrez  avec  les  chevaus.  Voilà 


"320  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

tch'fà.  Vola  Grizali  ki  va  dwarmu.  Li  matin,  le  tcK fà 
avin'  ton  pité,  ton  pité  Vcatcli ,  k^èV  aveu  deu  djonp'  kaséy' 
è  k'èV  èsteu  prêt'  a  kî'ècé.  Vola  Grizali  ki,  etc.,  etc.-.  Tu 
nak'a  prinfon  tcKfà,  mi,  dji  va  touwé  VvatcK  è  on  Vmagnrè. 
Vola  s'kou/ô-la  Grisali  k'èsteu  bin  kontin.  I  mè  s'sètch' 
su  li  tcNfà,  i  mont'  disu  è  i  s'di  :  Dji  m'ca  st  aie  Uvinf  a 
Vfoujôr  è  dj  ôrè  brâmin  de  kivâr  por  mi  viké.  I  va  din 
^nou/àbèrcJi  po  lodjl  è  i  mè  si  icKJ'à  din  Vèkuriif.  Min 
kojn  li  tell  f à  èsteu  fccar  kroté,  li  servant'  di  rou/ôbèrcJi 
vou  l'aie  rispômé  à  batcli,  min  maleureus''min  il  aveu  tourné 
de  vèrgla  è  vola  li  tclifà  ki  g  lis'  è  ki  s'kas'  un  djonp\ 
Kon  Grizali  s'ièf,  i  veu  si  tcli'fn  k'aveu  un  djonp'  kasét/  è 
i  s'mè  a  brèr.  Etc.,  etc.  E  bin,  pirdo  rsèrvanV.  —  E 
bin!  pisk'i  s'é  st  insi,  dji  va  l'prinf  avou  mi.  El'  ni  vleuf 
né  roté,  i  Vfè  intré  è  sètcK  è  i  l'pwaV  a  s'do.  Il  arif 
alou/ôr  bin  nàhi  (1)  a  Vnèpo  lodji  din  un  mohon\  Tok, 
tok.  K'è  s'kè  laf  Etc. ,  etc..  I  vou/6reuJ"  bin  a  lodji  por  lu 
è  po  s'  sètch\  —  A  bin!  no  vlodj'ron  bin,  m,in  m,èté  vos' 
sètch'  padri  l'oux.  I  l'mè  è  i  va  dwarmu.  S' èsteu  djustumin 
li  djou  dèl'  novèl  on  è  on  f'zeuf  le  galet'  è  l'/èm'  de  l 
mohon'  di  kom'sa  :  Enn  avo  torto,  mè  z  èfon,  de  galet'  ? — ' 
Inapu  k'mi,  màrèn'.  —  K'è.s'ki  di  sa'?  Vola  k'on  hoiW 
è  s'èsteu  din  l'sètch'.  On  l'dislou/ôy',  èV  rakont'  l'istwèr' 
è  èl'  di  :  Si  vo  pou/àri  m'sdvé.  Vola  k'iè  djin  d'hè  :  Noz 
alon  v'katchi  è  no  rinplix'ron  l'sètch'  di  tôt'  sou/àrt'.  On 
ramaS'  de  pir  ,  de  gazon,  on  n  atrap'  de  ra,  de  sori  è  on 
rinpli  l'sètch'  di  to  sa.  E  Grizali,  d  matin,  r'prin  s'  sètch'  su 
s' do  è  il  è  va. 

Min  il  èsteu  bin  pèzon  è  Grisait  diheuf  tôt'  si  vou/ôg'  : 
Dji  t'a  pwarté,  min  tu  m'pwat'rè,  va!  A  l'fin,  il  èsteu  si 
nàhi,  k'i  tap'  si  sètch'  a  l'tèr'  è  k'i  di  :  S'è  st  a  ftour  a 
m'pœarté.  E  kon  i  droùf  .s/  sètch' ,  i  n  a  tôt'  le  byès'  ki 
potchè  foù  è  ki  s'sâvè  din  tut'  li  konpagn  .  E  Grizali  ki 
krigeuf"  todi  :  Tarravinèt!  Tarravinèt !  èina  puinnk'a 
r'vinu  din  s'sètch'  è  il  a  todi  sti  n'mondé  l'charité  è  i  n'a 
jamè  pu  rin  ogu. 

(1)  Nnuseatut<,  Houning,  ZcUxclu-ift.  ix,  490. 


TEXTK    WALLON  221 

Gi'oseillor  qui  va  dormir.  Le  matin,  les  chcVcius  avaient  tant 
*pité  (rué),  tant  *pité  la  vache,  qu'elle  avait  deus  jambes 
cassées  et  qu'elle  était  prête  à  crever.  Voilà  Groseiller 
qui,  etc.,  etc..  Tu  n'as  qu'à  prendre  un  cheval,  moi,  je  vais 
tuer  la  vache  et  on  la  magnera. 

Voilà  ce  coup-là  Groseiller  ^a'était  bien  content.  Il  met  son 
sac  sur  le  cheval,  il  monte  dessus  et  il  se  dit  :  Je  me  vais 
aller  le  vendre  à  la  foire  et  j'aurai  bracement  des  quarts 
pour  moi  virjuer.  Il  va  dans  une  auberge  pour  loger  et  il 
met  son  cheval  dans  l'écurie.  Mais  comme  le  cheval  était 
fort  crotté  ,  la  servante  veut  l'aller  laver  au  bac ,  mais 
malheureusement  il  avait  tumé  du  verglas  et  voilà  le  cheval 
qui  glisse  et  qui  se  casse  une  jambe.  Quand  Groseiller  se 
lève,  il  voit  son  cheval  ^^a'avait  une  jambe  cassée  et  il  se  met 
à  braire  (pleurer).  Etc.,  etc..  Hé  ben,  predez  la  servante.  — 
Hé  ben!  puisque  c'est  ainsi,  je  vas  la  prendre  avec  moi. 

Elle  ne  voulait  nient  router,  il  la  fait  entrer  en  le  sac  et 
il  la  porte  à  son  dos.  Il  arrive  alors  bien  fatigué  à  la  nuit 
pour  loger  dans  une  maison.  Toc,  toc  Qa'est-ce  qu'Q'&X 
là?  Etc.,  etc..  Il  voudrait  bien  à  loger  pour  lui  et  pour  son 
sac.  —  Ah  bien!  nous  vous  logerons  bien,  mais  mettez  votre 
sac  parrferfe/'  l'huis.  Il  le  met  et  il  va  dormir.  C'était  juste- 
ment le  jour  de  la  nouvel  an  et  on  faisait  les  galettes  et  la 
femme  de  la  maison  dit  comme  ça  :  En  avez-(vous)  tretous, 
mes  enfants,  des  galettes?  —  //  n'a  plus  que  moi,  marraine. 
—  Qa'est-ce  qui  dit  ça?  Voilà  qu'on  écoute  et  c'était  dans  le 
sac  On  le  délie,  elle  raconte  l'histoire  et  elle  dit  :  Si  vous 
pourriez  me  sauver!  Voilà  que  les  gens  disent  :  Nous  allons 
vous  cacher  et  nous  remplirons  le  sac  de  toutes  sortes.  On 
ramasse  des  pierres,  des  gazons,  on  attrape  des  rats,  des 
souris  et  on  remplit  le  sac  de  tout  ça.  Et  Groseiller,  au  matin, 
reprent  son  sac  sur  son  dos  et  il  en  va. 

Mais  il  était  bien  pesant  et  Groseiller  disait  toute  sa  voie  : 
Je  t'ai  porté,  mais  tu  me  porteras,  va!  A  la  fin,  il  était  si 
fatigué,  qu'il  tape  le  sac  à  la  terre  et  qu'il  dit  :  C'est  à  ton 
tour  à  me  porter.  Et  quand  il  *drouve  son  sac,  il  a  toutes  les 
bêtes  qui  ^pochent  (sautent)  fors,  et  qui  se  sauvent  dans 
toute  la  campagne.  Et  Groseiller  qui  criait  toujours  :  Tarra- 
vinette!  Tarravinette  !  et  il  n'a  plus  rien  qua  revenu  dans 
son  sac  et  il  a  toujours  stiut  demander  la  charité  et  il  n'a 
jamais  plus  rien  eu. 


222  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 


WITRY.  —  Le  Lorrain  en  Belgique 

Witry  est  un  village  situé  à  environ  trois  lieues  à  l'est  de 
la  petite  ville  de  Neufchâteau,  le  chef-lieu  d'arrondissement. 
C'est  la  dernière  commune  de  langue  romane  en  allant  vers 
l'est  ;  Fauvillers  qui  vient  après  est  à  moitié  allemand,  Tin- 
tange  et  Martelange  plus  au  delà  le  sont  entièrement,  v. 
sucHiER,  Le  français  et  le  pr^ovençal,  trad.  par  Monet,  p.  7. 
Mais  Witry  n'attire  pas  l'intérêt  qu'à  ce  titre  :  il  est  aussi 
point  frontière  du  domaine  wallon  par  rapport  au  lorrain. 
Anlier,  à  deus  lieues  au  sud,  appartient  déjà  à  ce  dialecte  ;  j'ai 
eu  l'occasion  de  le  constater  sans  aucune  espèce  de  doute  dans 
une  excursion  récente  que  j'y  ai  faite. 

Le  Lorrain  en  Belgique  est  appelé  uniquement  gaumé  et 
plus  d'un  Wallon  qui  en  connaît  l'existence,  pour  e^i  avoir 
entendu  parler  sous  ce  dernier  nom,  ignore  qu  il  ne  s'agit  là 
que  du  Lorrain.  Ce  langage  cesse  d'être  compréhensible  pour 
un  Wallon.  Il  englobe  en  Belgique  à  peu  près  la  partie 
formée  par  l'arrondissement  de  Virton  avec,  comme  centres 
principaus,  Virton,  Etalle  et  Florenville,  les  trois  chefs-lieus 
de  canton.  Bouillon  à  l'est  et  Neufchâteau  au  nord  sont 
essentiellement  wallons.  Il  ne  sera  pas  sans  intérêt  de  men- 
tionner que  les  habitants  de  cette  frontière  linguistique  se 
rendent  compte  qu'il  y  a  là  un  assez  brusque  changement  de 
dialecte:  j'ai  du  reste  personnellement  constaté  le  fait  à 
Anlier,  Habay  la  Neuve  et  Habay  la  Vieille,  où  je  ne  com- 
prenais plus  le  patois  courant. 

C'est  M.  Fenat,  instituteur  à  Saint-Hubert,  qui  m'a  fourni 
le  texte  de  Witry,  village  dont  il  est  originaire. 

Dans  la  Rev.  défi  pat.  gallo-rom.,  iv,  17-32,  j'ai  étudié  la 
phonétique  des  patois  du  Luxembourg  central,  en  allant,  dans 
la  direction  de  Witry,  jusqu'à  Sainte-Marie,  à  trois  lieues  au 
nord-ouest.  Si  l'on  se  reporte  à  ce  travail,  l'on  pourra  ainsi 
suivre  les  principales  variations  phonétiques  des  patois  depuis 
la  frontière  lorraine  orientale  jusqu'aus  confins  de  la  province 
de  Namur  (jusqu'à  Gedinne  et  Nassogne). 


TEXTE  Wallon  223 


II 


HANNUT.  —   Version  de  la  Parabole 

Hannut  est  un  bourg  d'environ  2,000  habitants  situé  au 
nord-ouest  de  la  province  de  Liège,  sur  la  frontière  linguis- 
tique flamande  :  d'après  Suôhier,  op.  cil,  6,  note  1,  celle-ci  est 
à  une  bonne  lieue  au  nord,  à  Houtain  l'Evêque.  Le  patois 
s'en  rattache  encore  intimement  pour  le  vocabulaire  et  la 
plupart  des  phénomènes  phonétiques  à  ce  parler  employé 
d'une  manière  générale  et  avec  de  légères  variations  dans 
toute  la  province  de  Liège  et  même  plus  au  delà  vers  le  sud 
(jusqu'à  Laroche,  Luxembourg).  Mais  si  l'on  franchit  vers 
l'ouest  la  frontière  de  Brabant  et  de  la  province  de  Liège,  et 
que  l'on  aille  par  exemple  jusqu'à  Jodoigne  (à  trois  lieues  de 
distance),  on  se  trouve  en  présence  d'un  patois  dififérent  pour 
le  lexique  et  les  phénomènes  ;  si  l'on  jète  un  simple  coup 
d'œil  sur  les  comédies  qu'a  éditées  E.  Etienne  en  patois  de 
Jodoigne,  on  se  convaincra  aisément  du  fait. 

Le  texte  publié  ci-dessus  m'a  été  fourni  par  une  personne 
de  ma  famille,  originaire  de  Hannut  ;  il  n'est  pas  sans  pré- 
senter un  certain  intérêt  folk-lorique,  mais  ce  n'est  pas  le  lieu 
de  l'étudier  sous  cet  aspect  ici. 

Il  n'y  a  d'édité  jusqu'à  présent  dans  ce  patois  que  la 
parabole  de  l'Enfant  prodigue  dans  les  Versions  wallonnes 
de  cette  parabole,  p.  150.  Ce  texte  est  assez  fidèlement 
transcrit,  si  ce  n'est  qu'il  mérite  la  rectification  suivante  :  Le 
parler  de  Hannut  prononce  la  plupart  des  i  et  des  u  assez 
ouverts  ;  si  l'on  s'avance  vers  l'ouest,  cette  particularité  se 
confirme  de  plus  en  plus,  si  bien  qu'à  Jodoigne  des  mots 
comme  fini,  pipe,  niui-aille,  plus,  Bruxelles  dexiennenX/ene, 
pep',  meray,  pe,  Bresèl,  etc.  Le  traducteur,  voulant  noter  ce 
phénomène,  a  écrit  presque  tous  les  i  par  é  ;  mais  il  a  sans 
nul  doute  dépassé  le  but.  Pour  les  u,  il  n'a  pas  manifesté  la 
même  velléité  excessive  de  précision  et  il  est  resté  fidèle  à  u. 

Paul  Marchot. 

Saint-Hubert  (lAixonitjourgl.  juin  1891. 


UN  MANUSCRIT  PERDU  DE  CONTES  ET  FARLEAUS 


La  description  de  ce  manuscrit  nous  a  été  communi- 
Cjuée  par  M.  le  D''  Galy,  de  Périgueux,  quelques  années 
avant  sa  mort,  avec  cette  indication  que  le  manuscrit 
avait  fait  partie  du  cabinet  de  M.  de  Mourcin.  qu'il  avait 
été  vendu  au  libraire  Claudin,  et  cju'il  avait  passé  en 
Angleterre.  M.  Gaston  Raynaud,  dont  on  connaît  la 
compétence  en  ces  matières,  nous  a  déclaré  que  ce 
manuscrit  n'avait  jamais  été  signalé.  La  description  ci- 
dessous  contient  un  certain  nombre  de  fautes  très 
apparentes,  mais  qui  peuvent  se  trouver  dans  l'original, 
et  que  nous  conservons  à  ce  titre. 

1.  Incipit  vita  patrum,  de  duobus  quorum  unus  incidit  in 

fornicationem. 

Aide  Diex,  joie,  Ihs.  cr-is: 

2.  De  la  dammoiselle  qui  mist  sus  a  l'ermite  qu'il  l'avoit 

engrosie. 

Qui  qui  les  repote  il  les  voit. 

3.  4.   D'un  hermite  c'une  foie  femme  vot  engingnier. 

Qui  talent  a  de  bien  aprendve  (1). 

5.  D'un  liermite  qui  pria  a  Nostre  Signeur  qui  li  montrast 

son  pareil  au  monde. 

Quant  Damne  Diex  le  monde  Jist. 

6.  D'un  hermile  qui  se  mist  en  prison  pour  un  autre  home. 

Diex  qui  ces  biens  nous  abandonne. 

7.  D'un  hermite  avec  cui  une  sienne  nièse  se  rendi. 

Bien  truece  qui  en  bien  se  tient. 

(1)  Deus  luuiiéros  oui  été  mis  par  erreur  eti  t'ace  de  i'iudioatioii  de 
ce  seul  conte. 


MANiscKir  im  CONTES  ET  kablkaus  'c2o 

8.  D'un  hermile  cui  li  dyables  fit  choir  en  péchié. 

Vies  pechiés  fait  noiwelle  honte 
Si  coin  li  proverbes  raconte. 

9.  D'un  heriuite  qui  se  gloirefioit  en  ses  bonnes  euvres  a 

cui  Diex  démontra  c'uns  jongleres  estoitses  parens. 

In  vitis  Patru/n,  un  haut  livrée 
Qui  les  bons  essanples  nous  livre. 

10.  Dou  petit  juif  qui  se  commenia  avec  les  crétiens. 

Qui  verges  espargne  si  het 
Son  enfant,  et  si  rie  le  set, 
Ainsij  Salemons  le  nous  dist. 

11.  C'est  dou  bourjois  qui  venoit  renoier  Nostre  Dame. 

Folie  faire  à  esciant 

Cil  qui  s'afole  a  grant  talent. 

12.  Dou  larron  qui  vint  a  penitance.  (Ce  titre  est  au  bas  de 

la  page.) 

12  [bis).  De  celui  qui  laissa  l'aumosne  pour  sa  femme. 

Si  comme  lifus  sous  l'escorce 
Se  tient  en  vertu  et  en  force. 

13.  Du  chevalier  qui  ne  se  voloit  confesser. 

Lors  est  c/ue  chascuns...  si  peine 
Selont  le... 

14.  L'abaesse  que  ses  nonnains  acusèrent. 

Si  comme  Li  solaus  a  euvre 
La  rose  et  le  bouton  desqueuvre 

15.  Du  prestre  qui  perdi  l'oistc  seur  son  autel  par  son  pechié. 

Tant  grate  chievre  que  mal  gist. 
Qui  Dieu  laise  pour  son  delist 
La  chievre  resemble  qui  grate. 

16.  De  l'ermite  qui  copa  sa  langue. 

Autresi  comme  la  quintaine 
Resoit  l'escops  et  la  painne. 

RlCVUK   DE   FllII.OLOGni,    V.  15 


226  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

17.  D'un  moinne  qui  vist  le  dyable  qui  emportoit  un  chastel 

de... 

Qui  a  ij  signeurs  veut  servir 
L'un  en  çouvient  à  merservir. 

18.  De  l'ermite  qui  fist  desteroir  le  sarrasin  qui  ne  voloit  mie 

resuciter  et  pour  morir  et  alat  en  Paradis. 

U escripture  nous  dist  pour  voir 
Que  bien  doit  son  louier  avoir 
Cil  qui  le  désert  par  sa  painne. 

19.  Du  gouliart  qui  devint  moinne  pour  rober  salère. 

El  tans  que  Salemons  vivoit 
Qui  en  soi  touz  les  sens  savoit. 

20.  De  iiij  ermites  qui  eurent  envie  l'un  sur  l'autre. 

Cil  qui  Dieu  crient  riens  ne  li  faut 
Et  s'il  Vaimme  bien  tant  li  vaut. 

21.  Du  chapelain  qui  acusa  le  Roine  de  sa  confession. 

Qui  sens  et  raison  a  ensanle, 
Et  il  n'en  euvre,  si  resenble 
E aulne  qui  el  tans  se  despueille 
Et  de  son  fruit  et  de  sa  fueille. 

22.  Du  moinne  qui  racheta  le  chevalier  et  son  fil  de  l'uzerier. 

Moult  est  cis  povres  oui  Diex  het 
Et  eruiorrnis  qui  Diex  ne  croit. 

23.  De  l'uzerier  qui  se  repenti  et  fu  meugiés  des  tarentes. 

Qui  n'a  c'un  cuit  souvent  le  tort 
Car  il  set  bien  se  selui  perl. 

24.  De  la  non  nain  qui  menja  le  cholet. 

Mauvais  est  qui  ne  guerredonne 
Et  ne  désert  ce  qiCon  li  donne. 

25.  C'est  que  li  ami  terriens  ne  valent  riens. 

Tant  as  tant  vausetje  tant  faim 

Et  signeur  et  ami  te  clain, 

Et  se  riens  n'as  riens  ne  te  pris. 


MANUSCRIT    DK    CONTES    ET    FABLEAUS  227 

26.  De  la  bourjoise  qui  ot  un  enfant  de  son  fil  que  li  dyables 

acusa  a  l'enpereur. 

Bien  est  gai-dez  ce  que  Diex  garde. 
Et  qui  se  mest  hoi's  de  sa  garde 
En  très  mauvais  conduit  se  tient. 

27.  Du  crucefi  qui  sainna  quant  uns  le  feri  en  coste. 

Des  bons  ist  li  biens  par  droiture, 
Et  li  sers  cuers  a  sa  nature 
Se  tient  et  d'autrui  duel  se  rist 
Et  en  mal/aire  se  nourist. 

28.  Dou  diable  qui  se  mit  en  prison  pour  le  soucretain. 

Desous  Betléem,  en  un  pré, 
Venez  avant  vous  qui  ni'aniez. 

29.  De  l'enfant  qui  estoit  pendus  que  Notre-Dame  délivra. 

.S'a  en  ariere  a  Rome  avint 
Q'uns  povres  lions  sa  femme  tint 
Qui  estoit  de  bonne  manière. 
Et  li  preudons  iert  labouréres. 

30.  De  la  dame  qui  disoit  cures  de  Nostre-Dame  et  vigiles 

d'amor. 

Jadis  uns  chevaliers  estoit 
Qui  bêle  femme  etjone  avoit. 

31.  De  l'ermite  qui  s'acompaingna  à  l'engle. 

En  saint  père  en  Egypte  avoit 
En  ermitage  mis  estoit. 

32.  De  l'ermite  qui  sala  son  pain. 

Aussi  con  li  aubre  verdissent 
Gest  leur  fueilles  et  ftourissent. 

33.  Du  clerqui  saluoit  voliMitiers  Nostre-Dame  et  fu  ocis. 

A  Chartres  fu,  ce  tans,  uns  clers 
Orguilleus,  nobles  et  despers. 


228  RICVUH    DK    PHILOLOGIE    FHAXrAISE 

34.  Du  nioinne  qui  souvent  s'en}-vroil. 

Cis  moinnefu  d'une  ahéie 
Qui  madame  sainte  Marie 
Servait . 

35.  Du  cler  qui  fu  enragiés,  que  Nostre-Dame  délivra. 

Pour  plusieurs  gens  plus.  ..ber, 
A  Noste-Dame  miex  amer. 

36.  De  la  poure  femme  et  de  l'uzerier  qui  morurent  en  une 

tour. 

Tant  li  miracle  Nostre-Dame 

Sont  moult  piteus  et  dous  p^ar  m'arme. 

37.  Dou  clerc  qui  mist  son  ennel  en  doit  de  l'ymage. 

Par  devant  une  vies  eglyse 
Un  ymage  orent  laiens  mise. 

38.  De  l'enfant  qui  fu  dempnez  au  dyable. 

En  escrist  truis  comfu  uns  hons 
De  grant  a/aire  et  de  grant  non. 

39.  Du  moinne  qui  fist  sa  prière  seur  les  v  lettres  de  Maria. 

Un  brief  miracle  moult  ydoine 
Conter  vous  veild'un  simple  moinne. 

40.  Du  moinne  qui  fu  mors  sans  confession,  que  Saint-Pierres 

délivra. 

Si  con  li  livres  nous  tesmoingne 
A  Saint-Pierre  davant  Guiloingne. 

41.  D'un  chevalier  qui  si  haoit  Dieu  et  amoit  sa  mère. 

A  ceus  qui  ammer  doucement 
La  mère  au  haut  Roi  qui  ne  ment 
Un  dous  miracle  veil  retraire. 

42.  Du  preudome  qui  dust  alcr  a  Saint-Jacques  et  li  diables 

s'aparut  a  lui. 

Un  bel  miracle  vous  veit  dire, 
Qu'en  son  tempoure  fit  escrire 
Sdint-Hiws  l'abbes  de  Clugni. 


i 


MANrsrniT  de  contks  kt  fableacs  229 

43.  D'un  larron  qui  fu  ij  jours  as  fourches  sans  morir. 

Ci  après  vous  veil  mestre  en  hrief 
Un  binu  mirnclp  court  et  hrief. 

44.  De  la  dame  qui  fortrait  le  baron  a  sa  visine. 

Je  truis  que  ij  dames  estaient 
Qui  durement  s'entrehaoient. 

45.  Dou  vilain  qui  liaoit  son  prestj^e  et  fu  escommeniés  et  le 

prestre  morut. 

En  escrit  truis  que  fu  un  prestres 
Cui  vie  iert  sainte  et... 

46.  Du  preudomme  cui  dyables  cuida  engignier. 

Puisqu' oiseuse  est  la  mort  a  Uame 
Com  aucun  dist  de  Nostre-Dame. 

47.  Du  prestre  luxurieus  qui  chascun  jour  chantoit. 

En  escrit  truis  quil  ost  vers  Sens 
Un  prévoir e  si  hors  de  sens. 

48.  Du  moinne  qui  fu  batus  en  chapitre  pour  ce  qu'il  n'i  dist 

mot. 

Ilfu,  ce  truis,  une  abéie 
De  madame  Sainte-Marie. 

49.  De  la  damoiscllo  qui  ost  non  Thays,  qui  so  convertit. 

//  n'est  pas  hors  quant  que  reluit  ; 
Li  autres  qui  ne  porte  fruits 
Doist  estrc  esbranchiés  et  copés. 

50.  De  l'ermite  qui  disoit  :  miserere  tui  Deus. 

Qui  a  oreilles  pour  oïr 
Oïrdoit  ce  dont  doit  j oïr 
S'il  a  en  soi  point  de  science. 

51.  Du  Roi  qui  volt  faire  ardoir  le  fil  de  son  senechal. 

Vilains  est  qui  fait  a  autrui 
Ce  qu'il  ne  veut  c'onface  a  lui. 


230  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

52.  Des  iij  clers  qui  se  rendirent  en  divers  lieus. 

Si  comme  la  terre  brehaingne 

Par  pluie  ou  par  humeur  empreingne. 

53.  De  l'ermite  qui  converti  le  pécheur  murdrier  qui  sans  et 

il  fu  dempnés. 

Pierre  volage  ne  tient  mouse; 
Qui  de  mal  faire  miex  se  trouse 
Li  maus... 

54.  De  la  soucretaine  qui  laisa  s'abaïe  et  Nostre-Dame  fu 

pour  lui. 

Assez-  raut  miex  amis  en  voie 
Que  ne  fait  argens  en  couroie. 

55.  De  celui  qui  donna  tout  a  son  fil. 

Diex  de  qui  toute  boutez  ist 
Et  par  V évangile  nous  dist 
Honneure  ton  père  et  ta  mère 
Pour  eschiver  la  mort  ammère. 

56.  Du  clerc  qui  touz  jours  disoit  Ave  Maria. 

Encores  ne  me  puis-je  taire 
De  ces  courtoisies  retraire. 

57.  De  l'Emperis  de  Rome  que  ses  serourges  ama. 

Uns  sages  dist  et  fait  savoir 
Li  sages  livres  de  savoir. 

58.  D'un   bourjois   qui   emprunta    deniers   sur    la  majesté 

Nostre-Seigneur  et  seur  la  majesté  Nostre-Dame. 

Tant  truis  escrit,  foi  que  doi  iriame. 
Des  dous  miracle  Nostre-Dame. 

59.  De  ij   frères   qui  ièrent  manant  à    Romme,    Pierres   et 

Esteves. 

Qui  bon  miracle  veut  trait ier 
Moult  li  couvient  a  recerchier. 


MANUSCRIT    DE    CONTES    ET    FABLEAL'S  231 

60.  D'un  homme  lai  qui  fu  sauvés. 

Conter  vous  veit,  sans  nul  délai, 
Le  miracle  d^un  homme  lai. 

61.  D'un  jongleur  a  oui  Nostre-Dame  envoia  son  sierge. 

La  douce  mère  au  Créatour 
A  l'église  a  Roche-Madour 
Fait  tans  miracles  et  a  fais 
Que  uns  biaus  licres  en  est  fais. 

62.  D'un  ménestrel  qui  servoit  Nostre-Dame  de  son  propre 

mestier. 

Es  vies  des  ensiens  pères 

La  ou  sont  les  bonnes  matères. 

63.  D'un  enfant  clerc  qui  cliantoit  un  respons  de  Nostre- 

Dame,  Gaude  Maria. 

Sainte  escripture  nous  tesmoingne 
Qu'on  doit  seur  toute  autre  besoingne 

Les  secrès  Jhesu-Crist  celer 

Et  ses  euvres  bien  révéler. 

64.  D'un  vilain  bouvier  qui  ne  creoit  mie  les  miracles  dou 

soler  Nostre-Dame  de  Soissons. 

Ici  après  veil  resciter 

Un  miracle  dou  Saint-Soller. 

65.  Li  fabliaus  qui  devise  les  ouner  de  l'ostel. 

Chascuns  pense  de  sonafaire, 
Pour  ce  me  veilj  poi  retraire 
De  mon  corage. 
Je  ne  teing  pas  celui  a  sage 
Qui  entre  ij  fois  en  mainnage 
Ne  iij  ne  quatre. 

66.  De  l'enfant  de  noif. 

Jadis  estait  uns  marcheans 
Qui  n'estait  mie  mescheans. 


232  REVrE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

67.  D'une  femme  qui  fist  entendant  a  son  baron  qu'il  est.oit 

mors. 

Se  fabiaus  puet  ceriiez  estre 
Dont  avint-il,  ce  dist  mes  mestres, 
Cuns  vilains  ahoilleus  jnenoit 
Froumens  et  terres  ahenoit. 

68.  D'un  bouchier  d'Abbeville. 

Signeur  oés  une  merveille, 
Onques  n^ottes  sa  pareille. 

69.  De  la  dame  qui  fist  iij  tours  entour  lo  moutier. 

Quifeiyime  voudroit  décevoir 
E  lifas  bien  apersevoir. 

70.  La  fiance  que  on  doit  avoir  en  femme. 

Quiconques  veut  mener 
Pure  et  saintime  vie 
Femmes  aint  et  les  croie 
Et  de  tout  s'i  ajle. 

71.  Le  fablel  dou  pet  au  vilain  qui  fut  portés  en  enfer. 

En  Paradis  V esperitable 

Ont  grantpart  la  gent  charitable. 

72.  Dou  vilain  qui  randi  le  bufet. 

Trubers  en  ces  fablel  fablie 
Qui  de  bien  dire  ne  s'oublie. 

73.  Dou  cheval  que  li  marchans  vendi. 

J'ai  un  cheval  que  je  veil  vendre 
Pour  avoir  argent  a  despendre 
Mais  je  cuit  qui  rachètera 
Peu  darjent  i  gaaingnera. 

74.  C'est  le  vie  Sainte-Katherine. 

Nous  trouviommes  es  vies  escris 
Cuns  E mperéres  fu  jadis 
Qui  Contantins  fu  apelés. 


LA    BARGIERO  (La  Bergère) 

Chanson  de  Procenœ.  rKcueilUe  par  le  cicomte  de  CollcciUc 


i 


Moun  pèro  a  très  jouines  filhos 
Moun  pèro  a  très  jouines  filhos 

Toutes  a  l'agi  à  marida 

Toutes  a  l'agi  à  marida. 

lou  que  n'en  siou  la  plus  petito  (hii^j 
Les  blans  moutouns  mé  fan  garda,  (bis) 

Si  crèsoun  que  gardé  sou lèto  (bis) 
Mon  bel  ami  viens  avec  moi.  (bis) 

D'où  tèn  que  mé  pignon,  mélavou,  (bis) 
Mei  blans  moutons  se  soun  souva.  (bis) 

N'en  faou  faire  dire  uno  messo  (bis) 
A  nouestro  damo  de  piéta.  (bis) 

Quand  la  messo  siègue  esta  dicho  (bis) 
Meis  blancs  moutouns  se  soun  trouvas,  (bis) 

Moun  péro  n'en  voou  sache  (bis) 
Ounté  aï  passa  toute  la  nuech.  (bis) 

L'ai  passa  dcssouto  un  gros  aoubré  (bis) 
Que  l'appi^loun  lou  romanin.  (bis) 

Lou  roumanin  llouris  è  grano  (bis) 
Faï  senti  bouen  tout  lou  jardin,  (bis) 


CHRONIQUE 


D'après  les  renseignements  qui  nous  sont  parvenus,  les 
Commissions  d'examen  pour  le  certificat  d'études  primaires 
et  pour  le  brevet  de  capacité  ont  tenu  fort  peu  de  compte  de 
la  circulaire  ministérielle  du  27  avril.  Nous  aimons  à  croire 
que  cette  attitude  des  commissions  s'explique  par  l'embarras 
où  elles  se  sont  trouvées  d'appliquer  à  des  cas  particuliers  les 
prescriptions  générales  contenues  dans  la  circulaire. 

Il  serait  extrêmement  important  que  le  texte  des  dictées 
d'examen  fût  arrêté  pour  toute  la  France  par  la  Direction  de 
l'enseignement  primaire,  ou  au  moins  choisi  dans  chaque 
Académie  parle  professeur  ou  maître  de  conférences  qui,  dans 
chaque  Faculté  des  lettres,  est  chargé  d'enseigner  la  gram- 
maire française.  Ce  texte  serait  accompagné  de  trois  ou  quatre 
lignes  d'annotations  s'adressant  aus  correcteurs,  et  indiquant 
les  fautes  prévues  ou  prétendues  fautes  qui  devraient  être  to- 
lérées ou  n'être  comptées  que  pour  fraction. 

C'est  là  le  seul  moyen  de  remettre  la  dictée  au  rang  qui  lui 
appartient  parmi  les  épreuves  des  divers  examens,  et  ce  sera 
déjà  un  grand  progrès.  Quant  à  réagir  sur  l'enseignement 
lui-même,  selon  le  vœu  si  vivement  formulé  par  M.  le  Mi- 
nistre de  l'instruction  publique,  des  informations  puisées  à 
bonne  source  me  permettent  d'affirmer  qu'on  n'y  arrivera  que 
par  des  prescriptions  formelles  et  détaillées.  Je  viens  de  publier 
un  petit  livre  d'exercices  grammaticaus,  que  j'ai  composé 
pour  l'instruction  de  mes  enfants,  et  d'où  j'ai  exclu  avec  soin 
les  exceptions  et  sous-exceptions  condamnées  aujourd'hui  par 
l'unanimité  des  philologues.  Or,  je  suis  persuadé  que  les 
instituteurs  qui  se  serviront  de  ce  livre,  —  s'il  s'en  trouve,  — 
y  rétabliront  tous  les  exercices  que  j'ai  systématiquement  sup- 
primés. N'étant  point  assurés  que  les  commissions  d'examen 
ne  compteront  pas  comme  faute  un  s  mis  à  la  place  d'un  x 
dans  le  pluriel  des  noms  en  ou  ou  de  hleu  et  hébreu,  etc.,  ils 
continueront,  pour  ne  pas  exposer  leurs  élèves  à  un  échec, 
à  leur  enseigner  ces  distinctions  absurdes,  et  on  ne  saurait  les 
en  blâmer.  Il  faudrait  donc  que  la  circulaire  du  27  avril  fût 
complétée  et  corroborée  par  un  arrêté  impératif  qui  donnerait 


flIKON'UjIK  235 

aus  instituteurs  l'assurance  que  certaines  graphies  équiva- 
lentes seront  désormais  considérées  comme  facultatives  dans 
tous  les  examens. 

En  ce  qui  touche  la  «  propagande  par  le  fait  »,  pour  em- 
ployer l'heureuse  expression  de  M.  Michel  Brêal,  nous  con- 
tinuerons à  pratiquer  ici  le  petit  programme  sur  lequel  tous 
les  partisans  de  la  réforme  se  sont  mis  d'accord,  et  nous  sou- 
haitons vivement  que  d'autres  revues  et  journaus  s'y  rallient. 
Les  directeurs  de  Périodiques  qui  le  trouveraient  d'une  appli- 
cation un  peu  difficile  pour  la  correction  des  épreuves,  pour- 
raient le  réduire  aus  trois  articles  suivants  : 

1°  Substitution  de  s  a  a?  final  valant  .s*. 

2"  Substitution  de  t  k  d  k  la  3'^  personne  du  singulier  : 
il  cotnprent,  il  répont,  etc.,  comme  il  peint. 

S°  Simplification  des  consonnes  doubles  dans  tous  les 
verbes  en  eler  et  en  eter  :  il  rappelé,  iljète,  etc. 

On  pourrait  môme  se  borner  au  premier  article,  qui  est  le 
plus  important  des  trois.  Il  est  certain  que  si  on  arrivait  seu- 
lement à  faire  prévaloir  dans  l'usage  Vs  final  substitué  à  Vx, 
ce  serait  une  belle  victoire  sur  la  routine. 

