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Full text of "Revue des deux mondes"

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REVUE 


DES 


DEUX  MONDES. 


QUATRIÈME  SÉRIE. 

I 


TOU  m.—  ï^  lUILLBT  1836, 


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IMPaiMERIE  DE  H.  FOUHNIEE  ET  G*» 
AVI  Ds  tioni»  14^  m. 


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REVUE 


DES 


DEUX  MONDES. 


TOME  SEPTIÈME. 


QUATRIÈMB   S^RIB. 


I  PARIS, 

I 

AU  BUREAU  DE  LA  REVUE  DES  DEUX  MONDES , 

RDE  SES  BEAUX-ARTS,  10. 


1836. 


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9Mi 


LES  EXHIBITIONS 

DE   PEINTURE 


ET 


DE  SCULPTURE 

A  LONDRES  EN  1856. 


I. 

Vn  critiqae  consciencieux,  mais  pressé,  qui  viendrait  à  Londres 
du  continent  avec  mission  d'examiner  à  la  hftte  la  peinture  et  la 
sculpture  anglaises  de  la  saison,  courrait  le  risque  de  ne  rapporter 
i  ses  commettans  que  des  notions  fort  incomplètes. 

A  moins,  en  effet,  qu'il  n'arrive  bien  informé  d'avance  et  sufB- 
samment  introduit,  peut-être  se  contentera-t41  de  suivre  la  foule 
qui  se  presse  à  Somersel-House.  Cependant,  tandis  que  l'exhibi- 
tion principale  de  l'Académie  a  les  deux  battans  de  sa  porte  ouverts, 
en  des  lieux  de  la  ville  différens,  trois  autres  exhibitions  impor- 
tantes, mais  moins  populaires,  convient  simultanément  le  public  à 
les  visiter.  On  ne  se  ferait  donc  qu'une  idée  très  imparfaite  tou- 
chant Fœuvre  annuelle  de  l'art  en  Angleterre  (et,  une  fois  pour 


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O      .,•.•.,-;    , 

.•..--.---        • 

toutes,  qu'il  soit  bien  entendu  que  Yart  signifie  uniquement  ici  Tart 
de  peindre  et  de  sculpter] ,  si  Ton  n'avait  pas  étudié  les  quatre 
collections. 

Mais  il  ne  sera  pas  inutile  de  dire  comment  et  pourquoi  elles  sont 
ainsi  séparées. 

Nous  n'avons  ^  la  volonté  ni  le  loisir  de  ^^osmrer  T  Académie 
royale.  Fondée  en  1768,  et  composée  de  quarante  académiciens, 
sans  compter  les  associés,  use- 1- elle  ou  abuse- 1- elle,  depuis 
soixante  ans,  des  privUéges  de  sa  charte,  toujours  est^l  qu'elle 
emplit  kaQDuellQment  Somerget-Home  des  peintures  et  dee  sculp- 
tures de  ses  membres  et  de  leurs  élèves,  au  détriment  des  concur- 
rens  étrangers  qu'il  lui  platt  d'exclure. 

Eût-elle  voulu  libéralement  exercer  son  autorité,  la  chose  n'eût 
pas  été  facile.  Son  local  resserré  ne  lui  permet  pas  d'exposer  à  la 
fois  pl)is  de  rniUe  à  douze  eests  owrages* 

Or,  devenus  dans  l'art  mie  vraie  puissance,  les  peintres  d'aqua- 
relle estiment,  en  1804,  que  l'Académie  ne  leur  fait  point,  à  ses 
solennités,  une  place  suffisante.  Us  marcheront  seuls  désormais. 
Unissant  leurs  forces,  ils  établissent  la  société  qui  convoque  Lon- 
dres, cette  année,  à  sa  trente-deuxième  exhibition. 

Cet  exemple  d'indépendance ,  que  le  succès  couronne ,  n'est  pas 
pour  rester  sans  imitateurs.  Divers  artistes  éminens  se  sont  lassés . 
enfin  de  solliciter  vainement  les  fauteuils  et  les  médailles  d'or  de 
l'Académie.  Une  société  nouvelle  est  fondée,  qui  accueillera  les 
toiles  et  les  marbres  quels  qu'il»  soient,  repoussés  ou  non  de 
Somerset'House.  Cette  association  des  artistes  britanniques  se 
recommande  aujourd'hui  par  sa  treizième  exhibition,  covposée  de 
pr^s  de  mille  ouvrages. 

n  n'y  a  rien  qui  gâte  com«ie  la  fortune.  Oublieux  de  leur  com- 
mencement, les  petMres  d'aquareUe,  associés  en  1804,  s'étaient 
inseasiblement  meatrés  plus  exclusifs  et  jaloux  dea  débutans  que 
ne  l'avaient  été  jamab  les  académiciens  eux-mêmes.  Heureusemeiit 
la  ressource  des  associations  est  inépwsable.  Les  méconlens  se 
réunissent;  ils  invoquent  la  protection  puUiiiue;  leur  appel  est 
encouragé,  et  une  nouvelle  société  de  peintres d'aquareUe  affiche 
présentement  dans  la  ville  sa  cinquième  exhiUtion. 

Voilà  donc  quatre  exhibitions  distinctes,  qm  réclament  l'auno** 
tioa  etla  faveur  à  des  titres  inégaux.^  maïs  dont  aucune  n'est  k 


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LÀ  PEINTURS  «r  %A'9CeummS  Efr  ANGLETERRE,  T 

dédaigner.  Si  nous  additionnons  les  chiffres  de  leurs  quatre  livrets, 
Doas  trouvons  qu*elles  produisent,  en  1836,  deux  mille  six  cent 
soixante-treize  ouvrages  de  dessin,  de  sculpture  et  de  peinture  (1). 

Il  serait  plus  simple  et  jusqu*à  un  certain  point  plus  convenable 
^e  tout  cela  fô€  rassemblé ,  oemmeaif  Louvrev  •»  ua  sem\  bâiliiiient 
comiaft.  Toutefois,  je  n*alfimerat  fMmt  q»e kt dfroioa  n*aU  pas 
ftsavMitages.  Sm»  ^vte  VémaMtêo.  naîtra  parfont  dv  ccmiact 
'wmiéad,  des  ctwnpm  ;  mam  um  concuvrenee  décidée  et  presque 
hostile  nexcite-t-ettB  pas^ mieux  le  pvogrè»  de  Vartt 

E&  ce  qui  regarde^la  eemmoéilé  du  euriei^x  et  de  T^mateiir,  la 
Mgère  peioe*  de  vtsilief  qvatre  expontictts  dïfférenles,  est  bîea 
OMifeasée,  y  imagine,  par  le  sodagemenC  de  n'en  avoir  poifit  sur 
hsbns^nne  seule  générale,  qui  vovs  écrase  et  vous  fait  stnpide. 

k  reproclieraia  plmèt  à  ces  «xkibitions  anglaisée  de  ne  point  être 
gratuites.  Le  tort  est  parFéoimaMa*  au»  moins  à  celles  qpii  ne  se  sup- 
perteat  qaî'k  lears  propres  frais.  Mats  qiM  rAcadéaaie  royale, 
logée  spltiidideraenl  aux  fraés  du  publie,  le  frappe  encore  d'un 
impdtà  la  porte,  e'esif  un  abus  inexcusable.  Ce  shelKng  exigé  n'est 
pas  me  forte  somme  ;  it  ne  pèse  guère  au  riche  désœuvré  qui  vient 
«oe  fois  ;  il  grève  rhooMne  de  goât  pauvre,  q«i  vient  chaque  jour; 
il eichit absolument  le  peuple,  qui  n'échangera  jamais  contre  son 
dlier  Je  droit  d'entrer.  Et  il  y  a  là  une  double  faute  :  cotte  consigne 
iwai»  au  seuil  dasanctaaive  est  illibérale  ;  en  outre,  l'artiste  n'est 
passaasy  perdre  d'aliles  leçons.  Je  veux  bien  que  l'avis  du  cor«- 
émmm  ne  vaille  rien  a»-dessus  de  la  jambe  ;  mais  n'est-il  pas 
conpéten  t  -aundessons? 

Vous  ièles  donc  avertts^  que  nous  n'avons  pas  moins  de  qnatre 
exhibit'refie  à  voir.  La  besogne  est  rade  ;  c'est  pourquoi  nous  les 
tiaiKerseroBs  rapidement  l'une  après  l'autre,  nous  bornant  à  ob- 
atrver  le  caraetère  général  et  les  <Bfivres  sadlantes  de  chacune. 
Moue  eaeaierons  eneoite  d'apprécier  la  valeur  de  rensemble. 

ftj  Wà^imn  ekiq  «antl  de  pi«»  que  TeipesMon  de  Paris ,  cette  année. 


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UTUB  DBS  DEI2X  MOIOIES. 


n. 


Montons  d*abord  au  troisième  étage  de  Somerset-House,  et 
faisons  le  tour  de  ses  trois  salons.  Si  nous  ne  voyons  pas  aussi 
impartialement  que  nous  le  souhaitons  »  ce  sera  peut-être  un  peu  la 
faute  du  mois  de  mai,  qui  ne  se  presse  pas  d'ouvrir  la  petite  ses- 
sion de  soleil  qu'il  accorde  d'ordinaire  à  Londres. 

Au  premier  aspect ,  ce  qui  h-appe  surtout ,  c'est  l'excessive  quan- 
tité des  portraiu  de  toute  taille.  Sauf  une  ou  deux  exceptions,  tou- 
tes les  grandes  toiles  sont  des  portraits.  C'est  une  foule  éblouissante 
de  pairs  et  de  pairesses,  de  juges,  de  shériffs,  d'aldermen,  de 
lords-maires,  d'amiraux,  de  généraux,  de  maréchaux,  qui  se 
pressent  et  se  coudoient,  traînant  à  lenvi  les  robes  de  satin  et  de 
velours,  les  manteaux  de  pourpre  et  d'écarlate.  Je  voudrais  avoir 
à  louer  davantage  daps  cette  cohue  de  hauts  dignitaires,  d'autant 
plus  que  le  meilleur  nombre  s'est  fait  peindre  par  des  académiciens. 
Mais,  hélas  I  des  sept  portraits  qu'expose  sir  Martin  Shee,  président 
actuel  de  l'Académie,  en  est-il  un  qui  témoigne  autre  chose  qu'un 
savoir-faire  matériel  et  vulgaire?  Je  ne  connais  point  M.  Chantrey, 
mais  je  doute  fort  que  cet  admirable  sculpteur  ait  littéralement 
répaisse  expression  de  marguillier  que  lui  attribue  son  collègue. 
Sir  Martin  Shee  a  succédé  à  sir  Thomas  Lawrence,  msâs  ne  l'a 
guère  remplacé.  U  a  deux  cordes  à  son  arc  :  il  s'adonne  à  la  poésie 
didactique  en  même  temps  qu'à  la  peinture  à  l'huile,  et  se  croit 
pour  cela,  dit-on,  une  moitié  de  Michel- Ange.  Il  s'en  faut  du  tout. 

C'est  un  échec  académique  plus  solennel  que  le  portrait  de  lord 
Ly  ndhurst,  par  M.  Phillips.Vainement  cherchez-vous  la  physionomie 
rusée,  méchante,  colère,  méphistophélique  de  ce  pair  sans  con- 
science, qui  se  venge  des  whigs,  coûte  que  coûte,  dût-il  se  perdre 
lui  et  les  tories  de  la  chambre  haute,  aveugles  instrumens  entre  ses 
mains.  Au  lieu  de  cet  homme  d'état  rongé  de  mauvaises  passions 
éloquentes,  vous  avez  une  vieille  figure  grimacière,  avec  la  perru- 
que, le  sac  et  la  robe  d'un  chancelier.  Mais  ces  détails  de  costume, 
dites-vous,  sont  très  adroitement  rendus.  Et  qu'ûnporte?  N'étaitrce 
pas  le  factieux  politique  qu'il  fallait  donner,  plutôt  que  sa  togeT 

J'adresserab  bien  des  reproches  analogues  à  M.  Briggs,  à 


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LÀ  PETirrURE  ET  LA  SCULPTURE  EN  ANGLETERRE.  9 

M.  Pickersgilly  à  M.  Reinagle,  si  je  prenais  un  à  un  leurs  nombreux 
portraits.  Ce  n'est  pas  la  peine.  Au  moins  une  sorte  de  lueur  poé- 
tique éclaire  les  traits  rêveurs  de  miss  Beresford  et  de  miss  Wood» 
peintes  Tune  et  Fautre  par  sir  William  Beechey.  Le  lord  Montagu 
de  M.  Wilkie  rayonne  de  coloris  sinon  d'expression. 

Le  tort  de  messieurs  les  académiciens  peintres  de  portra'ts 
semble  uniforme  et  systématique.  Us  ont  un  procédé  et  le  plus 
grossier  de  tous.  Hs  peignent  soigneusement  les  habits  et  les  corps; 
ils  négligent  l'esprit  et  le  caractère.  Ce  n*est  pas  à  des  professeurs 
qu*il  sied  de  conseiHer  Tétude  des  maîtres.  L* Académie  estime  sans 
doute  que  le  Titien  a  été  indiscret,  qu*il  a  montré  trop  à  nu  les 
âmes;  mais  Van-Dyck  y  a  mis  plus  de  ménagement.  C'était  aussi  un 
peintre  fashionaUe,  un  peintre  de  cour,  et  pourtant  il  a  laissé  au- 
tre chose  que  des  fourreaux  de  satin  et  des  pourpoints  de  velours. 

En  fait  de  portraits,  les  élèves,  les  débutans,  les  étrangers,  pa- 
raissent avoir  décidément  le  pas ,  cette  année ,  sur  les  académi- 
deos. 

Je  m*arrète  tout  ému,  devant  une  douce  figure  élégante  et  gra- 
cieuse. Comment  1  cette  femme  fut  autrefois  Ada,  la  fille  tant 
aimée  de  lord  Byron  I  c'est  à  elle  que  le  poète  disait  : 

Slcep  on,  my  child;  the  slumber  brief 
Too  soonshall  meit  away  to  grief, 
Toosoon  the  dawa  ofwoshail  break 
And  bring  rills  bedew  tbat  cheek; 
Too  $ooQ  sball  sadness  quench  tbosB  eycs, 
Tbat  breast  be  agonised  with  sigbs  ! 

Aujourd'hui,  c'est  lady  Kong,  une  grande  damel  l'Age  des  dou- 
leurs lui  est  venu ,  et  elle  est  restée  l'enfant  paisible  et  souriant 
qu'efle  était  au  berceau.  Remercions  mistress  Carpenter,  son  pin- 
ceau a  été  bien  inspiré.  Ada  est  heureuse.  N'eût  été  cette  toile 
'Vivante,  nous  n'aurions  pas  osé  croire  que  les  craintes  paternelles 
«'étaient  trompées. 

Je  n'ai  que  des  éloges  à  domier  au  duc  de  Wellington  en  pied, 
de  M.  Simpson.  Voilà  bien  le  soldat  énergique,  raide,  opiniâtre  ; 
Toîlà  bien  le  favori  de  la  fortune.  L'artiste  a  dégagé  et  saisi  le  bon 
c*té  de  son  modèle.  Peut-être  l'a-t-il  beaucoup  idéalisé  et  grandi  ; 


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ID  RBVCE  «ES  9MM%  HONBBS. 

je  œ  (Éoi'cii  jiamB  pas.  fit  pmat»  rn^ett  pout  le  ebef  «imMe  d*me  op- 
position impopidaire  qui  émm  est  représeMié:  c'est  le  général 
prédestiné «t  trkmpbHit ;  or  jimugine^iiie  Sa tiraee pertak la  tète 
d'un  autre  tir  à  WateHoo  qn'è  la  cbambre  des  krds. 

Le  maréchal  Beresford ,  du  même  peintre,  se  distingue  par  une 
vigueur  d'exécutîcm  semHaHe  et  une  particiriarité  de  costumey 
digne  d*étre  signalée.  Debout  sur  le  chamf»  de  bataffle,  un  canon é 
sa  droite,  ce  noble  lord,  avec  Thabit  de  combat  du  général,  a  la  co- 
lotte,  les  bas  de  soie,  et  les  escarpins  de  bal.  Je  ne  rendrai  pas 
M.  Simpson  responsable  de  cette  étrange  toilette.  Apparemment, 
l'îllustre  pair,  en  se  faisant  peindre,  aura  été  possédé  d'une  double 
vanité.  11  aura  voulu  paraître  sous  Ttiabit  le  plus  guerrier  pos- 
sible, tout  en  montrant  sa  belle  jambe  à  son  meilleur  avantage. 
Cette  fantaisie  suffirait  pour  immortaliser  le  maréchal  Beresford, 
quand  même  il  n'aurait  pas  Hvré  cette  singulière  bataSle  d'iJbu- 
hera,  qui  n'eut  tii  vainqueur  ni  vaincu. 

Un  dernier  portrait,  qui  n'est  pas  à  négliger,  c'est  celui  de 
lord  Brougliara.  Ici  Tex-chancelier  whig  n'a  pas  été,  comme 
lord  Lyndhurst ,  mal  à  propos  affublé  de  son  ci-devant  costume 
ofOciel.  Il  est  en  noir,  dans  son  cabinet,  les  jambes  croisées,  an 
livre  fermé  à  la  main.  Il  est  au  repos  ;  il  est  calme,  aussi  calme  que 
peut  l'être  lord  Brougham  ;  car  toute  l'ardente  inquiétude  de  cet 
indomptable  esprit  s'agite  dans  la  convulsion  de  ses  traits  et  de 
son  regard.  Prenez  garde,  imprudens  tories,  que  son  absence  ras- 
sure; prenez  garde,  whigs  ingrats  qui  l'avez  renié.  Cette  puissante 
peinture  de  M.  Morton  vous  avertit  que  le  redoutable  orateur  est 
plein  de  vie  encore.  Prenez  garde,  il  va  se  lever  et  parler. 

D  y  a  un  certain  nombre  de  larges  toiles  qu'on  devrait  à  la  ri- 
gueur ranger  parmi  les  portraits,  mais  qui  veulent  évidemment  é tr^ 
classées  à  part. 

Tel  est  preiriéreroent  le  MacreaAy  de  M.  MacKse,  dans  10- 
première,  seèile  dn  qnatrièMe  acte  de  Mackelk,  Cepeadant  celt^ 
apparition  échevelée  n'est  pas  Macready  ;  ce  n'est  pas  Mad3etl^ 
davantage.  On  dirait  plutôt  l^nntks  Cuntèmes-roîs  que  vont  évo^ 
quer  tes  sorcières.  Mais  ces  sordères  eHes-raéines,  -aocrovpiee  aii^ 
tour  du  chaudron,  n'ont  rien  des  veti-d  «isier/c  de  Sbakspeare.  Ce  n^ 
60Bt  pas  les  êtres  atBasffueax  q«  fienbleprâftt  dee  feounes^ 


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LÀ  PBINTU1UB  SV  LA  flOOLPtOtiBi  EN^  ANGLETERRE.  1t 

nfétnart  lems  btrkes.  Ainsi  faitiste  it-a  rendu  ni  Taclteiir  ni  le 
poète.  Qu!»^^4oiic  pritondn?  De  quelle  fomilte  est  son  ouvrage? 

Voici  de  hifpdntiireiaoad6niiqiie,  phis  difOcile  encore  à  earac- 
tériser.  De  jolis  eiiAiiis  couchés  sur  là  soie  et  sur  rédredon^  paraii 
des  cbieQsdo  tonte ^andem*;  de  jeunes  lords  enpromenade  arec 
leurs  gens  ei;  feur  bécaiL  Partom,  au  milfeu  du  parc  on  dans  te 
aùtm,  partont  la  nature  animale  et  la.  nature  humaine  sur  un  même 
pied  d'intimité.  M.  Landseer  ne  laisse  jamais  aller  seules  ses  créa- 
ture» raisonnables;  il  feut  inévitablement  qu'il  leur  donne  une  es- 
corte de  quadrupèdes^  Je  ne  contesterai  jamais  la  fantaisie  d'un 
artiste  supérieur.  Certes  tous  ces  doguessont  d'admirables  bétes. 
Us  sautent,  ils  courent,  ils  lèchent,  ils  aboient.  You^  avancez  la 
nain  afin  de  les  caresser,  ou  vous  la  retirez  de  peur  qu'ils  ne  mor- 
dent. M.  Landseer  a  bien  le  droit  de  leur  attribuer  le  principal 
v61b.  Je  voudrais  seulement  qu'ils  l'eussent  plus  décidément.  Je 
Tondrais  qu'à  voir  les  tableaux  de  cet  excellent  artiste,  on  ne  fftt 
pas  contraint  à  se  demander  lequel  des  deux,  de  Thomme  ou  du 
dnett,.y  est  Taecessoire. 

Deux  autres  académiciens  distingués  excellent  pareillement  à 
peindre  la  vie  animale.  Comme  ils  en  renferment  la  représentation 
dans  des  cadres  plus  étroits,  peut-être  leurs  compositions  convien- 
nent-elles mieux.^  Je  dois  citer  l* Aigle  blessé  de  M.  Ward.  L'oiseau 
royal  reconnaît  que  ses  propres  plumes  ont  conduit  à  son  cœur  la 
flèche  qui  le  perce.  Il  se  raidit  contre  la  mort,  et  jette  au  soleil  un 
dernier  regard.  C'est  là  une  illustration  de  huit  beaux  vers  de 
lord  Byron.  Cette  petite  toile  est  elle-même  une  noble  strophe 
auee. 

M.  Abraham  Cooper  pousse  ses  meutes  en  plaine ,  et  met  le  cerf 
aux  aÉK)is.  il  nous  mène  au  chenil,  au  haras  et  à  Técurie.  Il  donne 
aussi  parfois,  à  ses  chevaux,  de  hardis  cavaliers,  et  les  envoie  bra^ 
vement  l'un  portant  l'autre  à  la  mêlée.  Sa  Bataille  d'Uastings  est 
use  jolie  page  de  chevalerie. 

D  faut  que  je  m'approche  beaucoup  d'ime  autre  bataille  plus 
moderne,  si  je  veux  distinguer  l'engagement  des  troupes  anglaises 
el  françaises,  et  le  général  sir  John  Moore  étendu  mourant.  Ce  ta- 
UeavdeM.  George  Jones  vaut  la  peine  qu'on  lexamine.  Ses  armées 
fiSpmieanes  sont  charmantes.  Pourtant  ce  bijou  historique  a  failli 
WÊLèàofç^.  Eûtrce  été  marfaute?  Pourquoi,  tandis  que  les  portraits 


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12  RBTDB  DES  DBDX  IKHOIBS. 

s'étalent  partout  et  se  pavanent  si  démesurés ,  les  batailles  se  ré- 
duisent-elles aux  proportions  d*un  devant  de  cheminée? 

Les  portraits,  quand  cesseront-ils  de  nous  poursuivre?  N*est-ce 
pas  encore  un  double  portrait  que  cette  soi-disant  Entrevue  de 
Pie  VII  et  de  Napoléon  à  FontainebleauY  De  signification  politique, 
ce  nuageux  ouvrage  n*en  a  aucune.  Mais  comme  il  traduit  infidè- 
lement la  grande  figure  de  Tempereur!  Napoléon  a-t-O  été  jamais 
cet  adolescent  bouffi  et  vaporeux? 

Est-ce  un  système  chez  M.  Wilkie  que  de  rajeunir  et  de  gonfler 
ses  héros.  Ce  gros  général  écrivant  à  Louis  XVIII  la  veille  de  War 
terloo,  a-t-il  rien  en  lui  du  duc  de  Wellington?  Sa  Grâce  n*était 
déjà  plus  un  jeune  homme  il  y  a  vingt  ans;  mais  je  m*assure  qu*à 
vingt  ans  même  elle  n'avait  pas  davantage  cet.air  bien  portant  et 
sentimental. 

Dans  Tinsignifiante  esquisse  qui  montre  une  jeune  fille  que  le 
poinçon  d*or  enrichit  douloureusement  de  ses  premiers  pendans  d'o- 
reille, je  ne  reconnais  guère  Tauteur  ingénieux  du  Aféné/rierarcti^/e. 

L'Intérieur  d'une  chaumière  irlandaise  suffit  cependant  à  soutenir 
cette  année  le  renom  de  M.  Wilkie.  Cest  une  page  énergique  d'his- 
toire contemporaine.  Un  jeune  paysan,  poussé  par  le  besoin  au 
vol  et  au  meurtre,  est  rentré  dans  sa  hutte  les  mains  teintes  de 
sang.  Sans  doute,  afin  de  s'étourdir,  il  aura  vidé  la  fiole  de  whis- 
key  pendue  aujnur,  car  il  s'est  jeté  à  terre  et  caresse  insoucieuse- 
ment  son  enfant  nu.  Mais  sa  femme  et  sa  sœur  ne  partagent  point 
cette  effrayante  tranquillité.  Les  soldats  viennent;  on  les  entend; 
elles  écoutent,  penchées  à  la  porte,  pâles  et  transies.  Cette  scène 
est  fortement  dramatique.  Elle  raconte  et  résume  pathétiquement 
les  intolérables  misères  de  tout  un  grand  peuple  opprimé. 

On  n'a  pas  le  courage  de  relever  particulièrement  les  fautes  de 
cette  œuvre  touchante,  mais  elles  suggèrent  quelques  remarques 
{générales  sur  le  talent  de  M.  Wilkie.  Quiconque  ne  le  connaîtrait 
que  par  ses  peintures  d'autrefois  n'aurait  de  lui  nulle  idée  correae. 
Il  n'est  plus,  en  effet,  le  môme  qui  écrivait  si  soigneusement  de  pe- 
tits drames  de  la  vie  rustique  et  ouvrière;  il  n'est  plus  celui  que 
Tadmiration  de  ses  compatriotes  couronnait  du  double  génie  d'Uo- 
{jarth  et  de  Teniers  :  il  est  bien  davantage,  au  dire  des  admirateurs. 
A  dater  de  son  retour  d'Espagne,  c'est  un  homme  renouvelé.  Il  a 
pris  le  large  volj  i|  Ç9t  entré  en  pleine  poésie.  De  fait,  la  trans-» 


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LA  FBniTimB  BT  LA  SCCLPTUM  Slf  ANGLETERRE.  13 

fonnatioii  lui  a-t-elle  aussi  glorieusement  réuss-  qu*à  Rembrandt, 
que  nous  voyons  substituer  à  son  premier  faire ,  si  fini,  cette  se- 
conde manière,  négligente  des  détails,  qui  ne  demande  ses  sublimes 
effets  qu*à  la  distribution  idéale  de  Tombre  et  de  la  clarté?  Nous 
sommes  loin  de  le  croire.  L*artiste  a  gagné  quelque  chose  en  variété; 
il  a  perdu  beaucoup  en  finesse  et  en  perfection.  Il  n*est  pas  jusqu'à 
son  séduisant  coloris,  siTprincipale  originalité,  qui  ne  se  soit  terni 
et  enveloppé  d*un  voile  grisâtre,  d*un  brouillard  à  peine  péné- 
trable.  Pour  ce  qu'il  a  rapporté  du  dehors,  vraiment  M.  Wilkie 
eût  mieux  feit  de  ne  jamais  sortir  de  son  pays. 

M.  Eastlake  semble  avoir  profité  plus  franchement  de  ses  excur- 
sions sous  le  ciel  méridional.  Sa  nature  italienne  n*a  presque  plus 
rien  d^anglais.  On  ne  saurait  dire,  par  exemple,  que  cet  artiste  soit 
doué  de  fécondité.  Il  se  borne  à  exposer  une  réduction  de  sa  toile 
principale  de  l'an  passé.  Nous  ne  nous  plaignons  pas  de  revoir  un 
sujet  qui  nous  avait  plu  ;  mais  pourquoi  la  copie  reproduit-elle  toutes 
les  taches  de  l'original?  Ces  pèlerins  qui  se  prosternent  à  l'aspect 
de  la  ville  éternelle  sont  toujours  plus  exténués  que  dévots  et  con- 
trits. Ils  sont  moins  ravis  d'approcher  de  la  source  céleste  où  s'a- 
breuvent les  âmes,  quede  la  terrestre  fontainequi  désaltère  les  corps. 

n  serait  impardonnable  de  ne  pas  recommander  les  compositions 
mythologiques  de  M.  Etty.  L'art  actuel  ne  veut  pas  tant  de  mal 
qu'on  dit  à  cette  douce  poésie  de  la  foble.  Les  esprits  grossiers 
ont  prostitué  long-temps  et  avili  ses  grâces  :  honorons  les  esprits 
délicats  qui  tentent  présentement  de  la  réhabiliter.  M.  Etty  est  du 
petit  nombre  de  ceux  qui  mèneront  à  bon  port  cette  restauration. 
Il  a  rendu  à  Vénus  la  magie  de  sa  ceinture,  et  à  l'aveugle-dieu  l'in- 
faillibilité de  ses  flèches.  Ajoutons  que  ce  rénovateur  n'a  pas  eu  le 
mauvais  goût  de  ressusciter  les  Psychés  colossales  du  siècle  der- 
nier; c'est  l'ame  antique,  ailée,  transparente,  et  pourtant,  palpable 
qu'il  a  ranimée.  Et  puis  il  a  eu  la  discrétion  d'encadrer  étroite- 
ment ses  élégantes  scènes  de  paganisme.  On  les  dirait  autant  d'idylles 
d'André  Chénier. 

Voici  bien  des  années  que  le  vieux  M.  Westall  ne  se  lasse  point 
de  renouveler  les  éditions  de  ses  folles  à  genoux  sur  la  grève,  re- 
gardant les  flots  soulevés,  et  de  ses  petites  filles,  debout,  pieds  nus, 
au  seuil  d'une  chaumière.  Il  rapporte  aujourd'hui  les  mêmes  éter- 
nels échantillous.  Je  l'avoue,  enjolivées  par  un  burin  coquet,  ces 


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14  lUITVK  fiC»  MIOi  HttffOVa. 

sortdsdeohoses sMt  «(préaUet  dteis^  u»  Ivnre  d'étrew»»  relié  en 
S0Î8  et  doré  sur  traadie;  mais  qqeUe  eréaiure  caisoiuiabW  8*cst 
prise  jaMsifl  à  sonhailer  do  Toir  les  vigneites*  d*uii  keepsaks  par  le 
verre  grossîBsaBt  d'un  télescopa?  Or  c*est  jmtement  cet  effet  d*il- 
lustralioiis  d'âdmanaeb'  déniesiuréroent  grossiee  que  vous  font  à 
r<mC  na  les  larges  petftiiuree  de  SL  Westatt.  Ne  vdlàH-îl  pas  du 
geniH  bîtn  gi^^tefaque? 

M.  Hvhready  et  AL  LesHe  m'out  envoyé  que  deux  esquisses,  mais 
chacune  est  un  petit  chefkl*e&uvre.  Amusons^ious  d'abord  ée  celui 
de  M.  MuIready.Une  belle  poire  mûre  a  été  trouvée  par  un  jeune 
paysan*  -—  Part  à  noi  seuil  —  Part  à  nous  deux,  crie  son  eama- 
radew  —  Peu  s*en  est  falhi  que  la  quereUe  ne  se  déddàt  selon  la 
raison-  dn  plus  fort,  liais  un  compromis  intervient  :  le  trouveur 
gardera  sa  poire,  qiiaod  le  réclamant  aura  mordu  ime  bouchée. 
Uexécution  du  pacte  est  le  momeot  représentée  Le  possesseur  n*a 
pas  eo  riknprudenee  de  se  dessaisir  du  frtiit  en  litige;  il  le  tient  vi- 
goureûsenieBi  empoigné,  tandis  que  le  prétendant  ouvre  une  bou- 
che capable  d*englMrtir  touC  ensemble  et  la  poire  et  les  dix  doigts 
qui  la  défendent.  Le  triomphe  de  cette  charmante  comédie  rustique, 
c*est  qu'il  est  impossible  de  dire  laquelle  des  deux  physionomies 
aux  prises  montre  le  plu»  d'avidité  gourmande. 

ÎJAulolicr.8  de  M.  Leelie  n'a  pas  moins  de  finesse  et  de  verve 
divertissantes,  âiakspeatre  a  été  rendu  ici  avec  autant  de  fidélité  que 
de  bonheur,  ce  q«i  est  rare.  La  scène  choisie  est  l'une  des  plus  pi- 
quantes de  Wimer's  Taie.  Le  malin  pUkpockti  transformé  en  colpor- 
teur éteile  sa  ftinsse  marchandise  devant  les  fiHettes  ébahies.  Comme 
Tadroit  fripon  a  bien  Toeil  et  la  main  a«  guet,  tout  en  amusant  son 
crédule  aodifoîre,  toot  en  dtsaint  :  —  Voici  une  autre  ballade  d*un 
poisson  qui  a  paru  sur  là  e6te  mercredi,  le  quatre-vingtième  jour 
d'avril,  àqnarante  railles  brasses  de  hauteur  au^lessus  du  niveau 
de  la  mer,  d'oà  il  «hanta  la  susdite  ballade  contre  la  dureté  de 
cœur  des  jeunes  filles  I  —  Nulle  part  le  pinceau  n'avait  si  spirituel- 
lement traduit  la  gaieté  de  Shakspeare,  ce  caprice,  léger,  mo- 
queur, inatteadti,  —  déficieux  sourire  que  le  divin  poète  fait  sou- 
dain éclore  sur  les  lèvres  de  sa  muse ,  tout-à-l*heure  sublime  de 
tristesse ,  échevelée  et  en  pleurs. 

Laisse-t-on  un  moment  les  académiciens ,  on  a  peu  de  chose  à 
dire  ici  des  autres  artistes.  Je  vous  avais  avertis.  Qu'elle  ait  tort 


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LA  PEINTURE  ET  LA   80fnLf>Tim£  fiN  AT(GLETERRE.  JS 

(m  matm ,  r:A«adëfme  selUSî  surtout  -à  elto»inême  les  honneurs  de 
8er«des.  O  qu'elle  ttceueine  tl*écrançer  ii^est  d'ordinaire  ni  bien 
nombreux  ni  bien  hors  de  ligne. 

Fanm  les  ourrages  non  académiques  >  fl  oonyient  cependant  de 
Boomer  les  Condouieri  de  M.  Hefbert,  qui  vaudraient  davan- 
tage si  la  vigueur  et  Taudace  de  quelques-unes  de  leurs  figures  n'é- 
tuent  pas  trop  nettement  empruntées  deVan-Dyck  ; — les  tragédies 
et  les  élégies  romaines  de  M.  Uwins,  dont  la  poésie  réelle  est  sou- 
vent gâtée  par  Vexagération  mélodramatique,  et  enfin  V Arrivée  à 
[école  et  la  Sortie  de  cUuse  de  M.  Webster,  deux  aimables  croquis 
(f  écoliers  espiègles  et  d*enfans  mutins  que  ne  désavouerait  pas 
Charlet. 

Rentrons  en  pleine  académie.  Abordons  ses  paysagistes,  sa 
^ioire  la  plas  incontestable  et  aussi  bien  celle  de  la  présente  exhi- 
bition de  Somersel'House. 

Tai  regret  que  M.  Stanfield  ait  laissé  sa  barque  dériver  si 
loin  cette  année,  et  qu'il  ait  perdu  de  vue  la  côte  que  nul  ne  savait 
mieux  reconnaître  et  peindre.  Sa  mêlée  navale  contentera,  j'espère, 
le  &ntor  united  service  club ,  qui  Ta  commandée  ;  je  doute  qu'elle 
satisfasse  Yartiste  lui-même.  Quoi!  ce  groupe  si  calme  de  gros  na- 
vires paisiblement  désemparés  et  démfttés,  c  est  la  triple  armée  de 
Trafalgarî  Le  livret  me  dit  bien  :  à  votre  gauche,  vous  avez  le 
vice-amiral  ColKngwood  sur  le  Souverain  Roijai  avec  sa  prise,  la 
Santa  Anna.  A  votre  droite ,  sont  le  Bucentaure  et  la  Santissima  Tri- 
nkiady  criblés  sous  le  feu  du  Neptune  et  du  Lcviathan.  Au  centre, 
c'est  la  Fïcroîre,  abord  de  laquelle  lord  Nelson  vient  de  mourir. 
C'est  au  mieux.  Je  sais  à  merveille  Tordre  du  combat.  Mais  où  est 
Tame,  où  est  la  pensée,  où  est  l'horreur  de  cette  terrible  action? 
Quoi!  sous  tant  de  vaisseaux  déchirés,  sous  tant  de  débris  en 
flamme  et  croulans,  sous  cette  ruine  immense,  rien  que  de  belles 
vagues  paisibles  et  transparentes  I  Pas  un  flot  frémissant  et  irrité! 
Oh!  cette  mer  n'a  pas  le  sentiment  de  la  grande  bataille  qu'elle 
porte!  EQene  serait  ni  phis  calme  ni  plus  indifférente,  menant  vers 
le  port  une  flotte  joyeuse  et  pavoisée.  Je  ne  prétends  pas  que  cet 
essai  soit  concluant  contre  M.  Stanfield  ;  pourtant  qu'il  y  regarde 
désonnais  à  deux  fois  avant  de  reporter  la  guerre  sur  le  capricieux 
élément.  Ces  combats  de  mer  veulent  une  autre  chaleur  d'ame, 
une  autre  force  de  bras,  un  pmceau  trempé  en  d'autres  couleurs 


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16  REVUE  DES  DEUX  XONBES. 

que  ne  le  demandent  le  golfe  riant  où  glissent  les  vofles  pacifiques, 
et  la  falaise  pittoresque  >  tantôt  souriante  et  splendide  au  soleH,  taih 
tôt  éplorée  et  en  deuil  sous  l'orage. 

La  critique  anglaise  y  quand  elle  daigne  critiquer  Fart ,  a  parfois 
des  blâmes  et  des  éloges  singuliers.  Voici  comme  elle  traitait,  Tautre. 
jour,  la  nature  indienne  toute  $péciale  de  M.  Daniell. 

cf  Nous  aimons  Tétrangeté  des  sujets  de  cet  artiste,  disait  un 
indulgent  aristarque;  elle  attire  malgré  qu'on  en  ait;  elle  procure 
des  contrastes  piquans  et  une  agréable  variété  dans  Texhibition.  » 

Au  contraire,  le  journaliste  mécontent,  s*écriait  : 

c(  Où  avez-vous  pris,  M.  Daniell,  les  serpens  démesurés  que  vous 
dévidez?  Rapportez-vous  un  certificat  de  leur  longueur?  Nous  ne 
savons  pas  de  famille  d  arbres  orientaux  qu*on  puisse  dire  pa- 
rente même  éloignée  des  vôtres,  ni  de  pagode  le  mcnns  du  monde 
affiliée  à  votre  architecture,  d 

n  y  a  de  part  et  d'autre  une. sorte  de  vérité  dans  cette  (double 
critique  d'humoristes. 

La  bizarrerie  des  effets  vous  arrête  et  vous  retient  devant  ces 
compositions  provoquantes  de  M.  Daniell,  mais  vous  ne  les  exa- 
minez guère  que  comme  la  fantasque  combinaison  des  figures  d'un 
casse-téte.  C'est  que  l'ardente  atmosphère  de  Tlnde  n'est  point 
là  ;  c'est  que  cette  froide  peinture  vous  transporte  mal  dans  le  cli- 
mat étouffant  qui  a  nourri  le  choléra.  Alors  vous  devenez  défiant 
et  injuste.  Vous  contestez  sans  droit  de  la  localité  que  vous  ne  con- 
naissez pas.  Vous  pousseriez  presque  la  mauvaise  humeur  jusqu'à 
préférer  aux  estimables  et  curieux  tableaux  de  M.  Daniell ,  les  pi- 
quans, mais  impossibles  caprices  d'un  paravent  de  laque. 

Ce  nous  est  toute  joie  présentement  d'en  être  venus  à  ces  quatre 
illustres  artistes  qui  ne  nous  laissent  plus  d'embarras  que  celui  de 
les  louer  dignement.  Ce  n'est  pas  entre  de  pareils  hommes  qu'il 
convient  d'assigner  des  rangs.  Rechercher  et  marquer  les  diffé- 
rences de  leurs  talens  est  l'unique  tâche  imposée  ici. 

M.  Callcott  se  plait  surtout  à  baigner  de  ruisseaux,  de  larges 
rivières,  les  rives  fleuries  de  ses  campagnes,  les  quais  brillans  et 
animés  de  ses  villes.  Jamais  son  ciel  n'est  tout-à-fait  pur;  toujours 
vous  le  voyez  un  peu  nuageux;  l'horizon  est  humide,  limpide  et  ar- 
genté. Il  semble  qu'il  ait  toujours  plu  la  veille  sur  les  paysages  de 
ce  peintre,  tant  Tair  y  est  frais,  vivifiant,  embaumé. 


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LA  PEINTURE  BT  LA  SCULPTURE  EN  ANGLETERRE.      17 

M.  ColKns  DOQs  conduira  plus  rarement  au  bord  des  eaux;  ou 
si\  nous. mène  près  d*un  étang,  le  flot  est  si  tiède,  qu  il  ne  nous  ra- 
fraîchit pas;  nous  voudrions  nous  baigner.  Il  y  a  une  chaleur  d'été 
et  une  force  de  soleil  jusque  sous  ses  plus  épais  feuillages  qui  ou- 
yrent  les  pores,  et  dilt^tent  tout  votre  être,  qui  vous  emplissent  de 
toute  la  vie  feconde  de  juillet  et  d*août. 

Mais  quelle  est  cette  tombe  au  fond  d*une  double  rangée  de  peu- 
pliers maigres  et  couronnés?  Des  gouttes  brillantes  scintillent  aux 
feuilles  maladives  qui  tremblent.  Une  biche  craintive  traverse 
Favenue  et  se  dérobe.  D*où  vient  que  cette  composition  si  simple 
TOUS  remue  si  profondément?  Ce  n*est  certes  pas  parce  que,  sur  la 
pierre  du  monument,  vous  lisez  le  nom  célèbre  de  sir  Joshua  Rey- 
nolds. Tout  le  secret  de  votre  impression  est  entre  votre  ame  et 
celle  du  peintre.  Cest  que  M.  Constable  est  maître  parmi  les  maî- 
tres du  domaine  idéal.  Aussi,  n'est-il  pas  intelligible  à  tous,  ni 
même  aux  élus  à  toute  heure.  Vous-même  qui  pleurez  maintenant, 
vousn*avez  pas  toujours  vu  la  nature  telle  que  cette  toile  passion- 
née vous  la  montre;  mais  vous  Tavez  aperçue  ainsi  soit  un  matin, 
soit  un  soir,  quand  vous  alliez  aux  champs,  le  cœur  palpitant  et 
gonflé,  regardant  vaguement  à  travers  vos  pleurs,  sans  savoir, 
sans  vous  demander  s'ils  étaient  de  joie  ou  de  soufFrance. 

Votre  regard  recule  ébloui.  Voici  une  ville  d'or  et  d'argent  dans 
une  nuit  d'azur,  une  ville  en  fête,  une  ville  inondée  de  masques, 
embrasée  de  feux  d'artifice,  confuse,  folle,  enivrée,  pleine  de 
flambeaux  sur  la  rivière  et  dans  les  rues;  —  et  puis,  là -bas  c'est 
une  autre  vile,  rayonnante,  enflammée  aussi,  mais  d'une  autre 
flamme,  de  la  flamme  du  ciel  :  c'est  Rome,  la  ville  éternelle,  tout 
allumée  sous  les  rayons  d'un  soleil  en  feu  qui  se  couche  ;  —  plus 
loin,  c'est  un  coin  du  monde  inconnu,  que  la  seconde  vue  seule  de 
M.  Turner  a  découvert.  Une  montagne  à  votre  droite  a  pour  dia- 
dème de  sublimes  palais  radieux ,  qui  semblent  une  cité  du  ciel  ; 
Uen  loin  au-dessous  serpentent,  dans  la  plaine,  des  ruisseaux 
d  opale  liquide,  et  se  dressent  les  collines  tapissées  d'émeraudes, 
jonchées  de  rubis,,  de  turquoises,  de  topazes,  d'améthistes,  où  les 
chèvres  et  les  génisses  blanches  passent,  en  se  jouant,  la  tête  à  tra- 
vers les  touffes  de  ces  fleurs  étincelantes.  Une  lumière  impossible 
à  soutenir  submerge  toute  cette  fantastique  perspective.  —  Com- 
bien d'hommes  ont  vu  ces  choses  ailleurs  que  sur  les  toiles  de 

TOME  VII.  .  ^ 


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18  ftCVUE  SCS  »CVX  HCmDBS. 

M.  Tumer?  dkes-^roufl,  surpris  et  incrédrie. — Veits  avez  r^isott  : 
bÎMi  peu  toi  tut  vues;  et  o&ax  «pii  les  Toient,  ce^sonc  les  iwpfarée 
OH  les  naïades,  les  artistes  duoisis,  les  poètes. 

il  ne  fiMt  pas  s'itomwr  qoe  des  étrangers  ii*adinetteat  pas 
doublée  tocKe  {a  puissanee  et  tome  Torigiiialité  de  ce  ténéraire 
génie.  A  peine  est-il  bien  reccNma  ehez  les  siens.  D  n*a  même  là 
qa'iin  nombre  fort  Unité  de  Téritables  admirateurs.  Au  moins 
ceax-là  «mt^  dévoués  et  fanatiques.  On  émett»t  derast  Yma 
d'evx  le  doute  qne  le  ciel  eût  jamais  eu  la  ooulear  janne  d*ocre  que 
M.  Tvmer  iai«vait  damnée  dans  Ymn  de  ee»  plus  féeriques  paysa- 
ges:— ^Tant  ptsponr  le  ciel,  s*éeria  le  croyant;  sHl  a*a  pas  pris  en- 
core cette  couleur, il.a  eu  grand  tort,  et  il  la  prendra  certamenest 
quelque  joor. 

Redescendons  vite  au  second  étage  ;  les  petits  ca ires  et  les  petits 
portraits  ne  nous  retiendront  guère,  nalgré  leur  respectable 
quantité. 

J*e^iine  fort,  imds  Toilà  tout,  les  aombreiises  aqnarelles*por- 
traits  de  M.  Ghalon,  Tacadémicien. 

Deni:  copies  sxr  émail,  de  M.  Bone,  diaprés  Van-Dyek,  sont 
d'iiabiles  et  faenrouses  reproductions  de  lenrs  glorieux  modèles. 

n  y  aurait  beaucoup  à  louer  de  détails,  dans  la  foule  serrée  des 
nniatnres,  beaucoup  de  soin,  de  déiteatesse,  de  sayoir-4aire  et 
de  fini.  B  conviendrait  de  recommander  prindpalemeot  M.  Bar- 
day,  M.  Denning,  M.  Roberston,  M.  Ross,  M.  Booth,  M.  Rocbard 
et  AL  Newton.  Paormi  tous  les  petits  chefs-d'œuvre  de  grâce  exté- 
rieure et  d'exécution  matérielle  qu'ont  exposés  ces  artistes  divers, 
je  confesse  toutefois  avoir  cherché  vainement  im  visage  qui  me 
nontrÀt  son  ame  et  m*y  laissât  lire,  comme  la  moins  achevée  des 
figures  de  M"^  de  Mirbel. 

Nous  sommes  au  rez-de-chaussée ,  où  nous  attendaient  les  sculp- 
tures, et  dans  une  obscurité  presque  complète,  grâce  à  la  proxî- 
nité  du  sol  et  aux  ténèbres  qoe  continue  de  nous  faire  le  mois  de 
mai.  N'mporte;  la  blancheur  des  marbres  percera  bienlAtceito 
wât  malencontreuse. 

C  eât  été  un  beau  sujet,  placé  à  la  porte  de  la  salle  où  nous  en- 
trons, que  la  Sculpture  pleurant  le  repos  de  M.  Chantrey.  M.  Cha»- 
trey  ne  se  lasse  pas  de  son  inaction;  il  n'a  rien  produit  encore 
cette  année*  Ce  n'est  pas  Ykg^  pourtant  qui  lui  a  engounfi  la  i 


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LA  PEINTURE  BV  LA  SGULtTUSB  BM  ANGLETERRE.  19 

etefi  a  bk  tomber  to  cbeair.Seiaîthce  xfm,  eouromiè  d»  laurier 
académique ,  satisfait  de  <e  qa  3  »  obteunds  gloir»  méritée ,  H  juge 
son  œuvre  accomplie,  et  ne  plus  rien  devoir  au  présent  ni  à  1  ave- 
nir? n  se  U'omperait  faialement  albra^  ShakBpeaore  ne  \m  a-trit  pas 
dit  quel  grand  calomntat^r  est  le  Temps,  et  comme  il  obscurcit 
promptement  les  noms- les  plus  iUusttes,  qui  ne  se  rappellent  pas 
eux-mêmes  à  leurs  contemporains  par  une  action  de  ehaque  jour? 

M.  Baily  est  le  seul  des  académiciens  sculpteurs  qui  ne  se  soit 
point  profondément  endormi  dans  son  CauteuiL  Malheureusement, 
tout  ce  qu'il  a  produit  est  lois  d*ôtre  parfait.  Sa  Mijmphe  asëoupie, 
son  morceau  pr'ncipal,  me  choque  surtout  et  me  mécontente.  Est- 
ce  lA  nno  nymphe  d*abord?  Cette  fille  bouffie,  aux  membres  ro- 
bustes, a-t-elle  été  jamais  de  ces  légères  et  sveltes  beautés  qui  sui- 
yaient  Diane  à  la  chasse  et  devançaient  les  biches  à  la  course?  £t 
puis,  à  ne  la  prendre  que  pour  une  très  réeUe  et  saisissable  mor- 
telle d'aujourd'hui,  cette  femme  ne  dort  pas;  jamais  vous  ne  la 
verrez  s'éveiller.  £lle  est  ensevelie  dans  son  1 1  de  marbre;  elle  est 
morte. 

Au  méini&VÉvêffue  de  Limerick^  du  même  artiste,  ofiïre-C*tt  une 
belle  attitude  pensive  et  un  fidèle  ressouvenir  de  eeile  profonde 
expression  recueillie  qui  rendait  si  frappanl»^  la  physionomie  du 
savant  prélat. 

Cesi  une  ingrate  et  nutile  besogne  que  à»  critiquer  de  laborieux 
efforts  auxquels  le  succès  n  a  point  répondu.  Je  passe  devant  nom- 
bre de  figures  et  de  groupes  mythologiques  sass  signification,  sans 
caractère ,  et  je  m'approche  de  la  feule  des  bustes. 

Je  regrette  d'abord  de  trouver  parmi  eux,  les  dépaesant  à 
peine  de  la  tète,  une  petite  statue  de  lord  John  Russell,  drapée  en 
sénateur  romain.  Lord  John  liUissell  sculpté  de  cette  taille  et  sous 
ce  costume,  voilà  une  idée  doublement  malheureuse I  £ût-il  voulu 
grossir  sacoliectioode  caricalfures anglaises,  M.  Dantan  ne  s  y  fût 
pas  pris  autrement.  Rien  de  moins  noble,  rien  de  moins  grandiose, 
que  1  air  et  les  attitudes  du  noble  lord,  et  par  conséquent  rien  de 
moins  propre  à  la  toge  antique.  En  outre,  la  stature  de  ce  ministre 
est  si  exiguë,,  si  chétive;  lavez-vous  vu  une  fo  s,  vous  avez  gardé 
de  sa  personne  un  si  imperceptible  souvenir,  que  vous  avez  bonne 
eavie  de  le  croire  représenté  ici  de  grandeur  naturelle.  Il  se  peut 
que  le  célèbre  fils  du  duc  de  Bedford  ait  eu  la  faiblesse  de  se  com- 

2. 


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20  RBVUB  DES  DBOX  MONDBS. 

mander  ainsi  lui-même,  afin  d*avoir  place  plus  aisément  sur  les 
cheminées;  sinon,  c'est  M.  Francis  lutméme  qui  Ta  rendu  méchain- 
ment  bien  ridicule. 

M.  Francis  a  fait  meilleure  justice  à  lord  Melbourne.  H  Ta  saisi 
où  il  le  fallait  saisir,  eii  un  de  ses  magnifiques  mouvemens  de  colère 
éloquente;  il  a  bien  irrité  s  jn  marbre,  il  lui  a  bien  dressé  la  tête,  gon- 
flé les  artères,  ouvert  la  narine,  enflammé  Tœil.  Oui,  c*est  là  le  chef 
du  cabinet  whig  à  la  chambre  des  pairs,  lorsque  provoqué,  poussé 
à  bout  par  Timprudente  opposition  des  tories ,  il  s*élance  enfin  , 
éclate  et  les  foudroie  de  sa  tonnante  parole. 

la  tôte  colossale  de  Charles  Kemble  est  une  étude  pleine  de  sin- 
cérité  :  de  grands  traits  inertes,  des  muscles,  de  la  force ,  nulle 
expression,  pas  un  souffle  d*ame,  pas  une  lueur  au  front  1  C'est 
celai  Mais  le  buste  était  facile.  Ce  comédien  était  déjà  de  marbre 
avant  d*étre  sculpté. 

Deux  petits  bas-reliefs  sollicitent  de  nous  un  dernier  regard  à 
la  sortie  de  la  salle. 

L'un  prétend  figurer  la  chute  de  trois  mauvais  anges.  J'en  de- 
mande pardon  à  M.  Archer,  mais  jamais  ces  trois  grimaciers  con- 
vulsionnaires  qu'il  précipite,  n'ont  eu  d'auréole  au  front,  dans  le 
ciel.  Si  c'était  de  la  lucarne  d*une  maison  de  fous  furieux  qu'il  les 
fit  tomber,  à  la  bonne  heure. 

L'ange  gardien  d'une  clochette  bleue,  légère  sylphide  qui  se  ba- 
lance, blottie  au  fond  de  la  fleur  dont  elle  est  lame,  caractérise 
bien  le  jeune  talent  délicat  et  gracieux  de  M.  R.  Westmacott,  et 
nous  laisse  quitter  Somerset-Uouse  un  sourire,  satisfait  sur  les 
lèvres. 

m. 

C'est  l'association  des  artistes  anglais  que  nous  visitons,  ce  matin, 
Suffulk  Street.  Ici  nous  avons  toute  notre  exhibition  de  plain-pied,  en 
un  seul  vaste  appartement  de  cinq  pièces.  Nul  comfort  n'a  été  mé- 
nagé. De  joyeuses  cheminées  oii  brillent  d'excellens  feux  de  char- 
bon de  terre,  nous  réjouissent  la  vue  dès  l'entrée,  car  le  mois  de 
mai  continue  d*étre  aussi  glacé  qu'il  est  sombre. 

Je  vous  ai  dit  que  cette  exhibition  était  l'exhibition  libérale  et 
hospitalière,  le  palais  public  et  commun  élevé  contre  le  palais 


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LA  PEINTURE  ET  LA  SCULPTURE  Elf  ANGLETERRE.      2f 

exdusif  et  privilégié  de  Somerset-Houêe.  Conséqueifkinent  se  sont 
étabKes  en  ces  salles,  et  ont  pris  possession  du  terrain,  trou* 
vant  les  deux  battans  ouverts,  des  légions  de  peintures  qu*on  eût 
sagement  consignées  à  la  porte,  partout  où  la  police  de  Fart  aurak 
eu  on  (actionnaire.  Mais  ce  ne  sera  pas  moi  qui  condamnerai  jamaîa 
Tabus  même  de  la  liberté.  Seulement  je  profiterai  de  mon  droit 
d'abréger  notre  visite  et  de  ne  vous  présenter  que  le  nombre  fort 
restreint  des  artistes  dignes  de  Tintroduction. 

Et  d*abord  détournons  avec  soin  le  regard  de  quatre  ou  cinq 
immenses  toiles  effroyables,  et  de  je  ne  sais  combien  de  portraits 
en  pied,  qui  ont  accaparé  une  bonne  partie  du  salon  principal.  Les 
portraits,  je  vous  en  avertis,  ne  sont  pas  en  moindre  force  à  ce 
bout  du  Sirand  qu'à  Fautre.  Prenez  garde  surtout  aux  iheriffs  et 
à  leurs  robes  rouges.  Ne  laissez  pas  imprudemment  errer  votre 
œil  de  leur  côté. 

Allons  droit  vers  le  patron  de  céans,  M.  Haydon,  le  robuste  et 
courageux  Atlas  qu'  porte  presque  à  lui  seul  toute  Tassociation  $ur 
ses  épaules,  bien  qu*il  n*en  soit  pas  lui-même  membre  officiel. 
M.  Haydon  est  le  grand  antagoniste  de  TAcadémie  royale  qu'il 
bat  en  brèche  incessamment  dans  ses  lectures  publiques  ;  il  Taccuse 
d'avoir  dégradé  Fart  :  elle  a ,  déclare-t-il  (  et  c'est  le  crime  irré- 
missible ),  elle  a  intronisé  le  portrait  et  le  paysage,  et  chassé  l'his* 
toiredu  temple.  En  homme  consistant,  M.  Haydon  soutient  son 
dire  de  son  pinceau;  il  peint  de  l'histoire  tant  qu'il  peut. 

Or,  void,  de  sa  foçon,  un  sujet  historique,  ou  plutôt  religieux  : 
le  Christ  reuw  ciantle  fils  de  la  veuve, 

L*école  anglaise  a  sobrement  exploité  le  pieux  domame  de  l'Écri- 
ture. Lai  jBison  en  est  simple.  Le  protestantisme  fermant  son  église 
aux  peintures  sacrées,  quel  sanctuaire  les  accueillerait?  Toutefois 
le  défunt  président  West  a  tenté  la  représentation  de  quelques 
scènes  du  Nouveau-Testament  ;  mais,  quoiqu'il  les  ait  tenues  lui- 
même  de  son  vivant  pour  chefs-d'œuvre,  elles  sont  demeurées 
aossi  chefs-d'œuvre  que  ses  autres  ouvrages  profanes. 

Son  précédesseur  au  fauteuil  le  plus  justement  célèbre,  sîr  Jos- 
hna  Reynolds,  eut  un  jour  la  mauvaise  pensée  de  créer  aussi  sa 
Saitue  Famille.  On  la  peut  voir  maintenant  dans  la  Galerie  natlonaU 
de  Londres;  et  Dieu  sa't,  à  la  honte  ineffable  de  l'illustre  baro-^ 
net,  cfuelrôle  joue  là  ce  croupe  hébété  de  flçures anglaises ^rqiiv 


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J 


s  ESne  MB8  DIUX  MoraiEs. 

1^  de  grog^,  en  la  c«iii]^agiiie  des  fsunîiies  yradmenl  gtintes  d'Aw- 

dvé  del  Sarto  et  du  TiJ^en  t 

M.  HaydoD,  ce  terrible  poorfettdear  d'académiciens,  a-t-^Iinievi 
interprélé  FËcriture  que  ces  deux  présidens  d'Académie?  A 
peine,  hélas  1  Son  Christ  n'a  rien  du  Christ.  Ce  n*est  pas  le  Sauveur 
qui  rappelle  une  ame;  c'est  un  homme  vulgaire  qui  regarde  stupi^ 
dément  se  ranimer  un  corps.  La  face  convulsive  du  ils  n*est  pas 
celle  d'un  mort  réveillé  se  levant  du  tombeau,  mais  bien  d'ua 
vivant  désespéré  qui  veut  y  descendre.  Pourtant,  malgré  son  atti- 
tude pénible  et  mal  précipitée,  elle  est  belle  cette  mère  tenant  en»- 
brassé  so»  enfont,  rassurée  d^,  calme  et  souriante.  Elle  ne  craint 
plus,  elle  se  confie  ;  car  ce  cœur,  hier  insensible  sous  sa  main , 
revit  à  présent,  la  repousse  et  palpite.  Certes  le  sien  lui  bat  aussi  et 
£luMidemeiit  la  poitriae,  à  Tartiste  qm  a  senti  cette  sublime  joie 
maternelle,  et  Fa  exprimée  avec  ce  bonheur.  Quelle  pitié  qu'une 
pareiUe  puissance  d'ame  s'étouffe  elle^m^me  sous  tant  d'énormes 
défauts  et  soit  si  souvent  insuffisante  à  les  racheter  1 
.  Le  respect  de  au  méril»  fourvoyé  me  fait  éviter  uneautre  large 
toile  historique  de  M;  Uaydon,  où  je  blâmerais  tout  inhumainement, 
jusqu'à  un  bout  de  cM  du  Tinteret,  que  j'admire  fort  chez  le  maf- 
tte  auqnel  il  est  dérobé,  mais  qo*il  n  est  plus  permis  d'approuver 
ailleurs* 

Deux  esquisses,  cPune  dimeosian  fort  restreinte,  nous  vont  mon^ 
trer  une  nouvelle  face  du  talent  de  M.  Haydon. 
.  La  première  est  empruntée  du  grand  préteur  des  peintres  an- 
glais, de  Shakspeare.  C'est  après  la  fameuse  aventure  de  Gadsh  11, 
daas  la  preMère  partie  de  Ifenrt  tV.  Le  prince  a  bien  son  air  per- 
fsitemeni  raalideux,  moqueur  et  méprisant.  Mais  c'est  le  gros 
diavalisr  surtool  q«ïl  faut  adtairer  : 

a  D*ye  thiok  I  dîd  oot  know  ye.  Hall  ?  » 

Et,  en  aventurant  son  insidieuse  question,  il, traverse  du  regard 
Henry  tout  entier.  L'expression  complexe  de  sa  physionomie  est 
incomparable;  la  curiosité,  l'inquiétude,  l'effronterie,  l'astuce, 
Findifférence,  rien  ne  manque;  chaque  passion  a  son  muscle  mis 
en  mouvement.  Oh  I  voilà  le  vrai  Falstaff ,  l'unique  que  nous  ayons 
f  encontre  parmi  les  milliers  d'usurpateurs  de  son  nom.  Le  peintre  a 


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LÀ  PEINTURE  ET  t.A  SOCIU»TinSE  Elf  ANGLETERRE.  SS 

«Nopris  que  cet  immertel  Mros  de  trois  drames  immortels  était 
Mt  antre  chose  qu'im  ignoble  bonffim  empêtré  de  graisse  et 
rameau  ventre. 

Joim  Bull  à  déjeuner,  John  Bull  inondé  d'embonpoint,  goutteux, 
inpotent,  John  BuU  entouré  de  monoeaux  de  rotM-beef  ei  de  jara- 
bon,  qui  s*écrie  mélancoliquement  :  —  Nois  êomme^  une  nation  rut-* 
ûe!  —  ce  John  BuH-là  est  une  âéiiciefise  personnification  de  Yé- 
goisme  britannique,  — plaisanterie  d'autant  plus  exquise  qu'elle  est 
grave  et  triste  comme  le  peuple  qu'elle  in  lividualise. 

Possesseur  de  si  éminentes  qualités,  de  qualités  si  voisines  dm 
génie,  malheureusement  M.  Haydon  ies  obscurdt  par  trop  de  fautes 
inexcusables.  C*est  un  hasard  qu'il  prenne  la  peine  ou  le  temps  de 
composer  ;  il  est  plus  rare  encore  qu  il  veuille  dessiner  et  peindre. 
Ses  cBuvres  ne  sont  guère  que  des  ébauches  d'une  exécution  hâtive 
ei  grossière.  Mais  ces  torts,  la  plupart  volontaires,  ne  sonirils  pas 
doublement  inconséquens  et  makulroits  chez  un  homme  qui  pré- 
tend fonder  une  école,  restaurer  lart soi^iisant  détrôné,  enfin  dé- 
molir une  académie  très  digne  encore  et  très  capable  de  défendre 
son  rempart? 

M.  Huristone  n'^^st  pas  uniquement  «m  peintre  de  portraits  con« 
sciencieux  et  habile;  ses  baronets,  ses  hoiiorables  ladies,  ses 
membres  du  parlement  sont  bien  Anglais  jusqù*au  bout  des  doigts. 
D  a  fait  pleine  justice  à  Tauguste  gravité  de  ses  fiers  compa* 
triotes.  Du  reste  il  ne  s'est  point  abstenu  daller  chercher  ailleurs 
la  vraie  beauté,  Texpression  naïve  et  la  poésie.  Sa  Paijsunne  de 
FroAcati  et  ses  Jemea  muleliers  des  Abrazzex  vous  invitent  de  l'air, 
du  sour're,  de  la  parole,  et  vous  emmènent  tout  d'abord  sous  leur 
ciel  béni. 

Rien  de  séduisant  comme  le  coloris  des  tableaux  de  M.  Huri- 
stone. Néanmoins  je  n*ose  Fapprouver  absolument.  J'ai  peur  qu*il 
ne  soit  une  certaine  combinaison  d'emprunts  déguisés.  On  dirait 
un  coloris  de  coalition  ;  notre  artiste  n'aurait-il  pas,  par  exemple, 
ion  du  sur  sa  palette  et  m^lé  quelques-uns  des  tons  vaporeux  de  sir 
Joshua  Reynolds  et  de  Murillo? 

n  y  a  de  l'air,  du  soleil,  de  Tanimation;  il  y  a  de  l'Italie  dans  la 
plupart  des  paysagrs  italiens  de  M.  Linton,  quoiqu'il  faille  leur 
reprocher  un  peu  de  confusion  et  l'abus  des  teintes  dorées.  Je 
■l'aflligeée  me  pocvoir  accorder  aucun  de  ces  éloges  restrictifs 


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24  REVUE  DBS  DEUX  MONDES. 

à  rimmense  toile  sur  laquelle  M.  Lînton  avait  fondé  sans  doute 
Fespoir  principal  de  son  année.  Servile  imitation  d*un  style  interdit 
surtout  aux  imitateurs,  sa  Jérusalem  sous  les  ténèbre.^  pendant  la  mise 
en  croix  rappelle  uniquement  Tabsence  de  M.  Martin.  Où  se  dé- 
robe-t-il,  ce  grand  poète  biblique  qui  s'est  trompé  d'instrument  et 
a  pris  un  pinceau  au  lieu  d'une  harpe?  Exclu  si  durement  des  bon- 
neurâ  académiques,  qu'il  briguait,  ne  se  console-t-il  pas  de  cette 
injure?  N'a-t-il  plus  seulement  le  courage  de^protester  Su f folk- 
Street  contre  les  préventions  de  Sonierset-Honsc?  Ou  bien  serait- 
ce  qu'il  a  épuisé  sa  puissante ,  mais  stérile  antithèse  de  lumière  et 
d'obscurité,  d'architecture  colossale  et  d'imperceptibles  humains? 
Serait-ce  qu'il  ne  lui  reste  rien  à  dire? 

M.  Davis  est  l'Abraham  Cooper  de  l'association  des  artistes  bri- 
tanniques. Ses  portraits  de  chevaux  sont  frappans,  affirment  tous 
ceux  qui  connaissent  les  modèles.  On  admire  fort  aussi  l'ardeur  et 
là  fougue  de  ses  courses.  Ses  chasses  ne  sont  pas  moins  populaires. 
La  foule  ébahie  se  presse  autour  de  ses  rubans  encadrés  où  les  es- 
cadrons de  cavaliers  et  la  longue  traînée  des  chiens  sillonent  la 
plaine,  haletans,  ventre  à  terre.  Pour  moi,  je  reconnais  volontiers 
la  valeur  de  ces  chaudes  peintures  des  joies  nationales  anglaises  ; 
mais  je  me  confesse  incapable  de  me  pâmer  long-temps  devant  elles. 

Je  n'ai  pas  cité  les  vastes  intérieurs  d'églises  espagnoles  que 
M.  Roberts  a  produits  à  Somerset-Uoitsc;  je  ne  crois  point  de- 
voir citer  davantage  les  vastes  intérieurs  d'églises  françaises  qu'il 
expose  à  Suffolk  -  Siree!.  Ce  dessinateur  n'est  à  son  aise  et  ne 
triomphe  que  dans  le  petit.  Ses  illustrations  des  keepmkcs  de  Gre- 
nade et  d'An  jalousie  sont  de  jolies  vignettes.  Elles  traduisent 
d'ailleurs  l'Espagne  comme  on  a  traduit  jusqu'à  présent  Don  Qui- 
chotte. 

El  quand  je  parle  ainsi  dédaigneusement  du  petit,  observez  que 
je  ne  traite  point  de  petite  toute  œuvre  d'une  dimension  étroite  et 
réduite.  Eussé-je  cette  impertinence,  en  la  salle  même  où  nous 
sommes,  les  délicieux  paysages-miniatures  de  M.  Creswick  me 
donneraient  un  démenti  bien  formel  et  fondé. 

Des  sculptures  de  Suffolk-Street,  nous  aurons  la  générosité  de 
n'en  point  parler,  ou  du  moins  d*en  très  peu  parler. 

Sur  trente  bustes  environ ,  à  peine  cinq  ou  six  accusen^ils  ua 


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Uk  PEIirrURB  BT  LA  SCULPTURE  Elf  ANGLETERRE.  26 

certain  savoir-faire  et  quelque  facilité  de  ciseau;  aucun  ne  nous 
montre  de  physionomie  vivante  et  qu'éclaire  un  rayon  d*anie. 

,Ce  qui  vaut  mieux  que  tout  le  reste,  c*est  un  petit  nombre  d'es- 
quisses en  glaise  et  en  cire,  et  de  bas-reliefis  ébauchés.  Sérieuse- 
ment repris  et  développés  dans  le  marbre,  ces  essais  se  pourraient 
transformer  un  jour  en  œuvres  véritables;  jusqu'à  présent  il  n*est 
permis  de  les  considérer  que  comme  des  indications  heureuses» 


IV. 

Si  nous  consultions  uniquement  la  somme  de  .mérite  que  produit 
cette  année  la  société  des  peintres  d*aquarelle,  nous  nous  arrête- 
rions longuement  dans  la  jolie  salle  fashionable  de  PallrMalU 
East;  mais  nous  n*y  avons  à  étudier  qu*un  seul  genre  de  peinture* 
Nous  irons  donc  encore  plus  vite  à  travers  cette  brillante  exhibi- 
tion. 

Parmi  les  féconds  artbtes  associés  qui  Tenrichissent  péridioque- 
ment,  M.  G)pley  Fielding  est  sans  contredit  le  plus  fécond  et  Tuii 
aussi  des  plus  méritans.  Prendre  une  à  une  toutes  ses  aquarelles, 
ce  serait  impossible.  Il  n'en  expose  guère  cette  fois  que  quarante; 
mais  c*est  de  sa  part  discrétion  inaccoutumée  :  d'ordinaire  il  va 
au-delà  des  cinquante.  Et  qu*on  ne  lui  reproche  pas  la  monotonie 
des  sujets  :  il  se  varie  et  se  renouvelle  incessamment.  Vous  ne  le 
voyez  pas,  il  est  vrai,  s'éloigner  beaucoup  de  ses  Iles  britanniques; 
mais  quelle  falaise  de  leurs  cAtes,  quelle  de  leurs  montagnes  ou  de 
leurs  plaines,  quel  lac  perdu  de  rEcosse,.quel  antique  manoir  an- 
glais enseveli  sous  son  parc  ombreux,  quel  recoin  du  pays  ne 
fouiOe-t-il  pas  et  laisse-t-il  inexploré?  Ce  n*est  pas  même  pourtant 
l'exigence  de  son  art  qui  le  pousse  à  parcourir  ainsi  les  trois 
royaumes.  Vous  renfermeriez  dans  le  seul  comté  de  Hiddlesex 
qu'il  ne  serait  pas  plus  empêché  de  fournir  à  Pail-Mall  son  conti»- 
gent  annuel.  De  fait,  quand  on  po'ssède  ce  sentiment  de  la  nature 
qu'il  a  si  profond  et  intense,  en  quel  lieu  pauvre  et  stérile  n'est-elle 
point  sufisante?  Donnez-lui  ce  matin  pour  prison  de  sa  journée 
quelque  pelouse  chauve  et  maladive,  qui  n'ait  pas  une  cabane,  pas 
on  arbre,  pas  une  fleur,  pourvu  qu'il  garde  la  vue  libre,  pourvu 
qa'fl  puisse  suivre  le  soleil  de  son  aurore  à  son  coucher,  traversant 


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iM  ^el  fmr  ou  sonbre;  demain,  s'il  lui  platt»  il  toos 

quatre  pages  Bierveilleaae»»  où  trÛMMplMBnMi.IepfiftaeBps^fiM^ 

raiilOBMOy  rhiver,  —  les  ^pialre  saisons  do  jour. 

,   IL  Gopley  Fieldiiig,  ee  graml  aocafareur  des  paimeaiiai  de 

P^U^nuM^  ne  s'y  est  cependant  pas  établi  lesetd  paysagisto.  Qiioi^ 

9i*il  soit  incoDtesublemeal  le  premier,  phtsieuKs  après  M  scnmt 

très  dignes  d'é4re  nonmés. 

Je  mentionnerai  seulement  la  fraternité  singulière  de  deux  ar- 
tistes très  capables  de  voler  chacun  de  leurs  propres  ailes ,  mais 
qui  préfèrent  souvent  associer  leurs  mérites  distincts  :  je  veux 
parler  de  M.  Tayler,  que  vous  voyez  menant  ses  troupeaux  et  ses 
kergers  par  les  diamps  et  les  pâturages  de  M.  Bàrret. 

M.  Prout  semble  avoir  bériié  de  quekfues-oaes  des  toodies 
du  pinceau  de  BoningtiMi.  Ses  vieilles  r«e»  et  ses  intérieurs  nous 
arradicot  de  la  solitude  des  chanps,  et  nous  repiongent  dans  h 
foule  des  bameanr  et  des  viUes. 

John  Bull,  cet  infatigable  touriste,  qui  c^nna'l  si  parfaitement 
les  moindres  peuplades  des  quatre  parties  du  monde,  ne  sait  rien 
et  rif lande,  sa  s<£«r,  si  ce  n*esl  q«'elle  awurt  de  faim  à  la  porté 
de  l'An^eterrec  M.  Evans  svpplée  aujourd'hui,  par  sa  pemcore', 
à  cette  ignorance.  Il  montre  la  nobWsse  affable  de  ces  Iriaih 
dais  que  le  terisme  transfemoit  en  savrages,  la  grâce  touchante, 
la  a«a.ve  beauté  de  lears  feMmes;  ec>  aSn  que  John  BuB,  qui  est 
eonuneTboottSyne  domte  poûv,  ille mène  partout  dans leors cités, 
dans. leurs  villages,  dans  lears  marchés,  dans  leurs  cabanes»  Il  ne 
cnobe  pan  levff  misère,^  loin  de  là;  nais  il  la  représente  digne  et 
flére  dofatenrson  droit,  ioba  Bull  profilera  sans  doute  de  Pin- 
nlrnction»  Elte  fortiiera  la  bonne  întenlîoa  qn  il  a  présentement  de 
iûre  justice  k  sa  seetir,  et  de  Ini  jeter  qu^qnes  nnettes  de  sa  tabld 
nplendtde. 

Bu  reste,  les  scènee  irlandaises  de  M.  Evans  portent  av«e  dhn 
nn  oarastère  auquel  il  n'est  pa9  permis  de  se  méprendre.  Tons 
nfaren  pas  vimté  le  beavpays  malheureux  qu^efles  ont  réi^.é,  et 
f  oii»^ètes  eercain  pourtant  de  l'avoir  vu  en  elles.  Combien  ne  pré- 
ftrei<^vo«  pas  Véloge  mmp]B  et  vrai  qu'elles  lui  décernent,  à  h 
frq)erie  poétique  dont  O'Connel}  habiRç  sa  verte  Erin,  an  beat 
ide  toutes  ees  harangues,  étemellenwit  les  mémee? 

Un  antre  nrtisie,  pkis  bviHant,  non  pas  snpérienr,  se  necofli' 


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LA  PEINTURE  fiT  hk  SCULPTeUS .  Sfl  MCGLETERRE.  WF 

muÈÛe  haÊÊ%mKntHi  YeHu  d'im  titre  pareil  à  celw  éé  M.  Era»; 
Ha  su  découvrir  également  une  mine  vierge  e€  en  dégager  auas'tèt 
]e  fikm  d*or.  Le  bonheur  de  H.  Lewis  a  été  grand.  Il  est  le  pr»- 
nier  de  tous  les  peintres  qni  ait  compris  les  mœurs  du  peuple  es* 
pagnol  el  su  extraire  leur  poésie. 

Void  déjà  plusieurs^années  que  H.Lewis  expkMie  abondanneni 
ce  riche  terrain  qu*il  s'est  appn^é.  Jusqu'à  présent,  il  s'était 
borné  à  nous  conduire  par  les  rues  defiéville  ei  de  Grenade,  daas 
leurs  couvens  et  dans  leurs  églises  ;  cette  fois  il  varie  son  spectacle» 
Nous  somvues  introduits  à  lan^bithéAtre;  nous  allons  voir  les 
taureaux  courir. 

Les  deux  coursesqu'expose  M.  Lewis  ne  sont  point  des  morceaux 
achevés,  mais  elles  offrent  un  nombre  infini  d'admirables  détaQs. 
Le  tatxe  de  costume  ées  urervs  amassés  aux  barrières,  leur  ex* 
pression»  leur  air,  leurs  attitudes,  l'empressement  et  la  cobue  aux 
portes,  tout  cela  est  dit  merveilleusement  et  d'uae  saisissante  vé* 
riié.  A  pénétrer  plus  avant  «dans  l'arène,  nous  sommes  moins  sa- 
tisfaits. L'action  est  surchargée  de  trop  d'incidens.  Or,  la  tragédie 
de  la  place  des  taureaux  est  la  plus  simple  de  toutes,  en  mémo 
temps  que  la  plus  terrible.  Jamais  l'intérêt  ne  s'y  divise;  jamais 
deux  points  divers  qui  l'attirent  et  se  le  disputent.  Un  seul,  un 
point  unique  absorbe  et  retient  rivées  les  dix  mille  âmes  humaines 
entassées  là,  regardant,  palpitantes,  la  vie  d'une  de  leurs  scsurs, 
pendue  à  unlU.  Nous  ferons  à  notre  artiste  une  autre  chicane  : 
curieux  et  sagace  obs^vateur  comme  il  est  des  choses  et  des  figu* 
res  locales,  nous  trouvons  qu'il  n'a  pas  suffisamment  étudié  tous 
ses  personnages.  Ces  pauvres  chevaux  des  courses,  tout  invalides 
et squelettesqn ils  paraissent,  ne  sont  pas  de  purs  rossiuantes;  ils- 
témoignent  Jusqu'à  la  fin  de  leur  sang  andidou.  Mous  les  voyons, 
anx  trois  quarts  éventrés,  courir  encore  bravement  à  la  charge, 
etis  tète  haute,  olfrir  fe  poitrail  au  coup  mortel.  Le  peintre  n'a 
pas  traité  beaucoup  plus  fidèlement  ses  taureaux;  il  a  fait  de  très 
Ttyectafales  taureaux  ordinaires ,. non  pas  des  taureaux  espagnols, 
ce  qui  est  tout  autre  «iiose.  Ces  torts,  véniels  pour  nous,  senaient 
inémissibles  aux  yeux  d'un  ofunonodo  véritable.  C'«at  qu'au  cirque 
Ii>cbevjd  et  le  taitfeau  ne  sont  p#int  de  singles  comparses.  L'ac-* 
tcar  principal  est  le  taureau  peut-être. 
Hais  où  H.  Lewis  triomphe  surtout,  •  c'est  dans  son  troisièma 


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2B  AETUB  BBS  DEUX  MONDES. 

tableau  y  qui  montre  Textérieur  d*une  taverne  de  Grenade  un  jour 
de  course.  Et  ne  blâmez  pas  le  choix  de  ce  troisième  sujet ,  si  ana- 
logue aux  autres.  L*art  peut  puiser  sans  crainte  à  toute  source  où 
bouillonne  une  forte  passion  populaire;  l'onde  fécondante  y  est 
inépuisable.  Ici  rien  qui  ne  «oit  irréprochable  et  excellent.  Le 
désordre  est  l'action  ;  la  confusion ,  le  mouvement.  La  foule  aedane 
et  bat  des  mains  aux  toreros  qui  passent.  Pour  elle,  le  spectacle  a 
commencé  déjà.  Deux  picadors  à  cheval  vident  le  dernier  verre  de 
manumitla,  le  coup  de  l'ètrier.  Ils  s'étourdissent,  ils  boivent  Toii- 
bli  du  danger.  Un  matador,  plus  raffiné,  s'enivre  de  pure  galan- 
terie, n  part,  deux  adorables  majas  aux  bras;  Tune,  sa  maîtresse, 
vivra  ce  soir,  s'il  est  vivant.  A  la  porte  du  cabaret  s*est  arrêté  on 
calcHn,  qu'emplit  largement  la  rotondité  d'un  dominicain.  Le  boa 
père  vient  confesser  les  monrans.  On  lui  apporte  en  bouteflle  le 
courage  dont  aura  besoin  son  pieux  ministère.  Cependant  on  frère 
quêteur  va  fort  activement  de  groupe  en  groupe;  l'habile  homme 
n'ignore  pas  que  l'émotion  et  la  joie  font  la  charité  plus  abondante. 
Enfin,  partout  c'est  loriginalité  des  scènes,  la  naïve  barbarie  des 
mœurs,  la  rudesse  des  contrastes,  épiées  Aprement  et  prises  sur  le 
fait;  c'est  toute  cette  neuve  poésie  du  terroir  ramassée  à  pleines 
mains  et  mise  ardemment  en  œuvre.  Une  page  semblable  en  conte 
plus  à  elle  seule  de  l'Andalousie,  que  tous  les  milliers  de  voyages 
accumulés  depuis  vingt  ans  par  les  touristes. 

Un  ouvrage  de  M.  Cattermole  conunande  une  double  attention, 
et  par  son  importance  etpar  la  juste  célébrité  de  l'artiste.  Autant 
M.  Copley-Fielding  est  en  avant  des  paysagistes  de  Patl-Mall,  autant 
M.  Cattermole  précède  les  peintres  du  style  gothique.  Examiaer 
l'œuvre  de  ce  dernier,  c'est  choisir  le  meilleur  échantillon  pour  juger 
le  moyen-âge  de  l'exhibition. 

M.  Cattermole  avait  exposé,  l'an  passé,  une  cellule  d*abbé,  selon'- 
nous  admirée  fort  au-delà  de  ses  mérites.  Certes,  c'était  une  bril- 
lante fantaisie.  Toutes  les  richesses  y  ruisselaient  dans  les  flots 
d'un  éblouissant  coloris.  Hais  ce  n'était  pas  là  vraiment  qu'il  fallait 
vider  la  corne  d'abondance.  Ce  n'était  pas  là  le  lien  de  tant  de  gwr- 
landes,  de  tant  de  fruits,  de  fleurs,  et  de  cassolettes.  Le  luxe  des 
nioines  n  a  jamais  été  si  délicat.  Bref,  à  notre  avis,  Tartiste  avait 
peint  un  rêve,  non  point  restitué  une  scène  des  vieux  temps.  Il  n'a- 
vait point  paré  la  vérité;  il  l'avait  travestie  et  fardée. 


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LA  PEINTURE  ET  LA  SCCLPTCmE  EN  ANGLETEMlfl.  29 

Cette  fois,  M.  Catlermoie  8*en  prend  à  on  sujet  tout  sanglant  et 
terrible.  Cest  le  meurtre  de  l'évéque  de  Liège,  la  grande  scène  du 
roBMin  de  Walter  Scott  qu*il  représente.  Beaucoup  de  parties  de 
cette  vaste  composition  sont  di^s  d'un  haut  éloge.  Le  contraste 
surtout  est  magnifique  entre  la  vèfiérable  et  paisible  figure  de  la 
Ticthne  sous  le  sabre  du  bourreau  et  la  hideuse  convulsion  des 
.  traits  de  Fassassin.  Rarement  on  avait  mieux  mis  le  crime  et  la 
rertu  fece  à  foce.  Toutefois,  si  la  verve  abonde  dans  Vexécution, 
l'énergie  déborde  peut-être.  Le  peintre  semble  manquer  un  peu 
démesure  et  de  discrétion.  J'ai  peur  qu*il  n*ait  ici  abusé  de  i'hor- 
ribte,  comme,  dans  la  cellule  de  Tabbé,  il  avait  fait  des  lys  et  des 
roses.  Je  sais  quelle  méchante  et  sauvage  compagnie  était  celle  du 
SangHerdes  Ardetmes,  mais  je  ne  crois  pas  qu*il  n'eât  de  convives  à 
sa  table  que  les  bétes  fauves  qui  hurlent  à  Tépouvantablé  festin  où 
nous  convie  l'artiste. 

Une  dernière  observation  qui  s'adresse,  non  pas  seulement  à 
M.  Cattennole,  quoiqu'il  la  provoque  principalement,  mais  à  plu- 
sieurs autres  notables  peintres  de  Pall-ilall  et  même  légèrement 
à  M.  Lewis. 

Une  idée  téméraire  préoccupe  évidemment  ces  artistes  estima- 
bles. Os  jugent  l'aquarelle  omnipotente  et  capable  de  rivaliser  en 
tout  point  avec  la  peinture  à  l'huile.  Bien  mieux,  hommes  consé- 
qnens  qu'ils  sont,  ils  essaient  de  fortifier  leur  dire  par  leurs  œu- 
vres; nous  ne  sommes  point  accoutumés  à  décourager  les  tenta- 
tives difficiles  et  hardies;  pourtant  nous  confessons  n'avoir  en 
celle-là  qu'une  médiocre  confiance.  Il  se  conçoit  qu'en  dé  certaines 
occasions  l'aquarelle  emprunte  le  secours  d'une  force  et  d'une 
énergie  de  moyens  qui  ne  sont  pas  de  son  essence  ;  —  il  ne  se  con- 
çoit point  qu'elle  se  veuille  faire  absolument  énergique  et  forte 
eontre  sa  nature.  Du  reste,  elle  peut,  ail  lui  plah,  étaler  un  pa- 
pier égal  en  dimension  aux  plus  larges  toiles  ;  elle  peut  le  noircir  à 
son  aise  et  le  charger  de  gomme;  mais  je  tremble  cpi'elle  n'ait  le 
sert  de  la  grenouille  envieuse  du  bœuf.  A  cet  effort  immodéré,  sans 
acquérir  la  puissance  de  sa  rivale,  ne  perdra-t-elle  pas  la  légèreté, 
la  morbidesse,  la  transparence,  ses  qualités  principales  et  essen- 
tiettes? 

A  quoi  bon  d'aiHeurs  dépenser  son  talent  en  usurpations  ha- 
sudeuses?  A  quoi  bon  cette  rage  de  déplacer  les  limites  sagement 


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SOr  ftEVDE  DES  SBDX  IIONDBS. 

posées  des  :g6are8?  Qui  vous  o^BtrfittBt  de  tous  enfermer  dans  la 
salle  étroite  de  Pall-Mall?  Si  la  gloire  de  Qiaitde  et  du  Titien  vous 
empêche  de  dormir,  que  ne  trempez-^ous  votre  pinceau  aux  mêmes 
couleurs  éternelles  oà  ils  trempaient  le  leur?  Dût  Sontënef-JfonBe 
TOUS  fermer  ses  portes ,  ignoroE^^irout  iwmme  vous  sériée  bien- 
yeoMs  et  fêtés  cfaes  vos  frères,  les  associés  'ltt>fes  de  StiffcÊk- 
Strm? 


Nous  avons  redescendu  le  SirmuL  ibtrons  à  Ea^eier-^Oatl^  ai 
s'est  établie  la  nouvelle  «ociété  des  peintres  d'aquar^e.  Cette  der- 
nière visite,  si  cottr4e  qu  eUc/Soit,  nous  sera  méritoire;  car  ce  que 
nous  avons  vu  d*exhîhitiofis  étdil  bieiiipour  nous  satisfaire,  et  ce 
n*est  pas  la  meilleure  qui  nous  reste  à  voir. 

Mais  nods  avons  prorois  d^élre  écpuilaUea;  nous  avons  proMÎs 
de  tout  montrer,  de  ne  soustraire  «aucune  ides  pièces  utiles  aux 
juges.  Achevons  donc  paisiblement  not^e  besogne  de  n^f^r- 
teur. 

Ce  qui  recommande  surtout  la  société  aeuvelie,  c'est  sa  ten- 
dance marquée  vers  ramélioration.  Ainsi  sa  présente  exUbMoo, 
qui  est  seulement  la  cinquième,  est  de  beaucoup  supérieure  aux 
précédentes.  L*année  dernière  encore^  la  saUe^tait  à  peine  ienable 
dix  minutes,  tant  le  méchant  et  le  médiocre  y  deannaient;  cette 
année,  avec  du  loisir,  on  y  peut  passer  une  heure  agréable. 

Voilà  les  bénéfices  que  produit  reeprit.'d'aasocii^on  appKqué  à 
Tart  L'association  est  donùemeat  fécotade*  fin  assurant  les  progrès 
individuels,  eUe  favorise  le  progrès  général. 

M,  peuu  d'ouvrages  frappent  par  Thabifeté  de  rordoanaaoe ,  le 
fini,  la  perfection  du  tiavail.  Presque  tout  est  à  réutd'élia«ciie; 
mais»  sous  la  rude  éoorce  de  bien  4es  «ssais  taforaMs,  firémit  une 
sève  qui  j^llira  «n  jour  «n  4e  IttsmaM  feuillages. 

Dans  le  tfès  petitneinbre  des  choses  <y4«Maent  achevées»  il  oon^ 
Tien&de  citer  les  bijoux  de  M.  BoiviâRg.  Ce  sontle  (dais  souvent 
des  V4ies  de  la  Tamise  en  hiver.  C*«8tle  gnmd  fleuve  oèglisscttl 
les  barques  et  les  navires  voilés  de  brume.  Le  ciel  de  Londres  «tl 
là  chargé  de  iOHtes  ses  «v^ieups.  Cest^wsaràBMmt  le  fcrooilâcKi  de 
la  nMke»  hàmimc^ ifm  ïêxikm^4ir0O9émojm ée  mettre so» 


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LA  PEiimiRE  Ksr  %k  acBLramB  Jin  Angleterre.  31 

Terre  et  d'encadrer.  Ces  jolies  miniatures  sont  toutes,  jeraYOue, 
on  peu  tristes;  mais  est-ce  la  faute  de  M.  Downing,  si  le  soleil  est 
six  mois  de  Tannée  sans  vouloir  luire  pour  la  capitale  de  TAngle- 
terreî 

Le«  Matines  et kspcjaagt sde^M.  Slic^rdnevMiqwneiM  de  relief 
.  ni  de  viet.  Mais  Tiiiexpérienoe  s'j  traHit  évideiHe.  On  reconimh;  que 
fepeiiiue-tâceaiie  et  ebevche  eacoret  B  n*est  pas  le  mttlllr&é&  sa 
com^Hi^Mi.  il  caressé  et  prodigtie  las  dètaifa  oulfe  mesiire.  Ses 
fàatmresrom  fatiguenè  et  TO«d  ébiomsie«l.  Cent  cpifelUis  n*«ttt 
aocttoisefllre.  H  oublie  d'y  marquer  le  poiat  rUmlk 

TtLWMtea,  krdermerqM»iiouBa(jfonvA  nommer,  possède  «ae 
imagiiiitkHi  vÎTe  et  feriHe  ;  c*^t  domaiage  ifaer  le  pinceau  loi  rémie 
aucancet  réafot  in  kieofnpiètieflMnt  sa  pensée.  Qoelq«es-un»di9  sas 
trop  nambreux  ouvrages  doivent  être  cepeadaoc  ans  à  part ,  ak  la 
Terre  al  fcmginaiité  raobèleac  preaqoe  rkKoareaion  et  la  négl- 
geace, 

1/Emkmm'km  de  ia  reine  ÊlUakità  à  Greenwick  e60  une^  dHMde 
etbr91anleiHastratioii>de  la  célèbre  seèneda  romande  i9mlw(ir(fc. 

Dy  ade  ta  grandeav,  il  y  a  dbe  forîeac  dan» cette peiiilore dû 
■eus  YaT«is  ks  siataes  cotoasales  de  ThAbes,  aa  roiMeu  de  Tiaewda- 
tion  du  Nil,  paisiblement  assisessot  leurs  sièges  d^fÇfwAîr^  ra- 
gardaaf^  sourianles,  le  iaave  débordé  qui  aïonfi»  à  peine nouQ- 
fer  leurs  pieds. 

Une  autre  cempeaitiotii  mains  aérieuae  caraccériaeiaieai  peut-* 
être  resprit  d^iniireiitiea  de  iartîstev 

Deaaylphes  et  des  syipkidea  ona  seasmeiM  fcnit  le  jovr  éaas 
leurs  calices  de  roses.  Éveillés  à  la'broae,  Tcrilà  qu  ii^eauuaanosnt 
deeoatir  la^idia^  saaCHaftifetoutfi&deflettr»e»toaflésdefleurs. 
MttA,  frande  avaninael  jvrmie  toge  feuille  d^bortessia  a  reih 
piendi  teut  à  coup  un  aev  tuiaaait.  Auasiièli  les  anias  s^enlaeMt. 
Dae  rende  se  faraae  aatovr  deiloBeatetaNiiBttSD.  L^orehesl^e  aiéoie 
neaMAqvetapas  k  ce  baiiiaapfwisé.  L*iaa  des  srylpbea  a  ptîs  lai 
pétale  4t  thevrafeuHe  n  l'émbeacbe  camme  «ne  f  remp8tte>  taoAs 
qii*un  autre  touche  des  fils  d'une  toile  d'araignée,  ainsi  que  d'aae 
harpe»  Ealeade^Tettale  bruît  deepas  de  ladâMeeeleB  aceords  de 
bi  BMiskiaer  rraiaieot  ilry  a  là  un  sootta  de^poéskifbiicastiqpBe  teat 
shahapearien.  Cette.  Mie  ctas  (tm^  ée  bL  Warvon  ne  désheaMe- 
iak.paa  lea  Mies  finlaisîea  de  la  rené  Ibrt^et  d^sa  eeVi. 


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32  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 


VI. 


Nous  avons  promené  le  curieux  à  travers  les  quatre  exliibiti(Hi8  ou 
nous  nous  étions  engagé  de  le  conduire.  Nous  lui  avons  été  le  plos 
exact  et  le  plus  Adèle  cicérone  que  nous  avons  pu.  Si  nous  n*avonspas 
tout  montré,  au  moins  espérons-nous  n'avoir  rien  omis  qui  dût  être 
particulièrement  admiré.  Nous  n'avons  négligé  aucun  nom  recom- 
mandé hautement  par  son  mérite  ou  son  illustration.  Face  à  face 
avec  les  célébrités ,  nous  nous  sommes  appliqué  à  découvrir  le 
caractère  habituel  et  général  de  leurs  talens,  plutôt  qu'à  détailler 
leur  œuvre  du  jour.  Ainsi  avons-nous  essayé,  non  pas  tant  d'asseoir 
notre  propre  apprédation  sur  une  large  base,  que  do  mettre  cha- 
cun en  état  de  prononcer  de  soi-même,  en  parfaite  connaissance. 

A  cet  effet,  quelques  observations,  déjà  indiquées,  veulent  ètce 
rappelées  et  rapprochées,  afin  d*éclairer  davantage  la  matière. 

On  a  vu  qu'en  Angleterre  même,  d'honorables  antagonistes  de 
l'Académie  déploraient  amèrement  et  flétrissaient  l'abandon  des 
hautes  régions  de  l'art.  Mais  cet  abandon  très  réel  provient  de  cau- 
ses qui  l'expliquent  et  l'excusent. 

11  est  incontestable  que  l'artiste  ne  saurait  travailler  uniquement 
pour  la  gloire.  Il  faut  qu'il  travaille  d'abord  pour  vivre.  La  dure 
nécessité  lui  prescrit  donc  de  faire,  avant  tout,  des  tableaux  capa- 
bles de  plaire  à  ceux  qui  achètent.  Michel-Ange  lui-m^me  n'aurait 
jamais  peint  la  chapelle  Sixtitie,  pour  l'unique  plaisir  d'y  emprein- 
dre gratuitement  son  immortalité. 

Chez  nos  voisins,  la  difficulté  d'aborder  les  sujets  religieux  se- 
rait double.  L'église  protestante  les  a  arrachés  de  ses  murs  comme 
images  profanes.  Ainsi  non-seulement  il  ne  s'agit  pas  de  les  lui  ven- 
dre, mais  l'enthousiaste  M.  Haydon  eût-il  la  fantaisie  de  se  hisser 
jusqu'au  dôme  de  Saint-Paul,  afin  de  le  décorer  bénévolement,  il 
courrait  le  risque  d'être  jelé  hors  du  temple  et  poursuivi  en  sacri- 
ïége* 

D'autre  part,  le  gouvernement  ne  commande  aucune  sorte  de 
tableaux.  L'honorable  chambre  des  communes  n'a  jamais  estimé 
que  le  moindre  (artking  du  budget  dût  être  employé  à  l'encpurage- 
meiit  de  la  peinture  historique  ou  non  historique.  Parce  qu'un  club 


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LA  PKnrnmB  bt  la  scijlptuhe  en  Angleterre.  35 

s'estpris  du  désir  d'avoir  en  soa  salon  une  bataille  navale ,  c*e8t 
U  pure  exception,  nuHement  coutume. 

Or,  à  quel  patronage  Tart  a-t-nl  ététx^ntraint  d'avoir  recours?  Au 
patronagequis'estoflert.  Au  patronage  des  lords,  au  patronage 
des  riches;  mais  quelles  peintures  demandaient  les  riches  et  les 
lords?  Kén  entendu  ce  n'était  pas  la  grande  hbtoire  ;  ce  n*était  ni  la 
grande  histoire  religieuse,  ni  la  grande  histoire  profane  ;  c'étaient 
de  grands  portraits  en  ped ,  pour  les  plus  grands  panneaux  de 
leurs  appartemeiû;  et,  pour  les  coins,  de  l'histoire  en  miniature  » 
des  chasses,  du  paysage  et  de  l'aquarelle. 

Ces  considérations  pesées,  dont  Fimportance  est  gravcy  quand  on 
veut  impartialement  juger  la  situation  de  l'art  eu.  Angleterre,  il 
s'agit  surtout  d'examiner,  si,  dans  les  bornes  encore  larges  et  ho- 
norables où  l'a  enfermé  la  force  majeure,  U  est  suffisamment  fé- 
cond et  prospère,  s'il  compte  assez  de  noms  excellens  qui  Tauto- 
risent  et  le  recommandent.  Là  dessus,  notre  avis  est  affirmatif  et 
nous  pensons  l'avoir  établi  de  façon  à  ce  que  plus  d'un  autre  s'y 
range. 

M^s  au  milieu  de  tant  de  prospérité  et  d'excellence,  s*écrie- 
t-on,  y  a-t-il  une  école  anglaise?  Y  a-t-il  une  école  anglaise  plus 
qu'il  n*y  a  une  école  française? 

Oui,  répondrons-nous  encore,  quoique  moins  absolument.  H  n'y 
a  point  d'école  anglaise  si  vous  exigez  le  caractère  rigoureusement 
tranché  des  vieilles  écoles  flamande,  italienne  et  espagnole.  H  y 
a  une  école  anglaise  plus  qu'il  n'y  a  une  école  française,  en  ce  sens 
que  Fart  anglais  s  est  inspiré  davantage  et  plus  exclusivement  du 
sol  natal,  de  la  nature  indigène,  du  ciel  du  pays  ;  en  ce  sens  qu*il  a 
traité  (dus  de  sujets  purement  nationaux  et  presque  inintelligibles 
au  dehors. 

Mais  Fart  anglais  est-il  l'égal  de  l'art  français?  lui  est41  supé- 
rieur? 

Nous  serions  fort  empêchés  de  répondre  formellement  à  cette 
dernière  question. 

Toute  comparaison  est  délicate  et  téméraire  entre  les  gloires 
analogues  de  deux  peuples  rivaux,  lorsque,  des  deux  parts,  les 
titres  sont  authentiques,  nombreux,  fortement  appuyés. 

Le  rapprochement  conviendrait  mieux,  si  la  balance  penchait  à 
ce  point  d'un  c6té,  qu'il  ne  fût  guère  possible  de  garder  un  doute 

TOUS   VK.  5 


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M  WBLnmm 

«vr  la  piUmimm\.Vcm»semfam  twtfim,  pmtuBmflé^  êb  àkdun 
notre  opinion,  touchant  la  diiduli  Hliiii  Kairn  des  déwt  payt»  ^at 
Aoos  nfhéeîteriMs.  pas  à  dm:  l&ietiMHfi  UMéDatweflnnçaise ar- 
me; kl  noiurelle-ittériilvre  aaghiMJsfea  ti« 

Tel  n'est  potek  cas  €ft ce  qa»lMfteravt;Eir.FffUKe«aMtiie^ 
ment  9  «rrire,  Aeet  arrrré;:  nnie  entiAàglMeneA  eefc^nrifé  aatâ 
et  ne  témoigne  Halenpresaeaient  d» 'partg*. Stahmaal»  paat*te« 
a-44t  ehes  les  une  en  élèratiott  ce  foe  dnelea^acvea  il  Tegtg^ent 
krfpHir.  Okei  lés  français^  l'aifaye'^  boMJimnwntde  eèro,  dretset 
vers  le  ciel  une  superbe*  mm.  Cher  leurs  ftinins^  aea  htaM « 
branehés  se  sontt  desaédiées^  nnieilcMirre  k  pfadn»  fépai»  et 
Tastes  rameaux. 

Uuixm,  le  lOJuiA  1838. 

Loai>F8BUi«» 


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titÊÊmÊÊàm 


IL  NE  FAUT 

JURER  DE  RIEN, 


PROVERBE. 


PERSONNAGES. 

TAN  BUCK,  négociant.  Un  AvBBmGiSTB. 

TALnmn  TAN  BUCK ,  son  nereù.  Vu  Gabçon . 

Uh  Abbé.  La  BABomB  dbPUoitw. 

I}r  XAiTEB  Di  DAHU.  GÉGILB,  sa^o. 

(La  scène  est  à  Paris.) 


ACTE  PREMIER. 

SCÈNE  PREMIÈRE. 
La  chambre  4e  T«)entin« 

YALENTIN  assis.  —  Entre  VAN  BUCK. 

VAN  BDCK. 

HoDsieur  mon  neveu,  je  vous  souhaite  le  bonjour* 

VALSNXIN. 

Jlomîeiir  mon  oncle,  votre  serviteur. 

TâN  BCCK. 

Restez  assis;  f  ai  à  vous  pKter. 

3. 


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3S.  REVUE  IMB8  BBUX  MOHM». 

VÂLBNTIN. 

A8sey;ez-you8;  j*ai  donc  à  vous  entendre.  Veuillez  vous  mettre  dans  b 
bergère,  et  poser  là  vot^re  chapeau. 

VAN  BOCK,  t^asseyaDt. 
Monsieur  mon  neveu,  la  plus  longue  patience  et  la  pins  robuste  obsti- 
nation doivent,  l'une  et  l'autre,  finir  tôt  ou  tard.  Ce  qu'on  tolère  devieol 
intolérable,  incorrigible  ce  qu'on  ne  corrige  pas;  et  qai  vingt  fois  a  jeté 
la  perche  à  un  fou  qui  veut  se  noyer,  peut  être  forcé  un  jour  on  l'autre 
de  l'abandonner  ou  de  périr  avec  lui. 

VALBNTIN. 

Oh!  oh!  voilà  qui  est  débuter,  et  vous  avez  là  des  métaphores  qui  se 
sont  levées  de  grand  matin. 

VAN  BOCK. 

Monsieur,  veuillez  garder  le  silence,  et  ne  pas  vous  permettre  de  me 
plaisanter.  C'est  vainement  que  les  plus  sages  conseils,  depuis  trois  ans, 
tentent  de  mordre  sur  vous.  Une  insouciance  ou  une  fureur  aveugle,  des 
résolutions  sans  effet ,  mille  prétextes  inventés  à  plaisir,  une  maudite 
condescendance,  tout  ce  que  j'ai  pu  ou  puis  faire  encore  (mais,  par  ma 

barbe  !  je  ne  ferai  plus  rien  !  ) Où  me  menez-vous  à  votre  suite  ?  Tous 

êtes  aussi  entêté.... 

VALENTIN. 

Mon  oncle  Yan  Buck,  vous  êtes  en  colère. 

VAN  BOCK. 

Non,  monsieur,  n'interrompez  pas.yous  êtes  aussi  obstiné  que  je  me  suis, 
pour  mon  malheur,  montré  crédule  et  patient.  Est-il  croyable,  je  vous  le 
demande,  qu'un  jeune  homme  de  vingt-cinq  ans  passe  son  temps  comme 
vous  le  faites?  De  quoi  servent  mes  remontrances,  et  quand  prendrez- 
vous  un  état?  Vous  êtes  pauvre,  puisqu'au  bout  du  compte  vous  n'avez  de 
fortune  que  la  mienne;  mais,  finalement,  je  ne  suis  pas  moribond,  et  je 
digère  encore  vertement.  Que  comptez- vous  faire  d'ici  à  ma  mort? 

VALBNTIN. 

Mon  oncle  Yan  Buck,  vous  êtes  en  colère,  et  vous  allez  vous  oublier. 

VAN  BUCK. 

Non ,  monsieur,  je  sais  ce  que  je  fais  ;  si  je  suis  le  seul  de  la  famille  gai 
se  soit  mis  dans  le  commerce,  c'est  grâce  à  moi,  ne  Toùbliez  pas,  que  les 
débris  d'une  fortune  détruite  ont  pu  encore  se  relever.  Il  vou$  sied  biea  de 
sourire  quand  je  parle;  si  je  n'avais  pas  vendu  du  guingan  à  kuftn, 
vous  seriez  maintenant  à  l'hèpiUil,  avec  votre  robe  de  chambre  à  fleurs. 
Mais,  Dieu  merci,  vos  chiennes  de  bouilloUesw ...  I 


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u.  us  FAtJT  nmn  bb  BtKH.  37^ 

Mon  oncle  Van  Bock,  voilà  le  trivial;  vous  changez  de  ton;  vous  vous 
oubliez;  voas  aviez  mieux  commencé  qne  cela. 

VAN  BUŒ. 

Sacrebleu  !  tu  te  moqnes  de  moi.  Je  ne  suis  bon  apparemment  qa'i 
payer  tes  lettres  de  change  ?  J'en  ai  reçu  une  ce  matin  :  soixante  louis  { Te 
raHks-tu  des  gens?  il  t^  sied  bien  de  faire  le  fasbionable  (que  le  diable 
soit  des  mots  anglais!)  quand  tu  ne  peux  pas  payer  ton  tailleur!  C'est 
antre  chose  de  descendre  d'un  beau  cheval  pour  retrouver  au  fond  d'un 
hôtel  une  bonne  famille  opulente,  ou  de  sauter  à  bas  d'un  carrosse  de 
louage  pour  grimper  deux  ou  trois  étages.  Avec  tes  gilets  de  satin,  tu 
•demandes»  en  rentrant  du  bal,  ta  ciiandelle  à  ton  portier,  et  il  regimbe 
quand  il  n'a  pas  eu  ses  étrennes.  Dieu  sait  si  tu  les  lui  donnes  tous  les  ans! 
Lancé  dans  un  monde  plus  riche  que  toi ,  tu  puises  chez  tes  amis  le  dé- 
dain de  toi-même;  tu  portes  ta  barbe  en  pointe  çt  tes  cheveux  sur  les 
épaules,  comme  si  tu  n'avais  pas  seulement  de  qiioi  acheter  un  ruban 
pour  te  faire  une  queue.  Tu  écrivailies  dana  les  gazettes,  tu  es  capable 
de  te  fajre  saint-simonien  quand  tu  n'auras  plus  ni  sou  ni. maille,  et  cela 
viendra,  je  t'en  réponds.  Va,  va,  un  écrivain  public  est  plus  estimable 
qne  toi.  Je  finirai  par  te  couper  les  vivres,  et  tu  mourras  dans  ua 
grenier. 

VALBNTIN. 

Mon  bon  oncle  Van  Buck,  je  vous  respectent  je  vous  aime.  Faites-moi 
la  grâce  de  m'écouter.  Vous  avez  payé  ce  matin  une  lettre  de  change  à 
mon  intention.  Qnand  vous  êtes  venu ,  j'étais  à  la  fenêtre,  et  je  vous  ai  vu> 
arrifer;  vous  méditiez  un  sermon  juste  aussi  long  qu'il  y  a  d'ici  chez 
vous.  Épargnez,  de  grâce,  vos  paroles.  Ce  que  vous  pensez,  je  le  sais;  oe 
que  TOUS  dites,  vous  ne  le  pensez  pas  toujours;  ce  que  vous  faites,  je  vous 
en  remercie.  Que  j'aie  des  dettes  et  qne  je  ne  sois  bon  à  rien,  cela  se 
peut;  qu'y  voulez -vons  faire?  Yoos  avez  soixante  mille  livres  de 
rente.... 

VAW  BUCK. 

Cinquante. 

VALBNTIN. 

Soixante,  mon  oncle;  vous  n'avez  pas  d'enfans,  et  vous  êtes  plein  de 
bonté  pour  moi.  Si  j'en  profite,  où  est  le  mal  ?  Avec  soixante  bonnes  mille 
livrfs  de  renie.... 

VAN  BI7CK. 

Cinquante ,  daqnante  ;  pu  un  denier  de  plus. 

VALENTIN. 

Soixante;  vous  me  l'avez  dit  vous-même. 


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%  '  XVniB   BBS  BCVXVOnDBS^ 

VâN  BCCfc. 

Jamais.  Où  as^to  pris  e«la? 

Mettons  cinquante.  Vous  êtes  jeune ,  gaillard  encore,  et  bon  viTant. 
€royez-vons  que  otia  me  Câdie ,  et  que  j*aie  soif  de  votre  bien?  Yoos  ne 
Bie  faites  pas  tant  d'injure ,  et  vous  savez  que  &es  mauvaises  tètes  n'ont 
pas  toujours  les  plus  mauvais  cœurs.  Vous  me  querellez  de  ma  to^  de 
chambre  :  vous  en  avez  porté  bien  d'autres.  Ma  barbe  en  peiato  ne  vevt 
pas  dire  que  je  sois  tm  saint- siraonien  :  je  respede  trop  rkéritage.  Vous 
vous  plaignez  de -mes  gilets;  voulez-«vous  qu'on  sorte  en  efaemise?  Vous 
me  dites  que  je  suis  pauvre ,  et  4iue  m«s  amis  ne  le  sont  pas;  lant  niieax 
pour  eux ,  ce  n'est  pas  ma  faute.  Vous  imaginez  qu'ils  me  gâtent  et  que 
leur  exemple  me  rend  dédaigneux  :  je  ne  le  suis  que  de  ce  qui  m'ennaie, 
et  puisque  vous  payez  mes  dettes ,  vous  voyez  bien  que  je  n'emprunte  pas. 
Vous  me  reprochez  d'aller  en  fiacre  :  c'est  que  je  n'ai  pas  de  voiture.  Je 
prends,  dites-vous,  en  rentrant,  ma  chandelle  chez  mon  portier  :  c*«st 
pour  ne  pas  monter  sans  lumière  ;  à  quoi  bon  se  casser  le  cou  ?  Voos  vo«- 
driez  me  voir  un  état  :  faites-moi  nommer  premier  mfiH«tre,  et  voos 
verrez  comme  je  ferai  mon  chemin.  Mais  quand  je  serai  surnuméraire 
dans  l'entresol  d'un  avoué ,  je  vous  demande  ce  que  j'y  apprendrai ,  sinon 
que  tout  est  vanité.  Vous  dites  que  je  joue  à  la  bouillotte  :  c'est  que  j'y 
gagne  quand  j'ai  brelan;  mais  soyez  sûr  que  je  n'y  perds  pas  plus  tot  que 
je  me  repens  de  ma  sottise.  Ce  serait ,  dites-vous ,  autre  chose,  si  je  des- 
cendais d'qn  beau  cheval,  pour  entrer  dans  un  bon  hôtel  :  je  le  crois  bien; 
'  vous  en  parlez  à  votre  aise.  Vuus  ajoutez  que  vous  êtes  fier,  quoique  vous 
ayez  vendu  du  guiogan;  et  plût  à  Dieu  que  j'en  vendisse!  ce  serait  la 
preuve  que  je  pourrais  en  adieter.  Pour  ma  noblesse,  elle  m'est  aussi 
chère  qu'elle  peut  voos  Fètre  à  vous-même  ;  mais  c'est  pourquoi  je  ne 
m'attèle  pas,  ni  plus  que  moi  les  chevaux  de  pur  sang.  Tenez ,  mon  onde, 
ou  je  me  trompe ,  ou  vous  n'avez  pas  déjeuné.  Vous  êtes  resté  le  cœur  i 
jetin  sur  cette  maudite  lettre  de  change  ;  avalons-la  de  compagnie,  je  vais 
demander  le  chocolat.  (il  sonne.  On  sert  à  déjeuner.} 

VAN  BUCK. 

Quel  déjeuner  !  Le  diable  m'emporte  !  tu  vis  comme  un  prince. 

VALBNTfN. 

Eh!  que  voulez- vous?  quand  on  meurt  de  faim,  il  faut  bien  lAoher 
de  se  distraire.  (  lU  s*auablent  ) 

VAN  B0CK. 

Je  suis  sûr  que,  parce  que  je  «e  mm  là ,  tu  te  figures  que  je  te  par- 
donne. 


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IL  MV  FAUT  HTBEft  BV  Rin^  99 

T:àLKffflr. 

Moi?  pas  da  tout.  Ce  qui  me  ciiagrine,  lorsque  vous  êtes  irrilé,  e'est 
qu'ii  vous  échappe  malgré  vous  ctes  expressions  d*arrière-boutique.  Oui, 
sans  le  savoic,  vous  vous  écartez  de  cette  fleur  de  politesse  qui  vous  dis- 
tiogue  particulièrement;  mais  quand  ve*  n*est  pas  devant  témoins,  vous 
comprenezjque  je  ne  vais  pas  le  dire. 

VA!f  BVOL: 

C'est  bon  y  c'est  bon ,  il  ne  m'échappe  rien.  Mais  brisons  là,  et  parions 
d'autre  chose  ;  tu  devriôs  bien  te  marier. 

VALBlimi 

Seigneur,  snon  Dieu!  qu'est-joe  q«e  vovs  dites? 

VAN  BUCK. 

Doone-moi  à  boire.  Je  dis  que  tu  prends  de  l'âfe,  et  que ti»  devrait  tt 

marier. 

TALESXSf^ 

Mais,  mon  oncle,  qu'est-ce  que  je  vous  ai  fait? 

YA5  BUCK. 

To  m'as  fait  des  lettres  dé  change.  Mais  quand  tu  ne  m^aurais  rien 
fait ,  qu'a  donc  le  mariage  de  si  effroyable?  Voyons,  parlons  sérieusement. 
Tu  serais,  parbleu,  bien  à  plaindre  qtieDd  on  te  mettrait  ce  soir  dans  les 
bras  une  jolie  fille  bien  élevée ,  avec  cinquante  mille  écus  sur  ta  table  peur 
t'égayer  demain  matin  au  réveiL  Voyez  un  peu  le  grahd  malheur,  et 
comme  il  y  a  de  qjuoi  faire  l'ombrageux!  Tu  as  des  dettes,  je  te  les 
paierais;  une  fois  marié ,  tu  te  rangeras.  Mademoiselle  de  Mantes  a  tout 
ce  qu'il  faut».... 

VALENTIN. 

Mademoiselle  de  Mantes!  Vous  plaisantez? 

VAN  BUCKw. 

Puisque  son  nom  m'est  échappé,  je  œ  plaisante  pas.  C'est  d'elle  qu'il 
s'agit,  et  si  tu  veux... 

VA&B9TI2I. 

£t  si  eQe  veut  CTeat  comme  dit  la  chasBon  : 

Je  sais  bien  qull  ne  Uendrait  qm*à  mol 
De  répovser,  si  elle  voalailL 

VAN  BOCK. 

Non;  c'est  de  toi  que  cela  dépend.  Tu  es  agréé  ;  tu  lui  plais. 

vALBurnr. 
Je  oe  Pat  jeraais  vue  de  ma  vie^ 

VAN  BecK« 
Qela  ne  ly i  neo;  je  le  dis  que  tu  liù  plais. 


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iO  BBTUB  DBS  DEUX  MOIIBBS* 

TALBlVTllf, 

£d  vérité? 

yA5  BUCK. 

.  Je  f  en  doime  ma  parole. 

TALBIITIN. 

Eh  bien  donc!  elle  me  déplaît. 

VAN  BUCK. 

,  Pourquoi? 

YÀLENTIM. 

■» 

Par  la  même  raison  que  je  lui  plais. 

TAN  BDGK* 

Gela  n*a  pas  le  sens  commun ,  de  dire  que  les  gent  nous  déplaisent  ^ 
quand  nous  ne  les  connaissons  pas. 

TALBtmN. 

Comme  de  dire  qu'ils  nous  plaisent.  Je  vous  en  prie,  ne  parlons  plus  de 
cela. 

VAN  BUCK. 

Mais  y  mon  ami,  en  y  réfléchissant  (donne-moi  à  boire),  il  faut  (aire 
une  fin. 

TALBNTIN. 

Assurément,  il  faut  mourir  une  fois  dans  sa  vie. 

TAN  BUCK. 

Tentends  qu*il  faut  prendre  un  parti ,  et  se  caser.  Que  deviendras-to? 
Je  t*en  avertis,  un  jour  ou  Tautre,  je  te  laisserai  là  malgré  moi.  Je  n'en- 
tends pas  que  tu  me  ruines,  et  si  tu  veux  être  mon  héritier,  encore  faut4l 
que  tu  puisses  m*attendre.  Ton  mariage  me  coûterait,  c'est  vrai,  mais 
une  fois  pour  toutes,  et  moins  en  somme  que  tes  folies.  Enfin,  j'aime 
mieux  me  débarrasser  de  toi;  pense  à  cela  :  veux-tu  une  jolie  femme, 
tes  dettes  payées,  et  vivre  en  repos? 

VALBNTIN. 

Puisque  vous  j  tenes,  mon  ooele,  et  que  vous  parlez  sérieusemeol, 
sérieusement  je  vais  vous  répondre;  prenez  du  pété,  et  écoutez-moi. 

VAN  BUCK. 

Voyons,  quel  est  ton  sentiment? 

TALBNTIN. 

Sans  vouloir  remonter  bien  haut,  ni  vous  lasser  par  trop  de  préam- 
boles,  je  commencerai  par  l'antiquité.  Est-il  besoin  de  vous  rappeler  la 
■lanière  dont  fût  traité  un  homme  qui  ne  favait  mérité  en  rien,  qui 
t4Nite  sa  vie  fut  d'humeur  douce,  jusqu'à  reprendre,  même  après  sa 


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IL  !fE  FAUT  JUtBR  Dl  RIEN.  41 

(aale,  ccHc  qui  l'avait  si  oatrageiuement  trompé?  Frère  d*ailleun  d'an 
puMBant  nûmarque ,  et  coarooné  bien  mal  à  propos. ... 

TAN  BUGK. 

De  qui  diantre  me  parles-tu  ? 
De  MénélaSy  mon  onde. 

TAIf  BUCK. 

Que  le  diable  t'emporte  et  moi  avec  !  Je  sub  bien  sot  de  t'écouter. 

YALENTIN. 

Pourquoi  ?  H  me  semble  tout  simple.... 

VAIf  BUOL. 

Maudit  gamin  !  cervelle  fêlée  !  il  n'y  a  pas  moyen  de  te  faire  dire  un  mot 
qoi  ait  le  sens  commun.  (Il  se  lève.)  Allons!  finissons!  en  voilà  assez.  Au** 
jourd^hul  la  jeimesse  ne  respecte  rien. 

TALBtmif. 

Mon  oncle  Van  Buck ,  vous  allez  vous  mettre  en  colère. 

TAN  BUCK. 

Non,  monsieur;  mais,  en  vérité,  c'est  une  chose  inconcevable.  Ima« 
gine-t-oD  qu'on  homme  de  mon  âge  serve  de  jouet  à  un  bambin  ?  Me  prends* 
tu  pour  ton  camarade,  et  faudra-t-il  te  répéter i... 

.VALBNTIir. 

Comment  !  mon  oncle ,  est-il  possible  que  vous  n'ayez  jamais  lu  Ho- 
mère? 

VAN  BUGK  y  se  raésejant. 
Eh  bien!  quand  je  l'aurais  lu? 

VALBNnN. 

Vous  me  parlez  de  mariage;  il  est  tout  simple  que  je  vous  cite  le 
ptos  grand  mari  de  l'antiquité. 

TAN  BUCK. 

Je  me  soucie  bien  de  tes  proverbes.  Veux-tu  répondre  sérieusement? 

TALBNTIN. 

Soii;  trinquons  à  ccBur  ouvert;  je  ne  serai  compris  de  vous  que  si  vous 
voulez  bien  ne  pas  m -interrompre.  Je  ne  vous  ai  pas  cité  Ménélas  pour 
^re  parade  de  ma  science ,  mais  pour  ne  pas  nommer  beaucoup  d'hon-  ' 
o^tes  gens;  faut-il  m'ezpliquer  sans  réserve?  - 

TAN  BUCK. 

Oui ,  sur-le-champ  ,^ou  je  m'en  vais.    • 

TALBNTIN. 

Savais  seize  ans,  et  je  sortais  du  collège ,  quand  une  belle  dame,  de 


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43  jtfws  Aift  MHHL  jraims. 

notre  coiiaaMMiM»«ie  dklî^gva  pour -la  fwenièretféift.  A  cet  âge-ii, 
peut-oa  savoir  ce  qui  est  innocent  oa  criminel  ?  féLàiê  oa^oir  cheg  «t 
maltresse,,  au  coin  du  fea,  son  mari  en  tiers.  Le  mari  se  lève  et  dit  qa'9 
Ta  sortir.  A  ce  mot»  mi  regard  rapide,  échangé  entre  ma  belle  et  moi,  ne 
bit  bondir  le  cœar  de  joie.  Nous  allions  être  seuls!  Je  me  retourne,  et 
vois  le  pauvre  homme  mettant  ses  gants.  Ils  étaient  en  daim  de  couleir 
yerdAtre,  trop  larges ,  et  décousus  au  pouce.  Tandis  qu^fl  j  enfonçait  ses 
mains,  debout  au  milieu  de  la  chambre,  un  imperceptible  sourire  pam 
sur  le  coin  des  lèvres  de  la  femme ,  et  dessina  comme  une  ombre  légère 
les  deux  fossettes  de  ses  joues.  L'oeil  d^m  amant  voit  seul  de  tels  sourires, 
car  on  les  sent  plus  qu*on  ne  les  Toit.  Celui-ci  m'alla  jusqu'à  Famé,  et  je 
Favalai  comme  un  sorbet.  Mais, ^r  une  bizarrerie  étrange,  le  souvenir 
de  ce  monest  de  déUœs  te  lia  invhioibleinent  dans  ma  leie  à  cdui-de 
ëenlk.greiKftHmin  fongesse  débsttant  dans  ^es  gwds  verdètres;  et  je 
ne  sais  ce  que  ces  mains,  dans  leur  4ipératkm  eonfittue ,  ardent  de  tr^ 
et  de  piteux,  mais  je  n'y  ai  jamais  fMosé  -depuis  sans  que  le  féminin  soa- 
rire  ne  vint  me  ^alooiller  le  coin  des  lèvres,  et  j'ai  juré  que  jamais 
femme  au  monde  ne  me  ganterait  de  ces  gants-là. 

HÂX  BOCK» 

C'ea^à^lwe  ftt*«B  franc  libertin,  lu  doutes  4e  la  viertn^dea  femnei, 

et  que  tu  as  peur  que  lea  «uarea^ie  le  rendent  le  mal  que  lu  leur  as 

ftit.  

TJUXirnH. 

Tous  rarex^dhif  d  peur  du -diable,  et  je  ne  Tenx  pas  ette  ganté. 

vtAïf  aras. 
Bah  !  c'est  une  idée  de  jeune  homme. 


Gomme  il  vous  {^aâra,  c'eitJa  mienne;  dans  mie  trentaine  d'années, 
si  j'y  suis ,  ce  sera  une  idée  de  Tieillard ,  car  je  ne  me  marierai  jamais. 

TAK  BOCK. 

Prétenda-tu  quelootea  les  fenuDes  soient  &nflses  »  ei  qoe  1008  les  niaris 
soient  trompés? 

WàMMStm. 

le  ne  prélmids  rien,  et  jevTen  sais  rien,  le  prétenis,  quand  je  vais 
isM  la  r»e,iiefis«ie  jetersons  le»  rwies  des  Toimres;  quand  je  dine, 
ne  pas  «wingei  de  nerian;  <|0iBd  fai  soif ,  m  pas  boire  dans  im  verre 
caaaé,  et,  qnand  je  vois  une  tanne,  «e  pas  rifiasser;  et  encore  je 
ne  sois  pas  sûr  de  n'être  ni  écrasi,  ni  ^étranglé,  ni  brèdie-dent,  ni... 

VAX  BCOK. 

Fi  donc!  mademoiselle  de  BhMss  est  sage  et  bien  élevée;  c'est  une 


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TMurrnjr.. 
A  Dîeo  ne  plaiê^  qiM  j'eadiae  du  mal!  elle  est  sao»  doute  la  ineilleore 
4iâ  inoDde.  Elle  eA  bien  élevée  »  dîles-vous?  Quelle  éducatloo  a-t«elle 
reçue?  La  cenduit-oa au  bal»  au  spectaeU,  aux  courtes  de  chevaux? 
^rt-elle  seule  en  fiacre,  le  matiu,  à  midi,  pour  revenir  à  six  heures? 
A-t-elle  une  femme  de  chambre  adroite,  un  escalier  dérobé?  A-t-elIe  vu 
Is  Tour  de  T(€$lê,  et  lii-eUe  les  romans  de  M.  de  Bahsac?  La  mène-t-on» 
après  un  bon  dtner,  les  soirs  d'été,  quand  le  vent  est  au  sud,  voir  lutter 
aux  Champs-Elysées  dix  ou  douze  gaillards  nus,  aux  épaules  carrées? 
A-t-eRe  pour  mattre  un  beau  valseur,  grave  et  frisé ,  au  jarret  prussien, 
qui  lui  serre  les  doigts  quand  elle  a  bu  du  punch?  Reçoit-elle  des  visites 
^en  téte-Méte,  l'après-midi ,  sur  un  sopha  élastique,  sous  le  demi-jour 
d'un  rideau  rose?  A-t-elle  à  sa  porte  un  verrou  doré,  qu'on  pousse  du 
petit  doigt  en  tournant  la  tète,  et  sur  lequel  retombe  mollement  une 
tapisserie  sourde  et  muette  ?  Met-elle  son  gant  dans  son  verre  lorsqu'on 
commence  à  passer  le  Champagne?  Fait-elle  semblant  d'aller  au  bal  de 
l'Opéra,  pour  s'éclipser  un  quart  d'heare,  courir  chez  Musard,  et  re- 
venir bâiller?  Lui  a-t-on  appris ,  quand  Eobini  chante,  à  ne  montrer  que 
le  blanc  de  ses  yeux,  comme  une  colombe  amoureuse?  Passe-t-elle  l'été 
k  la  campsgne  chez  une  amie  pleine  d'expérience»  q«i  en  répond  à  sa  la- 
mille  ,  et  qui,  le  soir,  la  laisse  au  piano  ,  pour  se  promener  sous  les  char- 
milles, eu  chuchotant  avec  un  hussard?  Ya^^t-elle  aux  eaux?  A-t-elle 
des  migraines? 

TATC  BUCK. 

Jour  de  Dieu!  qu*est^ce  que  tu  dis. là  ! 

YALENTIN.  "^'' 

Cest  que  si  elle  ne  sait  rien  de  tout  cela,  on  ne  lui  a  pas  appris  grand*- 
chose;  car,  dès qu*dle sera  femme,  elle  le  saura,  et  alors  qui  peut  rien 
prévoir? 

VAIIBgCK. 

Tu  as  de  singulières  idées  sur  l'éducatioD  des  femmes.  Youdrais-tu  pas 
qu'on  les  suivit  ? 

YALiimiir.  ) 

-  Non;  mais  je  voudrais  qu'une  jeune  fiUe  l&t  ime  herbe  dans  un  bois, 
et  non  une  plante  dans  une  caisse.  Allons,  mon  rade,  venez  aux  Tuileries, 
et  ne  parlons  plus  de  tout  cela. 

TAN  BUCK* 

Tu  refuses  mademoiselle  de  Mantes? 

TALEKTIN. 

Pas  plus  qu'une  autre ,  mais  ni  plus  ni  moins. 


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;A%  .RBTOB  M8  HBUX  MOIIDBS. 

TAN  BOCK. 

To  me  feras  damner;  ta  es  incorrigible.  J'avais  les  plas  bellf 
rances;  ceUe  fille-là  sera  très  riche  un  jour;  tu  me  mineras,  et 
au  diable  ;  voilà  tout  ce  qui  arrivera.  Qu'est-ce  que  c'est  ?  Qu'est 
tu  veux? 

VALENTIN. 

Vous  donner  votre  canne  et  votre  chapeau ,  pour  prendre  l'air 
vous  convient. 

TAN  BCCK. 

Je  me  soucie  bien  de  prendre  l'air!  Je  te  déshérite,  si  tu  refas 
marier. 

VALENTIN. 

Vous  me  déshéritez ,  mon  oncle  ? 

VAN  BUCK. 

Oui,  par  le  ciel!  j'en  fais  serment!  Je  serai  aussi  obstiné  que 
nous  verrons  qui  des  deux  cédera. 

VALBNTIN. 

Vous  me  déshéritez  par  écrit,  ou  seulement  de  vive  voix  ? 

VAN  BUCK. 

Par  écrit,  insolent  que  tu  es! 

VALENTIN. 

Et  à  qui  laisserez-vous  votre  bien  ?  Vous  fonderez  donc  un  prix  d 
ou  un  concours  de  grammaire  latine? 

VAN  BUCK. 

Plutôt  que  de  me  laisser  ruiner  ()ar  toi,  je  me  ruinerai  tout  s( 
moD  plaisir. 

VALENTIN. 

Il  n'y  a  plus  de  loterie  ni  de  jeu;  vous  ne  pourrez  jamais  tout 

TAN  BUCK. 

Je  quitterai  Paris;  je  retournerai  à  Anvers;  je  me  marierai  moi- 
s'il  le  faut ,  et  je  te  ferai  six  cousins  germains. 

VALENTIN. 

El  moi,  je  m'en  irai  à  Alger  ;  je  me  ferai  trompette  de  dragons, 
serai  une  Ethiopienne,  et  je  vous  ferai  viogt-quatre  petits  neveu 
comme  de  l'encre,  et  bétes  comme  des  pots. 

VAN  BUCK. 

Jour  de  ma  vie  !  si  je  prends  ma  canne..... 

VALENTIN. 

Tout  beau,  mon  Qncle!  prenez  garde,  en  frappant^  decass4 
l)4iQa  de  vieillesse^ 


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IL  MB  fJLZT  lURBR  VB  RIBlf.      .  '45 

▼AN  Binai  (Vmhnumni). 
Ab  !  malheoreoi  !  tu  abuses  de  moi  ! 

VALBNTlIt. 

éooutex-moi;  le  mariage  me  répugne;  mais  pour  vous,  mon  bon  on- 
de» je  me  déciderai  à  tout.  Quelque  bizarre  que  puisse  vous  sembler  ce 
qoe  je  vais  vous  proposer  »  promettez- moi  d'y  souscrire  sans  réserve ,  et, 
de  mon  côté,  j'engage  ma  parole. 

TA5  BUCK. 

De  quoi  s*agit-il ?  Dépéche-toi. 

VALBNTIir. 

Promettez  d'abord  »  je  parlerai  ensuite. 

VA5  BUCK» 

Je  ne  le  puis  pas  sans  rien  savoir. 

TALENTUI. 

n  le  faut,  mon  oncle  ;  c'est  indispensable. 

TAN   BUCK. 

Eh  bien  !  soit,  je  te  le  promets. 

VALBNTIff. 

Si  vous  voulez  que  j'épouse  mademoiselle  de  Mantes ,  il  n'y  a  pour  cela 
qu'un  moyen,  c'est  de  me  donn^^r  la  certitude  qu'elle  ne  me  mettra  jamais 
aux  mains  la  paire  de  gants  dont  nous  parlions. 

TAN  BUCK. 

Et  que  veux-tu  que  j'en  sache  ? 

TALS19T1N. 

U  y  a  pour  cela  des  probabilités  qu'on  peut  calculer  aisément.  Con- 
venez-vous que  si  j'avais  l'assurance  qu'on  peut  la  séduire  en  huit  jours, 
j'aurais  grand  tort  de  l'épouser  ? 

TAI«  BUCK. 

Certainement.  Quelle  apparence ?... 

TALB9IT1N. 

Je  ne  vous  demande  pas  un  plus  long  délai.  La  baronne  ne  m'a  jamais 
vu ,  non  plus  que  la  fille;  vous  allez  faire  atteler,  et  vous  irez  leur  faire 
visite.  Vous  leur  direz  qu'à  votre  grand  regret,  votre  neveu  reste  garçon; 
j'arriverai  au  château  une  heure  après  vous,  et  vous  aurez  soin  de  ne  pas 
me  reconnaître;  voilà  tout  ce  que  je  voqs, demande,  le  reste  ne  regarde 
que  moi. 

VAN  BUCK. 

Mtis  tu  m'effraies.  Qu'est-ce  que  tu  veux  faire  ?  A  quel  titre  te  pré- 
senter? 


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▼4LEMWI* 

C'est  mon  affaire;  ne  me  reconnaifisea  pa»^  vM  tonA  ce  tel  ja tous 
charge.  Je  passerai  huit  jours  au  château  ;  j'ai  besoin  d'air,  et  cela  me 
fera  du.  bien»  Vous  y  resterez  si  vous  voulez. 

VAJg  BOCK. 

Drriena-ta  fou?  et  que  prétends- tu  faire?  Séduire  une  jeme  fille ea 
huit  jours  ?  Faire  le  galant  sous  un  nom  supposé?  La  belle  trouvaille!  H 
n'y  a  pas  de  conte  de  fées  où  ces  niaiseries  ne  soient  rebattues.  Me  prends- 
tu  pour  un  oncle  du  Gymnase? 

VALENTIN. 

Il  est  deux  heures ,  allons-nous  -en  chez  vous.         (Us  sortent.) 

SCÈNE  IL 

Au  château. 

LA  BARONNE,  CÉCILE,  UN  ABBÉ,  UN  MAITRE  DE  DANSE. 

(La  baronne ,  asslBe ,  caase  avec  Tabbé  en  ûiianl  de  la  tapiaserie*  Cécile  prend 
aa  leçon  de  danse.) 

LA  BARONN£. 

C'est  une  chose  assez  singulière  que  je  ne  trouve  pas  mon  peloton 
bleu.  ^ 

L'ABBé. 

Vous  le  teniez  il  y  a  un  quart  d'heure  ;  il  aura  roulé  quelque  part. 

LE  BlAtTRE  DB  DANSB. 

Si  mademoiselle  veut  faire  encore  la  poule,  nous  nous  reposerons  après 
cela. 

CBGILB. 

Je  veux  apprendre  la  valse  à  deux  temps. 

LE  MAITRE  DE  DANSE. 

Madame  la  baronne  s'y  oppose.  Ayez  la  bonté  de  tourner  la  tête,  et  de 
me  faire  des  oppositions. 

L^ABBé. 

Que  pensez- vous,  madame,  du  dernier  sermon?  ne  Tavez-vous pas 
entendu? 

LA  BABONIIE. 

C'est  vert  et  rose ,  sur  fond  noir ,  pareil  au  petit  meuble  d'en  haut. 

L'ABBë» 

Plalt-il  ? 


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LA  BttSMNE. 

Ah  !  pardon ,  je  n*y  étais  pas. 

L'jUBBB. 

Xai  cm  TOHS  y  aperce  voir . 

LA  BABONNE. 

Où  donc? 

L*ABBé. 

A  Saint-Roch ,  dimanche  dernier. 

LA  BA-BOHNE. 

Mm  oui,  très  bien.  Tout  le  monde  pleurait  ;  le  baron  ne  feisait  que  se 
moucher.  Je  m'en  suis  allée  à  la  moitié ,  parce  que  ma  voisine  a?aît  des 
odean,  et  que  Je  suis  dans  ce  moment^i  entre  les  bras  des  liomœopathes» 

LE  BIAITRE  DE  DANSE. 

Hademoiseney  f  ai  beau  vous  le  dire,  vous  ne  faites  pas  d'oppositions. 
Détooroez  donc  légèrement  la  tête,  et  arrondissez-moi  les  bras. 

CÉCILE. 

Mais,  monsieiiry  quand  on  veut  ne  pas  tomber,  il  faut  bien  regarder 

devant  soi. 

LE  MAITRE  DE  DANSE. 

Fi  donc!  C'est  une  chose  horrible.  Tenez,  voyez;  y  a-t-il  rien  déplus 
simple?  Regardez-moi  ;  est-ce  que  je  tombe? Tous  allez  à  droite,  vous 
regardez  à  gauche  ;  tous  allez  à  gauche ,  tous  regardez  à  droite;  il  n'y  a 

ricD  de  pins  naturel. 

ÏLA  BABOlfHE. 

Cest  une  chose  inconcevable  que  je  ne  trouve  pas  mon  peloton  bleu. 

céciLE. 
Maman ,  pourquoi  ne  voulez-vous  donc  pas  que  j'apprenne  la  valse  à 
deoxiÊinps? 

LA  BARONNE. 

Parce  que  c'est  iudécent.  Avez-vous  lu  Joeelyn  ? 

l'abbé. 
^U  madame,  il  y  a  de  beaux  vers;  mais  le  fond,  je  vous  l'aTouerai... 

LA  BARONNE. 

Le  foDd  est  noir;  tout  le  petit  meuble  l'est;  vous  verrez  cela  sur  du 
palissandre. 

•OëcILE. 

^,  maman,  miss  Clary  valse  bien,  et  mesdMn^iseUesëelltimbaut 

aussi.   * 

LA  BicBONNE. 

^  Clary  est  Anglaise ,  mademoiselle.  Je  suis  sûre ,  ïé!bbé^  qve  vm» 
▼«»èies  assis  dessus. 


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!  sur  màm  Ckry  ! 

LÀ  B1S099B. 

Eli!c*estiiioopeloCoOyle  ToiUu  Noo ,  c*est  do  rcNige;oà  est-âpasé? 

L*ABB<. 

Je  troQTe  la  scène  de  Tévèque  fort  belle;  il  y  a  certaineiDenl  du  gé- 
nie ,  beaucoup  de  talent ,  et  de  la  facilité. 

CÉGILB. 

Mais,  maman,  de  ce  qu'on  est  Anglaise ,  pourquoi  eit-oe  déoeat  de 
▼aber? 

I.A.  BAAORlfB. 

n  y  a  aussi  un  roman  que  j'ai  lu  »  qu'on  m*a  enroyé  de  cliex  M oogie. 
Je  ne  sais  plus  le  nom ,  ni  de  qui  c'était.  L*aTez-Yous  lu  ?  Cesi  a»ez  bien 
écrit. 

L*ABBé. 

Oui  y  madame.  H  semble  qu'on  ouvre  la  grille.  Attendez-Tons  quelque 
visite? 

LA  BÂBON5E. 

Ah  !  c'est  vrai  ;  Cécile ,  écoutez. 

LB  HAITBB  DB  DANSE. 

Madame  la  baronne  veut  vous  parler,  mademoiselle. 

l'abbé. 
Je  ne  vois  pas  entrer  de  voiture;  ce  sont  des  chevaux  qui  vont  sortir. 

ctoLBy  s'approcbaot. 
Vous  m'avez  appelée ,  maman  ? 

LA  BABONNE. 

Non.  Ah!  oui.  Il  va  venir  quelqu'un;  baissez-vous  donc  que  je  vous 
parle  à  l'oreille.  Cest  un  parti.  Etes-vous  coiffée? 

CÉGILB. 

Un  parti  ? 

LA  BABOIfNB. 

Oui  y  très  convenable.  —  Yingt-cioq  à  trente  ans,  ou  plus  jeune;  non» 
je  n'en  sais  rien;  très  bien;  allez  danser. 

céciLB. 
Biais,  maman ,  je  toulais  vous  dire... 

LA  BABONNB. 

Cest  incroyable  où  est  allé  ce  peloton.  Je  n'en  ai  qu'un  de  bleu,  et  il 
faut  qu'il  s'envole. 

(Entre  Van  Bock.) 


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a  IIB  FAUT  JURER  DE  RWf.  4t 

TAN  BOCK, 

ibdaiiie  la  Baronne ,  je  vous  souhaite  le  bonjour.  Mon  neveu  n-a  pu 
Tenir  avec  moi;  il  m'a  chargé  de  tous  présenter  ses  regrets ,  ei d'eicuser 
son  manque  de  parole. 

LA  BAROlfNB. 

Ah,  bab!  vraiment?  il  ne  vient  pas?  Voilà  ma  fille  qui  prend  sa  le- 
{oo;  permettez-vous  qu'elle  continue?  Je  Tai  fait  descendre ,  parce  que 
€*est  trop  petit  chez  elle. 

TAN  BUCK. 

Tespère  bien  ne  déranger  personne.  Si  mon  écervelé  de  neveu... 

LA  BARONNE. 

Vous  ne  voulez  pu  boire  quelque  chose?  Asseyez-vous  donc.  Com* 
ment  allez-vous? 

TAN  BUCK. 

Mon  neveu ,  madame ,  est  bien  DIché... 

.     LA  BARONNE. 

Écoutez  donc  que  je  vous  dise.  L'abbé,  vous  nous  restez,  pas  vrai? 
Eh  bien  !  Cécile,  qu'est-ce  qui  t'arrive  ? 

LB  MAITRE  DE  DANSE. 

Mademoiselle  est  lasse,  madame. 

LA  BARONNE. 

Chansons!  si  elle  était  au  bal  »  et  qu'il  fût  quatre  heures  du  matin, 
elle  ne  serait  pas  lasse ,  c'est  clair  comme  le  jour.  Dites-moi  donc ,  vous  : 
(bit  i  Yen  Back)  est-ce  que  c'est  manqué  ? 

TAN  BUCK. 

J'en  ai  peur;  et  s'il  faut  tout  dire... 

LA  BARONNE. 

Ah,  bah  !  il  refuse  ?  Eh  bien  I  c'est  joli. 

VAN  BDCK. 

Mon  dieu,  madame,  n'allez  pas  croire  qu'il  y  ait  là  de  ma  faate  en 
rien.  Je  vous  jure  bien  par  l'ame  de  mon  père... 

LA  BARONNE. 

Enfin  il  refuse ,  pas  vrai  ?  C'est  manqué  ? 

TÀN   BUCK. 

Mais ,  madame ,  si  je  pouvais ,  sans  mentir... . 

LA  BARONNE. 

(On  entend  an  grtnd  tamalte  an  dehoo.) 
Qu'est-ce  que  c'est?  regardez  donc ,  l'abbé. 

TOHSTU.  4 


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IMâDM,  c'fSttHke  iratere  yenée  demlla  porte  ie4ftâlBM.4M«p- 
pone  îd  ttn  jemeàonoie  fui  teoiUe  privé  detenikBttit. 

L4  BARONNE. 

Ah  !  mon  Diea,  un  mort  qai  m*àntf  e  !  Qu*oû  arrange  vite  la  chambre 
verte.  Tenez ,  Yan  Buck ,  donnez-moi  le  bras.  (  Ils  ratait.  ) 


ACTE  DEUXIÈME. 


SCÈNE  PAËMIE&E. 

Une  allfe  «nu  atte  dunnille. 
Entrent  VAN  BUCK  et  VALËNTIN,  qui  a  le  bras  en  écharpe. 


VàM 

Est-il  possible,  malhenreux  garçon^ ^qoeia  te«Qi8réeUeittnit4éaii  le 
bras? 

VALENTlN. 

Il  n*y  a  rien  de  plus  possible;  c'est  même  probable,  et,  qui  pis  est, 

assez  douloureusement  réel. 

VAN  voaL. 

Je  ne  sais  lequel ,  dans  cette  afiaire,  e&t  le  plus  à  blâmer  de  nous  deux. 

Vit-on  jamais  pareille  extravagance  ! 

VAtENXlN. 

Il  fallait  bien  trouver  un  prétexte  pour  m'introduire  convenablement. 
Quelle  raison  voulez-vous  qu'on  ait  de  se  présenter  ainsi  incognito  à  une 
famille  respectable? J'avais  donné  un  louis  à  mon  postillon  en  lui  deman- 
dant sa  parole  de  me  verser  devant  le  château.  C'est  un  honnête  homme, 
il  n'y  a  rien  à  lui  dire ,  et  son  argent  est  parfaitement  gagné  ;  il  a  mis  sa 
roue  dans  le  fossé  avec  une  conetanee  hérûîque.  Je  me  sois  démis  le  bras, 
c'est  ma  faute  ;  mais  j'ai  versé,  et  je  ne  «e  plains  pas.  An  contraire ,  f  en 
suis  bien  aise  ;  cela  donne  aux  choses  mi  air  de  vérité  qui  intéresse  en  ma 
faveur. 

VAN  BUCK. 

Que  vas-tu  faire?  et  quel  est  iea  ilenein  ? 

VÎMLBNTIN. 

Je  ne  viens  pas  du  tout  idiKnir  épewer  ]MtileBiQiaeUedeMiiiM,«aii) 


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QmqoeBent  pour  tous  pnmverqiiejfai|MktorldeFé|MHiser..M0Dplaaeit 
lailv  ma  toturie  pointée  ;  et ,  josquHci  >  tout  va  à  jmerreUle^  Voua  avet  tenu 
votre  promesse  comoie  Ré^ua  ou  HçnumL  Voua,  ne  m'avez  pas  appelé 
mao  ueveu,  c'est  le  principal  et  le  plus  difficile  ;  me  voilà  reçu»  hébergé, 
cooché  dans  une  bell^  chambre  verte,  de  la  fleur  d'oraage  sur  ma  table, 
et  des  rideaux  blancs  à  moo  lit.  C'est  une  justice  à  rendre  à  votre  ba- 
ronne, elle  m'a  aussi  bien  recueilli  que  mon  postillon  m'a  versé.  Mainte- 
nant, il  s'agit  desavoirs!  tout  le  reste  ira  à  l'avenant.  Je  compte  d'abord 
faire  ma  déclaration ,  secondement' écrire  un  billet 

vàn  buck. 
Cest  inutile,  je  ue  souffrirai  pas  que  cette  mauvaise  plaisanterie  s'a- 
chève. 

VALBUTIN. 

YùQB  dédire  !  comme  vous  voudrez;  je  me  dédia  aussi  snr-ie-champ^ 

VAN  BDClt. 

liais,  moD  neveu 

VALBWTIIf. 

Dites  un  mol ,  je  reprends  la  poste  et  retourne  à  Paris  ;  plus  de  parole, 
plus  de  mariage;  vous  me  déshériterez  si  vous  voulez. 

TAIf  BUCK. 

C'est  un  guêpier  incompréhensible,,  et  il  est  inoui  que  je  sois  fourré  lé. 
Mais  eufio ,  voyons ,  eiplique-toi  ! 

VALBÎfnif. 

Songez,  non  oncle,  à  notre  traité.  Vous  m'avez  dit  et  accordé  que,  s'il 
étiût  prouvé  que  ma  future  devait  me  ganter  de  certains  gants,  je  serais 
nn  (bu  d'en  faire  ma  femme.  Par  conséquent,  l'épreuve  étant  admise, 
vous  trouverez  bon,  juste  et  convenable  qu'elle  soit  aussi  complète  que 
possible.  Ce  que  je  dirait  sera  bien  dit;  ce  que  j'essaierai,  bien  essayé, 
et  ce  que  je  pourrai  faire,  bien  fait;  vous  ne  me  chercherez  pas  chicane, 
et  j'ai  carte  blanche  en  tous  cas. 

VAK  BDCK. 