Dans  un  livre,  on  peut  aller  plus  loin  que  dans  une  revue 
ou  dans  un  journal,  et  je  n'hésiterais  pas,  le  cas  échéant,  à 
mettre  en  pratique  le  plan  général  de  réforme  qui  a  été  exposé 
ici  même  (1),  en  étendant  la  simplification  des  consonnes  à 
tous  les  cas  où  elles  se  prononcent  simples. 

Je  propose  donc  aus  amis  de  la  réforme  d(^  porter  nos  efforts 
sur  les  points  suivants  : 

4"  Obtenir  de  M.  le  Ministre  de  l'instruction  publique 
qu'il  réglemente  le  chois  des  dictées  d'examcm,  et  qu'il  prenne 
un  arrêté  formel  pour  rendre  facultatives  certaines  façons 
d'écrire  recoimues  bonnes  par  tous  les  philologues; 

2"  Propager  dans  la  Presse  le  programme  que  nous  avons 
adopté  d'un  commun  accord,  en  le  réduisant  si  c'est  néces- 
saire ; 

3"  Appliquer  dans  les  livres  que  nous  publierons  une  ré- 
forme plus  étendue,  mais  de  nature  à  troubler  le  moins  pos- 
sible les  habitudes  de  l'ceil. 

(1)  Malheureusemeiit,  on  se  heurtera  plus  d'une  fois  à  la  résistance 
des  éditeurs.  J'en  ai  fait  récemment  rexpérience. 


23G  REVUE    DK    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

—  Notre  collaborateur  de  la  première  heure,  M.  Ferdinand 
Brunot,  vient  de  soutenir  brillamment  en  Sorbonne  ses  thèses 
de  doctorat.  La  thèse  française  est  une  étude  approfondie  sur 
la  Doctrine  de  Malherbe  d'après  son  Commentaire  sur 
Desportes.  Nous  en  rendrons  compte  dans  un  prochain 
fascicule. 

—  La  Société  du  Folklore  icallon  entreprent  la  publication 
d'un  Bulletin  de  Folklore,  dont  le  directeur,  pour  1891,  est 
M.  Eugène  Monseur,  professeur  à  l'Université  de  Bruxelles. 
Nous  avons  sous  les  yeus  le  premier  fascicule  (ler  semestre 
1891)  qui  ne  laisse  aucun  doute  sur  la  compétence  et  les 
tendances  très  scientifiques  de  la  Direction.  Ajoutons  que  le 
Bulletin  permet  à  ses  collaborateurs  d'adopter  les  modifica- 
tions orthographiques  proposées  par  notre  Revue.  Cette 
adhésion  nous  est  extrêmement  précieuse. 

—  Nous  souhaitons  aussi  la  bienvenue  à  la  nouvelle  revue 
trimestrielle  Langues  et  dialectes,  publiée  par  M.  Tito  Zanar- 
delli,  professeur  aus  cours  de  la  ville  de  Bruxelles.  Le  premier 
fascicule  (mai  1891)  contient  notamment  des  textes  en  parler 
namurois,  une  étude  grammaticale  sur  ce  patois,  et  des 
remarques  sur  les  préfixes  du  vieus  français  du  Nord. 

—  Dans  une  conférence  faite  à  Alger,  le  12  mai  dernier,  par 
M.  Foncin,  secrétaire  général  de  V  Alliance  française ,  nous 
relevons  le  passage  suivant  :  ((  Notre  erreur  a  été  jusqu'ici 
de  considérer  les  petits  Arabes  comme  des  élèves  ordinaires 
et  de  leur  enseigner  le  français  sans  prendre  garde  qu'ils 
l'ignorent  ;...  nous  les  avons  affligés  de  notions  grammaticales 
alors  qu'ils  ne  connaissent  pas  le  sens  des  mots  français  les 
plus  usuels.  Nous  avons  oublié  que  leurs  mères  leur  ont 
parlé  arabe  ou  kabyle  et  non  français.  Ce  travail  de  l'éduca- 
tion maternelle  qui  leur  a  manqué,  il  faut  commencer  par 
le  faire  avec  eux.  Nos  écoles  doivent  être  d'abord  des  écoles 
de  langage.  Un  homme  de  grand  sens  et  de  grand  cœur, 
M.  Carré,  l'a  démontré  excellemment  et  je  vous  renvoie  à 
sa  méthode.  Elle  est  déjà  appliquée  par  tous  les  maîtres 
intelligents  et  instruits.  Elle  est  applicable,  cette  méthode, 
aux  petits  Flamands,  aux  petits  Basques,  aux  petits  Bretons, 


chroniquk  237 

comme  aux  petits  Arabes  et  aux  petits  Berbères.  Elle  est 
attrayante  et  instructive,  rationnelle  et  pratique.  Elle  permet 
une  conversation  animée  et  variée  dès  le  premier  jour  de 
classe  entre  l'éducateur  et  ses  enfants  adoptifs.  C'est  la 
méthode  maternelle.  » 

Nous  ne  pouvons  que  souhaiter  la  prompte  diffusion  de  la 
méthode  de  M.  Carré.  Assurément,  il  faut  tout  d'abord 
exercer  nos  élèves  étrangers  à  «  parler  français  »,  un  peu 
plus  tard  on  leur  apprendra  à  lire  le  français,  et  plus  tard 
encore  à  l'écrire  dans  uue  orthographe  simplifiée  et  ration- 
nelle, suffisamment  claire  pour  être  comprise  de  tout  le  monde 
sans  effort.  Il  est  utile  qu'ils  lisent  l'orthographe  officielle, 
mais  ce  serait  perdre  son  temps  et  le  leur  que  de  les  dresser 
à  l'écrire,  pour  aboutir,  en  somme,  à  leur  donner  une  ortho- 
graphe de  cuisinière  illettrée.  Il  nous  faut,  suivant  le  mot  de 
M.  Martin,  une  ortho(jraphe  coloniale. 

Comment  former  des  maîtres  vraiment  capables  d'enseigner 
\q français  parlé  parla  ((  méthode  maternelle  »  et  \e  français 
écrit  par  la  méthode  phonétique  ?  Nous  répondrons  :  en  les 
habituant  à  pratiquer  ces  méthodes  dans  une  école  normale 
spéciale  où  l'on  réunirait  les  jeunes  instituteurs  qui  aspirent 
à  la  glorieuse  mission  d'augmenter  pacifiquement  à  l'étranger 
et  dans  les  colonies  la  clientèle  de  la  France.  On  leur  don- 
nerait en  outre  des  notions  d'hygiène  adaptée  aus  différents 
climats,  sans  lesquelles  ils  sont  exposés  à  périr  victimes  de 
leur  dévouement,  —  les  exemples  ne  sont  pas  rares.  Ils  profite- 
raient eus-mémes  et  feraient  profiter  les  indigènes  de  leurs 
petites  connaissances  médicales,  ce  qui  leur  assurerait  un 
surcroît  d'influence.  Enfin,  on  les  exercerait  aussi  à  parler 
les  langues  des  pays  qu'ils  doivent  habiter,  autre  moyen 
puissant  d'accroître  leur  autorité  et  de  la  faire  pénétrer 
efficacement  dans  toutes  les  couches  de  la  population.  Nous 
soumettons  cette  idée  d'une  «  école  normale  coloniale  »  au 
comité  directeur  de  V  Alliance  française. 


LIVRES  ET  ARTICLES  SIGNALÉS 


Léon  G.  Pélissier.  —  Lettres  de  Ménage  à  Magliabecchi 
et  à  Carlo  Dati  (Extrait  de  la  Revue  des  langues  i^omanes, 
Montpellier,  1891,  37  pages).  —  Les  lettres  publiées  et  soi- 
gneusement annotées  par  M.  Pélissier  sont  conservées  à  la 
bibliothèque  nationale  centrale  de  Florence.  Les  unes  sont  en 
italien,  d'autres  en  latin,  d'autres  en  français.  Dans  ces  der- 
nières nous  relevons  les  graphies  suivantes  :  «  long  tans,  je 
rans,  je  praus,  depuis  ce  tau-là.  » 

Auguste  Durand,  professeur  au  lycée  de  Bièlaïa-Tsèrkof 
en  Russie.  —  Nouvelle  orthographe  française  (Paris,  1891, 
en  vente  chez  l'auteur,  rue  de  Richelieu,  23  bis.  36  pages 
in-12i.  —  L'orthographe  proposée  par  M.  Durand  est  une 
graphie  phonétique,  agrémentée  de  quelques  signes  diacri- 
tiques (notamment  pour  distinguer  ou  adverbe  et  ou  conjonc- 
tion). Elle  a  l'avantage  de  se  lire  aisément.  Une  graphie  de 
ce  genre  peut  faciliter  l'enseignement  du  français,  mais  il  ne 
faut  pas  se  bercer  de  l'illusion  qu'on  pourra  la  substituer 
complètement  à  l'orthographe  officielle,  de  notre  temps  du 
moins.  Ce  ne  peut  être  qu'une  écriture  accessoire.  Dès  lors, 
puisqu'il  faudra  toujours  apprendre  au  moins  à  lire  l'ortho- 
graphe officielle,  il  n'y  a  aucun  inconvénient  à  conserver  les 
notations  de  cette  orthographe  qui  n'offrent  aucune  équivoque, 
par  exemple  oi,  ou,  etc.  Je  ne  puis  que  renvoyer  à  ce  que  j'ai 
dit  sur  ce  point  dans  mon  Précis  d'orthographe  et  de  gram- 
maire phonétiques. 

Paul  Passv.  —  Étude  sur  les  changements  phonétiques 
et  leurs  caractères  généraux  (Paris,  Firmin-Didot,  1890, 
270  pages  in-8o).  —  Nous  espérons  revenir  bientôt  sur  cet 
ouvrage  de  grande  valeur,  qui  a  servi  de  thèse  de  doctorat  à 
M.  Paul  Passy.  On  y  trouvera  en  particulier  des  notions 
très  complètes  et  clairement  exposées  sur  le  mécanisme  de  la 
parole.  L'auteur  a  publié  depuis  des  «  corrections  et  addi- 
tions »  sous  forme  de  supplément  au  Maître  phonétique  de 
juillet  1891. 


I 


LIVRKS    ET    ARTICLES    SIGNALÉS  289 

D''  A.  Bos.  —  Glossaire  de  la  langue  d'oïl  (XI^- 
XIV^  siècles)  ouvrage  à  l'usage  des  classes  d'humanités 
et  des  étudiants  (Paris,  Maisonneuve,  1891).  —  Nous  ne 
connaissons  ce  glossaire  que  par  la  préface,  qui  a  été  tirée  à 
part.  Le  livre  était  difficile  à  faire,  mais  il  rendra  assurément 
de  grands  services  si  l'exécution  répont  aus  promesses  de  la 
préface. 

Jean  Fleury.  —  La  presqu'île  de  la  Manche  et  L'archipel 
anglo-normand ,  essai  sur  le  patois  de  ce  pays  (Paris,  Mai- 
sonneuve, 1891.  Extrait  des  Mémoires  de  la  Société  acadé- 
mique de  Cherbourg .  56  pages  in-8*^).  —  Contribution  nou- 
velle à  l'étude  des  patois  normands  de  la  Manche,  et  discus- 
sion de  certains  points  contestés  par  M.  Joret. 

A.  DE  Jubainville,  Ernault  et  Dottin.  —  Les  noms 
gaulois  chez  César  et  Hirtius,  l'^^  série  ;  Les  composés  dont 
rix  est  le  dernier  terme  (Paris,  Bouillon,  xv-259  pages  in-12). 

J.  Bastin.  —  Étude  sur  les  principaux  adverbes  (Paris, 
Bouillon,  1891.  69  pages  in-8o).  —  Notre  collaborateur 
M.  Bastin  étudie  pratiquement  et  historiquement  les  princi- 
paus  adverbes  d'affirmation,  négation  et  manière.  Nous 
recommandons  particulièrement  les  pages  relatives  à  l'emploi 
de  ne  explétif. 

Werner  Sœderhjelm.  —  La  dama  sanza  mercede,  version 
italienne  du  poème  d'Alain  CJiartier  (Extrait  de  la  Revue 
des  langues  l'omanes,  x-27  pages). 

Dr  Hermann  Fitting.  —  Vorlàufige  Mittheilungen  ûber 
eine  Summa  Codicis  in  provençalischer  Sprache  (4  pages 
in-4o.  —  Sitzungsberichte  der  kôniglich  preussischen  Aka- 
demie  der  Wissenschaften  zu  Berlin). 

Darmesteter,  Hatzfeld  et  Thomas.  —  Dictionnaire 
général  de  la  langue  française  du  xvii°  siècle  jusqu'à  nos 
jours.  —  Le  fascicule  5,  qui  vient  de  paraître,  s'étent  du  mot 
brouette  au  mot  cependant.  Il  contient  notaiiiment  l'explica- 
lion  et  l'histoire   complète  des  mots  bruit,  buffet,  buisson, 


240  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

hureaitj  burin,  cabale,  cabaret,  cabinet,  cajé^  caisse,  calotte, 
canon,  capital,  cardinal,  carême^  carreau,  carte,  cause,  etc. 
On  peut  dire  de  ce  dictionnaire  ce  qu'on  a  dit  de  celui  de 
Littré  :  qu'il  n'est  pas  seulement  à  consulter,  mais  à  lire. 
Quoi  de  plus  curieus,  par  exemple,  que  de  suivre  les  évolu- 
tions du  mot  bureau  désignant  successivement  un  meuble, 
la  pièce  où  il  se  trouve,  l'administration  dont  cette  pièce 
fait  partie,  enfin  les  membres  mômes  qui  composent  cette 
administration,  et  a3-ant  comme  origine  le  nom  de  l'étoffe 
bure  ou  bureau  qui  recouvrait  les  tables  à  écrire.  Quoi 
de  plus  piquant  que  de  voir  les  deus  sens  du  mot  canon, 
pièce  d'artillerie  ou  modeste  verre  de  vin  pris  au  cabaret, 
avoir  une  seule  et  même  origine,  c'est-à-dire  l'italien  canna, 
tube  —  tube  à  lancer  des  projectiles  —  tube  à  mesurer  les 
liquides,  le  canon  ou  petit  tube  étant  le  1/6  de  la  pinte. 

Librairie  Ch.  Delagrave,  15,  rue  Soufflot.  —  Chaque 
livraison  1  fr.  —  Le  dictionnaire  comprendra  au  moins 
30  fascicules.  On  souscrit  d'avance  à  l'ouvrage  complet  au 
pris  de  30  fr. 


ERRATUM.  —  Page  207,  lignes  6  et  5  avant  la  fin,  lire 
de  nos  quartiers  au  lieu  de  «  du  neuf  quartier  ». 


Le  Gérant  :  E.  Bouillon. 


CH.\LON-SU)i-SAONK.    1  M  l'I;  I  M  IMiU-;   DK    I..     NL\KCliAU. 


NOTES 

SUR   QUELQUES   PATOIS    VOSGIENS 


1.  -  Cette  élude,  fruit  d'un  séjour  de  trois  semaines  a 
Plombières,  ne  peut  être  évidemment  complète  sous  aucun 
rapport,  ni  même  minutieusement  exacte  dans  tous  ses  dé- 
tails. J'ai  résolu  de  la  publier  quand  même,  dabord  parce- 
qu'il  n'existe,  je  crois,  aucun  travail  sur  les  parlers  de  cette 
région  (1);  ensuite  pour  encourager  les  personnes  qui  sont 
a  même  d'observer  ces  patois,  a  en  entreprendre  l'étude,  en 
leur  montrant  combien  il  est  facile  (a  condition  de  savoir  un 
peu  de  phonétique)  d'y  recueillir  une  toule  de  faits  des  plus 
intéressants. 

2.  —  Voici  la  liste  des  communes  dont  j'ai  pu  observer 
le  parler. 

1 .  Plombières  (pjome:R,  P),  petite  ville  d'eaus  de  2.000  ha- 
bitants, au  bord  de  TAugronne,  dans  une  vallée  encaissée. 
Le  patois  se  parle  encor  sur  la  route  d'Epinal,  au  N.  0.  de  la 
ville;  ailleurs,  les  gens  âgés  le  parlent  rarement;  les  enfants 
l'ignorent.  —  A.utorité  :  Mme  Mélanie  Vial,  doucheuse  au 
Bain  National. 

2.  Les  Granges  (la:  gr£:5,  G),  commune  de  1,000  habitants 
formée  de  fermes  et  d'habitations  isolées,  sur  la  hauteur  au 
N.  0.  de  P.  Ce  n'est  pas  une  paroisse,  et  les  habitants  vont 
a  l'église,  ainsi  qu'au  marché,  a  P.  ;  ce  qui  n'empêche  pas 
le  patois  de  différer  sensiblement.  —  Autorités  :  Mme  F. 
Louis(notre  hôtesse),  propriétaire  a  P.,  59  ans;  —  Mme  Bi- 
zot,  boulangère  a  P.  ;  —  M.  Joseph  Grémillot,  dit  Bicot, 
laitier  ausG.  ;  —  Mme  Jeanne  Jeanvoine,  établie  depuis 
longtems  au  Va  d'Ajo,  etc. 

3.  Le  Val  d'Ajol.  ou  plutôt  le  Va  d'Ajo  (le  vo  daso,  V.), 
vaste  commune  de  7,600 habitants  comprenant  toute  la  hau- 
teur au  S.  et  à  l'E.  de  P.,  et  la  vallée  de  la  Combeaulé  au 
delà.  On  m'a  dit  qu'il  y  avait  des  petites  différences  entre 

(1)  Le  Dictionnaire  de  M.  Haillaut,  que  me  communi(iueI\l.  Gilliéron, 
contient  dea  mots  du  Va  d'Ajo.  Je  ne  coimaia  paa  autre  chose. 


242  REVUE  DE   PHILOLOGIE  FRANÇAISE 

les  parlors  des  diverses  sections,  notamment  entre  cens  de 
Laitre  (le  principal  village,  situé  dans  la  vallée)  et  du  Hario\ 
je  ne  les  ai  pas  observé,  ayant  surtout  étudié  le  parler  de 
la  Groisette  (k  krœhat),  au  S.  de  P.  —  Le  parler  du  Girmont 
(le  5œrm3),  commune  de  montagne  de  750  habitants,  a  l'E., 
récemment  détachée  du  V. ,  ne  parait  presque  pas  en  différer, 
quoique  les  habitants  soient  très  isolés  et  aillent  au  marché 
a  Remiremont.  —  Autorités  :  pour  la  Groisette,  les  épous 
Vançon,  dits  Toutou,  cultivateurs,  et  leurs  enfants,  surtout 
Gonstant  (13  ans),  Eugénie  et  Gonstance:  —  pour  le  Gir- 
mont, M.  Fleurot,  aubergiste  au  Girmont.  —  Le  patois  du 
V.  est  celui  que  j'ai  le  plus  pratiqué. 

4.  AilleviUers  (a:jevle,  A.),  a  l'O.  de  P.  et  du  V.  —  Je  n'ai 
étudié  ce  patois  que  quelques  minutes,  avec  un  homme  dont 
j'ignore  le  nom. 

5.  Fougerolles  (fo5oly:r,  F.),  5,800  habitants,  au  S.  0.  du 
V.,  dans  la  Haute-Saône.  —  Autorités  :  M.  et  Mme  Bigé, 
meuniers  a  P.,  et  leurs  enfants,  Alfonse  (14  ans)  et  Ahne 
(13  ans),  qui  continuent  a  parler  leur  patois. 

6.  Sainl-Bresson  (s?  p$3.  S.),  au  S.  du  V.,  dans  la  Haute- 
Saône.  —  Autorité  :  Mme  Titoine,  femme  d'un  cultivateur 
des  G.  établi  au  V. 

7.  Cleuri{C]^  a  l'E.  de  Remiremont,  par  conséquent  assez 
loin  de  tous  les  villages  précédents.  —  Autorité  :  M.  Man- 
suy,  courrier  entre  P.  et  Remiremont. 

3.  Je  vais  donner  maintenant,  dabord  les  textes  suivis 
que  j'ai  pu  recueillir  dans  ces  patois;  puis  un  glossaire  des 
mots  que  j'ai  recueilli  ;  des  remarques  sur  la  phonétique, 
avec  une  liste  de  mots  comparés,  sur  la  morphologie  et  sur 
la  syntaxe;  enfin  quelques  observations  g'énérales. 

La  transcription  dont  je  me  sers  est  la  transcription  inter- 
nationale du  Maître   Phonétique.  On  notera  que  : 

u,    y,   j,   S,   5i   N,   a,   valent  respectivement 
ott,  w,   T/î  c/i,  y,  gn,  e  léminin, 

(o)  est  un  0  ouvert  ;  (e)  un  e  ouvert  ;  {0)  un  eu  fermé  ;  (a)  un 
a  grave:  (r)  un  r  grasseyé;  (c)  (j)  sont  des  explosives  pala- 
tales; (x)  le  c/i  Allemand  dans  ach;[\\)  une  variété  de/i,  dont 
je  parlerai  plus  loin.  Les  voyelles  tildées  sont  nasalisées. 
(:)  marque  la  longueur. 


NOTES  SUR  QUELQUES  PATOIS  VOSGIENS  243 

TEXTES 

4.  —  Plombières.  —  La  journée  de  Mme  Vial.  —  59  m 
l^:v  do  bweniKR,  e  kwalR  u:r,  epj;^  39  fa  do  f0:,  pu 
fa:R  lo  de5ynô  £  mon  o:m.  59  pRe:pa:R  mo  di:n£,  ep^ 
3  m  ô:ve  du$e  me:  de:m,  3ysk9  0:3  u:r.  3  n  a  k  lo  to  dg  fa:R 
î  po  lo  py  gRO  d  me  bzo:n,  epp'  39  Rdevol  e  duz  u:r 
0  galo,  39  Repwen  mo  servIs  3ysk9  $£13  u:r  do  so. 
£:si  3  n  a  waR  dg  to  d  R£$t.  £  $£13  u:r  39  tRipot  mo 
sœpe  pu  kà:t  mon  o:m  £Ri:f,  £  s£t  u:r;  epjz^  39  sœpo, 
mon  o:m  fym  s£  pip  sy  not  œ$  œn  d9m£ju:R,  ep^  5 
no   ku$o.    —    Mme    Vial. 

Découverte  des  eaus  minérales.  —  î  $£su  patœ  £  l£  $£8 
£vo  so  $jo  ;  £  gR£tœ  0  pje  d  î  $£:n,  e  so  ma:t  no 
s£vœ  mi  pukw£  k  £  gR£loe  ;  £l  0  £pRœSœ  do  1  a:bR, 
e  s  £tœ  k  s  etœ  $o:  ;  vw£l£  uskg  lo  kRysifi  0  £ty 
dekRœvaiR  ;  e  s  £ty  l£  pR9mjeR  suus  k  £ty  dekRœvait 
£    pjome:R.  —  Mme    Vial. 

5.  —  Granges.  —  La  chèvre  et  les  chevreaus.  —  l£ 
me:r  da:  pti  biki,  k£  s  apr£t^  pu  al£  0  mwarje  £$!£ 
dx:  ptit  prœvizjô,  «  ma:  pti  biki,  vo  f£r£  bj£n  ata:sjô 
d£  n  mi  dœve:r  1  œx  k£  kà:t  3£  m3tr£ra  m£  bjà:^ 
p£t.  »  —  l£  v\v£l£  p£ti:  ;  pi  o  bu  d  T  momo,  «  tok 
tok  »  ;  —  a  kjosk  0  po  k  ?  »  —  «  s  0:  vot  màmà  ma:  pti 
biki,    k£  vo   r£put   da  gatou  !    d    —  «  m5tr£   p£t  bjà:^.  » 

—  vw£l£  lo  lu  k  £và:s  to  dosmà  n  gro:s  p£t  ne:r. 
la;  pti  biki  s£  rtiro;  «  0:  s  0  lo  lu  !  n  —  «  a:  la:  pti 
kokî!    £ta  £ta,    3£  v£  [a:z  £tr£p£.    » 

£  s  ôv£  dà  ~i  mœlî  trap£  s£  pet  dà  î  sak  d£  ferin  ; 
ma:  à  mar$à  le  fërin  $y.  lo  vw£le  k  s  3  rvje,  «  tok 
tok  »:  lo  lu  fej^  n  p£tit  vwa  tôt  fin,  «  dœvre  ma.  pti 
biki,  s  d:  vot  màmà  ke  voz  eput  de  le  gel£t  ».  — 
«  môtre  pet  bjà:^  ».  —  vwele  mo  lu  k  £và:s  to  dosmà 
s£  p£t  pu  k  l£  f£rin  n£  S£jœs  mi,-  ma  vat  t£  promue:! 
£ll  eve  $œj  à  rot,  la:  pti  biki  di:r,  «  0:  s  0  ko  lo 
lu  1  »   e  se  so:v^;r  0  fô   d    k   Sà:br. 

epfi  vw£si  l£  me:r  Sje:f  k  £  s  5  vje  £vo  sa:  du 
pen£:j    £   ^ek    br£,     «   tok  tok   »;  —    «   kjosk   0    tôle  ?  » 

—  «   s   0:    vot   màmà   k£  voz   eput  lopjl  da:  bwen    petit 


244  REVUE  DE  PHILOLOGIE  FRANÇAISE 

$o:s.  »  —  1.  môtr£  pet  bjà:^.  »  —  £ll  £và:s  S£  bjà:$ 
p£t,  e  la:  pti  biki  dœvr0:r  1  œx.  e  r£k5tœ:r  s  lyt 
me:r  ke  lo  lu  eve  vny  du  fw£,  ma:  k  e  n  Ij  £vî 
mi    dœve:r. 

«  voz  £  bje  fa:  ma:  pti  biki,  paske  s  tœ  to:r  lo  lu, 
k£  voz  £ro  krok£.  —  £bj£,  3  alo  1  £tr£p£.  5  a:b  pr£- 
p£r£  I   grà  tyi    d£zo   le    $œmnei,    £p^   3   1    £tr£prô.  » 

vw£l£  mo  lu  k  £ty  dmid£  £  prat£  la:z  £bi  d  î  p£- 
krî.  a  kjosk  o  tol£  ?»  —  «  s  0:  1  po:r  p£l£rî  k£  mœ:r 
d£  mize:r,  d£  so  e  d£  (ï.  »  —  «  o:bje,  p£S£  po  lo  to, 
vo  p£sre  po  le  $œmnei,  paske  no  pti  biki  5  pœdy  le 
cje  d  not    œx.  s 

vwele  mo  gro:  lu  to  kôtà  k£  s  r£30J£  d£  kroke  la: 
biki  e  ko  lyt  me:r  ;  ep^  lo  vw£l£  k£  so:t  po  l£  $œm- 
nei  dà  lo  grà  f0i.   e  Ï0  grœje   kmo  î  budî,  {Mme  Louis.) 

Découverte  des  eaus  minérales.  —  do  lo  to  k£  pjame:R  s 
£t£  n  foR£,  oz  ô  tRœv£  l£  pRœme:R  surs,  s  ety  î  $asu 
k  £  £ta$£  so  $vo  £pR£  îu  a:bR,  ep^  lo  $vo  à  gRetà 
evo  sa:  pje,  £l  £  dekwoje  d  1  o:f  $o:t  ;  s  0  k  pRoe- 
me:R  surs  k  oz  5  tRœv£.  l£  surs  ô  1  £p£l  le  surs  do 
kaysifi.   {J.  Gremillot.) 

Les  fous  de  Ruau  (1).  —  3e  n  se  kà  la:  Rjotde  evujô 
lyt  ma:R  eko  lo  gaRt  Sàp£:t  £  RmeRmô  pu  la:z  cfa:R 
de  le  komyn.  kàt  e  r^:R  pu  desyne,  e  dmà:d^:R 
do  py  fo:R  e  do  mwejo  mwaR^e  ;  e  la:z  i  eputœiR  de 
le  mutaRd.  à  le  mî:3à,  lo  ma:R  brcje  ;  l  o:t  li  de/z^, 
«  futy   be:t,   koske  t  bua:,   s   0   l£  komyn  k£   p£:j.  r 

£n  fw£  k  £l  £vî  pœdy  lo  tô  do  kre:do,  £  R£sàbjo:R 
lo  kÔse:j  pu  ta:$e  d  lo  RtRœve.  à  môtà  a:  5£3a:lc,  to 
d  T  ko    1    ad3W£   vy   î   gRO  puj    sy  lo   do  do    ma:r.    e  z 

(1)  Le  village  de  Ruau,  à  l'O.  des  G.,  a,  dans  les  Vosges,  la  ré- 
putation d'être  habité  par  des  imbécilee,  comme  ailleurs  Cliambli,  la 
Ferté-Gauclier,  etc.  Daprès  les  traditions  locales,  ce  sont  <r  les  fous 
de  Ruau  »  qui  ont  pavé  les  champs  pour  empêcher  les  mauvaises 
herbes  d'y  pousser;  —  qui  ont  hissé  un  taureau  par  un  nœud  coulant 
pour  lui  faire  manger  une  touffe  d'herbe  sur  le  clocher  ;  —  qui  ont 
voulu  tuer  un  brochet  en  le  jetant  a  l'eau,  et  des  taupes  en  les  enter- 
rant vivantes,  etc. 


I 


NOTES  SUR  QUELQUES  PATOIS  VOSGIENS  245 

bot^  £  $àt£,   «  0:  vwele  î  gro  puj,  età  bugii  i  t  ty:iia:!K 

—  ep^  c  Rtun^:R.   lo  tô  do   kiie:do   f0  RlRœvc. 

en  fw£  k  £  vlï  fa:R  be  lyt  vile:^,  z  n  ev£  î  Jje  k 
£ve  5J£  sy  1  œx  do  mot£J.  e  n  s£vî  knio  fair  pu  lo 
R0:t£.    £     s     R£ynis^:R    toRty,    pu   fa:R  £n  gRo:s   kwo:t, 

pu     liR£    tj0     lo    mOt£J.      N     £V£     î      fERS^IR      k£      RJ£,      £     lo 

Ro:tœ  d  1  kulpJE.  z  tiRoe:R  sy  lyt  kwo:t,  lyt  kwo:t 
kas^,  £  5yR  toRty  sy  lyt  ky  ;  £  s£  Rlœv^iR,  e  kRy:R 
k£  lo  mot£J  £V£  ^y-'.^z  t  pj£s  :  £  s  3nol^:R  ^ez  o 
toRty  bj£   kôtà  —  (Mme  Bizot.) 

Les  Vêpres  de  Ruau  (1).  —  «  ki  sk£  t  tœ  m£rire  », 
di:    3   £    mô    fi  ;    a  kà  sk£  t  tœ   m£rire,   di    mœ  lo,  di.  ï> 

—  «  3£  m  m£rira  djomw£:$,  m£  ba:l  m£  bw£n  me:r  ; 
3£  m  m£rira  djomw?:^,  5£  vo  lo  di  ^  n£  krei  tor  vo 
mi   k£   s  s£ra  ly:di,   na:ni,   na:ni.    » 

a  £vo  kjosk£  t  tœ  m£rire  »,  di:  3  £  mô  fi  ;  <t  îvo 
kjosk£  t  tœ  m£rire,  di  mœ  lo,  di  ».  —  «  £V0  n  bal 
3J£n  d£m\vaz£l,  m£  ba:l,  m£  bw£n  me:r  ;  evo  n  bal 
3J£n  d£mwaz£l,  3£  vo  lo  di  ;  n£  kr£i  tor  vo  mi  ks  s 
s£ra   n   vej    sorsje:r   to   kmà   vo,    nami,    na:ni.    i 

a  ke:  bej  £bi  k£  t  li  £3£tre  »,  di:  3  z  mô  fi  ;  «  ke: 
bej  £bi  k£  t  li  £3£tre,  di  mœ  lo,  di  ».  —  a  da:z  £bi 
d£  t£l  lîdy:,  m£  ba:I,  m£  bw£n  me:r,  3£  vo  lo  di  ; 
n£   kr£i   tor  vo  mi  k£  s  sera   d  \z  s\vo:j,  na:ni,  na:ni.  » 

«  kjosk£  t  hy^re  z  tx:  nos  »,  di:  3  £  mô  fi  ; 
«  kjosk£  t  hy^re  £  ta  nos,  di  mœ  lo,  di  ».  —  dx:  be 
mosj^  e  ko  da:  bal  3J£n  d£mwaz£l,  m£  bail,  me  bAven 
me:r,  3£  vo  lo  di  ;  ne  krei  toi'  vo  mi  k£  s  s£ra  dx: 
v£j   bot    to    kmi   vo,    na:ni,    na:ni.   » 

(T  kosk£  l  \x:z  i  b£jre  z  mè:3e  »,  di:  3  e  mô  fi  ; 
«  koske  t  \x:z  i  bejre  £  mè;3e,  di  mœ  lo,  di  ».  — 
«  di  l5c:se  pri  £vo  dx:  pwer  d£  te:i',  m£  ba:l,  me  bwen 
me:r,  5£  vo  lo  di  ;  n£  kr£i  tor  vo  mi  k£  s  s£ra  d  k 
Sjo:,    na:ni,  na:ni.   » 

«  £vu  k£  t  ]£  m;itrc  £  ku$£  t£  fom  »,  di:  3  £  mô 
fi  ;  «  £vu  k£  t  l£  maire  z  ku^e,  di  mœ  lo,  di.  »  — 
«  3    le   matra   z   ku^e  e   not   ekyri,    me    ba:l,    me    bvvçn 

(1)  Se  chante  u]Xï  Tixirtlc  Vêpres, 


246  RtVUE  DE  PHILOLOGIE  FEANÇAISE 

me:r,  5e  vo  lo  di  ;  ne  krei  tor  vo  mi  k£  s  sera  dà 
ï    be  bjà   lei,  na:ni,    nami.  »  —  (Mme  Jeanvoine.) 

Dans  la  cuisine.  —  3e  ve  eply^e  ma:  fe:v  evo  mo 
kutei.  5  la:  me  di  n  terin  pu  W.  levé.  5  la:  matra 
h]y.:\\  evo  d  1  o:f.  âpre  5  la:  fra  so:le  0  by:r  ;  s  0 
di:n£  ke  5  la:  fra  koe:r.  5e  le:v  la  ka:rat  dà  n  ekerl  ; 
epi  5  la  botra  a  kœ:r  evo  d  1  o:f.  3  la:  pol  evo  î 
kutei.   3e   bej   le  paly:r   e   ma:   pli  lepT.    3    on    a  tro. 

1  eke:l  0  sy  le  to:j.  le  to:j  el  0  fat  a  bo  t  sepî  ; 
lo  pje   0  à  Sa:n. 

not  kœ-Hin  0  peve.  la:  [y.-.hv  el  s3  pjà^i.  —  [Mme  Louis.) 

Le  tems.  —  0  e  p']0  oôdfii  ;  e  feje  be:  jermà.  e  foro 
bje  k  e  fejes  be:  dms  :  el  e  fa  me$i  to  lo  mwa  d 
au.  —  0:  vwele  k  e  fa:  bei  ;  lo  slo  ly  ;  ma:  j  0  do  vo. 
0  foro  k   e  fejes  bei  kmo   sle  tololto.  —  [Mme  Louis.) 