Mais,,  monsieur,  il  y  a  pourtant  de  certaines  bornes,  de  certaines  cho- 
ses—Je vous  prie  de  remarquer  que  si  vous  allez  vous  prévaloir  —  Mi- 
séricorde I  comme  tu  y  vas! 

VALENTUf. 

Si  notre  future  est  telle  que  vous  la  croyez  et  que  vous  me  l'avez  re- 
présentée, il  n'y  a  pas  le  moindre  danger,  et  elle  ne  peut  que  s*en  trouver 
plus  digne.  Figurez-vous  que  ja  scûale  premier  venu  ;  je  suis  amoureux  de 
andemoiselle  de  Mantes,  vertueuse  éfouse  de  Valentin  VanBudt  ;  songez 
4Rwne,la  jeune^e  da  jour  est  ^treprenante  et  hardie l  qœ  ne  fait-on 


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52  '  BETOB  nt  mm  MOWMt. 

paSy  d'ailleun,  quand  on  aime?  QoeUes  escafodet,  quelles  lettres  de  quatre 
pages  y  quels  torreus  de  larmes,  quels  conaets  de  dragées  !  Deranl  quoi 
recule  un  amant?  De  quoi  peut- on  lui  demander  compte?  Quel  mil 
fait-il  y  et  de  quoi  s'offenser  ?  il  aime,  6  mon  oncle  Van  Buck  !  Rappelei- 
vous  le  temps  où  tous  aimiez. 

TAN  BUCK. 

De  tout  temps  j'ai  été  décent ,  et  j'espère  que  vous  le  serez,  sinon  je  dis 
tout  à  la  baronne. 

VAI^ENTIM. 

Je  ne  compte  rien  faire  qui  puisse  choquer  personne.  Je  compte  d'abord 
faire  ma  déclaration;  secondement,  écrire  plusieurs  billets;  troisième- 
ment, gagner  la  fille  de  chambre;  quatrièmement,  rôder  dans  les  petits 
coins;  cinquièmement ,  prendre  l'empreinte  des  serrures  stcc  de  ladre 
à  cacheter;  sixièmement,  faire  une  échelle  de  cordes,  et  couper  les  Titres 
aTCC  ma  bague;  septièmement,  me  mettre  à  genou  par  terre  en  rèct* 
tant  /a  Nouvene  Hélotte:  et  huitièmement,  si  je  ne  réussis  pas,  mutiler 
noyer  dans  la  pièce  d'eau  ;  mais  je  tous  jure  d'ôtre  décent,  et  de  ne  pas 
dire  un  seul  gros  mot ,  ni  rien  qui  blesse  les  couTcnances. 

VAN  BUCK. 

Tu  es  un  roué  et  un  impudent  ;  je  ne  souffrirai  rien  de  pareil. 

VALBNTIN. 

Mais  pensez  donc  que  tout  ce  que  je  tous  dis  là ,  dans  quatre  ans  d'ici 
un  autre  le  fera,  si  j'épouse  mademoiselle  de  Mantes;  et  comment  Toulez- 
Tous  que  je  sache  de  quelle  résistance  elle  est  capable,  si  je  ne  l'ai  d'abord 
essayé  moi-même?  Un  autre  tentera  bien  plus  encore,  et  aura  dcTsat 
lui  un  bien  autre  délai;  en  ne  demandant  que  huit  jours,  j'ai  lait  un  acte 
de  grande  humilité. 

TAN  BUCK. 

Cest  un  piège  que  tu  m'as  tendu  ;  jamais  je  n'ai  préTU  cela. 

YALENTIN, 

Et  que  pensiez-TOus  donc  préToir,  quand  tous  stcz  accepté  la  ga- 
geure? 

TAN  BUCK. 

Mais,  mon  ami, je  pensais,  je  croyais— je  croyais  que  tu  allais 
faire  ta  cour...  mais  poliment...  à  cette  jeune  personne ,  comme  par 
exemple,  de  lui...  de  lui  dire...  On  si  par  hasard...  et  encore  je  n'en  sais 
rien...  Mais  que  diable  I  tu  es  effrayant. 

TAI^KTIN. 

Tenez!  Toilà  la  blanche  Cécile  qui  nous  arriTe  à  petits  pas.  Entendex- 
Tous  craquer  le  bols  sec?  La  mère  tapisse  aTCC  son  abbé.  Vite,  fourrea- 


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IL  NB  FAUT  maBR  DE  RIEH.  53^ 

fOQS  dans  la  charmille.  Voua  serez  témoin  de  la  première  eacarmpuche , 
a  Toos  m'en  direz  votre  avis. 

VAN  BOCK. 

To  r^poaseras  si  elle  te  reçoit  mal  ?        (H  se  cadie  dans  la  channille.) 

VALENTIM. 

Laissez-moi  faire,  et  ne  bougez  pas.  Je  suis  ravi  de  vous  avoir  pour 
specuteur,  et  Fennemi  détourne  Tallée.  Puisque  vous  m*avez  appelé  fou» 
je  veux  vous  montrer  qu'en  fait  d'extravagances,  les  plus  fortes  sont  les 
meilleores.  Vous  allez  voir,  avec  un  peu  d'adresse,  ce  que  rapportent  les 
blessures  honorables  reçues  pour  plaire  à  la  beauté.  Considérez  cette  dé- 
marcbe  pensive,  et  faites- moi  la  grâce  de  me  dire  si  ce  bras  estropié  ne 
inesiedpa&  Eh  !  que  voulez-vous  ?  C'est  qu*on  est  pâle;  il  n'y  a  au  monde 
que  cela: 

Un  jeune  malade  à  pas  lents 

Surtout,  pas  de  bruit;  voici  l'instant  critique;  respectez  la  foi  desser-^ 

Bwns.  Je  vais  m'asseoir  au  pied  d'un  arbre,  comme  un  pasteur  des  temps 

passés. 

(  Entre  Cécile  un  livre  a  la  main.  *) 

VALBNTIJÎ. 

I>éjà  levée ,  mademoiselle ,  et  seule  à  cette  heure  dans  le  bois? 

CÉCILE. 

C'est  vous,  monsieur?  je  ne  vous  réconnaissais  pas.  Comment  se  porte' 
votre  foulure? 

YALEMIN,  àpart. 

^  Foulure  !  Voilà  un  vilain  mot.  (  Haut;)  Cest  trop  de  grâce  que  vous  mo 
foites,  et  il  y  a  de  certaines  blessures  qu'on  ne  sent  jamais  qu'à  demi.  ^ 

CÉCILE, 

Vous  a-t-on  servi  à  déjeuner  ? 

VALENTIN. 

Vous  êtes  trop  bonne;  de  toutes  les  vertus  de  votre  sexe,  l'hospitalité 
est  la  moins  commune,  et  on  ne  la  trouve  nulle  part  aussi  douce,  aussi 
précieuse  que  chez  vous;  et  si  l'intérêt  qu'on  m'y  témoigne... 

CECILE. 

Je  vais  dire  qu'on  vous  monte  un  bouillon.  (Elle  sort.  ) 

VAN  BOCK,  rentniDt. 
Turépooseras!  tu  l'épouseras!  Avoue  qu'elle  a  été  parfaite.  Quelle 
naïveté!  quelle  pudeur  divine!  On  ne  peut  pas  faire  un  meilleur  choix» 

YALBNTIN. 

^n  moaieot,  mon  oncle,  un  moment;  vous  allez  bien  vite  en  besogno^ 


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Pourquoi  pas?  H  n'eu  faut  pas  plus;  tu.voîsclaireaieDi  à  qui  tuas  af-^ 
faire,  et  ce  sera  toujours  de  môme.  Que  tu  seras  heureux  arec  cette 
fenune^là  !  Allons  tout  dire  à  la  baronne;  je  n^e  charge  de  l'apaiser. 

VALEMTIN. 

Bouillon!  Gomment  une  jeune  fille  peut-elle  prononcer  ce  motpU?EIIe 
me  déplaît;  elle  est  laide  et  sotte.  Adieu ,  mon  oncle ,  je  retourne  à 
Paris. 

VAN  BUCK. 

Plaisantez-Yous?  où  est  votre  parole?  Est-ce  ainsi  qu'on  se  joue  de 
moi?  Que  signifient  ces  yeux  baissés,  et  cette  contenance  défaite?  Est-ce 
à  dire  que  vous  me  prenez  pour  un  libertin  de  votre  espèce  »  et  que  vous 
vous  servez  de  ma  folle  complaisance ,  comme  d'un  manteau  pour  vos  mé- 
chans  desseins?  N'est-ce  donc  vraiment  qu'une  séduction  que  vous  ve» 
nez  tenter  ici  sous  le  masque  de  cette  épreuve!  Jour  de  Dieu!  ^  je  le 
erofaîsl... 

VAUINTIN» 

Elle  me  déplaît ,  ce  n'est  pas  ma  faute ,  et  je  n'en  ai  pas  répondu^ 

VAN  BUCK. 

En  quoi  peut-elle  vous  déplaire?  Bile  est  jolie ,  ou  je  ne  m'y  connais 
pas.  Elle  a  le»  yeui  kmgS'et  bien  fendus,  des efaeveux  superbe,  une  taflle 
passable.  Elle  est  parfaitement  bieaâeTée;  elle  sait  l'anglais  et  l'italien  ; 
elle  aura  treme  mille  livret  d»  rente ,  et  enaUendaat  une  très  beUe  det. 
Quel  reproche  pouvez-vous  lui  faire ,  et  pour  quelle  raison  n'en  voulez- 
vous  pas  ? 

VAIiBBflN. 

Il  n'y  a  jamais  de  raison  à  donner  pourquoi  les  gens  plaisent  ou  dé- 
plaisent. Il  est  certain  qu'elle  me  déplaît,  elle ,  sa  foulure  et  son  bouillon. 

VAN  BDCK. 

C'est  votre  amour-propre  qui  souffre.  Si  je  n'avais  pas  été  là ,  vous  se- 
riez venu  me  faire  cent  contes  sur  votre  premier  entretien ,  et  vous  tar- 
guer de  belles  espérances.  Vous  vous  étiez  imaginé  faire  sa  conquête  en 
un  clin  d'œil ,  et  c'est  là  o(l  le^  bât  vous  blesse.  Elle  vous  plaisait  hier  au 
soir,  quand  vous  ne  Paviez  encore  qu'entrevue,  et  qu'elle  s'empressait 
avec  sa  mère  à  vous  soigner  de  votre  sot  accident.  Maintenant,  vous  la 
trouvez  laide ,  parce  qu'elle  a  fait  à  peine  attention,  à  vous.  Je  vous  con- 
nais mieux  que  vous  ne  pensez ,  et  je  ne  céderai  pas  si  vite.  Je  vous  dé- 
lénds  de  vous  en  aier. 

vAMNTnr. 

Comme  vous  voudrez  ;  je  ne  veux  p^  d'elle;  je  vous  répète  que  je  la 
trouve  laide ,  et  elle  a  un  air  niais  qsà  est  révoltant.  Ses  yeux  sopt  grands» 


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IL  HB  FMJT  flMlBa  fIB 

c'est  Trai»  mais  ils  ne  veulent  wkn  dire;  ses  cheveux  sont  beaux ,  mais 
die  a  le  front  plat  ;  quant  à  la  taille ,  c'estpeut-^étre  ce  qu'dkra^leiiâtfiiXy 
qooique  vous  ne  la  trouviez  que  passable.  Je  la  félicite  desavoir  Fitalien, 
elle  y  a  peiK-élre  plus  d*eaprit  qu'en  français;  pour  ce  ^ui  est  de  sa  ^t, 
qu'elle  la  garde  ;  je  n'en  veux  pas  plus  que  de  son  bouillon. 

VAH  BUCC 

A-t-on  idée  d'une  pareille  tête ,  et  peut-on  s'attendre  à  rien  de  sem- 
blable? Va ,  va  y  ce  que  je  te  disais  hier  n'est  que  la  pure  vérité.  Tu  n'es 
capable  que  de  rêver  des  balivernes,  et  je  ne  veux  plus  m^occuper  de 
toi.  Épouse  une  blanchisseuse  si  tu  veux.  Puisque  tu  refuses  ta  for- 
tune, lorsque  tu  l'as  entre  les  mains,  que  le  liasard  dédde  da reste; 
cberche-le  au  fond  de  tes  cornets.  Dîea  m'est  témoin  que  taa  patlepce  a 
été  telle  depuis  trais  ans  que  nul  autre  peut-être  à  ma  place. .. 

VALENTIN. 

Est-ce  que  je  me  trompe?  Regardez  donc,  mon  onde.  Il  me  semble 
90'eUe  revient  par  ici.  Oui ,  je  l'aperçois  entre  les  arbres;  elle  va  repas- 
ser dans  le  taillis. 

TAN  BUCK. 

Où  donc?  quoi?  qu'est-ce  que  tu  dis? 

YALBKTIN. 

Ke  voyez-vous  pas  une  robe  blanche  derrière  ces  touffes  de  lilas?  Je 
ne  me  trompe  pas;  c'est  bien  eHe.  Vite,  mon  oncle,  rentrez  dans  la 
àÊtniSk ,  ^o'oB  se  bmis  souprenne  pas  «oseflaèle. 

VAN   BOCK. 

A  qooi  bon  y  puisqu'elle  te  déplaît  7 

VALBNTIN. 

n  n'importe ,  je  veux  l'aborder,  pour  q«e  vous  ne  puissiez  pas  dire  que 
je  Pai  jugée  trop  légèrement. 

VAN  BUCK. 

To  l'épouseras  si  elle  persévère?  (U  se  cache  de  nouveau.) 

YALBNTIN. 

Chut  !  pas  de  bruit;  la  voici  qui  arrive. 

CÉClLm  y  entrant. 
Monsieur,  ma  mère  na'a  chargée  de  yow  demanëer  «  vws  eompttes 
partir  aujourd'hui. 

VALBNTJN. 

Oui,  mademoiselle^  c'est  mon  intention»  et  j'ai 4emaDdé  des  chevaux^ 

CÉCILE. 

Cest  qu'on  fait  un  whist  au  salon, «t  «que  ma  mère  vous  serait  bien 
obligée  si  vous  vouliez  faire  le  quatrième. 


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S6  EEVUB  DES  BEUX  MONDES. 

VALBNTfH. 

.  J'en  sois  fAché ,  mais  je  ne  sais  pas  jouer« 

céaLE. 
Et  si  TOUS  vouliez  rester  à  dîner,  nous  avons  un  faisan  truffé. 

VALBNTIN. 

Je  vous  remercie  ;  je  n'en  mange  pas. 

CÉCILE. 

Après  dlneri  il  nous  vient  du  monde,  et  nous  danserons  la  mazourke. 

VALENTIIC. 

£x£usez-moi ,  je  ne  danse  jamais. 

C^ILE. 

C'est  bien  dommage.  Adieu  y  monsieur.  (Elle  sort.) 

VAN  BUCK  y  rentrant. 

Ali  ça!  voyons,  l'épouseras-tu ?  Qu'est-ce  que  tout  cela  signifie?  Tu 
dis  que  tu  as  demandé  des  chevaux;  est-ce  que  c'est  vrai?  ou  si  tu  te 
moques  de  moi  ? 

VALEMIJî. 

Vous  aviez  raison ,  elle  est  agréable  ;  je  la  trouve  mieux  que  la  pre- 
mière fois;  elle  a  un  petit  signe  au  coin  de  la  bouche  que  je  n'avais  pas 
remarqué. 

VAK  BUCK. 

Où  vas-tu?  Qu'est-ce  qui  t'arrive?  Veux- tu  me  répondre  sérieuse- 
ment? 

VALBNTIN. 

Je  ne  vais  nulle  part ,  je  me  promène  avec  vous.  Est-ce  que  vous  la 
trouvez  mal  faite  ? 

VAN  BUCK. 

Moi?  Dieu  m'en  garde  !  je  la  trouve  complète  en  tout. 

VALBNTIN. 

Il  me  semble  qu*il  est  bien  matin  pour  jouer  au  whist;  y  jouez-voos, 
mon  oncle  ?  Vous  devriez  rentrer  au  château . 

VAN  BCCK. 

Certainement ,  je  devrais  y  rentrer  ;  j'attends  que  vous  daigniez  me 
répondre.  Restez-vous  ici,  oui  ou  non?  * 

VALBNTIN. 

Si  je  reste,  c'est  pour  notre  gageure;  je  n'en  voudrais  pas  avoir  le  dé- 
menti; mais  ne  comptez  sur  rien  jusqu'à  tantôt;  mon  bras  malade  me  met 
au  supplice. 

VAN  BUCK. 

Rentrons;  tu  te  reposeras. 


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IL  MB  FAUT  lUJtn  DB  AUDI.  97 

VALBNTIH. 

Oui»  j'ai  eavie  de  prendre  ce  boailkm  qui  est  là-haol;  il  faut  que  j*é- 
erbe  ;  je  vous  reverrai  à  dloer. 

VAN  BUCK. 

Ecrire!  J'espèfe  que  cen*est  pas  à  elle  que  tu  écrii^, 

VALBNTI5. 

Si  je  lui  écris ,  c'est  pour  notre  gageure.  Vous  savez  que  c'est  convenu^ 

VAN  BUCK. 

Je  m'y  oppose  formellement ,  à  moins  que  tu  me  montres  ta  lettre. 

VALBNTIN. 

Tant  que  vous  voudrez  ;  je  vous  dis  et  je  vous  répète  qu'elle  me  plaît 
médiocrement. 

VAN  BUCK. 

Quelle  nécessité  de  lui  écrire?  Pourquoi  ne  lui  as-tu  pas  fait  tout  à 
riieure  ta  déclaration  de  vive  voix ,  comme  tu  te  l'étais  promis? 

VALBNTIN. 

Pourquoi? 

VAN  BUCK. 

Sans  doule;  qu*estrce  qui  t'en  empêchait?  Tu  avais  le  plus  beau  cou» 
rage  du  monde. 

VALBNTIN. 

G*est  que  mon  brag  me  faisait  souffrir.  Tenez ,  la  vdlà  qui  repasse  une 
Iroisième  fois  ;  la  voyez-vous  là  bas,  dans  l'allée? 

VAN  BUCK. 

Elle  tourne  autour  de  la  plate-bande  i  et  la  charmille  est  circulaire.  Il 
n*j  a  rien  là  que  de  très  convenable. 

VALENTIN. 

Ah!  coquette  fille  !  c'est  autour  du  feu  qu'elle  tourne ,  comme  un  pa- 
pillon ébloui.  Je  veux  jeter  cette  pièce  à  pile  ou  face,  pour  savoir  si  je 
Taimerai. 

VAN  BUCK. 

Tâche  donc  qu'elle  t'aime  auparavant;  le  reste  est  le  moins  difficile. 

VALBNTIN. 

Soit;  regardons-la  bien  tous  les  deux.  Elle  va  passer  entre  ces  deux 
toofles  d'arbres.  Si  eUe  tourne  la  tète  de  notre  côté ,  je  l'aime ,  sinon ,  je 
m'en  vais  à  Paris. 

.  VAN  BUCK. 

Gageons  qu'elle  ne  se  retourne  pas. 

VALBNTIN. 

Oh!  que  si;  ne  la  perdons  pas  de  vue. 


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Yàm  BOCK. 

Ttt  at>  rtMoa».  ^.  iftm ,  p«  cycof»  ;  elle  pawtl  iji»  aHeiitif  nwL 

VALBNTlIf. 

Je  suis  sûr  qu'elle  va  se  retourner. 

VAN  BUCK. 

Non  ;  elle  avance  ;  la  touffe  d*arbres  approche.  Je  suis  convainca  qn'eLft  ^ 
n'en  fera  rien. 

VALENTIN. 

ElhS'  doit  pmirtaAl  nous  voir;  rien  ne  nous  cache;  je  voos  dis  qa*dlft  ^^ 
retournera. 

VAN  BUCK. 

Elle  a  passé  9  tu  as  perdu. 

VALENTIN. 

Je  vais  lui  écrire ,  ou  que  le  ciel  m'écrase  I H  faut  que  je  sache  h  qimoi 
m'en  tenir.  C'est  incroyable  qu'une  petite  fille  traite  les  gens  aussi  lég^â— 
rement.  Pure  hypocrisie  !  pur  manège  !  Je  vais  lui  dépécher  un  billet  ^so^ 
règle;  je  lui  dirai  que  je  meurs  d'amour  pour  elle,  que  je  mé  suiscas^^ 
le  bras  pour  la  voir,  que  si  elle  me  repousse,  je  me  brûle  la  cervelle ,  ^^ 
que  si  elle  veut  de  moi  Je  l'enlève  demain  malin.  Yenez^  rentrons,  je  vecv.^^- 
écrire  devant  vous. 

VAM  BUCK. 

Toufc  beau  9  mon  neveu ,  quelle  mouche  vous  pique  ?  Vous  nous  fer^^^ 
quelque  mauvais  tour  iei. 

VALENTIN. 

Croyez-vous  donc  que  deux  mots- en  l'air  puissent  signifier  quelqc:^^ 
chose  ?  Que  lui  ai-jc  dit  que  d'indifiérent ,  et  que  m'a-t-elle  dit  ell*^^'^ 
même?  Il  est  tout  simple  qu'elle  ne  se  retourne  pas.  Elle  ne  sait  rien ,  ^^^^ 
je  n'ai  rien  su  lui  dire.  Je  ne  suis  qu'un  sot,  si  vous  voulez;  il  est  possibB-^^ 
que  je  me  pique  d'orgueil  et  que  mon  amour-propre  soit  enjeu.  Belle  c^*^-* 
laide,  peu  m'importe;  je  veux  voir  clair  dans  son  acné.  Il  y  a  là-dessoi:^^ 
quelque  ruse,  quelque  parti  pris  que  nous  ignorons;  laissez-moi  fair^  ^ 
tout  s'éclaircira. 

VAN  BUCK. 

Le  diable  m'emporte ,  tu  parles  en- amoureux.  Est-ce  que  tu  le  serais  ^^ 
|mr  hasard? 

VALENTIN. 

Non  ;  je  vous  ai  dit  qu'elle  me  déplati.  Faut-il  vous  rebeHre  cent  fois  ï^^ 
même  chose  ?  dépêchons -nous ,  rentrons  au  château. 

VAN  BUCK. 

Je  vous  ai  dit  que  je  ne  veux  pas  de  lettre,  et  surtout  de  celle  dont  vou^ 
parlez. 


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IL  im  miwt  mMk  oie  Ȏn.  W 

VALBNTISr, 

VeMt  UNijoiiFS,  nous  DOM  dédderoBs.  {^  sorttnt) 

SCÈPŒ  IL 

Le  Salon. 
lA  BAROr^^nS  et  L*ABBÉ ,  deraot  tioe  table  de  jeu  préparée. 

LA  BARONNE. 

Tous  direz  ce  que  vous  voudrez ,  c*est  désolant  de  jouer  avec  un  mort. 
"^"^  déteste  la  campagne  à  cause  de  cela. 

L*ABB]â. 

Mais  où  est  donc  M.  Yan  Buck?  est-ce  qu*il  n*est  pas  encore  descendu? 

LA  BARONNE. 

Je  l'ai  VD  tout  à  l'heure  dans  le  parc  avec  ce  monsieur  de  la  chaise , 
^i^ni,  par  parenthèse,  n'est  guère  poli  de  ne  pas  vouloir  nous  rester  à 


\ 


L*;^BÉ. 

S'il  a  des  affaires  pressées. . . 

LA  BARONNE. 

Bah!  des  affaires,  tout  le  monde  en  a.  La  belle  excuse!  Si  on  ne  pen- 
aiit  jamais  qu'aux  affaires,  on  ne«erait  jamais  à  rien.  Tenez,  Tabbé^ 
DOOBS  au  piquet;  je  me  sens  d'une  humeur  massacrante. 

l'aBBÉ  ,  mêlant  les  cartes. 
Il  est  certain  que  les  jeunes  gens  du  jour  ne  se  piquent  pas  d'être  polis» 

LA  BARONNE. 

Polis  !  je  crois  bien.  Est-ce  qu'ils  s'on  doutent?  Et  qu'est-ce  que  c'est 
s  ifètre  poli?  Mon  cocher  est  poli.  De  mon  temps ,  l'abbé ,  on  était  ga- 

l'abbë. 
C'était  le  bon ,  madame  la  baronne,  et  plût  au  ciel  que  j'y  fusse  se  ! 

la  BARONNE. 

J^anrais  voulu  voir  que  mon  frère,  qui  était  à  Monsieur,  tombât  de 
^^n*08se  à  la  porte  d'un  château ,  et  qu'on  l'y  eût  gardé  à  coucher.  Il 
^^t^it  plutôt  perdu  sa  fortune  que  de  refuser  de  faire  oin  quatrième. 
^^ez ,  ne  parlons  plus  de  ces  choses-là.  C'est  à  vous  de  prendre  ;  vous 

^*«ià  kâiaez  pas? 

l'abbé. 
Je  n'ai  pas  un  as;  voilà  M.  Van  Buck.  (Entre Taa  Buck.) 

hJL  BARONNE. 

b;  èt^Arèiwtis  de  parler. 


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40  RBTUE  BB8  BECX  MOmES. 

VAN  BUCKy  bas  i  b  btronoe. 
Madame,  j'ai  deoi  mots  à  vous  dire  qai  soni  de  la  dermère  importaiice. 

Là  BAROBINB. 

Eh  bien!  après  le  marqué. 

VàBBÉ. 

€inq  cartes ,  valant  quarante  et  cinq. 

L4  BARONNE. 

Gela  ne  vaut  pas.  (  Jl  Ytn  Buck.)  Qu'est-ce  donc  ? 

VAN  BUCK. 

Je  vous  supplie  de  m'accorder  un  moment;  je  ne  puis  parler  devant  nn 
tiers  9  et  ce  que  J*ai  à  vous  dire  ne  souffre  aucun  retard. 

hk  BARONNE  M  lève. 

Vous  me  faites  peur;  de  quoi  s*agit-il  ? 

VAN  BCCK. 

Madame ,  c*est  une  grave  affaire ,  et  vous  allez  peut-être  vous  fâcher 
contre  moi.  La  nécessité  me  force  de  manquer  à  une  promesse  que  mon 
imprudence  m'a  fait  accorder.  Le  jeune  homme  à  qui  vous  avez  donné 
l'hospitalité  cette  nuit,  est  mon  neveu. 

LA  BARONNE. 

Ah  !  bah  !  quelle  idée  ! 

VAN  BUCK. 

Il  désirait  approcher  de  vous  sans  être  connu;  je  n'ai  pas  cru  mal  faire 
en  me  prêtant  à  une  fantaisie  quii  en  pareil  cas ,  n*est  pas  nouvelle. 

LA  BARONNE. 

Ah  !  mon  Dieu  !  j'en  ai  vu  bien  d'autres! 

VAN  BUCK. 

Mais  je  dois  vous  avertir  qu'à  l'heure  qu'il  est,  il  vient  d'écrire  à  mademoi- 
selle de  Mantes,  et  dans  les  termes  les  moins  retenus.  Ni  mes  menaces, 
ni  mes  prières,  n'ont  pu  le  dissuader  de  sa  folie  ;  et  un  de  vos  gens,  je  le 
dis  à  regret,  s'est  chargé  de  remettre  le  billet  à  son  adresse.  Il  s'agit 
d'une  déclaration  d'amour ,  et,  je  dois  ajouter,  des  plus  extravagantes. 

I  LA  BARONNE. 

Vraiment!  eh  bien!  ce  n'est  pas  si  mal.  Il  a  de  la  tête,  votre  petit 
bonhomme. 

VAN  BUCK. 

Jour  de  Dieu  !  je  vous  en  réponds  !  ce  n'est  pas  d'hier  que  j'en  sais  quel- 
que ehoie.  Enfin ,  madame,  c'est  à  vous  d'aviser  aux  moyens  de  détonroer 
les  suites  de  cette  affaire.  Vous  êtes  chez  vous;  et,  quant  à  moi,  je  vous 
avouerai  que  je  suffoque,  et  que  les  jambes  vont  me  manquer.  Ouf! 

(  Il  tombe  dans  «ne  chalM.  ) 


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IL  NE  FAUT  JUftEE  DE  RIBIC..  Gt 

LA  lARONRE. 

Ab  !  del  !  qu'est-ce  que  tous  avez  dooc  ?  \  ons  êtes  pAle  comme  un  liiiEe  ! 
Vue!  racontez -moi  tout  ce  qui  s'est  passé,  et  faites-moi  confidence  en- 
tière, 

VAN  BUCK. 

Je  vous  ai  tout  dit  ;  je  n'ai  rien  à  ajouter . 

LA  BABONNB. 

Ab!  bah!  ce  n'est  que  ca?  Soyez  donc  sans  crainte;  si  votre  neveu  a 
écrit  à  Cécile,  la  petite  me  montrera  le  billet. 

VAK  BUCK. 

En  êtes- vous  sûre,  baronnet  Cela  est  dangereux. 

LA  BARONNE. 

Belle  question!  Où  en  serions-nous  si  une  fiUe  ne  montrait  pas  à  sa 
mère  une  lettre  qu'on  lui  écrit  ?     , 

VAN  BUCK. 

Hum  !  je  n'en  mettrais  pas  ma  main  au  feu. 

LA  BARONNE. 

Qu'est-ce  à  dire,  monsieur  YanBuck?  Savez-vous  à  qui  vous  parlez? 
Dans  quel  monde  avez- vous  vécu  pour  élever  un  pareil  doute?  Je  ne  sais  pas 
trop  comme  on  fait  aujourd'hui ,  ni  de  quel  train  va  votre  bourgeoisie  ; 
mais,  vertu  de  ma  vie,  en  voilà  assez;  j'aperçois  justement  ma  fille,  et 
vous  verrez  qu*elle  m'apporte  sa  lettre.  Venez ,  l'abbé,  continuons. 
(  Elle  se  remet  au  jeu.  —  Entre  Cécile,  qui  va  i  la  fenêtre,  prend  son 
oof  rtge  et  s'asseoit  à  Técart.) 

l'abbb. 
Qoarante-cinq  ne  valent  pas  ? 

LA  BARONNE. 

Kon,  vous  n'avez  rien;  quatorze  d'as,  six  et  quinze,  c'est  quatre- 
vingt  quinze.  A  vous  déjouer.  ^' 

L'ABBé. 

Trèfle.  Je  crois  que  je  suis  capot. 

VAN  BUCK,  bas  i  la  baronne. 
Je  ne  vois  pas  que  mademoiselle  Cécile  vous  fasse  encore  de  confidence. 

LA  BARONNE,  bas  à  Van  Bock. 
Tous  ne  savez  ce  que  vous  dites;  c'est  l'abbé  qui  la  gêne  ;  je  suis  sûre 
d'elle  comme  de  moi.  Je  fais  rqiic  seulement.  Cent  dix-sept  de  reste.  A 
voosàCnre. 

UN  DOMESTIQUE,  entrant. 
M.  Tabbé,  on  vous  demande;  c'est  le  sacristain  et  le  bedeau  du  vil- 


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6b  idÉtiifE  i^BS  iifiifx  vokdes. 

Qa'est-ee  tftfWs  me  Yeafent  ?  je  suis  occupé. 

LA  BARONNE. 

Donnez  vos  cartes  à  Van  Buck;  il  jouera  ce  conp-ci  pour  vous. 
(  L'abbé  sort.  Van  Buck  pread  M  ^ilaoe.  ) 

LA  BARONNB. 

Cest  Yons  qui  faites»  et  j'ai  coupé.  Vous  êtes  marqué  selon  toute  ap- 
parence.  Qu'est-ce  que  vous  avez  donc  dans  les  doigts  ? 

VAN  BUCK  9  bas. 
Je  vous  confesse  que  je  ne  suis  pas  tranquille  ;  votre  fille  ne  dit  mot,  et 
je  ne  vois  pas  mon  neveu. 

LA  BARONNE. 

Je  vous  dis  que  j*en  réponds;  c'est  vous  qui  la  gênez;  je  la  vois  d'ici 
qui  me  fait  des  signes. 

VAN  BUCK. 

Vous  croyez?  moi,  je  ne  vois  rien. 

LA  BARONNE. 

Cécile 9  venez  donc  un  peu  ici  ;  vous  vous  tenez  à  une  lieue.  (  Cécile  ip- 
prodie  aoD  ftoteuil.  )  Est-ce  que  vous  n'avez  rien  à  me  dire,  ma  chère? 

CÉCILE. 

Moi?  non,  maman. 

LA  BARONNE. 

Ah!  bah  !  Je  n'ai  que  quatre  cartes,  Yan  Buck.  Le  point  est  à  vous;  j'ai 
trois  valets. 

VAN  BUCK. 

Youlez-vous  que  je  vous  laisse  seules  ? 

LA  BARONNE. 

Non;  restez  donc^  ça  ne  fait  rien.  Cécile,  tu  peux  parler  devant 
monsieur. 

CÉCILE. 

Moi ,  maman  ?  Je  n'ai  rien  de  secret  à  dire. 

LA  BARONNF.. 

Vous  n'avez  pas  à  me  parier? 

CÉCILE. 

lion»  aainsn. 

LA  BASOUMB. 

Cest  inconcevable;  qu'est-ce  que  vous  venez  donc  me  C9tâBr,  Ym 
Buck? 

VAN  BUCK. 

Madame ,  j'ai  dit  la  vérité. 


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Ça  ne  se  peut  pas  :  Cécile  n'a  rien  à  me  c^n^  U  ^tkàâSuÊ  qq*«H&a'a 

rienreçQ. 

VAVBUCK,  M  levant 
Eh!  mMble»,]^  l'ai  vu  de  mes  yeux. 

LA  BAROimSy  se  letaal  aussi. 
Ml  flie^  qaTeitrce  que  cela  signifie  ?  leyez-vous  droke^  et  rt gaidae* 

:    moi.  Qu'est-c^  que  vous  avair  dams  vos  poches? 

CÉCfLV,  pleurant. 
MaiSi  Baman,  ce  n'es^pas  ma  faiite;  c'est  œ  nonrnup  qaîn^a  écrit. 

LA  BARONNE. 

'       Voyons  cela.  (Cécile  donne  la  lettre.  )  Je  suis  curieuse  de  lire  de  son  style, 

i    à  ce  monsieur,  comme  vous  l'appelez.  (Elle  lit.) 

t  Mademoiselle,  je  meurs  d*amour  pour  vous.  Je  vous  ar  vue  ITiiver 
passé,  et,  vous  sachant  à  la  campagne,  j*ai  résolu  de  vous  revoir  on  de 
mourir.  Xai  donné  un  louis  à  mon  postillon...  i> 

Ne  voudrait-il  pas  qu'on  le  lui  rende?  Nous  avons  bien  affaire  de  le 
«mirj 

ta  mon  postillon,  pour  me  verser  devant  votre  porte.  Se'wmnw  t%w^ 
contrée  deux  fois  ce  matin,  et  je  n'ai  rien  pu  vous  dire,  tant  votre  pré- 
sence m'a  troublé.  Cependant,  la  crainte  de  vous  perdre,  et  l'obligation 
acquitter  le  château...  » 

J*aime  beaucoup  ça.  Qu'est-ce  qui  le  priait  de  partir?  C'est  lui  qui  me 
refuse  de  rester  à  dloer.  ' 

>  me  déterminent  à  vous  demander  de  m'accorder  un  rendez-vous.  Je 
*ï«que  je  n'ai  aucun  titre  à  votre  confiance...  d 

La  belle  remarque,  et  faite  à  propos, 
'mais  l'amour  peut  tout  excuser;  ce  soir,  à  neuf  heures,  pendant  ie 
^^  je  serai  caché  dans  le  bois;,  tout  L&jBionde  ici  me  croira  parti,  car  je 
Mrtirai  d«  château  en  voiture  avatfii  diner^  mai»  seeleBieat  pour  faire 
quatre  pas  et  descendre,  d 

Quatre  pas!  quatre  pas!  l'avenue  est  longue;  dirait-on  pas  qu'il  n'y  a 
iv'é  enjamber? 
*  et  descendre.  Si  dans  la  s^ée  voa  pouvez  vous  échapper,  je  vous 

Kleadt;  8lMn>  ia  me  brûle  la  cervelle.  » 
Bien. 

f  la  cervelle.  Je  ne  crois  pas  que  votre  mère...  x> 
AW  que  votre  mère?  voyons  un  peu  cela. 

fasse  grande  attention  à  vous.  Elle-a  une  tête  de  gir....  i» 

Jf  oosieur  Yan  Buck,  qu'estrce  que  cela  signifie? 


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6i  HBTUS  DBS  DKOX  MOH]»«. 

VAN  BUCX. 

Je  n*ai  pas  entendu ,  madame. 

LA  BAAOKNE. 

Lisez  vous-même,  et  faites-moi  le  plaisir  de  dire  à  votre  nevea  qa'O 
sorte  de  ma  maison  tout  à  l'heure ,  et  qu*il  n'y  meUe  jamais  les  piédt. 

y AN  BDCK. 

Il  y  a  girouette:  c'est  positif;  je  ne  m'en  étais  pas  aperçn.  H  m'avait 
cependant  lu  sa  lettre  avant  que  de  la  cacheter. 

.  LA  B4R0N1IB. 

Il  vous  avait  lu  cette  lettre ,  et  vous  l'aves  laissé  la  donner  à  mes  goa! 
Allez»  vous  êtes  un  vieux  sot ,  et  je  ne  vous  reverrai  de  ma  vie. 

(  Elle  sort.  On  entend  le  brait  d*ime  foitora.) 

VAN  BDCE. 
Qu'est-ce  que  c'est?  mon  neveu  qui  part  sans  mol  ?  Eh!  comment  ywit-il 
que  je  m'en  aille?  J'ai  renvoyé  mes  chevaux.  Il  faut  que  je  coure  après 
lui.  (  Il  tort  en  coarant.) 

CBCILB  9  seule. 
Cest  singulier;  pourquoi  m'écrit-il ,  quand  tout  le  monde  veut  Uen 
qu'il  m'épouse? 


ACTE  TROISIÈME. 


SCÈNE  PREMIÈRE. 


Entrent  VAN  BUGK  et  VALENTIN»  qui  frappe  à  une  auberge. 

VALBinruf. 
Bolà  !  hé  !  y  a-t-il  quelqu'un  ici  capable  de  me  faire  une  oommisaion? 

CNGABÇCm  9  sortant. 
Oui,  monsieur,  si  ce  n'est  pas  trop  loin;  car  vous  voyez  q^^^  ploot  à 
verse. 

VAN  BUCK. 

Je  m'y  oppose  de  toute  mon  autorité ,  et  au  nom  des  lois  du  royaiuoe. 

▼ALBNTIN. 

Connaissez-vous  le  château  de  Mantes,  id  près? 


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a.  NE  FAUT  JURER  DE  RIEN.  65 

LB  dARÇON. 

Qoe  oai,  monsieur,  nous  y  allons  tous  les  jours.  C'est  à  main  gauche  ; 
OD  Je  Toit  d'ici. 

TAN  RÛCK. 

Ifoo  ami  y  je  tous  défends  d*y  aller,  si  vous  avez  quelque  notion  du  bien 
et  du  mal. 

VALBNTIN. 

Il  y  a  deux  louis  k  gagner  pour  vous.  Voilà  une  lettre  pour  M"*  de 
Jbntes,  que  vous  remettrez  à  sa  femme  de  chambre,  et  non  à  d'autres, 
et  en  secret.  Dépéchez-vous  et  revenez. 

LE  GARÇOlf. 

Oh  !  monsieur,  n'ayez  pas  peur. 

VAN  BUCK. 

Voilà  quatre  louis  si  vous  refusez. 

LE  GARÇON. 

Oh!  moDseignenr,.!!  n'y  a  pas  de  danger. 

VALBNTIN. 

En  voilà  dix;  et  si  vous  n'y  allez  pas,  je  vous  casse  ma  canne  sur  le  dos. 

LE  GARÇON. 

Oh  !  mon  prince,  soyez  tranquille  ;  je  serai  bientôt  revenu.    (H  sort.) 

VALBNTIN. 

Maintenant ,  mon  oncle,  mettons-nous  à  l'abri  ;  et  si  vous  m'en  croyez  , 
bavons  un  verre  de  bière.  Cette  course  à  pied  doit  vous  avoir  fatigué. 

(lU  8*aMeoient  sur  un  banc.) 

VAN  BOCK. 

Sois-en  certain ,  je  ne  te  quitterai  pas  ;  j'en  jure  par  l'ame  de  feu  mon 
frère  et  par  la  lumière  du  soleil .  Tant  que  mes  pieds  pourront  me  porter, 
tant  qoe  ma  tète  sera  sur  mes  épaules,  je  m'opposerai  à  cette  action  in- 
fâme et  à  ses  horribles  conséquences. 

VALBNTIN. 

Soyez-en  sûr,  je  n'en  démordrai  pas;  j'en  jure  par  ma  juste  colère  et 
|Mr  la  nuit  qui  me  protégera.  Tant  que  j'aurai  du  papier  et  de  l'encre,  et 
qu'il  me  restera  un  louis  dans  ma  poche ,  je  poursuivrai  et  achèverai  mon 
dessein,  quelque  chose  qui  puisse  en  arriver. 

VAN  BUCK. 

ITas-tn  donc  plus  ni  foi  ni  vergogne,  et  se  peut-il  que  tu  sois  mon 
sang?  Quoi!  ni  le  respect  pour  l'innocence,  ni  le  sentiment  du  conve- 
nable, ni  la  certitude  de  me  donner  la  fièvre,  rien  n'est  capable  de  te 
toucher! 

VALBNTIN. 

If  Rvez-vous  donc  ni  orgueil  ni  hpnte,  et  se  peut-il  que  vous  soyez  mon 

TOMBVIU  S 


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m  '  . «BTI7BriI>ISiaBUX  »JM!M»^  > 

oncle?  Quoi!  ni  l'insulte  que  Tour  «itiis^fail  9  nlla  manière  dont  on  nous 
ehuse,  ni  les  iijtfres  qu'on  fwsia  dîtià  motreidxarbti^  rittun'eatcapièie 
de  vous  donner  du  cœur  I    . 

Encore  ^r  tu  éUrsamoareuT^  si  je'pouTais-crotreqne'taitd'cxtfaTB- 
gances  partent  d'un  motif  qui  eût  quelque  chose  d'humain  !  Mats  noirj'ta 
n'es  qu'un  Lovelace,  tu  ne  respires  que  trahisons ,  et  la  plus  exécrable 
vengeance  est  ta  seule  soif  et  ton  seul  amour. 

VALENTIN. 

Encore  si  je  vous  voyais  pester  !  si  je  pouvais  me  dire  qu'au  fond  de 
l'ame  vous  envoyez  cette  baronne  et  son  monde  à  tous  les  d tables I  Mais 
non,  vous  ne  craignez  que  la  pluie ,  vous  ne  pensez  qu'au  mauvais  temps 
qu'il  fait  y  et  le  soin  de  vos  bas  chtiiés  est  votre  seule  peur  et  votre  seul 
tourment. 

TJM  BUCK. 

Ah  !  qu'on  a  bien  raison  4e  4tre  qu^«Mio>  ppemière  lavle  mèDe  è  «a 
précipice  I  Qui  m'eût  pu  prédire^ce  nulis,  lorsque  le  barbier  m'a  rasé, 
et  4^e  j'ai  nris  mon  habit  aeof ,  que  j&serais  'ce*  soir*  dans  une  ^raoçe  » 
crotté  et  trempé  jusqu'aux  os!  Quoi!  c'est  moi!  Dieu  juste!  à  mon  âge  ! 
II  faut  que  je  quitte  ma  chaise  de  posie  oCi  aous  étions  si  bien  infitaftés, 
il  faut  que  je  coure  à  la  suite  d'un  fou ,. à  travers  champs,  en  rase  cam- 
pagne !  Il  faut  4ue  je  me  traîne  à  ses  talons ,  comme  un  confident  .de  tra- 
gédie, et  Je  résultat  de  tast  de  sueurs  sera  ie  déshonneur  de  moaiu>m  I 

VALBNTIN. 

C'est  au  contraire  par  la  retraite  que  nous  pourrions  nous  désho- 
Borer,  et  noa  par  uue  glorieuse  campagne  dont  nous  ne  sortirons  ^ue 
vainqueurs.  Rougissez,  mon  oncle  Vas  Buck,  mais  que  ce  soit  d'une 
noble  indignatioBsVous  me  traitez  de  Lovelace;  oui,  par  ie  ciel!  ce  nom 
me  convient.  Comme  à  lui,  on  me  ferme  une  porte  surmontée  de  fières 
armoiries;  comme  lui,  une  famille  odieuse  croit  m'abattre  par  uu 
affront;  comme  lui,  comme  l'épervier,  j'erre  et  je  tournoie  aux  envi- 
rons; mais,  comme  lui,  je  saisirai  ma  proie,  et  comme  Clarisse,  la  sublime 
bégueule,  ma  bien-aimée  m'appartiendra. 

VAN  BUCK. 

Âh!  ciel!  que  ne  suis-je  à  Anvers,  assis  devant  mon  comptoir,  sur 
mon  fauteuil  de  cuir,  et  dépliant  mon  taffetas!  Que  mon  frère  n*esi-îl 
mort  garçon,  au  lieu  de  se  marier  ù  quarante  ans  passés!  Ou  plutôt  que  ne 
suis-]e  mort  moi-même,  le  premier  jour  que  la  baronne  de  Manies  m'a 
invité  à  déjeuner  I 

VAUUITUC. 

î^ie^ regrettez  ^pie  lemenacnt  où,  par  une  fatale  faiblesae,  vous  avez 


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IL  IIB  FAUT  JURER  DE  RIEN.  87 

i^éléà  cette  femine  le  secret  de  BOlre> traité.  Cest  vous  qui  avez  causé 
bmal;  cessez  d6'iii'iajuf4«*r9  moi  qai  le  réparerai.  Dout^z^^voo»  que  cette 
petite  fillev  qui  caicbe  si  bien  les  billets  doux  dans  les  poches  de  <8oq  la- 
hiier,  ne  fût Teoaeau  readefr^vous  donné.?  Oui^  à^coup^sÉreile  y«erait 
Tenue;  donc  elle  viendra  encore  mieux  cette  fois.  Par  mon  patron!  je 
me  fais  une  fête  de  la  voir  descendre  en  peignoir,  en  cornette  et  en  pe- 
tits soolterB,  de  cette  grande  caserne  de  brique»  rooillées  !  Je  ne  l'aime 
pas»  mais  je  l*aimerais,  que  la  vengeance  serait  la  pins  forte ,  et  tnerait 
l'amour  dan^  mon  cœur.  Je  jure  qu*eile  âera  ma  maîtresse,  mais  qu'elle 
ne  sera  jamais  ma  femme;  il  n'y  a  maintenant  ni  épreuve,  ni  promesse, 
ni  alternative;  je  veux  qu'on  se  souvienne  à  jama\^  dans  cette  famille  du 
jour  où  l'on  m'en  a  chassé. 

L'AtlBERGiSTE,  sortaot  de  la  maison. 
Messieurs,  le  soleil  commence  à  baisser;  est-ce  que  vous  ne  me  . 
ferez  pas  l'honneur  de  diner  chez  moi  ? 

VALEXTIN. 

Si  fait;  apportez-nous  la  carte,  et  faites-nous  allumer  du  feu.  Dès 
que  votre  garçon  sera  revenu ,  vous  lui  direz  qu'il  me  donne  réponse. 
Allons,  mon  oncle,  un  peu  de  fermeté  ;  venez  et  commandez  le  diner. 

VAN  BUGK. 

Ils  auront  du  vin  détestable;  je  connais  le  pays;  c*est  un  vinaigre 

affreux.. 

l'aubergiste. 

Pardonnez-moi;  nous  avons  du  Champagne,  du  chambertin,  et  tout 
ce  que  vous  pouvez  désirer. 

VAX  BUGK. 

En  vérité?  dans  un  treu  pareil  ?  o'est  inpossible  ;  yous]  nous  «n  im- 
posez. 

l'aubergiste. 

C'est  ici  que  descendent  les  messageries,  et  vous  verrez  si  nous 
manquons  de  rien. 

VAN   BOOK. 

Ailons!  tâefaons  donc  de  dtner;  je  sensqve  ma  mort  est  proûbiine, 
et  qae  dans  pea  je  ne  dînerai  pAus.  (  lU  sortent^ } 

SCÈNE  IL 

A«  château.  Un  mIob. 
Entrent  LA  BARONNE  et  UABBÉ, 

LA  BARONNE. 

Dieu  soit  loué,  ma  fille  est  enfermée.  Je  crois  que  j*en  ferai  une  ma- 
ladie. 

5, 


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68  EEYUE  DES  DEUX  MONDES. 

L*ABBÉ. 

Madame  I  8*il  in*est  permis  de  voos  domier  an  conseil ,  je  tous  dirai 
que  j'ai  grandement  peor.  Je  crois  avoir  vu  en  traversant  la  cour. «n 
homme  en  blouse ,  et  d'assez  mauvaise  mine,  qui  avait  june. lettre  à  la 
main. 

Là  B4B0NNE. 

Le  verrou  est  mis;  il  n*y  a  rien  à  craindre.  Aidez-moi  un  peu  à  ce 
bal  ;  je  n*ai  pas  la  force  de  m*en  occuper. 

l'abbé. 
Dans  une  circonstance  aussi  grave,  ne  pourriez-vous  retarder  tos 
projets? 

LA  BABONNE. 

Êtes-vous  fou  ?  Vous  verrez  que  j'aurai  fait  venir  tout  le  faubourg 
Saint-Germain  de  Paris,  pour  le  remercier  et  le  mettre  à  la  porte?  Ré- 
fléchissez donc  à  ce  que  vous  dites. 

l'abbé. 
Je  croyais  qu'en  telle  occasion,  on  aurait  pu  sans  blesser  personne...    ' 

LA  BARONNE. 

Et  an  milieu  de  ça,  je  n'ai  pas  de  bougies  !  Voyez  donc  un  peu  si  Dupré 
est  là. 

l'abbé. 
Je  pense  qu'il  s'occupe  des  sirops. 

LA  BARONNE. 

Vous  avez  raison;  ces  maudits  sirops,  voilà  encore  de  quoi  mourir.  Il 
y  a  huit  jours  que  j'ai  écrit  moi-même,  et  ils  ne  sont  arfivès  qn*il  f  a 
une  heure.  Je  vous  demande  si  on  va  boire  ça. 

l'abbé. 
Cet  homme  en  blouse,  madame  la  baronne,  est  quelque  émissaire, 
n'en  doutez  pas.  Il  m'a  semblé  ^  autant  que  je  me  le  rappelle,  qu'une  de 
vos  femmes  causait  avec  lui.  Ce  jeune  homme  d'hier  est  mauvaise  télé , 
et  il  faut  songer  que  la  manière  assez  verte  dont  vous  vous  en  êtes  dé- 
livrée.... 

LA  BARONNE. 

Eah  !  des  Van  Buck  ?  des  marchands  de  toile  ?  qu'est-ce  que  vous  voulez 
donc  que  ça  fosse?  Quand  ils  crieraient ,  est-ce  qu'ils  ont  voix?  Il  faut 
que  je  démeublè  le  petit  salon  ;  jamais  je  n'aurai  de  quoi  asseoir 
jnonde. 

l'abbé. 

Est-ce  dans  sa  chambre  i  madame ,  que  votre  fille  est  enfermée  ? 


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IL  NE  FAUT  JURER  BE  RIEN.  69 

LÀ  BilRONNB. 

I>ix  et  dix  font  vingt  ;  les  Raimbaut  sont  quatre;  vingt,  trente.  Qu'est- 
ce  «lue  TOUS  dites  y  Tabbé  ? 

l'abbé. 

Je  demande  y  madame  la  baronne,  si  c'est  dans  sa  belle  chambre  jaune 
que  mademoiselle  Cécile  est  enfermée  ? 

LA  BARONNE. 

Non  ;  c'est  là ,  dans  la  bibliothèque;  c'est  encore  mieux  ;  je  l'ai  sous  la 
main.  Je  ne  sais  ce  qu'elle  fait ,  ni  si  on  l'habille  •  et  voilà  la  migraine  qui 
me  prend* 

l'abbé. 
Désirez- vous  que  je  l'entretienne? 

,  LA  baronne. 
Je  vous  dis  que  le  verrou  est  mis;  ce  qui  est  fait  est  fait;  nous  n'y  poo» 
Tons  nen. 

l'abbé. 
Je  pense  que  c'était  sa  femme  de  chambre  qui  causaitavecce  lourdaud. 
Veuillez  me  croire  »  je  vous  en  supplie;  il  s'agit  là  de  quelque  anguille 
sons  roche ,  qu'il  importe  de  ne  pas  négliger. 

LA  BARONNE. 

Hécldémenty  il  faut  que  j'aille  à  l'office;  c'est  la  dernière  fois  que  je 
reçois  Ici.  (Elle  sort.) 

l'abbé,  seul. 
n  me  semble  que  j'entends  du  bruit  dans  la  pièce  attenante  à  ce  salon . 
Ne  8erait*ce  point  la  jeune  fille  ?  Hélas  !  ceci  est  inconsidéré  ! 

CÉCILE  y  en  dehors. 
Monsieur  l'abbé ,  voulez-vous  m'ouvrir  ? 

l'abbé. 
Mademoiselle  y  je  ne  le  puis  pas  sans  autorisation  préalable* 

CÉCILE  9  de  même. 

'^        La  clé  est  là,  sons  le  coussin  delà  causeuse  ;  vous  n'avez  qu'à  la  prendre^ 
tl  vous  m'ouvrirez. 

L*ABBÉ  ;  prenant  la  dé. 
Vous  avez  raison ,  mademoiselle,  la  clé  s*y  trouve  effectivement  ;  mais 
je  ne  puis  m'en  servir  d'aucune  façon ,  bien  contrairement  à  mon  vou- 
loir. 

CÉClLEy  de  même. 
Âh  !  mon  Dieu  !  je  me  trouve  mal  ! 
t  l'abbé.  ""    . 

Orand  Dieu!  rappelez  vos  esprits,  le  vais  quérir  madame  la  baronne. 

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79  REVUE  MSS  DEUX  MONDES. 

Est- il  possible  qu'un  accident  funeste  vous  ait  frappées!  subitement?  Aq 
nom  du  ciel  !  mademoiselle,  réponiiez-moi,  que  ressentez- vous? 
CÉCILE  de  même. 
Je  me  trouve  mal  I  je  me  trouve  mal  ! 

l'abbé. 
Je  ne  puis  laisser  expirer  ainsi  une  sr charmante  perBMiie.,.Bi«  f<ii!  j^ 
prends  sur  moi  d'ouvrir  ;  on  en  dira  cequ'oB  voudra.  (II  ouvre  la  porte.) 

CÉCILE. 

Ma  fol,  r^bbé,  je  prends  sur  moi  de  m'en  aller ;'on  en  dira  ce  q»*» 
youdra.  (Elle  «»t  en  coortnt.  ) 

SCÈNE  m. 

Un  peut  bois» 
Entrent  VAN  BUCK  et  VALENTIN. 

VALBNTIN. 

Larlane  se  lève  et  l'orage  passe.  Voyez  ces  perles  sur  les  fouilles  ;  comme 
ce  vent  tiède  les  fait  rouler  I  A  peine  si  le  sable  garde  l'empreinte  de  no» 
pas;  le  gravier  sec  a  déjà  bu  la  pluie. 

VAN  BUCK. 

Pour  une  auberge  de  hasard  »  nous  n'avons  pas  trop  mal  dîné.  J'avais^ 
besoin  de  ce  fagot  jQambant;  mes  vieilles  jambes  sont  ragaillardies.  £b 
bien  !  garçon ,  arrivons-nous  î 

VALEMIN. 

Voici  le  terme  de  notre  promenade  ;  mais  si  vous  m'en  croyez ,  à  pré- 
sent, vous  pousserez  jusqu'à  cette  ferme  dont  les  fenêtres  brillent  là-bas. 
Vous  vous  mettrez  au  coin  du  feu,  et  vous  nous  commanderez  nn  grand 
bol  de  vin  chaud ,  avec  du  sucre  et  delà  cannelle. 

VAN  BUCK. 

Ne  te  feras-tu  pas  trop  attendre?  Combien  de  temps  vas-tu  rester  icii^ 
SoBgedu  moinaà tMitBs  les  psomcsses»  etàôtre  peètMi  mênie  temps 
que  les  chevaux. 

VALENTIN. 

Je  vous  jure  de  n'entreprendre  ni  plus  <  ni  moins  que  ce  dont  nous  mbh 
mes  convenus.  Voyez,  mon  oncle,  comme  je  vous  cède,  et  comonQ,  .en 
tout,  je  fais  vos  volontés.  Au  fait ,  dîner  porte  conseil,  et  je  sens  bien  que^ 
la  colère  est  quelquefois  mauvais  ami.  Capitulation  de  part  et  d'autre. 
Vous  me  permettez  un  quart-d'heure  d'amourette,  et  je  renonce^  toute- 
espèce  de  vengeance.  La  petite  retournera  chez  elle,  nous  à  Paris,  et  tout 
Bera  dit.  Quant  à  la  détestée  baronne»  je  lui  pardonne  en  l'oubliant. 


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IL  wmwkm>  99Km^  »  mbk.  VI 


.\ 


¥iMf 

Cest  à  merTeille  !  Et  n'aie  pas  de.craiate^qu&  tu  manques  de  femme 
Pour  cela.  Il  n*e$t  pas  dit  qu'une  vi«i&i&>lûiUef£Bffa(ilort  à  d*honnétes  gens , 
c^ui  ont  amassé  un  bien  considérable^  el' qui  iie«90iit  point  mal  tournés. 
'Vrai  l}ieu  !  il  fait  beau  clair  de  lune;  cela  me  rappelle  mon  jeune  temps.  - 

VALBNTIH, 

Ce  billet  doux  que  je  viens  de  recevoir,  n'est  pas  si  niais,  savez-vous? 
œtte  petite  fille  a  de  l'esprit,  et 'même  t|aelque  chose  de  mieux;  oui,  il  y 
^  ^a  cosor'dans  ces  trois  lignes  ;  je  ne  sais  quoi  de  tendre  etide  hardi ,  de 
^mr^oai  et  de  brareen  même  temps  ;  le  rendez- vous  qu'elle  m'assigne 
^esty  dtt  reste,  comme  son  billet.  Regardezcebosquet,  ce  ciel,  ce  coin  de 
verdure  dans  un  lieu  si  sauvage.  Ah!  que  le  cœur  est  un  grand-mattre! 
On  n'invente  rien  de  ce  qu'il  trouve,  et -c'est  lui  seul  qui  choisit  tout. 

VAN  BOCK. 

Je  me  souviens  qu'étant  à  La  Ha  je ,  j*eus  une  équipée  de  ce  genre* 
C'était,  ma  foi,  un  beau  brin  de  fille;  elle  avait  cinq  pieds  et  quelques 
pouces,  et  une  vraie  moisson  d'tafipaSkQiieUes^  Vénus  que  ces  Flamandes! 
On  ne  sait  ce  que  c'est  qu'une  fontflietàtiMréseatçiâans  toutes  vos  beautés 
pa.risiennes,  il  y  a  moitié  chair  et'meitté'CotOB. 

VALENTUi. 

Il  me  semble  que  j'aperçois  desiaenr»  q^i'Cffreot  là-bas  dans  la  forêt. 
4^  ci*est-ce  que  cela  voudrait  dire  ?  Nous  traifiierait«on-à  l'heure  qu'il  est? 

^est  MM  deute  le  bal  >qu*Mi  prépare  ;  il  y  a  fétecesoir  au  ohàteaai 

VALENTIN. 

Séparons-nous  pour  plus  de  sûreté;  dans  une  demi- heure,  à  la 
fex-me. 

TAN  BDGK. 

C6iiidii;.bmmeehaQee,  garçon;  tu  .me  coTiteras^onH^Mre^  etiioii»ea 
f&<~^ns  quelque  chanson;  c'était  notre  ancienne  manière;  pas  de  fredàkie 
qca  i  ne  fit  un  couplet .  (Il  chante.) 

Ehf  vraiment,  oui,  mademoiselle, 
Eh  I  vraiment  oui,  nous  serons  trois. 

(^^Icatin  sort.  On  voit  des  hommes  quitrartenttles  torches,  rèder  à  travers  la  fbHSt.  En« 
trent  laimromieet  i\kM)é.) 

LA  BARONNE. 

CTcst  clair  comme  le  jour;  elle  esr folié.  C'est  un  vertige  qui  lui  a 

l'abbé. 
£Ue  me  crie  :  «  Je^me^trouve  mal;»  vous  conoeverma  position. 


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72  aBTUE  ras  racx  iioiii>£fr* 

VAN  BUCKy  chantant. 

Il  est  donc  bien  Tnd, 
Cliannante  Colcflte» 
11  est  donc  bien  vrai 
Que  pour  voire  fête»  , 
Colin  Toni  a  fUt... 
Présent  d*nn  bouqnet. 

LA  BARONNE» 

Et  justement  9  dans  ce  moment-là ,  je  vois  arriveir  une  voilure.  Je  n'a 
eu  que  le  temps  d'appeler  Dupré.  Dupré  n'y  était  pas.  On  entre,  œ 
descend.  C'étaient  la  marquise  de  Yalangoujard  et  le  baron  deVille- 
bouzia. 

l'abbé. 

Quand  j'ai  entendu  ce  premier  cri,  j'ai  hésité;  mais  que  voulez-vou^ 
faire?  Je  la  voyais  là,  sans  connaissance,  étendue  à  terre;  elle  criait  à  tn& 
tête,  et  j'avais  la  clé  dans  ma  main. 

VAN  BOCK,  dianlant. 
Qnand  il  tous  l*o!Mt, 
Charmanie  branette. 
Quand  il  vous  l*offrit, 
PeUle  Colette^ 
On  4lt  qm*il  yons  prit... 
JDn  frisson  snbit. 

LA  BABONNB. 

Conçoit-on  ça?  je  vous  le  demande.  Ma  fille  qui  se  sauve  à  trav^ 
champ,  et  trente  voitures  qui,  entrent  ensemble.  Je  ne  survivrai  jamais 
un  pareil  moment. 

l'abbb. 

^ncore  si  j*âvais  eu  le  temps,  je  l'aurais  peut-être  retenue  par  ^ 
schaU,...  ou  du  moins..,,  enfin,  par  mes  prières,  par  mes  justes  obs^ 
vaticms. 

VAN  BCCK. 

Dites  i  présent. 
Charmante  bergère, 
Dites  à  présent 
Qne  yoQs  n*aimez  gnère , 
Qn'nn  amant  constant..* 
Yons  Issee  «n  présent. 

LA  BARONNE. 

Cest  VOUS,  Van  Buck?  Ah!  mon  cher  ami^nous  sommes  perdiL' 
qu'estrce  que  ça  veut  dire  ?  Ma  fille  est  folle,  ^e  court  les  champs  !  Avetf 
vous  idée  d'une  chose  pareille?  J^ai  quarante  personnes  chez  moi;  o^ 


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IL  IfB  FAUT  HJRBR  DE  RIEN.  7S 

^voilà  à  pied  par  le  temps  qu'il  fait.  Vous  ne  Tavez  pas  Tae  dans  le  bois? 
^ile  s'est  san^ée,  c'est  comme  en  rôve;  elle  était  coiffée  et  poudrée  d'un 
oôté,  c'est  sa  fille  de  chambre  qui  me  l'a  dit.  Elle  est  partie  en  souliers 
<ie  satin  blanc;  ellora  reùvereé l'abbé  qui  était  là,  et  lui  a  passé  surle 
oorps.  J'en  rais  mourir  !  Mes  gens  ne  trouvent  rien  ;  et  il  n'y  a  pas  à  dire, 
il  faut  que  je  rentre.  Ce  n'est  pas  votre  neveu ,  par  hasard  »  qui  nous 
jouerait  un  tour  pareil?  Je  vous  ai  brusqué ,  n'en  parlons  plus. Tenez , 
«LÎdez-moi  et  faisons  la  paix.  Vous  êtes  mon  vieil  ami,  pas  vrai?  Je  suis 
mère,  Yan  Buck.  Ah  !  cruelle  fortune!  cruel  hasard I  que  t'ai-je  donc 
fait?  (Elle  se  met  à  pleurer.) 

TAM  BUGE. 

Est-il  possible ,  madame  la  baronne  !  vous ,  seule  à  pieds  !  Vous ,  cher- 
chant votre  fille!  Grand  Dieu!  vous  pleurez!  Ah!  malheureux  que  je 
sois  ! 

L'ABBé. 

Sauriez-vous  quelque  chose,  monsieur?  De  grâce,  prêtez-nous  vos 
lumières. 

VAW  BUCK. 

Venez ,  baronne  ;  prenez  mon  bras,  et  Dieu  veuille  que  nous  les  trou- 
vions! Je  vous  dirai  tout;  soyez  saus  craintç.  Mon  neveu  est  homme 
d'honneur,  et  tout  peut  encore  se  réparer. 

LA  BAROHNE. 

Ah?  bah  !  C'était  un  reodéz-vous  ?  Yoyez-vous  la  petite  masque  !  A  qui 
se  fier  désormais?  '  (Us  sorteat.) 

SCÈNE  IV. 

Une  clairière  dans  le  bois. 
Entrent  CÉCILE  ET  VALENTIN. 

YALENTIN. 

Qui  est  là  ?  Cécile ,  est-ce  vous  ? 

CÉCILE. 

C'est  moi.  Que  veulent  dire  ces  torches  et  ces  clartés  dans  la  forêt? 

VALENTIN. 

Je  ne  sais;  qu'importe?  Ce  n'est  pas  pour  nous. 

CâCILB. 

Venez  là,  où  la  lune  éclaire;  la,  où.vous  voyez  ce  rocher. 

VALENTIN. 

Non ,  venez  là  où  il  fait  sombre  ;  là,  sous  l'ombre  de  ces  bouleaux.  Il  est 
pbssible^qu'on  vous  cherêhe ,  et  il  faut  échapper  aux  yeux . 


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Tk*  .MVVB  .Nift-4MRrXr 


iC6iiiivvê«drae^cluL9n«iteflllfi;«ù4o  i«at^ Je'te^vttffrai.IVe'infOtrpaB 
cetttpnwii»  t«BMiiiitgr*«t«»«*^^WI^"^^  i  wwi  en 

*  n'ai  pts'pu  ir«iir'pkr«'Tile;Y^a-t*Hièûp-tctnpi  qne  tous  nfat- 
MMiéz? 

VlLUBItriN. 

Depais  <|ii^laJ«nB  -esidâns  le  ciel;  regarde  cette  lettre  trempée  d*< 
larmes;  c'est  le  billet  que  tu  m-'as^éarit. 

CECILE. 

Moteur  !  GTeselé  vent  et  laptuietiuî  ont  pleuré  sur  cepapfer. 

TÀLBlfTIN. 

Non  y  ma  Gécile>  c'est  la  joie  et  l'amour^  c'est  le  bonheur  et  le  désir. 
Qui  finquiète?  Pourquoi  ces  regards?  que  cherches-tu  autour  de  toi? 

GéCILB. 

C'^t  4nogiiMec;, jft  ae  me.  rwQimais.>faa;  M^^al  «oli^  «^^ 
le  voir  ici. 

YALENTIN. 

Mon  oncle  est  gris  de  chambertin  ;  ta  mère  est  loin  et  tout  est  tranquille. 
Ce  lieu  est  celui  que  tu  as  choisi,  et  xjae  ta  lettre  m'indiquait. 

CÉCILE. 

,    Votre  oncle  est  gris?  Pourquoi,  ce  matin,  se  cachait-il  dans  la  char- 
mille? 

▼JLBVfUI. 

Ce  matin?  où  donc?  que  ^oox'-tit  dire?.  Je  me  promenais  seul  dans  le 

jardin. 

cteu. 

Ce  matin,  quand  je  vous  ai  parlé,  votre  oncle  était  derrière  un  arbre. 

Est-ce  que  vous  ne  le  saviez  pas?  Je  Tai  vu  en  détournant  l'allée. 

YALENTIN. 

n  faut  que  tu  te  sois  trompée;  je  ne  me  suis  aperçu  de  rien. 

CÉCILE. 

Oh  !  je  l'ai  bien  vu;  il  écartait  les  branches ;.€'était  peut-être  pour  nous 
épier. 

YAmiTRf. 

Quelle  folie!  tù  as  fèitiun<T«V«t  N'to^ parions  phis.  Dosne-^moi  on 
baiser. 

OBCUiBi. 

Oui  y  mon  ami,  el  ée  tout  hwa  oqm«;  asseymHveiialà  p«è8'<leraMk 


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IL   ITE  FAirr  JURER  DE  RIEN.  *?S 

Pourquoi  doDc,  dans  votre  lettre  d'hier^  ayez-yoas  dit  du  mal  dé  ma 
«ère? 

VALENTIN. 

X^rdonne-mor;  Vest  un  moment  de  délire^  et  je  n'étab  pas  maître  dé 

tSÉ€UiE. 

lElIe  m'a  demandé  cette  lettre,  et  je  n'osais  la  lui  mootrar.  Jesro^stfîe 
^Xai  allait  arriver;  mais  qui  est-ce  donc  qui  Favait  avertie?  Elle  n'a  pour- 
^^çt  rien  pu  deviner;  la  lettré  était  là,  dans  ma  poche. 

VAUBNTIN. 

Pafivre  enfant!  On  fa  maltraitée;  c'est  ta  femme  de  charabfeAqui 
^^^nratrahie.  Aquisefier  enjpareilcas?  j 

ctoLK. 
Oh  !  non  ;  ma  femme  de  chambre  est  sûre;  il  n^  avait  que  fiàiredè  lui 
^«nner  de  l'argent.  Mais  en  manquant  de  respect  pour  ma  mère,  vous 
"^«viez  penser  que  vous  en  manquiez  pour  moi. 

VALEriTlN. 

N'en  parlons  plus,  p  uisque  tu  me  pardonnes.  Ne  gâtons  pas  un  si  pré- 
^^îeux  moment.  Oh!  ma  Cécile,  que  tu  es  belle,  et  quel  bonheur  repose 
^n  toi  !  Par  quels  sermens,  par  quels  trésors  puis-je  payer  tes  douces  ca- 
x^esses?  Ah!  la  vie  n'y  suffirait  pas/ Viens  sur  mon  cœur;  que  le  tien  le 
:^ente  battre,  et  que  ce  beau  ciel  les  emporte  à  Dieu  !  ^ 

céaLE. 

Oui,  Yalentin,  mon  cœur  est  sincère.  Sentez  m«5 cheveux,  comme  ils 
-sont  doux;  j'ai  de  l'iris  de  ce  côté-là,  mais  je  n'ai  pas  pris  le  temps  d'en 
snettre  de  l'autre.  Pourquoi  donc,  pour  venir  chez  nous,  avez^vous  caché 
'^otrenom? 

VALEMTIN. 

Je  ne  puis  le  dire;  c'est  un  caprice  ,  une  gageure  que  j?a vais  faite. 

CÉCILE. 

Une  gageure  !  Avec  qui  donc? 

VALENTIN. 

Je  n'en  sais  plus  rien.  Qu'importent  ces  folies? 

CÉaLE. 

Avec  votre  onde ,  peut-être  :  n'es^-ce  pas? 

VALENTIN. 

1Ç»0ui.  Je  t'aimais,  et  je  voulais  te  connaître,  et  que  personne  ne  fût 
^^ntre  nous. 

CÉCILE. 

Vous  avez  raison.  A  votre  place,  j'aurais  voulu  faire  comme  vous. 

VALENTIN. 

pourquoi  es-tu  si  curieuse,  et  à  quoi  bon  toutes  ces  questions?  Ne 


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76  -  EBYUB  DBS  DEUX  MORDES. 

m'aimes-tu  pas,  ma  belle  Cédie?  Réponds-moi  oui,  et  que  toat  soit 
oublié. 

CÉCILE. 

Oui  9  cher,  oui ,  Cécile  vous  aime^  et  elle  voudrait  être  plus  digue  d'être 
aimée;  mais  c'est  assez  qu'elle  le  soit  pour  vous.  Mettez  vos  deux  mains 
daos  les  mieuues.  Pourquoi  donc  m'avez-vous  refusé  tantôt  quand  je  vous 
ai  prié  à  dîner? 

TALBNTIir. 

Je  voulais  partir  :  j'avais  affaire  ce  soir. 

.    CÉaLB. 

Pas  grande  affaire ,  ni  bien  loin ,  il  me  semble;  car  vous  êtes  descendu 
au  bout  de  l'avenue. 

YALBNTIN. 

Tu  m'as  vu  !  Gomment  le  sais-tu  ? 

CÉCILE. 

Ob  I  je  guettais.  Pourquoi  m'avez-vous  dit  que  vous  ne  dansiez  pas  la 
mazourke?  je  vous  l'ai  vu  danser  l'autre  hiver. 

VALENTIN. 

Où  donc  ?  Je  ne  m'en  souviens  pas. 

CÉCILE. 

Chez  madame  de  Gesvres,  au  bal  déguisé.  Comment  ne  vousen  soa- 
venez-vous  pas?  Vous  me  disiez  dans  votre  lettre  d'hier  que  vous  m'a^ 
viez  vue  cet  hiver;  c'était  là. 

VALENTIN. 

Tu  as  raison;  je  m'en  souviens.  Regarde  comme  cette  nuit  est  pure  ! 
Comme  ce  vent  soulève  sur  tes  épaules  cette  gaze  avare  qui  les  entoure  ! 
Prête  l'oreille  ;  c'est  la  voix  de  la  nuit;  c'est  le  chant  de  Toiseau  qui  invite 
an  bonheur.  Derrière  cette  roche  élevée ,  nul  regard  ne  peut  nous  dé- 
couvrir. Tout  dort,  excepté  ce  qui  s'aime.  Laisse  ma  main  écarter  ce 
voile,  et  mes  deux  bras  le  remplacer. 

CÉCILE. 

Oui  y  mon  ami.  Puissé-je  vous  sembler  belle  !  Mais  ne  m'ôtez  pas  votre 
main;  je  sens  que  mon  cœur  est  dans  la  mienne ,  et  qu'il  va  au  vôtre  par 
là.  Pourquoi  donc  vouliez- vous  partir,  et  faire  semblant  d'aller  à  Paris? 

VALENTIN. 

Il  le  fallait;  c'était  pour  mon  oncle.  Osais-je,  d'ailleurs,  prévoir  que 
tu  viendrais  à  ce  rendez-vous?  Oh  !  que  je  tremblais  en  écrivant  cetto 
lettre,  et  que  j*ai  souffert  en  t'attendant! 

CÉaLE. 

Pourquoi  ne  serais-je  pas  venue,  puisque  je  sais  que  vous  m'épouserez? 


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IL  RB  PAOT  ICim  DB  UBM.  17   . 

(^MmiftMlèra  «t  fût  qiMlquM  pèi.)  Qu'avez- VOUS  donc?  qui  vous  cha- 
gmt?  V«M«  Y<»arti»M)lr  près  de  moi. 

TALBNTUf. 

Ce  n*esl  rien;  j*aî  cm,  ««  j*ai  cru  entendre,  —  j*ai  cru  voir  quelqu'un 
de  ce  côté. 

CÉCILB. 

Nous  sommes  seuls;  soyez  sans  crainte.  Venez  donc.  Faut-il  melerer? 
Ai-je  dit  quelque  chose  qui  vous  ait  blessé?  Votre  visage  n'est  plus  le 
même.  Est-ce  parce  que  j'ai  gardé  mon  schati ,  quoique  vous  vouliez  que 
je  rotasse  ?  C'est  qu'il  fait  froid  ;  je  suis  en  toilette  de  bal.  Regardez  donc 
mes  souliers  de  satin.  Qu'est-ce  que  cette  pauvre  Henriette  va  penser? 
Mais  qu'avez-vous?  Vous  ne  répondez  pas;  vous  êtes  triste.  Qu'ai-je 
donc  pu  vous  dire?  C'est  par  ma  faute,  je  le  vois. 

YlLBNTIir.  ^ 

Non,  je  vous  le  jure,  vous  vous  trompez;  c'est  une  pensée  involon- 
taire qui  vient  de  me  traverser  l'esprit. 

céciLB. 
Vous  me  disiez  a  tu , j»  tout  à  l'heure,  et  même,  je  crois,  un  peu  légè- 
rement. Quelle  est  donc  cette  mauvaise  pensée  qui  vous  a  frappé  tout  à 
coup?  Vous  ai-je  déplu?  Je  serais  bien  à  plaindre.  Il  me  semble  pour- 
tant que  je  n'ai  rien  dit  de  mal.  Mais  si  vous  aimez  mieux  marcher,  je  ne 
veux  pas  rester  assise.  (  Elle  le  lève.  )  Donnez-moi  le  bras,  et  promenons- 
nous.  Savez-vous  une  chose?  Ce  matin,  je  vous  avais  fait  monter  dans 
votre  chambre,  un  bon  bouillon  qu'Henriette  avait  fait.  Quand  je  vous  ai 
rencontré,  je  vous  l'ai  dit  ;  j'ai  cru  que  voiis  ne  vouliez  pas  le  prendre,  et 
qne  cela  TOUS  déplaisait.  J'ai  repassé  trois  fois  dans  l'allée;  m'avez- vous 
vue?  Alors  vous  êtes  monté.  Je  suis  allée  me  mettre  devant  le  parterre,  et 
je  vous  ai  vu  par  votre  croisée;  vous  teniez  la  tasse  à  deux  mains,  et 
vous  avez  bu  tout  d*un  trait.  Est-ce  vrai  ?  l'avez- vous  trouvé  bon  ? 

VALBNTIN. 

Oui ,  chère  enfant  !  le  meilleur  du  monde ,  bon  comme  ton  cœur  et 
comme  toi. 

céciLB. 

Ah!  quand  nous  serons  mari  et, femme,  je  vous  soignerai  mieux 
que  cela.  Mais  dites-moi,  qu'est-ce  que  cela  veut  dire  de  s'aller  jeter  dans 
un  fossé  ?  risquer  de  se  tuer,  et  pourquoi  faire  ?  Vous  saviez  bien  être 
re^u  chez  nous.  Que  vous  ayez  voulu  arriver  tout  seul,  je  le  comprends; 
mais  à  quoi  bon  le  reste  ?  Est-ce  t|ue  vous  aimez  les  romans  ? 

VALBftTIN. 

Quelquefois;  allons  donc  nous  rasseoir.  (lU  se  rasseoient.) 


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78  WBWVE  BSS  DBQX  JlOmSSi 

Je  TOUS  avoue  qa*ils  De  me  plaiseDt  guère;  ceux  que  j*ai  las  ne  si- 
gDifieat  rieD.  U  me  semble  que  ce  ne  sont  que  des  mensonges,  et  que 
tout  s'y  invente  à  plaisir.  On  n'y  parle  que  de  séductions,  de  ruses,  d'in- 
trigues, de  mille  choses  impossibles.  Il  n'y  a  que  les  sites  qui  m  en  plai- 
sent; j'en  aime  les  paysages  et  non  les  tableaux.  Tenez,  par  exemple,  ce 
soir»  -quand  j'ai  reçu  votre  lettre  et  que  j'ai  vu  qu'il  s'agissait  d'un  ren- 
dez-vous dans  le  bois ,  c'est  vrai  que  j'ai  cédé  à  une  envie  d'y  venir,  qui 
tient  bien  un  peu  du  roman.  Mais  c'est  que  j'y  ai  trouvé  aussi  un  peu  de 
réel  à  mon  avantage.  Si  ma  mère  le  sait,  et  elle  le  saura,  vous  comprenez 
qu'il  faut  qu'on  nous  marie.  Que  votre  oncle  soit  brouilé  ou  non  avec 
elle  y  il  faudra  bien  se  raccommoder.  J'étais  honteuse  d'être  enfermée; 
et,  au  fait,  pourquoi  l'ai-je  été?  L'abbé  est  venu,  j'ai  fait  la  morte;  il 
m'a  ouvert,  et  je  me  suis  sauvée;  voilà  ma  ruse;  je  vous  la  donne  pour 
ce  qu'elle  vaut.  •  ^ 

VALENTiPr,  à  part. 

Suis- je  un  renard  pris  à  son  piège ,  ou  un-  fou  qui  revient  à  la 

raison? 

cécLB. 

£h  bien!  vous  ne  me  répondez  pas.  Est-ce  que  cette  tristesse  va 

durer  toujours  P 

VALENTIN. 

Vous  me  paraissez  savante  ponr  votre  âge,  et  en  même  temps,.au8si 
étourdie  que  moi ,  qui  le  soiscoRraie  le  premier  coup  de  matines. 

céciLB. 
Pour  étourdie,  j'en  dois  convenir  ici  ;  mais ,  mon  ami ,  c'est  que  je  vous 
aime.  Vous  le  dirai^je?  je  savais  que  vous  m'aimiez,  et  ce  n'est  pas  d'hier 
que  je  m'en  doutais.  Je  ne  vous  ai  vu  que  trois  fois  à  ce  bal,  mais  j'ai  du 
cœur,  et  je  m'en  souviens.  Vous  avez  valsé  avec  mademoiselle  de  Gesvres, 
et  en  passant  contre  la  porte ,  son  épingle  à  TitalieUne  a  rencontré  le  pan- 
neau, et  ses  cheveux  se  sont  dèrooiés  sur  elle.  Vous  en  sou  venez- vous 
maintenant  ?  Ingrat  !  Le  premier  mot  de  votre  lettre  disait  que  vous  vous 
en  souveniez.  Aussi  comme  le  cœur  m'a  battu  !  Tenez  ;  croyez-moi ,  c'est 
là  ce  qui  prouve  qu'on  aime ,  et  t^'est  pour  cela  que  je  suis  ici. 

VALENTIN ,  à  pari. 

Ou  j'ai  sous  le  bras  le  plus  rusé  démon  que  l'enfer  ait  jamais  vomi,  ou 
la  voix  qui  me  parle  est  celle  d'un  ange,  et  elle  m'ouvre  le  chemin  des 
cieux. 

CÉCILE. 

Pour  savante^  c'est  une  autre  affaire  ;  mais  je  veux  répondre,  puisque 
vous  ne  dites  rien.  Voyons ,  savez-vous  ce  que  c'est  que  cela,? 


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^Lmnr. 
Qi9»?  cent  él«ilo'à«<kiDHe  (k^tx»%rhra? 

CÉCILE* 

NoD)  celle-là  qui  se  moDtre  à  peine ,  et  qui  brille  comme  une  larme. 
Tous  arez  lu  madame  de  Staël  ? 

CÉCILE. 

Oait  et  le  mot  de  larme  me  plait^  je  ne  sais  pourquoi,  comme  les  étoiles. 
Un  beau  ciel  pur  me  donne  envie  de  pleurer. 

VALEJiTlN. 

.  Et  i  moi  envie  de  t*atmer,  de  te.  le  dire^  et  de  vivre  popr  toi.  Cécile, 
ttis-tu  à. qui  tu  parles ,  et  quel  est  l'homme  qui  ose  t'embrasser? 

CÉCILE. 

Dites-moi  donc  le  nom  de  maa  étoile.  Vous  n*en  êtes  pas  quitte  à  si 
bon  marché, 

VÀLEimil. 

Eh'  bien  !  c'est  Ténus»  Fastre  de  Tamour;  la'plss  beHe  perle  de  l'Océaa 
desmHts. 

GÉCILB» 

Non  pas;  c*en  est  une  plus  chatte  ^«t^  bien  plus  digne  de  respect;  vou» 
apprendrez  à  Faimer  un  jour»  quand  vous  vivrez  dans  les  n>étalries,  et 
que  vous  aurez  des  pauvres  à  vous;  admirez-la ,  et  gardez- vous  de  sou- 
rire ;  c'est  Gérés ,  déesse  du  pain. 

VALENTIN. 

Tendre  enfant  !  je  devine  ton  cœur  ;  tu  fais  la  charité ,  n'est-ce  pas  ? 

CÉCILE. 

C*eslma  mère  qui  me  Ta  appris;  il  n'y  a  pas  de  meilleure  femme  an 
monde. 

TALENTIN. 

Vraimeût  ?  je  ne  l'aurais  pas  cru . 

CÉQLE. 

Ah  !  mon  ami ,  ni  vous ,  ni  bien  d'ïiutres,  vous  ne  vous  doutez  de  ce 
qu'elle  vaut.  Qui  a  vu  ma  mère  un'  quart  d'heure,  croit  la  juger  sur 
quelques  mots  au  hasard:  Elle  passe  le  jour  à  jouer  aux  cartes,  et4e  soir 
â  faire  du  tapis;  elle  ne  quitterait  pas  son  piquet  pour  un  prince;  mats 
qoe  Dupré  vienne,  et  qu'il  lui  parle  bas,  vous  la  verrez  se  lever  de  table, 
si  (fest  un  mendiant  qui  attend.  Que  de  fois  nous  sommes  allées  ensemble, 
en  robe  de  soie,  comme  je  suis  là,  courir  les  sentiers  de  la  vallée,  por- 
tant la  soupe  et  le  bouîllî,  des  souliers,  du  linge,  à  de|)auvres'geos ! 
Qoe  de  fois  j'ai  vu,  à  l'église,  las  y^ax  des  malheureux  s'humecter  de 
|ieuf»l»tBqoe'BMWiière  lar  regardait  l 'Altez ,  elie  a>4bt>U  cHétfe^âète  ,.et 
je  l'ai  été  d'elle  quelquefois*  > 


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80  BETUB  DBS  DEUX  MONDES. 

VALENTlIf. 

Tu  regardes  toujours  ta  larme  céleste ,  et  moi  aussi,  mais  dans  tes 
yeux  bleus. 

CECILE. 

Que  le  ciel  est  grand!  que  ce  monde  est  heureux!  que  la  nature  est 
calme  et  bienfaisante  ! 

VALENTIN. 

« 

Veux-tu  aussi  que  je  te  fasse  de  la  science  et  que  je  te  parle  astronomie? 
Dis-moi,  dans  cette  poussière  de  mondes,  y  en  a-t-il  un  qui  ne  sache  sa 
route,  qui  n'ait  reçu  sa  mission  avec  la  vie,  et  qui  ne  doive  mourir  en 
Faccomplissantî  Pourquoi  ce  ciel  immense  n'est-il  pas  immobile?  Dis- 
moi  *  s'il  y  a  jamais  eu  un  moment  où  tout  fut  créé ,  en  vertu  de  quelle 
force  ont-ils  commencé  à  se  mouvoir,  ces  mondes  qui  ne  s'arrêteront  ja- 
mais? 

CÉCILE. 

Par  l'étemelle  pensée, 

VALBNTIN. 

Par  l'éternel  amour.  La  main  qui  les  suspend  dans  l'espace  n'a  écrit 
qu'un  mot  en  lettres  de  feu.  Ils  vivent  parce  qu'ils  se  cherchent,  et  les 
soleils  tomberaient  en  poussière ,  si  l'un  d'entr'eux  cessait  d'aimer. 

CÉCILE. 

Ah!  toute  la  vie  est  là. 

VALENTIN. 

Oui ,  toute  la  vie  —  depuis  l'Oôéan  qui  se  soulève  sous  les  p&les  bai- 
sers de  Diane ,  jusqu'au  scarabée  qui  s'endort  jaloux  dans  sa  fleur  chérie. 
Demande  aux  forêts  et  aux  pierres  ce  qu'elles  diraient  si  elles  pouvaient 
parler?  Elles  ont  l'amour  dans  le  cœur  et  ne  peuvent  l'exprimer.  Je 
t'aime!  voilà  ce  que  je  sais,  ma  chère;  voilà  ce  que  cette  fleur  te  dira, 
elle  qui  choisit  dans  le  sein  de  la  terre  les  sucs  qui  doivent  la  nourrir  ;  elle 
qui  écarte  et  repousse  les  élémens  impurs  qui  pourraient  ternir  sa  fraî- 
cheur !  Elle  sait  qu'il  faut  qu'elle  soit  belle  au  jour,  et  qu'elle  meure  dans 
sa  robe  de  noce  devant  le  soleil  qui  Ta  créée.  J'en  sais  moins  qu'elle  en 
astronomie  ;  donne-moi  ta  main ,  tu  en  sais  plus  en  amour. 

CÉCILE. 

Tespère,  du  moins,  que  ma  robe  de  noce  ne  sera  pas  mortellement 
belle.  Il  me  semble  qu'on  rôde  autour  de  nous. 

VALENTIN. 

Non ,  tout  se  tait.  N'as-tu  pas  peur?  Es-tu  venue  ici  sans  trembler  ? 

CÉCILE. 

Pourquoi?  De  quoi  aurais-je  peur?  Est-ce  de  vous  ou  delà  nuit? 

TALENTIN. 

Pourquoi  pas  de  moi?  qui  te  rassure?  Je  suis  jeune,  tu  es  belle,  et 
nous  sommes  seuls. 


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IL  NE  TAUT  JURER  NC  HHEK.  81 

ctoLB. 

£h  bien!  qael  mal  y  a-t-il  à  cela? 

VALENTm. 

C'est  vrai,  il  n'y  a  aucun  mal;  écoute-moi ,  et  laisse-moi  me  mettre  à 
-genonz. 

CÉCILE. 

Qn*avez-Tous  donc?  vous  frissoDuez, 

talentIn. 

Je  frissonne  de  crainte  et  de  joie,  car  je  vais  t'oovrir  le  fond  de  mon , 
oœnr.  Je  suis  on  fou  de  la  plus  méchante  espèce,  quoique,  daAs  ce  que 
je  vais  favouer,  il  n'y  ait  qu'à  hausser  les  épaules.  Je  n'ai  fait  que  jouer, 
lH>ire  et  fumer  depuis  que  j'ai  mes  dents  de  sagesse.  Tu  m'as  dit  que  les 
romans  te  choquent;  j'en  ai  beaucoup  lu,  et  des  plus  mauvais.  Il  y  en  a 
on  qu'on  nomme  Clarisse  Harlowe;  je  te  le  donnerai  à  lire  quand  tu  seras 
ma  femme.  Lé  héros  aime  une  belle  fille  Comme  toi ,  ma  chère,  et  il  veut 
l'épouser;  mais  auparavant  il  veut  l'éprouver.  Il  l'enlève  et  l'emmène  à 
Londres,  après  quoi  comme  elle  résiste,  Bedfort  arrive....  c'est-à-dire, 
Tomlioson,  un  capitaine....  je  veux  direMorden...  non,  je  me  trompe... 
Enfin,  pour  abréger....  Lovelace  est  un  sot,  et  moi  aussi ,  d'avoir  voulu 

suivre  son  exemple Dieu  soit  louél  tu  ne  m'as  pas  compris je 

t'aime,  je  t'épouse,  il  n'y  a  de  vrai  au  monde  que  de  déraisonner  d'a- 
mour. 

(Entrent  Tan  Bvek,  la  baronne,  Tabbé,  et  pivsieara  domestiques  qnï  les  éclairent.  ) 

LA  BARONNE. 

Je  ne  croîs  pas  on  mot  de  ce  que  vous  dites.  U  est  trop  jeune  pour  une 
Doirceur  pareille. 

VAN  BUCK. 

Hélas!  madame,  c'est  la  vérité. 

LA  BARONNE. 

Séduire  ma  fill^!  tromper  un  enfant!  déshonorer  une  famille  entière  ! 
Chansons  !  Je  vous  dis  que  c'est  une  sornette;  on  ne  fait  plus  de  ces  choses- 
là.  Tenez,  les  voilà  qui  s'embrassent.  Bonsoir,  mon  gendre;  où  diable 

TOUS  £oarrez-vous  ? 

l'abbé. 

Il  est  fâcheux  que  nos  recherches  soient  couronnées  d'un  si  tardif  suc- 
cès; toute  la  compagoie  va  être  partie. 

VAN  BUCK. 

Ah  ça  !  mon  neveu ,  j'espère  bien  qu'avec  votre  sotte  gageure.... 

VALENTIN. 

Mon  oncle,  Une  faut  jurer  de  rien,  et  encore  moins  défier  personne. 

Alfbed  de  Musset. 
TOME  vn.  6 


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LES 

RÉPUBLIQUES 

MEXICA3TŒS.* 


PcfwisqiielqBeS'aitfièes/les'T^BWk^  enrproieà 

âes  dissensions  intérieures,  iieoeMeiiide  lutter  péniblement,  tan- 
lèf  omitre  raristocratie  enrahissante  dn  pay^,  tamèt  contre  les 
prétentions  du  parti  des  moines,  et  tantôt  contre  l ambition  des 
chefe  mflitaires,  sans  avoir  pu,  jusqii*à  présent,  arriver  à  on  état 
de  gouvernement  stable.  Ces  affranchis  d*un  jour,  ces  esdaves 
émancipés,  en  passant,  tout  à  coup  du.  jovgabrutissanl  des^Espi- 
gBols  à  une  eatière  indépendance,  o*onl  su  retirer  de  la  libené 
eonpiise  cpit  une  hideuse  anarchie;  ^ux  vices  contractés  par  Fha- 
bitude  d*un  long  esclavage  ils  ont  joint  ceux  qui  naissent  d*une 
licence  effrénée.  Aussi,  comme  ces  malades  affaiblis  par  une  lon- 
gue diète,  que  Tusage  immodéré  des  alimens  replonge  bientôt  dans 
un  état  pire  que  le  premier,  sont-ils  tombés  dans  une  démoralisa- 
tion si  générale  et  si  profonde,  qu^eile  parait  désormais  sans 

(I)  Ce  travail  est  le  résultat  conicieneieQx.des  observations  d^n  haanne  qmk,  pmt  sa 
position  au  Mexique,  et  ses  relations  avec  les  principales  autorités  do  pays,  s'est  trouvé  ' 
plus  que  personne  à  même  d'étudier  les  institutions ,  la  religion ,  les  mœurs  et  la  civiU-» 
sation  du  pevple  mexicain.  (if.  du  D.) 


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LSS  bApUBUQUES  JKXICAIirES.  ^  6B 

Ans  remède,  et  doit  mé»itablemeBt  les  oondiiire  à  JafMsrte^^delBnr 

Deax  partis  bien  tranchés^se  disputent  la  prépondéBanœ^daD»  le 
gouvernement,  le  parti  des  ariiloorates  et  oeiui  des  libéraux,  ou 
pour  parler  plus  juste,  le  parti  des  gens  en  plaœ,  qui  veulent. oon- 
jerverce  qu'ils  ont,  et  le  parti  des  gens  qui  n*ont  rien,  et  quiveu- 
lent  avoir;  car  ce  n*est  que  pour  les  emplois  rétribués  qu'on  secKvwe 
€t  qu'on  se  bat.  L^agriculiure,  TiftdJLisIrie,  les  arts  de  toute  espèce 
^Qt  entièrement  négligés,  une  foule  d*ambitieux  tournent  leurs 
prétentions  vers  les  ei&plois  lucratifs ,  et  veulent,  servir  la  patrie  en 
quelque  .sorte  «idgré  eUe.  Aussi  em-ee  im  eiiipres&ement,Aiii  pa- 
triotisme, qui  pourraient  enfanter  ii^es  luerveiles,  ai  ûnf)Ottvâit  les 
preodre  au  sérieux  I  c*est  un  assaut  d'intrigues  et  de  cabales  pami 
les  citoyens  qui  se  disputent  les  places!  Il  s'en  présente  des  milliens 
qoi  consentiraient  à  étce  présidens,  dès  milHets  qui  se  dévouent  auK 
grades  de  généraux,  de  colonels,  etc.  Il  en  est  de  même  pour  les 
emplois  civils.  Mais  oomme  la  patrie  n'a  pas  besoin  de  tant  de  gens 
de  bonne  volonté,  tous  ceux  dont  elle  ne  peut  accepter  les  servioes, 
n'oDt  d^autre  ressource  que  de  chercher  à' renverser  les  éfcis.  ffien- 
tôtles  mécontens  se  réunissent,,  et  mus  par  les  «mêmes  motifs,  ani- 
més des  mêmes  espérances,  ils  prennent  les  aitnes,  ou,,  pour  nous 
servir  de  l'expression  consacrée  danale  pays,  ils  se /n-ononcertt,  les 
luis  au  nom  de  la  sainte  tâit^fon  ^  les  autre»  pourrlacfé/iemetia  la 
iibeiU;  tous,  d* un  accord  unanime,  déclarent  leurs  adversaires 
druiacrntes  OU  sans^culoOes,  tratires,  infâmes  hngands^Aé»  mMùmt 
Siuban  de  la  nation^  et  soudain  entrent  en  campagne.  Ilieurde  plus 
ordinaire,  de  plus  sinaple  et  de  plus  facile  qu'une  révolution  ^mili- 
taire a^u  Mexique.  D  est  bien  rare  qu'il  se  passe  un  intervaHade 
cinq  à  sixmois  sansquton  voieappasaitreledpapaaudelaréifollie; 
et  comme  la  plupart  de  ces  révidutionsqu^on  pottitrait.appeler  pk- 
nodiques>  tournent  toujours  à  bien^  pour  ceux  qui  les  enteepren- 
Aent,  comme  les  chef»  savent  toujours  habilement  en  profiter  panr 
lear  propre  compte,  chacun  veut  en  essayer,  depuis  legénéraljus- 
qu'au  caporal.  Ceci  est  rigoureusement  vraie 

Or,  voici  comment  se  fait  une  révolution  militaire  :  un  sergent, 
par  exemple,  se  trouve  en  garnison  dans  un  village  avec  vingt 
hommes  ;  ce  nombre  est  plus  que  suffisant  pour  Texécution  de  ses 
lesseins;  un  beau  matin,  Jl  lui  prend  un^accès  de  patriotisme, il 

"  k6. 


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ik  '  RETOB  DES  DEUX  MONBBS. 

Yeut  servir  son  idolatradapairia^  en  qualité  de  colonel  ou  de  géné- 
ral. Le  dimanche»  après  la  messe  »  il  réunit  dans  un  cabaret  ses 
Tingt  soudards  :  là,  après  cpielques  libations,  il  prend  un  um 
solennel  y  se  pose  en  héros ,  et  leur  déclare  :  «  que  le  gouverne- 
ment a  violé  tel  ou  tel  aiticle  de  la  constitution;  que  la  liberté  est 
menacée,  ou  que  la  sainte  religion  est  attaquée;  qa*à  eux  est  ré- 
servé rhonneur  de  défendre  les  glorieuses  prérogatives  de  la  na- 
tion, et  qu*il  les  guidera  dans  cette  noble  entreprise.  »  Ceux-ci  ap- 
plaudissent r<  rateur  en  criant  :  viva!  que  vlva!  Le  verre  à  la  main, 
ils  lui  jurent  fldéKté,  et  le  proclament  colonel  ou  général.  On 
convoque  el  mug  ilwitre  ajuntamientOf  la  très  illustre  municipalité, 
qui  se  compose  ordinairement  de  trois  ou  quatre  rancherot  (f) 
ou  vaquerai^  qu*on  fait  entrer  sans  peine  dans  le  complot.  Oo  t 
presque  toujours  sous  la  main  quelque  licencié,  homme  de  plume, 
espèce  de  magister  qui  est  chargé  de  rédiger  en  style  intelligible, 
le  plan,  c*est-i«dire  renoncé  des  motifs  de  la  rébellion  et  son  but; 
puis,  séance  tenante,  on  adresse  au  peuple  une  proclamation  qu 
commence  à  peu  près  en  ces  termes  :  or  Peuples  de  l'univers  dn- 
Itsél  soyez  témoins  de  la  justice  de  notre  cause  I  Nos  plaintes  ont 
retenti  jusqu'à  vous;  les  droits  du  peuple  souverain  sont  foulés  aux 
pieds,  notre  sainte  liberté  attaquée;  vous  verrez  conmie  les  vail- 
lans  enfens  deMontézuma  savent  se  soustraire  à  Fesclavage,  etc..  • 
Le  peuple  souverain  qui  lit  ces  belles  choses,  s* écrie  :  Carajo!  es 
verdad!  Vamos,  c€ara)o!  c'est  la  vérité,  marchons!  Chacun  alors  ceint 
sa  manchette  (2)  et  monte  à  cheval.  S*il  se  trouve  dans  les  environs 
quelque  chef  de  voleurs,  il  ne  manque  pas  de  venir,  avec  sa  bande, 
offrir  ses  services,  qui  sont  toujours  acceptés;  on  en  feit  un  capî- 
taioe,  ce  qui  lui  donne  Tavantage  de  piller  impunément  au  nom 
de  la  patrie.  On  marche  sur  les  villages  voisins  qu'on  soulève, 
on  ouvre  les  prisons,  et  les  brigands  et  les  assassins  sont  associés 
aux  champions  de  la  mnte  cause.  La  renommée  annonce  le  pro* 
nauicionienio,  de  tous  côtés  arrivent  en  grand  nombre  les  mè- 
contons  et  les  gens  sans  emploi;  alors  les  prononcét^  au  nombre 
de  cinq  à  six  cents,  prennent  le  nom  d'armée  libérairice,  répara- 

(1)  Ranekerot,  campagnard!.  Vagueras,  vachers. 

(^  C^est  une  longue  épée  sur  laquelle  sont  gravés  ces  mots  pompeux  :  f(o  me  taquei 
sin  razon,'no  me  envaines  tin  honora  ne  me  tire  pas  sans  raison ,  ne  me  renfaine  pi& 
MOI  honneur. 


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LES  RiPUBLIQDJSS  MEXIOLUIES.  85 

triée,  on  de  là  foi.  Dès  que  le  succès  deTient  probable ,  les  gens 
do  parti  contraire  changent  de  bannière;  s*il  y  a  dans  le. camp 
ennemi  quelque  chef  qui  fasse  mine  de  vouloir  tenir  bon  pour 
Tordre  de  choses  existant  »  on  cherche  à  le  gagner  à  prix  d*argent, 
et  il  est  bien  rare  que  quelques  milliers  de  piastres  ne  triomphent 
pas  de  sa  résistance.  Cest  avec  de  tels  élémens  que  Yannie 
mardie  de  succès  en  succès;  on  triomphe,  et  notre  sergent ^ 
devenu  réellement  colonel  on  général ,  est  proclamé  sauveur  de  la 
liberté  y  héros  immortel,  citoyen  bene,meriio  de  la  pairia  en  grado 
keroieq.  Voilà,  dans  toute  Texactitude  des  £aits,  ce  que  c*est  qu'une 
révolution  au  Mexique;  voilà  par  quels  moyens  un  danseur  de 
corde  (I),  quelquefois  un  voleur  de. grand  chemin  (2)  sont  arrivés 
aux  premières;  dignités  de  la  république.  Chacun  peut  goAter  de 
h  présidence  ou  du  généralat,  et  d  autant  plus  facilement  que  ceux 
qui  doivent  à  quelque  mouvement  populaire  le  posté  éminent  qu*ils 
occupent,  sont  bientèt  renversés  par  un  nouveau  bouleversement 
qui  laisse  le  champ  libre  à  d'autres.  Et  comment  n*en  serait-il 
pas  ainsi,  quand  dix  mille  concurrens  se  disputent  la  même  place? 
Aussi  devient-elle  Tobjet  des  plus  honteuses  manœuvres.  Pour 
y  arriver,  tous  les  moyens  sont  mis  en  jeu,  la  séduction,  l'argent,  " 
la  prostitution,  les  intrigues  les  plus  dégoûtantes,  les  plus  infâmes 
traJiisons,  le  poignard  m^me;  ceux  qui  savent  le  mieux  en  tirer 
parti  passent  pour  muchachoé  vivos,  des  garçons  de  talent,  et  la 
nation  n*est  nullement  effrayée  de  voir  parmi  ses  excèleniisimos 
$ekore$  géneralex,  des  hommes  qui,  chez  nous,  traîneraient  le  boulet 
dans  un  bagne  ;  le  succès  justifie  U>ut. 

On  sent  que  la  conséquence  d'un  tel  état  de  choses  doit  être 
une  corruption  générale. dans  toutes  les  classes  de  la  société.  En 
effet,  c*est  un  débordement  de  vices  effroyables;  le  vol  et  Tassas- 
rinai  se  commettent  impunément,  npn-seulement  parmi  le  peuple, 
mais  dans  la  gente  decenie;  il  n*est  point  de  ville  où  l'on  ne  voie  se 
promener  dans  les  rues  et  marcher,  tète  levée,  des  misérables  dont 
la  conscience  est  chargée  de  huit  oi|  dix  assassinats.  Et  qu'on  ne 
croie  pas  qu'ils  en  soient  moins  estimés;  il  est  très  ordinaire  d'en- 

(1)  Le  général  M.-.»  Tan  des  généraux  les  plus  renommés  du  Mexique,  dansait  sur  la 
ooftie,  il  y  a  quelques  années,  à  la  Nouvelle-Orléans. 

(S)  Les  généraux  Toisa  et  An§on  sont  connus  de  tout  le  Mexique  pour  avoir  été  cheiii 
(krotcarv 


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V  1UW0B  VES  DBVX  MONDES. 

teodrediFâ  : dcm'Un. tel aiAssaesiné  dix perswaes .  hè  fBUfèe 
caia  ignore  ces  vertus  qui  fout  la  base  de  laiaod^  èumune^iilttlaih 
.des  de  lui  ni  bonne  foi  ^Jii confiance,  ni  délicatesse  dans  les  riappsrte 
-ordiuatfes  de  la  vie.  AUiài,  l'^us  laissée  vos  effetseu  dèp6t/Chez 
une  peiisoUHe  que  v^us  oroyes  sûre  ;  quand  vous  vous  présentei 
pour  réclamer  ce  qui  vous  appartient,  vos  effets  ont  été  vendus.  8b 
homoie  qui^e  prétend  et^que  vous  croyez  votre  ami  vous>empnuite 
pour  unAistant,  ditHl,  votre  montre  ou  quelque  autre  objet  de  prii, 
il  court  le  jouer,  et  qu  il  gagne  ou  qu'il  perde,  vous  n'en  avez  plis 
^e  nouvelles.  Ce  smit  là  des  espiègleries  qu  il  serait  ridicde  de 
trouver  mauvaises.  Étes^ous  négociant,  marchand,  industriel, 6t 
voulez-<votts  daBS'  une  foiré  étaler  vos  marchandises  en  public,  oe 
manquez  pas  de  faice  veiller  vôtre  boutique  par  deux  ou  trois  sol- 
dacs  que  vous  paierez  largement;  autrement,  en  un  clin  d'œS, 
vous  sere&dévalîsé,  car  là  il  n'y  a  ni  police  ni  sergens  de  vifle  pow 
protéger  les  perscmnes  et  les  propriétés.  Gardez-vous  d'avoff 
jamais  de  procë»  arec  personne  :  si  vous  n'êtes  assez  riche  pov 
acheter  les  juges,  vous^  aurez  tort.  Veyagez^vous pour  vosaffii- 
Tes  ou*  votre  plaisir,  ayez  la  précamion  de  vous  munir  d'un  sabre 
bien  affilé,  d'une  paîrc  de^piatelets,  d'un  fusil;  car  vous  allez  avoir 
bientôt affaive aux  hérttSvdé  gcaoïdchemin.  Surtout toiez-voiis es 
i;ardeconlre  le  domestique  qui  vous  accompagne;  dès^u'il  eotfOiK 
vera  Foocasion,  il  vouspiHeta,  et  fera  mieux  encore  s'il  le  peut  Vos 
armes  seules  feront  voice  sAreté. 

Dans' les  rues,  vios  yeux  sont  chaque  jour  frappés  du  hideui 
spectacle  de  cadavres  qu'on  emporte  tout  sanglans ,  car  là  on  se 
donne  un  coup  de  poignard,  comme  un  coup  de  poing  chez  une 
^nitce  nation,  puUiquèmefit ,  en  plein  jour.  Ou^<i  un  homm^ 
tombe'  assassidé'  daais  la  nue ,  la  foule  se  rassemble,  et  en  attea- 
dant  ^u'on  mlève  le  cadavre,  les  amateurs  réunis  en  cerde  décî- 
deat  si  les  coups  ont  été  bien  portés,  et  s'ils  méritent  Tapproba- 
lion  des  eotinaisséurs.  Si,  en  passant,  vous  demandez  la  cause  de 
ce  rassemblement  :  Nada  es,  sen&r,  es  una  muerficida;  ce  n^t 
rien,  seigneur,  c'est.un  petit  meurtre,  vous  répond-on  avec  beaa- 
coùp  de  sang-froid.  Ces  scènes  n'excitent  pas  la  moindre  émo- 
tion parmi  les  spectateurs.  Souvent  m^me  l'assassin  ne  prend  pas 
la  peine  de  se  cacher  ou  de  s'enfuir;  il  se  laisse  tranquillement 
arrêter,  car  il  sait  qu'il  en  sera  quitte  pour  (quelques  jours  de  pri- 


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LES.  UfePUBLIQUBS  MBXKUKMS.  8f  * 

m.  Il£uit(pi.*uir  homme  soit  bîtn  xmfaMfèi,.  qiriH  tk^ammamiàtm 
esâ8sa«naat9pour  que  la  Théflua  wmwaàodiM^àààsràiia^timffvtJ 
ià  60  débarrasser  la  société.  Le  saag  ansÎQiJB^  jdwiiis*4k»  .o«t 
tïptprédeux  pour  qu*oiLle  verse  légàrement  ISêccoBLqiiôprédiiBat 
\Mioa  delà  peine  de  mort  sont  ^aflés  dietciier  lenfs.^rgtnmwi 
inslaiégislatioaeriraiiielle  d«  Mexique >  il  faiiMwoMBrqBg tsm 
loii  o'estfpas  heMreus. 

P^tse*t-eii  qu'un  penple.q»t  s'eetaiaeifttMilfariséaytelîhahttad» 
.'Tas^nat,  puisse  avoir  uoe-gtandah^rrieiir  pour :les  autre»' 
ces  qai  infectent  laisodété?  OeiWm  s^éixMiiienqae  iàuatàoaiBék 
mbée  daas  la  dépravation  la  .pbtS'pmfamitf  Et.ooameaÉ  en 
Tait-îl aa^ement,  dans  un. pays  oàUn'ya;aigoiiy«raaD»ent^  ot- 
i&,iH'frttod*attCuneespàoe,  où'diiaeufto'4^d&  jasticeà^Mendte 
ledeseitfliAnie,  desùretéàefl|)éterqneiri— ffiT-adresse^tiafarce 
^  son  bras?  Il  n'en  faut  paa  douter^  hd^naà  vientLide  oeqaœ  te.pnys. 
lAi  SUIS  cesse  a#té  par  des  rivéhitiQn8.anasi  ftnesles  qu;elte8 
Dtridicaksjileet  mposstMe  que  te^  hommes  tmoinletttionBés^ 
U'en  traerre  dain.la:répiibliqney  pmsscne  opérer  les  Téformes 
hMaires», pro^poser  les  masures  que  cédana.  rîmérét  géttéval, 
que  les  iastîtations. aient t le  temps  dft-s'affMnBiiittt  deseceaso*- 
er.  Mais,  aDur.le  deoMUMloBs,  qnds  avastaips  peuvent  réaulr 
r*  peur  un  pays»  de  révolutios6f«itrepr»esfnr  vm.fÊÛtm&aàÊt9 
^factieux  daosla^eidevue  deisaiisfeûre  mmambittoapersonttelle 
on  honteux  égoïsflie?  Unenatîon  dast*  les  cbtfedoaneaf  Texeorple 
rifluieraliié,  et  ne-  »»croieirtilgyés:aiiBL  pi—iAres  charges^de 
titqpeponrenexirieîterles  pnfits^et sodispater  coonBoune 
rie  les  iianneni»«t  la  puissasce,  est  (U}A  sur  tependnntdesa 
M.  An  reste»  le  pei^  mexîcaio  Im^mém»  aai^eodre  A  aonpaye 
I»rà3eqa*il  mérite:  un  des  koranns  tea  pins  eéiàbres^et  tes  plus 
Iwis  dulfexîqa»,  gouvemenr  d!untdes|xnmpaax'états,  as*> 
rw  que  dans  toute  la  république  on.»  tronveraii  pas  vmgt 
naandeUeo  pourlagonvemerl 

Ksasavmsvu  ooomient.  se  faisait  m»  rémbàlitfi  mSitairanin 
^^àqm,  esijpnasons  raaiatenantia  pfajpsjomnw  des  pvindpans. 
toarsdeces  drames  sang^ans^Les  aoldafesso«t^aullesiqae,eei 
*itfaBt  les  MaflMbda  en  Egypte,  cm  lesi janissaires  à  Gensinsits^' 
(h,  dessérdone^  lesi  nidtreft;xar  teoation  atoigrand  ftBilepmr 
ttialnBnBade'^dnn;iei0ae.Teut|ipmivoeenperletriégede 


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88  RETDE  DES  DBUX  MONDES. 

sidénce,  qae  des  hommes  à  épaulettes  :  c*est  l'année  qui  commande 
et  qui  dispose  de  tout.  Parions  d*abord  des  officiers.  Quand  un  jeune 
homme  de  ceux  qu*on  appelle  decau ,  c*est-à-dire  de  bonne  EamiDe, 
fôt  trop  borné  ou  trop  paresseux  pour  étudier  et  se  faire  liceneiado 
(avocat),  comme  il  croirait  déroger  et  s*avilir  en  cherchant  dans  le 
commerce,  Tagriculture,  les  arts  ou  une  industrie  quelconque,  on 
moyen  de  se  faire  une  existence  honorable,  il  ne  lui  reste  que  Val- 
ternalive  de  se  faire  soldat  ou  moine;  il  feut  qu'il  opte  entre  Tuni- 
forme  et  le  froc;  s'il  se  décide  pour  le  premier,  sa  famille  remue  ciel 
et  terre  pour  lui  faire  obtenir  le  grade  de  sous  lieutenant,  et  il  n'a 
pas  de  .peine  à  se  faire  admettre,  car  pour  peu  qu'il  sache  lire  et 
écrire,  c'est  tout  ce  qu'on  exige  de  lui,  c'est  là  le  seul  examen  qol 
ait  à  subir.  Une  fois  le  jeune  officier  lancé  dans  les  premiers  grades, 
il  est  sûr  de  faire  son  chemin  ;  en  révolutionnant,  en  vendant  sa  noble 
épée  tantAt  à  un  parti,  tantôt  à  un  autre ,  il  parviendra  rapidement 
et  pourra  devenir  général,  président  même.  Cest  ainsi  que  pres- 
que tous  les  officiers  de  l'armée  mexicaine  sont  entrésdans  la  car- 
rière. Gomme  il  n'y  a  au  Mexique  aucune  espèce  d'écoles  mili- 
taires, on  ne  demande  aux  officiers  nîinstruaion,  ni  connaissance 
de  l'art,  ni  aptitude  pour  le  métier;  qu'ils  sachent  dire  aux  soldats: 
portez  armes!  marchez  à  droite,  à  gauche I  c'est  là  l'essentielJ 
Aussi  est-il  bien  certain  que  le  meilleur  général  mexicain  ne  serait 
pas  capable  d'être  un  bon  lieutenant  en  Europe,  et  qu'en  campagne 
il  serait  battu  par  un  sous-officier  de  notre  armée. 

Ces  officiers  n'ont  de  militaire  que  le  nom  ;  ils  n'en  ont  même  pas 
la  tournure.  Ils  portent  Toniforme  plus  mal  cpie  ne  le  ferait  le  plifl 
lourd  paysan  de  la  Bretagne.  D'abord  fls  sont  généralement  petitsi 
grêles,  mal  faits,  sans  poitrine,  courbés  et  disgracieux  dans  toati 
leur  personne.  A  ces  défauts  de  la  nature,  ils  joignent  le  plus  gran^ 
ridicule  et  la  phis  grande  négligence  dans  leur  tenue  :  des  épaulettd 
d'une  grosseur  démesurée  qui, retombent  sur  la  poitrine,  ThaM 
déboutonné,  laissant  à  découvert  la  chemise  et  les  bretelles,  l-l 
chapeau  rond ,  à  larges  bords ,  est  leur  coiffure  ordinaire.  Ils  soâ 
le  plus  souvent  sans  cravate  et  sans  épée  ;  c'est  la  petite  tenue.  Lej 
jours  de  fête,  et  quand  ils  revêtent  le  grand  uniforme ,  ils  portes 
un  haut  et  large  chapeau  à  trois  cornes,  excessivement  élevé,  e 
surmonté  d'une  touffe  de  plumes  tellement  longues,  que  toute  I 
côiffureabien  quatre  pieds,  ce  qui  contraste  merveilleusement ar^ 


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LES  RÉPUBLIQUES  MEXIGAIEMSS.  8d 

leur  taflle,  laquelle  n*excède  pas  quatre  pieds  et  demi.  La  cocarde 
est  de  la  largeur  d'une  assiette  ;  le  ceifituron  qui  supporte  le  sabre, 
a  Irien  six  pouces  de  largeur,  de  sorte  qu*il  couvre  toute  la  pd- 
trine  de  ces  petits  hommes.  Le  col  de  la  chemise ,  dépassant  la  cra- 
vatte  de  plusieurs  pouces,  s'avance  en  pointes  fort  en  avant  du 
menton.  En  regardant  de  près,  on  découvre  sur  leur  petite  figure 
basanée  une  trentaine  de  poils  disséminés  sous  le  nés,  et  qui  for- 
ment moustaches.  Ils  laissent  croître  leurs  cheveux  derrière  la 
tète,  i  la  manière  de  nos  séminaristes.  Leur  uniforme  e^t  chargé 
d'or  prodigué  avec  le  plus  mauvais  goût  ;  rien  de  plus  grotesque- 
ment  bouffon  que  de  les  voir  défiler  dans  leur  embarrassant  équi- 
page, faisant  des  efforts  incroyables  pour  marcher  au  pas. 

Dn  y  a  parmi  les  officiers  ni  tetiue,  ni  discipline,  ni  respect  des 
convenances,  ni  maintien  de  grade  et  de  rang  ;  ainsi,  un  lieuteniant 
s'en  va,  dans  un  cabaret,  frapper  sur  l'épaule  de  son  colonel,  et 
s'enivrer  avec  lui.  Un  de  ces  derniers  avouait  qu'il  n'avait  jamais 
pu  venir  à  bout  de  faire  aller  ses  officiers  à  la  manœuvre.  En 
effet,  leur  état  est  ce  dont  ils  s'occupent  le  moins;  et  comme  leur 
service  se  borne  à  très  peu  de  chose,  ils  passent  leur  temps  dans 
des  maisons  de  jeu  et  de  débauche.  Un  capitaine  joua  un  jour  sa 
solde  qu'il  venait  de  recevoir,  il  la  perdit;  il  joua  ensuite  les  galons 
de  son  pantalon;  la  chance  lui  ayant  été  contraire,  il  joua  et  perdit 
sesépaulettesl  Telles  sont  les  occupations  ordinaires  de  ces  mes- 
sieurs, depuis  le  général  jusqu'au  sergent.  Leur  solde  étant  très 
inexactement  payée,  les  senores  oficialeM  ont  souvent  la  bourse  plate; 
mais  il  est  des  moyens  de  se  tirer  d'affaire  :  ainsi,  le  conmiandant 
déserte  avec  la  caisse  du  régiment,  le  capitaine  avec  l'argent  de  sa 
omipagnie,  le  sergent  avec  le  prêt  de  son  escouade;  il  n'est  pas 
jusqu'à  l'humble  capora}  qui  n'ait  aussi  sa  petite  industrie;  il  fait 
de  légers  emprunts  aux  soldats,  et  quand  ceux-ci  réclament  ce 
(pi'ils  ont  prêté,  il  ne  manque  pas  de  bonnes  ou  mauvaises  raisons 
pour  se  dispenser  de  payer;  s'ils  insistent,  il  les  menace  de  les 
ftire  déchirer  de  coups  de  verges  à  la  première  faute  qu'ils  feront, 
et  ce  moyen  est  toujours  efficace.  Quantaux  généraux,  ils  spéculent 
plus  en  grand,  et  se  vendent  à  quelque  parti  en  armes*  Cest  ainsi 
que,  dans  la  révolution  de  1832,  le  général  Valencia  qui  comman- 
dait an  corps  des  troupes  du  gouvernement,  ayant  fait  au  jeu  des 
pertes  considérables ,  et  se  trouvant  dai»  un  grand  embarras  pé* 


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"ttWB  DBS  DOTX  mnfDBR) 

^y^«6iv«iiditpo«r  20;000}pia9lres9  Iniel  les^mns,  aupartidt 
«géDtealBaDiatsàmaïqvi  araît^levé  Tétendard  Vlè  faréVolte;  Leimr- 
<9i6  Qondta^  oirpona  au  général  vendu  uo  à'KX>inptG  de  lâ^liOOpia»- 
4rw;  le^soir^infate,  iltesjoua  avec  8cs  officiers  et  îes  perdît.  ASon 
Ajfittdédamer  au  général  Santa-Anna,  que  s'il  ne  lui  envoyaitpas 
lie  suite  Ito  9fi90  autres  piastres,  il  allait  repasser  du  côté  di 
-gouvernenieiit.  On  »*em pressa  de  le  satisFai  e,  car  sa  trahison  de- 
'Vaitiporter  wi  coup  mortel  au  président  Bustamente  dont  el  imrn  r- 
^Smtia^Atma  voulait  prendre  la  place.  Nous  tenons  t^s  détails  (te 
ragoBt'mémeohargé'de  négocier  cette  honteuse  transaction. 

Du '05té  «de  la 'bravoure,  les  porteurs  d'épaulettes  mexicains  œ 
sont  guère  plus  reconimandables  que  du  côté  de  la  moralité,  de 
instruction -et  de  la  capac'té.  Quand  Tofficier  mexicain  sort  de  U 
file  pour  «Ber  guerroyer,  et  rétablir  sur  quelque  point  el  im^teno 
irfe  lm4tijtÊ,  il  s'arme  -d^un  sabre ,  ou ,  pour  être  plus  juste ,  il  saitâ- 
«fae-àiun  sdbredont  la  longueur  dèmesXirée  produit  l'effet  le  fJos 
liBarre;  il  porte,  en  outre,  une  lance  dont  le  fer  est  assez  lo!Ç 
pcrar  enftler  trots  hommes  de  suite.  Arrivé  au  lieu  du  combat, 
«chaque  ^liBciercrfe  à  ses  soldats  :  Atleiante,  wuchachos!  en  avant, 
enfans  l'Mais  en  même  temps  ils  ont  grand  soin  de  se  garantir  des 
projectiles  meurtriers,  soit  en  se  couchant  à  plat  rentre,  pour  of- 
frir moins  ^e  surface  aux  balles  ennemies,  soit  en  se  cachant  pra- 
tteroment  derrière  quelque  abri  protecteur.  D'ailleurs,  il  est  de 
règle  générale  que  chaque  ofBcier  emmène  avec  lui  son  bon  cheval, 
moins  pour^*épargner  une  partie  des  fatigues  de  la  campagne,  qœ 
pour  s'aider  h  se  tirer  de  la  bagarre,  si  l'affaire  devient  trop 
chaude.  TOs  sont  les  chefs  de  l'armée  mexicaine,  hs  heroajoi 
iniortales,  dont  les  panégyriques  remplissent  les  colonnes  des 
Journaux  du  pays;  le  j^lus  souvent  les  journaux  d'Europe  se  font 
le6  échos  Kxmiplaisans  de  ces  louanges  ridicules. 

Parties  ohefs>on  peut  juger  des  soldats.  Il  n y  a,  au  Mexique, it 
eonsoription,  m  mode  de  recrutement  déterminé  par  une  loi,  n 
engagemens'volontaires.  On  trouve  bien  des  milliers  de  citoyens 
qui  coirsentenfvolontier^à  servir  la  patrie  en  qualité  de  coioaels  ou 
dé  généraux  ;  mais  personne  ne  se  soucie  d'être  snnple  soldait. 
Quanid' Tannée  de  la  république  a  besoin  de  se  .recruter,  on  ra- 
masse de  force  tous  les  vagabonds  et  gens  sans  aveu  qui  se  rtn- 
contrent;  quelquefois,  si  le  nombre -est  insuffisant,  on  ouvre  les 


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LES   RÉPUBLIQUES  M£XI€ALNES.  91 

fnsonsy  et  les  détenus  vont  grossir  lenombrc  des  recrues.  Ces  re*- 

"cmes  ainsi  amalgamées  sont  enfermées  dans  des  casernes ,  d'où 

^fSles  ne  sortent ,  pendant  un  espace  de  six  mois,  que  pour  bakftr 

les  rues  et  pour  aller  à  rexercice,  qu'on  leur  apprend  àigrands 

%mips  de  bâton.  Cet  apprentissage  terminé,  on  leur  faiteadossdr 

le  fourniment,  et  on  leur  laisse  un  peu  plus  de  liberté;  mais  une 

partie  ne  manque  pas  d*en  profiter  pour  déserter,  et  cela  presque 

toujours  impunément;  car  la  république  n'a  pas  de  giendarmes 

poor  les  mettre  à  la  recherche  des  réfractaires  et  poursuivre  les 

déserteurs.  C'est  probablement  une  des  raisons  pour  lesquelles  un 

légiment  n'est  jamais  au  complet  ;  on  ne  compte  guère  que  troîs^ 

cents  hommes  par  régiment.  £n  somme,  l'armée  mexicaine  est  tràa 

peu  nombreuse  ;  elle  ne  se  compose  que  de  septà  huit  mille  hommes 

ao  plus.  Mais  si  elle  a  peu  de  soldats,  on  ne  compte  pas  moins  de 

Tingt  mille  offic  ers  sur  les  registres  de  l'état ,  tant  en  activité  qu'en 

retraite,  et  tout  ce  luxe  d'étàt-major  est  alimenté  par  la< nation. 

£n  campagne,  les  armées  belligérantes  ne  sont  jamais  nombreu-» 
ses,  car  dès  que  le  soldat  sent  la  poudre,  il  jette  ses  armes  et  dé^ 
serte  en  bien  plus  grand  nombre  encore  et  avec  bien  plus  de  facir 
lité  qu'en  temps  de  paix.  Une  réunion  de  quatre  cents  hommes  en 
armes  forme  une  division.  S'il  y  a  deux  mille  combattons,  c'est  une 
groMlewTiiée  d'opératiqnn.  Or,  dans  cette  grande  armée,  il  se  trouve 
toujours  au  moins  un  millier  de  femmes,  car  le  Mexicain  ne  mardie 
jamais  sans  être  suivi  de  sa  femme.  Après  trois  ou  quatre  mofsd» 
préparatifs,  si  la  collision  devient  inévitable,  la  grande  armée  d'o- 
pérations s*ébranle  et  marche  à  l'ennemi.  Cet  ennemi  n'est  autre 
chose  qu'une  bande  de  révoltés,  car,  jusqu'à  présent,  les  Mexicains 
n*ont  eu  d'autres  ennemis  qu'euxnnèmes.  Si  le  parti  qu'oa  va  att^f 
qoerest  encore  à  une  centane  deiieues,  on  reste  deux  ou  trois 
Bois  en  marche ,  et  quelle  marche  !  ou<  plutôt  quel  désordre  I  Ënfia^ 
QDarrive  en  présence. Là,  aucune  disposition stratégîcpie,  aucune  de 
de  ces  manœuvres  que  conseille  la  prlidenee  el  qiii>  dénotent'  l^babirr 
lecé  d'un  chef.  Du  plus  loia  qu'on  s'aperçoit,  on  se  provoque  de  par 
rolesvt  d^injures.  Vmgan^  cobarUex,  aleahuetes,  cIMûiûs  !  Venes ,  crie- 
t-OB-â  Fennemi,  venezy  lâehes  I  Celui-ci  répond  sur  le»  Biteie  ton, ^  si 
hiea  qu'avant  de  s'atlaquer  les  armes  à  b  meki,  les  eombaltens 
préludait  par  unexscène  de. nos  boutevarts  en  carnaval.  A>larfin^ 
OBeedédde  à^échanger «quelques  cou^  defùsU,  nuis ^>imet die* 


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91  KEVUE  DES  DEUX  MONDES. 

tance  qui  permet  de  le  faire  impunément.  Tels  sont ,  pendant  trois 
<m  quatre  jours,  les  préliminaires  de  la  bataille;  car  cest  à  qui 
n'attaquera  pas  le  premier.  Les  offlcîers,  dont  la  modestie  va  jus- 
qu'à se  comparer  à  nos  généraux  les  plus  renommés,  disent  qu'en 
cela  ils  suivent  l'exemple  de  Napoléon,  qui  n'attaquait  jamais  le 
premier!  Pourtant,  comme  il  faut  en  finir,  on  se  détermine  à  en 
venir  sérieusement  aux  mains.  Le  jour  fixé  pour  l'action,  après 
que  chacun  a  pris  son  chocolat,  on  se  présente  au  combat.  L'af- 
faire commence  ordinairement  par  une  canonnade;  mais  les  bou- 
lets sont  presque  tous  perdus,  les  Mexicains  n'ayant  que  de  très 
mauvais  artilleurs.  Au  premier  coup  de  canon,  comme  on  voit 
de  part  et  d'autre  qu'il  s'agit  de  se  battre  pour  tout  de  bon,  on 
est  devenu  plus  poli  ;  on  cesse  de  s'injurier  ;  on  craint  de  mettre  son 
ennemi  trop  en  colère.  Si  les  coups  de  canon  n'avancent  pas  h 
besogne,  on  en  vient  à  la  fusillade.  Dans  tous  les  cas,  l'action  ne 
dure  pas  long-temps,  car  aussitôt  que  l'un  des  partis  voit  tomber 
sous  ses  yeux  une  trentaine  des  siens,  il  cède  le  terrain.  Quand  on 
est  repoussé,  on  ne  cherche  jamais  à  se  rallier  et  à  rétablir  k 
combat  :  on  se  sauve  à  toutes  jambes  ;  les  officiers  donnent  Texem- 
ple,  et  comme  ils  sont  à  cheval,  la  fuite  leur  devient  plus  focOe. 
Cest  un  désordre,  un  sauve  q^n  peut  général.  A  la  bataille  duGai- 
Unero,  un  officier-général  des  milices  fit,  en  se  sauvant,  cinquante 
lieues  en  un  jour  et  une  nuit.  Il  arriva  tout  hors  d'haleine  à  h 
ville  qu'il  habitait;  mais  la  peur  d'être  atteint  par  l'ennemi  avait 
tellement  fait  perdre  la  tête  au  pauvre  homme,  qu'il  traversa  au 
galop  la  rue  où  il  demeurait,  et  s'en  fut  frapper  à  la  porte  d*ane 
église,  la  prenant  pour  sa  maison.  Les  soldats  qui  n'ont  pas  de 
chevaux  s'échappent  comme  ils  peuvent,  ou  se  laissent  prendre. 
L'ennemi  ne  manque  jamais  d'en  massacrer  un  certain  nombre, 
bien  que  désarmés.  Les  officiers  surtout  montrent  un  acharnement 
incroyable  pour  ces  sortes  d'assassinats,  et  frappent  à  grands 
coups  de  lance  ces  malheureux  prisonniers,  se  vengeant  ainsi» 
après  le  combat,  de  la  peur  qu'ils  ont  eue  avant.  C'est  ainsi  qu'à 
la  bataille  du  Gallin'ero  el  valiente  coronel  Durand  massacra  deux 
cents  prisonniers  désarmés;  c'est  ainsi  qu'on  vit  le  général  Toba 
faire  percer  sous  ses  yeux  à  coups  de  baïonnette  un  pauvre  ofB* 
cier  qu'on  lui  avait  amené  prisonnier.  Ceux  qui  ne  peuvent  exercei 
leur  fureur  sur  des  êtres  vivans,  prennent  le  barbare  divertisse 


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LB8  BiPUBLIQUBS  MBXICAIRSS.  95 

ment  de  plonger  leur  épée  dans  un  cadavre,  afin  de  la  montrer 
avec  orgueO,  d^oAtante  de  sang,  et  foire  croire  qu'ils  ont  bataillé 
comme  desHurat.  Les  exploits  de  ces  braves  guerriers  ne  se  bor- 
nent pas  là.  Après  la  victoire,  on  entre  dans  les  vflles  ou  villages 
ennemis,  les  officiers  donnent  Texemple  du  pillage,  et  Ton  voit  se 
reprôdliire  tous  les  excès  qui  ont  lieu  en  pareilles  circonstances. 
Voilà ,  en  réalité ,  la  physionomie  des  armées  mexicaines ,  et 
le  portrait  Ëdèle  des  chefs  qui  là  commandent.  Mais  il  faut  bien 
se  garder  de  ranger  sur  la  même  ligne  les  anciens  officiers  qui  ont 
fait  la  guerre  de  Tindépendance  ;  ces  derniers  ont  rendu  de  grands 
services  à  leur  patr!e,  ils  ont  combattu  avec  courage  et  long-temps 
contre  les  Espagnols,  ils  ont  véritablement  conquis  la  liberté.  D  y  a 
eu  parmi  ces  officiers  des  hommes  d*un  grand  mérite;' maintenant 
ils  vivent  retirés,  gémissant  en  secret  sur  l'éUt  dabjection  où  est 
tombé  leur  malheureux  pays.  Autant  on  doit  conserver  d*estime 
et  de  vénération  pour  ces  vétérans  de  l'honneur  et  de  la  liberté,, 
autant  on  doit  avoir  de  pitié  pour  ces  nouveaux  parvenus,  qui  ne 
doivent  leurs  grades  et  leurs  dignités  qu'aux  désordres  et  aux  ré- 
Toimion»  dont  ils  ont  été  les  moteurs;  fanfarons  de  bravoure,  qui 
n'ont  jamais  trempé  leur  épée  que  dans  le  sang  de  leurs  concitoyens. 
Cest  dans  cette  dernière  catégorie  qu'il  faut  ranger  le  général 
Santa-Arina,  président  actuel  de  la  république.  En  Europe  on  parle 
beaucoup  de  cet  homme,  on  se  plaît  à  voir  en  lui  un  héros,  un  nou- 
veau Bolivar  :  on  se  trompe  singulièrement  sur  son  compte.  Ce 
n'est  qu'après  dix  révolutions  qu'il  a  pu  arriver  au  rang  suprême;* 
et  ces  révolutions  n*ont  pas  été  le  résultait  de  son  patriotisme  et  de 
son  courage',  mais  le  fruit  de  ses  perfldes  machinations.  Comuie  mi- 
litaire, il  n*a  ni  talens  ni  )>ravoure  ;  il  a  toujours  été  battu,  à  Chyaita, 
par  le  général  Rinçon;  à  Vera-Cruz,  par  Calderon;  à  Coralfabo,  à 
Puebla,  3  eût  été  exterminé,  si  l'ennemi  q^i  l'avait  vaincu  avait  sm 
profiter  de  la  victoire;  il  n'a  échappé  à  un  désastre  complet  que  jmt 
TinhabOeté  de  ses  adversaires.  Nous  disons  qu'U  n'est  arrivé  aa 
rang  suprême  qu'à  fDrce  de  susciter  des  troubles  poétiques;  en 
eflet,  c*est  lui  qui  a,  pour  ainsi  dire,  mis  à  la  mode  ces  intermina^ 
blés  révdutions  qui  désolent  son  pays.  La  première  qu*il  excita  fut 
eofltre  Iturbide,  son  bienfa  teur,  qui  l'avait  tiré  de  la  foule.  D 
imitait  lait  un  grand  nom  et  la  réputation  d'un  habile  capitaine 
par  la  prétendue  défaite  des  Espagnols  à  Tampca;  mais  il  est  à: 


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%  B^VDfi  ]»BS  DEUX 

krOOBiiat86&iite«^de  tant  le  «londe  q«  il  était  lin»*fiiéiiie  battu,  e(h 
yelo|^  de>  toutes  pans,  et^ur  le  point  de  capîtiiler,.  quand  le  gé-  ^ 
serai  Téran  airiva  -à  ^son.  secours.  Cest  alors  seulement  que  1 
Barradas,  qui  avait  ?  la  moitié  de  ses  soldats  malades,  que  la  feid-  j 
]^te  a^ait  :pdvé  de  >ses  vivres 'et  de  ses  approvisionnemenis,  ètq 
qui  de  plus  avait  reçu  de  faux  renseignemens,  fut  obligé  decé^  : 
der.  Aussi  ambitieux  qu'incafMible,  Santa- Anna  a  servi  tous  les  1 
pairtis  pour  arriver  à  son^but.  Les  itberales  Font  feit  président,  mais  ' 
eomante  ils  ne  peuvent  et  ne  veulent  pas  faire  davantage,  il  s'est  1 
donné  aux  aristocrates  et  aux  moines,  dans  l'e^éranee  que  rux«  ; 
eihii  décerneront  le  titre  d'empereur.  Naguère  il  défends  t  lali-  \ 
berté,  maintenant  il  se  proclame  le  restaurateur  de  la  religion,  le  ] 
protecteur  duvdergé^  Les  libéraux  rappelaient  le  Maismexie(i'ui,k 
Mettaient  au-dessus  <k  Washington ,  de  Napoléon  !  Ils  faisaient  de  ^ 
hirles  apologiea  les  phi9  exagérées  et  les  plusridicules  ;  aujourd'hui 
les; jésuites  des  Cordilières  ne  voienl^pliis  en^lui  qu*un  nouveau  Da-  i 
vîd,  susoilé  de  Dieu  pour  la  cottserv^siîon  et  le  salut  de  la  ville 
saînte;  cest  un  Gédéon,  un  Maochabée.  Notre  héros  les  croit 
MH  sur  parole.  En  attendant  qu'on  lui  élève  un  trône  (et  peut-être  : 
plus  tard  un>échafa«d  l  j,  il  s'enivre  à  longs  traits  de  Tencens  qu'on 
hn  prodigue,  et  reçoit  d'un  air  bénin  les  flagorneries  des  moines, 
des  abbés  et  des  abbesses.  CelIcsK^i  l'introduisent  dans  le  barefli 
dvâeîgneur,  où  il  vamaytijferWeséoKéonsavecles  Biles  du  sanctuaire. 
&  est  devenu  bigot,  mais  b'got  de  bonne  foi.  A  une  grande  incapa>>  \ 
dié  militaire  il  joint  la  lâcheté  personnelle;  on  l'a  vu,  pendant  une  j 
bflFtaille,  se  coucher  à  plat  ventrcf  derrière  un  mur.  La  vie  privéede  j 
FiHustre  général  n'est  guère  plus  honoirable  que  sa  vie  poKtiqœ.  \ 
Bnteit  bâtard  d'un  Espagnol,  iln'amense  pasreçulamiiérableédt^  | 
«aton  qu*oadonne  au  Mexique  à  la  (jentt  tlécetUe;  sa  jeunesse,  il  Fa  i 
insdèechaBsdesmaisonsdedèbauchêetde  jeu,  oà  il  lui  est  souvent  j 
arrivÀdeWsinr  josqa'à  ses  premiers  vétemens.  Très  passionné  poof  i 
bs  fennws^t  le  jeu,  et  n'étant  paer iche,  il  a  eu  recours  bien  des  fois,  j 
]iour  Caire  face  4  des  embarras  pécuniaires,  à  certains  expédiens  i 
qn,  d«Bs  une  aalre  nation,  reassentfinfiMlliblenient  envoyé  sfr^ir  i 
mm  les  ^èretxdm  rvu  H  fit  deaxJau<x  pour  des  sommes  ^assez  con^ 
sidéraUesi  Ces.  pet'tes  espiègleries  lui  at^rèreni  quelque»  démêlé» 
avec  la  justice;  mais  comme, aa  Mexique,  la  justice  est  fort  indul- 
apMe,,cela  A*eiit  pas  de  suites  Iftcfaeuses  pour  lui.  T^  ont  été  ta 


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LES?MM»IJQiK8  flEUCUKES.  W 

âiiiiits.  Aii^éÉéialffuréBfdMit.  VioàetdeiniiulBtiii  pcarroot  dfw- 
Mr  laaieflvrfrcie  l^stime  tftfi^a  fivor  son.béveicpM  peraflnnai 
Lorsqu'il  assiégeait  Mexico,  il  y  a  deoiL^aMy  on>AB||ibJsideidK»^ 
lîiiciikmidési^  le  voir  ;  Je  i^éftéffal^le  reçntisvr  .uBA)ilBQii  d^joàdton 
dèooiivBât  loiiie  la.  caf)îiade.^iiprès-  qiiriqves';m«neii8idei  oDorar- 

ressenUe  ici  à  Napoléon /an  «Krenlàit  j>  lai  dcmnda-^iliMïve^ 

BMi.  il  dkaît  après  lei  G0rBbai<  île  iZacatéoas  :  <p  On  parieîfceftu- 

coup  ée  la  faataâfe  (fléoa,  mâs ,  etivéritéy^UeiaBfestpaEià^o»^ 

parer  avec  celle  de  Zacatécas.  a  Or,  disosa  uniBiat'de  cette,  bataille 

de  Zacatécas,  ga^piée  par k^nodenie lKapo&é«ii«  Dertouft lea états 

meiicaiasy  rétat  de  Zacatéeasiétait  leplss  tranipBBe.Dfepatsikmgf 

tempsUa^ait  sa  se;  préserver. de8rr^(dBtiattSi|Bidéchiraat4e»paj8 

voi8iiis.0eeiipé  de  rexpèoitatioR  de  8ea']Biaes.féooaAes,il  Aencnaail 

dans  un  état  /de  prospérité  «foi  défte(à  Sama-^Aima;  il  faUait^qu'il 

Tint  le  bouleverser.  Ceux  de  Zacatéeas  vo«lureui  repensser  uflèiflH 

Juste  agresaiuu;  Hisisilsiuren(tti:aina«  Ban»ceCto.iftou»raMf  journée^ 

«pie  les  Mexkaifist  piaceet  en  prenère  lifpnedaus  leurs  fastes uûB- 

^res,  tl  périt  environ  ceuthonMtSy  dont  les  denxtiersfuroit  OMt* 

uacrés,  car  Santa-ÀRttaiavaît  dunaéordre  qu'onfitmaÎB  basse  sur 

lous  les  officiers.  Tel  est  FhoRBBe!  el  naemro  Nupoieime ,  ceMiBi 

absent  lea Jtfexicains.  fin  Ëttropieeifâvtaiorfa/  Sané*-:inmi,:e/'Macle 

Mejictmt^jeiinvtoioéenw  (épiilièlesipie  les  journaux  mexicaMis  oui 

Répétées îusqu*à>saiiélé)  ne^aerak  pas  loapaUe  de  cunamaadcrrdenx 

cents  bfiroaies  î  Qs'o«ii'x>«lDfe  pas<^ue  s  îl  est  panneuuaux  pvemiè* 

Yes  foncaicMis  de  la  répuUifuey  c'^sCique  dans,  ce  pays  olmcon  peut 

j  arriver>purles  moyens  dont  il  s'est  servi,  iie»Yévolutioua,  rtutr»* 

^ue,  la  fourberie  et  la  trahison.  SantanAama  passai  àidoraiir  les  deux 

^rsdeau  vie.  Jamais,  dans,  soaifilépjeiur,  oaue  Ta- vuiunl  vre  à 

limaÎQ,  jamaîs onnera'vu  chorcber-à 8'in8lnuire«nqMiî>q^e:eu 

Mi;  ildk  inodeatement  qnei la; nature  Fa  «foiié:â*iDn:f;éDÎa  letude 

^itposiftioHS  ao»|uels  Fiétiide,  lanatnietitm.et  la;iestare.}ue'pouiu 

%ent  cioD  ajouUr.  Le  pnscipal  divertiasement  de  son  exceBeacev 

<e  sont  les  oumbata  dejcoqs  ;  JMais  cumme  il  a  Miwhitirff  dm ref aavt 

"de  payer  quand  le  œq  qu'il  fiaitioenubattreosÉnraNNUi^  tes>»feateuft 

us  se  sunctent  pas  d  entrer  eu  liée  avec  luL  li'acvurioa  est  une^de 

ais^ualkés,  mais  line  aivarice  poussée  juspi^àlla^piusdégoàtlUM 

lUoerie.  Quaod  il  est  àlable;aiveo;se8  ottcâers^il  a  défaut  lut 


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96  RETUB  DES  IIEIIX  MORDES. 

une  bouteille  de  vin  dont  il  se  garde  bien  d*ofFrir  à  ses  conyîyes, 
qui  sont  ainsi  réduits  à  boire  de  Veau;  y  est  vrai  que  le  vin  se 
vend  une  piastre  la  bouteille. 

Par  ce  qu'on  vient  de  lire,  on  peut  se  faire  une  idée  exacte  de 
l'état  actuel  de  la  république;  il  nous  reste  à  faire  connaître  la 
position  des  étrangers  au  Mexique.  Peuirétre  qu*après  avoir  exposé 
les  choses  telles  qu'elles  sont,  et  dit  la  vérité  tout  entière,  nous  se- 
rons assez  heureux.pour  faire  revenir  à  des  idées  plus  saines  ceax 
qui  seraient  encore  tentés  d'aller  chercher  fortune  dans  les  nou- 
velles républiques  du  Sud. 

Le  Mexicain ,  en  effet ,  est  plus  à  craindre  pour  les  étrangers  que 
le  vomito  qui  dépeuple  ses  côtes  et  le  nord  de  son  golfe.  La  haine 
de  l'étranger  est  générale  au  Mexique,  et  cette  haine  est  partagée 
par  toutes  les  classes,,  de  sorte  que  tous  ceux  que  les  drconstan- 
ces  ont  déterminés  à  venir  se  fixer  dans  le  pays,  y  sont  à  peu  pris 
traités  comme  l'étaient  les  juifs  en  Europe  au  moyen^àge  :  honnis, 
insultés,  persécutés,  volés  et  assassinés,  sans  que  cela  tire  à  con- 
séquence. S'ils  se  montrent  dans  les  rues,  le  lépreux  mexicam 
leur  Jette,  des  pierres,  et  fait  retentir  à  leurs  oreilles  les  cris  de  : 
Dehon  les  étrùngerg!  à  mort  les  èrangers!  Les  gens  appelés  dicau 
ne  les  lapident  pas,  mais  ils  excitent  la  canaille.  Cette  haine  a 
pour  cause  principale  les  préjugés  religieux.  Les  Espagnols  ont 
fait  croire  autrefois  aux  Mexicains  qu*eux  seuls  étaient  chrétiens, 
que  .toutes  les  autres  nations  étaient  hérétiques,  et  que  par  con- 
séquent il  fallait  les  détester  et  éviter  tout  contact  avec^lles.  Cette 
croyance  subsiste  encore  aujourd'hui  dans  toute  sa  force,  et  les 
étrangers  sont  généralement  regardés  conune  une  race  de  Gains, 
maudite  et  proscrite  à  jamais. 