Histoire  de  l'abbé  Sans-Souci  (1).  —  s  ete  1  abe  sàsusi 
k  ele  si  jjurju,  ke  pesé  1030  dvà  lo  ro  si  j  o:te  so 
$apei.  e  lo  ro  j  ekri  en  lat,  kit  e  lo:  le  lat,  el  te 
bjen  enœje.  vwesi  so  my:nej  ke  \n0  li  di:r  k  e  n 
pwaje  py  mo:r,  paske  la:  3a  pernT  1  o:f  pu  tune  dà 
la:  pre,  e  k  e  n  pwaje  py  mo:r.  «  lej  me  tràkil,  3e 
m  fi$  pa:  mo  de  to  mœlî,  5  a  d  ot  sws  k  sele.  »  — 
«  ma  koske  vz  e  do,  mo  ma:t,  3e  n  voz  a  3ema:  vy 
di:ne.  »  —  «  lej  me  tràkil,  s  n  0  mi  efa:r  e  î  bàb? 
kmo  ti.  »  —  «  ma  5  n  se  mi,  stepwe,  dne  t030.  »  — 
«  ebe  tje,  piske  t  ]0  lo  sevwe,  vwele  n  lat  ke  lo  ro  m 
e  vweje,  k  e  f 0  g  3  a:lys  lo  trœve,  g  3  e  n  sej  ni 
e  pje  ni  e  ^vo,  ni  fti,  ni  to  ny.  »  —  el  le  bje 
àpwen  !  —  «  0:  s  n  0  k  sele  ?  3  i  vira  bje,  n  eje  mi 
p^:r.  » 

vwele  lo  my:nej  ke  s  àvbp  dà  ï  file  t  puxu,  ep^  e 
s  exe   sy    en   burik,    ep^   e  s   ôva. 

kàt  el  erif  0  kordegard,  3  hu,  «  kivi:f  ?  »  —  «  leje 
|)ese,  s  0  1  abe  sàsusi  ke  j^  ko:ze  lo  ro,  ke  n  0  ni 
e  pje  ni  e  $vo,  ni  ko  fti  ni  ko  to  ny.  »  —  e  diia  o 
ro,  «  vwele  1  abe  sàsusi  ke  ']0  vo  ko:ze,  ke  n  0  ni  e 
pje  ni  e  J^'o,  ni  ko  fti  ni  ko  to  ny.  »  —  «  komo 
jja:l)l   osk   el   0   dô  »    lo   ro   dire,     a  feje   lo   àtre.    —  t   ç 

(1)  Ce  conte  a  été  daltord  enteiulii  en  Françtvis, 


NOTi:S  SUR  QUELQUES  PATOS  VOSGIENS  247 

raHô,  pursqi,  to  pws  o  bwe.  ma  s  n  o  mi  torto  sle, 
e  fo  k  tœ  m  d£H^:s  u  sk  o  lo  mwîto  do  mô:t.  »  — 
«  si:r,  b£J£  m  wer  vot  kan.  »  —  e  fi  du  tro:  to  dà 
le  kœHin,  le  pjà:d  dà  î  3WÈ  t  peve,  ep^  e  di,  «  vwele 
1  mwito  du  m5:t  ;  si  vo  n  vêle  mi  lo  kr£:r,  myzyre 
lo  !  » 

«  t  £  ko  1050  raHÔ,  »  lo  ro  due  ;  «  ma  s  n  0  mi 
lorto  sle,    £   fo   k  tœ    m  d£Hp':s  kobje   k   le    lyn  pe:s.  » 

—  «  el  pe:s  en  li:f,  ell  e  kwat  ka:)*,  e  kwat  ka:r  ftji 
bje   n   li:f.  » 

«  0:  te  ko  1050  rfiHô,  pursiii  1050,  to  pw^  bwe  ; 
ma  s  n  0  ko  mi  torto  sle,  j  a  ko  ot$o:s  ;  e  fo  k  tœ  m 
deHp-.s  me  fesô  t  pase,  u  tœ  sre  pa^dy  devà  k  e  d 
mè:3e  me  sop.  »    —   «  si:r  »   k   el    i  dne,   «  vol  pase,   s 

0  g  vo   kreje  ko:ze  1  abe  sàsusi,  es   n   0   k  so  my:nej    » 

—  «  ve,  te  sre  abei,  e  1  abe  sre  mymej.  »  —  Mme  Jeanvoine. 

6.   —  Va  d'Ajo.    —    La  chèvre   et  les  chevrenus,   1    (1). 

—  e  N  eva  n  $.je:f  k  eva  da:  pti  biki.  ep^  le  me:r 
s  ônale  \y.z  i  kwe:r  da:  pti  biskqi.  ep0  le  lu  vne,  e 
take  e  le  pwo:t  ;  la:  pti  biki  dHe:r,  «  s  0  vo  màmà  ? 
motra  we:r  vot  h]y.:\  pet.  —  o:  s  0  kôpe:r  le  lu,  s  0 
kôpe:r  le   lu,  »   k   e  dHe:r;  pask   el   e  n   gri:x  pet. 

e  f^  we:r  \y.  xo:vu:s  pu  s  fe:r  bot  en  bjà:^  pet, 
pu  ala  me:5e  \y.:  pti  biki.  e  vne  e  1  ux^  epj2(  e  take 
e  moire  se  pet  ;  el  ta  bji:$.  e  dœvreir  le  pwo:t,  e 
sorte  txy,  el  y.  me:5e  do:s,  la:z  o:t  se  sa:ve:r  dedà  T 
sabo,    e  n   a   po    py  awe. 

le  me:r  revne,  el  take  e  le  pwo:t  ;  \y.:  pli  biki  dneir, 
«  motra  no  le  bji:^  pel.  »  e  dœvre.T  1  ux,  la:  pti  biki. 
ep^i  el  i  rekôte:r  ke  le  lu  eva  vny  me:3e  ly  pti  fre:r; 
ep^  !e  me:r  \y..z  i  beje  \y.:  biskqi  kel  ev  ejta  el  due 
«  alla,  no  1  etreprô.  »  —  el  bote  di  bo:  dezo  le  Jœmne:, 
el    i   fi  î  be:    lej,  el    pri  î    po    d    of  So:d,   el   môte  txy 

1  to,  e  le  \\Q  Ireba  le  $œmne:  ;  le  lu  bwe,  «  i  t^ 
^oda  !    pik    le   ky,    $ak  le  pet,  sema  5e    n    m   à    re^ep.  » 

—  Eugénie    Vanson. 

(1)  Il  y  u  di.ns  cette  liiKtoire  des  lacunes  évidentes,  et  le  C^^)  '^^'• 
lit  dvipicie  pluase  inditiue  nue  origine  étitui^cre  ;)u  V, 


248  REVUE  DE  PHILOLOGIE  FRANÇAISE 

La  chèvre  et  les  chevreaus  2  (1).  —  la;  pti  biki,  le 
me:r  \x:z  i  dne  k  el  ala  kwe:r  da:  biskqi  e  d  k 
bwen  galet,  k  lu  vne,  ep0  e  take  e  k  pwo:t,  op^ 
la:  pti  biki  li  dneir,  «  motra  vot  pet  bjà:^,  e  i  vo 
dœve:ra  le  pwo:t  tœtsqit.  «en  eva  pwà  t  pet  bjà:^  ; 
la:   pli    biki  refwerme:r  k   pwo:t. 

le  lu  (0  we:r  le  mymej  (el  e  mwarka  k  bulà:3£, 
ma  s  o  le  mymej),  e  li  dmàde  we:r  si  e  via  k  e 
tmpes  se  pet  dà  î  sak  de  krin  ;  le  mymej  li  repôde 
ke  wi.  ma  le  krin  ^eje  à  $mî.  e  vne  taka  e  le  pwo:t-, 
e  li   fwerme:r  kwa   le  p\vo:t  ;    k   lu  s  ônale. 

le  me:r  revne  e  el  take  e  k  pwoit,  e  la:  pti  biki 
li  dnerr  de  motra  s  pet  bjà:$.  le  me:r  da:  pti  biki 
li  moire  se  pet,  e  li  dœvre:r  le  pwo:l  e  li  rek5te:r 
e    le   me: F  ks   k   lu   eva  vny, 

ep0  le  lu  revne  kwa  evo  î  fœzi.  k  me:r  li  dne, 
t  pesa  pwa  le  $œmne:.  »  ep^  le  me:r  da:  pti  biki  fi 
î  grl  \'0,  dità  k  e  dévala  le  Sœmne;.  e  ^eje  ddà  ;  e  f^ 
gerje   kmà  î   budî.    —    Constant   Vanson. 

La  journée  de  Constant.  —  i  m  lœv  e  sî:k  u:r,  i  vo 
treveje,    en   syske   meidi,   ep^  epre:    sa   i   vna:     desyna. 

(1)  Cette  histoire  a  été  lue  en  FrançaÎH  par  Constant  Vanson,  qui 
l'a  raconté  en  patois  a  sa  sœur  Constance  ;  celle  ci  l'a  écrit,  et 
Constant  me  l'a  relu.  —  Comme  curiosité,  je  donne  ici,  telle  quelle, 
la  rédaction  de  Constance  : 

«  Las  petit  biqui  l'ai  mère  l'a  s'y  dejé  quel  alla  coire  d'as  buisquit 
et  dé  l'aie  boine  galette  le  loup  vené  et  peu  et  taqué  et  l'aie  peaute 
et  peu  l'as  petit  biqui  dejére  montra  vote  paite  bianche  et  y  vos  deu- 
vaira  l'aie  peaute  teau  suite  et  n'aiva  pient  dé  paite  bianclie  l'as  p. 
bii).  rcfoirmére  l'aie  peaute  lé  loup  feu  voire  le  boulangé  et  l'y  démandé 
voire  s'y  et  via  que  tranpése  s'aie  paitte  d'edans  le  sac  dé  farine  lé 
boulanj^er  Ile  réponde  fpiè  oui  mais  l'ai  fairine  chaignè  en  chmi  et 
véiié  ta(juat  et  l'aie  peaute  et  l'ie  foirmére  qu'a  l'aie  peaute  le  loup 
s'oimalé  l'aie  mère  ré  vené  et  elle  taqué  et  l'aie  peaute  et  l'as  petit 
biqui  l'ie  déjère  de  motra  s'aie  paitte  bianche  lai  mèi^  d'as  petit  biqui 
l'aie  motré  et  l'y  deuvrcre.  l'aie  peaute  et  raicoiitére  et  l'aie  mère  que 
lé  loup  ai  va  venu  et  peu  le  révéné  qua  ai  veau  ie  feusi  l'aie  mère  das 
petit  biipii  lie  déjé  puisa  poie  l'aie  clieumnaie  et  peu  l'aie  mère  das 
[Htlit  bi(pii  fégnè  ie  grand  feau  ditant  qu'aie  dévala  l'aie  cheumèuaie 
gi  fhaigné  dédaus  le  l'eau  et  feu  hreula  quomand  ie  boudie.  )) 


NOTES  SUR  QUELQUES  PATOIS  YOSGIENS        249 

i  l'vo  LioVcje,  epp  rvena  sopa  z  0:1  u:r.  epp  i  vo  i 
Ici,  i  dmura  5yska  m£tî  —  kàt  i  alu  e  1  eko:],  s  eta 
kwa  le  mam  $o:s,  ep0  i  fju  ma:  dwe:r,  ep^  etyju 
mx:  Isô,  ep^  i  alu  £  1  ekol  z  le  krœliat.  —  Constant 
Vanson. 

La  journée  d'Eugénie.  —  i  m  a  Iva  e  sî:k  u:r,  i  m 
a  fti,  i  a  di  ma:  prie:r,  i  m  a  peiNe,  i  m  a  nata,  i 
a  de3œnuta,  i  a  fti  no  ptiL,  i  a  \0  wad3a  not  ve^, 
ep^  i  a  t^  i  mwe.-no:  épi:d  nat  tref,  i  a  de5yna,  i 
a  10  putja  1  de3Ù  e  pjame:r  e  not  Iwi,  i  a  rveny,  i 
m  a  exy  dedzo  t  \e  no,  i  a  le  da:  revat  à  patwa 
dexy  T  li:v,  î  be:Nà  m  e  fa  i  le:r.  s  o  fini,  le  3une 
n   0    kwa   mi    esqi:.   —   Eugénie  Vanson. 

La  journée  de  Constance.  -  i  m  a  Iva  e  sî  k  u:r, 
i  m  a  fti,  i  a  di  ma:  prie:r,  i  m  a  p£:Ne,  not  3eni 
m  £  nata,  i  a  de3ynuta^  i  a  fti  ortà:s  (me  ptit  xj^:^), 
i  a  i0  wad3a  le  ve^  evo  not  3e: ni,  not  kôstà  m  e 
hy$e,  i  a  Ifi  e  1  erb  i  Nœ  ^à,  i  a  rve:ny,  i  a.  {0  a: 
pwerat  evo  not  kôstà  $y  bwerô:,  i  la:z  a  remesa,  i  a 
rveny,  i  a  leva  la:  pwerat,  i  a  pala  1  ga:z3,  i  a  10 
epàd  di  rwc  evo  màmà,  i  a  rveny,  i  a  de3yn:i,  ep^  i 
m  a  emyrza  dedzo  t  ^e:  no,  i  a  me:3e  da:  blo:x,  i  a 
fa   T   kolje.    s   0   fini.    —    Constance   Vanson. 

Ma  journée.  —  voz  a  Iva  e  kwatr  u:r,  vo  voz  a  fti, 
vo  voz  a  leva,  voz  a  di  vo  prie.-r.  voz  a  t0  vo  promna 
dwa  1  vo  d  ^130  voz  a  rveny,  voz  a  de3nutta,  voz  a 
beje  £  de3nutta  e  vot  fo:m,  voz  a  le:  en  mw£cje  e 
vot  fo:m,  ep^  voz  a  kii  ddà  T  li:v  ;  voz  a  de3yna, 
voz  a  niôta  tosi,  ey)0  nœ  noz  a  exy.  -  Constance 
Vanson. 

Lex  sangliers.  —  di  là  k  i  alu  e  1  eko:l  e  le  krœuat, 
le  ma:t  nœ  mwane  e  1  elà  da:  pre:t  dexy  le  jjes 
pu  galje.  p0  no  vy:r  en  kwoj  k  eva  do:s  peti  3Je:ri  ; 
s  eta  da:  pwo  sîjja.  p0  àii  o  yn  ke  s  .sa:ve  dzo  T 
kô:dy  ;  p^  0  N  ^  î  Sje  k  i-o:te  txy,  pçi  e  1  cqe.  la:z 
o:t  e  s  sa:ve  r   devo   le   me:r.  —   Constant   Vanson. 

Dialogue.  —  Mme  Vanson.  vo  vera  kwa  1  po  voz 
exe:r  devà  g  d  ônala  e  pjame:r  ;  vo  vera  bwo:r  en 
ta:s    de    la:sç:,  —    ^oi.    0:    i    i0   bje.     —    Vanson.    vo^ 


250  REVUE  DE  PHILOLOGIE  FRANÇAISE 

£:ma  mp  di  la:se  k  le  got,  s  n  o  mi  kmà  mi.  —  Moi. 
i  n  à.  bœva  pwà  d  le  got,  ni  di  vî.  —  Vanson.  ni 
di  vT?  s  0  pu  vot  sà:te  k  \y.:  mstsî  vo  1  defàdà  ? 
—  Moi.  na:ni,  s  o  î  v^  k  i  a  fa,  de  n  mi  bwe:r  ni 
vT,  ni  bridvï,  ni  bje:r.  ni  sid.  —  Eugénu.  papa  vo  duro 
bje   far  di:na.   —   Moi.   puke,   3e:ni  ?  —    Vanson.   puke  k 

i  duro   far    di:na,   gamin  ? s  o   pask  i  bœva  da:  fwe 

le   got, de     tro.    —    o:     j    a    15:tà    k   i   n   n  a  pwà 

by! 

7.  —  FouGEKOLLES.  —  La  journée  d'Aline.  —  ajo  e 
m  a:  lœve  e  [z\  u:r.  i  a  poci  e  mo  lèse,  i  a  de5ynote, 
i  a  t^  e  1  o:v,  i  a  toR$i  le  vesel,  i  a  tRJkote,  i  a 
de5yne,  i  a:  tp'  e  1  £Rb.  i  a:  eply^i:  da:  pweaat,  i  a 
levé  n  sala:,),  i  a:  ^we  y.:  dem  epp'  y.:  ka:c  devo  mo 
fRe:R,  i  a  sœpe,  i  a  Rkomà:se  d  5we  a:  dem  ep^ 
ekwe  y.  ka:c  devo  mima,  i  a:  \0  devo  maai  Rœmi 
a:  tike,  ell  e  geNi  en  bal  penyj,  e,'^^  mi  n  a  Rà:  10  ; 
ep0  j   a  t^  m  ku$i:.  —  Aline  Bigé. 

HiHoires  plaisantes.  —  j  £  n  fom  k  e  ve  kri  da:  erà  ; 
lo  moï^j(i  Je  ki  el  aie  \y.:  kri  se  nom  pipi.  ep0  zn 
atri,  el  di,  «  b35ii  età,  e  vo  kwa  dy.  pipi  ?»  —  1 
om  e  repôdy,  «  noz  à:  kwa  da:  eri,  e  no  n  i  py  k 
î  pipi.  » 

—  j  e  n  fwa  in  fom  k  e  s  ôve  $i  î  mw^r^i  pu 
aie   ^ar^i   di   tapjoka,    e   el   demàd^  di  tapjapja. 

—  j  eve  n  twa  î  pte  gaml  ke  pes^?^  pre  d  en  fom. 
le  fom  pat^,  lo  pte  gaml  i  d5^,  «  voz  ônale  tu5u  patà? 
vo  pœje  voz  aNe.  s  o  k  j  an  a  T  na:r  e  î  bji.  jja:b 
e  vot  ky,   e  e^ô   ty  p^jy.   —   Aljonse   et  Aline   Bigé. 

Livrogne  et  sa  femme.  —  s  ete  n  fwe  3a  nikola  pi:ro 
ekwe  se  fom,  k  el  etî  tu5u  su.  el  5  elœve  î  pte  guri 
kœ5nei  di  n  petet  fyta;j  deri  lo  $tuf.  T  be:  5U:  k  el 
etl  su  to  \y.:  du,  el  s  ôvà  e  le  ^ery:,  e  kà:t  le  fom  e 
rveny.  ell  e  truve  lo  guri  k  eva  $te:  be  1  erlwe:5  0 
mweli  di  pal  ;  lo  kadri  ^Y  ^  ^^S^^  e  n  e  mi  lo  kase. 
e\)0  11  e  di,  <-  nrj:j^  iïi-^:j^,  nod  guri  e  futy  be  not 
erlwe:3  !  e  fo:  k  i  alu  œ^i  3^  nikol^  ;  3a  nikob  !  vï 
we  I  nod  guri  e  futy  be  not  erlwe:3  !»  —  «  o:  kre 
JaroN,  »   k   £  d3()   1   om,  «  t    e   kwa   suK   bu:gro   t   salop  1 


I 


NOTES  SUR   QUELQUES  PATOIS  VOSGIENS  251 

t  £  sul,  t  £  sul,  vile:ii  !  «  —  epp  £l  rciiiEse  la:  pu» 
dà  so  d£ft£:j  ;    «  y.:   50zefin,  sivupk,   r£m£S£  l£  pàdu:j  !  n 

ep^  lo  guri,  eti  ^y  bwi  Ei'lwese,  n  £  mi  £màde,  £l  £t 
^    tro  t  kasmi  t   te:t.  —   Mme   Bigé    (témoin    oculaire). 

St-Bresson.  —  La  matinée  de  Mme  Titoini^.  —  i  m  a 
lœva  a  duz  u:r  di  mat?  pu  Ïx-.y  di  pi  ôkwa  di  tot$e 
d£  boro:$  ;  âpre  i  s^  avy  trair  le:  vat$  ;  b£ji  a  mSidsi: 
le:  po:  ;  âpre  on  5  ôfuna  lo  pÈ  ;  âpre  ô  va  rkœji  d  1 
aw£n,  ôkwa  d  la  gri:z  ;  âpre  kosk  on  5  fa,  i  n  se 
py  rà  ;  âpre  5  virô  s  plota  pu  drœmi  l  som,  pu  sœ 
rpj^:za  ;  âpre  kosk  5  vO:  di:r,  i  n  à  se  py  rà.  — 
Mme  Tilome. 

Les  fous  de  Ruau.  —  £  for£  v^  di:r  œn  pœt£t  rakô- 
i0:Y.  —  œn  fwa  £  j  ;iv£  le:  fu  d£  rjo:,  k£  ikyl!  \0 
e:gli:z,  akos  k  £  j  av£  œn  marda  t  l$£  ;  a  rkyll  ]0 
e:gli:z,  ôkwa  le  kj^:t$,  dov£  n  ko:d5  da  l£:n.  la  ko:d5 
s£  tàde,  a  kr^:r  k£  \0  e:gli:z  s  ava  rkyla.  —  Mme 
Titoine. 

Chanson  d'enfants.  —  i  rvœnà  d£  barbari,  tritsi 
\]0  d£  tt$i  no,  i  a  pasa  t^'i  5a  de:  i\0  ;  3a  de  i\0 
m  £  vry  bat  ;  sa  fom  n  £  pe:  vry,  al  mœ  b£je:  n 
ekel  d£  \y.:sz  ;  i  sri  avy  la  bwar  Jy  ^a  po:t$  dî  ly: 
b£:t  ;  j  a:  vy  la  py  bo:r  k  £ta  krœva:  ;  i  a  pri  la  p£  po  m 
îx'.r  l  mà:t£,  le  kôn  pu  m  ïy.w  œn  trô:pot  ;  i  m  y.  sy 
inora,  tyrlytytà,  to  di  lô  d£  la:  vil  ;  i  a  trove  £n  v£j 
sot,  k  £  n  £va  ni  ky  ni  m!  ;  i  1  a:  pri  pwa  le  torô, 
i  1  a   tjàpa    6y.  l   bo^ô.    —    Mme   Titoine. 

Les  Lorrains.  —  j  a  itidy  di:r  k  £  n  ava  ks  iro 
hvy.w  om  di  la  lœr£n  ;  ap^  a  so  ko  pady.  —  Mme 
Titoine. 

GLOSSAIUE 

j    a  V    S  fai\  z\    a  il  a;    noz   a   nous   avo'is:   vo/.    a  V 
vovs  avez.   —  j  an  a   da:   bw£n  V. 
a   G    est.    —   sa   [)u    mi   ced   f'our    moi. 
di{\)   S.    il,    ils.  elles. 
ad  ras  V  adresse. 

a:jevla    V.   a:jevle  A.    Aillevillers, 
gikosk   S  parceque, 


252  REVUE  DE  PHILOLUGIE  FRANÇAISE 

ala  V   aller  ;  j  alu  f  allais. 

BNe   F  agneau. 

apj£ji  S  atteler.    —  apJ£Ji  le:   by. 

ap^  S   et  puis. 

a:r  V   air.    —  1  kurà  d   a:r. 

armwe:r  V   armoire.   —  i    vo  ala  di  1   armwe:r. 

aro:j   G  oreille. 

arozu   S  arrosoir. 

asi;t    S   assiette. 

a$o  F   hier. 

at$  S   hache. 

au  G  V   août. 

avy   S  allé. 

a3^   P  facile. 

3   a:    P  G  fai. 

a:(z)  G  V  A  F   ans.    —  i   va  a:    grs:^    V. 

abosu   S   entonnoir. 

a:br  G  V  a;bR    P  arbre. 

a-.He   V  aisé,   facile. 

en  a: te   S  un  hêtre. 

àifl  V   gw^n.  —  à:fî   ki   l?::    fo  kopà   bje...I 

àmwsna   V  emmener. 

ànora  S   en   allé,  parti  :  —  i  m   à  sy   ànora. 

àpul^a  V  emporte/ . 

bal   G  V  F  belle. 

ba^e  vo   S    baissez  vous. 

bat^:z    S   burette. 

baislat  G   ba:slot  P  petite  fille. 

bàkta    S   gouler. 

be  S  be:  V  bei  G  beau.  —  rawate  wor  ke  s  o:  be.  S.  — 
0  1  be:   a:br  V.   —  ke    bej    ebi  G. 

be:t£    S  chap/au  de  bœuf. 

he  F   bas. 

b£J£  G  b£ji  V  S  donner.  —  s£  k£  vot  mirai  vo  b£:j 
V.  —  £  la:z  i  bcje  di  ps  V,  —  b£je  m  vjt  kan  G.  — 
i   le:    b£jra   £    not  fom    S. 

b(£)lo:x  V  b(£)lox  G  prune  mirabelle.  —  î  tut$e:  d  b£lo:x 
V  î   tutei  d   b£lox   G. 

b£rbi  G    brtbis,  mouton, 


NOTES  SUR  QUELQUES  PATOIS  VOSGIENS        253 

bsro   G  bélier. 

b£$   F   baisse. 

bet    V  battre. 

bete:  V   chapeau  de  bœuf. 

b£X£  G   b£xi    V   baisser. 

bi:   F   S    bien. 

bifD  G  S    buffet. 

biki  G  V  biquet,  chevreau. 

bjas   G  (poire)  blette. 

hjx   Y   orge.    —    s   o  di   bja. 

bjà:  G  V  A  F  S  C   blanc. 

h}à:l   G  V  A  F  G   blanche.\ 

bjài^i  G  cuire  [dans  l  eau).  —  3  la:  m£tr£  bji:$i  £vo  d 
1  o:f. 

bjàttj   s  blanche. 

bje,   bj£  G  V  bj£   P  bien. 

bje  P   bj£   G    orge.^ 

bj^   G  V  P  bœuf.  —  s  0    doc:   bj^  G   V. 

blo;d   V    blo:t  G  blouse. 

blo$£J   F   blox£J   V   blox£J    G  prunier. 

bly:   V  brimbeUe. 

blw£$    F  prune  mirabelle. 

bo   G  A  V  C   bois. 

bos  A  boS    F   box   G   bourse. 

bot  G  V^  S  ;e/(?r,  mettre.  —  s  0  pu  boL  fj^  \z  vw£tin 
d£  dvo  1  bja  V.  —  £  z  bol^  £  \oi\.e  G.  —  £  for£  k 
e  l£  bote:s   bx   V.    —   bote   le:    di  vot  put$   S. 

boko  V    bouquet. 

b»rN    G  orrcL 

bo:r  S    belle. 

boro:$    S  prune  mirabelle,    i  tutje:    d   boro:^. 

boro:$i   S  prunier. 

bo^ô   S   bassin. 

bô    S    bon. 

le  b5:jj^    V    />iVjM. 

b^   S    bois. 

b^:r   S  beurre. 

£  bra  G  V   «7  pleure. 

bra:mà   S  joliment. 


254  REVUE    DE    PHILOLOaiE  FRANÇAISE 

bra:je  G   bœuf  tacheté. 

\:)vy.:]z\    G   vache  tachette. 

bràdvî  V    eau  de  vie. 

bri:s   V    S    branche. 

bre   S  br£j   V  F  A  bre'.j   G  P    berceau. 

bros   F   bro$    S  brox   G  V    brosse. 

brôiNi   S  poteau. 

brujot    S  bruvat  V    brouette. 

bu:    F  bois. 

but,    V.  bot. 

budî   G   V  boudin. 

bu:l  V  bulei  G   bouleau. 

buno   G    boiinef. 

burik  G  V  bourrique,    due. 

bu$o    G    bouc. 

buxô  V    buisson. 

by   S   by:    F  bosuf. 

hy.HÔ  V  faucon. 

by:r    G  beurre. 

bwà  V  F  Z*o/i. 

bwa:r  S  bwe:r  V  boire.  —  55  bw£,  5e  bw£vo  G.  i 
bœva,  no  bœvà  V.  i  bw£vo,  no  bwsvà  F.  5s  bwe, 
5£  b\v£vo  G.    —   i  bw£  A.  —  j   a   by,    i  n  a   mi  by  V. 

bwe   C   berceau. 

bw£    G  bo7i. 

bw£n  G  V  A  F  S  bonne. 

bw£ro:j   F  bonjour. 

bwo:d   V  (bourde),    mensonge. 

bwo:$    V   pétrin. 

bwo:x  V   bourse. 

bwon,   bwô   G  bonne,  bon. 

bwox   G   bourse. 

bzo:n   P    besogne. 

cja  V  S  clé. 

cjsil   G  robinet. 

cj£   G  A  F  C  clé. 

cj(je:r  S  clore,  fermer.  —  i  cjoim  1  ux  Y  je  ferme  'a 
porte.  —  l£  pwo:t  o  cjo:s  V.  l£  pw£:c  0  cjo:s  A. 
—   cj£U   1  œx   G.   cjo   k   pw£:c   A. 


NOTES  SUR  QUELQUES  PATOIS  VOSGIENS  255 

cqe    V  tua. 

dagiTgola  V  dégringoler. 

darje  G   derrière. 

dà   V  F   denl. 

dàt|5je    V  pissenlit. 

de:    P  S   des. 

de: m   P   dame. 

d£   G  V    de. 

d£dà   V   dans,  d-dans   —  £  j   a    da;    trœd   d£dà    1  ry. 

d£dpy    V   davanlagc.  —    i    vuro   on    £vw£   dzdpy. 

d£d5yna   S   déjeuner  (v.),    faire    le  premier   repa>i. 

d£ft£:j    S   tablier. 

d(£)Ha  V  dire.  —  komà  k  fo  d£Ha.  —  £l  i  due  k£ 
\vi.  —  «  s  0  bje  »  k  £l  i  dueir.  —  £  li  dn^  G.  — 
£  fo  k    tœ   m   d£H^;s  G.  —  à  dnà   V.  » 

d£HNœf  G  V    10. 

dsifH)   V    10.   d£iii    u:r. 

d£iH^:t    G  V    18. 

d£is£t   F   17. 

d£iS   P   d£ix   G   10. 

d£ixs£t   G   V   17. 

d£i5^:t   F   18. 

d|;krœva:t,    dekicevaiu    P   découvertes   découvert. 

d£kwo5£   G  découvrir. 

d£m    F  dame. 

d£me:S   G  dommage. 

d(£)n)£j    V   demi.   —   £11  d£m£j   u:r.    —  £n  u;r  £  dm£j. 

d;£)mura  V  d£mur£  G  demeurer,  rester.  —  £  n  d£inu:r  mi 
tràkil. 

d£$at  S  /^.  , 

d£$avula  V   échevclé. 

d£55:t   P  descendre. 

d£txy  V  au-dessus.   —  î  po   d£txy   t  Ce   no. 

d£va]a   V    d£val£  G   descendre. 

dEvàta^o  F    avant-hier. 

d£veza   S   deviner. 

d(£)vo   V   F    avec. 

d£vol£   P   descendre. 

d(£)xy   V   sur.    —   ô   \z]y.    Ixy    not    ky. 


256  REVUE  DE  PHILOLOGIE.  FRANÇAISE 

dezo   V   d£zo  G  sous. 

d£5   S  JO. 

d£5N£:v  F   d£5Ny:f   S    J9. 

d£5^:t    S  /^. 

d£5noto   "V    déjeuner  (n.),  premier  repas. 

d£5nota  V  déjeuner   (v.),    faire  le  premier  repas. 

de5una  V  d£5y;ne  F   diner  (v.),    faire   le   repas  de  midi. 

d£5yni  G  desyne   P   déjeuner  (n.).   premier  repas. 

d£5ynoLe   F   de3ynuta   V    déjeuner   (v.). 

d£3ynô   P   d£3Ù    G   V  diner   (n.),  repas  de   midi. 

di    V   du.    —   s  0   di   bo.    —   s    o  l£    $mT   di   harjo. 

di:l£  F  aifisi,   comme   ça. 

di:mw£d5    S   dimanche. 

di:na   V   di:n£  G  ainsi,   comme   ça. 
♦djomwÈ:^   G  djomw£:5    V    dimanche. 

do  A  G   P  du.   —    s  0  do   bo  G. 

do   V  do:j   G  doigt.    —  j    a   fro   a:   do   V. 

do: s  G   V    F    du;z  S  douze. 

do   G  P   dent. 

dov£  S  avec. 

dœm£j    P   demi. 

dœve;r  G  V  ouvrir.   —  i  dœvra  l'ux  V  j'ouvre  la  porte. 
—  dœvre   G  ouvrez.  —  1   œ$  o  dœva;t  P. 

dro   V   droit,    debout.   —   i   n   tapa  mi   dro.   —   i   n   s^ 
mi   su    d   £d    dro  je  ne  suis  pas  fatigué  d^être  debout. 

drœmi  V   S   dormir.    5  drœm    V  F    A    G   ô   dRœm   P 
on  dort. 

du(z)   G   V   S,     dus   ¥2—   duz  u:r  s    dm£j    V. 

dvàt£   s,   dv£t£;j    G  tablier. 

dwa    V   vers,   du  côté  de. 

à^evh  S  gerbe. 

d5U   S  joug. 

d3y;n    S  jeune.   —   d3y;n   om  garçon. 

P.    Passy,  Neuilly  sur  Seine. 
(a  suivre.) 


L'ÉVOLUTION  PHONOGRÂPHIQUE  DE  VOl  FRANÇAIS 

(Suite  et  fin  *) 


A  côté  de  rorthographo  en  ai,  l'orthographe  en  e  avait 
en  effet  aussi  ses  partisans  et  faisait  valoir  ses  droits  à  la 
préférence.  C'était  un  retour  à  l'ancienne  écriture  phoné- 
tique des  premiers  monuments  littéraires  de  la  langue. 
Meigret  (1)  n'écrivait  pas  fmuses,  mais  c'est  parce  qu'il 
prononçait  fmnçoês,  et  qu'il  écrivait  comme  il  pronon- 
çait ;  en  revanche,  il  écnvàd  iiecesseres  et  iamès.  Pelle- 
tier (2)'transcrivait  aussi  fmuçoese  et  représentait  pare  le 
son  que  de  son  temps  avait  l'o/des  imparfaits  et  des  con- 
ditionnels :  //  priet,  il  étudiel,  f  ailes,  il  diret.  Ramus(H) 
employait  oe  où  il  prononçait  o^^  [avoer,  avoe,  loe,  fransoes, 
pourcoe,  etc.)  mais  e  tout  simplement  où  l'on  entendait  le 
son  è  :  me  [mais],  i)le:<,ir,  fet,  trete,  père,  etc.  Pasquier  (4) 
rejetait  la  prononciation  et  l'orthographe  corrompues  — 
selon  lui  —  par  l'usage,  et  qu'il  représentait  par  des  mots 
comme  allét,  tenét,  venét,  mais  il  montrait,  en  employant 
cette  transcription,  quel  était,  à  son  avis,  le  système 
graphique  qui  rendait  le  mieus  ces  sons  corrompus. 
Henri  Estienne(5),  pour  constater  aussi  la  mauvaise  pro- 
nonciation des  gens  de  la  Cour  et  des  italianisés,  était 

*  Voir  ci-dessus  pages  96  et  161. 

(1)  Louis  Meigrkt  :  Traita  touchant  le  coinuri  csage  de  l'escriture 
francoisc.    Paris,  1545.   —   Le    Trctte  de    la   Grammaire  J'raiiroc2e. 

Paris,  1550. 

(2)  Jacquks  Pklletirr,  du  Mans  :  Dialogue  de  l'ortogra/e  e  Pro- 
nonciation Françoese,  départi  an  deus  Hures.  Poitiers,  1550. 

(3)  PiiiunE  Il.\Mus  (de  la  Ramée)  :  Gramere.  Paris,  1562. 

(4)  Etienne  Pasquier  :  Lettres  à  M.  Ramus,  professeur  du  Roy  en 
la  philosophie  et  les  mathématiques  (dans  ses  Œucres,  Amster- 
dam, 1723). 

(5)  Henri  Estienne  :  Deuje  dialogues  du  nouceau  langage  J'ranrois 
italianisé  et  autrement  desguizé,  /)rincipalemcnt  entre  les  courtisans 
de  ce  temps.  Genève,  1578. 

Revue  de  i'iiilologie,  v.  17 


258  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

obligé  d'écrire,  tout  en  blâmant  ces  formes, /a//gs,  frances, 
f  estes,  je  dises.  Soit  donc  (comme  nous  l'avons  vu  pour 
ai]  pour  la  proposer  et  la  pratiquer,  soit  pour  la  décrier 
et  la  blâmer,  l'écriture  de  l'ancien  oi  par  e  faisait  aussi 
son  chemin  et  elle  avait  déjà  eu  tout  ce  développement 
lorsque  Joubert(r)  vint  l'arrêter  en  la  remplaçant  par  ai. 
La  lutte  s'engagea  alors  entre  les  deus  nouveaus  sys- 
tèmes et  l'orthographe  traditionnelle.  Tantôt  ai  avait  le 
dessus,  tantôt  e  l'emportait,  tantôt  la  tradition,  profitant 
des  luttes  et  des  hésitations  des  neographes,  reprenait 
ses  droits  qu'on  paraissait  vouloir  méconnaître. 

Théodore  de  Bèze  (2)  préférait  la  transcription  par  e 
pour  exprimer  le  son  de  e  apertum  que  de  son  temps 
avait  oi,  en  écrivant,  de  même  que  Henri  Estienne, 
Angles,  Frances,  Ecosses,  et  aussi  parlet,  allet,  venet. 
Robert  Poisson  (3)  ne  toucha  pas  aus  -oi,  peut-être  parce 
qu'il  ne  les  prononçait  pas  par  è  ouvert,  mais  il  écrivait 
nésésére,  contrércjamés,  mes,  vrée,  dixionére,  etc.  Etienne 
Simon  (4)  qui  prononçait  encore  -oi  =  oè,  ne  pouvait  non 
plus  se  servir  ni  de  e  ni  de  ai  pour  représenter  sa  pro- 
nonciation; mais  sa  manière  d'écrire  parfait  (parfeet), 
affaire  [afeere],  solitaire  isoliteere),  etc.,  nous  donne  la 
mesure  de  son  système,  dont  nous  devons  tenir  compte, 
comme  de  tous  les  autres,  quoiqu'il  ne  se  rapporte  pas 
directement  à  -oi,  pour  mieus  suivre  les  progrès  que 
faisaient  les  différentes  formes  de  transcriptions  propo- 
sées. Jusqu'ici,  on  voit  que  la  tentative  de  Joubert,  si 
bornée  et  restreinte  qu'elle  fût,  n'avait  guère  eu  de 
suites,  du  moins  parmi  les  grammairiens,  qui  ne  s'écar- 

(1)  Laurent  Joubert  :  Dialof/ue  sur  la  cacograp/iio  française. 
Paris,  1579. 