Un  Mexicain  disait  un  jour  à  un  Français  :  a  Vous  autres  étran- 
gers, vous  n'avez  pour  vous  dans  le  pays  que  les  femmes  et  les 
chiens.  »  Sans  doute,  parce  que  les  femmes  trouvent  les  étrangers 
un  peu  moins  laids  et  moins  disgracieux  que  leurs  créoles  basanés 
et  mal  feits ,  et  que  les  animaux  s'aperçoivent  que  ceux-là  les  trai- 
tent avec  humanité.  Les  prêtres  combattent  autant  qu'Qs  peuvent 
ce  prétendu  faible  qu*ont  les  Qlles  d*braël  pour  les  Amalécites. 
Malgré  cette  malédiction  dont  les  étrangers  sont  l'objet,  on  ren- 
contre déjà  dans  le  pays  bon  nombre  de  jolis  enfans  aux  yeux 
bleus,  aux  blonds  cheveux,  dont  la  présence  témoigne  aseez  que 


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LES  RÉPUBLIQUES  MEXICAmES.  97 

ranathëme  fulminé  contre  la  race  étrangère  n*a  pas  eu  son  plein 
effet.  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  préférence  des  dames  mexicaines, 
c'est  une  bi^n  faible  compensation  pour  les  vexations  et  les  dan- 
gers réels  auxquels  sont  exposés  les  étrangers  qui  habitent  le  pays. 
La  haine  des  Mexicains  est  telle  qu'on  est  fondé  à  redouter  un 
jour  chez  eux  des  vêpres  siciliennes.  Quelques  catastrophes  ré- 
centes prouvent  que  ces  craintes  ne  sont  pas  chimériques.  En  1833, 
une  famille  française,  établie  dans  une  ferme  auprès  de  Puebla, 
fut  massacrée  tout  entière,  sans  qu'elle  eût  donné  aux  habitans 
le  moindre  sujet  de  plainte ,  le  moindre  motif  de  vengeance.  Ce  fut 
un  moine  qui  ameuta  deux  ou  trois  cents  lépreux,  les  conduisit  à 
la  ferme  de  ces  malheureux  Français,  qui  furent  impitoyablement 
poignardés  au  nombre  de  neuf.  La  maîtresse  de  la  maison  sur- 
tout fiit  traitée  avec  une  barbarie  digne  de  cannibales.  Percée  de 
coups  et  respirant  encore,  elle  fut  attachée  à  la  queue  d'un  che- 
val et  traînée  au  galop;  son  cadavre  fut  insulté  et  souillé  par  les 
assassins.  On  égorgea  jusqu'aux  domestiques  de  la  maison,  qui 
étaient  Mexicains,  les  punissant  ainsi  d'avoir  servi  des  juifs.  A  la 
même  époque  à  peu  près,  un  Anglais,  qu'on  avait  injustement 
onprisonné,  fut  égorgé  dans  sa  prison  par  un  colonel  mexicain, 
et  ce  crime  resta  impuni.  Tout  récemment,  aux  environs  d'Aca- 
pulco,  un  officier  souleva  les  habitans  du  pays  contre  les  étran- 
gers, et  en  massacra  cinq,  aussi  impunément.  Mais  c'est  surtout 
à  la  prise  de  Zacatécas,  par  Santa- Anna ,  que  la  fureur  des  Mexi- 
cains se  montra  dans  toute  sa  lâcheté.  L'exploitation  des  mines 
avait  attiré  à  Zacatécas  un  grand  nombre  d'Européens.  Les  nobles 
soldats  de  l'illustre  général  entrèrent  dans  la  ville  et  se  répan- 
dirent partout  en  criant  :  ilforf  aux  étrangers!  Un  Américain  fut  tué 
dans  sa  maison,  et  toutes  les  personnes  qui  s'y  trouvaient  bles- 
sées et  plus  ou  moins  maltraitées;  une  jeune  Française,  qui  tomba 
au  mflieu  de  cette  bande  d'assassins,  fut  meurtrie  de  coups  de 
crosse,  dépouillée  de  ses  vétemens,  et  traînée  dans  les  rues  par 
les  cheveux,  a  Ouvrons-lui  le  ventre,  disaient  les  forcenés,  nous 
y  trouverons  un  petit  juty que  nous  jetterons  aux  chiens.»  Un  Ita- 
lien fut  blessé  et  sa  maison  pillée;  quatre  Anglais  furent  éga- 
lement blessés,  ainsi  que  plusieurs  dames  anglaises.  Et  tous  ces 
excès  demeurèrent  impunis  I  pas  un  soldat  ne  fut  châtié  I  Et  com^- 
l'eussent-ils  été,  quand  les  chefs  eux-mêmes  donnaient 

TOME  VII,  7 


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98^  RKTUE  DBS  DEUX  MOKMA» 

Texeraple,  et  que  le  général  provocpuiil  à  ces  sang^bAtts  ergiesf 
car^  ayant  su  ({ue  parmi  les  troupes  q^  défeadaiefit  Zacatécas  il" 
se  trouvait  quatre  ou  cinq  officiers  étraBgf»cs^  il  arait  donné  Vor— 
dre  que  Ton  massacrât  taus^les  officiers  prisonnierfi,  aCn  que. 
ceuxrci  ne  pussent  lui  échapper.  Cet  ocdre  barbare  an^it  animé  se&r 
sicaires  contre  le  reste  des  étrang,ers^  qui,  paisiUeraent  établis, 
dan»  la  viMe,  n*avaient  pris  aucune  paitt  ^âj^x  évènemens. 

Àtt  milieu  de  ces  troubles  populaijres  cpii  a^tent  presque  conti- 
nuellement ce  malheureux  pays^  la  vie  des.  Européens  se  trouve  à 
chaqjue  instant  compromise.  Quand  il&  se  rencontrent  sur  le  thé&- 
tr&  de  ces  évènemens  politiques^  il  ne  leur  reste  qu'i  s'enfer- 
mer chez  eux,  et  tandis  que  la  populace  et  une  soldatesque  effré- 
née vocifèrent  des  menaces  contre  eux,  munis  de  fusils^  de  pis- 
toleis,  et  bien  approvisonnés  de  cartouches,  ils  attendent,  dansdes 
ang,oÎ6ses  mortelles,  déterminés  à  vendre  le  plus  chèrement  pos- 
sible leurs  biens  et  leur  vie.  Oui,  les  étrangers,  sont  ^dansée  pays*» 
sans  défense  et  sans  protection  :  les  représentans  de  leurs  goi&- 
vernemens  ne  font  absolument  rien  pour  leur  sùrelé.  Quanii 
un  Européen  a  été  pillé,  volé  ou  assassiné ,  non  par  des  voleurs 
de  grand  chemin,  m*ais  par  des  colonels  on  des  génémnx^  coaia^ 
à  Ziicatécas,  le  ministre  de  la  nation  à  laquelle  il  appartieat 
se  borne  à  fa<re,  de  la  manière  la  plus  polie,  quelques  représent»- 
tions  insignifiantes  au  président  de  la  répuUique,  et  cette  démar- 
che reste  presque  toujours  sans  effet.  Mais  la  faute  n*6n  est-ell0 
pas  à  nos  gouvernemens ,  qui  enivoîent  pcMir  les  représenter  daotf 
ce  pays,,  des  hommes  sans  énergie,  sans. dignité,  des  hommes  d» 
bureau  qui  ne  voient  dans  leurs  fonctions  q^  les  agrémena  qu'elles 
procurent  et  Vargent  qu'elles  rapportent?  Et  ce  n'est  plus  aujouff* 
d'hui  seulement  la  populace  mexicaine  qui  insulte  et  maltraite  lef 
étrangers  :  cette  animosité  est  partagée  par  ceux44  rai^nie  qui  de* 
vraient  s'étudier  à  détruire  les  préjugés  qu'on  nourrit  contre  eux. 
Quelle  peut  être  leur  sécurité,,  quand  les  journaux  du  pay»et  les 
pièces  officielles,  que  puUient  les  dépositaires  de  l'autorité ,  ne  ces- 
sent d'envenimer  les  mauvaises-passionsde  la  populace,  en  leur  pro* 
diguant  la  menace  et  rinjure?  Pense-t-on  quêteur  amour-propre  na> 
tional  n'ait  pas  à  souffrir,  lorsque  dans  ces  assemblées  qu'on  appetts 
pompeusement,  au  Mexique ^  soberano^  ccm^^r^ro^,.  ils  entendent  «n 
stupide  vaquero  se  permettre  d'insulter  la  vqa  Enroftaï  Un  des  frères 


\ 


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LES  RÉPUBLIQUES  MEXICAINES.  99 

tQmmpu  du  sénat  de  Mexico  disait  dernièrement  :  a  Tandis  que 
^  la  r(ja  Europa ,  cadi.ca  y  flaquea  coda  (lia  mas  !  tandis  que  la  mcîUe 
ff  Enr>  pe  tombe  en  éécrépili  de  ei  maigrit  chaque  jour  davanlage ,  Hos 
t  jeniies  républiques  croissent  à  Tombre  de  la  liberté!...  o  Ne  se- 
rait-il pss  temps  de  foire  cesser  toutes  ces  riéicules  fanfaronnades? 
Qoek  égards  doit-on  à  une  nanion  qui  fait  profession  de  mépriser 
tODies  les  autres,  de  les  vouer  à  Finsulie  et  au  poignard?  Croira- 
t-on  qa*après  la  bataWe  <le  Zacatécas,  un  général,  dans  Tivresse  du 
IrioiDpbe,  disait  à  un  étranger  :  tr  Vous  voyez  à  présentée  que  nous 
lavoDs  faire,  et  que  nous  ne  craignons  aucune  nation  du  monde; 
ROQs  alkMs  maintenant  donner  une  bonne  leçon  à  nos  insoloas  voi- 
sins du  norâ  (les  Américains),  et  ensuite  à  rorgueilleuse  Angle- 
terre.—Mais,  reprit  raut<re,ii'étes-TOus  pas  d*avisii*en  faire  autant 
i  l'égard  de  la  Russie  et  de  la  France?  —  Peui-ôtre...  un  peu 
fias  tard;  jusqo^à  présent,  nous^n'avons  pas  trop  à  nous  plaindre 
de  088  deux  puissances!  — -  «Que  ia  France  se  rassure  pourtant  : 
il  faudrait  que  ei  immnrial  Santa-Anua  passât  les  mers  avec  ses 
lépreox  mexicains,  et  la  marina  national  de  la  jeune  république 
consiste  en....  une  goélette  de  six  canons!! 

La  position  des  sujets  européens  au  Mexique  est  plus  précairo 
encore  depuis  que  le  parti  des  moines  a  le  dessus.  On  conçoit, 
en  effet,  que  les  moines  soient  les  plus  grands  ennemis  des 
étrangers,  car  ils  savent  qne  par  leur  contact  avec  ceux-ci, 
i^llei'caîns  ne  peuvent  manquer  de  sortir  de  ^abrutissement 
^^  ils  les  tiennent  plongés;  aussi  ne  •cesseat-tls  de  sotflever 
contre  eux  la  colère  du  peuple,  qui,  dans  son  aveuglement  et  ses 
"ottes préventions,  ne  voit  pas  tout  ce  dont  il  est  redevable  aux 
^ropèens.  €e  sont  les  droits  perçus  sur  les  importations  ét^an- 
C^squi  alimentent  et  soutiennent  stm  igouvernement  ;  s'il  s  est 
^troduit  quelques  améliorations^  de  quelque  genre  que  ce  soit, 
^iansses  institutions,  dans  ses  mœurs  et  jusque  dans  les  commo- 
<lil*s  de  la  vie;  s'il  y  a  dans  la  capitale  quelque  mouvement,  quel- 
<pe  commerce,  quelque  luxe,  c'est  aux  étrangers  qu'il  le  doit. 
Si  le  riche  a  une  habitation  commode,  dos  meubles  somptueux 
6t  de  bon  goût,  s*il  porte  un  habit  de  drap  fln  et  d*une  coupe 
gracieuse,  il  doit  en  remercier  l'industriel  étranger  qui  est  venu 
de  deux  mille  lieues  lui  révéler  des  jouissances  qu'il  ne  connais- 
sait pas.  Si  la  piquante  Mexicaine  porte  à  ses  jambes  de  riches 

7. 


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100  RRTUB  DES  DEUX  MONDES.  ' 

bas  de  soie,  si  ses  jolis  pieds  sont  enfermés  dans  une  chanssu^ 
d*une  forme  élégante,  elle  doit  une  tendre  reconnaissance  à I'oki 
yrier  étranger.  Si  la  mantiUa^  son  Costume  ordinaire,  qui  n*ét^ 
autrefois  qu  un  froc  de  religieuse ,  est  devenue  aujourd'hui  ukii 
mise  des  plus  élégantes,  qui  relève  infiniment  ses  attraits  naturels, 
c*est  parce  qu'une  modiste  française  est  venue  apporter  dans  sa 
confection  les  améliorations  du  bon  goAt,  en  y  adaptant  la  ceuD- 
ture,  les  voiles  de  dentelle,  et  toutes  les  coquetteries  de  la  mode, 
n  n'est  pas  jusqu'au  lépreux  mexicain  qui  ne  doive  à  Tindustrie 
d'un  étranger  le  poignard  avec  lequel  il  assassine.  En  un  mot, 
tout  ce  qui  est  objet  d'art  et  d'industrie,  dans  les  choses  de  luxe 
comme  dans  celles  de  première  nécessité,  provient  de  l'étranger; 
car,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  Tindustrie,  au  Mexique,  est  abso- 
lument nulle.  Si  les  mines  de  ce  pays  se  sont  rouvertes,  et  re- 
commencent à  répandre  leurs  trésors,  c'est  parce  que  des  étran- 
gers sont  venus  y  dépenser  des  mBlions  pour  les  remettre  en 
exploitation.  Enfin,  si  le  Mexicain  veut  faire  quelques  pas  dans  h 
civilisation,  et  sortir  de  Tétat  d'abjection  où  il  est  plongé,  il  ne  le 
peut  qu'en  appelant  à  son  aide  les  lumières  et  les  arts  des  nations 
plus  avancées.  Ne  devrait-il  pas  fiiire  en  sorte  que  l'Européen  qni 
vient  apporter  à  son  pays  le  tribut  de  ses  talens  et  de  son  industrie, 
au  lieu  d'entendre  retentir  autour  de  lui  des  cris  de  rage  et  de 
mort,  y  reçût  un  accueil  amical  et  bienveillant,  et  qu'il  trourit 
sûreté  pour  sa  personne  et  sa  prop  iété?  Le  Mexicain  comprend 
parfaitement  combien  il  est  en  arrière  des  autres  iiations  sous  le 
rapport  de  la  civilisation,  de  Findustrie  et  des  arts;  il  sent  toat  ce 
qui  lui  manque,  et  quel  besoin  il  a  de  l'étranger;  mais  sa  haine  est 
plus  forte  que  sa  conviction.  Le  Mexicain  semble  avoir  déclaré  la 
guerre  à  toutes  les  autres  nations,  il  les  abhorre  toutes,  et  il  neles 
respectera  jamas  qu'auunt  qu*il  les  craindra^ 

Un  YOTAGBUR. 


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ÉCRIVAINS  CRITIQUES 

ET  MORALISTES 

DE  LA  FRANCE. 


IV. 
ILÙ  IBiaiDlIlIlIUË» 


Vers  1687,  année  où  parut  le  livre  des  Caractères,  le  siàde  de 
Louis  XIV  arrivait  à  ce  qu*on  peut  appeler  sa  troisième  période; 
les  grandes  oeuvres  qui  avaient  illustré  son  début  et  sa  plus  bril- 
butte  nx>itié  étaient  accomplies;  les  grands  auteurs  vivaient  encore 
la  plapart,  mais  se  reposaient.  On  peut  distinguer,  en  effet,  comme 
trois  parts  dans  cette  littérature  glorieuse.  La  première,  à  laquelle 
Louis  XIV  ne  fit  que  donner  son  nom  et  que  prêter  plus  ou  moins 
sa  foveur,  lui  vint  toute  formée  de  Tépoque  précédente;  j*y  range 
ks  poètes  et  écrivains  nés  de  1620  à  1626,  ou  même  avant  1630, 
La  Rochefoucauld,  Pascal,  Molière,  La  Fontaine,  M"^de  Sévigné. 
La  maturité  de  ces  écrivains  répond  ou  au  commencement  xm  aux 
pins  belles  années  du  règne  auquel  on  les  rapporte,  mais  elle  se 
PhnIvs^  en  vertu  d'une  force  et  d*une  nourriture  antérieures. 
Vue  seconde  génération  très  dtstincte  et  propre  au  règne  même  de 


N.      f   ■' 


I 

Louis  XIV  est  celle  en  tête  de  laquelle  on  voit  Boîleau  et  Racine,  ' 
et  qui  peut  nommer  encore  Fléchier,  Bourdaloue,  etc.,  etc.,  tous 
écrivains  ou  poètes,  nés  à  dater  de  1632,  et  qui  débutèrent  dans 
le  monde  au  plus  tôt  vers  le  temps  du  mariage  du  jeune  roi.  B)!- 
Içau  et  Racine  avaient  à  peu  près  terminé  leur  œuvre  à  cette  date 
de  1687;  its  étaient  tout  occupés  de  leurs  fonctions  d'historiogra- 
phe. Heureusement,  Racine  allait  être  tiré  de  son  silence  de  dix 
années  par  M*"*  de  Maintenon.  Bossuet  régnait  pleinement  par  son 
gér|ie  ^n<^  miEeu  du  grand  rè^e ,  et  sa  vieillesse  comnicnçaate  en 
devait  long-temps  encore  soutenh'  et  rehausser  la  majesté.  Cétait 
donc  un  admirable  moment  que  cette  fin  d*été  radieuse,  pour  une 
production  nouvelle  de  mûrs  et  brillans  esprits.  La  Bruyère  et 
Fénelon  parurent  et  achevèrent,  par  des  grâces  imprévues,  la 
beauté  d'un  tableau  qui  se  calmait  sensiblement  et  auquel  il  de- 
venait d'autant  plus  difficile  de  rien  ajouter.  L'air  qui  circulait 
dans  les  esprits,  si  Ton  peut  ainsi  dire,  était  alors  d'une  merveil- 
leuse sérénité.  La  chaleur  modérée  de  tant  de  nobles  œuvres, 
l'épuration  continue  qui  s'en  était  suivie ,  la  constance  enfin  des 
astres  et  de  la  saison,  avaient  .amené  l'atmosphère  des  esprits  à  un 
état  tellement  limpide  et  lumineux,  que,  du  prochain  beau  livre 
qui  saurait  naître,  pas  un  mot  immanquablement  ne  serait  perdu, 
pas  une  pensée  ne  resterait  dans  Torabre,  et  que  tout  naîtrait  dans 
son  vrai  jour.  Conjoncture  unique  I  éclaircissement  favorable  en 
môme  temps  que  redoutable  à  toute  pensée  1  car  combien  il  faudra 
fdefiôltieté  et  de  justesse  dans  la  nouveauté  et  la  profondeur!  La 
Bruyère  en  CTÎonipha.  Vers  les  mêmes  années,  ce  qui  devait  nourrir 
àaa  naifisance  et  composer  l'aimable  génie  de  Fénelon  était  égato^ 
«leot  disposé  et  comme  pétri  de  toutes  parts  ;  mais  la  fortune  et  le 
caractère  de  La  Bruyère  ont  quelque  chose  de  plus  singulier. 

On  ne  «ait  râa  ou  presque  rien  de  la  vie  de  La  Br«yère ,  et  cette 
id)8«rité ajoute,  comsieon  l'a  remarqué,  à  Tefifet  de  son  livre,  «t, 
«Kpeut  dipe,  au  bonliettr  piqaattt  de  sa  destinée.  S^iln'yapasoie 
$eiile  ligne  de  soo  livre  unique  qui«  depuis  le  premier  tnsUiitdeli 
]iiiWicatîon,  ne  soât  venue  et  restée  en  lunftière,  il  n'y  a  pas,«n  re- 
yaaohe,  ua  détail  particulier  de  l'auteur  qui  soit  bies  connu.  Taii 
b  rayoa  da  siècle  «est  tombé  juste  sur  diaqiie  p*s®  du  Hwre^  etk 
lésage  de  riieiime  qui  le  tenait  %iwmÊ,  à  la  vais  s'est  dérobé. 

Jhaarfei^Bmyèf^élaiiné  daMiiBi^itlaseiMNicfaei^^ 


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icRi  TAINS  GRmcpres  xr  mokaustbs  français.  MS 

ttSI^dÎMiIlcs  «n;cBl«UsdiMïat  ks  mtrtsetd'Olhrettopreiii^ 
qai  le  Eûi  mMiir  A  diiqiiaiite-de«x  fttts  (169â).  En  adojpcant  oM» 
4ste  de  1644,  La  Bmjère  avnvt  eu  viii^  ans  qoand  pamt  i4miro'>* 
•Mf .3r ;  aiosî  tous  les  frwis  sooœastfa  de  ees  ricbes  aMiées  màrireat 
potr  loi  et  fmteÉA  le  mets  de  sa  jeoneese;  il  essuyait»  sans  se  hâter^ 
bdiaiear  fiéofwde  de  ees  s^leSs.  Nul  towrifeettl,  nuHe  ewie.  Que 
d'aanées  d'étude  on  de  loisir  durant  lesquelles  il  dut  se  borner  k 
lire  avec  dooceur  et  réfleiio»,  attaai  a*  foad  des  choses  et  aiten* 
dMir  n  résulte  d'uae  netè  écnAe^ers  1720,  par  le  père  Boa^fiel 
^  parle  père  Le  Loag ,  daas  des  mémoires  particuliers  qui  se  trou- 
îaiemà  la  btfotiothèqae  de  VOratotre,  que  La  Bruyère  a  été  de  cette 
CMgrégatioii  (1).  Cela  reut-îl  dire  qn'tt  y  fut  simplement  élevé  otf 
fii  y  fia  engagé  qurique  tMaps?  Sa  première  relation  avec  Bos<- 
«et  se  rattaekepevt-étre  à  cette  eireonstance.  Quoi  qu'il  en  soit,  il 
Tenait  d'acheter  une  charge  de  trésorier  de  France  à  Gaen  lors- 
^  Bossuet,  qu'il  eonnaissait  on  ne  sait  d'oà,  t'appela  près  de 
M.  le  tec  po«r  lui  enseigner  rbistoire.  La  Bruyère  passa  le  reste  de 
m  jours  à  l  h6tet  de  Cendé  à  Versailles ,  attaché  au  prince  en  q«a« 
Itè  dbemme  de  lettres  avec  mtBe  écns  de  pension. 

A'Olivet  qui  est  malheurensement  trc^  bref  sur  le  célèbre  aa-« 
tcror,  iMûs  dont  la  parole  a  de  l'ausovité,  nous  dit  en  des  ternei 
txceKens  :  «r  On  me  l'a  dépeint  comme  mi  philosophe ,  qui  ne  soh^ 
«  geait  qa'Â  vivre  tranquille  avec  des  amis  et  des  Kvres,  faisant  un 
t  bon  dmx  des  uns  et  des  antres;  ne  cherchant  ni  ne  fuyant  le 
t  plaisir;  toujoursdfsposé  à  une  joie  modeste,  et  ingénieux  à  la  faire 
«iiakre;poli  dans  ses  manières  et  sage  dans  ses  discours;  crai^ 
«  gnant  toute  sorte  d'ambition,  même  celle  de  montrer  de  l'esprit.  » 
U  témoignage  de  Tacadémicien  se  trouve  eonGriné  d'une  mâmire 
frappante  par  eelui  de  Saint-Simon  qui  insiste,  avecTautorité  d'un 
^^min  non  suspect  d'indulgence,  précisément  sur  ces  mêmes qea-^ 
liés  de  bon  goût  et  de  sagesse  :  cr  Le  public,  dit-il,  perdit  bientM 
«après  (^696]  un  homme  illustre  par  son  esprit,  par  son  style  el 
rpar  ta  connaissance  des  hommes  ;  je  veux  dire  La  Bruyère ,  qui 
«noumt  d*apoptexie  à  Versailles,  après  avoir  surpassé  Théo^ 
«phrasteen  travaillant  d'après  lui  et  avoir  peint  les  hommes  de 
r  notre  temps  dans  ses  nouTeaux  Cëraciires  d*une  manière  in 

#7  Histoire  ManascrilB  de  l*Oratoir« ,  par  Adry,  avi  ArehiTes  chi  EoyMiii^ 


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104  RBTUE  DES  DEUX  MONDES. 

tf  table.  C'était  d*ailleiirs  un  fort  honnête  homme,  de  très  bonne 
a  compagnie ,  simple ,  sans  rien  de  pédant  et  fort  désintéressé.  Je 
a  Tavais  assez  connu  pour  le  regretter  et  les  ouvrages  que  soir 
«  âge  et  sa  santé  pouvaient  faire  espérer  de  lui.  »  Boileau  se  moi- 
trait  un  peu  plus  difGcilc  en  fait  de  ton  et  de  manière  que  le  duc 
de  Saint-Simon,  quand  il  écrivait  à  Racine,  19  mai  1687  :  «  Maximi- 
a  lien  [pnurq'ioi  ce  sobriqiet  de  Marimilien'!)  m*est  venu  voir  à  All- 
er teuil  et  m*a  lu  quelque  chose  de  son  Théophraxte.  Cest  un  fort 
a  honnête  homme  à  qui  il  ne  manquerait  rien  si  la  nature  Tavaît  fiut 
a  aussi  agréable  qu'il  a  envie  de  Têtre.  Du  reste,  il  a  de  Tesprit,  da 
a  savoir  et  du  mérite:  »  Nous  reviendrons  sur  ce  jugement  de  Boi- 
leau :  La  Bruyère  était  déjà  un  peu  à  ses  yeux  un  homme  des  gé- 
nérations nouvelles,  un  de  ceux  en  qui  volontiers  Ton  trouve  que 
l*envie  d*avoir  de  Tesprit  après  nous,  et  autrement  que  nous,  est 
plus  grande  qu*il  ne  faudrait. 

Ce  même  Saint-Simon,  qui  regrettait  La  Bruyère,  et  qui  avait  plos 
d'une  fois  causé  avec  lui,  nous  peint  la  maison  de  fiOndé  et  M.Je 
Duc  en  particulier,  l'élève  du  philosophe,  en  des  traits  qui  réflé- 
'  chissent  sur  l'existence  intérieure  de  celui-ci.  A  propos  de  la  mort 
de  M.  le  Duc,  1710 ,  il  nous  dit  avec  ce  feu  qui  mêle  tout,  et  qui  fut 
tout  voir  à  la  fois  :  a  H  était  d'un  jaune  livide,  l'air  presque  toa- 
a  jours  furieux,  mais  en  tout  temps  si  fier,  si  audacieux,  quoD 
•  <r  avait  peine  à  s'accoutumer  à  lui.  Il  avait  de  l'esprit,  de  la  lecture, 
«r  des  restes  d'une  excellente  éducation  (je  le  crois  bim)^  de  la  poli- 
«  tesse  et  des  grâces  même  quand  il  voulait,  mais  il  voulait  très 
cr  rarement....  Sa  férocité  était  extrême,  et  se  montrait  en  tout. 
«  C'était  une  meule  toujours  en  l'air,  qui  faisait  fuir  devant  elle,  et 
«  dont  ses  amis  n'étaient  jamais  en  sûreté,  tantôt  par  des  insultes 
a  extrêmes,  tantôt  par  des  plaisanteries  cruelles  en  face,  etc.  »  A 
l'année  1697,  il  raconte  comment,  tenant  les  états  de  Bourgogne  i 
Dijon  à  la  place  de  M.  le  Prince  son  père,  M.  le  Duc  y  donna  oft 
grand  exemple  de  l'amitié  des  princes  et  une  bonne  leçon  à  ceax 
qui  la  recherchent.  Ayant  un  soir,  en  effet,  poussé  Santeuil  de  vin  de 
Champagne,  il  trouva  plaisant  de  verser  sa  tabatière  de  tabac  d'Es- 
pagne dans  un  grand  verre  de  vin  et  le  lui  offrit  à  boire;  le  pauvre 
Thèudas  si  naïf,  si  ingénu,  si  bon  convive  et  plein  de  verve  et  de 
bons  mots,  mourut  dans  d'affreux  vomissemens.  Tel  était  le  petit- 
fils  du  grand  Condé  et  l'élève  de  La  Bruyère.  Déjà  le  poète  Sarra- 


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ÉCRIVAINS  CRITIQUES  ET  MORALISTES  FRANÇAIS.  105 

an  était  mort  autrefois  sous  le  bâton  d^un  Conti  dont  il  était  secré- 
taire. A  la  manière  énergique  dont  Saint-Simon  nous  parle  de  cette 
race  des  Condés,  on  voit  comment  par  degrés  en  elle  le  héros  en 
viendra  à  n*étre  plus  que  quelque  chose  tenant  du  chasseur  ou  du 
sanglier.  Du  temps  de  La  Bruyère,  l'esprit  y  conservait  une  grande 
part;  car,  comme  dit  encore  Saint-Simon  de  Santeuil,  cr  M.  le 
c Prince  Tavait  presque  toujours  à  Chantilly  quand  il  y  allait;  M.  le 
t  Duc  le  mettait  de  toutes  ses  parties;  c'était  de  toute  la  maison  de 
«Condé  à  qui  Taimait  le  mieux,  études  assauts  continuels  avec  lui 
t  de  pièces  d*esprit  en  prose  et  en  vers,  et  de  toutes  sortes  d*amu- 
«semens,  de  badinages  et  de  plaisanteries,  d  La  Bruyère  dut  tirer 
on  fruit  inappréciable,  comme  observateur,  d'être  initié  de  près  à 
cette  famille  si  remarquable  alors  par  ce  mélange  d'heureux  dons, 
d'urbanité  brillante,  de  férocité  et  de  débauche.  Toutes  ses  remar- 
ques sur  les  héros  et  les  en  fans  des  dieux  naissent  de  là;  il  y  a  tou- 
jours dissimulé  l'amertume  :  or  Les  Enfans  des  Dieux,  pour  ainsi 
t  dire,  se  tirent  des  règles  de  la  nature  et  en  sont  comme  l'excep- 
«  tion.  Us  n'attendent  presque  rien  du  temps  et  des  années.  Le 
«  mérite  chez  eux  devance  Tàge.  Ds  naissent  instruits,  et  ils  sont 
tr  plus  tôt  dés  hommes  parfaits  que  le  commun  des  hommes  ne  sort 
«  de  l'enfance,  d  Au  chapitre  des  Grands  il  s'est  échappé  à  dire  ce 
c|u'il  avait  du  penser  si  souvent  :  a  L'avantage  des  Grands  sur  les 
«  autres  hommes,  est  immense  par  un  endroit  :  je  leur  cède  leur 
«  bonne  chère,  leurs  riches  ameublemens,  leurs  chiens,  leurs  che- 
«  vaux,  leurs  singes,  leurs  nains,  leurs  fous  et  leurs  flatteurs; 
«  mais  je  leur  envie  le  bonheur  d'avoir  à  leur  service. des  gens  qui 
«  les^égalent  par  le  cœur  et  par  l'esprit,  et  qui  les  passent  quelque- 
«  fois.  JD  Les  réflexions  inévitables,  que  le  scandale  des  mœurs  prin-« 
Qères  lui  inspirait,  n'étaient  pas  perdues,  on  peut  le  croire,  et 
^assortaient  moyennant  détour  :  a  M  y  a  des  misères  sur  la  terre 
t  qui  saisissent  le  cœur  :  il  manque  à  quelques-uns  jusqu'aux  ali- 
«mens;  ils  redoutent  l'hiver;  ils  appréhendent  de  vivre.  L'on 
«  mange  ailleurs  des  fruits  précoces;  l'on  force  la  terre  et  les  sai- 
«  sons,  pour  fjurnir  à  sa  délicatesse.  De  simples  bourgeois,  seule- 
«  ment  à  cause  qu'ils  étaient  riches,  ont  eu  l'audace  d'avaler  en  un 
tseul  morceau  la  nourriture  de  cent  familles.  Tienne  qui  pourra 
«  contre  de  si  grandes  extrémités,  je  me  jette  et  me  réfugie  dansr 
I  la  médiocrité,  d  Les  simples  bourgeois  Viennent  Ik  bien  à  propos 


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1Q6  mETis  DBS  m:m 

^f<fy<»AasBertert|igo€he,nMtt»janarépo>di^p 

■A  fui  éerifte  «a  mît  ta  reotraal  d'iui  4e  ces  soupers  de  4eiM- 

éàamaL,  où  If*  k  Duc  fWKiMni  tf «  tkMmfoyme  SsatenA. 

Li  Bruyère,  qui  «inak  h  lecture  des  aadeiis,  eut  ua  jotr 
ridée  de  traduire  Théophiaste,  et  il  pensa  i  çKsser  à  h  saite  ctà 
iafâveur  de  sa  traduction  <pieiq«e»-«ttes  de  ses  propres  réflexÎMs 
sur  les  msrars  nederues.  Celle  traduction  r'eTlié  phraste  n^était- 
elle  peur  hii  <<pi*un  prétexte  ou  fut-elle  vraiaiefit  Toccasion  d^ier- 
saiaante  et  le  preuii^  dessein  principalt  On  pencherait  plutôt  pôtr 
eetie  suppositkMi  moindre,  eu  royant  la  fome  de  réditioa  Aus 
faupirile  parurent  d*abord  les  Caractères,  et  combien  Tbéophrasie 
y  occupe  «w  f/rêmie  place.  La  Bruyère  était  très  pénétré  de  cette 
idée^  par  laqueUe  il  ouvre  son  premier  cfaaptre,  que  tmaestétH 
tftti^VimvkmltPopHrd^irhMphtëéeiiepimUkaw 
et  fut  pcRsea/.  11  se  déclare  de  Tavis  que  nous  avons  vu  de  uds 
jours  partagé  par  Courier,  lire  et  reUre  sans  cesse  les  aoriens, 
les  traduire  si  Ten  peut,  et  les  iniser  quelquefois  :  «  On  «e  saurat 
a  en  écri^rant  rencantrer  le  pariait,  et ,  s  il  se  peut,  surpasser  les 
«  anciens,  que  pur  leur  imitation.  >>  Aux  anciens,  La  Bruyère 
afOttSs  ies  habiies  d'aOre  ieg  mtÊdariteM  comme  ayant  enlevé  à  leurs 
successeurs  tardîfe  le  raettteur  et  le  phis  beau.  C*est  dans  cette 
disposition  qu*il  commence  à  glaner ^  et  diaqne  épi,  chaque  grain 
qu*il  croit  digne,  il  le  ran^  devant  nous.  La  pensée  du  diflfidte, 
eu  nàr  et  dn  parfait  Tocenpe  visiblement,  et  atteste  avec  graviié, 
dans  chacune  de  ses  paroles,  rbeure  solennelle  du  siècle  où  il 
.  cent.  Ce  n*était  plus  llieure  des  coups  dressai.  Presque  tons  ceax 
spn  avaiem  porté  les  grands^  coups  vivaient.  MoKère  élsât  moit; 
kms-tomps  après  Pascal,  La  Rochefoucauld  avait  disparu;  mais 
tous  les  autves  restaient  là  rangés.  Quels  noms!  quel  auditeire 
Auguste,  consomaié,  déjà  un  peu  sombre  de  front,  et  un  peu  d- 
Jendeux!  Dana  son  discours  à  l'Académie,  La  Bruyère  hn-m^ne 
les  a  énumérés  en  lace;  il  les  avait  passés  en  revue  dans  ses  veilles 
bien  des  fais  auparavasL  Et  ces  Grands,  rapides  connaisseurs  é» 
Tetq^itl  et  ChantiHy,  èouM  dm  marnais  mvrage<i!  et  ce  Itoi,  rdiri 
dans  sou  balustre,  qni  les  domine  teusl  quels  juges,  pour  q»,  sir 
la  fin  du  grand  tournoi,  s^en  viem  aussi  demander  la  ^ire!  Li 
Bruyère  a  tout  prévu,  et  il  ose.  I!  sait  la  mestn^  qu'il  Cane  tenir  et 
te  peînf  eà û  but finpfier.  Modeste  et  sAr,  a savwœ^  {m  un i^ 


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éCRIVAIIfS  ORtKtVBS  BfT  VORAlrSTËS  FRANÇAIS.  iW 

fort  en  rainl  pas  on  mot  d&  peHtiI  dn  premier  eèifp;  MbplaMi^ 
<pii  ne  le  cède  à  aucune  autre  est  gagnée.  Ceux  qftii,  par  une*  cefT-' 
uine  disposition  trop  rare  de  l'esprit  et  du  ccpur,  «ouf  en  èmi, 
comme  iF  dît,  de  se  livrer  au  plaitir  qtte  donne  Ih  perfeeiim  dun  ôa^ 
vrage,  ceux-là  éprouvent  une  émotion,  d'eux  seuls  concevable,  éll^ 
ouvrant  la  petite  édition  m-12,  d'un  seul  vofume,  année  1686,  db 
trois  cent  soixante  pages  en  fort  gros  caractères,  desquelles  Théo-» 
phraste,  arec  le  discours  préliminaire,  occupe  cent  (fuarante^eu^, 
et  en  songeant  que,  sauf  les  perfectionnemens  réels  et  nombreux 
que  reçurent  les  éditions  suivantes,  tout  La  Bruyère  est  déjà  là. 

Plus  tard,  à  partir  de  la  troisième  édition,  La  Bruyère  ajouta 
successivement  et  beaucoup  à  chacun  de  ses  seize  cftapitres.  Dw 
pensées  qu'il  avait  peut-être  gardées  en  portefeuille  dans  sst  pre- 
mière circonspection,  des  ridicules  cpie  son  livre  même  fit  lever 
devant  lui,  des  originaux  qui  d'eux-mêmes  se  livrèrent,  enrirfrireni 
et  accomplirent  de  mille  façons  le  chef-d'œuvre.  La  première  éd!^ 
tion  renferme  surtout  incomparablement  moins  de  portraits  cpw 
les  suivantes.  L'excitation  et  l'irritation  de  la  publicité  les  fit  naître* 
sous  ta  plume  de  l'auteur,  qui  avait  principalement  songé  d'abord^ 
à  des  réflexions  et  remarques  morales,  s*appuyant  même  à  ce  sujcft 
du  titre  de  Proverbe»  donné  au  livre  de  Salomon.  Les'  Caractères 
ont  singulièrement  gagné  aux  additions  :  mais  on  Voit  mieux  qud 
fut  le  dessein  naturel,  l'origine  simple  du  livre  et,  si  j'ose  dîrer, 
son  accident  heureux,  dans  cette  première  et  plus  courte  forme. 

En  le  faisant  naitre  en  1644,  La  Bruyère  avait  quarante-troiis 
ans  en  8*7.  Ses  habitudes  étaient  prises,  sa  vie  réglée;  il  n^y  cfiail^' 
gea  rien.  La  gloire  soudaine  qui  hii  vint  né  l'éblouitpas;  il  yava^t 
songé  de  longue  main ,  l'avait  retournée  en  tous  sens ,  et  savait  fbtt 
bien  qu  il  aurait  pu  ne  point  l'avoir  et  ne  pas  valoir  moins  pour 
cela.  D  avait  dit  dès  sa  première  édition  :  a  Combien  d'homme»ad^ 
<r  mirables  et  qui  avaient  de  très  beaux  génies  sont  morts  satm 
d  qu'on  en  ait  parlé!  Combien  vivent  encore  dont  on  ne  parlé  peint 
a  et  dont  on  ne  parlera  jamais  !  »  Loué,  attaqué,  recherché,  îî  se 
trouva  seulement  peut-être  un  peu  moins  heureux  après  qu'avant 
son  succès,  et  regretta  sans  doute  à  certains  jours  d'avoir  livré  au 
public  une  si  grande  part  de  son  secret.  Les  imitateurs  qui  lui  sur- 
yim^iit  de  tous  côtés,  les  abbés  de  Vîllîers,  les  abbés  de  Mlé^ 
garde  (en  attendant  les  Brillon,  Alléaume  et  autres,  qu'il  ne  Connut 


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166  REVUE  DBS  DEUX  MONDES. 

pas  et  que  les  Hollandais  ne  surent  jamais  bien  distinguer  de  lui), 
ces  auteurs  nés  copiâtes  qui  s'attachent  à  tout  succès  comme  les 
mouches  aux  mets  délicats ,  ces  Trubiets  d*alorSy  durent  par  mo- 
mens  lui  causer  de  Timpatience  :  on  a  cru  que  son  conseil  à  un 
auteur  né  copiste  (chap.  de^  Ouvrages  de  CEsprii)^  qui  ne  se  trouTaft 
pas  dans  les  premières  éditions,  s'adressait  à  cet  honnête  abbé  de 
Yilliers.  Reçu  à  TAcadémie  le  15  juin  1693,  époque  oii  il  y  avait 
déjà  eu  en  France  sept  éditions  des  Caractères,  La  Bruyère  mourut 
subitement  d'apoplexie  en  1696  et  disparut  ainsi  en  pleine  gloire, 
avant  que  les  biographes  et  commentateurs  eussent  avisé  encore 
à  rapprocher,  à  le  saisir  dans  sa  condition  modeste  et  à  noter  ses 
réponses.  On  lit  dans  la  note  manuscrite  de  la  bibliothèque  de  l'Ora- 
toire ,  citée  par  Adry ,  a  que  M"*  la  marquise  de  Belleforière,  de  qui 
«  il  était  fort  l'ami,  pourrait  donner  quelques  mémoires  sur  sa  vie 
a  et  son  caractère,  d  Cette  M""*  de  Belleforière  n'a  rien  dit  et  n'a 
probablement  pas  été  interrogée.  Vieille  en  1720,  date  de  la  note 
manuscrite,  était  elle  une  de  ces  personnes  dont  La  Bruyère,  an 
chapitre  du  Cœur,  devait  avoir  Tidée  présente  quand  il  disait  :  «  D  y 
a  a  quelquefois  dans  le  cours  de  la  vie  de  si  chers  plaisirs  et  de  si 
cr  tendres  engagemens  que  l'on  nous  défend,  qu'il  est  naturel  de 
ii  désirer  du  moins  qu'ils  fussent  permis  :  de  si  grands  charmes  ne 
«  peuvent  être  surpassés  que  par  celui  de  savoir  y  renoncer  par 
«  vertu.  »  Était-elle  celle^à  même  qui  lui  faisait  penser  ce  mot  d'une 
délicatesse  qui  va  à  la  grandeur?  a  L'on  peut  être  touché  de  cer- 
«  taines  beautés  si  parfaites  et  d'un  mérite  si  éclatant,  que  l'on  se 
<c  borne  à  les  voir  et  à  leur  parler  (1).  » 

n  y  a  moyen,  avec  un  peu  de  complaisance,  de  reconstruire  et  de 
rêver  plus  d'une  sorte  de  vie  cachée  pour  La  Bruyère,  d'après 
quelques-unes  de  ses  pensées  qui  recèlent  toute  une  destinée  et,. 
comme  il  semble,  tout  un  roman  enseveli.  A  la  manière  dont  il  parle 
de  l'amitié,  de  ce  goût  qu'elle  a  et  auquel  ne  peuvent  a:teitulre  ceux 
qui  sont  nés  médincres,  on  croirait  qu'il  a  renoncé  pour  elle  à 
l'amour;  et  à  la  façon  dont  il  pose  certaines  questions  ravissantes, 
on  jurerait  qu  il  a  eu  assez  Vexpérience  d'un  grand  amour  pour 
devoir  négliger  l'amitié.  Cette  diversité  de  pensées  accomplies,  des- 

.(1)  CeUe  dame  éUit,  selon  toute  yraisemblaQcc»  Justine-Hélène  de  Bénin,  flile  du  tei- 
goeur  de  Querevain,  mariée  à  Ferdinand,  seigneur  de  Belleforière.  (Voir  lloi«ri.) 


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ÉCRITAINS  CRITIQUES  ET  MORALISTES  FRANÇAIS.  109 

queQes  on  pourrait  tirer  tour  à  tour  plusieurs  manières  d*exis- 
tencecharmantesou  profondes,  et  qu*une  seule  personne  n*a  pu  di- 
rectement former  de  sa  seule  et  propre  expérience,  s'explique  d'un 
mot  :  MoUère,  sans  être  Alceste,  ni  Philinte,  ni  Orgon,  ni  Argan, 
est  successivement  tout  cela;  La  Bruyère,  dans  le  cercle  du  mora- 
liste, a  ce  don  assez  pareil,  d*étre  successivement  chaque  cœur;  il 
est  du  petit  nombre  de  ces  hommes  qui  ont  tout  su. 
-  Molière,  à  l'étudier  de  près,  ne  fait  pas  ce  qu'il  prêche.  H  repré- 
sente lesinconvéniens,  les  passions,  les  rid'cules,  et  dans  sa  vie  il 
y  tombe;  La  Bruyère  jamais.  Les  petites  inconséquences  du  Tar-^ 
tuffe^  il  les  a  saisies,  et  son  Onnplire  est  irréprochable  :  de  même 
pour  sa  conduite,  il  pense  à  tout  et  se  conforme  à  ses  maximes,  à 
son  expérience.  Molière  est  poète,  entraîné,  ir régulier,  mélange  de 
oaïveté  et  de  feu,  et  plus  grand,  plus  aimable  peut-être  par  ses 
contradictions  mêmes  ;  La  Bruyère  est  sage.  Il  ne  se  maria  jamais  : 
«  Un  homme  libre,  avait-il  observé,  et  qui  n'a  p  .int  de  femme,  s'il 
c  a  quelque  esprit,  peut  s'élever  au-dessus  de  sa  fortune,  se  mêler 
a  dans  le  monde  et  aller  de  pair  avec  les  plus  honnêtes  gens.  Cela 
«  est  moins  facile  à  celui  qui  est  engagé;  il  semble  que  le  mariage 
((  mot  tout  le  monde  dans  son  ordre.  »  Ceux  à  qui  ce  calcul  de  célibat 
déplairait  pour  La  Bruyère,  peuvent  supposer  qu'il  aima  en  lieu 
impossible  et  qu'il  resta  fidèle  à  un  souvenir  dans  le  renoncement. 
On  a  remarqué  souvent  combien  la  beauté  humaine.de  son  cœur 
se  déclare  énergiquement  à  travers  la  science  inexorable  de  son 
esprit  :  «  Il  faut  des  saisies  de  terre,  des  enlèvemens  de  meubles, 
«  des  prisons  et  des  supplices,  je  Vavoue;  mais  justice,  lois  et  be- 
0  soins  à  part,  ce  m'est  une  chose  toujours  nouvelle  de  contempler 
0  avec  quelle  férocité  les  hommes  traitent  les  autres  hommes.  » 
Que  de  réformes,  poursuivies  depuis  lors  et  non  encore  menées  à 
fin,  contient  cette  parole I  le  cœur  d'un  Fénelon  y  palpite  sous  un 
accent  plus  contenu.  La  Bruyère  s'étonne,  comme  d*une  chose 
tottjohrs  nouvelle,  de  ce  que  M""*  de  Sévigné  trouvait  tout  simple, 
ou  seulement  un  peu  drôle  :  le  XYiii*"  siècle,  qui  s'étonnera  de  tant 
de  dioses,  s*avance.  Je  ne  fais  que  rappeler  la  page  sublime  sur 
les  paysans  :  a  Certains  animaux  farouches,  etc.  (chap.  de  V Homme),  jd 
On  s'est  accordé  à  reconnaître  La  Bruyère  dans  le  portrait  du 
philosophe  qui,  assis  dans  son  cabinet   et  toujours  accessiblq 


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H(^  RETUK    DES  DEUX   MONDES^ 

malgré  ses  étades  profondes,  Toas  ii%  d'entrer,  et  que  voos  loi 
apportez  cpielqne  chose  de  plus  précieux  que  for  et  Targent^  it 
c'est  une  eectu'n  n  de  tfOH$*thlîyer. 

B;  étai«  leligievx,  et  d'un  spiritualisme  fermement  raisonné,^ 
comme^n  fait  foi  son  chapitre  des  EsprUi  fort*^  qui,  venu  le  der- 
nier, répond  tout  ensemble  à  une  beauté  secrète  de  composition, 
à  une  précaution  ménagée  d* avance  contre  des  attaques  qui  n'ont 
pas  manqué,  et  à  une  conviction  profonde.  La  diafectique  de  ce  cha- 
pitre est  forte  et  sincère;  mais  Taoteur  en  avait  besoin  pour  racheter 
plus  dTtin  mot  qui  dénote  le  philosophe  aisément  dégagé  du  temps 
où  il  vit,  pour  appuyer  surtout  et  couvrir  ses  attaques  contre  la 
fausse  dérodon  alors  régnante.  La  Bruyère  n*a  pas  déserté  sur 
ce  point  Théritage  de  Hilolière  :  il  a  continué  cette  guerre  coura- 
'  geuse  sur  une  scène  bien  plus  resserrée  (l'autre  scène,  d'ailleurs, 
B*eût  phis  été  permise),  mais  avec  des  armes  non  moins  vengeres- 
ses, n  d  fait  plus  que  de  montrer  au  doigt  le  courtisan,  qui  autre- 
fo'is  jiorfail  nés  cher  eux,  en  perruque  désormais,  1  habit  serré  et  le 
bas  uni,  parce  qu'il  est  dévot;  il  a  fait  plus  que  de  dénoiM^er  à 
Tavance  les  représailles  impies  de  la  régence,  par  le  trait  ineffo- 
çable  :  fJn  dévot  est  celai  q  ù  sou*  un  rvi  athée  serait  aUiée;  il  a 
»lre$sé  à  Louis  XIV  m^me  ce  conseil  direct ,  à  peine  voilé  en  éloge  : 
«  Cest  une  chose  délicate  à  un  prince  religieux  de  réformer  la 
«r  cour  et  la  rendre  pieuse  :  instruit  jusques  oà  le  courtisan  veut 
«  lui  plaire  et  aux  dépens  de  quoi  il  ferait  sa  fortune,  il  le  ménage 
c  avec  prudence;  il  tolère,  il  dissimule,  de  peur  de  le  jeter  dans 
<r  l^ypocrisie  ou  le  saerilége;  il  attend  plus  de  Dieu  et  du  temps 
«  que  de  son  zèle  et  de  son  ti»dustrie.  » 

Malgré  ses  dialogues  sur  le  cpiiétisme,  malgré  quelques  mots 
qu'on  regrette  de  lire  s«r  la  révocation  de  Tédit  de  Nantes,  et  quel- 
que endroit  fe^vorable  i  la  magie,  je  serais  tenté  plutôt  de  soupçon- 
ner La  Bruyère  de  Bberté  d*esprit  que  du  contraire.  Ai  chré  ken  et 
Françaisy  ilselrouva  plus  d'une  fois,  comme  il  dit,  contraint  dan* 
la  satire,  car  sll  songeait  surtout  à  Boileau  en  parlant  ainsi,  il  de- 
vait par  contre-eoup  songer  un  peu  à  lui-mâme,  et  à  ces  grande  sw 
jets  qui  lui  éta'ent  défendus,  il  les  sonde  d*un  mot,  mais  il  feal 
qu'aussitôt  il  s* en  retire.  D  est  de  ces  esprits  qui  auraient  eu  peu  à 
faire  { s'ils  ne  l'ont  pas  fait  )  pour  sortir  sans  effort  et  sans  étonne-» 


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ÉCRIVAINS  'CmriQCISS  ET  MORALISTES  FRANÇAIS.  111 

i  4%  lootes  1b5  drcfmsftances  accnfentdles  qni  restreignent  la 
ive.  Cest  bien  noms  (f  après  uA  ontdfBort  détaché,  qne  d'après 
llttbilBde  entière  <lesiMi  joçeaienft  quH  se  laisse  voir  ainsi. 

On  tJMt  lire  snr  La  Bmyère  trois  morceanx  essentiels,  dont  ce 
fK  je  4m  idn'a  nuHenient  ta  prétention  de  dispenser.  Le  premier 
iioroea««e  date  es^  •cehn  de  Tabbé  d'Olîvet  dans  son  ffîstoire  de 
fÀcadémk.  On  y  voit  trace  d'une  manière  de  juger  littérairement 
rîBB9lre  anlevr,  qoi  devait  être  partagée  de  phis  d*nn  esprit  clos-- 
siqf€  à  la  fin  dfi  xvM'et  aut^ommencement  dn  HYnf  siècle  :  c'est  le 
dérdoppemeiHet,  selon  moi ,  Fédaircissement  dn  mot  un  peu  obs- 
CBT  de  Bo3eaa  à  Racine.  D'Oli?et  troove  à  La  Bruyère  trop  d'art, 
trop  ifciprîf ,  quelque  abus  de  métaphores  :  a  Quant  au  style  préci- 
«  sèment,  M.  de  La  Bruyère  ne  doit  pas  être  lu  sans  déGance ,  parce 
«  qa*3  a  donné,  mais  pourtant  avec  une  modération ,  qui,  de  nos 
«  joars,  tiendrait  lieu  de  mérite,  dans  ce  style  affecté,  guindé,  entor* 
«  taié,  etc.  »  Nicole,  dont  La  Bruyère  a  dit  en  un  endroit  qu'il  ne  pen- 
mt  pm  «»*e5,  devait  trouver,  en  revanche,  que  le  nouveau  mora- 
Usle  pensait  trop,  et  se  piquait  trop  vivement  de  raffiner  la  tâche. 
Nous  rerîendr^tts  sur  cela  tout  à  Theure.  On  regrette  qu'à  côté  de 
ces  jugemens,  qui,  partant  d'un  homme  de  goût  et  d'autorité,  ont 
leur  prix,  dXÏHvet  n^ah  pas  procuré  plus  de  détails^  au  moins  aca- 
démiques, sur  La  Bruyère.  La  réception  de  La  Bruyère  à  l'Acadé- 
mie donna  Ken  à  des  quereBes,  •dont  lui-même  nous  a  entretenus 
émts  la  préface  de  son  discours  et  qui  laissent  à  désirer  quelques 
expifcatioaiis.  Si  heureux  d'emblée  qu'eût  été  La  Bruyère ,  il  lui  fal- 
lut, on  Je  voit ,  soutenir  salutte  à  son  tour  comme  Corneille,  comme 
Itolière  en  leur  temps,  comme  tous  les  vrais  grands.  ïl  est  obligé 
cTaHéguer  «on  chapitre  des  Esprits  f.rtsei  de  supposer  à  l'ordre  de 
ses  matières  un  dessein  religieux  un  peu  subtil,  pour  mettre  à  cou- 
vert sa  foi.  H  est  obKgé  de  mer  la  réalité  de  ses  portraits,  de  re- 
jeter au  visage  des  fabricateurs  ces  insi  lentes  clés  comme  il  le^ 
nppcffie  :  Maniai  avait  déjà  dit  excellemment  :  Improùè  fatv  qui 
in  aftenn  îibro  ingenio^us  est,  —  «  En  vérité,  je  ne  doute  point,  s'écrie 
«La Bruyère  avec  un  accent  d'orgueil  auquel  l'outrage  a  forcé  sa 
«r  modestie,  que  le  pubKc  ne  sort  «nfin  étourdi  et  fatigué  d'entendre 
•r  depuis  quelques  années  de  vieux  co  rbeaux  croasser  autou  r  de  ceux 
9  qui,  d'un  vol  Hbre  et  d* une  plume  légère,  se  sont  élevés  à  quçl- 
cr  que  gloire  par  teurs  écrits.  »<}uei  est  ce  corbeau  qui  croassa,  ce 


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112  REVUS  DBS  DEUX  MONDES. 

Thé'baMe  qui  bâilla  si  fort  et  si  haut  à  la  harangue  de  La  Bruyère, 
et  qui  avec  quelques  académiciens ,  faux  confrères,  ameuta  les  co- 
teries et  le  Mercure  Galaiii^  lequel  se  vengeait  (c*est  tout  simple) 
d'avoir  été  mis  immédiatement  au-dessous  de  rien?  Benserade,  à 
qui  le  signalement  de  Théobalde  sied  assez,  était  mort  ;  était-ce  Bour- 
sault  qui,  sans  appartenir  à  T Académie,  avait  pu  se  coaliser  avec 
quelques-uns  du  dedans?  Était-ce  le  vieux  Boyer  ou  quelque  autre 
de  même  force?  D*01ivet  montre  trop  de  discrétion  là-dessus.  Les 
deux  autres  morceaux  essentiels  à  lire  sur  La  Bruyère  sont  une 
notice  exquise  de  Suard  écrite  en  1782,  et  un  Éloge  approfondi  par 
Yictorin  Fabre  [1810] .  On  apprend  d'un  morceau  qui  se  trouve  dans 
t  Esprit  des  Journaux  (février  1782),  et  où  Fauteur  anonyme  apprécie 
fort  délicatement  lui-même  la  notice  de  Suard,  que  La  Bruyère, 
déjà  moins  lu  et  moins  recherc  .é  au  dire  de  D^Olivet,  n'avait  pas 
été  complètement  mis  à  sa  place  par  le  xviii*'  siècle  :  Voltaire  ea 
avait  parlé  légèrement  dans  le  Siècle  de  Louin  XIV:  <r  Le  marquis  de 
a  Vauvenargues,  dit  Tauteur  anonyme  (qui  serait  digne  d'être  Fon- 
<r  tanes  ou  Garât) ,  est  presque  le  seul  de  tous  ceux  qui  ont  parlé  de 
<r  La  Bruyère  qui  ait  bien  senti  ce  talent  vraiment  grand  et  original, 
(c  Mais  Vauvenargues  lui-même  n'a  pas  l'estime  et  l'autorité  qui  de- 
a  vraient  appartenir  à  un  écrivain  qui  participe  à  la  fois  de  la  sage 
<r  étendue  d'esprit  de  Locke,  de  la  pensée  originale  de  Montesquieu, 
Q  de  la  verve  de  style  de  Pascal,  mêlée  au  goût  de  la  prose  de  Vol- 
er taire  ;  il  n'a  pu  faire  ni  la  réputation  de  La  Bruyère,  ni  la  sienne,  b 
Cinquante  ans  de  plus,  en  achevant  de  consacrer  La  Bruyère  conuDe 
génie,  ont  donné  à  Vauvenargues  lui-même  le  vernis  des  maîtres. 
La  Bruyère,  que  le  xviii'  siècle  était  ainsi  lent  à  apprécier,  avait 
avec  ce  siècle  plus  dun  point  de  ressemblance  qu'il  faut  suivre  de 
plus  près  encore. 

Dans  ces  diverses  études  charmantes  ou  fortes  sur  La  Bruyère , 
comme  celles  de  Suard  et  de  Fabre,  au  milieu  de  mille  sortes  d'in- 
génieux éloges,  un  mot  est  lâché  qui  étonne,  appliqué  à  un  aussi 
grand  écrivain  du  wii*"  siècle.  Suard  dit  en  propres  termes  que 
La  Bruyère  avait  plus  d'imagination  que  de  goût.  Fabre,  après  une 
analyse  complète  de  ses  mérites,  conclut  à  le  placer  dans  le  si  petit 
nombre  des  parfaits  modèles  de  l'art  d'écrire,  s'il  montrait  toujours 
autant  de  g^jût  qu'il  prodigue  d'esprit  et  de  talent.  Cesi  la  première 
fois  qu  à  propos  d'un  des  maîtres  du  grand  siècle  on  entend  toucher 


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iCRIYAIlfS  CRITIQUES  ET  MORALIStTES  FRANÇAIS.  113 

cctttè  corde  délicate,  et  ceci^tient  à  ce  que  La  Brayère,  venu  tard 
et  innovant  véritablement  dans  le  style»  penche  déjà  vers  Vàge  sui- 
vant, n  nous  a  tracé  une  courte  histoire  de  la  prose  française  en  ces 
termes  :  «  L*on  écrit  régulièrement  depuis  vingt  années;  Ton 
€  est  esclave  de  la  construction;  Ton  a  enrichi  la  langue  de  nouveaux 
«  tours,  secoué  le  joug  du  latinisme,. et  réduit  le  style  à  la  phrase 
«  purement  française  ;  Ton  a  presque  retrouvé  le  nombre  que  Mal- 
-  «  herbe  et  Balzacavaient  les  premiers  rencontré,  et  que  tant  d'auteurs 
ff  depuis  eux  ont  laissé  perdre;  Ton  a  mis  enfin  dans  le  discours  tout 
«  Tordre  et  toute  là  netteté  dont  il  est  capable  :  cela  conduit  insen- 
V  sib!ement  à  y  mettre  de  1  esprit,  o  Cet  esprit,  que  La  Bruyère  ne 
trouvait  pas  assez  avant  lui  dans  le  style,  dont  Bussy,  Fléchier» 
Bouhours,  lui  offraient  bien  des  exemples,  mais  sans  assez  de  con- 
tinuité, de  consistance  ou  d*originalité,  il  Ty  voulut  donc  introduire. 
Après  Pascal  et  La  Rochefoucauld,  il  s'agissait  pour  lui  d'avoir  une 
grande,  une  délicate  manière,  et  de  ne  pas  leur  ressembler.  Boi- 
léau,  comme  moraliste  et  comme  critique,  avait  exprimé  bien  des 
vérités  en  vers  avec  une  certaine  perfection.  La  Bruyère  voulut 
faire  dans  la  prose  quelque  chose  d'analogue,  et,  comme  il  se  le 
disait  peut-être  tout  bas,  quelque  chose  de  mieux  et  de  plus  fin.  Il 
y  a  nombre  de  pensées  droites,  justes,  proverbiales,  mais  trop 
aisément  communes,  dans  Boileau,  que  La  Bruyère  n'écrirait  jamais 
et  n'admettrait  pas  dans  son  élite.  11  devait  tr  uver  au  fond  de  son 
ame  que  c'était  un  peu  trop  de  pur  bon  sens,  et,  sauf  le  vers  qui 
rdève,  aussi  peu  rare  que  bien  des  lignes  de  Nicole.  Chez  lui  tout 
devient  plus  détourné  et  plus  neuf;  c'est  un  repli  de  plus  qu'il  pé- 
nètre. Par  exemple,  au  lieu  de  ce  genre  de  sentences  familières 
à  l'auteur  de  Y  An  puéiique  : 

Ce  que  Ton  conçoit  bien  s*éoonce  clairement,  etc.,  etc. , 

il  nous  dit,  dans  cet  admirable  chapitre  des  Ouvrages  de  l'Esprit^ 
qui  est  son  mt  poétique  à  lui  et  sa  rhéu.riqie  :  a  Entre  toutes  les  dififé- 
<r  rentes  expressions  qui  peuvent  rendre  une  seule  de  nos  pensées, 
ff  il  n'y  en  a  qu'une  qui  soit  la  bonne  :  on  ne  la  rencontre  pas  tou- 
cr  jours  en  parlant  ou  en  écrivant;  il  est  vrai  néanmoins  qu'elle 
<r  existe,  que  tout  ce  qui  ne  l'est  point  est  faible  et  ne  satisfait  point 

TOME  VII.  8 


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!  M4  M^WO^  BES  BEOX  iMMi#es. 

«  «B  homiM  d^eiprit  qui  Teut  «e  £sÂre  entendre.  ^  te 
bien  h  aa^riié  mwwsm ,  m gaàkmmit  eBoore,  d« 
ettchérk  pewUBl  flor  kl  cftÎMa  «aÎM  du  preoHer.  A  Tapi^ 
«pinte,  ^i  a'«st  pas  récenle,  «AT  fe  €ar«clèr«  de  sovalear 
cbec  La  Bruyère,  je  pMrrais  £ûre  «sage  «la  jugement  de  Vlpranl- 
MarvîHeeide  la  qincdie  <qu'îl  aontîm  avecC^ste  «i  Brelan  è  eera- 
jp3t;»aisleeeatMiieBtde«Q8  hoMnesen  malâère  de  sl^lese  signi- 
fiai nea^  jenVanlîensâ  la  pbmae  préoédewnMoi  citée  de  d'OKfet. 
I0  gaAi  ohaiigeaât  donc,  et  La  Brnyèi^  y  Aidai  insemibiemmu  0 
4lak  bîeatââ  teoi^itneie  .siàcle  êtài^  la  pensée  de  dire  aatMoeat, 
de  varier  et  de  raîeuair  la  f  jraie,  a  pu  naltf«  dans  on  ^aod 
«0piit;  eUe  deviendra  bientôt  cbea  d'autfes  un  tourment  plein  de 
naiUiea  et  d'étinoellea.  Les  Leureu  PetêÊmne^  ai  bien  acnonoéeiet 
pnéiMurées^ar  La  Bruyère,  ne  tarderont  pas  i  marquer  la  aeoende 
époque.  La  Bruyère  n*a  nul  tourment  tenoare  et  a'édnte  pat,  anis 
jle^déiàen^uéted'ua  jurement  neuf  et  du  trait.  Sur  œ  point 
fl  oanfiae  nu  xviu*  siècle  phas  qu'aucun  c^rand  écrivain  de  sonife; 
Vauvenargnest  à  quelques  égaids,  est  plusdn  xvii^'sîèoleque  kii. 
liais  UM^*.  La  Bruyère  en  est  encore  (Aeinement,  de  son  sièofein- 
oon^Mniable,  en  ce  ^*au  «ilteu  de  tout  oe  travaii  oomeon  de  nou- 
veauté et  de  n^îeunîssement»  il  oe  nsanque  jama's,  au  fiand,  d'un 
certain  go4t  simiile. 

Quoîqne  ce  soit  ThauMne  ei  la  société  qu^il  exprime  surtont,  le 
(pittoresque,  chez  La  Bruyère,  VappUfue  dqà  aux  «boaes  de  k  aa- 
aure  plus  qu*îl  n-étaà  orëktaire  de  aen  temps. Comme  il  nonsdes- 
aoK  dans  un  jour  favorable  la  petite  ville  «qui  lui  parak  pLÎme  nr  U 
pmcksatt  ik  La  eellime  !  Coaune  îl  nous  montre  graciecsemeot,  dans 
sa  comparaison  du  prince  et  du  pasteur,  le  troupeau,  répandu  par 
la  prairie,  qui  broute  Therbe  menue  et  lendre!  Mais  il  n'appartient 
qu'à  lui  d'avoir  eu  1  idée  d'insérer  au  chapitre  du  C(eur  les  deux 
pensées  que  voici  :  a  D  y  a  des  lieux  que  l'on  admire;  il  y  en  a 
«d'autres  qui  touchent  et  où  Ton  aimerait  à  vivre,  j)  —  aDme 
«r  semble  que  l'on  dépend  des  lieux  pour  l'esprit,  rhuneur,  la  pas- 
«  sien,  le  goût  et  les  sentimens.  »  lean-lacqnes  et  Bernardin  de 
Saint-Pierre,  avec  leur  anKHir  des  Keux,  se  chargeronrde  défe- 
lopper  un  jo>ur  tout^  les  imanoes,  closes  et  semmeiflames,  pour 
ainsi  dire,  dnns  ce  propos  discret  et  charmant.  Lamartine  ne  fera 
4|ne  tradmrepoétiquement  le  mot  de  La  Bruyère,  quandil  s^écriera  : 


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ÉCRIVAINS  aunoBC»  ta  uaskAUSTËA  français.  #19 

Objets  iDanlmés,  ûvéz^r^m  donc  une  ame 
Qnï  s*auacbe  à  noire  ame  et  la  focctt  d'ainert 

La  Bruyère  est  plein  de  ces  germes  brinans» 

B  a  déjà  Fart  (bien  supérieur  à  celui  des  f rampons  qu^exigeail 
trop  directement  Boîleau),  de  composer  un  Kvre>  srda  «i  avoir 
Fair,  par  une  sorte  de  Ken  caché,  mais  qui  reparratl,  d^endroitr^a 
eadroita,  inattendu.  Ou  crcritau  premier  conpd*œil  n'avoir  affaire 
qu*à  des  fragmens  rangés  les  uns  après  les  autres»  el  l'on  mardie 
dans  un  savant  dédale  ob  le  61  ne  cesse  pas.  Chaque  pensé^'se 
corrige,  se  développe,  s'éclaire,  par  les  environnantes.  Puia  l^hi^ 
prévu  s'en  mêle  à  tout  moment,  et  dans  ce  jeu  cootinoe)  d'entréea 
€D  matière  et  de  sorties,  on  est  plus  d'une  fois  enlevé  à  de  sou- 
daines hauteurs  que  le  discours  continu  ne  permettrait  pas  :  Ni 
Ui iroHbleSj  Zénohk,  qui ugient  vote  empire,  etc.  Un  fragment  de 
lettre  ou  de  conversation,  imaginé  ou  simplement  encadré  au  choK 
pitre  de%  J^ujeniens  :  H  ilimit  q  le  Coprit  dnm  ceUe  belle  pentùnne  iudt 
un  diamant  bl-n  mh  en  œuvre ,  etc»,  est  hii-méme  un  adoraUe  joya» 
que  tout  le  goût  d'un  André  Cbéaier  n'aurait  fdm  nm  en  œit9re  et 
en  valeur  plus  ariistentent.  Je  die  And^  Chénier  à  dessein  ^  raaU 
gré  le  disparate  des  genre»  et  des*  noms;  et  chaque  foi»  (fue  f  a» 
viens  à  ce  passage  de  La  Bruyère,  le  motif  aimable 

fille  a  véca,  Myrto,  la  jeuae  Tarentine,  eta.^ 

me  revient  en  mémoire  et  se  met  à  chanter  en.  moi. 

Si  1*00  s  étonne  maintenant  que,  touchant  et  inclinant  par  tant 
de  points  au  xviu'  siècle,  La  Bruyère  n'y  ait  pas  été  pkis  invoqué 
et  célébré,  il  n*y  a  qu'une  ré  oose  i  c*est  qu'il  était  trop  sag)»^ 
trop  désintéressé  et  reposé  peur  cela;  c'est  qu'il  s'était  trop  applif* 
que  à  Ibomme  pris  en  général  eu  dans  ses  variétés  de  toute  fs^ 
pèce .  et  il  parut  un  allié  peu  actif,  peu  spécial  ^  à  ce  siècle  d'hos- 
tilité et  de  passion.  11  convenait  à  un  esprit  calme  et  fin  comme 
l'était  Suard,  de  réparer  cette  négligence  injuste.  Aujourd'hui 
La  Bruyère  n  est  {.lus  à  remeUre  à  son  rang.  On  se  révolte,  il  est 
vrai,  de  temps  à  autre,  contre  ces  belles  réputations  simples  eft 
hautes,  conquises  à  si  peu  de  frais,  ce  semble;  Onenrvent  secoue; 

8. 


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116  REVCE  DES  DEUX  MONDES. 

le  jong.  Mais  à  chaque  effort  contre  elles,  de  près,  on  retrouve 
cette  multitude  de  pensées  admirables,  concises,  éternelles,  comme 
autant  de  diainons  indestructibles;  on  y  est  repris  de  toutes  parts 
comme  dans  les  divines  mailles  des  filets  de  Yulcain. 

La  Bruyère  fournirait  à  des  choix  piquans  de  mots  et  de  pen- 
sées qui  se  rapprocheraient  avec  agrément  de  pensées  presque 
pareilles  de  nos  jours.  11  en  a  sur  le  cœur  et  les  passions  surtout 
qui  rencontrent  à  Timproviste  les  analyses  intérieures  de  nos  con- 
temporains. J'avais  noté  un  endroit  où  il  parle  des  jeunes  gens,  les- 
quels, à  cause  des  passions  qui  les  amusent^  dit  il,  supportent  mieux 
la  soHtude  que  les  vieillards,  et  je  rapprochais  sa  remarque  d*uQ 
mot  de  Lélin  sur  les  promenades  solitaires  de  Sténio.  J*avais  noté 
aussi  sa  plainte  sur  Tinfirmité  du  cœur  humain  trop  tôt  consolé, 
qui  manque  de  sources  inépuisables  de  douleur  fio  ir  certaines  ptrtes.  et 
Je  la  rapprochais  d'une  plainte  pareille  de  René.  La  rêverie  enfln, 
à  c6té  des  personnes  qu*on  aime ,  apparaît  dans  tout  son  charme 
chez  La  Bruyère.  Mais  bien  que,  d'après  la  remarque  de  Fabre, 
La  Bruyère  ait  dit  que  le  chqlt  des  pcmées  est  invention^  il  faut  con- 
venir que  cette  invention  est  trop  facile  et  trop  séduisante  avec 
lui  pour  qu'on  s  y  livre  sans  réserve.  —  En  politique,  il  a  de  sim- 
ples traits  qu'  percent  les  époques  et  nous  arrivent  comme  des  flè- 
ches :  i(  Ne  penser  qu'à  soi  et  au  présent,  source  d'erreur  en  poli- 
«  tique.  » 

H  est  principalement  un  point  sur  lequel  les  écrivains  de  notre 
temps  ne  sauraient  trop  méditer  La  Bruyère,  et  sinon  l'imiier, 
du  moins  l'honorer  et  l'envier.  Tl  a  joui  d  un  grand  bonheur  et  a 
fait  preuve  d*une  grande  sagesse  :  avec  un  talent  immense,  il  n'a 
écrit  que  pour  d  re  ce  qu'il  pensait;  le  mieux  dans  le  moins,  c'est 
sa  devise.  En  parlant  une  fois  de  M"**  Guizot,  nous  avons  indiqué 
de  combien  de  pensées  mémorables  elle  avait  parsemé  ses  nom- 
breux et  obscurs  articles,  d'où  il  avait  fallu  qu'une  main  pieuse,  un 
(ËÏl  ami,  les  allât  discerner  et  détacher.  La  Bruyère,  né  pour  la 
perfection  dans  un  siècle  qui  la  favorisait,  n'a  pas  été  obl'gé  de 
somer  ainsi  ses  pensées  dans  des  ouvrages  de  toutes  les  sortes  et 
de  tous  les  instans;  mais  plutôt  il  les  a  mises  chacune  à  part,  en 
saillie,  sous  la  face  apparente ,  et  comme  on  piquerait  sur  une  belle 
feuille  blanche  de  riches  papillons  étendus,  cr  L'homme  du  meilleur 
«  esprit^  dit-il,  est  inégal il  entre  en  verve^  mais  il  en  sort  ^ 


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idUTAINS  OIITIQIJBS  ET  MORALISTES  FRANÇAIS.  117 

€  alors,  s*il  e^t  sage,  il  parle  peu ,  il  n'écrit  point Chante-i-on 

€  avec  on  rhume?  Ne  feut-il  pas  attendre  que  là  voix  revienne?  j» 
Cest  de  cette  habitude,  de  cette- nécessité  de  chanter  avec  toute 
espèce  de  voix,  d*.av<oir.  de  la.  verve  à  toute  heure,  que  sont 
nés.  la  plupart  des  défauts  littéraires  de  notre  temps.  Sous 
tant,  de  formes  gentilles,  sémillantes  ou  solennelles,  allez  au 
fond  :  la  nécessité  de  remplir  des  feuilles   d'impression,    de 
pousser  à  la  colonne  ou  au  volume. sans  faire  semblant,  est 
là.  n  s'ensuit  un  développement  démesuré  du  détail  qu'on  sai- 
sit, qu'on  brode,  qu'on .  amplifie  et  qu'on  effile  au  passage,  ne 
sachant  A  pareille  occasion  se  retrouvera.  Je  ne  saurais  dire 
combien  il  en  résulte,  à  mon  sens,  jusqu'au  sein  des  plus  grands 
talens,  dans  les  plus  beaux  poèmes,  dans  les  plus  belles  pages  en 
prose,  —  ohl  beaucoup  de  savoir-faire,  de  focilité,  de  dextérité, 
de  main-d'œuvre  savante,  si  l'on  veut;  mais  aussi  ce  je  ne  sais 
quoique  le  commun  des  lecteurs  ne  distingue  pas  du  reste,  que 
rhomme  de  goût  lui-môme  peut  laisser  passer  dans  la  quantité  s'il 
ne  prend  garde,  —  le  simulacre  et  le  faux-semblant  du  talent,  ce 
qu'on  appelle  cAifirtf  en  peinture  et  qui  est  l'affaire  d'un  pouce  en- 
core habile  même  alors  que  l'esprit  demeure  absent.  Ce  qu'il  y  a  de 
chique  dans  les  plus  belles  productions  du  jour  est  effrayant,  et  je 
ne  l'ose  dire  ici  que  parce  que,  parlant  au  général,  l'application  ne 
saurait  tomber  sur  aucun  illustre  en  particulier.  Il  y  a  des  endroits 
où,  en  marchant  dans  l'œuvre,  dans  le  poème,  dans  le  roman, 
l'homme  qui  aie  pied  fait  s'aperçoit  qu'il  est  sur  le  creux  :  ce  creux 
ne  rend  pas  l'écho  le  moins  sonore  pour  le  vulgaire.  Mais  qu'ai-je 
dit?  c'est  presque  là  un  secret  de  procédé  qu'il  faudrait  se  garder 
entre  artistes  pour  ne  pas  décréditer  le  métier.  L'heureux  et  sage 
La  Bruyère  n'était  point  tel  en  son  temps;  il  traduisait  à  son  loisir 
Tbéophraste  et  produisait  chaque  pensée  essentielle  à  son  heure. 
n  est  vrai  que  ses  mille  écus  de  pension  comme  homme  de  lettres 
de  M.  le  Duc  et  le  logement  à  l'hAtel  de  Condé  lui  procuraient  une 
condition  à  l'aise  qui  n'a  point  d'analogue  aujourd'hni.  Quoi  qu'il 
en  soit,  et  sans  faire  injure  à  nos  mérites  laborieux,  son  premier 
petit  in-12  devrait  être  à  demeure  sur  notre  table,  à  nous  tous 
écrivains  modernes,  si  abondans  et  si  assujettis,  pour  nous  rap- 
peler un  pou  à  l'amour  delà  sobriété,  à  la  proportion  de  la  pensée 


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m  Uttgaee.  Ce  swait  baMCoiqf^  ééjà  qm  d'Mmb  ««gMl  4»  m 
povveir  iûreainsL 

AojosrA'hiH  que  VArt  pêàûpie  de  BMeau^  6«l  vArtaMBOMl 
dérogé  et  n*a  plna  d* usage,  b  lecture  du  dbtpkfe  dès^  Ouwtag^if 
l' Esprit  eerak  euovre^  cbaqM  auitin,  pow  le»  esprite  erîtK|i«i 
€6  que  la  leelore  d'ua  akapiera  de  ïlmitatwn  est  pour  les  anNi 
tendres. 

La  Bfuyire»  après  cela,  •  Mur  d'autres  i^ppKeaiiottB  possMlt 
par  celte  foule  de  pensées  ingénieusement  profondes  sur  lIioraiM 
et  sur  la  m.  Â  qui  Vondaail  s0  refermer  el  se  prémunir  eontne  Isa 
erreurs,  les  esagèratîoiis,  les  faux  entrateemens,  il  fiiuéraiCy 
comme  an  prenaer  jour  de  ittS  r  conseiHer  le  morafisleimnianel 
Par  maUieury  on  n'arrive  à  te  godier  et  on  ne  le  découvre,  poar 
ainsi  dire ,,  que  lorsqu'on  est  déjà  soi-même  au  retour,  phis  eaf- 
pable  de  voir  te  mal  qm  do'feire-  le  Men,  et  ayant  <M)è  épuisée 
foux  bie»  des  ardeurs  t(  des  entveprises.  Cesl  beaucoup  néafr* 
moins  qjue  de  sa voûr  se  eoÉMoier  Mmiéme  seckagrkier  avec  M. 

SiMvn  Bnrvi* 


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DE 


L'ASSASSINAT  POLITIQUE. 


Le  jésuite  Mariana,  au  zvr  siècle,  mit  en  jcèoe,  daos  son  livre 
imilHlé  de  Retje  et  retji<  ins:Uuiionef  Jacques  Oémem  frappant 
Henri  IH,  et  son  récit  dramatique  implique  une  approbation  véri- 
table. Après  la  tragédie  vient  la  dissertation,  et  le  jésuite  démon- 
tre la  légitimité  du  régicide*  €*est  de  la  scfaolastique  appliquée  au 
Grime;  c'est  le  sophisme  venant  s^offirir  pour  guide  au  poignant 
de  Tassassin. 

De  nos  jours,  on  D*écrit  plus  en  latin  sur  le  régicide;  mais  chez 
certarins  esprits,  et  heureusement  ils  sont  en  bien  petit  nombre,  il 
4*est  glissé  cette  désastreuse  imagination,  qu*assassiner  un  roi 
qn*Qn  n*aime  pas,  est  un  acte  humainement  îndififérent  et  politi- 
quement ^orîeuz . 

Cest  (i'abord  une  étrange  manière  de  ramener  les  rois  an  culte 
d*une  égalité  fraternelle,  que  de  les  mettre  eux-mêmes  hors  Thu- 
manité.  Vous  frémissez  à  Tidée  de  friper  Thomme  obscur  qui 
TOUS  coudoie  dans  les  flots  de  la  feule  ;  mais  vous  irez  à  votre  fan- 
taisie vous  ruer  sur  le  chef  de  Tétat;  et  parce  qu*il  est  roi,  il  ne 
sera  plus  pour  vous  un  homme.  Inepte  et  affreuse  contradic- 
tion! 


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ISO  RBTUE  DBS  DEUX  MONDES. 

Le  cœur»  par  cette  action  >  s*avilit  autant  que  la  raison.  D  est 
lâche  de  frapper  un  homme  qui  ne  peut  ni  prévoir  le  coup,  ni  le 
repousser,  ni  le  rendre.  En  vain  on  répond  qu*on  a  mis  sa  vie 
comme  enjeu  de  cette  partie ,  on  a  toujours  lâchement  attaqué  celle 
d'autrui.  Là  où  la  défense  n'est  pas  possible,  Tinfamie  est  pour 
Fagresseur.  Nous  ne  les  appellerons  pas  des  assassins,  les  insur- 
gés de  Lyon  et  de  Saint-Méry  :  ils  combattaient,  ils  moururent. 
Mais  aller  frapper  un  homme  qui  se  présente  à  vous  paisible  et 
désarmé, 

Comme  un  bon  citoyen,  dans  le  sein  de  sa  ville, 

faire  siffler  la  balle  entre  sa  femme  et  sa  sœur,  il  n*y  a  pas  de  so- 
phisme au  monde  qui  puisse  relever  cet  acte  de  la  plus  infamante 
bassesse. 

Voilà  pour  Thumanité.  Que  si  nous  entrons  dans  Pordre  politique, 
nous  demanderons  quel  assassinat  a  jamais  sus]>endu  le  cours 
naturel  des  choses?  D  y  a  quatre  ans,  en  esquissant  le  caractère  et 
les  destinées  de  Lafayette,  nous  jetions  en  passant  un  regard  sur 
la  liberté  antique,  pour  mieux  saisir  l'originalité  de  la  liberté  mo- 
derne, et  nous  disions  :  cr  Regardez  Rome  après  l'immolation  de 
César.  Où  va-t-elle?  que  veut-t-elle?  César  était  mort  ;  mais  la  Uberté 
n'en  était  pas  plus  vivante.  Avaient-ils  changé  leur  siècle  par  un 
coup  de  poignard,  Brutus  et  Cassius?  » 

Br utus  et  Cassius  ont  tourné  bien  des  têtes  ;  mais  il  faudrait  savoir 
les  comprendre  et  les  juger.  Écoutons  le  César  français  sur  la 
destinée  et  le  meurtre  du  César  romain  :  a  En  immolant  César, 
Brutus  céda  à  un  préjugé  d'éducation  qu1l  avait  puisé  dans  les 
écoles  grecques;  il  l'assimila  à  ces  obscurs  tyrans  des  villes  du 
Péloponèse  qui,  à  la  faveur  de  quelques  intrigues,  usurpèrent 
l'autorité  de  la  ville;  il  ne  voulut  pas  voir  que  l'autorité  de  César 
était  légitime,  parce  qu'elle  était  nécessaire  et  protectrice,  parce 
qu'elle  conservait  tous  les  intérêts  de  Rome,  parce  quelle  était 
1  effet  de  l'opinion  et  de  la  volonté  du  peuple  (1).  »  Jamais  jugement 
plus  juste  et  plus  sain  ne  fut  porté  sur  une  acâon  historique.  Brutus 
se  trompa  lourdement;  sa  sanglante  méprise  ne  releva  pas  la  répu^ 
blique,  et  le  fit  seulement  douter  de  la  vertu. 

{i)  Précis  des  guerreê  de  iule*  César ^  par  rcmpereur  Napoléon ,  pag.  «ts. 


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DE  l'assassinat  POLiTiams.  m 

-  Mais  enfin  il  avait  pratiqué  cette  verta  jusqu'au  moihetit  où  il  en 
doutait  à  son  heure  suprême.  Insensé  qui  parlez  de  Brutus  et  qui 
vous  réclamez  de  son  patronage,  savez-vous  ce  qu'était  cet  homme? 
II  Ait  élève  de  Caton,  il  combattit  à  Pharsale;  après  le  meurtre  de 
Pompée,  et  la  grande  scène  d'Utique,  il  était  le  chef  avoué  d*un  im- 
mense parti,  il  n*obéit  qu'aux  provocations  réitérées  de  la  moitié 
de  Rome  et  delà  république;  on  lui  reprochait  son  inaction,  qu*on 
appelait  sommeil;  il  fut  mis  en  demeure  de  frapper,  sous  peine  de 
n'être  plus  réputé  Romain.  Mais  vous,  déplorable  fou,  qui,  dix- 
neuf  siècles  après,  arrivez  à  la  malheureuse  imitation  de  Brutus^ 
qui  étes-vous?  Avez-vous  qualité  pour  agir?  qui  vous  a  chargé  de 
frapper?  La  soc'été  a-t-elle  réclamé  votre  secours,  votre  bras? 

Le  régicide  est  une  énorme  chose.  Deux  grandes  nations,  l'An- 
^eterre  et  la  France,  ont  été  la  proie  de  violentes  convulsions  avant 
d*abo\itir  à  cette  tragique  extrémité;  et  encore,  au  moment  fatal, 
elles  en  ont  délibéré  avec  épouvantement.  Les  plus  fermes  courages 
et  les  plus  grands  esprits  sont  partagés  :  Milton ,  la  Bible  à  la  main , 
commente  le  meurtre  de  Charles  P*';  Saumaise  le  maud't  en  s'ap- 
puyant  sur  d'autres  textes.  En  France  les  soutiens  de  la  république 
se  divisent  sur  cette  redoutable  question  :  beaucoup  d'hommes  des 
plus  dévoués  à  la  révolution  votèrent  la  vie  de  Louis  XVI;  le  père 
de  Camille  Desmoulins  écrivait  à  son  fils,  le  10  janvier  1793  :  a  Mon 
fils,  vous  pouvez  encore  vous  immortaliser,  mais  vous  n'avez  plus 
qu'un  moment  :  c'est  l'avis  d'un  père  qui  vous  aime.  Récusez-vous 
pour  le  jugement  du  roi  ;  vous  avez  dénoncé  Louis  XVI  dans  un 
grand  nombre  de  vos  écrits,  vous  ne  pouvez  pas  le  juger,  jd  Que  de 
doutes!  que  de  perplexités  dans  les  esprits!  On  se  contredit,  on  se 
combat,  on  tremble;  l'immolation  judiciaire  du  roi  est  arrachée  à 
grand'peine  par  une  majorité  de  quelques  voix. 

On  ne  saurait  nier  la  grandeur  de  ces  fatalités  historiques  ; 
mais  quand  une  société  les  a  traversées,  qui  donc  a  le  droit  de  les 
lui  rendre?  de  lui  en  offrir  la  désastreuse  parodie,  et  de  la  souil- 
ler par  des  crimes  pauvres  et  bétes?  Malheureux!  es-tu  Robes- 
pierre ou  Crom well?  Peux-tu  défendre  une  société  que  tu  ne  com- 
prends pas? 

Ces  aveugles  fureurs  feraient  rebrousser  les  sociétés  humaines, 
ai  la  chose  était  possible;  elles  coupent,  pour  un  instant,  toute 
isaoe  au  progrès  ;  elles  frappent  d'une  apparente  stérilité  les  con* 


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m^  lBnB.n8  «BOX 

quêtes  dMidtet;  fBm  HmimittÊ^  tm  st  fi|nrMwtii^  les  iflii- 
taûom  et  les  réfomet  imprjMkaddeB;  cies  Bettntk»!  «a  f«te  fal 
Db«rfti4éBMKar«lii|«e  po«r  irif;ier»  w  sa  flaœ»  to  pouvoir  iA>eol» 
el  pririssafil  d*ipi  seidL  Novs  q-svods  en  France <|«e  trop  de  paoto» 
à  BOBt  prédpiler  dans  Fadciptioii  d*am  homno  Goame  s jmbok  éa 
Tintât  et  de  b  «edété;  qoe  sera*ce)oraqiie  tt  ctvUiaatîon  bpoavwnim 
esfittera  tXkHBÊivfyà  le  poiivoîr  i  la  défeadre»  d4l4  méiDo  pesés 
«ireUel 

La  liberté  medsrae  a  horrear  de  Tassasmaat  ;  elfe  peat  psoduôns^ 
elle  peut  excaser  fasdear  des  guerres  emles;  le  saag  eoirie  daasr 
oe8kHleSyiifea)8aaaMMiis.ladi(aiiélittaiaîiien*y  sucsooibe  pas»  etts 
peut  nésie  y  grandir;  auûs  lassassmat»  BMÎsle  gaet-apeas ,  «a»  le 
ooti|>  fri^ipé  par  dec riëre  ne  seroot  jamais  iastruaieas  de  fiberlé. 
Dans  notre  ctviiisaUon  aMMlenie  lechristiaaisaie  et  ti  philosophie 
8*aecordaal  à  repousser  le  meurtre^  la  mort  arbttraire  de  lliofRmQ 
par  l'hoBiaie.  H  n'est  pas  daas  la  destinée  cie  la  démocratie  d'aipaa«- 
cer  à  coups  de  poignard  oomioe  une  noareHe  Frédegonde;  ella 
devra»  comme  elfe  a  dA  jnsqu'iei»  ses  progrès  è  la  pensée.  Ihi; 
bomme  qtà  vieal  de  d^»railre  aa  milieu  de  trop  d*e«bK  et  d*indi£' 
fésence,  sa  des  pères  do  la  révokitioa  freaçaise,  rabbéSyefs^ 
daaason  rapport  sur  \sk  première  loi  qai  ait  été  fiaiie  sur  la  presasv 
noas  a  enseigné  la  aouireasté  féconde  de  b  liberté  moderne.  <r  Les 
pfatlosopbefs  et  les  poUicistes,  a*4-U  écrit,  se  soat  trop  hAJtès  de  noas 
déooarager  ea  proaonQan&  que  la  Ubsrté  ne  peavaii  appartenir 
qa'à  de  petits  peuples;  ib  a*ont  sa  lire  Taveair  que  daas  le  passé... 
Éfevoas-noas  à  de  pbs  kamtes  espérances^  cachons  q^  le  terrn 
taire  b  |)ias  vaste»  qœ  bplos  oombretisapopulaiioa  se  prête  à  b 
liberté.  Pearquoi  en  efiet  sa  iwtrameat  (  b  presse)  qtii  saura  mai- 
tre  le  genre  humain  ea  oommuanaté  d'ofûnioa ,  rèsKMtToir  et  Faai* 
mer  d'an  même  semimenl»  l' unir  dtt  ien  d*  uae  coastitaiion  vrai  ment 
sadafe»  neseraiè-ilpAS  appelé  à  agrandir  iadéfiaimsnt  le  domaiaa 
de  b  liberté  ?«...« 

Voilà  effiaditemeaâ  b  desKatariance  de  b  déoMcralîe  nouTdb;. 
dfeest  iUeibb  pensée  e*  de  b  pse^e.  C'est  dams  cette  coarieiîoa 
que  nous  nous  sommes  élevés  avec  énergie  contre  les  Ijîs  de  sep* 
tembre»  qai  n^oas^éfté  à  nos  jenx  qa*un8  tmaielatioa  iautite  et  son- 
damaabb  de  pnadpea  sacrés.  Le  dogme  de  VkmUuid^i'm  aAA 
empAcbé  aas  ittuvalb  lealatôre  d'assassbal?  il  ae  T^ait  pas  la 


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BE  LASSASSmAT  FOtmQIK.  SSB 

d^apostafsier  la  Ifloerté  de  rinteUigence;  on  uguiee  tes  poî- 
ipards  quand  on  revêt  aTfltr  les  anaes. 

Qudques  amis  de  M.  Gnôot  ont  répandu  le  bnrit  que  t^aitenUft 
en  85  juin  Ini  frayait  le  retour  an  pouvoir  :  œ  brmh  est  une  nor- 
teBe  mjore  pour  Thistorien  de  la  Réoiution  d'Avgkterre;  ses  parti- 
MSBB  étourdis  ne  se  sont  pas  aperças  cpie  par  ces  ruaaaenrs  ils  ten- 
da'ent  à  Faire  de  leur  <^f  une  espèce  de  Tristan ,  de  {prand  prévte, 
^a'on  appelle  dans  les  eitrémités  yidentes.  Jamais  homme  d'état 
■'eut  plus  à  se  plaindre  de  ses  aMîs  que  M.  <jui2ot,  et  ses  adversaires 
politiques  loi  rendent  plus  de  justioe. 

Le  gouvernement  et  la  société  ont  chacun,  dans  ces  tristes  con- 
jonctures, leurs  devoirs  à  remplir.  Nous  reconnaissons  volontiers 
que  le  ministère  n'a  pas  hésité  à  considérer  Tattentat  du  25  juin 
comme  l'acte  isolé  d'un  insensé,  qui  ne  pouvait  être  rattaché  à  au- 
cun complot  positif;  il  n*a  pas  songé  à  une  convocation  extraordi- 
naire de  la  chambre  des  députés,  et  donne  tous  ses  soins  à  une 
rapide  exécution  des  lois  en  ce  qui  concerne  la  juridiction  de  la 
chambre  des  pairs.  La  cour  souveraine  qui  siège  au  Luxembourg 
estimera  sans  doute  utile  et  salutaire  d'mprimer  à  ce  procès  une 
austère  simplicité.  L'opinion  publique  n'a  pas  approuvé  la  faiblesse 
fastueuse  de  ses  condescendances  pour  la  vanité  de  Fieschi,  qui 
s'était  fait  un  théâtre  du  prétoire  aristocratique. 

La  société  doit  se  sentir  humiliée  et  blessée  de  ces  actes  extrava- 
gans  :  c'est  à  elle  de  leur  infliger  le  châtiment  de  l'opinion.  On  lui 
demande  ses  applaudissemens  pour  de  sanglantes  folies  ;  qu'elle 
réponde  par  son  exécration  et  son  mépris.  Qu'elle  condamne  l'as- 
sassinat politique  à  la  même  infamie  que  Vassassinat  qui  vole  de 
l'or.  Faveur  et  sympathie  pour  les  nobles  efforts,  pour  le  travail, 
pour  le  talent;  secours  du  gouvernement  et  de  la  société  à  la  pau- 
vreté laborieuse  qui  veut  s'élever  au  bien-être  et  à  la  réputation  par 
d*honorables  labeurs;  indulgence  et  mansuétude  intelligente  pour 
les  passions  sincères,  si  ardentes  qu'elles  soient,  tant  qu'elles  restent 
généreuses.  Mais  anathème  de  mépris,  excommunication  sociale , 
sur  rinfamante  absurdité  de  Vassassinat  politique. 

n  y  va  de  Thonneur  de  la  civilisation  française.  L'expédient  du 
meurtre  est  anti-national  ;  la  guerre  et  le  duel  ont  toujours  été  dans 
les  mœurs  françaises,  l'assassinat  jamais  :  doit-il  donc  aujourd'hui 
recevoir  du  génie  de  la  liberté  droit  de  bourgeoisie? 


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191  BKVUE  DES  DEUX  MONDES. 

Non',  un  peuple  ne  déprave  pas  ainsi  ses  instincts  et  sà'dignité, 
et  malgré  la  tristesse  de  quelques  épisodes,  la  cause  de  la  civilisa- 
tion n*est  pas  prés  de  faillir.  Les  excès  dés  anabaptistes  n*ont  pu  ni 
déshonorer  ni  compromettre  l'avenir  de  la  réformé.' Les  meurtres 
de  Tordre  des  assassins  n*ont  pas  obscurci  l'éclatante  générosité  de 
la  civilisation  arabe.  Cest  Thonneur  de  la  nature  humaine  que  le 
crime  aboutit  toujours  à  une  obscure  impuissance.  La  société,  trou- 
blée un  instant  à  la  surface,  referme  ses  flots  sur  ce  qui  les  avik 
agités,  et  précipitant  dimpurs  débris  au  fond  de  Tabtme,  elle  con- 
tinue son  cours ,  sous  Vattraction  irrésistible  des  lois  étemelles. 

Lebhinier. 

30jaiiil856. 


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CHRONIQUE  DE  LA.  QUINZAINE. 


3o  juin  iêS0. 

Les  éTèoemens  politiques  de  la  quinzaine  ont  tout  disparu  devant  Tacte 
^'horrible  démence  qui,  dans  la  soirée  du  25  juin,  eit  venu  surprendre 
^  coustcmer  Paris  et  la  France.  L'assassin  est  un  nommé  Louis  Alibeau 
deNtroeSy  âgé  de  vingt-six  ans  et  se  disant  commis  négociant.  Nous  ne 
reproduirons  pas  ici  les  détails  donnés  par  les  feuilles  quotidiennes  sur 
f  arrestation  de  ce  malheureux ,  sur  ses  habitudes  dépravées  et  son  lan* 
gage  depuis  qu*il  occupe,  à  la  Conciergerie,  la  chambre  de  Fieschi . 

Le  fanatisme  d* Alibeau  est  froid  et  tacitt^mc;  avec  pKis  d'instruction 
que  Louvel,  il  lui  ressemble  en  plusieurs  points.  Comme  lui,  il  a  léng- 
temps  nourri  son  sinistre  projet;  depuis  trois  ans,  il  a  conçu  et  entretenu 
l'idée  d'assassiner  le  roi ,  et  si ,  jusqu'ici ,  il  avait  consenti  à  en  ajourner 
l'exécution ,  c'est  qu'il  attendait  qu'une  révolution  vint  renverser  le  gou- 
vernement de  juillet ,  et  lui  épargner  ainsi  la  peine ,  les  dangers  et  l'im- 
mortalité  de  l'assassinat.  On  trouve  ainsi,  dans  cet  homme ,  ces  espérances 
vagnes  d'un  nouvel  état  social  brusquement  improvisé,  cette  attente  de 
Timprévu ,  cette  invocation  paresseuse  de  l'impossible,  celte  oisiveté  mé- 
contente, qui,  tout  en  cherchant  des  distractions  dans  la  débauche,  se  tient, 
l'arme  au  bras,  à  la  disposition,  de  l'émeute.  Il  est  remarquable  qu'Ali- 
beau  a  été  déterminé  à  hAter  l'exécution  de  son  crime  par  la  tranquillité 
même  dont  jouit  la  société;  il  appelait  les  convulsions  de  la  guerre  civile , 
et ,  désespéré  par  le  calme  qui  régnait  autour  de  lui ,  il  s'est  adressé  à 
l'atiassinat  pour  contraindre  le  pays  à  une  révolution. 

On  ne  saurait  trop  déplorer  la  confusion  des  idées  qui  précipite  dans 
le  crime  ces  imaginations  dépravées.  11  y  a  vraiment  dans  notre  société 
quelques  hommes  qui  sont  encore  plus  malades  que  coupables  Alibeau 
a  lait  quelques  lectures  ;  on  a  trouvé  chez  lui  un  volume  des  Martyrs  de 
M.  de  Chateaubriand,  et  un  volume  de  .^aint-Just.  Quelques  lectures  de 
pins  et  quelques  vices  de  moins,  il  eût  compris  que  les  premiers  chré- 
tiens propageaient  leur  croyauce  et  leur  foi  par  le  martyre  et  non  par 
Tassassinat,  et  il  n'eût  pas  cru  se  mettre  à  côté  des  hauU  révolutionnaires 
de  l'époque  exceptionnelle  de  93,  en  dressant  un  guet-apens  contre  le 
KM,  le  malheureux  eût  encore  compris  combien  la  société,  dont  il  vou- 
^Ise  porter  l'interprète  et  le  vengeur,  était  loin  d'accorder  la  moindre 
sympathie  à  ses  sauvages  opinions.  Étrange  délire  que  de  vouloir  entrai- 


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49S'  KETUE  DES  BFXTX  ■Orn>ES. 

ser  k  sa  siuke  une  société  dans  laquelle  on  n'a  pas  même  su  prendre  la 
moindre  place  par  le  travail,  la  verlu  ou  le  talent.  On  ne  saurait  irop 
s*élever  contre  ce  pernicieux  mélaujçe  (fe  vanité  et  de  paresse  qui  porie 
certains  esprits  à  délaisser  les  nobles  labeurs,  la  persévérance  de  tous 
les  jours  dans  un  art,  dans  une  profess  on,  dans  la  science,  pour  deman- 
der à  de  brutales  violences  un  n>)e  éclatant^  qui  les  gorge  de  jouissances 
et  de  bruit;  ils  ont  oublié  que,  dans  tous  les  temps,  la  réputation  et  le 
bien-être  n'ont  été  la  conquête  que  de  la  constance.  Pour  tons  les  hommes 
vraiment  illustres,  la  gloire  et  la  fortune  ont  toujours  été  lentes  à  venir. 
Michel-Ange  travaillait  aussi  rudement  qu*un  maçon. 

La  société  devrait  pourtant  être  comprise  dans  ses  sent i mens  et  ses 
volontés,  car  son  attitude  est  un  grave  enseignement  pour  qui  veut  l'in- 
terroger et  la  servir;  elle  est  calme,  elle  se  sent  forte,  elle  ne  se  prend 
ni  à  la  colère  m  au  désespoir,  eUe  est  sAre  dVUe-niéme  et  de  ses  desil- 
Bées.  OndiVaii  q«e  dans  $m  afMitkieplns  apparente  que  réelle ,  cllesoo- 
rit  ironiquemoBt^es  teotati^'esëe  ceux  qui  veulent  remporter  là  où  elle 
ne  veut  pas  aHer,  à  aawmr  en  arrière  ou  au-delà  ùos  bornes  nécessaires  du 
,  présent  et  du  siècle. 

Il  serait  à  désirer  que  les  «haftls  tfenctiminaires,  qui  représentent  le 
double  intérêt  du  ^iveroement  est  de  èa  société ,  montrassent ,  dans  leurs 
actes  et  dans  lears  proclamations ,  un  sentiment  vrai  de  Tétat  social.  Les 
préfets,  à  roccasion  de  Fattentat  du  25  juin,  ont  adressé  à  leiurs  adoii- 
nistrés  une  proclamation  pour  expr  mer  et  appeler  riadigoation  générale 
delà  France  sur  cet  acte  odieux.  Plusieurs  d'entre  eux  ont  représenté 
l'état  et  la  société  même  à  deux  doigts  de  leur  ruine,  si  Tassaisin  eût 
réussi  dans  son  exécrable  dessein.  Ils  oublient  donc  que  la  mort  tragique 
eu  roi,  si  affreuse  et  si  déplorable  qu'elle  Ot,  ne  saurait  ébranler  dans 
ses  fondemens  la  constitution  Ce  la  société.  N'y  aurait-il  donc  plus  de 
kits,  de  Cliarte,  dedyiiastie,  de  chambres,  de  magistrature,  d'armée, 
de  garde  nationale?  N'y  aurait-il  donc  plus  de  société ,  avec  se  traditions^ 
sa  volonté,  et  la  puissanoe  de  les  faire  triomplier.  Il  est  fâcheux  que  dans 
la  baute  administration  on  puisse  noter  une  telle  absence  de  tact.  Afez 
du  zèleyfnessieurs,  mais  plusd'î  abileté.  On  ne  vous  demande  pas  dtf 
plirasesd'adnlatioB ,  mais  de  la  bonne  et  ferme  admi«istralioo. 

Avant  le  25  juin,  a<rant  d'être  exckosivt'ment  absorbée  par  rattentit 
d'Alibeau,  la  presse  ^notidienne  avait  passé  uoe  longue  rewede  lases- 
aioB  qui  vient  de  finir.  Les  avis  sévères  ti 'avaient  pas  été  épargnés  à  ms 
iégislalears.  A  wa\  dire,  quelques-unes  des  censures  n'étaient  pas  sans 
iSondement.  Il  s'est  perdu  bten  du  temps  que  réclamaient  d'utiles  travait 
interrompus  ou  à  comaMneer.  Toutefois  de  r«veu  «aènie  des  censeurs  les 
pHM  austères,  la  chambre  se  reoammaade  cette  aimée  par  l'adoptioa  de 
deux  importantes  mesures,  empreintes  4'one  et  l'autre  d'un  esqMritde 
progrès  et  de  perfeetiomiementootalbles.  Nous  voulons  parler  de  la  loi  éti 
it9%mmt$  et  de  cdie  âe^ehemÂnsvécmaux,  Deuxlois  libérales  et  populaires, 
ast-oe  donc  ^i  pev  ?  One  session  est^tte  absolnnient  stérile  4|«and  elle  les 
m  proéuiles?  Piatôears  des  dernières  sessions  du  parlement  anglais  aat 
4lle  «oing  léQOMlca  eocorc. 


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En  Espagne»  toajoart  le  mêmt  aomwieil  yfaéFaf.  L'esprit  ptibiic  et  la 
goerra  etriàa  sembleni  (tortnfr  pare^tement.  i^aîs  la  proclniiie  session  des 
chambres  ae  tardera  pa»à  réiF«iHer  m  snrsaiH  tevt  le  part.  Pour  fin- 
stant*,  les  officiers  de  Tarm^  dn  général  écrans  saiH  les  seiils  qui  ffornient 
quelque sipie de  rîe.  Ai^déftratdes  epératiena  miNtafres^itioni organisé 
des  roaraes  an  ctacher.  I^go» rses  ait  rioeher  en  BIscafe  eè  ce  n'est  que 
moiitagBts  et  rarltis!  Ces  Ângtota  doivent  être  contens.  Nalie  part  ils 
n'aaraieat  tramré  d^aossi  tielles  occasions  de  se  renapré  leroii. 

En  ^rtnga»,  dona  lHAria  a  dissMit  sam  eérémenie  lé  ebamère  de  sev 
dépoté»,  panée  ipi^lls  aniiPTil  prétewdit  dî9pu4er  sériensemimt  les  loia 
flnancières.qiti  lenr  étaient  senantses ,  et  peur  bil  areir  contesté  h  droit 
d*iavestir  du  eewimanrfement  de  rarmee  so»  noinrei  époux.  Qsand 
nous  regardions  cette  jeane  princesse  danser  follement  à  Paris,  il  y  a 
quatre  aàs,  qui  nous  eOt  dit  qa>lle  serait  bteiHiMi  imm  reine  si  manfailse 
tête,  et  si  pe»  rcgarr^ante  aux  eonps d'état  ? 

En  Angleterre ,  ta  grande  querelle  entre  \»9  dei»  ebambres  R*a  pas 
fait  beaucoup  de  pas  rers  rarcommodement.  Les  lords  sont  saisis  du  btH 
descorporatiaao  irtandatses  réaineiidè  par  b»6  commancs^  et  lenrsseigneQ« 
ries  ne  paraissent  pas  fort  ei»pres9ées  de  cbeisrr  entre  la  paix  et  la 
guerre.  IXailifurs,  bien  quHI  atteiK^e  avce  une  impetience  iérrense  le 
dénonemeot  de  la  coUision ,  leparlemena  ne  demecire  pas  pour  cela  in» 
aciif  PîTeraeasréBts  coflnqoas  enl  beauccmp  égayé  le  débet  su?  ta  ré^ 
diiction  t'es  droits-  de  timbre  qu^erta  vetér  eonfémiémeiit  anx  réselntioDff 
du  chaecelîer  cfe  Téchiquier.  L'anMndeneDt  développé  par  M.  Kearsly  a 
sarteiH  diverti  rassemblée.  L*he«offable  membre  avait  prepeaé,  avec  itne 
imperturbable  gravité,  de  dégrever  le  savons  an  lieu  de  dégrever  lee 
joumaox  Puis,  durant  la  môme  diseiiesioii,  eat  survenue  l^aimabledis<^ 
pute  entre  M.  Roebork  et  te  avétne  M.  Keaesiy  i  M  Keersl^  avait  déclaré 
le  disrovrs  de  M.  Roebivrfc  dégoélant;  M.  Roebuek  a  déclaré  que 
M>  Kearsif  ae  s-'ètait  pas  assrx  abssceu  de  trop  boire  è  son  dtneri 

Ces  Beiitîitesaes  parlementaires  n*bt^  jamais,  ds  reste,  des  suites  bien 
sanglanica,  grâce  à  KinterventioA  emntipalente  an  ipetàww,  ifoi  oaloM^  les 
aniagoaistes  les  pl»s  fougne^ix,  en  lesflsieant  enfermer  dans  tea  prisons  de 
la  cbavtbra  jusqii*à  compMte  p»riica«ia«.  Aiasi ,  el  ea  verto  des  salutai- 
res rêAMoM  qn*inspire  I»  prison.^  sH^sl  tevnwnée  la  terrible  affaire  entre 
M.  Treneh  et  M.  Wason,  qtti  w%  vwilaieia  rien  moins  que  a' aller  entretoer 
à  Calais.  Celledesir  >i»hn  BebhoMe  et  du  eoèenel  Sibtberp  DesemMiit  pae 
<)«foir  ae  ceachiresi  ainéaMnt.  Sir  John,  IlerrompH,  pendant  qu'il  par^ 
^it,  par  an  ricanemeol  âw  eolonet,  mwi  ripestt^  pêtimenl?  «  H  n^  a  rien 
<1^  si  sot  qB'on  sot  rire.  »  Là  dea^nts  ke  eoleael  de  jeter  fev  et  flamme. 
Biennelepowait  sattsl^re  que  le  sang  ivpaada,  et  veilà  <fie  soudai» 
cettecalère8*apii«e  et«ambe  devant  mie  réaraetatieta  iadinectedesir  Jehs, 
et  quelques  avis  palemebi  du  Bftêok^r.  M»  CKConœl  a  bien  e»  égaèeerveet 
sa  petite  altercation  avec  M.  Richards;  mais  comme  le  grand  agitateur 
^  rigoureusement  fidèle  à  son  vœu  dé  ne  plus  se  battre,  ses  affaires 
^^bonneur  soas  les  pkis  faciles  de  toutes  à  arranger.  Ces  combats  singu^» 


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128  KEYUB  DES  DEUX  MONDES. 

liers  de  paroles  seraient  bien  ridicules  et  bien  intolérables,  s'ils  se  répé- 
taient souvent.  Us  ont  été  beaucoup  plus  fréquens  cette  quinzaipe  qu'ils  ne 
le  sont  d'ordinaire.  Il  faut  les  attribuer  à  l'excitation  que  cause  dans  la 
cbambre  ie  conflit  avec  la  pairie.  C'est  de  la  colère  surabondante;  on  se 
bat  avec  qui  l'on  peut,  en  attendant  la  grande  mêlée. 

La  chambre  des  lords  a  repoussé,  à  une  immense  majorité,  le  bill  qui 
tendait  à  introduire  quelques  indispensables  réformes  dans  la  cour  de 
chancellerie.  C'est  que  ce  bill  était  un  acheminement  à  des  réformes  bien 
plus  graves.  Il  conduisait  à  remanier  la  juridiction  monstrueuse  des  lords 
jugeant  comme  cour  d'appel.  Il  menait  à  séparer  les  fonctions  politiques 
et  judiciaires  du  chancelier.  Or,  ces  questions  touchent  essentiellement  i 
la  constitution  même  de  la  pairie.  On  conçoit  qu'à  l'heure  qu'il  est  les 
pairs  ne  soient  guère  empressés  d'ouvrir  une  voie  aux  assaillans  qui  les 
battent  en  brèche. 

Mais  c'est  hors  du  parlement  que  s'est  jouée  la  principale  scène.  Le  pro- 
cès intenté  à  lorl  Melbourne  n'était  au  fond  qu'un  procès  politique  sur 
lequel  les  tories  fondaient  de  grandes  espérances.  Les  tories  ont  fait  cette 
année  une  campagne  peu  honorable  et  peu  dans  les  habitudes  parlemeu- 
taires  du  pays.  Désespérant  de  détruire  le  caractère  public  de  leurs  en- 
nemis, ils  ont  essayé  de  détruire  leur  caractère  privé;  ainsi  ont-ils  at- 
taqué la  moralité  de  lord  Melbourne,  de  même  qu'ils  s'en  étaient  prisi 
la  probité  d*0'Connel,  au  sujet  de  l'élection  de  Carlow.  Cette  seconde 
tentative  sans  générosité  ne  leur  a  pas  mieux  réussi  que  la  première. 
Un  jury  anglais  n'admet  pas  légèrement  la  culpabilité  en  fait  d'adul- 
tère; il  ne  se  décide  point  d'après  de  simples  présomptions,  sur  la 
foi  de  témoins  douteux.  Bien  plus,  la  loi  impose  une  condition  es- 
sentielle au  mari  qui  demande  des  dommages -intérêts.  La  loi  vent 
qu'il  ait  été  vigilant;  qu'il  se  soit  montré  le  constant  et  jaloux  observa- 
teur de  sa  femme;  qu'il  n'ait  jamais  paru  insoucieux  de  cet  honneur  dont 
il  vient  réclamer  le  paiement.  Or,  tel  n'était  point  le  cas  de  M.  Norton. 
M.  Norton  n'avait  été  ni  vigilant,  ni  jaloux;  il  n'avait  nullement  été  un 
sévère  gardien  deson  honneur.  Au  contraire,  il  avait  fermé  les  yeux)  il 
avait  été  volontairement  aveugle.  Ces  considérations  dictaient  d'avance 
le  verdict  qui  a  proclamé  la  double  confusion  des  tories  et  de  leur  dé- 
plorable instrument.  Rien  n'a  manqué  à  celle  de  M.  Norton.  Il  n'a  pas 
même  obtenu  cette  précieuse  fiche  de  consolation  du  fnihing  qui  eiA 
rejeté  les  frais  à  la  charge  du  défendeur;  et  l'on  sait  qu'ils  sont  considéra- 
bles en  Angleterre  lorsqu'il  s'agit  d'une  audition  de  témoins. 

—  C'est  un  véritable  événement  littéraire  que  la  double  publication 
de  VÉssai  sur  la  lUiiralure  anglaise  et  de  la  traduction  du  Paraë» 
perdu  de  Milton,par  M.  de  Chateaubriand.  Nous  ne  pouvons  quesignaler 
aujourd'hui  à  l'attention  publique  ces  deux  ouvrages ,  que  recommande 
as9ez  le  nom  de  l'illustre  écrivain.  Nous  les  examinerons  une  autre  foîi 
avec  l'étendue  et  le  soin  qu'exige  une  œuvre  de  cette  importance. 


F.  BULOI. 


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•flf 


LES  MORTS. 


FRAGBfEirr  INÉDIT  DE  LÉLIA.  ' 


Chaque  jour,  éveDIée  long-temps  d'avance,  je  me  promène  avant 
k  fin  de  la  nuit,  snr  ces  longues  dalles  qui  toutes  portent  une 
épîtaphe,  et  abritent  un  sommeil  saas  fin.  Je  me  surprends  à 
descendre,  en  idée,  dans  ces  caveaux,  et  à  m*j  étendre  paisible- 
ment pour  me  reposer  de  la  vie.  Tantôt  je  ra*abandonne  au  rêve 
du  néant,  rêve  si  doux  à  Vabnégation  de  Tintelligence  et  à  la  fati-' 
gue  du  cœur;  et  ne  voyant  plus  dans  ces  ossemens  que  je  foule, 
que  des  reliques  chères  et  sacrées ,  je  me  cherche  une  place  au 
nflieu  d'eux  ;  je  mesure  de  Vœil  la  toise  de  marbre  qui  recouvre 
la  couche  muette  et  tranquille  où  je  serai  bientôt,  et  mon  esprit 
en  prend  possession  avec  charme. 

Tantôt  je  me  laisse  séduire  par  les  superstitions  de  la  poésie 
dirétienne.  Il  me  semble  que  mon  spectre  viendra  encore  marcher 
lentement  sous  ces  voûtes,  qui  ont  pris  Vhabitude  de  répéter 
rédio  de  mes  pas.  Je  m'imagine  quelquefois  n'être  déjà  plus  qu'un 
jfontAme  qui  doit  rentrer  dans  le  marbre  au  crépuscule,  et  je 

(i)  Haas  la  nouTeUe  édition  de  ses  œuvres  que  Tautear  prépare,  Lélia  a  été  complète* 
flMni  refondue  et  formera  trois  volumes.  Cette  édition  complète  de  George  Sand  paraî- 
tni  pir  liTraison  de  deux  volumes ,  imprimés  avec  des  caractères  neufi ,  sur  beau  papier. 
TOMB  VU.  —  1.5  JUILLET  1856.  9 


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iSO  REVUE  DBS  DEUX  MONDES. 

regarde  dans  le  passé,  dans  le  présent  même,  comme  dans  une 
vie  dont  la  pierre  du  sépulcre  me  sépare  déjà. 

n  y  a  un  endroit  que  j*aime  particul'èrement,  sous  ces  belles 
arcades  bysantines  du  clottre  :  c*est  à  la  lisière  du  préau,  là  oà 
le  pavé  sépulcral  se  perd  sous  Therbe  aromatique  des  allées,  ci 
la  rose  toujours  pâle  des  prisons  se  penche  sur  le  crâne  des- 
séché dont  l'effig^  est  gravée  à  diaqiie  angle  de  la  pierra.  Un  des 
grands  lauriers-roses  du  parterre  a>  envahi  Tare  lègem  de  la  der- 
nière porte,  n  arrondit  ses  branches  en  touffe  splendide,  sous  la 
voûte  de  la  galerie.  Les  dalles  sont  semées  de  ces  belles  fleurs, 
qui,  au  moindre  sQuffle  du  vent,  se  détachent  de  leur  étroit  calioe 
et  jonchent  le  lit  mortuaire  de  Francexca, 

Francesca  était  abbesse  avant  Vabbesse  qui  m'a  précédée.  Elle  est 
morte  centenaire,  avec  toute  la  puîssanee  de  sa  vertu  et  de  son 
génie.  C'était,  dit-on,  une  sainte  et  .une  savante.  Elle  apparut  à 
Maria  del  Fiore,  quelques  jours  après  sa  mort,  au  moment  où  cette 
novice  craintive  venait  prier  sur  sa  tombe.  L*enfant  en  eut  uee 
telle  frayeur,  qu'elle  mourut  huit  jours  après ,  moitié  souriante, 
moitié  consternée ,  disant  que  Tabbesse  l'avait  appelée  et  lui  avaft 
ordonné  de  se  préparer  à  mourir.  On  Tenterraaux  pieds  de  Fran- 
cesca, sous  les  lauriers-roses. 

Cest  là  que  je  veux  être  enterrée  aussi.  11  y  a  là  une  dalle  sans 
inscription  et  sans  cercueil,  qui  sera  levée  pour  moi  et  scellée  sur  ïïkâ 
entre  la  femme  rehgieuse  et  forte  qjui  a  supporté  cent  ans  le  poids 
de  la  vie,  et  la  femme  dévote  et  timide  qui  a  succombé  au  moin- 
dre souffle  du  vent  de  la  mort;  entre  ces  deux  types  tant  aimés 
de  moi,  la  force  et  la  grâce,  entre  une  soeur  de  Trenmor  et  une 
sœur  de  Sténio. 

Francesca  avait  un  amour  pronohcé  pour  Vastronomie.  Efle  avait 
fait  des  études  profondes,  et  raillait  un  peu  la  passion  de  Maria 
pour  les  fleurs.  On  dit  que  lorsque  la  novice  lui  montrait  le  soir 
les  embellissemens  qu'elle  avait  faits  au  préau  durant  le  jour,  U 
vieifle  abbesse,  levant  sa  main  décharnée  vers  les  étoiles,  disait 
d'une  voix  toujours  forte  et  assurée  :  Voilà  mon  parterre! 

Je  me  suis  plu  à  questionner  les  doyennes  du  couvent  sur  cft 
couple  endormi ,  et  à  recueillir  chaque  jour  des  détails  nouveaux 
me  deux  exiatanoes  qui  viMsit  bientôt  rentrer  «Una  la  ma  ^ 


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LBs  «ours.  131 

Cest  ufie  éhose  triste  q«e  cet  effacement  complet  des  morts  ;  le 
diristiantsme  corrompu  a  inspiré  pour  eux  une  sorte  de  terreur 
mêlée  de  haine.  Ce  sentiment  est  fondé  peut-être  sur  le  procédé 
Héewi  de  nos  séputtures,  et  sur  cette  nécessité  de  se  séparer  brus- 
quement et  à  jamais  de  la  dépouille  de  ceux  qu'on  a  aimés.  Les 
anciens  n'avaient  pas  cette  frayeur  puérfle.  J'aime  à  leur  voir  por- 
ter dans  leurs  bras  Tume  c|ui  contient  le  parent  ou  Tami  ;  je  la 
feor  vois  contempler  souvent ,  je  Tentends  invoquer  dans  les  gran- 
des occasions,  et  servir  de  consécration  à  tous  les  actes  énergi- 
ques. EHe  firit  partie  de  leur  hértage.  La  cérémonie  des  funérail- 
les n>st  point  confiée  à  des  mercenaires;  le  fils  ne  se  détourne 
pas  avec  horreur  du  cadavre  dont  les  flancs  l'ont  porté.  H  ne  le 
laisse  point  toucher  à  des  mains  impures.  Il  accomplit  lui-même  ce 
fcroîer  office ,  et  tes  parfums,  emMème  d'amour,  sont  versés  par 
ses  propres  mains  sur  la  dépouilte  de  sa  mère  vénérée. 

Dans  tes  communautés  religteuses ,  j'ai  retrouvé  un  peu  de  ce 
respect  et  de  cette  antique  afFection  pour  les  morts.  Des  mains  fra- 
ternelles y  roulent  le  linceul,  des  Senrs  parent  te  front  exposé 
tout  un  jour  aux  regards  d'adieux.  Le  sarcophage  a  place  au  mi- 
lieu de  la  demeure,  au  sein  des  habitudes  de  la  vie.  Le  cadavre 
doit  dormir  à  jamais  parmi  des  êtres  qui  dormiront  plus  tard 
à  ses  côtés ,  et  tous  ceux  qui  passent  sur  sa  tombe  le  saluent  comme 
un  vivant.  Le  règlement  protège  son  souvenir,  et  perpétue 
rhommage  qu'on  lui  <  oit.  La  règle^  chose  si  excellente,  si  néces- 
saire à  la  créature  humaine,  image  de  la  Divinité  sur  la  terre, 
religieuse  préservatrice  des  abus,  généreuse  gardienne  des  bons 
semimens  et  des  vieilles  affections ,  se  fiait  ici  Famie  de  ceux  qui 
n'ont  plus  d'amis.  Elle  rappelle  chaque  jour,  dans  les  prières,  une 
longue  Uste  de  morts  cpii  ne  possèdent  plus  sur  la  terre  qu'un 
nom  écrit  sur  une  dalle ,  et  prononcé  dans  le  mémento  du  soir.  J'ai 
trouvé  cet  usage  si  beau,  que  j'ai  rétabli  beaucoup  d'anciens 
■oms  qu'on  avait  retranchés  pour  abréger  la  prière;  j'en  exige 
la  stricte  observance ,  et  je  veille  à  ce  que  Fessaim  des  jeunes  no- 
vices, lorsqu'il  rentve  avec  bruit  de  la  promenade,  traverse  le 
chttre  en  sitence  et  dans  te  plus  grand  recueillement* 

Quant  à  ronibfi  des  faits  de  la  vie,  il  arrive  pour  les  morts  plus 
ifle  m  qu'ailleurs.  L  absence  de  postérité  en  est  cause.  Toute  une 
génératiim  s'éteint  en  même  temps,  car  Fabsence  d'évènemens  et 

9. 


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132  RETUE  DBS  DEUX  MONDES. 

les  habitades  uniformes  prolongent  en  général  la  vie  dans  des  pro- 
portions à  peu  près  égales  pour  tous  les  individus.  Les  longévités 
sont  remarquables,  mais  la  vie  finit  tout  entière.  Les  intérêts  ou  Tor- 
gueil  de  la  famille  ne  font  ressortir  aucun  nom  de  préférence,  et  la 
rivalité  du  sang  n'existant  pas,  1  égalité  de  la  tombe  est  solennelle, 
complète.  Cette  égalité  efface  vite  les  biographies.  La  règle  défend 
d*en  écrire  aucune  sans  une  canonisation  en  forme,  et  cette  pres- 
cription est  encore  une  pensée  de  force  et  de  sagesse.  Elle  met  un 
frein  à  Torgueil,  qui  est  le  vice  favori  des  âmes  vertueuses;  eDe 
empêche  Thumilité  des  vivans  d*aspirer  à  la  vanité  de  la  tombe.  Aa 
bout  de  cinquante  ans ,  il  est  donc  bien  rare  que  la  tradition  ait 
gardé  quelque  fait  particulier  sur  une  religieuse ,  et  ces  faits  sont 
d'autant  plus  précieux.    . 

Comme  la  prohibition  d'écrire  ne  s'étend  pas  jusqu'à  moi,  je 
veux  vous  faire  mention  d'Agnese  de  Catane,  dont  on  raconte  ici 
la  romanesque  histoire.  Novice  pleine  de  ferveur,  à  la  veille  d'être 
unie  à  Tépoux  céleste,  elle  fut  rappelée  au  monde  par  l'inflexible 
volonté  de  son  père.  Mariée  à  un  vieux  seigneur  français,  elle  fut 
traînée  à  la  cour  de  Louis  XV,  et  y  garda  son  vœu  de  vierge  selon 
la  chair  et  selon  l'esprit,  quoique  sa  grande  beauté  lui  attirât  les  plus 
brillans  hommages.  Enfin,  après  dix  ans  d'exil  sur  la  terre  de 
Chanaan ,  elle  recouvra  sa  liberté  par  la  mort  de  son  père  et  de  son 
époux,  et  revint  se  consacrer  à  Jésus-Christ.  Lorsqu'elle  arriva 
par  le  chemin  de  la  montagne,  elle  était  richement  vêtue,  et  une 
suite  nombreuse  l'escortait.  Une  foule  de  curieux  se  pressait  pour 
la  voir  entrer.  La  communauté  sortit  du  cloître  et  vint  en  proces- 
sion jusqu'à  la  dernière  grille ,  les  bannières  déployées  et  Fabbesse 
en  tête,  en  chantant  l'hymne  :  Vent,  sponsa  Christi.  La  grille  s'ou- 
vrit pour  la  recevoir.  Alors  la  belle  Agnese,  détachant  son  bou- 
quet de  son  corsage,  le  jeta  en  souriant  par-dessus  son  épaule, 
comme  le  premier  et  le  dernier  gage  que  le  monde  eût  à  recevoir 
d'elle;  et  arrachant  avec  vivacité  la  queue  de  son  manteau  aux 
mains  du  petit  Maure  qui  la  portait,  elle  franchit  rapidement  la 
grire,  qui  se  referma  à  jamais  sur  elle,  tandis  que  l'abbesse  la  rece- 
vait dans  ses  bras,  et  que  toutes  les  sœurs  lui  apportaient  au 
front  le  baiser  d'alliance.  Elle  fit  le  lendemain  une  confession  gé- 
nérale des  dix  années  qu'elle  avait  passées  dans  le  monde,  et. 
le  saint  directeur  trouva  tout  ce  passé  si  pur  et  si  beau,  qu*il 


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LES  MORTS.  133 

lai  permit  de  reprendre  le  temps  de  son  noridat  où  elle  Tavait 
laissé  y  comme  si  ces  dix  ans  d^interruption  n'avaient  duré  qa*un 
joar,  joor  si  chaste  et  si  fervent,  qu'il  n*avait  pas  altéré  Tétat  de 
perfection  où  était  son  ame  lorsqu'à  la  veille  de  prendre  le  voile,  elle 
avait  été  traînée  à  d'autres  autels* 

EDe  fut  une  des  plus  simples  et  des  plus  humbles  religieuses 
qu*on  eût  jamais  vues  dans  le  couvent.  Cétait  une  piété  douce,  en- 
jeaée,  tolérante,  une  sérénité  inaltérable,  avec  des  habitudes  élé- 
gantes. On  dit  que  sa  toilette  de  nonne  était  toujours  très  recher- 
chée, et  qu'en  ayant  été  reprise  en  confession,  eDe  répondit  naïve- 
ment, dans  le  style  du  temps,  qu'elle  n'en  savait  rien,  et  qu'elle  se 
faisait  brave  malgré  eDe  et  par  l'habitude  qu'elle  en  avait  prise  dans 
le  monde  pour  obéir  à  ses  parens;  qu'au  reste,  eDe  n'était  pas  fà- 
diée  qu'on  lui  trouvât  bon  air,  parce  que  le  sacrifice  d*une  jeunesse 
encore  brillante  et  d'une  beauté  toujours  vantée  faisait  plus  d'hon- 
neur au  céleste  époux  de  son  ame  que  celui  d'une  beauté  flétrie  et 
d'une  vie  prête  à  s'éteindre.  J'ai  trouvé  une  grâce  bien  suave  dans 
cette  histoire. 

Sachez,  Trenmor,  quel  est  le  charme  de  l'habitude,  quelles  sont 
les  joies  d'une  contemplation  que  rien  ne  trouble.  Cette  créature 
errante  que  vous  avez  connue  n'ayant  pas  et  ne  voulant  pas  de  par 
trie,  vendant  et  revendant  sans  cesse  ses  châteaux  et  ses  terres, 
dans  l'impuissance  de  s'attacher  à  aucun  lieu  ;  cette  ame  voyageuse 
qm  ne  trouvait  pas  d*asile  assez  vaste ,  et  qui  choisissait  pour  son 
tombeau  tantôt  la  cime  des  Alpes,  tantôt  le  cratère  du  Vésuve,  et 
tantôt  le  sein  de  l'Océan,  s'est  enfin  prise  d*une  telle  affection  pour 
quelques  toises  de  terrain  et  pour  quelques  pierres  jointes  ensem- 
ble, que  l'idée  d'être  ensevelie  ailleurs  lui  serait  douloureuse.  Elle 
a  conçu  pour  des  morts  une  si  douce  sympathie  qu'elle  leur  tend 
quelquefois  les  bras  et  s'écrie  au  milieu  des  nuits  : 

—  O  mânes  amisi  âmes  sympathiques!  vierges  qui  avez, 
comme  moi,  marché  dans  le  silence  sur  les  tombes  de  vos  sœurs! 
vous  qui  avez  respiré  ces  parfums  que  je  respire ,  et  salué  cette 
lune  qui  me  sourit!  vous  qui  avez  peut^tre  connu  aussi  les  orages 
de  la  vie  et  le  tumulte  du  monde  !  vous  qui  avez  aspiré  au  repos 
étemel  et  qui  en  avez  senti  l'avant-goùt  ici-bas,  à  l'abri  de  ces 
routes  sacrées,  sous  la  protection  de  cette  prison  volontaire  !  ô  vous 
sivtoat  qui  avez  ceint  l'auréole  de  la  foi,  et  qui  avez  passé  des 


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Kk  BBTUB  DES  DEUX  MONDES. 

Bras  d'im  aiage  kirfsftle  S  ceux  d*im  épotnc  immortel  I  diastes^ 
Miantes  de  fEspoîr,  fortes  époirses  de  Isr  Volomél  me  bénissez- 
TOUS,  dites-mot,  et  prier-rous  sans  cesse  pour  ceHe  qui  se  phtt 
arec  vous  plas  qu'arec  les  TÎrans?  Est-ce  tous  dont  les  encensoirs 
d*or  répandent  ces  parfums  dans  la  nuit?  Est-ce  vous  qui  chantez 
doucement  dans  ces  mélodies  de  l'aîrt  Est-ce  vous  qui,  par  une 
sainte  magie,  rendez  si  beau,  si  attrayant,  si  consolant,  ce  cohi 
de  terre,  de  marbre  et  de  fleurs  où  nous  reposons  vous  et  moîT 
Par  quel  pouvoir  r'âvez-vous  fait  si  précieux  et  si  désirable,  que 
toutes  les  fibres  de  mon  être  s'y  attachent,  que  tout  le  san{j[  de  mon 
cœur  s'y  élance ,  que  ma  vie  me  semble  trop  courte  pour  en  jouir, 
et  que  j  y  veuille  une  petite  place  pour  mes  os,  quand  le  souffle 
dlvm  les  aura  délaissés? 

Alors ,  en  songeant  aux  troubles  passés  et  à  la  sérénité  du  pré- 
sent ,  je  les  prends  à  témoin  de  ma  soumission.  0  mânes  sanctifiésT 
leur  dis-je,  6  vierges  sœurs  I  ô  Agnese  la  belle  1  6  douce  Maria  def 
Korel  6  docte  Francesca  I  venez  voir  comme  mon  cœur  abjure  son 
ancien  fiel,  et  comme  il  se  résigne  à  vivre  dans  le  temps  et  dans 
l'espace  que  Dieu  lui  assigne!  Voyez  I  et  allez  dire  à  celui  que  vous 
contemplez  sans  voile  :  a  lélia  ne  maudit  plus  le  jour  que  vous  lui 
avez  ordonné  de  remplir;  elle  marche  vers  sa  nuit  avec  l'esprit  de 
sagesse  que  vous  aimez.  Elle  ne  se  passionne  plus  pour  aucun  de 
ces  instans  qui  passent;  elle  ne  s'attache  plus  à  en  retenir  quel- 
ques-uns ;  elle  ne  se  hâte  plus  pour  en  abréger  d*awtres.  La  voilà 
dans  une  marche  régulière  et  continue ,  comme  la  terre  qui  accom- 
plit sa  rotation  sans  secousses,  et  qui  voit  changer  du  soir  au  mathi 
la  constellation  céleste,  sans  s'arrêter  sous  aucun  signe,  san9 
vouloir  s*enlacer  aux  bras  des  belles  Pléiades ,  sans  fuir  sous  le 
dard  brûlant  du  sagittaire ,  sans  reculer  devant  le  spectre  échcveïé 
de  Bérénice.  Elle  s'est  soumise,  elle  vîtl  Elle  accomplit  la  loi;  eBé- 
ne  craint  ni  ne  désire  de  mourir;  elle  ne  résiste  pas  à  l'ordre  uni- 
versel. EUe  mêlera  sa  poussière  à  la  nôtre  sans  regret  ;  eHe  touch© 
déjà  sans  frayeur  nos  mains" glacées.  Voulez-vous,  6  Dieu  bon, 
que  son  épreuve  finisse^  etqtfawclelever  du  jour  eHe  nous  suive 
oft  nous  allons?  » 

Alors  il  me  semble  que,  dans  la  brise  qui  lutte  avec  l'aube,  3 
y  a  des  voit  faibles,  confuses ,  mystérieuses,  qui  s'éfêvent  et  qui 
retombent,  qui  s'efforcent  die  m'appder  de  dessous  fer  pièrrexmaSs 


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qui  œ  penyQQt  oa9  WMwr^  wuora  ,l'QbsrtftçJ^4e  lï»  ^fef  J^e  itf^rr^ 
no  iu^UUdi,  jo  r^a;r4«  4ina  dalte  ))laaplv^  a^  ^  sp^]jày^  pas,  et  «i 
U  c^VdQmQ,.  4obo»u«i  ç^té40  ifnoji,  w  ni«  ipoptr»  p^  Maria  d^ 
Wiore  4o^c^me|9l.AQdprlme  sur  l^pf  ^m^^^ipMrche  d^  ngive  caveai^* 
JSpi  ce  inop(M9m^-Ui  >  il  ji;  $t^CQ^ce9.  de^  bruits  éj^riMoç^si^seio  de  1^ 
terre,  et  comm^  de«  3p»pir8  aoiis  ine3,pied5,  Mm^  tPMt  f^it,  tawt 
jBe  tait.,  dès  que  rétojl^  du  pôle  a,  disparu*  Voiphi^e  grêle  dos 
qrpr^s»  que  la  luoe  dessîoaU  3ur  lesjuurs,  et  qui,  balancée  par  \fL 
hrise,  «emblait  douuer  le  ruouvqmenf  et  la^vie  au^  figures  de  1^ 
fresque,  s^ef&tçe  peu  à  peu^  J^  peiuMre  redevi^ut  ^uiniobUe;  l|i 
Toix  des  plamps  fait  plîwse  i  ççUe  dfis.w^au*-  L'abucjte  aéveilte 
daBs  sa  caçiB,  ^t  V^  e^st  coupé  pajr  des  ^Qm  pleins  ^t  d  stinctii, 
taudis  que  lefi.(jyaadJ5  ly^  blancs  du.  parterre  se  des.siueiit  daps  le 
crépuacule  et  se  dressent  iwmpbil^/?  de  plaisir  sous  la  rosée  abon- 
dante, Paus  Tatteut^  du  soleil),  toul^s  les  iuquièt^s  oscillatipns 
.a'arrètmt^  tpu$  l^§  c^ei3  incertain?  se  dég^^gjçuï  du  wile  fan^«- 
tîquAk.  C!es(  alors  q^^a  rAell^rn^u^  les  spectres  s  évauQuissent  dans 
ïair  blanobi  et  qp^  les  brui(J9  iu.a?tpUcables  fput  pla.ce  à  des  har- 
monies pures.  QttçJkjt^pfois  wi  dernier  ^uflle  de  la  uuit  secoue  le 
Iau^ar-ro8^^  froi?sj?  çonwlsiyeiu^u> ae»  broches,  plane  en  touf- 
npyant.sujvâa  tétefleurin,  e$.i;etoi9he  avec  un  faible  soupir,  comme 
^  Maria  del  Fîpre,  ai:raQbée  à  son.  parterre  par  la  main  de  Fran- 
eesca,  se  détachait  avec  effort  de  Tarbre  chéri  et  rentrait  dans  le 
domaine  des  morts  avec  un  léger  mouvement  de  dépit  et  de  regret. 
Toute  illusion  cesse  enfin  ;  les  coupoles  de  métal  rougissent  aux 
premiers  feux  du  matin.  La  cloche  creuse  dans  Tair  un  large  s.llon 
où  se  précipitent  tous  les  bruits  épars  et  flottans  ;  les  paons  des- 
cendent de  la  corniche  et  secouent  long-temps  leurs  plumes  humi- 
des*sur  le  sable  brillant  des  allées;  la  porte  des  dortoirs  roule 
avec  bruit  sur  ses  gonds ,  et  Y  Ave  Maria ,  chanté  par  les  novices, 
descend  sous  la  voûte  sonore  des  grands  escaliers.  Il  n*est  rien  de 
plus  solennel  pour  moi  que  ce  premier  son  de  la  voix  humaine  au 
coRimencement  de  la  journée.  Tout  ici  a  de  la  grandeur  et  de  Teffét, 
parce  que  les  moindres  actes  de  la  vie  domestique  ont  de  Tensemble 
et  de  Tunité.  Ce  cantique  matinal  après  toutes  les  divagations, 
tous  les  enthousiasmes  de  mon  insomnie ,  fait  passer  dans  mes 
reines  un  tressaillement  d'effroi  et  de  plaisir.  La  règle,  cette  grande 
loi ,  dont  mon  intelligence  approfondit  à  chaque  insUnt  rexcellence. 


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136  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

mais  dont  mon  imagination  poétise  quelquefois  un  peu  trop  la  ri- 
gidité,  reprend  aussitôt  sur  moi  son  empire  oublié  durant  les 
heures  romanesques  de  la  nuit.  Alors,  quittant  la  dalle  de  Fran- 
cesca,  où  je  suis  restée  immobile  et  attentive  durant  tout  ce  travaS 
du  renouvellement  de  la  lumière  et  du  réveil  de  la  nature ,  je  m'é- 
branle comme  Tantique  statue  qui  s'animait  et  qui  trouvait  dans  son 
sein  une  voix  au  premier  rayon  du  soleil.  Conune  eDe,  j'entonne 
l'hymne  de  joie  et  je  marche  au-devant  de  mon  troupeau  en  chan- 
tant avec  force  et  transport  »  tandis  que  les  vierges  descendent  en 
deux  files  régulières  le  vaste  escalier  qui  conduit  à  l'église.  J'ai  tou- 
jours remarqué  en  elles  un  mouvement  de  terreur  lorsqu'elles  me 
voient  sortir  de  la  galerie  des  sépultures  pour  me  mettre  à  leur 
tète  les  bras  entr'ouverts  et  le  regard  levé  vers  le  ciel.  A  l'heure  oà 
leurs  esprits  sont  encore  appesantis  par  le  sommeil  et  où  le  sentiment 
du  devoir  lutte  en  elles  contre  la  feiblesse  de  la  nature ,  elles  sont 
étonnées  de  me  trouver  si  pleine  de  force  et  de  vie,  et  malgré  tous 
mes  efforts  pour  les  dissuader,  elles  ont  toujours  pensé  que  j'avais 
des  entretiens  avec  les  morts  du  préau  sous  les  lauriers-roses.  Je 
les  vois  pâlir  lorsque  croisant  leurs  blanches  mains  sur  la  pourpre 
de  leurs  écharpes,  elles  s'inclinent  en  pliant  le  genou  devant  moi, 
et  frissonnent  involontairement  lorsque,  après  s'être  relevées,  elles 
sont  forcées  l'une  après  l'autre  d'efOeurer  mon  voile  pour  tourner 
l'angle  du  mur. 

George  Sand. 


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VOYAGES 

D'UN  SOLITAIRE. 


QQiiQiItlX^, 


Oui  y  Albert,  je  sois  parti  sans  prendre  congé  de  toi,  ni  de  personne, 
selon  ma  louable  coutume.  Pardonne-moi  ;  je  me  mourais  sur  la  lisière 
de  nos  bois.  Tu  ne  connais  pas  les  affres  de  mélancolie  que  recèlent  ces 
puissantes  forêts,  quand  les  ombres  d*automne  s'amassent  sur  les  étangs. 
L.es  oiseaux  voyageurs  étaient  arrivés  des  montagnes.  Chaque  matin  ils 
passaient  par  bandes  devant  ma  porte;  je  me  figurais  par  avance  les  con- 
trées qu'ils  allaient  visiter,  les  lacs,  les  vallées,  les  mers.  Une  inexpri- 
mable angoisse  me  saisissait  :  j'avais  besoin ,  comme  eux,  de  secouer  la 
rosée  de  mes  songes,  et  d'un  coup  d'aile  vigoureux  pour  fuir  mon  propre 
souvenir.  A  force  d'errer  dans  les  salles  du  vieux  chAteaude  Montmort, 
j'ai  retrouvé  des  ombres  funestes  qu'il  faut  quitter. 

Ta  ne  sais  pas  ce  que  c'est  que  de  n'entendre  jamais  d'autre  écho  que 
celui  de  sa  pensée  vagabonde.  Ma  jeunesse  se  consumait  là  dans  un  sté- 
rile amour  de  la  création  tout  entière.  J'étais  noyé  dans  un  océan  sans 
farme  et  sans  rivages.  Si  je  n'eusse  pris  la  résolution  d'en  sortir,  c'était 
lait  de  moi;  car  ce  pays,  tout  sévère  qu'il  est,  a  bien  des  charmes.  Il 
yoos  retient  par  d'invisibles  lianes,  comme  ces  fleurs  des  eaux  qui 


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fSS  liÉtdE  DÉS  t>Etfl  MONDES. 

n'ont  point  de  racines,  et  qu*aucun  orage  ne  peut  arracher.  Dans 
vide  qui  m'entourait,  mes  idées  prenaient  en  moi  nu  développement  sarz^ 
bornes,  et  tout  me  manquait  pour  les  exprimer.  Il  y  avait  des  jours  oït 
j'aurais  juré  que  j'étais  né  pour  écrire.  J'aurais  pu  dire  à  mon  tour  :  Et 
moi  aussi  je  suis  poète  !  J'entendais  «'es  bruits  que  personne  n'entemiait; 
je  voyais  des  formes  qtfë  péh*s«nfte  ne  tofait.  Quand  je  faisais  un  pas  le 
matin  sur  la  rosée  de  la  grande  avenue,  il  me  semblait  que  la  terre  et 
l'eau  se  lamentaient.  Pendant  des  journées  entières,  sur  le  bord  des  prés, 
je  suivais  des  femômès  qui  ifont  porni  de  corps;  et  il  y  tvait  des  idées 
sans  noms,  sâhsinfag^s  possibles  dans  aucan  monde,  qui  ne  me  quittaient 
pas.  Mon  ame  était  un  véritable  pandémonium  où  s'agitaient  des  larves 
qui  n'ont  jamais  eu  vie.  Peut-être  eussé-je  été  musicien,  si  j*ensse  pu 
saisir  cette  harmonie  sans  souffle  et  ces  soupirs  sans  voix  qui  passaient, 
comme  des  brises,  dans  mon  cœur.  Quand  le  vent  soufflait  dans  les  bou- 
leaux, je  rêvais  d'ineffables  mélodies  au  fond  des  bois;  mais  ces  chants 
célestes  ne  dépassaient  pas  mes  lèvres,  et  je  ne  sais  aucun  son  qui  en 
puisse  donner  l'idée.  D'autres  joli rt,  en  m'éveillant ,  il  y  avait  des  heures 
où  je  me  retraçais  malgré  moi  des  images  que  j'aurais  voulu  peindre  et 
conserver  toujours  devant  mes  yeux.  Cétaient  des  vallées,  des  paysages, 
des  climats  inconnus  sur  cette  terre.  Pour  les  retenir,  je  ne  trouvais  non 
plus  ni  couleurs,  ni  lignes,  ni  dessin.  Je  bâtissais  aussi  des  architectures 
prodigieuses  {ui  n'ont  nulle  part  de  modèle,  des  tours  idéales  dans  les- 
quelles je  montais  et  descendais  sans  m'arréter  jamais.  Il  y  avait  des  bal- 
cons d'où  l'ou  plongeait  sur  des  horizons  infinis,  des  balustrades  où  s'ap- 
puyaient des  femmes  et  des  figures  d^uue  autre  vie.  Alors  j'eusse  pu  croire 
tire  né  architecte,  si  au  moment  de  filer  tons  ces  rêves  par  des  lignes, 
ils  ne  se  ftissent  eifacés  comme  le  reste.  De  ces  tours  que  je  bAtissais  dans 
mes  songes,  de  ces  images  à  demi  peintes,  de  ces  mélodies  sans  voix,  il 
ne  me  restait  i-len  qn'un  vague  enchantement;  mais  aujourd'hui  mes 
fantômes  m'importanent,  mon  propre  chaos  m'obsède;  un  aveugle  ins- 
tinct me  pousse  vers  la  Inmière;  il  n'y  a  que  le  soleil  d'Italie  qui  puts^ 
dissiper  mes  odieuses  ténèbres. 

En  passant  à  Tfantua ,  je  suis  monté  sur  les  rochers  qui  bordent  le  lac. 
Le  jour  était  très  pur.  Du  milieu  des  herbes  fauchées  s'exhalaient  de  petites 
vapeurs  capricieuses >  telles  que  les  songes  des  plantes.  Les  hautes  Alpes 
'étendaient  au  loin  sur  le  ciel  leurs  eerdes  de  neige.  Ah!  les  meilleurs 
souvenirs  de  iha  jeunesse  errant  sur  ces  montagnes,  comme  des  chamois 
poursuivis  par  te  chasseur. 

J'ai  revu  le  lac  de  Genève.  L«s  Ims^es  de  Rousseau,  r'e  Samt-Preux^ 
deM"'*  de  Staêl,  de  Corinne,  deByron,  de  Manfred,  se  bercent  sur  ces 
flots  pâles.  Quand  les  ûmbi'es  des  inontagnes  descendent  le  soir  au  fond 


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VOYAfiBS  JU'tK  SOLITAïaS.  430 

^^  Uc,  ces  bords  sont  dangereux.  Vous  entendez  des  voix  connues  qpî 

^Us  appellent.  Vous  vous  penchez  sur  le  flot  dormant,  et  le  fantôme 

^oré  vous  invite  à  descendre  au  fond  des  eaux.  Alors  du  côté  de  Meille- 

^aye,  on  entend  les  troupeaux  qui  mugissent  sous  les  châtaigniers  ;  la 

dochc  de  Vevey  sonne  Tagonie  de  Julie;  la  mondaine  Corinne  s*assied 

Bar  le  seuil  des  cliAlets;  par  les  degrés  des  Alpes,  Manfred  descend  à  pas 

pesaos,  en  s^appuyant  sur  son  bâton  ferré;  pendant  qu'à  l'extrémité  du 

lac,  le  vieux  château  de  Ghiilon  biaochit  comme  la  demeure  commune 

à  tous  ces  F6\'es  des  poètes.  Alors  aussi,  celui  qui  a  un  cœur  frémit;  il 

s'arrête  pour  écouter  l'écho.  Il  respire  l'air  puissant  des  montagnes;  il 

pense  à  ce  qui  aurait  pu  être,  à  ce  qui  a  été,  et  se  envient  en  soupirant 

des  jours  qui  ne  reviendront  plus. 

Si  l'on  traverse  les  Alpes  en  été,  elles  sont  à  peine  un  obstacle.  La 
roule  dn  Simplon  les  a  supprimées.  Ce  n'est  que  sur  le  versant  de  l'ItaUe 
que  les  vallées  sont  abruptes;  de  ce  cOté,  la  route  devient  un  vrai  menu- 
meat  d'art,  et  vous  assistez  à  une  lutte  obstinée  de  la  nature  et  de 
rhoaune.  Il  y  a  des  endroits  où  l'industrie  semble  vaincue  par  Tobstade; 
mais  c'est  le  moment  où  les  ressources  de  l'art  reparaissent  avec  le  plus 
de  puissance.  Cette  roule  s'élance  sur  les  ravins,  d'un  bord  à  l'autre; 
elle  rampe,  elle  s'élève,  elle  bondit.  H  y  a  un  intérêt  dramatique  à  suivre 
le  combat  de  l'audaee  humaine  et  de  ces  cimes  si  long-temps  invain-* 
eues.  Ce  monument  de  patience  et  de  témérité  est  une  sorte  d'architeo- 
Xore  héroïque. 

Malgré  cela,  c'est  à  la  sortie  de  l'hiver  qu'il  faut  observer  les  Alpes. 
C'est  là  leur  climat  et  leur  saison  natuvelle.  Les  pics  de  glace  brillent 
coaune  des  rosaces  gothiques.  Un  silence  lourd  pèse  sur  ces  vallées  de 
neige,  où  tous  les  bruits  s'amortissent.  A  travers  les  frimas,  on  voit  per- 
cer Ics^ toits  aigos  des  chalets.  Du  haut  des  pics  les  plus  rapides,  les  avalan- 
ches glissent  comme  des  armées  de  géan8,,sous  leurs-manteaux  blancs.  Les 
Alpes  semblent  frissonner.  Une  puissance  surhumaine  vous  oppresse,  et 
la  terrible  renommée  de  ces  montagnes  se  confirme  à  chaque  pas.  D'ail- 
leurs, même  dans  cette  saison,  on  peut  se  laisser  glisser  à  la  ramasse,  sans 
presque  aucua  danger,  depuis  les  sommais  pisque  dans  les  vallées  ha- 
bitées. La  descente  dure  ainsi  moins  d'un  quart  d'iieure.  Dans  cette 
course  précipitée,  les  replis  des  montagnes  s'affaissent  et  se  nivellent  sous 
vos  regards;  la  grandeur  des  objets,  celle  des  distances  parcourues,  la 
rapidité  de  la  chute,  et  ces  neiges  inviolées,  tout  vous  jette  dans  un 
demi-vertige  :  il  semble  que  vous  soyez  le  premier  qui  preniez  possession 
de  cette  nature  de  glace. 

IjCS  lacs  qui  sont  au  revers  des  Alpes,  le  lac  Majeur^  le  lac  de  Côme,  sont 
déjà  de  la  même  couleur  que  les  mers  du  midi,  peut-être  un  peu  moina 


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140  RETUE  DES  DEUX  MONDES. 

bleus.  Les  petites  Iles  Borromées  ressemblent  à  une  création  de  TAriostel 
Elles  ont  la  même  grâce  que  les  inventions  de  VOrlando  furioso,  avec 
quelque  chose  de  plus  sauvage.  H  y  a  en  outre  des  pécheurs ,  un  village 
et  une  église,  dans  la  plus  grande  de  ces  lies ,  qui  ne  semblent  faites  que 
pour  la  fantaisie  des  poètes.  Le  doux  parfum  de  la  langue  milanaise  com- 
mence là  avec  le  myrte ,  Tolivier  et  le  citronnier.  L'enchanteresse  des 
climats  du  midi  habite  en  cet  endroit,  sur  son  seuil.  Dans  le  chAteau  dés- 
habité  des  Borromées ,  il  y  a  des  tableaux,  des  statues  dormantes  dans 
les  salles  souterraines,  au  bruit  des  flots  dormans;  il  y  a  de  l'art  et  de  Ta- 
mour,  c'est-à-dire,  toute  l'Italie.  Dans  ces  lies  lilliputiennes,  la  nature 
s'est  jouée  d'elle<^méme;  assise  au  pied  des  Alpes,  elle  sourit  comme  une 
puissante  Armide  sur  ces  fantasques  rivages. 

Quand  on  aperçoit  de  loin  la  cathédrale  de  Milan ,  on  dirait  d'un  édifice 
de  glace ,  bâti  là  de  toute  éternité ,  à  la  descente  des  Alpes.  C'est  la  vieille 
cathédrale  gothique  qui  a  servi  de  modèle  à  cette  architecture;  mais 
combien  le  type  austère  de  Cologne  et  de  Strasbourg  n'a-t-il  pas  été 
altéré  sous  le  ciel  énervant  de  l'Italie  !  La  voûte  ténébreuse  du  nord  s'est 
changée  en  un  marbre  blanc  d'un  éclat  presque  païen.  Sur  cette  terre  de 
Saturne,  le  mysticisme  de  l'architecture  gothique  est  dépaysé;  le  soleil 
ardent  du  midi  pénètre ,  avec  une  curiosité  profane,  jusqu'au  fond  de  la 
nef.  Le  trèfle  et  la  rose  chrétienne  ont  fait  place,  dans  les  omemens,  au 
laurier  idolâtre.  D'ailleurs  il  n'y  a  plus  de  flèche  qui  monte  dans  le  ciel. 
Soit  que  l'esprit  de  l'Italie  se  plaise  moins  dans  la  nue,  soit  que  cette  té- 
mérité répugnât  trop  à  la  tradition  romaine,  il  est  certain  que  la  flèche 
gothique  a  toujours  été  un  embarras  pour  les  peuples  du  midi.  Ou  ibl'ont 
séparée  de  l'église,  et  ils  en  ont  fait  un  édifice  distinct,  comme  à  Venise, 
à  Florence,  à  Pise,  ou  ils  l'ont  supprimée  comme  à  Milan.  La  cathédrale, 
triste  et  rêveuse,  des  bords  du  Rhin  s'est  convertie,  sous  le  ciel  lombard, 
à  une  foi  sensuelle.  De  ses  fleurs  de  marbre  s'exhale  l'odeur  des  citron- 
uiers  et  des  myrtes  du  polythéisme.  Le  Dies  iras  ne  retentit  pas  sous  ses 
voûtes;  bien  plutôt  l'écho  de  Lombardie  y  redirait  des  sonnets  d'a- 
mour. Ce  n'est  pas  le  Dieu  crucifié  qui  a  ici  son  symbole  au  milieu  de 
cette  nature  prodigue ,  c'est  la  Madone  souriante  sur  le  chemin  des  pè- 
1  crins.  Les  statues  innombrables  qui  habitent  son  église  ressemblent  aux 
onze  mille  vierges  de  Cologne ,  ressuscitées  dans  de  pâles  corps  de  mar- 
bre, que  la  mort  païenne  a  ciselés. 

De  Milan ,  cette  architecture ,  mêlée  du  génie  du  Nord  et  du  génie  du 
Midi, prend  trois  routes  :  elle  va  aboutir,  sur  l'Adriatique,  dans  les  pa- 
lais vénitiens;  sur  la  Méditerranée,  dans  le  Campo-Santo  de  Pise;  par  le 
chemin  de  la  Tûscane,  à  Orviète  :  elle  a  suivi  principalement  les  traces 
tic  l'esprit  gibelin. 


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TOTAGES  d'un  SOUTAIRE.  J41 

3c  passe  des  monomeos  étranges  qui  n'ont  jamais  été  élevés,  qui  ne 
«^écrouleront  jamais,  qui  s'appellent  Casliglione,  Lodi,  Rivoli;  tout  le 
<^einiD  de  Milan  à  Venise  est  semé  de  noms  semblables  :  ce  sont  des  ma- 
rais couverts  de  joncs,  des  pâturages  suspendus  sur  des  lacs,  des  avenues 
de  mûriers  et  de  saules.  Il  y  a  quelquefois  une  maisonnette  blanche  qui 
porte  k  son  toit  la  cicatrice  d'un  biscayen,  comme  un  soldat  laboureur. 
Sur  le  champ  de  bataille  des  environs  de  Vérone,  les  jeunes  paysannes 
font  la  cueillette  des  mûres.  L'oiseau  de  Roméo  et  de  Juliette  chante,  ca- 
ché sous  les  vernes  d'Arcole.  Quand  la  nuit  arrive,  des  myriades  de 
ïDOuches  luisantes  s'envolent  de  terre  :  elles  s'allument,  elles  s'éteignent, 
elles  se  raniment  comme  de  petites  lampes  errantes  pour  éclairer  les 
morts. 

H  sonnait  onze  heures  du  soir  au  campanile  de  Saint-Marc ,  lorsque 
fabordai  à  Venise.  Il  me  sembla  entrer  dans  le  pays  dies  rêves.  La  lune, 
en  ce  moment,  sortait  des  nuages,  sous  l'iucantation  des  esprits  embau- 
més de  l'Adriatique.  Des  gondoles,  couvertes  de  voiles  noirs,  glissaient 
â  côlé  de  moi.  Des  deux  côtés  du  grand  canal,  les  ombres  des  paldi& 
s'abaissaient  et  se  confondaient,  au  milieu  des  flots,  dans  une  architecture 
fantastique,  qui  se  bâtit  là,  le  soir,  pour  les  songes  de  la  nuit.  Cette  im* 
pression,  reçue  en  arrivant,  ne  s'est  point  affaiblie  par  la  suite.  Après 
avoir  demeuré  à  Venise,  après  y  avoir  touché  les  pierres  et  les  tableaux^ 
je  n'ai  pu  détruire  l'effet  de  cette  nuit  enchantée. 

Yem'se  est  asiatique  et  arabe;  elle  est  aussi  bysantine,  gothique,  lom- 
barde; mais  c'est  le  caractère  oriental  qui  domine,  et  celui  sans  lequel 
elle  reste  incompréhensible.  Ses  vaisseaux  ont  rapporté  chez  elle  les 
styles  et  les  formes  de  tous  les  climats  :  la  coupole  de  Bysance,  le  minaret 
du  Bosphore,  l'ogive  de  Mahomet,  la  citerne  du  désert.  Rien  ne  lui 
ressemble  sur  le  continent  ;  elle  est  née  de  la  mer  ;  elle  est  fantasque 
comme  les  flots.  Le  Jupiter  du  Péloponèse,  l'islamisme,  le  christianisme^ 
se  pressent  à  la  fois  en  ce  lieu  de  refuge. 

Toutes  les  fois  que  je  vis  l'église  Saint-Marc,  des  milliers  de  pi- 
geons voletaient  sur  les  combles  :  ils  se  posaient  sur  l'épaule  des  statues^ 
sur  leurs  livres,  sur  leurs  dais;  ils  becquetaient  dans  leurs  coupes  et 
leurs  calices  :  on  aurait  dit  les  oiseaux  des  légendes  qui  se  penchaient  à 
Foreille  des  cénobites  de  pierre,  pour  leur  apporter  les  messages  du  ciel. 
L'église  Saint-Marc  est  elle-même  semblable  à  une  vieille  légende  de 
Bysance..  C'est  la  Sainte-Sophie  de  Constantinople  transportée  en  occi- 
dent. Un  peuple  de  statues  agenouillées  habite  les  niches  extérieures  de 
réglise,  et  semble  de  loin  murmurer  sur  ses  lèvres  de  marbre  une  langue 
sacrée.  Au  dedans,  toute  l'histoire  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testa- 
ment est  peinte  sur  im  fond  d'or.  Une  litanie  étemelle  sort  aussi  de  toutes 


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142  RBTCE  DES  DEUX  MONDES. 

ces  bouches  muettes.  Vons  habitez  là  au  milieu  de  la  cité  sainte  du 
xi*siède.  Cette  foule  de  bieoheureui  vous  regarde»  vous  homme  d'im 
autre  âge,  qui  pénétrez  daus  ce  paradis  du  vieux  degme.  S'i  s  savaient 
les  langues  humaines ,  ils  vous  demauderaient  comme  au  pèlerin  de  Flo- 
rence : 

ITbû  vieDS-to ,  toi  qui  nous  ressembles  si  pea? 

Avec  cela,  cette  architecture  est  bien  loin  d'avoir  la  grandeur  de  Tarcbi- 
tecture  du  nord  :  elle  ue  porte  pas  dans  les  nues  la  pensée  religieuse 
d'une  rac?  nouvelle;  elle  est  plutôt  opprimée  sous  le  poids  delà  théologie 
bysantine.  Une  décrépitude  précoce  s*y  laisse  apercevoir  à  travers  ses 
dorures:  elle  a  les  grâces  ornées  des  pères  de  Téglise  grecque,  non  la 
sublimité  sauvage  du  catholicisme  d'Occident.  Vous  pensez  à  saint  Chry- 
sostome,  à  saint  Basile,  non  pas  à  Tnrtullien,  ni  à  saint  Jérôme.  Avant 
tout  f  Saint-Marc  est  Téglise  d^un  peuple  de  matelots.  Lorsque  avec  ses 
petits  dômes,  qui  s'arrondissent  l'un  >ur  l'autre,  on  la  voit  du  côté  de  la 
mer,  elle  donne  l'idée  d'une  nef  bénie  qui  entre  à  pleines  voiles  dans  le 
port,  chargée  des  chappes,  des  reliques ,  et  des  vases  ciselés  de  Bysance. 
Près  d'elle  sVlève  la  tour  de  son  clocher  à  ogives.  Cette  tour  isolée  porte 
les  cloches  et  sonne  les  heures  de  la  journée.  Quant  à  la  vieille  église,  elle 
est  muette;  aucun  bruit  n'en  sort  pour  marquer  la  siaccession  du  temps, 
ni  le  changement  de>  heures;  elle  ne  connaît  ni  soir,  ni  matin,  ni  deuil, 
ni  joie,  ni  glas,  ni  aubade  :  la  cité  sacrée  du  dogme  ne  connaît  rien 
qu'une  heure ,  celle  de  Péiernîté. 

A  côté  de  Saint-Marc,  le  palais  des  doges  est  tout  oriental;  ses  galeries 
sont  celles  d^un  palais  arabe.  Dans  les  ornemeus  des  ciiapiteauxsont 
sculptés  des  plantes  marine.^,  des  joueurs  de  mandoline  et  de  viole, 
double  emblème  de  l'histoire  et  du  génie  national  de  la  ville  aux  cent 
tles.  Les  deux  citernes  qui  sont  creusées  dans  la  cour  font  penser  au  dé- 
sert. Venise  n'a  pas  une  seule  source.  A  l'entrée  des  flots,  elle  est  comme 
Paimyre  au  milieu  des  sables.  D'à  «Heurs  son  palais  des  mille  et  une  nuits 
se  termine  par  une  prison  d'état.  Le  sénat  habitait  entre  deux  tortures 
continuelles  :  il  avait  sons  ses  pieds  les  cachots  souterrains,  et  les 
plombs  sur  sa  tête.  Quand  vous  voyez  pour  la  prem  ère  fois,  dans  la  salle 
du  grand  conseil  de  TinquisKion,  rayonner  autour  des  nruirailles  les  ta- 
bleaux de  Véronèse  et  de  Tintoret,  ces  fêtes  de  la  peinture,  dansées 
enceintes  lugubres,  vous  émeuvent  malgré  vous;  car  c'est  au  milieu  de 
toute  la  splendeur  d'une  architecture  à  demi  mauresque,  au  milieu  des 
tableaux  et  des  couleurs  palpitantes  de  ces  peintres ,  que  cette  aristocratie 
enfbuissait  ses  mystères.  Son  gouvernement ,  qui  fut  une  sorte  de  terreur 


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VOYAGES  d'un  SOLITAIRE.  145 

iMtioDaTe  mêlée  de  volupté,  était  parfaitement  à  Taise  dans  ce  palais, 
%t(j\e  et  musée  tout  ensemble.  Les  supplices  y  touchaient  à  des  plaisirs 
choisis.  Le  petit  pont  par  lequel  les  coorfamnés  sortaient ,  pour  être 
poignardés  ou  noyés,  est  ciselé  avec  une  élégance  pleine  de  recherche, 
^^ai  TU  un  grand  casque  de  fer  dans  lequel  on  broyait  la  tête  des  sus- 
pects. Ce  casque  est  lui-même  d*une  beauté  étudiée.  Venise  poussa  le 
géoie  des  arts  plastiques  jusque  dans  la  torture. 

La  vie  de  Venise  était  un  prodige  de  chaque  jour;  en  guerre  perpé- 
^ile  avec  la  nature  et  avec  le  monde ,  sa  victoire  ne  pouvait  se  prolon- 
ger que  par  une  tension  extrême  de  tous  les  ressorts  de  l'état.  Sa  force 
^a  plus  réelle  consistait  dans  les  combinaisons  de  son  génie.  De  là,  le  se- 
<^et  sur  tout  ce  qui  la  touchait  était  pour  elle  la  première  condition  de 
<^Qrée  Dans  un  état  ainsi  établi  sur  le  silence,  ce  n'est  pas  le  lieu  de  cher- 
cher des  poètes,  des  orateurs,  des  historiens,  des  philosophes.  Venise  ne 
^ait  pas  avoir,  comme  Florence,  son  Dante,  son  Boccace,  son  Machia- 
^^-  I^  parole  écrite  était  l'opposé  de  son  génie  taciturne.  An  contraire  , 
^  Peinture,  cet  art  muet,  devait  être  celui  d'une  société  muette.  Venise 
^T  précipita. 

Oeqoi  me  frappe,  c'est  que  la  sombre  sévérité  du  régime  politique  de 
^^xiisc  ne  s'est  jamais  communiqué  à  sa  peinture.  Si  vous  ne  considérez 
^^  le  gouvernement ,  vous  vous  figurez  que  toute  cette  société  a  été 
<^Ksciuite  par  une  terreur  continue,  et  que  les  imaginations  ont  dû  se 
^'-■'vrir  d'un  voile  lugubre.  Si,  au  contraire,  vous  examinez  l'art,  vous 
S"f>posez  que  ces  hommes  ont  vécu  dans  une  fête  perpétuelle,  et  que  des 
iin^çinations  aussi  fougueuses  appartiennent  à  un  régime  de  liberté  ex- 
cessive. Titien  et  Paul  Véronèse  ont  quelque  chose  de  sénatorial ,  comme 
Va^v^istocratie  des  cent  lies.  Ils  ont  la  sensualité  somptueuse,  mais  non  pas 
^^  ^éfërité  ni  la  profondeur  redoutable  du  conseil  des  Dix.  Loin  d'être 
a^^ristépar  le  gouvernement,  l'art  exprima  avec  splendeur  la  splendeur 
^^  Vétat;  d'ailleurs  un  rayon  détourné  du  Levant  luit  sur  cesardens  ta- 
^^^ux.  Ces  imaginations  de  matelots  se  sont  en  partie  formées  au  milieu 
des  bazars  de  Chypre  et  de  Bysance.  La  peinture  de  Venise  est  à  demi 
orientale ,  comme  son  architecture. 

Et  véritablement,  ces  figures  créées  par  l'art  semblent  aujourd'hui  les 

seuls  et  légitimes  habitans  de  ces  balcons  et  de  ces  galeries  levantines. 

An  fond  des  palais,  elles  demeurent  comme  une  aristocratie  idéale  et  ta- 

dlame.Sous  les  ogives  humides  des  voûtes,  le  ver  file  sa  soie;  la  gondole 

passe  en  efOeurant  le  seuil;  la  foule  se  disperse  sans  bruit  sur  les 

ponts.  Quand  le  soir  arrive,  des  bandes  de  mouettes  et  de  procellarias 

s'abattent  sur  la  ville.  Malgré  cela,  au  fond  de  ces  tristes  palais ,  il  y  a  une 

fèîe  qui  ne  finit  jamais.  Ces  cadres  suspendus  aux  murailles  conservent 


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M  RBVUB  DBS  DBUX  MOIfDBS. 

Féclat  des  jours  qui  ne  sont  plus.  Lorsque  vous  entrez  dans  la  salle  du  ooo- 
seîly  yous  trouTez  encore  la  Venise  patricienne  toute  parée ,  comme  Inèi 
de  Castro  dans  son  sépulcre. 

Souvent  des  nuages  violets ,  tels  que  ceux  qui  flottent  sur  les  toilei  de 
Tintorety  s'amassent  sur  la  ville;  leurs  lignes  droites  sont  comme  tracées 
à  réquerre.  La  lumière  se  concentre  alors  dans  une  étroite  bande  à  Tbo- 
rizon.  G*e8t  avec  une  netteté  incroyable  que  les  objets  se  détachent  sur 
cette  zone;  mais,  cordages,  vergues,  avirons,  tout  est  gravé  au  burin  dans 
un  ciel  de  cuivre.  Du  fond  des  vagues  bronzées  sortent  le  palais  des  dogei, 
le  campanile  de  Saint-Marc  avec  son  ange  d*or,  puis,  dans  les  tles,  les 
dômes  de  Saint-George,  du  Redemptor  et  des  Gitelle  La  ville  tout  ea- 
tière  surgit  de  cette  mer  empourprée ,  comme  la  création  de  Tun  de  ses 
peintres.  Au  milieu  de  cet  éclat,  on  éprouve  une  impression  de  détresse 
qui  ne  se  retrouve  qu'à  Rome  ;  mais  cette  impression  est  beaucoup  plus 
extraordinaire  à  yenise ,  car  là  il  n'y  a  point  encore  de  ruines.  Les  pt- 
laîs,  quoi  qu'on  en  dise ,  sont  entiers.  A  cette  magnificence  seigneuriale 
qui  faisait,  dans  Venise,  une  fête  éternelle ,  le  temps  n'a  rien  été  encore. 
C'est  au  milieu  de  cette  fête  que  la  ville  a  été  frappée;  elle  est  morte  de- 
bout. 

On  peut  dire,  en  effet,  que  lorsque  Venise  acheva  de  tomber,  elle  était 
morte  depuis  long-temps  ;  mais  son  gouvernement  mit,  à  garder  ce  ca- 
davre, la  même  vigilance  qu'il  avait  mise  à  veiller  sur  elle  dans  la  bônoe 
fortune.  Depuis  la  fin  du  xyii«  siècle  elle  gisait  sur  son  ht  de  parade; 
pour  cacher  ce  grand  secret  d'état,  ce  n'était  pas  trop  de  l'inquisitiun  et 
de  la  torture  des  plombs.  Le  premier  qui  franchit  hardiment  cette  en- 
ceinte ne  trouva  sous  ce  mystère  qu'un  fantôme. 

Cédapiangere,  signor!  llya  de  quoi  pleurer ,  monsieur,  me  disait  le 
vieux  gondolier  qui  me  ramena  sur  la  terre-ferme;  car  le  peuple  ne  laise 
pas  que  d'être  frappé  de  ces  ruines ,  et  il  est  fort  attaché  au  lion  de  Saint- 
Marc;  ce  qui  n'empêche  pas  que  Venise  ne  soit,  par  intervalles,  la  ville  la 
plus  gaie  et  la  plus  folle  de  Tltalie;  seulement  cette  gaieté  exaltée  est 
quelquefois  fort  triste.  Le  carnaval  de  Venise  ressemble  toujours  un  pea 
à  la  danse  des  morts. 

Le  canon  des  Autrichiens  en  batterie  sur  la  Piazzetta,  le  grand  dra- 
peau de  Vienne  arboré  nuit  et  jour  en  face  de  Saint-Marc,  puis,  en  pers- 
pective »  l'hospitalité  paterne  du  Spielberg,  ce  sont  là,  après  tout,  de 
tristes  siyets  de  fête.  Les  petits  théâtres  forains  sont  les  seuls  endroits  où 
la  haine  du  joug  tudesque  puisse  se  montrer  encore  avec  quelque  liberté. 
Dans  ces  pièces  jouées  en  plein  air,  il  y  a  toujours  un  caporal  allemand 
qui  estropie,  de  la  manière  la  plus  burlesque,  quelques  mots  d'italien. 
Ainsi  voilà  Polichinelle  vengeur  des  Dandolo,  des  Foscari  et  des  Barba- 


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YOTAOES  d'un  SOLITAIRE.  itë 

negro.  En  général,  quel  iemps  faut-il  pour  que  la  petite  comédie  rem- 
pl|K^  la  cnmédie  divine?  c'est  là,  pour  )out  le  monde,  la  vraie  question. 


II. 

Après  Venise  I  je  n'ai  séjourné  qu'à  Ferrare.  Pour  arriver  à  la  prison 
du  Tasse,  j'ai  traversé  une  longue  file  de  lits  de  malades  dans  l'hôpiul 
Sainte-Anne.  La  prison  est  au  fond  d'une  petite  cour  avec  laquelle  elle 
est  de  plain-pied.  Une  grêle  épaisse  était  tombée  dans  l'intérieur,  car  une 
henre  auparavant  il  avait  fait  un  violent  orage.  La  voûte  de  cette  geôle 
est  si  basse,  que ,  dans  certains  endroits,  on  a  peine  à  s'y  tenir  debout. 
Cest  là  que  le  poète  fut  gardé  sept  ans  comme  une  béte  fauve  de  la  mé- 
nagerie de  la  maison  d'Est.  Pendant  ce  temps-là,  Eléonore,  dans  le  châ- 
teau de  Ferrare ,  écoutait  les  joueurs  de  luth;  elle  souriait  sous  les  oran- 
gers des  villas,  et  pas  une  fois  ses  lèvres  adorées  ne  s'ouvrirent  pour 
demander  la  grâce  de  celui  que  l'amour  rendait  à  moitié  fou.  Le  dernier 
des  ménestrels,  il  expia  le  long  bonheur  de  ceux  qui  l'avaient  précédé.  Il 
avait  été  l'amusement  des  heureuses  princesses  de  Ferrare  ;  mais  quand 
il  voulut  prendre  la  vie  au  sérieux  et  que  le  baladin  se  souvint  qu'il  était 
immortel,  il  fut  réputé  fou  de  la  meilleure  foi  du  monde.  L'insensé,  en 
effet,  qui  livrait  les  trésors  de  son  cœur  au  divertissement  de  ces  jeunes 
femmes  couronnées ,  et  qui  cherchait  dans  les  fêtes  de  la  renaissance  la 
dévotion  d'amour  et  |la  passion  profonde  des  temps  passés  !  Il  avait  dans 
son  cœur  la  passion  de  son  Tancrède,  et  il  croyait,  lui  seul,  pouvoir  ré- 
chauffer de  son  souffle  cette  société  défunte.  Il  embrassait  des  fantômes 
sur  son  sein  de  poète,  et  il  ne  vit  pas  que  le  cœur  des  reines  s'était  glacé. 
Epris  du  moyen-âge,  il  apporta  le  cœur  brûlant  d'un  ancien  troubadour 
dans  le  tombeau  orné  de  la  féodalité.  Il  fut  le  Roméo  d'une  autre  Juliette; 
mais  cette  Juliette  ne  se  ranima  pas  pour  lui  dans  le  sépulcre.  Parce  que 
les  chevaux  piaffaient  dans  la  cour,  parce  que  les  jeunes  filles  souriaient 
comme  avaient  fait  les  châtelaines  au  temps  des  croisades ,  il  crut  que 
l'ancien  amour  vivait  encore,  et  qu'un  grand  cœur  battait  au  sein  de  cette 
société ,  sous  la  soie  et  les  dorures*  Le  jour  où  il  sentit  qu'il  se  trompait, 
sa  tête  se  brisa  ;  il  essaya  de  rompre  le  charme  d'une  main  tremblante , 
eon  una  mono  iremante:  oh  !  ce  fut  là  une  divine  folie  dont  quelques-uns 
ont  hérité  même  de  nos  jours;  mais  ce  fut  une  folie. 

Après  la  prison  du  Tasse ,  je  vis  la  maison  d'Arioste.  Un  soleil  bril- 
lant rayonnait  dans  la  chambre  de  messir  Lodovico.  Un  chat  lustré  ron- 
flait sur  le  seuil.  Des  pigeons  battaient  de  l'aile  contre  le  vitrail  de  la 
feaêtre  à  ogive.  A  travers  les  portes  des  appartemens,  j'entendis  le  vent 
TOME  vn.  10 


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tt6  MrrOB  DBS  MCOX  »MIDB6. 

qai  soufflait  et  soupirait  oomme  les  lliiitdraes  émiis  de  la  feniaisie  eu 
poêle.  SoD  écritoire  était  sur  une  table.  Je  descendis  dana  le  jardin.  H 
était  alors  tout  en  fleurs.  J*y  cueillis  des  œillets  et  des  narcisses.  Des  pa- 
pillons diaprés  se  posaient  sur  les  gazons  d'Espagne  ;  des  poules  glous- 
saient dans  la  cour.  Tout  annonçait  la  demeure  d'un  bute  heureux.  Arioste 
n'éutt  point  tombé  dans  le  piège  où  Tasse  se  laissa  prendre.  De  bonne 
heure ,  il  avait  estiuié  ce  qu'il  valait  le  simulaere  qui  l'entourait.  H 
n'aima  pas  ee  qui  ne  pouvait  aimer.  Il  prisa  le  moyen-Sge  juste  antuit 
que  le  cheval  de  Roland  qui  n'avait  qu*un  défaut,  à  savoir  d'être  mon 
Il  ne  demanda  pas  aux  reines  des  larmes  qu'elles  ne  pouvaient  pienrer, 
ni  aux  vivans  un  enthousiasme  que  les  morts  seuls  possédaient.  A  k 
vieille  cour  de  Charlemagne  et  d'Artus,  il  donna  la  frivole  beauté  de 
la  cour  de  Ferrare.  Il  se  fit  des  ioMgespour  s'eu  jouer;  et  le  premier,  il 
sortit  du  sanctuaire  de  la  fbi  antique  avec  un  éclat  de  rire.  A  ce  prix  si 
cher,  ses  œillets  fleurirent;  ses  colombes  légères  vinrent  boire  snr  le 
bord  de  sa  coupe.  Chaque  année,  le  rossignol  nicha  dans  les  ros  ers 
de  son  jardin,  pendant  que  Taraigiiée  suspendit  sa  toile  à  la  prison 
du  Tasse. 

Il  semble  que  dans  toutes  les  époques  qui  ont  été  complètes ,  le  rire  et 
les  larnaes  aient  été  ainsi  mêlés,  et  que  chaque  siècle  apporte  avec  loi 
deux  grands  masques,  l'un  comique,  Fautre  tragique.  Chez  les  anciens 
Horace,  Virgile;  au  moyen-âge,  Boccaee,  Dante;  après  eux»  Arioste, 
Tasse;  plus  tard  encore,  Yoltaire ,  Rousseau. 


m. 

A  Bologne,  les  Autrichiens  bivouaquatent  sur  la  place.  Les  csasns 
étaient  en  batterie ,  les  chevaux  seHés.  Des  patrouilles  gardaimt  les  prin- 
cipaux débouchés  de  la  viHe.  Cette  image  d'asservissement,  quimeponr- 
suivait  depuis  nnon  entrée  en  Lombardie ,  me  fit  horreur  ;  et  vraiment, 
rien  n'est  plus  laid  que  ces  blonds  lansknechts  sons  le  soleil  du  raidi.  A 
Miiau ,  î'avab  déjà  rencontré  leurs  sentinelles  à  tous  les  coins  de  mes. 
A  Venise,  j'avais  entendu  leurs  canons  dans  la  nuit,  et  j'avais  vu  leor 
drapeau  sur  Saint-Marc.  En  ce  moment,  je  sentis  que  je  haïssais  TAl- 
Icmagne  pour  totit  le  mal  qu'elle  avait  fait  à  l'Italie. 

Oui ,  Albert,  je  connus  alors  la  vieille  haine  accumulée  par  Dante,  par 
Pétrarque,  par  Machiavel,  et  je  désirai  avec  ardeur  de  voir  un  jour  l'Italie 
marcher  sur  le  cou  de  ces  blêmes  tudesqnes. 

Autrefois ,  je  te  vantais  leur  génie  ;  tu  te  le  rappelles  ?  .le  voulais  plon- 
ger jusqu'au  fond  dans  le  chaos  de  ces  esprits  de  ténèbres ,  parce  que  je 


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croyais  qa'un  enthoosiasme  darable  les  poussa  t  anx  nobles  entreprises; 
mais  leur  essor  n*a  doré  q^i'un  moment.  Une  muse  flétrie  a  déjà  pris 
chez  eux  la  place  des  extases  passées.  Trop  souvent  ils  couvrent  sous  des 
paroles  savantes  dessentimens  vulgaires.  Va ,  crois-moi,  ne  cherche  plus 
dAM  les  deiM  le  eygae  alleiuaid;  H  se  mim  aujoard*faeii  tkms  son  cloaque. 
J'ai  aimé  le  ciel  pâle  de  leurs  pâles  •vitlées.  Dans  ee  tenps-là  mon  coMir 
ne  voyait,  ne  seatnt  partant  qae  les  imafes  quil  créait;  je  n'avais  pas 
coeitti  lie  myrte  dans  riso4a*BeJla ,  ni  passé  voe  miH  d'été  au  bord  do  lac 
Bolièoe.  Tous  les  boriaons  étaieat  pour  moi  également  beanx,  pourra 
qu'il  y  elU  place  pow*  oa  rêve.  Je  ne  Aiisais  point  de  dlfTérence  entre  im 
lourd  cleKd'Aiitrîclie  et  an  oiel  vénitien.  Mm,  depuis  que  j*ai  passé  les 
A^es,  aaes  yaiic»  Dieu  merci  !  seat  las  de  la  lèpre  tudesque.  La  perfidie 
bavaroise ,  fiAfauaa  bœearieê ,  m'est  connue;  et  si  pottr  un  si  grand  mal 
taule  parole  n'éiail  vaiM,  je  m'expliquerais  davantage. 

Depuis  qoe  les  empereiin  le  rédiaaffeut  au  seleit  lombard ,  qu'ont-ils 
reaëu  à  lltalie  en  échange  de  ce  qu'ils  lui  ont  ravi  ?  Ne  voient-ils  pas 
qae  leur  sang  est  trop  froid  peur  celte  ardente  contrée?  Leur  génie  qu'use 
une  heure  d'exaltatioa  n'est  pas  fait  pour  le  soleil  dévorant  des  enfans  en 
midi;  le  myrte  est  trop  parfumé  pour  ces  inaipides  vainqneura;  et 
l'oreage  de  la  Breaia  ne  raèrlt  pas  pomr  les  lèvres  épaisses  des  seris  de 
Babsbeiirg. 

Plan  !  ttool  cela  ne  peat  durer,  il  fant  que  les  manteanx  bYencs  dispa* 
raisseot,  et  que  les  cavaliers  frilaox  repassent  les  monts.  Ne  «entent-As 
pas  1^  leur  langue  hennissante  rompt  l'aecord  de  la  mélodie  toscane , 
et  qae  Icars  nwmbfes  grossiers  n'ont  jatnais  été  formés  ëe  -Dieu  pour  ha» 
biiar,  à  Toiskre  dea  villas^  le  jardin  de  TltaHe?  Qu'ils  consultent  leura 
mains  rudes  et  calleuses.,  et  leure  sens  hébétés.  Ils  apprendront  d'eux- 
mômes  qœcette  terre  de  volupté  n^est  pas  la  leur,  et  qn^  reste  encore 
aa-delà  dea  neat&,  sons  leurjcîel  blêmissant,  mainte  glèbe  qui  reste 
privée  de  lear  swur  aerviie  :  qu'ils  retournent  dans  leurs  vallées  du 
Danube,  de  lIEIbe  et  de  ta  âpnfte,  s'atteler  à  leor  ebarrae  fftodale;  'et 
alora,  nona^looenNSS  tant  qu'un  voadra  les  vertus  de  ces  faométes  Ger- 


\  an^urd'huî,  de  œtte  terre  d*amoiirilsont  fait  une  terre  de  haine. 
L'enfaat  qui^oommeneeà  balbutier,  la  jeune  fille  sous  son  voile,  Termite 
dans  sa  ehapeUe,  tout  ee  qui  a  un  cœur  peur  aimer  ou  pour  haïr,  les 
mandit  en  même  temps.  La  vertu  de  l'Italie  est  de  les  détester  ;  c'est  par 
là  qu'elle  réonit  ses  peuples  qu'aucune  autre  puissance  n'avait  pu  rallier.  Eh 
bien!  qu'elle  la  nourrisse  cette  haine  sacrée,  son  seul  et  dernier  refuge . 
Qu'elle  adere  la  madone  de  la  colère ,  puisque  la  madone  de  ht  pitié  n'a 
palasanver! 

10. 


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148  RBTOE  DES  DBOX  MONDES. 


IV. 

Florence  est  toujours  le  commeouire  vivant  de  Dante.  L'architecture, 
la  sculpture ,  la  peinture  da  xiy«  siècle  et  la  Comédie  divine  ont  entre 
elles  d'intimes  ressemblances.  Dans  le  silence  des  églises  moitié  gothiques^ 
moitié  lombardes,  les  fresques  de  Giotto,  de  Luppi,  de  Thaddeo  Gaddi, 
donnent  une  certaine  réalité  aux  visions  du  vieil  AJighieri  ;  et  sous  l'ar- 
chet peint  des  archanges  s'exhale  encore  la  mélodie  de  ses  tercets.  Dans 
les  loges  d'Orcagna ,  au  bord  de  l'AmOy  dans  le  fond  des  chapelles  et  des 
cloîtres  y  sur  le  seuil  des  palais  guelfes  ou  gibelins,  partout  le  poète 
pèlerin  vous  apparaît  au  milieu  du  paradis  de  l'art  florentin. 

Dans  les  temps  chrétiens,  Florence  a  été  le  vrai  pays  des  formes.  Tout 
ce  qui  dans  nos  tristes  contrées  n'est  que  rêve,  désir,  espérance,  regret, 
a  pris  là  un  corps  et  une  figure  déterminée.  Un  contour  achevé  a  circon- 
scrit toutes  les  images  rapides  qui  passent  aujourd'hui  dans  nos  cœors. 
Jamais  les  peuples  d'artistes  et  de  ciseleurs  n'ont  connu  les  vains  fantô- 
mes qui  s'élèvent  dans  le  souvenir,  et  retombent  sans  laisser  de  traces. 
Tout  ce  qu'ils  ont  aimé,  tout  ce  qu'ils  ont  haï,  ils  l'ont  touché  au  doigt; 
ibont  immortalisé  le  moindre  de  leurs  songes;  et  ces  cieux  d'amour  on  1 
de  colère  que  l'homme  fait  et  défait  sans  cesse  à  chaque  instant,  ils  les 
ont  fixés  comme  l'ombre  sur  la  muraille. 

Il  est  impossible  de  vivre  à  Florence  sans  s'y  préoccuper  de  l'histoire 
de  l'art,  car  on  peut  en  suivre  là  les  moindres  phases  comme  an  coeor 
même  de  l'iulie.  C'est  dans  ce  grand  atelier  que  la  tradition  de  l'anti- 
quité s'est  rencontrée  avec  l'idéalisme  chrétien ,  etjque  leur  mélangea 
produit  ces  formes  sévères  qui  restèrent  toujours  inconnues'.à  l'école  de 
Venise.  Même  au  milieu  du  moyen-àge,  on  y  garda  la  tradition  des  arts 
païens.  Dante  y  conversa. avec  Virgile.  Les  sculpteurs  de  Pise  donnèrent 
aux  cénobites  du  Nouveau-Testament  quelque  chose  de  la  beauté  des 
dieux  antiques,  et  les  peintres  abreuvèrent  de  nectar :olyrapién  les  lèvres 
des  archanges.  Comme  l'église  romaine  avait  absorbé  dans  ses  rites  les 
meilleurs  souvenirs  du  paganisme,  de  même  l'art  florentin,  qui  fut  aussi 
une  sorte  d'église,  conserva  quelques-uns  des  linéamens  de  l'art  antique. 
De  là  naquit  un  genre  de  beauté  qui,  sans  ressembler  à  aucune  époque, 
avait  pourtant  des  rapports  avec  toutes.  U  semble  que  l'histoire  de  Flo- 
rence soit  comme  la  cité  emblématique  de  Dante,  et  que  l'on  y  monte  de 
cercles  en  cercles,  avec  chaque  siècle ,  jusqu'à  la  suprême  beauté.  Peu  i 
peu  une  Grèce  ressuscitée,  sous  les  traits  d'un  ange  mystique,  s'y  est  as- 
sise dans  le  ciel  de  l'art.  Une  Italie  nouvelle,  ,plus  belle  que  l'Italie  an- 


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VOYAGES  D'un  SOLITAIRE.  149 

9Dne»  est  sortie  du  tombeau  de  TEtrurie.  Ce  fut  une  Madeleine  péni- 
nte  qui  gardait  encore ,  à  travers  les  pleurs  et  malgré  les  macérations 
sl^vangile,  les  traits  et  la  beauté  de  la  Madeleine  pécheresse. 
Quelque  trace  du  génie  étrusque  s*e8t  perpétuée  là,  à  travers  tous  les 
hangemens  des  temps,  des  langues  et  des  institutions.  Dès  le  xiv*  siècle, 
IQaad  Rome  chrétienne  était  seulement  la  ville  du  dogme,  Florence  jetait 
déjà  la  ville  de  Fart.  C'est  chez  elle  ou  près  d'elle  que  le  développement 
épique  de  la  tradition  s'est  accompli  dans  la  poésie  par  Dante,  dans  l'ar- 
ditectore  par  Giotto  et  Bruneliescbi ,  dans  la  statuaire  par  l'école  de 
Pise,  dans  la  peinture  par  Orcagna  et  Michel-Ange.  U  faut  remarquer 
que  Rome,  qui  a  donné  son  nom  à  la  plus  grande  école,  n'a  produit  elle- 
même  ni  poète,  ni  sculpteur,  ni  peintre.  Elle  n'a  eu  long-temps  qu'un 
art,  i  savoir,  le  culte  et  le  rite  catholique.  Ses  poètes,  ses  statuaires,  ses 
architectes  furent  ses  papes.  Lorsque  le  travail  et  la  constitution  de  l'é- 
glise forent  achevés,  alors  seulement  les  arts  séculiers  arrivèrent  de 
tontes  parts,  pour  recevoir  là,  par  Michel- Ange  et  par  Raphaél,  le  droit 
de  bourgeoisie  dans  la  cité  du  dogme. 

Oo  répète  souvent  de  nos  jours  que  les  époques  les  plus  religieuses 
sont  aosii  les  plus  favorables  à  l'art  :  cette  idée  est  démentie  par  tout  ce 
que  i*ai  vu  en  Italie,  et  surtout  à  Florence.  Tant  que  la  foi  fut  pro- 
fonde, les  peintres,  aveuglément  soumis  à  la  tradition  de  l'Eglise, 
laissèrent  leurs  œuvres  dans  une  sorte  de  divine  enfance.  Assurément  le 
génie  religieux  ne  manque  pas  aux  mosaïques  byzantines  ni  aux  peintures 
snr  bois  des  vieilles  écoles.  Que  leur  manque-t-il  donc?  l'art;  il  ne  s'é- 
mancipa qu'aux  dépens  de  la  foi.  Les  grands  maîtres  des  écoles  de  Venise, 
de  Florence,  de  Parme,  de  Mantoue,  furent  contemporains  de  la  ré- 
fonneetde  la  confession  d'Augsbonrg.  Chacun  d*eux  soumit  la  tradition 
reiigieQie  à  l'autorité  de  l'imagination,  comme  Luther  la  soumit  à  l'au- 
torité de  la  raison.  A  quelle  distance  Michel-Ange,  Léonard  de  Vinci, 
Corrége,  ne  sont-ils  pas  de  la  croyance  et  de  l'orthodoxie  de  leurs  pères! 
Ils  changent  à  leur  gré  les  types  et  les  expressions  consacrées;  ils  abo- 
lissent à  leur  manière  l'ancien  rite.  Ni  Raphaël ,  ni  Titien,  n'approchent 
de  leurs  pinceaux  avec  le  tremblement  de  cœur  et  la  dévotion  de  Fra  An- 
geljco  ou  de  Masaccio.  C'est  au  sortir  d'un  banquet  avec  la  Fomarina  ou 
arec  l'Arioste  qu'ils  substituent  au  catholicisme  rigide  de  la  tradition  un 
catholicisme  vénitien,  florentin,  romain,  qui  n'a  plus  rien  de  l'unité  des 
rieilles  fresques  liturgiques.  A  la  madone  impassible  des  Bysantins  ils 
prêtent  les  passions  et  les  airs  de  tête  des  femmes  des  lagunes,  de  Parme 
>a  d'Albano.  Les  différences,  les  caprices  innombrables  de  la  fantaisie 
lumaine  pénètrent  pendant  cet  intervalle  du  xv*  et  du  xvi*  siècle , 
onune  autant  de  sectes  privées  i  dans  le  ciel  du  vieux  dogme.  Chacun 


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ISO  RETII£  BKS  WSX  MDNWtt» 

86  fiait,  sur  la  leile^soaévangUeiiMa  image; irunité  du  YleuK  sjmUk 
est  perdue  sans  retour.  C'est  Le  temps  de  lapoésie,  de  ract,  de  la  beaul^; 
ce  D*est  plus  le  temps  de  la  foi. 

Au  commencemeoty  les  gcaods-crucifix  de  CUnabué,  eofiove  sanglans, 
représentaient  la  passion  et  Tascétisme  du  moyen- Age  sur  son  Calvaire. 
On  dirait  que  les  apôtres ,  encore  frappés  de  terreur,  ont  peint  eux- 
mêmes,  de  leurs  mains  incultes,  les  fivesques  colossales  du  x*  siècle.  U 
dessin  en  est  grossier;  mais  k  Dieu  nouveau  est  là.  A  travers  ces  traite 
barbares  ressort  une  grandeur  apocalyptique.  LaVierge^byzantine  est  as- 
sise sur  son  trône;  un  repos  •étemel  illumine  son  front.  Sa  robe,  où  sont 
brodés  de  secrets  symboles,  participe  de  cette  immobilité  céleste.  Lei 
douze  apôtres,  partout  inséparables,  iceraplisseot  les  coupoles  des  basili- 
ques. II  semble  que  ces  personnages  soient  conçus  hors  du  temps,  au- 
dessus  dea  mondes  détruits.  Dtans^  leur  ciel  tbéologique,  ni  joie  ni  tris- 
tesse; tous  ils  sont  investis  d*une  seule  pensée,  qui  est  la  pensée  divine.  Bs 
ne  prient  paa,  ils  n'enseignent  pas,  ils  adorât  Nous  sommes  auxiT 
siècle. 

Dans  Tâge  S]iivaDt,ju8qu'aa  quinzième,  la  £aî  atost  pas  mràs  gruie* 
Pourtant  ces  personnages  sont  sortis  de  leur ^MWtampta tien.  Us  ceoMnHi- 
cent  à  errer. dans  r£den  de  l'imagina tioa,'ei  à  quitter leiar  sainle  oisi- 
veié.  Sur  les  fresques  de  Gaddi,  la& soldats  endocmisautev  du  sépatert 
Tide  ouvrent  leurs  paupières;  ils  sl^é^eillent  au  jour  noiAveaia.  Le^Cbriit 
s'élève  du  milieu  d'eux,  emportant  l'étendard  de  4a  m^r^t.  Le  long  da 
murailles  du  cimetière  des  Pisan^,  les  Fîerges  pâles  de  Giatto  se  gUasêat 
à  travers  les  .tombes  comme  des  ressuscites.  Le  Umfis  est  venu  où  les 
anges  de  GQzzolirde.Bu£taImaoco^  deJEiesolCyOnt  embouché  leiini<trMiiMB 
d'or.  Sur  leuKS  violes  ils  ont .pressé4eucs  archets  peoQttr)»é6;^att  mUieu  lie 
ce  silencieujLConoert,  la  madoncsourit pour  la  première  £ois  de  cesoariv^ 
dont  l'italie  tout  entière  ae  sent  «noore  émue.  Sous  ce  ciei  de  mélodies 
elle  promène  ^  et  Ih^  danasesibras,  le  CUcist  enfant.  Cei  fut  là  sans  doute 
le  tempe  le  plus  adorable  4e  rart,js'Jl  faut  appeler.de  oenomtoe^qui  était 
une  prière,^un  acte  de  £oi,.ouplAitôti«n  ax-voà»  d^e:  l'humanité  naufcagiée 
et  sauvée.  Toutes  les  espérances,  toutes  les  croyance&^Mraieut  l'âge  de  ee 
divin  enfant  que  berçait  sur  ses  genoux  la  madone  de  l'Italie.  Les  artistes, 
réunis  en  confréries,  connaissaient  dans  les  moindres  détours  les  secrets 
de  l'éternité.  Il  n'y  a  que  les  choses  de  la  terre  (pi'ils  ignoraient.  D'ail- 
leurs leurs  conceptions  avaient  dépouillé^  la  barbarie  des  temps  du  chris- 
tianisme primitif.  Ils  étaient  sur  le  seuil  de  l'église  et  de  l'art  séculier, 
appartenant  cependant  à  l'une  plutôt  encore  qu'à  l'autre.  Ce  furent  là  les 
derniers  songes  du  genre  humain  dans  le  berceau  du  dogme  catholique  : 
àkl  que  vont-ils  devenir^  ces  songes  vôtus  de  pourpre  et  d'or? 


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TÔYACKS  ifm  nOUTAïKE.  151 

l^prs  ta  fin  da  xv*  siècle,  tout  a  changé.  L'épogue  de  perfeeiîon  dé  l'art 
M.  arrivée.  Ce  qoe  les  figures  ont  gagné  eti  beadté,  elles  l'ont  perdu  du 
KHé  de  Faustérité  et  de  la  croyance.  Ce  n*est  plus  le  temps  où  le  dogme 
Kait  revêtu  de  ses  formes  consacrées;  c^est  plutôt  l'apothéose  d*un  paga* 
BÎsme  chrétien,  ou,  comme  on  parle  aujourd'hui,  la  réhabilitation  de  la 
onatîère  divinisée.  La  madone  est  descendue  de  son  siège  sacerdotal;  elle 
est  sortie  du  sanctuaire  des  basiliques.  A  l'ombre  d'un  pin,  au  milieu  d'un 
paysage  deRaphaél,  elle  s'assied  parmi  les  maures  de  la  campagne  sons 
la  figure  d'une  jeune  fille  d'Orbino.  Au  loin  blanchissent  les  toits  de  son 
filage  de  la  Romagne,  et  le  sentier  terrestre  par  lequel  elle  a  passé  ré- 
sonne sous  les  pas  des  cigales.  Ou  elle  habite  près  d'Andréa  Sarto ,  sous 
les  traits  d'une  Florentine  de  la  Via  Grande;  ou  elle  se  penche  dans 
l'aielier  du  Corrége  et  respire  sur  ses  lèvres  l'odeur  des  myrtes  de  Parme 
et  de  Crémone.  Le  Christ  lui-môme  est  devenu,  sous  le  pinceau  de  Mi- 
chel-Aoge,  un  autre  Jules  II,  un  pape  irrité  et  militant.  Ce  n'est  plus  le 
Dea  enseveli  dans  les  limbes  de  son  ascétique  passion.  Les  prophètes  de 
Jnda,  les  sibylles  de  Gumes  et  d'Ëphèse  se  rencontrent  ensemble  dans  la 
chapelle  Sixtine.  Sur  leurs  livres  obscurs  sont  mêlés  le  judaïsme,  le  pa- 
ganisme, l'Evangile,  tout,  hors  la  vieille  orthodoxie.  Ils  épèlent  ensemble 
le  mot  sibyllin  de  l'avenir  ;  dans  un  siècle  réformateur,  ils  sont  eux-mêmes 
le  symbole  d'un  monde  nouveau.  A  l'extrémité  de  l'Italie,  le  sensua- 
lisme se  déclare  ouvertement  dans  l'école  de  Venise.  Sur  les  toiles  de  Paul 
Tèrooèse,  le  vin  de  Lombardie  coule  à  flots  éternels  dans  la  cruche  des 
iioces  de  Cana.  La  cène  des  douze  apôtres  se  prolonge  nuit  et  jour,  avec 
la  magnificence  propre  aux  époux  de  la  mer.  La  pauvreté  évangélique  se 
ïceouvre  de  la  pourpre  du  Titien,  et  le  manteau  des  doges  est  jeté  sur 
les  épaules  des  pêcheurs  de  Galilée.  G'eo  est  fait  ^  la  chair  est  ressuscitée; 
^Q  fond  des  grottes  mystiques,  les  saints,  les  patriarches,  les  pères  de 
l^gHse,  les  innombrables  élus  du  moyen-âgearrivent  et  se  pressent  dans 
iè  paradis  sensuel  de  Tintoret. 

Aq  milieu  des  monumens  de  Florence,  Il  en  e^  an  que  je  ne  puis  effa- 
cer de  mon  souvenir ,  qui  me  tient  lieu  de  tous  les  autres,  et  dont  l'image 
^este  a  fini  par  m'obséder  :  il  est  dans  l'église  de  Saint-Laurent.  Ce 
monument  terrible  représente  pour  moi  le  caractère  de  l'Italie  moderne, 
telle  que  je  l'ai  comprise;  il  résume  tout  ce  qu'il  me  serait  permis  d'af- 
firmer sur  ce  pays.  Je  parle  de  la  chapelle  sépulcrale  des  Médicis,  par 
Michel-Ange.  On  pourrait  dire  tout  aussi  bien  que  c'est  le  caveau  se- 
paierai  de  Tltalie  elle-même,  et  que  c*est  elle  qui  rêve  sur  ce  tombeau. 
Le  mort  est  ceint  encore  de  la  cuirasse  du  moyen-âge  :  il  appuie  sur  son 
coude  sa  tête  chargée  d'un  casque.  Il  pense ,  et  c'est  de  cette  contem- 
plation qu'il  a  tiré  son  nom  :  il  Pensosot  Cette  méditation  da  tombeau 


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1d2  eeyue  des  dbux  mondes. 

est  si  profbadei  que  tous  croyez  voir  passer  sur  ce  front  de  pierre  iei | 
songes  frissonnans  du  sépulcre.  Il  pense  aux  temps  oubliés  de  la  gloire 
italienne,  aux  gonfaloniers  des  Guelfes,  à  la  bataille  de  Campaldino;  il 
pense  aux  flottes  de  la  Chiozza,  aux  murailles  pavoisées,  à  rempereor 
tudesque  qui  fuit  devant  la  couleuvre  milanaise  ;  et  la  mélancolie  do 
doux  pays  qu'en''erment  les  Alpes  et  que  baigne  la  mer,  est  tout  entière 
scellée  sur  ses  lèvres.  Au  pied  de  ce  trône  de  mort,  le  Jour,  la  Nuit, le 
Crépuscule,  1* Aurore,  languissent  couchés  sur  le  flanc.  Ces  personnages 
ont  la  solennité  rêveuse  qui  se  retrouve  partout  en  Italie,  au  lever  et  u 
coucher  du  soleil.  Les  rayons  funestes  qui  attristent  les  marécages  et  li 
campagne  de  Rome  pèsent  au  front  de  cette  famille  des  Heures  géaotes. 
Qu'attend-il  ce  Jour  gigantesque  pour  se  lever  debout?  La  Nuit,  sod 
épouse  funèbre,  qu'attend-elle  pour  sortir  de  sa  couche  ?  Jamais  des  jeux 
humains  n*ont  vu  un  si  étrange  couple.  Sont-ce  des  jours  passés  qui  se 
reposent  d*avoir  été?  Sont-ce  des  jours  futurs  qui  se  préparent  à  la  fi- 
tigue  d'être  ?.L'un  peut  être  comme  l'autre.  Levez- vous  donc,  Jour  éter- 
nel !  Aurore  immense  t  famille  sans  parens  et  sans  postérité!  Pour  qoe  les 
morts  ressuscitent ,  ôtez  la  pierre  de  ce  tombeau.  C'est  le  tombeau  de 
l'Italie. 


Au  moment  d'entrer  dans  la  campagne  de  Rome,  je  quittai  mon 
vetturino.  Pour  voir  de  loin  la  ville  à  découvert,  je  montai  un  de  ces 
chevaux  à  demi  sauvages  qui  errent  aux  environs.  Comme  j'allais  passer 
le  Ponte-Felice,  une  jeune  fille  sortit  d'une  masure  voisine  :  elle  s'ap- 
procha do  moi  en  m'apporlant  des  pêches  et  des  raisins  de  la  monugne. 
Ses  yeux  noirs  brillaient  au  soleil  sous  la  toile  blanche  dont  sa  tétc 
était  couverte;  de  longs  pendans  d'oreilles  tombaient  sur  sesépaoies; 
elle  avait  le  teint  des  beaux  marbres  quand  le  soleil  les  a  dorés;  et, 
avec  cela,  la  taille  d'Agrippine  dans  un  corset  écarlate  et  or,  tel  qœ 
jamais  sainte  dans  sa  châsse  n'en  posséda  de  plus  brillant  ni  de  plus  cha- 
marré. J'arrêtai  mon  cheval ,  et  je  la  contemplai  quelque  temps  avec  éun- 
nement  et  ravissement ,  comme  une  madone  rustique  descendue  de  sa 
niche. 

Après  la  Storta,  tout  vous  dit  que  vous  approchez  de  Rome,  cpasd 
même  rien  ne  vous  la  montre  encore  :  une  inquiétude  indéfinissable 
vous  saisit.  Au-delà  de  chaque  tumulus,  vous  vous  attendez  à  la  trouver; 
car,  de  ce  côté,  le  Monte-Mario  vous  U  dérobe  jusqu'au  dernier  mo- 
ment, et  vous  ne  la  voyez  en  plein  qu'à  l'instant  où  vous  la  touchez.  Oa 
ne  sait  de  quel  mot  se  servir  pour  décrire  cette  campagne.  Sans  village$| 


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TOYAGES  d'un  SOLITAIRE.  1S3 

lus  fermes  «  sans  babitaos ,  elle  est  aussi  sans  ombrages  et  sans  forêts.  Il 
^  plus  facile  de  dire  ce  qui  lui  manque  que  ce  qu'elle  renferme;  point 
Se  murailles»  point  de  haies  pour  diviser  les  champs;  rien  de  ce  qui  fait 
wlleurs  la  vie  champêtre;  point  de  chariots  roulans,  ni  d'instrumens  de 
labour;  point  de  prairies^  point  de  sillons;  ni  plaines,  ni  montagnes.  La 
^gure  de  ce  terrain,  rompu  en  terrasses  et  en  ligne  droite,  a  une  sorte 
^analogie  avec  la  majesté  des  formes  romaines;  et  la  grandeur  de  ces  pla- 
teaux semble  taillée  sur  le  môme  plan  que  l'architecture  et  que  l'ordre 
rustiques.  Du  côté  de  la  Sabine,  les  redans  de  Tivoli,  de  Frascati,  ouvrent 
SOT  la  plaine  de  larges  voûtes  d'ombre  ;  l'horizon  est  fermé  par  la  cor- 
nicbe  du  Monte-Cavo.  Ce  qu'il  y  a  d'étonnant;  c'est  que  dans  cet  espace, 
droooscrit  de  toutes  parts,  il  y  a  encore  plusieurs  places  que  la  géogra- 
phie n'a  point  explorées  (1),  et  qui  restent  en  blanc  sur  ses  cartes , 
comme  si  elles  étaient  au  centre  de  l'Asie.  A  l'endroit  où  le  sol  se  brise , 
k&  ruisseaux  encaissés  roulent  sous  des  arches  de  plantes  grimpantes 
et  de  vignes  sauvages ,  où  s'abritent  toujours  une  foule  d'oiseaux  de  ma- 
rais. Le  Tibre  seul  coule  k  fleur  de  terre  dans  son  lit  volcanique,  où  il  se 
recourbe  et  se  replie  sans  cesse.  En  remorquant  un  bateau,  des  buffles 
bruns  laissent  tomber  dans  ses  flots,  comme  un  fardeau,  leur  ombre 
velue.  Du  haut  des  plateaux,  vous  voyez  surgir  une  des  tours  féodales  des 
Colonna  ou  des  Orsini,  ou  bien  des  aqueducs  qui  traversent  la  campagne 
dans  tous  les  sens,  comme  des  escadrons  rompus,  ou,  dans  un  ravin, 
quelque  petit  pont  recouvert  de  créneaux  pour  défendre  le  péage,  ou  une 
misérable  locande,  d'un  blanc  mat,  exhaussée  sur  des  tas  de  débris,  et 
quelquefois  sur  un  tombeau.  Par  delà  de  minces  barrières  qui,  k  de  grands 
intenralles,  divisent  cette  campagne  déserte,  passent  de  noirs  troupeaux 
de  cavales  effarées  :  un  seul  berger  les  suit  k  cheval  et  armé  de  son  grand 
bois  de  latice.  Plus  on  approche,  plus  la  solitude  augmente.  Enfin ,  à  la 
descente  d'un  mamelon,  vous  apercevez  à  la  fois ,  lÀ-bas  dans  la  plaine, 
un  coin  de  la  ville  et  une  échappée  du  golfe  d'Ostie  :  Rome  et  la  mer, 
ces  deux  infinis  ensemble. 

Si  au  lieu  d'entrer,  selon  l'usage,  par  la  porte  du  Peuple,  vous  entrez 
par  celle  qai  touche  au  Monte-Mario ,  vous  aurez  un  spectacle  afTreux , 
nais  analogue  à  celui  que  vous  venez  de  quitter.  Au-dessus  de  la  mu- 
hille,  vous  verrez ,  pour  inscriptions,  des  têtes  de  morts  entassées  dans 
des  cages  de  fer.  Pour  ma  part,  une  des  premières  choses  qui  me  frap- 
pèrent en  arrivant,  ce  furent  ces  crânes  de  morts  qui  ricanaient ,  comme 
dans  le  préambule  de  la  tragédie  d'Hamlet,  sur  la  porte  de  la  ville  éter- 
nelle. 

M  Yoyea  la  carto  de  tir  Gell.  isai 


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fS4  UTUX  BBS  nwx  mokom. 

B  y  a  trois  BloineSt  celle  de  raotiqultéi»  celle  du  mo^ea-âgies»  cotte  de 
la  renaissance» 

La  première  a  usurpé  loutes  les  ruines  de  Tltalie  aucienna»  comm 
tauies  ses  grandeurs  :  elle  a  quelque  chose  de  monstrueux  dans  ses  débri^ 
qui  convient  bien  à  Tempire  que  ces  débris  rappellent.  Par  exemple,  lei 
Xbermes  de  Garacalla»  dans  leurs  masses  informes,  témoigneraieoi, 
eux  seuls ,  de  Tespéce  de  délire  qui  possédait  le  monde  sous  les  CésM 
Dans  cette  Babel  écroulée,  on  ne  peut  reconnaître  aucun  plan;  ce  qui 
n'arrive  jamais  avec  le  génie  grec»  lequel  conserve  sa  noblesse  et  sa  cor- 
rection jusque  dans  ses  derniers  débris.  Malgré  cela,  une  beauté  sur 
yage  ressort  de  cette  architecture  orgiaque,  A  travers  les  lézardes,  oq  a 
pratiqué  un  petit  escalier  en  bois»  qui  conduit  sur  la  cime  de  ce  chaos  dp 
murailles.  De  là  »  on  domine  toute  la  viUe  antique;  vue  de  ce  côté»  ellei 
le  caractère  babylonien  des  prophéties;  car  le  vrai. caractère  de  la  Roiae 
païenne  est  d'être  comme  frappée  d'une  étemelle  condamnation.  JeoV 
jamais  passé  sur  le  Forum  sans  remarquer  l'inscription  de  l'arc  de  triom- 
phe de  Constantin  :  Au  fondateur  du  repos  (fatidatori  quietU  ).  Étno^ 
moment  de  repos  que  le  temps  qui  touchait  aux  invasions  des  Goths,  dfii 
Alains»  des  Hnos»  des  Vandales»  des  Lombards,  ta  vieille  ville  étaitlasM, 
e%  demandait  merci.  Parce  qu'elle  avait  sommeillé  une  nuit»  ellest 
croyait  sauvée  ;  mais  ce  qu'elle  appelait  le  repos  n'était  <que  le  coromeac^- 
ment  de  ses  misères;  et  cette  inscription  est  une  ironie  de  Jebovabjeté 
sur  le  Jupiter  abattu  du  Campo-Vacciuo.  Le  culte  catholique»  qui  sorg^  | 
partout  sur  les  ruines  du  paganisme,  en  fait  autant  de  monumeos  delà  ' 
Providence.  On  dirait  que  Tarchange  du  christianisme  les  frappe  iaceir 
samment»  et  qu'il  disperse  de  sa  verge  les  dieux  attardés  dans  cette  iosh 
phat  de  briques  et  de  marbre»  D'ailleurs»  ces  monumens  ne  sent  point 
défendus ,  comme  ceux  de  la  Grèoe,  par  leur  beauté  olympienne;  ik 
n'ont  point  été  non  plus  oubliés  sur  la  cime  des  monts  :  an  contraire» 
Us  sont  foulés  et  heurtés  sans  cesse,  sur  le  graad  chemin  du  monde»  ptf 
la  vengeance  du  dieu  jaloux.  Jour  et  nuit,  dans  le  Colysée»  au  pieddiB 
la  croix  de  bois  qjui  s'élève  an  milieu  du  cirque»  l'orgueil  delalWiM 
patricienne  et  ses  espérances  superbes  sont  livrés  à  la  dent  des  lions  ia- 
visibles. 

Tout  cela  fait  que  Rome  n'est  jjamais  si  belle  qu'à  la  lumière  d'un  granA 
orage»,  tel  que  chaque  été  en  amène  plusieurs  dans  son  puissant  cUoiA* 
JDe  bonne  heure»  le  sirocco  s*abat  sur  la  campagne;  tout  se  tait  comme! 
l'approche  d'un  oiseau  de  proie.  Dians  l'atmosphère^  nage  une  vapeur 
brûlante.  La  tôte  des  hauts  pins  de  la  villa  Pamphili  se  balance  à  l'horuao* 
Des  bandes  de  goélands  et  d'oiseaux  de  mer  remontent  d'Ostie;  ils  s'a« 
battent  sous  les  voûtes  des  ponts  déserts.  Le  Tibre  change  de  couleur;  il 


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rmde^omme  imlIenTeînferniif  à  travers  sacampagiffi  maadfte.  On  entencF 
des  Minpifs  cfal  sortent  par  iMntfTée  des  rocaîlles  de  Roma-Yecchia.  Quanti 
tes^kiirs  plas  Tréquens  jailKssent,  ils  entourent  (fune  auréole  de  colère 
h  etme  du  Cotisée»  Ta  tour  de  Néron,  les  créneaux  du  môle  d'Adrien»  et 
les baots obélisques  des  places.  On  dirait  que  le  sépulcre  du  vieux  monde 
ifonvre  et  se  ferme  sous  une  main  invisible.  Alors  les  ruines,  que  dorait 
auparavant  un  brtlfant  soleil,  sont  pins  blêmes  que  des  spectres.  Une 
odeur  fade  s'Ahale  des  orties  en  fleur  des  Thermes.  A  mesure  que 
les  nuages  entassent  leur  architecture  flamboyante,  ils  deviennent 
couleur  de  sang.  A  la  fin ,  leur  cité  vagabonde  crève  sur  te  front  de  la 
eité  condamnée.  (Test  Fheure  où  les  chiens  égarés  s'abritent  dans  le 
tombeau  de  Geeîlia  Meteila.  La  petite  porte  de  bois  qui  ferme  le  jardin 
des  Césars,  sur  le  mont  Palatin ,  s'agite  en  criant  sous  les  pieds  des  bou- 
quetins et  des  chèvres  errantes.  Si  en  ce  moment  T angélus  tinte  à  la  élo- 
ebe  de  Saînt-Omiphre ,  ce  faible  son  est  bientôt  répété  par  mille  autres; 
à  peine  ce  dernier  bruit  se  meint ,  qu'un  immense  murmure  s'exhale  de 
ferre.  Les  confréries  âts  morts  élèvent  leurs  chants  lamentables  sur  le 
penchant  de  TAventin.  La  Rome  chrétienne  s'agenouille  sur  le  sépulcre 
de  la  Rome  païenne;  tout  redit  au  loin  d^jns  la  nuit  :  Miserere  î  miserere t 
A  la  Rome  du  moyen*âfge  appartiennent  les  cloîtres  bysantins,  les 
banliques,  les  peintures  en  mosaïque.  Ces  dernières  surtout,  quoique 
peu  remarquées,  sont  certainement  les  monumens  qui  sont  le  plus  em- 
preints de  Tesprit  des  premiers  témpsdu  christianisme. L'époque  qu'elles 
reproduisent  est  eelTe  oà  Fart,  tout  sacerdotal,  n'était  qu'une  dépendance 
de  la  liturgie.  D*ailleurs,  dans  ces  peintures  se  retrouve  la  même  barba- 
rie que  dans  la  tangue  des  pères  de  l'Église,  avec  le  même  genre  de  su- 
biîRrité  quand  elfes  s'élèvent  jusque-là.  Leurs  rapports  naturels,  dans 
Rome,  sont  avec  les  catacombes,  avec  les  coupoles  lombardes ^  avec  le 
chant  grégorien ,  avec  le  vieil  orgite  de  Bysance ,  avec  la  poésie  des  Kta- 
oîes  et  du  Dies  irœ.  Je  me  souviendrai  hnig- temps  de  celle  de  Saint-Paul 
Iréfsdes  murs.  On  sait  que  cette  basilique  du  rv«  ou  du  v«  siècle  a  été 
brûlée  de  fond  en  comble  en  18^.  Quand  je  la  vis ,  H  ne  restait  que 
Ftpaîde  du  chœur;  mats  cette  partie,  la  seule  qui  ait  été  sauvée ,  était 
ausaf  la  plnsprécîense  ;  car  elle  est  remplie ,  du  haut  en  bas ,  par  la  pein- 
tiffe  la  phi8  gigantesque  qui  existe  assurément.  Le  Christ  qui  en  feit  le 
«•jet  est  debout;  il  est  grand  de  toute  fe  hauteur  de  l'église.  Ses  pieds 
ttuebent  le  pavé,  sa  tète  soutient  la  voCtte.  Quoique  ce  oolosse  soit  certes 
d'ime forme  barbare,  la  refigion  qni  règne  dans  ses  traits ,  dans  sa  pose, 
tes  seo  geste,  est  si  profonde,  que  j'en  ftis-saisi  comme  de  la  vue  d'un  por- 
tnUfllargiqtie,  esqnîssétpar  lu  main  d*un  martyr.  Le  Christ  des  premiers 
âges^dlait  là  pensif  sur  les  raines  de  son  égKse.  Sous  ses  pieds  croissaient 


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156  RETUB  DIS  DEUX  MORBES. 

les  ronces  de  la  campagne.  Les  cigales  altérées  criaient  aatoar  de  loi  ;  et   :! 
mon  cœur,  plus  altéré  mille  fois  que  les  cigales  y  8*élerait  par  bonds  ji»-    ' 
qu'à  rimpression  de  cette  foi  perdue  dont  ces  pierres  portaient  le  témoi-  la 
gnage.  J*a?ais  beau  me  retirer  et  changer  de  place ,  cette  grande  pto- 
pière  s'ouvrait  et  s'abaissait  toujours  sur  moi.  Je  voyais  passer  les  naa^ 
au-dessus  de  sa  tête ,  et  à  quelque  distance  de  là  blanchir  les  murailles 
de  la  ville.  Tout  cela  rappelait  la  légende  du  Christ  voyageur  à  la  porte 
de  Rome.  D'ailleurs,  je  n'étais  pas  seul;  au  milieu  des  fats  de  colooDes 
épars,il  y  avait  une  dizaine  d'ouvriers  qui  sciaient  des  pierres  en  sifflant, 
emblème  frappant  de  l'état  de  l'église  spirituelle,  et  du  petit  nombre  de 
ceux  qui  la  relèvent.  Depuis  ce  temps-là ,  j'ai  vu  les  cbefis-d'oeuvre  da 
Vatican;  mais  rien  ne  m'a  paru  d'un  effet  plus  saisissant,  ni  phis  apoca- 
lyptique ,  que  ce  Christ  du  iv*  siècle,  debout  ^nr  les  ruines  de  sa  basi- 
lique, au  milieu  des  broussailles  et  des  buffles  de  la  campagne  de  Rome. 

Les  murailles  qui  entourent  la  ville,  avec  leurs  petites  portes,  flanquées 
de  tours,  sont  à  peu  près  du  même  temps;  elles  réveillent  des  impresaioDS 
analogues.  Quand  on  aperçoit  de  loin  ces  murs  lézardés  et  leurs  cbétili 
créneaux,  il  est  impossible  de  se  défendre  d'une  immense  pitié.  On  se 
figure  cette  Rome  dont  les  faubourgs  touchaient  à  la  Propontide  et  à 
l'Armorique,  et  qui  se  resserre  de  plus  en  plus  à  l'approche  des  invasions 
barbares.  Elle  se  retire  peu  à  peu  comme  une  eau  fétide  et  tarie; 
d'abord  elle  se  cache  derrière  le  Rhin ,  puis  derrière  les  Alpes ,  et  soo 
inexorable  ennemi  la  suit  à  grands  pas  ;  et  le  jour  arrive  où  elle  est  tout 
entière  enfermée,  comme  un  archer  blessé ,  derrière  les  créneaux  delà 
Porta  Pia  et  de  Saint- Jean  de  Latran.  Qui  n'eût  cru  que  c'était  là  sa  der- 
nière  heure?  Mais  quand  cet  abri  lui  manqua ,  elle  jeta  le  glaive  et  prit 
la  croix.  Alors  la  foule  se  retira  et  disparut  par  mille  chemins;  d'elles- 
mêmes  les  portes  se  refermèrent  sur  une  Rome  nouvelle ,  plus  redoa- 
tée  que  l'ancienne.  Au  loin,  la  campagne  resta  frappée  de  stupeur;  et 
c'est  le  sentiment  que  Ton  vit  au  milieu  de  ce  perpétuel  miracle  qoi 
exalte  à  la  longue  les  plus  froids,  et  qui  fait  de  Rome  le  séjour  le  plus 
extraordinaire  et  le  plus  sérieux  de  la  terre. 

Si  l'on  veut  voir  combien  cet  effet  est  propre  à  ce  pays,  il  faut  comparer 
Rome  à  Athènes.  Au  milieu  de  sa  forêt  d^oliviers,  Athènes  restera  tou- 
jours païenne.  Les  hommes  auront  beau  la  changer  et  la  détruire;  % 
n'empécijeront  pas  son  ciel  de  s'épanouir,  ni  sa  mer  de  sourire  dans  onc 
perpétuelle  olympiade.  Sa  campagne  restera  toujours  riche  et  féconde. 
Ni  la  douleur  ni  la  passion  du  Christ  ne  pèseront  snr  elle  comme  sur 
l'horizon  romain.  Toujours  ses  petites  églises  seront  les  desservantes  des 
temples;  Périclès  y  fera  oublier  saint  Paul;  et  jusqu'à  la  fin  des  temps, 
Athènes  ressemblera  à  ces  jeunes  catéchumènes  dont  le  cœur  restait 


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TOTAGBS  d'un  SOLITAIRE.  157 

païen  quand  leur  boucbe  était  d^à  chrétienne.  An  contraire ,  dans  Rome 
tout  est  chrétien ,  jusqu'au  paganisme  lui-même.  Le  Christ  a  si  bien  pris 
possession  de  ce  pays,  qu*il  y  est  partout  visible.  H  faut  fermer  les  yeut 
pour  ne  le  point  apercevoir  à  ses  côtés.  La  courte  épée  des  légions  a 
TaiDCUy  et  lia  arboré  son  vexillum  sur  les  colonnes  triomphales.  Les 
hommes  se  sont  creusé  les  uns  aux  autres  des  tombeaux ,  et  lui  s*est  cou- 
ché à  la  place  des  morts  dans  le  sépulcre.  Ib  ont  élevé  des  temples  à  leurs 
idoles,  et  lui  est  entré  dans  le  sanctuaire,  k  la  place  de  leurs  dieux.  Ils  se 
sont  bâtis  des  prétoires  pour  y  rendre  la  justice,  et  lui  s'est  assis,  comme 
la  justice  éternellement  vivante ,  sur  le  siège  du  préteur.  Us  ont  élevé 
des  cirques  pour  y  voir  le  combat  des  gladiateurs,  et  lui  s'est  assis  sur 
les  gradins  du  Colysée,  pour  y  voir  l'empire,  ce  grand  gladiateur,  tomber 
sous  répée  des  archanges.  Il  semble  ainsi  que  le  paganisme  latin  ne  fut 
rien,  en  lui-même,  qu'une  pompe  magnifique  et  vide,  préparée  d'avance 
pour  couvrir  la  nudité  du  christianisme,  au  sortir  du  désert  de  Bethléem . 

Mais  ce  qui  achève  de  donner  à  Rome  ton  caractère,  ce  qui  fait  qu'elle 
est  elle-même  l'emblème  permanent  du  catholicisme ,  le  voici  :  Au-des- 
sus des  ruines,  des  basiliques,  des  mosaïques ,  au-dessus  de  l'antiquité  et 
do  moyen-âge,  la  coupole  de  Saint-Pierre  s'élève  comme  la  domination 
visible  de  la  papauté.  Rien  n'est  plus  facile  que  de  faire  la  critique  menue 
de  cette  église  géante.  C'est  dans  ses  rapports  avec  Rome  tout  entière  qu'il 
faut  la  considérer.  De  presque  tous  les  endroits  de  la  plaine,  et  surtout 
des  hauteurs  de  Frascati ,  d' Albano ,  du  Monte-Cavo ,  vous  apercevez  tou- 
jours au  loin,  dans  le  désert  de  la  campagne ,  ce  dôme  qui  marque  la 
place  de  Rome;  c'est  la  triple  couronne  et  la  mitre  de  \A  ville  étemelle. 
Home,  avec  tous  ses  siècles,  ne  fait  pour  ainsi  dire  qu'un  seul  monu- 
ment, dont  l'unité  est  analogue  à  celle  du  catholicisme.  Ses  fondemens 
iont  cachés  dans  les  catacombes  des  martyrs;  sa  tète  est  chargée  de  la 
coupole  de  la  cité  nouvelle.  Si  le  dôme  de  Saint-Pierre  manquait  k  Rome, 
elle  serait  toujours  la  ville  des  tombeaux  par  excellence,  mais  elle  ne 
serait  pins  l'emblème  visible  de  l'Ëglise  triomphante.  Il  lui  manquerait 
sa  tiare. 

Cette  Rome  de  la  renaissance  est  en  quelque  sorte  une  Rome  ressuscitée 
sar  le  tombeau  de  la  Rome  des  martyrs.  L'image  que  les  chrétiens  du 
loofeo-âge  se  faisaient  de  la  cité  de  l'avenir,  semble  avoir  été  réalisée, en 
puiie ,  par  la  sculpture  et  par  la  peinture  du  seizième  siècle  ;  cet  art  ne 
An  lai-même  si  puissant  que  parce  qu'il  accomplit  sur  terre,  quoiqu'en  le 
nhaissant,  l'immense  idéal  qui  avait  obsédé  le  cœur  des  hommes.  La  ville 
des  âmes  fut  Téritablement  alors  bâtie  de  pierre  et  de  dment;  et  la  Rome 
do  papnisme ,  du  christianisme ,  du  moyen-âge ,  de  la  renaissance ,  com- 
prenant tous  les  temps ,  toutes  les  formes ,  devint  l'image  de  la  cité  de  la 


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18S  uvuK.nE8  BBim 

provideiioe  oa  de  Phistoire onîTerselle.  Aussi,  lorsque TcnuToyes  deloio^ 
sur  la  place  de  Saint- Pierre ,  l'obélisqve  projeter  eon  ombre  rar  le  méri- 
dien tracé  à  sa  base ,  cette  aiguille  colossale  d'aoe  colossale  horloge  m* 
laire  semble  marquer  silencieusement  l'heure  de  Féternité  dans  la  fifie 
étemelle. 

Pour  achever  cette  Rome  catholique,  les  deux  artistes  de  la  papaoté, 
Michel- Ange  et  Raphaël,  se  sont  partagé  le  double  génie  de  TégNse.  Le 
premier  a  reçu  Tinspiration  de  la  Bible ,  le  second  ceHe  de  TEfangiie. 
AJnsi  l'Ancien  et  le  Nouveau-Testament  de  l'art  ont  reçu  à  la  fois  km 
deux  révélateurs. 

L'école  de  Venise  répondait  au  génie  d'une  aristocratie  seosnelle ,  ceHe 
de  Florence  aux  traditions  d'une  démocratie  chevaleresque  et  lettrée; 
Pécole  de  Rome  représenta  rinstitution  souveraine  par  excellence,  la  pa- 
pauté. Lespeinires  ascétiques  du  moyen-âge  étaient  dans  on  rapport!»* 
turel  avecrarebttectareascétii|«eq«i*ils  décoraient  de  leurs  fresques,  aree 
Féglise  de  Saint-François-d' Assise  et  le  cimetière  des  Pisans;Jes  Floreo- 
tins  avec  leurs  églises  patrMia'ea  et  le  baptistère  de  la  comoitine;  Fiesole 
avec  les  cellules  des  cloître»;  Titieuataee  Le  palais  des  doges.  Raphaéi  et 
Michel- Ange  introniaërent  Tart  sor  le  Saint-Siège.  Leur  génie  poavait 
èdater  partout;  leur  vraie  place  était  au  Vatican. 

Si  l'on  veut  voir  d'un  seul  coup-d'oeil  l'auvre  épique  de  la  traditioi 
chrétienne,  il  suffit  de  regarder  les  fresques  de  Raphaéi.  Les  traosfor- 
mations  continues  de  l'art  y  sont  d'autant  pkis sensibles  qu'une  partie  dt 
vieux  génie  liturgique  palpite  encore  et  revit  sons  oes  formes  noo^eUes. 
Cet  idéal  s'est  développé  dans  Tart  de  la  même  manière  qoe  le  dogna 
dans  l'église.  Ce  n'est  point  en  un  jour  que  Téglise,  oette  madone  des 
tombeaux ,  a  revêtu  les  pompes  et  la  gloire  de  la  papauté  ;  elle  a  passé 
par  le  martyre.  Avant  de  s'éveiller  anx  joies  dn  siècle  de  Léon  X ,  eliei 
chanté,  dans  le  sépulcre  du  moyen-<âge ,  ses  litanies  de  mort.  De  nésie, 
la  peinture  de  Raphaéi  n'est  pas  l'cravre  d'un  seul  homme.  On  poerrail 
rappeler  une  peinture  épiqve,  parce  qu'elle  a  résumé  tont  ceqni  l'a  pré- 
cédée, tellement  liée  à  la  tradition,  qu'elle  semble  souvent  indépesdails 
de  la  vohmté  et  du  choix  de  l'artiste.  Elle  anssi  a  langni  dans  les  lé- 
pnlcres  des  cénobites.  Elle  s'est  dérobée  tm  monde  palen>  avec  les  formes 
bysantinea,  au  fond  des  cataeemëes  ;  eMe  a  vécu  dans  les  eenBles<dnqDt- 
terzième  siècle,  et  ^ans  le  Campo  Saoto  4es  Pisans.  Ausai  ^  daDSSoa 
triomphe ,  elle  garde  quelque  chose  de  son  martyre.  Sons  sa  beanté  épi* 
Doule  au  soleil  de  la  renaissance,  rojo»  reconnaissez  les  traces  ^l'aseé- 
tiameet  de  la  donlefir^u  moyeft-âge.  Raphaël  représente  4a  traditieB  dt 
l*figlise.  Il  y  a  en  Ini  du  Penrgîrk,  dit  Masaocio  et  dn  Irère  Aafèli^pie. 

Tant  antre  est  Micïhel-Ange.  ft  ii^  ni  maître  ni  pnasé.  Si  na  dèoovfra 


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voYiÉflin  D^oi  saur AiMu  IM 

^lui  une (Oananté véritable  atec Dante el l^a seulpteurs  pîsaoSyyil  tieoi 

de  Tâpreté  des  discordes  civilas^  de  la  véhémeiice  de  Savaoarole ,  de  l'ea» 

prîi  tumoltueus  des  Guelfe»  et  de&  Git>e4fii»»  il  a  par-dessus  tout  l*esprit 

d*infaillibiliié  qui  ne  doit  riea  qu'à  lui-même.  li  fait,  il  accroît  lalradi- 

tioD^il  ne  la  reçoit  pas.  Il  gouxrerney  il  règne  de  U  même  maaièreque  le 

pspe.  Il  est  le  fils  aloé  du  dieu  de  Taru  Daas  son  plttlooisme  biblique ,  il 

entrevoit  des-  idées ,  des  formes  que  lui  seul  a  aperçues;  il  les  impose  au. 

mo&de,  et  le  monde  s'y  soumet.  Ses  œuvf'CS  sont  desdéereta;  son  dieu  eat 

le  dieu  de  rexconununication;  sa  madone  est  celle  de  la  vengeance;  sooi 

ciel  nienace.  Des  nuages  de  colère  portent  aux  quatre  vents  son  Jebovab. 

Daos  U  cbapeHe  Sixiine^  ses  propriétés  écrivent  sur  leurs  livres  d'or  la 

bulle  d'interdiction  des  empires  futurs.  Ses  sibylles  de  Cumeset  d'É* 

pbèse  sont  émues  par  avance  des  ana thèmes  du  moyen-âge.  Il  y  a  en  iuîi 

do  Grégoire  VU,  comme  il  y  a  du  Léon  X  dans  Raphaël. 

Maiscette  Rome  de  Tantiquité,  du  moyen-^ge,  de  la  renaissance,  est 
eimore  iacoraplàte  et  morte;  pour  lui  donner  la  ^e ,  il  faut  y  ajouter  les 
fttesdt]  catholicisme. 

Un  des  principaux  omemeas  de  ces  fêtes  est  le  peuple  même  de  Rohh» 
et  de  la  campagne  ;  il  fait  comme  partie  nécessaire  des  cérémonies  et  du 
rituel  de  la  papauté.  Il  adore  pour  adorer,  il  prie  pour  prier.  C'est  un  ar- 
tiste en  matière  de  foi,  au  moins  autant  qu'un  dévot  de  profession;  car, 
méroedaus  l'idoUtrie  du  mendiant  romain ,  il  y  a  un  certain  désintéres- 
iemeoL  Quand ,  au  temps  de  Noèl ,  les  pi^ruri  descendent  des  mon- 
Isgne8,.la  Voie  Sacrée  résonne  sous  Us>sourieffs  ferrés  des  bergers.  A  tous 
lescoins  de  rue,  on  entend  le  murmure  descbaluB4eaux.et  des  musettes. 
d^Eraadre,  qui  éveillent  leCbrist  aouveau-né.  Ces  rites  rustiques  cbaap> 
gent  avec  les  saisons  ;  ils  rappellent  le  temps  de  la  primitive  ËgUse ,  où  le 
peuple  était  acteur  dans  la  liturgie.  Les  femmes  de  la  campagne  ontaossî 
00  caractère  de  beauté  q^ji  s'allie  avec  les  caodt4abres,  avec  les  statues» 
tvec  les  tableaux  de  l'Église  romaine.  Lorsque  les  femmes  d'Aibaoo ,  de 
îiwli,  de  Frascati,  se  Rassemblent  sur  les  degrés  de  Saint- Pierre ,  il  est 
rire  que  Ton  ue  retrouve  pas  parmi  elles  des,  airs  de  tète  des  sibylles  de 
Bapbaél  et  du  Dominiqun.  Cette  ressemblance  entre  les  monumens  d# 
hn  etee  peuple  de  pèlerins  est  une  des.cbotfes  «qui  eontribue  le  pbis  à 
iWmoaie  et  à  la  magie  des  fetes  de  Rome:. 

Eafia^  le  grand  jour  aiTii>e  ;  le  soleil  de  PiU]ues  se  lève  sur  les  monta 
de  la  Sabine.  Depuis  la  veille ,  les  pèlerins  s'assem^lentvaur  la  place  da 
Saint-Pierre.  Vers  le  milieu  du  jour,  les  portes  du  balcon  s'ouvueiu;  U 
ae  lait  un  grand  silence  ;  la  foule  tombe  à  geoeuc.  Sur  ce  faite  des  arts» 
des  mines,  des  souvenirs^  parait,  assis  sur  son  trône,  un  bomme  vèttt 
4thïdL0C^,  couvert  d'une  «mitre.  C'est  celui  eu  qui  tous  les  morts  s'u 


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100  RETUB  DBS  DEUX  MONDES. 

sent ,  et  qui  est  la  parole  et  la  vie  de  tout  cet  horizon  muet.  On  apporte 
devant  lui  un  livre  que  des  prêtres  à  genoux  soutiennent  sur  leurs  épaa-  i 
les  y  comme  le  livre  des  destinées  humaines;  il  en  lit  quelques  lignes  i   ' 
haute  voix;  le  silence  est  tel,  que  lorsqu'il  ferme  le  livre,  le  bruit  de 
cette  page  froissée  s*entend  au  loin.  Puis ,  seul  au-dessus  de  cette  Rome 
à  genouxy  il  se  lève  debout  :  étendant  les  bras  sur  elle  pour  Tenceindrede 
la  miséricorde  divine ,  il  prononce  les  paroles  connues ,  à  la  ville  et  n 
monde f  les  cloches  éclatent ,  le  canon  gronde,  la  foule  se  relève.  Un  cri 
d'enthousiasme  païen  s'échappe  encore  de  cette  terre  épuisée  ;  Rome  re- 
naît et  vit  des  siècles  de  siècles  en  cet  instant.  La  campagne  déserte,  les 
ruines,  le  môle  d'Adrien,  qui  est  tout  près,  le  Tibre ,  l'assemblée  des 
pèlerins,  et  au  sommet  de  tout  cela,  sous  le  dôme  de  Michel- Ange,  cet 
homme  éternel  et  sans  nom ,  le  pape ,  le  seul  habitant  permanent  et  Tim- 
mortel  pèlerin  de  la  cité  catholique ,  il  n'est  personne  qui  ne  reste  frappé 
pour  toujours  d'un  si  extraordinaire  spectacle. 

Heureux ,  m'écriai-je  en  moi-même ,  le  lendemain  en  quittant  Rome, 
saisi  encore  de  Timpression  de  la  veille!  heureux  ceux  qui  croient,  si  ce 
sont  là  les  sentimens  de  ceux  qui  doutent!  Se  peut-il  qu'une  institution 
semblable  vienne  à  mourir?  Est-ce  fait  de  la  foi  des  aïeux?  N'ai-je 
vu  ici  qu'un  fantôme,  une  ruine  sur  une  ruine,  ou  est-ce  mon  cœur  qui 
est  mortT 

O  ville  grande  et  glorieuse,  puisque  tu  renfermes  encore  la  seule  ques- 
tion qui  occupe  l'univers  et  qui  mérite  d'être  débattue  !  ton  chef  restera- 
t-il  le  chef  du  monde,  et  toi  resteras-tu  la  reine  des  reines?  seras-ta 
comme  toutes  les  villes  que  se  sont  bâties  les  hommes?  auras-tu  ton  le- 
vant et  ton  couchant?  ou,  comme  la  ville  de  Dieu,  répareras-tu  éternel- 
lement tes  brèches  ? 

Si  celui  qui  t'a  bénie  hier  venait  à  mourir  demain,  et  à  disparaître  sans 
saccèsseur,  y  aurait-il  une  solitude  semblable  à  la  tienne?  Alors,  toi,  la 
ville  des  ruines ,  tu  saurais  pour  la  première  fois  ce  que  c'est  que  d'être 
désolée;  car,  tant  que  ce  vieillard  habite  la  même  tombe  que  toi,  ton 
désert  est  rempli  ;  il  est  l'époux,  tu  es  l'épouse.  S'il  se  meurt,  tu  te  meurs. 
S'ilrenatt,  tu  renais. 

Pèlerin  du  doute,  j'ai  fait  ce  que  font  les  pèlerins  de  la  foi;  j*ai  visité 
les  tombeaux;  j'ai  touché  dans  les  catacombes  les  os  des  martyrs.  Les  pas- 
sans  qui  me  voyaient  auraient  pu  dire  :  Voilà  un  fidèle  croyant.  Mais 
eux  priaient,  et  moi  j'écoutais;  eux  adoraient,  et  moi  je  cherchais  à  ado- 
rer ;  et  quand  je  m'agenouillais  comme  eux ,  mon  esprit  rebelle  se  tenait 
debout,  au  milieu  de  l'église,  en  face  de  l'hostie.  J'aurais  pu,  comme  on 
autre ,  prendre  pour  une  marque  de  foi  les  amusemens  de  ma  fantaisie, 
et  les  ébranlemens  de  mon  imagination.  Mais  ce  leurre,  à  mou  avis ,  plas 


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YOTAGBS  d'un  SOLITAIRE.  161 

\  impie  que  le  blasphème  ne  in*a  point  séduit.  Entre  le  poète  qui  rêve  et 
\  le  fidèle  qui  croit ,  il  y  a ,  quoi  qu'on  en  dise ,  tout  un  abtme.  Je  préfère  ne 
Tien  croire,  je  préfère  ne  rien  aimer,  plutôt  que  de  croire  ou  d'aimer 
quelque  chose  à  demi. 

Je  ne  crois  pas  en  toi ,  reine  de  toute  croyance;  et  s'il  en  était  autre- 
ment, je  le  confesserais  de  même  ;  mais  je  t*adore,  mère  de  toute  beauté. 
Ta  es  pour  moi  l'étemelle  madone  assise  sur  tes  ruines,  et  pleurant  dans 
ta  campagne  au  pied  de  la  croix  du  monde;  et  si  tu  veux  que  je  dise 
qaelque  chose  de  plus,  je  le  dirai  encore  :  Mon  cœur  privé  de  toi  est  plus 
fide  en  te  quittant  que  ta  vide  Maremme,  et  mon  désert  plus  grand  que 
tOD  désert,  depuis  le  pied  des  montagnes  jusqu'aux  rives  de  la  mer. 


VI. 


Lorsque  j'arrivai  à  Naples,  le  Vésuve  était  en  pleine  éruption.  Pendant 
le  jour,  la  lave  roulait  ses  flots  noirs  du  côté  de  l'Annonziata  et  de  Pompéie. 
Vers  le  soir,  les  torrens  se  changèrent  en  une  ceinture  ardente  qui  se 
nouait  et  se  dénouait  dans  les  ténèbres.  Jattendis  impatiemment  le  len- 
demain pour  monter  sur  le  bord  du  cratère  au  milieu  de  la  nuit. 

A  huit  heures  du  soir,  je  partis  du  petit  bourg  de  Torre-del-Greco. 
Après  une  heure  de  marche  j'arrivai  à  l'ermitage.  La  nuit  était  fort  noire. 
J'allumai  ma  torche;  l'ermite  me  souhaita  bon  voyage;  je  repris  mon 
chemin  avec  mon  guide  ;  J'eus  bientôt  atteint  le  pied  du  cône.  A  cette 
distance,  fêtais  trop  près  du  volcan  pour  le  voir;  seulement  j'entendais 
au-dessus  de  ma  tète  des  explosions  que  les  échos  grossissaient  d'uue  ma- 
nière formidable,  et  une  pluie  de  pierres  qui  roulaient  de  choc  en  choc 
dans  les  ténèbres.  Du  milieu  de  tout  cela,  sortait  un  grand  soupir  comme 
d'un  homme  qu'on  lapide.  Lèvent  éteignit  ma  torche.  J'achevai  de  gravir 
b  pente  dans  une  complète  obscurité.  Mais  au  moment  où  j'atteignais  le 
sommet,  une  lumière  infernale  éclaira  le  ciel.  Voici  le  spectacle  que  j'eus 
alors  devant  moi. 

Le  sol  tremblait;  il  était  tiède  au  toucher.  A  travers  ses  crevasses 
brillaient  les  filons  de  feu  d'une  fournaise  cachée.  Du  milieu  du  grand 
cratère  où  j'étais,  un  nouveau  cône  s'élevait  qui  paraissait  tout  en  flammes. 
De  l'embouchure  de  ce  gouffre  s'exhala  une  haleine  immense  et  long- 
temps contenue.  Celte  aspiration  et  cette  respiration,  profondes  et  régu- 
lières comme  celles  d'un  soufflet  de  forge,  s'élevaient  du  sein  de  la  mon- 
tagne oppressée.  Une  détonation  terrible  les  suivit.  Les  pierres  flam- 
bantes furent  lancées  en  gerbes  à  perte  de  vue,  et  se  précipitèrent  avec 
TOlfB  VII.  11 


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m 

fracas  êot  les  bords  chi  e^e.  Lft>  «ctrpemcoi^l  kt^icarreideto  ■!••• 
UgBe  fareot  un  insunt  éclairés  comme  en  pleki  jour.  Par  des  «ifar- 
lures  fort  éloignées  du  cratère  on  veyak  la  lave  sowrdre  du  soi.  SUa 
s*écoulait  en  pétillant  par  quatre  bouches;  un  peu  après  la  moaUfas 
poussa  de  uouTcau  son  géanisseneBi  de  y6aaic>  Au  nioflMBt  de  Feiplo- 
skm,  jejeui  les  yeuxdndVié  de  k mer ;j'aperçu0<JNaléaeieineot dopa» 
tics  bâthtteBS  à  TaBcre.  La  moatafoe  trembla  $Êm  fort;  mais  les  flair 
B'e»  furent  point  éaniSy  et  rien  ne  me  paroi  plus  bea»  que  le  aommeU  da 
la  mer  souriante  soua  ce  volcan  décbatné.  La  baie  de  Naplca  reasemblait 
ainsi  à  i* Angélique  d' A  rioste  sous  les  ailes  éMnëuca  et  la  gueule  de  la  Chi- 
mère.  Je  m*assis  sur  cette  terre  trembianle;  la  nature  était  saisie  d*iia 
vertige  auquel  je  m'abandonnai  avec  délices.  Ces  intervalles  rapprochés     ^ 
de  bruit  et  de  silence,  de  lumière  et  de  ténèbres,  le  calme  de  la  nuit,  le 
calme  non  moins  grand  de  la  mer,  cette  montagne  émue  en  sursaut,  tous 
ces  eiïets  contraires,  se  fortifiaient  l'un  par  Tautre.  Sans  m'en  rendre     | 
compte,  je  trouvais  dans  ce  spectacle  une  foule  d'images  applicables  i 
Pétdt  moral  dans  lequel  j'étais  «lors,  etqni  av«it  beaucoup  empiré  depais 
ma  sortie  de  Home. 

Je  pasMi  la  nuit  sur  ce  sommet.  Quand  le  jour  parut ,  je  pua  me  raaa> 
sier  à  loisir  de  la  vue  de  ce  gdfc  fomani  qui  e'étendait  à  mes  pieds.  Aa 
loin ,  nie  de  Gaprée,  qui  a  la  forme  d'une  galère  antique  »  fermait  l'm* 
trée  de  la  haute  mer.  Le  soleil  se  leva  de  l'autre  cùté  de  Pompéie;  il  se 
balança  quelque  temps  sur  les  tombes  comme  une  torche  de  funéraiUee^ 
Ce  fut  le  si^al  poor  une  infinité  de  petites  barques  de  quitter  le  rivagi 
dans  une  foule  de  directions.  J'entendis  en  ce  moment  le  bruit  des  villes 
et  des  villages  qui  s'éveillaient.  La  brisede  mer  commença  è  ftaire  frissoa* 
ner  les  vignes  suspendues  aux  peupliers  comme  des  tyrses  gigantesques; 
un  instant  après,  la  lumière  étiaceia  sur  les  flots  ridés;  nne  vapeur  do- 
rée, comme  la  poussière  des  étoiles ,  s'éleva  à  TborixoD;  l'eir  se  chargea 
dé  parfums;  tonte  la  nature  parut  enivrée  comme  dans  une  iètepaleoae; 
et  aussi  long-temps  que  le  volcan  continua  de  s'agiter^  cette  Campaaia 
chrétienne  ressembla  à  sa  sibyHe  balbutiante  sur  le  trépied. 

Dans  Naples ,  la  ville  des  sens ,  je  remarque  que  les  manumens  les  plus 
oonsidérablea  pour  l'art  sont  les  lambeaux.  Encore  ces  tombeaux  appar- 
tiennent-ils presque  tous  à  l'époque  de  la  domitiatian  espagnole.  Il  j  a«aM 
aiogulière  flerié  dans  ces  morts^  debout  sur  leurs  mausolées,  la  dague  on 
lali«o»f*eà  la  main;  ib  semblent  réguer  encore  sur  les  vivaus  qui  rasent 
au-dessous  d'eux  le  sol  d'un  pas  furtif.  Les  tours  d'Anjou  que  baigne  la 
mer  tiennent  aussi  cette  terre  prisonnière.  Le  palais  de  Jeanne-la-FoUe^ 
abandonné  aux  flots  qui  s'en  emparent  chaque  jour,  le  bel  arc  d'Aragon^ 
SMitd'aitttrea  témoins  de  la  conquôce.  Tous  les  peuples  ont  laissé  ici ,  dans 


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ine^araliltAHttr»  particulière^  des  traces  de  leur  domiiiaCioii.  lïn'y  »qae 
Im^  PiapolilaÎBS  qcd  soient  abseos  des  menumeos  de  Naples. 

Ce  peuple-mime  se  chaufTe  à  son  soleil,  il  est  le  seul  de  ritalie  qui  ne 
assoit  ^Menais.  apparteiMi  à  liM^méme.  Sans  passé,  il  n*a  point  de  regrets; 
aea^  9ivemf,  il  n'a  point  di^  désir.  Il  erie,  il  gesticule,  û  tend  ses  fUeu,  il 
«ourty  RdéclaQie,iimu8e,  il  menace,  ei  tout  eela  k  la  fois.  Polichinelle  est 
son  héros.  Cependant,,  duseift  fie  oe  s^berisme  jneadiaot,  quand  une  ame 
lient  à  s'éveiUer  par  hasard,  du.  premier  couip  eUe  atteini  à  un. spiri- 
tualisme ou  à  une  énergie  saas  bornes.  Pytbagooe  H  sou  école,  saint 
Tliomas-d*Aquin,  Yico,  Spagnoleito,  Sah^or  Rosa,  ee  furent  là  d'é-. 
traoges  lazsaroni. 

Vers  le  mitieii  du  jour,  les  matelots  de  la  Cliiaa^  de  Sicile,  de  Malte, 
Élasséient  en  cerelis  sur  le  mOle  ;  une  voile  ombrage  l'auditoire  qui  at- 
tend iflipaliiQfli ment  son  iaipruyjaateur;  enfin  oe  dernier  parait;  il  est 
léttt  de  la  iHsre  des  matelots;  à  sa  main  il  tient  une  baguette  au  lieu  de 
h  hranchfi  de  laurier  de  ses  aueétres.  Les  yeux  des  laazaroni  dévorent 
ë'anvBce  sur  ses  lèvres.  Fliistoire  {fOi'ii  va  raconter,  i  aotùt  il  chante  d*une 
Tnix  encouée  un  récitatif  sur  une  moUulatioo  plaintive  auquel  se  mâle  le 
fémissement  des  vaisseaux  dans  le  port;  tantôt  il  redescend  à  la  prese 
parlée,,  selon  la  nature  et  les  cireeastanees  plus  ou  moins  lyriques  de  son 
lécit.  Il  raconte  les  gestes  du  chevalier  Rinaldo,  ou  ceux,  d'un  infortuné 
krigand  de  Calabre.  Le  noble  public ,  nMle  pubheOf  redouble  d^aAten- 
l!Î0B,  le  dénouement  est  proche;  mais  voilà  que  lea  cloches  sonnent  Vanet 
la  chanteur  s'interrompt;  il  fait  le  signe  de  laceoii  avee  une  prière  au 
nom  de  la  neriueuse  assemblée.  Acàtà  de  lui  le  même  soleil  olympien, 
^ai  rase  le  tombeau  de  Virgile,  dore  d'un  dernier  ra^foa  le  front  de  Po^ 
Ikhinelle  assoupi  à  Tai^  de  son  thjéâtre;  la  toiie  se  baisse,  la  fouie  se 
disperse  de  toutes  parts;  un  jour  de  phls^a  passé  sur  l'empire  de  Masa- 
■îeUa. 

Pendant  ce  temps,  le.  jeune  moine  des  Gamaldules,  sur  la  montagne 
«Ond  à  ses  pieds  les  murnuiffes  qui  s*élèveat  du  rivage..  MiUe  images 
d^ne  vehipté  païenne  ^entourent  d'un  cercle  de  damnation.  Il  entre  dans 
an  cellule  et  il  prie;  et  la  brise  apporte  jusqu'à  lui  les  soupirs  de  la  Chiaa 
et  de  la  Villa-Reale.  IL  oirrre  son  saint  bréviaire,  et  le  démon  ressuseitéi 
ée  le  grande  Grèce  y  écrit  en  se  jouant,  du  bout  de  sa  griffe,  de»litanic8 
d'amour.  Su  r  lui  s'abaissent  des  cienx  magiques  ;  des.  charmes  s'attachent 
à  ion  scapulaire,  et  dans  son  calice  il  boit  à  longs,  tvails  le  philtre  dea 
imoLorablea  regrets.  Heureux  si  la  vieillesse  boiteuse  se  hâte  de  ghicer 
amcmoraA^ant  l'âge.  U  n'y  a  que  In.  mort  qui  paisse  le  délivrer  ée  oce 
anmllcs  déliées^. 

lÉh  i  amla«t.qaf  iii  s'enttmreé'ixL  tripbi  dltoe^quand  aea  |»iix  renenniEe^ 

U. 


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16&  EBTUB  DES  DEUX  MONDES, 

Pansilippe,  Gaprée  et  la  blanche  Nisida  ;  car  c'est  là  que  les  soQTenirs  le 
délient  et  que  les  sermens  se  faasseut;  les  projets  héroïques,  les  doulean 
fécondes  s'oublient  sous  ces  cieux  d'où  pleut  Tamour.  Une  volupté  plus 
dangereuse  que  celle  od  se  convient  les  lèvres  humaines ,  s'échappe  i 
toute  heure  des  monts ,  des  lacs,  des  étoiles  palpitantes.  Une  sjrène  éter- 
nelle languit  sous  ces  vagues  assoupies  ;  celui-là  seul  qui  a  échappé  à  ses 
embrassemenSy  peut  compter  sur  son  épaisse  armure. 

Quand  les  Romains  se  corrompirent,  ils  se  dégoûtèrent  de  la  grandeor 
et  de  la  sévérité  de  Rome;  ils  cherchèrent  une  nature  enivrée  comme 
eux,  monstrueuse  comme  eux.  S'ils  avaient  pu  arracher  Rome  à  ses 
tristes  et  graves  fondemens,  ils  l'auraient  fait.  Le  mélange  de  volupté  et 
de  terreur  qu'ils  cherchaient  au  temps  de  Tibère,  de  Néron,  de  Cali- 
gula,se  trouvait  sur  ces  promontoires  de  Gaprée  et  de  Misène.  C'est  II 
qu'ils  vinrent  établir  leurs  fôtes,  et  jouir  en  paix  dans  cette  nature  païenne 
des  derniers  jours  du  paganisme.  Les  villas  des  Césars,  sur  le  golfe  de 
Baie,  étaient  tout  près  des  lacs  Averne  et  Achéruse,  des  Champs-Elysées, 
de  l'entrée  des  enfers,  comme  s'ils  avaient  voulu  redoubler  rinsolence  de 
leurs  fêtes  par  cette  opposition.  Ce  grand  festin  de  la  société  romaine, 
à  quelques  pas  de  l'Achéron,  fut  le  festin  du  don  Juan  antique  chez  le 
commandeur.  Les  petits  lacs  voisins  des  enfers  brillent,  dans  le  fond  des 
cratères  éteints,  comme  dans  des  coupes  de  lave;  sur  leurs  bords  rampent 
quelques  guirlandes  fanées  d'églantines,  pauvres  fleurs  qui  ont  survécu 
à  l'orgie  de  l'empire.  Le  christianisme,  qui  partout  en  Italie  s'est  emparé 
des  ruines  païennes  pour  y  placer  ses  chapelles  ou  ses  ermitages,  a  laissé 
celles-ci  désertes,  comme  s'il  eût  désespéré  d'en  éteindre  les  voluptés  re- 
naissantes. Je  montai  sur  le  cap  Misène;  les  trompettes  infernales  qui  trou- 
blaient en  cet  endroit  le  sommeil  de  Néron,  n'y  retentissaient  plus;  la 
grève  se  taisait;  le  golfe  vide  étendait  dans  l'ombre  ses  bras  décharnés.  Il 
était  tard.  La  mer  était  phosphorescente ,  les  étoiles  brillaient.  Je  fis  à  k 
Dage  une  partie  du  chemiu  de  Misène  à  Pouzzole,  au  milieu  du  bruit  des 
cloches;  à  la  lumière  pâlissante  de  la  lune  se  mêlait  la  lumière  électrique 
des  flots;  eux  seuls  gardaient  encore  le  souvenir  des  voluptés  impériales. 

Peu  de  jours  après,  je  visitai  l'Ile  de  Gaprée.  Les  couleurs  dont  Tacite 
fa  peinte  sont  encore  celles  qui  lui  conviennent  le  mieux  aujourd'hui.  Bor- 
dée de  brisans  et  de  rochers  perpendiculaires,  eUe  n'est  guère  abordable 
que  par  deux  points,  la  petite  et  la  grande  marine:  mais  une  fois  qu'on  a 
franchi  cette  enceinte  de  murailles,  on  trouve  des  vallées,  des  vignes,  des 
sources  gazouillantes,  des  ombrages  sous  des  oliviers ,  un  monastère ,  et, 
sur  les  côtes,  deux  villages,  Capri  et  Ana-Gapri.  Ce  dernier  est  juché 
aur  une  cime  escarpée  au  haut  de  laquelle  conduit  un  escalier  taillé  dans 
le  roc.  Les  toits  des  maisons  sont  aplatis  en  terrasse  comme  dans  le  Levant, 


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T0TAGB8  d'un  80UTAIRE.  165 

H,  en  général ,  les  inyasioDS  des  Sarrasins  ont  laissé  à  toute  l'Ile  quelque 
<âio^  d'oriental;  elle  tient  de  la  Grèce  et  de  l'Afrique.  Le  château  déman- 
telé de  Barberousse  regarde,  sur  un  autre  pic,  le  palais  de  Tibère.  Par 
sue  singularité  qu'un  poète  relèverait ,  la  demeure  de  l'empereur  est  en- 
fouie aujourd'hui  sous  des  touffes  d'absinthe,  la  plante  du  Gûlgotha.  Un 
ermite  habite  dans  ses  ruines.  On  a  en  face  la  haute  mer;  sur  la  gauche, 
le  golfe  de  Sorrente  et  les  pics  d'Amalfi.  De  là  le  Vieil  empereur, 
arec  l'instinct  de  l'orfraie,  qui  lui  a  succédé  dans  son  gtte,  couvait  des 
jeux  tout  son  empire;  il  voyait  de  loin  arriver  la  tempête  qu'aucun  na* 
Tire  ne  devait  éviter.  Au  fond,  le  monde  antique  était  comme  dégoûté  dé 
lui-même, ^t  se  fuyait  par  toutes  les  routes  ouvertes.  Ceux  qui  étaient  à 
sa  tête  sentaient  vaguement  qu'il  se  préparaît  un  changement  étonnant 
contre  lequel  ils  ne  pouvaient  rien ,  et  cette  impuissance  les  poussait  au 
désespoir  ;  ils  ne  savaient  si  le  mal  était  dans  leur  cœur  ou  dans  les  peu- 
ples ,  on  dans  les  grands,  ou  dans  les  dieux  ;  mais  ils  savaient  qu'il  fallait 
périr,  et  que  l'univers  tout  entier  était  du  complot.  De  là  cet  effroi  pro- 
digieux et  cet  infatigable  soupçon  qui  ne  leur  laissait  pas  une  heure  de 
relâche.  Lié  à  son  rocher,  le  Prométhée  païen  sentait  son  agonie  ;  il  se 
débattait  avec  fureur  sous  le  vautour  chrétien.  Tibère  entra  le  premier 
dans  cet  égarement.  Quand  il  se  fut  entouré  des  brisans  de  Gaprée ,  il 
crut  que  tout  était  dit;  mais  la  cause  secrète  qui  faisait  chanceler  le 
monde  romain,  ne  servit  qu'à  aggraver  son  vertige.  Un  malaise  in- 
croyable atteignait  l'un  après  l'autre  les  hommes  au  faite  de  la  société 
antique;  et,  comme  c'était  la  main  d'un  dieu  nouveau  et  inconnu  qui 
commençait  à  les  tourmenter  sans  répit,  ils  mirent  à  combattre  cet  ad- 
versaire invisible  et  qui  était  en  toutes  choses,  une  manie  insensée. 

Après  le  palais  de  Tibère,  la  merveille  de  Capri  est  la  grotte  d'azur. D 
n'y  a  pas  fort  long-temps  qu'un  voyageur,  en  se  baignant  au  pied  des 
rochers,  la  découvrit  par  hasard.  L'ouverture  de  cette  caverne  marine 
est  tournée  sur  le  golfe  et  fort  basse;  pour  peu  que  le  flot  s*élève,  il 
l'obstrue  en  plein  ;  et  si  l'on  ne  choisit  bien  son  jour  et  son  heure,  on 
court  le  risque,  après  avoir  franchi  la  voûte,  d'y  rester  enfermé,  ainsi 
^e  celann'arriva.  Depuis  plusieurs  jours  que  la  mer  était  fort  agitée, 
J'attendais  un  moment  de  calme.  Un  matin,  ce  moment  sembla  venu;  des. 
matelots  me  réveillent  au  jour;  un  peintre  et  un  médecin  dont  j'avais  fait 
la  connaissance  à  mon  arrivée  dans  l'Ile,  se  joignent  à  nous.  Nous  partons. 
Quoique  le  temps  commençât  dès-lors  à  fraîchir,  nous  pénétrâmes  sans  trop 
de  peine  dans  l'intérieur  de  la  grotte  en  nous  couchant  à  la  renverse  dansun 
hatelet  construit  exprès  pour  cet  usage.  D'un  seul  bond  nous  voilà  au  séiu' 
de  la  montagne ,  sur  un  petit  lac  que  recouvrait  une  haute  coupole.  L'eau 
était  parfaitement  unie  et  transparente.  La  lumière  plongeait  dans  l'ou- 


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f$tUve^  UHIée  eii^9(NPi)iFfily  ei  reîaUlîssiil  à  k  sarCiOft  derèfta  coomos 
à  travers  un  prisme ,  tout  ipiprégpée  de  la  raoileiir  asurèe  des  fl^tts.  Les 
fsrois  du  rocher,  ies  stalaciiies  rugueuses ,  qai  affecisiit  miiie  fbniHS 
iMsanes»  tout  éuil  d'un  bl^u^  f^ncé.  Ce  Ma  être  là  Is  cûsque  de  ssphir  dv 
Vii|irëae  dje  Pi^pies.  Le  peintre  camiiiesça  à  dessiser  et  nous  à  nsoser^ 
isang^  Dous  apercevoir  que  ie  veut  soufflait  a»  delrarai  Quand  nous  em 
l^mes  la  r<warque,  i)  était  t^p  tard  ;  Forage  s'était  kvé.  D»  sein  d9  la 
Bumtagne  sortaient  des  magissemens  comme  d'un  troupeaa  de  bonrfs 
marins,  et  d'autres  fois,  des  eiplosions  comme  d'une  batterie d^un  fort, 
lies  vagues  aebevèrent  bientôt  de  boucher  l'ouverture.  Le  bassin  d» 
k  grotte,  si  tranqiiiUe  une  heure  auparavant , se  seulova  k  son  teor^ 
aous  restâmes  plongés  dans  une  obscurité  livide.  Quand  le  flot  se  reti* 
tait,  on  découvrait  au  loin  les  ravins  qui  3e  creusaient  dans  le  goUe.  A, 
trois  ou  quatre  reprises  nous  essayAmi  s  de  suivre  la  lame;  mais  à  peine 
étions-nous  prés  de  l'ouverture,  que  la  vague  remontait  et  déferlait  avee 
fureur.  EUe  soplevait  notre  barqae  perpendieulairemeat;  après  l'aveir 
tenue  quelques  instansoellée  k  la  votte,  elle  finissait  par  la  rejeter  dana 
Veofoncement  de  la  caverne.  J'avais  assez  l'habitude  de  nager  pour  tenaer 
de  sortir  su  large  et  d'aller  chercher  du  seoomrs:  j'en  fis  la  propontisttf 
]|iais  ce  moyen  n'était  ^ère  plus  praticable  que  l'autre,  àcaiiae  dca 
Tiolens  ressacs  qui  ae  cessaient  de  battre  rentrée.  Il  fallut  prendre 
notre  parti  et  nous  disposer  à  passer  là  la  nuit.  Nous  étions  dëyà  établis 
sur  un  rocher  en  terrasse,  quand»  au  coucher  du  soleil,  la  mer  baissa. 
Une  heure  après,  aeus:  crûmes  entendre  des  voix  d'hommes.  Des  hahi^ 
tans  de  Capri ,  qui  aovs  avaient  vus  partir  le  matin,  avaient  deviné  astre 
embarras.  JUs  tentèrept  de  nous  remorq|uer,  ce  qui  ne  réussit  néanmoins 
qu'à  la  nuit  close  et  quand  le  vent  Uit  tombé.  On  était  akurs  au  milieu 
de  l'équinose;  nous  devions  nous  attendre  à  rester  emprisonnés  1à  toute 
«ne  semaine.  Ainsi  finit  cette  petite  aventure  qui  eus  pu  être  sérieuse,  qai 
te  fut  que  plaisante.  Comme  en  Kaiie  a)as  tes  henia  et  maâàeurs  sont  aS^ 
trtbués  à  des  Anglais^  on  ne  manqua  pas,  dans  l'fte,  de  If  appelât  l'histeirs 
des  trois  milords*. 

Au  moment  de  (ynîttûr  L'Ile,  j'entrai  dans  l'égHsa.  La  messe  venait  éa 
Inir;  une  jeune  fitte  des  environs,  belle  coaune  elles  lèsent  satMmit  dtf» 
oeslhss,  était  à  genanx.  C'était  un  dimanche;  elle  étaitsealeet  trèspsrét^ 
sur  son  prie-Dieu  iir  ;  avait  une  tête  de  nmrt  avec  kiqiuills  eUe  eatfvsFsait 
tout  bas.  Qoand  elle  baissait,  oemne  iaMacteteine  éaas  l|<désert,  sa  tê» 
briHante  éerm  sar  ce  erftne  vide,  il  paraiatait  ricaner;  SMia  elle  aa  prl» 
«fu'wae  ^kis  de  férvedit;  die  ùe  n'easendit  psf  wèaie  maiiehar  àedcê 
dfelTe  sor  le  pnré.  Oh.!  cfétait  une  aif^^ease  inwgo  qns^  bt  eealéssIaB  # 
eeies  janos  finnaBs  t  ea  mwrt  ntusa  tt  rtttlear. 


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a  j  a  4  Nwfk&  w  iia«g0  <|9i  ^  faw>Pt^kc^v^h4(^  CiqiMrè^*  J^^  jour  4f 
la  TowsaÎDt,  le»  tôfes  dos  flaorts  «oa^  evlevéeç  des  UMnbeaw  :  on  lei 
place  au  nûlieu  des^aFeaiu  des  ^Mes«ntr^iiesderges  plliu»ié6.  Chaque 
mort  a  Boa  uom  écrit  sor  le  freoi.  JU  fioule  ?»eiU  Ie4  visltcir.  Ga qu'il  y  % 
d?«iiFaordioairey  c'aat  qu^^iq  peuple^  seQ^el<i&ièpioi|;iie  à  ce  gpectacto 
«aciwe  borreur,  soit  qu'il  y  ait  daos  le  fond  de  C9  paya  un  a^élaage  4t 
aensualitè  et  4'aieé(ia»e  qp'^uoim  tepips^  D*a  eCCacfi ,  soitque  la  traditiep» 
«t  io«a  (ait;  <sar  le  ia0i|Ae  u^f^  se  re^iH^re  eu  ^Icile,  et  3U|taut  à  Pa* 
iarme. 

De  Capn,  j'aberdai  à  Sorrev^tfi.  Je  vis  la  maison  4e  la  aoaur  du  Tasse  ^ 
«t  TeacaUer  par  oîi  le  malheureux  poète,  déguisé  en  pèlerin ,  mouta  pooc 
chercher  un  refuge  centre  ]*égareaieot  de  son  cœur.  J*ai  toujours  trouvai 
que  ee  golfe  éhlouissant  a  quelque  reaseinblance  avec  la  poésie  de  la 
Jérusalem  déliviyàêy  où  rayonne  a^ssi  taat  de  soleiL  Mais  il  y  arait,  outra 
ceky  dans  le  cœur  dn  poète,  nœ  inguéri^ble  tristesse,  qjoi  ne  se  re^ 
tfovye  nnUe  part  dans  les  objets  en  Italie,  si  ce  n'«st  dans  les  Tases  d^ 
iBarbre  des  viUsa,  ei^  les  orties  en  fleurs  croissent  au  souille  de  la  n^r 
laria. 

En  snivant  à  pied  l^s  détjoiups  4u  golfe»  le  cheaain  me  rainenaà  Pomr 
péie  par  Ventrée  que  IVmi  appelle  justement  ta  rue  des  Tombeaux.  U  y  n 
je  ne  sais  quoi  de  frivole  dans  ces  ruipea.  Vous  toucbez  de  trop  prés  aujiL 
deuils  menus  de  la  ?ie  das^s  l'antiquité  :  ii  manque  entre  elle  et  yQQ$ 
cette  perspeetiire  qaâ  Tagriandst  dans  ses  misères;  d'aillenrs,  les  cari- 
catiB^es  dent  ces  murailks  sont  peiates  leur  dleot  tout  sérieux  :  vous  êtes 
ià  aa  miliett  du  commérage  de^  morts  d'une  petite  ville  de  province.  G^ 
a*cst  point  nne5odii>me  condamnée  par  le  feu  céleste,  mais  le  sarcophage 
^pieafien  d'une  eowtisatte  de  Caçipanie.  Il  semble  que.  ces  tombeani: 
naient  laits  peur  des  morU  de  théâtre,  et  qpe  vous  assistiez  à  une  bouf- 
Jbnaerie,  eà  fipme  et  Athènes  aéraient  parodiées  à  la  JMS  d^ns  d'tnfiid- 
Bac0l  petites  proportions.  Tant  que  j'errai  dans  ces  petites  rues ,  j'entendis 
à  travers  (es  bniAissemens  de  la  brise,  dans  les  vignes,  tes  éclats  de  rii^ 
liaus  des  courtisanes,  le  pas  tardif  des  vieillards  de  Ménandre  et  de  Té- 
jeaccy  et  4'éQbn  alTixynté  des  vers  de  G^^olle,  ^  ébranlaient  la  porte  de 
«i  maîtresse.  IMiais  quand  je  montai  sur  la  terrasse  élevée  d'un  théâtre» 
^(«iie  je  regardai  taaaer,  Gi^m^  et,  temt  près,  le  Vésuve,  dont  la  la^ 
^otttimiait  de  eoitler,  je  vis  bien  que  œ  jeo  était  séyrieux,  et  qpee'étajt 
am  moins  une  noble  eamédîe  qui  se  jottaii  là  au  pied  de  ce  volcan» 

Des  raines  ^  fo»t  »n  contraste  absolu  avee  eelles  4e  Pompéie  sont 
;^kn  de  IVeaUim, sieuées  à  l'ettuémilé  du  golfe  de  ^leme.  La  plage 
^'elles  oœiipent  eM  pestUodtieUé.Le  jour  oùjete  vis,elie  éliHOrlai|,lipi 
iBatiii,  enmflM  im  ier  à  cbeval  reiigi  dans  nne  iforge.^ea  meofUgiMi» 


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iGê  RBTUB  DES  DEUX  MONDES. 

presque  aussi  nues  que  la  plaine,  ferment  ce  grand  et  vide  horizon.  Pa- 
rallèlement à  la  mer,  les  trois  temples  s'élèvent  du  milieu  des  joncs  et  des 
hautes  herbes.  Sur  cette  grève,  où  le  flot  est  toujours  ému,  ces  colonnes 
cannelées  figurent  des  groupes  de  femmes  naufragées  et  enveloppées  des 
plis  transparens  de  leurs  tuniques.  La  ligne  horizontale  de  la  mer  se  com- 
bine avec  la  ligne  de  l'architecture,  qu'elle  prolonge  à  l'infini  sur  un  plan 
d'azur.  Les  vapeurs»  que  le  soleil  soulevait  en  ce  moment  de  l'herbe  des 
tnaremmes ,  entouraient  les  portiques  pythagoriciens  d'une  atmosphère 
dorée.  L'air  était  doux,  quoique  fort  malsain.  Point  de  vent,  point  de 
nuages,  point  de  murmure  dans  la  campagne.  Ces  ruines,  les  seules  ha- 
bitantes de  ce  déserf  de  la  grande  Grèce,  semblaient  avoir  communiqué, 
à  tout  ce  qui  les  entourait,  leur  silencieuse  rêverie. 

J'entrai  dans  une  hcanda  délabrée  qui  est  tout  près  de  là  :  il  y  res- 
tait un  Galabrois  malade.  Cette  masure,  sous  ce  ciel  de  Pythagore, 
rappelait  les  demeures  ensorcelées  que  l'on  rencontre  dans  le  livre  fié- 
vreux d*Apulée.  C'était  le  môme  dénuement  avec  la  même  magie  dans 
les  souvenirs  et  les  noms  environnans.  Je  demandai  à  mon  misérable  hôte 
quelque  nourriture  :  il  m'apporta  du  lait  caillé  et  du  pain.  Je  m'assis 
près  d'une  table;  mais  au  lieu  de  manger,  je  m'endormis  sous  l'air 
pesant  et  le  vampire  de  la  maremme ,  car  la  chaleur  était  encore  exces- 
sive ,  quoique  l'on  fût  en  octobre.  J'eus  alors  un  rêve  qu'il  m'est  difficile 
d'oublier.  L'Italie,  que  je  venais  de  parcourir,  me  paraissait  tout  entière 
privée  d'habitans;  mais,  peu  à  peu,  toutes  ces  images  d'art  que'j'avais 
rencontrées  et  adorées  le  long  de  mou  chemin,  se  réveillèrent  du  froid  du 
marbre  et  se  détachèrent  des  cadres  des  tableaux  :  ces  conceptions  idéales 
devinrent  des  personnages  réels,  qui  se  mirent  à  marcher  çà  et  là ,  à  la 
place  des  habitans  qui  n'étaient  plus.  C'était  comme  un  peuple  de  ressusci- 
tes plus  beau  que  le  peuple  des  vivansqui  avaient  disparu.  Les  innombra- 
bles figures,  nées  de  la  fantaisie  des  Vénitiens,  secouèrent,  les  premières,  la 
poussière  qui  les  couvrait.  Elles  s'assemblèrent  à  pas  légers  sur  le  Lido, 
et  murmurèrent  entre  elles  une  langue  gazouillante,  et  colorée  comme 
les  flots  de  l'Adriatique.  Monna-Lisa,  de  Léonard  de  Vinci ,  se  pendia 
pour  se  mirer  au  bord  du  lac  Garda;  les  Sibylles,  de  Michel-Ange,  s'as- 
sirent dans  la  campagne  de  Rome;  et  le  Jour  et  la  Nuit ,  de  la  chapelle 
Saint-Laurent ,  se  soulevèrent  en  frissonnant,  comme  de  célestes  bohé- 
miens. Dans  le  Campanile  de  Giotto,  montaient  et  redescendaient,  sans 
repos ,  les  bienheureux  anachorètes  de  Fiesole,  qui ,  n'étant  plus  retenus 
par  la  crainte  des  vivans,  quittaient  les  cellules  et  les  fresques  des  cloîtres. 
Sur  tous  les  rivages,  que  d'anges  et  d'archanges  descendirent  du  vieux  ciel 
'  de  l'art  byzantin,  et  vinrent  se  reposer  sur  la  plage  en  fermant  leurs  ailes 
'.  d'or  I  De  leurs  violes  toscanes  ils  tiraient  des  sons  ineffables,  et  tels  que 


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VOYAGES  d'un  80LITÀI1UE.  160 

ceox  que  j'avais  imaginés  dans  la  forêt  des  Dombes!  Us  chantaient  des 
poèmes  entiers,  dont  j*a?ais  autrefois  balbutié  les  premières  syllabes  en 
suivant  le  sentier  humide  des  prés.  A  la  fin,  je  vis  aussi  la  Vierge  au 
voile,  de  Raphaël,  passer  dans  le  jardin  des  Césars  :  elle  y  cueillait  des 
fleurs  nouvelles,  en  même  temps  que  deux  enfans,  et  elle  souriait; 
car  aucun  des  doutes  de  l'homme  ne  s'était  encore  communiqué  à  ces 
filles  de  Tesprit  de  Thomme.  Elles  avaient  gardé  toutes  seules  la  foi  des 
vieux  siècles  et  Fétemel  amour  dont  la  terre  était  privée.  J'entendais  une 
voix  qui  disait  :  a  Sainte,  sainte  à  jamais  est  la  terre  dltalie,  qui  nous  a 
ix>urris  de  ses  mamelles  et  vêtus  de  son  soleil  d'été.  » 


VIL 

Après  avoir  parcouru  l'Italie  dans  ses  détails,  si  je  la  considère  dans  son 
ensemble,  je  trouve  que  ses  lignes  principales  peuvent  être  marquées  de 
la  manière  suivante  : 

Au  revers  des  Alpes,  dans  cette  Lombardie,  incessamment  foulée  par 
r Allemagne,  l'architecture  du  nord  a  pour  son  monument  la  cathédrale 
de  Milan.  Cette  architecture  suit  le  chemin  desempereurs  et  des  inva- 
sions gibelines  :  elle  s'insinue  dans  Gênes,  Pise,  Padoue;  elle  traverse 
Florence,  Sienne  ;  elle  pèse  dans  Arezzo  sur  le  porche  et  le  berceau  de  Pé- 
trarque. A  la  fin,  elle  se  rencontre,  avec  le  génie  guelfe  ou  romain,  dans 
Orviéte,  où  elle  achève  de  s'énerver  et  de  se  décomposer  sous  l'influence 
de  la  tradition  antique,  et  de  ce  climat  devant  lequel  ont  toujours  suc- 
combé les  hommes  et  les  formes  du  nord.  L'ogive  s'arrête  comme  Attila, 
aux  portes  de  Rome;  elle  ne  les  a  jamais  franchies.  A  l'extrémité  des 
Alpes  tarenlines,  Venise  regarde  l'Orient;  elle  fait  le  lien  de  l'Italie  avec 
l'Asie.  En  descendant  le  long  de  l'Adriatique,  le  vieux  royaume  lom- 
bard a  son  mausolée  dans  l'église  de  Ravenne.  Cet  héritier  de  l'empire 
romain  est  Vinu  mourir  là,  loin  de  Rome,  sous  ces  voûtes  lombardes; 
son  fantôme  s'engouffre  avec  le  flot  dans  le  tombeau  de  Théodoric.  Sur 
la  mer  opposée,  Pise  bâtit  dans  son  Campo  Santo  la  nécropole  de  l'Italie* 
Cette  commune,  composée  de  statuaires  et  de  matelots,  cisèle  comme 
un  phare  la  tour  penchée  de  son  beffroi  ;  elle  radoube  la  nef  de  sa  cathé- 
4irale,  comme  une  galère  en  construction  sur  la  maremme.  Au  milieu  de 
ces  deux  mers,  au  centre  de  l'Apennin ,  Florence  accomplit  le  mélange  du 
géale  chrétien  et  du  génie  païen.  Sur  la  nef  gothique  du  xiii«  siècle,  elle 
exhausse  le  dôme  de  la  renaissance;  elle  couronne  le  moyen-âge  avec  la 
coupole  du  Panthéon.  La  fleur  du  génie  étrusque  s'épanouit  là  en  terre 
chrétienne.  Écoutez  !  les  portes  de  bronze  de  son  baptistère  s'ouvrent  et 


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i^  '  féritticot  'tn^  Yrscss  Mf  tin  iioalrésii''iiés  <|iii  Tàpppltcfit  Danto^ 
SoeeMe,  Hac^hlàtel,  G^lèe,  Miéfael-Ange,  et  dool  fes  tagissemens  s'en- 
tendent juÈtfie  frair-âcM  les  AlpM.  fîfltre  Florence  et  Peronse,  sur  le 
chemin  deé  érdres  mendîuiSy  llèglisé  nifi(f<|oe  de  Sahit-FrsnçoIs^Aff- 
«ise  s'enfooit  à  demi  sots  tenre,  A  l'hisUr  des  catacombes,  pour  fuir  It 
Imnièreetle  parfum  de  noiKe  :  architecture  ascéthine  dans  le  pays  de 
l*ascètisme ,  elle  te  lûonche»  comme  ^on  saint ,  dans  le  tombeau.  Phs 
loniyà  Rome,  siège,  eomme  la  papauté  sur  son  trône,  Téglise  de  Saint- 
iHerre  sur  sa  côHine.  Phis  de  symboles  de  douleur  comme  dans  l'ar- 
chitecture du  nord  ou  dans  la  bysantine;  ni  croix,  ni  sépulcre  :  c'est 
Ici  l'emblème  du  Christ  régnant,  ou  plutôt  le  temple  d'un  Jupiter  chré- 
tien. La  fête  du  Dieu  ressuscité  à  Pâques  est  celle  qui  convient  à  ces 
splendides  murailles,  non  pas  la  plainte  de  la  vieille  église  au  jour  des 
morts:  le  Te  Deum  éclate  ici  de  lui-même  sous  ce  dôme  triomphant, 
'non  pas  le  Miserere.  Toutes  les  formes  d'architecture  se  pressent  dans 
ftome ,  la  grecque,  la  romaine,  la  bysantine,  la  lombarde  :  il  n'y  a  que 
l'arabe  et  la  gothique  qui  n'ont  jamais  pu  non  s'y  établir,  mats  s*y  mon- 
trer. Celles^i  se  retrouvent  dans  le  royaume  de  Naples,  à  la  suite  des 
invasions  normandes,  espagndes,  sarrasines.  Par  ce  côté,  lltaHe  se  rat- 
tache à  l'EspAgne  mauresque  comme  par  Venise  à  l'Orient.  Enfin,  à  l'en- 
trée de  la  Galabre,  les  temples  de  Poestum  rejoignent  la  igrande  Grèce  et 
la  Sicile.  Tous  les  rapports  de  l'Italie,  dans  l'architecture,  sont  ainsi  éta- 
l>lls.  Par  le  nord,  par  le  midi,  par  l'est,  par  l'ouest ,  cette  grande  cité  de 
rart  se  lie  à  tout  ce  qui  l'entoure.  C'est  entre  le  monde  grec  d'an  côté,  et 
le  monde  germanique  de  Fautre,  que  s'est  développé  le  génie  de  l'Italie. 
Ces  deux  limites  Sont  marquées  au  midi  par  les  colonnes  de  Pœstum; 
au  nord,  par  la  cathédrale  de  Milan. 

La  position  de  Vltalie,  de  Ce  grand  promontoire  qui  s'étend  entre 
l'Europe  etTOrient,  fait  qu'il  lili  est  difficile  de  supporter  les  conditioos 
médiocres.  Lors  même  que  l'empire  romain  n'eût  cherché  qu'à  gar- 
der son  berceau,  il  aurait  été  entraîné  à  la  conquête  du  monde. 
Pour  conserver  la  Cisalpine ,  il  lui  fallait  les  Alpes  et  les  Gaules.  Par 
Test,  il  touchait  à  flllyrie  et  à  la  Grèce,  par  le  midi  à  l'Afrique;  il  prê- 
tait le  flanc,  par  l'ouest,  à  la  Sardaigne  et  à  l'Espagne,  en  sorte  que, 
quel  que  fût  raccroissement  des  provinces,  l'Italie  restait  toujours  au 
centre  de  l'empire.  Jamais  pays  lie  fut  plus  convié  aux  conquêtes,  m 
mieux  situé  pour  les  retenir. 

Mais  ce  qui  avait  Tait  sa  force  dans  Tantiquité  lit  sa  faiblesse  chez  les 
modernes.  Le  jour  où  elle  cessa  de  conquérir,  elle  fut  conquise.  Les  Al- 
lemands et  les  Français  l^itaquêrent  par  le  nord;  les  Espagnols,  par  les 
flancs;  les  Arabes  et  les  Normands,  au  midi.  Les  deuls  Bysaûtins  fîireot 


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wwMm  é'«r  wmnâBMé  ITt 

trop  feMei  foar  rl<m  enitf^preiidre  snr  cite,  éè  <Mr  «5i^.  4>éii«Éf^ 
Pise,  Venise,  qui  lui  ceignaient  les  reins,  eussent  suffi,  de  resté, ](MMÉ^ 
la  protéger  sur  la  mer.  Par  inalilèiit;,iil<«iaBqHaît  ^liMfiaiafibce  de  terre 
pour  garder  les  débouchés  des  Alpes.  Lltalie  n'eut  jamais  de  Thermo* 
pyics. 

€ette pinssaMedetterreiw  wrait  probablement fMrméei la  longiie» 
sans  rétablisseneiit  de  la  papauté  qui  prit  sa  piaeé.  Le  nègue  de  fespril 
ftilcoooédéâi'ItatieeneompeontioD  de  «a  faiblesse  maiéi;ielle.  Elle  da*' 
Tint  l'arche  saiole  où  sa  «onsarva  tle  dogme  du  geare  humain.  Dans  là 
lime  des  Gibelkis  et  des  'Guelfes ,  rAHeBMgoe  repi^sanu  k  force  malé» 
rialle,  indélibérée,  enivrée  d'eik^-mèase  ;  l'iulie,  latradltian,  le  droit 
écrit,  ou  pluiM  lecfaristianlsnie,  avec  lequel  aile '^identifia  auraojeiif* 
âge  par  rétablissement  de  l'Eglise.  Elle  fut  martyre eomme  lai,  fiagaUéé 
comme  lui ,  crucifiée  comme  lui  par  les  Pilâtes  francs  et  tudesques*  Mais 
e*esa  des  «reliques  de  son  s^ulore  que  smrtit  le  mirade  de  la  dvilisatioii 
BM^deme. 

Llitf  e  a  revécu  plusieurs  fois.  Bile  a  porté  des^cIvilisalioDs  noa-aeuld* 
ment  difliMraotes' les  «nés  des  anilres  ,iiKki  oonSraireB 
£llea  éeé  soccessivnneiit  étrusque,  grecque,  latine,  romaine,  diti^ 
tiemie,  kmterde,  allunande,  aspagaale,  .firançalae.  Chacune  de  cas 
ionnca  a  MssèeneUe  désirâtes  qui  aoot  enaora  ^rMomiainables anjoQP* 
d'bui.  Sacerdotrie  aoqs  lesiEiruiBqBes ,  gnarrière  at>otatiérialtele  saos  loi 
Bamaifis,  elle  est  radavenne  spirkualiste  etarfisie  sous  ks  papes.  Att 
XV*  sièck ,  iorsquîeVe  fut  près  4e  périr^  e*tst  CQCore^ette  qui ,  parCbria^ 
tophe  Colomb,  découvrit  k  UTouiteaa-'ffoàda.  iDe  sod  lit  >de  moft,  k 
grande  aïeule  se  >soulef9a,'etiénNpi|ik  jema  Ella  de  l^Oaéaa  pour  hd 
remettre  sa  couronne. 

Tant  que  la  libertés  eu  quelque  place  chez  elle,  ses  poètes  ont  parlé  : 
Dante,  Pétrarque,  Arioste,  Tasse,  ces  quatre  fils  Ay mon  du  moyen-Age, 
se  sont  succédé  sur  la  brèche.  Quand  la  parole  fut  interdite,  ce  pays  ne 
resta  pas  muet  pour  cela.  La  sculpture ,  la  peinture ,  ces  arts  silencieux, 
exprimèrent  sous  mille  formes  le  génie  de  lltalie  subjuguée;  et  même  de 
DOS  jours,  la  musique,  cette  langue  inarticulée,  continue  d'exhaler  la 
plainte  sonore  de  ce  grand  tombeau  de  Memnon ,  qui  commence  aux 
Alpes  et  finit  en  Calabre. 

Aujourd'hui ,  le  sentiment  que  l'on  éprouve  partout  en  Italie  est  celui 
d*nn  sol  depuis  long- temps  foulé  et  obsédé  par  l'étranger.  Cette  pensée 
est  au  fond  de  tout ,  cachée  sous  la  magnificence  des  arts  comme  le  poi- 
son sous  la  fleur  des  maremnes.  En  un  mot,  cette  terre  a  perdu  la  pos- 
session d'elle-même,  non  le  désir  de  la  recouvrer;  et  c'est  ce  noble 
tourment  et  cette  impuissance  affreuse  qui  la  rendent  si  tragique  et  si 


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172  RBVUE  DES  DEDX  MONDES» 

belle.  A  diaque  moment  les  hommes  pourraient  répéter  là  le  vers  de  Xe^' 
poète: 

Et,  saas  espoir,  wn»  tItods  de  d^in. 

Ceux  quiy  à  l'iieure  où  j*écris,  ont  en  maiu  les  affaires  de  l'Espagne, 
cette  sœur  de  l'Italie ,  et  qui ,  voyant  les  manx  infinis  de  leur  pays,  cher- 
chent pour  remède  l'intervention  d'un  peuple  étranger,  et,  en  général, 
tous  ceux  de  qui  dépendent  ces  pesantes  questions ,  ne  devraient  jamais 
cesser  d'avoir  les  yeux  tournés  du  côté  de  l'Apennin.  Ils  apprendraient 
laque  le  despotisme  le  plus  violent  qu'on  puisse  imaginer  est  un  bienfait 
en  comparaison  du  salut  qu'on  doit  à  la  conquête  dissimulée  sous  le  nom 
de  protection.  La  première  de  ces  tyrannies  ne  fait  mourir  que  des 
hommes,  la  seconde  abolit  l'état;  celle-là  tue  le  présent,  et  celle-ci  l'a- 
venir. 

J'ai  lu  en  Lombardie  le  livre  de  Silvio  Pellico ,  et  j'ai  admiré  autant 
qu'un  autre  la  sainteté  de  cette  ame  de  martyr;  mais  Dieu  éloigne  à  jamais 
de  nous  le  règne  de  semblables  vertus!  Elles  sont  de  celles  qu'il  faudrait 
souhaiter  à  ses  meilleurs  ennemis.  Si  cette  résignation  sublime,  si  ce  dé- 
sistement de  la  volonté  humaine  était  le  dernier  mot  de  l'Italie,  rien  ne 
resterait  qu'à  verser  sur  elle  d'étemelles  larmes;  car  elle  aurait  juste- 
ment toutes  les  vertus  des  morts.  Au  contraire,  tant  qu'il  reste  nn  es- 
poir et  un  souffle  dans  ce  grand  corps,  je  trouve  qu'il  est  convenable  de 
ne  point  abandonner  trop  tôt  la  haine  enracinée  par  Pétrarque  et  par  Ma- 
chiavel; la  seule  passion,  après  tout,  qui  empoche  les  morts  de  se  dis- 
soudre. Il  ne  faut  pas  que  les  peuples  tendent  les  deux  joues  à  leurs 
ennemis.  Gela  n'est  ni  chrétien,  ni  pafen,  ni  divin,  ni  humain. 

Ed.  Quinbt. 


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u 


LES  CÉSARS. 


I. 


^  NoQB  voudrions  faire  ici  une  suite  d*études,  non  sur  des  époques, 
mais  sor  des  hommes,  non  de  Fhistoire ,  mais  de  la  miniature  his- 
torique, de  la  physiologie  humaine.  Nous  voudrions  savoir  quelle 
sorte  d*homme  c'était  qu*un  Tibère,  un  Domitien,  noms  répé- 
tés tant  de  fois ,  et  qui  apportent  à  nos  esprits  des  idées  si  com- 
plexes, si  peu  comprises.  Nous  voudrions  faire  comme  le  philoso- 
phe Apollonius,  qui  vint  d'Asie  pour  voir  Néron  et  pour  apprendre 
•r  quelle  sorte  de  bête  c'était  qu'un  tyran.  » 

Un  homme,  quelquefois  presque  un  enfant,  doué  tout  uniment 
du  pouvoir  de  vie  et  de  mort  sur  cent  vingt  ou  cent  quarante  mil- 
fions  d'ames  intelligentes,  sur  toutes  les  rives  du  bassin  de  la 
Méd'terranée  (cet  admirable  et  éternel  théâtre  de  la  civilisation  et 
de  r histoire),  sur  tout  le  monde  policé,  en  un  mot  ;  et  cet  homme, 
un  fou,  un  fou  furieux  et  sanguinaire,  faisant  tomber  les  têtes 
au  hasard,  massacrant  par  partie  de  phisir;  et  cet  homme  sup* 
porté,  honoré,  adoré,  par  tout  ce  qu'il  y  avait  alors  au  monde 
d'orgueil,  d'intelligence,  d*énergie;  —  et  cet  homme,  quand  aa 
lK>iit  de  quinze  ans  un  proscrit  plus  heureux  avait  prévenu  le  més^ 


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iS4  mÊmmm 

sage  du  lictear  par  un  coup  de  poignard  (  pour  une  insurrection^  on 
n*en  parle  pas),  remplacé  à  sa  mort  par  un  homme  tout  pareil  ;  et 
Tordre  social  de  cette  époque  fondé  sur  Finexplicable  délire  du 
souverain  et  Tinexplicable  patience  de  ses  cent  quarante  miDioos 
de  sujets  :  voilà  le  problème  qu'on  nous  propose,  sans  y  songer 
beaucoi^  »  quaad  on  nous  iracenle  eette  histoire  au  oollége. 

D  y  a  «n(e  raison  à  tout  cela  t  les  masses  ont  souvent  tort ,  elles 
ne  sodt  jama's  absurdes.  Chercher  cette  raison  pourrait  être  un 
des  objets  de  notre  travail  ;  poser  le  problème  est  déjà  quelque 
chose  d'assez  curieux;  descen  ire  dans  le  cœur  de  ces  hommes  si 
puissans  par  les  circonstances,  si  faibles  parla  pensée,  si  démesu- 
rés par  leurs  crimes;  examiner  ce  qui  se  passait  là;  faire  la  phré- 
nologie  de  ces  têtes  historiques,  bu  risque  d*y  retrouver  la  bosse 
de  la  sainteté,  comme  on  Ta  trouvée  chez  Lacenaire;  déterminer 
quel  était  le  mobile,  la  passion ,  la  institution  d*un  Caligula;  foire 
enfin  une  place  dans  la  nature  humaine  à  ces  idiosyncrasies  si 
étranges  :  c'est  pour  la  science,  ce  nous  semble,  un  assez  curieux 
travail.  Nous  ne  voulons  pas  faire  autre  chose. 

Ce  sera  donc  tout  simplement  un  peu  de  biographie  intelligente; 
ce  ne  sera  pas  de  la  philosophie  de  Thistoire.  Pour  connaître  les 
hommes,  il  ne  suffit  pas  détabUrim  système  séries  ^okitioos  fa- 
tales de  k  Booiélé ,  ni  de  faire  oMime  certain  historien  {ykitosophn^ 
qui  intitule  «n  ch&pit^  :  «  fin  q«ioi  rhuaaaité  eât  une  Heur.  »il 
fifttt  de  la  vérité  et  de  la  véalité,  des  détails  préds,  de  JaUqgrapbkk; 
il  faut  descendre  dans  la  ^e  privée,  obèse  à  laquelle  en  ne  veoi 
plus  croire  à  «ent  «m  de  disianoe;  U  fem  admettre  que  Icb  anciens 
avaient ,  t)0fliime  nous ,  une*  vie 'domestique,  eomme  nous 'des  ma- 
nies, comme  nous  des  petitesses^  qu*tl»  avaient ,  eux  aussi,  leur  vie 
det»rrefMir,  de  ^barét,  de  café  et  d  Opéra. 