(2)  Théodore  de  Bèze  :  De  J'rancicœ  linguœ  recta  pronuntiatione 
tractatus.  Paris,  1584. 

(3)  Robert  Poisson  :  Alfabet  nouceau  de  la  crée  et  pure  ortogra/e 
fransoise  et  modèle  sus  iselui  en  forme  de  dixionére.  Dédié  au  roi 
de  Franse  et  de  Naearre,  Henri  IIII,  par  Robert  Poisson  equier 
(Aucile)  de  Valonnes,  en  Normandie.  Paris,  1609. 

(4)  Etienne  Simon  :  La  oraye  et  ancienne  orthographe  française 
restaurée  tellement  que  désormais  l'on  aprandra  parfetement  à  lire 
et  à  escrire  et  encor  auec  tant  de  facilité  et  breueté  que  ce  sera  en 
moins  de  mois  que  l'on  ne  faisait  d'années.  Paris.  1609. 


ÉVOLUTION  DE  l'oI  FRANÇAIS  259 

talent  pas  de  la  tradition,  ou  qui  proposaient,  pour 
représenter  le  son  de  Ve  ouvert,  un  e,  soit  sans  accent 
(détail  qui  n'a  guère  de  signification  ni  de  portée,  eu 
égard  à  ce  que  l'emploi  des  accents  était  alors  tout 
récent  et  ne  s'était  pas  encore  généralisé),  soit  muni 
d'un  accent  grave  ou  aigu  (détail  qui  ne  mérite  non  plus 
de  nous  arrêter,  attendu  le  peu  de  fixité  qu'il  y  avait 
alors  dans  l'usage  des  accents,  chacun  les  employant  à 
son  gré'.  C'est  alors,  quand  on  pouvait  croire  que  l'or- 
thographe ene  aurait  le  dessus  —  ce  dont  nous  devrions 
nous  féliciter,  —  que  parurent,  l'un  après  l'autre,  les 
ouvrages  d'Oudin(l),  Vaugelas  ^2^,  Chillet  (3)  et  Port- 
Royal  (4),  dont  aucun,  comme  nous  l'avons  vu  plus 
haut,  ne  patronnait  des  modifications  dans  V-oi  tra- 
ditionnel, mais  qui  employaient  tous  néanmoins  l'écri- 
ture ai  pour  représenter  le  son  donné  à  \'-oi,  ce  qui 
équivalait  à  recommander  ai  à  tous  ceus  qui  ne  voulaient 
pas  suivre  la  routine.  L'affirmation  si  catégorique  de 
MM.  de  Port-Royal  que  «  la  plupart  des  auteurs  écrivent 
aujourd'hui  connaître ,  paraître,  français  »,  nous  donne  la 
mesure  du  terrain  gagné  en  peu  de  temps  par  ai  sur  e  et 
sur  oi. 

Le  Dictionnaire  des  Prétieuses  (o),  —  nous  l'avons  vu,  — 
fait  des  concessions  à  tous  les  systèmes,  peut-être,  comme 
nous  l'avons  indiqué,  parce  que  la  prononciation  était 
aussi  incertaine  que  l'écriture  :  d'accord  avec  l'ortho- 
graphe traditionnelle,  on  y  trouve  (je  ne  parle  que  des 
mots  réformés)  étoit,  coùtoit,  méconnaissante;  d'accord 
avec  les  partisans  de  Vai,  on  y  trouve  conaît,  gâtait  ; 
d'accord  avec  Poisson,   reconnétre,  rédeiir,  frédeur,   et 

(1)  Antoine  Oudin  :  Grammaire  françoiso  rapportée  au  langage 
du  temps.  Paris,  1633. 

(2)  Claude  Faviuc  de  Vaugelas  :  Remarques  sur  la  langue  fran- 
çoiso.  Paris,  1647. 

(3)  Le  P.  Laurent  Ciiiflet  :  Essai,  d'une  parfaite  grammaire  de 
la  langue  française,  etc.  .\iivers,  1659. 

(4)  MM.  DE  Poht-Royal  :  Grammaire  générale  et  raisonnée  con- 
tenant les  fondement'^  do  l'art  de  parler,  etc.  Paris,  1660. 

(5)  Antoine  Bodeau  de  Somaize  :  Le  grand  Dictionnaire  des 
Prétieuses.  Paris,  1661. 


260  REVUE   DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

enfin,  pour  présenter  des  échantillons  de  toutes  les  néo- 
graphies, parêt,  parétre,  forme  nouvelle  où  l'accent  cir- 
conflexe était  assurément  destiné  à  représenter  le  son  long 
de  la  voyelle,  par  compensation  de  la  perte  de  la  diphton- 
gue et  de  l's.  C'était  l'éclectisme  graphique,  s'il  m'est 
permis  d'employer  le  mot. 

La  réforme,  qui  paraissait  pencher  du  côté  des  ai, 
revint  sur  ses  pas,  et  la  transformation  des  oi  en  e  eut 
encore  une  fois  le  dessus.  De  l'Esclache  (I)  remit  en  hon- 
neur les  é,  «  pansant,  —  comme  il  disait,  —  que  l'ortôgrafe 
doit  être  conforme  à  la  parole  »  contre  l'opinion  de  cens  qui 
«  âsûrent  qu'éle  doit  marquer  l'origine  des  mos  que  nous 
emploïons  pour  exprimer  nos  pansées  ».  Lartigaut  (2), 
avec  un  esprit  aussi  logique  qu'éclairé,  remplaça  par  ê 
tous  les  ai,  e,  é  et  oi,  quelle  que  fût  leur  orthographe 
reçue,  dont  la  prononciation  était  è  ;  il  écrit  fmncéx^e,  fêl, 
région,  lêx>é,  conèx:,  pouvêt,  conlrêres,  sujet,  règles,  faudrét, 
plêze,  etc.,  et  il  faut  reconnaître  qu'il  n'a  pas  tort  de 
vanter  son  zèle  pour  éviter  les  contradictions,  lorsqu'il 
assure  que  «  je  condane  moi-même  les  fautes  que  je  puis 
»  avoir  lésé  couler  (ou  l'imprimeur)  contre  les  principes 
»  qu'il  faut  suivre  ;  et  je  puis  dire  sans  vanité  que  je  suis 
y>  le  seul  qui  n'établis  rien  qui  leur  sèt  opozé  et  qui  ne 
»  me  contredis  pas  ;  qui  et  asurément  le  pluz  grand 
»  point  que  l'on  puise  et  que  l'on  doive  garder,  mes  que 
»  persone  n'a  pu  ancor  observer  sur  ce  sujet  ».  C'est 
alors  que  Berain  (3),  cinq  années  après,  publia  son 
ouvrage  avec  le  peu  de  succès  que  nous  avons  eu  l'occa- 
sion de  constater,  et  il  faut  sauter  jusqu'à  l'abbé  Girard, 

(1)  Louis  de  l'Esclache  :  Le*'  rùritables  Régies  de  l'ortôgrafe 
francésc,  ou  l'Art  d'api-andre  en  pou  de  tains  à  écrire  côrectemant. 

Paris,  1668. 

(2)  Nicolas  Lajitigaut  :  Les  progrès  de  la  réritable  Ortografe, 
ou  l'ortôgrafe  francôse  fondée  sur  ses  principes,  confirmée  par 
démonstracions.  Ouvrage  particulier  et  nécésêr  à  toutes  sortes  de 
jiersonnes  qui  veulent  lire,  prononcer  ou  écrire  parfèteniant  par 
règles.  P.aris,  1669.  —  Principes  infaillibles  et  règles  assurées  de  la 
juste  prononciation  de  la  langue  françoise.  Paris,  1670. 

(3)  N.  Berain  :  Nouvelles  remarques  sur  la  langue  françoise. 
Rouen,  1675. 


ÉVOLUTION  DE  l'oI  FRANÇAIS  261 

en  passant  par-dessus  Milleran,  pour  retrouver  en  hon- 
neur l'orthographe  en  ai. 

La  publication  du  Dictionnaire  de  rAcadémie  appro- 
chait et  les  questions  orthographiques  étaient  à  tout 
moment  sur  le  tapis.  On  s'accordait  à  trouver  mauvaise 
l'écriture  généralement  pratiquée,  mais  le  désaccord 
éclatait  aussitôt  qu'il  s'agissait  de  la  rélormer;  chacun 
mettait  en  avant  son  opinion  et  voulait  la  faire  triom- 
pher. «  Le  principal,  —  disait  Bossuet  en  donnant  son 
»  avis,  —  est  de  se  fonder  en  bons  principes  et  de  bien 
»  faire  connoistre  l'intention  de  la  Compaignie,  qu'elle  ne 
»  peut  soutîrir  une  fausse  règle  qu'on  a  uoulu  introduire 
»  d'escrire  comme  on  prononce,  parce  qu'en  uoulant 
»  instruire  les  estrangers  et  leur  faciliter  la  prononcia- 
»  tion  de  nostre  langue,  on  la  fait  mesconnoistre  aus 
»  François  mesmes.  Si  on  escriuoit  tans,  chan,  cliani, 
»  émais  ou  émés,  antcrreman,  connaissais,  faisaient,  qui 
»  reconnoistroit  ces  mots  (1)?  »  Il  est  vrai  qu'il  s'opposait 
aussi  aus  prétentions  des  étymologistes,  qui  blessent  les 
yeus  d'une  autre  sorte  «  en  leur  remettant  en  ueuë  des 
lettres  dont  ils  sont  desaccoutumez  et  que  l'oreille  n'a 
jamais  connues  »  ;  mais  il  n'en  est  pas  moins  certain 
que  Bossuet,  se  posant  comme  l'ennemi  du  changement 
de  V-oi  et  comme  le  champion  de  l'usage  reçu,  laissa 
sans  défense  dans  l'Académie,  où  les  étymologistes 
étaient  en  majorité,  les  droits  de  la  langue  aus  innova- 
tions graphiques  exigées  par  des  changements  phoné- 
tiques autorisés  par  l'usage.  Ce  fut  une  occasion  manquée 
dont  la  langue  a  eu  à  subir  les  conséquences  pendant  des 
siècles,  et  dont  on  constate  encore  les  suites  fâcheuses. 

Entre  l'ouvrage  de  Berain  et  celui  de  l'abbé  Girard,  il 
faut  placer  les  Doutes  sur  l'ortographe  de  M.  Rodilard  (-2), 
partisan,  mais  seulement  à  demi,  de  l'emploi  dese;  les 
Deux  Grammaires  fransaizes  de  M.  Milleran  (3),  partisan 

(1)  Daus  les  Cahiers  de  remarques  sur  l'orthorjrap/ic  française 
pour  le  Dictionnaire  de  1691.  (Édition  de  Marty-Laveaux.  Paris,  1863.) 

(2)  François  Rodilard  :  Doutes  stcr  l'ortographe  francese.  Paris, 
1693.  —  Il  écrivait /'/•anccj,  holandes,  mais  aussi /)a/'0^^r<?,  cenoit. 

(3)  René  Milleran,  professeur  des  langues  fransaize,  aleraande  et 
anglaize  ;  Les  deux  grammaires  fransaizes,  l'ordinaire  d'apresant 


262  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

déclaré  des  ai  ;  la  première  édition  du  Dictionnaire  de 
l'Académie  (1),  qui  venait  consacrer  la  plupart  des  exa- 
gérations des  étymologistes  et  l'orthographe  en  oi,  —  cela 
va  sans  dire,  —  et  enfin  le  Projet  (Vun  Esei  de  granmére 
francé:ie  (2],  dont  l'orthographe  faisait  bien  voir  que  si 
l'Académie  avait  parlé,  elle  n'était  pas  obéie  sans  protes- 
tations et  que  l'esprit  d'innovation,  fort  des  raisons  où 
il  s'appuyait,  ne  renonçait  nullement  à  faire  valoir  ses 
droits  devant  le  grand  public.  Je  ne  parle  ni  de  Pierre 
Corneille,  ni  de  Choisy,  ni  de  Dangeau,  ni  de  Ménage,  ni 
de  Régnier  des  Marais,  ni  de  tant  d'autres  qui,  quelque 
mérite  qu'ils  aient  acquis  par  leurs  ouvrages,  et  quelles 
qu'aient  pu  être  leurs  opinions  en  matière  d'orthographe, 
n'ont  point  parlé  de  notre  sujet  d'étude,  mais  ont  respecté 
et  pratiqué,  par  conviction  ou  par  habitude,  ou  par 
quelque  autre  cause,  l'écriture  en  oi.  Nous  n'avons  rien 
à  faire  ici  de  ces  grammairiens  si  ce  n'est  de  constater, 
en  passant,  leur  respect  pour  la  tradition  orthographique. 
Mais  venons  à  l'abbé  Girard  qui,  au  commencement  du 
xvin°  siècle,  arbora  résolument  l'étendard  de  la  réforme 
en  prêtant  son  puissant  concours  aus  partisans  de  la  néo- 
graphie en  ai,  dans  son  ouvrage  L'ortografe  française 
sans  équivoques  (3).  Il  y  donne  les  raisons  les  plus  impor- 

et  la  plus  noucelle  qu'on  puise  faire  sans  altérer  ni  changer  les 
mots  par  le  moyen  d'une  nouvelle  ortografe  si  juste  et  si  facile 
qu'on  peut  apranclre  la  bôté  et  la  pureté  de  la  prononciation  en 
moins  de  tans  qu'il  ne  fat  pour  lire  cet  ourrage  jjar  la  dij'erance 
de  caractères  qui  sont  osi  bien  dans  le  cors  dos  réglas  que  dans 
leurs  exenples,  ce  qui  est  d'otant  plus  particulier  qu'elles  sont  très 
faciles  et  incontestables,  la  prononciation  étant  la  partie  la  plus 
esancielle  de  toutes  les  langues.  Marseille,  1694. 

(1)  Dictionnaire  de  l'Académie.  Paris,  1694. 

(2)  Projet  d'un  Esei  de  granmére  francése  de  laqele  on  ôtc  toutes 
les  létres  inutiles,  é  où  l'onflcsc  la  prononsiasion  de  celés  qui  sont 
néceséres  :  par  le  moyen  de  qoi  l'on  aprendra  le  francéz  plus  faci- 
lement é  an  moins  de  tans  qo  par  l'ortografe  ordinére.  Genève,  1704. 

(.3)  Gabriel  Girard  :  L'ortografe  frccnçaise  sans  cquieoqucs  et  dans 
ses  principes  naturels  :  ou  l'art  d'écrire  notre  langue  selon  lés  loioe 
de  la  raison  et  de  l'usage,  d'une  manière  aisée  pour  lés  dames, 
commode  pour  lés  étrangers,  instrurtice  /)0ur  lés  procinciaujc,  et 
nécessaire  pour  exprimer  et  distinguer  toutes  lés  dijférances  de  la 
prononciation.  Paris,  1716. 


I 


ÉVOLUTION  DE  l'oI  FRANÇAIS  263 

tantes  alléguées  par  les  deiis  partis,  celui  de  la  raison,  — 
comme  il  les  appelé,  ~  et  celui  de  l'usage,  reporte  ses 
lecteurs  quelques  siècles  plus  tard,  dans  le  temps  où  le 
français  ne  vivra  que  dans  les  collèges,  sauvé  seulement 
du  complet  oubli  par  la  beauté  des  ouvrages  de  Des- 
préaux, La  Fontaine  et  Molière,  comme  le  latin  s'est  sauvé 
grâce  aus  beautés  des  ouvrages  de  Virgile,  d'Horace  et  de 
Plaute,  et  il  s'écrie  éloquemment  :  «  Alors  point  de  cour, 
»  point  d'Académie,  point  d'oreille  pour  décider  du  bel 
»  usage  :  lés  livres  seuls  présenteront  aux  yeux  toute  la 
»  pureté  de  la  langue.  Si  nous  n'écrivons  pas  aujourd'hui 
y  comme  on  parle,  alors  on  parlera  comme  nous  avons 
»  écrit  ;  on  cherchera  dans  l'arrangement  dés  lettres 
ù  celui  dés  sons  de  la  voix  ;  et  ce  sera  dans  l'ortografe 
»  qu'on  étudiera  la  prononciation  dés  mots.  Mais  hélas  ! 
»  quelle  horrible  confusion  ne  me  sàmble-t-il  pas  voir  ! 
»  Ne  vous  figurez-vous  pas  ce  cahos  affreux  et  ce  boule- 
»  versement  général  du  langage  causé  par  ces  lettres 
»  inutiles  en  mille  endroits  et  nécessaires  en  mille 
»  autres,  par  ce  protéisme  continuel  dés  caractères,  par 
B  ces  ambiguïtés  et  ces  équivoques  perpétuelles  dans  le 
»  son  et  dans  la  valeur  dés  lettres?  Car  cete  langue  si 
»  belle,  si  noble  et  si  polie  dans  la  bouche,  n'est  plus  sur 
»  le  papier  qu'un  barbare  langage,  qui  choque  lés  yeux 
»  et  que  l'oreille  ne  pourroit  soufrir  si  la  langue  pronon- 
»  çoit  tout  ce  que  la  plume  a  dessiné.  »  C'était  bien 
défendre  la  cause  de  la  néographie  ;  Girard,  d'accord 
avec  ces  principes,  écrivait  français,  anglais,  hollandais, 
paraître,  connaître,  mais  par  un  reste  de  préjugé,  il  con- 
servait Voi  dans  les  imparfaits  et  dans  les  conditionnels 
des  verbes,  en  donnant  pour  cause  ou  pour  excuse  qu'«  il 
seroit  plutôt  témérité  que  couragedc  vouloir  l'en  déloger». 
Malheureusement  pour  le  parti  de  la  réforme,  l'abbé 
Girard  déserta  ses  rangs  en  se  rétractant  solennellement 
longtemps  après,  dans  les  Vrais  principes  de  la  lan/pie 
françoise{i),  de  la  profession  de  foi  de  sa  jeunesse.  A  quoi 

(1)  Garriki-  Girard  :  Les  vrais  principes  de  la  langue  française 
ou  la  Parole,  réduite  en  méthode,  conformément  aux  lois  de  l'usage. 
Paris,  1748. 


264  REVUE    DE    PHILOLOGIE-  FRANÇAISE 

devons-nous  attribuer  cette  réaction  qui  se  fit  dans  les 
esprits  en  arrêtant  les  progrès  de  l'innovation  ?  Aus  pré- 
jugés d'abord,  très  difficiles  toujours  et  partout  à  déra- 
ciner; puis  à  la  diversité  même  des  opinions  émises  et 
des  systèmes  adoptés  pour  représenter  le  même  son- 
tantôt  figuré  par  ai,  suivant  Joubert,  Berain,  Somaize  et 
Milleran,  tantôt  par  e,  d'accord  avec  Ramus  et  Rodilard, 
soit  par  ee  selon  Simon,  soit  par  é  d'après  Poisson  et  de 
l'Esclache,  ici  par  è  suivant  Meigret,  et  là  par  ê  suivant 
Lartigaut  ;  enfin  et  surtout  à  l'existence  d'une  autorité  et 
d'une  règle  :  le  Dictionnaire  de  l'Académie.  Quoi  qu'il  en 
soit,  il  nous  faut  constater  cette  rétrogradation,  dont  nous 
trouvons  aussi  les  traces,  même  dans  les  ouvrages  de 
Racine.  Ce  grand  poète,  en  effet,  dont  on  a  toujours 
reconnu  et  loué  l'exquise  correction  et  le  goût  éclairé, 
avait  écrit  dans  la  première  édition  de  son  Andromaque, 
en  1667  : 

Lassé  de  ses  trompeurs  attraits 

Au  lieu  de  l'enlever,  seigneur,  je  la  fuirais. 

Mais  dans  les  éditions  postérieures,  depuis  celle  de  1673, 
sept  années  après,  le  dernier  vers  se  trouve  changé; 
pour  désavouer  l'orthographe  et  même  la  prononciation 
auparavant  adoptées,  Racine  écrit  : 

Lassé  de  ses  trompeurs  attraits 

Au  lieu  de  l'enlever,  fuyez-la  pour  jamais  (1). 

Ce  fait  nous  prouve,  d'un  côté  l'étendue  et  la  portée 
de  la  nouvelle  orthographe,  qui  prenait  place  même 
dans  les  écrits  les  plus  autorisés,  et  de  l'autre  l'oppo- 
sition que  l'on  faisait  à  la  réforme,  opposition  si  puis- 
sante et  si  persévérante  qu'elle  réussit  à  obtenir  d'aussi 
éclatantes  rétractations.  Si  nous  rapprochons  d'ailleurs 
ce  fait  des  remanjues  de  Vaugelas  sur  la  prononciation 
ù'aveine  et  de  la  rectification  de  Patru  à  la  prononciation 
donnée  par  Vaugelas  pour  les  -oi  des  adjectifs  de  natio- 

(1)  Jkan  Racink  ;  Andromaque,  acte  111,  scène  I.  Voyez  sur  celte 
question  Girault-Duvivicr  et  Landais. 


ÉVOLUTION  DE  l'oi  FRANÇAIS  265 

nalité  (1),  il  faudrait  convenir  que  la  modification  du 
vers  de  Racine  n'était  pas  seulement  un  tribut  payé  aus 
préjugés  graphiques,  mais  aussi  une  rectification  de  sa 
prononciation  première. 

On  ne  peut  nier  l'abandon,  ou  du  moins  le  ralentisse- 
ment de  la  réforme  des  oi  dans  le  domaine  de  la  littéra- 
ture didactique  et  grammaticale,  après  la  publication  du 
Dictionnaire  de  l'Académie  ;  l'abbé  de  Saint-Pierre  (2) 
lui-même  —  qui,  en  constatant  la  différence  de  pronon- 
ciation entre  le  verbe  courois  et  le  substantif  convoyé, 
(différence  qui  n'existait  pas  auparavant,  parce  qu'il  avait 
entendu  des  vieillards  les  prononcer  de  la  même  manière 
l'un  que  l'autre^,  reconnaît  que,  puisque  la  prononciation 
a  changé,  il  serait  raisonnable  de  changer  aussi  l'écri- 
ture, —  n'ose  pourtant  pas  pratiquer  ce  changement,  et 
il  écrit  partout  françom,  avoit,  pcwoître,  etc  On  se  trom- 
perait beaucoup  toutefois  si  on  jugeait  de  l'état  de  l'opi- 
nion et  de  l'attitude  du  public  par  les  écrits  des  gram- 
mairiens seulement.  La  preuve  que  le  public  était  d'autre 
avis,  nous  la  trouvons  dans  la  chaleur  même  que  les 
adversaires  de  la  néographie  mettent  dans  leurs  discours  : 
l'illustre  d'Olivet,  le  continuateur  de  Vllistoire  de  l'Aca- 
démie de  Pellisson,  adressa  aus  réformateurs  l'apostrophe 
suivante,  d'autant  plus  remarquable  qu'elle  vient  d'un 
savant  qui  travaillait,  d'accord  avec  l'Académie  et  pour 
la  troisième  édition  de  son  dictionnaire,  «  à  ôter  toutes 
les  superfluités  qui  pourroient  être  retranchées  sans 
consé((uence  »  de  l'orthographe,  non  sans  avertir  qu'en 
cela  «  le  public  étoit  allé  plus  vite  et  plus  loin  qu'elle  (3)  ». 
«  Pourquoi, —  s'écriait  d'Olivet,  —  pourquoi  touchons- 
»  nous  à  notre  orthographe?  Belle  demande!  Nous  le 
»  faisons,  dit-on,  pour  faciliter  la  lecture  de  nos  livres 
')  aux  étrangers.  Comme  si  les  voyelles  portoient  tou- 
»  jours  à  l'oreille  d'un  Anglois,  d'un  Polonois  le  même 
»  son  qu'elles  portent  à  la  mienne  !  Qui  ne  sait  que  les 

(1)  Voyez  plus  haut,  page  168. 

(2)  CiiARLES-IiŒNicK    Castkl,   abbé   de    Saint-Pierre   :  Di.-^cours 
pour  perfectionner  l'ortografc,  1724.  (Dans  les  Mémoires  de  Trévoux.) 

(3)  L'Abbé  d'Olivet  :  Histoire  de  V  Académie  française.  Faris,  1729. 


266  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

»  savants  des  nations  différentes,  s'ils  veulent  se  parler 
»  en  latin,  ont  peine  à  s'entendre  ou  même  ne  s'en- 
»  tendent  point  du  tout,  quoique  l'orthographe  soit 
»  précisément  et  invariablement  la  même  pour  toutes  les 
»  nations?  Plusieurs  de  nos  jeunes  auteurs  se  plaisent, 
»  depuis  quelque  temps,  à  écrire  ils  chantaient,  je  clian- 
»  tais,  et  il  n'est  pas  difficile  d'en  deviner  la  raison  : 
»  Ainsi  les  courtisans  d'Alexandre  se  croyaient  parvenus 
»  à  être  des  héros  lorsque,  à  l'exemple  de  leur  maître, 
»  ils  penchoient  la  tête  d'un  côté  (1).  » 

Des  raisonnements  si  vifs  et  si  chaudement  exprimés 
ne  pouvaient  manquer  de  frapper  les  esprits  en  les 
détournant  des  nouveautés.  Mais  on  avait  beau  fou- 
droyer la  néographie  par  des  raisons  et  des  invectives, 
la  néographie  taisait  son  chemin  comme  la  néophonie 
avait  fait  le  sien,  malgré  tous  les  raisonnements  et  toutes 
les  philippiques  ;  c'est  qu'elle  répondait  au  besoin  d'ac- 
corder le  langage  avec  l'écriture,  besoin  toujours  senti, 
et  dont  les  réformes  partielles  de  l'Académie  ne  faisaient 
que  raviver  la  force  et  montrer  la  raison. 

Le  flot  de  la  contre-réforme  montait  cependant  toujours 
et  menaçait  de  tout  engloutir;  on  discutait  d'abord  s'il 
vaudrait  mieus  changer  oi  en  ai  ou  en  è  ;  plus  tard  on 
ne  voulut  point  de  changement.  Du  Marsais,  en  1730, 
proclamait  (^2)  que  «  l'écriture  n'a  été  inventée  que  pour 
»  indiquer  la  prononciation  ;  qu'elle  n'a  pu  peindre  la 
»  parole,  qui  est  son  original  ;  elle  ne  doit  pas  en  doubler 
»  les  traits,  ni  lui  en  donner  ceux  qu'elle  n'a  pas,  ni 
»  s'obstiner  à  la  peindre  à  présent  telle  qu'elle  était  il  y 
»  a  plusieurs  siècles  »  ;  il  disait  après  cela  que  «  si  l'on 
»  vouloit  une  réforme,  il  falloit  plutôt  la  prendre  des 

(1)  L'abbé  d'Omvet  :  Retnai-qucs  sur  Racine.  11  donne  pour  motifs 
de  la  conservation  de  l'orthographe  reçue  que  «'',  ainsi  que  oi,  a 
plusieurs  sons  différents.  Dans  une  lettre  au  président  Bouhier 
(1"  janvier  1736),  il  déclare  «  qu'il  y  a  six  mois  que  l'on  délibère  sur 
l'orthographe  »  dans  l'Académie  ;  et  que  toutes  ces  délibérations 
«  n'ont  servi  qu'à  faire  voir  qu'il  étoit  impossible  que  rien  de  systé- 
raaticiue  partit  d'une  compagnie  ». 

(2)  CiisAR  DU  Marsais  :  Des  tropes,  ou  des  différcns  sens  dans  les- 
quels on  peut  prendre  un  même  moi  dans  une  même  langue.  Paris,  1730. 


i 


EVOLUTION    DK    L  OI    FRANÇAIS 


267 


»  mois  accès,  procès,  succès,  très,  après,  dès,  que  de  se 
»  régler  sur  palais  et  un  petit  nombre  de  mots  pareils 
»  que  l'on  écrit  par  ai  à  cause  de  l'étimologie  palatium, 
»  et  parce  que  telle  étoit  la  prononciation  de  nos  pères; 
»  autrement  c'est  réformer  un  abus  par  un  plus  grand  »; 
après  quoi  il  s'en  tenait  aus  oi  dans  la  pratique,  ce  qui 
n'était  pas  très  logique.  Le  renommé  critique  M.  Duclos  (1) 
remarque  aussi  vers  1756  que,  de  ses  jours,  Cliarolois  est 
devenu  Charolès,  liarnois  a  fait  liâmes  ;  en  reconnaissant 
ces  changements  dans  la  prononciation,  il  ne  veut  pour- 
tant pas  changer  l'orthographe,  et  il  explique  cette  con- 
tradiction par  f<  l'instabilité  naturelle  de  la  prononciation, 
et  l'impression  durable  que  fait  l'écriture  sur  les  imagi- 
nations »  ;  «  je  n'ai  pas  cru,  —  dit-il  aussi,  —  devoir 
»  toucher  aux  fausses  combinaisons  de  voyèles  tôles  que 
»  les  ai,  ei,  oi,  etc.,  pour  ne  pas  efaroucher  les  ieux  ;  je 
»  n'ai  donc  pas  écrit  conêtre  au  lieu  de  comioître,  francès 
»  au  lieu  de  français,  jamès  au  lieu  de  jamais,  frèn  au  lieu 
»  de  frein,  pêne  au  lieu  de  pci)ie,  ce  qui  seroit  pourtant 
»  plus  naturel  ».  Voilà  où  nous  en  étions  de  logique  et 
de  conséquence.  C'est  pourquoi  on  lit  avec  plaisir  le 
Précepteur  (2),  quoiqu'il  n'ose  toucher  qu'aus  adjectifs 
de  nationalité,  et  surtout  les  ouvrages  d'un  académicien 
comme  de  Wailly  (3)  qui  n'hésite  pas  à  renier  les  préjugés 
et  à  pratiquer  ouvertement  les  principes  qu'il  soutient, 
quoique  non  dans  toute  leur  étendue.  Il  demande,  par  la 
bouche  des  dames,  une  réforme  à  l'Académie,  et  il  dit, 
parmi  d'autres  choses,  aus  membres  de  la  Compagnie  : 
«  Vous  ririez  si  vous  nous  entendiez  prononcer  oi  l'An- 
»  {/lois,    le  François,   le   Polonois,  je   paroissois,    qu'il 

(1)  Charles  Pinaud-Duclos  :  Remarques  à  la  çjrammaire  de 
Port-Royal.  Paris,  1756. 

(2)  Le  Précepteur,  c'est-à-dire  huit  traités,  sacoir  une  grammaire 
francése,  une  ortografe  francèse,  etc.  Paris,  1750.  Sans  nom  d'auteur. 

(3)  Noël-François  Wailly  :  Principes  généraux  et  particuliers 
de  la  langue  française,  acèc  les  moyens  de  simplifier  notre  ortho- 
graphe, des  remarques  sur  les  lètres,  la  prononciation,  la  prosodie, 
la  ponctuation,  l'orthographe  et  un  abrégé  de  la  ce rsificat ion  fran- 
çaise. Paris,  1754.  —  De  l'orthographe.  Paris,  1771.  —  L'orthographe 
des  dames  fondée  sur  la  bonne  prononciation.  Paris,  1782. 


268  REVUE    DE    PHILOLOGIE -FRANÇAISE 

»  paroisse,  etc., comme  ces  lettres  se  prononçaient  autre- 
fois, et  comme  elles  se  prononcent  encore  aujourd'hui 
dans  le  Danois,  Saint-Fmiiçois,  la  paroisse,  etc.  Pour- 
quoi cela?  C'est  que  les  lois  de  l'usage  pour  la  pronon- 
ciation sont  à  notre  portée.  Il  n'en  est  pas  de  même 
dans  l'orthographe  actuelle.  Voilà  pourquoi  nous  vous 
en  demandons  la  réforme.  Ne  demanderiez-vous  pas 
à  un  législateur  la  réforme  de  ses  lois  s'il  vous  étoit 
moralement  impossible  de  les  suivre?  Qui  pourroit  en 
ce  cas  iDlàmer  votre  demande  ?  Qui  oseroit  la  traiter  de 
ridicule?  Il  est  sans  contredit  louable  en  fait  d'ortho- 
graphe, comme  en  autre  chose,  de  quitter  une  mau- 
vaise habitude  pour  en  contracter  une  bonne.  Un 
usage  qui  n'est  pas  à  la  portée  du  plus  grand  nombre 
de  ceux  qui  doivent  l'observer  est  contraire  à  la  rai- 
son. C'est  une  erreur,  un  abus  qui  doit  être  corrigé 
avec  empressement.  L'erreur,  quelque  invétérée  qu'elle 
soit,  demeure  toujours  erreur  :  la  multitude  de  ses 
sectateurs  ne  sauroit  lui  donner  le  glorieux  titre  de  la 
vérité.  »  Wailly  cependant,  lui  aussi,  malgré  ces  rai- 
sons aussi  nettement  conçues  que  clairement  exprimées, 
écrivait  fèt,  èder,  mes,  rêson,  jamés,  francês,  conêsanse, 
panUra,  mais  à  côté  de  seroit,  étoit.  L'auteur  du  supplé- 
ment de  la  grammaire  de  Wailly  (1)  emploie  ai  au  lieu 
de  ê,  comme  dans  français,  etc.  Demandre  (2)  aussi,  pre- 
nant position  contre  les  néographes,  leur  faisait  quelques 
concessions  comme  celle  de  Portugais  par  exemple.  «  Lors- 
»  que  dans  les  finales  des  verbes,  —  disait-il,  —  il  y  a  le 
»  son  d'é  ouvert,  on  l'écrit  toujours  par  oi;  plusieurs 
»  noms  terminés  par  le  même  son  et  surtout  des  noms 
»  de  peuples,  s'écrivent  aussi  par  ois,  comme  François, 
»  Anglais,  Polonais,  etc.,  Portugais  s'écrit  par  ai.» —  «  PIu- 
«  sieui's  écrivains  célèbres,  —  ajoutait-il,  —  trouvent 
»  cette  i)ratiquc  si  vicieuse  qu'ils  ne  se  font  point  scru- 
"  pule  de  l'abandonner;  ils  écrlxeni f aimais,  j'aimerais, 

(1)  De  l'ofthor/ra/ihe  ou  des  moyens  simples  et  raiso?inés  de  dimi- 
nuer les  imperfections  de  notre  orthographe,  etc.  Paris,  1771. 

(2)  Jean-Baptistiî  Demandre  :  Dictionnaire  de   l'élocution  fran- 
çoise.  Paris,  1763. 


ÉVOLUTION  DE  l'oI  FRANÇAIS  269 

')  il  aimait,  ils  aimeraient.  Français,  Ançilais,  Polonais, 
»  etc.  ;  d'autres  Francès,  Angles,  etc.  Ils  disent  qu'autre- 
»  fois  on  écrivoit  ces  mots  par  o,  parce  que  l'on  prononçait 
»  ces  oi  durs,  comme  on  le  fait  encore  dans  Suédois, 
')  qu'on  prononce  à  peu  près  Suédouais,  mais  que  la  pro- 
»  nonciation  ayant  change,  la  façon  d'écrire  doit  changer 
»  aussi,  puisque  celle-ci  est  et  doit  être  toujours  soumise 
»  à  celle-là,  et  que,  dès  qu'on  ne  dit  plus  fainiouais,  les 
"  Anglouais,  les  Françouais,  on  ne  doit  plus  écrire  fai- 
»  mois,  Anglais,  François.  »  M.  de  G***,  collaborateur  du 
Journal  de  Paris,  emploie  aussi  le  système  blâmé  par 
Demandre  en  écrivant,  en  178 1 ,  français,  voulait,  serait,  etc. 
C'était,  pour  celui-ci  comme  pour  tant  d'autres,  l'effet 
de  l'exemple  retentissant  de  Voltaire,  l'Alexandre  dont 
l'abbé  d'Olivet  parlait. 

Le  groupe  si  nombreus  et  si  autorisé  des  contre-réfor- 
mistes se  vit  encore  renforcé  par  l'appui  de  Beauzée  (l), 
le  savant  académicien,  rédacteur  des  articles  de  gram- 
maire de  V Encyclopédie  méthodique  Beauzée  mit  ses 
talents  au  service  de  l'orthographe  traditionnelle,  et 
rejeta  d'abord  toute  modification  en  déclarant  que  si 
l'orthographe  est  moins  sujette  que  la  voix  à  subir  des 
changements  de  forme,  elle  devient  par  là  môme  dépo- 
sitaire et  témoin  de  l'ancienne  prononciation  des  mots, 
et  qu'elle  conserve  les  traces  de  la  génération  d'une 
langue,  et  rent  un  hommage  durable  aus  langues  mèreS 
({ue  la  prononciation  semble  désavouer  en  les  tiéfigurant. 
Les  convictions  étymologiques  de  Beauzée  furent  néan- 
moins plus  tard  tout  à  fait  ébranlées,  et  en  dehors  de 
l'écriture  des  oi  qu'il  conserva  partout  suivant  l'ancien 
usage,  il  prit  la  défense  du  néographisme,  en  montrant 
l'inanité  des  arguments  qu'on  opposait  à  ses  partisans. 
«  Ces  changements,  —  dit-il  en  exposant  ces  arguments, 
')  —  en  produiroient  d'autres.  Oui,  j'en  conviens;  l'art 
»  de  lire,  réduit  à  un  nombre  déterminé  d'éléments  pré- 
»  cis,  seroit  mis  par  sa  facilité  à  la  portée  des  plus  stu- 
>^  pides  et  s'apprendroit  en  piîii  de  temps;  l'orthographe 

(1)  Nicolas  Beauzék  :  Articles  Oi-tliorjraijke  el  Nùoyrajjhiaine  de 
V  Encyclopédie  méthodique.  Paris,  1789. 


270  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

»  simplifiée  et  réduite  à  des  principes  clairs  et  généraux, 
»  n'embarasseroit  plus  que  ceux  qui  ne  voudroient  pas 
»  s'en  occuper  quelques  semaines.  Oh  !  voilà,  je  l'avoue, 
»  d'affreux  bouleversements  !  —  On  perdroit  toutes  les 
»  étymologies.  Oui,  on  perdroit  les  traces  incommodes 
»  des  étymologies;  mais  les  savants,  que  cet  objet  regarde 
»  uniquement,  sauroicnt  les  retrouver.  La  langue  appar- 
»  tient  à  la  nation  ;  la  multitude  n'a  nul  besoin  de  remon- 
»  ter  aux  étymologies,  qui  sont  même  perdues  pour  elle, 
»  malgré  les  caractères  étymologiques  dont  on  l'embar- 
»  rasse  dans  les  livres  destinés  à  leur  instruction.  —  Mais 
»  passons  à  ce  qui  choque  réellement  le  plus  les  défen- 
»  seurs  de  l'ancienne  orthographe  :  c'est  qu'ils  seroient 
»  réduits  à  se  placer  avec  les  enfants  pour  aprendre  à 
»  lire  et  à  écrire,  et  qu'il  leur  faudroit  changer  de  tête  et 
»  d'ieux.  Eh  !  messieurs,  n'en  changez  pas  ;  gardez  votre 
»  ancienne  orthographe,  puisqu'elle  vous  plait  ;  mais 
»  permettez  aux  générations  suivantes  d'en  adopter  une 
»  autre  qui  leur  coûtera  moins  que  la  votre  ne  vous  a 
»  coûté,  qui  leur  sera  plus  utile,  qui  servira,  au  contraire 
»  de  ce  que  vous  dites,  à  fixer  notre  langue,  à  la  répandre, 
*  à  la  faire  adopter  pour  les  étrangers.  » 

On  voit  par  toutes  ces  citations  que,  dans  le  terrain 
cultivé  par  les  gens  de  lettres,  le  remplacement  des  oi, 
même  de  la  part  de  ceus  qui  étaient  le  plus  convaincus  de 
son  utilité,  ne  promettait  guère  de  réussir  Déjà  en  1769, 
un  siècle  après  MM.  de  Port-Royal,  qui  avaient  déclaré 
que  la  plupart  des  auteurs  écrivaient  connaître,  paraître, 
français,  Demandre  (1)  avouait  que  le  plus  grand  usage 
de  son  temps  était  contraire  au  remplacement  des  -oi  par 
-ai  ou  par  -è,  lorsque  Voltaire  se  mit  hardiment  du  côté 
des  vaincus,  sans  respect  pour  les  imposantes  autorités 
qui  voulaient  le  maintien  du  statu  quo,  et  proclama  sans 
hésitation  la  révolution  orthographique  en  arborant  son 
étendard  et  mettant  partout  ses  principes  en  pratique,  en 
procurant  à  la  réforme  des  -oi,  comme  dit  Rossmann  (:2), 

(1)  Jean-Rai'tistk  Dkmandiie  :   Dictionnairp  de   l'élocutioti  J'ran- 
çoise.  Paris,  1769. 

(2)  Rossmann  :  Frnn:-ôsii'c/u:'<  oi.  Eiiiingeii,  1882. 


ÉVOLUTION  DE  l'oI  FRANÇAIS  271 

la  propagande  universelle.  L'Académie  entendit  ses 
raisons ,  mais  elle  se  prononça ,  sans  craindre  les 
railleries  du  puissant  écrivain,  pour  la  conservation  et 
le  maintien  des  -oi;  d'Alembert  même,  consulté  par  Vol- 
taire, en  1770,  n'osa  non  plus  lui  donner  une  réponse 
favorable,  eu  égard,  —  disait-il,  —  à  ce  que  français  écrit 
par  ai,  ne  représente  pas  mieus  la  prononciation  que 
frauçois  écrit  par  oi,  et  qu'alors  cet  emploi  de  ai,  au  lieu 
de  oi,  est  un  autre  abus  (1).  Malgré  tout,  Voltaire  persé- 
véra dans  son  opinion,  proclama  la  réforme,  et  enjoignant 
l'exemple  à  ses  prédications,  contrairement  à  ce  qu'on 
avait  jusqu'alors  généralement  pratiqué,  il  lit  usage  des 
-ai  dans  tous  ses  ouvrages,  et  séduisit,  par  l'autoi'ité  de 
son  nom  et  l'etïicacité  de  son  exemple,  plusieurs  esprits, 
comparés  plaisamment  par  leurs  railleurs  adversaires, 
comme  nous  l'avons  vu  ci-dessus  (2),  aus  courtisans 
d'Alexandre  qui  se  croyaient  des  héros  lors(iue,  à  l'exem- 
ple de  leur  maître,  ils  penchaient  la  tète  d'un  côté,  com- 
paraison qui,  certes,  ne  manquait  pas  toujours  de  vérité. 
La  réforme  orthographique  dont  il  s'agit,  qui  avait 
déjà  été  adoptée  depuis  un  demi-siècle  par  les  impri- 
meurs de  Hollande  et  d'Allemagne,  reprit  alors,  en  France 
aussi,  son  premier  essor.  S'il  nous  fallait  croire  Girault- 
Duvivier  (3),  elle  serait  tombée  cei)endant  dans  un  oubli 
général  après  la  mort  de  Voltaire.  Mais  nous  ne  pouvons 
pas  ne  pas  contester  cette  attirmation,  parce  que  toute 
l'histoire  de  la  réforme  que  nous  étudions  nous  montre 
l'impossibilité  de  cet  oubli,  invraisemblable  alors  plus 
que  jamais,  puisque  les  ouvrages  de  Voltaire  jouissaient 
de  la  plus  grande  faveur  et  étaient  entre  les  mains  de  tout 
le  monde;  il  faut  d'ailleurs  remai'qiier  que  la  réforme 
indiquée  était  après  tout  mie  solution,  bonne  ou  mauvaise, 
mais  solution  enliii  du  |)i'oblème  orthoi^rapliique  (ju'on 
avait  toujours  en  vue,  et  (|ue  toutes  les  fois  (pi'on  lâchait 

(1)  Lettre  du  11  mars  1770  de  o'Ai.KMniiRT  k  Voltaiuk. 

(2)  L'abbé  d'Oi.ivkt:  Histoire  do  V  Académie  française,  l^aris,  1729. 
Voyez  plus  haut,  page  266. 

(3)  Cii.\iii,i:s-PiKRHE   GiiiAULT-DuviviHR  :    Grammaire  des  gram- 
maires ou  Analyse  raisonnée  des   meilleurs  travaux  sur  la  langue 

françoise.  Paris,  1811. 


272  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

de  résoudre  ce  problème  (et  c'était  à  toute  heure)  on  ne 
pouvait  oublier,  pour  les  adopter  ou  pour  les  rejeter  sui- 
vant l'avis  de  chacun,  les  solutions  proposées.  En  outre 
de  ces  considérations  a  priori,  nous  avons  des  preuves 
tout  à  fait  concluantes  de  Tin  interruption  de  la  tradition 
réformatrice  et  du  mouvement  néographique  après  la 
mort  de  Voltaire  (30  mai  illS),  dans  le  Journal  de  Paris  de 
1781  où  M.  de  G***  se  plaint  du  «  barbarisme  le  plus  bizarre 
et  le  plus  énorme  qui  subsiste  encore  dans  la  peinture  de 
quelques  mots  de  notre  langue,  particulièrement  l'emploi 
de  l'o  que  l'on  conserve  au  lieu  de  l'a  dans  foiblesse,  con- 
noistre,  françois,  etc.  (1)  »  ;  dans  les  premiers  travaus  de 
Domergue,  qui  remontent  à  1778,  Tannée  même  de  la 
mort  de  Voltaire,  et  où  il  emploie  ai  (2),  quoique  non 
systématiquement;  et  dans  Bouilliette,qui  fait  aussi  usage 
des  ai  (3).  sans  parler  des  auteurs,  grammairiens  ou 
autres,  qui  se  sont  occupés  des  questions  néographiques 
quelques  années  plus  tard. 

Ce  qui  est  vrai,  c'est  que  le  développement  des  événe- 
ments politiques  attira  les  esprits  d'un  autre  côté  et  que 
la  grande  révolution  politique,  sociale  et  religieuse  qui 
éclata  alors  ne  laissa  pas  de  loisir  pour  se  préoccuper  de  la 
petite  révolution  grammaticale;  elle  fut  reléguée  à  un  plan 
si  éloigné  qu'il  n'est  pas  étonnant  qu'elle  ait  passé  tout  à 
fait  inaperçue  Elle  ne  s'en  fit  pas  moins,  et  on  signale  la 
date  du  1"'  novembre  1790  comme  celle  où  le  change- 
ment des  -oi  en  -ai  eut  lieu  dans  le  Moniteur,  pas  vrai- 
ment décisif  dans  le  chemin  du  succès  de  la  réforme. 
L'auteur  du  changement  portait  un  nom  aussi  inconnu 
en  littérature  et  en  grammaire  que  celui  du  maître  de 
postes  à  Sainte-Ménéhould,  Drouet,  l'était  en  politique; 
il  s'appelait  Colas,  et  il  était  prote  à  l'imprimerie  du 
Moniteur  ;  c'était  le  temps  des  hommes  d'action,  et  l'in- 

(1)  A.  F.  DinoT  :  Obsercatlons  sur  l'ortliographc  ou  l'ortorjrafie 
française.  Paris,  1868. 

(2)  Urbain  Domergue  :  Grammaire f rançalsc  simpUJlée.  Paris,  1778. 
—  Journal  de  la  langue  française.  Paris,  1868. 

(3)  BouiLLiiîTTE  :  Traité  des  sons  de  la  langue  française  et  des 
caractères  qui  les  représentent.  Paris,  1788.  (Cité  par  Didot  ;  je  n'ai 
pas  pu  me  procurer  cet  ouvrage.) 


ÉVOLUTION  DE  L'OI  FRANÇAIS  273 

connu  Colas,  en  introduisant  ce  changement,  fit  plus 
pour  la  ncographic  que  les  prédications  des  Girard  et 
des  Wailly  n'avaient  fait,  de  mémo  que  l'intervention 
de  Drouet,  en  arrêtant  Louis  XVI  à  Varennes,  fit  plus 
pour  le  succès  de  la  Révolution  que  n'avaient  fait  les 
écrits  de  Rousseau  et  de  Montesquieu. 

Lorsque  le  calme  revint,  relativement,  aus  esprits, 
les  discussions  recommencèrent  de  plus  belle,  quoique 
le  thème  fût  épuisé  depuis  bien  longtemps.  En  1801, 
Lévizac(l)  reproduisait  les  raisons  de  Du  Marsais  contre 
l'emploi  de  ïai  et  jugeait  préférable,  dans  les  mots  où 
oi  avait  le  son  d'une  voyelle  {2),  de  le  remplacer  par  ê, 
tout  en  respectant  l'autorité  de  l'Académie  «  seul  juge 
compétent  de  cette  matière  ».  Roinvilliers  (3),  une  année 
après,  se  place  du  côté  de  l'orthographe  dite  de  Voltaire; 
r)omergue(4)  était  de  l'avis  de  Lévizac,  et  dans  l'alphabet 
de  son  invention  (o),  il  remplaçait  l'ancien  oi,  suivant 

(1)  Jean-Pont-Victor  Lecoutz,  abbé  de  Lévizac  :  L'az-t  de  parler 
et  d'écrire  correctement  la  langue  française  ou  Grammaire  pkilo- 
fojihique  et  littéraire  de  cette  langue.  Paris,  1801. 

(2)  Voici  les  cas,  selon  Lévizac,  où  la  graphie  oi  avait  de  son  temps 
le  son  de  c  :  «  Oi  est  voyelle,  —  disait-il,  —  ayant  le  son  de  l'è 
»  ouvert  :  1"  Dans  les  imparfaits  et  les  conditionnels  des  verbes  : 
»  je  disois,  je  dirais  ;  2"  dans  les  verbes  en  oitre  qui  ont  plus  de 
»  deux  syllabes  :  paraître,  disparaître;  3"  dans /oiVv^c  et  ses  dérivés, 
»  dans  roide,  dans  monnaie  et  ses  dérivés,  dans  harnais  et  C/iaro- 
»  lois  ;  4"  dans  les  noms  de  nations  dont  on  parle  beaucoup.  » 

(3)  Jean-Forestier  Boinvilliers-Desjardins  :  Grammaire  rai- 
sonnée  ou  cours  tliéorique  et  pratique  de  la  langue  française. 
Paris,  1802. 

(4)  UiiMAiN  DoMEiKiUE  :  G/'ammaifc  française  simplifiée  (2'  édit.). 
Paris,  1792.  «  Oi  est  mal,  —  dit-il,  —  parce  que  c'est  un  signe  trom- 
»  peur  ;  mais  ai  l'est  également,  puisqu'on  le  prononce  d'une  manière 
»  dans  es.'^ai,  délai,  et  d'une  autre  manière  dans  bienfaisant,  j'aimai, 
»  j'aimerai,  etc.  Or,  dans  les  réformes  on  ne  doit  remplacer  un  abus 
»  par  un  abus.  De  la  combinaison  de  Va  ou  de  l'o  avec  l't,  ne  peut 
»  résulter  un  é  ;  une  voi.^  simple  ne  doit  s'e.xprimer  que  par  un  carac- 
»  tère  simple.  »  Il  inventa  à  cet  effet  des  caractères  spéciaus  dont  il  lit 
usage  dans  la  Prononciation  françoise. 

(5)  Urbain  Domi:r(;ue  :  La  prononciation  française,  déterminée 
par  des  signes  invariables,  arec  application  à  divers  morceaux,  on 
prose  et  en  vers,  contenant  tout  ce  qu'il  faut  saooir  pour  lire  aoec 
correction  et  avec  goût;  suicie  de  notions  orthographiques  et  de  la 
nomenclature  des  mots  à  dijjicultés.  Paris,  l'an  V  (1797). 

Kevuk   de  i'iiii.oi.O(iii;,  V.  18 


274  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

les  cas,  soit  par  e  moyen,  soit  par  e  grave,  figuré  le  pre- 
mier par  un  e  ordinaire  et  le  second  par  un  e  avec  une 
petite  virgule  à  gauche.  Girault-Diivivier  (1)  se  déclarait 
contre  les  innovateurs,  et  Maugard  (±),  en  1812,  regardait 
la  réforme  du  même  œil  que  d'Olivet,  et  se  plaisait  à 
répéter  la  chaude  philippique  du  savant  auteur  des 
Heinarques  sur  liacinc  contre  les  néograplies 

Tout  était  déjà  inutile  :  Destutt  de  Tracy  (3),  Vohiey  (4), 
Bulet  (5),  Fortia  d'Urbain  (6),  et  beaucoup  d'autres  avaient 
pi'aliqué  la  réforme,  et  l'écriture  ai  Tavait  tellement 
emporté,  malgré  toutes  les  contrariétés,  que  lorsque 
Laveaux  écriv'it,  en  1823  (7),  son  Dictionnaire,  en  même 
temps  qu'il  blâmait  la  nouveauté  graiihique  en  pro])osant 
de  remplacer  Voi  par  c,  il  n'osait  marcher  hardiment 
contre  le  courant,  et  il  écrivit  comme  tout  le  monde, 
français  et  non  français  ni  francès,  /allais  et  non  f  allais 
ni  faites,  tout  de  même  que  Marie  (8),  Vanier  (9)  ou 
Faure(lO),  qui  étaient  des  néographes.  L'an  1835,  l'Aca- 

(1)  CHAR.LES-FiEnp.,E  GiRAULT-DuviviER  :  Grammaire  des  gram- 
maires, ou  Analyse  /■aisonnée  des  meilleurs  tracaux  sur  la  langue 
françoise.  Paris,  1811. 

(2)  M.\UGARD  :  Cours  de  langue  françoise  et  de  langue  latine 
comparées.  Paris,  1812. 

(3)  Destutt  de  Tracy  :  Éléments  d'Idéologie  :  Grammai/-c.  Paris, 
'an  XI  (1803). 

(4)  VoLNEY  :  L'aljdbet  européen  ajipliqué  aux  langues  asiatiques, 
oucrage  élémentaire  utile  à  tout  coyageur  en  Asie.  Paris,  1821. 

(5)  P.  R.  Fr.  Butet  :  Mémoire  historique  et  critique  dans  lequel 
l's  se  plaint  des  irrujdions  orthographiques  de  l'x,  qui  l'a  sup- 
plantée dans  plusieurs  cas,  sans  aucune  autorisation  ni  étymolo- 
gique, ni  analogique  ;  à  Messieurs  les  Membres  de  l'Académie  fran- 
çaise et  de  celle  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres.  Paris,  1821. 

(6)  Fortia  d'Urbain  :  Nouceau  système  de  Bibliographie  alpha- 
bétique. Pans,  1822. 

(7)  Jkan-Ciiarles  L.wkau.x  .•  Dictionnaire  des  difficultés  de  la 
langue  française.  Paris,  1823. 

(8)  Marle  :  Journal  de  la  langue  française,  didactique  et  litté- 
raire. Paris  (1827-1829). 

(9)  V.-A.  Vanier  :  La  réforme  orthographique  aux  prises  arec  le 
peuple,  ou  le  pour  et  le  contre.  Paris,  1829. 

(10)  L.  Faure  :  Essai  sur  la  composition  d'un  noucel  aljihabet 
pour  seroir  à  représenter  les  sons  de  la  coix  humaine  aeec  plus  de 
fidélité  que  par  tous  les  alphabets  connus.  Paris,  1831. 


EVOLUTION    m-;    LOI    FRANÇAIS  2/.^ 

demie  elle-même,  fidèle  à  ses  traditions,  autorisa  la 
réforme  orthographique  en  l'employant  dans  la  sisième 
édition  de  son  Dictionnaire.  Elle  avait  écrit  sur  sa  ban- 
nière, presque  dès  sa  fondation  :  «  Mon  désir  n'est  pas 
»  de  réformer  nostre  langue,  ny  d'abolir  des  mots,  ny 
»  d'en  faire,  mais  seulement  de  monstrer  le  bon  vsage  de 
»  ceux  qui  sont  faicts,  et  s'il  est  douteux  ou  inconnu,  de 
»  l'esclaircir  et  de  le  faire  connolstre  ;  je  ne  fais  que 
')  rapporter  ce  que  j'ai  vu  et  oiii  ».  Ce  n'était  que  la  pré- 
face de  Vaugelas;  mais  l'Académie,  en  la  répétant,  élevait 
les  propositions  de  cette  préface  au  rang  des  règles  de  sa 
conduite,  à  la  hauteur  de  véritables  lois  linguistiques. 
C'est  donc  à  tort  que  l'on  a  reproché  et  que  l'on  reproche 
encore  à  l'Académie  d'être  arriérée,  et  de  ne  pas  marcher 
en  avant  dans. le  chemin  des  innovations  raisonnables; 
ce  n'est  pas,  ni  ce  n'a  jamais  été  sa  mission  (1)  ;  elle  ne 
pouvait  que  constater  les  faits  et  prêter  l'autorité  de  son 
témoignage  aus  changements  introduits  par  l'usage,  bons 
ou  mauvais,  tels  qu'ils  étaient.  Le  temps  était  venu  de 
témoigner  que  l'usage  voulait  plutôt  de  l'orthographe  en 
ai  que  de  celle  en  oi,  et  l'Académie  le  constatait,  en  en 
prenant  loyalement  acte  dans  son  Dictionnaire  ;  rien  de 
plus. 

Ce  ne  fut  pourtant  pas  sans  contradiction  :  «  il  y  eut,  — 
»  dit  l'académicien  Sainte-Beuve  (2),  —  des  protestations 
»  individuelles  remarquables.  Charles  Nodier  par  inimitié 
»  contre  Voltaire  d'abord,  par  l'effet  d'un  retour  ullra- 
»  romantique  vers  le  passé,  par  plusieurs  raisons  ou 
»  fantaisies  rétrospectives,  continua  de  maintenir  et  de 
»  pratiquer  l'o.  Lamennais  aussi,  radical  sur  tant  de 
»  points,  était  rétrograde  et  réactiomiaire  sur  Yo  ;  il 
»  affectait  de  le  maintenir;  Chateaubriand  de  môme; 
»  c'était  un  coin  de  cocarde,  un  lien  de  plus  avec  le 
»  passé  ».  Comment  faire;*  Tout  le  monde  n'est  pas  tenu 

(1)  Voyez  dans  La  iioacèlc  ortof/raf'c  de  Paris  (1889)  mon  avis  sur 
la  qucsUon  actuelle  de  la  réforme  graphique  et  sur  le  rôle  qu'y  doit 
jouer  l'Académie. 

(2)  CiiAiiLKS-AutiUSTE  Saintk-Bkuvi';  :  Article  inséré  dans  le  Moni- 
teur du  2  mars  1868. 


276  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

d'être  d'accord  avec  son  voisin,  et  il  faut  qu'il  y  ait  tou- 
jours des  mécontents.  La  réforme  n'en  triompha  pas 
moins  :  la  révolution  néographique  des  -oi,  proposée  en 
1578  par  Joubert,  aboutissait  donc,  près  de  trois  siècles 
plus  tard,  après  de  longues  et  pénibles  luttes  où  tous  les 
esprits  éclairés  prirent  part.  Ceci  doit  nous  apprendre, 
d'un  côté  que  nous  ne  devons  jamais  nous  laisser 
emporter  par  l'impatience  au  découragement,  et  d'un 
autre  que  nous  ne  devons  nullement  demander  à  l'Aca- 
démie ce  qu'elle  n'a  pas  ni  ne  peut  avoir,  de  l'initiative, 
de  l'enthousiasme  pour  les  réformes,  quelque  raison- 
nables qu'elles  soient.  C'est  à  nous,  les  partisans  des 
progrès  de  l'enseignement  et  de  l'éducation,  de  travailler 
sans  relâche  à  la  propagande  des  principes  phonétiques, 
de  les  faire  accepter  partout,  et  d'établir  l'usage  des 
innovations  ;  alors,  et  seulement  alors,  viendra  le  tour 
de  l'Académie  pour  constater  cet  usage  et  pour  le  sanc- 
tionner en  le  revêtant  de  son  autorité. 

Combien  de  temps  s'écoulera-t-il  jusqu'à  ce  que  la 
combinaison  ai  soit  remplacée  par  une  autre  repré- 
sentation graphique  plus  conforme  à  la  prononciation  ? 
Ce  sera  alors  le  cas  de  reprendre  l'histoire  des  tentatives 
qui  ont  échoué  jusqu'à  présent,  et  de  voir,  —  en  laissant 
de  côté  les  projets  néographiques  ultra-réformistes,  trop 
hardis  et  presque  impraticables,  à  la  manière  de  ceus  de 
Domergue,  —  laquelle  des  quatre  tendances  qui  se  sont 
présentées  remportera,  ou  celle  de  ïe  de  l'ancien  français 
de  Pelletier,  Ramus,  Estienne,  Bèze  et  Rodilard  (1),  ou 
celle  de  \'é  à  accent  aigu  de  l^asquier.  Poisson  et  de  TEs- 
clache,  ou  celle  de  ïê  à  accent  circonflexe  des  Prétieuses, 
Lartigaut,  Wailly  et  Féline  (2),  ou  celle  de  ïè  à  accent 
grave  de  Meigret,  Du  Marsais,  Duclos,  Lévizac,  Domer- 

(1)  Nous  voulons  parler,  non  seulement  des  auteurs  de  réformes, 
mais  aussi  de  ceus  qui  ont  employé  un  procédé  quelconque  pour 
rendre  la  prononciation  et  constater  les  faits  phonétiques  de  leur 
temps,  même  lorsque  d'ailleurs  ils  ont  pratiqué  l'orthographe  tradi- 
tionnelle. 

(2)  Adrien  Fiii.iNii  :  Mémoire  sur  la  réforme  de  l'alphabet  à 
l'cœemple  de  celle  des  poids  et  mesures.  Paris,  1848.  —  Méthode  pour 
apprendre  à  lire  par  le  si/stèntc  plionétiipic.  Paris,  1854. 


KXOLUIK^N    I)K    l'oi    FRANÇAIS  577 

gue,  Lavcaux,  Marie,  Henricy  (1)  et  Raoux  (2),  ou  quel- 
que autre  caractère  enfin,  comme  l's  grec  employé  par 
y  Association  plionéUque  de  Paris  (3),  quoique  nous  ne 
croyons  pas  probable  que  l'écriture  ordinaire  et  courante 
s'écarte  jamais  des  signes  qui  lui  sont  habituels  et  adopte 
des  caractères  étrangers.  Lorsque  je  me  rappelé  que 
Ve  de  l'ancien  français,  Ve  ouvert  dont  parlait  Bèze,  est 
aujourd'hui  représenté  par  un  è  a  accent  grave  ;  lorsque 
je  vois  que  presque  tous  les  phonétistes  modernes  se 
sont  déclarés  pour  l'adoption  de  cet  è,  je  crois  pouvoir 
compter  que  cette  réforme  du  moins  ne  tardera  pas  à 
entrer  dans  le  courant  de  l'usage  et  que  l'Académie  s'em- 
pressera de  l'autoriser  ;  je  fais  tous  mes  vœus  pour  que 
les  efforts  des  innovateurs  soient  bientôt  couronnés  du 
succès  qu'ils  méritent. 

D^  Fernando  ARAUJO, 

Professeur  à  Tolède. 

Salamanca  (Espagne). 

(1)  Casimih  HiîNRicv  :  La  tribune  des  Uiir/uistes.  Paris,  1850.  — 
Gfamèro  fransèse  d'apr-ès  la  ré/orme  ortor/rafiqc.  Paris,  1864. 

(2)  Edouard  Raoux  :  Orthof/raphe  rationnelle  ou  écriture  phoné- 
tique, moyen  d'universaliser  rapidement  la  lecture,  l'écriture,  la 
bonne  prononciation  et  l'orthographe,  et  de  réduire  considérable- 
ment lo  prix  des  journaux  et  des  livres.  Lausanne,  1865.  —  Supplé- 
ment à  l'orthographe  rationnelle  ou  réforme  graphique  sans  nou- 
veaux signes.  Lausanne,  1866. 

(3)  Voyez  l'organe  de  la  Société  Le  maître  phonétique.  Paris.  — 
Voyez  aussi  Paui-  Pas.sy  :  Les  sons  du  fransais.  Paris,  1889  (2"  édition). 


L'IMPARFAIT    OU    PASSÉ    DP:SCRIPTIF   EN    FRANÇAIS 


pcar 

J.   BASTIN 

Professeur   'à    Saint-Pétersbourg 


1)  Uimparfait  est,  relativement  parlant,  identique 
aupj'êsent  de  rindicatif.  Les  grammairiens  l'appèlent 
le  présent  clans  le  passé  (pnesens  in  prœterito).  En 
d'autres  termes  équivalents,  V imparfait  est  un  présent 
relatif: 

Que  faisiez-vous  hiei'  lorsque  midi  sonnait?  Je  déjeunais. 

Nous  soupions  lorsqu'il  arriva.  Nous  dormions  encore  qu'il 
était  déjà  parti  depuis  longtemps.  —  Pourquoi  «-t-il  dormi 
pendant  que  je  travaillais  (pendant  que  j'ai  travaillé)?  Il 
écrivait  déjà  sa  lettre  avant  que  vous  cussic.^-  pensé  à  écrire  la 
vôtre. 

2)  Uirnparfait  raconte  les  actions  (pii  avaient  déjà 
commencé  depuis  un  certain  temps  à  un  moment  dé- 
signé du  passé  (ou  qui  est  dans  la  pensée),  qui  con- 
tinuaient encore  à  ce  moment,  et  ont  pu  se  prolonger  plus 
tard  (1).  L'action  qui  survient  pendant  (|u'une  autre 
était  en  train  de  se  faire  se  meta  un  autre  temps  passé: 

Nous  dînions,  lorsqu'il  arriva,  lorsqu'il  est  arrivé.  —  Mon 
frère  écrivait  son  travail,  lorsque  ma  sœur  est  rentrée 
(rentra)  à  la  maison.  —  Il  travaillait  déjà  ce  matin  avant 
.(juo  le  soleil  fût  levé  (que  le  soleil  n'était  pas  encore  levé).  —  Il 
écrivait  déjà  ce  matin  avant  que  la  cloche  eût  sonné  pour  le 
travail  des  élèves. 

3)  \J inïparfait  s'emploie  dans  les  descriptions,  parce 
que  les  desci-iptions  indiquent  ce  qui  était  déjà,  ce  qui  .se 
passait  déjà  depuis  un  certain   tcinp>^  et  a.  pu  durer 

(1)  Cette  définition  est  la  même  (iu(>  celle  qu'on  doit  donner  pour 
le  présent:  celle-ci  pour  le  temps  présent,  celle  de  iitnparjuit  pour 
le  temps  passé  (présent  dans  le  passé).  Cf.  L.  Cléd.\t,  Nouvelle 
'/ram/nairc  historique  du  franrais,  page  218. 


l'imparfait  ou  passé  descriptif  en  français       279 

après  le  moment  passé  dont  on  parle.  L'imparfait  prent 
l'action  ou  Véiat  dans  une  partie  de  leur  durée  : 

Hier  soir,  quand  nous  sommes  sortis,  le  temps  était  magni- 
fique, les  rues  étaient  remplies  de  monde,  toutes  les  maisons 
étaient  pavoisées  pour  recevoir  le  chef  de  l'État. 

4)  Les  récits,  les  contes  commencent  aussi  presque 
toujours  par  V imparfait,  parce  que  ce  temps  décrit 
Vétat  existant  des  personnes  ou  des  choses  au  moment 
où  allaient  commencer  les  faits  que  l'on  veut  raconter. 
Dans  un  récit  Y  imparfait  arrête  la  narration  pour  faire 
tableau,  en  décrivant,  en  dépeignant  (1).  U imparfait 
est  donc  essentiellement  descriptif  quoiqu'il  raconte 
aussi  très  bien  les  faits  (narratif)  : 

Il  y  avait  autrefois  une  veuve  qui  avait  deus  filles;  l'ainée 
ressemblait  à  sa  mère,  elle  était  belle  et  bonne  comme  sa 
mère;  la  cadette  ressemblait  à  son  père. 

5)  \J  imparfait  s'emploie  encore  dans  les  propositions 
subordonnées,  lorsque  celles-ci  indiquent  un  état  de 
choses,  ou  portent  un  jugement  sur  des  faits  qui  du- 
raient encore  au  moment  passé  dont  on  parle.  L'im- 
parfait interront  encore  ici  le  récit  pour  faire  tableau 
ou  exposer  des  réflexions  sur  les  événements  (2)  : 

L'Etat  sembla  avoir  perdu  l'âme  qui  le  faisait  mouvoir  (sous- 
entendu  :  pendant  qu'il  était  encore  animé  de  cette  âme  qui  le 
faisait  mouvoir).  —  Pierre  le  Grand,  arrivé  (à  Paris)  à  l'hôtel 
qu'on  lui  avait  destiné,  fit  tirer  un  lit  de  camp  d'un  fourgon  qui 
le  suivait  dans  son  coi/acje. 

(1)  Les  grammairiens  latins  disaient  déjà  :  Perfecto  procedit,  Imper- 
fccto  iusistit  oratio  (par  le  jinrfait,  notre  passé  défini,  le  discours 
avance  dans  le  temps;  par  Vim/>ar/ait  il  s'arrctc,  il  reste  dans  le 
même  temps). 

(2)  Lire,  dans  ma  Clirestomathie  {Y)a.gG  Id'i),  le  morceau  intitule: 
J.-J.  Rousseau  couché  à  la  belle  étoile,  pour  voir  Vimpa/-/àit  faisant 
tableau,  le  passé  défini  racontant  les  événements  qui  se  succèdent,  se 
suivent  les  uns  les  autres.  —  Lire  aussi  Pierre  le  Grand  à  Paris, 
p.  125.  Quelques  années  du  règne  de  Pierre  le  Grand,  p.  127  (7"  édition 
1891). 


280  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

6)  U imparfait ,  nous  l'avons  dit  plus  haut,  est  rela- 
tivement identique  au  présent . 

a)  Leprése/it  raconte  les  faits  qui  ont  lieu  au  moment 
de  la  parole;  V imparfait,  cens  qui  avaient  lieu  au 
moment  passé  dont  on  parle  (dans  les  deus  temps. 
actions  en  train  de  se  faire). 

b)  Le  présent  s'emploie  pour  les  actions  futures 
rapprochées,  Vimpjarfait  s'emploie  également  pour  des 
actions  futures  rapprochées  relativement  au  temps 
passé  dont  on  parle  : 

On  raconte  que  vous  partez  (partirez)  ce  soir;  on  racontait 
ce  matin  que  vous  partiez  (partiriez)  ce  soir  (conditionnel,  Z»/'?//" 
des  temps  passes).  —  II  tombe  (il  r«  ionihcr)  si  vous  ne  le 
retenez;  il  tombait  [allait  tomber)  si  vous  ne  l'aviez  retenu.  — 
Si  j'avais  dit  un  mot,  on  vous  donnait  (on  allait  vous  donner) 
la  mort  (on  allait  vous  tuer).  —  La  ville  était  prise  {allait  être 
prise)  si  vos  troupes  n'étaient  arrivées  à  son  secours. 

Nous  pouvons,  au  lieu  de  V imparfait  qui  se  trouve 
dans  les  trois  derniers  exemples,  employer  le  condi- 
tiotinel  passé,  mais  les  deus  tem])s  ne  seront  nullement 
employés  l'un  poiu'  l'autre.  Uimparfait.  qui  raconte 
ici  les  événements  au  point  de  vue  ([npassé.  est  employé 
pour  nxifutur prochain  relatif  (imperfectum-futurum- 
periphrastioum),  comme  \e  présent  aussi  pour  unj}(tur 
rapproché  (prœsens-futurum-periphrasticum).  Le  con- 
ditionnel passé  raconte,  au  contraire,  les  événements 
passés  au  point  de  vue  du  présent  où  nous  sommes, 
et  non  du  passé  après  lequel  ils  devaient  se  pro- 
diuK'  : 

Je  partais  (j'allais  partir)  hier,  si  mon  ami  n'était  (pas) 
arrivé  {fntaridon  relativement  au  passé,  au  point  de  vue  du  passé). 
—  Je  serais  parti  hier,  si  mon  ami  n'était  (point)  arrivé  (fait 
jugé  au  pdiiil  (le  \  ue  dn  présent  où  nous  sommes). 

Nous  aurons  la  même  chose  dans  les  exemj)les  sui- 
vants, et  comparons  encore  \e présent  employé  au  lieu 
au  futur,  avec  Vimparfait  employé  au  lieu  du  condi- 


l'imparfait    Oi:    passé    OKSCHIPTIF    en    FKANrAlS         2^1 

tionnel  présent  dans  sa  valeur  de  J'utui'  des  temps 
p'assés  : 

Si  vo\i^  faites  cela,  je  vous  punis  (je  vous  punirai,  je  vais 
vous  punir;  présent  employé  pour  \e  futur).  —  Je  lui  ai  dit  que 
s'il  faisait  cela,  je  le  punissais  sévèrement  (que  je  le  punirais, 
j'allais  le  punir  sévèrement;  imparfait  employé  pour  le  condi- 
tionnel, qui  est  ici  \q  futur  des  temps  passés). 