Qa-em^^^w  4e  .peuple  roman,  par  exemple?  Un  John  Aull^ 
mais  un  JobH  Btall  oisif ,  parce  qu'il  était  Ubre  et  ^u'^  avait  de9 
esckifVes,  iMiant  sdus  les  rostres,  écoutant  la  journée  durant  sas 
conteurs  "de  ^nouveUes,  tandis  que  John  Bull,  esclave  affaire^ 
sillonne  ^siroitoirs;  mais,  du  reste,  ennuyé  comme  lui,  hargn^usr 
comme  lui.,  «doué  de  sens  comme  lui.  Quand  il  était  pauv^-e^ 
mendiant  iine  spty^tuia  à  la  porte  d*un  grand;  puis,  aHant  aux 
bains,  que  les  grands  payaient  poirr  lui;  puis,  achetant  quel^ 
ques  léCuflMs  au  marché,  le  reste  du  Jour  se  couchant  sur  la  plMQ, 


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LB8  CiSABS.  ITS 

4pi*^rès  twt  a  ittdt  ItaHe».  Qomtâ  il  éttil  fkhè,  dédai*- 
(Béas,  dur»  Scr,  «vaut  raisoiiiitMtaeBl  «a  femm  et  ses  enfeaa, 
beMieo«p  plus  eeitx  de  ses  «ffraDoliis  ^m  avaient  de  Vesprit,  «c 
crax  de  ses  'esclaves  qui  ranMisaiem ;  d«  reste,  bien  élevé,  ins- 
trait,  parlant  grée  comme  un  diplomate  russe  parle  français;  ayant 
«ne  bibliothèque  en  bois  de  citron,  des  meubles  en  cèdre,  des 
figurines,  des  bronces,  des  staitues  volées  aux  temples;  ayant  des 
prétentions  de  connatssenr  en  feit  d*arts,  sans  s'y  connaître; 
amenant,  ponr  se  distraire  à  table,  un  bouffon,  des  gladiateurs, 
un  phitosophe;  ayant  aussi  un  caisinier  grec,  comme  on  a  un  cui- 
sinier  français  à  Londres,  des  parcs,  des  chevaux ,  des  châteaux 
au-delà  de  toute  idée;  se  feisant  construire  une  viUa  sur  une 
jetée  en  mer  ;  avec  tout  cela  bonhomme  au  fond,  brave  i  la  guerre; 
mais  fort  ennuyé  d'être  riche,  et  qumid  Tidée  lui  «n  venait,  se  lais- 
sant un  beau  jour  mourir  de  hm. 

Qu*était-€e  que  César?  Un  vrai  hères  de  roman  anglais,  être  qui 
semble  imaginaire  à  force  d'aceempiïsnemens  de  tous  genres  (Byron 
ne  fut  qu'un  César  manqué) ,  d*une  noble  naissance  (descendant  de 
Vénus,  disato-on,  de  la  déesse  qui  donne  I9  fortnne),  d*un  beau 
TÎsage,  avec  une  taille  haute,  un  regard  de  faucon  dans  ses  yeux 
noirs  (^/t  oechi  yrifagni,  dit  Dante),  une  peau  blanche  quH  avait 
grand  soin  d'épifer,  le  front  diauve  (mais  il  savait  se  coiffer  de 
manière  à  dissimuler  ce  défsut);  il  était  admirablement  bien  pei- 
gné, et  portait  sa  toge  lâche,  signe  d*excessive  élégance.  -<-*  Avec 
cela,  poêle,  orateur,  grammairien,  ce  n*est  rien  encore;  mais  fa* 
Tori  de  toutes  les  belles  Aoniaines,  mais  jovial,  courtois,  généreux, 
flMÛs  le  seid  homme  humain  de  son  temps,  poussant  la  délicatesse 
des  nerfs  jusqu'à  faire  enlever  de  l'arène  et  soigner  les  gladiateurs 
blessés.  Aussi  disait-on  de  lui  :  «  C'est  une  femme,  m  Mais  surtout 
poussant  jusqu'à  une  gigantesque  hauteur  la  plus  puissante  res- 
source des  grands  hommes  :  l'art  de  s'endetter. 

D  faut  comprendre  la  vie  politique  d'alors,  et  par  l'Angleterre  il 
est  aisé  de  la  comprendre.  On  achète  un  siège  aux  communes,  on 
aolietait  de  même  l'èdilité  ;  c'était  le  début.  Conune  le  peuple  nom- 
mait et  que  le  peuple  était  nombreux,  l'élection ,  de  même  q«e  dans 
tons  les  pays  où  la  loi  électorale  est  assise  sur  de  larges  bases, 
réIectioB  était  fort  chère.  On  y  laissait  son  patrimoine.  Geiae  place 
^êdae  ne  rapportait  rien;  seulement  il  fallait  donner  des  jeux  au 


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176  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

peuple.  Si  le  peuple  était  coûtent  de  vos  jeux,  il  vous 
préteur;  8*il  les  trouvait  trop  mesquins,  i)  vous  laissait  là  sans  pha 
et  sans  patrimoine.  Aussi,  ceux  qui  voulaient  faire  fortune  don- 
naient-ils des  jeux  magnifiques,  et  pour  cela  empruntaient  au  Uttx 
légal  de  12  pour  cent  plus  Tusure.  Vous  sentez  que  cela  derait 
aller  loin.  Mais  prenez  garde  :  devenu  préteur,  on  passait  d*abord 
un  an  à  juger  le  s/t//fcidtiim  ou  le  mur  mitoyen,  à  protéger  ForpheliB 
et  la  veuve  sous  les  yeux  des  consuls,  sous  Tinspection  du  sénat, 
sous  la  férule  des  Gâtons;  alors  les  profits  étaient  petits.  Mais  as 
boni  de  Tannée  on  allait  en  province.  Une  province,  c*était  uo 
royaume  entier;  c*était  la  Sicile,  la  Grèce,  la  Gaule,  la  Bretagne,  la 
Syrie,  les  deux  bouts  du  monde.  Une  province,  c*était  la  joie  de 
rbomme  ruiné  ;  c*était  là  qu'il  donnait  rendez-vous  à  ses  créanciers 
pour  Tapurement  de  leurs  comptes,  là  qu*il  levait  des  tributs  pour 
la  république  et  pour  lui,  là  qu*il  prenait  des  esclaves,  qu*il  preaait 
des  statues,  qu*il  prenait  de  Targent,  des  vases  d*or  et  des  dieux; 
quUl  pillait  les  citoyens,  les  villes  et  TOlympe,  qu'il  devenait  artiste, 
dilettante.  Mécène,  et  protégeait  les  arts  en  volant  des  cbeb- 
d*Œuvre.  Après  la  préture,  revenu  à  Rcmie,  s*il  n'avait  voulu  que 
s'enrichir,  il  se  reposait  sur  sa  chaise  d'ivoire  au  sénat,  comme  on 
ministériel  émérite  à  la  chambre  des  lords,  montrant  à  ses  amis  sa 
magnifique  galerie,  protégeant  les  sculpteurs  grecs,  et  passant 
pour  connaisseur.  S'il  avait  de  l'ambition,  sa  carrière  était  plus 
qu'à  moitié  faite;  il  était  homme  de  guerre,  homme  de  tribune, 
«énateur,  consul,  tout  ce  qu*  1  voulait;  il  était  Sylla,  il  était  César. 

Voilà  la  carrière  que  rempht  César,  comme  nul  ne  l'avait  rem- 
plie avant  lui.  Ce  grand  seigneur,  ce  dandy,  cet  enfant  gâté  de  la  for- 
tune, avant  d'être  seulement  entré  dans  la  carrière ,  devait  déjà 
plus  de  6,000,000.  Après  sa  préture  en  Espagne,  où  ses  créan- 
ciers faillirent  l'empêcher  de  se  rendre  (il  fallut  que  le  riche  Cras- 
sus  se  fît  sa  caution),  il  devait  45,000,000;  il  n'avait  pas  agi 
comme  les  autres ,  il  n'avait  pas  cherché  à  s'enrichir  en  Espagne, 
n  avait  compté  sur  d'autres  moyens  de  fartune;  il  lui  fallait  des 
victoires,  des  conquêtes  lointaines,  une  révolution  dans  son  pays, 
et  il  ne  fut  peut-être  si  grand  homme  que  parce  qu'il  eut  des 
créanciers. 

En  un  mot,  c'était  un  homme  heureux  ;  à  la  guerre  il  ne  fut  pas 
battu  une  fois;  deux  fois  seulement  sa  victoire  resta  douteuse;  la 


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LB8  céSABS.  177 

fortiuie  le  combla  jasqu*à  son  dernier  jour,  eHe  le  fit  même  mourir 
comme  il  aYait  souhaité,  elle  lui  troura  une  vingtaine  de  niais 
comme  Brutus  et  Cassius,  pour  lui  épargner  les  ennuis  de  la  vieil- 
lesse,  la  honte  d'un  revers ,  et  les  souffrances  d*une  maladie. 

Qaand  on  foit  descendre  l'histoire  à  tous  ces  détails,  elle  se  rap- 
proche bien  plus  de  notre  temps.  Le  premier  mouvement,  en  lisant 
rhistoire,  est  de  trouver  toutes  les  époques  différentes,  le  second 
est  de  les  trouver  toutes  pareilles.  Cela  mène  à  une  grande  vérité, 
réternelle  similitude  de  Thomme;  Atez  le  costume,  détachez  la 
toge,  ouvrez  le  manteau;  ce  n*est  plus  le  Romain,  le  Français  ni 
le  ChimMs  ;  c*est  Thomme;  les  mêmes  passions,  la  même  intelli- 
gence, la  même  vie.  On  a  étudié  Thistoire  bien  petitement,  si  on 
n*a  pas  compris  cela. 

Pardonnez-moi  ces  quelques  mots  en  faveur  de  la  nature  hu- 
maine, que  tout  le  monde  s*accorde  à  sacrifier  à  une  prétendue 
nature  historique.  Quoique  dans  le  fait  le  premier  empereur  ro- 
main fût  César,  j*aime  mieux  laisser  là  sa  biographie,  trop  pleine 
de  grandes  choses,  et  commencer  à  Auguste. 

Celoi-là  ne  semblait  pas  né  pour  être  un  grand  personnage  ; 
quand  on  vint  lui  dire  que  César  était  mort  et  qai\  était  nommé  son 
héritier,  fl  eut  grand'  peur.  Il  faut  dire  id  de  quoi  se  composait 
la  succession  de  César  :  c'était  d'abord  une  vengeance  à  poursui- 
vre ;  si  elle  ne  s'accomplissait  pas,  la  proscription  ;  si  elle  réâssis- 
sait,  le  pouvoir  :  de  toute  manière,  une  guerre  à  soutenir,  des  lé- 
gions à  payer,  des  amis  onéreux  de  tous  genres  à  garder  à  son 
service;  mille  privilèges  de  toute  espèce  accordés  aux  uns  et 
aux  autres  par  le  testament  de  César,  ou  par  des  testamens 
qu'Antoine  avait  supposés,  à  conserver  en  dépit  du  sénat;  des  legs 
immenses  à  solder  au  peuple  romain.  Telle  était  cette  succession 
qu'il  fallait  accepter  ou  refuser;  les  guerres  civiles  ne  souffraient 
pas  de  bénéfice  d'inventaire,  et  les  premiers  agens  qu'il  devait 
se  procurer  pour  réclamer  ses  droits  d'héritier,  c'étaient  des 
soldats. 

Les  légions,  les  vieux  soldats  de  César  virent  donc  venir  à 
leur  front  de  bataille  un  pauvre  jeune  homme  blême,  boiteux, 
tout  tremblant;  il  avait  peur  du  tonnerre,,  croyait  aux  songes  et 
aux  présages;  fl  ne  parlait  en  public  qu'après  avoir  appris  son  dis- 
cours par  cœur;  U  craignait  le  froid  et  le  diaud,  ne  sortait  que 

TOKS  VII.  12 


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178  REVUB  nS  BMJX  MONDES. 

te  tèle  ûonYOTt^  «eT^ymok  qa'm  Wàèie.  Tonte  YmmtiHSfÊâe  m 
Boquait  de  tt  rotufe.  EélMt  cependant  ifvM  gnede  fuirille di 
bovrg  de  Velletri,  tt  mb  père»  le  premier  de  et  reee,  élaîl  ?ew 
s*éubGr  A  Roaie.  Haie  eeo  graad^père,  disek-oa,  avail  «ci  béa- 
quer  (liaei  nsarier). — Ta  mère  t'aeomertde  firiae, — h»  disak 
celle  genlilhommeiâe  reaiaiiie,  qui  le  préleadaîl  pelk-fils  d*iiB  nee- 
nier.  Ce  n'itail  deac  ai  ta  naissaiioe,  ai  le  oovrage,  ai  racUrilé»  ai  le 
{péoie,  ai  rhmnamli  de  Cèaar  ^Octave  en  an  joar  araîl  fut  pém 
Irob  oeals  sénatearo),  c*éiaîl  loate  aatre  ohoee,  el  il  fallail  levtt 
aulre  chose. 

Les graads  honmMa  œnuDeaoenl une  guerre dTfle,  «i  halrik 
honane  ta  êaiL  Mais  il  n*«ei  gaène  donaé  de  Tadiever  à  eeW  qà 
y  a  pris  une  pari  Irop  active.  Henri  IV  »  s*il  eàl  élé  trop  bon  pro^ 
leslanty  n*eûl  pa  en  iiair  avec  la  Ligoey  arec  laqaene,  roas  le 
savex,  9  ne  fil  qae  transiger.  Bien  prîi  i  BeMpane  de  a*a¥oir  élé  ea 
92  qu'an  petit  tiettteaant  d'arlilerie;  saas  qaoi,  qu*aur»t  pa  être, 
au  18  brumaire,  le  royaliste  ou  le  patriote  de  M,  homme  dé^  elass^ 
homme  déjà  usé,  hoauae  d<§à  jeté  aa  rebut  avec  tout  son  parti? 
Entre  la  position  de  toas  ces  hoaaaes,  Octave,  Henri  IV,  Bonaparte, 
Louis4^liiHppe,  3  y  a  aae  aaàlogie  qui  me  frappe  :  c*est  qu'aacaa 
d>ttx  n*avait  d*avanoepris  parti  irrévocaUemenC  pour  personne; 
edi»-li,  chef  des  proleslans,  était  aUé  à  la  aiesse  après  te  Stiat^ 
Bardiéleaiy;  cdai-cî  n*avait  pas  traité  Antoine,  l'ami  de  César, 
mieax  que  Bratas  BieaBtrier  4e  César;  eet  autre  avi»t  fusflé 
des  royaHstCB  dans  te  rue  Saint-Uonoré,  et  sauvé  des  ém'grés  sa 
Italie,  comme  Heari  IV  assiégeant  Baris  ftnssât,  dans  son  humanité 
et  dans  sa  pelitiqae,  passer  des  vivres  aux  Parisieas.  Tel  autre, 
soldai  républicain  de  88,  venait  de  conquérir  un  titre  de  coar 
aous  les  Bourbons.  C'est  à  ces  hommes-li,  hommes  de  politiqae 
ambigué,  mais  halrile,  teanmefrsanB  parti  et  qui  se  trouvent  être  da 
parti  de  tout  te  monde,  qa'il  appartient  de  venir,  quand  on  est  hs^ 
quand  on  est  dégoAté,  quand  tes  partis  sont  ioml)és  en  dîscrédlit 
auprès  des  masses,  apporter  ce  grand  bien,  alors  tant  apprédé» 
tepaix.  Quand  te  Ligue  touchai  sa  fin,  il  s*étabiit  entre  les  proies- 
tans  et  les  catholiqaes,  ou  pour  mieux  dire,  entre  les  royalistes  et 
tes  ligueurs,  an  tiers  parti,  oetai  des  politiques,  c>si-è-dire  des 
gens  qui  mettaieut  de  côté  te  grande  question  de  te  guerre  civile,  h 
question  refigiease.  làiasi  se  résolvent,  cbea  tes  homan»,  tes  ^aa- 


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àm^Mmiom  pdi)ikfiied,'én  %»  «niel  de  cMé.  <fe  p«ni4l  quilK  ft 
FhDnSadaiff«  Méffippée,  tt  à  Rome  1w  Géorgiqaes  ik  ¥ir^e  et 
ïmmtiûveê  dVarace. 

eoUTO'ii'Mi  pâ9  de  pêtHe  A  devenir  chef  de  ice  parti,  il  iTetit 
qa*à  ne  s'attacher  fortement  à  aucun  autre.  Les  forces  vives  du 
(HMi  ariâdoeratique ,  Brnt«»-et  Cassios,  avaient  quitté  l*ttsflie ;')enrs 
t«|irè0eÉfafl9  à  Rome ,  c'écait  Cicéren  et  de  vieux  sénateurs  ;  An- 
toine régnait  à  Bonie,  non  connne  consul,  maist^onmie  chef  de  parfi, 
mais  comme  exécuteur  testamentaire  de  César;  Il  donnait  des  char- 
(ps,  concédait  des  privilèges,  nommait  des  sénateurs,  dotait  des 
filsB,  isdsait  des  rois ,  dominait  enfin  comme  une  bacchante  tont  ce 
penpfe  qui  voniidt  surtout  être  dominé  :  tout  cela  en  vertu  du  tes- 
tanent  de  Géaftr;  le  testament  de  César  ^rtalt  infini,  on  découvrait 
flÉ.iMniveau  eodicllle  chaque  jour. -Octave  avait  aieheté  -une  armée , 
hdTespectnetrx  héritier  de  Oésardont  le  nom  était  ainsi  profané. 
D  mit  son  armée  an  service  du  sénat  conn^  Antohie;  on  applau- 
iSc,  m  te  ftoa,  on  le  dhargea  de  fleurs  âe  rhétorique;  mais  tont 
en  rembrassant  et  en  se  donnant  Tair  de  le  proftéger,  CScéron  dn* 
sait  tout  bas  :  <r  c*^sM  un  enfnn'qn'ff  fsntélever  povr  s*en  défeive.  » 
Noos  ne  pearvons  vendre  ici  le  •calembonrtdn  grand  orateur,  qtd 
en  a  Ml  encore  bien  d^aatrira  :  ihnandum  pneram,  toUendum. 

Ot  enfiint  (il  avait  vingt  ans  an  fAus)  joua  tontes  les  vieilles 
tém  du  steau  A  la  prem'èrie  bntaMe,  Antoine  finTaincu;  mais  les 
ikBmt^aonadlsnirépabKoains  torem  tués  stQienreusementpotirOetave, 
qa'cD  te  iMpçottna  d'avoir  aidé  le  for  des  ennemis.  BébarrassM 
ainsi  de  ses  anriliaâres,  en  qui  fl  voysSe  des  espions  du  sénat,  H 
draogeatodtâ  eotfp  départi,  et  sfunit  à  Antoine  vafaicn,  dommni 
sawiiiie  prioctpal  >motff  de  sa  Afifeetten  le  calembour  ticéroiiieti 
qtfe-voas  menons  de  citer. 

^tetsta,  aseodé  à  Antohie,  prit  tes  pencbans  de  ce  nouvel  affié. 
L%aKe,  qui  leur  fut  livrée  sans  défense,  fut  inondée  de  sang.  Bans 
cette  prosorîptioa  comme  dans  tontes  les  autres,  depuis  te  ^sisLïtt 
SjrHa  jusqu'à  Tincorruptibte  Robespierre,  toutes  tes  passions  pri- 
vées, toutes  les  haines,  toutes  les  vengeances  vinrent  à  la  curée; 
tane  proscription  fut  d'autant  plus  abominaUe,  que  les  passions 
poétiques  qui  en  étaient  le  prétexte,  étaient  d^à  arrivées  à  teur 
pérjode  derefiroidissement. 

Bmtus  et  Cassius  avatent  fait  la  faute  énorme  de  quitter  lltaKe, 


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180  nEvuB  nm  deux  «ondes. 

ignorant  qu'une  guerre  ne  s'achève  que  là  où  eUe  commence. 
Octave  et  Antoine,  bien  rassasiés  de  proscriptions,  menèrent  eiifii 
contre  les  meurtriers  de  César  leurs  légions  qui  ne  troiiraknt 
plus  à  piller  en  Italie.  La  grande  quesUon  était  avant  tout  :  nov' 
rir  les  soldais. 

Brutus  et  Câssius  se  firent  tuer  à  Philippes  en  abjurant  la  verti, 
comme  si  c'était  la  vertu  qui  les  eût  menés  là.  Antoine  et  Octave 
se  partagèrent  le  monde,  c'est-à-dire  le  reçurent  pour  le  partager 
entre  leurs  vétérans. 

La  tâche  d'Octave  était  difficile;  avec  cette  Italie  dévastée  en 
tous  sens,  couverte  de  maraudeurs  et  de  brigands,  il  fallait  £aâre 
face  à  toutes  les  légions  qui  se  trouvaient  toujours  mal  payées,  aux 
paysans  italiens  que  l'excès  de  la  spoliation  finissait  par  poussera 
la  révolte,  aux  spoliateurs  et  aux  spoliés  tout  à  la  fois,  à  Antoine 
qui  sourdement  animait  ceux-ci,  à  un  fils  de  Pompée  écumearde 
mer,  se  disant  fils  de  Neptune,  qui  tenait  la  Méditerranée  et  intercep- 
tait les  convois  de  blés  ;  brillant  flibustier,  qui,  avec  un  peu  plus  de 
perfidie,  aurait  un  beau  jour  retenu  et  rançonné  l'héritier  de  César; 
au  peuple  de  Rome,  qui,  jusque-là,  indifférent  à  ces  combats,  se 
révolta,  se  battit  trois  jours  durant  dans  ses  rues,  quand  il  s'aper- 
çut qu'on  le  faisait  mourir  de  faim.  Tel  était  l'état  de  l'Italie. 

De  toutes  ces  hostilités  simultanées  naquit  la  paix.  Les  soldats 
l'ordonnèrent  entre  Auguste  et  Antoine,  et  pour  la  sanctionner^ 
firent  épouser  à  celui-ci  la  sœur  d'Auguste,  Octavie.  Les  soldats 
devenaient  arbitres  des  familles  ;  et,  du  reste,  c'était  peu  de  chose 
dans  une  famille  qu'une  jeune  fille  et  un  mariage  :  on  se  débarras- 
sait si  vite  de  Tune  et  de  l'autre.  Le  peuple,  qui  avait  un  faible  pour 
le  jeune  pirate,  fils  du  grand  Pompée,  ordonna  également  la  paix 
entre  Sextus  et  Auguste.  La  part  des  deux  triumvirs  fut  nette* 
ment  faite  :  Octave  resta  à  Rome,  travaillant  patiemment,  laborieu- 
sement, habilement,  à  pacifier,  à  soulager,  à  fortifier  l'Occident; 
Antoine,  à  Alexandrie,  jouissant  de  l'Orient  comme  d'un  festin  de 
bacchanale;  Auguste,  épousant  ou  répudiant  qui  il  voulait  ;  Antoine, 
mari  de  la  sage  Octavie,  dont  le  frère  était  à  craindre,  et  voisin  de 
la  belle  Cléopàtre.  Il  en  résulte  que  tandis  que  l'un  resta  un  digne 
Romain  et  un  époux  fidèle,  Tautre  oublia  dans  les  orgies  d'Alexan- 
drie la  majesté  de  Rome  et  la  fidélité  conjugale,  double  crime  que 
son  rival  dénonça  au  sénat,  et  dont  il  fut  puni  à  Actium. 


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Les  CÉSARS.  181 

Telle  est  en  quelques  lignes  Tbistoire  de  rélévation  d'Auguste. 
Miôs  que  trouvaitril  dans  Rome,  devenue  son  bien  par  droit  de 
succession  et  par  droit  de  guerre?  Beaucoup  de  lassitude,  beau* 
coup  d*épuisement,  aucun  principe.  César  était  mort  à  la  tflche  en 
Youlant  établir  trop  tôt  sur  les  ruines  de  Taristocratie  romaine  une 
société  nouvelle,  cosmopolite,  nivelée;  il  avait  détruit  et  n'avait 
rien  fondé.  Le  peuple,  pour  qui  il  avait  travaillé,  adorait  son  nom, 
mais  De  s'était  pas  soucié  de  prendre  les  armes  pour  Antoine ,  le 
chef  du  parti  extrême  chez  les  césariens.  Le  parti  contraire,  ré* 
publicain  et  aristocratique,  était  resté  livré  aux  vautours,  comme  le 
cadavre  de  Brutus  sur  les  plaines  de  Philippes.  Mais  ce  qui  était 
effrayant,  c'était  le  désordre  de  la  société.  D  faut  se  figurer  une 
terreur  de  quinze  ans,  une  lutte  de  quinze  ans  entre  un  Danton  et 
un  Robespierre,  pour  comprendre  ce  qui  pouvait  en  rester;  il  faut 
songer  que,  pendant  une  période  de  trente  ans  peut-être,  pas  un 
personnage  un  peu  notable  ne  mourut  dans  son  lit;  il  faut  se  sou- 
venir que  chaque  homme  un  peu  important  d*alors  donnait  à  son 
affranchi  de  confiance  deux  meubles  nécessaires ,  un  stylet  pour 
écrire  ses  lettres  et  un  poignard  pour  lui  donner  la  mort  quand 
rheure  viendrait;  il  faut -songer  à  ce  qui  pouvait  rester  debout 
après  une  telle  anarchie.  Le  sénat  que  César  (et  après  lui  Antoine) 
avait  flétri  à  plaisir  et  mêlé  de  tous  les  barbares  quUl  avait  vaincus, 
était  une  cohue  sans  dignité  et  sans  loi.  Les  chevaliers,  c*estrà-dire 
ce  qui  avait  fait  l'aristocratie  d'argent ,  avaient  des  places  d'hon- 
neur qu'ils  n'osaient  aller  prendre,  de  peur  que  leurs  créanciers 
Devinssent  les  y  saisir;  leurs  quatorze  bancs  au  cirque  étaient 
presque  déserts.  Rome  était  pleine  de  bravi;  sur  les  routes,  on  ar- 
rêtait les  voyageurs  pour  les  faire  esclaves.  Tout  cet  empire,  pillé» 
^lévasté,  mis  à  sec  par  tous  les  partis,  demandait  de  quoi  vivre,  et 
Codait  à  Auguste  non  des  mains  suppliantes,  comme  disent  les 
poètes,  mais  bien  plutôt  des  mains  mendiantes;  les  patriciens  et  les 
grandes  familles  lui  demandaient  de  quoi  payer  leurs  robes  de 
pourpre  et  leur  cens  de  sénateur  ou  de  chevalier  ;  la  population 
oisive  et  toujoûrscroissante  de  Rome,  du  blé  pour  vivre;  lltalie,  des 
laboureurs  ;  les  provinces,  une  diminution  d'impôt  ;  le  monde  tout 
entier  était  comme  un  mendiant  aux  pieds  d'un  seul  homme. 

Le  fils  du  banquier  de  Velletri  était  bien  mieux  placé  là  que  le 
)rillant  César.  Ces  corc'^tères  pAlcs,  incertî>inq,  éqi'î^'orj^es ,  irai« 


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tÊà  REYUB  MM  MRIX  llOIfDBS. 

fur  .impriM^p^»  nottsie  Mmiflft  biMi.Oct«v«  ne  ë^appvfft  ni  sm* « 
pi»ieîpe«iiiin'«onT»fli;11^iâMrelni^ealeiBent  fr  secourir  t^hactui,! 
Be  fShdier  personne,  fl  ^afvâtété  eroël  qnnnd  11  «rrit  eu  à  sootsrfr' 
«ne  lutle  ^idlenie;  la  4tilite  ^ie ,  fl  fm  dénient.  Il  savait  qu'en  po* 
litique,  (fiioi  qti*en  ident  dit  âes  niais  sangafattir^s,  eeMmfietmom 

Détotticbe,  presquesesl  riche  en  oe  temps;  ridie  de  son  patri- 
moine ,  <ric^  de  la  sa^^sse  atee  laquefle  il  arait  su  faire  écoBOffli* 
quememla  guerye  d^fle,  ridhe  des  legs  de  ses  amis,  qui,  sehmlt 
coutume  romame^ne  mouraient  ^ptts  sans  lui  laisser  quelque  chose 
de  leur  bien.  A¥ec  oette^fortnâe  bien  ménagée,  il  soulagea  tooth 
monde ,  paya  les  legs  énormes  de  César,  donna  des  secours  au 
grandes  ftH!nffles'(CHisant  ainsi  sa  pensionnaire  de  ruristoeratie  M 
ennemie),  pôtiça'ettranqiiniisa1%^Iie,  fit  venir  du  Mé  d*Egyple,f^ 
maître  du^n^or  immense  des  Tietémées,  au  Ken  de  le  gavder  pour 
lui-4néme,  eomme^t  firii  tout  autre,  et  méme^Oésar,!!  mit  danafk 
dreulatioflicellemasse  énorme  d*ore<  d'argent  ;'rintéMt  defatigeilt 
m  baissa,  «lies  terres  d^ItaHe  augmentèrent  de  râleur,  fl  yatik 
des  répidjiteains ,  i^*est-à«dire  des  arisioerates,  ^'émit  la  même 
chose  ; 'de  quoi  se  faÉsent«*fls  'flid^pés?  Tout  se  passait  légelleineflt; 
Octave 'ii*èiait  point  toi,  Dteu  Ten  gsrrde,  il  il- était  pas  même  dieti* 
teur,  eomraeiMrit  eu<iU'folie  de  f^re  son  onde  C%sar,  qui,  liii,  w 
saFrait  pas  si'bien'Ia»valenr  desmcfts.  Au  contraire,  quand  on  dffé 
Toulu  le  nommer  Acelie  digËité,  il'awdt  supplié  à  genoux,  la  top 
€»tr*ouyerte,  qu^onla  liii  épargnât.  îl  s'irritait  si  onTappéiait  se- 
gneur.'Le  séfiat^ravâfk  dédaré'grand  pontife,  dignité  répofblimiiie; 
tribun,  dignité  i^épiA)lioeiSne;eonsM,  autre  digni^ vde  la  répdMi' 
que  :  ^ainsi ,  «ans  dianger  un  tHre ,  «et  arec  un  scrupille  -de  U^itSA 
qui  eAt  enchanté  Gaton,  Octale  réaiiissait  toute  la  puissance  ré- 
gieuse ,  domestique  et  niil'taire  :  la  république  if  était  pas  détruite; 
au  contraire  efle  vivait  incarnée  en  lui.  Rappelez-vous  nos  mon- 
naies, où  on  lit  encore  :  République  française ,  Napoléon  empereur. 

Voilà  pour  les  républicains  ;  restaient  les  deux  grandes  puissances 
de  répoque,  le  peuple  et  les  vétérans.  Les  vétérans  éta^t  Tarmée 
de  César,  Fermée  d'Antoine,  Fermée  d'Octave;  tout  un  peuple  de 
soldats  qui  vivait  de  guerres  civiles  et  qui  les  entreprenait  à  prii 
fiât,  comme  les  condottieri  italiens.  La  guerre  finie,  il  fallait  ks 


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me  province,  on  mettait  les  yétèt^Ltmà  iewr  fàêitiB^  et,  ettmpé»  aiiMi 
tes  on  près  des  avtrts,  ils  éiaSeiit  prêts  à  Mmclier  au  premier  mot. 
OfelaTO,  q«i  leseraignsii,  leur  donna  des  terres,  mats  en  les  dis^ 
persant.  Ce«x  qui  restèrent  sous  les  armes,  Aies  envoya  combattre 
fur  le  Ktm ,  guerre  lointaine  et  pauvre,  eà  il  «*y  avait  rien  à  piRên 
B  les  mit  lofai  de  l'Italie,  loîn  de  Rome  aetant  qu'il  plit. 

Venait  le  peuple.  Le  peuple  était  un  suMme  itiékinge  de  tous  les 
Mneos^  divers  qui  avaient  passé  par  la  vieiHe  Rome;  mi-parti  d*a!P- 
franch»  et  d'bommes  Kbres,  de  vieux  KoMsias  et  d^étrangers,  de 
firecs  et  de  barbares,  de  citad^et  depro'Hiieiaux,  admirable  eo- 
kne  qui  s*appe)ait  le  peuple  romain,  el  savait  parfois  soutenir  lu 
dignité  de  oe  titre  ;  enfisnl  gâté  de  toutes  les  puissances,  que  F aris^ 
tecraiis  patricienne  si  opulente  s'était  cependant  ruinée  à  divertir, 
psor  lequel  on  feisait  tenir  les  gladiateurs  de^  la  Germanie,  les  re*- 
itàim  de  la  Guide,  tes  lions  de  rAtlau,  les  danseuses  de  Cadix,  les 
eirsfes  du  Zabara,  à  qui<>n  donfnuit  de  magnifiques  spectades  et  en 
même  temps  du  pain  pour  qu'il  ne  Mt  pas  obligé  d'aller  travaffler  eu 
sortant  de  tii  :  el  à  quoi  c^-M  travaillé,  6e  peuplegentilhokmneT  Tous 
Im  nétiers  étaient  frits  par  des  esdaves.  R  lui  fMkrit  en  outre  (car 
les  Grecs  lui  avaient  donné  des  prétentions'tfartiste)  que  sa  ville  Mt 
Me;  et  s*3  logeait  dans  un  taudis  au  septiStne  étage,  dans  quet- 
qoes-nnes  de  ces  maisons  énormes  oii  s^isfaHait  toute  une  tribu, 
comme  nos  maisons  de  location  dufeubourgSaint'Maroeau,  il  fallait 
<|v'ii  oe  promenât  les  jours  de  pluie  sous  ^es  portiques  corinthiens, 
qn^il  fit  ses  affaires  et  qu*i}  entendit  burler  ses  Sfvoôais  dans  des  b»- 
fSiqaes  opulentes;  que  ses  bains  fussent  de  ittarbre,  ses  statues  de 
imirbre,  ses  théâtres  de  marbre  et  de  porphyre  :  tel  éliat  le  goAt 
de  cette  redoutable  majesté. 

Auguste,  successeurde  raristoeràtie,  déficit,  comme  elle,  nourrir 
k  peuple,  Tamuser,  lui  embeHtr  sa  belle  Botne.  Il  Mlait  qu'à  ses 
frais  et  par  ses  soins  les  Wés  d'Egypte  et  de  Sieie  vinssent  nourrir 
fc  prolétaire  romain ,  trop  accoutumé  à  recevoir  le  pain  de  la  main 
«te  ses  maîtres  pour  qu'on  p4t  songer  à  le  fcii^  vivre  autrement.  II 
fellait  jeter  l'argent  sur  le  Forum  aux  hommes ,  aux  femmes,  «at 
enfens ,  à  tout  ce  que  la  dignité  de  citoyen  romain  appelait  à  pren- 
dre part  à  cette  aumône  solennelle;  du  reste,  il  s'en  fallait  é  bien  que 
rttunèneftt  quelque  chose  d*tiuniilîant,<|!f  il  gavait  dans  Vannéet^ 


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184  BEVDE  MS  DBUX  HONDBS. 

jour  OÙ,  par  suite  d*un  vcdu,  Aogusie  lui-même ,  assb  à  la  porte  dt 
palais  y  tendait  la  main  aux  passans. 

Le  peuple  avait-il  faim?  il  demandait  du  pain  à  son  maître;  avait- 
il  soif?  il  lui  demandait  des  aqueducs,  il  lui  demandait  le  rin  iboi 
marché.  Auguste  ainsi  supplié  refusait  quelquefois;  mais  après  tem, 
c'était  chose  commode  qu*un  tel  tyran.  Le  peuple  s*ennuyaîl-il?  û 
demandait  des  jeux.  Et  alors  T Afrique,  TAsie,  TOcddent»  toûL 
s'émeut  pour  lui  envoyer  des  acteurs,  des  bouffons,  des  philo- 
sophes, des  bétes  féroces,  descombattans,  des  monstres,  des  sal- 
timbanques; on  lui  montrait  un  jour  un  rhinocéros,  un  autre  m 
boa  de  cinquante  pieds;  au  cirque,  il  y  avait  des  courses  dedK^ 
vaux,  et  des  luttes  à  là  grecque;  à  TamphithéAtre,  des  gladiateurs; 
SkVL  théâtre,  des  histrions  et  des  pantomimes,  nouveau  genre  de  di- 
vertissemens ,  et  que  Tantiquité  aima  jusqu*à  la  fureur  ;  à  tous  les 
xoins  de  rues,  des  bouffons  parlant  toutes  les  langues,  car  cette 
Rome  aux  cent  têtes  les  parlait  toutes  ;  les  jeunes  gens  des  grandes 
familles  venaient  jouter  devant  le  peuple,  des  chevaliers  veaaieac 
devant  le  peuple  faire  les  gladiateurs  dans  Tarène. 

Avec  le  cocher  des  courses  {agitator)^  le  pantomime,  le  gladia- 
leur,  était  le  favori  le  plus  intime  du  grand  seigneur  romain,  Tidole 
la  plus  chère  du  peuple  ;  c'était  là  conune  les  coureurs  de  New- 
Market,  ou  les  boxeurs  en  Angleterre,  les  protégés,  que  dis^e  les 
amis,  les  commensaux  du  sporuman  romain;  on  vivait  avec  eui 
sur  le  pied  de  Testime  comme  un  turf-genileman  avec  un  jo<dLei.  Soos 
la  république,  le  gladiateur  avait  encore  rempli  un  autre  rôle,  on  eo 
achetait  par  bande  (familiœ)  pour  les  faire  combattre  devant  soiaui 
festins,  aux  noces,  aux  f  unéraiOes;  on  en  avait  aussi  pour  garder  au- 
près de  soi,  pour  s*en  faire  entourer  au  milieu  des  sanglantes  dis- 
cussions du  Forum,  pour  trancher  à  coups  d  épée  les  délibérations 
de  Rome  républicaine;  mais  sous  Auguste,  le  gladiateur  perdit  sa 
fonction  pohtique,  il  ne  garda  plus  que  sa  position  sodale  sur  le 
même  pied  que  le  pantomime,  Yagiiaior,  le  sculpteur,  et  un  peu  au- 
dessus  du  philosophe.  Aussi,  ces  gens4à  sentaient-ils  leur  im- 
portance :  a  César,  disait  le  pantomime  Pylade  à  Auguste,  sais-ta 
qu'il  t'importe  que  le  peuple  s'occupe  de  Bathyle  et  de  moi  I  » 

Rome  ne  pouvait  avoir  trop  de  fêtes,  ni  trop  de  monumens;  les 
4>bélisqu|^  de  TÉgypte  8*élevaient  sur  ses  places,  Teau  vierge  loi 
^tait  amenée  dans  les  aqueducs  d* Agrippa;  tous  les  hommes  qui 


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LES  CÉ8AR8.  185 

étaient  restés  riches  après  les  guerres  dySes  reeeraieiit  de  César 
Tordre  de  travailler,  comme  lui,  à  rembeffissement  de  la  dté-reine, 
Balbus  lui  faisait  un  théâtre;  Philippe ,  des  musées;  Agrippa,  son 
Panthéon,  cent  dnquante  fontaines,  cent  soixante-dix  bains  gra- 
toits;  Asinius  Pollion  (chose  singulière),  un  sanctuaire  à  la  liberté; 
f  Voyez  cette  yiHe,  disait  Auguste;  je  Tai  reçue  de  brique ,  je  la 
laisserai  de  marbre.  » 

Maintenant,  au  miKeu  de  cette  Rome  devenue  si  beUe ,  si  volup- 
toeise,  si  pleine  de  sécurité,  on  voyait  passer  un  homme  simple- 
ment  vêtu ,  marchant  à  pied ,  coudoyé  par  chacun ,  habillé  comme 
Fabius,  d'un  manteau  feit  par  ses  filles.  Cet  honmie  allait  aux 
comices  voter  avec  le  dernier  prolétaire;  il  allait  aux  tribunaux 
cautionner  un  ami,  rendre  témoignage  pour  un  accusé  ;  fl  allait  chex 
tin  patricien  célébrer  le  jour  de  naissance  du  maître  de  la  maison , 
OQ  les  fiançailles  de  sa  fille.  Il  rentrait  chez  lui  :  c'était  une  petite 
maison  sur  le  mont  Palatin,  avec  un  humble  portique  en  pierre 
d'Albe,  point  de  marbre,  point  de  pavé  somptueux,  peu  de  ta- 
bleaux ou  de  statues,  de  vieilles  armes,  des  os  de  géant,  un  mo- 
bilier comme  ne  Teût  pas  voulu  un  homme  tant  soit  peu  élégant  :  ce 
qu'A  avait  eu  de  vaisselle  d*or  du  trésor  d'Alexandrie,  9  l'avait 
fait  fondre;  de  la  dépouiHe  des  Ptolémées,  il  avait  gardé  un  vase 
de  myrrhe:  il  se  mettait  tard  à  table ,  y  restait  peu,  n'en  connais- 
sait pas  le  luxe  si  extravagant  alors  ;  avec  du  pain  de  ménage ,  des 
figues  et  de  petits  poissons,  le  maître  du  monde  était  content:  à  le 
voir  si  simple,  qui  aurait  osé  dire  que  c'était  un  roi?  Un  soldat 
l'appelait  en  témoignage  :  «r  Je  n'ai  pas  le  temps ,  disaitril ,  j'enverrai 
an  autre  à  ma  place.  »  —  <r  César,  quand  tu  as  eu  besoin  de  moi^  je 
n'ai  pas  envoyé  un  autre  à  ma  place,  j'ai  combattu  moi-même,  d  et 
César  y  allait.  Il  fallut  que,  déjà  vieux,  à  la  célébrat'on  d'un  mariage» 
9  ftt  poussé  et  presque  maltraité  par  la  foule  des  conviés,  pour  qu'Q 
cessât  d'aller  aux  fêtes  où  on  l'invitait. 

Et  pub,  cet  homme  pacifiait  T Italie  et  le  monde ,  c'était  le  con- 
dliateur  universel,  l'homme  des  ménagemens  et  de  la  paix.  Il  r^ 
mettait  les  vieilles  dettes,  déchirait  les  vielles  enquêtes,  fermait 
les  yeux  sur  les  usurpations  consacrées  par  le  temps,  sur  tous 
ces  droits  à  demi  légitimes  qui  restent  des  révolutions,  et  auxqueb 
il  est  si  dangereux  de  toucher;  il  passait  le  jour  et  la  nuil  à  rendre 
ia  juscfoe;  malade,  U  écoutait  chez  lui  les  plaideurs.  Il  ne  pre^ 


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UTUB  wm  mm  mondes. 

MK  pM  JBÎIik  QBM0  pMT  lSMBén69  il  CMNNUBMWt  «  W^^ 

«■Mda  NionMM'i|Manuildîl:  <r  Nite  otwrieft, iî le dérfr  wm 
Mnq«0foolpe«r  tosr  €iMir;»€flADiiéttimîlàTîMr»:«lieft 
laisse  fAs  alhv  èlanvmcMr^le  len  èse»  et  ne  twHtt  pas  trap  âii 
dit  da  Dttl  da  mms,  c^eat  Uam  asaaKsi  «n  ne  aMVs  tn  ftalpaa.  • 

Ca  pouvoir  fiit  oartanenevtie  piosdoiUL  de  la  leire;  parwltai 
d^hommages  que  la  flatterie  lui  adressa,  il  y  ea  a  un  qui,  daai 
Fantiquié,  semble fvafqueéftraDVB»  et ipridknina  biettidiaéice 
4B*était  sa poiiiiqne;  la  jo«r  ai  Auguste mmrakdanaBoaie,  asai 
Inaait  périr  anciro^riaMMi. 

Mais  ilestnn phéwHnéiisà  olMeFTor :  destqnetseinqni arrifait 
animnn  Angwtepour  lemter  ka  guerree  oivâas^  s"îi$  aortant  m 
pa«,  dans  Faaage  da  km  aouvataiaelé  »  ée  la  Kgne  da  jnsln  KiKffi 
et  de  poHtiqDe  éqmvaqne  qn*îia  adoptent  d^ordintlre,  e*aatprot- 
qne  tonîaufapour  réagir  caotiB  le  parti  qn'ik  ont  aantena  daai 
knr  principe  etipii  leaapanés  anpouvoir*  Leaf)iartis<orîent  i  Tàh 
yatîtuda  cowa  ai<n  lenr  devait  de  la  reeaiMMiBimooa  si  nan  a« 
h— awaufiBttainginiimAi  tfestfa^iBieféaotiQnnécaaaaireuHeimff» 
ëereMiMii,  aei^  très  bien  qu'il  démît  élre  rai  da  iont  le  naads 
et  non  ées  pniliastans^  et  ifne  s^l  se  derait  à  q«eiqu*nn,  c'élail  pea^ 
être  plus  eneonàia  Ligne  «me  qni  H  avait  traneieé  qu'ans  roph 
fiateaqainvaieaaiOQalialiu  ponr  lai,  BoMpartn,  afnnt  mine  d'être 
ansperenr,  Banaparte  qnî  avait  été  patriale»  relevait  le  colla  et  il 
■obleaBe,  «t  panr  piimira  ennemi,  9  avait  las  compagnons  de  m 
victoire,  Pitlif0ni,.llorean^  Benmdoite,  nomme  Henri  I¥  le  nmfé- 
almldelKraR. 

Celadait  être:  «n  parti  vainqueWfOH^se^ireîl  «el/na  oom* 
prend  pas <»tÉe aranaassièn  tariiaon  formelle  aans  laqueHeflass 
iamrinentpasè»  gnatitndrtlas;  H  se  croit,  oamiMles  émigrésds 
iSik^  ou  les  pntmQiaade  ISao,  des  draitsOTciamftalaans  bama;l 
ne  reconnatt  de  droits  à  pernsmieaiitte  que  lait  iliieii*imnginapm 
de*réAédnrvlujfmasBtaiu,4na  san>ehef,  pliant  le  genoodevnmb 
Ugue,  s*estbîtcatMiqimàSainl**D6ma,  etqoeai  Henri  <¥  ml 
nntré  dana  Paria,  c'eatiavac  k  oensenteaMnt  et  m  maînteaaait  k 
^^dpe  da  la  Iigim.nae«oaBpriendpaB,  lméaiigi^,laclMifie  da 
flaint4)neB,  ni  M  palrieie,  lea  «rapa  da  fosil  dans  ks  niea  da 
fiariscaoïmlmaoatinnaieaEsarritréade  lASO;  vaîlèpowni^  aiecm 
4lmf  estlmfaae,  BantiMwbkntétnrdisismiaNM  aveoaMicftn4 


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I 


hMiiffeit,  c'est Iitt  <|H*iI  £uil^  relevés;,  imUasodélé  aevitwMr  wm 
dièe  absolue,  «ulle  coaibiaaisoB  natîoBale  ne  fiirele  sur  um  «fIlo«- 
lÙBue;  dans  lo«(e  SQdélév  il  fiant  «b  pe»  de  chaMpue  deae. 

La  vieille  Rome,  la  Rome  arisle€«alM|He  éiail'  vaioeiiey  bttttie  à 
Iharsale  et  à  Philippes,  où  son  parti  était  mort  les  armes  à  la  main  ; 
battue  dans  la  cité  où  ses  mœurs ,  sa  foi,  ses  lois  étaient  mises  en 
imUi;  battfHe  daas  k»  temples  «è  Toa  ft'ttdorait  plus  que  des  dieux 
kti^s&ssy  battue  dans  le  séMlqui  dtaîl  ainli  el  méiè  de  barbarefw 
It  par  cette  raison  même,  ce  foc  la  vieille^K^aie,.  la  Reoie  avietoerar 
tique  (|o*AugpMte  checcàa  à  relever.  Celte  réaietie»,  cette  restau^* 
BitioD  tessemUe  à  ee^que  testant  Nap^léo»  ea  relevaat  le  coke» 
rétablissant  une  noblesse  ^  rw^wiinit  une  e^w,^  reffatianl  de  la  «Of 
raie,  de  la  bienséaace ,  de  V baoneur  à  la  faew<  àm  siècle  passé.  Ces 
deox  aiioaiîons  aeit  admrableiDeni  aiialo0Biea;  cbacmi  dies  deux 
yrineea»  frappé  de  e^  <|iii  manquât  aii  régpiae  nouveau^  dierebail  è 
h  retrouver  dans  TaacieR  régime;  Tun  reluisait  te  weiUe  Rome» 
Favtrek  vieille  PraMS,  laissant  de  eôté  dans  Fane-  ek  dans  TaiHre 
ee  qû  riBeoiBflM>daÂt,  Tun  Taristocralâe  réywbliea«at„  Kamre  lee 
privilèges  qui  entouraient  et  gênaient  la  royauté* 

Ni  Fan  ni  Taiitre  nf «vaieKt  ^i  graad  toct.  Certea,  aeus  Aneoite, 
f^tle  décadence  de  la  moraMté  et  de  la  vie  ropaaioe  était  u»  mak 
Baas  Tantiquîté,  les  sooîélés  vepo^ent  tentée  sur  la  natienalilé» 
w  la  foi,  les  institutions  ^  les  mœurs  de  €lia<|yie  pays ,  les  natî^iialft* 
tts  étrangères  i  Roaie  avait  été  vaincue^,,  la  naïkNialité  romaiaa 
Micpsat  à  son  uiur,  quel  liea  reslait^il  a»  monde?  Ce  fÊoblèam 
V'Augosie  fat  loin  de  résoudre,  en  cberehant  à  r-elever  les  mœiurs 
Mumiea^  tourmeAta>Ie  monde  quaise  aièeles  du^rsuUi. 

L*ea^eprise  étaitdifieile;  Aa^^ste,  f^^ennooayQpréseiKkecomme 
l^eaneaiî  des  îastituAiens  de  la  répablique,  chercbaii  des>  questeui^ 
des  tribuns,  des  candidats  ^x  chaiies  répubUcaiiies,  etn*en  trovH 
vaiipas:  si  qcie^|«^*iis dans iUme  était  Romaim,  c*é9aiit  k^seuL 

B  entYeprit  la  restanratiei^de  la  vieille  Rome  axée  ieirteeahiéra«* 
Aieu  Uvoiahil  qiiele  lilre  de  citeiea  rimiani  ne  fiMjplus  prodîgné» 
H  q«e  ie  febm  des  provinces  n'inondit  plus  la  eité  romaine*. 
\m  ihéAire,  il  v^ului  foire  i evivA*  UMiiétm  les  djatiaeiione  amiqcee^ 
linon  le  prenaiec  bisne  atu  séoat^Mipa,  les  auivans  au  dwva* 
mm,  aégunky^lmmm  wmié$émMVMmm^  lea*  adnltee  àm 


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188  RETUB  DBS  DEUX  MONDES. 

enfansy  les  citoyens  des  affranchis,  les  Romains  des  étrangers,  les  p 
hommes  en  manteau  de  ceux  qui  portaient  la  toge.  D  vit  un  jour 
toute  une  assemblée  vêtue  de  cette  ignoble  pœnula  qui  simulait 
la  toge  ou  dispensait  de  la  porter.  Voilà  donc,  s*écria-t-il,  en  rapp^ 
lant  ironiquement  une  parole  du  poète  : 

a  Rorcanos  rerum  dominos  gcntomqiie  togatam.  d 

Mais  ce  n'était  rien,  il  fallait  relever  la  moralité  romaine,  restrein- 
dre le  luxe  bien  autrement  dangereux,  alors  qu*il  n*y  avait  pas 
d'industrie;  rebâtir  les  temples,  doter  les  pontifes,  réhabilterle 
mariage  qui  semblait  prêt  à  passer  de  mode  :  voilà  où  la  vieille 
Rome  avait  mis  sa  force,  et  hors  de  là,  en  effet,  quels  principes  de 
force,  de  moralité ,  pouvait-on  lui  connaitre? 

Mais  c'est  là  aussi  que  le  siècle  résistait  davantage  :  Auguste  en- 
richissait les  collèges  de  prêtres,  dotait  les  vestales,  et  cependant 
les  vestales  lui  manquaient.  Nul  citoyen  romain  n'offrit  sa  fille  pour 
une  place  vacante,  il  fallut  descendre  aux  filles  d'affranchis:  Au- 
guste jura,  dans  sa  colère,  que  si  ses  petites-filles  n'eussent  pas 
passé  l'âge,  il  les  aurait  présentées  ;  Julie,  a-t-on  observé,  eût  fiiit 
une  étrange  vestale. 

Mais  la  grande  plaie  du  temps ,  c'était  le  célibat.  L'antiquité  igno- 
rait ou  ne  subissait  pas  la  loi  fatale  de  Malthus;  ce  fut  toujours  la 
dépopulation  qu'elle  craignit  pour  les  états;  le  mariage ,  sans  être 
pourtant  un  joug  bien  lourd  et  peut-être  même  parce  qu1l  pesait 
peu,  était  un  joug  que  tout  le  monde  repoussait.  Au  bout  de  quel- 
ques années,  de  quelques  mois,  on  quittait  sa  femme,  on  quittait 
son  mari  pour  en  prendre  un  autre.  César  eut  trois  femmes,  Au- 
guste quatre  ou  cinq;  chacun  des  membres  de  sa  famille  fut  marié 
cinq  ou  six  fois;  mais  le  célibat  semblait  plus  commode  encore,  et 
joint  à  la  débauche,  à  la  diminution  de  la  culture,  au  luxe  égoïste 
des  familles  riches ,  il  dépeuplait  l'Italie. 

Ce  ne  fut  qu'à  la  fin  de  sa  vie,  quand  sa  politique  fut  bien  affer- 
mie, qu'Auguste  osa  demander  au  ^nat  des  lois  qui  ne  nous 
sont  connues  que  par  fragmens,  mais  dont  l'ensemble  formait  un 
système  qui  paraîtrait  aujourd'hui  bien  étrange;  elles  faisaient  des 
célibataires  comme  une  classe  d'ilotes  qui  ne  pouvaient  ni  recueiWr 
un  legs,  ni  remplir  une  charge;  du  mariage  et  de  la  paternité,  ua 
mérite  suréminent  qui  dispensait  de  tous  les  devoirs  pénibles,  qui 


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LES  CÉSARS.  189 

attirait  toutes  les  fevenrs.  Ainsi,  d*an  c6té,  les  anciennes  lois  re- 
nouvelées contre  Tadultère,  le  divorce  restreint;  de  Tautre,  le 
mariage  commandé  et  honoré  :  c'était  pour  les  mœurs  tout  ce  que 
les  lois  avaient  à  faire  dans  le  cercle  étroit  de  leur  pouvoir. 

A  ces  efibrts  pour  une  restauration  officielle  de  Tantiqnité  ro- 
maine, à  ces  désirs  du  maître ,  naquit ,  en  réponse ,  un  concert 
de  louanges,  d'espérance,  de  moralité  et  de  sentimentalité  ro- 
maine, enfantées  par  toute  la  flatterie  de  ce  temps-là,  par  toute 
la  cour  poétique  du  César.  Il  ne  faut  pas  nous  étonner  s*il  ne  crai- 
gnait pas  les  souvenirs  de  Tancienne  histoire,  s*il  permettait  à  ses 
poètes  de  célébrer  le  noble  trépas  et  Vatroce  courage  de  Caton, 
siraijriculture  des  vieux  Sabins,  si  les  fastes  de  la  Rome  quirinale, 
si  toute  la  mythologie  de  la  Rome  païenne  étaient  les  sujets  de  leurs 
chants;  s'il  pardonnait  à  Tite-Live  ses  sympathies  pour  la  liberté 
aristocratique  de  Tancienne  Rome,  et  se  contentait  en  riant  de 
rappeler  Pompéien  :  c'est  que  dans  le  fond,  fl  n'avait  point  à  défen- 
dre le  parti  de  César. 

Cest  une  merveille  comme  tous  les  beaux  esprits  de  ce  temps  se- 
condèrent à  leur  manière  cette  réaction  religieuse  et  morale,  qu'Au- 
guste voulait  comme  d'autres  l'ont  voulu  dans  une  position  pareille, 
parce  qu'après  tout  possible  ou  impossible,  la  position  le  conseillait 
aux  autres  et  à  lui.  Pendant  qu'au  sénat,  il  lisait  le  discours  du 
vieux  Métellus  de  proie  creanday  (témoignage  qui  prouvait  au 
reste  combien  étaient  anciennes  les  anciennes  mœurs,  et  comme  de- 
pu's  long-temps  on  se  lamentait  sur  leur  décadence),  pendant  qu'il 
écrivait  sur  la  table  d'airain  où  il  rendait  compte  de  sa  vie  publi- 
que :  cr  J'ai  proposé  à  la  république  les  exemples  oubliés  de  nos  an- 
cêtres, j>  son  Horace  et  son  Ovide  devenaient  de  vrais  Romains. 
9  Rétablis  donc,  écrivaient-ils,  6  fils  de  Romulus,  si  tu  ne  veux  ex- 
^  pier  innocent  les  crimes  de  tes  ancêtres,  rétablis  les  temples 
«  écroulés  de  tes  dieux,  et  leurs  statues  noircies  de  fumée:  soumis 
«  aux  dieux,  tu  règnes  sur  le  monde;  oubliant  les  dieux,  tu  as  ap- 
«  pelé  des  maux  affreux  sur  la  malheureuse  Italie.  Erydne,  riante 
«  Vénus,  mère  de  notre  César;  chaste  Diane,  toi  qui  donnes  de  glo- 
^  rienx  enfans  aux  épouses  fidèles  ;  Apollon,  dieu  du  soleil,  puis- 
«  ses-ta  dans  ta  course  ne  voir  rien  de  plus  beau  que  notre  Rome! 
<  Dieux  puissans,  si  Rome  est  votre  ouvrage,  donnez  des  mœurs 
c  pures  à  la  docile  jeunesse;  à  la  vieillesse,  donnez  un  paisible  re- 


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^ù  REVUE  DIKS  MUX  «ONDES. 

a  pos;  aax  fils  deRomaluA,  dooneBlapuMsancet,  IftfiéieDiiditéetlt 
9  gloire.  Déjà  la  foi,  déjà  la  paix,  déjà  la  bienséanee  et  raaiiqiia 
a  pudeur  reviennent  parmi  nous  avec  la  vertu  si  loa^tamps  négiK 
a  gée  ;  les  maisons  sont  devenues  chastes ,  U  a*y  a  ph»  d'aéukère^ 
g  les  lois  et  les  mœurs  ont  détruit  Tinfaioe  débauche  ;  il  a*y  a  pas  d& 
9  ailles  sans  châtiment,,  et  les  mèras  se  glorifient  d'enfans  semUib* 
Q  blés  à  leurs  époux«  ^> 

La  littérature,  dit-on,  est  Teipressioii  de  la  société  :  rhommeoHK 
la  femme  d*esprit  qui  a  imaginé  «elte  maxime  ne  pensait  pas  sans 
doute  à  cette  candeur  patriarcale  delà  littérature,  à  cette  poési0 
de  rage  d*or  dans  un  sîède,  dont  nous  aUona  chercher  à  montrer  la 
réalité.  Déjà,  quand  Tltalie,  dévorée  par  la  guerrecivife,  n'avait  plus 
de  bras  pour  culti^^eir  ses  champs  et  domer  du  pain  à  ses  popahh 
lions  errantes,  quand  le  peu  qui  reslait  de  laboureurs  étaient 
chassés  de  leurs  chawps  pat  les  e0filurioiis,  pendant  que  les  viUei 
de  rÉtrurie  étaient  eft  femme  e«  «e»  campagnes  désertes,  que  disait 
la  littérature  : 


Tityre,  tu  patnlae  recubans  sub  termine  fagi. 


Voilà  comment  la  littérature  réfléchit  la  soeiélé^ 
Si  vous  voulez  savoir  qjisel  était  ce  siàde ,  voyez  ce  qai  se  passât 
entre  Auguste  et  lui;  il  y  avait  une  lutte  entre  le  prince  et  Room*. 
Les  patriciens,,  depuis  loog^tamps  accoutumés  à  regarder  eonms 
iaviolable  la  douce  liberté  du  célibat,  avaient  jeté  un  cri  de  terreur 
à  la  vue  des  lois  matrimoniales  qui  kuir  étaient  imposées;  pendant 
les  jeux  publics,  les  chevaliers  interpeUèreat  Auguste  d'adondr  sa 
loi,  et  pour  défendre  leur  célibat,,  ils  lui  cttèreat  fièrement  rexeoip 
pie  des  vestales,  q  Si  vous  vous  aulorWez  de  leur  es^emple,  virez 
comme  elles ,  »  leur  répondit-nl  :  puis  il  leur  montra  les  fife  de  Gtf  « 
ïwanicns,  Torgueil  de  sa  famiUe  et  1  eqpoîr  de  Tempire.  B  hii  felfait 
cependant  concéder  quelqjue  chose  au  sénat  „  qui  ne  s^ancemmodait 
ni  de  la  pureté  des  restâtes^  ni  de  la  chaste  palernilé  de  Genm-* 

Cette  loi  contre  le  célibat^  qui  portât  cependant  le  nem  de  deas 
consuls  célibataires ,  ne  fut  (|ur'une  preuve,  et  il  y  en  a  taat  d*aiiirafr 
de  limpuissance  des  pouvoirs  piiUics  sur  les  mceiura.  AugMteen 
vint  lui-même  à  plier  devant  la  licence  de  son  tenips»  et  anus  Tibère 
ces  lois  sibeltes,  dmi  Moniiiiiqdw  faii  Vélogs,  éimm  AtM  fm^ 


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U8  GiSAM*  fit 

■i0ilatBMiaK>dUié60.  QoelepJMiTtireil^pradoo^^  IKm^ 
fUreyies-oombieB  peu  Aupnit  «•  fifaidt  obéir  ;€oitibieo  H  eit  wai 
4ii*il  n'y  a  ai  «m  (enps  ni  i»  pays  quîne  «aelM  s'iimrgtr  lonqa*a« 
Vattaye  daaa  co  cpi'it  aime!  Sm  aidMraUa  paraâla,  son  poèia 
Horaee,  ayait  biMi  pu  ehamar  <r  la  loi  maritale,  jk  dépbrer  «ru^mècb 
fécond»  «riaies,  qui  amfit  ioaHlé  ba  vÉriagea,  las  hnilkis,  b 
Tîeux  aang  ronmin^  »  H  avait  faieo  ^  chanlar  RaflM,  ranmie  lom  i 
aoap  à  11^  d'or  par  la  M  Pappia  I\)ppea(leaaoin8  de8<d0«x  eom* 
Mb  «élibatairet  );  ma»  aa  iwfl^)kiitaiioa  pour  Auguste  a'écaic  pat 
aBée  aa-^elà  dos  paroles,  ea  um  on  latiitfr  Tanstàre  Torta  dao 
feauBoa  {peffanaîiiosy  «  qaî  ne  so Aaal|ia3  à  un  briHaat  aéducieur,  a 
iln'^tarildoveiiMiiifidèlem  àkiteliaCUoé,  siàlairoMpefMoBa^ 
rine,  m  à  riaooastaate  Lydie,  ai  A  tant  d'iewtres  beUeo  filles  da 
f  Asie,  dont  Rome  était  pleine,  qui  faisaient  trembler  les  mères 
poar  lowra  Als»  et  poar  qtn  Tépoaso  i  paiae  Bsariéa  était  abandon- 
aéo  par  soa  épona. 

Et  AngiMaa  loi-mèa»,  ee  réIssTBMilswr  de  la  via  pwMiqiie ,  ce  pré» 
ffet  des  OMBiars  (maj tsier  momm.),  oanme  il  a'était  fiit  appefer  so« 
lenneHeaMil,  ne  savait-^s  pao  ses  nmiagoa  et  ses  divorces?  H 
Oaudia»  œtloeaiant  qa^  avait  éponséo  par  pcriitifae^  renvoyée 
prosqae  la  Joar  même,  parce  «pfM  avait  itaqpa  avec  sa  baUa<- 
mère;  tê  seo  «nion  précipitéte  airec  livie,  qto*i  avait  enlevée  «»- 
œittto  A  aott  mari;  ecfépoiÉ9edaliibère<qu*ill')avait  lorcéde  ré»- 
padior,  eaeeiate  également,  pour  mettre  an  lie«  d'elle  inUe,  sa 
peUio-fifie;et  tons^los  marlagsa  qa'iè  avait  noois  on  brisé»  isiail 
gti,  dans  son  impodiqué  AlaiHet M'appisMKlissait^oa  pas  as  thAft^ 
tleA  des'ifflasiOBStoaftreaeaaHaura^imsavaît-^afMtthsinCnm 
dasa  jaiussaee,  ai  ne  lisai^oa  pa»  las  ittisibtes  reproches  qu'An* 
taioe  lui  adressa  dans  ai0  leHre  presqaaamicBie?  Et  ne  searnive»» 
Bai-on  paa  que  cepioax  eestanraténr  de  la  rdqpoa avait  figné 
époBottdans  unefimoa^A  sas «nis*etsc»-osiirtisaiis avaient r6pré>* 
aiaté  t#iit:  l'Olympe? 

El  même,  tandis  qa* Auguste» vîen  etachcwata artgae  d'aae 
prospérité  nioiâe,  travaiMâ  ainsi  A  la  rtfbime  des  mœurs,  quels 
aenia  répéimt  la  tfoulè  «a  ibMtve ,  quels  noass  lisaia^dle  aflficMs  a« 
Forum?  Ceux  des  amans  des  deux  iuKss,  sa  petile^le  etsaiëei; 
leurs  désordres  étaient  publics,  qu'Auguste  les  ignorait  encore. 
Cétaient  elles  pourtant  qu'il  avait  élevées,  comme  d^antiques  Romair> 


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1^  RBVOB  BE8  DEUX  MOriDES. 

nesy  à  filer  la  laine  et  à  rester  à  la  maison  (  domi  mansù,  lanam  fecii); 
c*étaient  elles  dont  il  avait  foit  consigner  dans  un  journal  toutes 
les  actions  et  toutes  les  paroles,  afin  qu'elles  apprissent  à  les  ré* 
gler,  qu*il  avait  éloignées  tellement  des  étrangers ,  qu*il  écrivait  à 
un  jeune  patricien  :  a  Tu  as  commis  une  indiscrétion  en  allant  vi- 
siter ma  fille  à  Baia.  »  Ses  petits-fils  avaient  reçu  de  lui-même  leur 
première  instruction,  y  compris  la  natation  et  Talphabet;  il  s*était 
même  attaché  (  chose  bizarre  )  à  ce  qu*ils  sussent  contrefaire  soa 
écriture.  Il  ne  soupait  jamais  sans  les  avoir  couchés  au-dessous  de 
lui  ;  en  route  ils  marchaient  devant  lui ,  ou  se  tenaient  à  cheval  au- 
près de  sa  litière.  Par  des  adoptions,  par  des  divorces,  par  des 
mariages,  tout-puissant  dans  sa  fomille  comme  dans  la  république, 
il  avait  arrangé  à  lobir  et  en  toute  satisfaction  les  combinaisons 
de  sa  dynastie. 

Mais  il  y  a  une  fetalité  contre  les  combinaisons  de  ce  genre;  oe 
sont  comme  les  pactes  de  famille  dans  les  états  modernes.  La  mort 
et  rinfomie  se  mirent  dans  la  dynastie  des  Césars.  Pendant  que  ses 
deux  petits-fils  lui  étaient  enlevés  en  dix-huit  mois,  Auguste  était 
obligé  de  punir  de  mort  leur  propre  confident,  de  renfermer  son 
fils  adoptif  Agrippa,  ame  vile  et  insolente;  de  mettre  à  mort  un 
de  ses  plus  chers  affranchis  qui  avait  séduit  des  femmes  romaines; 
mais  rien  ne  Taccabla  comme  les  désordres  des  deux  Julies;  3 
s*en  plaignit  au  sénat,  non  par  lui-même,  mais  par  une  lettre  dont 
il  chargea  un  questeur;  il  n'osa  se  montrer  au  dehors,  il  pensa 
feire  mourir  sa  fille  :  elle  avait  une  affranchie  qui,  compromise 
dans  les  fautes  de  sa  maîtresse,  se  pendit  de  désespoir.  <r  Que  n*étais- 
je  plutôt,  disait  Auguste,  le  père  de  cette  Phébé  1  o  Sa  fille,  reléguée 
dans  une  tle,  fut  privée,  par  ses  ordres,  de  tout  bien-être  dans  sa  vie, 
de  toute  communication  avec  le  dehors  ;  il  fallut,  avant  qu*il  Tautori- 
sàt  à  voir  personne,  qu*on  lui  donnât  un  signalement  du  visiteur: 
son  âge,  sa  figure,  et  jusqu'aux  signes  particuliers,  comme  disent 
nos  passeports,  quitus  corporis  notis  tel  cicatricibus,  tant  il  craignait 
qu'un  de  ses  amans  n'arrivât  jusqu'à  elle.  Sa  petite-fille,  après  sa 
condamnation,  eut  un  enfant,  il  défendit  qu'on  relevât.  Ces  deux 
femmes  et  Agrippa  étaient  Tobjet  de  sa  perpétuelle  douleur  ;  fl  n'y 
pensait  pas  sans  s'écrier  avec  le  poète  : 

Mieux  vaut  vivre  sans  épouse  et  mourir  sans  enfaos. 


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IBS  CÉSARS.  195 

Dent  soin,  par  son  testament,  de  les  exclure  d'avance  de  son 
tombeau,  et  quand  le  peuple,  moins  sévère  et  moins  romain  que 
lui,  osa,  après  cinq  ans,  demander  leur  rappel,  il  lui  répondit  par 
cette  imprécation  :  a  Je  vous  souhaite  de  pareilles  femmes  et  de  pa- 
reiUes  filles,  i» 

Ainsi  s'achevait  cette  triste  fin  d'un  beau  règne ,  cette  doulou- 
reuse vieillesse  compromise  dans  une  lutte  inégale  contre  son 
temps,  et  qui  avait  fini  par  le  mettre  en  hostilité  avec  son  pays, 
avec  sa  fomille,  avec  lui-même.  César  et  lui  avaient,  comme  cela 
n'est  que  trop  fréquent,  poussé  tour  à  tour  trop  loin  deux  prin- 
cipes contraires;  César,  méconnaissant  ce  que  Tesprit  romain  avait 
encore  de  puissance,  avait  voulu  faire  une  Rome  cosmopolite,  la 
faire  grecque,  gauloise,  espagnole,  tout  plutôt  que  romaine,  flé- 
trir son  sénat,  se  jouer  de  ses  institutions,  le  traiter  enfin  comme, 
après  le  18  brumaire,  Bonaparte  pouvait  traiter  la  république 
avortée  de  l'an  m.  Auguste,  et  cela  est  toujours,  éprouva  la  réac- 
tion de  ce  mouvement,  il  se  fit  ultra-romain,  soutint  de  la  main 
raristocrat'eméme,  si  pesamment  écroulée;  voulut  relever,  sinon 
la  foi,  du  moins  les  temples,  faire  une  Rome  romaine,  comme  l'avait 
déjà  tenté  Sy lia. 

n  ne  faut  pourtant  pas  se  tromper,  ni  méconnaître  l'étonnante 
puissance  de  ce  génie  romain  :  les  combinaisons  d'origine  et  de 
position  qui  avaient  donné  son  caractère  et  son  individualité  essen- 
tielle à  une  petite  peuplade  italienne  campée  dans  les  marais  du 
Tibre,  avaient  certainement  produit  un  des  plus  miraculeux  phé- 
nomènes de  la  nature  de  l'homme.  La  forme  gouvernementale,  qui 
est  sans  aucun  doute  la  plus  puissante  pour  imprimer  aux  choses 
on  caractère  de  grandeur,  d'accroissement  et  de  durée,  l'aristo- 
cratte  une,  despotique,  héréditaire,  mais  en  même  temps  sansr 
cesse  rafraîchie,  et  renouvelée  dans  les  rangs  du  peuple,  était  née 
de  ce  caractère  si  un  et  si  homogène  à  lui-même,  mais  doué  aussi 
d'une  force  si  grande  d'abstraction  et  d'absorption.  Il  y  a  eu  quel- 
que chose  de  tout  cela  dans  l'aristocratie  d'Angleterre,  dans  la  no- 
blesse de  Venise,  .dans  le  sénat  de  Berne,  institutions  qui  ont  été 
d'une  longue  vie  et  d'une  grande  puissance,  parce  qu'elles  ont  eo 
l'unité  de  l'homme  sans  avoir  sa  courte  durée. 

Mais  au  temps  dont  nous  parlons ,  l'aristocratie  romaine  ne  sub- 
sistait plus;  les  plus  grandes  familles  étaient  éteintes  ou  perdues  de 

TOMB  VII.  13 


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194  RETUB  DBS  D£VX  MONDES. 

dettes;  an  teaips  de  Qaude,  il  ne  restait  presque  pas  dscdes  que 
César  ou  Auguste  avait  élevées.  L*ataiosphère  de  cette  époque 
comme  celle  de  la  n^tre,  était  peraicieuse  i  toute  aristocratie;  les 
familles  patriciemies  redevenaient  peuple  et  rentraient  li  d'où  ^ 
étaient  sorties.  Un  Scaurus  était  marchand  de  charbon»  oom 
avant  leur  élévation,  c'est-à^lire  peut-être  trois  siècles  auparavant, 
les  Ciecilius  étaient  bouchers.  Chose  remarifiiable  et  curieuse  qie 
ce  mouvement  des  familles  I 

En  outre  la  grande  base  des  institutions  romaines,  la  foi  reG- 
gieuse  manquait.  La  révolution  religieuse  de  ce  siècle  n*est  pas  ea- 
core  bien  comprise;  nous  n*avons  pas  le  temps  de  la  développer 
ici,  quoiqu'elle  soit  un  des  plus  notaUes  phénomènes  de  Tesprit 
bumain.  Disons  seulement»  et  ceci  mériterait  d*étre  s^rofoadi, 
que  rantiquité  avait  toujours  compris  une  religion  non  comme  in 
dogme ,  mais  comme  une  coutume  ;  non  comme  une  vérité  abstraite 
et  générale,  mais  comme  une  loi  du  pays,  comme  une  portion  de  laaa- 
tionalité;  il  en  résulta  que  le  monde  entier  étant  réuni  sous  les  méats 
l<»s,rantagonisme  des  peuples  étant  remplacé  par  une  alliance  oUi- 
gée,  les  nationalités  tombant,  les  religions  tombèrent  avec  elles;  le 
Grec  n*eut  plus  de  croyance  dès  qu'il  cessa  d*étre  Grec;  le  Ro- 
main n*eut  plus  de  dieux  quand  sa  Rome  devint  cosmopolite.  De  là 
le  scepticisme  et  l'incrédulité  au  temps  de  César. 

Au  temps  d'Auguste  (  et  cela  devait  être }  commença  une  réac- 
tion; Auguste  l'aurait  bien  voulu  romaine,  mais  cela  n'était  pas 
possible.  Elle  fut  vague,  ubiquiste,  indéfinie  :  quand  toutes  ks 
nations  se  rapprochaient  par  la  vie  sociale  et  par  la  pensée,  l'idée 
d'un  dieu  romain  ou  d'un  dieu  grec,  la  croyance  d'un  Jupiter 
olympien  ou  d'un  Jupiter  capitolin,  le  dogme  de  la  nationalité  des 
dieux,  si  naïvement  exprimé  dans  la  prière,  ou  plutôt  dans  h 
sommation  peu  respectueuse  que  les  Romains  adressaient  aux  dieox 
d'une  ville  assiégée  :  cr  Dieu  de  cette  ville,  que  tu  sois  homme,  oa 
que  tu  sois  femme,  sors  de  la  ville,  et  viens  avec  nous;  b  tout 
cela  devenait  évidemment  trop  absurde.  Au  lieu  des  dieux  de  la 
nation,  on  chercha  les  dieux  du  genre  humain;  on  les  prenait 
à  rÉgypte,  à  la  Syrie,  à  la  Judée;  partout  on  empruntait  qad" 
que  divinité,  quelque  pratique,  quelque  purification,  quelque 
prière.  Ce  fut  le  plus  superstitieux  de  tous  les  siècles.  Les  Usto- 
riens  n'écrivent  pas  deux  pages  sans  parler  d'an  présage»  d'une 


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LBS  CiSARfl.  19S 

prédietkm,  on  dfjOfBOoge.  Rome  eroyait  à  tout,  excepté  aux  dieux 

de  Rome. 
Et  cependant  (c'est  pour  en  arriver  là  qne  nons  venons  d'in- 

difuer  tant  de  fait»  qui  mériteraient  bien   d'autres  développe- 

mens),  le  nom  romain,  les  institutions  romaines,  la  puissance  que 
ce  nom  et  ces  soHventrs  prêtaient  à  cette  machine  vermoulue,  à 
cet  arbre  sans  racine  que  soutenait  son  propre  poids,  tout  cela 
dora  au-delà  de  toutes  les  limites  qu'il  eût  été  raisonnable  de  loi 
assigner.  Toof  cela  dura  quatre  siècles ,  contre  des  ennemis  de 
tout  genre,  contre  les  barbare»,  contre  les  peuples  de  rempire, 
contre  la  philosophie,  contre  le  christianisme,  tant  il  y  avait  là 
une  vertu  primitive,  ime  force  de  durée  et  de  vie.  Merveil- 
leux chef-d'œuvre  de  l'esprit  humain  I  privée  de  son  principe, 
n'étant  ^s  animée  de  son  esprit,  sans  l'aristocratie  qui  était  son 
bot,  sans  la  foi  qui  était  sa  base,  la  Rome  de  l'aristocratie  sacer-» 
dotale  dura  long-tenqps,  et  laissa  au  moyen-ège  ses  monumens, 
sa  langue ,  son  droit ,  et  Rome  une  seconde  fois  reine  du  monde. 
Cest  que  dans  le  sénat  même,  si  abaissé  malgré  les  efforts  d'Aur 
guste  pour  le  relever,  on  se  sentait  toujours  les  héritiers  de  Taris- 
tocratie  andenne,  et  qu'on  savait  encore  se  faire  révérer  par  les 
sotfvemrs.  —  C'est  que  le  peuple  si  vil,  si  frivole,  si  dégénéré,  ee 
peuple  du  cirque,  du  théâtre,  voulait  être  encore  le  peuple-roi,  se* 
révoltait  parfois,  commandait  atrx  Césars,  les  sifflait  ou  les  applau- 
dissait comme  des  acteurs,  leur  proclamait  ses  volontés  entre  les 
facéties  d'un  bouffon  et  les  combats  des  gladiateurs,  et  chassé  du 
Forum  régnait  au  théâtre.  Cest  que  les  légions  (objet  digne  d'une 
étude  toute  particulière)  formaient  dans  le  peuple  un  peuple  à  part, 
bien  autrement  romain,  qui  avait  une  foi  et  un  culte,  le  cuhe  êe 
ses  aigles,  auxquelles  vous  savez  qu'on  offrait  des  sacrifices;  que 
dans  l'armée  on  servait  souvent  toute  la  vie,  et  que  le  fils  y  suc- 
cédait au  père  :  véritable  nation  militaire  d'où  sortirent  jusqu'aux 
derniers  jours  de  l'empire  des  hommes  de  trempe  romaine,  dès 
Probus,  desStrKcon,  hommes  rudes,  sévères,  antiques,  souvent 
d'origine  barbare ,  mais  Romains  de  cœur.  C'est  qu'enfin  les  prd- 
Tînees  eltes-mémes,  frappées  de  tant  de  grandeur  et  de  souvenirs, 
voyaient  moins  avec  haine  qu'avec  envie,  crainte  et  admiration, 
rédfice  sans  base  delà  nationalité  romaine,  et  songeaient,  non  à  la 
détruire,  mais  à  y  pénétrer. 

13. 


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196  RBTUB  DBS  DEUX  MONDES. 

Ainsi  se  balançaient  dans  Tempire  Tantiquité  rcmiaine  et  la  paû- 
sance  des  mœurs  nouvelles ,  la  nationalité  restaurée  par  Auguste 
et  le  cosmopolitisme  introduit  par  César.  —Rome  était  si  grande, 
et  son  nom  si  puissant,  que  Ton  ne  demandait  pas  mieux  que  d*étre 
Romain,  pourvu  que  cela  ne  génAtpas  (ce  qui  est  le  patriotisme  de 
bien  des  pays  et  de  bien  des  époques) ,  pourvu  que  Ton  n*eût  ni  une 
table  moins  somptueuse,  ni  des  vases  moins  beaux ,  ni  de  moins 
belles  courtisanes;  s*il  ne  s'agissait  que  de  porter  la  pourpre 
comme  consul,  ou  de  brûler  un  peu  d* encens  aux  pieds  de  Jupiter 
Capitolin,  ou  d'étaler  à  la  suite  d'un  brancard  funèbre  les  images 
poudreuses  de  ses  aïeux ,  on  était  Romain. 

Mais  il  aurait  fallu  aller  plus  loin,  il  aurait  fallu  que  les  ricbes, 
pour  faire  vivre  les  pauvres,  se  résignassent  à  vivre  comme  eux.  La 
question  du  luxe  était  tout,  il  s'agissait  entre  la  vieille  Rome  et  la 
Rome  cosmopolite  d'une  vaisselle  d'étain  ou  d'une  vaisselle  d'or, 
d'une  robe  de  laine  ou  d'une  robe  de  soie  (ce  qui  était  un  déshon- 
neur pour  un  homme,  ne  vesiis  setica  liros  fœdaret.  Taqte.),  d'une 
matrone  romaine  à  respecter  ou  à  séduire  (les  affranchies  et  les 
étrangères  étaient  toujours  licites),  d'un  faisan  ou  d'unattagen  de 
moins  sur  la  table,  d'un  souper  de  200  sesterces  (38  fr.  6J  c), 
comme  le  prescrivait  Auguste,  ou  d'un  souper  de  400,000  sesterces, 
comme  le  faisait  Vitellius. 

Pour  juger  sainement  cette  question,  il  faudrait  bien  comprendre 
toute  l'antiquité.  Le  luxe  ne  pouvait  être  pour  elle  ce  qu'il  est  pour 
nous,  un  échange  de  travaux  et  de  richesses  entre  la  classe  ou- 
vrière et  la  classe  opulente,  plus  ou  moins  utile  à  l'état,  plus  ou 
moins  avantageux  à  la  classe  inférieure,  mais  enfin  portant  avec 
Jni  quelque  compensation  du  mal  qu'il  peut  faire  ;  la  population  ou- 
rrière  était  esclave,  ne  possédant  que  par  grâce  un  salaire  quel- 
conque de  son  travail,  ne  pouvant  proportionner  aux  besoins  et 
aux  circonstances  ni  son  prix,  ni  ses  produits,  n'étant  animée  enfin 
ni  par  la  concurrence,  ni  par  le  courage  que  la  liberté  donne,  ni 
par  l'espoir  de  la  fortune.  Ce  que  nous  appelons  industrie,  n'était 
qu'un  service  d'esclave  à  maître,  un  office  domestique  forcément 
accompli  ;  ce  que  nous  appelons  commerce  n'était,  chez  les  Romains, 
qu'une  usure  dévorante  pour  le  pauvre;  l'industrie  libre  date  des 
corporations  chrétiennes  au  xi*  siècle,  le  commerce  moderne  date 
des  croisades. 


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LES  CéSARS.  197 

Dans  cet  état  de  choses,  ragriculture  était  la  seule  ressource  de 
la  population  libre  et  inférieure  ;  mais  tout  ce  qui  était  donné  au 
luxe  y  était  pris  sur  elle,  et  la  multitude  des  esdaves  s'augmentant 
avec  tous  les  autres  genres  de  luxe,  une  grande  partie  des  terres  de 
lltaHe  ne  fut  plus  cultirée  que  par  eux.  Les  lois  somptuaires  n'étaient 
donc  ni  tellement  inutiles,  ni  si  mal  entendues,  et  ce  ne  sont  pas  du 
tout  des  déclamations  poétiques  que  les  invectives  des  écrivains 
contre  le  luxe,  les  efforts  des  législateurs  pour  le  restreindre,  les 
coutumes  sévères  que  cherchaient  à  mettre  en  honneur  ceux  mê^ 
mes  qui  ne  les  pratiquaient  pas. 

Que  devenait  en  effet  la  population  libre  de  1  Italie?  D'un  cAté 
les  guerres  civiles  lui  6taient  ses  terres,  ou  en  la  réduisant  à  la 
misère,  la  rendaient  incapable  de  les  cultiver  de  long-temps;  de 
Tautre,  l'homme  riche  faisait  cultiver  les  siennes  par  des  esclaves, 
ou  mieux  que  cela,  les  changeait  en  parcs,  en  villas,  en  jardins.  Les 
vieilles  races  italiennes,  vers  la  fin  de  la  république,  étaient  pour» 
chassées  de  toutes  parts.  Ces  malheureux  entraient  dans  les  lé- 
gions et  allaient  laisser  leurs  os  aux  extrémités  du  monde,  ou 
bien  ils  gardaient  de  misérables  troupeaux  sur  les  Apennins,  et 
souvent  n'ayant  plus  de  leur  bétail  qu'une  peau  pour  se  couvrir^ 
ils  gagnaient  des  cimes  plus  désertes,  erraient  de  canton  en  can- 
ton, vivaient  de  brigandage,  pères  de  tous  les  bandini  des  Abruz- 
2es  :  c'est  à  ces  hommes-là  qu'un  vieil  Italien  comme  eux,  Catilina^ 
en  homme  habile,  avait  donné  le  signal  de  leur  liberté,  et  c'est 
leur  présence  et  leur  situation  qui  expliquent  l'importance  de  cette 
coiquration  de  quelques  jeunes  gens  contre  l'empire  romain.  Les 
plus  heureux  afOuaient  dans  Rome  pour  y  vivre  mendians  et  oisifs 
de  la  vie  du  peuple  romain  :  mais  n'arrivait  pas  à  Rome  qui  vou- 
lait; et  toute  cette  Italie  enfin,  réduite  à  trois  ou  quatre  mille  riches^ 
dievaliers  ou  sénateurs,  à  deux  ou  trois  millions  de  plébéiens  dans 
la  viDe  de  Rome,  à  un  ou  deux  millions  peut-être  de  cultivateurs 
libres,  à  une  multitude  sans  nombre  et  sans  nom  d'étrangers,  d*escla-  ^ 
ves,  d'affranchis,  de  barbares,  de  soldats,  d'usuriers, dé  Juifs,  de 
Chaldéens,  de  magiciens  d*Égypte,  de  Grecs  surtout  (Grœculi).  qui 
dierchaient  fortune  de  toutes  mamères,  et  qui  tous,  à  défaut 
d'autre,  prenaient  l'Italie  pour  patrie  et  pour  nourrice;  ce  beau 
pays  en  arriva  à  Tincontestable  malheur  de  ne  pouvoire  suffire  à  seç 
pruniers  besoins ,  et  de  demander  du  blé  à  la  Sicile;  puis,  la 


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199  REVUE  DBS  BB0X  MONDES. 

SicBe  (UfittllMt/  à  VÈgYt^}  puis,  ÉprèÀ  YÈff^,  aux  66te8  afri- 
caines. 

Voilà  à  qsets  mavt  Auguste  Toalut  porter  remède. — Sa  deslioét 
est  une  des  f^s  complètes  qne  le  moiid^  ait  Toes;  sonverain  Kbre 
et  paifflide  de  Tunirers  civilisé,  il  vécnt  ce  qa1l  ftdlatt  de  temps 
pour  voir  une  génération  nouvelle,  ignorante  des  souvenirs  a»- 
denSy  succéder  à  la  génération  que  Pbarsale  et  Acttum  avaient  dé* 
dmée.  Son  règne  fùt  un  temps  de  repos  entre  la  guerre  civile  et 
les^  tyrans  y  un  moment  où  tous  les  anciens  partis  disparurent  sans 
qu'il  s*en  formât  un  nouveau,  où  tous  les  peuples  conquis  accep- 
tèrent la  conquête,  où  tous  les  peuples  barbares  du  dehors  furent 
repousses,  et  comine  si  le  monde  eût  eu  besoin  de  se  reposer  pour 
se  préparer  à  un  nduvel  ordre  de  destins,  comme  si  Virgile  avait 
eu  raison  de  saluer  le  nouvel  âge  sibylfin  et  les  mois  de  la 
grande  année  qui  allait  nattre,  Auguste  ferma  le  temple  de  Janus^ 
et  Dieu,  pour  la  prenoulère  fois,  donna  la  paix  à  tout  l'Occident 
civilisé. 

Au  milieu  de  cette  gloire ,  Auguste  naviguait  doucement  entre  les 
lies  du  golfe  de  Naples  (bien  phis  beaux  alors  que  le  Vésuve  nn 
jetait  pas  de  lave  sur  ses  rivages),  se  reposait  dans  ces  belles  dtés^ 
écoutait  des  flatteries  et  des  poèmes,  voyait  folâtrer  avec  une 
douce  joie  de  vieillard  la  jeunesse  grecque  dans  ses  gymnases, 
causant,  riant,  plein  de  gaieté,  lorsque  la  douleur  l'avertit  qpie  sa 
mort  était  prochaine;  il  prit  alors  un  miroir,  s'arrangea  les  che- 
veux, et,  tourné  vers  ses  amis,  leur  dit  comme  les  acteurs  i  la  fin 
du  spectacle  :  cr  N'ai-je  pas  bien  joué  le  mime  de  la  viet  montres* 
TOUS  codtens  et  applaudissez,  j» 

Pour  comprendre  les  empereurs  romains,  il  ftiut  avoir  bieii 
étu4ié  Auguste  et  Tibère;  le  premier  donna  i  1  empire  sa  fonai 
légale;  il  en  fit,  psw*  abst  dire,  le  droit  public:  le  second  M 
donna  la  puissance  réelle,  parce  qu'abandonnant  les  traditkMis 
romaines  et  les  teiÉtadves  de  resuuration  auxcfoelles  Augusi» 
s'était  attaché,  il  chercha  aWeurs  le  fondement  du  povroir  d'ml 
seul.  Tibère  seul  et  sa  poiitiqlie  rendent  explicables  rincreyaM^ 
puissance  et  l'incroyable  sécuriiè  de  ses  successeurs. 


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LES  HIEROGLYPHES 


ET 


LA  LANGUE  ÉGYPTIENNE, 


▲  PAOPOS 


DE  LA  GRAU  MAIRE  DE  M.  CHAHPOLUON.' 


Les  anciennes  écritures  de  l'Egypte,  qui  de  tont  temps  ont  été  l'objet 
é'iine  rire  cariosité,  ne  figuraient  encore  dans  nos  musées  que  pour  une 
Men  faible  part  à  la  ira  du  siècle  dernier.  Depuis  cette  époque,  de  riches 
collections  d'antiquités  égyptiennes  nous  sont  venues  des  rives  du  Nil;  le 
Louvre  a  tu  se  former  un  musée  nouveau ,  consacré  tout  entier  à  l'Egypte 
^autrefois;  et  bientôt  un  obélisque,  enlevé  aux  ruines  de  Thèbes,  se 
dressant  sur  une  de  nos  places,  va  nous  montrer  f écriture  sacrée  des 
Egyptiens,  les  hiéroglyphes  employés  à  la  décoration  de  nos  monumens 
pobKcs. 

Parmi  les  objets  précieux  pour  la  science,  dont  l'Europe  s'est  enrichie 

fl)  Nm»  ft*rroM  pat  batotai  de  ilgiMler  à  r«t«Qiitfoii  eét  arUdte  d'iii  en  bomoMt  qui, 
ftf  le«r  étude  approfondie  de  la  langue  copte,  aont  do  très  peUt  nombfe  ém  joget  eott« 
féieaf  à  écouter  dana  oae  <Hieation  aiaai  difiklle^lMéreaanCe.  Noua  voidrionaaiirtMt 
mener  la  critique  savante  à  discater  devant  un  public  moina  restreint  ces  problèaes 
dbnt  les  conséquences  historiques  sont  faites  pour  attacher  tous  les  esprits  éclairés.  De 
quel  intérêt  ne  serait-il  pas  d*entendre  en  un  sens  différent  Topinion  des  autres  critiques 
»M»raHmM€ftiBBtpollfoii,  eeBedtaiMy,d^ttIietioinieT       (fV^cKKAi 


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rSOO  RBVUB    DBS  DBUX  MOlfDBS. 

depuis  un  petit  nombre  d'annéeSy  se  trouve  une  pierre  noire  portant  one 
triple  inscription.  Elle  est  connue  sous  le  nom  de  pierre  de  Rosette,  parce 
qu'elle  fut  trouvée  par  un  ingénieur  français  dans  les  environs  de  la  ville 
de  Rosette.  Enlevée  aux  savans  qui  accompagnaient  notre  armée  d'Egypte, 
elle  figure  aujourd'hui  dans  le  musée  britannique.  Cette  pierre  offre  à  a 
partie  supérieure,  qui  est  fracturée,  quatorze  lignes  d'écriture  hiérogly- 
phique; au-dessous  de  cette  première  inscription  il  en  existe  une  deuxième 
beaucoup  plus  longue,  en  caractères  égyptiens  cursifs,  appelés  caractères 
vulgaires  ou  démotiqnes:  enOn,  la  partie  inférieure  est  occupée  par  une 
inscription  grecque  plus  longue  encore,  au  moyen  de  laquelle  nous  appre- 
nons que  les  trois  inscriptions  ne  sont  qu'un  même  décret  tracé  en  carac* 
tères  et  en  langages  différons. 

Si  de  tout  temps  on  avait  considéré  l'écriture  hiéroglyphique  comme 
purement  idéographique,  c'est-à-dire  comme  n'ayant  aucun  rapport  di- 
rect avec  la  langue  parlée,  on  avait  toujours  aussi  regardé  l'écriture  égyp- 
tienne vulgaire  comme  procédant  par  les  mêmes  moyens  que  nos  écritures 
ordinaires  européennes.  C'était  une  bonne  fortune  que  la  découverte 
d'une  inscription  égyptienne  alphabétique.  Bien  des  essais  furent  tentés 
pour  retrouver  l'alphabet  égyptien.  Un  savant  suédois,  M.  Akerblad,  dé- 
montra d'abord  que  les  noms  étrangers  étaient  susceptibles  d'une  lecture 
analogue  à  celle  de  nos  écritures;  mais  l'alphabet  qui  résulta  de  l'analyse 
des  noms  propres  étrangers  n'eut  aucune  prise  sur  le  texte  égyptien. 
Toutes  les  tentatives  de  déchiffrement  demeurant  infructueuses,  leséra- 
dits  renoncèrent  bientôt  à  marcher  plus  long-temps  dans  cette  voie.  lU 
y  étaient  entrés  convaincus  que  l'écriture  égyptienne  vulgaire  était  al- 
phabétique comme  la  notre;  ils  la  quittèrent  emportant  des  doutes  nou- 
veaux, et  se  demandant  de  quelle  nature  pouvait  être  cette  écriture  vul- 
gaire. 

Cependant  l'alphabet  obtenu  par  la  lecture  des  noms  propres  renfer- 
mait, comme  nous  allons  le  voir,  le  germe  d'une  brillante  découverte.  Un 
savant  anglais,  le  docteur  Young  (1) ,  reprenant  cette  pierre  de  Rosette 
abandonnée  depuis  quelque  temps,  se  mit  à  rechercher,  par  une  opération 
toute  matérielle ,  et  à  comparer  entre  elles  les  expressions  des  mêmes 
idées  dans  les  trois  textes.  Il  reconnut  promptement  que  dans  une  foule 
de  cas,  et  surtout  dans  les  noms  propres  étrangers,  les  caractères  du  texte 
,  vulgaire  n'étaient  autre  chose  que  des  abréviations  des  caractères  hiéro- 
glyphiques. La  conséquence  obligée  de  cette  remarque  était  que  la  mé- 
thode, pour  exprimer  les  noms  propres  étrangers  dans  l'écriture  hiéro- 
glyphique, pourrait  bien  être  analogue  à  celle  dont  faisait  usage  l'écritore 

(I)  Yoyef ,  dans  U  UvraiM»  dn  15  décenOtre  18» ,  TarUcto  inr  Toom,  par  M.  Aii«a. 


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LES  HIÉROGLYPHES  ET  LÀ  LARGUE  ÉGYPTIENNE.      201 

vulgaire.  Le  docteur  Young  tenta  donc,  sur  le  nom  de  Ptolémée,  le  seul 
qui  fût  conservé  dans  le  texte  hiéroglyphique,  ce  qui  avait  été  tenté  avec 
succès  par  M.  Akerhald  sur  les  noms  propres  du  texte  vulgaire.  On  sent 
combien  peu  de  ressources  doit  offrir  un  seul  nom  pour  arriver  à  une 
analyse  exacte.  Le  docteur  Young  rencontrant  juste  pour  le  fond,  c'est-à- 
dire  reconnaissant  Texpression  phonétique  des  noms  propres  étrangers,  se 
trompa  dans  quelques  détails;  Falphabet  qu'il  forma,  incomplet,  inexact, 
resta  inapplicable. 

Vint  alors  M.  ChampoUion,  qui  donna  la  vie  à  une  découverte  demeu- 
rée stérile,  et  qui,  la  fécondant  par  un  principe  auquel  n'avait  point  songé 
le  savant  anglais,  étranger  aux  études  philologiques,  lui  fit  produire  les 
résultats  les  plus  importans,  les  plus  inattendus.  Remplaçant  l'alphabet 
informe  de  son  devancier  par  un  alphabet  certain,  riche,  complet,  il  nous 
montra  les  noms  de  rois  grecs,  ceux  des  empereurs  romains,  sur  des 
monumens  que  l'on  avait  toujours  regardés  comme  remontant  à  la  plus 
haute  antiquité. 

L'on  a  voulu  faire  du  docteur  Young  et  de  M.  ChampoUion  deux  rivaux 
se  disputant  une  même  découverte;  c'est  une  erreur,  comme  il  est  facile 
de  s*en  convaincre.  Quelles  sont,  en  effet,  les  prétentions  du  docteur 
YouDg?  Nous  les  trouvons  consignées  dans  les  dernières  pages  sorties  de 
sa  plume,  dans  la  préface  de  son  dictionnaire  démotique  :  a  Ce  fut  alors  que, 
dit-il  dans  une  lettre  adressée  à  l'archiduc  Jean  d'Autriche,  pour  la  pre- 
mière fois  il  fit  connaître  l'identité  originelle  desdifférens  systèmes  d'écri- 
ture employés  par  les  anciens  Égyptiens,  observant  qu'on  peut  reconnaître 
dans  le  nom  enchorial  (  en  écriture  vulgaire  )  de  Ptolémée  une  imitation 
éloignée  (loose)  des  caractères  hiéroglyphiques  dont  se  compose  le  même 
nom.  J'ai  étendu  ensuite  la  même  comparaison  au  nom  de  Bérénice.  » 
Quelle  est,  d'un  autre  côté ,  la  découverte  revendiquée  par  M.  Champol- 
lion?  Ce  n'est  point  d'avoir  reconnu  que  l'écriture  vulgaire  n'est  qu'une 
tachygraphie  des  hiéroglyphes;  ce  n'est  point  d'avoir  cherché  dans  les 
cartouches  ( petits  encadremens  elliptiques)  des  noms  écrits  alphabéti- 
quement de  même  que  dans  récriture  vulgaire,  mais  seulement  «  d'avoir 
fixé  la  valeur  propre  à  chacun  des  caractères  qui  composent  ces  noms,  de 
manière  que  ces  valeurs  fussent  applicables  partout  où  ces  mêmes  carac- 
tères se  présentent  (1).  » 

Ainsi,  avoir  démontré  que  les  écritures  sacrées  et  vulgaires  sont  de  même 
nature,  voilà  la  part  qu'il  n'est  point  possible  de  contester  au  docteur 
YouDg,  et  c'est  la  seule  qu'il  réclame.  Cette  identité  de  nature  entre  l'é- 
crîtare  hiéroglyphique  et  l'écriture  démotique  conduisait  naturellement  à 

fi)  PrécU  du  Si/iUme  hiéroglyphique,  deuLièma  édiUon,  pag.  ti. 


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nSYUB  «M  DBOX  MOHBSS. 

enayer  ^r  \m  noms  de  l'intcriptioii  hiéroglyphique  les  procédés  de  ke- 
tore  employés  psr  M.  Miorhla4  sor  rinscripUoD  démeiique. 

Jwir  fixé  la  valenr  prêpre  à  chucmt,  des  caractères  h  ^agli^hiq^eg  fsé 
eamposeni  les  noms  propres,  mlà  la  part  que  réclame  M .  Chatnpollion,  et 
qoe  personne  ne  lai  conteste,  il  n'y  a  point  ici  découverte  disputée  :  il  y  t 
deux  déconcertes  tout-à-fait  distinctes.  Celle  du  savant  français  est  venue 
après  celle  de  M.  Yoong;  mis  elle  n'en  est  point  une  oonséqœoee 
ohligée. 

J*arrive  aux  premiers  résultats  de  la  découverte  de  Talphabet  des  hié- 
roglyphes phonétiques.  ll«  Champollion,  en  lisant  au  milieu  des  sculp- 
tares  hiéroglyphiques  les  noms  des  empereurs  de  Rome ,  a  ranrtené  ea 
deçà  du  point  initial  de  Tère  chrétienne  des  constructions ,  des  décort- 
tiens,  qui  difléraient  assez  peu  des  sculptures  les  plus  anciennes  pour  que 
des  personnes  hahiles,  des  savans  distingués,  les  aient  considérées  comme 
vieilles  de  plusieurs  milliers  d'années.  Par  les  noms  d'Auguste  et  de  Ti- 
bère écrits  sur  ses  murailles  en  caractères  hiéroglyphiques,  le  temple  lie 
Dendérah  avee  son  sodiaque  est  revenu  se  placer  dans  les  premières  as- 
nées  de  notre  ère;  par  ceux  d'Adrien,  deTrajan,  d'Antooin,  le  petit 
temple  d'Ësné,  égaleoieiit  décoré  d'un  zodiaque,  est  redescendu  jusque 
dans  la  première  moitié  du  second  siècle;  et  par  ceux  de  Septime-Sévére, 
de  Caracalla,  de  Géta,  le  grand  temple  d'Esné,  offrant  on  zodiaque  de 
même  que  les  deux  précédens,  s'est  trouvé  ramené  jusque  dans  la  première 
moitié  da  m*  sièele*  Et  ce  n'est  pas  seulement  sur  la  lecture  des  nomi 
étrangers,  au  moyen  de  l'alphabet  phonétique,  que  s'appuient  tons  ces 
d^alaoemens.  Des  recherches  d'un  autre  ordre  ont  rendu  la  démonstration 
complète.  D'une  part,  MM.  Huyot  et  Gau,  portant  l'œil  de  Tarehitecte  sur 
les  monumens  de  l'Egypte,  avaient  assigné  à  chacun  d'eux  l'âge  précisé- 
ment que  leur  donnent  les  lectures  de  M.  Champollion,  avant  de  savoir 
que  l'on  fit  aucune  lecture  sur  ces  monumens.  D'un  autre  côté,  M.  Le- 
tronae  se  trouvait  conduit  aux  mêmes  résultats  par  les  nombreuses  in- 
scriptions grecqnes4racées  sur  les  temples  égyptiens.  D'après  ces  inscrip- 
tions il  nous  appreMitt}ue,  vers  la  fin  du  ii«  siècle,  les  Égyptiens  tenaîeitf 
encore  à  décorer  Ie4  murs  de  leurs  temples  de  ces  mêmes  sculptures,  de 
oes  hiéroglyphes  si  Bwltipltés  dont  ils  les  recouvraient  dans  de  plus  anciens 
temps. 

Des  rascriptions  lûérogiyphiques  sculptées  sur  les  temples  égyptiens, 
an  ii«,  au  iii*  siècle  de  notre  ère  »  et  peut-être  plus  récemment  eu'^ere, 
puisque  l'on  trouve  des  édifiées  inachevés  dans  cette  Egypte  snpérieore, 
où  les  antiques  usages  religlevx  4»  paganisme  égyptien  se  sont  mainte- 
nus sans  obstacle  jusque  dans  le  vi*  siècle  :  voilà  un  fait  de  la  plus  haute 
importance,  conuBeaous  sÈk&ÊA  &a  i 


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LES  HIÉRO«LYI«BB  ET  LA  LAIIOUB  ÉGTPTIBNIIE.  9BS 

Vont  possédons  me  langae  égypiienney  désignée  plas  ordfamhreraent 
le  nom  de  langue  copie  :  elle  nous  est  donnée  principalement  par 
des  Tersions  de  l'Ancien  et  du  Nooveao-Testament.  On  a  longnement  et 
savamment  disputé  sur  l'origine  de  cette  langue ,  de  fort  habHes  critiquies 
ont  exanriiié  la  question  sons  toutes  ses  faces.  Un  premier  résultat  de 
leurs  laborieuses  reeherdies,  aujourd'hui  généralement  admis,  c'est  que 
la  langue  copte  est  la  même  que  la  langue  égyptienne  de  l'époque  des 
f4iaraons ,  sauf  les  changemens  que  le  temps  et  d'autres  circonstances 
peuTent  apporter  dans  un  idiome  usuel.  Un  autre  résultat,  c'est  queia 
vernon  copte  de  F  Ancien  et  du  NooTcan-Testament  a  dà  être  faite,  au  plus 
4ard ,  dans  le  conrs  du  second  siècle ,  et  que  cette  yereion ,  qui  a  joui,  dès 
l'origine,  d'une  autorité  égale  à  celle  du  texte  grec,  qu'elle  a  prompte- 
meot  remplacé,  représente  fidèlement  le  langage  desbabitans  de  l'Egypte 
4an8  les  premiers  siècles  de  l'ère  chrétienne.  On  sait  le  caractère  d'im- 
mntabililé  des  livres  sacrés. 

Kotts  avons  donc  la  langue  dont  faisait  usage  la  population  égyptienne 
à  r^>oqoe  oà  Septime-Séyère,  ardent  persécuteur  des  chrétiens  et  pro- 
tecteur zélé  de  l'antique  religion,  faisait  recouvrir  de  légendes  hiérogly- 
phiques le  grand  temple  d'Esné.  Nous  pouvons  désormais  tenter,  avec  es- 
poir de  succès,  l'interprétation  des  hiéroglyphes  qui  recouvrent  les  tem- 
ples d'Esné,  ceux  de  Denderah ,  tons  les  édifices  de  l'époque  romaine  ; 
nous  avons  hi  langue  contemporaine. 

L'objection  la  plus  sérieuse  que  Ton  ait  faite  contre  la  possibilité  d'in- 
terpréter l'écriture  hiéroglyphique,  c'était  ngnoranoe  où  nous  étions  de 
la  langue  an  moyen  de  laquelle  on  exprimait  les  idées  que  rappelaient 
'ses  caractères.  Le  dictionnaire  symbolique  d'Homs-ApoUonnous  apprend 
que  certains  symboles,  outre  les  sens  divers  dont  ils  étaient  susceptibles 
d'après  les  qualités  de  Fobjet  représenté ,  pouvaient  encore  avoir  ud  sens 
dépendant  du  nom  de  cet  objet  ;  de  ce  fait ,  d'Origny,  dans  son  Egypte 
nnctentie,  concluait  que  la  connaissance  de  la  langue  égyptienne  est  in- 
dispensable pour  comprendre  les  hiéroglyphes,  et  que,  cette  langue  ayant 
diangé  avec  le  temps,  les  hiéroglyphes  sont  indéchiffrables,  a  En  effet , 
disait-il,  le  même  caractère  ne  représentant  plus  le  même  mot,  ce  carac- 
tère ne  peut  plus  faire  entendre  ce  que  le  sculpteur  avait  prétendu  qu'il 
signifiait,  d  II  eût  fallu,  suivant  lui ,  connaître  la  langue  épyptienne  de 
chaque  époque  pour  en  interpréter  les  monumens.  D'Origny,  de  même 
que  tons  les  savans  d'alors,  regardait  les  hiéroglyphes  comme  antérieurs 
de  beaucoup  à  l'époque  romaine. 

Plus  tard ,  Zoéga,  dans  son  ouvrage  sur  les  obélisques,  admet  comme 
d'Origny,  et  par  les  mêmes  motifs,  une  étroite  liaison  entre  les  carac- 
tères hiéroglyphiques  et  la  langue  de  la  nation  qui  les  employait  comme 


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904  RBVUB  DES  DEUX  MOHDES. 

écritare;  mais  cette  liaison  fut  pour  lui,  comme  pour  sou  deyancier,  une 
circonstance  qui  compliquait  le  problème,  au  lieu  d'en  avancer  la  solalioi. 
Il  était  luin  de  soupçonner  que  la  langue  copte  fût  contemporaine  de 
l'écriture  hiéroglyphique. 

Cette  langue  va  donc  nous  être  du  plus  grand  secours  pour  rinler- 
prétation  des  légendes  hiéroglyphiques  sculptées  sur  les  temples  par  ceux 
qui  l'ont  parlée.  Disons  plus  »  elle  est  la  seule  voie  possible  pour  arrîTer. 
Je  ne  saurais  mieux  faire  que  de  citer,  à  ce  sujet ,  les  paroles  de  M.  Chaui- 
poliion  lui-même.  Après  avoir  parlé  (  Introduction  de  la  grammaire  é^p- 
tienne  )  des  tentatives  infructueuses  faites  pendant  si  long-temps,  en  de- 
hors de  la  langue  copte,  pour  interpréter  les  inscriptions  hiéroglyphique!, 
il  ajoute  : 

«  Les  études  égyptiennes  ne  pouvaient  compter  sur  aucun  progrto  réel, 
puisqu'on  voulait  parvenir  à  l'intelligence  des  inscriptions  hiéroglyphi- 
ques en  négligeant  précisément  le  seul  moyen  efficace  auquel  pût  se 
rattacher  quelque  espoir  de  succès,  la  connaissance  préalable  de  la  lamgte 
parlée  des  anciens  Égyptiens,  Cette  notion  était  cependant  le  seul  guide 
que  l'explorateur  pût  adopter  avec  confiance  dans  les  trois  hypothèses 
possibles  sur  la  nature  de  cet  antique  système  graphique. 

a  Si ,  en  effet,  l'écriture  hiéroglyphique  ne  se  composait  que  de  signes 
purement  idéographiques,  c'est-à-dire  de  caractères  n'ayant  aucun  rap- 
port direct  avec  les  sons  des  mots  de  la  langue  parlée,  mais  représentant 
chacun  une  idée  distincte ,  la  connaissance  de  la  langue  égyptienne  parlée 
devenait  indispensable,  puisque  les  caractères,  emblèmes  ou  symboles, 
employés  dans  l'écriture  à  la  place  des  mots  de  la  langue,  devaient  être 
disposés  dans  le  même  ordre  logique,  et  suivre  les  mêmes  règles  de  ceii- 
structionque  les  mots  dont  ils  tenaient  la  place;  car  il  s'agissait  de  rap- 
peler à  l'esprit ,  en  frappant  les  yeux  par  la  peinture ,  les  mêmes  combi- 
naisons d'idées  qu'on  réveillait  en  lui  en  s'adressant  aux  organes  du  sens 
de  l'ouïe  par  la  parole. 

<x  Si,  au  contraire,  le  système  hiéroglyphique  employait  exclusivement  • 
des  caractères  de  son ,  ces  signes  ou  lettres  composant  l'écriture  égyp- 
tienne, sculptés  avec  tant^e  profusion  sur  les  monumens  publics,  ne  de- 
vaient reproduire  d'habitude  que  le  son  des  mots  propres  à  la  langue 
parlée  des  Égyptiens. 

a  Eq  supposant  enfin  que  l'écriture  hiéroglyphique  procédât  par  le 
mélange  simultané  des  signes  d'idées  et  des  signes  de  sons,  la  connais- 
sance de  la  langue  égyptienne  antique  restait  encore  l'élément  nécessaire 
de  toute  recherche  raisonnée,  ayant  pour  but  l'interpréution  des  textes 
.  égyptiens.  A 

ta  question  ainsi  posée  d'une  manière  toute  nouvelle  par  la  lecture  des 


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LES  miROGLTPHES  ET  LA  LAKGUE  ÉGYPTIENNE.  205 

noms  royaoz ,  le  problème  si  long-temps  insoluble  du  déchiffrement  des 
hiéroglyphes  laissant  entrevoir  une  solution  non  seulement  possible,  mais 
probable,  mais  prochaine,  on  dnt  songer  à  rénnir  tous  les  élémens  qui  de- 
raient  faciliter,  accélérer  cette  solution;  d'une  part,  tons  ces  monumeos 
déAcorés  depuis  le  commencement  de  Tère  chrétienne,  n'avaient  été,  n'a- 
Taient  pu  être  qu'incomplètement  dessinés.D'un  autre  côté,  la  langue  copte 
ne  nous  était  que  très  imparfaitement  connue,  et  nous  ne  possédions  qu'on 
fort  petit  nombre  de  manuscrits,  dont  la  plupart  avaient  été  rapportés 
d'Egypte  en  1(174  par  Vansleb.  Il  était  indispensable  d'aller  copier  dans 
tous  lenrs  détails  des  monumens  auxquels  chaque  jour  emporte  un  dé- 
bris, et  de  recueillir  dans  les  monastères  qui  les  avoisinent  les  nombreux 
et  précieux  manuscrits  que  tons  les  voyageurs  y  ont  vus  ;  manuscrits  qui 
ne  sont  phis  compris  de  leurs  possesseurs,  et  que  mille  accidens  divers 
peuvent  anéantir  chaque  jour.  Cette  double  mission  appartenait  naturd- 
lement  à  M.  Ghampollion  ,  dont  les  riches  découvertes  en  avaient  fait 
sentir  la  nécessité.  Il  fut  donc  envoyé  pour  arracher  à  la  destruction  et 
livrer  à  la  science  ces  inscriptions ,  dont  le  sens  ne  pouvait  plus  nous 
échapper,  et  les  restes  de  cette  langue  copte,  qui  seule  nous  en  pouvait 
fournir  la  clé. 

Mais  pour  remplir  la  double  mission  dont  il  s'était  chargé ,  il  eût  fallu  à 
M.  Ghampollion  un  tempsdouble  de  celui  dont  il  pouvait  disposer  ;  car  il 
ne  s'agissait  pu  seulement  de  choisir  et  d'acheter  :  maintes  fois  les  moines 
égyptiens  ont  refusé  de  vendre  des  manuscrits  qu'ils  ne  peuvent  lire;  il 
eût  fallu  copier  ce  que  l'on  n'eût  pu  obtenir  autrement.  M.  Ghampollion 
dut  s'occuper  d'abord  des  monumens*  La  moisson  fut  tellement  abon- 
dante, qne  le  temps  fixé  pour  la  durée  du  voyage  était  entièrement  écoulé 
avant  qu'elle  ne  fût  épuisée.  M.  Ghampollion  fut  obligé  de  revenir, 
rapportant  un  portefeuille  riche,  inappréciable,  ayant  fait  tout  ce  qu'il 
était  possible  de  faire  pour  fournir  à  la  question  un  de  ces  deux  élémens 
indispensables,  la  connaissance  exacte  des  écritures^  et  laissant  à  d'autres 
les  fatigues  nouvelles  par  lesquelles  on  pouvait  obtenir  le  deuxième  élé- 
ment, la  connaissance  complète  de  la  langue  copte. 

Privé  d'une  partie  des  moyens  qu'il  avait  lui-même  jugés  nécessaires 
au  succès,  M.  Ghampollion  n'hésita  point  cependant  à  marcher  en  avant- 
n  se  sentait  trop  près  du  but  pour  ne  pas  essayer  de  l'atteindre  à  l'aide 
des  ressources  dont  il  pouvait  disposer.  Placé  naturellement  sons  l'in- 
fluence des  brillans  résultats  que  lui  avait  fournis  la  lecture  des  noms 
propres  par  la  méthode  alphabétique,  il  fut  entraîné  graduellement,  par 
des  rapprochemens  heureux,  par  le  succès  apparent  de  quelques  essais, 
à  considérer  l'écriture  hiéroglyphique  comme  étant  plus  qu'aux  trois 
quarts  de  nature  alphabétique.  Assurément  cette  opinion,  si  contraire  à 


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906  BSTVfi  BBS  DBOX  MONDAS. 

la  ivsiyaiiee  fénértle  de  tous  ks  temps,  avait  de  quoi  aédulee  vd  eipot 
liardi.  Plus  «lie  était  neuve»  pkis  elle  bouleversait  les  idées  oniverseUe- 
BientatolsaSy  plus  ea  devait  espérer  de  gloire  à  la  souteoir.  M.  Gbam- 
poIMMi  emreprît  de  le  fiuire  eu  opposition  avec  tous  les  témoigna^ 
iustaniqMS.  £o  effet,  les  écrivaios  de  Tanliquité  s*accordent  à  nous  dire 
que  réorkufe  htéreglyphique  dif.érait  essentiellemeni  de  notre  méthode 
sÂphaMUiitte;  il  est  vrai  que  tout  en  nous  apprenant  ce  qu'elle  n'était 
pas»  ils  sont  loi^  d'expliquer  aussi  clairement  ce  qu'elle  étalL 

Dîeëope  de  Sicile  »  au  livre  in  de  sa  Bibliothèque  historique,  parle  dci 
caractères  hiéroglyphiques  employés  par  les  Égyptiens.  Après  avoir  dit 
que  ces  caractères  offrent  à  nos  yeux  des  animaux  de  tout  genre,  des 
parties  du  corps  humain,  des  ustensiles,  des  instrumens,  principale- 
ment eeux  dont  font  usage  les  artisans,  il  expose  dans  les  termes  suIym» 
les  mottfli  qui  leur  ont  fait  donner  ces  formes  :  a  Ce  n'est  point,  en  et&t, 
par  r0ÊiÊmhlageé€$êyUabe8  que  chez  eux  l'écriture  exprime  le  diseoun, 
mais  c'est  au  moyen  de  la  figure  des  o^U  rslrocés,  et  par  une  interpré- 
tation méam^horique  basée  sur  l'exercice  de  la  mémoire.  »  Plus  bu, 
après  avoir  donné  divers  exemples  de  celte  manière  d'employer  les  hié- 
roglyphes, il  ajoute  :  a  C'est  en  s'attachant  aux  formes  des  divers  carao- 
tères  qu'ils  arrivent ,  au  moyen  d'un  exercice  prolongé  de  la  mémoire, 
à  reconnaître  par  habitude  le  sens  de  tout  ce  qui  est  écrit.  »  Ce  qu'il  y  a 
de  fort  dair  dans  ces  paroles,  c'est  que  l'écriture  hiéroglyphique  ne  (ior- 
mait  peint  des  syllabes,  c'est-à-dire  qu'elle  ne  se  rattachait  point,  comme 
.notre  écriture,  aux  idées  par  rinlermédiaire  des  sons,  mais  bien  par  la 
forme,  par  la  figure  de  eieè  caractères.  Ce  qui  est  beaucoup  moins  clair, 
c'est  la  manière  dont  ces  figures  exprimaient  les  idées.  On  reconnaît  ce- 
^pendant,  par  les  détails  dans  lesquels  est  entré  l'historien,  qu'une  figure, 
outre  Vdù^  représenté  directement,  pouvait  représenter  métaphori- 
quement ou  d'une  manière  détournée  un  grand  nombre  d'autres  idées; 
€0  qui  est  eonAoraae,  du  reste,  aux  notions  que  nous  fournit  le  diction- 
.aaire  symbolique  d'Homs-Apollon. 

Au  témoignage  de  Diodore,  l'historien  grec ,  j'ajouterai  celui  d'Am- 
jnien  Maicellin,  l'historien  latin.  Cet  écrivain  s'exprime  de  la  maoiére 
suivante  au  sujet  de  l'écriture  hiéroglyphique  :  a  Les  anciens  Égyptiens 
n'avaient  point,  comme  aujourd'hui,  un  nombre  de  lettres  déterminé  et 
d'un  emploi  facile  pour  exprimer  tout  ce  que  peut  concevoir  l'esprit  bu- 
main,  mais  chaque  lettre  représentait  un  mot  et  quelquefois  même  une 
phrase  entière.  »  Cela  est  assez  positif;  Ammien  compare  les  anciens 
procédés  des  Égyptiens  à  ceux  qu'ils  employaient  de  son  temps,  c'est-à- 
dire  à  l'écriture  alphabétique. 
Saint  Clément  d'Alexandrie,  parlant  dans  ses  Mélanges  des  voiles 


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LES  HlÉROGLTMIft  ET  LA  LAMGVB  iGTPTiENNE.  207 

mytténMttdoBl  on  ft'est  phi  souTent  à  entourer  It  fcieoee  pour  n'en  per» 
mettre  l'abonl  qn'atix  iaitiés ,  cUe  f—ie  exemple  de  ces  obaueles  mol- 
tipilés  Tusage  qui ,  de  son  tenps,  e'est'à-dîre  rerg  la  fin  da  ir  siècle, 
régoaiteocorecbez  les  Égyptteus.  L*on  ne  pouvait  atteindre  que  par  des 
degrés  successifs  le  terme  le  plusile? é  de  finstruction,  qui  était  la  science 
des  hiéfoglyplies.  Il  résulte  bien  clairement  de  là  que  la  science  des  hié* 
rogifpbes  n'était  rien  moins  qu'une  chose  ISiciley  et  l'on  pourrait,  avec 
toute  apparence  de  raison ,  affirmer  que  saint  Clément  n'a  point  tu  dans 
les  hiéroglyphes  une  écriture  presque  entièrement  alphabétique.  Il  parle 
cependant  de  l'emploi  des  caractères  hiéroglyphiques  comme  caractères 
alphabétiques.  L'écriture  hiéroglyphique ,  dit-il ,  s'emploie  suivant  deux 
méthodes;  Tune  représente  les  objets  d'une  manière  propre  à  chacua 
d'eux  à  l'aide  des  premiers  élémeoSy  c'est-4-dire  des  lettres  de  l'alphabet  : 
car,  quand  il  s'agit  d'écriture ,  les  premiers  élémens  sont  les  lettres  àè 
l'alphabet;  nous  trouvons,  en  effet,  ces  lettres  désignées  plusieurs  fois 
sons  le  nom  de  premiers  èléfmns  d$  VèerUurê  dans  la  Préparation  évaiH 
géliqne  d'Eusèbe.  L'autre  méthode  représente  les  objets  d'une  manière 
figurée  ou  symbolique;  c'est  celle  dont  viennent  de  nous  parler  DIodore 
de  Sicile  et  AmmienMarcellin.  De  cette  distinction  faite  par  saint  Clé- 
ment, il  résulte  qu'il  a  voulu  signaler  la  méthode  an  moyen  de  laquelle 
on  écrivait  les  noms  étrangers  si  fréquemment  employés  dans  les  déco- 
rations  hiéroglyphiques;  mais  il  est  évident,  par  l'ensemble  du  passage, 
qne  cet  alphabet  hiéroglyphique  phonétique  ne  pouvait  être  qu'un  ac- 
cessoire peu  considérable  du  système  total.  Il  devait  servir  à  exprimer 
des  noms  propres  étrangers,  des  noms  de  peuples,  de  pays,  de  villes, 
des  mots  empruntés  aux  langues'  étrangères ,  quelques  mots  de  la  langue 
égyptienne  elle-même ,  lorsque  pour  représenter  une  action  faite  par  des 
étrangers ,  ou  à  la  manière  des  étrangers ,  on  voulait  éviter  l'emploi  d'un 
symbole  qui ,  rappelant  le  mode  d'action  égyptien ,  pouvait  donner  une 
idée  fausse.  La  pierre  de  Rosette  nous  offre  un  exemple  assez  remarqua- 
ble de  l'expression  alphabétique  d'un  mot  égyptien;  il  est  question 
d'écrire  le  décret  en  lettres  sacrées,  en  lettres  vulgaires  et  en  lettres  greo- 
q«es  ;  un  même  symbole ,  rappelant  les  procédés  d'écriture  employés  par 
les  Égyptiens,  se  trouve  répété  deux  fois  pour  exprimer  les  lettres  sa- 
crées et  les  lettres  vulgaires  de  l'Egypte;  mais,  comme  la  méthode 
récriture  des  Grecs  diUérait  complètement  de  celle  des  Égyptiens,  quand 
il  s'agit  d'exprimer  les  lettres  grecques,  ce  n'est  plus  le  symbole  précé- 
dent que  l'on  emploie,  c'est  le  mot  lettres  y  emprunté  à  la  langue  égyp- 
tienne qee  Ton  écrit  à  la  manière  alphabétique.  Les  symboles  égyptiens, 
nppelant  à  la  fois  une  action ,  et  la  manière  de  faire  cette  action,  il  aura 
f tlki  recourir  à  la  méthode  alphabétique  toutes  les  fois  que  Pon  aura 


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206  &ETT7E  DBS  DEUX  MONDES. 

voulu  faire  abstractioQ  de  la  manière  d'agir,  et  rappeler  seulement  son 
résultat.  Quelque  eitension,  cependant ,  que  Ton  donne  à  l'emploi  de 
cette  méthode  y  on  sent  qu'il  sera  toujours  fort  limité,  puisqu'il  n'est 
qu'une  addition  faite  après  coup  au  système  égyptien  par  suite  des  rap« 
ports  de  i'É^ypte  avec  les  étrangers.  Le  texte  de  saint  Clément  d'A- 
lexandrie ne  favoriserait  donc  pas  plus  que  ceux  des  autres  écrivaias 
l'opinion  qui  attribuerait  à  l'écriture  hiéroglyphique  une  nature  presque 
entièrement  alphabétique. 

Plutarque,  qui  ne  s'est  point  occupé  du  système  graphique  des  Égyp- 
tiens, dit  quelque  part  à  propos  du  nombre  vingt-cinq,  que  ce  nombre 
est  celui  des  lettres  égyptiennes.  Il  dit  ailleurs  que  l'ibis  tient  le  premier 
rang  parmi  les  lettres  des  Égyptiens ,  mais  il  ne  dit  pas  un  mot  de  l'usage 
que  1*00  faisait  de  ces  lettres,  ni  de  l'importance  du  rôle  qu'elles  pouvaient 
jouer  dans  le  système  de  l'écriture  égyptienne.  Il  n'y  a  donc  pas  de  raisoo 
pour  voir  là  autre  chose  que  l'alphabet  hiéroglyphique  dont  nous  veooni 
de  parler  à  l'occasion  de  saint  Clément,  d'autant  plus  que  saint  Clé- 
ment et  Plutarque,  les  seuls,  parmi  les  écrivains  de  l'antiquité,  qui 
aient  parlé  d'hiéroglyphes  employés  à  la  manière  de  nos  lettres  alphabé- 
tiques, nous  ont  conservé  l'un  et  l'autre  le  seul  exemple  connu  d'écriture 
hiéroglyphique  analysée,  et  que  cet  exemple  procède  exclusivement  par 
la  méthode  symbolique. 

Si  donc  chez  les  apteurs  anciens  on  a  trouvé  l'indication  de  la  méthode 
alphabétique  employée  pour  écrire  les  noms  étrangers,  on  n'y  saurait 
trouver  de  même  que  l'écriture  hiéroglyphique  était  d'une  nature  près* 
que  exclusivement  alphabétique;  bien  loin  de  là,  l'opinion  adoptée  par 
M.  Champollion  est  en  opposition  directe  avec  tous  les  témoignagrs  de 
l'antiquité.  Cette  circonstance  nous  rendra  naturellement  plus  sera- 
puleux  dans  l'examen  des  preuves  alléguées  à  l'appui  du  système  noa- 
veau  ;  cependant  il  ne  faudrait  pas  les  condamner  sur  ces  seuls  indices; 
il  n'est  peut-être  pa$  impossible  que  tous  les  auteurs  qui  nous  ont  parlé 
de  récriture  hiéroglyphique  se  soient  mépris  sur  sa  nature. 

La  mort  n'a  point  permis  à  M.  Champollion  de  publier  lui-même  les 
résultats  de  ses  longues  recherches,  les  principes  qu'il  avait  déduits  de 
ses  immenses  travaux ,  sa  Grammaire  égyptienne^  qui  est,  dit-on,  le  ré- 
sumé complet  de  tout  son  système.  Cette  grammaire  n'est  point  encore 
tout  entière  entre  les  mains  du  public.  La  première  moitié  seulement  i 
paru;  mais  cette  moitié  suffit  pour  que  Ton  puisse  apprécier  le  système 
tout  entier,  et  l'apprécier  sans  injustice.  L'auteur,  s'écartant  de  la  mar- 
che ordinairement  suivie  dans  les  grammaires,  a  mis  avec  profusion  dans 
cette  première  partie  de  longues  phrases  hiéroglyphiques,  empruntées 
aux  monumens  de  toutes  les  époques ,  depuis  les  temps  les  pius  reculés 


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LES  BIÉR0GLTPHE8  ET  LA  LANGUE  ÉGYPTIENNE.      209 

jaiqo*aa  ni«  siècle  de  notre  ère;  et  toutes  ces  phrases  sont  accompagnées 
de  leur  traduction  complète.  Nous  pouvons  donc  juger  la  méthode  nou- 
velle par  ses  résultats ,  par  les  applications  qu'en  a  faites  l'auteur  lui- 
méine.  La  juger  ainsi  n'est  pas  difficile;  nous  savons  que  la  langue  copte 
était  la  langue  de  l'Egypte  aux  premiers  siècles  du  christianisme;  voilà 
notre  pierre  de  touche.  La  nouvelle  méthode  sera  bonne  dès  qu'elle  pourra 
lire  car  les  temples  d'Esné,  sur  ceux  de  Denderah ,  des  mots ,  des  phrases 
appartenant  à  la  langue  copte  qui  fut  contemporaine  de  ces  monumens. 
Tout  système  de  lecture  qui ,  essayé  sur  les  édifices  dont  nous  parlons , 
ne  reproduira  ni  les  mots,  ni  la  syntaxe  de  cette  langue ,  ne  pourra  pré- 
tendre à  aucune  confiance.  M.  ChampoUion  nous  l'a  dit  lui-même,  dans 
la  langue  copte  est  la  seule  démonstration  possible  de  la  bonté  d'une  mé- 
thode de  lecture  appliquée  aux  inscriptions  hiéroglyphiques;  Nous  par- 
tiroBS  de  ce  point. 

Autant  que  l'on  en  peut  juger,  M.  ChampoUion  a  fait  les  premiers 
essais  de  sa  méthode,  non  point  sur  les  monumens  de  l'époque  romaine, 
mab  sur  les  édifices  réputés  les  plus  anciens.  Trouvant  là,  par  ses  lec- 
tures, des  résultats  fort  différons  de  la  langue  copte,  il  s'est  expliqué  le 
peu  de  ressemblance  par  la  grande  antiquité  des  textes  qu'il  traduisait. 
«  Il  n'existe,  dit  «il  dans  l'introduction  de  sa  grammaire,  aucune  langue 
qui,  comparativement  étudiée  sous  le  rapport  orthographique,  à  deux 
épo^es  aussi  distanies  que  celles  qui  séparent  les  textes  appelés  coptes 
de  la  plupart  des  textes  égyptiens  hiéroglyphiques,  ne  présente  des  va- 
riations et  des  changemens  bien  plus  notables  encore.  x>  Mais  si  la  plupart 
des  lextes  hiéroglyphiques  sont  d'une  haute  antiquité,  il  reste  aussi  de 
nombreux  monumens  de  l'époque  romaine,  et  ceux-là  sont  contemporains 
de  la  langue  copte.  Il  est  donc  présumable  que  ces  différences  si  notables 
dues  à  l'action  des  siècles  vont  s'effacer  peu  à  peu  à  mesure  que  nous 
allons  arriver  à  des  monumens  plus  voisins  de  notre  époque ,  d'abord  aux 
édifices  construits  et  décorés  sous  la  domination  grecque  et  à  la  pierre 
de  Rosette  en  particulier,  puis  à  ceux  des  premiers  temps  du  christia- 
nisme, et  enfin  que  la  différence  sera  nulle,  ou  presque  nulle,  quand 
nous  arriverons  aux  décorations  hiéroglyphiques  exécutées  sous  Trajan, 
Septioie Sévère,  Caracalla,  Géta.Ehbien!  nullement.  Les  différences  no- 
tables que  reconnaît  M.  ChampoUion  demeurent  exactement  les  mêmes  à 
toutes  les  époques,  et  les  lectures  faites  sur  les  temples  d'Ësné,  couverts 
de  leurs  légendes  hiéroglyphiques  au  iii*  siècle  de  notre  ère,  diffèrent 
tout  autant  de  la  langue  copte,  contemporaine  de  ces  édifices,  que  les 
lectures  faites  sur  les  plus  anciennes  murailles  dcThèbes.  L'influence  des 
siècles  n'est  donc  pour  rien  dans  ces  différences.  La  conséquence  à  la-' 
quelle  on  serait  conduit  par  Tappllcation  de  la  méthode  nouvelle,  c'est 

TOME  TU.  14 


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910  UTI»  BBS  nSDX  MORMSa. 

qu'il  y  avait  ea  Egypte,  au  iii*  siède  de  l'ère  chrétienne ,  deux  langmi, 
différant  très  notablement  Tune  de  rautre,  tant  pour  les  mots  que  pour 
lasyntaxe,  dont  Tune,  absolnmeùt  inconnue  jusqu'à  nos  jours,  s'eah 
ployait  sur  ks  moaumenSy  tandis  que  l'autre,  la  langue  copte,  était i 
l'osage  de  la  population.  Mais  où  est  la  démonstration  de  FezisteDce 
d'une  langue  monumentale  différente  de  la  langue  copte ,  ailleurs  qae 
dans  la  certitude  de  la  méthode  qui  l'a  f^it  découvrir?  où  peut  être  h 
certitude  de  la  méthode  nouvelle,  ailleurs  que  dans  l'identité  des  résul- 
tats qu'elle  fournit  avec  la  langue  copte  que  nous  eonnaissons  ?  La  mè* 
tbode  ne  saurait  être  démontrée  par  la  chose  nouvelle  qu'elle  nous  fait 
connaître ,  en  même  temps  que  cette  chose  nouvelle  serait  démontrée  par 
la  méthode.  Je  me  hâte  de  dire  que  M.  Champollion,  tenant  les  yesx 
constamment  ixés  sur  les  monumens  pharaoniques,  n'a  point  été  cob- 
duit  comme  nous  à  voir  deux  langues  contemporaines;  il  a  vu  seulemeot 
deux  états  d'une  même  langue,  dont  l'un,  celui  que  nous  connaissoDS 
(l'égyptien  moderne,  la  langue  copte),  ne  différait  de  l'autre,  qn'il  ap- 
pelle l'égyptien  antique,  que  par  suite  de  l'action  des  siècles.  Mali 
la  conséquence  à  laquelle  nous  sommes  arrivés  est  forcée;  elle  ressort  de 
tous  les  exemples  cités  dans  la  grammaire  de  M.  Champolltoo. 

Comparons,  en  effet,  avec  la  langue  copte  les  traductions,  que  nous 
donne  l'auteur,  des  inscriptions  de  l'époque  romaine;  vous  allez  voir  «la 
diférence  n'est  pas  suffisante  pour  qu'il  faille  reconnaître  dans  ces  tra- 
ductions une  langue  tout-à-flàit  nouvelle.  Nous  rencontrons  d'abord  qb 
groupe  que  M.  Champollion  lit  eniety  et  qu'U  traduit  par  Dieu:  mais 
dans  les  livres  coptes,  Dieu  n'a  jamais  été  rendu  autrement  que  par  noirff. 
Un  autre  groupe  est  lu  par  M.  CbampoUioo  tfe  ou  etf,  et  rendu  par  le 
mot  père:  mais  pour  représenter  l'idée  père,  la  langue  copte  ne  conaatt 
pas  d'autre  mot  queidl.  Un  troisième  groupe,  connu  pour  représeoter 
l'idée  roi ,  est  lu  par  la  nouvelle  méthode  sohI  oo  sontea ,  tandis  qoe  la 
langue  copte  n'admet  pas  d'autre  expression  pour  ridée  roi  que  ovn», 
erro.  Un  quatrième  groupe  qui  répond  à  l'idée  fih ,  est  lu  par  M.  Cbam- 
poUoB  5t  ou  s«,  tandis  que  la  langue  copte  n'a  point  d'autre  met  que 
schiriy  schirê.  Sans  nous  arrêter  à  citer  des  mots  isolés,  ce  qui  nouseoo- 
djuirait  à  reprendre  en  détail  tous  les  groupes  lus  par  M.  Champolliooi 
citons  des  phrases  entières.  Sur  le  pronaos  d*Esoé,  dont,  comme  doos 
l'avons  dit ,  les  sculptures  portent  le  nom  de  Septime  Sévère ,  M.  €ham- 
polUon  lit  cette  phrase  :  Der  chet  enter  eiterpe  peu ,  qu'il  traduit  ainsi,  H 
aux  autres  dieux  de  ce  temple.  Â  l'^uxplk»  de  erpe ,  mot  réeUetneat 
oopte,  mais  qui  n'est  point  obtenu  au  moyen  de  la  nouvelle  méthode, 
puis<|u*il  répond  à  un  caractère  symbolique ,  rien  dans  cette  lecture  a'a 
le  moindre  rapport  avec  la  langue  que  l'on  pafl«it  e»]âgypte  «y  tempsde 


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LES  HliROGLTJPimS  BT  LA  LAHGDB  ÂGYPTIENNE.  2tl 

SepCtee-fiénrère  ;  pour  obtenir  la  traduction  ci-deisas ,  il  eAt  fallo ,  dans 
eeite  laogneyineitm  kenaute  eniepeUrpe.  Sor  le  même  pronaosM.  Oham- 
y<dlion  Ut  encore  :  pti  iMi^ri  tfe  ênnenier^ et  tradoit»  le  fiU  ehérif  Vaille 
eu  ftr%  des  étenx:  mais  pour  traduire  de  la  sorte,  il  faudrait  lire  en  lan- 
gue copte  9  pschere  emmerii  pscherpemmUe  ente  peiAi  êimeHOUiê,  Tous 
een  amtSyjMi,  otfai,  ife,  ênitr,  sont  complètement  étrangers  aux  vocabu- 
laires coptes  y  et  la  construction  de  la  phrase  n*a  pas  le  moindre  rapport 
«vec  la  syntase  égyptienne.  Noos  pourrions  citer  de  même  toutes  les 
autres  phrases  empruntées  aux  sculptures  des  temples  d'Esné,  celles  qui 
appartiennent  aux  temples  de  Deuderah;  chaque  citation  nous  obligerait 
à  répéter  les  observations  que  nous  venous  de  faire.  Que  Ton  examine 
dans  la  grammaire  elle-même  toutes  les  traductions  d'inscriptions  ^- 
^rlenant  à  l'époque  romaine ,  et  que  l'on  ne  s*en  laisse  point  imposer  par 
les  caractères  employés,  qui  sont  bien  réellement  des  caractères  coptes, 
on  verra  qu'elles  ne  contiennent  pas  un  seul  mot  copte,  pas  un  seul,  ob- 
tenu au  moyen  de  la  nouvelle  méthode;  et  que,  quand  il  se  rencontre ,  «e 
qui  est  rare,  quelque  mot  de  cette  langue  que  Ton  parlait  en  Egypte  au 
u«  siècle  de  notre  ère ,  il  répond  à  un  caractère  symbolique  sons  lequel 
M.  Champollion  place  le  nom  copte  de  l'idée  qu'il  est  supposé  représen- 
ter. L'examen  des  fcagmens  empruntés  à  Tinscription  de  Hosette  nous 
donne  absolument  les  mêmes  résultats.  Enfin ,  la  langue  copie  ne  se  r«- 
trouve  pas  sur  les  monumens  de  l'époque  pharaonique  plus  que«ur  ceux 
de  répoque  grecque  et  de  l'époque  romaine.  Où  donc  est  la  démonstra- 
tion que  devait  nous  fournir  la  langue  copte,  et  que  seule,  de  l'aveu  de 
M.  Champollion,  elle  pouvait  nous  fournir?  Nous  obtenons  par  les  .pro- 
cédés de  lecture  qui  nous  sont  proposés  une  langue  nouvelle,  qui,  loin 
de  pouvoir  démontrer  la  certitude  de  ces  procédés,  aurait  besoin  elie- 
«éme  d'être  démontrée.  Dés  cet  instant  la  nouvelle  méthode  est  jugée. 
Le  sens  d'un  grand  nombre  de  caractères  et  de  groupes  hiéroglyphi- 
ques a  pu  être  déterminé  d'une  manière  certaine,  indépendamment  de 
toute  leeture  :  c'est  là  ce  qui  a  égaré  M.  Champollion.  Profondément 
convaincu  à  prUtri  de  rexcelleoce  de  ses  procédés,  il  est  arrivé  à  étendre 
sur  le  mode  de  lecture  une  certitude  qui  ne  s'appliquait  qu'à  la  significa- 
tion. On  sait  la  prodigieuse  élasticité  de  l'art  des  étymologistes;  au  moyen 
de  c^t  art,  il  est  aisé  de  rattacher  bien  ou  mal  le  premier  mot  venu  à 
quelque  radical  ayant  à  peu  près  le  sens  dont  on  a  besoin;  et  cela  est 
d'autant  plus  facile,  que  la  langue  sur  laquelle  on  opère  est  plus  impar- 
faitement connue.  Eh  bien  !  c'est  dans  la  voie  des  étymologies  que  s'est 
engagé  M,  Champollion ,  pour  rattacher  sa  langue  nouvelle  à  la  langue 
copte;  c'est  par  des  rapports  étymologiques  qu'il  a  cru  masquer  les  diffé- 
rences profondes  que  nous  avons  signalées.  Ces  rapports  l'ont  séduit; 

14. 


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212  RBVDE  DBS  DEUX  MONDES. 

nous  le  coDcevooSy  il  est  Tautear  de  la  méthode  DoaveUe.  Mais  noos  qn 
examinons,  libres  des  préoccupa tioos  par  lesquelles  il  se  trourait  dominé, 
tous  ces  rapprochemeos,  quelque  ingénieux  qu^ils  soient,  ne  sauraient  oooi 
faire  illusion,  et  nous  rejetons  un  système  qui  ne  s'appuie  que  sur  dei 
subtilités  étymologiques. 

La  confiance  de  M.  ChampoUion  dans  la  sûreté  de  sa  théorie  Fa  entraîné 
graduellement  si  loin  de  la  langue  copte,  que ,  quand ,  pour  l'interprétt- 
tion  des  passages  purement  symboliques,  il  est  obligé  de  faire  à  cette 
langue  quelques  emprunts,  il  en  néglige  constamment  les  règles  les  pin 
simples.  Parcourez  sa  grammaire,  tous  y  trouverez  sans  cesse  Tartide 
pluriel  indéterminé  associé  aux  noms  de  nombres,  combinaison  quels 
syntaxe  copte  n'admet  pas  plus  que  la  nôtre.  Vous  rencontrerez  à  chaque 
page,  sous  un  symbole  qui  parait  exprimer  l'idée  de  totalité ,  le  mot  ail 
(  préféré,  je  ne  sais  pourquoi ,  au  mot  nim,  du  dialecte  thébalque,  et  au 
mot  ijtbfn,  du  dialecte  mempliitlque) ;  vous  trouverez,  dis-je,  ce  mot 
accolé  à  un  substantif  que  précède  un  article  simple  ou  un  article  posses- 
sif; vous  le  trouverez  également  employé  d'une  manière  abMlue ,  comme 
dans  cette  phrase:  gouverner  tout.  Or,  de  ces  deux  emplois  la  langue 
copte  ne  permet  pas  plus  Tun  que  l'autre.  Les  mots  jo,  tête,  rat,  pied, 
TOy  bouche,  ne  se  montrent  dans  la  grammaire  de  M.  ChampoUion  qu'avec 
les  articles  simples  ou  possessifs;  petrOy  ta  bouche,  netrat^  tes  pieds,  en- 
senjoy  leurs  tètes,  tandis  que  dans  les  livres  coptes  les  mêmes  mots  n'ad- 
mettent pas  autre  chose  que  des  terminaisons,  comme  rof,  sa  bouche, 
jos,  sa  tète,  raiou,  leurs  pieds.  Ajoutons  que  les  articles  possessiù  pt>. 
net,  ensen,  sont  complètement  étrangers  à  la  langue  copte.  Le  mot  eM, 
qui ,  dans  les  livres  coptes,  ne  se  rencontre  que  précédé  de  l'article  singu- 
lier masculin,  et  qui,  n'admettant  jamais  de  complément,  signifie  Vautn 
d'une  manière  absolue,  se  montre  constamment,  dans  la  CramfMin 
égyptienne,  au  nombre  pluriel  et  suivi  d'un  ou  plusieurs complémens. 
M.  ChampoUion  emploie  comme  verbe  le  mot  maif  qui  ne  peut  entrer 
que  dans  les  adjectifs  composés  du  genre  de  mainouty  aimant  Dieu,  et  il 
écrit  maif  y  qui  aime  lui ,  quand  il  faudrait  écrire  etmai  emmof.  Nous  pou- 
vons indiquer  encore  certains  mots  qu'il  compose,  tels  que  celui-ci:  se 
rem  oHro,  les  portiers;  ce  mot,  s'il  était  possible,  signifierait  ceuxqoi 
emportent  ou  qui  enlèvent  la  porte,  et  non  point  ceux  qui  l'ouvrent;  mail 
rem  ne  se  compose  jamais  avec  un  verbe  actif,  c'est  ref  que  l'on  emploie- 
rait dans  le  cas  présent,  et  l'on  dirait  :  ne  refouenro.  Ces  négligences,  et 
bien  d'autres  encore ,  qu'il  serait  trop  long  de  citer,  montrent  à  quel  point 
M.  ChampoUion  avait  perdu  de  vue  les  règles  de  la  langue  copte;  elles 
suffiraient,  quand  même  l'art  des  rapprochemens  étymologiques  dont  il 
a  fait  usage  serait  moins  trompeur^  elles  suffiraient  pour  faire  douter  da 


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LES  HIÉROGLYPHES  ET  LA  LANGUE  ÉGYPTIEMlfE.  213 

Il  réalité  des  rapports  qu'il  a  cru  apercevoir  entre  cette  langue  et  les  ré** 
soltats  de  ses  lectures. 

Assurément  les  théories  de  M.  Champollion  sont  fort  ingénieuses;  elles 
sont  séduisantes,  il  y  a  du  vrai  sans  doute ,  mais  nous  venons  de  voir 
qu'il  n'en  faut  pas  demander  la  démonstration  à  la  langue  copte ,  et  nous 
savons  que  dans  cette  langue  se  trouve  la  seule  démonstration  possible. 
Le  problème  du  déchiffrement  des  hiéroglyphes  n'est  donc  point  encore 
complètement  résolu,  comme  on  a  pu  le  croire.  D'heureux  détails  sont  • 
trouvés  y  ils  resteront;  mais  les  bases  de  la  solution  ne  sont  point  encore 
arrêtées.  11  faut  revenir  au  point  où  nous  avait  amenés  la  lecture  des 
noms  étrangers.  Cette  lecture  nous  a  fait  connaître  qu'il  existe  de  nom- 
breuses inscriptions  hiéroglyphiques  sculptées  à  l'époque  où  l'on  parlait, 
sur  les  bords  du  Nil ,  la  langue  copte ,  que  nous  possédons.  Trouver  le 
rapport  de  ces  écritures  sacrées  avec  le  langage  de  ceux  qui  les  ont  tra- 
cées, voilà  ce  que  nous  devons  encore  nous  proposer.  Il  est  cruel  de  ré» 
trograder  quand  on  se  croyait  près  du  but;  mais  nous  savons  au  moins 
aujourd'hui  que  le  but  ne  saurait  nous  échapper.  M.  Champollion  nous  a 
laissé  des  copies  exactes  des  légendes  hiéroglyphiques  de  toutes  les  épo- 
ques; les  riches  salles  du  musée  égyptien  renferment  assurément  tous  les 
élémens  nécessaires  pour  arriver  à  une  connaissance  complète  du  système 
graphique  des  anciens  Egyptiens.  Malheureusement  le  dépôt  des  manu- 
scrits coptes  ne  s'est  point  enrichi  de  même  par  le  voyage  de  M.  Cham- 
pollion; il  est  toujours  borné  à  une  soixantaine  de  volumes,  parmi  les- 
quels se  trouvent  un  grand  nombre  de  doubles;  ce  que  M.  Champollion 
n'a  pu  faire ,  faute  du  temps  nécessaire ,  il  serait  à  désirer  qu'on  le  fit 
aujourd'hui  II  existe,  comme  nous  l'avons  dit,  dans  les  divers  monas- 
tères de  l'Egypte ,  de  nombreux  manuscrits  qui ,  tout  en  nous  permettant 
de  rectiûer  et  de  compléter  la  grammaire  et  le  dictionnaire  coptes ,  et 
d'acquérir  ainsi  une  connaissance  aussi  exacte  que  possible  de  la  langue 
égyptienne,  seule  clé  des  hiéroglyphes,  nous  offriraient  assurément  des 
documeos  précieux  pour  l'histoire  politique  et  religieuse  de  l'Egypte  de- 
puis l'ère  chrétienne,  et  peut-être  pour  l'hisioire  antérieure ,  des  rensel- 
gnemens  importanssur  la  géographie,  sur  les  croyances ,  les  usages ,  les 
mœurs.  Les  résultats  d'un  voyage  de  recherches  ne  sont  point  incertains. 
La  vallée  du  Nil  présente  à  faire  une  ample  moisson  dans  les  trois  dialectes 
de  l'ancienue  langue  égyptienne;  moisson  que  le  temps  et  l'ignorance 
apfMiuvrissent  chaque  jour. 