Si  nous  exprimons  ces  faits  dans  un  iem\)ii postéiieur 
à  celui  où  ils  se  sont  passés,  en  les  rapportant  au 
présent  oit  nous  sommes .  nous  n'aurons,  pour  les  quatre 
temps  ici  exprimés,  que  le  conditionnel  passé: 

S'il  avait  fait  ce  dont  je  lui  ai  parlé,  je  l'aurais  puni  fil 
aurait  été  puni)  très  sévèrement  (1). 

Ce  dernier  exemple  juge  \e^  faits  passés  au  point  de 
vue  du  présent  où  nous  sommes;  les  premiers  les  jugent 
au  point  de  vue  du  passé  dans  lequel  on  les  exprime 
comme  devant  arriver. 

AUTRES    EXEMPLES  : 

Dans  cette  bataille  le  général  périssait  (allait  périr  ;  peri- 

turus  erat;  imperfectum-fnturum-perip/irasdcum)  si  ses  soldats 
n'étaient  arrivés  à  son  secours.  —  Ce  général  aurait  (eût) 
certainement  péri  (periisset)  si  ses  soldats,  etc.  —  Si  cette  entre- 
prise avait  (eût)  réussi,  mon  ami  était  riche  (allait  être  riche); 
mon  ami  eût  été  riche,  aurait  été  riciie,  serait  devenu 
riche  si  cette  entreprise  acait  (eût)  i-éussi 

(1)  Le  conditionnel  passé  remplacerait  donc  alors,  chose  impossible, 
tout  aussi  bien  le  présent,  employé  pour  le  futur  simple,  que  Vini- 
parfait  employé  pour  un  futur  rapproché  (conditionnel,  futur  des 
temps  passés).  —  Le  conditionnel  passé  est  ici  employé  pour  lui-même 
(pa.'-sé  relativement  au  présent  où  nous  sommes),  tandis  que  Vim/iar- 
fait  est  mis  pour  un  futur  relativement  au  passé.  Eu  raisonnant 
comme  nos  grammairiens  on  pourrait  dire  (chose  absurde)  que  le 
participe  présent  a  parfois  le  sens  d'un  plus-que-par  lait  employé  pour 
conditionnel  passé  :  V'ous  vous  seriez,  en  tombant,  fait  beaucoup 
de  mal  (si  vous  étiez  tombé,  avec  la  val(>ur  de  si  vous  fussiez 
tombé,  —  si  vous  seriez  tombé,  non  français).  Voir  Cilxssang,  qui 
est  ici  dans  l'erreur. 


282  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Le  latin  dit  aussi  à  Vimparfait,  que  nous  pouvons 
rendre  par  notTQ  futur  relatif: 

Si  per  Metellum  liciium  esset,  matres  illorum,  uxores,  sorores 
veniebant;  si  Metellus  Veut  permis  (l'avait  permis),  leurs 
mères,  leurs  femmes,  leurs  sœurs  étaient  mises  en  vente, 
allaient  être  vendues);  auraient  été  vendues,  eussent 
été  vendues. 

lu' imparfait  et  le  conditionnel  passé  racontent  ici  le 
même  fait  sous  des  points  de  vue  difEërents;  ils  ne  sont 
nullement  mis  l'un  pour  l'autre  (1). 

On  trouve  même  en  latin,  ^yec  pœne  (presque),  le 
perfectum  historicuni  (notre  passé  défini),  employé  là 
où  nous  pouvons  employer  notre  futur  relatif  la  chose 
ayant  presque  été  faite,  ou  sur  le  point  de  se  faire  : 

Pons  sublicias  iter  pœne  hostibus  dédit,  nisi  unus  vir  fuisset 
(Tite  Live)  :  Le  pont  de  bois  donnait  (allait  donner;  aurait 
donné,  eût  donné)  passage  aus  ennemis  si  un  homme  (cou- 
rageus)  ne  n'était  troucé  \k  (ne  se  fût  trouvé  là). 

Les  exemples  de  l'emploi  de  V imparfait  français  pour 
xm  futur  relatif  sont  nombreus  : 

Pyrrhus  vivait  (allait  vivre)  heureus  s'il  eût  pu  l'écouter 
(Boileau).  Il  devenait  riche  (il  allait  devenir  riche)  s'il  avait 
su  profiter  de  cette  bonne  occasion  de-  faire  fortune.  Si  vous 
n'étiez  arrivé  aujourd'hui  chez  moi,  j'arrivais  (j'allais  arriver) 
demain  chez  vous. 

7)  luQ  présent  et  V imparfait  offrent  encore  des  faits 
parallèles  dans  : 

Mon  ami  raconte  qu'il  va  partir  demain.  —  Mon  ami  racon- 
tait ce  matin  qu'il  allait  partir  demain. 

(1)  Nous  ne  voyons  daus  tous  ces  exemples  aucun  commencement 
({'exécution,  comme  le  disent  quelques  grammaires  latines,  mais 
l'afïirmaUon  éCunfait  résolu  roininc  deoant  bientôt  s'exécuter  si  des 
circonstances  n'étaient  venues  en  cmpéciier  la  réalisation.  On  trouve 
déjà  dans  Joinville  des  exemples  de  cet  emploi  de  l'i'npar/ait,  et  cet 
emploi,  depuis  lors,  n'a  fait  que  prendre  de  l'extension  daus  notre 
langue.  —  Dans  l'ancienne  langue  on  le  trouve  souvent  avec  l'im- 
parfait de  dcrofr  sui\i  d'un  iiiliiiitif. 


l'imparfait  ou  passé  descriptif  en  français       283 

Il  va  partir  est  le  profecturus  est  du  latin  (futur 
périphrastique  relativement  mi présent).  Il  allait  partir 
est  le  profecturus  erat  du  latin  [futur  périphrastique 
relativement  au  passé). 

8)  Autres  taïU  parai lèles  : 

Si  je  reçois  (présent  employé  pour  \q  futur)  cet  argent  demain, 
je  partirai  après-demain.  Si  je  recevais  [itnparf.  employé 
pour  un  conditionnel-futur)  cet  argent  demain,  je  partirais 
après-demain. 

9)  \f  indicatif  présent  du  verbe  venir,  suivi  d'un 
infinitif  précédé  de  la  préposition  de,  équivaut  à  un 
véritable /)assé  indéfini,  et  \e  passé  indéfini  e^iXe  passé 
du  présent  : 

Mon  frère  vient  de  partir  fil  est  parti  depuis  très  peu  de 
temps). 

U imparfait  du  ver])e  venir,  dans  le  même  cas, 
équivaut  à  un  pi us-q ue-parfcdt ,  et  \e  plus-que-parfait 
est  le  vrai  passé  de  Vimparfait  : 

Il  venait  de  partir  (il  était  parti  depuis  très  peu  de 
temps)  quand  je  suis  arrivé  chez  lui  (1). 

10)  Après  si  exprimant  une  supposition  ou  une  con- 
dition,  on  emploie  le  présent  au  lieu  du  futur. 

Si  je  reçois  demain  cet  argent,  je  partirai 

Après  s/ exprimant  une  supposition  ou  une  condition. 
on  emploie  de  même  Vimparfait  au.  lieu  du  conditionnel 
futur  : 

Si  je  recevais  demain  cet  argent,  je  partirais  piMir  Paris.  — 
S'il  faisait  (quand  il  faisait)  beau  tem[)s,  il  allait  se  pro- 
mener (autre  sens).  (S'il  fait  (quand  il  fait)  beau  temps,  il  va 
se  promener. 

(l)  Le  verbe  ccnir,  suivi  de  la  préposition  «,  ;i  une  tout  autre 
signification;  il  signifie  alors  par  hai^ard  :  S'il  vient  à  vous  dire 
cela,  vous  lui  répondrez  ceci  :  c'cst-iVdire  :  .si  jiar  /*«,>*«/•(/  il  vous  dit, 
s'il  arrioe  qu'il  oous  dise  cela,  vous  lui  répondrez  ceci 


284  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Mais  après  si  exprimant  un  doute,  c'est  le  condi- 
tionnel qu'il  faut  employer  : 

Je  ne  sacais  pas  encore  alors  si  elle  viendrait  chez  ses  |»arents; 
(je  ne  sais  pas  encore  si  elle  viendra,  etc.). 

11)  11  lui  aurait  rendu  service  hier  si  cela  acait  pu  (si  cela 
eût  pu)  se  faire.  Il  lui  aurait  rendu  service  si  cela  pouvait  se 
faire  (si  la  chose  pouvait  se  faire  en  tout  temps,  clans  le  présent, 
comme  dans  le /)«s.sé  ou  l'avenir). 

12)  Uimparfait  précédé  de  si  ,  outre  la  signification 
qui  lui  est  propre^  peut  encore  exprimer  un  passé,  un 
présent  aussi  bien  q\ïun/iitiu'  : 

Si  j'avais  le  temps  en  ce  moment,  j'irais  me  promener 
(Vimpurfnit  équivaut  ici  à  un  conditionnel-présent).  —  S'il 
avait  alors  de  la  fortune,  comment  se  fait-il  qu'il  soit  pauvre 
maintenant  (V imparfait  désigne  ici  un  passé).  —  Si  j'avais  le 
temps  demain,  }irais  me  promener  {{'imparfait  équivaut  ici  à 
un  conditionnel  futur). 

13)  Le  présent  peut  s'employer  au  lieu  du  passé 
défini.  \f  iniparfait  s'emploie  aussi  (iuel([uefois  au  lieu 
du  ptassé  défini  pour  rendre  la  narration  plus  vive, 
plus  animée,  comme  le  fait  le /j/'c'st?/?/ dansle  même 
cas  ;  V imparfait  raconte  en  faisant  tableau  : 

En  753  avant  J  -C,  Romulus  jetait  (jeta)  les  fondements  de 
Rome,  et  quelques  années  après  il  trouvait  (trouva)  déjà  sa 
jeune  ville  assez  forte  pour  lutter  avec  avantage  contre  tous  les 
peuples  voisins  (Michelet).  —  A  midi  nos  troupes  traversaient 
(traversèrent)  la  rivière,  et  le  soir  elles  entraient  (entrèrent) 
dans  la  ville  ennemie.  —  3e  passai  la  nuit  chez  de  pauvres  gens 
que  je  </uittai  après  m'ètre  reposé,  et  vers  le  milieu  du  jour  suivant 
j'arrivais  (j'arrivai)  chez  les  Indiens  (Belin  de  Launay).  —  Le 
soir  même  le  maréchal  expirait  (expira),  entouré  de  ses  amis. 

—  Il  partait  (partit)  l'âme  émue  d'une  tristesse  indéfinissable. 

—  Peu   après   son  arrivée  à  Paris,   elle  perdait  (perdit)  son 
unique  entant. 

L'imparfait  s'emploie,  dans  le  même  cas,  après  les 
expressions  tout  à  l'heure,  à  l'instant,  il  n'y  a  qu'un 


l'imparfait  ou  passé  descriptif  F,N  FRXNÇAIS       285 

instant,  (qu'un  moment),   tantôt,  il  n'y  a  pas  long- 
temps : 

Je  lai  demandais  encore  tout  à  l'heure  s'il  voulait  faire  une 
promenade,  mais  il  a  refusé.  —  C'est  ce  que  je  lui  demandais, 
il  n'y  a  qu'un  instant.  —  Répétez,  je  vous  prie,  je  n'ai  pas  bien 
entendu.  Vous  disiez?... 

14)  Quand  nous  prononçons  un  jugement  sur  les 
personnes  ou  les  nations  pour  dire  comment  elles 
étaient,  ce  qu' eWes/aisaient  pendant  l'époque  ou  à  une 
certaine  époque  de  leur  existence,  c'est  Vimparfait  que 
nous  devons  alors  employer  : 

Les  Romains  étaient  braves;  les  Spartiates  étaient  sobres; 
les  Egyptiens  étaient  supcrstitieus. 

Mais  quand,  en  portant  des  jugements,  nous  ne  vou- 
lons raconter  les  faits  que  comme  simplement  passés, 
sans  vouloir  les  mettre  en  parallèle  avec  l'époque  à 
laquelle  ils  se  sont  passés,  nous  pouvons  alors  employer 
soit  le  passé  défini,  soit  le  passé  indéfini  : 

Les  Romains  furent  braves,  ont  été  braves.  —  Les  Spartiates 
furent  (ont  été)   sobres.  —  Les  Lgyptions  furent  (ont  été) 

superstitieus. 

\Jimp)arf'ait  donne  ici  un  jugement  (indique  un  état) 
sur  les  peuples  pendant  la  durée  de  leur  (>xistence;  les 
deus  passés  exposent  les  faits  comme  écoulés  dans  un 
temps  qui  n'existe  plus. 

15) 'De  l'idée  d'c^/r//,  de  situation  prolongée  â  l'idée 
d'actions  répétées  ou  liahitudes,  il  n'y  a  (prim  pas. 
]J imparfait ,  et  c'est  toujours  le  contexte  (jui  le  dira, 
exprimera  donc  des  actions  répétées  ou  des  coût /unes, 
quand  la  durée  de  l'actiôii  n'est  i)as  rcslrcinlc  par  le 
.sens  de  la  [)lirasc  : 

Les  Egyptiens  embaumaient  leurs  morts  (coutume,  liabitude). 
—  Les  Égyptiens  embaumaient  leurs  morts  quand  l'ennemi 
vint  les  aitu'/uiT  à  rifiijir(>vi.-<tc  (une  fois).  —  Cet  été,  à  la  cam- 
pagne, nous  déjeunions  à  midi,  nous  dînions  à  sis  heures  et 


■-?8G  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

soupions  à  dis  heures  du  soir  (coutume,  tous  les  jours  de  l'été). 
—  Hier  nous  dînions  quand  notre  ami  est  arrivé  (une  fois). 
L'été  dernier,  l'un  et  l'autte  dînait  (dînaient)  tous  les  jours  chez 
nous  (tous  deus  dînaient  chaquu  jour  chez  nous,  Dictionnaire 
de  l'Académie).  —  Charles  XII  montait  à  cheval  trois  fois  par 
jour,  se  levait  à  quatre  heures  du  matin,  s'habillait  seul,  ne 
buvait  point  de  vin,  ne  restait  à  table  qu'un  quart  d'heure, 
exerçait  ses  troupes  tous  les  jours,  et  ne  connaissait  d'autre 
plaisir  que  celui  de  faire  trembler  l'Europe  (Voltaire). 

C'est  encore  le  contexte  seul,  l'emploi  ou  l'omission 
de  l'article,  qui  donne  un  sens  tout  différent  aus  exem- 
ples suivants  : 

Ce  bateau  arrivait /cv^f/ir'  (arriva,  est  arrivé)  au  moment 
où   nous   déjeunions.   —    Ce   bateau   arrivait   le   jeudi   au 

moment  où  nous  déjeunions  (coutume  dans  ce  dernier  cas,  tous 
les  jeudis). 

16)  ^imparfait  s'emploie  encore  assez  souvent  là  où 
l'on  pourrait  employer  Xq présent.  \J imparfait  présente 
les  choses  d'une  manière  moins  triuichante,  et,  dans  ces 
cas,  l'emploi  de  Vimparfait  n'est  souvent  qu'un  men- 
songe déguisé  : 

Vous  pensez  ceci;  quant  à  moi,  je  pensais  cela  (je  pense 
cela,  c'est-à-dire  :  je  pense  autrement  que  vous).  —  Je  venais, 
Monsieur,  vous  annoncer  une  mauvaise  nouvelle  (je  viens,  etc.). 

17)  \J imparfait  s'emploie  souvent,,  au  lieu  {\\\ présent, 
pour  représenter  des  vérités  générales,  de  tous  les  temps^ 
des  sentences: 

Quand  j'étais  jeune,  mes  parents  me  répétaient  toujours,  avec 
l'Évangile^  qu'il  fallait  (qu'il  faut)  aimer  son  prochain  comme 
soi-même. 

18)  La  forme  passive  oM're  un  sens  dilïérent  selon 
qu'elle  e\[)riine  V  (tel  ion  soiifl'ciie  ou  Y  état  qui  en 
résulte  : 

Le  crimint'l  était  exécuté  (on  l'exécutait)  juste  au  moment 
où  nous  passions  sur  la  place  (action  soulîei'te;  i-rai  passif).  — 
Le  frimiiii'l  était  exécuté  depuis  longtemps  quand  nous  pas- 


l'imparfait  ou  passé  descriptif  en  français       287 

sions  (quand  nous  passâmes,  quand  nous  avons  passé)  siir  la 
place  {fuas  passif;  le  crinnui-l  avait  été  exécuté  oraii/  notre 
arrivée,  on  l'avait  exécuté  longtonips  auparavant). 

Dans  le  premier  exemple  il  y  a  simultanéité  entre 
les  actions,  clans  le  second  il  n'y  en  a  aucune. 

19)  L'imparfait  ne  raconte  pas  toujours  des  faits  qui 
sont  arrivés  e/i  nié/ne  temps;  il  peut  parfaitement, 
comme  le  passé  défini  et  le  passé  indéfini,  raconter  les 
faits  qui  se  suicenf ;  \o.  ])oiiit  de  vue  seul  du  narrateur 
est  différent  : 

a)  Voici  le  palais  qu'a  habité  Louis  XVI.  ("ost  ici  que  le 
17  septembre  1(572,  la  troupe  du  roi  a  représenté  les  Femmes 
suçantes  de  Molière;  au  mois  d'avril  1674,  Bourdaloue  y  a 
prêché  le  Carême;  le  11  juillet  de  la  môme  année  on  y  a  joué 
\q  Malade  rmafji/iairc.  Voyez,  c'est  par  laque  la  malheureuse 
Marie  Antoinette  s'est  échappée  un  jour  pour  aller  chercher  un 
refuge  près  de  Louis  XVI. 

b)  Voici  le  palais  qu'habita  Louis  XIV.  C'est  ici  que  le 
17  septembre  1672,  la  troupe  du  roi  représenta  les  Femmes 
sacantes  de  Molière;  au  mois  d'avril  1674,  Bourdaloue  y  prêcha 
le  Carême;  le  11  juillet  de  la  même  année  on  y  joua  le  Malade 
imaginaire...  Voyez^  c'est  par  là  que  la  malheureuse  Marie 
Antoinette  s'échappa  un  jour  |)0ur  aller  chercher  un  refuge  près 
de  Louis  XVI. 

c)  Voici,  Messieurs,  le  palais  qu'habitait  Louis  XIV.  C'est  ici 
que  le  17  septembre  1672^  la  troupe  du  roi  jouait  les  Fem/nes 
sacantes  de  Molière;  au  mois  d'aviil  1674,  Bourdaloue  y  prê- 
chait le  Carême;  le  11  juillet  de  la  môme  année  on  y  jouait  le 
Malade  Imat/inalre...  Voyez,  c'est  par  là  que  la  malheureuse 
Marie  Antoinette  sortait  un  jour  pour  aller  chercher  un  refuge 
près  de  Louis  XVI  (Imbort  de  Saint-Armand,  qui  raconte  ces 
événements  avec  V imparfait). 

A  Wagram,  Bcrnadotte,  ayant  laissé  percer  notre  ligne, 
arrêta  avec  cent  bouches  à  feu  le  centre  victorieux  de  l'armée  de 
l'archiduc  Charles,  et  rétablit  le  combat  que  Davout  termina 
en  enlevant  le  plateau  tic  W'agram  (les  événements  .se  .<ulcant, 
j'emploie  le  passé  dé/lnl;  mais  Thlers  emploie  ici  Vimparfait, 
comme  Imbert  de  Saint-Amand,  et  son  récit  est  excellent). 

20)  Quand  on  raconte  des  faits  isolés,  ou  lorsque 
dans  une  narration  il  est  question  de  faits  Itistoifques, 


288  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

c'est  le  passé  défini  qu'il  faut  employer,  lors  même 
qu'il  s'agit  de  faits  qui  ont  duré  très  longtemps.  La  règle 
latine  ne  diffère  pas  ici  de  la  règle  française  :  les  deus 
langues  procèdent  de  la  même  manière  et  n'ont  rien  de 
commun  avec  le  russe,  qui  emploie  toujours  Y  imparfait 
quand  l'action  a  une  loïKjue  durée: 

Qtio  tempore  Philippus  Grœciam  ecertit  (événement  raconté), 
tum  Athen»  gloruà  litterarum  et  artium  florebant  :  A  l'époque 
où  Philippe  bouleversa  la  Grèce,  Athènes  florissait  encore  par 
la  gloire  des  lettres  et  des  arts. 

Uiinparfait  indique  ici  un  état  qui  existait  avant 
l'époque  dont  on  parle  et  durait  encore  dans  le  même 
temps.  Mais  on  dirait,  quoique  la  durée  soit  longue: 

Atheme  nuiKa  sœcula  litterarum  et  artium  gloria  floruerunt: 
Athènes  fleurit  pendant  plusieurs  siècles,  etc. 

Parce  qu'on  n'énonce  qu'un  fait  historique  isolé, 
sans  le  mettre  en  rapport  avec  aucune  époque  donnée 
pendant  laquelle  la  chose  s'est  passée;  il  n'y  a  pas  ici 
de  conte/npora/iéité,  de  simultanéité. 

Cœsar  consilium  mutca:it  (récit  d'un  fait);  videbat  enim, 
nihil  tam  exigais  copiis  confici  posse  (indication  des  vues  de 
César  accent  de  c/ianger  d'aais  et  pendant  qu'il  faisait  ce  chan- 
gement de  projet)  :  César  changea  d'avis,  car  il  voyait  {alors, 
dans  ce  moment-là),  qu'on  ne  pouvait  rien  faire  avec  de  si  petites 
forces  (avec  des  forces  si  exiguës). 

Si  l'on  mettait  ici  vidit  (il  vit),  cela  signifierait  que 
César  changea  d'abord  d'avis^  et  que  ce  ne  fut  que  plus 
ta/-(l  (\\Y\\  vit,  (lu'il  remarqua  (lu'il  avait  bien  agi: 

Rom;c  quotannis  bini  consules  creabantur.  A  Rome  on 
créait  tous  les  ans  deus  consuls  (expression  d'une  coutume 
pendant  tout  le  temps  que  cette  coutume  a  duré)  ;  mais  :  Quamdiu 
Roina  libéra  fuit,  semper  bini  consules  fuerunt  :  Tant  (aussi 
longtemps)  que  Rome  fut  libre,  il  y  eut  toujours  deus  consuls 
(expression  d'un  fait  qui  a  duré  cependant  très  longtemps). 

^1)  L'imparfait  russe,  qui  s'emploie  pour  les  faits  de 
longue  dui-ée,  ne  se  traduira  donc  i)as  par  l'imparfait 


l'imparfait  ou  passé  descriptif  en  français       289 

français  quand  il  s'agit  de  faits  isolés,  sans  qu'il  y  ait 
idée  de  simaltanéité,  de  conteinpoi'aiiéité. 

Je  l'ai  rencontré  Irèi  souvent  dans  la  rue.  —  J'ai  demeuré  à 
Paris  peudaut  vingt  ans.  —  Cet  homme  a  vécu  (vécut)  ({uatre- 
vingts  ans  ;  etc. 

22)  Avec  les  temps  passés,  la  simultanéité,  qui 
s'exprime  en  français  par  Y  imparfait,  se  rent  en  russe 
\)ViY\Q présent  de  l'indicatif  (présent  relatif)  : 

11  s'annonçait  comme  un  médecin  qui  herborisait  (en  russe: 
herborise).  —  Aussitôt  que  Cortez  sut  (apprit)  que  Velasquez 
pensait  (en  russe:  pense— à  le  retenir. — Le  prince  assura  qu'il 
ne  craignait  pas  le  danger.  —  La  vieille  femme  demanda  au 
jeune  homme  s'il  désirait  manger  quelque  chose.  —  On  lui 
demanda  ce  qu'il  pensait  ;  etc.,  etc. 

En  mettant  ici  le  passé  en  russe,  nous  aurions  en 
français^  non  V imparfait,  mais  Xa  plus-que-parfait  : 

11  s'annonça  comme  un  médecin  qui  avait  herborisé  dans 
le  pays.  Quand  Cortez  sut  que  Velasquez  avait  pensé  à  le 
retenir;  etc.,  etc. 


Kkvuk  I)K  i'nii,()i.O(.ii;.  v.  l!) 


TRADUCTIONS    ARCHAÏQUES    ET    RYTHMÉES    (1] 
Par  L.  CLÉDAT 


CHANT  DE  CROISADE  ANONYME  (ti'aduit  clu  vieus  français) 

Vous  qui  aimez  de  vraie  amour, 

Eveillez- vous,  ne  dormez  pas. 

L'alouette  amène  le  jour 

Et  nous  annonce  en  ses  refrains 

Que  venu  est  le  jour  de  pais. 

Que  Dieu,  par  sa  très  grand  douceur. 

Donnera  à  ceus  qui  pour  lui 

Prendront  la  crois  et  pour  leur  fais 

Souffriront  peine  nuit  et  jour  : 

Ainsi  verra  ses  amants  vrais. 

Celui  doit  être  condamné 

Qui  au  danger  son  seigneur  laisse. 

n  le  sera,  bien  le  sachez. 

Assez  aura  peine  et  tourment 

Au  jour  du  dernier  jugement. 

Quand  Dieu  ses  côtés,  mains  et  pieds 

Montrera  sanglants  et  blessés  ; 

Car  ceus  qui  auront  le  mieus  fait 

Seront  si  fortement  troublés 

Qu'ils  trembleront,  quoi  qu'ils  en  aient. 

Qui  pour  nous  fut  sur  la  crois  mis 

Ne  nous  aimait  pas  feintement, 

Mais  nous  aimait  en  ami  sûr  : 

Et  pour  nous  amiablement 

La  sainte  crois  moult  doucement 

Entre  ses  bras,  sur  sa  poitrine. 

Comme  agneau  dous,  pieus  et  simple, 

Portait  si  angoisseusement  ! 

Puis  y  fut  à  trois  clous  fixé 

Par  pieds,  par  mains,  étroitement. 

(1)  Voj'ez  ci-dessus,  page  65. 


TRADUCTIONS  ARCHAÏQUES  ET  RYTHMÉES        291 

J'ai  ouï  dire  ce  proverbe  : 

«  Bon  marché  attire  l'argent  », 

Et  doit  avoir  le  cœur  léger, 

S'il  voit  le  bien,,  qui  prent  le  mal. 

Savez-vous  ce  que  Dieu  promet 

A  ceus  qui  se  voudront  croiser  ? 

Dieu  m'aide  !  C'est  un  bon  loyer  : 

Paradis  éternellement  ! 

Celui  qui  peut  gagner  un  bien 

Est  bien  fou  s'il  tarde  à  demain. 

Et  nous  n'avons  nul  lendemain. 
Sûrement  le  pouvons  savoir  : 
Tel  pense  avoir  le  cœur  très  sain, 
Qui,  trois  jours  après,  plus  ne  prise 
Ni  son  savoir,  ni  sa  richesse, 
Lorsque  la  mort  lui  met  le  frein. 
Tant  qu'il  ne  peut  ni  pied  ni  main 
A  lui  ni  tirer  ni  mouvoir. 
Le  froment  laisse,  prent  la  paille, 
Mais  trop  tard  il  s'en  aperçoit. 

Fable  de  Marie  de  France 

Du  loup  il  (1)  conte  et  de  l'agneau  ; 

Tous  deus  buvaient  à  un  ruisseau  : 

Le  loup  à  la  source  buvait, 

Et  l'agneau  en  aval  était. 

Avec  courrons  parla  le  loup. 

Qui  moult  était  grand  querelleur...  : 

((  Tu  m'as,  dit-il,  fait  grand  ennui  (2).  » 

Et  l'agneau  lui  a  répondu  : 

((  Sire^  comment?  —  Ne  vois-tu  donc  ? 

Tu  m'as  toute  cette  eau  troublée, 

Je  n'en  puis  plus  boire  mon  saoul. 

Il  faudra,  je  crois,  m'en  aller 

Comme  je  vins,  mourant  de  soif.  » 

L'agnelet  adonc  lui  répont  : 

(1)  Esope. 

(2)  Le  mot  «  ennui  »  avait  beaucoup  plus  de  force  qu'aujourd'hui. 


292  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

((  Sire,  vous  buvez  en  amont  : 
De  vous  me  vient  ce  que  j'ai  bu. 

—  Quoi!  fit  le  loup,  tu  m'injuries?  » 
L'agneau  répont  :  ((  n'en  ai  vouloir.  » 
Le  loup  lui  dit  :  «  J'en  suis  certain  : 
Tout  de  même  me  fit  ton  père 

A  cette  source  où  nous  étions 
Y  a  sis  mois,  je  m'en  souviens. 

—  Qu'en  faites-vous  sur  moi  tomber? 
Je  n'étais  pas  né,  ce  me  semble. 

—  C'est  pour  cela,  le  loup  a  dit. 
Que  tu  me  fais  aujourd'hui  tort 
Et  chose  que  tu  ne  dois  faire  !  » 
Lors  prit  le  loup  l'agneau  petit, 
Des  dents  l'étrangle,  ainsi  le  tue. 

Ainsi  font  les  puissants  voleurs, 
Les  vicomtes  et  les  jugeurs, 
De  cens  qu'ils  ont  en  leur  justice. 
Fausses  raisons  par  convoitise 
Ils  trouvent  bien  pour  les  confondre. 
Les  font  souvent  citer  au  plaid, 
La  chair  leur  prennent  et  la  peau 
Comme  le  loup  fit  à  l'agneau. 

Poésie  de  Pierre  Cardinal  (traduite  du  viens    provençal) 

Raison  est  que  m'ébaudisse 
Et  que  sois  joyeus  et  gai 
Et  dise  chansons  et  lais 
Et  déploie  un  sirventès, 
Car  Loyauté  a  vaincu 
Fausseté,  et  n'y  a  guère 
Que  j'ai  entendu  conter 
Qu'un  puissant  traître  a  perdu 
Et  son  pouvoir  et  sa  force. 

Dieu  fait  et  fera  et  fit, 

—  Ainsi  qu'il  est  dous  et  vrai,  — 
Droit  aus  lâches  et  aus  preus 

Et  merci  selon  leur  vie  ; 


TRADUCTIONS    ARCHAÏQUES    ET    RYTHMÉES  293 

Car  à  la  paye  ils  vont  tous, 
Le  trompeur  et  le  trompé, 
Ainsi  qu'Abel  et  son  frère  : 
Les  traîtres  seront  détruits 
Et  les  trahis  bienvenus. 

Que  Dieu  confonde  les  traîtres, 
Les  renverse  et  les  abaisse 
Comme  il  fit  pour  les  Algais, 
Car  ils  sont  pires  trompeurs. 
Car,  la  chose  est  bien  connue, 
Pire  est  traître  que  larron. 
Tout  ainsi  que  l'on  peut  faire 
D'un  convers  moine  tondu, 
On  fait  d'un  traître  un  pendu. 

En  fait  de  loups  et  brebis, 

Les  brebis  sont  plus  nombreuses  ; 

Et  pour  un  vautour  qui  naît 

Il  vient  bien  mille  perdris. 

On  doit  par  là  reconnaître 

Que  voleur  ni  meurtrier 

Ne  plaît  tant  à  Dieu  le  père 

Et  qu'il  n'aime  tant  son  fruit 

Que  celui  du  menu  peuple. 

On  peut  avoir  beaus  harnois, 

Et  chevaus  ferrands  et  bais 

Et  tours  et  murs  et  palais. 

Si  l'on  a  Dieu  renié  ! 

Lors  a  bien  le  sens  perdu 

Celui  qui  a  tel  avis 

Qu'en  prenant  le  bien  d'autrui 

Il  puisst!  au  salut  venir. 

Ni  qu'au  voleur  Dieu  le  donn(>. 

Car  Dieu  tient  son  arc  tendu 
Et  tire  où  il  veut  tirer. 
Et  fait  le  couj)  ((u'il  doit  faire, 
Comme  chacun  le  mérite, 
Selon  vices  et  vertus. 


COMPTE  RENDU 


Étude  fiuv  les  changements  phonétiques  et  leurs  caractères 
généraux,  par  Paul  Passy.  —  Paris,  Firmiii-Didot,  1890, 
617  pages  in-S". 

Les  sons  vocaus  qui  constituent  le  langage  ont-ils  une 
histoire?  En  d'autres  termes,  sont-ils  soumis  à  un  dévelop- 
pement, à  un  accroissement  et  à  des  transformations  qui 
suivent  un  cours  régulier  et  en  vertu  desquels  les  phéno- 
mènes nouveaus  se  substituent  aus  anciens  et  s'expliquent 
par  eus?  L'ouvrage  entier  de  M.  Passy  semble  fondé  sur 
l'hypothèse  qui  répont  affirmativement  à  cette  question,  et 
pourtant  nulle  part  on  n'y  voit  d'une  façon  bien  nette  le 
souci  des  conditions  qu'implique  cette  position  du  problème. 
Là,  à  mon  avis,  est  le  grand  défaut  d'un  travail  qui  mérite 
tant  d'éloges  à  d'autres  égards.  M.  Passy  sait  beaucoup  de 
choses  par  les  livres,  mais  il  est  surtout  observateur  curieus, 
diligent  et  sagace.  Son  travail  abonde  en  remarques  person- 
nelles et  en  réflexions  propres  qui  ont  leur  pris.  Par  malheur, 
la  mise  en  œuvre  de  ces  richesses  laisse  à  désirer  surtout 
par  le  côté  dont  je  viens  déjà  de  dire  un  mot  et  sur  lequel  je 
voudrais  encore  présenter  quelques  observations. 

A  la  méthode  chronologique  ou  historique,  la  seule,  ce  me 
semble,  qui  permette  d'établir  une  classification  rationnelle 
des  éléments  phonétiques  du  langage,  M.  Passy  substitue 
en  fait,  et  sans  trop  sans  douter  à  ce  qu'il  semble,  la  méthode 
physiologique  ou  celle  qui  consiste  à  fonder  les  rapports  que 
les  sons  ont  entre  eus  sur  des  considérations  essentiellement 
actuelles  et  uniquement  dérivées  de  l'examen  des  organes 
qui  concourent  à  les  émettre.  Au  point  de  vue  linguistique, 
aucune  manière  de  procéder  ne  saurait  être  plus  radicalement 
stérile.  On  comprentque  la  science  qu'on  a  appelée  orthoépie 
ait  à  bénéficier  de  la  connaissance  du  jeu  des  muscles  de 
l'usage  desquels  dépent  l'émission  de  tel  ou  tel  son  corres- 
pondant. Des  exercices  particuliers,  un  entrainement  s))écial, 
peuvent  avoir  pour  effet,  on  le  comprenttrès  bien,  de  donner 
à  telle  partie  faible  des  organes  vocaus  la  souplesse  nécessaire 


COMPTE    RENDU  295 

pour  rectifier  une  prononciation  vicieuse.  C'est  ainsi  sans  doute 
que  le  lambdacisme,  par  exemple,  peut  être  corrigé.  Mais  voilà 
le  champ  et  l'usage  de  la  physiologie  en  ce  qui  concerne  le 
langage  :  elle  est  susceptible  d'en  corriger  les  défauts  indivi- 
duels et  de  ramener  à  la  forme  commune  les  formes  excen- 
triques et  les  écarts  contraires  à  la  tradition  généralement 
adoptée. 

Tout  autre  est  l'objet  de  la  linguistique  proprement  dite 
qui  est  l'histoire  des  sons  acquis  et  qui  n'atteint  cet  objet, 
comme  toute  histoire,  qu'en  les  observant  dans  leur  succession 
ou  leur  filiation.  Or,  je  ne  saurais  trop  le  redire,  il  m'est 
impossibl(>  d'apercevoir  ici  l'utilité  du  rôle  de  la  physiologie. 
Pour  elle,  tous  les  faits  du  langage  se  présentent  sur  le  même 
plan  et  elle  ne  favorise  ainsi  ({ue  l'inventaire  des  sons 
existants,  alors  que  les  linguistes  s'intéressent  surtout 
à  leur  généalogie. 

Quelques  exemples  montreront  dans  le  détail  à  quelles 
assertions  douteuses,  sinon  absolument  inacceptables,  l'ab- 
sence des  principes  historiques  a  pu  conduire  M.   Passy. 

Au  paragraphe  522,  il  affirme,  en  se  couvrant  il  est  vrai  de 
l'autorité  de  M.  Havet,  que  le  \aX\\\  famulum  vient  defamlom. 
Non  seulement  la  forme  famul  contredit  le  fait  absolument, 
mais  l'étude  historique  des  transformations  du  latin  nous 
montre  que  famulom  a  pu  se  contracter  en  famlum  sans  que 
l'inverse  soit  vrai.  M.'  Passy  nous  dit  lui-même  d'ailleurs 
(492)  que  le  suffixe  ctt^am  se  change  en  crwm  dans  sepulcrum, 
etc.,  et  cette  fois  il  a  raison  quant  à  la  contraction  qu'il  paraît 
admettre,  mais  il  commet  en  même  temps  une  grave  erreur 
en  supposant  un  changement  de  /  en  /■  qui  est  le  contraire 
môme  du  processus  constant  de  ces  sons  dans  les  langues 
indo-européennes.  Dans  le  cas  particulier,  c'est  e(u)lurn  qui 
vient  de  c{u)rum,  et  d'une  manière  générale,  en  latin,  en  grec, 
en  sanscrit,  etc.,  l  dcscent  de  /•,  sans  ([uo  jamais  le  chan- 
gement contrains  ait  lieu.  C'est  encore  une  loi  que  l'histoire 
des  sons  lui  aurait  apprise  s'il  s'en  était  préoccupé. 

Troisième  et  dernière  remarque  :  M.  P.  (  19G)  attribue  au 
phénomène  très  contestable  qu'il  appelé  dissimilation  la 
désaspiration  qui  se  produit  à  la  consonne  initiale  d'un  verbe 
à  redoublement  connue  tI/Jy.im,  pour  OlOcixi.  Ici  connue  [)Our  les 


296  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

cas  précédents,  rexamen  historique  du  mouvement  des  sons 
lui  aurait  fait  voir  à  propos  de  ce  fait  et  des  analogues  : 
1°  qu'en  général  les  éléments  phonétiques  d'un  redoublement 
tendant  à  s'affaiblir  eu  égard  à  cens  de  la  syllable  qu'ils 
représentent  ;  2"  que  la  désaspiration  est  une  des  formes  de 
l'affaiblissement  des  consonnes  en  pareil  cas.  Le  t  de  rlBr.ui  est 
donc  purement  et  simplement  un  état  faible  du  6  de  la  syllabe 
suivante;  absolument  comme  le  t  de  la  racine  pal  danspa^ior 
est  un  état  faible  et  constant  en  latin  (langue  qui  n'a  pas 
gardé  l'aspirée  dentale)  du  6  de  la  rac.  7r«ô  dans  ndOoc. 

Le  livre  de  M.  Passy  fournirait  matière  à  de  nombreuses 
critiques  de  détail  du  même  genre,  mais  qui  résultent  presque 
toutes  de  l'oubli  dont  l'étude  des  lois  historiques  des  sons 
indo-européens  ont  été  l'objet  de  sa  part. 

Comme  conséquences  générales  de  ses  observations,  M. 
Passy  aboutit  aus  deus  principes  suivants  : 

1°  Le  langage  tent  constamment  à  se  débarrasser  de  ce  qui 
est  superflu  ; 

2°  Le  langage  tent  constamment  à  mettre  en  relief  ce  qui 
est  nécessaire. 

Ni  l'un  ni  l'autre  ne  sauraient  être  approuvés,  du  moins 
sous  la  forme  dont  l'auteur  se  sert  pour  les  exprimer. 

En  ce  qui  concerne  le  premier,  qu'il  me  suffise  de  faire 
remarquer  que  si  quelque  chose  dans  le  langage  est  nécessaire, 
différent  du  superflu  et  par  conséquent  de  nature  à  être 
.  conservé  en  vertu  des  principes  en  question,  ce  sont  les 
désinences  casuelles  qui,  dans  les  langues  synthétiques,  déter- 
minent le  rôle  syntactique  des  mots  déclinables  au  sein  de  la 
phrase  à  laquelle  ils  appartiennent.  Or,  comment  expliquer 
que  le  langage  se  soit  «  débarrassé  »  en  grec  et  en  latin  du 
locatif,  de  l'instrumental  et  le  plus  souvent  de  l'ablatif,  en 
allemand  de  tous  les  cas  primitifs  excepté  deus  ou  trois,  et 
dans  la  transition  du  latin  au  viens  français  de  tous  ces 
mêmes  cas  à  part  le  nominatif  et  l'accusatif  ?  Voilà  des 
exemples  qui,  à  côté  de  bien  d'autres,  vont  absolument  à 
rencontre  de  la  règle  posée  par  M.  Passy. 

Nous  pouvons  toutefois  en  retenir  ce  fait  que  le  langage 
tent  constamment  à  user  les  éléments  phonétiques  qu'il 
emploie,  ce  qui  infirme  a  priori  le   dousième  principe  de 


COMPTE    RENDU  297 

notre  auteur.  Il  nous  suffira  d'ailleurs  d'examiner  les  cas  où 
M.  Passy  croit  le  voir  agir  pour  nous  rendre  compte  de  l'illu- 
sion à  laquelle  il  s'est  abandonné  sur  ce  point.  D'après  lui  c'est 
à  ce  ((  principe  d'emphase»  que  sont  dus  :  1°  «l'aspiration  et 
l'affriquement  des  explosives  »  ;  —  les  explosives  ne  s'aspirent 
pas,  l'aspiration  est  primitive  et  la  désaspiration  est  le  seul 
processus  historique  bien  établi  ;  2°  «  la  prosthèse  d'un  son  en 
tête  d'un  groupe  »,  —  M.  Passy  est-il  bien  sur  que  ïe  dit 
prosthétique  de  kpv^poi  n'est  pas  primitif? En  tous  cas,  en  quoi 
un  pareil  élément  qui  manque  dans  les  correspondans  sans- 
crit et  latin  rudhira,  rutilas  peut-il  être  considéré  comme 
nécessaire'.^ —  3°  ((  l'insertion  d'une  voyelle  entre  deus  con- 
sonnes ou  d'une  consonne  entre  deus  voyelles  ».  —  Ces  faits 
sont  des  plus  plus  douteus  ;  en  général  les  formes  se  contrac- 
tent, et  il  n'est  pas  une  seule  des  prétendues  épenthèses  de 
M.  Passy  qui  ne  soit  contestable  ;  —  4°  «  la  dissimilation  ». 

—  Nous  avons  déjà  vu  ce  qu'il  faut  en  penser,  à  proi)os  des 
redoublements  et  des  prétendus  changements  de  l  en  /•  ;  dans 
la  plupart  des  cas,  la  dissimilation  est  une  fausse  explication  ; 

—  5°  ((  le  changement  d'un  son  peu  sonore  comme  u  en  un 
autre  plus  sonore  comme  v.  »  —  Où  M.  Passy  a-t-il  vu  que 
la  consonnantification  des  semi-voyelles  ait  pour  effet  une 
augmentation  de  la  valeur  phonétique  des  sons  transformés? 
S'il  en  était  ainsi,  comment  se  ferait-il  que  le  digamma  soit 
tombé  en  grec  alors  que  le  y  s'est  maintenu,  et  comment  surtout 
considérer  comme  nécessaire  l'amplification  d'un  son  qui  n'a 
pas  tardé  à  disparaître  entièrement? 

Cette  dernière  remarque  porte  d'ailleurs  sur  toutes  les 
catégories  de  phénomènes  que  M.  Passy  attribue  au  «principe 
d'emphase».  Nulle  part  ces  phénomènes,  tels  qu'il  les  décrit, 
n'ont  «  pour  effet  de  mettre;  en  r(>lief  »  quelque  partie 
nécessaire  à  l'intelligence  du  mot  où  l'on  nous  dit  que  la 
modification  s'est  produite;  dans  ce  but. 

Il  est  i)ourtant  un  point,  et  des  plus  importants,  sur  lequel 
je  suis  tout  à  fait  d'accord  avec  M.  Passy,  tellement  d'accord 
que  j(;  pourrais  être  en  droit  de  m'étonner  que,  saeliant  si  bien 
connnent  la  question  a  été  trait(';e  jusqu'en  Danemarck  et 
en  Suède,  il  paraisse  ignorer  ce  que  j'ai  publié  à  cet  égard 
d'après  des  vues  semblables  et  autéricuros   ans  sieMuiesen 


298  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

France  même.  Je  veus  parler  du  fameus  débat  sur  le  carac- 
tère absolu  ou  non  des  lois  phonétiques.  Malgré  quelques 
précautions  oratoires,  dont  je  comprens  du  reste  toute  la 
nécessité  étant  données  les  circonstances,  M.  Passy  se  déclare 
hostile  au  dogme  de  l'inflexibilité  de  ces  lois.  Je  ne  saurais 
que  l'en  féliciter.  Lui-même  doit  d'autant  plus  s'applaudir 
d'avoir  soutenu  cette  thèse  que  ses  idées  sont  partagées  et 
appu3'ées  par  un  savant  d'une  autorité  aussi  grande  en 
pareille  matière  que  l'est  M.  Bréal  (1).  Cependant,  l'on  peut 
trouver  étrange  que  n'admettant  pas  cette  pierre  angulaire  des 
théories  néo-grammaticales,  M.  Passy  ait  pris  «  constamment 
pour  guide»  l'évangile  de  l'école,  c'est-à-dire  le  Gvandriss  de 
M.  Brugmann.  On  dirait  un  adversaire  des  tourbillons  de 
Descartes  dont  la  physique,  la  mécanique  et  la  cosmographie 
seraient  empruntées  au  philosophe  tourangeau. 

Cette  contradiction  fondamentale,  ajoutée  à  celles  que  j'ai 
déjà  eu  l'occasion  de  signaler,  contribue  encore  à  priver 
d'autorité  les  conclusions  de  M.  Passy.  Aussi  bien  son 
ouvrage  n'est  que  provisoire.  C'est  surtout  comme  réunion 
de  faits,  dont  bon  nombre  sont  neufs  et  curieus,  qu'il  a  droit  à 
l'attention  des  linguistes.  Nul  doute  qu'il  ne  les  reprenne  un 
jour  pour  les  coordonner  et  les  interpréter  d'après  des  prin- 
cipes plus  sûrs,  plus  en  harmonie  logique  avec  eus-mêmes  et 
surtout  plus  conformes  à  la  méthode  qu'exige  le  sujet.  Il  y 
est  bien  préparé  et  fera  ainsi,  quand  il  le  voudra,  une  œuvre 
qui  comptera  définitivement  dans  la  science. 

Paul  Regnaud. 

(1)  Voir  l'article  <le  la  Reçue  des  Dciuc  Mondes  ,  numéro  du 
1^'  décembre  1891,  intitulé  Les  langues  et  les  nationalités. 


LIVRES  ET  ARTICLES  SIGNALÉS 


Blanc  Saint-Hilaire.  —  Les  Easkariens  ou  Basques, 
leur'  origine,  leur  langue  et  leur  histoire  (Paris,  Picard, 
iv-446  pages  grand  in-8°).  ((  Ce  livre,  dit  l'autear^  est  le 
résumé  de  notes  volumineuses  recueillies  depuis  que  le  grand 
âge  m'a  donné  des  loisirs  après  une  vie  occupée  et  agitée... 
Si  je  me  décide  à  le  faire  imprimer,  ce  n'est  du  moins  qu'à 
un  très  petit  nombre  d'exemplaires.  C'est  un  simple  souvenir 
d'octogénaire  que  je  laisse  à  mes  cliers  enfants.  »  A  un 
ouvrage  entrepris  dans  de  pareilles  conditions  on  ne  saurait 
demander  l'application  des  méthodes  rigoureuses  que  s'im- 
posent aujourd'hui  l'histoire  et  la  philologie.  La  partie  philo- 
logique et  littéraire  est  d'ailleurs  très  restreinte  ;  elle  se  borne 
à  l'introduction  (aperçu  sur  la  langue  basque)  et  à  la  fin  du 
dernier  chapitre  (proverbes,  sentences,  littérature,  poésie). 
Mais  l'auteur  nous  avertit,  dans  sa  préface,  qu'il  a  composé 
un  dictionnaire  basque-français  et  français-basque,  qui  forme 
un  ((  volumineux  manuscrit  »,  où  sans  doute  un  linguiste 
compétent  trouvera  plus  tard  les  matériaus  d'une  publication 
utile  à  la  science. 

GusTAv  KÔRTiNG.  —  Lateinisch-7'omanisches  Wôrierbuch 
(Paderborn,  F.  Schôningh,  1891).  —  Les  dernières  livraisons 
de  cet  ouvrage  viennent  de  paraître.  Elles  contiennent  de 
copieus  index  et  un  important  supplément.  C'est  assurément, 
comme  on  l'a  dit,  un  des  meilleurs  instruments  de  travail 
qu'on  ait  encore  mis  à  la  disposition  des  romanistes. 

—  Nous  signalerons,  dans  les  Phonetisclie  Siudien  de 
Victor,  la  fin  de  1'  «  essai  de  grammaire  phonétique  »  de 
Gustav  Rolin  (tome  v,  p.  33)  et  d'intéressantes  recensions  de 
deus  ouvrages  de  M.  Paul  Passy,  Les  sons  du  français  et 
VEtude  sur  les  chanf/emcnts  phonétiques  (même  tome, 
pages  199  et  212). 

Georges  Doutrepont.  —  Etude  linguistique  sur  Jacques 
de  Hemricourt  et  son  époque  (92  pages  in-8".  Extrait  du 
tome  XLvi  des  Mémoires  publiés  par  l'Académie  royale  de 


300  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FilANÇAISE 

Belgique,  1891).  —  La  partie  phonétique  de  cette  étude  est 
de  beaucoup  la  plus  développée.  C'est  un  travail  méthodique 
et  soigné,  le  premier  qui  ait  été  consacré  à  la  langue  de 
l'historien  liégeois. 

Gaston  Paris.  —  Compte  vendu  de  t Ehreo  errante  in 
Italia  de  M.  Morpurf/o  (16  pages  m-A'^.  Extrait  du  Journal 
des  Sacants,  septembre  1891). 

Le  même. — Extraits  de  la  cJianson  de  Roland,  3^  édition 
(Paris,  Hachette,  1891).  —  M.  Gaston  Paris  est  de  cens  qui 
ne  se  contentent  pas  de  réimprimer  leurs  livres  avec  des 
corrections  insignifiantes.  Malgré  la  valeur  de  la  première 
édition,  chaque  édition  nouvelle  marque  un  progrès  sensible. 
Outre  les  améliorations  de  détail^,  comme  l'emploi  de  signes 
spéciaus  pour  représenter  t  et  d  caducs,  et  les  corrections 
importantes  comme  celle  de/eïstes  enfesistes,  nous  signale- 
rons dans  la  présente  édition  une  introduction  littéraire  et 
historique  de  27  pages.  Les  observations  grammaticales 
gagneraient  encore  à  être  mises  davantage  à  la  portée  des 
élèves  de  l'enseignement  secondaire,  qui  ignorent  tout  de  ces 
questions. 

Le  môme  et  A.  Jeanroy.  —  Extraits  des  clironiqueurs 
français  (Paris,  Hachette,  1891,  iii-480  pages).  —  Dans  la 
préparation  de  ce  volume,  M.  Jeanroy  s'est  montré  tout  à  fait 
•  digne  de  l'honneur  que  lui  a  fait  le  maître  de  nos  études  en 
l'appelant  à  collaborer  avec  lui.  Nous  regrettons  qu'on  ait  été 
obligé  de  supprimer  l'introduction  grammaticale  et  le 
glossaire  qui  accompagnaient  les  extraits  de  Joinville  quand 
ils  étaient  joints  aus  extraits  de  la  chanson  de  Roland. 

H.  Varnhagen. —  Passio  sandre  Catherinœ  Alexandrinœ 
metrica  è  duohus  libris  ninnuscriptis  édita  (Erlangen,  Fr. 
Junge,  1891,  25  pages  in-4o). 

Paul  Marchot.  —  Les  patois  du  Luxembourg  central. 
(Extrait  du  numéro  13  de  la  Reçue  des  p.  gallo-romans).  — 
Au  début  de  cette  étude,  notre  collaborateur  M.  Marchot 
renvoie  à  son  travail  Le  patois  de  Saint-Hubert,  dont  le 
tirage  à  part  est  épuisé,  mais  qu'on  trouvera  dans  notre 
Reçue,  tome  iv,  page  94. 


LIVRES    ET    ARTICLES    SIGNALÉS  301 

Albert  Stimming. — Bertran  von  Boni  (Halle,  Niemeycr, 
1892,  246  pages).  —  M.  Stimming  avait  déjà  donné  une 
édition  de  Bertran  de  Born.  Celle-ci  est  bien  supérieure  à  la 
première.  Nous  réservons,  pour  un  prochain  fascicule,  les 
quelques  observations  qu'appelé  l'introduction  historique  par 
laquelle  s'ouvre  le  volume. 

Dictionnaire  général  de  la  langue  française  du  commence- 
ment du  xvii'^  siècle  jusqu'à  nos  jours,  par  Ad.  Hatzfeld, 
Ars.  Darmesteter  et  Ant.  Thomas,  6^  livraison.  (Librairie 
Delagrave.  Paris). 

La  sisième  livraison  de  cette  œuvre  considérable  (1),  qui 
vient  de  paraître  à  la  librairie  Delagrave,  contient  comme  les 
précédentes  un  grand  nombre  de  mots  des  plus  curieus  par 
leur  origine,  tels  que  chef  et  coin  où  le  sens  qui  nous  paraît 
un  sens  dérivé,  chef  tète  et  ((  coin  à  frapper  les  monnaies  » 
est  précisément  le  sens  principal;  char  et  chemin  qui  dérivent 
du  latin  directement  et  indirectement  du  celtique  ;  chapelle— 
lieu  où  l'on  mettait  les  chapes,  etc. 

L'explication  des  mots  très  employés  prent  parfois  des 
proportions  considérables,  comme  pour  le  mot  chambre  où 
les  trois  sens  —  pièce  d'une  maison  —  réunion  de  personnes 
(Chambre  des  députés,  Chambre  des  communes)  —  et  enfin 
le  sens  technique  et  scientifique  (chambre  de  mine,  chambre 
noire,  etc.)^  sont  traités  de  la  manière  la  plus  complète. 

(1)  Le  Dictionnaire  de  la  langue  française  formera  environ 
30  livraisons.  Pris  de  souscription  à  l'ouvrage  complet  ;,  30  fr. 


CHRONIQUE 


Comme  M.  Paul  Passy  l'explique  plus  loiu,  notre  Chro- 
nique se  terminera  désormais  par  le  Bulletin  de  la  Société 
de  réforme  orthofjraphique. 


Le  projet  d'une  «  école  normale  coloniale  »,  dont  nous 
parlions  dans  notre  dernier  fascicule,  pourrait  être  réalisé  à 
peu  de  frais  si  on  en  faisait  une  simple  annexe  de  l'Ecole 
Normale  primaire  de  la  Seine,  près  de  laquelle  il  suffirait 
d'instituer  deus  cours  nouveaus  :  un  cours  de  pédagogie 
grammaticale  appliquée  à  l'enseignement  du  français  à 
l'étranger  et  un  cours  d'hygiène  coloniale.  Au  point  de  vue 
des  langues  étrangères,  les  élèves  pourraient  être  répartis  en 
plusieurs  groupes,  d'après  leur  destination,  et  ils  suivraient, 
en  dehors  de  l'Ecole,  les  cours  de  langues  orientales  qui 
existent  déjà  à  Paris  en  assez  grand  nombre;  il  n'y  aurait 
donc  de  ce  fait  aucune  dépense  nouvelle. 

L'école  normale  coloniale  de  Paris  deviendrait  vite  une 
école  d'élite,  d'où  sortiraient  les  professeurs  qui  sont  néces- 
saires pour  diriger  des  cours  analogues  dans  nos  colonies  et 
pour  y  former  d'autres  maîtres  qui  enseigneraient  directe- 
ment aus  indigènes.  Il  est  question  d'établir  un  cours  de  ce 
genre  près  de  l'Ecole  normale  d'Alger,  qui  formerait  ainsi 
chaque  année  de  30  à  40  jeunes  maîtres  français  pour  l'ensei- 
gnement des  indigènes.  A  propos  de  ce  cours,  M.  l'inspec- 
teur général  Carré  m'écrivait  :  «  Il  faudrait,  pour  diriger  cet 
enseignement  un  candidat  intelligent,  zélé,  dévoué,  bref  un- 
maître  fort  difficile  à  trouver.  Et  pourtant  tout  est  là  :  ce  sont 
des  hommes  qu'il  faudrait!  »  Ces  hommes,  on  les  trouvera  à 
l'Ecole  normale  coloniale  de  Paris,  si  on  consent  à  l'orga- 
niser; nulle  question  n'est  plus  digne  de  la  sollicitude  des 
pouvoirs  publics. 

On  pourrait  encore  rattaclier  l'Ecole  dont  nous  demandons 
la  création  à  V Ecole  coloniale  du  ministère  du  commerce,  où 
il  suffirait  d'introduire  un  cours  nouveau,  celui  de  pédagogie 
grammaticale  appliquée  à  l'instruction  des  étrangers. 


CHRONIQUE  303 

Nécrologie.  —  Les  études  romanes  viennent  de  faire  une 
perte  sensible  en  la  personne  d'un  jeune  savant  de  grand 
avenir,  M.  Eugène  Rabict,  qui  nous  donnait  récemment  un 
compte  rendu  (tome  iv,  page  150).  Nous  reproduisons  l'ar- 
ticle nécrologique  que  lui  consacre  un  de  ses  compatriotes, 
M.  J.  Durandeau  : 

«  Le  22  janvier  1891,  je  recevais  de  Fribourg  (en  Suisse), 
une  lettre  de  notre  compatriote,  dont  voici  le  début  : 

—  Je  vous  suis  très  reconnaissant  des  renseignements  que  vous 
me  donnez  dans  votre  lettre  du  28  de  ce  mois...  Moi  aussi,  j'ai  été 
fortement  touché  par  l'influenza,  et  l'on  a  beau  avoir  du  sang 
bourguignon  dans  les  veines,  quand  le  thermomètre  marque  22 
degrés  au-dessous  de  zéro  comme  par  exemple  hier  matin,  les  idées 
elles-mêmes  se  congèlent  au  fond  du  cerveau. 

))  C'est  donc  des  suites  de  l'influenza  qu'est  mort  l'abbé 
bourguignon  Eugène  Rabict ,  celui-là  même  dont  j'avais 
commencé  à  publier  les  contes  populaires,  recueillis  par  lui 
à  Bourberain  et  dans  les  environs.  Il  était  aux  eaux  de  la 
Bourboule  quand  la  mort  l'enleva  presque  subitement. 

»  Voici  la  brève  notice  qu'un  ami  a  bien  voulu  m'envoyer  de 
Paris  sur  son  camarade  si  brusquement  arraché  à  ses  travaux 
et  à  l'enseignement,  notice  à  la((uclle  nous  n'ajoutons  que 
bien  peu  de  choses. 

))  Né  à  Bourberain  (Côte-d'Or)  en  1858,  Rabict  fit  ses  études 
au  petit  séminaire  de  Plombières-lès-Dijon,  où,  sa  théologie 
achevée,  il  revint  en  qualité  de  professeur.  Il  quitta  sa  chaire 
au  bout  de  <|uelques  années,  et  alla  étudier  à  l'université 
catholique  de  Lyon;  là,  il  se  fit  recevoir  licencié  es  lettres. 

»  Il  prit  ensuite  un  préceptorat  qui  lui  permit  de  séjourner 
en  Allemagne  et  de  suivre  les  cours  de  l'Université  de  Fvi- 
houv(l-en-Brii<(jaH.  De  retour  en  Fi'ance,  il  se  fixa  à  Paris, 
fréquenta  la  Sorbonnc,  et  obtint  le  titre  d'élève  de  l'école  pra- 
tique des  Hautes-Études.  Des  communications  faites  par  lui 
sur  des  inscriptions  romaines  furent  remarquées,  et  le  firent 
recevoir  menibn;  de  la  société  des  aiiti(|uaires  de  France. 
Mais,  à  la  même  épo(iue,  il  s'adonnait  surtout  à  rétiule  de 
la  philologi(>  romane,  et  c'est  alors  ((u'il  traduisit  de  l'alle- 
mand la  Ofamniaii-e  des  langues  romanes,  de  \V.  Meyer, 
destinée  à  remplacer  l'ouvrage  vieilli  <Ie  Dietz. 


304  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

))En  même  temps,  il  collaborait  à  des  revues  philologiques 
et  publiait  un  premier  travail  aurle  jjatois  de  son  paj^s  natal, 
fascicule  de  75  pages  dont  il  m'adressait  un  exemplaire  avec 
cette  dédicace  :  «  Hommage  res^ectexix  d'un  fervent  patoi- 
sant. ))  Que  ces  derniers  mots  sont  vrais,  et  combien  ils  m'ont 
touché  à  cette  époque!  Il  y  a  tant  de  nigauds  qui  n'ont  que 
du  mépris  pour  leur  langue  maternelle! 

»  En  1889,  lors  de  la  création  de  l'Université  de  Fribourg- 
en-Suisse,  il  fut,  sur  la  recommandation  de  MM.  Châtelain 
et  Gaston  Paris,  du  Collège  de  France,  pourvu  de  la  chaire 
de  langue  et  philologie  romanes,  et  même,  pendant  quelque 
temps,  il  fut  doyen  delà  Faculté  de  philosophie,  fonction  qui 
correspond  à  peu  près  au  décanat  des  Facultés  des  lettres  et 
des  sciences.  Il  est  mort  à  la  Bourboule,  le  8  août  de  cette 
année,  après  avoir  publié  un  second  fascicule  sur  le  patois 
de  Bourberain.  La  perte  d'un  travailleur  si  fervent  et  d'un 
si  bon  patoisant  sera  sentie  par  tous  les  vrais  Bourguignons. 

»  J.  D.  » 


BULLETIN 

DE    LA 

SOCIÉTÉ  DE  RÉFORME  ORTHOGRAPHIQUE 


Aus  membres 
de  la  Société  de  Réforme  Orthographique 

A  la  suite  d'un  arrangement  conclu  entre  la  Société  de 
Réforme  (orthographique  et  la  Revue  de  Philologie  Fran- 
çaise, une  partie  de  la  Chronique  de  cette  Revue  servira 
dorénavant  de  Bulletin  à  la  Société.  Comme  rédacteur  démis- 
sionnaire du  journal  La  Nouvelle  Orthographe,  qui  rem- 
plissait cet  office  jusqu'ici,  on  me  demande  de  donner  à  ce 
sujet  quelques  mots  d'explications  à  nos  collègues. 

Depuis  le  dépôt  de  notre  pétition  à  V Académie  (1890), 
notre  Société  n'a  guère  fait  parler  d'elle.  Il  y  avait  d'abord 
une  raison  de  convenance  ;  nous  devions  attendre  la  réponse 
de  l'Académie.  Celle-ci  nous  ayant  tacitement  opposé  une  fin 
de  non-recevoir,  et  nous  ayant  invités,  en  fait,  à  faire  nous- 
mêmes  la  réforme,  nous  avons  voulu  reprendre  la  campagne  ; 
mais  nos  fonds  étaient  épuisés,  nous  avions  près  de  1300  francs 
de  dettes,  et  les  membres,  ne  recevant  plus  de  journal,  n'en- 
voyaient pas  leurs  cotisations.  Nous  n'avons  donc  pas  pu 
faire  grand'chose  ;  il  a  fallu  nous  contenter  d'applaudir, 
quand  notre  collègue,  M.  Clédat,  a  pris  la  résolution  hardie 
de  publier  la  Revue  de  Philologie  Française  en  orthographe 
simplifiée;  d'applaudir  encore,  quand  M.  le  Ministre  de 
Revue  de  puilologh:,  v.  'ZO 


306  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

l'Instruction  Publique  a  porté  au  fétichisme  orthographique 
un  coup  mortel  par  la  circulaire  du  27  avril  1891. 

Cependant  nous  sentions  qu'il  était  temps  d'agir.  L'opinion 
publique,  naguère  indifférente  ou  hostile,  se  familiarisait 
avec  nos  réclamations  et  les  trouvait  justes  ;  l'Administration 
nous  était  favorable,  une  partie  de  la  presse  se  montrait  dis- 
posée à  entrer  dans  la  voie  des  réformes  pratiques.  Nous  ne 
pouvions  pas  rester  plus  longtemps  inactifs. 

C'est  alors  que  notre  cher  trésorier,  M.  Roussey,  a  proposé 
aus  membres  les  plus  zélés  de  tenter  un  effort  suprême  pour 
combler  le  déficit;  prêchant  d'exemple,  il  a  souscrit  65  francs. 
D'autres  dons  ont  suivi.  Une  réunion,  sans  caractère  officiel, 
mais  à  laquelle  assistaient  la  plupart  des  membres  de  l'ancien 
Conseil  d'Administration,  a  eu  lieu  le  3  décembre.  Le  déficit 
est  tombé  à  240  francs,  somme  insignifiante  que  vont  sans 
doute  fournir  les  premières  cotisations  de  1892. 

En  même  temps,  les  membres  du  bureau,  avec  l'approba- 
tion de  la  réunion  dû  3  décembre,  ont  conclu  avec  M.  Clédat 
l'arrangement  dont  il  est  parlé  plus  haut.  Il  est  entendu 
qu'une  partie  de  la  Chronique  de  la  Revue  de  Philologie, 
formant  le  Bulletin  de  la  Société  de  Réforme  Orthographi- 
que, sera  tirée  à  part  et  envoyée  à  tous  les  membres,  comme 
l'était  autrefois  la  iVoMceZ/e  Orthor/raphe.  Cet  arrangement 
offre  de  grands  avantages  pour  nous  ;  il  nous  donne  une 
grande  publicité,  dans  un  milieu  sympathique  à  nos  idées  ; 
il  nous  permet  de  continuer  notre  campagne  à  peu  de  frais. 
—  Il  y  a  un  inconvénient,  c'est  que  notre  Bulletin  ne  paraîtra 
que  tous  les  trois  mois,  comme  la  Revue  ;  nous  verrons,  au 
bout  d'une  année  d'essai,  si  nous  pouvons  faire  mieus.  Rien 
n'empêcherait  d'ailleurs,  si  l'argcMit  A'cnait  en  abondance,  de 
publier  des  numéros  supplémentaires. 

C'est  donc  M.  Clédat  qui  est  dorénavant  rédacteur  en  chef 
de  notre  Bulletin.  C'est  à  lui  que  devront  être  adressés  les 


BULLETIN  DE  LA  SOCIÉTÉ  DE  RÉFORME  ORTHOGRAPHIQUE    307 

articles,  correspondances,  coupures  de  journaus,  etc.,  les 
volumes  et  brochures  dont  on  désire  un  compte  rendu,  ainsi 
que  les  cotisations.  J'espère  qu'il  recevra  le  tout  en  abon- 
dance, et  que  notre  Bulletin  sera  plus  intéressant  et  plus 
utile  que  du  temps  où  je  le  dirigeais.  —  Mes  collègues  peu- 
vent d'ailleurs  être  assurés  qu'en  me  retirant  de  la  direc- 
tion (1),  je  ne  déserte  pas  notre  cause,  et  qu'ils  peuvent 
compter  sur  moi  toutes  les  fois  que  je  pourrai  rendre  service 
à  notre  Société. 

Paul  Fassy. 

Neuilly-sur-Seine. 


AVIS 

Ce  fascicule  sera  envoyé  à  tous  les  membres  de  la  Société 
de  Réforme  Orthographique  qui  ne  nous  ont  pas  signifié 
leur  démission.  Cens  qui  désirent  rester  membres  voudront 
bien  (s'ils  ne  l'ont  pas  encore  fait)  envoyer  au  plus  tôt  le 
montant  de  leur  cotisation  pour  1892  ;  les  autres  seront 
considérés  comme  démissionnaires. 

Nous  prions  aussi  les  personnes  qui  s'intéressentà  la  réforme 
de  l'orthographe,  et  qui  recevront  ce  fascicule,  de  vouloir 
bien  nous  donner  une  marque  visible  de  leur  sympathie  en 
s'inscrivant  parmi  nos  membres.  On  sait  que  nous  avons 
quatre  catégories  de  membres  (outre les  membres  honoraires), 
à  savoir^  des  membres  fondateurs  (10  francs  par  an),  des 
membres  actifs  (5  fr.),  des  membres  adliérents  (2  fr.),  et  des 
membres  adjoints  (0  fr.50)  qui  ne  reçoivent  que  le  numéro  où 
paraît  leur  nom. 

(1)  [On  me  permettra  d'exprimer  ici  le  vœu  que  M.  Paul  Passy, 
qui  a  déjà  rendu  tant  de  services  ù.  la  cause  de  la  réforme  orthogra- 
phique, veuille  bien  colluljorer  à  la  direction  du  nouveau  Bulletin  et 
m'aider  à  le  rendre  aussi  intéressant  et  aussi  utile  que  l'ancien.] 

L.  C. 


308  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Les  membres  suivants  se  chargent  de  recevoir  les  cotisa- 
tions : 

MM.  L.  Clédat,  30,  rue  Saint-Maurice,  Lyon  ; 

E.  Faivre,  150,  rue  Mouffetard,  Paris  ; 

F.  Funck-Brentano,  7,  rue  de  Passy,  Paris  ; 
J.  Passy,  à  la  Bibliothèque,  Toulon  ; 

P.  Passy,  G,  rue  Labordère,  Neuilly-sur-Seine  ; 
Ch.  Roussey,  23,  rue  Cujas,  Paris, 

La  liste  complète  des  membres  paraîtra  dans  le  prochain 
numéro, 

ASSEMBLÉE  GÉNÉRALE 

Une  assemblée  générale  des  membres  de  la  «  Société  de 
Réforme  Orthographique  »  aura  lieu  le  jeudi  14  janvier  1892, 
à  huit  heures  du  soir,  chez  M.  Faivre,  150,  rue  Mouffetard, 
à  Paris  (au  coin  de  l'avenue  des  Gobelins), 
Ordre  du  jour  :  Élection  du  bureau  ; 

Compte  rendu  de  la  situation  ; 
Propositions  diverses.    ■ 


Les  membres  fondateai-s  ou  actifs  de  la  u  Société  de  Ré- 
forme Orthographique  »  pourront  s'abonner  à  la  Revue  de 
Philologie  Française  au  pris  de  faveur  de  dis  francs  (au 
lieu  tle  quinze)  consenti  par  l'éditeur,  M.  Bouillon, 


LETTRES  au  journal  Le  Soleil  mr  la  simplification 
fie  rorfhof/rapJie  il). 

I 

La  circulaire  niinistéi'iclle  du  27  avril  ls!)l  a  remis  à  l'ordre 
du  jour  la  question  da  la  réiornie  orthographique. 

(1)  Ces  lettres  ont  paru  dans  les  numéros  du  10,  du  14  et  du  16 
juin  1891.  Elles  m'avaient  été  demandées  parle  directeur  du  journal, 
M.  Edouard  Hervé,  membre  de  l'Académie  française. 


BULLETIN  UE  LA  SOCIÉTÉ  DE  RÉFORME  ORTHOGRAPHIQUE  309 

L'idée  d'une  réfonne  radicale  de  l'orthographe  n'est  pas  nouvelle, 
et  elle  a  été  exprimée  en  particulier  par  celui  que  l'on  considère 
comme  le  créateur  de  la  prose  française.  Le  12  janvier  1638,  Des- 
cartes écrivait  :  «  Au  reste  je  n'ai  point  dessein  de  réformer 
l'orthographe  françoise  ni  ne  voudrois  conseiller  de  l'apprendre  à 
personne  dans  un  livre  imprimé  à  Lejale;  mais  s'il  faut  ici  que 
j'en  dise  mon  opinion^  je  crois  que  si  on  suivoit  exactement  la 
prononciation,  cela  apporteroit  beaucoup  plus  de  commodité  aux 
étrangers  pour  apprendre  notre  langue  que  l'ambiguïté  de  quel- 
ques équivoques  ne  donneroit  d'incommodité  à  eux  ou  à  nous  : 
car  c'est  en  parlant  qu'on  compose  les  langues  plutôt  qu'en  écri- 
vant; et  s'il  se  rencontroit  en  la  prononciation  des  équivoques  qui 
causassent  souvent  de  l'ambiguïté,  l'usage  y  changeroit  inconti- 
nent quelque  chose  pour  l'éviter.  »  MM.  Paul  Passy  et  Louis 
Havet  n'ont  pas  dit  autre  chose,  et  les  ironies  dédaigneuses  par 
lesquelles  certains  critiques  ont  accueilli  leur  théorie,  s'adres- 
saient par  dessus  leur  tête  à  Descartes. 