D'  DciAani.f. 


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DE  L'ESPAGNE 


ET 


DE  SON  HISTOIRE. 


GOmiSSPONDAIIGB  ,  Mtflf OIABS  ET  ACTES  DIPLOMATIQUES 

OOECBBHAMT  LES  PRÉTBETION8  ET  L'AVÉNEMBflT  Wm  LA  Uàmom 

J>B  BOORBON  AU  TRÔNB  D*BSPAGNBy  AGCXUlPAAHéS 

D*UM  TEXTE  HISTORIQUE  ET  PRÉCÉDA  D*UME 

UfTRQOUCXlOIf  9  PAR  M.  JUfiMEI. 


On  éproave  une  émotion  également  vive  en  entrant  pour  la  pre- 
mière fois  au  parlement  d'Angleterre  et  aux  archives  des  affiadres 
étrangères  de  France.  Sous  les  voûtes  de  Saint-Ëtienne»  I*histoîre 
des  trois  royaumes  est  concentrée  tout  entière,  depuis  Haropdeo 
jusqu*à  O^Connell.  II  semble  qu*on  voie  passer  devant  soi,  >le  fceat 
chargé  des  soucis  du  pouvoir,  ces  générations  d^hommes  poiitiqiies 
qui  se  transmirent,  comme  un  dép6t  national,  Thabileté  par  laqatele 
-on  use  de  la  bonne  fortune  et  la  persévéranœ  qui  triomphe  de  b 
mauva'se.  En  Angleterre,  négociations  diplomatiques  et  intrigués 
de  cour,  prédications  de  la  chaire  et  déclamations  des  hustingsy 
tout  depuis  trois  siècles  aboutit  à  cette  petite  salle. 

La  France  manque  d*un  foyer  lumineux  où  soient  venus  conver- 
ger ainsi  les  rayons  épars  de  son  histoire.  Une  partie  s'en  faisait 
dans  les  cours  souveraines,  les  assemblées  du  clergé,  ou  les  états 
provinciaux,  une  autre  dans  les  salons  de  Versailles  ou  les  bou- 


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DB  L'ESrA«FfB  BT  K  SON  HISTOIRE»  215 

âmes  des  mallrefltoa.  CepeAdtat ,  Hnrscpe  ¥%m  vev^  ooMprendre  les 
annales  de  la  nioiiarchie,  non  d*apré6  les  œorres  académiques, 
mais  daas  leur  réalité  pratique  et  igaorée ,  lorsqoe  Ton  tient  à  saisir 
la  physioDOBAÎe  Tirante  de  Tandea  régime,  c'est  à  Thôtel  de  la  roe 
des  Capucines  que  Ton  doit  commencer  cette  étude  entraTée  jus- 
qu'ici par  une  réserTe  rarement  justifiée* 

Ce  fut  une  tradition  constante  pour  tous  les  princes  de  la  maison 
do  Bourbon,  qœ  le  gouTernemeat  se  résume  dans  la  direction  des 
affaires  étrangères,  et  que  le  roi  ne  peut  abandonner  la  conduite 
de  celles-ci,  sans  compromettre  le  son  de  sa  couronne ,  et  sa  sAreté 
personnelle.  Personne  n'ignore  que  Louis  XV  lui-même,  ce  roi  de 
sérail,  qui,  du  fond  du  Parc-aux-Cerfs,  lirra  le  Canada  et  la  marine 
française  à  1* Angleterre,  laissa  partager  la  Pologne,  et  Toyait  de 
sang-froid  Tenir  la  réTolution,  avait  une  diplomatie  secrète  fort 
active,  devant  laquelle  tremblèrent  le  duc  de  Choiseul  et  le  duc 
d' Aiguitton  ;  agence  mystérieuse  dont  le  comte  de  Broglie  fut  le 
chef,  Favier  le  publiciste,  et  qui  enrôla  dans  sa  franc-maçonnerie 
poUtîque  H.  de  Vergennes  et  le  chevalier  d*£on.  Conçoit-on  dès- 
lors  que  des  écrivains  aient  pu  se  croire  en  mesure  de  tracer  un  ta- 
bleau quelque  peu  sérieux  des  derniers  siècles,  sans  la  connaissance 
des  seuls  documens  qui  pussent  les  foire  sortir  des  banalités  histo- 
riques? 

Si  depws  quelques  années,  les  publications  successives  des  tra- 
vaux du  général  Grimoard,  de  Leroontey  et  de  Hazure ,  celle  des 
mémoires  du  due  de  Saint-Simon  surtout,  ont  répandu  quelques 
idées  moins  erronées,  rien  de  plus  inexact  encore  que  Timpres- 
sion  généralement  conservée  en  France  et  en  Europe,  du  gouver- 
nement de  Louis  XIV  (1).  Personne  nignore  sans  doute  que  ce 
grand  roi  gagna  des  bataiUes  grâce  aux  généraux  qui  conduisaient 


fl)  On  pourrait  citer  à  rappvl  de  ceUe  atsertion  vn  IWre  réeeument  pvblié  en  Angb- 
t»tt  ior  le  fi^jet  même  qnï  nous  occupe,  ptr  un  noble  écrivain  (BUtory  of  the  war  of 
ike  MuficeêMkm  m  9pain ,  by  lord  Habon,  London,  MBS  ).  nani  cet  onrmge,  remar* 
qnable  comme  oravre  liltéraire,  Taoteor  ne  lenble  s'être  S<iis^  d*»iic«B  dMfi^ngéf 
fradltionneU  contre  la  France,  qui  forment  le  fonds  de  Topinion  polltiqae  à  laquelle  tt 
■ppafUent.  H  4*élève,  par  exemple,  avec  violence  contre  la  paix  dUtrecht,  non  moins 
Ipipii  ieisimsnl  réelmée  par  les  JnKrêu  de  la  ftrawStj  Bf  eUgne  qne  par  les  nôtres,  et  que 
lc«  colUslom  de  la  régence  avec  U  coor  d*Bsp>gne  devaieM  Uenlêl  jâstlfier  amx  3Pe«s  def 
cÉbineU  les  plus  bosiiles  à  rétablissement  de  Ia  maison  de  Bonrbon  i  Madrid,  eomflieà 
I  \m  plitt  préveiras  eestn  Itetenslon  de  nnavcace  française. 


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216  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

ses  années,  i  Louvois  qui  les  organisait ,  à  Colbert  qui  çréparah 
le  nerf  de  la  guerre  :  mais  la  cause  principale  de  ses  succès  de- 
meure enveloppée  de  mystère.  On  attribue  à  la  force  ce  qui  appar- 
tient à  rhabileté,  à  la  fortune  ce  quHl  conviendrait  de  rapporter  i 
Tadresse.  L'idée  qui  lia  tous  les  plans  politiques  de  ce  long  règne, 
la  prévoyance  qui  les  conçut  un  demi-siècle  avant  leur  exécution  et 
qui  les  poursuivit  pied  à  pied,  la  souplesse  qui  tira  parti  des  évène- 
mens  y  la  corruption  qui  triompha  dçs  hommes,  tout  cela  échappe 
pour  ne  laisser  saisir  que  des  effets  sans  cause.  On  ignore  jusqaao 
nom  de  ces  nombreux  agens  auxquels  le  disciple  de  Mazarin  aimait 
à  conGer,  non  Téclatant  appareil,  mais  la  réalité  de  la  puissance 
politique.  On  dirait  que  le  public  juge  le  siècle  des  magnificences 
royales,  à  la  manière  de  ces  visiteurs  d'usines,  devant  lesqoek 
rindustrie  fait  couler  à  pleins  bords  la  lave  brûlante  ou  tisser  ses 
toiles  légères,  et  qui,  satisfaits  de  ces  brillantes  manifestations, 
n'ont  ni  curiosité  ni  loisir  pour  s'enquérir  des  forces  motrices  et  des 
procédés  de  la  science. 

Le  xvif  siècle  fut  l'époque  delà  grande  diplomatie,  delà  diploma- 
tie de  haut  style,  qui  unissait  à  la  connaissance  pratique  des  hommes 
la  vaste  science  léguée  par  làge  précédent.  Ce  fut  par  elle  qœ 
Louis  XIV,  jeune  encore,  éleva  la  puissance  française,  et  que  h 
Hollande  parvint  à  fonder  la  sienne.  Guillaume  m  fut  le  prunier 
diplomate  de  son  temps;  et  s'il  finit  par  abaisser  le  roi  de  France, 
c'est  que  celui-d,  après  avoir  perdu  M.  de  Lionne  et  les  hommes  for- 
més par  Mazarin,  n'avait  plus  guère,  pour  seconder  sa  vieillesse, 
que  des  ministres  étrangers  aux  traditions  de  Munster  et  des 
Pyrénées,  manquant  également  d'autorité  pour  résister  aux  haines 
de  l'Europe  et  aux  passions  de  leur  mattre. 

Toutes  les  entreprises  de  ce  monarque,  depuis  la  guerre  de  dévo- 
lution qui  commença  si  glorieusement  son  règne  jusqu'à  celle  de 
la  succession  d'Espagne  qui  le  termina  par  des  péripéties  si  diver- 
ses, toutes  ses  négociations,  depuis  le  congrès  d'Aix-la-Chapelle 
jusqu'à  celui  d*Utrecht,  étaient  contenues  en  germe  et  ménagées  à 
dessein  dans  l'acte  fameux  de  1659.  En  en  dressant  les  stipulations, 
qu'accompagnèrent  des  renonciations  équivoques  et  des  clauses 
mal  définies,  Mazarin  s'était  beaucoup  plus  occupé  d'ouvrir  des 
chances  à  l'avenir  que  de  garantir  la  sécurité  du  présent.  Mettre  la 
France  en  mesured*bériter  de  TEspagne,  soit  en  dépeçantsesposses-* 


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DE  l'bSPAGNE  et  DE  SON  HISTOIRE.  217 

rionsy  s(nt  en  recaeiflant  la  monarchie  tout  entière;  créer  au  roi 
très  chrétien  des  prétentions  que  la  force  saurait  bien  ériger  en 
droits;  lai  ménager  dans  tous  les  cabinets  de  l'Europe ,  depuis  la 
cour  du  roi  catholique  jusqu'à  celle  du  plus  mince  électeur,  un  pa- 
tronage qui  mit  à  sa  solde  les  princes  ou  leurs  ministres,  leurs  favo- 
ris ou  leurs  favorites,  tel  fut  le  legs  que  Tltalien  fit  à  la  France. 
Jamais  pensée  ne  fut  servie  par  un  corps  diplomatique  plus  intel- 
ligent et  plus  soumis,  plus  fanatiquement  dévoué  à  la  gloire  person- 
nelle du  souverain  et  à  Tagrandissement  de  Tétat.  Dans  son  sein  le 
secret  demeurait  inviolable  ;  chez  lui,  le  sentiment  de  la  force  n*ôtait 
rien  à  une  prudence  minutieuse  dans  les  détails  et  peu  scrupuleuse 
dans  les  moyens.  Ce  n'était  jamais  qu'après  avoir  préparé  le  terrain» 
sans  laisser  au  hasard  rien  de  ce  que  l'habileté  pouvait  lui  Ater, 
que  ce  gouvernement,  si  superbe  dans  ses  formes  et  pourtant  si  ré- 
servé dans  sa  conduite,  se  livrait  à  ces  actes  d'éclat  dont  il  avait 
d'avance  calculé  la  portée  et  mesuré  toutes  les  conséquences. 

Louis  XIV,  qui,  dans  sa  jeunesse,  avaiteuM.de  Lionne  pour 
endormir  l'Europe  sur  ses  projets,  trouva,  sur  ses  derniers 
jours,  M.  de  Torcy  pour  le  réconcilier  avec  elle.  En  1668,  le  che- 
valier de  Grémonville  avait  signé  à  Vienne  un  premier  traiié  de 
partage  de  la  monarchie  espagnole,  demeuré  secret  jusqu'à  nos 
jours  (1)  ;  en  1713,  Mesnager  négociait  à  Utrecht,  sur  des  bases 
sinon  semblables,  du  moins  analogues;  et  à  travers  tant  de  vicis- 
situdes et  de  calamités,  il  renouait  la  chaîne  long-temps  interrom- 
pue des  saines  traditions  politiques. 

Sous  la  régence ,  le  caractère  des  négociations  politiques  change 
avec  celui  des  évènemens.  Ce  ne  sont  plus  ces  vues  ambitieuses  el 
hautes,  ces  projets  persévérans  et  à  longue  échéance,  attributs 
d'un  pouvoir  sûr  de  lui-même.  Il  faut  acheter  des  appuis  au  dehors 
pour  résister  aux  ennemis  du  dedans;  on  est,  d'ailleurs,  en  face 
d'Alberoni,  boute-fou  dont  il  s'agit  d'éventer  plus  encore  que  de 
combattre  les  projets  téméraires  et  sans  suite.  L'intrigue  succède 
à  la  politique,  l'imbroglio  à  la  guerre  ;  on  assassine  les  courriers^ 
au  lieu  de  livrer  des  batailles;  à  Madrid  comme  à  Paris,  on  dépense 
à  soustraire  et  à  déchiffrer  les  dépêches,  les  soins  que  don  Louis  de 
Hard  et  Mazarin  consacraient  à  composer  les  leurs.  Cellamare 

(i)  DocomcBtpiiblléf  par  ]l.lllsDet,  tom.  II,  ptrt  3^  aeet  S; 


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1M8  RBTUI  BES  DBOX  MOmMtt. 

Gonspire  dans  le  iMMidoir  de  Sceam»  ateo  quelques  pédaM  et  qari- 
qiaes  getilikhoiliBes  endettés;  le  duc  de  SainuA^nan  riposte  êo 
Espagne  par  «ae  contre^xHispiratioii,  dont  le  priadpd  personnage 
est  la  nourrice  de  la  reine. 

Dubois,  supérietir  à  tout  ce  monde,  parce  qa*fl  est  mieui  as«s 
dans  sa  corri^tion ,  prend  sans  peine  le  premier  rôle  ;  il  lance  dans 
toutes  les  cours  des  nuées  de  gens  d*église  et  de  gens  de  lettres 
qui  servent  le  maître  et  le  ralet,  selon  leur  goût.  800,000,000  et  cinq 
années  d'angoisses  sont  dépensés  à  procurer  au  misérable  la 
barrette  de  cardinal.  Laûtau,  Tendn,  Rohan,  négocient  sncœ^ 
givement  à  Rome  Ce  grand  sacrilège;  des  ambassadeurs  spt- 
ciaux  vont  à  Vienne,  passent  et  repassent  les  Pyrénées,  pour  inté- 
resser le  roi  d*£spagne  et  Fempereur  à  la  plus  grande  affaire  de 
répoque;  Tun  d*eux,  usé  par  les  soucis  et  les  fetigues,  meurt  lu 
champ  d'honneur  comme  Roland  à  Ronceveaux  (1]  ;  George  II 
d'Angleterre  et  Jacques  DI  le  fomélique  se  rencontrent  dans  cette 
négociation ,  et  la  conquête  du  chapeau  occupe  la  diplomatie  de  h 
régence ,  autant  que  eeUe  de  la  Flandre  et  de  la  Franche-Comtéi 
arait  occupé  la  diplomatie  de  Louis  XIV. 

Celle  de  Louis  XV  se  distingua  par  son  incessante  activité  et  it 
perpétuelle  impuissance.  Il  n'y  avait  plus  dans  la  chancellerie  fran- 
çaise ni  bases  arrêtées,  ni  long  projets  d*avenir.  La  direction  des 
af&ires  appartint  successivement  à  tout  le  monde,  et  Von  essaya 
un  peu  de  tous  les  systèmes,  en  ne  retirant,  ainsi  que  cela  devait 
être,  de  ces  tentatives  contradictoires  que  de  constantes  hunsKa- 
tions  et  une  déconsidération  erobsante. 

On  rêve  un  instant  lanéantissenent  de  l'empire;  cette  idée  est 
embrassée  avec  ardeur ,  le  roi  de  Prusse  Tinspire  et  la  foraenti, 
prenant  en  pitié  Tincapacilé  politique  et  ïîmprévoyance  de  ses 
alhés^  Dans  ce  pêle-mêle  de  négociations,  lui  seid  suit  invariaUf- 
ment  ses  vues,  sachant  y  foire  coiicourir  les  événomens  et  les  koB- 
mes,  les  intrigues  des  cabinets  et  les  engooeraens  de  TopiaisB. 
Frédéric  n  renouvelle  i  son  profit  la  position  qu'au  début  de  sM 
règne  Thabileté  de  son  ministère  avait  faite  i  Louis  XIV,  il  poarasit 
contre  Tempire  les  projets  que  odui-ci  avait  formés  contre  rfispafnt* 


(t)  L*abbé  de  Mornay-MoDtcherreaU,  mort  dans  les  Pyràiées  en  lereauit  de  u  i 
aion  à  Viadrid. 


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DE  L'B^rAGW  ET  BB  80M  H890IRB.  S|^ 

]>»  Wtêmb  6*«perQ9ir  «epeadant  qu'elle  jo«e  gramèf^menl  va 
je«  dedope,  eiqii'ui  seid  iméfèt  esl  ea  actioa  daask  criae  oà  eHd" 
se  troave  si  gratukemeot  engagée;  elle  abaadoane  alors  ses  allia»* 
eea,  8*en  crée  d^autres  pour  les  quicter  ei  les  reprendre  encore,  Ra- 
pide et  mobile  dans  ses  impressions ,  loarmeatée  da  besoin  d*agir^ 
en  même  temps  qu*inci^ble  de  mesurer  les  conséquences  doses 
défltiarcbes ,  die  va  toujours  au-delà  du  but  et  découTre  de  plus  es 
plus  sa  faiblesse,  alors  qu'elle  affecte  à  tout  propos  de  Caire  parade 
de  sa  force*  Le  système  autrichien  est  substitué  à  Talliance  prus- 
sienne y  et  les  femmes,  alors  ofCcieUement  entrées  dans  lesafÛrea^ 
embrassent  la  nouvelle  combinaison  comme  un  caprice  de  cœur.  La 
France  s'engage  sans  but  et  sans  motif  dans  des  complications  aussi 
daqgereuses  qu'imprévues;  elle  prend  pour  elle  toutes  les  chargea 
en  se  désintéressant  à  Tavance  de  tous  les  bénéfices  éventuels.  Une 
gverre  phis  honteuse  eacore  par  la  légèreté  des  vues  qui  y  présidé* 
rent  que  par  les  humiliations  qu'elle  attira  sur  nos  armes,  est  sui- 
vie d'une  paix  désastreuse,  mais  nécessaire. 

Après  s'être  agité  sans  motif,  en  se  repose  sans  honneur.  On 
laisse  périr  une  grande  nation  sans  avoir  même  le  triste  mérite  de 
deviner  l'attentat  déjà  presque  consommé.  Le  prince  de  Roban  (1) 
en  soupçonne  bien  quelque  chose;  mais  le  duc  d'Aiguillon  lui  dé^ 
fend  même  d'arrêter  sa  pensée  sur  un  projet  si  peu  vraisemblable 
et  si  contraire  aux  assurancss  qu'il  reçoit  chaque  jour  du  comte  de 
M^rcy,  ambassadeur  de  Timpératrice.  Il  linvite  à  abandonner  un 
fil  qui  ne  pourrait  que  Tégarer,  et  à  ne  pas  donner  de  suite  à  des 
révéhitions  dont  le  seul  résultat  serait  d'inquiéter  inutilement  le 
roi.  Malheureuse  Pologne!  malheureuse  France  1 

Notre  diplomatie  se  relève  un  instant  par  la  probité  de  Louis  XVI 
et  le  talent  de  M.  de  Yergennes.  Les  négociations  qui  amei^ent  In 
conclusion  du  traité  de  1783,  après  la  guerre  d'Amérique»  boM 
dignes  des  bcms  temps  de  la  scienoe.  Les  intérêts  coloniaux  et  p<^ 


|()  nerrii^  cudiMU  de  Bokaa,  alofs  tiahftUAdew  à  ViMBt.  Vttiicv  HT  1*^^^^^ 
mtk^f  les  dénëgaUoAsJoarnaiières  du  duc  d^Aigaillon,  il  se  cnit  enfin  obligé  d*en  écrire 
ÉtiéiOemait  aa  roi.  ta  lettre  fut  remlae  à  Mme  tltfbarry,  ^dl  ta  lin  pttbliquedienlt  i  ViOk 
de  lis  utmptn.  On  ealMiftl  do  iirlsee  de  Xota»  oovrm  m  ptéfHÊk  i*  OannUiev^» 
llPMéi  4\iae  telle  auag»  cwftre  aa  lète ,  ae  Uml  dVn  auén«er  Teffitt  et  de  préparer  te 
ihl|rifc  de  l^tambaMadev.  On  sait  que  ce  fut  pour  vaincre  le  reiaenllment  dé  la  prineetae 
fMttlmKciÉ'tt^aBBApIdfiaMdahsUfittaleafbMdiicDlllér,  rtihOei  prélndei  d«  1^ 


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2M  BBTVB  1IB8  DHTX  MORDES. 

litîque&y  furent  largement  étudiés  et  garantis  par  on  ensemble  de 
dispositions  heureuses.  Si  Tinexpérience  en  matière  économique  et 
commerciale  6t  à  cette  époque  commettre  quelques  fautes ,  ce  fo- 
rent là  de  ces  erreurs  inséparables  d'une  première  éducation  et 
qui  ne  compromettent  pas  Tavenir. 

Quand  la  révolution  eut  commencé  à  gronder  sur  l'Europe,  la 
diplomatie  6t  silence.  Entre  parties  qui  se  considèrent  comme  en- 
nemies naturelles,  les  négociations  sont  impossibles.  La  paix  ne 
peut  avoir  à  leurs  yeux  que  le  caractère  d'un  armistice ,  et  le  droit 
des  gens  n*est  plus  que  le  droit  de  la  guerre.  Brissot  avait  déclaré 
du  haut  de  la  tribune  que  la  France  tenait  pour  ennemis  tous  les 
despotes,  pour  alliés  tous  les  peuples  libres  ou  aspirant  à  Tétre.  D 
fallait  dès-lors  rappeler  ses  ambassadeurs  d'auprès  de  tous  les  rois, 
pour  en  accréditer  auprès  des  clubs  et  des  sociétés  secrètes.  Aux 
manœuvres  propagandistes  furent  opposés  des  moyens  aussi  peu 
moraux  et  plus  impuissans  qu'elles.  On  se  flattait  alors  de  dominer 
une  révolution  en  achetant  ses  chefs;  jamais  les  hommes  ne  furent 
estimés  plus  cher  et  ne  valurent  moins,  car  jamais  ils  ne  furent 
plus  subordonnés  aux  idées,  dont  ils  étaient  les  instrumens  et  non 
les  promoteurs.  La  diplomatie  des  comités  de  la  convention,  qui  en 
fit  plus  qu'on  n'imagine ,  a  je  ne  sais  quoi  de  sombre  et  de  sauvage; 
celle  de  la  contre-révolution  est  d'une  fabuleuse  niaiserie. 

Lorsque  enfin  Tégoîsme  eut  ranimé  Tambition  en  triomphant  de 
la  terreur  des  uns  et  du  fanatisme  des  autres,  ceux-ci  aspirèrent  i 
la  paix  pour  jouir  de  leurs  conquêtes,  ceux-là  pour  s'en  faire  ad- 
juger quelque  portion  en  faisant  acte  d'empressement.  Alors  s'ou- 
vrirent les  conférences  de  Bftle,  et  l'on  vit  bientôt  des  mains  teintes 
du  sang  de  Louis  XVI  presser  celles  de  ministres  d'un  petit-fils  de 
Louis  XIV  et  du  roi  qui  avait  conduit  en  personne  la  première 
coalition  contre  la  France. 

En  1789  s'ouvre  pour  le  droit  et  la  science  diplomatiques  une  ère 
nouvelle,  sur  laquelle  les  publications  officielles  ne  peuvent  proje- 
ter encore  aucune  lumière.  Les  questions  européennes  ne  sont  pas 
résolues  d'une  manière  assez  complète  et  assez  définitive,  pour 
qu'il  n'y  eût  pas  imprudence,  de  la  part  du  pouvoir,  à  fournir  des 
armes  aux  passions  et  aux  intérêts  hostiles.  D'ailleurs,  tout  gou- 
vernement qui  se  respecte  doit,  à  ceux  qui  l'ont  servi,  la  protection 
du  silence  pour  leurs  derniers  jours.  Quand  des  vœux  ont  été  ex- 


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DE  L*£8PA61fR  ET  M  SON  mSTOIEE.  2Sf 

primés  pour  que  les  archives  des  affaires  étrangères  s*oiiyrissent 
aux  investigations  savantes,  quand  on  a  conçu  la  pensée  de  les 
faire  concourir  à  la  grande  collection  tûstorique  commencée  par 
M.Goizot  y  toutes  les  convenances  prescrivaient  donc  de  se  reporter 
à  une  période  dont  les  intérêts  fussent  complètement  en  dehors  de 
ceux  qui  s*agitent  aujourd'hui. 

Le  choix  qui  a  été  fait  est  sans  doute  le  plus  heureux,  peut-être 
même  le  seul  qui  se  pût  faire.  En  retraçant  brièvement  l'histoire 
de  la  diplomatie  moderne,  nous  venons  de  voir  qu'une  époque 
seule  s*y  présentait  avec  cette  harmonieuse  unité  de  vues  qui  per- 
met à  rhistorien  de  suivre  largement  le  cours  d'une  féconde  pensée. 
Ce  n'est  guère  que  sous  Louis  XTV  que  la  France,  jeune,  forte  et 
pleine  d*avenir,  s'est  trouvée  en  mesure  de  fiiire  de  la  politique 
selon  un  plan  arrêté,  en  y  rapportant,  pendant  un  demi-siècle, 
lottCes  ses  vues,  en  y  faisant  concourir  toutes  ses  démarches. 

Répétons-le  :  la  succession  d'Espagne  fut  l'idée-mère  de  la  poli- 
tique de  Louis  XIV,  celle  qui  lie  toutes  les  parties  de  son  règne. 
Cette  grande  affaire  fiit  pour  le  xvii*  siède  ce  qu'est  pour  notre 
&gelavenirderempire  ottoman.  Toutes  les  questions  n'acquéraient 
de  véritable  importance  qu'autant  qu'elles  se  rattachaient  à  ce 
grand  problème,  dont  la  menaçante  solution  resta  près  de  cinquante 
ans  suspendue  sur  l'Europe.  Cette  époque  est  féconde  en  ensei- 
gnemens  :  on  verra  ce  qu*en  présence  d'une  inévitable  catastrophe 
la  prudence  suggérait  aux  uns,  l'ambition  inspirait  aux  autres. 

Ce  n'était  pas  seulement  la  dynastie  qui  s'éteignait  en  Espagne, 
Tétat  Im-méme  semblait  prêt  à  descendre  dans  la  tombe.  Loub  XIV 
ne  mit  tant  de  prix  à  épouser  l'infante,  fille  atnée  de  Philippe  IV» 
que  parce  qu'il  convoitait  ce  grand  héritage;  et  s'il  donna  les  re- 
iHMiciations  exigées  comme  conditions  du  mariage,  ce  fut  en  les 
invalidant  et  en  protestant  à  Tavance  contre  elles.  La  naissance  d'un 
prince  qui  vécut  près  de  quarante  années  ajourna  ses  espérances 
et  les  craintes  de  l'Europe ,  sans  dissiper  un  seul  instant  ni  les  unes 
Biles  autres,  tant  semblait  irrévocable  l'arrêt  de  mort  que  ce  grand 
royaume  portait  au  front! 

Lassé  d'attendre ,  le  roi  de  Fratice ,  du  vivant  même  de  Charles  II , 
fit  valoir  par  les  armes  une  partie  de  ses  prétentions,  en  se  réser- 
Tant  de  ]es  exposer  plus  tard  tout  entières.  Des  traités  de  partage 
forent  passés  avec  les  principales  puissances  de  l'Europe,  et  ces 


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2SB  RETVB  l«8  »IUX  mOKtMB. 

traités  faspeat  le  principe  direct  ou  éloigné  de  tontes  les  guerres  ds 
ce  temps.  Cette  négociation  fioit  le  thème  de  toutes  les  inyestigaiîomi 
despublidstes;  il  en  sortit  une  guerre  qui  mit  en  contact,  sortooi 
les  chanps  de  bataille  de  l'Europe ,  toutes  les  illustrations  du  grand 
siède.  L'empire  et  la  France ,  la  Hollande  et  T Angleterre,  en  atten- 
daient rissue  avec  une  égale  perplexité;  et  pour  grandir  les  tristes  * 
scènes  qui  se  Jouaient  àTËscurial  autour  du  lit  du  monarque  moa^ 
rant,  derrière  les  confiesseurs  et  les  caméristes  on  découvrait  dans 
le  lointain  Thalie,  la  SicSé,  les  Pays-Bas,  les  royaumes  de  Colomb, 
de-Pizarre  et  de  Cortez,  attendant  qu'une  signature  disputée  à  ane 
main  défaillante  décidât  sur  quel  empire  le  soleil  ne  cesserait  ja-* 
mais  de  briller.  Unité  d*aetion,  universalité  désintérêts,  grandev 
et  nationalité  du  résuttac,  ce  sujet  offrait  donc  à  un  écrivain  fran- 
çais toutes  les  conditîoiiB  prescrites  par  les  rhéteurs  pour  deveair 
la  grande  éjwpée  dipéùmadque  des  temps  modernes,  si  Ton  veut  bieii 
me  passer  le  mot. 

tJne  telle  entreprise  était  nm  œuvre  de  sagacité  et  de  labeor 
comme  il  s*en  fait  peu  dans  un  temps  où  les  études  sérieuses  avor- 
teni  sons  les  ambitions  hÂtives,  et  où  (habitude  parait  prise  de 
suppléer  par  des  généralités  aux  faits  que  Ton  ignore.  Oa  ne  poin 
vait  penser  à  livrer  à  1  impression  deux  cents  volumes  in-461io  de 
correspondances  et  de  mémoires;  outre  qu^une  telle  pubKeation 
était  matériellement  impossible,  elle  eût  été  inutile,  car  eBe  neâl 
pas  vulgarisé  la  science  poKtique.  II  ne  s'agissait  pas  non  plus  d'é- 
crire un  livre,  comme  il  s*en  est  fait  déjà  de  fort  bons,  en  s'ap- 
puyant  sur  deis  documens  authentiques.  Ce  qu*il  importak,  c'éfiaît 
de  faire  connaître  tes  correspondances  eltes-némes,  siû<Hi  dans 
toute  leur  étendue ,  du  moins  dans  leur  esprit  et  dans  leovs  foi  mes, 
dams  ce  quelles  ont  de  phis  incNviduelv  H  foltait  mitieT  le  poblîc  k 
ces  préoccnpations  de  diaque  jour,  qui  font  de  la  vie  de  rboMNi 
d*état  une  existence  si  agitée  et  souvent  si  dramatRine. 

Montrer  comment  se  développe  une  pensée  fêeonde  servie  ptf 
d'kabfles  instrumens,  comment  Vesprit  de  conduite  fait  reoeoer  i 
chaque  heure  des  fils  que  les  évènemens  sembler  briser;  dégager 
la  politiqw  des  abstractions  pour  l'observer  soumise  k  foutes  las 
inSuenees  personneltes,  à  toutes  lee  variations  du  tempéraneat, 
de  l'humeur  et  du  caprice;  ftùre  voir^  énftn,  œ  que  la  vralewr  des 
lK»Mi6if  6t#  et^  i^oute  à  une  sintafMNi,  tel  detadt  être  le  rètullil 


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DE  ï/E^àmm  R  M  son  arroiRB.  ÎB 

d*im  trafaîl  dont  9  apparteatit  à  k  Fruoe  d*a¥Otr  VinitiatiTe.  Ce 
bot  ne  pouvait  être  atteint  qae  par  des  puMicaiions  originales,  en- 
cadrées dans  un  texte  destiné  à  les  réunir  sans  prétendre  les  com- 
ment^.  H  fallait  que  Fécrivain  s'effaçât  devant  les  iBualres  norts, 
représentés  après  deoi  siècles  dans  toute  la  vérilé  de  leurs  poissions 
et  de  leurs  paroles  1^  plus  secrètes;  et  povrum  le  t>uc  eût  été 
complètenient  «anqué,  si  Ton  n'avait  su  se  placer  asseï  haut  poar 
saisir  Tensemble  d'une  négociation  dont  chacun  des  acteurs  n'aper- 
cevait que  des  fftoes  isolées»  si  l'on  n'en  avait  coordonné  tontes  les 
parties,  en  conservant  à  diacune  leur  couleur  spéciale. 

Une  révélation  reçue  de  Madrid  nécessitait,  en  effet»  des  ouver- 
tures à  Vienne;  un  mot  échappé  i  Londres  modifiât  notre  attitude 
en  Hollande.  Tous  les  princes  allemands,  depuis  l'électeur  de 
Brandebourg  jusqu'au  plus  petit  évéque  rég^é  par  la  France  (1), 
toutes  les  puissances  du  second  ordre,  le  Portugal  que  Louis  XIY 
payait  pour  faire  la  guerre,  la  Suède  qu'il  payait  pour  rester  en 
paix,  s'engrenaient  comme  des  ressorts  accessoires  dans  le  Jeu 
d'une  mécanique  immense.  Les  correspondances  contemporaines 
doivent  donc  s'éclairer  l'une  par  l'autre  :  un  rapport  de  l'abbé  de 
Saint-Romain,  agent  secret  i  Lisbonne,  exfdiquera  une  dépêche  de 
l'archevêque  d'Embrun ,  ambassadeur  à  Madrid  ;  et  c'est  une  lettre 
de  M.  de  Gravel,  ministre  i  Ratisbonne,  de  M.  Gomont,  envoyé  à 
Cologne,  ou  de  M.  Millet,  plénipotentiaire  à  Berlin,  qui  édaircira 
des  soupçons  conçus  par  M.  de  Grémonville»  à  Yi^Mie,  ou  le  comte 
d'Estrades,  à  La  Haye. 

Le  soin  de  réunir  ces  documafis  précieux  et  de  les  éclairer  par 
une  haute  critique  revenait  de  droit  à  un  écrivain  qui  a  eu  le  bon 
goût  de  rester  fidèle  à  ses  premères  études,  alors  que  de  plus 
éclatantes  fortunes  pouvaient  l'inciter  à  les  abandonner.  Les  lettres 
profiteront  d'une  conduite  pleine  de  convenance,  si  ce  n'est  d'habi- 
leté, et  qui,  sans  compromettre  l'avenir  politique  de  M.  Mignet, 
s'fl  vent  un  jour  en  poursuivre  un,  lui  in^>ose  aujourd'hui,  comme 
BB  devoir  de  position,  de  graves  et  honorables  travaux. 

Sur  son  œuvre  de  jeunesse^  on  avait  pu  deviner  en  lui  plusieurs 


{!)  Vom  emploie  id  cette  expression  dans  le  sens  qn^elle  eut  eonsUmmeot 
Wtfs  H V,  pew  indiquer  tes  présens  et  les  sttbTentiopi  faits  p«r na  fvl,etfén 
luunblemeDt  la  permission  de  signaler  cette  lacune  an  DictionnaiM  éifAcsSimii 


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S2Ï  IIEYUB  DES  DEUX  MONDES. 

des  qualités  qui  constituent  l'historien-publicistey  rAIe  éminent  oà 
Tappréciation  de  la  pensée  s'unit  à  Tétude  des  honuoes»  et  qui  tieot 
par  un  bout  à  la  vie  philosophique»  en  pénétrant  par  l'autre  dans 
les  réalités  de  la  rie  usuelle.  Son  Histoire  de  la  révolution  franç^tm 
se  plaça  hors  ligne  par  un  style  ferme  et  réfléchi,  par  une  manière 
toujours  impartiale»  je  dirai  presque  impassible,  alors  même  qoe 
l'auteur  était  encore  impressionné  par  les  passions  et  les  préjugés 
de  l'homme  de  parti.  Ce  livre  signala  l'un  des  premiers  la  transitimi 
du  libéralisme  de  l'ère  critique  et  révolutionnaire  au  dogmatisme 
d'une  école  qui  cherche  à  se  rendre  raison  d'elle-même,  en  8*ap- 
puyant  sur  l'autorité  d'une  grande  idée  sociale. 

M.  Mignet  vit  avec  Seyes  toute  la  révolution  dans  la  suprématie 
politique  du  tiers-état,  et  dégageant  cette  idée  des  phases  sanglan- 
tes qu'elle  dut  traverser  pour  se  faire  jour,  il  la  présenta  comme 
un  droit  supérieur  à  tous  ceux  qui  disparurent  devant  elle. 

Ce  qui  fit  la  puissance  du  jeune  écrivain,  ce  qui  imprima  à  ses 
déductions  une  sorte  de  rigueur  mathématique,  était  pourtant 
recueil,  sinon  de  son  talent,  du  moins  de  sa  doctrine.  En  subor- 
donnant les  faits  aux  idées,  il  dut  s'exposer  à  en  altérer  quelquefoù 
le  caractère,  et  surtout  agrandir  l'importance  et  la  valeur  des  per- 
sonnes qu'il  contemplait  à  travers  l'œuvre  immense  où  elles  étaient 
engagées.  De  là  une  tendance  à  accepter  tous  les  é  vènemens,  comme 
s'engendrant  forcément  les  uns  les  autres,  à  chercher  dans  une 
pensée  générale  la  justification  des  foits  particuliers,  au  lieu  d'y 
voir  le  produit  spontané  des  passions  et  de  la  liberté  humaine. 

Je  crois  de  toute  mon  ame  à  la  philosophie  de  Thistoire,  parce 
que  je  crois  en  Dieu  et  en  la  Providence.  Je  sais  que  Tesprit  humain 
suit  une  irrésistible  impulsion  et  que  le  monde  intellectuel  a  «s 
lois,  comme  Funivers  physique.  Je  crois,  par  exemple,  qufl  ne  dé- 
pendait d'aucune  puissance  de  ravir  à  la  société  française  les  con- 
quêtes de  la  révolution  de  89,  et  qu'il  est  également  impossible 
d'empêcher  que  les  résultats  de  ce  grand  mouvement  ne  deviennent 
européens.  Mais  j'estime  que  les  faits  pouvaient  se  présenter  tout 
autrement,  et  qu'un  peu  plus  d'intelligence  chez  les  uns,  un  peu 
moins  de  corruption  chez  les  autres,  certains  accidens,  même  de 
circonstance  et  de  détail,  auraient  imprimé  un  tout  autre  coors, 
non  aux  idées  qui  viennent.de  Dieu»  mais  aux  évènemens  qui  vien- 
nent des  hommes. 


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DE  l'eSPAGNE  et  DE  SON  HISTOIRE.  22S 

Ce  qui  ressort  surtout  de  Thistoire  sérieusement  méditée»  c'est 
la  puissance  de  Tindividu,  non  quant  aux  résultats  définitifs,  mais 
quant  à  la  manière  dont  ces  résultats  sont  acquis  aux  nations.  Un 
bomme  de  plus  peut  leur  valoir  dix  ans  de  calamités  de  moins;  et 
la  proposition  contraire  est  aussi  malheureusement  vraie.  Je  ne 
sais,  par  exemple,  rien  de  mieux  que  Tétude  des  archives  des  af- 
faires étrangères  pour  montrer  combien  la  sphère  de  Faction  per- 
sonnelle est  large  encore,  bien  qu'elle  soit  circonscrite  dans  celle 
des  nécessités  sociales.  En  se  trouvant  plus  rapproché  des  réalités 
politiques»  M.  Mignet  aura  dû  modifier  une  disposition  qui  est  celle 
de  tous  les  esprits  supérieurs  au  début  de  la  vie.  Il  suffit  d'appré- 
cier la  haute  sagacité  de  l'écrivain  dans  les  argumens  et  le  texte 
historique,  où  sont  si  lumineusement  enchâssés  les  documens  of* 
jBdels,  et  surtout  dans  la  belle  introduction  qui  les  précède,  pour 
voir  que  ces  années  d'expérience  et  d'étude  ont  conduit  son  talent 
à  sa  plus  entière  maturité. 

Cependant  nous  aurons  à  signaler  bientôt,  en  appréciant  ce 
morceau  lui-même,  une  dissidence  qui  nous  paraît  tenir  à  un  cer- 
tain tour  d'esprit  que  M.  Mignet  a  conservé  de  sa  première  manière. 
Si,  comme  nous  le  croyons,  le  point  de  vue  selon  lequel  il  apprécie 
le  fait  le  plus  funeste,  selon  nous,  aux  destinées  de  l'Espagne,  la 
succession  féminine,  manque  de  vérité  politique,  il  faudra,  ce  me 
semble,  l'attribuer  au  besoin  de  justifier  les  phénomènes  histori- 
ques, par  cela  seul  qu'ils  se  produisent,  et  de  rationaliser  les  ac- 
ddens,  en  les  élevant  à  la  dignité  de  principes. 

Dans  ce  vaste  prologue,  si  beau  d'ordonnance  et  d'harmonie, 
d*nne  éloquence  sobre,  mais  pleine,  oii  l'on  voit  se  nouer  dans  le 
lointain  des  âges  le  drame  que  les  évènemens  vont  bientôt  trancher, 
M.  Mignet  s'est  attaché  à  mettre  en  regard  la  fortune  pâlissante  de 
rEspagne  et  celle  de  la  France,  qui  chaque  jour  s'élève  plus  forte 
et  plus  radieuse,  et  finit  par  absorber  sa  rivale  en  lui  imposant  sa 
dynastie.  C'est  la  lutte  de  deux  grands  peuples  également  favorisés 
du  ciel,  mais  auxquek  leurs  institutions  ont  préparé  des  destinées 
si  différentes. 

On  nous  permettra  de  traiter  ce  morceau  comme  une  œuvre  à 
part,  comme  l'une  des  conceptions  historiques  les  plus  remarqua- 
bles de  ce  temps;  nous  parcourrons  donc  rapidement  à  notre  tour 
la  route  que  M.  Mignet  a  si  largement  frayée,  nous  inspirant  sou- 

TOME  VII.  15 


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226  RETUB  DBS  DBUX  MOTIDBS. 

Tent  de  sa  pensée ,  prenant  aussi  quelquefois  nos  réserves  contre 
elle. 

Ce  qui  saisit  le  plus  vivement  le  voyageur  en  parcourant  la  Pé- 
ninsule ibérique,  c'est  la  stérilité  des  plus  beaux  dons  du  del.  Uo 
rempart  de  quatre-vingt-douze  lieues  la  circonscrit  et  la  protège, 
ne  lui  laissant  que  deux  étroites  ouvertures  sur  TEurope,  et  cette 
conflguration  qui  semblait,  plus  que  toute  autre  cause,  de?oir 
assurer  à  TEspagne  un  système  politique  dont  Tintérét  national  fût 
la  base,  ne  Ta  pas  empêché  d*user  sa  force  et  ses  ressources  dans 
les  querelles  continentales  les  plus  étrangères  à  ses  développemeas 
intérieurs.  Six  cent  cinquante-six  lieues  de  côtes  lui  ouvrent  d'ex- 
Cellcns  ports  sur  les  deux  mers;  et  loin  d'appeler  dans  son  sein  le 
commerce  du  monde,  ces  ports  ont  été  les  canaux  par  où  sa  force 
et  sa  richesse  se  sont  écoulées  vers  des  plages  aujourd'hui  perdues 
pour  elle.  Sur  son  sol  si  divers  d'aspect  et  d'élémens,  où  la  science 
se  complaît  à  trouver  comme  un  résumé  de  la  création  tout  en- 
tière (i),  les  productions  de  toutes  les  zones  se  touchent  et  se  con- 
fondent, et  nulle  contrée  n'offre  pourtant  un  tel  aspect  de  misère 
et  de  désolation  ;  les  arbres  y  manquent  comme  les  hommes,  les 
eaux  comme  les  moissons.  De  grands  fleuves,  qui  devraient  doter 
ce  pays  du  plus  beau  système  de  canalisation  du  monde,  y  portent 
la  ruine  et  la  stérilité,  torrens  impétueux  grossis  aux  pluies  de 
rhiver,  lits  infects  et  desséchés  sous  un  ardent  soleil. 

Cette  lenteur  à  s'engager  dans  les  voies  de  la  civilisation  moderne, 
cette  constante  misère  à  côté  de  tant  de  richesses,  tiendraient-elles 
à  un  défaut  inhérent,  à  la  constitution  physique  de  cette  contrée, 
à  la  barrière  qui  la  sépare  du  continent?  M.  Mignet  semble  le  croire. 
On  pourrait  répondre  que  si  son  isolément  a  nui  à  l'Espagne,  cest 
que  les  circonstances  politiques  où  elle  s'est  trouvée  engagée  l'ont 
empochée  d'en  recueillir  le  bénéfice,  et  que  les  mers  qui  entourent 
la  Grande-Bretagne  assurent  sa  sécurité  intérieure  et  sa  nationalité, 
sans  être  unobstade  à  aucun  de  «es  développemens.  Nous  pensons, 
pour  notre  compte,  qu'ici  tous  les  reproches  doivent  porter  sur  les 
institutions  et  sur  les  hommes,  qu'aucun  ne  peut  s'adresser  à  la 
nature,  ci  ce  n'est  peut-être  celui  d'une  trop  grande  fécondité. 


(I)  «.  Boryde  Sahit-Vloeeiit.  Sas  donnéetont  été  tUténlenint  reproMtet  pv  lidDi* 
«MAMiiiMU);  Meeiéhmi0  de  Upana  y  HmrnfoL  Madrid ,  ttt». 


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DE  L'ESPAGHB  BT  DB  8011  HISTOIRE.  SSHT 

Tout  accose,  en  ce  pays,  une  position  manquée,  quelque  chose 
â^exceptionnel  et  d'anormal.  Il  est  yis  bto  que  le  déiFeloppemenl 
Bâtard  de  la  société  n*a  pas  parcoam  au-delà  des  Pyrénées  ses 
phases  nécessaires.  Si  la  Rnssie  souffre  de  la  civilisation  en  serre- 
diaude  improvisée  par  Pierre-le^Sran  i  »  TEspagne  est  malade  ausd 
(Tun  vice  organique  caché  dans  les  profondeurs  de  son  histoire. 

Après  une  résistance  héroïque,  la  Péninsule  subit,  comme  le 
reste  du  monde,  le  joug  de  Rome.  Les  arts  et  les  mœurs  de  Tlialie 
t'acclimatèrent  vite  sous  son  beau  ciel,  et  ses  steppes  les  plus  sao* 
rages  attestent  encore,  par  d'imposantes  et  voluptueuse  nnnes, 
que  la  conquête  de  cette  contrée  fat  plus  complète  que  celle  des 
Gaules.  A  la  chute  de  Tempire,  FEspagne  chrétienne  et  romaine 
reçut  aussi  du  Nord  le  flot  régénérateur;  la  barbarie  y  épandil  le 
firoon  de  sa  force  fécondante,  et  Tempire  des  Goths  primait  alon 
odoi  des  Francs,  nos  rudes  ancêtres. 

Mais,  au  commencement  du  viir  siède,  un  feit  nouveau  se  pn^ 
duisit  qui  jeta  la  Péninsule  en  dehors  des  voies  suivies  par  les  au-* 
très  nations  européennes.  Les  Arabes  y  détruisirent  la  puissance 
des  Goths,  et,  sur  les  ruines  d'une  société  romano-germaine,  ih 
élevèrent  cette  civilisation  sarrazino,  mosaïque  brillante  et  légère 
dont  leur  architecture  semble  encore  la  vivante  image.  Cependant 
le  grand  cataclysme  sous  lequel  succomba  la  civilisation  chrétienne 
en  Afrique  et  en  Asie,  ne  devait  pas  ;*y  reproduire.  La  partie  la 
plus  énergique  de  la  population  s^enfnit  vers  le  nord,  jetant  dans 
lès  montagnes  des  Astnries,  de  TAragon  et  de  la  Navarre  les  bases 
de  royaumes  voués  dès  l'origine  à  une  guerre  incessante  et  impi'» 
toyable  :  croisade  entreprise  pour  recouvrer  les  tombeaux  de  ses 
pères,  et  dont  chaque  enfent  recevait  le  signe  avec  l'eau  de  son 
baptême. 

Pendant  que  les  autres  nations  se  mêlaient,  en  s'éfendant  hors 
de  leurs  frontières,  pour  réagir  ensuite  sur  elles-mêmes,  et  qve^ 
par  ses  transformations  successives^  le  régime  féodal  enfontaft  tour 
i  tour  l'aristocratie  des  barons,  la  démocratie  des  communes  et  la 
suprématie  des  rois;  pendant  que  les  conquêtes  de  Fagriculture,  de 
la  navigation  et  du  commerce,  hâtées  par  les  croisades  et  uneséciK 
rite  plus  générale,  imprimaient  un  mouvement  progressif  à  la  so^ 
ciété  française,  l'Espagne  restait  vouée  à  la  même  œuvre,  qu'ela 
suivait  avec  une  courageuse  et  patiente  obstination. 

15. 


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218  RBTUB  DBS  DEUX  MONDES. 

Durant  huit  siècles,  qui  virent,  selon  les  historiens  castillans, 
livrer  trois  mille  sii  cents  batailles  rangées,  ce  peuple  ne  se  délassi) 
de  sa  vie  armée  qu*en  répétant  en  chœur  les  chants  chevaleresques 
qui  grossissaient  chaque  jour  cette  vaste  épopée  cyclique.  La 
guerre  devint  pour  lui  quelque  chose  de  sacré  ;  il  la  fit  avec  une  foi 
forte  et  impitoyable,  et  la  destruction  des  Maures  prépara  ceHo 
des  Indiens. 

Son  expérience  sociale  n'augmenta  pas  plus  que  sa  sécurité  in- 
térieure. Au  lieu  de  s'étendre  sur  le  sol,  pour  le  féconder  par  k 
travail,  de  se  grouper,  comme  elle  le  fit  en  France,  autour  des 
demeures  féodales  et  des  abbayes ,  la  population  de  TEspagne  sa 
jeta  dans  de  grandes  villes,  les  seules  qui  pussent  efficacement 
résister  aux  attaques  des  armées  musulmanes.  De  là  cette  dispro- 
portion notable  entre  la  population  urbaine  et  celle  des  campa- 
gnes dont  les  désastreuses  conséquences  se  sont  étendues  jusqu'à 
nous.  Au  sein  de  cette  société  organisée  pour  une  guerre  éternelle, 
les  terres  étaient  sans  valeur,  parce  qu  elles  étaient  possédées  sans 
sécurité.  Aussi  furent-elles  distribuées  aux  chefs  militaires,  bien 
plus  comme  des  territoires  à  défendre  que  comme  une  source  de 
richesses  à  exploiter.  De  là  Tîmmense  étendue  de  ces  possessions 
qui  eussent  fait  de  l'aristocratie  espagnole  la  plus  colossale  du 
monde,  si  l'incurie  des  hommes  et  des  lois  ne  les  avait  rendues 
stériles. 

Le  régime  féodal  fit  peut-être  répandre  en  France  autant  de 
sang  qu'au-delà  des  Pyrénées  la  longue  croisade  contre  les  Mau- 
res; mais  les  victoires  territoriales  remportées  par  nos  rois  sur 
leurs  féudataires,  les  conquêtes  politiques  faites  par  les  commu- 
nes, avançaient  chaque  jour  l'œuvre  commencée,  et  la  société  mo- 
derne sortit  enfin  de  ces  couches, laborieuses.  La  puissante  uniié 
de  l'empire  de  Charlemagne  avait  créé  pour  Tavenir  des  titres  aux 
rois  de  France  leurs  successeurs;  en  Espagne  au  contraire,  aucun 
iien  ne  rattachait  les  diverses  dynasties  princières  à  un  même  centre 
de  suzeraineté  féodale.  Ces  dynasties,  d'ailleurs,  n'exerçaient 
qu'un  pouvoir  fort  limité,  autant  par  l'autorité  des  chefs  miliuires 
qui  marchaient  de  pair  avec  elles ,  que  par  la  turbulente  puissance 
de  ces  populeuses  cités,  où  l'insurrection  éclatait  sitôt  que  les 
Maures  quittaient  le  pied  des  remparts. 

Cependant,  lorsque  le  royaume  de  Grenade  eut  succombé  sooi 


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DE  L'eSPAGHB  et  BB  soif  HISTOIRE.  5B9 

les  armes  chrétiennes,  et  que  FEspagne  se  troara  réonie  s'^ns  le 
sceptre  de  Ferdinand  et  d*IsabeUe,  une  nouvelle  ère  s*oavrit  pour 
ce  pays,  qui  parut  rentrer  enfin  dans  le  mouvement  imprimé 
aux  autres  sociétés  contemporaines.  Le  pouvoir  royal  commença 
às*y  développer,  assez  fort  pour  créer  Funité  nationale,  trop  fai- 
ble pour  étoufler  le  goût  et  Thabitude  delà  liberté. Les  privilèges 
anarchiques  de  T Aragon,  qui  légitimaient  la  guerre  civile  et  Tim- 
posaient  comme  un  devoir,  les  institutions  aristocratiques  de  la  Cas- 
tille,  les  fueros  de  toutes  les  vflles,  subirent  Taction  de  la  royauté 
et  s*harmonièrent  avec  elle.  Le  justiia  d* Aragon  vit  s'abaisser 
ses  prérogatives,  égales,  sinon  supérieures,  à  celles  des  princes 
souverains;  l'exorbitante  influence  de  la  noblesse  propriétaire 
d*nne  grande  partie  du  sol  des  deux  Castilles  et  de  Léon  fut  atta- 
quée par  la  force  et  minée  par  Tadresse.  Ferdinand  eut  Thabileté 
de  se  fidre  élire,  avec  le  concours  de  Rome,  grand-maître  des 
trois  ordres  militaires,  et  de  rattacher  ainsi  ces  corps  puissans  à 
la  couronne.  En  s'appuyant  sur  les  vieilles  mœurs  et  les  institutions 
particulières  à  la  Péninsule,  il  usa  de  tout  sans  rien  détruire;  c'est 
ainsi  qu'il  fit  de  la  Sainte-Hermandad  un  moyen  de  police  et  un 
instrument  de  pouvoir  non  moins  énergique  que  ne  le  fut  en 
France  rétablissement  des  troupes  soldées. 

L'Espagne  rentrait  donc  enfin  dans  la  voie  générale  des  peuples, 
après  avoir  dépensé  sept  siècles  à  une  œuvre  glorieuse,  mais  sté- 
rile; elle  commençait  à  subir  les  influences  auxquelles  d'autres 
nations  devaient  des  destinées  déjà  plus  pacifiques  et  plus  prospè- 
res. Si  les  vues  patriotiques  de  Ferdinand  avaient  continué  d'être 
appliquées,  on  ne  saurait  douter  que  ce  beau  royaume,  au  lieu  de 
la  splendeur  factice  et  passagère  du  règne  suivant,  ne  se  fût 
Aevé  à  cette  puissance  forte  et  permanente  que  donne  la  mise  en 
œuvre  de  toutes  les  facultés  natives.  Un  étranger  vint  suspendre 
violemment  ce  travail  intérieur,  et  rejeter  l'Espagne  dans  la  po- 
sition exceptionnelle  dont  elle  commençait  à  sortir.  Le  Gantois 
Charles-Quint,  avec  son  cortège  de  ministres  belges  et  de  soldats 
allemands,  porta  à  la  nationalité  espagnole  un  coup  dont  elle  ne 
se  releva  plus.  Au  lieu  de  se  faire  l'instrument  de  la  grandeur 
naissante  du  royaume,  il  fit  du  royaume  l'instrument  de  sa  gran- 
deur personnelle,  et  le  roi  d'Espagne  disparut  devant  Tempereur. 

L'œuvre  de  Ferdinand  et  d'Isabelle  fut  dénaturée  par  leur  petit- 


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9BB  ^BTVS  ms  bevx  aoHDB. 

Ife.  AiirHM;4k  ffégleg y eKufaéraace  de  la  vie  populaire,  on  préCèrt 
Fatccindre  et  la  tarir  dans  sa  aomrce,  et,  selon  l'csage  de  teu  les 
despotisnies,  on  eoupa  Parbre  po«r  eueîHir  le  froit.  Lès  orastoses 
sMsemUées  des  corth  se  tarent  devant  les  armes  étrangères,  hs 
TÎDes  jouèrent  leurs  libertés  dans  des  luttes  inégaies.  PadiUa  dt 
Tolède,  Bravo  do  Ségovie,  Maldonflbda  de  Salamanqoe,  ponèteit 
sur  réchafaud  leur  noble  tête,  et  ce  sang  héroïque  cooia  cons» 
la  sève  d'un  tronc  frappé  dam  ses  racines  et  qpii  voit  bientôt  jptfr 
ei  tomber  sa  couronne  de  verdure. 

Le  mauvais  succès  de  l'insurrection  des  villes  et  Tédatsiite  vea» 
geawee  qui  en  fut  tirée,  frappèrent  au  coeur  le  génie  municipfd  alors 
quil  commença'tà  s'épanouir.  L'babileté  et  la  fortune  de  renpe* 
reur,  les  vice-royautés  d'Italie  et  d'Amérique,  les  commandemeat 
enRandreet  en  Allemagne,  étoufKèrent  en  même  temps  la  superht 
indépendance  de  Taristoeratie  espagnole.  Contens  du  privilège  dt 
se  couvrir  devant  leur  maître,  de  le  servir  à  sa  cour  et  dans  wm 
armées,  les  grands  ne  parurent  plus  dans  les  province»  dont  ib 
possédaient  la  presque  totalité  du  sol;  et  un  gouvernement  ombra- 
geux 6t  à  cet  égard  une  prescription  de  ce  qui  avait  cessé  d^ 
d*étre  dangereux  pour  lui.  Un  corps  aristocratique  sans  actioft 
dans  le  gouvernement  ne  peut  garder  ni  popularité  ni  imporiaaos 
politique.  Ses  richesses  sont  un  effet  sans  cause,  et  comme  une 
anomalie  que  lui  font  expier  le  mépris  du  pouvoir  et  la  haine  dei 
peuples.  Aussi  la  grandesse,  sans  racines  dans  la  nation,  fnt-^ 
prhnée  à  la  cour  des  princes  autrichiens  par  les  fevoris  du  pias 
bas  étage,  et  descendit  promptement  au  dernier  degré  défiai- 
puissance  et  du  rachitisme.  On  ne  lui  conserva  pas  mémo  ces  vaim 
simulacres  de  liberté,  dont  on  crut  devoir  amuser  la  vanité  des 
procureurs  des  villes,  dans  les  parades  solennelles  jouées  parla 
royauté  absolue. 

Ainsi  se  desséchaient  tons  les  germes  d*avem>  au  sein  de  11 
triste  Espagne.  Pendant  que  son  nom  dominait  les  deux  mondes, 
que  ses  flottes  en  couvraient  les  mers  et  qu*elle  versail  son  sa^ 
sur  tous  les  champs  de  bataille,  la  cause  nationale  y  sueoooibak 
aous  des  principes  d'autant  plus  désastreux ,  qu'ils  revotaient  d<9 
apparences  phis  briMmces.  Les  intérêts  de  l'empereur  en  Aliéna» 
gne,  en  Flandre,  en  ftaKe,  les  développemens  du  système oeloflil 
Mqnel  elle  s^abandonnait  avec  une^si  funeste^jenianee,  épiriaèrent 


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DB  L*j(aPAG9IB  AT  hR  ^Olf  BIffVOIRE.  M 

809  farcQ^,  el  pcurtéreitf  un^coup  «lortal  i  aonayioitlwna  61  à  «m 
iadttstrie  iiais8«iUe  ;  ri«  ne  se  fit  pew  eA)e,  quoique  tout  se  fil«tt 
flOQ  ooœ  ;  elle  ^taii  devctfitte  TaDoefisoire  des  nombreux  et  loiMàit 
domaioes  annexés  à  sa  coiiroMe«  Ce  fiM  aûisi  que  le  pays  qui,  par 
sa  coafigiiratioii  sé<Hi^a()]Mque,  semblait  le  mieux  garanti  oontre  lea 
iailueiices  éiraiigères,  les  subît  par  le  mauvais  effet  de  ses  institua 
tions politiques,  plus  complètementei plus  long-temps  qu'audua 
l^tre  n^aume  du  continent. 

Giarles-Quint  comprit  oependaut  la  fausseté  de  sa  position  et 
toute  rioanité  de  sa  gloire.  l\  expia  Vuae  au  monastère  de  Saint»» 
Ju&t,  et  rectifia  lautre  en  délivrant  enfin  TEspagne  de  rAutricb^ 
et  de  Tempire.  Son  fils  vécut  en  roi  péninsulaire,  «  enfermé  à  1  £»- 
curial  comme  dans  un  monastère;  »  il  saisit  une  occasion  heureuse 
de  conquérir  le  Portugal,  seide  possession  que  les  rois  catholiques 
dussent  envier,  car  elle  est  indispeasataJe  à  leur  sAreté  intérieures 
et  Lisbonne  est  un  point  fatal  par  où  VEurope.meoacera  toujours 
le  gouvernement  de  Madrid.  Mais  ce  prince  n'avait  été  débarrassé 
que  d'une  trop  faible  partie  de  Théritage  paternel;  il  f&dlut  lui  oon*- 
server  le  reste,  et  des  flots  de  sai^  ca^tUlan  ooulérent  dans  les 
Pajf 6-BaS|  peur  prévenir  un  démembrement'que  TEspagne  aurait  pu. 
saluer  comme  une  victoire.  Avec  Tétroitesse  •obstinée  de  son  esprit 
la  froide  exaltation  de  son  ame ,  il  se  jeta  dans  les  querelles  relit- 
gieuses  de  son  temps,  échoua  en  France  et  en  Angleterre  et  se  dé- 
fendit en  Espagne  en  faisant,  du  tribunal  de  1  inquisition,  la  machine 
de  compression  intellectudle  la  plus  ccdossale  que  put  concevoir 
l'esprit  humain.  La  Péninsule,  où  le  travail  féodal  avait  été  subite^ 
ment  arrêté  par  Tinvasion  sarrazine,  qui,  au  x\'  siècle,  commenr 
$ait  l'œuvre  nationale  de  son  organisation  politique,  lorsqu'elle  fiit 
si  brusquement  interrompue  par  Charles-Quint,  se  vit  donc  rejetée 
en  dehors  de  toutes  les  idées  européennes  par  la  main  de  plomb  de 
Philippe  II.  Pour  avoir  raison  du  protestantisme,  il  atteignit  Tesprit 
humain  en  sa  source  même,  préparant  ainsi  pour  la  venir  au 
dûgme  religieux ,  si  malheureusement  associé  à  son  pouvoir  desr 
poiique,  des  épreuves  plus  redoutables  que  cdles  qu'il  était  appe^ 
à  traverser  dans  le  reste  de  l'Europe. 

a  Philippe,  dit  M.  Mignet,  séquestra  la  royauté  dans  une  solitude 
abrutissante,  il  la  rendit  invisible,  sombre,  hébétée;  il  ne  lui  j|^ 
connaltire  les  év^oemefts  que  par  des  rapports^,  les  hommes  qqip 


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S3â  AEVUB  DES  DEUX  MONDES. 

par  des  défiances.  ïl  porta  si  loin  le  soupçon,  qui!  éleva  son  ffls 
dans  la  crainte  et  dans  Fisolement;  il  ne  lai  permettait  pas  de  s*eih 
tretenir  avec  sa  fille,  à  laquelle  seule  il  se  confiait,  et  qui  seule  sou- 
lageait sa  vieillesse  accablée  d*infirmités  et  de  revers.  Au  moment 
où  il  fallut  quitter  la  puissance  qu*il  avait  voulu  étendre  et  qii*3 
avait  craint  de  perdre,  il  rejeta  sur  la  Providence  son  propre  ou- 
vrage, rincapacité  de  son  successeur,  d 

Philippe  II  avait  imposé  la  stérilité  à  Tintelligence,  Philippe  ID 
atteignit  la  terre  elle-même.  Depuis  long-temps  huit  cent  mille 
juifs  chassés  d'Espagne  avaient  emporté  tous  les  germes  d'une 
industrie  naissante  ;  plus  d*un  million  de  Maures,  chassés  en  trois 
jours,  firent  alors  un  désert  de  la  partie  la  plus  fertile  du 
royaume. 

Sous  Phi  ippe  IV,  un  ministre  entreprenant  voulut  relever  sa  pi- 
trie  de  son  irrémédiable  déchéance  :  <r  il  ne  vit  pas  que  son  repos  était 
de  la  paralysie,  et  que  remettre  en  mouvement  ce  pays  malade, 
c'éta't  le  faire  tomber;  »  sa  chute  en  effet  fiit  profonde  :  la  Franœ 
et  la  Hollande  lui  enlevèrent  des  provinces,  TA nglc terre  des  colo- 
nies; le  Portugal  recouvra  et  maint  nt  son  indépendance;  la  ré- 
volte éclata  au  royaume  de  Naples  et  jusqu'au  sein  de  la  Catalo- 
gne. Le  sang  de  Charles-Quint  s'était  épuisé  comme  celui  de  Cllâ^ 
lemagne  ;  et  son  arrière-petit-fils  remit,  en  mourant,  sa  couronne 
à  un  être  dégradé  de  corps  et  d'esprit,  roi  idiot  d'une  monarchie 
décrépite. 

La  vie  de  Charles  II  se  consuma  dans  les  sales  intrigues  des  fic- 
tions étrangères,  pour  se  disputer  un  pays  dont  l'intérêt  n'était 
pas  plus  consulté  que  les  vœux.  Les  prétendans  arguaient,  non  de 
l'assentiment  national,  mais  de  la  volonté  du  roi  devenue  la  loi 
suprême,  ou  de  la  loi  fondamentale  en  matière  de  succession,  in- 
stitution funeste  à  laquelle  on  doit  remonter  comme  à  la  source 
principale  des  calamités  de  l'Espagne. 

M.  Mignet  professe  une  opinion  contraire ,  et  conmae  il  y  a  grand 
profit  à  tirer  des  erreurs  d'un  homme  d'esprit,  nous  donnons  ses 
raisons,  qui,  si  elles  ne  nous  ont  pas  convaincu,  pourront  en  con- 
vaincre d'autres. 

«  n  ne  restait  à  l'Espagne  que  sa  loi  de  succession  pour  la  tirer 
de  son  anéantissement.  H  fallait  que  le  continent  vint  de  nouveau 
à  son  aide^  et  que  l'esprit  européen,  s'y  introduisant  à  la  suite  d'une 


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DE  L*£8PAGNB  ET  DE  SO:f  HISTOIRE.  235 

dynastie  nouvelle,  ranimât  et  la  flt  sortir  de  rimmobilité  pénin- 
salaire  o&  elle  était  retombée....  Les  dynasties,  et  les  lois  de  suc- 
cession qai  président  à  leur  maintien  ou  à  leur  remplacement,  sont 
d'ordinaire  appropriées  aux  besoins  des  divers  pays.  La  loi  espa- 
gnole différait  de  la  loi  française ,  comme  l'intérêt  de  TEspagne  dif- 
férait de  rintérét  de  la  France;  elle  appelait  à  la  couronne  les 
femmes  qui  la  portaient  dans  d'autres  maisons  en  se  mariant.  Ces 
mariages  amenèrent  la  réunion  des  diverses  parties  de  la  Péninsule, 
et  lai  procurèrent  Taide  du  continent  par  Tavénement  de  princes 
étrangers  qui  lui  apportèrent  d*abor  J  les  forces  de  TEurope  pour 
la  faire  triompher  dans  ses  luttes  de  religion  et  de  race,  et  plus 
tard  ses  idées  pour  la  faire  sortir  de  l'immobilité  péninsulaire  où 
elle  devait  retomber....  La  France,  au  contraire,  en  admettant  les 
femmes  à  la  couronne,  eût  renoncé  à  sa  nationalité;  elle  pouvait 
entretenir  son  mouvement  par  les  chocs  non  interrompus  du  reste 
de  TEurope  et  opérer  sa  formation  par  sa  force  intérieure.  Aussi 
se  réserva-t-elle  des  moyens  particuliers  de  perpétuer  sa  dynastie. 
Elle  plaça  des  rejetons  royaux  dans  plusieurs  provinces  à  mesure 
qu'elle  les  conquit ,  afin  que  les  branches  pussent ,  au  besoin ,  rem- 
placer le  tronc.  La  loi  des  apanages  fut  la  conséquence  de  la  loi  sa- 
Uqne.  Le  pays  le  plus  remarquable  par  son  unité  le  fut  aussi  parla 
durée  de  sa  dynastie.  » 

Le  savant  historien  paraît  avoir  étudié  les  annales  de  l'Espagne 
sous  la  préoccupation  de  cette  idée  que  Tisolement  géographique 
de  ce  pays  était  pour  lui  le  principe  d*une  infériorité  constante  qui 
devait  être  corrigée  par  Teffet  de  ses  institutions.  Mais  cette  position 
péninsulaire  n'était-elle  pas,  au  contraire,  l'un  des  plus  grands 
bienfaits  dont  la  Providence  pût  doter  un  pays  si  heureuse- 
ment assis  sur  deux  mers,  et  les  malheurs  de  l'Espagne  ne  tien- 
draient-ils pas  h  ce  qu'il  lui  fut  presque  toujours  interdit  d'en  re- 
cueillir le  bénéfice? 

11  est  difficile,  ce  semble,  de  concQier  la  valeur  théorique  que 
Ton  attribue  à  la  succession  féminine  et  le  biftme  si  judicieusement 
déversé  sur  cette  perpétuelle  exploitation  de  l'Espagne  au  profit 
d'intérêts  étrangers.  Si  la  succession  des  femmes  hâta  l'union  des 
divers  royaumes  de  la  Péninsule,  elle  eut  aussi  pour  résultat  de  pré- 
venir toute  assimilation  entre  ses  élémens  constitutifs,  toute  agglo- 
mération vers  un  centre  principal.  En  France ,  la  conquête  terrilo* 


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fit  RETOB  tofr  »EDX  «OHOB». 

Ttalèrflnft  pftT  «MMer  r  absorptk»*  morde  ;  m  Ee^Mstie,  la  l'èiiiiiéi 
pM  irmriê^  d^ètâds  )itdépéiM}aft»les  nHfflaltfil  en  ftice  de  la  conroime 
èé  Castnte  «  IM»  une  anHude  ^éjgalM  et  de  comptet  îsotemetti.  Voyez 
eMore,  a«eomnenceniefitd«  xvnrsîède,  Ténergiqve  concours  que 
lesétatd  de  CastiRe  prêtaient  à  PMttpped* Anjou,  et  celui  quelet 
pi^orâices  dépendantes  de  l'ancienne  couronne  d* Aragon  accor- 
diftient  à  Farehiduc. 

'  lie  principe  qui  a  fondé  la  nattenalité  française  eât  concovnii 
fonder  aussi  la  nationaliié  péninsulaire.  L*efFet  de  ta  loi  salique  eAt 
éW  pliïs  lent  peut-être,  mais  certainement  il  e^t  été  plus  s4r.  Notre 
régime  des  apanages  n'était  pas  même  à  cet  égard  d*une  rigoureuse 
niécessité;  à  Textinction  des  branches  régnantes,  mieux  eôi  râla 
fecewrir,  an  besoin ,  à  la  succession  bfttarde  qui  onna  au  Portugd 
Ite  fondateur  de  hi  dynastie  d'Arîs,  et  son  chef  m^me  à  la  maison  de 
BragMce,  qued'engagerrEspagne  dans  un  système  qui  ne  lui  pr^ 
qu*me  force  ftictioe  en  échange  de  la  force  native  dont  eBe  fa  dè- 
ponillait. 

On  vient  de  dire  à  quel  abaissement  politique  la  dynastie  autri- 
ctnenne  avait  conduit  l'Espagne;  la  dynastie  française  ne  servit  guère 
mieux  ni  sa  prospérité ,  ni  sa  gloire. 

Le  plus  grand  malheur  qui  eût  pu  arriver  alors  à  la  Pénînsufee^ 
été  la  réalisation  du  mot  fameux  de  Louis  XÎV.  Ce  n'étaît  pasTrs- 
péFance  de  rattacJier  un  grand  royaume  au  mouvement  générafl  du 
«vende  qui  inspirait  an  monarque  français  le  v(eu  qu*fl  n*y  eth  plus 
de  Pyrénées.  Dans  sa  bouc^,  ce  désir  avait  une  portée  parement 
y^ikîqne.  Il  entendait  dire  seidement  (pi*Aranjuez  serait  une  dé- 
]^êiidance  de  Versailles  comme  Trianon ,  et  qu'il  y  régnerait  p« 
procureur.  S'il  ne  l'avait  pas  ainsi  compris,  Louis  XIV  n  eût  p« 
manette  de  s'en  tenir  au  traité  de  partage  de  1700  et  de  repousser 
krtestament. 

Quant  aux  bienfaits  dont  l'établissement  de  la  maison  deBourbott 
^plustardte  pa<^  de  famîHeont  pu  doter  FEspagne,  ils  sont  au 
tfOi«is  problématiques.  Après  Fhllfppe  V,  plus  occupé  de  ses  irttfi- 
gtiesen  France  et  des  prejeis  d'Aimé  femme  et  d'un  ministre  amht^ 
teux  dur  lltialie  qeie  des  inriérêts  vitanx  de  sa  patrie  adopifre,  srt 
aôcoessenrs  s'engagent  dansdes^oiAits  maritimes  souvent  sfans  hoi 
eifOlyoursaans  profit.  Si,  effif^ieederAngleterre,ranfance  franco- 
espagnole  était  onebevreuse  nécessité  pour  les  deux  pays,  la  corn» 


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DE  VmPàmB  BT  DB  SOU  HltTOIRB. 

«Bmiaiitéd»dyii»tien*mi  Alt  pas  le  principe,  car  eHe  retaortait  lii^ 
ianaturo  das  chaaas.  La  branche  des  Bourbons,  tra&i|riMitée  a»- 
delà  des  Pjréoées,  subit,  d'aiHeors,  promptement  rinfhienoe  db 
rinnnGOnlité  pèninaulaîre,  d*ane  manière  aussi  çomplèce  que  la  triste 
dynastie  qu'elle  aviût  remplacée.  Sous  des  règnes  obscurs,  IEb- 
p9gaè  ceiltkuia  de  courir  rapidem^it  vers  sa  décadence;  aides 
tentatives  sou¥ent  irréflécbies  de  réforme  eurent  Meu  dans  aoa 
organtoatkm  civile  et  •nancière,  dans  le  oours  du  xvnf  si^ 
de;  sa  ^  Macanasà  Jovellaaos,  de  Tintendant  Orr j  à  d*Aranda^ 
iieridsh-Blaaca  et  Olavide,  on  suit  le  progrès  ecHiataat  d'nneéoeie 
^oononiqoe  et  administrative  dans  le  sens  de  la  centralisation  aso- 
deme,  il  n'y  a  rien  là  qui  se  puisse  directement  rapporter  à  1*  in- 
fluence de  la  dynastie  française;  des  essais  analogue»  avaient  lieu  en 
jkitaidie  et  en  Toscane  pour  ne  pas  dire  en  Russie;  c'était  ccmime 
felmnÉcia  retentissement  des  idées  et  surtout  des  passions  contenu 
poraâKs.  Ces  novateurs,  {dus  théoriciens  qu'hommes  de  pratique  > 
^pn  la  royauté  ne  secondait  que  par  boutades  et  que  le  penjrie  r»- 
fwsoait  toujoars,  échouèrent  contre  les  intérêts  et  bien  plus  en^ 
corecontiïeles  m«iur8;le  mouvement  essayé  par  Charles  m  était 
sans  radaes  et  sans  avenir,  ses  ministres  le  oonçurenu  tpop  à  la  ma- 
mèpedeiosephclldans  les  Payais.  Tout  cela  était  pour  aboutir 
aux  turfâtttdeade  son  svccesseur,  qui  monta  sur  un  trène  qu'on 
disait  solide,  parce  cpi*aatour  de  lui  il  se  ftûs^t  un  profond  sikûice': 
■ois ce  silenee  Ait  imerrompu  par  un  coup  de  tonnerre,  et  de^ 
pnb  OB  jour  une  nue  orageuse  envdoppe  l'Espagne  et  son  avenir. 

La  succession  étranc^  n'a  donc  imposé  à  ce  pays  que  des  eth 
erifices  tout  aussi  inutiles  à  son  avancement  intellectuel  qaà  ses 
intérêts  nationaux.  Peut-être  en  Tappréciant  autrement,  ne  se  éè- 
ftige4-on  po»  assez  des  impressions  contemporaines,  et*paree  qu'on 
espère  ^rajourd'hui  la  r^énération  de  l'Espagne  d'un  retour  à  sa 
vieBlc  loi  de  aoocession  ftmialne,  est^on  disposé  à  transformer  en 
principe  de  progrès  ce  qui  n'est  qu'un  accident  heureux. 

Autant  que  persmme,  je  ferme  des  vœux  poar  la  consolidation 
dn  gouvernement  dont  le  sort  est  si  étroitement  lié  dans  la  Pénin^ 
aale  i  cehii  de  tous  les  hommes  de  quelque  poids,  par  leurs  lu-^^ 
Buèreaeu  leur  position  sociale,  gouvernement  auquel  il  manque 
beaucoup  sans  doute  en  force  et  en  dignité,  mais  qui,  dans  sa  chute» 
«ignaler ait  le  triomphe  de  la  démagogie  des  viOes  et  de  la  déma* 


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996  RËYUB  DES  DEUX  MONDES. 

gogie  des  campagnes,  deux  souverainetés  également  illégitimes 
parce  qu'elles  sont  sans  intelligence.  Hais  qu*est-il  besoin  de  rappe- 
ler que  si  le  trône  d'Isabelle  II  est  devenu  le  point  de  ralliement 
delà  grandesse  et  de  la  classe  moyenne,  des  hommes  de  Tindas- 
trie  et  de  la  partie  éclairée  du  clergé,  il  le  doit  moins  à  la  valeor 
de  son  titre  qu*à  Tobligation  où  fut  ce  gouvernement  de  s'appuyer 
sur  des  intérêts  jusqu'alors  impitoyablement  repoussés  et  pro»- 
crils?  11  n'y  aurait  sans  doute  aucun  avantage  pour  TEspagne  iœ 
qu'elle  fût  un  jour  gouvernée  par  tel  prince  étranger  qu  il  plai- 
rait au  caprice  d'une  jeune  reine  de  choisir,  et  cet  avenii'  Tinquiète' 
rait  à  bon  droit,  si,  avant  de  redouter  les  inconvéniens  possibles  et 
fort  éloignés  d  un  système  dynastique,  il  ne  lui  fallait  s^assurerles 
avantages  actuels  d*un  gouvernement  éclairé  et  libre. 

Ce  qu*on  attend,  en  effet ,  de  cet  universel  mouvement  dans  les 
hommes  et  dans  les  choses,  qui,  après  s'être  abrité  derrière  une 
intrigue  de  cour,  a  6ni  par  devenir  une  révolution,  c'est  rétablis- 
sement d'un  pouvoir  entièrement  nouveau ,  sinon  dans  ses  formes, 
du  moins  dans  ses  maximes,  qui  repousse  le  passé  de  l'Espagne 
comme  un  legs  stérile  et  funeste,  et  la  fasse  enCn  sortir  des  voiesoi 
en  poursuivant  richesse  et  gloire ,  elle  n'a  rencontré  que  misère  et 
corruption.  L'Espagne  a  pour  jamais  perdu  les  Amériques,  et  son 
gouvernement  vient  de  le  proclamer  pour  la  première  fois;  si  die 
conserve  encore  aux  Antilles  et  dans  la  mer  des  Indes  les  pins 
belles  colonies  du  monde  après  celles  de  l'Angleterre,  ces  établis- 
semens  ne  sont  plus  de  nature  à  la  détourner  d'un  système  pure- 
ment intérieur,  le  seul  qui  convienne  à  l'exploitation  de  son  magni- 
fique territoire,  à  la  réforme  de  ses  institutions  civiles  et  de  ses 
mœurs. 

Effacée  du  nombre  des  grandes  puissances  de  TEurope,  qu'elle 
s'en  fasse  oublier  pendant  un  siècle,  comme  ces  malades  qui  se 
retirent  loin  du  monde  pour  soigner  une  santé  débilitée  par  nn 
mauvais  régime,  ou  des  infirmités  de  jeunesse;  que  revenue  de 
théories  déjà  visiblement  en  baisse  dans  son  sein,  et  mise  par  nos 
armes,  s'il  le  faut,  à  Tabri  d'un  absolutisme  qui  ne  triompherait ui 
jour  que  pour  s'ab'mer  dans  l'anarchie,  elle  reporte  toutes  ses 
pensées  sur  elle-même,  n'étudiant  son  passé  que  pour  s'en  éloî- 
gner. 

Tout  gouvernement  qui  comprendra  l'Espagne,  s'attachera  d'à- 


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DE  L*ESPAGNB  ET  DE  SON  HISTOIRE.  2*^7 

bord  à  y  mettre  le  trayail  en  honneur,  à  y  faire  fleurir  la  mora- 
lité privée ,  étouffée  sous  un  formalisme  religieux  sans  intelligence 
et  sans  vie  ;  il  invoquera  le  concours  du  clergé  auquel  il  fera  une 
large  part  dans  cette  œuvre  de  régénération ,  en  lui  étant  toute 
possibilité  et  dès-lors  toute  tentation  d*exercer  désormais  au- 
enne  action  politique  ;  il  s*attacbera  à  détruire,  par  Fascendant  de 
rindustrie  et  de  Vesprit  de  propriété,  ces  habitudes  vagabondes  et 
guerrières  de  la  démocratie  rurale ,  retrempées  dans  la  longue 
lutte  de  la  Péninsule  contre  Napoléon,  et  que  Ferdinand  VU  a  si 
malheureusement  excitées  aux  plus  mauvais  jours  de  sa  puissance. 
En  changeant  le  vieux  système  d*administration ,  en  traçant  des 
routes  et  creusant  des  canaux  dans  de  vastes  solitudes,  il  réunira 
des  provinces  étrangères  les  unes  aux  autres,  il  confondra  de  plus 
en  plus  la  population  des  villes  et  celle  des  campagnes ,  que  leurs 
antécédens  historiques ,  autant  que  Tincurie  souvent  calculée  du 
pouvoir,  ont  constituées  dans  un  état  presque  permanent  d'hosti- 
lité; un  gouvernement  réparateur  mettrait,  en  un  mot,  TEspagne 
à  bois  neuf,  en  greffant  les  idées  européennes  sur  ce  sauvageon 
admirable  de  vigueur  et  de  puissance. 

n  n*en  est  pas  de  cette  contrée  comme  de  la  France.  Celle-ci  a 
pu  rester  Adèle  à  presque  toutes  ses  traditions  politiques  ;  celle-là 
est  malheureusement  condamnée  à  les  répudier.  Quelque  profonde 
qu'ait  été  la  révolution  de  89,  elle  n*a  guère  changé  les  rapports 
de  la  France  vis-à-vis  de  TEurope,  parce  que  sa  puissance  s*est 
développée  selon  des  conditions  naturelles  et  normales.  Nous  avons 
pu  ajouter  à  Tœuvre  de  nos  pères  sans  en  déplacer  les  fondemens. 
L'Espagne,  au  contraire,  refoulée  dans  les  voies  intellectuelles  par 
l'inquisition  et  l'absolutisme  claustral ,  dans  celles  de  la  politique 
et  de  l'industrie  par  le  système  colonial  et  l'éparpillement  de  ses 
forces,  entre  dans  une  ère  nouvelle,  n'ayant  àproflter  que  de 
ses  fautes ,  car  chez  aucune  nation  le  passé  ne  fut  aussi  coupable 
envers  l'avenir. 

Ce  contraste  entre  notre  gouvernement,  fort  de  l'harmonieuse 
unité  de  ses  parties,  et  un  pouvoir  gigantesque,  produit  des  cir- 
constances et  inhabile  à  les  dominer,  est  tracé  dans  l'introduction 
de  M.  Hignet  d'une  manière  large  et  lumineuse.  Cest  la  philosophie 
de  l'histoire  descendue  des  abstractions  pour  poser  le  plus  impor- 
tant problème  des  deux  derniers  siècles. 


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EBVUB  DBS  DBUX  MONDES* 

Les  deux  volumes  publiés  n*en  donueut  pas  la  8(dittion;ibBi 
vont  que  jusqu*ea  1668  et  s*arr6tent  à  la  paix  d'AixJa-ChapeUeqoi 
suivit  la  première  guerre  de  Flandre.  Près  d*un  demi-siècle  devait 
s*écouler  encore  avant  que  le  sort  de  l'Espagne  f&t  irrévocable- 
ment fixé.  Lorsque  ce  grand  monument  national  sera  achevé,  nou 
embrasserons 9  dans  son  ensemble,  une  négociation  dont  noas 
a*avoDs  pu  esquisser  que  las  prémices, 

Louis  DB  CâbmL 


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CHRONIQUE  DE  LA  QUINZAINE. 


êéjvfltl 


Les  afTaîres  d'Angleterre  continuent  d'olTrir  an  spectacle  chaque  jonr 
plus  intéressant  et  plus  varié.  Il  importe  de  suivre  avec  attention  jusqu'au 
déDouement  Faction  an  peu  lente,  mais  curieuse  et  compliquée,  da 
drame  politique  de  Westminster. 

Si  la  guerre  a  décidément  éclaté  entre  les  deux  assemblées  législa- 
tives, c'est  bien  la  chambre  des  lords  qui  a  voulu  cette  collision.  La 
chambre  des  lords  se  souvient  que  la  prud^jice  et  la  timidité  lui  ont  mal 
réussi  en  1832.  Aujourd'hui  qu'elle  n*aperç<>il  nul  danger  menaçant  & 
rhori7on ,  elle  s*av  se  de  courage  et  de  hardiesse.  Ce  nouveau  système, 
dont  rinertie  actuelle  de  l'esprit  public  semble  justifier  remploi,  est-il 
également  bien  calculé  poir  garantir  longuen.ent  Texistence  de  la  pairie? 
Yoilà  ce  quMl  s'agit  d'oxaminer. 

—  Plus  de  concessions!  se  sont  écriés  les  lords.  Nous  avons  été  jua- 
qo'à  présent  trop  prompts  à  reculer.  Nous  ne  céderons  plus  un  pouce  de 
terrain.  L*liabileté  consiste  à  défendre  les  muiodrea  positions  qui  gardent 
l'accès  de  la  place.— 

Les  conférences  s'entament  avec  les  communes  au  sujet  de  raccom- 
modement proposé  sur  le  bill  des  corporations  irlandaises.  Durant  les 
dernières  années,  dans  ces  sortes  de  coarérences,  la  courtoisie  avait 


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19. 


2&0  RETUE  DES  DEUX  MONDES. 

presque  triomphé  du  ▼  eil  usage.  On  avait  daigné  recevoir  les  communei 
sans  se  couvrir  et  debout.  C'était  une  impardonnable  Taiblesse.  Désormais 
on  s*assiera  comme  par  le  passé,  et  Ton  enfoncera  m(^me  davantage  son 
chapeau.  Si  vous  aviez  vu  peut  tant  les  nobles  lords  en  habit  de  ville, 
coidés  de  cet  étrange  chapeau  à  cornes,  qui  ne  ressemble  pas  mal  â 
celui  de  nos  ordonnateurs  des  pompes  funèbres,  vous  douteriez  que  ce 
retour  à  la  rigoureuse  étiquette  aristocratique  soit  un  moyen  fort  efficace 
pour  restaurer  la  dignité  de  la  pairie. 

Mais  voici  venir  une  occasion  plus  sérieuse  de  montrer  son  autorité.  Ce 
même  bill  des  corporations  irlandaises,  déjà  si  cruellement  maltraité 
par  leurs  seigneuries,  se  représente  enfin  devant  elles  timidement  réa- 
mendé par  les  communes.  La  séance  est  grave  et  solennelle.  Lord  Mel- 
bourne et  lord  Uolland  avaient  renouvelé  leurs  avertisscmens  énergiques. 
Voyant  quelle  aveugle  passion  entraînait  la  chambre,  lord  Grey  lui-même 
avait  rompu  un  silence  de  deux  ans.  Il  s'était  avancé  seul  entre  les  deux 
partis  prêls  à  en  venir  aux  mains,  et  avait  proposé  un  dernier  moyen  de 
conciliation.  Mais  ses  conseils,  pleins  de  sagesse,  ne  sont  plus  ceux  que 
Ton  écoute ,  ce  sont  les  ressenlimens  acharnés  ac  lord  Lyudliurst  qui  font 
la  lui.  C*est  rcx-chancclier  tory  qui  gouverne  malmenant  les  pairs  sons 
la  responsabilité  du  duc  de  Wellington,  leur  chef  nommai.  Lord  Lynd- 
hurst  ayant  déclaré  que  les  lords  ne  peuvent  se  désister  de  leurs  principes, 
une  formidable  mojorité  repousse  à  la  fois  et  les  amendemens  de  la  se- 
conde chambre ,  et  le  sous-amendement  plus  pacifique  encore  de  lord 
Grey. 

Ce  rejet  prononcé,  tout  espoir  d'arrangement  avait  dû  s'évanouir.  La 
conduite  ultérieure  des  communes  était  dictée  d'avance.  La  politique  les 
avait  poussées  à  trop  accorder  peut-être;  il  ne  leur  était  plus  permis  de 
rien  céder  honorablement.  Aussi  la  séance  dans  laquelle  lord  John  Russe! 
vient  demander  rajournement  à  trois  mois  du  bill  mutilé,  n*a-t-elle 
point  rintéiél  dramatique  de  celle  des  lords;  mais  le  langage  que  lient  le 
ministre  est  singulièrement  vigoureux  et  significatif,  o  II  compte  que  II 
pairie  ouvrira  les  yeux  et  se  rangera  prochainement  à  Tavis  des  commu- 
nes, autrement  il  désespérerait  du  salut  de  la  constitution  britannique; 
car  il  ne  concevrait  pas,  ajoute-t-il,  de  constilutidn  plus  impraticable 
que  celle  qui  autoriserait  Topposition  déterminée,  persévérante,  inflexi- 
ble ,  d'une  chambre  haute  paralysant  toutes  les  mesures  de  la  chambre 
élective  et  méconnaissant  l'opinion  générale  du  pays.»  Ce  sont  là  les 
propres  paroles  de  lord  John  Russel,  le  fils  du  duc  de  Bedford,  l'ao 
des  plus  illustres  rejetons  de  Taristocralie  anglaise ,  et  conséquem- 
ment  l'un  des  plus  intéressés  à  la  conservation  des  privilèges  de  cette 
aristocratie;  ce  sont  les  propres  paroles  du  même  ministre  qui  déclarait, 


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R£¥UE.  —  CHRONIQUE.  211 

il  y  a  moins  de  six  mois,  que  la  réforme  ne  devait  seulement  pas  songer 
aux  changemens  organiques. 

Ainsi  la  pairie  est  mise  en  demeure^  et  non  plus  uniquement  par  les 
radicaux  y  mais  par  les  wbigs  eux-mêmes.  II  faut  qu'elle  cède,  et  avant 
peu,  ou  le  maintien  de  la  constitution  devient  impossible,  c'est-à-dire 
qu'il  devient  indispensable  de  réformer  la  pairie.  Cédera- t-elle  cepen- 
dant? pourra-t-elle  céder?  Engagée  comme  elle  est  dans  le  chemin  diffi- 
cile où  l'a  jetée  lord  Lyndhurst ,  pourra-t-elle  revenir  sur  ses  pas?  Vrai- 
ment, pour  une  petite  satisfaction  qu'il  a  donnée  à  leur  orgueil ,  ce  n'est 
pas  encore  ce  dernier  vote  des  lords  qui  a  beaucoup  assuré  leur  avenir, 
non  plus  que  cette  dignité  dont  ils  sont  si  jaloux. 

La  chambre  des  communes,  qui  continue  d*étre  patiente  et  de  ne  se 
point  décourager,  vient  de  consacrer  encore  une  fois  le  principe  d'appro- 
priation du  bill  des  dîmes  irlandaises.  De  ce  que  la  majorité  réformiste, 
qui  Ta  voté,  s'est  trouvée  moins  nombreuse  qu'elle  ne  l'est  d'ordinaire, 
il  ne  faut  point  conclure  qu'elle  se  soit  af/aiblie  ou  divisée.  Il  s'agit  ici 
d'nne  question  à  part ,  d'une  question  religieuse,  non  point  d'une  question 
de  liberté  politique.  Il  y  a  en  Angleterre,  et  surtout  au  parlement,  nom- 
bre de  consciences  libérales  qui  n'ont  pas  secoué  le  joug  du  préjugé  pro- 
testant. Pour  elles,  retrancher  le  moindre  denier  du  revenu  de  l'absurde 
église  anglicane  importée  en  Irlande,  ce  serait  une  sorte  de  sacrilège. 
Cest  déjà  beaucoup,  et  on  ne  devait  pas  l'espérer,  que  dans  une  cham- 
bre élue  sous  la  double  influence  du  clergé  et  des  tories,  il  se  soit  rencon- 
tré plus  de  trois  cents  membres  résolus  à  établir  la  tolérance  et  l'égalité 
religieuses,  et  qui,  à  force  de  persévérance,  aient  su  rendre  ces  principes 
presque  universellement  populaires.  Si  les  lords  eussent  été  raisonnables  et 
habiles,  ils  se  fussent  néanmoins  bornés  à  concentrer  leur  résistance  sur  le 
terrain  de  ce  bill  des  dîmes  irlandaises.  Au  moins  cette  position  était  te- 
nable .  Ils  avaient  de  leur  côté  une  imposante  minorité  dans  les  communes. 
Mais  leur  opposition ,  aveugle,  violente,  systématique,  ne  profitera  qu'à 
leurs  adversaires.  Avec  le  simple  refus  d'abolition  de  la  dlme,  O'Con- 
nell  eût  sans  doute  agité  l'Irlande  plus  vivement  cette  année  que  les  précé- 
dentes !  il  ne  l'eût  pas  unie  et  soulevée  comme  un  seul  homme,  ainsi  qu'il 
va  faire  armé  d'un  rejet  du  bill  des  corporations.  La  lettre  qu'il  vient 
d'adresser  à  ses  compatriotes,  et  qui  leur  recommande  le  rétablissement 
de  l'association  catholique  sur  une  base  élargie  et  plus  solide ,  aura  cer- 
tainement des  résultats  aussi  prompts  qu'efficaces.  Que  Ton  calcule  l'ac- 
tion de  ce  puissant  levier  que  ne  retiendra  plus ,  mais  que  soutiendra  et 
fortifiera  la  main  du  gouvernement  lui-même. 

Les  whigs  ont  été  bien  inspirés,  le  jour  où  ils  se  sont  raUié  le  grand 
agitateur,  et  les  tories^  au  contraire,  sont  bien  imprudens  et  maladroits 

TOHS  TIL  16 


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lEiâ  aSTVB  DBS  DBUX  MORDIS. 

4e  routragsr  et  de  le  pousser  à  bout  chaque  joiir.  0*CoBiien  ét^t  le  n- 
dical  dont  Taristocratie  avait  le  moins  à  redouter.  Ce  n'est  pas  «oi^ptt- 
meot  un  avocat  opiaiâtre  du  h9lUU  et  du  suffrage  universel.  Teutterriblc 
nÎTelenr  qu'en  Fait  fait ,  il  n*â  guère  du  tribun  que  la  parole  rive  etptr- 
Csts  grossière.  Au  fond  c*est  un  homme  d'état  réritable  et  plus  propre 
pfiQt-ètre  à  fonder  qu'à  détruire.  Qui  sait  toucher  et  mettre  ea  moen- 
meat  comme  lui  les  ressorts  nécessaires  au  goaveniement  d^irae  nalieB 
ou  d'un  parti  ?  Il  a  compris  que  Titistant  n*est  pas  venu  de  gouverner  pir 
le  menu  peuple,  en  dehors  du  pouvoir  éledoral  ;  il  s'adresse  donc  asx 
éleeteurSy  à  la  ehisse  rao^^une,  aux  ridies,  de  même  qu'au  peuple, 
et  voici  que  sans  rien  perdre  de  sa  soweraiiM  autorité  sur  le  pays», 
il  range  sons  sa  bannière  le  marehand  ,  le  bourgeois  et  ie  lord.  Ce  ii*est 
pas  d'aujourd'hui  d'ailleurs  qu'il  nourrit  le  projet  de  cetto  invincible 
agrégation  :  sàr  qu'il  était  des  masses,  après  la  dernière  sessieo,  il 
avait  lait  un  appel  pressant  à  la  noblesse  irlandaise  et  favait  en  partie 
déjà  attachée  à  sa  cause.  Il  n'est  pas  de  moyen  qu'il  néglige;  Uodts  qoe 
dans  les  meeiingtt  publics,  il  entretient  l'ardeur  des  multitudes  et  soo- 
tiettt  leur  enthousiasme ,  la  presse  répand  partout  ses  prodamations  et 
ses  manifestes.  Et  il  n'a  pas  eu  assez  de  œs  milliers  de  voix  «es  feorHes 
locales  publiées  sous  soo  inspiration.  H  lui  a  folki  une  tribune  plus  haute 
d'où  il  parlât  ou  fit  parler  selon  ses  vues  à  la  Grande^retagoe  tout  en- 
tière. C'est  ainsi  qu'il  a  fonilé  et  qu'il  conduit  la  Serae  de  Dnbiin ,  qui 
plaide  aujourd'hui  dignement  et  largement  pour  toutes  les  libertés  de 
l'Irlande.  Si  étroite  que  soit  son  alliance  avec  les  wfaigs ,  CTConnell  ae 
s'est  pour  tant  pas  séparé  des  radicaux;  il  n'est  pas  moins  libéral  qu'eux;  il 
est  seulement  meilleur  politique ,  il  comprend  mieux  lesteniporisationset 
lesmésagemeuMque  l'intérêt  de  la  liberté  Im-méme  eiige.  A  vrai  dire,  le 
parti  radical  pur  n'est  pas  sans  pouvoir  ffans  le  pays,  mais  il  n'est  nulle- 
ment appelé,  quant  à  présent,  à  mener  seul  la  marche  des  réformes.  Un  ^t 
remarquable  et  qui  vaiait  bien  la  peine  d'être  constaté,  quoique  notre 
presse  n'en  ait  pas  dit  un  mot ,  c'est  la  retraite  récente  de  M.  Harvey,  l'on 
des  oignes  distingués  de  ce  parti  à  la  chambre  des  communes.  Bl .  Hartef 
y  représentait  Sovihutnic ,  le  faubourg  le  plus  populeux  de  Londres.  La 
lettre  publique  qui  contient  sa  démission  est  fort  curieuse  et  mérite  la 
ifcture.  Il  se  plaint  amèrement  de  ce  que  ses  commettans  lui  aient  rogné 
son  mandat.  Ils  lui  ont,  dit-il,  interdit  le  droit  de  presser  l'administratleo 
et  de  l'atuqnerau  besoin ,  selon  qu'il  le  jugeait  nécessaire.  Ccst  pourquoi 
il  abdique  ce  pouvoir  législatif  qu'on  ne  lui  laisse  plus  Kbre ,  et  il  rentre 
dans  la  vie  privée.  Certes  ce  n'est  pas  là  un  symptôme  qui  annonce  que 
Topimon  se  défie  des  whigs  Et  en  effet,  leur  attitude  VTS*à-vis  de  ta  pai* 
rie  JQStiiepleiûeflieDi  la  coofiaaee  que  montre  ea  eux  TAngleterre. 


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ftBVI».  —  GHftOllIQDB.  Slf 

Le  parlemoit  a  entamé  la  diacussioii  du  bill  qui  prétend  réfonacr  le 
temporel  de  I*égli8e  anKiicane.  On  conçoit  que  régliie  elle-même  taoe* 
tionoe  les  principes  de  celte  mesure  débonnaire,  et  qn'elleati  la  magot* 
Bimilé  de  Tappuyer.  La  douloureuse  réforme,  en  effet,  pour  le  clergé» 
que  celle  qui  laisse  è  Tarcbevéque  de  Cantorbéry  un  traitement  de  15,060 
lîffes  sterling,  et,  proportionnel iemeot,  des  revenus  analogues  aut 
éréques  inférieurs  dans  la  biérarcbie  ! 

Mistress  Norton  n'a  pas  quitté  Londres  pour  Paris,  ainsi  qu'on  l'avaH 
assuré.  Il  était  au  contraire  question ,  la  semaine  passée,  d'une  fête  bril* 
Isole  que  le  duc  de  Devonshire  devait  lui  donner  en  manière  de  ré- 
paration d'bonneur.  C'est  dommage  que  celte  générosité  ait  tout  l'air  de 
demeurer  un  bruit  de  salon.  Il  eût  suffl  d'une  mazurque  dansée  à  De^ 
^mahire^ousê  par  sa  grâce  avec  mistress  Norton,  pour  réhabiliter  par* 
toutail.ears  la  petite-fllle  de  Sberidan.  Mais  tout  ami  qu'il  soit  du  minis<^ 
1ère  Melbourne,  le  noble  duc  aura  réfléchi  que  le  monde  eicluslfda 
Wêtt'EiÊd  se  compose  de  dix  tories  contre  un  whig.  Il  n'aura  pas  eu  It 
coorage  de  compromettre  si  gravement  sa  haute  autorité  fashiooable. 

En  Espagne ,  la  guerre  civile  s'est  un  peu  ranimée,  devançant  le  rérefl 
prochain  de  la  guerre  parlementaire.  Il  ne  parait  pas  toutefois  que  le 
retour  de  Cordova  à  l'armée  ail  amené  jusqu'à  présent  la  réussite  des 
savantes  t  ombinaisons  stratégiques  qu'il  annonçait.  Loin  de  là,  ont  dit 
quelques  correspondances,  l'une  des  colonnes  de  Ylllaréal  se  serait  portée 
sur  les  Asturies  à  travers  les  Anglais  et  les  chrisHnos.  Cette  évolution 
Aït-elle  rét^lle,  le  gouvernement  de  Madrid  n'aurait  pas  à  s'en  effrayer 
beaucoup.  Ce  ne  serait  encore  là  probablement  qu'une  de  ces  trouées  té-> 
méraires,  mais  sans  résultat,  qui  exercent  depuis  trois  ans  l'agilité  des 
troupes  carlistes. 

La  nouvelle  du  désastre  de  Sauta -Anna  n'est  plus  douteuse.  Voilà 
le  Mexique  sans  président  et  son  armée  sans  géuéral.  Ce  double  échec 
pourra  faciliter  promptement  le  triomphe  de  l'insurrection  de  Houston. 
Le  Texas  se  précipiterait  vite  alors  daus  les  bras  des  Èiats-lJuis,  dont 
rhypocrite  convoitise  oe  cherche  depuis  long-teuips  qu'un  prétexte 
beonéte  pour  s'emparer  de  cette  riche  province.  L'esclavage  est  chez 
elle  en  suprême  honneur;  n'est-ce  pas  là  un  titre  sufGsant  et  qui  la  rend 
digne  d'être  agrégée  d'emblée  à  la  grande  république  fédérative?  Ainsi 
l'admission  du  Texas,  une  fois  votée  par  le  congrès,  l'Union  cesserait 
même  d'être  également  partagée  entre  les  états  à  esclaves  et  les  états  qui 
interdisent  le  trafic  de  la  race  noire.  Les  premiers  gagneraient  la  majo- 
rité; ils  seraient  quatorze  contre  treize.  L'honorable  conquête  qu'aurait 
ùûte  la  terre-modèle  des  pays  et  des  hommes  libres! 

16. 


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su  RBTUB    DBS  DBI7X 

Notre  session  législative  a  été  définitivement  close  cette  semaine.  Li 
chambre  des  pairs  avait  été  le  seul  rouage  de  la  machine  oonstitutioQ- 
nelle  qui  edt  fonctionné  durant  la  quinzaine.  On  a  remarqué,  sinon  lei 
rapides  débats  de  ses  dernières  séances,  au  moins  quelques-uns  des  dis- 
cours prononcés  par  difTérens  pairs,  itf.  Gautier  a  déploré  vivement  ft- 
bligation  qui  contraint  la  chambre  de  voter  sans  discussion  et  à  la  bite, 
chaque  année,  le  monceau  des  budgets  accumulés.  Peut-être,  en  edct, 
serait-il  convenable  que  la  pairie  pût  les  vérifier  à  loisir.  En  tout  tu, 
elle  doit  comprendre  qu*il  ne  s'agit  pour  elle  que  de  les  enregistrer  pare- 
ment et  simplement.  Nous  imaginons  que  l'exemple  de  FAngleterre  doit 
faire  autorité  en  matière  de  gouvernement  représentatif.  Eh  bienl  ca 
Angleterre,  les  lords  ont  aussi  le  droit  d-amender  les  lois  de  finance; 
mais,  de  fait,  jamais  ils  n'en  usent.  S'ils  s'avisaient  d*eu  renvoyer  ooei 
la  seconde  chambre  avec  un  seul  chiffre  altéré,  leur  amendement  serait 
soudain  foulé  aux  fûeds  par  les  communes.  C'est  pourquoi ,  tandis  qu'elics 
votaient  dernièrement  les  résolutions  du  chancelier  de  Téchiquier,  teo- 
dant  à  diminuer  le  droit  du  timbre  des  journaux,  chacun  se  disait: 
a  Enfin ,  voilà  un  bill  contre  lequel  ne  pourra  rien  la  méchante  volonté  de 
la  pairie,  b  Le  discours  semi-diplomatique  et  semi-carliste  de  M.  de 
Noailles  n'a  guère  paru  qu'un  pâle  et  lointain  reflet  de  celui  de  M.  le  doc 
de  Fitz-Jamcs  à  la  chambre  des  députés.  On  se  serait  peut-être  ég^é 
davantage  aux  dépens  de  M.  Bigot  de  Morogues,  à  propos  de  sa  boutade 
obscurantiste,  si  elle  n'eût  été  suggérée  par  des  circonstances  qui  ne 
donnaient  nulle  envie  de  rire.  Le  vote  du  budget  de  la  guerre  n*a  pis, 
bien  entendu,  soulevé  sérieusement  de  nouveau  la  question  d'Alger.  Il 
n'a  été  qu'une  occasion  de  prouver  encore  que  le  gouvernement  compreod 
bien  la  volonté  du  pays,  en  voulant  lui-même  résolument  le  maintien  et 
la  protection  armée  de  notre  colonie.  Il  n'est  plus  désormais  permis  d'ea 
douter;  Alger  sera  une  France  africaine,  qui  n'aura  qu'à  grandir  et  à 
prospérer  sous  le  regard  de  la  mère- patrie. 

La  liste  des  nouveaux  fonctionnaires,  publiée  mercredi,  a  semblé,» 
premier  aspect ,  quelque  peu  bigarrée.  Les  uns  y  ont  trouvé  de  la  gancbe; 
les  autres,  du  centre  gauche  ;  ceux-ci,  de  la  doctrine  ;  ceux-là,  une  légère 
nuance  de  légitimisme.  Nous  ne  serions  point,  pour  notre  part ,  disposés 
à  blâmer  beaucoup  ces  sortes  de  mélanges.  A  moins  qu'il  ne  s'agisse  de 
noms  tout-àfait  dévoués  au  gouvernement  déchu,  il  n'est  pas  d'un  mauvais 
exemple  que,  dans  le  choix  de  ses  délégués,  l'administration  consulte  les  hi- 
mières  des  candidats  plutôt  que  leuropiuion.  L'admission  aux  emplois  des 
capacités  diverses,  indépendamment  de  leur  manière  de  penser,  pourrait 
aider  aussi  à  l'accomplissement  si  souhaitable  de  la  réconc.Iiation  générale 
des  partis.  Parmi  les  nominations  nouvelles,  quelques-unes  ne  sont  qoe 


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REVUE.  —  CHRONIQUE.  245 

des  actes  de  justice  et  de  réparatioo.  Le  choix  le  plus  remarquable, 
celui  de  M.  Oufoure,  montre  qu*il  D*y  a  plus  d'exclusion  inflexible ,  pas 
même  contre  Fextréme  gauche.  C'est  en  effet  de  ce  côté  de  la  chambre 
qu'est  parti  M.  Dufaure  pour  arriver  au  conseil-d'éiat  M.  Dufaure, 
ancien  signataire  du  compte-rendu ,  est  l'un  des  hommes  parlemen- 
taires dont  l'influence  a  été  le  plus  laborieusement  acquise  ;  son  débit 
est  terne,  son  argumentation  serrée;  il  résume  une  discussion  avec  une 
vigueur  et  une  clarté  remarquables ,  et  enlève  un  vote  de  la  chambre, 
non  pas  par  un  de  ces  coups  de  tonnerre ,  une  de  ces  éloquentes  sorties 
familières  à  M*  Berryer  ou  à  M.  Dupin,  maison  échauffant  graduelle- 
ment son  auditoire;  on  croit  toujours  en  entendant  M.  Dufaure  n'avoir 
jamais  le  courage  de  l'écouter  jusqu'au  bout,  et  il  est  difficile  de  ne  pas 
partager  à  la  Gn  un  avis  si  bien  déduit.  La  nomination  de  M.  Dufaure  et 
celle  de  M.  Félix  Real,  sont  deux  loyales  satisfactions  données  aux  opi- 
nions de  la  gauche  modérée.  Il  faut  espérer  que  l'on  ne  se  bornera  pas  à  des 
témoignages  d'estime  envers  les  hommes,  et  que  la  presse  aura  bientôt 
à  constater  d'autres  améliorations  qu'on  est  endroit  d'attendre  et  d'exiger. 
Nul  mouvement  ne  se  fera  dans  la  diplomatie.  M.  Guizot  n'a  pas 
plus  sollicité  l'ambassade  de  Londres  qu'on  n'a  songé  à  la  lui  offrir  :  le 
poste  d'ailleurs  n'est  point  vacant.  Le  général  Sébastiani  n'a  pas  la 
moindre  envie  de  l'abandonner,  et  il  ne  s'agit  pas  davantage  de  l'en  re- 
tirer. Sa  santé,  aujourd'hui  rétablie,  le  rend,  dit-on,  très  su  flsant  près 
du  cabinet  de  Saint-James.  Il  est  du  moins  certain  que  notre  ambas- 
sadeur, qui  vivait  dans  une  profonde  retraite  l'an  passé,  a  fait  grande 
figure  durant  toute  la  présente  saison:  il  a  ouvert  ses  salons  au  monde 
fashionable,  et  donné  des  féics  à  Manchester-Square,  qui  ont  rivalisé  avec 
les  plus  splendides  routs  du  West-End. 


—  Un  journal  annonce  qu'un  de  nos  collaborateurs ,  M.  Sainte-Beuve, 
est  sur  les  rangs  pour  la  place  vacante  à  la  bibliothèque  de  Saintc-Geue- 
Tiève.  Ce  bruit  n'a  aucun  fondement. 

—  Les  poésies  de  M.  Jean  Rcboul  se  recommandent  elles-mêmes  in- 
dépendamment de  l'intérêt  qu'excite  leur  auteur.  Un  talent  incontestable 
s'y  produit.  Le  vers  est  partout  élégant,  correct,  harmonieux,  bien 
coupé.  L*auteur  sait  tous  les  secrets  de  la  nouvelle  école;  il  les  sait  trop 
bien  peat-ôtre.  Nous  lui  voudrions  moins  de  savoir-faire  et  plus  d'origi- 


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MA  REVW  (Mi  BBDX  MâHBBS. 

nalfté.  rimagliie  qiTil  eût  gafné  à  noios  étndier  let  dkierws 
46  MM.  Hago  et  Lamartine.  Il  fût  demearé  davanta^  loi-meme,  m 
e*eAt  été  pour  lai  toat  profit;  car,  Il  faut  bien  le  dire,  dftos  cette trea* 
laine  de  movt^anx  lyriqeei  qQ'il  nous  donne,  il  n*y  a  rien  ftbsolnment  du 
boulanger  de  Nîmes.  Nous  ne  reconnaissons  pas  à  un  seul  passage  le  paèie 
ouvrier,  le  poète  du  peuple,  et  c'était  le  poète  du  peuple,  le  poète  oé^ 
¥rier  surtout  que  nous  étions  curieux  de  voir.  Noos  regrettons  sincèr^- 
ment  que  M.  Reboni  n'ait  pas  tiré  de  sa  position  tout  le  parti  qu'il  fNMi- 
vaît.  Plus  il  eût  été  simple,  plus  il  nous  eût  dit  son  humble  condition  et 
la  lotte  de  sa  mute  contre  le  labeur  de  sa  vie ,  plus  il  se  fdt  élevé ,  plasfl 
eût  grandi ,  pins  il  eût  en  de  chance  de  se  faire  un  grand  nom  à  pirt, 
rival  peut-être  de  œui  de  Bnrns  et  de  Hogg.  Mais  avec  rmstrameflt 
poétique  quil  possède,  M.  Heboul  ne  se  doit  point  décourager.  Qui 
s'inspire  de  sa  situation  !  qn'H  nous  dise  uniquement  ses  propres  émiK 
tlons,  et  non  point  celte  des  autres.  Qui  sait?  Ne  pourrait-il  pasabn 
devenir  quelqae  cbose  comme  le  Bnrns  de  la  France?  Noos  ne  loi  sooliii- 
Cerions  pas,  qaant  à  nous,  d'antre  gloire. 

-—  M.  Jules  de  Saint-Félix  vient  de  publier  un  roman  sous  le  titre  db 
Clèopûtre.  Qu'on  se  rassure ,  ce  roman  n'est  pas  une  réimpression  de  cela 
de  la  Galprenède.  Les  Komafns  de  M.  de  Saint-Félix  ne  portent  point  te 
justaucorps  de  buffle ,  les  manchettes  brodées  et  la  longue  épée  des  raf- 
finés de  la  cour  de  Louis  XHI;  son€aton  n'est  point  galant,  sonBratos 
n'est  point  dameret.  Sa  Cléopatre  n'a  jamais  mis  le  pied  à  Thotel  Ram- 
bouillet; il  hri  faut  les  portiques  de  marbre  et  les  écoles  d'Alexandrie;  H 
lui  faut  pour  amant  ce  gros  soldat  qui  péchait  des  poissons  tout  cuits  et 
mangeait  un  sanglier  à  son  repas.  Ce  roman  de  M.  Saint-Félix  est  vrai- 
ment une  étude  curieuse  et  qui  mérite  d'être  lue  avec  quelque  attention. 
JLes  erreurs  de  détail  ne  manquent  point,  mais  l'ensemble  est  original  et 
vrai,  le  style  a  de  l'ampleur  et  de  la  solennité. 

—  Les  livres  qui  ont  la  bonne  fortune  d'une  nouvelle  édition ,  sont  rares 
aujourd'hui.  Le  Chemin  de  Traverse,  de  M.Jules  Janin,  est  du  petit  doiD' 
bre  de  ces  livres  que  le  public  adopte.  La  troisième  édition  vient  de  pa- 
raître entièrement  refondue.  Nous  consacrerons  prochainement  un  article 
à  l'auteur  du  Càemin  de  Traverse. 

—  La  quatrième  livraison  de  Richelieu,  Mazarin,  la  Fronde  ef  le  Règ»^ 
de  Louis  XtV,  par  M.  Gapefigue,  parait  diez  le  libraire  I>ofey.  0!* 
éaxL  volumes  vont  jusqu'à  la  mort  de  Maxarin.  1}ne  grande  curiosii^ 


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RCTOS.  —  CBRONIQUB.  S47 

Mfadie  à  celte  pablîcation ,  qnl  contient  :  1*  fliistofre  municipale  de 
Ptris  daraiit  la  fronde,  d'après  les  documens  de  Hnôlel-de- rilte; 
9* fliistoire provinciale  et  parlementaire  de  cette  époqiTesi  dramatique, 
et  par  conséquent  la  fronde  à  Lyon ,  Marseille,  Toulouse,  Rouen,  etc...; 
STInstoire  des  métiers,  confréries,  associations  industrielles,  des  pam- 
phlets et  de  la  littérature  frondeuse;  4^  Tbistoire  diplomatique  des  traités 
deMnnster,  Westplialie  et  des  Pyrénées,  d*après  les  pièces  et  documens 
inédits. 

— (^  Simon  de  George  Sand ,  que  nous  avions  donné  dans  la  Kevue,  a 
reparu  en  un  volume,  il  y  a  quelques  jours,  et  il  est  déjà  à  sa  seconde  éili- 
tion.  Ainsi  un  premier  succès  se  trouve  confirmé  par  une  nouvelle  sanc- 
tion de  Topinion  publique,  qui ,  toujours  impartiale  et  juste,  répond  à  sa 
manière  aux  absurdes  pamphlets  de  la  presse  anglaise,  si  paternellement 
et  si  amoureusement  introduits  par  la  Hevue  Britannique  dans  le  monde 
partsien.  Ce  fait  est  important  à  constater,  car  il  accuse  un  progrès  réel 
et  incontestable  dans  cette  grande  masse  du  public,  qui  lit  sans  préven- 
tion et  juge  arec  équité.  La  donnée  de  Simon^  que  tous  nos  lecteurs  con- 
naissent, est  simple;  l'auteur  s*est  placé  entre  les  réalités  les  plus  commu- 
nes de  la  vie  provinciale  et  les  haol es  régions  de  la  poésie  intérieure  et  de 
rhoanenr  fdéal.  Nous  avons  tous  connu  maître  Parquet,  le  vieil  avocat  de 
province;  nous  avons  dîné  avec  lui ,  nous  avons  ri  de  sa  bonne  et  franche 
gitpté,  et  si  nous  aA'ionsun  procès  dans  son  département,  rous  ne  vou- 
drions pas  confier  à  d'autres  mains  qu*aux  siennes  la  direction  de  nos 
afTarres.  Fiamma  n'est  pas  précisément  de  sa  famille;  mais  elle  s*y  est 
sans  peine  acclimatée;  et,  trop  fiere  pour  être  vaine,  elle  n'a  jamais  fait 
sentir  è  ces  bonnes  gens  qu'elle  n'était  pas  des  leurs.  Superbe ,  indépen- 
dante, dédaigneuse  des  préjugés  et  des  lois  sociales,  et  quelque  peu 
parente,  j'imagine,  de  la  Sylvia  de  Jarqties^  elle  est,  comme  elle,  fille 
delà  montagne  ;  le  soleil  du  Midi  a  échanffé  son  ame  et  bronzé  sa  peau. 
Maftre  Parqnet,  c'est  la  vie  positive,  même  un  peu  trop  matérielle; 
Fiamma,  c'est  l'idéal ,  c'est  la  poésie,  la  contemplation,  le  détachement 
mondain .  Mais  commentées  deux  âmes  étrangères,  filles  de  patries  si  éloi- 
gnées, se  sont-elles  rencontrées?  et  connnent  à  la  première  rencontre 
ncse  sont-elles  pas  à  jamais  séparées?  Parqnet  a  un  neveo ,  ce  neveu 
aime  Fiamma,  il  en  est  aimé;  Simon  est  donc  le  lien  des  deux  natures; 
c'est  par  lui  qu'elles  communiquent  et  qu'elles  s'entendent.  Avocat, 
comme  son  oncle,  il  songe  à  l'avenir,  il  a  besoin  d'une  carrière  et  feiiil- 
fette  le  HitVelin  dps  Lot<.  Voilà  Phomme  extérieur;  mais  Thomme  inté- 
rieur liabite  ailleurs  que  dans  l'étude;  ses  insli  cts  sont  poétiques  :  Il 
aime  la  solitude ,  il  s'y  délasse ,  il  la  cherché;  c'etit  là  quMl  a  trouvé 


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S4S  RBVUB  DES  DEUX  MONDES. 

Fiamma.  Ces  deux  âmes  sœurs  se  sont  bientôt  reconnues ,  elles  ne  yenlest 
plus  se  séparer;  mais  si  l'idéal  les  unit,  le  positif  les  divise.  De  là  des  com- 
bats, des  larmes ,  des  doutes ,  une  longue  attente  ;  mais  les  nobles  insUodi 
re(nporient ,  la  victoire  leur  reste. 


COMMERCE  DE  L'ILE  DE  CUBA. 


Un  économiste  distingué,  M.  Ramond  de  la  Sagra,  auteur  d'une  his- 
toire de  rile  de  Cuba,  vient  de  livrer  à  la  publicité  de  nouveaux  doco- 
meus  statistiques  sur  cette  Ile  (1) ,  dont  il  a  le  premier  fait  connaître  tOQlc 
l'importance.  Nous  lui  empruntons  les  résultats  suivans,  qui  démontre- 
ront mieux  que  tous  les  raisonnemens  l'intérêt  qu'ont  les  métropoles 
elles-mêmes  aux  développemens  industriels  et  commerciaux  de  leon 
colonies. 

La  prospérité  croissante  du  commerce  de  l'tle  de  Cuba  n'est  pas  doe 
seulement  au  développement  de  son  industrie  agricole,  mais  bien  phis 
encore  à  l'ensemble  des  mesures  protectrices  et  des  réformes  introduites 
dans  l'administration  de  la  douane. 

Une  révision  des  tarifs  était  le  premier  besoin  du  commerce.  Le  gon- 
vernement  local ,  loin  d'y  chercher  le  moyen  d'augmenter  les  recettes  do 
fisc,  se  montra  uniquement  préoccupé  du  désir  d'accroître  l'activité 
commerciale,  et,  par  suite,  la  prospérité  du  pays. 

C'est  en  partant  de  cette  base  qu'il  s'efforça  d'appeler  dans  les  ports 
de  rile  la  concurrence  des  divers  pavillons  étrangers,  qui  assuraient  no 
débouché  aux  récoltes,  tout  en  conservant ,  d'ailleurs ,  au  pavillon e^- 
gnol  les  facilités  d'écouler  ses  approvisionnemens  particuliers. 

Dans  les  premières  années  de  l'époque  que  j'examine,  dit  l'auteur,  le 
nombre  et  l'activité  des  corsaires,  sous  le  pavillon  des  nouve^iux  étati 
indépendans  de  l'ancienne  Amérique  espagnole,  avaient  tellement  pan- 

(i)  Brève  idea  de  la  adminutraeion  del  eommhvîo  y  de  las  tentas  ffostôt  de 
Jb  ista  de  Cuhm,  durante  les  annos  de  iS»6  a  i8i4 ,  par  D.  BjtinoQ  de  laSasf*- 
Parif,  i836.   . 


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EEVUE.  —  CHRONIQUE.  Si9 

lysé  les  commanications  maritimes  entre  la  métropole  et  Ftle  de  Cuba , 
qae  le  gonvememeot  de  Madrid  se  vit  forcé  d'accorder  des  licences  poar 
rinirod  action  des  produits  espagnols  sous  pavillon  étranger.  Cette  mesure 
eût  été  un  véritable  arrêt  de  mort  pour  le  pavillon  espagnol ,  si  lo  gouver- 
nement local  de  Tlle  de  Cuba  n'eût  mis  en  œuvre  toutes  ses  ressources  pour 
en  atténuer  les  inoonvéniens ,  soit  au  moyen  d'escortes  respectables  qui^ 
pendant  les  années  1827,  1828  et  1829,  protégèrent  les  bâtimens  espa- 
gnols, soit  en  réduisant  à  3  pour  100  pour  le  pavillon  espagnol  le  droit 
d'entrée ,  que  le  pavillon  étranger  acquittait  sur  le  pied  de  24  et  de  30 
pour  100  y  et  même  de  60  pour  100  lorsqu'il  s'agissait  de  protéger  le  pla- 
cement des  farines  espagnoles. 

L'impulsion  donnée  à  la  navigation  nationale  par  ces  mesures  fut  telle, 
qu'elle  commença  par  affecter  les  ressources  du  trésor. 

En  1826,  les  importations  nationales  directes  étaient  descendues  à  la 

somme  de  ...  , 409,353  pesos. 

Et  les  exportations  ne  dépassaient  pas 500,000 

Dans  la  même  année,  l'importation  générale  n'excé- 
dait pas 2,858,793  p.  f. 

-   £d  1828,  cette  importation  s'éleva  à #  .  .  •    4,523,302 

En  1829,  elle  fut  d'environ ^  5,000,000 

Le  pavillon  national,  si  rare  en  1826,  introduisit  en  1830,  en  produits 
e^Mignols  de  la  Péninsule,  une  valeur  de.  •....••  .    3,224,268  p.  t 
Et  exporta  pour  TE^pagne  une  valeur  à  peu  près  égale. 

Le  pavillon  étranger^  à  la  même  époque,  n'introduisit  plus,  en  produits 

et  la  Péninsule,  que  pour  emtiron  .  •  .  •  • •    1,500,000  p.  f. 

en  opérant  un  retour  d'un  peu  plus  de.  ...  • 750,000 

Les  progrès  de  l'industrie  nationale  continuèrent.  En  1833,  le  com- 
meree  espagnol,  sous  pavillon  espagnol,  introduisit  pour  une  valeur 
de 3,134,071  p.  f. 

La  navigation  étrangère,  en  produits  nationaux,  se 
trouva  réduite  à  une  introduction  de  •  é  ....••.•  «        51,710 
et  à  une  exportation  de  ••......  • •        10,561 

En  1834,  l'importation  sous  pavillon  espagnol  fut  de.  •    3,407,094  p.  f. 

Celle  provenant  de  la  métropole,  sous  pavillon  étran- 
ger, de.  ... •  .  5,393 

U  faut  avouer  que,  parmi  les  mesures  citées  par  l'auteur  oomme  ayant 


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2!M  EETUK  ABS  IMSUX  MONUES. 

contribué  à  la  profl|iérité  réceote  de  la  Hafane ,  il  en  est  qui  témoii^Mat 
encore  bien  plus  de  l'ignorance  profonde  de  Tamcienne  administratki 
que  des  progrès  de  la  nouTelle»  telles  que  Texisience  d'anciens  droiuii 
83  lj2  pour  100  pour  rimportation  et  de  17  pour  106  sur  l'eairaciiia 
des  sucres;  telles  encore  les  entraves  lisealea  mises  aux  transactioiis  <ii 
commeroe  intérieur  de  l'Ile  ou  à  la  {réqueniaiioD  des  perla ,  autres  qsi 
ceux  de  la  Havane  et  de  Saiot- Yago ,  ièrinés  au  eomnaerce  extérksr 
jusqu'en  1826. 

Parmi  les  améliorât  ions  qu'il  signale  se  trouve  comprise  la  rédnctiai 
du  droit  sur  les  sucres  à  la  sortie ,  qui ,  de  17  peur  106,  sur  une  èvalni- 
tion  de  16  réaux  l'ârrobe,  n'est  plus  que  de  3  réaux  (i  titre  d'impit 
municipal)  sous  pavillon  espagnol ,  et  de  4  réaux  sobs  pavillon  étrav^er. 
La  valeur  ofGrielle,  servant  à  la  perception  de  cet  impOt,  a  été  réduite 
de  16  réaux  successivement  à  12,  à  8  et  à  7,  alors  que  le  prix  véoai 
est  moBtéde  8  réaux  l'arrobe  à  16  réaux  (1)  et  au-delà.  On  a  égalenrot 
exempté  de  tout  droit  de  tonnage  le&bàtimens  entrant  etsorta^  sur  kH; 
la  réduction  au  droit  de  tonnage  est  de  20  réaux  à  12  réaux  par  tonneaa 
de  marchandises,  en  faveur  du  pavillon  étranger.  Une  prime  de  2  pesoi 
est  accordée  par  sortie  d'un  tonoeau  de  mélasse  sous  pavillon  étraogec 

D'heureuses  réformes  opérées  dans  les  di0èrentes  braocbea  de  l'ad- 
nistration  concoururent,  avec  les  modifications  apportées  au  système  dei 
douanes,  à  produire  une  augmentation  de  recettes,  telle  que,  de  1825 à 
Mi<i,lepfltncipBl  revenu  puUies*élevade3,826^ô&2  p.Là      4,2B4,S28p.f. 

En  i82f7,  il  était-de. 5,255,860 

Ainsi,  en  deux  années  seulement,  il  y  avait  une  aug- 
mentation de I,629,aû8 

D'autres  branches  de  revenu  donnèrent  également  de  notables  aogas»- 
tationa,  en  aorte  qu'en  trois  années,  de  1826è  1828,  l'augmentation  totali 
des  recettes  sur  celles  de  1825  fut  de 6,957,832 p. f. 

La  progression  ne  s'est  point  arrêtée  là. 

le  moavement  général  da  commerce  maritime  fut. 

En  1826,  de 28,735,522  p.  L 

En  4827,  de  ... • 31,639,047 

En  1828,  de 32,649,285 

(i)  En  i835,  le  sucre  de  la  Havane  s*ett  élevé  jusqu'au  prix  de  9  donrof  (aoit 
lo  francs  rairobe]  en  sucre  dit  qmefraJo,  c*esi  à-dire  moitié  terré  et  meitièbral. 
n  faut  m  chercher  U  rtisott  daas  les  d'unies  que  le  bill  d*éaianei^tioa  a  fut  i 
flir  ks  produits  .iUtéci«ar».d«f  f Imlaiions  bftlanDJqma^ 


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REm.  —  CHMiif«a»  mt 

Les  années  1820  et  1830  se  tinrent  à  peu  près  à  ce  ni* 
Teau  ;  1831  et  1832  éprouvèrent  quelques  réductions  ; 
1833  remonta  au  niveau  de  1830. 

Bn  1834,  le  mouvemeot  commereial  s'est  élevé  à.  .  .  33,051,255  p.  f. 
Dans  ces  dernières  années,  dit  Tauteur,  le  comaidree  maritime  de  l'île 
doit  ôtxe  estimé  sur  le  pied  d'une  importation  de.  .  .  ,    19,000,000  p.  f» 

et  d'une  eiportation  de 14,000,000 

dont  la  vatear  réelle  est  de  plus  de  20  millions,  ainsi  qu'il  l'observe, 
puisque  celte  évaluation  Qst  celle  du  tarif  officiel,  inférieur  aujourd'hui 
pour  le  socre  de  beaucoup  plus  ée  moitié  à  la  valeur  vénale  de  celte 
4enré«. 

Son  résumé  des  exportations  de  1834  entre  dans  le  détail  ci-après  : 

Sucre,  —    8,408,231  arrobes. 

Café,    —    l,8n,315  (en  1833,  2,500,000  arrobes )• 

Miel ,    —       104,213  boucanis, 
ions  parler  des  antres  produits  dont  rexportation  eroissante  est  prouvé» 
par  Teiemple  ci'^après  : 

Tabac  en  feuilles  exporté  en  1828 70,000  arrobes; 

en  1830 160,000 

Quant  an  tabac  travaillé  (cigares  et  râpé),  Texportslion  s'est acccrue^ 
de  1828  à  1834,  de  210,000  livres  à  616,020  livres;  ce  qui  pron^ 
qu'abstraction  faite  de  l'énorme  consommation  locale  de  ce  produit,  la 
culture  en  a  triplé  dans  l'espace  de  six  années. 

Sous  le  régime  de  la  ferme,  et  à  l'époque  la  plus  florissante  de  ce  ré- 
gime, la  fabrique  de  la  Havane  n'exporta  jamais  plus  de  110,000  arrobes 
par  an  de  tabac  en  poudre  ou  en  feuilles. 

Cette  riche  culture  est  susceptible  d'un  accroissement  incalculable 
(le  septième  seulement  de  l'Ile  de  Cuba  est  en  culture] ,  en  l'associant  à  un 
sage  système  de  colouisatiou  blanche,  si  nécessaire  aujourd'hui  à  l'Ile  de 
Cuba  pour  sa  sécurité  présente  et  sa  prospérité  future.  C'est  an  gouver» 
nemeot  de  couvrir  ce  système  de  sa  protection  diF«cte  et^'une  coopéra- 
tion efficace.  Il  en  résultera  de  grandes  améliorations  dans  l'état  de 
Fagriculture ,  et  ce  résultat  peut  seul  résoudre  les  questions  aussi  con- 
troversées que  mal  posées  de  la  culture  confiée  à  une  population  libre. 


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S32  EETIS  HBS  DEUX  aOHDBS. 


REVENUS  ET  DÉPENSES  PUBLIQUES. 

Eq  1825,  le  revenu  de  Vt\e  s^élevait  à  la  somme  de.  .    5,729,198 p. f. 
Ed  1826,  après  les  réformes  de  son  tarif  et  de  ses 

autres  impôts,  à  celle  de 7,097,986 

En  1827,  ce  revenu  s*élèva  è 8,460,974 

En  1828,      —      —      —  à.  ...  • 9,086,407 

En  1829,      —      —      —  à 9,142,612 

Le  revenu  des  années  suivantes  s'est  toajours  maintenu 

à  peu  près  sur  le  pied  de 9,000,000 

L'intendance  de  la  Havane  proprement  dite  et  la  sub- 

déiégation  de  Matauzas  entrent  dans  celte  somme 

pour »  •  •  •    7,000,000p.f. 

Ce  résultat  fut  obtenu  par  une  simplification  et  une  réduction  des  ta- 
rifs qui  augmentèrent  l'importance  du  mouvement  commercial  et  de  k 
tonsommation  intérieure.  On  a  déjà  vu  quel  accroissement  avait  pris  il 
production  du  tabac  Cet  accroissement  date  de  l'époque  de  la  suppressioa 
des  impôts  qui  grevaient  spécialement  cette  culture» 

Don  Ramonde  laSagra  rappelle  ici  les  proportions  des  diverses  aooroes 
de  revenu  public  de  Cuba,  telles  qu'il  les  avait  déjà  établies  dans  son  grand 
ouvrage  statistique  : 

67  2|3  p.  100.    Fournis  par  le  commerce  maritime,  c'esU 
à-dire  les  tarife  de  douane  et  les  droits 
de  navigation; 
24  1(2      —      Contributions  territoriales; 
2  2|3      —      Retenues  sur  le  traitement  des  fonc- 
tionnaires; 
t  2(3      —      Retenues  exercées  sur  les  rentes  et  re- 
venus ecclésiastiques; 
8  1|2      —      Droits  divers. 

TOTAt .  .     100 

En  1834,  les  droits  d'entrée  donnèrent 4,405,314  p.  f. 

Les  droits  de  sortie 692,974 

En  partant  de  la  base  des  valeurs  officielles ,  l'importation  se 
trouve  ainsi  chargée,  sur  toutes  provenances,  d'un  droit  moyen  d'en- 
▼iroo , u  p.  100 

Et  l'exportation  d'un  droit  moyen  de 4  7(10    — 


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EBTDB,  —  CBaONIQUI.  255 

Dans  rhistoire  statistique  de  1*lle  de  Cuba,  écrite  en  1831,  l'auteur  es- 
timait le  produit  net  de  Tagriculture  et  de  l'industrie  locale  è  la  somme 

de 32,808,622  p.  f.; 

supportant  un  impôt  de  5  p.  100. 

Aujourd'hui  que  les  produits  annuels  se  sont  accrus  et  que  l'impôt  a 
éprouvé  des  réductions,  le  fardeau  fiscal  ne  peut  être  estimé  au-dessus 
de  3  p.  100. 

L'auteur  avait  également  calculé  en  1831  que  la  consommation  de  l'Ile 
de  Coba ,  tant  en  prodoits  locaux  qu'en  produits  étrangers  à  sou  sol,  pou- 
vait s*étever  à  une  valeur  de.   •  .  • 53,326,406  p.  f. 

L'auteur  fait  ici  un  Calcul  d*oà  il  condut  que  Fimpôt  général  ne  s'élève 
pas  au-delà  du  sixième  de  la  valeur  des  consommations;  mais,  d'un  autre 
côté,  il  parait  que  dans  ce  calcul  ne  figurent,  bien  qu'étant  à  la  cliarge 
delà  colonie,  ni  les  frais  d'eutretien  du  clergé,  ni  les  frais  de  la  corres- 
pondance maritime  (celle-ci  doit  rapiiorter),  ni  les  produits  delà  loterie, 
ni  les  taxes  municipales,  ni  certaines  charges  attachées  à  certaines  pro- 
priétés. 

De  1825  à  la  moitié  de  1828,  les  caisses  de  la  Havane  fournirent  à  l'en- 
tretien de  Tescadre  près  de  4,000,000  p.  f .,  et  en  outre  remirent  à  la 
Péninsule  plus  de  2,500,000  p.  f.  :  on  se  trouvait  alors  menacé  d'une  dé- 
pense annuelle  de  près  de  10,000,000  p.  f. 

Pour  y  faire  face  sans  recourir  à  de  nouveaux  impôts,  on  fit  de 
grandes  réformes  administratives,  et  on  réduisit  les  frais  de  perception  à 
305,053  p.  f.,  c'est-à-dire  à  3  3i4  pour  100  du  total  des  contributions. 
En  1829,  l'entrée  en  caisse  de  la  Havane  fut  de.  .  .  .    7,115,788  p.  f. 

Mais  l'escadre  absorba  près  de 1,500,000 

Les  traites  de  la  métropole  plus  de 500,000 

La  solde  des  troupes 2,136,714 

Enfin  les  frais  de  la  légation  des  États-Unis,  habituellement  défrayée 
par  le  trésor  de  Cuba,  et  les  dépenses  des  autres  intendances  portèrent 
le  total  de  la  dépense  à 9,140,550  p.  f. 

Dont  le  service  de  terre  absorba.  •  .  40  pour  100 

L'escadre 17  li4 

L'administration  civile  et  autres  dé- 
penses locales 11  ll4 

L'auteur  ne  spécifie  pas  remploi  du  surplus. 

En  1830,  les  dépenses  générales  de  l'Ile  s'élevèrent  à.  .    8,838,214  p.  f. 

Dont  l'escadre  et  la  garnison  absorbèrent.  • 5,385,826 

L'année  1830  termina  la  période  quinquennale  de  la  nouvelle  admi- 
i^stration,  qui  ne  put  réussir  à  faire  face  à  ses  dépenses  extraordinaires, 


68  1(2  poor  100 


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Google 


SSS  RBVUB  DES  DBVX  MOflDBS. 

qu'en  raifon  de  raogmeotailon  de  14,444,180  p.  f.  que  les  imp^  de 
mttt  période  produisirent  par  comparaison  avec  la  période  de  1821  à 
i9S&. 

Dans  les  années  suivantes,  la  réduction  des  forces  navales  et  des  troopes 
tfetCinées  auparavant  à  des  expéditions  en  terre  ferme  permit  d'appliquer 
«ae  partie  du  revenu  public  à  des  dépenses  locales  commandées  par  k$ 
besoins  du  pays. 

£o  1831,  le  trésor  de  File  remit  à  la  métropole 176,929  p.L 

En  1832 339,450 

En  1833 823,270 

Il  existe  en  outre  à  la  banque  d'escompte  une  réserve  de  1,300,000  p.  L 

L'intendance  de  la  Havane  n*a  rien  épargné  pour  développer  l'india- 
Irie  particulière,  et  son  concours  a  été  d'autant  plus  utile,  que  Ytipiit 
d^association  a  fait  peu  de  progrès  dans  Ttie  de  Cuba;  Tautorité  loctiea 
dierché  à  Tencou rager  par  des  avances. 

C'est  en  partant  de  ce  principe  que  l'intendance  de  la  Havane  a  favorisé 
rétablissement  de  paquebots  correspondant  avec  la  métropole,  a  secouru 
rintendance  de  Porto-RIco,  a  fondé  ia  banque  d'escompte,  eia  faitbeio- 
coup  d'autres  avances  selon  le  besoin  des  temps. 

Entre  les  dépenses  publiques,  l'auteur  cite  encore  et  la  fondation  (fan 
grand  nombre  d'écoles,  la  création  d'un  jardin  botanique,  les  prinef  et 
aecours  pour  la  culture  de  l'indigo  et  pour  l'extension  de  celle  do  cacao, 
l'élévation  du  vers  à  soie,  l'introduction  des  meilleurs  instrumens  aratoires 
et  machines  industrielles  connues  en  Europe,  la  création  d'un  jooroal 
destiné  à  la  propagationdes  découvertes  utiles,  celle  d'un  «mphiiMre 
d'anatomie,  d'un  cours  de  clinique,  celle  d'une  école  navale,  et  beaucoup 
d'autres  dépenses  faites  en  faveur  du  cabinet  d'histoire  naturelle  de  la 
nétropole;  la  reeonsiruction  de  l'aocienae  intendance,  la  eonsimctioe  des 
■Mgasins  de  la  douane,  celle  des  cafemes  de  Guanajay,  de  San  Aatooie, 
otBayamo;  la  vaste  caserne  de  Maianzas  et  l'hdpital  de  la  Charité  da 
même  lieu;  enfin  des  chemins  et  des  ponts  en  grand  nombre;  riotrodoc- 
tion  des  bateaux-dragues  dans  la  baie  de  la  Havane  et  le  port  de  Matao- 
Ms;  nne  conduite  d'eau  en  fer  destinée  à  fournir  aux  besoins  de  la  nil^ 
et  qui,  à  elle  seule,  mériterait  à  son  auteur  une  renommée  immortelie; 
il  faut  encore  ajouter  le  chemin  de  fer  qui  s'exécute  en  ce  moment,  da 
ehef-lieu  à  la  vallée  de  los  Guiiies.  o 

Nous  terminerons  cette  notice  en  donnant  un  tablean  comparatif  da 
«ommeroe  des  pOfts  dont  l'entrée  est  permise* 


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.— caaoïHQaB» 


2» 


[COMMBaCE  DES  PORTS  DONT  L'ENTREE  EST  PERMISB. 


'         NOMS  DES  PORTS. 

ZMPOBTATIOVS 

BXPOKTATIOV8. 

TOTAL 

tôt  PISUt  9. 

HabaoB . 

13,374,343 

1,151,851 

1,278,597 

195,515 

702,255 

32,191 

112,111 

42,845 

67,805 

9y609,«56 

1,997,852 

1,412,359 

83,573 

627,313 

15,921 

80,532 

81.838 

35,186 

S2,9»(,201 

3,149,703 

2,690,955 

279,088 

1,329,568 

48,112 

192,643 

124,683 

102,991 

Maianzas.  .  .  , 

1   Cuba 

Pac'to  Principe 

1   Trinidad •  •  .  . 

I   Baracoa 

'    Manzanîilo.  •••.•.•• 

1    Gibara 

Jagua 

IMPORTANCE  DU  COMMERCE  DE  CHAQUE  NATION 

COMMERÇANT  AVEC  L*1LB  OE  CUBA. 


PAVILLONS. 

RAPPORT 

avec 

LB  COMMKRCB  TOTAL. 

BAPPORT 

avw: 

oimitikiM. 

1    National 

États-Uois 

France.  .  .  .  • 

115 
1|3 
1|15 
1|9 
1114 
1|24 

1|6 
113 
1|18 
1|7 

lie 

1|10 

Angleterre 

1   Allemagne.. 

Pays  -  Bas 



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396  RB10B  HBS  DEUX  VOlfDBS. 

Chaque  individu  de  la  population  de  111e  exporte 

des  produits  de  Ttle  pour  une  valeur  de.  •  .  .    15  pesos.  0  réalo* 
H  reçoit  des  produits  étrangers  pour  une  valeur 

de. 22  S 

H  consomme  de  ceux-ci  pour 19  0 

'  Il  en  réexporte  pour S  S 

Et  il  consomme  des  deux  espèces  de  produits 

pour 73  0 

Ainsi  y  chez  une  population  qui  ne  dépasse  pas  de  beaucoup  sept  osot 
mille  âmes,  parmi  lesquelles  on  compte  trois  cent  mille  esclaves,  le  chiflire 
de  la  consommation  individuelle  doit  se  calculer  sur  le  pied  de  près  de 
400  francs;  on  peut  juger  par  là  combien  la  consommation  des  daseï 
aisées,  dans  les  diverses  colonieS|  doit  être  supérieure  à  celle  des  dasiei 
analogues  en  Europe. 


y.  BULOZ. 


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LE  MAROC. 


I. 


AQantpar  terre  de  Cadix  à  Gibraltar,  je  me  trouvais  Tannée 
dernière  à  Tarifa ,  petite  ville  plus  arabe  qu'espagnole ,  célèbre 
par  ses  voleurs,  vrais  Bédouins ,  et  par  ses  belles  femmes  aux 
yeux  bleus  et  aux  cheveux  blonds,  comme  les  Yalenciennes.  As- 
sise au  point  intermédiaire  et  le  plus  resserré  du  détroit,  eUe 
est  à  égale  distance  des  deux  mers  et  n'est  séparée  de  TAfriquo 
que  par  quelques  lieues.  C'est  la  ville  la  plus  méridionale  du  con- 
tinent européen.  Une  jetée  naturelle,  moitié  sable  et  moitié  roc, 
forme  un  promontoire  aigu  à  la  pointe  duquel  une  petite  tie 
drculaire  est  amarrée  par  un  pont;  sur  cette  île  est  bâti  le  châ- 
teau qui,  par  sa  position,  ressemble  un  peu  au  château  deVOEuf  à 
Naples.  Sentinelle  avancée  de  l'Europe,  Tarifa,  ville  autrefois  for- 
tifiée, est  là  comme  une  vedette  placée  en  observation  par  la  civi- 
lisation occidentale,  afin  de  surveiller  les  mouvemens  du  monde 
africain  ;  son  nom  rappelle  ce  Gusman-el-Bueno,  le  Junius  Brutus 
TOME  vu*  17 


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espagnol,  qui  aima  mieux  voir,  du  haut  des  remparts  conGés  i  sa 
garde,  son  jeune  flls  égorgé  sous  ses  yeux,  que  de  livrer  la  placée 
rinfidèle.  De  tels  noms  méritent  de  figurer  au  livre  d'or  de  l'ho- 
manité. 

J*étâis  là  me  promenant  sur  la  jetée,  par  une  belle  et  frakdif 
matinée  du  mois  de  mai  ;  le  soleil  illuminait  TQcéaa  et  teignait  (l*on 
violet  foncé  le  nuif  niique  tmplithéâtie  des  montagnes  d* Afrique. 
La  ville  de  Tanger  brilTail  au  pfed  comme  un  point  blanc.  Lèvent 
soufflait  de  Test  et  assez  frais  ;  la  mer  d*un  bleu  ravissant  était 
grosse  ;  le  détroit  bouillonnait  comme  un  large  fleuve  écumeoL 
Malgré  la  morgue  de  notre  patriotisme  occidental,  nous  ne  sau- 
rions, nous  autres  enfans  de  l'Europe,  aborder  froidement  une 
autre  partie  du  monde;  c'est  du  moins  ce  que  j'éprouvai,  quasd 
a  veille  j'avais  tout  d'un  coup  ,  et  au  sortir  d'un  bois  de  carrasm, 
découvert  pour  la  première  fois  la  côte  africaine. 

Le  cours  de  mon  voyage  ne  me  candhiisait  pas  en  Afrique,  mais 
de  là  elle  paraissait  si  belle  et  j'en  étais  si  près  que  je  fus  tenté.  Tan- 
dis que  je  dévorais  le  rivage  opposé  d*un  œ  1  de  convoitise,  j'aperçus 
un  faluchoy  espèce  de  felouque  à  voile  latine,  mouillé  au  pied  du  châ- 
teau. Cétait  le  courrier  espagnol  de  Tanger  ;  il  avait  touché  i 
Tarifa  pour  y  prendre  le  vice-consul  d'Espagne  qui  se  rendait  i 
son  poste,  et  il  levait  l'ancre  à  l'instant  même.  La  tentation  était 
trop  forte,  j'y  succombai,  et  me  voiià  voguant  veca  l'Afeiiiue. 
Deux  heures  après  j'étais  dans  la  baie  de  Tanger* 

Un  voyage  prémédité  perd  tout  le  charme  de  l'impiéYu;  on  s'y 
préparc  d'ordinaire  par  des  informaiions.  oirales  et  par  des  kcta- 
res;  cest  une  méthode  détestable^  et  qai  tue  la  spontanéité  des 
impressions;  même  avant  k  départ^  les  sens  sont  émott3sés;oB 
bien,  et  c'est  pis  encore,  le  spectacle  de  la  réalité  £ait  regretlcr 
les  rêves  brillans  de  la  fantaîeie.  Ici,  grâce  à  Bieu^  je  n'avais  i 
craindre  ni  désenchantement,  ni  mécompte  :  j'abordais  l'inconaD 
les  yeux  fermés;  j'ignorais  si  complètement  la  topographie  de  res- 
pire marocain,  que  j'avais  tenu  jusque-là  Tang^  pocur  un  préside 
espagnol,  comme  Ceuta.  Une  circon^ance  prolongea  mon  erreff 
jivqu'au  port  :  d'aussi  Imn  qne  je  pus  discerner  lesobjets  de  la  o6l«, 
je  vis  le  pavOIon  espagnol  flotter  sur  l'édifice  le  plus  apparent  de  h 
ville-;  onponvsnt  le  prendre  pcMir  un  signe  de  possession;  c'éliîtk 


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patviHondnoôBmild'Espagne,  qoîi^poiHiaita»  signal da courrier  et 
lui  souhaitait  la  bien- venue  :  usage  touchant  dont  on  ne  sentladou* 
ceur  qu*après  avoir  mis  le  pied  sur  ces  terres  barbares  ;  c'est  comme 
UB  Mrremem  de  main  ft-aterBel  sur  le  rivage  de  FeiîL  Une  jfbis  en 
rade  ledistingiiaî  le  oistsnie  arabe  des  marms  du  pwt,  et  nés  yeux 
oefluneauèrent  i  se  desdiler.  Use  altercation  survenue  entre  les 
gSBs  de  Féqoipage  et  quelques  HwreB  qui  étateoM  à  bord  du  /a- 
lucko  acbefa  de  me  tes  otfvnr^^asequapellaitsiirleprixdupas* 
sage,  et  les  Maures  avaîeiit  le  vwbe  si  haut,  malgré  leur  mauvais 
espagBcri,  Ms  IraitaîMH  les  cbrétiess  de  kulr^me^  et  d*ewéwtero8 
d'uae  Tx>ix  si  hardie  et  si  ralentissante ,  que  je  me  dis  à  paît  moi  : 
Ges^sa»^  sMt  évidemment  (Àm  eux.  Us  y  étaient  en  eÂfét ,  Ss  le 
siHtaiem,  et  pins  les  Espagnols  lonrmieiit  à  la  coMahatioa,  plus 
les  Usures  devenaieMt  arrogans.  Âmsi,  en  deux  heures  j'avafa  passé 
comme  par  enchantement  du  monde  européen  sm  «KMule  wien* 
taly  de  Tempire  de  Jésus-Christ  à  l'empire  de  Mahomet. 

La  transition  était  brusque,  et  je  contemplai  d'un  œil  émerveillé 
et  tout-à-fait  dépaysé  les  tatdeaux  du  rivage.  L'aspect  de  Tanger 
vu  de  la  mer  est  bien  celui  d'une  ville  moresque  telle  que  je  me  la 
refM*éseiitais.  'Des  UMaseas  blan^es  jetées  péle*mâle  sur  la  crête  et 
aox  flancs  d'une  ooUkie;  un  minaret  kûsaot  et  carré;  des  OMiraiBes 
crénelées  9  des  canons  de  £er  entre  les  créneaux ,  des  turbaM  par- 
dessus les  canons  ;  un  drapeau  rouge,  une  plage  aride,  une  mer 
superbe,  le  tableau  est  tout  fait.  Mais  quelque  diose  en  détruit 
l'originalité  :  ce  sent  les  palais  des  ooasub  européens  qui  écrasent 
de  leur  lui»  la  ville  afrieafaie  ;  celui  d'Espagne,  entre  autres,  a  l'air 
d'une  forteresse  et  domine  tout  ce  qui  l'eatoure. 

0  ne  me  fut  pas  iacSede  prendre  terre.  Nid  étranger  ne  peut 
mettre  le  pied  dans  Tonpire  de  Maroc,  sans  rautorisation  expresse 
du  sultan  ou  des  oAiciers  qui  le  représentent.  Or  cette  autorisa- 
tion se  faisait  attendre»  la  mer  était  grosse ,  je  souffrais  à  lM»rd, 
je  per^  patteace  :  sautant  de  force  du  faiuchQ  dans  le  canot, 
je  me  fia  conduire  à  terre  à  mes  risques  et  périls»  malgré  les  quinae 
ou  vingt  canons  braqués  sur  les  murulles  ;  ils  ne  tonnèrent 
point  contre  amI,  faute  de  discipMne  sans  doute,  et  aussi  de  ca- 
nonniers.  Entrant  dans  l'eau  jusqu'à  la  ceinture  pour  venir  à  ma 
rencontre,  un  marin  maure  de  six  pieds  de  haut  et  à  demi  nu,  me 
chargea  rigoureusement  sur  ses  épaules  pour  débarquer.  Allah 

17. 


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260  RETUB  hES   DEUX  MONDES. 

est  grand  et  Mahomet  est  son  prophète  !  Dieu  des  chrétieiiSy  proté- 
gez-moi I 

Je  fus  à  Tins  tant  environné  d*un  peuple  de  matelots  nus  ou  peu 
s'en  faut  y  qui  me  toisaient  de  la  tète  aux  pieds  d'un  air  farouche, 
échangeaient  entre  eux  des  vociférations  gutturales  peu  pro- 
pres à  me  rassurer.  Seul  sur  la  grève  infidèle ,  je  ne  savais  trop 
quelle  contenance  faire  au  milieu  de  ce  troupeau  sauvage  dont  le 
berger  me  contemplait  de  loin,  d'un  œil  tout  aussi  peu  hospitalier. 
Ce  berger  est  le  capitaine  du  port,  Raïs-eUMarsa ,  Tun  des  hauts  di- 
gnitaires de  la  ville  de  Tanger.  D  était  accroupi  à  l'écart  sur  une 
natte  de  jonc,  occupé  sans  doute  à  méditer  dans  sa  barbe  blanche 
sur  l'audacieuse  infraction  dont  je  venais  de  me  rendre  coupable 
contre  les  lois  de  l'empire  en  débarquant  sans  licence;  j'ai  su  de- 
puis qu'il  attendait  mon  cadeau. 

Car  on  a  beau  prier  et  lever  son  chapeau. 

On  n'entre  point  chez  lui  sans  graisser  le  marteau. 

Comme  j'étais  là  dans  l'expectative,  sans  trucheman  pour  me 
faire  entendre  et  sans  rien  comprendre  moi-même,  un  jeune  Juif 
vêtu  du  noir  soulam^  comme  ils  le  sont  tous,  perça  la  foule  et 
vint  droit  à  moi.  H  m'adressa  la  parole  en  français,  et  jamais  musi- 
que ne  fut  plus  douce  à  mon  oreille.  C'était  un  interprète  du  con- 
sulat de  France  ;  le  consul,  informé  de  mon  arrivée,  l'envoyait  pour 
me  recevoir ,  en  attendant  qu'il  vint  lui-même  avec  la  licence  do 
katd  ou  gouverneur.  Le  drogman  me  tira  des  mains  des  Philistins 
et  me  conduisit  dans  une  espèce  de  hangar  où  les  nouveaux  dé- 
barqués font  antichambre  ;  ce  hangar  est  à  c6té  de  la  douane,  dont 
le  chef,  Amîn  (1),  autre  grand  fonctionnaire  de  Tanger,  était  ac- 
croupi sur  sa  natte,  au  milieu  d'une  vingtaine  de  soldats  indolens; 
autant  de  longues  escopettes  de  sept  pieds  étaient  accrochées  i  la 
muraille  comme  à  un  râtelier.  La  vue  de  ce  corps-de-garde  me 
reporta  à  celui  que  M.  Decamps  avait  exposé  au  salon  l'année  pré- 
cédente, et  qui  dès-lors  m'avait  frappé  comme  par  pressentiaient. 


(f)  VÀndn  est  à  la  fois  administrateur  des  rentes,  intendant  des  finances,  pereeptesr 
des  Impôts,  payeur  provincial  et  directeur  des  douanes. 


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LE  MAROC.  3S1 

Le  chef  de  la  douane,  beau  yieiflard  septuagénaire,  portait  avec 
dignité  son  grand  haïk  blanc  et  son  turban  de  mousseline,  sur- 
monté de  la  calotte  rouge.  Je  remarquai  qu*il  fumait  seul  ;  Tusage 
de  la  pipe  est  loin  d'être  aussi  général  au  Maroc  que  chez  les  Turcs. 
Le  vieux  renard  me  lorgnait  du  coin  de  l'œil,  comme  s'il  eût  craint 
que  je  ne  dérobasse  à  sa  surveillance  quelque  trésor  précieux. 
Cependant  il  se  montra  plus  poli  que  ne  le  sont  nos  douanes  civili- 
sées; fl  ne  me  Gt  point  subir  de  visite,  et  procéda  comme  le  vieux 
botaniste  de  Goethe,  oculis  non  manibus.  L'inspection  du  reste  eût 
été  fecile  et  bientôt  faite  :  mon  mince  bagage  de  voyageur  m'avait 
précédé  par  mer  de  Cadix  à  Gibraltar,  et  je  m'étais  embarqué  à 
Tarifa  comme  je  m'y  trouvais,  c'est-à-dire  plus  qu'à  la  légère  et  la 
bourse  assez  plate.  La  perspective  d'être  volé  fait  qu  en  Espagne 
on  ne  porte  sur  soi ,  d'une  ville  à  l'autre,  que  tout  juste  ce  qu'il 
faut  d'argent  pour  le  voyage;  si  l'on  change  ses  plans  en  route,  en 
est  souvent  embarrassé. 

Notre  consul,  M.  Méchain,  qui  est  en  même  temps  chargé  d'affai- 
res, ne  tarda  pas  à  venir  me  joindre  sous  le  hangar  où  j'étais  pri- 
sonnier, et  me  tira  de  captivité.  Si  j'avais  attendu  pour  débarquer 
l'autorisation  du  kaîd ,  j'aurais  attendu  long-temps ,  car  il  était  à  la 
campagne  et  n'en  devait  revenir  que  le  soir.  Le  consul  m'introduisit 
dans  la  ville  sous  sa  propre  responsabilité.  Je  ne  saurais  assez  me 
louer  des  procédés  de  M.  Méchain.  Je  tombais  là  du  ciel ,  seul ,  assez 
mal  éqoipé,  et  peut-être  même  un  peu  suspect;  il  ne  m'en  fit  pas 
moins  bon  accueil,  et  durant  tout  mon  séjour  il  poussa  l'hospitalité 
aussi  loin  qu'elle  peut  aller.  Ma  bourse  épuisée,  et  elle  le  fut  bientôt 
sur  cette  terre  d'autant  plus  avide  qu'elle  est  plus  misérable,  il 
m'ouvrit  la  sienne,  sans  autre  garantie  que  l'honneur  d'un  inconnu , 
oiseau  de  passage  qu'il  voyait  pour  la  première  fois.  Les  voyageurs 
sentiront  le  prix  d'un  tel  service. 


Si  Tanger  n'est  plus  un  préside  européen ,  il  l'a  été  jusque  vers  la 
fin  du  XVII*  siècle ,  époque  où  il  fut  abandonné  par  les  Anglais ,  qui 
le  tenaient  des  Portugais.  Ds  eurent  soin,  en  se  retirant,  de  ruiner  le 
môle,  qui  depuis  n'a  jamais  été  relevé,  ce  qui  rend  le  mouillage  peu 
sûr  contre  les  vents  d'ouest.  Protégé  de  l'autre  côté  par  la  pointe 
de  Malabatte,  en  arabe  Aa«-e/-ilfefiar(capdu  phare),  il  l'est  beaucoup 


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9âi  RBTUE  DBS  MA  MONDES. 

pies  €6fltre  les  vents  moins  dangereux  de  Test.  A«  départ  desia- 
glaisy  Tanger  rentra  sohs  Tobéissance  des  sultans  du  Maroc,  et  7 
est  resté.  Cest  une  yille  de  neof  à  dix  mille  babitans,  dom  un  da» 
qméme  à  pen  près  est  composé  de  Juife.  Les  Joifs  n  y  sont  pas  ren- 
fermés,  comme  ailleurs,  dans  un  quartier  à  part;  ils  sont  libres  et 
Tirent  confondus  arec  la  population  maure.  Ds  ne  se  distâigaeiit 
d*elle  que  par  le  vêtement;  toutes  les  couleurs  vires  leur  saut 
interdites;  ils  sont  condamnés  au  notr,  en  signe  d*opprobre  etds 
servitude.  En  Espagne,  ils  étaient  condamnés  au  jaune;  ils  neit 
fait  que  changer  de  fivrée,  ils  n*ont  pas  changé  de  cofiditk>n;  et  li 
les  musulmans  ne  les  brûlent  pas,  ils  les  abreuvent  d'outrages. 

La  première  chose  que  je  vis  en  entrant  dans  la  ville  infidèle  M 
un  petit  Maure  de  neuf  à  dix  ans  qui  tirait  par  sa  barbe  Manches 
vieux  Juif  bien  humble  et  bien  résigné;  et  comme  le  fils  d'Isnél 
n'Atait  pas  assez  vite  ses  babouches  en  passant  devant  la  mosqoée, 
un  soldat  lui  alongea  un  coup  de  pied  sans  se  déranger  de  son  che- 
min, et  une  vieille  femme  souleva  son  voile  pour  liu  eracher  ta 
visage.  Le  pauvre  Hébreu  souffrait  tons  ces  mépris  sans  miinirare; 
la  moindre  velléité  de  résistance  pouvait  lui  coûter  la  vie  ;  on  Fav» 
rait  assommé  sous  le  bftton.  Il  s*échappa  à  travers  un  dédale  <k 
petites  rues  étroites  et  tortueuses,  et  mit  ainsi  fin  à  sa  perséculioa^ 
Encore  dut-il  s'estimer  heureux  de  s'en  être  tiré  à  si  bon  marcM; 
il  s'en  fallut  de  quelques  minutes  à  peine  qu'il  ne  tombfti  au  anlea 
d'une  procession  de  lemàoncha  ou  Hamdoucha,  et  alors  c'eût  été 
bien  pis  :  le  malheureux  courait  risque  d'être  massacré.  Les  lei»- 
doucha  suivent  la  loi  de  lemadscha;  ils  forment  une  secte  poa» 
santé  et  la  plus  redoutée  peut-être  de  tout  l'empire.  Le  ha* 
sard  me  servait  bien  en  me  les  faisant  rencontrer  dès  le  début, 
quoique  la  rencontre  ne  soit  jamais  sans  danger.  On  ne  peut  rien  is 
figurer  de  plus  sauvage.  Le  chef,  en  maure  mukaddeni,  était  «a 
grand  vieillard  enveloppé  tout  entier  dans  un  vaste  haïk.  11  mon- 
tait un  cheval  blanc  et  portait  un  étendard  à  la  main,  comme  les 
hermandades  espagnoles,  qui  n*ont  peut-être  pas  d'autre  origine;  3 
affectait  une  majestueuse  nnmobtlité ,  tandis  que  8e8  suivans,  à  pied 
et  demi-nus,  exécutaient  au  son  de  la  musette  [aguat)  et  du  tam- 
bour (ttbel  (1))  des  danses  ou  phitAt  des  trépignemens  de  possédés. 

M  Mtaeuetemeatleèiiiêfiéilttitrcmeiisdaiif  feroy&ii^  titUUkt 


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Rangés  an^oir  du  «nkaddeoi,  et  te  t4t0  C0ttrb4f  m  avant  ju«^ 
ga'aux  jambea  «if  9oa  cheval,  i}«  s'abandoAaaiaiU,  avac  une  furem* 
qui  alÛc  jos^n^au  vertige»  aux  mo^veiaew  les  plus  boarres,  et 
toal  leur  ooi?ps  se  tordait  en  ceAtorsioas  fo éoétiques*  Au  lieu  d^ 
kfi  ealmer,  la  auieique  ne  feiaait  que  les  exciter,  eo  piiécipitaut  la 
Qiasare,  et  le  peuple  les  aaioiaît  enecH-e  par  aes  oris. 

Dans  cet  état  ^'irritation,  les  lemdoucha  devienseul  féroces*  Os 
se  jettent  sur  les  animaux;  ils  les  déchirent  avec  les  dents  et  les 
^es,  et  les  aiangeat  ainsi  crus  et  sanglaos.  J'en  «  vu  dépecer 
ds  eette  manière  un  mouton  ;  oa  en  a  vu  dévorer  jusqu^à  des  àoea. 
Cestli  du  reste  lewr  spéeiafité  et  leur  auperstitiou  particulière.  U$ 
se  vantent  en  outre»  nouveaux  Psyles  et  61a  peut-être  des  ancieua, 
de  touckM^  iavpunéiaei^  &  to«s  les  poisons,  et  ils  jouent  sur  les  placent 
pabliques  avec  des  serpens.  A  défaut  d'animaux,  ils  se  ruent  queV 
qoefois  sur  les  Jiuifs,  pour  lesquels  ils  sont,  w  le  conçdt,  un  oki^ 
d'épouvante  ;  le  pevqde  d'Israël  se  cadie  en  tremblant,  à  la  pre^ 
mière  note  de  la  formidable  musette.  U  n'est  pas  prudent  non  plus 
poor  les  chrétiens  de  se  trouver  sur  le  passa|;c  de  ces  forcenés,  et 
ea  les  évke  soigneusement.  Leur  rage  est  quelquefois  telle  qu'op 
estoU^é  de  leur  f«re  une  baie  de  deux  rangs  de  soldats  pour  lee 
contenir.  H  parait  que  toute  cette  fureur  carnassière  est  jouée,  eC 
les  esprits  forts  parlent  dea  lemdoucha  cooune  d'une  secte  qui 
exploite  par  ces  simagrées  effroyables  la  crédulité  du  peuple. 
Quoi  qu'il  ea  scHt,  Ss  sont  en  grande  vénération;  et  pressée  autour 
du  mukaddem  toujours  impassible  et  muet,  la  population  lui  baisait 
reKgieuseaient  le  g^AOu.  n  faisait,  ce  jour-là,  son  entrée  &  Tanger; 
le  soir  il  y  eut  de  nouvelles  processions  aux  flambeaux  et  foro^ 
coups  de  fusils»  comme  aux  processions  espagnoles. 

Ces  sectes  ou  confréries  sont  nombreuses  m  Maroci  je  ne  sa%* 
fais  (fire  en  <pioi  eUes  diffèrent.  J'ai  vu  une  procession  d'Àimout^ 
sectataura  de  Sidi  Ben-Am;  ils  m'ont  paru  naoina  féroces  que 
les  lemdoucha,  et  on  dît  les  GUala  plus  doux  encore.  Les  Aîsaoua 
ont  un  vaste  sanctuaire  à  Fez;  c'est  la  maison  centrale  de  la 
communauté;  vers  le  mois  de  juillc^t»  ils  se  rendent  par  grandes 

tfipMli  $mkaié.  AiaatkMtaàHiûeflkM^,  lUIs  la  BWNite  MtNtanM  as  bomm 
ekaramita.  Peat-étre  les  orientalistes  lui  troaveroat-Us  qœlqaa  éljnMtogie  araba  qn» 
Hffoea»  Je  afiwiiiae  m  pamat  qna^laipfcteaet  lafflMtd  tawJbâarg  la  petit  amurtaii la 
■*ippeUe  haUa, 


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264  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

troupes  dans  la  province  méridionale  de  Sous;  ils  y  font  pro- 
vision de  serpensy  et  se  répandent  de  là  dans  toutes  les  parties 
de  Tempire.  Une  quatrième  secte,  celle  des  Ahmaicha,  a  des  attribats  i 
que  j'ignore,  et  les  Derkaoua  sont  des  espèces  de  déistes  qui  coq- 
rent  les  villes  et  les  campagnes,  habillés  en  arlequins.  La  déro- 
tion  des  Gdèles  se  traduit  en  offrandes  de  toute  espèce;  les  riches 
apportent  de  l'argent,  les  pauvres  des  dons  en  nature. 

A  cAté  de  ces  saintetés  collectives,  il  y  en  a  de  solitaires,  cesoat 
les  santons,  sorte  d'ermites  qui  vivent  au  désert  et  quelquefofa 
dans  les  villes,  mais  seuls  et  à  l'écart,  n  y  en  a  de  trois  espèces: les 
fous  ou  idiots,  qui  sont  en  grande  vénération  chez  les  Maures  el 
tenus  pour  saints  (1)  ;  les  fanatiques  de  bonne  foi,  et  les  imposteurs 
comme  partout.  Tout  leur  est  permis ,  et  ils  peuvent  se  passer  im- 
punément leurs  caprices.  Une  nouvelle  mariée,  s'en  revenant  de  h 
mosquée,  traversait  la  place  de  Tanger  ;  un  santon  s'approche  d'eDe 
et  s'en  empare;  le  mari,  spectateur  de  l'événement,  dut  se  tenir 
pour  très  honoré:  sa  femme  était  béatifiée.  Un  autre  santon  fît  son 
choix  dans  un  essaim  de  jeunes  filles  qui  revenaient  du  bain;i( 
tomba  par  hasard  sur  la  plus  belle,  et  très  flattée  de  la  préféreDoe, 
la  victime  si  brutalement  immolée  reçut  les  félicitations  de  ses 
compagnes  et  de  sa  famille.  Il  parait  qu'il  y  a  aussi  des  santons 
femelles  :  on  en  cite  une  qui  avait  dévoué  sa  beauté  au  service  des 
passans.  La  sainte  courtisane  tenait  son  mystique  boudoir  sor  b 
route  de  Saffi(2)I 

Je  rencontrais  tous  les  jours  à  Tanger  un  vieu'x  santon  (cdoi- 
là  était  imbécille] ,  qui  courait  les  rues  ses  babouches  à  la  main 
en  poussant  des  hurlemens  féroces;  ses  poumons  résistaient  i 
ce  métier  depuis  vingt  ans.  Attirée  par  ses  horribles  cris,  lapopo- 
lation  accourait,  les  femmes  surtout,  et  elles  baisaient  cette  main 
sale  et  décharnée  avec  une  piété  fervente.  Quand  elles  manquaient 
la  main,  elles  baisaient  la  robe.  Leur  action  avait  d'autant  plm 


(1)  La  même  superstition  s'attache  aux  crétins  du  Valais.  On  félicite  la  maison  oàl 
en  nait,  et  il  n'en  naît  que  trop;  cela  doit  lui  porter  bonheur.  11  y  a  quelque  clMsede 
touchant  dans  ce  préjugé  populaire ,  qui  prend  sous  sa  protecUon  les  êtres  maltraités  pv 
la  niture.  Ce  n'est  au  fond  que  de  la  charité.  '  l 

(t)  En  Justice  le  témoignage  d'une  sainte  compte  comme  celai  d'un  homme,  tandis^  |y 
pour  les  simples  morteUes,  11  en  fitut  six  à  sept  pour  faire  on  témoin. 


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LB  KÀROG.  265 

de  mérite  qu'elles  Texécataient  presque  au  péril  de  leur  vie,  car 
rkliot  faisait  le  moulinet  avec  un  long  bâton,  et  malheur  aux 
têtes  qu'il  atteignait  I  Cependant  il  frappait  de  préférence  les  robes 
noires,  c'estrà-dire  les  Juifs;  c'était  chez  cette  béte  fauve  une 
affaire  d'instinct.  Moi-même ,  un  jour,  je  faillis  être  frappé  en 
descendant  l'escalier  du  consulat  de  Suéde;  mais  le  coup  qui  ne 
m*était  pas  destiné,  ne  Gt  que  m'efDeurer  et  alla  droit  à  son 
adresse,  c*est-i-dire  sur  la  tête  d'un  enfant  d'Israël.  Je  ne  sais 
quel  blasphème  la  douleur  arracha  au  patient,  mais  je  le  vis  saisir 
et  tratner  devant  la  boutique  du  muhtesibj  chef  de  la  police;  pour 
lui  guérir  la  tête,  on  lui  administra  cinquante  coups  de  courroie 
sous  la  plante  des  pieds.  J'eus  le  regret  d'apprendre  trop  tard 
qu'avec  quelques  onces  (1) ,  j'aurais  pu  sauver  du  knout  le  pauvre 
Hébreu. 

Ce  santon  bâtonnier  est  le  même,  j'imagine,  qui  s'attaqua,  il  y  a 
environ  quinze  ans,  au  consul  de  France,  lequel  était  alors 
M.  Sourdeau  ;  terrassé  en  pleine  rue  d'un  coup  de  bâton  sur  la 
tête,  le  consul  demanda  satisfaction  à  Muley-Suleiman  qui  régnait 
encore,  et  exigea  que  le  coupable  lui  fût  livré  aGn  de  venger  sur 
lui  cet  outrage  au  droit  des  gens.  Le  sultan  répondit  au  consul 
par  une  lettre  restée  célèbre  dans  le  corps  consulaire;  en  voici  la 
traduction  : 

ff  Au  nom  de  Dieu  clément  et  miséricordieux.  D  n'y  a  ni  puis- 
sance, ni  force,  sinon  avec  Dieu  très  haut,  très  grand,  ameni 
Consul  de  la  nation  française,  Sourdeau  !  salut  à  qui  marche  dan? 
le  droit  sentier  I  Comme  tu  es  notre  hôte,  sous  notre  protection,  et 
consul  d*une  grande  nation  dans  notre  empire,  nous  ne  te  pou- 
vons souhaiter  que  la  plus  haute  considération  et  les  plus  sublimes 
honneurs.  Tu  comprendras,  par  là,  que  ce  qui  t'est  arrivé  nous  a 
paru  intolérable,  quand  bien  même  c'eût  été  par  la  faute  du  plus 
cher  de  nos  fils  et  amis.  Quoiqu'on  ne  puisse  faire  obstacle  aux 
décrets  de  la  divine  Providence,  il  ne  peut  nous  être  agréable 
qu*un  semblable  traitement  soit  fait,  même  au  plus  vil  des  hommes, 
pas  même  aux  bêtes;  et  certainement  nous  ne  manquerons  pas. 
Dieu  voulant,  d'en  faire  sévère  justice.  Toutefois,  vous  autres 

(f)  L'once  du  Maroc  est  une  mauvaise  petite  monnaie  d*argent,  mal  frappée  et  toute 
taUlftdée»  qui  vaut  35  centimes.  11  ne  jEaut  donc  pas  la  confondre  avec  Tonce  espagnole, 
qui  vaut  S4  Drancs. 


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mO  BBYUE  DBS  mKji  kOMDBS. 

fjhrédéàs,  Hf(m  atezle  coètir  evràf  à  k  p9A6,  et  t6«s  «les  M» 
^àUens  Mt  Injare»,  i  FeÉéiliple  dé  rotré  proj^èM  i(tte  Biet  lil 
èii  ^oilré,  ft^tt^,  fils  de  liane,  lelq«èi,  daA^  te  liVire  ^H  vMflip- 
poiia  an  noih  de  tHeti,  Votiâ  àMtoaAdé ,  si  qticl[}ii*ifn  v^as frâfpe 
ÈfOLT  tme  jôue,  de  pirésenler  ràutre.  Lui-lî^éftie,  que  Diai  bé&îae 
êtertieDeittdiit,  ne  se  défendit  point  quand  tes  Jnifis  tiàrem  pour  fc 
tner,  et  c'c*  ptmrqnoi  Wen  le  retira  à  !ni.  Dais  notre  livre,  9  M 
dH  pat  la  boncfae  ùt  Autre  pt'ophètè  que  nni  penpte  ne  se  rappiv- 
clrera  plus  des  rrais  croyans  dans  la  diaritèqne  ceta  ^ri  dbétt  : 
Motis  Sommes  chi^éHens  ;  et  cela  est  très  vrai,  poisqn*!!  y  a  pinA 
tfùx  des  prêtres  et  saints  honnnes  qni  ne  s'enflent  point  d'orgid. 
Kotre  prophète  nos(s  dit  encore  qu'il  est  trois  sortes  de  peMiflÉ» 
doint  il  ne  fknt  pàintfmpnter  à  crime  les  actions,  savoir  :  llftsené 
jusqu'à  ce  que  le  bon  sens  lui  revienne,  le  petit  enfant,  et  riiaimiiê 
qui  tlort.  Maintenant  cet  boÉime  qui  t*a  outragé  est  insensé  et  il 
ti*a  pas  de  jugement.  Cependant  nous  avons  décrété  que  jnsdoèle 
toit  feite  de  son  ttrtné.  Si  pourtant  tu  lui  pardonnes,  tu  fer» 
tMvre  dtiomme  magnanime  et  tu  seras  récompensé  par  le  très 
tiriséricordieux.  Mais  si  tù  veux  absolument  que  justice  te  soit 
Cïite  dans  ce  monde,  cela  sera  en  ton  pouvoir,  afin  que  personne 
^ans  notre  empire  ne  craigne  ni  injustice,  m  voies  de  fah;  «fec 
l'aide  de  Dieu,  etc.  Le  12  djumàdWl-Uam  1235  de  Fhégire  (28  flttrs 
1820).  » 

Que  pouvait  le  consul  après  un  sermon  si  adroitement  magiB- 
nime?  D  dut  se  rendre  à  la  clémence  sous  peine  de  perdre  le  ton 
chrétien  dans  Fesprit  du  barbare,  et  voilà  comment,  quinze  ans 
plus  tard,  le  même  bâton,  conduit  par  la  même  meSn,  m'eflMra 
la  tête  au  même  lieu. 

On  parle,  sur  toute  la  côte  de  Barbarie,  d'un  consti  angNs 
Ireaucoup  moins  endurant,  c'est  delui  de  Tripoli.  Un  corsaii^  tri- 
potitain  était  accusé  d'avoir  couru  sur  un  bâtiment  britanniqae; 
rédamé  par  le  cot^sul,  il  hfi  fàt  fivré  ;  en  vain  le  malhetireux  ôqpi- 
taine  affirmait-fl  qaH  s'était  trompé  de  paviBon  et  qu'il  avait  ré- 
paré son  erreur  atfssitôt  quH  l'aVait  reconnue  ;  en  vaSik  M  f^BODie 
et  ses  enfens  vttfrent-fis  se  jeter  aut  pieds  du  constd ,  l%ilèsUe 
Breton  fit  impitoyablement  pendre  le  coupable  à  la  vergue  de  son 
propre  navire.  Uactioa  est  durey  mais  peulrêtre  était-dle  nécei* 
saire  ;  ces  barbares  ne  connaissent  d'autre  frein  que  te 


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LE  MAROC.  'WT 

D  parak,  poor  en  revenir  à  Suleiman,  que 8*flaTaît  des  imfmm 
de  perMaaioo  sur  lee  oonsub,  il  n'en  avait  pas  de  moina  puissaw 
aor  levure  moitiéa.  Un  conaul  seirouvant  i  Fez  avec  sa  tenme,  qv 
était  jeniie  et  jolie;  le  sultan  leur  fit  en  personne  les  hmnenrs  do 
son  pakûs  avec  «me  courtoise  tout-i-fait  chevaleresque.  BientAt  on 
s'aperçut  que  madame  la  coasule  était  restée  en  arriére ,  elle  s*étidt 
sans  doute  oubliée  dans  quelque  appartement  du  harem;  mais  le 
èasard  voulut  que  sa  miyesté  marocaine  eût  disparu  en  oiéme  temps. 
Labs^K»  se  pr<dongea,  et  quelle  qu'en  fût  la  cause,  le  ooiqde 
égaré  reparut  ensemble  ;  la  belle  étrangère  avait  au  cou  un  riche 
oolier  de  perles.  Du  reste,  Suleîman  se  piquait  peu  d'orthodcoûe  eo 
feit  d'amour  ;  en  même  temps  qu'il  passait  des  colliers  au  oou  des 
chrélieunesy  il  rendait  hommage  à  la  beauté  des  filles  d'Israël.  D  se 
trouvait  i  Tanger  en  1821  ;  deux  jeunes  Hébreux  se  présentèrent 
devant  loi  pour  vider  un  différend  assez  bizarre  :  ils  étaient  amou» 
reux  de  la  même  femme ,  et  comme  elle  hésitait  entre  eux,  Isis 
deux  poursuivans  demandèrent  que  le  sultan  intervint  et  la  fixât 
dans  son  choix.  La  jeune  fiUe  en  litige  était  belle,  Suleiman  s'en 
aperçut;  il  passa  avec  elle  dans  un  appartement  voisin  sous  pré- 
texte de  l'examiner  {dus  i  son  aise ,  et  fit  dire  aux  rivaux  qui 
atteadaieiii  son  arr^  avec  anxiété,  que,  ne  voulant  pas  sacrifier 
Ton  des  deux  à  l'autre,  il  gardait  pour  lui  la  pomme  de  discorde. 

Plttsorthodoxes  que  le  monarque,les  santons  ne  pousseraient  pas 
^  loia  la  oonvoidse,  ils  craindraient  de  compromettre  leur  sainteté 
60  sacrifiant  aux  femmes  étrangères.  C'est  qu'aussi  leurs  faveurs 
sont  plus  précieuses  et  leurs  dons  trop  magnifiques  pour  être  pro- 
digués aux  filles  des  idolâtres .  Ce  ne  sont  pas  des  colliers  qu'ils 
doouent  en  échange  d'un  instant  d'ivresse,  c'est  la  clé  du  paradis 
et  des  brevets  de  béatitude,  n  est  vrai  qu'ils  donnent  aussi  des  coups 
de  bâton.  Biais  c'est  encore  là  une  grâce  particulière,  et  quand  le 
blton  sacré  tombe  sur  un  croyant,  le  croyani  baise  avec  grati- 
tude la  main  qm  a  daigné  frappe  r. 

Tous  les  santons  ne  eool  pas  fous  ou  vdi^ytueux,  la  majorité 
exerce  des  industries  moins  excentriques;  ils  font,  en  général,  le 
laétier  de  prophètes  et  d'inspirés  ;  leur  rèle  les  rapproche  beaucoup 
de  nos  meiges,  ou  sorciers  de  viUages.  Bs  ont  des  paroles  magiques 
pour  co^urer  les  esprits  malCsisans,  et  d'infaillibles  recettes  con^ 
tre  les  maladies  des  bestiaux  et  des  hommes.  On  vient  les  coa^ 


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368  EEVUE  DES  DEUX  UONDES. 

sulter  de  loin»  et  on  ne  vient  pas  les  mains  vides.  Tour  à  tour 
sur  le  trépied  ou  dans  l'écurie,  hier  ils  purgeaient  un  chameaa, 
aujourd'hui  ils  prophétisent  les  destinées  du  monde.  Dans  rin- 
tervalle  de  leurs  fonctions,  ils  prient,  jeûnent,  et  se  livrent  aui 
douceurs  de  la  vie  contemplative ,  sans  souci  du  lendemain.  Chose 
étrange I  leur  sainteté  est  héréditaire!  —on  a  vu  qu'ils  ne  foot 
pas  VŒU  de  célibat;  — elle  passe  du  père  aux  enfens  comme  m 
titre  de  noblesse;  le  flls  d'un  santon  est  santon,  comme  le  Ok  d*QB 
marquis  est  marquis;  c'est  le  trait  le  plus  curieux  de  cette  singu- 
lière institution.  Peut-être  n'est-ce  là  qu'une  application  du  prin- 
cipe des  castes  héréditaires  de  l'antique  Egypte.  Je  ne  sache  ries 
d'analogue  dans  les  coutumes  religieuses  de  l'Europe. 

La  demeure  des  santons  est  réputée  sainte  ;  un  drapeau  rouge 
la  signale  à  la  vénération  publique,  et  les  Juifs  doivent  passer 
devant,  pieds  nus,  conune  devant  les  mosquées.  Leur  mort  est 
regardée  comme  une  calamité  publique.  On  les  enterre  tantôt  ao 
bord  des  chemins,  tantôt  sur  les  montagnes,  et  dans  les  lieux 
retirés  et  solitaires;  leurs  tombeaux,  également  ombragés  d'un 
drapeau  rouge,  deviennent  des  lieux  de  pèlerinage  dont  l'approcbe 
est  interdite  aux  infidèles.  Ce  sont  aussi  des  lieux  d'asile  au  seuil 
desquels  expirent  toutes  les  lois  humaines,  et  qui  rendent  inviolable 
quiconque  s'y  réfugie.  Le  plus  audacieux  tyran  n'oserait  en  arra- 
cher un  criminel.  C'est  le  droit  d'asile  des  temples  de  la  Grèce  et 
des  églises  du  moyen-&ge.  Partout  l'homme  a  senti  le  besoin  d*é- 
chapper  à  la  tyrannie  de  Thomme;  poursuivi  par  la  sodété,  il  se 
réfugie  au  sein  de  Dieu. 

La  vénération  du  peuple  maure  pour  ses  santons  prouve  la  vira- 
cité  de  sa  foi  et  son  attachement  aux  croyances  religieuses.  Der- 
nier rameau  de  l'arbre  musulman,  et  le  plus  éloigné  du  centre,  0 
est  séparé  par  l'Afrique  entière  du  tombeau  de  son  prophète,  mais 
l'épouvantable  distance  et  les  innombrables  dangers  du  voyage  De 
l'empêchent  pas  de  faire,  lui  aussi,  son  pèlerinage  à  la  Mecque. 
Un  simple  coup  d'œil  jeté  sur  la  carte  peut  donner  une  idée  des 
fatigues  et  des  périls  de  cette  gigantesque  entreprise.  Chaque  an- 
née la  sainte  caravane  part  de  Fez  sous  la  conduite  de  Vernira" 
hodjahs,  espèce  de  dictateur  investi,  durant  tout  le  voyage,  d'une 
nutorité  absolue.  Elle  franchit  le  petit  Atlas  et  pénètre  dans  k* 


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LE  HAROC.  269 

désert  d'Angad;  laissant  sur  la  gauche  Alger,  Tunis  et  les  antres 
villes  de  la  c6te,  elle  marche  droit  sur  Tripoli  et  de  là  sur  TËgypte 
à  travers  ce  périlleux  désert  de  Barca,  peuplé  de  Bédouins  tou^- 
jours  prêts  à  dévaliser  les  pèlerins.  Enfin  la  caravane  passe  l'isthme, 
elle  entre  en  Arabie,  et,  après  un  voyage  de  près  de  deux  mille 
lieues,  elle  arrive  à  la  Mecque  pour  la  grande  fête  du  Korban. 
Chaque  pèlerin,  quels  que  soient  sa  fortune  et  son  rang,  prend  alors 
et  garde  le  reste  de  ses  jours  ce  titre  honorifique  de  hadji,  dont 
les  musulmans  sont  si  jaloux;  il  a  le  droit  aussi  de  porter  un  tur- 
ban particulier. 

Certes,  il  faut  une  foi  bien  forte  pour  arracher  à  leur  indolence 
naturelle  ces  tribus  paresseuses  et  les  emporter  ainsi  à  travers  la 
terre,  et  cela  pour  une  idée;  mais  toute  puissance  n'appartient- 
elle  pas  à  Fidée?  N'est-ce  pas  l'idée  qui  fait  les  miracles? 

Toutefois,  depuis  que  les  Wahabites,  espèce  de  Sociniens  maho- 
métans,  ont  pris  la  Mecque  et  pillé  ses  trésors,  le  pèlerinage  est 
moins  fréquenté;  les  Maures  qui  le  tentent  sont  de  jour  en  jour 
moins  nombreux,  et  si  quelque  révolution  ne  vient  pas  rendre  le 
tombeau  du  prophète  à  l'orthodoxie,  le  pèlerinage  finira  par  tomber 
tout-à-fait  en  désuétude. 

Quoique  le  centre  de  l'islamisme  soit  déjà  livré  à  l'incrédulité,  les 
extrémités  sont  encore  croyantes;  les  Maures  sont  dévots  jus- 
qu'au fanatisme.  Attisée  par  le  voisinage  et  par  de  vieilles  ran- 
cunes, la  haine  du  nom  chrétien  est  ardente  et  vivace  au  cœur  des 
Maures.  Tanger  est,  sous  ce  rapport,  une  ville  d'exception;  la 
présence  des  consuls  dont  elle  est  la  résidence,  a  accoutumé  les 
yeux  de  la  population  à  nos  habits  et  à  nos  usages.  H  y  a  plus  de 
vingt  ans  que  l'esclavage  des  chrétiens  est  aboli  dans  toute  l'éten- 
due de  l'empire. 

Indépendamment  des  consuls ,  on  compte  une  vingtaine  de  fa- 
milles européennes  établies  à  Tanger  à  Fombre  des  pavillons  con- 
sulaires, n  y  a  même  un  couvent  desservi  par  deux  franciscains 
espagnols,  lesquels  constituent  tout  le  clergé  chrétien  du  Maroc. 
Les  deux  moines  sont  d'humeur  fort  dissemblable,  l'un  est  un 
homme  du  siècle  qui  mène  joyeuse  vie  et  boit  comme  un  templier  ; 
l'autre  fuit  le  monde  et  vit  dans  la  solitude.  Il  s'est  construit  au 
milieu  du  cimetière  chrétien  une  petite  hutte  de  feuillage,  et  c'est 
dans  cette  Thébaïde  qu'il  passe  toutes  ses  journées  en  méditations 


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370  REVUE  ras  racx  mondes. 

et  ettpriàres.  Janais  les  cafmes  du  sert  wm  wémànm  dans  m 
missîM  commune  deuxctrtctères  plus  opposés.  B  os'a  pmrs  qie  les 
llaares  oui  plus  de  respea  pour  le  solîtaire;  les  dirons  aineot 
raieud  le  aMndaiflb 

La  première  chose  qw  frappe  Tceileiiropéen  dans  une  riDe  artbe, 
c'est  le  eosluise.  Celui  du  Maroc  est  piaoresque,  nais  skmph,  H(ê 
cela  il  diffère  de  edui  des  Algériens,  qui  est  rielie  et  somptseoL 
Les  Maures  oocidentaux  sont  restés  j^hs  près  de  ranSique  simpii- 
cité;  ils  ne  portent  sur  eux  ni  or  ni  pierres  précieuses.  La  pièce 
principîde  et  vraiment  origifiale  du  costume  marocain,  ceHeqsiloi 
imprime  son  caractère  particidier,  est  le  kaïk ,  longue  robe  de  iain 
blanche,  très  amj^,  qui  envelop^  tout  le  corps,  qui  ressenUe 
exactement  à  la  toge  romaine,  et  unit  comme  elle  la  grâce  à  la  mi- 
jesté.  Le  haïk  est  fait  d'une  étoffe  souple,  qui  suit  les  mouvemens 
sans  les  gêner,  et  donne  à  la  démarche  je  ne  sais  quoi  de  grave  e( 
de  posé  qui  sied  mieux ,  disent  les  Maures,  à  la  dignité  de  rhomme. 
Cette  toge  appartient  à  toutes  les  dasses,  depuis  le  sultan  jusqu'il 
dernier  manœuvre;  mais  coumie  die  est  assez  chère,  eHe  n*est  guère 
portée  que  par  les  gens  aisés,  et  annonce  une  certaine  fortune.  Ob 
porte  dessous  un  large  caleçon  blanc  et  un  caftan  serré  aux  flaics 
par  une  ceinture  de  soie.  La  chaussure  est  la  babouche  jaune  sa  la 
botte  de  même  couleur.  La  coiffure  est  le  turban. 

Le  vêtement  du  campagnard  et  du  citadin  pauvre  se  compose 
d'une  grosse  robe  de  toile  ou  de  laine,  qu'on  met  par  la  tète, 
comme  un  sac,  et  qui  descend  un  peu  plus  bas  que  le  genon.  Oo 
n*a  là-dessous  ni  cheuùse  ni  caleçon;  aussi  la  toilette  d'un  ifaore 
est-elle  bientte  faite.  Ce  sarrau  rustique  se  nomaie  dpéaM;'ûes^ 
d'un  usage  universel.  Les  Juifs  portent  le  soulam  moir,  agrafe  sur 
l'épaule,  et  vottt  nu4ête. 

Les  femmes  maures  portent  toutes  le  haïk,  les  riches  coaune 
les  pauvres;  elles  s'en  couvrent  la  tête  en  guise  de  vo3e,  de  na- 
nière  à  ne  laisser  hbres  que  les  yeux.  Vue  par  derrière,  cette  coif- 
fure rappelle  un  peu  celle  qu'on  prête  à  nos  antiques  druidesses. 
Quelques-unes  portent  un  large  chapeau  de  paille.  Souvent  les 
femmes  n  ont  pas  d'autre  vêtement  que  le  haïk  ;  et  comme  le  hA 
des  femmes  est  d'une  étoffe  plus  Gne  que  celui  des  hommes,  quoique 
ample  et  onduleux^  ce  costume  n'en  accuse  pas  moins  fort  souvent 


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éÊê  "tatnmB  k  yrm  dirG  ^mi  utirsyantes.  On  màt  que  rembcm- 
point  est  la  première  condition  de  la  beauté  norescpie;  les  plus 
grottes  soBt  les  phu  belh».  Pour  adie^^r  de  «e  défigurer^,  elles 
s'«arf«eloppeitt  les  jambes  de  ^tasMielettes  de  toile  affreuses  à  voir. 
Je  ne  :8a«rais  porter  ^e  des  ^feannes  que  j'ai  pu  rencontrer  dans 
les  rues  on  dans  les  ^champs.  Les  mystères  de  rintérieur  sont 
iaascessiUes  aux  Européens  eneore  pliw  qu^aux  enfans  da  pro^ 
{Hièle. 

La  diose  qui  frappe  le  plus^  après  le  costame,  c'est  le  sflence.  II 
est  tel  qu'on  se  croin^  au  rillage;  encore  le  yillage  a4^{l  sa  cloche, 
h  Tille  musufanane  n'en  a  poinu  De  deux  heures  en  deux  heures,  le 
nauétin  monte  sur  le  minaret  (soma);  il  arbore  un  étendard  blanc, 
et  appelle  le  peuple  à  la  prière  d'une  voix  monotone  et  tremblottante. 
On  ne  peut  rien  entendre  de  plus  triste  que  cette  voix  aérienne, 
surtout  la  nuit.  Tanger  n'a  qu'une  mosquée  un  peu  apparente,  qui 
est  sunncHitée  d^nn  haut  minaret  carré,  recouvert  de  briques 
T»tes,  qu'on  voit  reluire  au  soleil  comme  les  écailles  d'un  lézard 
gigantesque.  La  mosquée  n'a  pas  de  porte.  Les  croyans  y  pénètrent 
à  toute  heure  du  jour  et  de  la  nuit  en  laissant  leurs  babouches  à 
rentrée.  Je  n'ai  pas  remarqué  que  le  prêtre  portât  un  costume 
particulier;  n^see  qui  ne  m'a  point  échappé,  c'est  le  regard  dé- 
vorant qu'il  jetait  sur  moi  toutes  les  fois  que  je  passais  devant  sa 
mosquée;  ce  qui  l'indignait  le  plus,  c'était  de  me  voir  garder  mes 
bettes.  Quanta  s'introduire  dans  le  sanctuaire,  il  n'y  faut  pas  même 
songear;  im  chrétien  qui  entre  volontairement  dans  une  mosquée  est 
ausilAt  conduit  chez  le  kadi,  et  n'a  d'autre  alternative  que  Tab- 
jiralion-ottta  mort.  Là-deesus  la  loi  mahométane  est  si  rigide, 
que  c'est  jpur  une  laveur  toute  spéciale  que  les  ambassadeurs  ob- 
tisaBem  du  sultan  de  Constantiiiopie  de  visiter  une  fois  Sainte-So- 
phie. B  est  d*u«sge  d'en  ftÉre  la  dmnande  à  l'audience  de  réception. 
Le  peuple  turc  ne  voit  pas -sans  horreur  cette  profanation;  on  con- 
naît ee  trait  d'une  femme  qui  sauta  furieuse  à  la  face  de  l'am- 
bassadeur russe  et  le  SMffieta,  parce  qu'étant  dans  la  mosquée, 
il  avait,  sans  y  prendre  garde,  craché  par  terre.  AuHaroc,  ce 
israit  bien  pis,  et  il  n'y  a  pas  d'ambassadeur,  si  puissant  fût-il, 
qid  osât  flores  la  consigne.  D  fallait  voir  l'attitude  menaçante  des 
ftossaus  lotv^n  je  me  permeuais  seulement  d'approcher  du  seuil 
impé  pMT  aiiMx  votr  l'intérieur.  Je  ne  itérais  pas  resté  là  impu- 


\on 


»^ 


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Goc 


272  REVUE  BBS  DEUX  MOIfDES. 

nément,  et  Tanger  pourtant  est  de  tout  l'empire  la  ville  la  plus 
familiarisée  avec  la  vue  des  chrétiens. 

Tanger,  en  arabe  Tangia,  n'est  pas  une  belle  ville,  tant  8*en  faut. 
Les  maisons  sont  basses,  irréguliéres,  mal  bâties  et  totalement 
dénuées  d'architecture.  Elles  sont  toutes  taillées  sur  le  même  pa- 
tron :  c'est  une  grosse  masse  carrée,  sans  jour  extérieur,  avec 
une  terrasse  pour  toit,  le  tout  passé  à  la  chaux;  on  conçoit  que 
ces  grands  cubes  blancs  et  uniformes  ne  soient  pas  fort  gais  i 
voir  et  qu'ils  ne  jettent  pas  beaucoup  de  variété  dans  une  viBe. 
Les  maisons  se  ressemblent  à  l'intérieur ,  comme  elles  se  ressem- 
blent au  dehors;  elles  ont  toutes,  ainsi  qu'à  Pompm,  une  cour 
carrée  sur  laquelle  s'ouvrent  un  rez-de-chaussée  et  un  pronier 
étage,  soigneusement  clos  par  de  lourdes  portes  ferrées  et  ver- 
rouillées. Quelques-unes  de  ces  cours  sont  ombragées  de  vignes 
ou  de  figuiers. 

Les  rues,  ou  plutôt  les  sentiers  qui  serpentent  entre  ces  jalouses 
forteresses ,  sont  étroites ,  tortueuses ,  pleines  de  cailloux  et  d'im- 
mondices. Une  seule  rue  passable  et  assez  droite  traverse  toute 
la  ville  du  haut  en  bas,  et  descend  à  la  marine.  Cette  rue  est 
coupée  en  deux  par  une  place,  la  seule  de  Tanger,  et  bordée 
dans  sa  partie  supérieure  de  deux  rangs  de  boutiques.  La  phoe 
en  est  aussi  environnée  :  c'est  le  Palais-Royal  de  Tanger.  Hiis 
quelle  saleté  1  quelles  odeurs  I  La  boutique  maure  est  une  espèœ 
d'antre  noir  et  profond,  creusé  dans  le  mur,  sans  porte,  aYec 
une  fenêtre  à  hauteur  d'appui  où  la  marchandise  est  étalée,  et 
par  laquelle  on  sert  le  chaland  qui  reste  en  dehors.  Gravemeot 
accroupi  sous  Tauvent,  le  flegmatique  vendeur  attend  la  prati- 
que en  fumant  le  kif  ou  le  hachichia,  deux  plantes  qui  rempla- 
cent le  tabac  chez  les  Maures.  Toutes  les  boutiques  sont  tenues  par 
les  hommes  ;  les  femmes  ne  sont  pas  jugées  dignes  d'un  si  haut 
emploi.  Véritables  bétes  de  somme,  elles  portent  l'eau  et. le  bois; 
on  s'en  sert  aussi  pour  tourner  la  meule  des  moulins,  et  mémeoB 
en  voit  à  la  charrue,  attelées  à  côté  d'un  âne  ou  d'un  mulet,  et 
partageant  avec  eux  le  dur  labeur  et  les  coups  d'aiguiUon. 

Ce  qu'on  prend  souvent  pour  une  boutique. est  un  tribunal  ou  on 
bureau  public.  Les  hauts  fonctionnaires  siègent  accroupis  àlafenétre 
comme  le  boutiquier  :  c'est  là  que  le  keuii  rend  la  justice,  et  que  le 
muhiesib  fait  la  police.  On  amène  le  délinquant,  le  cas  est  exposé 


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LE  KÀROC.  273 

sans  phrases  9  et,  la  sentence  prononcée,  eUe  s'exécute  sur  place, 
irinstant  même,  sans  appel.  Dans  les  affaires  correctionnelles, 
les  riches  s*en  tirent  d'ordinaire  au  prix  d*une  amende.  Ne  pou- 
vant payer  de  leur  bourse,  les  pauvres  paient  de  leur  personne, 
le  knout  et  les  étrivières  sont  leur  partage;  suivant  la  gravité 
du  délit,  on  les  frappe  par  devant  ou  par  derrière;  linstru- 
ment  du  supplice  est  un  nerf  de  bœuf  appelé  asfil,  que  les  exécuteurs 
ont  coutume  de  porter  sur  T  épaule  comme  les  caporaux  autrichiens 
portent  la  baguette  de  noisetier  pendue  aubaudrier .  Dans  aucun  cas, 
on  ne  peut  infliger  au  patient  plus  de  neuf  cent  quatre-vingt-dix-neuf 
coups  ;  on  les  compte  sur  un  rosaire.  Si  c'est  un  voleur,  on  lui  coupe 
la  main.  Il  y  a,  du  reste,  au  Maroc  une  grande  variété  de  supplices  : 
tantôt  on  jette  le  condamné  en  Tair  de  manière  qu'en  retombant  il 
se  casse  un  bras ,  une  jambe  ou  la  tète ,  suivant  la  sentence ,  et  les 
exécuteurs  sont  si  bien  dressés ,  qu*ils  ne  manquent  jamais  leur 
coup;  tantôt  on  Tenterre  jusqu  au  cou ,  livrant  sa  tète  à  tous  les 
outrages  des  passans.  D'autres  fois  on  renferme  vivant  dans  un 
bœuf  mort,  ou  bien  on  l'attache  à  la  queue  d'une  mule  au  galop. 
Souvent  encore  on  lui  remplit  de  poudre  le  nez,  la  bouche  et  les 
oreilles,  puis  on  y  met  le  feu.  Le  pal,  Tauge,  la  mutilation  des 
membres,  le  croc,  sont  autant  de  genres  divers  de  cette  effroyable 
pénalité.  Mais  la  loi  par  excellence,  la  loi  deprédUection  est  toujours 
la  loi  du  talion  ;  on  ne  manque  jamais  de  rappliquer  toutes  les  fois 
qu'elle  est  applicable.  On  en  cite  un  exemple  récent  dont  l'idée 
seule  fait  frémir.  Un  charcutier,  convaincu  d*avoir  vendu  de  la 
chair  humaine  frite  à  Thuile,  fut  coupé  en  petits  morceaux;  et  jetés 
un  à  un  dans  une  chaudière  bouillante,  ces  affreux  lambeaux 
étaient  donnés  aux  chiens  à  la  vue  de  l'agonisant. 

Nul  homme  ne  pouvant  mettre  la  main  sur  une  personne  de  l'au- 
tre sexe,  il  y  a  une  exécutrice  des  hautes  œuvres  pour  les  fenunes; 
elle  se  nomme,  par  anti-phrase,  ahrifa,  c'est-à-dire  tolérante,  conune 
bs  Grecs  appelaient  les  furies,  Euménides,  bienveillantes.  L'Eumé- 
nide  africaine  arrête  les  femmes,  les  fouette,  les  décapite,  leur 
coupe  les  oreilles  ou  le  sein;  et  plus  elle  est  vieille  et  laide,  plus 
elle  se  platt  à  torturer  la  jeunesse  et  à  défigurer  la  beauté.  Les 
exécutions  féminines  se  font  en  secret. 

Le  hasard,  qui,  le  jour  de  mon  arrivée,  m'avait  fait  tomber  au 
milieu  d*une  procession  de  leipdoucha,  me  rendit  témoin,  le  jour 

TOME  VII.  18 


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^4  REVUE  D8S  MtJX  HOIfDES. 

atf^âBt  »  d*md  «ttè^ttikm  i  wmi.  &m  -Meifilult  tero  la  pirte  et 
nmrdié  ^em  ^fttr^yaftdiers  4tt  BME.  b  étaknit  cMriétrès 
cottniiê  coepaM66  d«  làse^n^e^é  pour  «roir  frwitré  le  sMVQrài 
de  «es  droits  de  4ofMriie ,  «t  wmnie  tels,  on  leur  tranclMtt  faltie 
tetitement  avec^OBiBWTais  ck)ateaudepoche^,  en  commengsMifar 
l&'ntiqiie.  Lesititrépides  montagnards  sabir em^ette  twiareMpooe 
apyec  un  stoidsnie  liëroîqHe  ;  ils  ne  proférerait  pas  nne  {dGÉtee^et 
]lMmrtnr€fnt  en  silenee.  Quand  les  lètes  furent  séparées  dvitnnic,  ai 
les  fitsaler  par  un  Inlf  en  signe  dignottinie,  «t  dans  cet  éiift^les 
ftnrem  accrochées  à  la  muraille  pour  servir  d'e&emple  à  la  ieale, 
idfisi  quecela  se  pratique  en  Italieet  dans  Jes  autres  eldorados  deii 
dvflisation  chrétienne.  L*eiécution  terminée,  les  botnrreanKa^^iiAih 
rent  à  toutes  jambes,  poursuivis  à  coups  depierres  par  le  peuple* 
Cest  toujours  ainsi  que  les  spectateurs  paient  leurs  places  à  cm 
horribles  tragédies.  Là  encore  je  trowve  Vorigined'im  usage  espi* 
gnol.  A  Grenade,  la  dernière  viUe  d'Europe  arrachée  à  rcmpN 
du  croissant,  le  bourreau  a  une  garde  à  sa  porte  et  ne  sort  jamii 
sans  escorte.  Ces  précautions  ne  prouvent-cdios  pas  que  les  Qwu^ 
ditts  sont  restés  Maures  sur  ce  point,  et  que  reacéouteiir  est  expcMé 
aux  mêmes  dangers  que  ses  collègues  d'au-^elà  dm  détroit? 

Quelque  barbare  que  soit  la  législation  maroeaine,  il  Aiut  dira 
eependant  que  la  vie  des  hommes  n*y  est  jamais  livrée  à  Tarbitrâîre 
des  autorités  subalternes;  on  réfère  au  sultan  de  toutes  les  ces* 
damnations  cnpitdes,  et  aucune  ne  peut  recevoir  d'exécution  sans 
son  ordre  exprès.  Il  est  vrai  que  cet  ordre  est  généralement  ftn^ 
mule  en  termes  vagues,  ambigus,  et  toujours  sujets  à  interpré' 
tation.  Cest  là  une  ruse  machiavélique;  le  isukan  obscurcit  à 
dessein  sa  pensée,  afin  de  pouvoir,  au  besom,  rejeter  «ur  la  té» 
d-un  kaïd  ou  d'un  bâcha  qu'il  veut  perdre,  la  responsabilité  d'^n 
ordre  mal  compris  parce  qu'il  a  été  mal  exprimé.  U  semble  qn'irii 
despote  aussi  absolu  que  le  chérif  des  chérife  ne  devrait  pas  avoir 
besoin  de  prétexte  pour  se  défaire  d*un  homme  ;  mais  il  est  toujours 
plus  prudent,  même  en  Afrique,  de  mettre  de  son  côté,  sinon  te 
droit,  du  mohis  les  apparences  du  droit,  et  de  couvrir  la  cupidité 
du  masque  de  la  justice  et  du  bten  publie. 

On  ne  dit  pas  que  le  sultan  actuel,  Muley-Afod-er-Rabman,  use 
volontiers* de  ces  moyens  perfides;  c'est  un  homme  doux,  d'un^es- 
priijudideox ,  d^un  «cMir  dr^t,  et  l'an  dés  «eiUeurs-souvwite 


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A»  éefdê  lûBi^mps»  ak  tenu  le  sceptre  daMaiM.  Avant  é'itf% 
iperew»  il  avail  éié  long-leaipa  bâcha  deMoggjdor  tt  a'éuôi  iiét 
r  daaa  «eagouYerBeneM.  Let  exécmiMa  capkalea  ft^ont  jattati 
étèaî  Tares»  et  l'empire  jouit  d'une  proapérité  natérieUe  qui  ravi- 
rait é'me  aos  plus  fougae«x  tribuas.  D  »*e«ARit  qoe  Sutekaan  (1), 
OMie  et  {urMéeeMeiir  d'Abd-er-RahaaaB^  qiMMqu'fl  bû  fftt  Ùm 
avpérieor  par  les  lumiàreaet  par  le  caractàre,  ait  joiii  d'an  règae 
aussi  prospère;  la  fin  de  sa  vie  fat  orageuse  et  eofaagjaiitée  par 
Mae  fennidable  iaswreetieades  Anazirgnesy  race  aberigèiie  qu^on 
désigae  i  tort  en  Europe  aous  le  double  mom  de  Berbires  et  de 
ScheUelLSy  et  dont  bous  aurons  r^ecadon  de  parler  uae  autre  léia. 
Puis(|ae  le  nom  de  Suleimanest  revenu  sur  ueCracheniii,  void 
au  aatre  trait  de  lui  qui  trouve  ici  aaturelieHieBt  sa  place.  SideimaD 
était  campé  au  pied  de  F  Atlas  dans  la  proviuee  de  Tedla;  c'était 
peadaut  la  tévdite  des  Amaiirgues,  en  1819  ou  20;  un  cbekk 
arabe  découvrit  qa*un  inconnu  s'introduisait ,  la  nuil»  dans  sa 
tente  et  déshonorait  son  lit.  Soupçonnant  que  le  ravisseur  de  son 
honnear  étak  un  chérif,  il  n'osa  le  châtier  lui-inéine;  il  porta 
{AttBte  au  sidtan  et  lui  confia  sa  veng^aace.  Suleiman  s'an  chargea; 
3  pénétra  sous  un  déguisenient  dans  la  tente  de  l'Arabe  outragé, 
surprit  l'adidtère  et  le  tua  de  sa  propre  main  dans  les  ténèbres» 
sans  savoir  qm  ee  pouvait  être.  On  reconnut,  au  joor,  que  c'était 
un  officier  de  la  gsffde^u-corps;  alors  le  sultan  se  prosterna  la 
lace  contre  terre,  rendant  grâce  à  Dieu  de  ce  qu'appelé,  par  lui, 
àpanir  un  aï  grand  attentat,  il  n'avait  pas  eu  le  malheur  de  frapper 
un  chérif  de  sa  famille  ou  même  son  propre  fils.  U  y  a  dans  ces 
actes  de  justice  instinctive  je  ne  sais  quelle  grandeur  sauvage  qui 
étonne  etquî  séduit.  Si  ces  formes  barbares  répugnent  à  nos  nusurs, 
i  nos  doctrines,  on  ne  peut  dire  que  dans  ce  cas,  cependant,  les 
lais  de  la  morale  éternelle  aient  été  vidées.  Guidé  par  sa  droiture 
naturelle,  le  barbare  ici  s'^ve  à  rhéroïsme. 


La  seule  partie  de  Tanger  qui  ait  du  caractère  est  le  château  ou 
Kassaba,  bâti  au  sommet  d'une  colline»  et  qui  domine  toute  la  ville. 


(f)  n  arait  usurpé  le  trtoe  svr  son  ncreii  en  bas  ftge,  exaetemeat  comme  Manfred  en 
«mH  i#  STec  Cooradin  ;  nAls  U  le  liU/eodit  à  sa  mort ,  tt  IWS. 

18. 


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376  REVUE  DES  DEUX  MOIfDBS. 

On  y  monte  par  un  rude  sentier  en  zig-zag  ^  et  une  des  portes 
donne  sur  la  campagne.  Ce  ch&teau  a  pu  être  fort  autrefois  ;  les 
bàtimens  sont  maintenant  tout-à-fait  délaissés  et  tombent  en  ruines. 
Mais  malgré  son  état  de  «dégradation ,  c'est  un  monument  d'ardû- 
tecture  moresque  iui^t^ssant  à  étudier.  On  aurait  de  la  peine  i  j 
reconnaître  un  plan,  il  y  règne  une  confusion  complète;  donjons, 
murs  et  parapets ,  tout  semble  avoir  été  bâti  au  hasard  ;  c*est  un 
grand  pèle-méle  où  Tœil  se  perd. 

On  pénètre  de  Tintérieur  par  un  couloir  oblique  et  obscur;  oa 
entre  dans  une  première  cour  ornée  de  colonnes  évidenmient  ro- 
maines,  et  sur  laquelle  s*ouvrent  plusieurs  appartemens  dans  le 
style  de  TAlhambra  de  Grenade ,  et  plus  exactement  de  FAkazar 
de  SévillOy  mais  bien  moins  spacieux  et  moins  ornés.  Les  plafonds, 
qui  sont  concaves  et  sculptés  en  bois  avec  une  délicatesse  extrême, 
sont  encore  charmans,  quoique  à  moitié  tombés.  Le  temps  aura 
bientôt  achevé  d'en  consumer  les  dorures.  Les  lambris  étaient 
tapissés  d'arabesques  peintes ,  mais  on  a  tout  passé  à  la  chaux.  Les 
arabesques  elles-mêmes  ont  beaucoup  souffert;  le  mur  est  lisse  en 
plus  d'un  endroit.  Les  portes,  qui  ont  été  sculptées  avec  le  même 
art  que  les  plafonds,  sont  vermoulues  et  hors  d'emploi;  du  reste, 
il  n'y  a  rien  à  fermer,  car  tous  ces  appartemens  sont  abandonnés 
aux  hirondelles  et  aux  palombes.  Quand  on  y  entre ,  elles  s'envo- 
lent par  nuées.  Les  cours  sont  pavées  de  dalles  de  pierre,  quel- 
ques-unes avec  assez  de  goût.  Je  n'ai  pas  besoin  de  dire  que  toutes 
les  portes  et  toutes  les  voûtes  sont  taillées  en  trois  quarts  de  cercle^ 
coupe  sacramentelle  de  Tare  moresque. 

Un  escalier  dégradé,  comme  tout  le  reste,  mène  aux  terrasses 
supérieures.  L'ascension  est  difficile,  mais  on  est  dédommagé  de 
sa  peine,  en  atteignant  le  faite,  par  Tair  pur  qu'on  y  respire  et  le 
vaste  horizon  qu'on  a  sous  les  yeux.  Ces  terrasses,  dont  quelques- 
unes  ne  sont  pas  sans  élégance,  ne  forment  point  une  plate-forme 
unie,  mais  sont  échelonnées  en  gradins  inégaux ,  et  séparées  par 
les  cours  intérieures.  Comme  j'étais  là  sautant  de  Tune  à  l'antre, 
une  de  ces  cours  m'arrêta.  Mon  regard  plongea  par  hasard  au  fond  ; 
un  spectacle  inattendu  l'y  retint.  Cette  cour,  quoique  fort  resserrée, 
était  plutôt  un  jardin  ;  il  y  av  ait  au  milieu  un  jet  d'eau  et  de  la  ver- 
dure tout  autour  :  à  l'un  des  angles,  un  vieil  Arabe,  accroupi  sur 
ses  talonS;  fumait  gravement  sa  pipe,  et  il  était  si  complètement 


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LE  MAROC.  277 

immobile  sous  son  grand  haïk,  qu'on  Taurait  pris  pour  une  statue; 
en  fece  était  une  femme  accroupie  comme  lui  sur  un  tapis  du  Dou- 
calla,  et  plongée  dans  la  même  immobilité.  Autant  que  j'en  pus  ju- 
ger à  vol  d'oiseau,  elle  était  jeune  et  fort  belle  selon  le  goût  maure, 
c'est-à-dire  fort  grasse.  Elle  ne  portait  pas  de  haïk,  mais  un  caftan 
bleu  brodé  en  or,  et  une  espèce  de  Yoile  de  soie  rejeté  en  arrière 
comme  celui  des  nonnes.  Ses  pieds  nus  étaient  chaussés  de  pantou- 
fles rouges,  et  il  me  parut  qu'elle  roulait  un  rosaire  entre  ses 
doigts.  D'autres  femmes  allaient  et  venaient  dans  l'intérieur;  c'é- 
taient sans  doute  des  servantes;  parmi  elles  était  une  négresse.  Les 
deux  statues  de  la  cour  se  regardaient  sans  parler  ;  et  perchée 
sur  une  pale  au  coin  de  la  terrasse,  une  cigogne  semblait  dormir 
au  soleil.  Un  lourd  donjon  carré  couronnait  le  tableau  de  sa  masse 
jaunâtre. 

L'immobilité  de  la  scène  était  telle  que  j'aurais  fort  bien  pu  pren- 
dre pour  une  toile  inanimée  la  réalité  vivante  que  j'avais  sous  les 
yeux.  J'aurais  voulu  que  le  téte-à-tête  s'animât  un  peu;  ce  n'était 
pas  la  peine  que  le  hasard  eût  soulevé  pour  moi  le  rideau  du 
harem,  si  je  n'en  devais  pas  voir  davantage.  Posé  là  comme  la  ci- 
gogne ma  voisine,  j'attendais  qu'il  se  passât  quelque  chose  et  qu'il 
plût  au  couple  silencieux  de  sortir  de  sa  quiétude  impassible.  Je  ne 
sais  combien  d'heures  j'aurais  attendu,  si  un  cri  rauque,  poussé 
derrière  moi,  ne  m'eût  fait  tourner  la  tête  :  le  soldat  noir  que  le 
kaîd  m'avait  donné  pour  me  servir  de  guide  et  d'escorte,  avait 
découvert  ma  profane  indiscrétion,  et  il  accourait  vers  moi  tout 
épouvanté ,  en  faisant  avec  la  main  le  geste  de  la  décollation.  Il  fallut 
bien  se  rendre  à  un  argument  si  plausible ,  d'autant  plus  que  le  cri 
du  nègre  avait  fait  envoler  la  cigogne,  et  le  bruit  des  grandes  ailes 
de  la  fugitive  avait  sans  doute  réveillé  le  couple  endormi.  Si ,  levant 
les  yeux,  ils  m'avaient  aperçu,  quel  coup  de  théâtre!  quel  scan- 
dale! quelle  admirable  occasion  de  rançonner  un  chrétien! 

L'Arabe  que  je  venais  de  surprendre  dans  le  mystère  de  son  in- 
térieur, était  un  prisonnier  d'état,  un  ancien  kaïd  d'Azamor,  en- 
fermé là  avec  ses  femmes  pour  crime  de  concussion.  On  lui  avait 
déjà  fait  suer  200,000  piastres;  il  en  a  encore  autant  à  rendre; 
après  quoi  on  l'enverra  peut-être,  comme  cela  s'est  vu,  balayer 
la  ville  qu'il  a  pillée.  Le  Maroc  est  le  règne  de  l'égalité  parfaite  : 
d'un  savetier  le  sultan  fait  un  bâcha  et  d'un  bâcha  un  savetier. 


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sens  REYUB  DE8  DEUX  HONDES. 

Excepté  le  donjon  oocopé  par  le  captif,  et  an  aatreqvi  «rtii 
prison  pour  les  femmes,  et  dont  mon  gnidfi  eut  grand  aom  de  ■• 
tenir  éloigné,  le  château  eat  inhabité  ;  les  cigognes  ea  ont  pris  ^im- 
session  ;  c  est  Toiseau  sacré  des  musulmans ,  et  les  tuer  est  un  a- 
crilége.  La  garnison  actuelle  se  compose  d'un  corps  de  garde  di 
trois  ou  quatre  soldats  qui  n*OKit  rien  à  faire  qu*à  dormir.  Quel- 
ques masures  groupées  autour  de  la  forteresse  en  ruine,  formsBt 
une  espèce  de  faubourg  qui  a  sa  mosquée  particulière.  L*herbl 
croit  dans  Tenceinte ,  comme  dans  la  eour  d*un  cloître  désert. 

Du  château  on  domine,  du  même  coup-d*oûl,  toute  la  ville;  je 
découvris  de  là  un  quartier  ou  le  hasard  ne  m*arait  pas  condvt 
et  qui  est  le  plus  misérable  de  Tanger.  U  n'y  a  pas  même  de  mai- 
sons ,  mais  des  huttes  de  roseaux  recouverts  de  boue  en  guise  ds 
ciment.  C'est  comme  un  village  ou  plutôt  un  adouar  au  milieu  ds 
la  cité.  Vue  ainsi  de  haut,  la  ville  est  pittorescpie;  le  rapprochement 
des  maisons  moresques  et  dos  palais  consulaires  forme  un  contraste 
piquant,  et  quand  les  pavillons  flottent  dans  Tair,  toutes  les  cou- 
leurs de  Tar&en-ciel  ondoient  au  soleil.  Les  œnauls  sont  fort  Jaloux 
de  leur  droit  de  bannière,  c*est  à  qui  éleveca  le  plua  haut  la  sienne^ 
et  les  deux  puissances  encore  aujourd'hui  tributaires  du  llaroc, 
la  Suède  et  le  Danemarck ,  ne  sont  pas  sur  ce  point  les  moins  sa»- 
ceptibles  et  les  moins  fastueuses.  La  mer  ajoute  à  la  beauté  da 
coup  d'œil;  cette  mer,  la  plus  belle,  la  plus  poétique  du  monde, 
est  le  détroit  de  Gibraltar.  Ce  n'est  déjà  plus  la  Méditerranée,  si 
ce  n'est  pas  encore  l'Océan  :  c'est  la  grâce  de  l'une,  son  auir  lioi- 
pide  et  argenté;  c'est  la  majesté  de  l'autre,  ses  longues  lames  et 
ses  grands  coups  de  vent.  La  c6te  d'Europe  est  inq>osanta;  Tanfii 
blanchit  au  pied  des  montagnes  d'Andalousie,  conmie  un  nuage 
vaporeux. 

La  vue  de  terre  a  aussi  ses  prestiges;  la  canquigne  de  Tanger 
est  riante,  sinon  grandiose.  Les  jardins  des  consuls^  sitnés  autaur 
et  très  près  de  la  ville,  l'environnent  d'une  ceinture  de  verdare 
fraîche  et  parfumée;  mais  la  végétation  n'est  guère  plus  africaine  sur 
cette  rive  que  sur  l'autre.  Je  n'y  ai  pas  vu  un  seul  palmier;  seule* 
ment  les  Gguiers  de  Barbarie ,  appelés  par  les  Maures  figuiers  des 
chrétiens,  karmaus-al-Ansaran,  prennent  un  développement  prodi* 
gieux;  il  y  en  a  un,  entre  autres,  dans  le  jardin  de  France,  dont 
le  tronc  est  énorme;  et  en  fait  d'arbres  exotiques,  le  jardin  de 


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tmbàa  possède  uà  ûkéfétnonim  âû  PttoVL  qêi  di>riv%  M  fikmé  matii^ 
rilé  et  prodeit  des  firuitu  Orè»  MtiéBteilx.  Vtà&ès^  get^ian,  attietiit, 
comme  ie  figuier  d*ItiAe)  de$  ^mënsieiis  {|<gaMe9ti[ires.  H  y  a  çà  et 
là  quelques  grosses  touffes  de  genêt ,  et  des  lauriers-roses  partout 
«É  i  ^  à'éé  i*eau.  On  se  s^é^  po^  Tinrigatioii  de  ht  noriû  [puiserandé), 
si  répandue  en  Eépagtie,  et  dbnt  Torigitie  est  maure  eotnme  le  nom, 
funtran*  Cest  ttft  de»  meilleurs  t^s  que  lés  Espagnols  «îènt  réçtid 
ée  leurs  pères  les  Arabes,  et  ils  Font  gardé  soignefùsement. 

A  qfuelques  tniiles  de  la  ville,  en  aSIMt  au  tàp  llalabatte,  est  une 
ruine  romMne  qu*on  appelle  le  vieux  Tanger,  mais  qui  n^'est  autre 
qu'une  ancienne  station  ou  M  eliantiér  de  griètes.  Les  Maures  en 
avaient  feit  une  batterie  qui  cominaildait  la  baie,  et  qvA  est  aujour- 
d'hui rédoite  à  un  canon  sans  affftt.  L'ancienne  Tîngis,  capitale  de 
la  Tingitane,  occupait  le  même  site  que  le  moderne  Tanger  ;  seule- 
ment le  sol  paraît  s'être  élevé,  soit  par  retttassement  dés  décom- 
bres, soit  par  Teffét  de  quelque  tremblement  de  terre.  On  y  décou- 
vre de  temps  en  temps  defs  àntiqititéél  romaines:  le  consul  d'Espa- 
gne venait  de  déterrer,  en  creusant  un  puits  derrière  la  grande 
ino^qpDée,  une  mosaïque  et  un  autel;  mais  r aveugle  pioche  des  ou- 
vriers avéte  tout  fnis  en  pièces. 

Ainsi  les  civilisatiolrô  îse  superposent,  et  la  terre  les  couvre  l'tme 
après  l'autre  de  son  frOid  li^cetd.  La  voix  du  Muedzin  résonne  aux 
lieux  oiù  fumait  Véttcens  des  Flaminles,  la  mosquée  du  prophète  à 
détrAné  l'autel  de  Jlipitèfr,  et  le  croissant  brille  à  te  même  soleil  où 
brillait  l'aigle  des  légions  rom»nés.  Là  où  les  galères  de  la  répu- 
Miqoe  venaient  aiguiser  leurs  roitra  nsès  par  la  victoire,  le  pécheur 
maure  vient  aitiarrer  son  frêle  canot  ;  et  descendu  de  la  colline,  le 
chamelier,  assis  sur  le  caiion  rouillé,  fait  retentir  la  plage  déserte  de 
aon  cri  rauque  et  discordant.  Toutefois  il  est  à  reînarquer  que  ces 
terres  barbares  n'ont  pas  d'originalité  historique:  labourées  par  la 
oonqdéte  et  dévouées  à  un  esclavage  éteriièl ,  elles  ti'ont  aucuns  sou- 
VMtrs  qtti  leur  soieift  propres  ;  leur  individualité  disparah  dans  l'au- 
réèle  éblouissante  dès  conqiiérâns;  hier  c'étaient  les  Romains; 
n^jdtird^liui  c'est  Mahotnet;  demain  qui  ^era-cè?  Trois  nations  à 
la  foiSKMit  l'ofiletdéjà  le  pied  silr  ee  ridie  ^érita^e  :  TEspagne 
csmpe  à  Geuta,  l'Angleterre  à  Gibr^Itlir,  Alger  colifihe  aU  Maroc. 
Quel  que  soit  le  choix  de  la  Providence,  à  qtkektu'une  des  trois  rir 
Trtn  qu*«Ae  CMMe  son  m^àêtA  Biàptétm,  l'aVetrir  dé  ces  peuples 


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280  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

ii*est  pas  douteux;  ils  sont  promis  à  TEurope,  ils  lui  appartiennent 
fatalement  par  le  droit  de  Fintelligence;  la  civilisation  occidentale 
doit  les  entraîner  tôt  ou  tard  dans  son  irrésistible  tourbillon. 

Je  redescendis  du  ch&teau  par  le  même  sentier  raide  et  tortueux 
qui  m*y  avait  conduit^  et  je  rencontrai  sur  ma  route  plusieurs  fem- 
mes chargées  de  lourdes  cruches  d*eau  et  de  fagots  secs.  Elles 
gravissaient  péniblement  la  c6te,  et  quand  elles  étaient  jeunes  et 
jolies,  elles  ne  manquaient  jamais  de  me  le  laisser  voir  en  soulevant 
un  coin  de  leur  voile.  Arrivé  au  bas  de  la  colline  et  rentré  dans  le 
cœur  de  la  ville ,  je  fus  attiré  dans  une  rue  voisine  par  un  grand 
bruit  de  tambour  et  de  musette.  Je  pensais  trouver  là  des  Aïsaoua: 
c*était  une  noce  ;  les  parens  et  amis  de  la  mariée  lui  donnaient  Tau- 
bade,  et  comme  il  faut  toujours  du  sang  à  ces  sauvages  y  ils  venaient 
d*immoler  un  bœuf  à  sa  porte.  Les  gens  de  la  fête  trépignaient  dans 
le  sang  en  poussant  des  hurlemens  de  joie  à  faire  fuir  tous  les  Joi6 
à  la  ronde.  Sans  Fescorte  de  mon  soldat  nègre,  qui  devait  répondre 
de  moi  au  kaïd,  je  n*aurais  pas  été  moi-même  très  rassuré.  Encore 
fallut-il  tourner  la  noce,  car  la  rue  était  étroite,  le  bœuf  inunolé 
gisait  sur  le  carreau,  et  je  n'aurais  pu  passer  sans  mettre  le  pied 
dans  une  mare  de  sang.  Toutes  ces  cérémonies  sacramentelles, 
toutes  ces  allégresses  de  circonstances  sont  tarifées  et  se  paient  i 
beaux  deniers  comptans;  les  formalités  matrimoniales  sont  les  plus 
chères.  De  là  sans  doute  ce  proverbe  indigène  que  les  chrétiens 
dissipent  leur  argent  dans  les  procès,  les  Juifs  dans  les  fêtes  reli- 
gieuses, et  les  Maures  dans  les  fiançailles.  Un  autre  usage,  auquel 
on  ne  manque  jamais,  c*est  de  faire  constater  authentiquement  la 
virginité  de  l'épouse,  et  même  d'en  donner  des  preuves  publiques; 
si  le  fait  est  douteux,  le  mari  a  le  droit  de  renvoyer  sa  femme  à  ses 
parens  ;  le  mariage  est  rompu. 

lin  peu  plus  loin  je  tombai  dans  un  nouveau  rassemblement,  mais 
celui-là  n*avait  rien  d*inquiétant;  je  me  trouvais  devant  la  maison 
du  kaïd,  lequel  donnait  audience,  accroupi  sous  son  vestibule.  D  y 
avait  foule  à  sa  porte;  chacun  passait  à  son  tour;  tous  attendaient 
patiemment.  On  voit  que  rien  n*est  plus  simple  que  les  autorités 
marocaines  :  le  muhtesib  et  le  kadi  siègent  sous  l'auvent  d'une 
boutique,  le  kaid  au  seuil  de  sa  maison. 

Le  kaid^ou  bâcha  (  bossa),  car  c'est  la  mémejdigoité  sous  un  autre 


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LE  HAROO.  28f 

nom,  est  éla  par  le  sultan  et  le  représente  directement.  C'est  un 
{M'éfet;  investi  de  l'autorité  executive ,  il  n*a  rien  à  voir  dans  les 
affaires  civiles  :  les  peuples  les  plus  barbares  ont  un  instinct  na- 
turel qui  les  conduit  à  cette  grande  loi  de  la  séparation  des  pou- 
Toirs,  qur  est  le  fondement  et  la  sauve-garde  de  toute  justice.  Le 
kaïd  préside  à  la  sûreté  publique  et  commande  les  troupes  de  son 
gouvernement.  Il  forme  à  lui  seul  une  espèce' de  tribunal  à  la  fois 
politique,  criminel,  municipal  et  militaire;  et  comme  il  n'y  a  pas 
d'autre  code  écrit  que  le  Koran  et  les  commentaires  fort  élastiques 
de  Malek-Ben-Anès  (1),  l'arbitraire  le  plus  absolu  dicte  ses  sen- 
tences. C'est  bien  ici  que  le  caractère  du  magistrat  et  ses  lumières 
naturelles  influent  sur  ses  arrêts  ;  non-seulement  il  prononce  sur  le 
fût,  mais  sur  la  peine  ;  bien  plus,  il  fait  la  loi,  c'est-à-dire  qu'il  est  à 
la  fois  législateur,  juge  et  jury.  Malgré  tant  de  confusion,  tant  d'ar- 
bitraire, U  règne  dans  les  villes  maures  une  sécurité  qui  étonne  : 
toute  la  nuit  des  patrouilles  de  soldats  font  la  ronde,  sous  les  ordres 
d'un  officier,  kaïd-ed-daur,  commandant  de  la  ronde;  ils  veillent  à 
la  sûreté  des  rues,  et,  pour  quelques  onces,  Us  gardent  les  boutiques 
sous  leur  propre  responsabilité. 

Quoique  je  fusse  entré  dans  sa  ville  sans  sa  permission  et  que 
j'eusse  enfreint  les  lois  de  l'empire^  le  kaïd  ne  paraissait  pas  s'en 
souvenir;  quand  nous  nous  rencontrions,  il  répondait  à  mon  coup 
de  chapeau  européen  en  portant  la  main  sur  son  coeur,  et  au  lieu 
du  simple  salama  (salut)  qu*on  donne  aux  chrétiens,  il  me  donnait 
gracieusement  le  salem  alikom  (la  paix  soit  avec  vous).  C'était  de 
sa  part  une  distinction  particulière;  il  fallait  qu'il  espér&t  de  moi, 
au  départ,  un  bien  beau  cadeau.  Avant  d'être  gouverneur,  cet 
homme  avait  été  condamné,  je  ne  sais  pour  quel  délit,  à  la  baston- 
nade, et  la  sentence  fut  exécutée,  à  Tanger  même,  par  un  sol- 
dat qui  est  aujourd'hui  soldat  d'Espagne  (2).  Il  ne  lui  avait  pas 
gardé  rancune  le  moins  du  monde,  et  ne  lui  avait  jamais  témoigné, 

(f)  LecodedeKalekconlient,  en  quarante  chapitres,  tonte  la  Jnrispradenee  canons 
qne  et  eodéslastique,  laquelle  s'applique  à  tout.  U  existe  aussi  en  matière  civile  et  conv- 
merdale  une  espèce  de  bulletin  des  lois  ;  c'est  un  recueil  de  préceptes  et  un  formulaire 
pour  les  écritures  publiques.  L*auteur  de  cette  compilation  est  Mohamed-Ben-Ardùn. 

(3)  Chaque  consul  a  à  sa  solde  un  soldat  qu'il  reçoit  des  mains  du  gouvernement  en 
signe  de  protection  et  qui  ne  le  quitte  Jamais.  Il  l'accompagne  partout,  soit  à  cheval,  soit 
à  pied ,  et  couche  sur  une  natte  à  la  porte  du  consulat.  Ces  soldats  finissent  par  s'atta* 
cher  «u  consuli  et  leur  sont  quelquefois  dévoués. 


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fn  RETUE  tm  MUX  MONDES. 

l^aM^  4«'€]|e  renfi  phiosophe;  U  wêmBwmp  4e  dé  qvi  fall  tf  if 
fiûlcbu  UD  kaid  Uil  4*w  knïd  lui  suidai,  ai  oetia  perfiétoeUe  iantr 
hUM  est  1100  I^oQa  pat  maneote  d^inpi^Milé  ei  da  madératiot. 

Le  iraÀteiQeiU  Sxe  du  katd  est  d'wimmk  liM  fruos  par  iBoii 
(90  piaatf ea),  et  ik  dok  an  trésor  «q  tanbul  annuel  da  dmible  oi 
triple*  Tout  estloewdé  sur  eeprioe^pe,  d*a&  il  réaiAe  que  lomfiBaip 
tiaeQaire  est  w  oeocmswiaoaire  publie.  Quand  im  kaMi  a  bwo  pri^ 
variqué  et  furesanré  }€tfEig-teo^  le  peuple,  le  sultasa  le  deaiisai H 
confisque  toat  ;  nous  eo  avons  ¥u  vm  exemple  dans  le  kald  d'AOL*- 
mor.  AAa  de  prévenir  les  sonpçons»  les  gottvernenrs  les  pins  »- 
ches  afSeotent  une  grande  «mplksité;  jî»  aKclienl  la  pauvreté^ 
comine  on  affiche  aWenfs  Fopalenee,  Le  kaïd  de  Tanger liabite  m» 
des  maisons  les  plus  siaiples  de  la  vîUe;  fl  a  nn  petit  jardin  i  io 
inîUe  des  murs,  et  il  y  va  toi^nrs  secd,  monié  snr  un  bîdai»  st 
neoon^pacné  d*un  soldat  A  pied,  avaoqui  il  fisk  la  conversation  ien^ 
la  long  du  chemin.  Cesl  quand  je  le  renfcontraîs  ainsi  qn'3  m 
gr^îfiait  du  tmlçm  «rfilpam. 

Ce  soir-là  il  y  eut  une  procession  aux  ftambeanv.  Le  malin  ftr 
vais  vu  un  holooanste  matrimonial;  le  soir  ee  fot  un  baptême,  je 
veux  dire  une  circonciaiQn.  On  portait  Venfont  à  la  mosquée  afec 
une  pompe  eiiraoï^kiaire  et  un  vacarme  effroyable.  La  ftisffltde 
était  si  bien  nourrie,  q«*0A  pouvait  se  eroirei  une  altai^ie  de  Bé- 
douins; e'étmt  un  fdu  de  file  nan^imerrompu;  et  je  croie  qu*i  est 
de  la  prudence,  non^^eulement  pour  les  Juifs,  mais  même  ponrhp 
chrétieni,  d'éviter  pareille  rencontre  s  rien  ne  'aetait  pins  br 
oie  à  un  de  ces  fanatiques  que  de  vous  lâcher  un  oeiip  de  f ns3  dans 
Tombre. 

Au  pied  des  murs  de  Tanger^  du  cAté  de  la  eampagne,  et  ik 
porte  même  de  la  ville,  net  une  place  tonte  «reniée  de  mafeaioivit 
fosses  profondes  et  eifcnknres  nii  Ton  eonaefve  le  blé»  ainsi  que 
cela  se  pratique  en  Calabre  et  ailleurs.  Le  sol  résonne  et  même 
iiuelqueftâs  s^nnfanee  sens  le  pied  des  cberanx,  m  eoaMneonae 
se  hâte  pas  de  refermer  les  trous,  en  risque  de  s'nMmer,  la  nuit, 
dans  les  entrailles  de  la  terre.  C'est  sur  cette  place  que  se  tient 
deux  fois  la  semaine,  le  lundi  et  le  jeudi,  le  mafché  on  Mmk.  Cest 
tm  xx>up-d'œil  pittoresque  qui  mérite  qu*t>n  s^y  arrête.  On  ne  veni 
rien  là  de  bien  précieux,  mais  on  y  vend  de  ton!»  etlon  penl  y  pcen- 


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LE  UkfiÔC. 

étn  ttM  ttâM  jMte  itlte  <iePfndfi9tr{0  et  tle  la  cirffisatkm  hnfigèn^* 
B  f  règBê  motos  de  eosfaskyftqm^on  ne  pourrait  croire;  les  diyer- 
M»  denrées  sont  rangées  par  ordre,  et  Ton  circule  d*nn  point  à 
Taiicre  sans  trop  de  difficnlté.  Des  soldats,  armés  de  fnsils  on  de 
bftta»s>  Toat  de  gronpe  en  groape,  et  un  officier  spécial  préside  la 
cérémoaie.  Tout  individu  qui  enfreint  les  ordonnances  de  la  police 
est  chftdé  sur  place,  de  même  que  ceux  qui  ttompent  sur  les  poids 
el  mesures  ou  sur  la  qualité  et  le  prix  des  marchandises.  Cette  jus* 
tke  écoMmîqoe  a  ses  avantages  si  elle  a  ses  abus ,  et  c*est  la  seule 
qm  conyienne  à  ces  peuples  barbares  ;  leur  abjection  est  si  grande» 
qu*fls  n*en  comprendraient  pas  d*autre. 

La  place  du  marché  est  deaninée  par  une  colline  au  sommet  de 
kqoeHe  est  une  mosquée  otfverte  et  sans  toft,  c*est-à-dif e  quatre 
mors  blancs.  Cest  là  qu'on  célèbre  la  fftte  du  mouton.  Au  mois  de 
mai  de  dMque  année ,  on  égorge  un  mouton  devant  la  mosquée  ; 
u»  des  assistans,  cehri  d'ordinaire  qui  a  les  meflleures  jambes» 
iterge  sur  son  cou  ranimai  saignant,  mais  virant  encore,  et  se  met 
à  courir  avec  son  fardeau  du  côté  de  la  ville;  il  y  entre ,  courant 
toujours»  et  s'3  arrive  à  la  grande  mosquée  avant  que  l'animal  mori- 
bond ait  rendu  le  dernier  soupir ,  c*est  un  signe  que  Tannée  sera 
féconde  et  les  récentes  abondantes  ;  si  au  contraire  Tanimal  meurt 
en  reute^  c'est  un  présage  de  stérilité,  et  Ton  voit  aussitôt  la  po- 
pulation pousser  des  cris  et  des  gémissemens  sur  les  calamités  an- 
BOQcees* 

Non  lom  de  la  mosquée  ouverte  est  le  tombeau  d'un  santon» 
ombragé  de  son  drapeau  roi^.  Comme  j'étais  là  me  promenant 
à  fenlour,  je  vis  un  Maure  gravir  la  eoHîne  à  toutes  jambes  et 
s'élancer  d'un  bond  vers  le  sanctuaire;  il  j  entra,  car  tout  sanc- 
tmre  est  ouvert,  aucun  n'a  de  porte  ;  une  fois  dedans,  il  s'ac- 
crovpît  tranquillement  sunr  lea  talons  tout  près  de  rentrée,  de 
manière  à  jouir  de  la  vue  ettérieure  el  à  être  vu  du  dehors. 
Cé«ait  un  assassin  qui  venait  de  tuer  son  homme  en  plein  marché  et 
quîétiAaceouru  se  mettre  sous  la  sainte  profeetiott  dudroit  d'asHe. 
Une  fois  là  il  était  inviolable,  et  mrik  forée  humaine»  pas  même,  je 
crois»  l'fn^m  suprême»  ne  pouvait  l'arracher  du  saint  lieu.  Les  sol- 
dats arrivèrent»  mais  trop  tard ,  le  fugitif  était  à  l'abri  de  leurs  pour* 
1$  quoiqu'ils  pussent  le  toucher  en  étendant  seuleawnt  la  m^a» 

I  un  n'aurait  eu  la  témérité  de  la  porter  sur  M;  ttti  qu'H  étail 


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iSlk  RETUB  DBS  DEUX  MONDES. 

là,  sa  personne  était  sacrée;  on  n  aurait  même  pas  osé  le  murer 
comme  le  grec  Pausanias.  Certes,  jamais  constable  anglais  ne  s'ho- 
milia  plus  religieusement  devant  le  texte  de  la  loi.  Cependant  les 
soldats  ne  l&chèrent  pas  leur  proie;  ils  s'accroupirent  à  quelques 
pas  du  tombeau,  et  y  restèrent  en  observation,  tout  en  foisant  la 
conversation  avec  le  prisonnier.  En  le  tenant  là  bloqué  indéfini- 
ment, ils  espéraient  le  réduire  par  la  famine  et  le  forcer  à  sortir 
de  sa  retraite.  Mais  il  n*était  pas  près  de  se  rendre;  et  soit  d'une 
façon,  soit  d'une  autre,  il  aura  bien  fini  par  se  tirer  d'affaire.  Quel- 
ques onces  reçues,  n'importe  de  quelles  mains,  suffisent  pour  endor- 
mir les  Argus.  Du  reste,  j'ignore  la  fin  de  la  pièce,  étant  parti  avant 
le  dénouement.  Le  meurtrier  n'était  point  un  assassin  vulgaire;  il 
avait  frappé,  il  est  vrai,  mais  par  vengeance  et  pour  satisfaire  à 
une  de  ces  inimitiés  héréditaires  si  vivaces  encore  parmi  les  Arabes, 
et  qui  ne  s'éteignent  que  dans  le  sang  du  dernier  survivant. 

Mais  le  Sauk  m'appelait;  je  redescendis  la  colline,  qui  était  cou- 
verte de  chameaux  agenouillés  dans  la  poussière  et  de  chevaux 
entravés,  qui  attendaient  la  fin  du  marché  pour  regagner  leurs 
pâturages.  Ds  étaient  venus  chargés  d'une  marchandise,  et  de- 
vaient s'en  retourner  chargés  d'une  autre,  car  le  commerce  se 
fait  le  plus  souvent  par  échanges,  selon  l'antique  loi  patriarcale. 
Pourtant  il  y  a  du  numéraire,  mais  \en  petite  quantité,  et  on  le 
cache  afin  de  ne  pas  éveiller  la  convoitise  des  gouverneurs.  Un 
homme  avait  fait  reblanchir  le  mur  de  son  jardin  :  cr  II  faut  que 
tu  sois  bien  riche,  »  lui  dit  le  kaïd  en  lorgnant  déjà  l'héritage  de 
Naboth.  Qu'eùt-ce  été  si  Naboth  eût  laissé  voir  des  pataquès  (1)1 

Cet  amphithéâtre  oriental  avait  un  grand  caractère  et  dominait 
la  foule  qui  ondoyait  et  bruissait  au  pied  de  la  colline.  Quelques 
chevaux  portaient  des  selles  écartâtes  à  larges  étriers,  tout-à-bit 
semblables  à  celles  dont  on  use  encore  en  Andalalousie  et  labou- 
raient la  terre  dans  l'attente  du  cavalier;  les  chameaux  atten- 
daient plus  patiemment  leur  charge  en  remuant  leur  long  cou 
pelé.  Des  tentes  dressées  çà  et  là  ajoutaient  à  l'effet  ;  l'ensemUe 
donnait  tout-à-fait  l'idée  d'une  halte  au  désert. 


(i)  La  pataque  marocaine  est  une  monnaie  d'or  qui  vaut  à  peu  près  10  francs.  Le  mol 
français  n'est  qu'une  corruption  du  mot  arabe,  bou-taka,  qui  veut  dire  père  de  la  force. 
On  l'appelle  aussi  bu-fkL 


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LE  MAROC.  285 

Toutefois,  le  marché  m'intéressait  moins  en  lui-^éme  que  par 
les  scènes  populaires  dont  il  devenait  Toccasion,  et  les  saltimbanques 
dont  il  était  le  rendez-vous.  D*un  côté  tournait  un  carrousel  à 
bascule,  où  les  petits  Maures  faisaient  la  culbute  avec  des  éclats  de 
rire  perçans;  plus  loin,  deux  b&tonniers,  noirs  et  nus,  se  donnaient 
de  grands  coups  de  b&ton  sans  se  toucher,  et  en  faisant  des  con- 
torsions épouvantables.  Ailleurs,  c'étaient  des  lutteurs  du  Riff,  qui 
me  rappelaient  ceux  d'Interlacken,  autant  que  la  Barbarie  peut  rap- 
peler la  Suisse.  Mais  le  spectacle  le  plus  original  et  le  plus  vraiment 
africain  était  celui  d'un  sectateur  de  Sidi  Ben-Aïsa,  dont  le  corps  était 
tout  chamarré  de  serpens,  et  qui  dansait  tantôt  sur  un  pied ,  tantôt 
sur  l'autre,  au  son  de  la  musette  et  du  tambourin.  D  chantait,  pour 
s'animer,  une  cantilène  sauvage  et  monotone,  qui  ressemblait  au 
grognement  prolongé  d'une  béte  féroce.  Le  danseur  d'ailleurs 
n'avait  pas  mal  Tair  de  ce  qu'annonçait  son  cri;  l'homme  et  la  voix 
étaient  en  harmonie.  Il  portait  au  cou  un  énorme  serpent,  et  le  for- 
midable collier  se  repliait  sur  lui-même  et  lançait  à  la  foule  des 
sifOemens  aigus.  Le  Psyle  caressait  son  reptile  avec  amour,  le  bai- 
sait, le  mettait  dans  sa  bouche;  et,  pour  une  once  que  je  lui  jetai, 
fl  se  mit  à  le  dépecer  avec  les  dents,  en  passant,  en  une  seconde, 
de  la  tendresse  à  la  férodté.  Son  œil  était  rouge,  et  le  sang  décou- 
lant de  ses  lèvres,  il  les  essuyait  avec  les  autres  serpens,  victimes 
dévouées  à  la  même  fin. 

Parmi  les  spectateurs  se  trouvait  une  folle  absolument  nue  qui 
erre  ainsi  dans  les  rues  de  Tanger,  depuis  je  ne  sais  combien  d'an- 
nées. Elle  parait,  du  reste,  d'humeur  fort  douce,  plutôt  mélan- 
colique que  furieuse;  n'était  sa  nudité,  on  la  prendrait  pour tine 
promeneuse  ordinaire.  Le  soleil  a  donné  à  sa  peau  une  couleur 
brique  foncée,  et  cette  masse  de  chair  ambulante  était  hideuse  à 
voir.  J'ai  oublié  de  demander  si  on  la  tient  aussi  pour  une  sainte. 
Les  Moresques  et  les  Juives  passaient  près  d'elle  sans  être  le  moins 
du  monde  décontenancées,  même  en  présence  des  hommes.  D  est 
vrai  qu'une  pareille  nudité  est  plus  propre  à  étouffer  qu'à  inspirer 
les  pensées  équivoques.  Je  remarquai  que  le  beau  sexe  était 
presque  aussi  nombreux  au  marché  que  l'autre.  C'est  que  les 
femmes  ne  sont  point  à  l'index  du  Sauk  comme  des  boutiques  ;  on 
ne  les  juge  pas  indignes  de  vendre  en  plein  air,  et  elles  paraissent 
s'en  acquitter  tout  aussi  bien  que  leurs  maris. 


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9H  RETUB  Mft  MEra  «01IDB8. 

fievxavtréf  speolatrioes^  aussi  mwites  fse  to  Mleelphuaf- 
fr«Mes  àToir,  c^éuient  les  deux  lAtescMipéts  la  rsiUe;  txéwnmm 
sanglantes  aux  crocs  de  la  nuraîlle ,  eBes  domimâent  le  marché,  et 
planaient  sur  la  muMlvdey  destinées  i  iapriaier  la  terreur  tes 
r«Be  du  peuple  assemblé.  Leur  crAne^  ras  et  nu,  brMhnt  au  soleii, 
d^  presque  i  demi  dessédié ,  et  leur  loofpae  mèche  de  dieraJot 
noirs  pendait  le  kmg  de  la  ■MU'aille  et  flott«^  au  veut.  Quelqtes 
groupes  se  succédaient  sous  ces  épouvantables  tr<q>liées;  ib 
se  les  montraieut  du  doigt  eu  devisant  longuement;  le  Juif  q« 
m'aocompagnaît  en  qualité  d'interprète  ne  me  traduisait  qu*irapar- 
ftîtement  leurs  conmentaîres,  attendu  qu'il  savait  également  mal 
le  français  et  FespagnoL  J*en  oemprcnafis  autant  p«*  les  gestes  que 
par  la  traduction. 

Au«desstts  de  Ibl  phree  duSunk,  et  on  penchant  supérieur  de  k 
ceUîney  est  le  dmeci^re  maure*  Rien  de  pins  simple  :  pas  une  in- 
scription y  pas  un  ornement.  Nulle  part  la  mort  n'a  de  temple  plus 
austère.  De  petks  murs  d'un  on  deux  pieds  de  haut  marquent 
seub  les  divisions  du  funèbre  empire,  et  les  longues  herbes  y 
croissent  en  liberté.  H  est  tout  ouvert  comme  les  mosquées  et  le 
tombeau  des  santons;  nuBe  clôture  ne  doit  séparer  rhomnede 
Bien,  ni  les  morts  des  vivans.  Tous  les  vendredis, — c'est  le<fim»> 
che  des  Maures,  — les  femmes  sortent  de  la  vâle,  et,  gravissant  len- 
tement la  colline,  dies  vont  visiter  les  tombeaux.  Enveloppées  da 
grand  baik  blanc,  eltes  errent  en  sBenœ  au  milieu  de  la  verdure 
tumdaîre  ;  on  les  prendrait  elles-mêmes  pour  les  ombres  qa'eBes 
viennent  pleurer  ou  consoler.  Les  hommes  respectent  ose  péhvi- 
nages  du  sépulcre,  et  ils  se  tiennent  tout  le  jour  éloignés  du  champ 
funéraire.  C'est  peut-être  la  seide  heure  de  liberté  dont  jouisseot 
les  Moresques ,  et  c*est  à  la  mort  <^'ettes  la  doivent.  Le  moment  est 
bon  peur  les  voir,  cardlesnese  cachent  pas  des  dirétiens  quaid 
elles  sont  sûres  de  n'être  pus  aperçues  des  Manres. 

Le  cimetière  cfaréden  est  un  peu  pins  bas  et  afttenant  au  jar^ 
de  Suède.  Nous  avens  vu  qu'il  avnit,  lui  aussi,  son  pèlerin  dans  te 
mélancolique  moine  de  saint  François. 

Le  cimetière  àeê  Mfs  est  de  Fautre  eftié  de  la  plaee,  au  pied 
iléme  detamuraiBe^entre  la  porte  du  Sauk  et  la  petite  porte  ëw 
des  Tanneurs,  qui  mène  à  la  plage.  Bus  skn^  enoom  <pie  câi 


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des  moBulmanSy  il  est  oayert  comme  le  lear  et  exposé  A  tons  leurs 
outrages.  Les  femmes  maures  ne  manquent  jamais  de  se  détourner 
en  passant  aOn  de  Tenir  souiller  les  tombes  des  mécréans.  C'est  chez 
elles  une  affaire  de  dévotion  et  presque  un  article  de  foi.  Ainsi  le 
fanatisme  poursuit  jusque  dans  son  dernier  asfle  le  peuple  infor- 
tuné dlswêl.  A  qwlqnedirtanos  du  cimutièra^  ifierstlarmer,  il  y  a 
de  beapx  maaiiCs  de  nsrduffeicoapé»  de  g^néfô».  de  cbèwefeuille  et 
de  hauts  aloès.  Tout  ce  c6té  de  la  ville  est  très  pittoresque,  et  il  a 
de  brusques  échappées  sur  la  baie  bleue  et  tranquille ,  et  sur  le 
détroit  toujours  bouilbataiiC 

Quoique  bien  barbare  encore  par  les  croyances  et  par  les  mœurs , 
Tanger  est  cependant  déjà  altéré  dans  son  originalité  primitive; 
on  y  sent  le  contact  des  Européens,  et  je  désirais  voir,  sans  m'en- 
foncer  dans  les  terres,  une  ville  arabe  qui  eût  mieux  conservé 
son  individualité  et  son  cachet  natif.  On  m'indiqua  Tetouan,  qui 
n'est  qu'à  douze  lieues  de  Tanger,  et  qui  est  une  des  villes  impor- 
tantes de  l'empire,  par  son  étendue,  sa  population,  son  commerce 
et  sa  position  Tosins^de  ki  Méib/evfaaè«,.  i  ptoiMlé  de  Gibraltar. 
Mes  préparatifs  furent  bientôt  faits.  Le  consul  demanda  et  obtint 
pour  moi  du  kaïd  un  soldat  pour  m'accompagner,  —  c'est  le  passe- 
port du  pays,  —  et  il  fit  rédiger  par  son  taUb  (érudit)  une  belle 
lettre  arabe  pour  recommander  au  bâcha  de  Tetouan  YiUustre  et 
savant  voyageur  français.  L'épttre  fut  pliée  en  long,  suivant  les  lois 
de  rétjqoette  iadisine»  et  année  au  centre  et  aux  deux  extrémtés 
du  sceiatt  consulaire.  Ainsi  confecttoiméc»  la  dépéobe  n'avait  suàre 
vmoa-  d'ua  pied,  forme  pluftinposaote  que  coniroode.  Nos  poches 
europAennes  ne  sont  paiS  taillées  pour  cda» 

Qiieli|nes  jeunes  gens  de» consulats  m'avaient  risniTindf  iétse  da 
«Ofagn;  nou8parrtnesi|Mlte. 


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SOCIALISTES 

MODERNES. 


I. 
IU28  SXiIISni8»8iniM)liaQBDS« 


Tant  que  le  saint-simonisme  est  demeuré  debout  avec  ses  pré« 
tentions  exclusives  et  ses  allures  étranges,  nul  bon  esprit,  en  dehors 
du  noyau  des  adeptes,  n*a  pu  avoir  ni  le  désir,  ni  la  pensée  de 
s'occuper  à  fond  de  ses  théories.  Alors  toute  louange  eût  été  prise 
en  mauvaise  part;  touje  critique  se  serait  trouvée  en  concurrence 
avec  les  réquisitoires  du  parquet.  L'église  nouvelle  était  d'ailleurs  si 
fière  d'elle-même,  elle  se  présentait  avec  un  tel  aplomb,  eOeanit 
une  foi  si  robuste  dans  son  excellence,  une  si  parfaite  naïveté  à  8*ad- 
mirer,  qu'on  n'osait  pas  se  commettre  au  sein  de  ce  monde  de  fée- 
ries, encore  moins  verser  des  paroles  de  désenchantement  sur  ces 
jeunes  et  ardentes  convictions.  Ensuite,  comment  aurait-on  posé 
les  termes  du  débat?  sur  quel  terrain  aurait-on  porté  TexamentSi 
l'on  niait  ou  si  Ton  marchandait  la  prémisse  saint-simonienne,  on 
était  récusé;  on  restait  désarmé  si*on  l'admettait.  La  discussion 
devenait  ainsi  une  hnpasse. 


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SOaAUSTBS  H0DBRIIB8.  289 

Un  antre  obstade  existait.  La  religion  fonctionnait  sans  doute; 
elle  ayait  ses  prêtres ,  elle  avait  ses  temples;  mais  sa  loi  lui  man- 
quait. Le  Moïse  de  cette  révélation  n'avait  pas  écrit  ses  tables.  Il 
avouait  lai-méme  que  la  grande  inconnue  du  problème  sodal  n'était 
pas  dégagée»  ne  pouvait  pas  se  dégager  encore.  H  se  disait  Messie 
sans  doute  y  mais  Messie  incomplet,  obligé  de  chercher,  en  dehors 
de  lui ,  ce  qui  manquait  à  sa  formule  synthétique  de  l'humanité. 
Avec  lui  et  comme  lui,  ses  néophytes  usaient  leurs  veilles  à  ce  tra- 
vail d*élaboration  mystérieuse  et  de  gestation  préparatoire.  Lors 
donc  qu'on  voyait  ces  hommes  si  jeunes,  si  éclairés  pour  la  plupart, 
presque  tous  si  consciencieux,  s'unir,  se  grouper  pour  la  décou- 
verte des  grandes  vérités  morales,  philosophiques  et  religieuses; 
s*embarquer  sur  l'océan  orageux  du  doute,  dans  l'espoir  d'aborder 
un  jour  à  un  monde  nouveau;  quand  on  les  voyait  mettre  en  com- 
mun leurs  pensées  en  même  temps  que  leurs  biens,  poursuivre  au 
travers  d'un  frottement  de  tous  les  jours  et  de  toutes  les  heures 
l'étincelle  qui  devait  éclairer  cette  nuit  de  théories  confuses,  on 
attendait,  on  espérait,  on  observait.  On  savait  que,  dans  leurs 
suprteies  collèges,  ces  palingénésistes  échangeaient  entre  eux  une 
monnaie  d'un  titre  plus  élevé  que  le  billon  qu'ils  jetaient  à  la  foule; 
on  doutait  toujours,  et  avec  quelque  raison ,  que  tant  d'efforts,  tant 
d'énergie,  tant  de  dévouement,  tant  d'inspirations  originales  et 
aventureuses  vinssent  aboutir  seulement  à  des  résultats  négatifs* 
On  se  taisait,  on  devait  se  taire. 

Aujourd'hui  ces  divers  moûfa  de  réserve  n'existent  plus,  au 
même  degré  du  moins.  D'un  côté,  la  phase  active  et  militante  du 
saint-simonisme  s'est  changée  en  une  propagande  sourde  et  mysté- 
rieuse. La  religion  n'offusque  plus  l'œil  du  profane  par  une  bizarre 
mise  en  scène;  elle  n'éveille  plus  ses  craintes  par  des  aphorismes 
mquiétans.  On  ne  la  voit  plus  promener  dans  la  ville  son  travestis- 
sement puéril;  elle  s'est  retirée  de  la  politique  courante,  et  quoique 
isolément  infiltrée  dans  la  presse,  elle  n'y  a  plus  d  organe  excen- 
trique et  spécial;  elle  peut  enfin,  comme  les  autres  questions  de 
morale  et  de  philosophie,  être  prise  au  point  de  vue  spéculatif,  sans 
que  nos  préjugés  si  tenaces,  et  nos  intérêts  plus  tenaces  encore,  y 
trouvent  le  moindre  prétexte  à  s'effaroucher.  D'un  autre  côté,  le 
saint-simonisme  a  dit  aujourd'hui  à  peu  près  ce  qu'il  pouvait  dire, 
hii  ce  qu'il  pouvait  faire,  formulé  ce  qu'il  pouvait  formuler.  Sa 

TOHB  VII.  19 


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;8yDiliè8e  est  complète-en  eeitiCi>s*qtt''élie^<tmp6g^^80Mia»tPto 
-deaforee»niiee»'eii  «ommiui  »^tntt>il>e^vt<wielté/ilam  Bm  ttetrtèm 
denltttiyesy  à  la  tinrite  de  TmpwisMHioel  Tenue» ^é  théories  (yiél  l" 
A)i  iioarelie  poav«it  procUmier  ont  éiè  |M^edm}éeSy^4e84lRe#%a^  1^ 
tàmani  y  leg-ootres  tiîridement;  IMei^r'^tt  élè;^fl>feq»  s&rnivm  w»  IF 
îyenir»  d?wifr maniAre  ode  pour ^la  tfWwwie* Ae»€OPri<feë ■  moéènm\  ' 
4aiv  in'eiii6eiit*eUe9  «ien ,  ees^kéerîes ,  dHnraiMiflleineRt  applkeUk, 
€i)es  aurom  du  iioinS)  et  o^^eetian'erand^féeito  ^^mmmé^êiim 
sommeil  la  propriété  et  Bhérilafle  ,:poiMeoteoiûiattiaqoéeà  jiB^il 
cejmr.  Béformaâaeans  doale^iiiHeoideidnttriiertA  asi»âir4en 
<lriiit8)defreloasvaiir  les  divovs  éléiunside  t^oeibiié4NHdaiflei'4Stt 
deu  despotes  de  la  riehesse  tendrontà  sefofldr^eti^se^eoaAiset 
av^eeleiravaîly. piYOtpcobabiejdo'iaaraaHHitm  è^^emr* 

:  Ile8t:daas;notre  oonvictionipiie  tessint  isimuMSUit  sMra  ili^ 
iprofitaUe  et  ipbis  fécond  coornie  mnaoeiqne^^Qoaniiotiippeli  Ûk 
rallié  pfltt  de  Jsynipathiese»deliorgdesa>petite>ep>èi  o  àmééafktf^ 
on  reyanche  ila  ofifiray  é  bien^des)pnyiié9es^uis'é^emproa»>ae 
aaarche  calme  etJentovers  dos'eavahissemeosïOitérievrs.iVifiNMi 
WFviceJefdiis  téel>qa*ftattreiMki;tIliaito«t  critiqué  aaroo^vefv^im 
ttient^arecsopériorité  ;>mais  il  ^eot  «ootvé  tmpoissaA^ir'lfOvm 
mid  bomM  et  œmpiète  fermole  dVnr9ani8e[tion..l9o«9ipon&ni9iDS^ 
quer  ce  fait  ayant  d*eiitrer  dans  son  histoire.  NonsrtdésirioBS'te- 
Uir  aussi  que  rfaeureaottteUe»étailsbionteboisie^fio«r  oiisoiansotk 
ses  travaux.  On  doit  aux  morts  la  Yéfiié^ai>entièro. 

I.  —  SAWT.«HION. 

e  Levevyoïis,  JHMosieurle^iomie^TOMiaTBz  doograMleaJbeBiÉi 
Caire.  »  C'est  arec  ces  Biotsx|«0'safiGnsÉitéveiller,  àidia»«ept «m, 
SaintHSimoDy  issu,'S*il  faut  renicsoice^ide  Cfaavlemagae/otiiMm» 
iaUemont  poitteur  d'un  des  pins  beawx  noms  de  notre  hîslain. 
Nulle  viene  Sat,  eneffèt,  plus  tourmentée  queodteidttolMFposdmBt 
de  la  religion  nonreHe.  «Soldat  de  rindépendance  améneame,!! 
serrit  sous  Washinfl^on  et  passa  colonel  à  yingt^^rois  ans.  rii 
f  guerre,  en  eUe-méme,  ûe  m^intéressait  pas,  dit-il, mais  le  sesl 
e  but  de  la  guerre  m- intéressait  rivement,  et  cet  intérêt  m*en  ftiaà 
<t>sap{iorter  les  travaux  sans  répugnance.. ..«..•  Ma  Tooation  n'étiit 
aqpoiat  d!ésreaoldat;  fêtais  porté  1  un  genve  d'.actfrité  Uendiif^ 


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( 


«OCUUSnS  VOIlERHBfl*  201 

«UQB&i#e&4^piiiauilire>coiilraire.  Etudier  la-marcha  de  Tesprit  hu- 
m  mtm,  pour  irjyailUr  ensuite  au  perfectiounement  de  la  civilisa- 
9  tiûa,  tel  fat  le  but  que  je.rae  propoeaL  j» 

Lajé¥Qtation.feaaçMaft  trouTaSaintrSimou-en  Espagne.  Se  re- 
KHm;  à.£asi8».etf  iidln^.à  se  tenir  à  l'écart  des  affaires  politiques»  il 
tourna  son  acrifitA.yers  desâpécnlalions  et  trafiqua  sur  lerdomai^ 
nés  nationaux  »  en  compagnie  d*nn  Prussien ,  le  comte  de  Rœdem» 
Saiai^âimoaxlédare  dans  son.aHto4)iogjrapkie^  et  .s&yie  justifie  ce 
d0e»^*il  m  désîraitt.pas  la.foDiune  ooaime  but^  mais  seulement 
conmiemofen^a  Fonder  una^rande  école  sdentifiq^e  et  un  grand 
9 .  étaMisiieinf  nt  industriel  y  voilà  quelle  iut  mon  ambition»  »  écritriL 
luirftttma  - 

Sa.preanéreiaaiOciati(Mi.ue.fiit:  ni  loague  ni  heureuse.  Ea  1797» 
iLae^eticades  a£Eûre8».|iapi)enanÉ  ppur  ja  part  que.l^MyOOO  livres* 
Lfr.refltev  qu*il  laissa- asi. comte,  de  Rœderii,  fut  perdue  Dès<4ors. 
Stiint4Sîmoik.s*interdit -toute,  autre  entreprise  du^  même- genre;  La 
Période- cemmerdale  de^sa  vierélaitrcktte;  il  abordait  la  période. 
aciamifii|Be.  et. expérimentale,  lapIusTude»  la  plus  opiniAire  de. 
toulesy xelle  où  le  Christ  nouveau  devsni  ceindre  lacouronne  d'ér 
pîn«8..Pottr  s'initier  aux  irudimens  de  la  science,  il  se  fit  écolier  àla 
ouBitee^des^ands  «eigneujBS^  eu  attirant  les  proCasseurs^chez  lui, , 
an  liao.  d'aller  chez  eux..  Logé  d'abord  en  facedo  TEcole  Polytech* 
niqMe,  il  reçut  i.  sa-table  des  physiciens,  pour, ajqprendre  la  physi** 
^pe,,  des  astroDomes.pour  appcendre .Fastromiuie  ;  il  sema  çà  et  là, 
dans  toatk  corps-enseignaat,  des  piàces*d'or  qu'on  oubliait  de  lui 
rendre.  Qpandil  eut^cquisxle  la^oiteiMsaz.de  notions  mathéma- 
tiques, il  se  rabattit  sur  les  phy6iologi3tes,  et  déménagea  pour  s!é- 
taidk-près  de  l'Ecole  de.  Médecine»  Ainsi  il -étudia,  non  sans  queir 
que» frais,  mais  avectoutes  ses  aises,  d'une  part  la  science  des. 
ctmgê  Jwttts,  d'autre  part  la.sdenoe.dea  corpsranimés. . 

L'expérience  qui  suivit  fut  ceHe  de&  voyages.  SaînirSimoa  par- 
courut r Angleterreet  V  Allemagne,  ne  renoontrantdaBs  la  première 
aucune  idée  capitale  et  neuve,  surprenant  Fautre  au  milieu  de  sa 
{(hnosophie  mystique ,  état  d'enfance  de  la  science  générale.  H  ne 
rapporta  rien  de  cette  expérience,  si  ce  n'est  la  preuve  personnel- 
lement acquise  d*une  situation  arriérée  et  confuse.  Cest  à  Tépoque 
de  cette. tourna  européenne  qU'iLfaut  rattacher  la  visite  étrange 
qfefiaintrâimon  fit  àli"*  de  Staftl»  et  sa  proposition  plus  éteange 

19. 


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292  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

encore.  De  passage  à  Genève ,  le  philosophe  demanda  la  fevenr 
d*étre  reçu  à  Coppet  ;  et  à  peine  entré  :  —  cr  Madame,  dit-fl  à  laba- 
<r  ronne,  vous  êtes  la  femme  la  plus  extraordinaire  du  monde, 
(T  comme  j*en  suis  Thomme  le  plus  extraordinaire  :  à  nous  deux 
cr  nous  ferions  sans  doute  un  enfant  encore  plus  extraordinaire.»— 
M"*  de  Staël  eut  l'esprit  assez  bien  fait  pour  prendre  la  chose  en 
bonne  part.  Elle  en  rit. 

Au  retour  de  ce  pèlerinage,  Saint-Simon  réalisa  sa demièreet  déci- 
sive expérience;  il  épousa  M"«  de  Champgrand,  aujourd*hui  M^^de 
Bawr.  a  Je  voulais  user  du  mariage,  dit-il  lui-même,  comme  d*an 
or  moyen  pour  étudier  les  savans,  chose  qui  me  paraissait  nécessaire 
<r  pour  Texécution  de  mon  entreprise  ;  car  pour  améliorer  Torgani- 
<r  sation  du  système  scientifique,  il  ne  suffit  pas  de  bien  connattre 
<r  la  situation  du  savoir  humain:  il  faut  encore  saisir  Teffet  qnela 
<x  culture  de  la  science  produit  sur  ceux  qui  s'y  livrent;  il  faut  ap- 
9  précier  Tinfluence  que  cette  occupation  exerce  sur  leurs  passions, 
<r  sur  leur  esprit,  sur  Tensemble  de  leur  moral  et  sur  ses  différentes 
e  parties.  »  Cette  étude  fut  la  plus  coûteuse  de  celles  que  Saint-Si- 
mon avait  réalisées  jusque-là.  En  bals,  en  dtners,  en  soirées  d'expé- 
rimentation ,  il  dévora  toute  la  somme  qui  lui  restait  de  sa  liquida- 
tion avec  M.  de  Rœdern.  Ce  fut  une  sorte  de  va-tout  seigneurial,  qui 
dura  douze  mois.  Calme  au  milieu  de  ce  bruit,  jugeant  les  autres 
sans  en  être  jugé,  pratiquant  tout,  le  mal  et  le  bien,  le  jeu,  l'orgie, 
l'entretien  décent,  la  discussion  élevée,  pour  avoir  l'expérience  de 
toutes  les  choses  et  de  toutes  les  positions;  gastronome,  débauché, 
prodigue,  mais  par  système  plutôt  que  par  instinct,  Saint-Simon 
vécut  en  un  an  cinquante  années  ;  il  courut  dans  la  vie  au  lieu  d'y 
marcher,  afin  d'acquérir  avant  le  temps  la  science  du  vieillard ;fl 
usa  et  abusa  de  tout  pour  pouvoir  faire,  un  jour,  tout  entrer  dans 
ses  calculs;  il  s'inocula  les  maladies  du  siècle,  afin  d'en  fixer  plos 
tard  la  physiologie  complète.  C'était  là  une  vie  purement  expé- 
rimentale :  la  juger  sur  l'étalon  des  autres  eût  été  folie. 

a  Si  je  vois  un  homme,  disait-il,  qui  n'est  pas  lancé  dans  la  carrière  de 
la  science  générale  fréquenter  les  maisons  de  jeu  et  de  débauche,  ne  pas 
fuir  avec  la  plus  scrupuleuse  attention  la  société  des  personnes  d'une  im- 
moralité reconnue,  je  dirai  :  Voilà  un  homme  qui  se  perd;  il  n'est  pas 
heureusement  né;  les  habitudes  qu'il  contracte  l'aviliront  à  ses  propres 
yeux  et  le  rendront  par  conséquent  souverainement  méprisable.  Mais  si 


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SOCIALISTES  MOBBMBS.  295 

cet  homme  est  dans  la  direction  de  la  philosophie  théorique;  si  le  bot  de 
ses  recherches  est  de  recti6er  la  ligne  de  démarcation  qui  doit  séparer 
les  actions  et  les  classer  en  bonnes  et  mauvaises;  s'il  s'efforce  de  trouver  les 
moyens  de  guérir  ces  maladies  de  l'intelligence  humaine  qui  nous  portent 
à  suivre  des  routes  qui  nous  éloignent  du  bonheur  Je  dirai  :  Cet  homme 
parcourt  la  carrière  du  vice  dans  une  direction  qui  le  conduira  nécessai- 
rement à  la  plus  haute  vertu.  » 

Vertu  ou  vice,  Saint-Shnon  s*y  ruina  complètonent,  et  alors,  an 
lieu  de  pouvoir  héberger  et  nourrir  la  science ,  ce  fiit  au  tour  de  la 
sdence  de  l'héberger  et  de  le  nourrir.  Elle  s'y  prit  moins  magnifi- 
quement que  lui,  car  elle  destinait  le'philosophe  à  une  dernière  ex- 
périence, celle  du  besoin  et  de  la  misère.  Pressentant  cette  phase 
décroissante,  Saint-Simon  avait  déjà  jeté  le  plan  d'une  rémunération 
populaire  pour  les  savans  et  les  hommes  de  génie,  dans  ses  Lettres 
d'un  habitant  de  Genève  à  ses  contemporains,  morceau  bizarre  et  neuf 
qui  trahissait  le  tour  de  ses  idées,  a  Ouvrez,  disait-il,  ouvrez  une 
tf  souscription  devant  le  tombeau  deNewton,  souscrivez  tous  indis- 
e  tinctement  pour  la  somme  que  vous  voudrez.  —  Que  chaque 
e  souscripteur  nomme  trois  mathématidens,  trois  physiciens,  trois 
a  chimistes,  trois  physiologistes,  trois  littérateurs,  trois  peintres, 
or  trois  musiciens. —  Renouvelez  tous  les  ans  la  souscription;  parta- 
<r  gez  le  produit  de  la  souscription  entre  les  trois  mathématiciens, 
a  les  trois  physiciens,  etc.,  qui  auront  obtenu  le  plus  de  voix. — Les 
«  hommes  de  génie  jouiront  alors  d'une  récompense  digne  d'eux  et 
e  de  vous.  » 

Tel  était  le  thème.  Le  développant  dans  une  série  de  lettres, 
Saint-Simon  partageait  Vhumanité  en  trois  grandes  catégories, 
cherchant  à  prouver  à  toutes,  et  avec  des  argumens  appropriés  à 
chacune,  Texcellence  de  sa  méthode  de  rénounération;  puis  il  éta- 
blissait la  formule  suivante:  le  pouvoir  spirituel  entre  les  mains  des 
sarans;  le  pouvoir  temporel  entre  les  mains  des  propriétaires;  le 
pouvoir  de  noqumer  les  individus  appelés  à  remplir  les  fonctions  de 
grands  chefs  de  l'humanité  entre  les  mains  de  tout  le  monde  :  pour 
salaire  aux  gouvernans,  la  considération.  —  Tout  ceci,  on  le  voit^ 
a  peu  de  valeur;  c*est  du  Platon  et  du  Bernardin  à  l'état  d'amal- 
game; c*est  un  rêve  après  mille  rêves,  une  innocente  utopie  qui  se 
termine  par  une  sorte  de  prosopopée,  épilogue  du  morceau  :  a  Rome 
a  renoncera  à  la  prétention  d'être  le  chef-lieu  de  mon  église;  le 


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391  REYUE  DES  DEUX  MONDES. 

«  pape,  les  cardinaux,  Tes  évéques  et  les  prêtres  cesseront  de  par* 
€  1er  en  non  nom ,  etc....  j»  Le  seul  farit  qni  résulte  de  cet  opnscalé, 
c*est  la  tendance  théosophique  dû  réformateur,  déjà  fortement  ac- 
cusée. Cette  tendance  se  caractérisa  mieux  par  la  suite,  lorsque 
8^  travaux  de  philosophie  et  d*économie  industrielle  semblëreDt 
appeler  la  religion  conmie  leur  dernier  corollaire. 

Mais  d*autres  ouvrages  devaient  jalonner  cette  route*  Le  prCTiier 
fut  une  réponse  à  un  programme  de  Napoléon.  Napoléon  avait  dit  à 
riiistîtut?  (T  Rendez^moi  compte  dôs  progrès  de  la  science  depid» 
a  i9S9  ;  dites-moi  quel  est  son  état  naturel  et  quels  sont  les  moyens 
«r  à^^mptoyer  pour  lui  faire  faire  des  progrès.  i>  A  cette  question 
ainsi  posée,  Saint-Simon  avait  répondu  d*abord  par  son  Introduc- 
tion aux  travaux  scientifiques  du  xix«  siècle,  vaste  étude  qu*il  se  sen* 
tit  lut-mémB  incapable  d'aborder,  et  qu'il  réduisit  à  des  propor- 
tions phis  académiques  dans  ses  Lettres  au  htrean  des  Longitudes. 
L&,  comme  on  le  pense,  il  n*accepta  le  programme  de  l'Institut  qoe 
comme  prétexte  et  comme  cadre.  Au  Keu  d'y  recevoir  rimpulsion, 
il'la  donnait  ;  au  lieu  de  régler  le  passé,  il  arrangeait  l'avenir  ;  il  ftî- 
saR  de  la  prophétie  quand  on  lui  demandait  de  la  statistique.  La 
pensée  fondamentale  de  ce  travail,  c'était  toujours  de  pousser  les 
stvans  vers  une  œuvre  de  réorganisation.  Il  y  était  dit  :  or  Depuis  le 
«r  xv«  siècle  jusqu'à  ce  jour,  Finstitution  qui  unissait  les  nations  ea- 
«Topéennes ,  qui  mettait  un  frein  à  l'ambition  des  peuples  et  des 
a  rois,  s'est  successivement  affaiblie  ;  elle  est  complètement  détruite 
a  aujourd'hui,  et  une  guerre  générale,  une  guerre  effroyable,  une 
<r  guerre  qui  s'avance  comme  devant  dévorer  toute  la  population 
o^européenne,  existe  déjà  depuis  vingt  ans  et  a  moissonné  plusieurs 
«r  milKons  d'hommes.  Vous  seuls  pouvez  réorganiser  la  société  eu- 
a  ropéenne.  Le  temps  presse,  le  sang  coule  ;  hâtez- vous  de  pronon- 
or'cer.  j>  Comme  gage  d*tmion  et  de  progrès,  Saint-Simon  concluait 
eu  demandant  une  sorte  de  magistrature  inteltectuette,  magistra- 
ture d'où  est  issue ,  comme  dérivation  logique ,  la  Mérarchie  des 
capacités,  base  de  la  famille  saint-simonienne. 

Ce  travail  n'est  pas  le  seul  qu'ait  laissé  Saint-Simon  sur  ces  ma- 
tières philosophiques.  Les  Lettres  sur  C Encyclopédie,  \ès  Mémoires 
9ur  la  Gravitation  et  sur  la  Science  de  l'homme,  se  rapportent  i  cette 
époque  et  à  cette  série  d'études. 

Jhândant  que  lé  rèformatear  poursuivait  ainsi  tme  tâche  péiâfle 


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etmcomprise/dégraildsévèiiémeTis^Iîtiqties  agitaient  la  France 
et  l'Europe.  La  Restauration  venait  d'arriver,  et  avec  elle  un  re- 
tour vers  les  noms  d'une  importance  historique.  Saint-Simon, 
,  pauvre  alors,  vivant  de  secoure,  et  simple  copiste  au  Mont-de- 
Piété,  à  raison  de  mille  francs  par-  an,  eût  sans  doute  été  admis 
aux  faveurs  de  la  cour  nouvelle,  si  la  direction  étrange  de  ses 
idées  n*eAt  éloigné  de  lui  toutes  les  offres  et  toutes  le»  avances.  On 
ne  fit  rien;  on  ne  pouvait  rien  faire  pour  un  norateur  pareil;  il 
resta  conf»lèteaient  oublié.  Aussi ,  i  peu  d'années  de  iè ,  en  1819, 
fit-il  paraître  une  brochure  sous  le  titre  <le  :  Parabole,  dans  laquelle 
le  bout  d'oreille  du  grand  seigneur  méconnu  perce  sous  Tenvetoppe 
de  l'économiste  radical.  Rien  de  plus  hardi,  de  plus  bizarre,  et  de 
plus  vrai  au  fond  que  ce  pamphlet,  expression  d'une  rancune  plutôt 
que  d*un  système. 

«  Nous  supposons,  y  est-il  dit,  que  la  France  perde  subitement  ses 
cinquante  premiers  physiciens,  ses  cinquante  premiers  peintres,  ses 
ciaqoaQte  premiers  poètes,  etc.,  etc.  {suit  la  nomewlainre) ,  en  tout, 
les  trois  mille  premiers  sa  vans,  artistes  et  artisans  de  France. 

c  Comme  ces  hommes  sont  les  Français  les  plus  essentiellement  pro- 
ducteurs, ceux  qui  donnent  les  prodoits  les  plus  imposans,  ceux  qui  di- 
rigent les  travaux  les  plus  utiles  à  la  nation,  et  qui  la  rendent  productive 
dans  les  beaux-arts  et  dans  les  arts  et  métiers,  ils  sont  réellement  la 
fleur  de  la  société  française;  ils  sont  de  tous  les  Français  les  plus  utiles  à 
leur  pays,  ceux  qui  lui  procurent  le  plus  de  gloire,  qui  hâtent  le  plus  sa 
civilisation  et  sa  prospérité.  Il  faudrait  à  la  France  au  moins  une  géné- 
ration entière  pour  repousser  ce  malheur;  car  les  hommes  qui  se  dis- 
tinguent daiBS  les  travaux  d*nne  utilité  positive,  sont  de  véritables  ano- 
malies, et  la  nature  n'est  pas  pr^i^ue  d'anomalies,  surtout  de  cette 
'espèce. 

c  Passons  à  une  autre  stippôsitton.  Admetlons  que  la  France  conserve 
lOQS  les  hommes  de  génie  qu'elle  fiossède  dans  les  sciences,  dans  les 
beanx'^rts,  et  dans  les  Itrtset  métiers;  nais  qu'elle  ait  le  malheur  de 
perdre  le  même  jour.  Monsieur»  frère  du  roi,  monseigneur  le  duc  d-An- 
gouléme,  monseigneur  le  duc  de  Berry,  monseigneur  le  duc  d*Orléans» 
monseigneur  le  duc  de  Bourbon,  madame  la  duchesse  d*Aagouléme» 
madame  la  duchesse  de  Berry,  madame  la  duchesse  d'Orléans,  madame 
la  duchesse  de  Bourbon  et  mademoiselle  de  Gondé. 

a  Qu'elle  perde  en  môme  temps  tous  les  grands  officiers  de  la  Cou- 
tonne,  tous  iBs  ministres  d*état,  tous  les  mattres  des  requêtes,  tons  les 
maréchaux,  tous  lesca!Minattx,>archeTèqaes,  évéques,  grands-tittiiW 


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296  RSYUB  DBS  DEUX  MONDES. 

et  chanoines,  tous  les  préfets  et  sous-préfets,  tous  les  employés  dans  les 
ministères,  tous  les  juges,  et  en  sus  de  cela,  les  dix  mille  propriétaires  les 
plus  riches  parmi  ceux  qui  vivent  noblement. 

a  Cet  accident  affligerait  certainement  les  Français,  parce  qu'ils  sont 
bons,  parce  qu'ils  ne  sauraient  voir  avec  indifférence  la  disparition  subite 
d'un  aussi  grand  nombre  de  leurs  compatriotes.  Mais  cette  perte  de 
trente  mille  individus,  réputés  les  plus  importans  de  l'état,  ne  leur  cau- 
serait de  chagrins  que  sous  un  rapport  purement  sentimental,  car  iln'eo 
résulterait  aucun  mal  pour  l'état. 

<r  D'abord  par  la  raison  qu'il  serait  très  facile  de  remplir  les  places  qui 
seraient  devenues  vacantes.  Il  existe  un  grand  nombre  de  Français  en 
état  d*exercer  les  fonctions  de  frère  du  roi  aussi  bien  que  Monsieur;  beau- 
coup sout  capables  d'occuper  les  places  des  princes  tout  aussi  convenable- 
ment que  monseigneur  le  duc  d'Augoulôme ,  monseigneur  le  duc  d'Or- 
léans, etc. 

a  Les  antichambres  du  château  sont  pleines  de  courtisans,  prêts  i 
occuper  les  places  des  grands-officiers  de  la  couronne  ;  l'armée  possède 
une  grande  quantité  de  militaires  aussi  bons  capitaines  que  nos  maré- 
chaux actuels.  Que  de  commis  valent  nos  ministres  d'état!  Que  d'admi- 
nistrateurs plus  en  état  de  bien  gérer  les  affaires  des  départemens  que  les 
préfets  et  sous-préfets  présentement  en  activité!  Qu^  d'avocats  aussi 
bons  jurisconsultes  que  nos  juges!  Que  de  curés  aussi  capables  que  nos 
cardinaux,  que  nos  archevêques,  que  nos  évêques,  que  nos  grands- 
vicaires  et  que  nos  chanoines!  Quant  aux  dix  mille  propriétaires,  leurs 
héritiers  n*auraient  besoin  d'aucun  apprentissage  pour  faire  les  hooneun 
de  leurs  salons  aussi  bien  qu'eux,  d 

Cette  moquerie,  si  douce  et  si  Gne,  fut  prise  en  mauvaise  part. 
Les  grands  noms  mis  en  scène,  et  trouvés  si  légers  de  poids  auprès 
des  noms  industriels  et  scientifiques,  ne  passèrent  pas  condamna- 
tion immédiate ,  et  voulurent  qu'un  procès  criminel  décidât  de  leur 
importance  sociale.  Ce  fut  étrange  de  voir  alors  le  comte  de  Saint- 
Simon,  le  petit-fils  du  grand-seigneur  de  la  cour  de  Louis  XIV, 
venir  se  défendre,  devant  des  juges,  d'avoir  avancé  que  la  mort  du 
comte  d*Artois  et  celle  du  duc  d'Angouléme  feraient  moins  de  vide 
en  France  que  celle  d'un  grand  manufacturier.  Singulier  procès 
dont  un  acquittement  ne  fit  qu'accroître  le  scandale! 

Du  reste,  cette  Parabole  que  nous  venons  de  citer  ne  fut  aux 
yeux  de  Saint-Simon  qu*une  boutade  spirituelle,  dont  ses  disciples 
ont  toujours  contesté  T à-propos  et  la  valeur.  Il  acheva,  vers  ce 
temps,  des  travaux  plus  graves  et  plus  complets  :  La  Réorganisa-- 


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SOCIALISTES  MODERNES.  297 

lion  de  la  société  européenne  y  l'Industrie,  COrgamsaleur,  te  Politique, 
le  Système  Industriely  le  Catéchisme  des  industriels.  La  publication  de 
ces  divers  ouvrages,  d*un  débit  difficile,  n*eut  lieu  qu'à  la  suite 
de  démarches  humiliantes  et  longues.  Méconnu  alors,  Saint-Si- 
mon se  voyait,  presque  toujours  obligé,  d*aller  quêter,  de  porte  en 
porte,  TaumAne  d*un  éditeur.  Ces  peines  ne  furent  pas  les  seules. 
Plus  d'une  fois  Tunique  héritier  d*un  des  plus  beaux  noms  de 
France  se  vit  réduit  à  Tordinaire  du  pain  et  de  Veau  ;  plus  d'une 
fois  il  se  passa  de  feu  Thiver  pour  arriver,  à  Falde  de  privations 
personnelles,  aux  honneurs  d*une  coûteuse  et  ingrate  publicité. 
Toutes  ces  douleurs,  leMessie  nouveau  les  avait  prévues,  il  ne  recula 
devant  aucune  d'elles.  Un  jour  pourtant,  un  seul  jour,  la  tristesse 
le  vainquit;  l'homme  écrasa  le  dieu.  Saignant  sur  sa  croix,  il  de- 
manda grâce  ;  et  comme  pas  un  ami  ne  se  trouvait  là  pour  le  percer 
d'une  lance,  il  se  rendit  ce  service  à  lui-même  avec  l'arme  plus  mo- 
derne du  pistolet.  Les  têtes  puissantes  résistent  mieux,  à  ce  qu'il 
parait,  que  les  têtes  vulgaires.  Saint-Simon  survécut  au  suicide.  La 
balle  n'avait  atteint  aucune  des  parties  organiques,  il  en  fut  quitté 
pour  la  perte  d'un  œil.  S'il  était  mort  de  son  fait,  son  autorité  à 
venir  en  restait  singulièrement  compromise.  D'ailleurs  le  complé- 
ment de  sa  doctrine  eût  manqué  à  ses  apôtres  ;  le  Nouveau  Christia- 
nisme  n'existait  pas.  Le  Messie  en  revint  donc,  valétudinaire  et  dé- 
figuré. 

On^  vu  Saint-Simon  débuter  par  l'expérimentation  personnelle 
pour  arriver  à  la  publication  par  la  voie  de  la  presse,  et  d'homme 
du  monde  devenir  ainsi  polémiste.  Voici  maintenant  qu'il  quitte 
l'une  et  l'autre  méthode  pour  le  rûle  d'évangéliste  et  de  prophète. 
n  déserte  la  pratique  de  la  vie,  la  tribune  de  la  publicité  pour  les 
prédications  delà  chaire,  a  En  attaquant  le  système  religieux  du 
4rinoyen-ftge,  disait-il  à  M.  Olinde  Rodrigues  avant  de  mourir,  on 
tt  n'a  réellement  prouvé  qu'une  chose  :  c'est  qu'il  n'est  plus  en  har- 
ff  monie  avec  les  progrès  des  sciences  positives;  mais  on  a  tort  d'en 
a  conclure  que  le  système  religieux  devait  disparaître  en  entier  ;U 
a  doit  seulement  se  mettre  d'accord  avec  les  progrès  des  sciences.  » 
Puis  il  ajoutait  par  une  sorte  de  retour  vers  la  réalité:  crLa  der- 
cr<nière  partie  de  nos  travaux  sera  peut^tre  mal  comprise.  » 

Cette  dernière  partie  des  travaux  de  Saint-Simon,  c'est  le  Nou- 
^au  Ckrittianisme. 


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298-  HEYUB  1>B$  DEVX  MONDES. 

On  a  taat  jpa^é  de  ce  morceau  »  on  Ta  exalté  avec  une  affectation 
si  épiqpç  ^  ^ii^ffi  p9n^  setoWe  utile  de  ramener  les  choses  dans  le 
y];i^^  Lapenaée4^^?4p(-SÛQ»QV^»  AV^  ^^V)  évangile  contemporain, 
n^eattnisaill^^,  ni  nçuy^.^11  3*agit  toiyour^  d*un  plan  de  réforme 
reUçieuse ,  bia^ée  su^p  cet  argument  à  Tus^ge  des  schismatiques  de 
toutes  les  époques,  d^uis  Ar^is  jusqu'à  M.  Vabbé  Chàtel^  en  pas- 
sant p^  Luther  :  qii^^,  le  chnatji^isme;a.été  détourné  de  ses  voies, 
et.  que  la  profanation  esV  aujourd'hui  flagrante  dans  toutes  les 
églises.  L'auteur,  ap^ès  quarante  autres,,  coiini;nence  par  établir  la 
grande  scission  entre  la  parole  divine  et  la  parole  humaine ,  entre 
les  révélations  et  les  commentaires»  entre  le  texte  et  la  glose;  puis, 
ces  prémissefs  posées»  il  se  réçume  en  concluant  que  le  christianisme, 
progressif  de  sa  nature,  n'aurait  pas  dû  s'immobiliser  dans  des 
emraves  canoniques;  et  qu'au  contraire,  recevant  autant  d'impul- 
sion .qu'il  en  donnait^  agissant  sur  le  siècle,  comme  le  siècle  agis- 
sait sur  lui ,  il  aurait  dû  se  mçdifier  suivant  les  mœurs ,  suivant 
les  pays,  suivant  les  peuples,  suivant  les  âges,  et  ne  conserver 
d'éternel  que  cet  adage  évidenunent  divin  :  cr  Aimez-vous  les  uns 
les  autres,  d  Le  Christ  n'avait  pas  dit  autrement. 

Quand  il  arrive  à  la  démonstration,  Saint -Sin^on  rencontre 
pourtant  sa  nouvelle  et  belle  formule,  celle  qu'on  aurait  compro- 
mise en  expériences  maladroites,  si  elle  n'était  pas  une  vérité 
hors  d'atteinte.  De  l'adage  :  a  aimez-vous  les  uns  les  autres,  »  il 
tire  le  principe  suivant  :  <r  la  religion  doit  diriger  la  société  vers 
<r  le  grand  but  de  l'amélioration  la,  plus  rapide  possible  du  sort  de 
c(  la  classe  la  plus  nombreuse  et  la  plus  pauvre.  »  Tout  est  là 
selon  le  maîu*^.  Unité  reli^eusé^  infaillibilité  sacerdotale,  durée 
du  culte,  sa  moralité,  son  inQuençe,  tout, est  là.  C'est  le  nouveau 
christianisme  en  trois  lignes.  S'agit -il  en  effet  de  trouver  les 
prêtres  du  culte  régénéré?  H  v^  ss^isdire  que  les  prêtres  seront 
forcément  et  naturcjllememt  les  hommes  les  plus  capables  de  con- 
tribuer, par  leurs  travaux,  à  Taccroissement  du  bien-être  de  la 
classe  la  plus  nombreuse  et  la  plus  pauvre.  Seulement  il  reste  à 
régler  le  choix  et  Téchelle  ^iiérarchigue  des  hommes  les  plus  capa- 
bles. Sur  ce  point  ^  Sa^nt-Simon  n'avajit  rien  ûxé,  rien  prévu  ;  il  po- 
sait sa  religion  à  l'état  purement  spéculatif.  Dans  la  pratique, 
l'organisation  hiérarchique  d^  plus  capables  a  été  u](ie  difficulté 
presque  insoluble.  Saint-Simon  tournait  la  difficulté  sans  l'aborder; 


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SOCIALISTES  HODERNES.  «299 

3  faisait  de  la  poésie  et  nondeJalogiqiiey^qiiaodilchaatait  unèpise 
anj^  puissans»  aux  philosophes,  auxsaTUs,  j«x  artisteaeniloat 
,çemre  ^  pour  qu'ils  se  nissent  à  la  ftète  4u  cuke  régéoévAyipoiir 
qu'ils  le  readisseot  m^eslueux  et  beau,  pour  ipi'ilsle  reUv^ssoDi 
aiLmçyen  de  tous  les  prestiges  et  4e  toutes  Us  m^gnifioeaces.  Galte 
théorie  péchait  par  les4eux  hases,  car  il  fallait  toat  à  la  foia^ne 
les  privilégiés  du  génie  voulusseatconinmider, -et quelastaotres 
se  réaigoassent  à  obéir* 

Si  cette  4>cganîsatioB  indécise  et  ¥4porease  laissa  beaucoup  i  dé- 
sirer*  enreyanche,  toute  la,  partie  critique  du  Nauveaw  Christ* 
n'ume  est  un  travail  d'une  étude  profonde  et  d'un  beau  caracttee. 
S*attaquant  d'abord  au  cathdicisme,  Saint-Simon  accuse  «le  pupe 
et  .son  égli^  d^hérésiesur  troischefo  :  l»  l-^nseignement  hideux 
des  laïques  ;  2»  la  mauvaise  direction  donnée  aux  études  des  sén* 
naristes,  et,, par  suite,  Tignoranceet  Tinc^padté  religieuse  des 
desservans  du  culte  ;  3^  l'autorisation  occulte^  ou  patente  acoer* 
dée  i  deux. institutions  diamétraleaient  <9pposées  à  l'esprit  da 
ehristianisme ,  celles  de  Tinquisition^t  des  jésuites  :  trois  erreui s, 
trois  hérésies  capitales  du  catholicisme,  deetructiiEeB  duifnaoipe 
fondamental  de  la  révélation  chrétienne  :  «aimez^vous  les  ugs 
les  autres;  »  trois  4>bstacles;dirimansià  l'améliovatian  du  sort  de 
la  classe  la  plus  nombreuse^  et  la  plust  pauvM. 