Qu'il  nous  soit  permis,  à  ce  propos,  de  dissiper  une  équivoque 
qui  est  devenue  le  lieu  commun  favori  des  antiréformistes.  Quand 
on  leur  parle  de  modifier  l'orthographe,  ils  répondent  qu'il  ne  faut 
pas  modifier  la  langue.  «  Ne  touchons  pas,  s'écrient-ils,  à  la 
langue  de  Bossuet,  de  Corneille,  de  Descartes,  etc.  !  »  Mais  la 
langue  est,  en  cette  affaire,  aussi  hors  de  cause  que  la  politique  ! 
Personne  n'a  proposé  de  réformer  la  langue.  Supposons  qu'on 
adopte  la  réforme  orthographique  la  plus  radicale,  imaginons 
.  même  qu'on  invente  d'autres  lettres  pour  rendre  les  sons.  Il  est 
certain  qu'au  premier  abord  une  oraison  funèbre  de  Bossuet, 
transcrite  d'après  le  nouveau  système,  nous  étonnerait,  choquerait 
nos  habitudes.  Mais  quand  nous  serions  familiarisés  avec  ces 
lettres,  quand  nous  serions  arrivés  à  lire  couramment  l'écriture 
nouvelle,  nous  nous  retrouverions  exactement  dans  les  conditions 
actuelles  :  nous  aurions  la  môme  facilité  pour  goûter  l'œuvre  et 
pour  apprécier  non  seulement  les  idées,  mais  les  formes  du  lan- 
gage. La  langue  est  comme  Tincarnation  de  la  pensée,  l'ortho- 
graphe n'est  qu'un  vêtement,  et  on  ne  change  pas  la  valeur  d'un 
homme  en  modifiant  son  costume.  Si  l'on  proposait  de  prononcer 
«  des  chevals  »  ou  «  un  chevau  »,  on  porterait  en  effet  la  main 
sur  la  langue.  Mais  on  ne  demande  rien  de  semblable.  Point 
n'est  besoin  d'éveiller  les  défenseurs  du  Capitole,  alors  que  per- 
sonne ne  le  menace. 

On  comprendrait  mieus  le  langage  suivant  :  «  Nous  sommes 
habitués  à  orthographier  les  mots  comme  nous  les  trouvons  écrits 
dans  Corneille,  dans  Racine  et  dans   Voltaire,  et  nous  préférons 


310  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

la  mode  du  dis-septième  et  du  dis-huitième  siècles  aus  modes 
nouvelles  qu'on  nous  vante.  »  Il  n'y  a  rien  à  dire  contre  ce  rai- 
sonnement, si  ce  n'est  qu'il  pêche  par  la  base,  car  sur  bien  des 
points  les  réformateurs  demandent  précisément  qu'on  revienne  à 
l'orthographe  des  écrivains  du  grand  siècle,  qui  a  été  abandonnée 
sans  raison.  «  Lorsqu'on  réimprima  nos  classiques,  dit  M.  Marty- 
Laveaux,  on  prit  soin,  sans  doute  par  respect  pour  leur  mémoire, 
de  corriger  très  consciencieusement  leurs  prétendues  fautes.  Le 
plus  joli,  c'est  que  les  manuels  pratiques,  tels  que  celui  de 
Girault-Duvivier,  citèrent  ensuite  avec  candeur  les  éditions 
récentes  des  œuvres  de  Racine,  à  l'appui  des  règles  qu'il  avait 
enfreintes  dans  ses  éditions  originales.  » 

L'orthographe  n'est  donc  pas  restée  identique  à  elle-même 
depuis  le  dis-septième  siècle  jusqu'à  nos  jours.  Mais  notre  siècle  a 
arrêté  brusquement  son  évolution.  Il  l'a  immobilisée  et  en  a  fait 
une  idole  digne  de  toutes  les  vénérations.  L'Académie  a  été  érigée, 
un  peu  malgré  elle,  en  prêtresse  du  nouveau  culte.  D'après  le 
préjugé  universellement  répandu,  elle  seule  a  le  droit  de  modifier 
le  dogme  orthographique.  Elle  répète  à  qui  veut  l'entendre  qu'en 
vertu  de  ses  traditions  et  du  bon  sens  elle  doit  se  borner  à  cons- 
tater l'usage  :  on  l'a  compromise  en  lui  persuadant  de  supprimer 
un  /(  ou  deus  de  sa  propre  autorité.  Elle  continue  cependant  à 
déclarer  qu'elle  attent  l'initiative  des  écrivains  pour  modifier  son 
Dictionnaire,  et  les  écrivains  attendent  les  décisions  de  l'Aca- 
démie pour  modifier  leur  orthographe.  S'il  en  est  qui  veuillent 
aller  de  l'avant,  je  sais  par  expérience  qu'ils  se  heurtent  à  l'iné- 
branlable résistance  des  éditeurs.  Dans  son  édition  de  la  Mcdée 
de  Corneille,  Voltaire  pouvait  imprimer  aprochcs,  soufrir,  cou- 
roux,  aluinerait.  En  l'an  de  grâce  1891,  aucun  libraire  n'aurait 
voulu  éditer  son  livre. 

Il  fallait  cependant  sortir  de  cette  impasse.  Un  certain  nombre 
de  littérateurs  et  de  philologues  se  sont  entendus  pour  adopter 
un  petit  programme  de  réforme  qu'ils  appliquent  depuis  un  an 
àa.nH  la,  liecne  (le  p/tilologie  française,  et  ils  ont  fait  appel  à 
l'administration  supérieure  de  l'Instruction  publique  en  lui 
demandant,  non  pas  d'imposer  leur  programme  dans  l'enseigne- 
ment, mais  de  réprimer  les  sévérités  des  correcteurs  de  dictées 
dans  les  cas  douteus  et  sur  les  points  où  les  façons  d'écrire 
actuelles  sont  manifestement  mauvaises. 

Nous  sommes,  en  effet,  dans  les  meilleures  conditions  pour 
arriver  à  une  réforme  rationnelle  de  l'ortliographe.  Depuis  une 
trentaine  d'années,  les  études  grammaticales  et  la  connaissance  de 
l'histoire  de  la  langue  ont  fait  des  progrès  considérables.  On  sait 


BULLETIN  DE  LA  SOCIÉTÉ  DE  RÉFORME  ORTHOGRAPHIQUE  311 

à  merveille  aujourd'hui  les  raisons,  et  trop  souvent  les  déraisons 
de  nos  règles  orthographiques.  Tandis  que  Voltaire  et  les  écri- 
vains des  siècles  passés  se  dirigeaient  un  peu  à  tâtons  dans  leurs 
tentatives  de  réformes,  nous  avons  l'avantage  de  pouvoir  procé- 
der à  coup  sur,  On  a  dit,  à  propos  de  la  circulaire  de  M.  le  mi- 
nistre de  l'instruction  publique  :  «  Qu'en  penseront  les  gram- 
mairiens ?  »  La  réponse  est  facile.  Les  grammairiens,  j'entens  les 
savants  qui  s'occupent  de  questions  grammaticales,  sont  una- 
nimes cà  reconnaître,  à  proclamer  l'utilité  de  la  réforme  Ils  l'ap- 
pèlent  de  tous  leurs  vœus  et  y  contribuent  de  tout  leur  pouvoir. 
11  ne  s'agit  pas  seulement,  on  ne  saurait  trop  le  répéter,  d^ 
rendre  l'orthographe  plus  commode  pour  les  enfants  et  pour  les 
étrangers.  Ce  sera  une  conséquence  de  la  réforme,  et  il  serait  sin- 
gulier de  s'en  plaindre  et  de  préférer  une  façon  d'écrire  absurde, 
parce  qu'elle  est  difficile,  à  une  forme  rationelle  qui  n'a  que  l'in- 
convénient d'être  facile.  Mais  le  but  visé  n'est  pas  la  facilité,  c'est 
la  correction  de  l'orthographe.  Par  suite  de  circonstances  fâcheuses, 
qui  ne  se  sont  pas  produites  chez  nos  voisins,  notre  orthographe  est 
remplie  de  contradictions  et  de  puérilités  dont  les  autres  langues 
néo-latines  sont  exemptes.  A  vouloir  l'épurer  complètement,  on 
risquerait  de  trop  changer  la  physionomie  des  mots  et  de  heurter 
trop  violemment  des  habitudes  de  l'œil.  Mais  on  peut  au  moins 
corriger  les  erreurs  les  plus  grossières,  et  tous  les  amis  sincères  de 
notre  langue  doivent  favoriser  ce  mouvement  ;  car  si  l'ortho- 
graphe n'est  qu'un  costume,  encore  faut-il  que  le  costume  d'une 
lajigue  honorable  soit  décent.  L'Académie  a  un  rôle  utile  à  jouer, 
et  nous  espérons  qu'elle  n'y  faillira  pas.  Elle  peut  agir  très  légi- 
timement et  très  efficacement  sur  l'usage  général  en  se  hâtant 
d'enregistrer  l'usage  particulier  et  les  desiderata  des  écrivains  et 
des  savants  dont  la  compétence,  en  ces  matières,   est   indéniable. 


II 


Nous  avons  établi  la  légitimité  d'une  reforme  orthographique, 
et  nous  avons  montré  que  si,  à  d'autres  époques,  on  a  pu  modifier 
aisément  l'orthographe  française,  tout  changement  de  ce  genre 
était  devenu  extrêmement  difTicile  aujourd'hui  par  suite  de  l'idée 
fausse  que  notre  siècle  s'est  faite  du  rôle  do  l'Académie,  et  do 
l'importance  exagérée  que  l'enseignement  de  notre  mauvaise  or- 
thographe a  prise  dans  les  études. 

Un  préjugé  tenace,  quoique  récent,  d'une  part,  et  un  fétichisme 


312  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

intolérant  de  l'autre,  tels  sont  donc  les  obstacles  qui  s'opposaient 
à  une  amélioration  rationnelle  de  notre  façon  d'écrire.  Mais  il  s'est 
produit,  en  l'espace  d'un  an,  deus  faits  nouveaus  qui  semblent 
devoir  nous  permettre  de  franchir  enfin  ces  obstacles,  en  apparence 
insurmontables.  C'est  d'abord  l'entente,  sur  un  programme  limité, 
de  tous  les  savants  qui  s'occupent  de  questions  grammaticales,  et  la 
décision  qu'ils  ont  prise  de  mettre  leur  programme  en  pratique, 
sans  attendre  une  nouvelle  édition  du  dictionnaire  de  l'Académie. 
C'est  ensuite  la  circulaire  par  laquelle  M.  le  ministre  de  l'ins- 
truction publique  porte  un  coup  décisif  à  l'incroyable  tyrannie  que 
des  règles,  aujourd'hui  reconnues  fausses,  exerçaient  depuis  trop 
longtemps  sur  l'enseignement. 

Le  programme  de  réforme,  auquel  nous  venons  de  faire  allusion, 
est  adopté  depuis  un  an  par  la  Reçue  de  philologie  française.  Il 
a  déjà  été  publié  par  le  Soleil,  et  nous  allons  en  rappeler  les  points 
essentiels,  en  demandant  pardon  au  lecteur  pour  les  détails  un  peu 
techniques  dans  lesquels  nous  serons  obligé  d'entrer. 

Une  des  particularités  les  plus  extraordinaires  de  l'ortliographe 
actuelle,  c'est  ïx  final.  L'article  pluriel  les  s'écrit  par  s,  comme 
en  latin  (illos),  et  nous  maintenons  s  dans  la  forme  contracte  des 
pour  de  les,  mais  nous  le  changeons  en  x  dans  aux  pour  à  les. 
L's  est  la  lettre  caractéristique  du  pluriel,  que  nous  avons  héritée 
de  la  déclinaison  latine.  Par  quel  mystère  doit-on  lui  substituer 
un  X  dans  choux  qui  vient  de  caules,  dans  royaux,  qui  vient  de 
regales,  dans  lieux,  qui  vient  de  locos,  etc.  ?  Pourquoi  Vs  des 
féminins  dans  mauvaise,  curieuse,  est-il  représenté  pars  dans  le 
masculin  mauvais  et  par  a?  dans  le  masculin  curieux'^  Il  n'y 
a  pas  trace  d'x  dans  le  latin  curiosus.  Quelle  peut  être  la  signi- 
fication de  ïx  dans/)r?j?,  qui  vient  depretium,  tandis  que  palais, 
qui  vient  de palatium,  prent  un  s  ?  Po\iv  noix,  on  alléguera  aux, 
mais  on  sait  aujourd'hui  que.  ce  mot  vient  de  nucem.  D'ailleurs, 
si  on  écrit  noixà  cause  de  nux,  pourquoi  ne  pas  écrire  ror'j?  à  cause 
de  rex  ? 

Voilà  toute  une  série  de  pourquoi  ausquels  on  eût  été  bien  em- 
barrassé de  répondre  au  siècle  dernier.  Aussi  conservait-on  toutes 
ces  bizarreries,  faute  de  pouvoir  donner  de  bonnes  raisons  pour 
les  supprimer.  La  philologie  moderne  a  trouvé  le  secret  de  l'é- 
nigme, et  le  voici.  Antérieurement  au  quinzième  siècle,  nos  an- 
cêtres écrivaient  très  régulièrement  aus,  roi/aus,  curieus,  pris,nois. 
Mais  les  copistes,  pour  économiser  le  temps  et  le  parchemin,  rem- 
plaçaient souvent  us,  terminaison  très  fréquente,  par  un  signe 
abréviatif,  toutconvcntionnel,  qui  ressemblait  à  un  ^r.  On  écrivait 
donc  checaus  ou  bien  quelquechose  comme  checax.  Mais  chevaux 


BULLETIN  DE  LA  SOCIÉTÉ  DE  RÉFORME  ORTHOGRAPHIQUE  313 

était  un  barbarisme,  car  cette  forme  aurait  dû  se  transcrire 
exactement  checauus.  On  commit  souvent  ce  barbarisme  parce 
qu'on  pensait  au  signe  abréviatif  quand  on  avait  à  écrire  un  mot 
terminé  par  us,  et  il  arrivait  que,  d'abord  parmégarde,  onécrivait 
quand  même  ïn.  La  faute  tourna  en  habitude,  on  confondit  tout  à 
fait  le  signe  abréviatif  avec  un  x,  et  on  en  vint  à  considérer  l'x 
comme  l'équivalent  de  5  dans  les  mots  terminés  [)ar /<6-.  On  écrivit 
dès  lors  chccaiix,  r/lor-iciix.  tu  i'et(x,  etc.,  et  ou  mit  aussi  V x,  qui 
n'avait  plus  que  lavaleurdes,  à  quelques  autres  mots,  notamment 
à  cens  dont  le  nominatif  latin  finissait  par  cette  consonne:  coix, 
paix,  croix. 

C'est  ainsi  que  Vx  final,  auquel  le  pédantisme  des  ignorants 
voudrait  nous  condamner  à  perpétuité,  est  le  résultat  et  la  con- 
sécration d'une  erreur  grossière.  Quelques  mots  en  ^/.s échappèrent, 
comme  par  miracle,  à  la  déformation  qui  atteignait  les  autres  :  le 
pluriel  de  bleu,  iemcus,  lepluriel  d'un  bon nombrede  noms  en  ou. 
Ce  sont  ceus-là  qui  représentent  la  saine  et  ?jonne  tradition,  et 
quijustifientlepremierarticledu  programmede  réforme  :  remplacer 
par  s  Vx  final  valant  s. 

La  seconde  modification  importante  adoptée  par  les  collaborateurs 
de  la  Reçue  de  philologie  française  consiste  à  rendre  uniformes 
les  terminaisons  de  l'indicatif  présent  dans  les  verbes  en  re,  oir  et 
ir.  L'histoire  delà  langue  nous  apprent  que,  pour  tous  ces  verbes, 
la  terminaison  caractéristique  delà  troisième  personnedu  singulier 
est  le  t.  Le  radical  de  dormir  est  dor/n,  mais  on  remplace  Vin 
par  un  t  dans  «  il  dort  ».  On  doit  également  écrire:  il  pcrt,i\ 
prent,  il  répaiit,  il  réponf.  il  coid,  il  moût,  il  s'assief,  etc.  Car 
on  n'écrit  pas:  il  dorm,  il  doiv,  il  écriv,  il  peind,  il  résoud,  il 
void..  La  consonne  fliiale  du  radical  français  ou  latin,  que  ce  soit 
un  d  ou  toute  autre  lettre,  doit  logiquement  faire  place  à  la  ter- 
minaison régulière  de  la  troisième  personne  du  singulier.  De  même, 
à  la  première  et  à  la  seconde  personne,  cette  consonne  doit  dis- 
paraître devant  la  terminaison  s,  et  non  pas  s'ajouter  à  Vs.  Les 
formes  «  tu  perds,  tu  prends,  tu  couds,  etc.  »  sont  aussi  incorrectes 
que  le  seraient  tu  dor/ns,  tu  doios,  tupcinds,  tu  rèsouds,  tu  voids. 
L'orthographe  «  tu  défens,  il  défont  »,  qui  est  celle  de  tous  nos 
anciens  textes  pendant  sept  siècles,  n'a  été  abandonnée  que  pour 
aboutir  à  un  type  factice  de  conjugaison.  Mais  elle  n'avait  jjoint 
disparu  complètoment  au  dis-septième  siècle.  Racine  écrit  :«  Je 
prens,  j'attcns,  je  répons.  » 

Quand  nous  aurons  ajouté  qu'on  supprime  radicalenuMit  les  sub- 
tilités de  la  règle  des  participes,  en  laissant  toute  liberté  dans  le 
cas  où    une    double    interprétation  est  possible,  nous   aurons  in- 


314  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

diqué  les  traits  essentiels  de  la  modeste  réforme  entreprise  par 
nos  grammairiens.  La  légitimité  de  ces  différentes  modifications 
est  incontestable,  et,  en  parcourant  ces  articles,  on  reconnaîtra 
qu'elles  ne  changent  pas  beaucoup  la  physionomie  générale  de 
l'écriture  et  qu'elles  ne  choquent  pas  trop  violemment  nos  habi- 
tudes. 

Les  tolérances  recommandées  par  M.  le  ministre  de  l'instruction 
publique  ont  le  même  caractère.  Bien  loin  d'abaisser  le  niveau  des 
études  grammaticales  pour  les  mettre  à  la  portée  du  plus  grand 
nombre^  la  circulaire  sanctionne,  au  contraire,  les  découvertes  les 
plus  importantes  de  la  science  philologique, et  nous  devons  tous 
nous  réjouir  que  l'orthographe  la  plus  correcte  se  trouve  être  en 
même  temps  la  plus  facile. 

Ce  qui  est  un  signe  des  temps,  c'est  que  M.  le  ministre  de  l'ins- 
truction publique  est  visiblement  préoccupé  de  ne  pas  froisser  les 
adorateurs  du  fétiche  orthographique,  tant  le  préjugé  est  devenu 
puissant  !  Et  c'est  ce  qui  explique  la  méprise  de  quelques-uns  de 
nos  confrères  qui,  entendant  parler  «  d'indulgence  »  dans  la  cor- 
rection de  la  dictée,  ont  cru  à  un  acte  de  faiblesse  et  à  un  abais- 
sement des  épreuves  grammaticales.  L'indulgence  réclamée  équivaut 
en  réalité,  comme  on  peut  s'en  convaincre  en  lisant  avec  soin  la 
circulaire,  à  l'autorisation  absolue  d'employer  des  formes  consi- 
dérées à  tort  comme  fautives,  et  dont  les  unes  sont  meilleures,  les 
autres  aussi  bonnes  que  les  formes  usuelles. 

Nous  espérons  que  les  commissions  d'examen  ne  s'y  tromperont 
pas,  et  les  professeurs  comprendront  que  l'effet  du  nouveau  régime 
doit  être  «d'assurer à  l'enseignement  de  l'orthographe  une  direction 
moins  étroite  »  et  plus  scientifique.  Le  profit  serait  médiocre  si  on 
se  contentait  de  ne  plus  compter  dans  les  examens  ces  prétendues 
fautes,  et  si  l'enseignement  continuait  à  être  encombré  d'exercices 
pour  les  éviter. 

La  circulaire  ministérielle,  qui  procède  par  exemples  et  par 
indications  générales,  autorise  implicitement  dans  les  écoles  des 
façons  d'écrire  qui  ne  sont  i:>as  comprises  dans  le  programme  de  la 
Reçue  de  philologie  française.  Mais  ce  programme,  de  l'aveu  de 
ceusqui  l'ont  formulé,  n'est  qu'une  première  étape,  et  nous  aurons 
à  examiner  s'il  no  serait  pas  opportun  d'y  ajouter  dès  maintenant 
quelques  autres  réformes,  aussi  justifiées  que  les  premières  et  ne 
choquant  pas  davantage  les  habitudes  de  l'œil. 


BULLETIN  DE  LA  SOCIÉTÉ  DE  RÉFORME  ORTHOGRAPHIQUE   315 


III 


Les  philologues  approuvent  entièrement  toutes  les  laçons  d'écrire 
indiquées  comme  non  répréhensibles  par  M.  le  ministre  de  l'ins- 
truction publique.  Ils  les  ont  signalées  depuis  longtemps,  et  ils  ne 
voient  que  des  avantages  à  ce  qu'on  les  tolère,  à  ce  qu'on  les 
encourage  même  dans  les  écoles.  S'ils  ne  les  mettent  pas  toutes 
en  pratique  immédiatement,  c'est  par  considération  pour  messieurs 
les  prêtes,  qui  sont  des  facteurs  importants  de  la  réforme.  On  ne 
voudrait  pas  leur  imposer  une  tache  trop  lourde.  Aussi  cherche- 
t-on  avec  le  plus  grand  soin  des  modifications  qui  s'appliquent, 
non  à  des  termes  isolés,  mais  à  des  groupes  de  mots,  et  qui 
puissent  se  formuler  et  se  retenir  aisément.  Quoi  de  plus  simple 
que  de  remplacer  pai*  s  Vx  final  valant  s  et  de  substituer  t  final  à 
d  à.  la  troisième  personne  de  l'indicatif  présent? 

11  y  a  une  autre  réforme  importante  qui  remplirait  bien  les 
conditions  requises,  c'est  la  simplification  des  consonnes  doubles 
partout  où  on  n'en  prononce  qu'une. 

Il  n'est  pas  question  ici  du  redoublement  de  l's,  qui  est  une 
façon  de  distinguer  s  dur  de  s  dous,  ni  du  redoublement  de  1'/ 
dans  le  signe  traditionnel  ill  par  lequel  on  note  /  mouillé.  Per- 
sonne ne  propose  aujourd'hui  de  modifier  notre  orthographe  sur 
ces  deus  points.  Cette  réserve  faite,  on  remarquera  la  fréquence 
toute  particulière  du  redoublement  des  consonnes  après  l'e.  Pour 
se  l'expliquer,  il  faut  remonter  à  l'époque,  qui  n'est  pas  si  loin- 
taine, où  l'on  n'avait  pas  encore  imaginé  de  se  servir  des  accents 
pour  marquer  les  différentes  prononciations  de  la  lettre  c.  Quand 
on  voyait  écrit  le  mot  reiiouccle,  il  était  impossible  de  savoir  a 
priori  s'il  fallait  lire  renouvelé  ou  renouvelé.  Au  lieu  de  songer 
ans  accents,  on  eut  d'abord  l'idée  de  redoubler  la  consonne  après 
Ve  non  muet.  Dès  lors  on  sut  que  renouvelé  devait  plutôt  se  lire 
renouvelé,  et  renouvelle:  renouvelé.  L'hésitation  était  moindre 
dans  les  terminaisons  en  aie,  île,  ule,  olc  (ou  aie,  ape,  etc.);  car 
il  y  avait  au  moins  une  voyelle  sur  deus,  dont  la  prononciation 
ne  faisait  pas  doute.  Cependant,  là  encore,  le  redoublement  pou- 
vait indiquer  que  la  voyelle  suivante  était  un  e  muet.  On  put 
avoir  l'idée  d'écrire  voile  pour  rôle,  et  vole  pour  volè\  mais  dans 
les  cas  de  ce  genre  on  ne  constate  pas  de  système  bien  arrêté. 

Quand  on  eut  la  ressource  de  placer  un  accent  sur  les  e  non 
muets,  l'emploi  ou  le  non-emploi  de  cet  accent  faisait  le  même 
ofiQce  que  le  redoublement  ou  le  non-redoublement  do  la  consonne. 


316  KEVUE  DE  PHILOLOGIE  FRANÇAISE 

Ayant  deus  moyens  à  sa  disposition,  on  se  servit  librement  tantôt 
de  l'un  et  tantôt  de  l'autre.  On  écrivit,  sans  y  attacher  d'autre  impor- 
tance, cUentellc  ou  clientèle,  tutellcow  tutèle,  discrète  ou  discrette, 
belle  ou.  hèle,  etc.  Puis,  quand  l'orthographe  fut  codifiée,  l'Aca- 
démie adopta  pour  chacun  de  ces  mots,  un  peu  au  hasard,  soit  è 
accentué,  soit  e  suivi  d'une  consonne  double,  et  cette  distinction 
une  fois  établie,  on  s'y  conforma  avec  d'autant  plus  de  scrupule 
qu'on  devint  incapable,  au  bout  de  peu  de  temps,  d'en  scruter 
l'origine.  L'histoire  de  la  langue  et  de  son  orthographe  est  une 
science  toute  récente;  avant  qu'elle  se  fût  constituée,  on  respectait 
les  particularités  orthographiques  les  plus  étranges,  parce  qu'on 
supposait  bonnement  qu'elles  reposaient  sur  des  principes  cachés, 
mais  excellents.  On  les  conservait  parce  qu'on  ne  pouvait  formuler 
les  raisons  de  les  supprimer.  Nous  n'en  sommes  plus  là  aujour- 
d'hui. 

Sans  doute,  au  moment  du  triage  entre  les  è  accentués  et  les 
e  suivis  d'une  consonne  redoublée,  on  maintint  surtout  le  redou- 
blement dans  les  mots  qui  l'avaient  en  latin,  et  on  procéda  de 
même  après  les  autres  voyelles  et  particulièrement  au  commen- 
cement des  mots.  Mais  il  s'en  faut  que  ce  système  ait  été  rigou- 
reusement suivi  ;  car  nous  écrivons  tutelle,  carotte,  chandelle, 
malgré  la  consonne  unique  de  tutela,  carota,  çandela,  et  imbécile, 
annuler,  etc.,  malgré  inibecillum  et  nulluni.  D'ailleurs,  il  n'est 
pas  admissible  que  l'on  introduise  ou  que  l'on  conserve  _une  lettre 
non  prononcée  dans  un  mot  français,  pour  cette  seule  raison  que 
la  lettre  figurait  dans  le  mot  latin  correspondant.  Personne  n'o- 
serait plus  proposer  aujourd'hui  d'écrire  froigd  ou  trenijte, 
quoiqu'il  y  eût  un  g  dans  frigiduni  et  dans  triginta.  Les  Latins 
prononçaient  bel-la,  nous  prononçons  hèle.  Ecrire  belle  avec  deus 
/,  dont  une  muette,  n'est  pas  moins  ridicule  que  d'écrire  froigd 
ou  trengte,  puisque,  grâce  à  la  possibilité  d'employer  l'accent 
grave,  le  redoublement  n'est  plus  utile  pour  marquer  la  pronon- 
ciation de  Vè. 

De  tout  temps,  l'orthograplie  française  a  laissé  tomber  les  lettres 
qui  disparaissaient  de  la  prononciation.  Le  mot  dérivé  de  laudatum 
a  d'abord  été  lodèt,  jusqu'à  la  fin  du  onzième  siècle.  Puis,  \e  d  et 
le  t  n'étant  plus  prononcés,  on  a  écrit  loè,  loué.  Le  mot  dérivé 
de  videre  a  été  successivement  prononcé  et  orthographié  vedeir, 
ceeir,  veoir,  voir,  si  bien  qu'il  ne  reste  plus  d'autre  trace  du 
radical  que  la  consonne  o.  La  suppression  d'un  l  dans  belle  est 
aussi  justifiée  que  l'a  été  la  suppression  du  d  et  de  Ve  dans  vedeir, 
ceoir. 

Le  redoublement  des  consonnes  nasales  n  et  m  a  une    origine 


BULLETIN  DE  LA  SOCIÉTÉ  DE  REFORME  ORTHOGRAPHIQUE    317 

toute  spéciale.  On  peut  s'étonner  de  voir  deus  n  dans  sonne,  alors 
qu'il  n'y  en  avait  qu'une  dans  le  latin  sonat.  C'est  que  la 
prononciation  française  de  ce  mot  a  été  successivement  sone,  puis 
son-ne.  Elle  est  redevenue  sone,  mais  on  a  conservé  l'orthographe 
du  temps  où  on  disait  so/i-«c.  Le  bon  sens  exige  impérieusement 
que  nous  revenions  à  l'orthographe  primitive. 

L'histoire  de  la  langue  nous  conduit  donc  à  cette  conclusion 
que  le  redoublement  des  consonnes  qui  se  prononcent  simples  ne 
s'appuie  sur  aucune  raison  sérieuse  et  doit  être  considéré,  scientifi- 
quement, comme  une  incorrection.  Il  est  facile  d'en  débarrasser 
notre  orthographe.  Contre  cette  réforme,  on  a  objecté  que,  parmi 
les  mots  d'une  même  famille,  les  uns  se  prononcent  avec  la  con- 
sonne double,  les  autres  avec  la  consonne  simple,  ce  qui  obligerait 
à  écrire  par  exemple  inocent  avec  un  n  et  innocuité  avec  deus. 
Pourquoi  non,  puisque  c'est  ainsi  qu'on  prononce?  On  prononce 
et  on  écrit  effectif  avec  un  c  et  e.ff'ct  sans  c,  bien  que  ces  deus 
mots  soient  aussi  apparentés  qu'inoccnt  et  innocuité. 

Pour  faire  passer  dans  la  pratique  la  réforme  des  consonnes 
doubles,  il  n'y  aura  de  difficulté  qu'à  propos  des  mots,  en  nombre 
assez  restreint,  dont  la  prononciation  n'est  pas  tout  à  fait  sûre, 
où  les  uns  font  entendre  deus  consonnes  et  les  autres  une  seule. 
Pour  ces  mots,  il  vaut  mieus  évidemment  se  conformer  à  la  pro- 
nonciation la  plus  générale.  On  la  trouvera  indiquée  dans  le 
dictionnaire  de  Littré  et  dans  celui  de  MM.  Hatzfeld,  Darmcsteter 
et  Thomas,  qui  est  en  cours  de  publication.  D'ailleurs,  en  simpli- 
fiant la  consonne  d'un  mot  douteus,  on  ne  courra  jamais  que  le 
risque  d'être  un  peu  en  avance  sur  la  langue.  Car  la  tendance  ma- 
nifeste du  français,  depuis  ses  origines  jusqu'à  nos  jours,  est  de 
réduire  les  consonnes   redoublées. 

Quand  nous  empruntons  un  mot  à  une  langue  étrangère,  vivante 
ou  morte,  s'il  a  une  consonne  double  nous  la  prononçons  telle 
pendant  un  temps  plus  au  moins  long;  mais  on  peut  dire  qu'elle 
devient  inlailliblement  simple  dès  que  le  mot  a  vraiment  pénétré 
dans  la  langue  populaire,  en  prenant  «populaire»  dans  le  sens 
le  plus  étendu.  Collège,  bien  que  d'origine  savante,  est  devenu  un 
mot  de  la  langue  courante  :  il  se  prononce  par  l  simple,  c'est  la 
marque  de  sa  naturalisation.  Colligcr,  qui  est  de  la  même  famille, 
est  encore  un  étranger,  bien  qu'on  l'ait  habillé  à  la  française,  car 
on  fait  entendre  sa  double  consonne.  Enfin,  il  y  a  des  mots  qui 
sont  tout  à  fait  français  par  la  prononciation  populaire,  mais  où 
les  lettrés,  sous  l'iniïuence  de  l'orthographe,  maintiennent  ou 
rétablissent  la  consonne  double.  Avant  de  modifier  la  façon  de 
les  écrire,  il  convient  d'attendre   que  la    prononciation    populaire 


318  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

de  ces  mots  soit  devenue  générale.  La  réforme  que  nous  proposons 
respecte  donc  les  nuances  de  la  langue  et  permettra  même,  dans 
l'avenir,  de  les  mieus  constater. 

Est-elle  de  nature  à  changer  beaucoup  la  physionomie  de  l'écri- 
ture ?  On  en  jugera  par  ces  quatre  vers  de  Corneille,  où  nous 
conservons  purement  et  simplement  (sauf  dans  èle  et  conais) 
l'orthographe  adoptée  par  Voltaire  dans  son  édition  de  1764  : 

Pour  èle,  vous  savez  que  j'en  fuis  les  aproches  ; 
J'aurais  peine  à  soufrir  l'orgueil  de  ses  reproches; 
Et  je  me  conais  mal,  ou  dans  notre  entretien, 
Son  couroux  s'alumant  aluraerait  le  mien. 

Il  n'est  pas  douteus  qu'on  s'habituera  très  vite  à  voir  les  mots 

ainsi  écrits.  Et  l'écriture,  en  devenant  plus  exacte,   préservera  la 

langue  française  des  corruptions  trop  fréquentes  qu'engendre  notre 

mauvaise  orthographe.  Car  on  commence  à  entendre  des  gens  qui 

font  sonner  les  deus  /•  de  courroux  ;  ils  vous  diront   même  que  ce 

redoublement  peint  bien  l'exès  de   la   colère  !  On  en  viendrait  à 

prononcer  sot'te,    coClègc,    tant   il    est  vrai  que    l'orthographe 

actuelle,  loin  de  garantir  l'intégrité  de  la  langue,  est  au  contraire, 

sa  pire  ennemie. 

L.  CLÉDAT. 


Le  Gérant  :  E.  Bouillon. 


TABLE   DU   TOME   V 

DE    LA    REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 
1891 


Pages 

Louis  Havet,  Ch.  Lebaigue,  L.  Crouslé.  —  Le  plan 
général  de  réforme  orthographique 1 

Paul  Marchot  et  Aug.  Vicrset.  —  Texte  Wallon  avec 
commentaire  philologique 38 

L.  Clédat.  —  Phonétisme ,  arcltaïsme  et  étymologisme.       59 

L.  C.  —  Sur  un  emploi  particulier  du  a  futur  dans 
le  passé  » 62 

L.  C.  —  Un  manuscrit  de  la  traduction  française  de 
Barthélémy  V Anglais 64 

L.  C.  —  La  confession  de  Rutebeuf,  traduction  ar- 
chaïque et  rythmée 65 

A.  Ferrand.  —  Noms  de  personnes  et  surnoms  en 
patois  de  Jons  {Isère) 68 

L.  Clédat.  —  La  ci/oculaire  ministérielle  du  27  avril 
1891  sur  l'orthographe  dans  renseignement 81 

F.  Araujo.  —  L'évolution  phono graphique  de  V ai  fran- 
çais  96,  161,  257 

L.  Philipon.  —  Noël  de  1721  ou  1725  en  patois 
lyonnais 134 

F.  Fertiault.  —  Dictionnaire  du  langage  populaire 
Verduno-ChalonnaiSj  lettre  C  (suite) 174 

J.  Bastin.  —  Le  conditionnel  en  français 194 

P.  Marchot.  —  Textes  de  l'extrême  nord  et  de  l'ex- 
trême sud  Wallon 205 

D'"  Galy.  —  Un  manuscrit  perdu  de  contes  et  f'ableaus.     224 

Vicomte  de  Colleville.  —  La  Bergère,  chanson  de 
Provence 233 

Paul  Passy.  —  Notes  sur  quelques  patois  vosgiens 
(à  suivre) 241 


320  REVUE    DE    PHILOLOGIE    FRANÇAISE 

Pages 

J.  Bastiii.  —  L'imparfait  ou  pasfié  descriptif  en  fran- 
çais      278 

L.  Clédat.  —  Traductions  archaïques  et  religieuses  : 
1.  Chant  de  croisade  anonyme  ;  2.  Fable  de  Marie 

de  France  ;  3.  Poésie  de  Pierre  Cardinal 290 

Chroniques 78,  159,  234,  302 

Bulletin  delà  Société  de  réforme  orthographique.     305 
Livres  et  articles  signalés 79,  160,  138.  299 

COMPTES  RENDUS 

The  exempta  or  illustratices  stories  from  the  sermones 
vulgares  of  Jacques  de  Vitry,  par  Th.  F.  Crâne  ...       71 

Dictionnaire  général  de  la  langue  française,  par 
Hatzfeld,  Darmesteter  et  Thomas  [4"  fascicule) 72 

Le  fabliau  de  Richcut  par  Joseph  Bédier 73 

Le  français  et  le  provençal  ^ùxYL.'èwchiçv,  traduit  par 
P.  Mouet 74 

Dictionnaire  étymologique  du  patois  lyonnais  et  Les 
Vieilleries  lyonnaises  par  N.  du  Puitspelu 153 

Origines  et  sources  du  roman  de  la  Rose  et  De  artibus 
rhetoricœ  rhythmicœ,  par  Ernest  Langlois 157 

Etude  sur  les  changements  phonétiques  et  leurs  carac- 
tères généraux,  par  Paul  Passy  (c.  r.  de  Paul 
Regnaud) 294 


rHALON-SUH-SAONK,    IMIMil  MKItl  K     l)K    I,.    MARCKAU 


PC 

2701 

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t. 5 


Revue  de  philologie  française 


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