Site  psqpe  esthérétique ,  Lntherne  l'est  pas  moins  j  Luther,  mx 
jeux  de  Saint-Simon,  esthérétique  au  premier  chef,  pour  av^lr 
xjuand  il  était  mattre  de  sa  formule ,  quand  il  avait  table  pase  de- 
Tant  lui ,  proclamé  une  morale  très  inférieure  a  celle  qui  peut  oon- 
yenir  aux  chrétiens  dans  Tétat  actuel  de  leur  civilisaden  ;  il  l'esten- 
core  pour  ^n'avoir  pas,  comme  Jésus  le  disait,  organisé  l'espèee 
humaine  dans  rintérét  de  la  classe  la^phis  nombreuse  <  et  la  {dus 
.  pauvre.  Au  second  chef ,(  Luther  est  hérétique^pour  avoir  êé^ifHé 
un  mauvais  culte,  pour  n'avoir  point'appelé,>à  Taidede  sa  réforme, 
tous  les  arts  qui  charment  la  vie ,  la  poésie ,  la*  musique  y  la  scv^ 
lure;  pour  avioir  prosaïsé  les  sentimens  chrétiens;  pour  s'éM 
privé  de  lillusion  sensuelle ,  de  Téinotion  scénique ,  qne  le  cathoK- 
eisme  avait  si  bien  mises  en  cenvre^  En  fin ,  Luther  est  hérétique  au 
troisième  chef,  parce  qu'il  ordonne  de  lire  et  de  ne  lire  que  la  Bible» 
lecture  exclusive,  immorale  souvent,  féconde  en  révélations  sur 
les  turpitudes  humaines ,  nommant  de  ces  vices  dont  rexistencd 


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300  âSTUB  DES  DEUX  MONDES. 

même  devrait  être  ignorée;  lecture  trop  métaphysique  d^aillearsy 
et  qui  n*e8t  pas  une  des  causes  les  moins  actives  du  dévergondage 
nébuleux  des  philosophies  allemandes.  Donc,  sur  ces  trois  cheEs, 
Luther  est  hérétique  conmie  le  pape  Ta  été  sur  d*autres  chefis.  Lan 
et  Tautre  ont  dévié  du  grand  axiome  religieux ,  du  but  essentiel  de 
toute  loi  et  de  tout  dogme  :  Tamélioration  de  Fexistence  morale  et 
physique  de  la  classe  la  plus  nombreuse  et  la  plus  pauvre. 

Pour  rétablir  le  christianisme  dans  ses  voies ,  il  fallait ,  toujours 
suivant  Saint-Simon ,  lui  restituer  un  côté  matérialiste  dont  Tabsenoe 
le  frappe  de  stérilité  dans  son  action  sociale.  Le  mot  de  Jésus- 
Christ  :  Mon  royaume  nest  pas  de  ce  monde ,  mal  compris  et  plus 
mal  pratiqué»  avait  établi,  dans  la  religion  ancienne,  une  lutte 
éternelle  et  indéfinie  entre  la  matière  et  rintelligeoce ,  le  corps  et 
Tesprit.  Cette  lutte  devait  cesser  ;  le  culte  nouveau  devait  être  on 
feit  à  la  fois  social  et  religieux. 

Tel  est  le  Nouveau  ChrManisme,  dans  lequel  Fauteur  a  mérité 
qu'on  dit  de  lui  ce  qu'il  disait  de  Luther:  /(  a  bien  critiqué ,  mai» 
pauvrement  doctrine.  De  cet  opuscule  ont  découlé,  pour  les  disciples 
de  Saint-Simon ,  d'abord  les  deux  ou  trois  épigraphes  de  la  foi 
nouvelle,  puis  l'appel  aux  capacités  pour  qu'elles  eussent  à  concou- 
rir au  grand  œuvre  de  la  rénovation  religieuse  et  sociale  ;  puis 
encore  cet  apostolat,  tout  de  persuasion  et  d'amour,  cette  nouvelle 
communion  de  martyrs  à  laquelle  il  n'a  manqué  que  des  bourreau 
plus  farouches  ;  enfin  le  principe  vieux,  mais  oublié,  de  l'aflectioa 
fraternelle  entre  les  hommes,  base  de  la  nouvelle  organisation  so- 
ciale qui  remplacera  la  force  militaire  par  l'union  pacifique,  qui 
dissoudra  l'armée  pour  enrégimenter  les  travailleurs. 

—  Jésus-Christ  a  préparé  la  fraternité  universelle ,  dirent  les 
successeurs  du  prophète  ;  Saint-Simon  la  réalise.  L'église  vraiment 
universelle  va  paraître  :  le  règne  de  César  cesse.  L'église  universelle 
gouverne  le  temporel  conmie  le  spirituel,  le  for  extérieur  comme  le 
for  intérieur.  La  science  est  sainte,  l'industrie  est  sainte.  Des  prêtres, 
des  savans,  des  industriels,  voilà  toute  la  société.  Les  chefs  des  prê- 
tres, les  chefs  des  savans,  les  chefs  des  industriels,  voilà  tout  le 
gouvernement.  Et  tout  bien  est  bien  d'église,  et  toute  profession  est 
une  fonction  religieuse,  un  grade  dans  la  hiérarchie  sociale.— A 

CHACUN  SELON  SA  CAPAUTÉ  ;  A  CHAQUE  CAPACrrÉ  SELON  SES  OEUVRES.-' 

A  c6té  du  texte  de  Saint-Simon,  telle  est  la  glose  saint-simonienne. 


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SOaÀLISTES  KODERIfES.  SOI 

Quand  Saint-Simon  eut  écrit  son  Nouveau  Christianisme,  sa  santé 
alla  dépérissant  chaque  jour.  Réduit  à  vivre  d^emprunts,  en  proie 
au  besoin  et  criblé  de  dettes  ^  il  n'en  conservait  pas  moins  un  calme 
et  une  sérénité  impassibles.  En  1825,  le  mal  redoubla;  pendant 
deux  mois  il  ne  vécut  que  d'eau  et  de  bouillon.  Le  corps  s'en  al- 
lait, mais  la  tête  n*avait  rien  perdu  de  son  activité.  Malgré  ses 
souffrances,  Saint-Simon  s'occupait  alors  de  la  fondation  d'un 
journal  qui  continuât  ses  doctrines ,  et  préchant  son  œuvre,  la  sui- 
vit dans  ses  développemens.  Ce  journal  était  le  Producteur  que  le 
moribond  n'eut  pas  même  la  joie  de  saluer  comme  le  vieillard  du 
cantique.  Le  19  mai ,  il  mourut  dans  les  bras  de  quelques  disciples  : 
H.  Auguste  Comte,  son  Benjamin,  son  vase  d'élection,  qui  depuis 
renia  le  maître,  et  M.  Olinde  Rodrigues,  qui  glorifia  Saint-Simon 
avec  MM.  Bazard  et  Enfantin,  puis  avec  M.  Enfantin  seul,  pour  se 
retirer  dans  sa  tente  au  jour  de  la  rupture. 

Cette  mort  de  Saint-Smon  serait  demeurée  sous  le  voile,  si ,  plus 
tard,  les  disciples  alors  présens  n'en  eussent  révélé  les  détails. 
Leur  pieuse  affection  n'a  pas,  on  doit  le  croire,  rapetissé  le  héros. 
Peut-être  même  a-tron  eu  le  soin  de  le  draper  pour  mourir.  N'im- 
porte ,  il  faut  raconter  ici  comme  ils  racontent  ;  le  moment  suprême 
a  des  solennités  qui  désarment  le  doute.  Saint-Simon  sentait  la  vie 
le  fuir,  il  rassembla  autour  de  son  lit  les  confidens  de  ses  pensées, 
et  leur  dit  : 

«  Depuis  douze  jours ,  je  m'occupe,  mes  amis,  delà  combinaison  la  plus 
capable  de  faire  réussir  notre  entreprise  (  le  Producteur  )  ;  depuis  trois 
heures,  malgré  mes  souffrances,  je  cherche  à  vous  faire  le  résumé  de  ma 
pensée.  Vous  arrivez  à  une  époque  où  des  efforts  bien  combinés  parvien- 
dront à  un  immense  résultat La  poire  est  mûre;  vous  pouvez  la 

cueillir La  dernière  partie  de  mes  travaux,  le  Nouveau  Christianisme» 

ne  sera  pas  immédiatement  comprise.  On  a  cru  que  tout  système  reli- 
gieux devait  disparaître,  parce  qu*on  avait  réussi  à  prouver  la  caducité 
du  système  catholique.  On  s'est  trompé  :  la  religion  ne  peut  disparaître 

du  monde;  elle  ne  fait  que  se  transformer Rodrigues,  ne  l'oubliez 

pas!  et  souvenez- vous  que,  pour  faire  de  grandes  choses,  il  faut  être 

passionné Toute  ma  vie  se  résume  dans  une  seule  pensée  :  assurer  à 

tous  les  hommes  le  plus  libre  développement  de  leurs  facultés,  b 

D  se  fit  alors  quelques  minutes  de  silence,  après  lesquelles 
ragonisant  ajouta  ; 


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RfiTtnK  mn*  oeui.*'iriii0B8* 

i^'^ftgnttte^hcil  heures 'iipr es* notre  Meoudo  piAfNeiitlOD  y  -le^pitttMes 
traTriiUeors^«era  eoBstHué  :  r«fieoir  ffs^  à  noos;'» 

Ces  motsridits ,  'û  porta  la  main  à  sa  tête,  etmointit. 

Ainsi, ' pour  Té8amer''^alm-Sinion,  îl 'ftnt  le  Toir  soastrdb 
aspects  ssfllans  et  bien  distincts  :  comme  «xpérimentateiir/ixniime 
publiôiste/  comme  réformateur  religieux. 

Comme  expérimentatear,  11  partit  de  ce  feit,  qnefersealmoyeirtte 
pousser  la  philosophie  dans  des  Toies  progressires  ^étàit  de  s» 
livrer  à  des  expériences  successives  et  personnelles.  Cfaerdiam, 
combinant  des  actions  étranges  etinouies ,  ou  de  nourefles  séries 
d'actions  ^il  s^abandonna  sciemment  à  "beaucoup  d* épreuves  folles; 
il  fat  extravagant  selon '  le  ~monde ,  'bizarre ,  immoral  ;  mal 'femé; 
choses  qui  lui  importaient  peu ,  car  il  tévait  une  mortittènouteDe. 
Voiciix>mment  il  définir  lui-même  cette  phase  expérimentale  : 

a  lo  Mener,  pendant  tout  le  cours  de  la  vigueur  de  Tàge,  la  vie  la  plas 
originale  et  la  plus  active  possible. 

a  2^  Prendre  connaissance ,  avec  soin ,  de  toutesies  théories  et  de  toutes 
les  pratiqes. 

et  3«  «Parcourir  toutes  les  classes  de  la  taolété ,  se  plaeer  penanoeiie» 
ment  ^ans  les  positions  weîlksi  tes  fiasidifttreiiteB,''el'ni«ae«réeriées 
relationsqui n'aient  point axitté. 

a  40  Eoftn  ^  employer*  sa  vieUltee  à  céaomer  .las  -abservalkos  sar'>lii 
effets  de  ses  actions  pour  les  autres  et  pour  soi,  et  à  établir  deafinoqfMS 
sur  ces  résumés.  j> 

Dans 4a  seconde  phase  de  sa  vie,  Saint-Simon  résuma,  comme 
puUiciste^  les  impressions  xfa*ik  avait  ^icquises  dans  sa  vie  expéri- 
mentale; il  cherchai  les  rendre  profitables  et  praticpies  pour  le 
monde  industriel,  sctentifiqne  et  politique;  11  essaya,  par  lambeaux, 
son  système  de  doctrine  et  d'application  générales ,  dont  la  syn- 
thèse ne  devait  se  trouver  que  plus  tard  dans  le  Nouvem  Chmia- 
nisme,  attique  de  son  monument. 

Enfin ,  comme  révélateur  rel'gieux,  il  couronna  ses  travanx  an- 
térieurs, travaux  incomplets  et  préparatoires,  par  la  théorie 
d*une  socialisation  chrétienne;  il  donna  la  formule  qui  résumait, 
suivant  lui,  le  seul  principe  révélé  du  christianisme,  le  seul  artidc 
de  foi  qui  fût  d'inspiration  divine  :  <r  La  religion  doit  diriger  la 
or  société  Ters  le  grand  but  de  l'amélioration  la  plus  rapide  pas- 
a  sible  du  sort  de  la  classe  la  plus  nombreuse  et  la  plus  pauvre;  1 


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sqntmgft^dii  pauwfrdo  frateinkA,  d^msiem  ^  d'iufem,  qti  vaut, 
à.aUe  s^ula,  ioiU^iOrCod»'  4e;iDgrak;  masuBe  aakce,  dwaat  hk** 
qncJle  Yjenmnl MS^amartir  etra^-Aleioëar  toi  giaad^  et  baïUieMi  m^-^ 
bilM4lea.fûciélé8  maderiiM,  TégMleaia^  la  hai»e^  riaotomeai,  1» 
daula^  ledécourasunant»  Ia>Biaiivakft  Cm  ;  dog«i6  déji  {Mresaeati 
par.  le  pbilosq>be  danr les  JUures'd^êifkbaUiënè  iU  Gmèveel  daaa  ht: 
PwpfiboU;  iBieBxaopiMé4>toalagd  par  laAhwyowitgiiDii  rfg  to  ^octAér 
etu:0péettne^  et  par  isaa  autres  ominraga^  d^économie  iaduMMIe^ 
mais  articulé  senlawant4.yn»  maaiAre  formelle  et  prioiee  dane  le* 
NomwKtm  CértrtmwîMWf  »ce  ieeiaiaeiit.de<fiaiiit<rSiiBOiib 

IL —«lEIlIB&E  ÉPOQUE. 

L^  ProdneWor. 

jLe  Producteur,  on  vient  de  le  Yok,  fut  fondé  aur  le  lit  de  mori 
de  Smnt-Siinon.  Légataire  plus  spécial  de.  la  pensée  du  maître» 
M.  Olinde  Rodrig^es-chercha.à  s*aatûcier  quelques  esprits  sympa^ 
thiquctf  à  la  doctrine  nouyelle;  il  trouva  alors ,  et  successivement^ 
MHi.  Bazard  (qui  signât  SaintrAmand),  Enfantin,  Cerdety  Bur 
chez,  et  d'autres  encore»  qui  ne  suivirent  pas  ou  laissèrent  ensuite- 
à  mi-chemin  Tœuvre  de  propagande  saint-simonienne.  Le  Produc- 
teur, ne  pouvait  pas,  ne  devait  pas  être  une  chaire  exclusive  pour 
la  religion  encore  dans  ses  langes.  Les  disciples  que  SaintrSimon 
avait  laissés  n'étaient  ni  assez  nombreux,  niassez  riches  pour  poiK 
voir  repousser  une  rédaction  et  une  organisation  étrangères.. Une  ^ 
sodété  en  commandite  se  forma  pour  la.  fondation  d'une  feuille^ 
destinée,  en  grande^partie^à  des  articles  de  technologie  et  de  «ta* 
tistique  industrielles.  L'intention  des  principaux  eoopérateurs  était  ' 
bien  de  fonder  une  école;  mais  le  plus  grand  nombre  se  bornailjà 
exprimer  des  sentimens  individuels  et  des  opinions  isolées. 

Cétait  d'aflleurs  à  une  époque  où  Ton  avait  à  se. défendre  sur- 
on  autre  terrain  que  sur  cehti. des  idées  spéculatives.  Comme  la 
réaction  d'absolutisme  marchait  alors  dans  une  phase  d'ascension 
et  de  triomphe,  la  résistance  des  sentimens^t  des.  intérêts  contre 
dea  empiètemens  scandaleux  s'organisait  à  l'jombre  du  hbér séisme; 
Cette  formule,  dont.on^  reconnu  plus  tard  le  vague  et  l'impuis^ 
sance,  régnait, alors  M  passionBait  les  esprits..L!un.dea  chefs  fo^ 
turs  du  aaintr^îmamaniey^oebii  qui  devait  prêter  à  la  doetriae 


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S04  REVUE  BES  DEUX  HOlfDES. 

TappUi  d'une  dialectique  vraiment  puissante,  M.  Bazard,  était  loi- 
môme  un  chef  de  carbonari,  échappé  comme  par  miracle  i  cette 
échauffburée  de  Colmar  et  de  Béfort,  où  Lafayette  joua  si  bravement 
8Si  tête.  Les  forces  vives  de  la  France  étaient  alors  tendues  de  ce  côté. 

Placés  de  la  sorte  entre  deux  camps  acharnés,  les  disciples  de 
Saint-Simon  auraient  été  fort  mal  venus  à  faire  entendre  une  ph 
role  toute  pacifique.  Enseigner  alors  le  dogme  du  maître ,  prêcher 
l'autorité  à  une  époque  où  Ton  abusait  de  l'autorité,  parler  d^nn 
christianisme  nouveau  à  des  populations  que  fotiguaient  les  prétm, 
déployer  le  drapeau  d'un  schisme  en  face  des  susceptibilités  ortho- 
doxes du  moment,  c'eût  été  se  vouer  à  une  prédication  stérile  et 
dangereuse.  Le  Producteur  tournarécueil.  H  réserva  pour  des  temps 
meilleurs  la  doctrine  sociale  et  religieuse,  et  ne  s'occupa  que  da 
développement  industriel  et  scientifique  de  l'humanité,  d'après  h 
théorie  de  Saint-Simon.  Des  plumes  vigoureuses  et  exercées,  des 
talens  pleins  de  jeunesse  et  de  verve,  des  hommes  d'élite,  parmi 
lesquels  nous  ne  citerons  que  M.  Carrel,  restèrent  alors  associés, 
pour  la  rédaction  de  la  feuille,  au  petit  noyau  des  saints-simoniens 
primitifs  ;  et  le  succès  qu'elle  obtint  parmi  les  esprits  sérieux,  ré- 
sulta en  grande  partie  de  ce  concours  d'intelligences  élevées. 

Bientôt  pourtant,  un  changement  survenu  dans  le  format  et 
dans  le  mode  de  publicité  ramena  le  Producteur  à  son  unité  origi- 
naire. De  journal  hebdomadaire  il  devint  recueil  mensuel.  Ceoi 
qui  ravaient  fondé,  puis  transformé,  le  soutinrent  pendant  quelque 
temps  encore,  après  quoi  il  s'éclipsa  un  beau  jour,  faute  de 
5,000  francs  annuels  pour  le  continuer.  Les  apôtres  n  étaient  pas 
opulens,  et  les  mains  qui  jusque-là  avaient  feit  les  avances,  étaieot 
lasses  de  donner.  Le  Producteur  mourut. 

Dans  sa  courte  existence,  bien  qu'empêché  par  des  craintes  de 
saisies  judiciaires,  il  avait  posé,  en  fece  du  gouvernement  le  plus 
ombrageux,  une  foule  de  questions  hardies  et  radicales.  Il  avait 
parlé  de  l'affranchissement  de  l'industrie,  quand  régnaient,  dans 
toute  leur  gloire,  les  théories  de  M.  de  Mayrinhac  et  les  tarifs  de 
M.  deSaint-Cricq;  il  avait  convié  et  excité  à  une  œuvre  d'orga- 
nisation nouvelle  les  savans ,  les  artistes,  les  financiers ,  ces  puis- 
sances indépendantes  que  l'on  craignait  tant  alors.  Le  Producteur 
avait  fedt  plus  encore  :  il  avait  prêché  l'union  et  l'oubli  à  l'opinion 
dominante,  et  hasardé  des  mots  de  réforme  sociale,  précoces  et 


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SOCIALISTES  MODERNES.  305 

aiidacieux.  Cétait  beaucoup  que  de  se  déclarer  neutre  en  temps  de 
guerre,  que  de  se  mettre  entre  deux  armées  qui  se  battaient,  au 
risque  de  se  voir  frappé  par  Tune  et  par  Vautre,  et  avec  la  certi- 
tude d'être  impuissant  à  les  pacifier.  Ce  dévouement  opiniâtre,  cette 
patience  à  éclairer  les  questions  de  Tordre  industriel,  que  dénatu- 
raient alors  les  desservans  de  la  statistique;  cette  persévérance 
désintéressée  dans  une  œuvre  calomniée  et  méconnue,  tout  cela 
caractérise  et  honore  les  jeunes  philosophes  pour  qui  le  Producteur 
fut  une  espèce  de  prologue  àTapostolat.  La  tâche  solitaire  qu1Is 
poursuivaient  avec  une  obstination  consciencieuse  était  d'autant 
plus  méritoire,  que  Téclectisme  doctrinaire  remplissait  alors  le 
monde  de  ses  mérites,  et  qu'à  côté  de  leur  feuille,  pauvre  et  mo- 
deste, débutant  comme  le  maître  avait  fini,  par  Tindigence  et  un 
ai^l  à  des  bourses  profanes,  rayonnait  un  journal  semi-périodi- 
que, organe  de  cette  philosophie  transitoire  qui  vulgarisait  tout  sans 
contrôle,  quelquefois  sans  discernement;  philosophie  de  beau  style 
et  de  belles  formes,  qui  n'eut  guère  que  des  vertus  négatives,  même 
au  jour  où  elle  prévalut. 

ffl.  —  DEUXIÈME  ÉPOQUE. 

Enseignement  de  la  me  Taranne.  —  Ezpoiîtion  de  la  Dootrîne. 

Quand  le  Producteur  tut  mort,  on  put  croire  que  le  saint-simo- 
nisme  avait  fini  en  même  temps  que  lui.  La  presse  philosophique 
le  crut;  elle  sonna,  avec  le  zèle  et  la  grâce  d'une  rivale,  les  funé- 
railles de  la  doctrine  nouvelle.  Mais  il  en  est  de  la  parole  répandue 
dans  le  monde  comme  de  ces  semences  que  le  vent  promène  d'une 
zone  à  l'autre,  qui  traversent  les  mers  dans  le  bec  de  Toiseau,  et 
vont  germer  loin  de  l'arbre  qui  les  vit  mûrir.  La  publicité  du  Pro- 
ducteur avait  eu  un  rayonnement  borné,  mais  choisi  :  un  petit 
nombre  de  lecteurs  attentifs  s'était  mis  peu  à  peu  dans  le  courant 
d'idées  de  la  doctrine,  et  avait  senti  à  son  unisson.  Des  sympathies 
réelles  étaient  acquises  aux  principes  ;  le  désir  de  voir  les  hommes, 
de  les  connaître,  d'apprendre  de  leur  bouche  le  complément  de  la 
philosophie  saint-simonienne ,  tourmentait  quelques  têtes  plus  en- 
thousiastes que  les  autres.  On  s'écrivit,  on  se  visita, j[>n  s'aboucha; 
des  correspondances  s'organisèrent;  des  réunions  eurent  lieu;  des 
centres  de  propagation  se  formèrent  sur  divers  points.  On  pro* 
TOME  vu.  SO 


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30ft,  REyoB  DBS  f^mpL  xamsAi 

céda  mém^  dè«-lar6  à  un  syatàme  d'afgliatîMi^  mvio^alMaini 
br^uees^  Quoique. les  ap^ites  euaseni  éié  oblî^  de  fenoweriJbi 
presse ,  coiQfl^e  infkieiiee  périodique,  ils  s^ea  «ervireul  p«riaAnN^ 
railteiiee,  poiv  prâcher  leurs  idtes  daas  des  brochwe»  er  d«M. 
di^  livres,  Ces  ouvrages  n'éiiii^t  poini  wx^piv»:  compte!  de  It^ 
phj]i<»âaphie  de  Saini-Sîioon ,  mais^uJeiiient  de»  théoMS  indostiists. 
oujM^ien|ifiques>  dé^eloppte  diaprés  la.  méthode  ^.^eklfiiMi^ 
rium  de  la  doctrine^ 

Bi^ntÀt  anAsi^»  en^igi)9»(ep4i0ral  s'owrii4ai»B  une  aalle^rae; 
Taraoi»^»  et  M.  jBas^cd  j  poiHrswril,  dans  une  longw  suîfte  de^oi» 
férenioes^  LEjcpmt'tan  ^ompiH^ide  luifoi  9ai9Utsimoniemi€M.Akms}imi 
iojtàatîoQi»  aUèremcbaqw  jour  eiiai«giReQisuit;J*éQol6^ere(ma. 
surtout  parmi  les  hommea  qiiîvse  paient  le  moius  à»  rèyenis, 
permi  les  élèves  de  TÉcole  Polytechnique,  ce  sanctuaire  deasaor 
ces  positives.  C'est  à  cette  date  qu'il  ifojiii  rappoiDler  les  afifiliaiioM) 
de  MM.  Garnot^  Miabel  Chevalier,  FourueU,  Pugied,  Bacraok^ 
Charles  Duveyrier,  Talabot»  et  quelques  autres^qui,  av^o  MMi  Bu* 
zardy  Enfantin  et  Rodrigues,  premier  trinAme  saiat^siaKMiieny 
composèrent  le  noyau  de  philosophes  et  de  prôtres  qui  devaient 
plus  tard  constituer,  ce  que  l'on  nomma  le  grand  collège. 

L'enseignement  de  la  rue  Taranne  fit  faire  un  grand  pas  à  la 
doctrine.  Les  matières  se  trituraient  en  commun  entre  MM,  Bazard 
et  Enfantin;  ce  dériver  pr^e^sant  toujpui*^  Fautre^  éveiUiuit  les 
qupsfjp^sjuxi^  à  UQ^,  et  les  livrapt  < ensuite  i  la^  déduction  in»'- 
Yonsf^f  à  la  sagacité  didactique,  «de  son^coilégiie.  Après  aroir  ptr^ 
co^U  et  réglé  dans  le  Produolteur  la  sâri^  di^a  £»it8  indu^triisla,  kti 
esprits  jn^pulsifs  de  Técole  expliquèrent,  dana  i'£^paMiîM  orafe, 
les  autres  phénomènes  de  Vactivité  bumaimp  et  direntr  la  loi  qui- 
devait  féconder  son  avenif^  Ce  n'était  plus  alor^une  démoiisitraiîeB< 
étriquée  et  partielle;  c'était^lasçiencei générale qui,all»| dérouler 
ses  magnificences^ 

La  première,  partie  de  cette  EjçposiUon  de  ladoi^ne  n^  conte- 
nait que  fort  peu  d'indications  or^^aniqnes.  La  critiqpey  dûmkuà. 
le  reste  ;  elle  s*y  était  fait.une  large  part.  Céuit  le  view imBd» m 
présence  du  pouveau  ;  Vun^sur  la  sellette,  Tautr^sur  un  fouteuil  dt 
juge.  Dans  uq  dé^at  ainsi  ppsé,  on  devine  quel  deyaitéf  rye^  vaioeo^ 

r£j77p.si/îpn  commence  par  déplorer  la|^t|uatjapi  doiiloureuw 
dans,laq\iel}ejieirouy^Ja  /société  ^uropéeni^  ]^  hitte  ai  Fi 


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mCIÂlf STES  MODEKIVES.  'SO? 

Igoiibiiie  soiit  pattoiit^  la  o6bésîon  efla  concordene  soûtniille  patt. 
Tons  les^Jens^seTélàchent;  le  regret  et  la  crainte,' la  déflance  et 
ia hakte; le  charlatanisine'et laruse apparaissent  aussi  bien ^ans 
TwrTdatioftsgénérrfcstpietlans les  rapports  individuels. Ce  désoi^ 
•tffe,  cette  anarchie,  se  retrouvent  dans  la  politique  qui  nous  divise 
•an  nom  du  pouvoir  et  dcf  la  liberté  ;  dans  les  sciences  que  rien  ne 
ïeetttredles,  quf  marchent  ^disjointes  et  nu  hasard;  dans  Findus- 
trie  que  ronge  la  lèpre  de  la  concurrence;  dans  les  beaux  arts tpii 
languissent,  privés  d'inspirations  vastes  et  fécondes. 

^^QnMàdV Erpontion  a  amsi  caractérisé ,  à  son  point  de' rue,  les 
^sociétés  modernes,  elle  convie Thumanité  à  une  autre  nature  de 
rapports  ;  die  indique  aux  mortels  divisés  or  urilien  d*affection,  de 
^'doctrine  etd'activité^tpii  doit  les  unir,  les  foire  marcher  «n  paix, 
^avec  ordre,  avec  amour,  vers  une  commune  destinée,  et 
a  donner  à  la  société, au  glèbe  lui^^méme,  au  monde  tout  entier , 
xr  un  caractère  d'union,  de  sagesse  et  de  beauté,  jd 

l^ur  arriver  à  la  démonstration  de  ce  feit,  TExpontûm' procède 
par  la  méthode  historique  relie  ouvre  le  livre  des  tradition^'ei 
fiait  voir -comment  rfaumanité  a  marché  vers  Saint-Simon  parles 
périodes  d'-égoîsme  et  d^^béisnie;  elle  formule  et  fonde  son  sys* 
tème  annaliste  sur  la  science  de  Tespècc  humaine  ;  elle  y  trouve  la 
justification  d'une  tendance  irrésistible  vers  Tassociation  unîveF- 
seHe,  puis  elle  cherche  à  deviner  quel  sera  le  père  de  cette*  race 
-  ftitiire,  BHede  Fassodatton ,  quMe  sera  la^viUe  inittatidoe  iki  geiif«e 
humain  ,•  la  Ville  du  progrès  TOodcme,  comme  l'ont  été,  aux  temps 
anciens, 'iémsalem,  la^Kome  impérriklett^'la^Bome  chrétienne. 

'Passant  àrTautres  intérêts,  rBjrpowfian  constate  par«(ueMibus 
du*foit  r  homme  a  été  jusqtfiti,  toujours  et  partout ,  exploité  par 
Phomme  :  tfHe  proclame  le  droit  nouveau  :  «  A  chacun  suivant  sa 
tf  capacité;  à  Chaque  capacité  suivant  ses  ceuvres;  »  droit  qui  «est 
appelé  à  détrèner  les  privilèges  de  la  conquête  et  de  la  naissance. 
Personne  désormais  n'aura  recours  à  la' force,  caria  force  n'est 
utile  que  pour  imposer  un  abus.  D'où  il  suivra  que  l'ancienne  or- 
ganisation, militaire  et  oisive,  fera  place  à  l'organisation  active  et 
padliqtte  des  travidleurs,  classés  selon  la  hiérarchie. 

De  cet  appel  aux  travailleurs  conviés  à  un  droit  nouveau,  l'Ex- 
posiiien  arrive  à  Texamen  de  la  loi  constitutive  de  la  propriété,  ici 
la  doctrine  tranche  dans  le  vif  de  la  richesse  actuelle  :  Jésus  a 

20. 


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308  EEVUB  DES  DEUX  MONDES. 

ïit  :  a  Plus  d'esclavage!  »  Saint-Simon  s*écrie  :  a  Has  d*lièri- 
ff  tagel  o  Après  quoi  conune  la  nature ,  qui  &uche  des  honmies 
chaque  jour,  exige  un  système  quelconque  de  successibilité,  tEx- 
position  y  pourvoit  et  adjuge  aux  chefs  de  la  doctrine  le  letoor 
de  tous  biens,  devenus  ainsi  à  la  fois  communs  et  mainHoortt- 
bles,  à  la  charge  seule,  pour  le  suprême  collège,  de  faire  èlevw  les 
enfans  dans  une  direction  professionnelle,  de  les  doter,  de  les 
surveiller,  de  leur  tenir  lieu  de  père  et  d'héritage. 

Des  vues  de  législation  assez  étranges,  des  critiques  générales 
ou  minutieuses  sur  Tétat  actuel  des  sciences  humaines ,  complètent 
cette  première  partie  de  l' Exposition.  La  seconde  partie  est  [dos 
sérieuse,  plus  travaillée,  plus  vaste:  elle  aborde,  quoique  toujours 
sous  des  termes  mystérieux  et  emphatiques,  les  problèmes  de 
l'organisation  future.  C'est  là  que  M.  Bazard  écrivit  et  écrivit  seul 
les  prolégomènes  de  la  doctrine  qui  allait  passer  à  l'état  de  refi- 
gion.  Le  dogme,  la  morale,  le  culte,  s'y  trouvent  sinon  formulés 
nettement,  du  moins  indiqués  de  telle  sorte,  que  plus  tard  cet  écrit 
put  fournir  une  longue  série  de  thèmes  aux  enseignemens  da 
Globe  f  aux  prédications  de  la  salle  Taitbout,  et  aux  orageux  dé- 
bats de  la  famille  de  la  rue  Monsigny .  Quand  M.  Bazard  mettait  ea 
ordre  ce  beau  et  lumineux  travail,  si  nourri  de  faits  et  d'études,  il 
ne  se  doutait  pas  que  le  texte  en  serait  plus  tard  invoqué  contre  lui, 
et  qu'au  bout  de  cette  longue  traite,  épuisé  autant  qu'épouvanté 
du  chemin  parcouru,  il  trouverait  son  collègue  Enfantin  qui  lui 
crierait  :  or  Marche  I  »  quand  il  eût,  lui,  fait  si  volontiers  une  halte. 

C'est,  du  reste,  ici  le  moment,  à  la  veille  de  la  transformatioii 
retentissante  que  va  subir  le  saint-simonisme,  de  résumer  sa  foi, 
telle  qu'elle  résulte  de  l'Exposition  et  des  œuvres  qui  en  sont  la 
glose.  U  faut  seulement  laisser  à  l'écart,  comme  réservées,  les 
questions  qui,  dans  la  suite,  soulevèrent  des  tempêtes. 

Commençons  p^r  la  tète  du  système  :  Dieu.  Voici  le  Dieu  saint- 
simonien  dans  une  première  définition  : 

a  Dieu  est  un.  Dieu  est  tout  ce  qui  est;  tout  est  eu  lui,  tout  est  par  lai; 
tout  est  lui.  Dieu ,  l'être  infini ,  universel ,  exprimé  dans  son  unité  virante 
et  active,  c*est  l'amour  infini,  universel,  qui  se  manifeste  à  nous  sons 
deux  aspects  principaux,  comme  esprit  et  comme  matière,  ou,  ce  qui 
n'est  que  l'expression  variée  de  ce  double  aspect ,  comme  intelligence  et 
comme  force,  comme  sagesse  et  comme  beauté»  L'homme,  représeau- 


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SOCULISTBS  MODERNES.  309 

tioD  finie  de  Fétre  iofiol  ^  est ,  comme  loi,  dans  60d  unité  active ,  amonr; 
et  dans  les  modes ,  dans  les  aspects  de  sa  manifestation  ^  esprit  et  matière, 
iotelligence  et  force ,  sagesse  et  beauté,  b 

Plus  tard  M.  Enfantin,  pour  aider  les  mémoires  paresseuses, 
abrégea  cette  longue  et  nuageuse  définition.  Voici  la  sienne  : 

«  Dieu  est  tout  ce  qui  est  ;  tout  est  en  lui ,  tout  est  par  lui. 
c  Nul  de  nous  n'est  hors  de  lui ,  mais  aucun  de  nous  n'est  en  lui. 
c  Chacun  de  nous  rit  de  sa  vie ,  et  tous  nous  communions  en  lui ,  car  il 
est  tout  ce  qui  est.» 

Après  le  Dieu  y  lé  Messie. 

Saint-Simon  était  ce  Messie.  Il  ne  relevait  que  de  sa  nrisnon  di- 
Tine.  Comme  Jésus,  il  avait  été  envoyé  pour  annoncer  au  monde 
une  doctrine  bien  plus  complète,  bien  plus  sympathique  que  le 
christianione.  Écoutez  : 

c  Le  monde  attendait  un  sauveur.^....  Saint-Simon  a  paru, 
c  Moïse,  Orphée,  Numa,  ont  organisé  les  travaux  matériels. 
t  Jésus-Christ  a  organisé  les  travaux  spirituels, 
c  Saint-Simon  a  organisé  les  travaux  religieux, 
c  Donc  Saint-Simon  a  résumé  Moïse  et  Jésus-Christ. 
«Moïse  serait  dans  l'avenir  le  chef  du  culte,  Jésus-Christ  le  chef  du 
dogme  ;  Saint-Simon  serait  le  chef  de  la  religion ,  le  pape.  » 

Pour  édaircir  tant  soit  peu  ce  mythe,  cette  fusion  du  travail 
matériel  et  du  travail  spirituel,  absorbés  l'un  et  l'autre  dans  le 
travail  religieux,  U  faut  avoir  la  clé  de  ce  que  l'on  a  nommé,  dans 
Técole,  le  dualisme  catholique,  le  combat  de  l'esprit  contre  la 
chair,  de  Tintelligence  contre  la  matière.  Au  lieu  d'adopter  cette 
division  consacrée  jusqu* alors,  le  saint^imonisme  s'annonça  comme 
devant  l'annuler,  l'heure  étant  venue.  Ces  deux  principes,  dé- 
mens d'une  lutte  éternelle ,  an  lieu  de  se  combattre  allaient  désor- 
mais se  OHiibiner ,  recevoir  une  impulsion  unitaire,  se  sanctifier 
lun  et  l'autre,  et  l'un  par  Vautre.  Avant  notre  époque,  cette  cause 
de  conflit,  introduite  dans  les  diverses  reliions  régnantes,  les 
avait  rendues,  disait  Técole,  vicieuses  et  incomplètes.  Le  prindpe 
du  bien  et  du  mal  proclamé  par  la  Genèse,  les  dieuxbons  ou  mauvais 
du  paganisme  grec  et  du  fétichisme  hindou,  avaient  amené  ce  dua- 
lisme interminable,  cet  antagonisme  dogmatique  qui  se  résumait 
pour  Fhumanité  en  révolte  des  sens  contre  la  raison,  révolte  fu- 
neste, qui  tenait  l'ame  et  le  corps  dans  un  état  d*irritation  et  d'hos- 


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■JSM  MmiB  BB8  BBirX  «OlIDES. 

•tilité  oonMtBteSy  et  qniy  passant  de  l'ordre  idéal  dans  Fordie 
«positif,  réagissait  sur  les  lois,  sur  les  mœurs,  snr  les  habitodei, 
sur  rorganisation  sociale  et  politique;  créant  ainsi,  d'une part^ks  j 
t haines  entre  individus,  dé  l'aimre  les  guerres  entre  nations. 

Donc  il  faBait,  pour^^se  Thumanié  arritfttâ  la  oompUtéb»-  \ 
monie  de  ses  forces,  que  la  chair  et  la  matière  fassent  réhalNitéei. 
Il  fallait  Mre  justice,  dans  une  loi  nouvelle,  de  toutes  les  abomi-  ^ 
nations  et  de  toutes  les  erreurs  île  la  loi  ancienne;  des  suppBoi  i 
volontaires  du  fakir  hindou,  comme  des  macérations  et  des  jeûaei 
du  cénobite  chrétien.  Les  devises  catholiques:  e'Ifortifiei-feQs; 
a  abslenez-YOus,»  devises  négatives  et  vie3Ues,  deraîent  sereli* 
Ter  devant  c^e^â  :'«  fiaoctîiee-inous  dans  le  travail  et  daas'b  ^ 
a  plaisir.  » 

Ce  dualisme,  admis  une  fois  comme  élément  et  eomnefonw, 
avait  dû  se  glisser  jadis  et  suinter,  par  miHe  fiisiires  inpetoep-  i 
tibles,  de  la  base  au  sommet  de  Thamanté,  a^ialHaer  daas^les 
mœurs  et  dans  les  institutions,  dans  les  peuples  et  dans  les  goafe^ 
nemens.  Ainsi  la  distineiion  entre  la  chair  et  l'esprit  avait  conduit 
à  reconnaître  deux  directions,  l'une  temporelle,  l'autre  spiritodk, 
à  proclamer  deux  maîtres,  un  empereur  et  un  pape ,  chacun  arec 
sa  hiérarchie  et  ses  attributions  distinctes.  Les  paroles  :  <  Ifon 
a  royaume  n^est' pas  de  ccnonde.  ---Rendez  à  César  ce  qme^i 
9  César^etàDieuee  quiest  àDieu,  j»  avaient  étalArpour  le  diris- 
lîanisroe  cette  préansse  orageuse,  dont  la  eonséffuenoe  apparais- 
sait *d»s  unet|Kuerre  de  dii^tiifitcenta  «as,  entre  letemrporèlecle 
spirituel. 

Le  samt^^iBonisne'tt'iMimettàlt  pas  ce  thièl;  il  n'admettait  fos 
que  Ihimanité  dût  *écre  ainsi  à  tout  jamais  écartelée ,  tirée  àdrcîte 
par  la  chair ,  tirée  à  gauche  pai^Vesprit,  ne  safchant  que  croire  on 
de  ses  instincts  ou  de  ses  idées  ;  il  n^ admettait  pas  ces  deux  forces 
rivales  s'annulant  dans  le  choc,  ces  deux  glaives  toujours  prêts  à 
ae  croiser  ;  ces  deux  prmdpes  obligés  de  vivre  ensemble  et  de  lot- 
1er  toujours.  Le  prêtre  de  Saint-Simon  devait  reMer ,  d'après  son 
expression,  la  chair  et  l'esprit,  et  sanctifier  l'un  par  l'autre. 

Cette  sanctification,  cette  réhabilitation  de  la  chair  n'était  for- 
mulée toutefois  dans  l'œuvre  de  M.'Bazard  que  d'une  manière  im- 
plicite ;  mais  M.  Enfantin  sut  la  dégager  du  fond  même  de  la  déinoih 
stration  et  se  servir  de  cette  arme  contre  celui  qui  l'avait  forgée. 


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aocuusTKs  uovwmt  S|4 

Huod  phis  tard  la  controverse  se  fut  engagée^  enlre  saînt-si- 
loniens,  sur  les  questions  de  morale,  on  argua»  pour  battre  les 
iisâjdeas,  de  cette  partie  du  dogme,  qui  n'avait  eu  d*abord,ec 
[«■s  la  pensée  même  de  rapAtre ,. qu'une  sigmfication  politique. 

Ce  qu'on  voulait  en  effet,  vers  ce  temps,  avant  que  la  Camille  de 
a  rue  Monsigny  eAt  été  fondée ,  c'était  la  constitution  de  l'autorité, 
a  la  règle  de  la  hiérarchie.  On  entendait  prouver  Futilité  d'un  cu- 
m),  la  puissance  d'une  fusion  entre  deux  pouvoirs  jusqu'alors 
tiraillés  et  distincts.  On  voulait  dire  :  a  H  n*y  a  plus  un  empereur 
r  et  on  pape  ;  il  y  a  un  Père.  »  On  méditait  un  régime  qu'à  défaut 
d'autre  nom  on  peut  appeler  théocratique. 

Cette  théocratie  ou  association ,  comme  on  voudra,  divisait  l'hu- 
nanitéen  trois  classes  ;  savans,  artistes  et  industriels  ;  hiérarchi- 
quement soumis  aux  premiers  industriels,  aux  premiers  savans» 
aoxpremierd  artistes.  Ces  chefs  devaient  administrer  les  intérêts 
matériels  et  intellectuels  delà  société  saiiit-simonienne,  dans  les 
voies  et  selon  Tesprit  de  la  formule  du  maître  :  a  l'amélioration  du 
«  son  moral ,  physique  et  intelIect^el  de  la  classe  la  plus  nombreuse 
a  et  la  plus  paavre.  »  Ds  devaient  le  faire  suivant  le  mode  de  répar- 
tition fixé  par  la  deuxième  formule  :  a  à  chacun  suivant  sa  capa- 
<r  cité;  à  chaque  capacité  suivant  ses  œuvres,  d 

Ainsi  par  la  foi  nouvelle  et  i  l'aide  de  ses  organes,  la  cité,  comme 
le  département,  comme  l'état,  comme  l'humanité,  marchait  vers  un 
but  unique  j  but  immense  et  fécond  !  Hais  par  quelles  lois  allait-on 
tendre  vers  cette  ère  d'harmonie  universelle  et  de  sublimes  ma- 
gnificences? Quelle  allait  être  la  règle  fixe  et  reconnue  des  nouveaux 
rapports  de  l'humanité?  Le  droit  romain  et  français  périssant  en  up 
jour,  qu'allaiton  consacrer  à  sa  place?  Aux  époques  critiques, 
comme  le  sont  toutes  celles  que  le  mondé  a  traversées  jusqu'ici,  Thu- 
manité  pouvait  et  devait  se  contenter  de  lois  mortes  ;  mais  une  épo- 
que organique,  l'époque  saint-simonienne  appelait  la  loi  vivante. 

«Uloi  vivAXrg  (i),—  c'e^j^M^Ba^iarA^  g«rl9rr*1M  fe  trottFc  qu'aux 
époqoef  organiques;  et  ^Xon  la  loi»  c'eç),  rhûf;oq^{  tovlo^ra  ell^  A  un 
nom^et  ce  no^n  est  ce^ui  de^on  auteur.  Et  d'aji>ior,4çeUe  q^l  di)ipine  toutes 
les  autfQs,  celle  qui  a  fondé,  la  société,  c'est,  selon  l^.tem{(S.|  ou  la  Ipi  de 
Numa,  ou  {a  loi  de  Moïse,  ou  celle  duXhrist,  cqmmf^  .dwis  l'avenir,  ce 

(<)  tj^iitifn,  tome  n. 


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512  RETUE  DES  DEUX  MONDES. 

sera  celle  de  Saint-Simon.  Bien  loin  alors  que  la  société  s'efforce  de 
mettre  dans  Tombre  le  législateur  suprême  dont  Tamour  prophétique hd 
a  donné  naissance,  elle  s'empare  de  son  nom ,  elle  Fincame  en  elle;  c'est 
par  ce  nom  qu'elle  est,  et  c'est  en  lui  qu'elle  se  glorifie  d'être.  Touto 
les  lois  qui,  dans  la  suite  des  temps,  se  produisent  comme  l'interpréu- 
tion,  le  développement  ou  le  perfectionnement  de  la  loi  révélatrice,  de- 
viennent également  inséparables  de  leurs  auteurs. 

«C'est  toujours  le  législateur  qu'on  aime;  c'est  à  lui  qu'on  obéit 

Dans  l'avenir,  toute  loi  est  la  déclaration  par  laquelle  celui  qui  préside 
à  une  fonction ,  à  un  ordre  quelconque  de  relations  sociales,  fait  connaitrr 
sa  volonté  à  ses  inférieurs,  en  sanctionnant  ses  prescriptions  par  de; 
peines  ou  par  des  récompenses.  » 

Voilà doncle  prêtre,  non-seulement  chef  spirituel  et  temporel, 
mais  législateur  et  juge.  Il  sera  plus  encore.  H  sera  le  manutentear 
et  le  distributeur  de  la  fortune  sociale  :  il  la  recevra  par  voie  d'hé- 
ritage, pour  la  rendre  à  chacun  et  à  tous  en  instrumens  de  travafl. 
Ainsi  tout  sera  concentré  dans  les  mêmes  mains;  action  impolsiTe, 
action  coërcitive;  tout  marchera  dans  une  pensée  et  vers  un  bol 
uniques.  Il  y  aura  des  millions  de  bras,  il  n'y  aura  qu'une  tête,  l'o 
honmie  résumera  rhumanité.  Toute  lumière  viendra  converger  en 
cet  homme  pour  rayonner  ensuite,  hors  de  lui,  plus  vive,  plus  fé- 
conde, plus  pure.  Cet  homme,  ce  pontife,  ce  sera  le  plus  fort  Je 
plus  sympathique,  le  plus  généralisateur  de  tous  les  êtres  vivans; 
il  embrassera  dans  son  amour  et  l'amour  du  prêtre  de  la  science  et 
l'amour  du  prêtre  de  Tindustrie;  il  reliera  socialement  les  théori- 
ciens et  les  praticiens.  C'est  lui,  la  loi  vivante,  qui,  d'un  coap<<l*cul 
et  par  une  sorte  d'intuition,  se  posera  à  sa  place  et  réglera  ensdie 
l'échelle  des  vocations  et  des  aptitudes,  la  hiérarchie  des  capacités, 
et  le  tarif  des  salaires;  c'est  lui  qui  sera  l'angle  lumineux  de  U 
création  nouvelle,  qui,  abreuvé  de  l'amour  de  tous,  s'épandraen 
tocrens  d'amour  ;  c'est  lui  qui  donnera  de  l'unité  au  travail  général 
par  la  direction  harmonique  de  tous  les  travaux. 

Telle  fut  la  préface  du  saint-8imonisme;tel  fut  son  easeigoe- 
ment  public  avant  l'heure  de  la  pratique.  Ces  travaux  préparatoires 
portaient  l'empreinte  d'une  conviction  lentement  acquise.  Obscurs 
souvent,  parfois  déclamatoires,  ils  se  présentaient,  enyehppié 
d'études  si  fortes  et  si  vastes,  qu'ib  devaient  provoquer  de  la  part 
des  critiques  une  attitude  d'estime  et  de  réserve.  La  chose  se  passait 
d'ailleurs  dans  on  petit  oerde  d'esprits  élevés,  sans  retenlisseineot 


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S0CUU8TE8  MODERNES.      .  313 

extérienr^  sans  édat,  sans  scandale.  Vers  le  milieu  de  1830,  ce 
Ibéâtre  parut  trop  étroit  aux  saint-simoniens.  Leur  pièce  était  trc^ 
belle,  pour  qu*Os  se  résignassent  à  la  jouer  toujours  entre  deux 
paravens  et  devant  des  amis.  Il  leur  fallait  une  scène  plus  vaste  et 
plus  orageuse  :  Os  avaient  soif  des  bravos,  peut-être  même  des  sif- 
flets de  la  foule  :  ils  voulaient  se  produire,  attirer  à  eux,  convertir, 
grandir  en  puissance,  se  faire  aimer,  réunir  toutes  les  pensées  en 
une  pensée  commune  ;  enseigner  au  monde  Tamour,  Tharmonie  et 
la  paix.  Ce  fut  alors  que  Técole  devint  une  famille,  puis  une  église. 

IV.  —  TROISIÈME  ÉPOQUE. 

I/Orgaaisatear.  — >  FanûUe  de  1a  me  MonsIgBy.  —  Le  Globe.  *- 
P^édieatioas  piiblM|«ef . 

Le  premier  retour  à  une  propagande  ouverte  fut  la  fondation 
d'un  organe  spécial  du  saint-simonisme.  L*  Organisateur  parut  avec 
une  périodicité  hebdomadaire,  et  cette  fois  rien  d'étranger  à  l'école 
n'eut  accès  dans  la  feuiUe.  L'Organisateur  fut  une  chaire  purement 
saint-simonienne. 

La  fondation  de  la  hiérarchie  remonte  aussi  à  la  même  époque. 
Dans  l'ordre  des  dates,  H.  OUnde  Rodrigues,  le  disciple  direct  de 
Saint-Simon,  aurait  dû  être  le  premier  pontife  de  la  religion.  Hais  la 
loi  hiérarchique  n'admettait  ni  droit  d'héritage,  ni  priorité  d'avéne- 
ment  ;  die  ne  saluait,  ne  reconnaissait,  n*acclamaii  que  la  capacité. 
MM.  Enfantin  et  Bazard  se  posèrent  donc,  en  leur  qualité  de  plus 
sympadiiques  et  de  plus  capables,  comme  les  chefs  de  la  doctrine. 
On  les  accepta  comme  tels.  En  effet,  nul  n'avait  qualité  pour  mar- 
chander leur  couronne  :  la  date  de  leur  initiation,  leurs  travaux 
longs  et  gratuits,  leurs  belles  et  savantes  facultés,  tout  les  portait 
à  ce  poste,  à  l'exclusion  d'autres  prétendans. 

On  a  beaucoup  disserté ,  dans  le  temps,  sur  le  mérite  comparatif 
de  MM.  Bazard  et  Enfantin  ;  on  a  cherché,  en  eux,  quelles  étaient 
les  facultés  analogues ,  quelles  étaient  les  facultés  dissemblables. 
Pour  notre  part,  il  nous  a  semblé  que  la  nature  de  leur  organisation 
excluait,  chez  ces  deux  hommes,  la  pensée  d'un  long  accouplement, 
d'une  solidarité  durable.  M.  Bazard,  élevé  à  l'école  de  nos  luttes 
politiques,  ayant  souffert  par  elles  et  pour  elles,  aimait  encore, 
malgré  lui  et  à  son  insu,  la  cause  révolutionnaire  qu'il  avait  défen-* 


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^Si4  METtrE  *MS  Mt/X^MMES. 

'}énéyyag^mnapB.  iPlus  d^M  fois ,  fMir  Jttgêr  fe  Aàïrfe 

<aieiHie,'il  se  mit  âo^pOkit-de  vue'durinoridé^fofàfte  dontfl  «èt^ 

ia louange etdMt il nédotiteit  le  sarrf^e.'Bbn togideii  d'aites, 

peDsenrinftttfgaMe,  vulgHfisaVfttir  habile  tH^ttine  peu  le  sotit,1tli- 

~lMrdtii>iiyait,  atfr^tmHhémedtmné;  m^  Tenfénmitdeft- 

duictieMr6tdeâét^3l<yppemef!s:  n^dnrà  épuîsiittes 

'  beeognedparHélies^tde  détaQ;  D-seTepo^iCYbhMitSers  qumlchi 

^étaient>ft«ies,«deMandamdti  loisir  pour  en  einbrasserd'avitresyptr 

fetigne  pen^^nrey'peiitMfttre^anssi  partage  aàaù. 

M.  Enfantin  était  d'une  nature  tout-à-fait  opposée  à  odlni 
S*étanttenuconsMnmieHtàl^6cartde*la  politique  courante,  fli) 
avait  rattaché  aucun  souvenir  de  0ympatbie*ou  de  haine;  ilaMitait, 
neutre  et  indifférent ,  à  se^péripéties^les-plus  éclatantes;  il  nesoi- 
geait  au  monde  que  pour  l'attirer  à  ses  convictions,  et  non  pour  s  oc- 
cuper des  siennes;  fl  ne  tenait  à  lui  que  par  les  points  d'ttta- 
:<ehe  arecravenir  saint^imonien:*8a'téte  était  en  travaflcoaMt 
^de  transformations  expérimentales.  On  eût  dit  on  fiiboratdke 
d'idées,  utieiM^ge  d'ei  elles  sortaient  br utes'pour  passer  au  lui- 
noir  de  M.  Bazard.  L'un  était  plus  manipulateur,  Vautre  pfattCki- 
iBiste.Ge)«ii^i^crit«it'miettxqu'iliiepaÂrit;cdm-4à  pariaitnieox 
qu'il  »'écriT«dt.^.  Bàfàntin  trouvait  la^pensée,  M.  Bazard  k  for- 
mulait. 

Si  l'on  voulait  tapproftmifirMeepan^me,  il  serait' fMk  ><fti 
• 'foire  résdltx^  ce  regret,' 'que  ces  deux  esprits  émimns  ae  srfetf 
pas  demeurés  --dans  ^un  poste  où  ils^  s'aidaient,  eè  3s  se  m- 
|>éraie«it  Tan  l^mre.  M.^EhfaAth  hansetaut  M;  Bâtard  thiq» 
-jour,  à  toute  heure,  pour  qu^à  uni  théorème 'démontré  soccédâi 
^on  tfaéorèfme  nouveau;  le-pr^oquant  à  des  hardiesses  lecc»- 
eives  et 'infinies ;" lui  disant  sans  tesse  cren  avant,  «qatHd ce- 
lui-ci voulait  attendre  et  voir;' M.  *Enfamni,  'frappant  cottp'W 
coup,  sann^éserve^et  cfansr  iwensofe ,  étaîtla  pereonaMteittondi 
monde- wmtiBati,  ^yressé  d'awiter,  pressé  de -jouir,  prc«é* 
•régner,  pressé  de  s'installer  dans  une  place  prise.  M.  Batri» 
cherchant  des  biais,  critiquant  beaucoup  et  doorrinant  peu,  Wtf 
l'organe  d'un  procédé  transitoire,  une  voix  de  condKatîen  eow 
l'ordre  nouveau  et  l'ordre  ancien.  M.  Enfentin  se  tenait  §w  h 
*Toie  de  l'taiagîaation  fet  de  la  théorie,  M.  BataM  sur  cdte * 
ia  logique  et  de  la  pratique;  l'un  devait sf adresser  auaentte*^» 


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sogii.isTKg  Mûiniivuu .  Silir 

rame»,  à  la  raiaon.  Que  M.  Bazacd.so*  retirât»  dt.H.  Eafintân,,, 
livré  à  Iai-inéni«|  devenait.. trop  hardi  et  trop  expérimentateur;. 
if»  M.  Enfantin  fit  le  premier  sa  reU'aite  >  et  11.  Basard  restait 
sana  force  dénwt  set  doutes  et  ses  hésitations  :  ce  n*était  plus  un 
dKf  d'émise,  mais  seulement  un  philosophe  dans  la  plus  belto 
acception  de  ce  mot. 

Oiehfues  germes  de  ditision  que  couvassent  ces  deux  esprits 
sf  anomaux  y  au  jour  de  l'organisation  de  la  hiérarchie,  ils  senn 
blaieot  ne  foire  qu*une  tête  et  un  cœur.  On  fonda  le  collège  dans 
lecpiel  entrèrent  les  initiés  de  la  première  et  de  la  deuxième 
époque,  les  hommes  du  Producteur  et  ceux  de  F  Organisateur. 
Has  tard,  le  siège  de  la  doctrine  fut  transféré  rue  Monsigny, 
où,  i  quelques  mois  de  là,  devait  se  grouper  et  s^installer  la 
famille. 

Ceci  se  passait  à  la  veille  de  la  révolution  de  juillet.  Quand* 
la  victoire  eut  émandpé  les  idées  et  les  affiches,  les  saintrsimo-* 
meos  en  profitèrent  pour  se  donner  une  publicité  de  rues.  Ua 
élraage placard,  signé  Basard-Eafaniin,  vint  se  coller  hardiment 
sur  les  murs  de  Paris,  à  côté  d'une  proclamalion  de  Lafoyette 
et- d'un  appel  à  la  branche  d'Orléaas;  Le  peuple  en  rit^  mais 
ladnusbre  des  députés ,  qui  était  alors  en  train  de  s'effrayer  dé 
tett,  porta  graveiaent  l'affoire  à  sa  barre.  MM.  Dtipiit  et  Mauguin 
signalèrent,  do  haut  de  la  tribune,  une  secte  qui  prêchait  la  com- 
mnnaaté  des  biens  et  la  communauté  des  femmes;  imputations 
anxqaelles  MM.  Fazard  et  Ehfanlin  crurent  devoir  répondre  le, 
1*  octobre  1830.  Voici  comment  ils  le  foisaient  dans  une  bro- 
chure adressée  à  la  chambre  des  députés.  Aux  formes,  aux  pré- 
tentions assoE  modérées  de  cet  écrit,  il  est  facile  de  voir  qu'il» 
prévenait  plutôt  de  l'impulsion  de  M.  Bazard  que  de  celle  de  son 
coBègue. 

c  Oui,  sans  doute,  les  saînt-simoniens  professent  sur  Tavenir  de  la  pro* 
Ffiélé  et  sor  i'aveoir  desJèmmes ,  des  idées  qui  leur  sont  pacticulières  et 
9nJS  rattachent  à  des  vues  toutes  particulières  Jiusii  et  toutes  nouvelles^, 
iOT  U  religion^  sur  ie  pouvoir,  sur  la.liberté,  et  enfin  sur  tous  les  grands  i 
Problèmes  qui  8*agitentai:yoord\)ui  dans  toute  l'Europe  d*une  nuinlère 
sidésordonnée<etsi  violente;  mais  il  s'en  faut  de  beaucoup  que  ces  idées» 
«>ient  celles  qu'on  leur  attribue. 

^l^  Sf stèipft.de  coffunupauté .  des  bieDS.s'entend«  univeneUemenl  du 


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316  unns  des  deux  moiidbs. 

pattage  égal  entre  tons  les  membres  de  la  société,  aoit  da  fonds hû- 
môme  de  la  production ,  soit  da  frait  du  travail  de  tous. 

a  Les  saiot-simouiens  repoussent  ce  partage  égal  de  la  propriété,  qoi 
constituerait  à  leurs  yeux  une  violence  plus  grande,  une  injustice  plus 
révoltante  que  le  partage  inégal  qui  s'est  effectué  primitivement  par  la 
force  des  armes,  par  la  couquête. 

ff  Car  ils  croient  à  rinégalité  naturelle  des  hommes,  et  regardent  cette 
inégalité  comme  la  base  même  de  l'association,  comme  la  condition  in- 
dispensable de  l'ordre  social. 

a  Us  repoussent  le  système  de  la  communauté  des  biens ,  car  cette  com- 
munauté serait  une  violation  manifeste  de  la  première  de  toutes  les  lois 
morales  qu'ils  ont  reçu  mission  d'enseigner,  et  qui  veut  qu'à  Faveoir 
chacun  soit  placé  selon  sa  capacité  et  rétribué  selon  ses  onivrcs. 

a  Mais  en  vertu  de  cette  loi,  ils  demandent  l'abolition  de  tous  les  pri- 
vilèges de  naissance,  sans  exception,  et  par  conséquent  fa de^trturttoiidf 
Vhéritagey  le  plus  grand  de  ces  privilèges,  celui  qui  les  comprend  tous 
aujourd'hui,  et  dont  l'effet  est  de  laisser  au  hasard  la  répartition  des 
privilèges  sociaux ,  parmi  le  petit  nombre  de  ceux  qui  veulent  y  préten- 
dre, et  de  condamner  la  classe  la  plus  nombreuse  à  la  dépravatioD»i 
l'ignorance,  à  la  misère. 

a  Us  demandent  que  tous  les  instrumens  du  travail,  les  terres  et  le 
capitaux  qui  forment  aujourd'hui  le  fonds  morcelé  des  propriétés  parti- 
culières ,  soient  exploités  par  association  et  hiérarchiquement  de  manière 
à  ce  que  la  tâche  de  chacun  soit  l'expression  de  sa  capacité ,  et  sa  richesse 
la  mesure  de  «es  œuvres. 

a  Les  saint-simoniens  ne  viennent  porter  atteinte  à  la  constitutioo  de 
la  propriété ,  qu'en  tant  qu'elle  consacre  pour  quelques-uns  le  privilège 
impie  de  l'oisiveté,  c'est-à-dire  de  vivre  du  travail  d'autnii;  qu'en  tint 
qu'elle  abandonne  au  hasard  de  la  naissance  le  classement  social  des  in- 
dividus. 

» 

«  Le  christianisme  a  tiré  les  femmes  de  la  servitude;  mais  il  les  a  con- 
damnées pourtant  à  la  subaltemitè,  et  partout,  dans  l'Europe  chrétieoae, 
nous  les  voyons  encore  frappées  d'interdiction  religieuse,  politique  et 
civile. 

<r  Les  saint-simoniens  viennent  annoncer  leur  affranchissement  défi- 
nitif, leur  complète  émancipation,  mais  sans  prétendre  pour  cela  abolir 
la  sainte  loi  du  mariage,  proclamée  par  le  christianisme;  ils  viennent,» 
contraire ,  pour  accomplir  cette  loi ,  pour  lui  donner  une  nouvelle  sanc- 
tion ,  pour  ajouter  à  la  puissance  et  à  l'inviolabilité  de  l'union  qu'elle 
consacre. 

a  Ils  demandent,  comme  les  chrétiens,  qu'un  seul  honmie  soit  vm  i 


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SOCIALISTES  MODERNES.  317 

ime  seule  femme;  mais  ils  enseignent  que  réponse  doit  devenir  l'égale  de 
l'époux,  et  qne,  selon  la  grâce  particulière  que  Dieu  a  dévolue  à  son 
sexe  9  elle  doit  lui  être  associée  dans  Texercice  de  la  triple  fonction  du 
temple  y  de  Tétat  et  de  la  famille;  de  manière  à  ce  que  Tindividu  social  » 
quijusqu*àce  jour,  a  été  Tbomme  seulement ,  soit  désormais  l'homme 
et  la  femme. 

ff  La  religion  de  Saint-Simon  ne  vient  que  pour  mettre  fin  à  ce  trafic 
hoDteuXy  à  cette  prostitution  légale ,  qui ,  sous  le  nom  de  mariage ,  con* 
sacre  si  fréquemment  aujourd'hui  Tunion  monstrueuse  du  dé?ouement 
et  de  régolsme,  des  lumières  et  de  l'ignorance ,  de  la  jeunesse  et  de  la  dé- 
crépitude. 

«(  Telles  sont  les  idées  les  plus  générales  des  Saint-Simoniens  sur  les 
chaogemens  qu'ils  appellent  dans  la  constitution  de  la  propriété  et  dans 
la  condition  sociale  des  femmes*  d 

Cette  profession  de  foi ,  assez  explicite,  est  l'acte  le  plus  net  et  le 
plus  précis  que  nous  ait  légué  le  saint-simonisroe.  Cet  acte  est  d'au- 
tant plus  précieux  qu'il  établit ,  à  cette  date ,  sur  quel  terrain  et 
dans  quelles  limites  les  deux  pontifes  entendaient  circonscrire  leurs 
débals  avec  le  monde  extérieur. 

Cependant  Téglise  était  constituée ,  et  qui  plus  est,  elle  prospé- 
rait. Des  apports  d'argent  avaient  eu  lieu  ;  les  membres  du  collège 
ayant  donné  Texemple,  on  commençait  à  pratiquer  la  mise  des 
biens  en  commun  après  l'avoir  professée.  C'est  dans  cette  période 
ascendante  que  le  saint-simonisme  crut  utile  d'avoir  de  nouveau 
une  feuille  à  sa  dévotion,  feuille  dans  laquelle  l'enseignement  oral 
serait  résumé ,  à  côté  de  la  prédication  écrite  et  quotidienne.  Le 
Globe  se  présenta  ;  le  Globe ,  si  fier  quand  le  Producteur  était  si 
hnmble,  le  Globe  s'offrit  par  l'intermédiaire  de  l'un  de  ses  proprié- 
^res,  M.  Pierre  Leroux,  homme  de  convictions  fermes  et  d'un 
talent  élevé,  penseur  profond ,  écrivain  sincère,  revenu  de  la  théo- 
rie républicaine  à  la  formule  du  saint-simonisme.  Un  acte  de  cession 
eut  lieu  le  18  janvier  1831,  et  les  jours  suivans  le  Globe  parut  avec 
le  sous-titre  de:  Journal  de  la  Doctrine  de  SainhSimon  y  laquelle 
«ait  résumée  en  première  page  : 

RELIGION. 

SCIENCE.  INDUSTRIE. 

ASSOCIATION  UNIVERSELLE. 


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3IA-  EETUB  DES  DBOX  ¥0IIDB8. 

a  Toutes  les  institations  sociales  doiveat  avoir  pour  bat  l'améliOTate 
morale  y  intellectuelle  et  physique  de  la  classe  la  plus  nombreuse  et  la  plas 
pauvre. 

a  Tous  les  privilèges  de  naissance  »  sans  exception ,  sont  abolis. 

a  A  chacun  seloa  sa  capacité,  à  chaque  capacité  selon  ses  œuvres. b 

Un  vaste  élan  de  prosélytisme  sui\it  rapparition  da  GMe  des 
SMôt^Smoniens.  Les  imaginatiotis  inquiètes  et  carienses,  les  têtes 
réveases  et  enthoasiastes  allèrent  vers  eux.  La  religion  recruta 
des  poètes  y  des  philosophes ,  des  artistes ,  des  industriels.  A  cette 
date  se  rapportent  une  foule  d*initiations,  celles  de  MM.  Rajoand 
Hoart,  Emile  Pereire,  M"""Bazard  et  Saint  Hilaire,  et  succesâ- 
vement,  à  quelque  distance  les  unes  des  autres,  celles  de  HILLan* 
bert,  Saint-Chéron,  Guéroult,  Charton,  Gazeaux,  Dugueit,  ei  plis 
tard  encore,  Stéphane  Flachat-Mony.  Nous  ne  citons  q^e  les  noms 
de  quelque  intérêt.  En  revancHe,  la  religion  fit  alors  une  perte, 
celle  de  M.  Eugène  Rbdrigues ,  enfant  chaste  et  naïf,  mort  trop 
vite  pour  sa  gloire,  th'éosophe  enthousiaste  qui  laissa  toute  soa 
ame  dans  ses  Lettres  à  Bums  sur  là  politique  et  la  religion.  Comme, 
vers  ce  temps,  les  initiés  étaient  devenus  trop  nombreux  pour  qa% 
pussent  tous  forcer  à  la  fois  les  portes  du  collège,  on  établit,  comme 
une  sorte  de  noviciat,  deux  collèges  préparatoires  du  troisik^el 
du  second  degré,  se  déversant  l'bn  dans  l*^utre,  et  formant  aioa" 
deux  pépinières  où  se  recrutait  le  grand  et  suprême  collège. 
Cette  ère  de  propagande  ascendante  se  résuma  par  la  -constitutioo 
définitive  de  la  famille,  et  par  son  installation  dans  la  rue  Monstgny. 
Ainsi  Tassociation  était  introduite  dans  la  vie  bourgeoise.  On  avait 
fifaidè  le  ménage  à  frais  communs,  la  fannille  en  grand  pour  le 
monde,  la  famOle  en  petit  pour  Saint^imon;  un  spécimen  de  Yhn- 
manité  future. 

Au  dehors  pourtant,  là  religion  feisait  du  bruit  et  presque  da 
scandale.  Diverses  voies  avaient  été  simultanément  ouvertes  à  Ta- 
postolàt.  Prédications,  missions,  brochures,  polémique  quotidienne,, 
tout  rayonnait  au  loin  dans  un  but  de  propagande.  Sous  la  direc- 
tion de  MM.  Hyppolite  Carnot  et  Dugicd  j  renseignement  avait  été 
ouvert  dans  quatre  locaux  différons  :  à  la  salle  Taitbout ,  à  l'Athé- 
née, dans  la  rue  Taranne  et  dans  la  me  Monsigny.  D'hebdoma- 
daires, les  prédkaÉH)ii».étaient  devenues  quotidinmea;  on  les  appro* 
priait  à  l'intelligence  dePanditQire^.oalesLfaidait.vulgaires  et  sim- 


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•j^ponr'jlM  uasiimB ,  pcvétiqaes  ei  Mimées  peur  le^  arfbtes ,  ré- 
vères et  iptèckts  pour  les  Mvans.  Be9  centres  d^organisaliM 
tfaieat  été  organisé»  par  les  soins  de^M^Bmii  Foumel  ëaniles 
doQzvarnwKssaiie»  de  Paris.  Enfin»  six  égKaes^déptftieiwelitales, 
iToolowe^  à  Moiilpdlier/i  Lyon,  à  Meiz,  à  Dijon;  s^éfaient'déjà 
iAes^enr  rapport  arecf  étabKssementmdirDpolitain. 

Doaon^dté)  le  4ï/o^4igissait  commeiiin  levier  incessant  snrtiM 
nassedef  Isnieiirs  que  la  nuriostté  eondnisait  parfois  à  l'examen ,  le 
sarcasme  i  la  réiexion^  >Au  nombre  des  choses  remarquables  qui 
panireat  dans  cette  feuille,  W'fyvt dtertine Économie  fHjlUifiueéù 
M.'EnflMatin^  qm  encmit  dans  les -queetions courantes,  et,  sans  les 
prendrei  au  point  de  vHe  exdo^f  et  absolu  de-Ia  doctrine,  les  résu- 
ttsit enooitibinaisons judicieuses et'pratiqnesJ Le  chef  saint-simo- 
iritn  descendit  nvême  alors  jusqu'à  proposer,  dans  l'organisation 
économique,  quelques  réformes  transitoires. 

Il€dnmiençait  par  poser  ce  principe  : 

ff  La  société  ne  se  compose  que  d'oisifs  et  de  travaitteurs;  \^  politique 
*Ht  SToir  ponr  but  Pamélioration  morale,  physique  et  inteîiectaelle  du 
Mrtder travailleurs,  et  la  déchéance  progressive  des  oisifs.  Les  moyens 
•Mit,  ipanfjanx'oisili,  la  âsMtuction'de'tous'les  privilèges  de  la  nefs- 
■R)ce,'«t>tipnat  aBz*lnrvaill«on,'le'claflwni8nt  sekiirles  capacités  et  la 
attntNMisirevkm  leastm^ras^^ 

CeciétaMi,lll.Enf9nfin'Oon9email<à  ne  pas  exiger  totitâ*un  coup 
la  réaKsMion  absolue  et  complète  de  cette  théorie.  Il  admettait  des 
procédés  <Ie  transition  ;  il  les  créait,  il  les  développait. 

ïami-les  rèfspmes  proposées  parle^t^hèf^sain^-simomen ,  4a  phis 
8éci8ive4lait  l>abolftion4e8  aucœssions  collatérales,  prolégomène 
^ent  de  Paboiitionide  r héritage.  La  succession  collatérale,  avec 
9^  fractioanemensi'wùlliples,  ^ivec  son  eortége  de  procès,  plus 
rainenx  encore  peur  laiseciécé  qvepour  les^individus ,  la  succession 
<'onatéralei  douce -degrés  surtout,  était  une  loi  civOe  d'un^inérite 
fort  contestable,  qu*oir  pouvait  modifier  sans  que  la  société  enfftt 
ébranlée  autrementqu'à  la  snrfece.Ily  ataltutiKté'et  convenance 
àdi^mter  si  cette  succession,  appliquée  en  toutou  en  partie  au  dé- 
^rtvement  de  TimpAt ,  ne  serait  pas'un  instrument  beaucoup  phis 
«cttf ,  beaucoup  plus  direct,  beaucoup  plus  fécond  qu'il  ne  Test  au- 
J^viti'hui  daas'sa  répartition  chanceuse;  à  discuter  encore  si  46 
''••pect  pour  les  privilèges  péouniaires  «de  la  fomiÛe  devait  s'étendre 


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3S0  RBYUB  D£8  NSUX  MONDES. 

si  loin  qae  Ton  dût  préférer,  à  Tintérét  de  toud,  l'intérêt  de  quel- 
ques parens  éloignés,  inconnus  au  défunt,  souvent  ses  eanemis, 
n'ayant  pas,  pour  combattre  des  désirs  impies  et  avides,  Taffec- 
tion  qui  fait  patienter  un  héritier  direct,  Tamour  filial  plus  fort 
qu'une  pensée  de  survivance.  Ce  retour  au  trésor  public  de  succes- 
sions fractionnées  les  aurait  empêchées ,  comme  elles  le  font,  d'^ 
jouter  quelques  cent  mille  francs  de  plus  à  Tépargne  d'un  oisif,  et 
les  aurait  rendues  profitables  à  tous  et  à  chacun  comme  réductiaft 
des  taxes,  n  est  vrai  que  le  drame  et  le  vaudeville  aoraiem  été 
privés  de  la  grande  péripétie  d'oncles  et  de  cousins  morts  dans  1^ 
Indes,  oubliés  et  millionnaires  ;  il  est  vrai  encore  que  la  sucoessioii 
Stephen  Gérard,  ce  leurre  qui  a  duré  dix  ans,  n'aurait  plus  la  h- 
culte  de  remuer  tous  les  Gérard  de  France,  au  nombre  de  deux 
cent  soixante-et-quinze.  Mais  les  Gérard  et  les  vaudevilles  se  se- 
raient résignés  avec  le  temps. 

C'était  donc  là,  selon  M.  Enfantin ,  une  perception  toute  finte, 
une  rentrée  facile  et  variable  seulement,  comme  le  chiffre  de  U 
mortalité  annuelle.  Que  si  l'on  trouvait  un  inconvénient  et  une  oc- 
casion d'abus  à  ce  que  le  gouvernement  héritât,  gérât,  admimstrâc, 
vendit  des  propriétés  main-mortables,  il  était  facile  d'imposer 
tel  droit  progressif  et  presque  équivalent  sur  les  successions,  ea 
les  frappant  d'une  manière  d'autant  plus  lourde  qu'elles  résulte- 
raient d'une  prétention  plus  lointaine.  La  conséquence  de  la  même 
réforme,  son  complément  obligé  devait  être  une  forte  augmentation 
de  droits  sur  l'héritage  au  premier  degré.  Entrer  dans  cette  thèse 
avec  M.  Enfantin,  c'est  toucher  une  plaie  vive,  c*est  froisser  bien 
des  espérances,  contrarier  bien  des  loisirs  àTavance  rêvés; mais  3 
n'en  reste  pas  moins  comme  un  fait  évident,  que  le  droit  sur  les  suc- 
cessions, si  énorme  qu'il  puisse  être,  sera  toujours  l'impôt  le  {dos 
juste  et  le  plus  rationnel ,  parce  qu'il  prend  la  fortune  là  oà  elle  est , 
au  moment  où  elle  change  de  mains,  oii  elle  se  déplace,  souvent 
pour  arracher  à  un  labeur  productif  des  hommes  qu'elle  voue  dé- 
sormais à  une  oisiveté  ou  partielle  ou  complète. 

Après  avoir  indiqué  ce  nouveau  mode  de  perception ,  M.  Enfm- 
tin  aime  à  en  suivre  les  résultats  et  à  en  indiquer  les  emplois  les  phs 
fructueux.  Grâce  à  Tabolition  des  successions  collatérales  et  i 
l'augmentation  des  droits  de  succession  en  ligne  directe ,  on  pou- 
vait supprimer,  d'après  lui,  l'impôt  sur  le  sel,  la  loterie  et  les  ooa- 


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SOCIALISTES  MODBBlfBS.  ^Sl 

tribntions  indirectes,  oa  bien  encore  employer  le  fonds  commun 
qui  proviendrait  de  cette  mesure  à  des  destinations  productives, 
comme  rétablissement  d*écoIes  publiques,  l'amélioration  des  voies 
de  transport,  l'embellissement  des  villes,  la  prc^agation  des  bons 
procédés  agricoles,  etc. 

Placée  sur  ce  terrain,  Téconomie  politique  du  Globe  rendit,  il 
font  savoir  l'avouer,  des  services  essentieb  à  la  cause  de  l'émanci- 
pation industrielle,  que  d'autres  écoles  avaient  déjà  chaudement 
et  utilement  poursuivie.  Les  débats  de  l'amortissement,  de  Tem- 
proot,  de  la  dette  publique,  de  l'impôt,  dont  la  presse  et  les  cham- 
bres étaient  alors  saisies,  trouvèrent  de  beaux  et  rudes  jouteurs 
dans  la  feuille  saint-simonienne.  K  toutes  les  solutions  qu'elle 
présentait  n'étaient  pas  acceptables  et  pratiques,  toutes  ses  criti- 
ques étaient  profondes  et  justes,  armées  de  chiffres  et  de  preuves. 
NoDe  part  la  mobilisation  de  la  propriété  et  l'institution  des  ban- 
ques ne  trouvèrent  des  promoteurs  plus  zélés.  Une  banque,  pour 
M.  Enfantin,  n'était  pas  une  caisse  d'escompte  triant  et  classant 
son  papier;  c'était  une  société  commanditaire  de  l'industrie,  char- 
gée de  distribuer  les  instrumens  du  travail,  de  la  manière  la  plus 
fevorable  aux  producteurs  et  à  la  production. 

A  c6té  du  chef  de  la  doctrine,  d'autres  polémistes,  d'autres  sa- 
vans  surveillaient  les  autres  thèses  politiques  et  industrielles. 
Déjà  H.  Stéphane  Flachat-Hony  poussait  l'industrie  vers  des  voies 
nouvelles  et  progressives.  Doué  d'une  patience  admirable  d'in- 
Testigation,  d'une  lucidité  onctueuse  et  impulsive,  il  éclairait  tout 
à  la  manière  de  Franklin,  en  s'élevant  de  la  recherche  des  faits 
aux  combinaisons  théoriques.  H.  ÉmUe  Pereire  préludait  aussi  à 
cette  réputation  que  le  National  lui  continua  :  le  premier,  il  ven- 
^t  la  statistique,  tant  de  fois  profanée;  il  en  refaisait  la  langue, 
3 en  réhabilitait  l'emploi;  il  lui  rendait  sa  conscience  de  chiffres  et 
«a  loyauté  de  déductions. 

D'autres  cerveaux  élaboraient  la  poésie,  l'éloquence  et  la  philo- 
wphie  saint-simoniennes.  M.  Barrault  évoquait  l'orientalisme  avec 
ses  formes  pompeuses  et  ses  vétemens  drapés.  M.  Michel  Chevalier 
donnait  sur  le  monde  en  périodes  si  sonores  et  si  belles  ;  il  lui  pre- 
ssait une  ère  si  pleine  de  gloires  et  de  magnificences  ;  il  lui  donnait 
^soleil si  beau,  des  moissons  si  dorées,  des  fruits  si  savoureux, 
^  populations  si  épanouies,  tant  de  canaux  et  tant  de  chemins  de 

TOMB  VII.  21 


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71»  ftKia. 

foi:,  taal.da  nohassM/ec  imuéîAnlMimw,  de 

teUfia^¥oIiipt(é%.  da  teUe»  hamnoiiiMi»  «^Me  las  ptu»tii 

i^eaieot  les  yeuai  el  ka  orftittM,^  fr*<iiMiiiMnit  dftMfriAvnsvdPc 

9e  kûssoieiit  becett  par  C8»geniftB*d»«dMMnat.ekdloiy.qn>'a>  nÉ» 

dit  détachés  des  mille  contes  de  '^ihi'lK'rnTiflni  Iiiii  phillMnphfiiniliki 

novalislAs  se  demeuraioin.  )f(ÀBl  <riià.«rTièM«  .li&l«  JLeaeoiiv  J<*mi 

ftajaaud,  Chérie» Buvey'rier^a&taqueieiit,  ée  hmk et I 

k^earde-éterusl  dans  lequel  raoleat  lee  milapbf B^pMs 

et  moderne,  Dieuet  rboHmie;.ilfi'ej|9liq^aieiilîHiiftet  Kuafie  per  h 

théorie  sâint^eimfiBieBiie  ;  ils  dweutaientJa  hiiide  laiegOfattBOylaJai 

de  k  hiérarchie  ;  ilsexplquaieiU  tbttOiaiiit&atADB'lMBlQve^ee  pat^ 

fectibilité  infinie,  sa  progressioii  lenle,.  maia  sike,  .wretiuiaieMr 

tCMijours  meiUemr.  Nobles  et  coneoians  travaux,,€|û  oai  e»  mKLÂê 

guoi  payer  ceux  qnî  les  abordent,  mrtmn  qnmri  iln  r rmfnBf  ineti 

pris-etoéfionnasl 

Cettepérioded*hannomeet,d!iiBioB  natqsa^  quoi  cpitoi^  aàL^ 
dire,  Tapogée  du  saint^simonisme*  Quand,  .au  premier  didnr»' 
ment  intéiieur,  Fanarchie  éclata  entre  ceux  qui  e^en  étaient  iA 
un  argumeot  contre  le  monde,,  quand  on.  .les  vil  a»lgavdàB|iir 
leur  doctrine  contre  les  faiblesses  vulgaires.;  locsqui*ea*i 
lafratûrnîlé  universelle  eut  brusquement  déchiré  son] 
il  y  eut,  parmi  les  profites ^  un  indéfinissable  mewrmnnnf  d'«fî- 
JÛDB  réactionnaire,  et  un  tenipetd'aaFAa  daa&le  paoeélyliwne  d"^ 
dce  supérieur.  €e  qui  survint  ensuite,  eft  kil  dn.progreeaMe-^ 
de  conquêtes,  résubait  de  i:élai^primitif  ;^*éaMtpffeefi«e  KaoeMiplii 
aeraent  d'une  loi  dynamiquet. 

V. — QDATRIÈHB  ÉPOQmS. 

'S^kisme.  —  tMiiionf  de  1a  Thmifle*  "Retraite  ée  HJémlHieat— 1«  — 
Le  lâlrre  newesu. 

Depuis  long-tenaps,  les  deux  tètes  qui  soignaient  k.méowiiare, 
-.au  la  même  couronne,  comme  on  voudra,  œs  deux  tèles 
tcavaiUéeB  de  pensées  divergentes.  M.  Baiard,  tout  en 
à  passer  de  Tétat  d*écoie  à  celui  d'égbse,  avait  arrâté,  daan  aan 
.plan,  de  s'abstenir  d'éclats  immédiats.  Il  voukit  que  les  tfaéoriis 
eussent  pénétré  dans  lesosprits  avaat  de  hasarder  la  pratiqBaJ 
'désitfaiteouTaiwceet non  enthousiasmer;  il  s'adreaseir  nwr  he»- 


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iOGtAUSTSS  HOMmiC».  3K. 

iiMn  de  .diaenssMi  et  d^exameiu  il.  EnfMUia  ne  se  ringaatl  pas  à 
œile  pr^Minakm  lente  et  chaooease.  De  toutes  les  façons  par 
lesquelles  on  agit  sur  les  organisations  hmnainesy  il  savait  qne'  la 
plus  promptoy  la^plu^dAcisivei  la^diia  triemphanto^  e*est  rengone- 
mant  Décomptait  sur  le  cosnr  phis  que  sur  resprit,  s«r  le  senti- 
ment plos^qne  sur  la  raison  ;  il  voulait  passionner  les  artistes  et  les . 
ppàlesk  Qoe  lui  iinportait  sa  petile  Eannlle,  à  lui  qui^vait  la  fanile 
onverselle,  à  lui  qui*  conpUit.  réaliser  de  son  vivant  une  supré* 
nmie  éclatante  et  complète,  une  royauté  politique  et  religieuse? 
Auasiy  dès qur'ilnt que Bazardne pouvait  plus,  ne  voulait phisse 
UMttre  è  son  pas»  il  résolutde  le  laisser  en -route  et  de  continuer  seuL 

Par  quels  moyens  il  resta  le  maître  dans  ce  <;onflit  d'autorité^ . 
cela  »*axpiique»  cela «e conçoit..  M.  Enfantin ,  demeuré  seul^. avait 
eaD0i:e:un  rôle  è  josier  ;  M;  Bazard  n*'en  avait  plus.  Poussé  jiMMjpy»- 
là  dans  des-  voies  hardies^  œ  dernier  n'avait  pas  même  la  décision 
nécessaire  pour  se  maintenir  au  pomt  où  on  Tavaitcondint.  Ueil 
reculé  sans  doute;  et  reculer  en  rase  campagne  quand  on  a  contre 
sei  le  nombre,  quand  on  n*a  pour  soi  que  son  audace,  c'est  être 
vaincu*  M.  Enfonlin  devait  donc  détrôner,  absorber  son  collègue  ; 
c'était  dans  Tordre. 

La  rupture  éclata  au  sujet  de  deux  questions  capitales,  Taffran^ 
cUssenoent  du  prolétaire  et  raffranchissemeat  de  la  femme.  L'af^ 
franchissement  du  prolétaire  pouvait  se  poursuivre  et  s'avouer  en 
faoe  de  runivers«  Seulement,  il  venait  s'acboppec  contre  l'article  291 
du  CkKle  pénal,  et,  comme  vers-ce  temps  les  sociétés populaires^fa- 
tiguaient  le  gouvernement  et  la  bourgeoisie,  il  était  possible  que  le 
parquet  prit  Taffranchissement  du  prolétaire  en  assez  mauvaise 
part.  M.  Bazard  recula  devant  cette  expérience  chanceuse.  Quant 
à  l'affranchissement  de  la  femme,  non-seulement  il  présentait  des 
dangers  plus  grands  encore,  mais,  en  outre,  il  froissait  M.  Baiard 
dans  une  corde  personnelle.  Soit  que  M,  Eafentin  laissât  à  la  mora* 
lité  future  une  latitude  peu  édifiante,  soit  qu'il  dit.  trop  ce^u'îl 
voulait  faire  ou  qu'il  ne  le  dit  point  assez,  toujours  est-il  que  son 
collègue  ne  voulut  pas  encourir  la  solidarité  d'un  scandale  proba- 
Ue.  Après  de  vives  discussions,  qui  prirent  un  caractère  récrinû-t 
natoire^  NL  Bazard  se  retira,  profondément  navré  de  te  lutte,  souf- 
firant-  dans  ses  aCEsctions,.  triste^  Messe*  au  coeur.,  devant  mo«rir 
àp6adBjooia4e.li» 

21. 


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5ik  REVUE  DBS  DEUX  MONDES* 

Alors  une  scission  eut  lieu.  La  hmiRe  de  la  rue  Monsigny  se  si- 
para  en  deux  camps ,  Tun  aux  couleurs  de  H.  Enfantin,  ayant  fin 
en  lui,  quoi  qu'il  advint  ;  l'autre  dévoué  à  M.  Bazard,  et  prêt  à  le 
suivre  dans  sa  retraite.  Le  19  et  21  novembre  1831  survmrent 
deux  réunions  générales  de  la  famille^  épisodes  caractéristiques 
dans  la  vie  saint-simonienne.  M.  Bazard  refusa  d'y  assister  ;fl  se 
résignait,  il  s'avouait  vaincu.  Dans  la  première  séance,  H.  En£antiii 
parla  d'abord.  H  développa  la  théorie  qui  le  divisait  de  M.  Bazard, 
l'appel  à  la  femme,  conviée  au  sacerdoce  en  même  temps  que 
l'homme,  et  à  titre  égal  ;  il  déclara  d'une  foçon  solennelle  que  A  k 
saint-sûnonisme  avait  combattu  énergiquement  et  rayé  de  son  évan- 
gile l'exploitation  de  l'homme  par  l'homme,  on  ne  pouvait  ni  ad- 
mettre ni  tolérer  davantage  l'exploitation  de  la  femme  par  rhomae. 
Le  christianisme,  suivan  lui ,  avait  émancipé  la  femme,  mais  l'aviit 
tenue  dans  la  subalternité  :  le  saint-simonisme  devait  affranchir  b 
femme,  et  la  poser  comme  l'égale  de  l'homme. 

a  L'homme  et  la  femme,  voilà  l'individu  social,  disait  M.  Eofantin; 
l'ordre  moral  nouveau  appelle  la  femme  à  une  vie  nouvelle  :  il  faut  que  la 
femme  nous  révèle  tout  ce  qu'elle  sent,  tout  ce  qu'elle  désire,  tout  ce 
qu'elle  veut  pour  Tavenir.  Tout  homme  qui  prétendrait  imposer  une  loi 
à  la  femme  n'est  pas  saint- simonien ,  et  la  seule  position  du  saint-simo- 
nien  à  l'égard  de  la  femme,  c'est  de  déclarer  son  incompétence  à  la 
juger,  j» 

Passant  de  là  à  la  théorie  du  couple-prétre,  de  l'individu  sodal, 
homme  et  femme,  M.  Enfantin  ajoutait  : 

<r  La  mission  du  prêtre  est  de  sentir  également  les  deux  natures,  de  ré- 
gulariser et  de  développer  les  appétits  sensuels  et  les  appétits  charnels» 
ainsi  que  sa  mission  est  encore  de  faciliter  l'union  des  êtres  à  afTections 
profondes  en  les  garantissant  de  la  violence  des  êtres  à  affections  vives,  et 
de  faciliter  également  Tunion  et  la  vie  des  êtres  à  affections  vives  en  les 
garantissant  du  méprb  des  êtres  à  affections  profondes.  » 

Et  plus  loin  : 

<r  Qu'elle  sera  belle  la  mission  du  prêtre-social,  homme  et  femme! 
qu'elle  sera  féconde!  Tantôt  il  calmera  les  ardeurs  inconsidérées  de  rin- 
telligence,  ou  modérera  les  appétits  déréglés  des  sens;  tantôt,  au  coo- 
traire,  il  réveillera  l'intelligence  apathique  ^u  réchauffera  les  sens  en- 
gourdis; car  il  àevTà  connaître  tout  le  charme  de  la  décence  et  de  h 
pudeur,  mais  aussi  toute  la  grâce  de  l'abandon  et  de  la  vohipté.  d 


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SOCIALISTES  MOMIHBS.  39S 

JoMpie-U  raaditoire,  bien  que  remué  par  des  sentimens  ânrers, 
arait  écouté  en  silence  ;  mais ,  à  cette  dernière  définition ,  M.  Pierre 
Leroux  ne  se  contint  plus  :  <r  Vous  exposez  U,  dit-il  à  M.  Enfantin, 
«  une  doctrine  que  le  collège  a  unanimement  repoussée;  je  suis 
<r  venu  ici  pour  tous  le  dire  ;  je  vais  me  retirer.  »  A  quoi  M.  Enfon- 
tin  répondit  :  «r  La  preuve  de  la  vérité  de  mes  paroles ,  tous  la 
<r  voyez.  Voilà  Thomme  (et  il  montrait  M.  Pierre  Leroux)  qui  repré- 
«r  sente  le  mieux  la  vertu,  telle  qu'elle  a  été  conçue  jusqu'à  présent; 
<r  et,  vous  le  voyez,  la  vertu  de  cet  homme  ne  peut  pas  comprendre 
(T  ce  qu'il  y  a  d*universel  dans  mes  paroles.  » 

Nous  le  croyons  certes  bien. 

La  discussion  continua  ainsi  dans  la  première  séance,  mêlée  de 
récriminations  et  de  paroles  très  vives,  et  suivie  de  la  retrrite  en 
masse  des  dissidens,  parmi  lesquels  figuraient  MM.  Leroux,  Ray- 
naud,  Cazeaux,  Pereire  et  autres.  Mais  dans  la  seconde  séance» 
M.  Enfantin  ne  souffrit  plus  le  débat.  Après  avoir  congédié  les  pro- 
testans  d'une  façon  assez  brutale,  il  s'adressa  aux  fidèles  qui  lui 
restaient,  et  leur  montra  le  fauteuil  de  H.  Bazard,  resté  vide  à  ses 
cAtés,  comme  le  symbole  de  l'appel  à  la  femme.  H.  Rodrigues  se 
leva  après  lui,  et  fit  un  autre  appel,  l'appel  à  l'argent,  dont  il  vou- 
lait installer  la  puissance  morale.  Ce  jour-là,  la  hiérarchie  se  modi- 
fia nne  fois  encore  :  H.  Enfantin  fut  déclaré,  par  M.  Olinde  Rodri- 
gues, l'homme  le  plus  moral  de  son  temps,  le  vrai  successeur  de 
Saint-Simon,  le  chef  suprême  de  la  religion  saint-simonienne;  puis, 
avec  le  même  sérieux,  M.  Olinde  Rodrigues  se  posa  lui-même  comme 
le  père  de  l'industrie  et  le  chef  du  culte  saint-simonien. 

L'aspect  de  la  religion  se  modifia  en  même  temps  que  la  hiérar- 
chie. On  laissa  de  côté  le  dogme,  travail  favori  de  Bazard,  pour  se 
tourner  vers  les  questions  de  culte  et  de  morale.  On  passa  de  la  spé- 
culation à  la  réalisation.  La  chair  fut  solennellement  réhabilitée  ;  on 
sanctifia  le  travail ,  on  sanctifia  la  table,  on  sanctifia  les  appétits  vo- 
luptueux, le  tout  en  se  servant  de  termes  assez  lestes,  car  on  atten- 
dait  que  la  femme  vint  donner  à  la  religion  le  code  de  la  délicatesse 
et  de  la  pudeur.  Cette  venue  de  la  femme,  cette  attente  d'un  Messie 
de  l'autre  sexe  fut  le  long  rêve  de  la  dernière  période  saint-simo- 
nienne. On  ne  pouvait  pas  marcher  sans  elle;  on  l'invoquait  chaque 
jour;  on  la  voyait  partout.  La  femme  manquant,  le  couple  sacerdotal 
demeurait  incomplet;  la  religion  cheminait  b<riteuse.  Aussi,  pour 


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REVUS  WÊê'umow  womwm 

déddei^  eeMe  rtnéklMi  nout^Hr» MqployÉ<^t-oflr4Ms tel itoyiMi 
Taideéês^fielrM  âgitsiMT  TîmligÎBMioli  «t  «iir  iavaMSi  L'bhM  4» 
183S  Alt  une  loniguefète  dms  la  r«e  Mbnsigny.  La  reKgteiMetsi»' 
TOMa  de  roèes,  eHe  se  saiietifa  à  la  fa«éa  du  pvneh  et  ««s  dai- 
sanleéi  hartlloliies  de  TordieaCre;  elle  oonvia  tout  Paria  i  aeafttt% 
bieâ  sAreque  Paris  ne  hii  nendrali  pas  ses  potilesses.  A  oes  ré—hat 
pailireiH'qvelqiiesfeiiiiiies^  élégantes^  jeunes,  graeîefises,  frakèsi^ 
joKes^  <{DÎ  dansaiedl  pimr  danser,  riaient  pour  rîre^  le  umt  A'wm^ 
fafon  mondaine»  et  sans  entrevoir  le  eAté  profondément  reGgicaa 
de  ces  danses  et  de  ces  riresi  La  religion  yonnsnoia^ea  demièrsa 
ressources,  sans  que  la  femme  répondit  è  son  appeL 

I^wC  soutenir  ee  hiM,  pour  solder  oes  bris,  pour  nMltre  l'ordi*^ 
naîre  de  kr  religion  sur  un  pied  qui^t  à  la  hauteur  des  profeCsnai-^ 
veaux»  il  Mlait  de  Targent^  beaucoup  d'ai|(ent.  LeGU^^  discrftai 
Çratia^  absorbait  une  senlne  MUuelle  fort  importante,  et  les  S(k 
ports  avaient  diounué  depuis  la  rupture.  MMl  Alexis  Petit,  H•«Fba^ 
neH  d'Eidital ,  OHiWerv  Rîgaud ,  Toché ,  Barrault»  et  BL  Enfinti» 
lui-même  fr*ét«ent  peué  peu  dépouillés  pour  la  religion.  En  crisM^ 
il  ne  restait  rien,  ou  il  restait' pieu  de  cllose  eli  numéraire;  ierpfé* 
priétés  qui  formaient  le  solde  du  fonds  txNmnun  n'ét»ent  paaftcBt* 
mefft  réalisables.  Le  budgl$t>  au  31  juillet  1631»  préiseuttiit  une  bl^ 
lanee  presque  parfeite  entre  Tactif  ^  le  passif:  les  dooa  en  a^gsn 
étaient  de  218»e00  francs;  lea  dépenses  feitea  de  âSO^eoe.  On  m 
senai  trouvé  en  déficit  si  une  somme  de  60Q,iMM  fraiioa  envîroa»  en 
titreadHnmeubles,  ne  fûtpas  démeuiréeliblt^. 

Voilà  qudle  était  la  «ituatioa  finanoiène  duaaint^sinlbnianie  quiid 
M.  OiîlMie  Rodrigues  lan^  son  appel  à  Vargent.  <r  Rotsdddv 
a  Aguado,  LafiBtDè,  dit-il»  n^ohtrien  entrepris  d^ausst  grand  iiaesÉ" 
crqto  je  viens  entreprendre;  Tomite  sont  veiius^  après  la  ^ueiT^* 
ff  donner  au  vaincu  le  tn^éditnéœssaire  pour 'satisfiure  le  vainque 
a  Leur  mission  périt  et  la  mietme  commence.-  On  eaoompta  A  It 
a  bourse  de  Paris»  de  Londres  et  de  Berlin»  Tavenir  peitâius  H 
a  fiaancier  de  Tassodatioki  des  travàflleurs.  l'entrepreadadeto^ 
<r  dèr  lé  crédit  saint-simonienk  bIM  acte  fut enofifet  paatfè par'dè- 
vattl^M«  LelH>n  »  qui  consCituaft  la  société t;oUeotiv<e  BeqanMi^Qlindi 
Rodrigue»  et  compagnie»  sour  rattoriaatkm  et  nveu.  Mda  ds) 
M.  Bnfianlini  Des  aoliona  et  dea  coupons  d'aotionr  fiÉrent  étowai 
csjpM  nbnnial  tlo  IMO  «panes»  et  a*  ûÊfitÊk  rM^  étmùrtmm 


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ftMaciéte  réaaRl  ma),  niftle^ré  les^Mks  powpoolivoa  qv'eUe  pré- 
saaftait  &«x  proaeoffs.  Un  patit  nembre  d'aetkms  se  -phça  dans  le 
eevole  VmM  des  partisaiis  de  la  deelffiiie;-nais  cetle^oMBsion  par- 
tieUe  fèf  plas  airisible  qu'utile»  eav  onAnsaH  une  afMre  d'argent  de 
ce  qm  arail  été  jusqu'alors  «ifkfire  de  déveuemenl.  Ceux  qui 
avaieni  tant  danné  au  samt-smenisnie  n'a¥aient  ))as  spéculé  sur 
leors  dons.  Le  mobile  changeait  :  on  s'adressât  à  la  cupidité  hu- 
maifie  ;  eHe  répondit  moins  que  le  désmtéressement. 

L'organisation  du  traraO  social  ne  ht  guère  plus  heureuse. 
M.  Stéphane  Flachat  était  demeuré  fidèle  à  la  fortune  de  M.  Eafim- 
tin ,  plutôt  par  affection  que  par  eonrietion.  B  espérait  toujours  que 
la  lumière  morale  luirait ,  d-un  jour  à4* autre,  au  sein  de  cetle  nuit 
de  doutes,  et  il  s'était  déroué,  en  attendant,  à  une  mission  qui  eAt 
réussi  par-lui,  si  elle  avait  eu  la  moindre  chance  de  réussite.  Quatre 
niUe  eurriers  avaient  été  afflKés  :  as  iravaillaiem  dans  des  maisons 
spéciales  pour  le  compte  de  la  communauté  religieuse.  Ces^easais 
avortèrem»  Ici  la  certitude  du  bieiFétre  matériel  rendait  les  ou- 
rriers  nonchalans;  là  des  divisions  intérieures  sa  glissaient  panni 
eux,  el  il  f^dlail  intervenir  pour  foire  respeeler  la  hiérarchie.  La 
masse  des  saintrsimomens  avait  augmenté  sans  doute  ;  l'i^ppel  aux 
prolétaires  avait  attiré  quelques  hommes  indigens;  oo  se  prête  1 
teus  les  essais  qumid  on  souffre.  Mais  pour  les  retenir,  pour  en 
augnenlerle  nombre,  U  eAt  foUu  que  l'améKoration  promise  se  réa- 
lisAt;  autrement  les  prolétaires  s*en  allaieat  «n  à  un.  La  seule  for- 
UHrfeintoKgiblo  pour  ces  ouvtiers,  c*était  détre  mieux.  Elle  leur 
BUUM|ua  bientôt.  Ainsi,  des  deux.parts,  c*étaft  un  tort  et  une  ineon- 
aéqueuce  davoir  déplacé  Taetion  saint-simonienne,  d'avoir  tenté 
une  réidfaation  qui  devait  échouer,  et  qui,  en  échouant,  laissait  le 
reole  de  la  doctrine  sous  la  prévention  d'impuissance. 

Cette  époque  fat  d'ailleurs  ftconde  en  disgrâces  de  tout  genae* 
A«  moment  où  la  salle  Taitbout  jetait  son  plus  vif  éclat  oratoire>  au 
fort  des  réconciliations  publiques  et  des  confessions  de  MUs  Julie 
Fanfemaut,  quand  la  mise  en  scène  la  plus  raffinée  donnait  à  ces 
rénnons  un  imprévu  ^fue  n*offrent  plus  nos  théâtres,  une  brusque 
mesure  de  police  vint  chasser  les  fidèles  du  temple,  et  les  mettre  à 
iadiserëtion  des  baïonnettes  municipales.  D'autrespoursuilea  ai- 
Mhanéeo  avaient  «Ken  dans  la  maison  de  la  rue  Monsiguy ,  0à  la 


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328  REVUE  DES  DEUX  MOIOIES. 

saisie  des  papiers  de  la  fomiDe  forma  la  base  de  plusieurs  'uâet- 
rogatoires  et  d'une  instruction  criminelle.  Ce  n'est  pas  tout  encore. 
Des  dissensions  étaient  surrenues  entre  M.  Enfantin  et  M.  Oiiiide 
Rodrignes,  au  sujet  de  la  question  morale.  H.  Rodrigues  accusât 
M.  Enfantin  de  promiscuité  religieuse,  et  disait  :  a  J*ai  affirmé  q» 
a  dans  la  fomiDe  saint-simonienne  tout  enfent  devait  pouTcnr  cot- 
er naître  son  père.  M.  Enfantin  a  exprimé  le  vœu  que  la  femme  fb 
a  seule  appelée  à  s'expliquer  sur  cette  grave  question.  »  Là-dessos 
il  se  sépara  en  appelant  les  fldèles  à  lui,  comme  au  seul  disci- 
ple et  à  rhéritier  direct  de  Saint-Simon.  La  brutalité  de  la  rupture, 
son  inopportunité  à  la  veille  de  persécutions  judiciaires,  laisskeiK 
sa  sortie  sans  contre-coup.  Seidement,  avec  lui,  s'en  aHèrent  ks 
dernières  ressources.  Sa  retraite  discréditait  l'emprunt  dont  Q  état 
le  titulaire  contractant;  et,  au  lieu  d'opérer  desplacemens  nouveau, 
il  Mut  rembourser,  çà  et  là,  sur  les  82,000  francs  d'actions  rét- 
lisées,  quelques  porteurs  de  coupons,  moins  résignés  et  plus  tv- 
bulens  que  les  autres.  Faute  de  fonds  suffisans,  le  Globe  rnoorot 
d'abord,  puis  les  ateliers  se  fermèrent;  enfin  la  femîDe  de  la  me 
Monsigny  fut  dissoute. 

Alors  une  dernière  transformation  eut  lieu.  A  Hénilmoiitant,  ai 
point  culminant  de  la  côte,  M.  Enfantin  avait  une  propriété  patri- 
moniale, qui  dominait  Paris,  une  vaste  maison  avec  jardin  d*ia 
demi-arpent.  II  résolut  d'en  faire  le  dernier  asile  de  la  famîBe,  si 
maison  de  refuge  contre  le  monde.  Là  on  pouvait  s'inspirer  dans 
le  recueillement  et  dans  la  retraite,  attendre  la  venue  de  la  Femoie- 
Messie ,  si  lente  à  répondre,  pratiquer  en  petit  l'association  conte» 
plative  et  partielle,  jusqu*à  ce  que  l'heure  eût  sonné  de  Tassocia- 
tion  universelle  et  laborieuse.  Quoiqu'il  fût  étrange,  après  une 
suite  de  prédications  contre  les  oisifs,  de  se  vouer  ainsi  i  la  vie 
stérile  de  l'anachorète,  cet  état  nouveau  et  purement  transiteôe 
avait  aussi  son  aspect  saintrsimonien.  Il  s'agissait  alors  d*abolir  h 
domesticité,  en  faisant  participer  les  plus  hauts  et  les  plus  fiers  i 
la  tâche  du  prolétariat;  il  s'agissait  de  former  à  une  discipline  de 
costume  et  à  une  vie  de  continence  quarante  jeunes  moUies  chex 
qui  la  vie  débordait;  il  s'agissait  d'éprouver  s'ils  soutiendraient 
jusqu'au  bout  la  gageure,  et  s'ils  seraient  aussi  forts  contre  les 
huées  de  la  foule  qu'ils  l'avaient  été  contre  les  sarcasmes  des  beanx 
esprits.  Dans  un  factum  net,  clair,  indsif,  intitulé  :  A  toos; 


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SOCIALISTES  MODERNES.  529 

M.  Enfantin  donnait  la  clé  de  cette  expérience  :  or  J*ai  voulu,  disait- 
ff  il  y  appeler  la  femme  et  le  prolétaire  à  une  destinée  nouvelle.  » 
Puis  U  expliquait  comment  sa  parole,  semée  dans  Paris,  y  continue- 
rait sa  germination  mystérieuse,  et  comment  il  n'y  aurait  bientôt 
plus  d'autre  politique  que  la  charte  d'avenir  qu'il  avait  fondée. 

A  Ménilmontant,  tout  s'organisa  ainsi  qu'il  l'avait  dit.  Quarante 
nouveaux  Horaves  se  cloîtrèrent  dans  ce  jardin,  le  bouleversèrent 
en  tous  les  sens,  taillèrent  les  arbres ,  bêchèrent  et  sablèrent,  ni- 
velèrent et  arrosèrent,  émondèrent,  échenillèrent ,  se  firent  indis- 
tinctement et  à  tour  de  rôle  chefs  d'office,  cuisiniers,  sommeliers» 
échansons.  On  organisa  le  travail  par  catégories  ;  on  fit  des  grou- 
pes de  pelleteun,  de  brouelteursy  de  remblayeursy  et  pour  que  la 
besogne  fût  moins  rude,  on  l'accompagna  d'hymnes  composés 
par  un  membre  de  la  communauté.  Plus  tard,  quand  le  public  eut 
ses  petites  entrées  dans  le  jardin,  on  lui  servit  des  concerts  de 
cette  musique  locale,  puis,  par  une  insigne  et  dernière  faveur,  on 
l'admit  au  spectacle  du  dtner  du  Père,  comme  à  celui  d'un  souve- 
rain. Tout  ceci  se  faisait  d'ailleurs  avec  les  formes  voulues  et  en 
costume.  L*uniforme  était  simple  et  coquet  :  justaucorps  bleu  à 
courtes  basques,  ceinture  de  cuir  verni,  casquette  rouge,  panta- 
lon de  coutil  blanc,  sautoir  autour  du  cou,  cheveux  à  Tinspiré, 
rejetés  et  lisséaen  arrière,  moustaches  et  barbe  à  l'orientale. 

Nous  ne  voulons  pas  accepter  au  sérieux  cette  phase  de  l'existence 
saint-simonienne.  La  prise  du  costume,  au  bruit  de  la  canonnade 
de  Saint-Méry ,  la  lutte  entre  la  famille  qui  appelait  les  visiteurs  et 
la  police  qui  faisait  croiser  devant  eux  la  baïonnette  ;  les  harangues 
en  plein  air;  les  synodes,  au  milieu  du  préau,  les  épisodes  sans 
nombre  issus  de  la  curiosité  et  de  l'incrédulité  populaires,  tout  cela 
formerait  un  tableau  bouffon  qui  n'est  ni  dans  nos  idées ,  ni  dans 
notre  cadre.  H  vaut  mieux  rechercher  si,  en  dehors  de  cette  vie 
extérieure,  arrangée  pour  la  foule,  Ménilmontant  n'avait  pas  une 
autre  existence  d'élaboration  sourde  et  de  travail  recueilli.  Cette 
existence,  aucun  document  public  ne  l'a  révélée;  mais  il  nous  a 
été  donné  de  la  suivre  par  la  communication  d'un  manuscrit  où 
sont  déposées  les  idées  écloses  dans  la  retraite  (1).  Toute  la  meta- 


(f  )  Mou  deront  la  eommunicatloii  de  ce  document  à  robUgeanee  de  notre  ami  Dnyey- 
ffier  el  à  ceUe  de  Kme  Marie  Talon,  qui  en  est  dépositaire. 


Il  r' 


330  REVUS  MM  BBUK  UetISBS. 

physiilue  da^afait^sknoiMsiiiev  son  Gatédiisme  eC^sa^Senèse»  f 
iFeni  Arn^eet  éerk,  résumé  de  j^nirieiiF»  oanfeveiMSes'de  la  i 
et  intitulé  :  La  livre  Moev&àij. 

Ilans  la  première  sëanoe,  M.  Eafaiili&  ayaat  à  sa^drcdle  ÎBf.  Bpp- 
rault»  Michel  Chevalier,  Lanbert  et  d'£icbtall;  à  sa  gandbe 
MM.  Fournel»  (3iarles  Dayeyrier  et  Talabot,  voit  dans  cet  on^ 
et  daas  ces  gr<mpes  jm  fait  vivait ,  ua  catéchisme  eiiveit  buw  deiis 
finiîllets,  divisé^chacimeade«K<îeleaiie»,  d*«B8{)art»MM.,Eaai^ 
nel  et  Barrault;  de  l*attare  »  MMv  Michel  et  Chariea^ 

a  Dans  le  premier,  ajoute  M.  Edfantiii,  TiDitiatioQ  à  la  vie  se  Cramait 
eo  un  V0rb9.  C'est  uae  formule  et  on  langage ,  c'est  la  préoisioD  alféluv 
que  et  le  teite  rimé ,  c'est  le  chiCAre  et  la  ieUre ,  ia  métaphysifpie-et  h 
poétique,  la  grammaîre- et  la  prosodie.    .    , •  . 

a  Cette  feuille  est  conçue  sous  une  inspiration  semblal>le  à  celle  qoi 
présidait  au  catéchisme  chrétien  ;  c'est  la  conception  du  verbe,  et  toute- 
fois ,  avec  la  conquête  de  l'algèbre;  c'est  Platon  développé  à  travers  Des- 
cartes et  Leibniiz. 

a  Cette  feuille ,  c'est  rencyclbpédie  scientifique. 

a  C'est  la  fbrmule  abstraite  et  concrète  de  la  vie. 

a  Dans  l'autre  feuillet,  l'enseigtiement  se  produit  par  une  fsraiset 
une  peiutuie.  C'est  le  tracé  géométrique,  le  plan,  le  dessin  »  l'ionge 
animée,  cokN^,  mobile,  qui  doivent  frapper  l'homme  deS'teitt,.4le  Faett, 
la  praticien ,  le  théargiea ,  l'artiste  du  culte* 

a  Ce  feuillet,  c'est  l'hiéroglyphe  égyptien,  mais^enrlchi  du  monre- 
ment  et  de  la  couleur. 

«  Cest  l'encyclopédie  industrielle  et  l'esthétique  noavelle. 

a  C'est  la  forme  composée  de  la  vie,  comme  l'autre  feuillet  en  était  b 
formule  abstraite  et  concrète.  » 

Be  cette  d6finition<du  GatéchisiBe  vivant,  le  Livre  neweam  pa»e 
aiux  élémens  qui  constitaent  la  science  générale,  et  il  la-treafs 
dans  la  /brmule  et  la  forme  que  Desoartes  avait  déjà  ceaabfaées, 
dans  l'appUcation  de  la  géoartlrie  à  l'algèbre,  à  quoi  iQ^MMaïc 
la  morale,  on  trouve  le  nouveau  dogme  tdnaire  qoi  se  cob^o» 
do  senltm^ne,  de  la  formuk  et  de  IR  forme. 

Tel  est  le  c6té  ttiathématiilde  du  Gatébhisme.  Phislot»^  mt  ass- 
gnant  une  place  à  l'algèbre  dans  la  vie  morale,  et  en  annoo- 
çant  que  l'époque  infinitésimale,  indiquée  par  Leibnitz  ^  a  coDh 
mencé,  le  Livre  nouveau  ajoute  : 


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itqne  Iti  i»ith<bwflci>DS  révolttli(Hii»iref  oat  lAbiiaiait  ^hmsé 

de  lenr  sanctuaire ,  et  qui ,  toujours  y  pourtant,  y  ^  demeuré  d4o0Hiert 
«n,€iclié40Mft  it  iiûn»  de  rio^Mi»  ou  loua  le  voile  Iromfeitr  di»  lifpites; 
Dieu  7  neparaUra  plus  éclalaut  qu6î«inai&  pour  animer  |Qute«  les  contep- 
tioqs.  Alors  le  y^rbç  suprtipe ,  le  verbe  {ufiDitésimal  ae  faudra  dans 
Tart  en  paroles  et  eu  symboles  ;  le  savant  le  traduira  en  fprmule^^  et  Tin- 
dostriel  en  formes  limitées;  verbe  de  poésie  et  d'amour,  il  se  manifestera 
par  la  musique  et  par  l'arcbiiectQre;  inspiraWqr  divin»  il  engendrera 
r«l9»rfthmk  et  resthétiqQe;  parole  du  prêtre,  il  enfantera  la  saienae  et 
rindustrie ,  ie  dogme  et  le  culte,  a 

luB  Catéchiame  aaint-aimoniep  a  aiwi  aofi  cAtô  graoïiiiatical. 
€emme  le  langage  et  l'algèbre  «e  correapeadeat  d'une  numière 
rigoarense,  le  Livre  nouveau  établit  Tordre  aaivant  : 

Fesr  le  théoridea,  le  aubatantif. 

IVNir  le  praticien ,  Tadjeetif . 

Pour  le  prêtre,  le  rerbe. 

Après  quoi  le  Livre  -nouveau  entre  dans  l'examen  de  la  langue 
•de  Tavenir,  et  il  trouve  que  la  langue  française  est  celle  qui  four- 
nira le  plus  d'élémens  à  ce  nouvel  idiome,  empreint  d'un  grand 
^^aractère  d'universalité.  Suit  un  long  cours  de  .philologie  et  de 
Sttératnre,  où  tous  les  dialeates  anciens  et  modernes  sont  passés 
en  revue  et  appréciés  au  point  de  vue  euphonique,  comparés 
^otre  eux,  disséqués  dans  leurs  élémens.  Nous  avons  hâte  de  pas- 
ser làrdeaau»pour  en  venir  à  la  partie  essenliefie  du  Livre  nouveau , 
i  la  Genèse  du  saint^imoniame. 

Ici  se  révèle  sous  une  novvelle  forme  eelte  tendance  de  la 
doctrine  à  pacifier  la  chair  et  l'esprit ,  et  à  les  sanctifier  l'un 
par  l'autre.  La  guerre  entre  les  deux  principes  n'existe  pas  seule- 
ment dans  la  politique  et  dans  la  morale,  elle  se  retrouve  encore  dans 
la  science,  et  la  science  doit  être  j)acifiée  comme  le  sera  la  politique. 
Elle  le  sera,  prétend  le  Livas,  parce  que  les  hommes  d'amour  qui 
«entent  également  la  théorie  et  la  pratique,  la  science  et  l'industrie, 
la  réalité  et  l'apparence,  imprimeront  une  foi  vivante  dans  l'har- 
oonatammeat  progressive  de  l'esprit  et  de  la  chair,  du 
9tià0  l'espace,  du  nombre  et  de  l'étendue,  de  la  formule 
«I  de  la  bnne ,  de  la  pensée  et  de  l'acte ,  de  l'unité  et  de  la  mul- 
lipBdté,  de  l'identité  et  de  la  différence,  de  l'observation  et  de 
rexpérimentation,  du  passé  et  de  l'avenir,  de  l'autorité  et  de  la 


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HBYUB  DBS  DEUX  MONDBS. 

liberté,  da  moi  et  du  non-moi,  de  Thomme  et  de  la  femme,  de 
l'humanité  et  du  monde. 

A  la  suite  de  ce  long  détail  des  choses  qui  se  meuvent  aujour- 
d'hui dans  des  conditions  de  lutte  et  d'antagonisme,  le  Livre  non- 
veau  prend  le  ton  épique,  pour  épancher  sur  le  monde  ses  plus 
mystérieux  trésors. 

ff  Voici,  dit-il,  la  Genèse  nouvelle,  historique  et  prophétique,  annoo* 
çan t  ce  qui  est  détroit  et  ce  qui  doit  ôtre  créé,  ce  qui  doit  moarir  et  ce  qui 
doitnattre. 

ff  Ecoutez  ! 

a  Tai  vu  dans  la  nuit  des  temps  anciens  des  choses  merveilleuses. 

a  La  terre  disait  à  Dieu,  au  sein  duquel  elle  circulait  :  a  Le  bien-aimé 
«  viendra-t-il  bientôt?  » 

«[  Dieu  lui  disait  :  <r  Je  ne  le  susciterai  pas  encore,  car  tu  n*as  pas  uo 
<t  arbre  à  l'ombre  duquel  il  repose;  pas  un  animal  dont  la  chair  ou  le  lait 
a  le  nourrissent.  L'atmosphère  qui  te  sert  de  tunique  est  brûlante. 

a  Qu'as-tu  à  lui  donner  pour  le  réjouir?  Il  cherche  des  sources  firaf- 
c  ches  où  il  puisse  se  désaltérer,  et  je  ne  vois  que  des  flaques  d*une  eaa 
a  bourbeuse  et  amère.  Où  sont  les  champs  et  les  trésors  qui  feraient  ta 
a  dot?  B 

«  Et  la  terre  tournait. 

«[  Elle  amoncela  de  gigantesques  arbrisseaux,  des  fougères  plus  grandes  " 
que  des  hautes  futaies,  et  des  roseaux  semblables  à  des  sapins.  Elle  se 
couvrit  de  bétes  marchantes,  volantes,  rampantes,  aux  membres  akn- 
gés  ;  elle  enfanta  des  millions  et  millions  de  mollusques.  De  son  sein  tirant 
des  trésors,  elle  les  pressa  en  filons  et  en  couches  jusqu'à  la  surface  da 
sol,  mêlant  les  plus  précieux  métaux  et  les  plus  riches  pierreries  aux 
marbres  et  aux  porphyres  les  plus  magnifiques.  Cependant  ralmosphère 
écrasante  se  changeait  en  une  pluie  vivifiante,  et  elle  allait  combler  Im 
précipices  effroyables  et  restreindre  le  domaine  de  la  mer. 

41  Fiùrc  alors  de  son  ouvrage ,  elle  se  retourna  de  nouveau  vers  Diea, 
et  lui  dit  :  s  Viendra-t-il  bientôt  ?  » 

A  Dtcu  répondit  :  a  Que  viendrait-il  faire  avec  sa  vie  délicate  et  am- 
fi  biticuse,  au  milieu  de  cette  vie  grossière  et  pauvre  que  tu  as  r^iandoe 
(«à  la  surface?  9 

(T  El  b  terre,  patiente,  enfouit,  comme  en  des  magasins,  la  végétatk» 
tloiitelk  s'était  fait  une  première  chevelure;  elle  retira  la  vie  ans  bétes 
TTon^tmouses,  aux  mollusques  informes  à  qui  elle  s'était  livrée,  et  la 
donna  à  di^  êtres  plus  parfaits.  La  bourbe  des  eaux  forma  des  montagnes 
i|i*  grès  ei  de  schiste,  leur  sable  se  changea  en  couches  calcaires,  Tai- 


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SÛCIAUaTBS  lUmEElIBS*  333 

mospfaèrese  tempéra  encore;  la  terre  éjaculait  de  noareanx  métanx,  de 
nouveaux  porphyres,  de  nouveaux  marbres,  |[uî  se  dressaient  en  monta* 
gnesy  ou  se  répandaient  en  masses  profondes  et  souterraines» 

9  A  plusieurs  fois  ces  choses  se  répétèrent. 

0  Et  à  chaque  fois.  Dieu  envoyait  à  la  Terre  un  messager  dont  l'ap- 
proche la  faisait  tressaillir.  L'astre  porteur  de  nouvelles  allait  ensuite  an 
loin  réjouir  les  mondes  de  la  chaleur  vitale  qa'il  avait  empruntée  à  la 
terre  au  sein  de  leur  majestueuse  communion. 

a  À  chaque  fois,  c'était  pour  la  terre  d'immenses  joies. 

9  Mais  à  chaque  fois,  c'était  pour  elle  aussi  de  grandes  douleurs;  car, 
pendant  que  les  porphyres,  les  marbres,  les  serpentines,  les  granits,  le 
plomb,  le  cuivre,  l'argent,  l'antimoine,  le  platine,  l'or,  le  fer,  l'éiain, 
et  tous  les  métaux,  bouillonnaient  dans  ses  veines,  c'était  une  fièvre  chaude 
qui  la  dévorait.  Pendant  que  son  axe  incertain  se  balançait,  et  que  la 
mer  poussait  d'un  pôle  à  l'autre  ses  flots  écumans,  c'était  un  spasme  ner- 
veux; pendant  que  l'atmosphère  se  condensait  en  torrens,  c'était  une 
sueur  froide  qui  lui  ruisselait  sur  le  corps  ;  pendant  qu'une  vie  nouvelle 
lui  surgissait,  c'était  les  angoisses  de  l'enfantement. 

c  Et  elle  s'écria  avec  douleur  :  a  Le  bien-aimé  ne  viendra-i-il  donc 
cpa8?D 

an  viendra,  dit  le  Seigneur;  car  telle  est  ma  promesse.  Mon  dernier 
«  messager  va  partir,  et  il  restera  auprès  de  toi  comme  témoin  de  ma 
(c  parole;  chaque  jour  il  réjouira  ta  vue  de  l'aspect  de  sa  face  au  teint 
0  d'argent.  En  mémoire  des  ébranlemens  que  tu  as  ressentis  à  l'approche 
«  de  mon  messager,  il  fera  mollement  balancer  tes  eaux,  et  les  enverra 
«  chaque  jour  lécher  les  pieds  des  continens. 

ff  Va,  dit  le  Seigneur,  achève  ta  parure,  »    . 

a  Ivre  d'amour,  elle  déchaloa  les  fleuves,  les  vents,  la  foudre  et  les  feux 
souterrains.  Voulant  exciter  les  transports  de  l'époux  par  un  présent 
magniBque,  die  se  déchira  les  flancs ,  les  pétrit  et  les  étendit  en  plaines 
riantes,  couvertes  d'arbres,  de  fleurs  et  de  troupeaux,  là  où  étaient  des 
rochers  affreux  et  de  pestilentiels  marécages  :  elle  tamisa  les  montagnes, 
en  sépara  For  des  diamans,  et  les  sema  sur  les  plages  où  le  bien-aimé 
devait  descendre,  et  dans  les  riches  vallées  où  il  devait  s'asseoir. 

«Elle  entassa  dans  des  cavernes,  elle  engloutit  dans  la  poussière  pâ- 
teuse des  rochers,  elle  ensevelit  sous  des  coulées  de  basalte  et  de  lave , 
les  hippopotames  hideux ,  les  tigres  et  les  rhinocéros  géans,  et  les  innom- 
brables bandes  d*ours  et  d'hyènes  qui  régnaient  sous  le  soleil.  Avec  eux, 
elle  enfouit  à  de  plus  grandes  profondeurs  les  palestrines  et  d'autres 
hétes  aux  formes  repoussantes  et  aux  effroyables  cris. 

«Le  bien-aimé  était  venu.  La  terre  eut  aussi  un  soleil  de  nuit,  qui , 


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iiif0B  tm  wan  nomfts 


teotiin  JMiiSy  hal«Uat,}|esiihftil«Q  fetarBantytsoflnieiiiie 

fidèle^  et  «pii,  feus  team  fàmî  inr «Me-aa  foee  «rneafée^  seœUe  éçè^  wm 

mouvemeDS ,  cêmmë  le  ohien^etraiSint  qat  Joue  attieor  do  maître. 

a  Et  un  autre  tableau  se  déroala  devant  nei. 
a  jB-^oyaiia  daailea  mers»  au  seio  des  abîmes  et  sor  les  flets,  de»  objets 
rfredigieai. 

«  Xapereems  das  régions  itteoDiMeSy  je  dîstiogiiais  «e  terre  preaisey 
gage  de  la  nouvelle  alliaoee  de  Wea  arec  les  faemmes. 

a  Les  vieux- eeMtmeiwlressayialeot  eomme  tressailte  une  fomile  à  la 
«Tenee'  dtmet  aouveaii-iié . 

c  lyéiBombrMeslIeSy  jus<}De<*4è  sUescienseSy  s'agrtaîeot»  ei« 
elles  Q^teossent pas  aekevôJenr crue,  s'astesiblaieDt,  s*élevaieiili 
des  eaux. 

c  L*hoiDaie  étendait  sod  demaioe;  il  eetaquérait  les  airs  et  s'y  ] 
meDaiten  triomphateur;  il  gouversait  les  marées  comme  féclusieri 
Terne  SOD  oaoal;  il  tempérait  les  climats  comme  le  chauffeur  tempère  sqb 
brasier;  il  domptait  la  foudre  comme  jadis  mi  denes  pères  dompta  le 
fougueux  étalon. 

a  L'faumaQfté  de  ses  mains  parait  le  monde  comme  nnépeos  sa  teadre 
épouse  après  une  longue  absence,  et  elle»  fière  de  ses  caresses»  écartait  de 
lai  les  bétes  farouches  et  4es  animaux  venimeux  ;  elle  éteignait  les  feux 
des  volcans»  égalisait  les  dhnats  »  rappelait  les  flenves  débordés»  modérait 
les  ouragans  et  étalait  de^ nouveaux  empires. 

c  Gloireè  toi  »  Dieu  bon  !  gloire  à  loi  »  ^igneur  Dieu  !  qui  as  demie  de 
si  dosées  destinées  à  rhomme  et  au  monde  !  gloire  à  celui  qui  est  un 
prédestiné  et  qui  est  notre- père  !  «gloire  à  Tbomme  dont  la  vie  inépuisable 
se  répand  par  rivières»  hors  de  son  sein  sur  le  monde»  et  lui  revient  du 
monde  »  large  et  calme,  comme  le  Het  de  TOcéan  paisible  !  Gloire  k  cehii 
qoi  vit  daBff4e  menée»  en  qni  le  monde tit  et  qui  rappelle  la  meitié  de 
lui-même. 

e  Gloire  &  lui»  car  les  battemens  desoneœnr  kii  montrent  ce  que  ▼est 
rhamanité  »  ce  ^le  veut  le  monde. 

c  II  a  senti' que  Themme  attendait  une  éponse  nouvelle  et  il  a  dit  In  pa- 
role qui  la  prépare  à  une  nouvelle  union. 

<c  II  sent  que  le  monde  veut  renouer  son  lien  avec  Thumanlté  na  mo- 
ment où  Khomme  renouvellera  le  sien  avec  la  femme;  et  il  avertit  l'bmna* 
nité  des  noces  nouvelles  que  le  monde  lui  prépare. 

«  Un  jour  vient»  où  le  Dieu  du  progrès»  le  Dieu  calme»  le  Diea  bon» 

qui  avait  donné  la  terre  pour  épouse  à  Tbomme  et  qui  voyait  r-épovx 

passer  en  seigneur  et  maître  sur  l'épouse»  et  l'épouse  impudique  s*abro- 

.  tir  vilement  aux  pieds  de  son  grossier  éjf^oux»  a  envoyé  son  fils»  le  i 


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t  tfMJBi,  ipa  #lt'aBaMi«6  à']a  e^km  de  Ir  tam,  rméi  }• 

lelore  ëe  oendiM»  r>gl»otgpU  è^la»  macémlUni, ^et  la  pannant  venhlat 
glicfts  daNord,  renferma  daotJa  oallale  dhinmoDaeCère. 

«Peodaot  dix-^huit  sièdet^  Tépoose  se  puiifia;  l'époBX  adoocH  sef 
farearSy  et  Dieu  jugea  que  la  terre  approchait  du  temps  où  il  pourrait 
les  joindre  Fan  à  Taotre.  Cest.poarquoi  préparant  Tépouxaax  joies  nup- 
tiales, après  l'avoir  promené  pendant  deux  cents  années  sur  la  volup- 
«■eufls  tarrede  l'Ovient» il  ini-oavHt»  aanklà  dea  mers,  d'immenses  ré- 
gioM  eu  il  trouva  l'argent,  l'or,  les  pierverieB  et  les  riohea  oonieurs 
pe«raefM»er;  oà  germèrent  toot  à  ceopaiec  profuilen  vingt  aliment 
tmammÊÊLj  le  soere,  le  celé,  lee  épioes ,  lea  liqueurs  brûlantes  qui  eici- 
tèrent  les  sens^ngourdis  per  quinae  siècles  d'abstioenoo. 

c  Et  aujourd'hui  Dieu  a  jugé  que  le  temps  des  noces  noufelles  était 
▼enu  pour  l'homme  et  pour  le  monde ,  et  il  a  de  nouveau  envoyé  son 
Christ. 

a  Grand  Dieu  !  quelle  est  cette  vaste  terre  encore  imprégnée  de  l'hu- 
midité des  mers  que  tu  viens  de  signaler  aux  hommes ,  qui  étreinl  l'Asie 
de  ses  bras  amoureux ,  et  dont  les  muscles  saillent  au-dessus  des  eaux  par 
des  files  sans  fin  d'Iles  et  de  récifs? 

«  Quel  est  l'avenir  de  ce  continent  sans  passé? 

a  Là  où  il  y  a  de  l'eau,  y  aura-t-il  toujours  de  l'eau,  et  la  mer  ne 
viendra-t-elle  jamais  rouler  ses  galets  là  où  tiabitent  les  hommes? 

a  Grand  Dieu!  ils  l'ont  appelée  la  Nouvelle-Hollande?  serait-ce  parce 
qu'ils  doivent  y  trouver  un  sol  riche  et  salubre,  sur  lequel  ils  transpor- 
teront les  populeuses  cités  qu'ils  garantissent  à  graud'pelne  de  l'envahisse- 
ment des  mers ,  sur  des  plages  sablonneuses  ? 

e  L'Asie,  le  pays  du  soleil  et  de  la  volupté,  aura  son  piédestal,  tout 
«eaune  l'Ëuri^  savante  et  l'inéustraettse  AfBnérique  du  Iford.  Bt  la  terre 
sera  formée  de  trois  couples  harmoaieusenient  placés,  chacun  de  deux 
centrées  immenses  :  Europe  et  Afrique;  Amérique  du  Nord  et  Àmé- 
riqueduSud;  àsie  et  Océanie;  c'est-à-dire  le  commencement  et  la  fin. 

a  Et  pendant  que  l'homme  appelle  la  nouvelle  épouse,  les  trois  époux 
qui  habitent  le  Nord  vont  appeler  les  trois  épouses  qui  habitent  le  Midi 
et  tes- attireront  vers  le  Fit  nuptial  qui  sera,  pour  l'un,  la  Méditerranée, 
pour  le  second,  Tarchipel  des  Antilles,  pour  le  troisième,  les  grendesrbaies 
de-lr  Chine  et  de  Vhx&e.  » 

^tfSk  in  ixtemê  la  Genèse  médite  du  samt-simonisme  etFun  des 
tnrranxlctfpltts  essentiels  de  Hénifanontant.  Quand  cette  Genèse  adé- 
Terrièses  périodes  eosmogoniques  à  côté  des  austérités  algébriques 
et  grammaticales  ,da€ttléeliiBiiie,  le  Livre  Ntmtem  aborde  ce  que 


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336  REYUE  DBS  DEUX  MONDES. 

Saint-Simon  appelle  le  Pic  de  la  Pemée,  le  problème  de  la  certitode, 
problème  dans  lequel  Laplace,  combinant  Condorcet  et  Pascal,  a 
produit  l'oenvre  scientifique  où  la  puissance  rationnelle  se  produit 
avec  le  plus  d*éclat.  Mais  le  passé  a  cru  au  transport  possible  du 
fini  dans  Tinfini ,  et  réciproquement  au  transport  de  Tinfini  dansk 
fini.  Telle  n'est  pas  la  croyance  saint-simonienne. 
La  croyance  sainl-simonienne  est  celle-ci  : 

a  Le  problème  de  la  certitude  absolue  se  transforme  en  la  foi  an  (m- 
grès,  manifestée  par  deux  ou  trois  formes  de  développemens  égileauet 
probables;  et,  dans  la  certitude  relative,  constitue  le  jeu  de  FinteUigcaGe 
sans  cesse  occupée  à  déterminer,  selon  les  variations  de  la  loi  du  progrès, 
les  termes  de  la  loi  du  temps  et  ceux  de  la  loi  de  l'espace.  j> 

Ou  autrement  : 

a  A  chaque  moment  et  en  cliaqne  lieu,  l'homme  veut,  et  sa  volonté 
progressive,  mais  limitée,  modîGe  le  moment  et  le  lieu,  ou  est  transfor- 
mée par  eux.  Le  sentiment  qu'il  éprouve  de  l'autorité  et  de  Tobéissaoce 
de  sa  volonté  par  rapport  à  ces  deux  conditions  de  son  être,  temps  et 
lieux,  le  maintient  dans  cette  assurance  et  cette  timidité  religieuse  que 
Dieu  nous  a  donné  mission  d'inspirer  à  l'humanité  nouvelle  par  nos  le- 
çons et  par  notre  exemple,  et  qui  différencient  notre  vie  de  toutes  les 
existences  du  passé.  Plus  l'homme  dispose  en  maître  de  son  temps,  plus 
il  doit  mesurer  l'espace  avec  défiance  dans  sa  puissance  Gnie ,  et  plus  il 
domine  l'espace,  plus  il  doit  compter  le  temps  avec  une  scrupuleuse  ti- 
midité ;  plus  il  se  livre  à  son  imagination,  plus  11  doit  invoquer  le  secours 
de  la  pratique  ;  plus  il  obéit  à  son  instinct ,  plus  il  doit  recourir  à  sa  rai- 
son, jo 

A  la  suite  de  ces  formules  nouvelles ,  ou  plutôt  de  ce  nouveau 
principe  de  la  certitude  absolue ,  qui  en  effet  ne  touche  en  rien  aux 
travaux  antérieurs ,  M.  Enfantin,  l'auteur  de  la  partie  essentielle 
du  Livre  nouveau ,  fonde  une  analogie  qui  lui  semble  merveiUeuse 
entre  la  langue  métaphysique  nouvelle  et  le  calcul  des  probabilités. 
Cette  analogie  est  le  trinôme  :  probabilités,  logarithmes,  asffmptôies, 
u  Quand  j'eus  trouvé  ces  mots,  je  fus  heureux,  s'écrie-t-U,  car fa- 
<r  vais  trouvé  la  voie  qui  me  ramenait  aux  formules  et  aux  formes,  t 

Le  reste  du  Livre  nouveau  n'est  plus  qu'une  longue  équation  dans 
laquelle  les  algébristes  de  la  doctrine  cherchent  à  dégager  son  in- 
connue. C'est  un  travail  dans  le  genre  de  ceux  de  Wronskî,  qa*3 
faut  renvoyer  aux  mathématiciens  de  Tlnstitut. 


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SOCULISTES  MODERNES.  3^ 

D*après  ce  qui  précède,  on  peut  voir  quel  est  le  caractère  du 
Livre  nouveau  ^  koran  mystérieux  dont  les  initiés  vont  célébrant 
partout  les  sources  obscures.  A  Topposé  de  l'œuvre  capitale  de 
M.  Bazard  y  Y  Exposition,  qui  demeurait  en  contact  par  une  foule  de 
points  avec  notre  intelligence  et  notre  science  profanes,  le  Livre 
nouveau  est  Talgèbre  de  la  religion,  sa  démonstration  en  formules 
rigoureuses  pour  qui  les  pose,  incompréhensibles  pour  qui  les 
voudrait  discuter.  Jamais  la  métaphysique  n'avait  été  si  compliquée 
de  calcul  différentiel  ;  jamais  religion  n'était  apparue  sous  une  telle 
prétention  de  binôme.  Et,  ce  qu'il  y  a  de  plus  étrange ,  c'est  qu'en 
acceptant  tout  de  ce  travail,  quantités  et  termes,  on  n'arriverait  à 
aucune' solution  sérieusement  applicable.  Quand  Newton  trouva  la 
marche  des  mondes,  il  en  tira  au  moins  des  déductions  astrono- 
miques, des  faits  matériels,  des  lois  physiques  que  la  foule  pouvait 
comprendre.  Ici,  au  contraire,  l'explication  de  l'humanité  par  la 
science  des  chiffres  aboutit  à  des  formules  tellement  idéales ,  que 
cent  formules  parallèles  s'établiraient  à  côté  de  celles-là ,  sans  que 
l'on  pût  ni  débattre  ni  prouver  la  prééminence  des  unes  sur  les 
autres. 

VI.  —  CINQUIÈME  ÉPOQUE. 

Procèf .  —  Dbperfîon. 

La  vie  de  Ménilmontant  ne  fut  pas  long-temps  tranquille^  Depuis 
le  mois  de  février  1832,  une  instruction  avait  été  commencée  con- 
tre les  chefs  de  la  famille  saintr-simonienne.  Le  27  août,  MM.  En- 
fantin, Duveyrier,  Barrault  et  Rodrigues  furent  assignés  à  com- 
paraître par-devant  la  cour  d'assises.  Ils  descendirent  de  leur 
retraité,  solennellement,  processionnellement,  rangés  en  file,  et 
marchèrent  ainsi,  entre  deux  haies  de  curieux,  jusqu'au  Palais- 
de- Justice.  Des  témoins  avaient  été  assignés;  on  les  entendit;  après 
quoi  les  plaidoyers  commencèrent.  Chacun  voulut  débiter  le  sien, 
et  peutrètre  mit-on  trop  d'emphase,  trop  d'apparat,  dans  cette  dé- 
fense à  la  fois  individuelle  et  collective.  M.  Enfantin  eut  la  préten- 
tion malheureuse  de  vouloir  essayer  si  son  regard ,  puissant  sur 
les  siens,  exercerait  une  vertu  de  fascination  sur  les  juges  et  sur 
les  jurés.  Les  jurés  et  les  juges  s'en  fâchèrent.  M.  Enfantin  prit 
cela  pour  une  victoire,  a  L'irritation»  s'écria-t-il,  est  une  preuve 
TOUS  vn.  ^ 


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399  REYVB.'H 

<fr4*aGti0A.j»'ll>dit4LU  juvé»  :  a  Je  reuar  ar^PtiiicM^  ^'^mpiikflm 
lOLMidbel^heraUer.Doveyrm,  Samiiilt  et  Lasibeit  {HroBvil^ 
sent  aux  jocés^elie  défaite  par  les  melhéBalM|ws^  par  FfaknÉn, 
gar  la  poésie,  par  resthétâqae.  Les  jtt0és>se  le  liiipeiic:«i  UenfMr 
dit,  qu'Us  ^sondaimaèireat,  pralMibieiBeiitpesr  le  Mi  seul  des  fkî- 
doieriefi^  UM*  Safaocki,  DuTeyrier  et  Mkdbd  Gli^afier« 

De  ^ce^^  jour  -data  une  pémede  de  décadeoee  définiiive;^^  dh 
sAtte  fei^paat  aws  «portes  de  la  cenoiaiiasté,  3  hUm  wéémn 
le  persomiel  et  -t^teancbar  sur  rofdiaaipe.  On  «s  nat  a«K  «»- 
pédiena;  des  aussions  partireat  peae  Marseille,  TMdoa,  ifoa 
et  Rouen.  Ou  ne  dédaigna  phie  les  travaux  profanes;  on  aœspia, 
on^îboisitles  plus  durs,^  les  ^^us  îogralsry  les  plus  hnsaUasw  QmI- 
ques  frèreS'CiroalèreBt  daaa  Jes  rues  portant  desrmailaasiBP  fean 
crochets,  d'autres  s'offrirent  pour  les  ¥enda&|rM  de  la  cte^  m 
demandant  point  d'antre  sitoire  <pie  lear  pari  à  la  gameHe  des^joar 
iialiers>;  oeua-ci  se  firent  eamuis  a^c  leel^fflwaaîa,  eem^à  tisia- 
rands  avec  lesouTrieraiiektNorfliaBdie.  Par'nMsore  d'éeonooH^ 
souvent  dors,  à  l'heure  du  dîner,  laieemoHinaiité  déboiriait  sv 
les  guinguettes  voisines  et  se  préparait  aux  privations  de  Tapoeia* 
lat  par  des  repas  économiques. 

L'emprisonnement  de  11%  Enftaitia  fot  le  signal  de  la  dispersion 
de  la  famille.  Les  uns  rentrèrent  dans  le  monde,  avec  la  pensée  d'y 
continuer  une  propagande  sourde  et  inaperçue  ;  les  autres  se  voue- 
ront plue  ostensibleMent  à  dies<  travawD  étraagéUqnea,  et  s^ëoter- 
4iièreat,.no«vv(eauiK  ârgonaua»s,fà  laredwr(diede'la?FeMm&-llBSiie. 
Uae  fsis  libre,M.  Enf^Miâii  suivit  celle  pefiimrde  la  fmnîila.Apièi 
avoir  écheué  dans  la  grande  entrept ise  du  hsrra^  dm  M ,  il^mi 
de  quitter  TÉgypte  pour  la  tedée ,  en  suivant  le  même  ohmsin^^ 
prit  le  peuple  hébrei».  Ent»e  lui  et  ses  disciples  de  Fraaee,  laoooh 
miaion  de  croyances  se  perpétue ,  à  Taide  d'an  échange  de  lettsea 
L^aetien  hiérarchique  subsiste  malgré  les  distances^ 

Aujourd'hui  le  saintrsiflM>msme  n'a  pas  renoncé  i  la  concpuéfe  dt 
janade.  Seulement  il  y  procède  par  un  travail  souterrain,  ^  nsi 
plus  par  une  révolte  ouverte.  Ceci  est  eneere  une  iUusion.  Le  saill^ 
simonisuie  ne  songe  paei  un  fait  grave ,  c'est  «pi'ilii'a-  compté  dam 
ses  vaogsque  des  admlles  ou  des  honnies  bien  jeune^eneore.  Es 
lie  posant  te  système  cpiaa  point  de  vue  viril,  deuxélémensM 
k  iHMffîaë  et  la  vMllesse^  c'isat^JHttre  le  «alcaM 


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4^Mpélieii6e.  UAge/aurrenanf/le  personnel  du  samt-éhnonisnie  «e 
•■miifiera  fo^ménie,  ae  tempérera,  sefbndra  par  un  travail  d'in- 
•firêla  et  dépositions,  ilependant  cette  expérience  de  la  jeunesse 
f»'«mpas  été^perdoe  pour  ses  membres.  Bs  y  auront  gagné  de  se 
«tenir ^pendant  quelque  temps  à  Vécart  du  monde  pour  le  juger  y  de 
ae  reeuefllir  en  des  études  graves  et  concentriques;  ih  y  aurobt 
gagné  encorede  s'inspirer  Vun  Tautre,  d'agrandir  Thorizon  de  leurs 
caentlfliens et  de  leurs  pensées,  de  s*exalter  en  des  discussions ortt- 
-geuses,  de  foulBer  tontes  les  questions,  de  les  feire  pivoter  sons 
fous  leurs  aspects.  Gela  peut  s'appeler  un  bel  apprentissage  de 
la  vie. 

•Quant  au  fondnéme  de  la  doctrine,  c'est,  comme  on  a  puie  voir, 
«n. composé  d'élémens  anciens,  assimilés  à  l'aide  d'un  procédé 
•d'amalgame.  L- originalité  n'est  que  sur  Tépiderme:  quand  on  pousae 
jusqu'au  tif ,  on  trouve  le  plagiat.  Au  point  de  vue  religieux,  cette 
rMormedu  christianisme,  ou,  si  Von  veut,  cette  révélation  nou- 
velle ,  interprétative  de  son  axiome  fondamental ,  n'est  ni  plus  sé- 
rieuse ni  plus  méritante  que  le  gros  des  réformes  au  petit  pied, 
'tentées  de«osjottrs  dans  l'une  et  l'autre  église,  dissidente  ou  or- 
thodoxe. Ce  n'est  ni  mieux  ni  plus  mal  que  les  essais  bibliques  ou 
évangéliquesdeShaftsbury,  deWoolston,  de  David  WiBiams,  de 
Connor,  en  Angleterre  ;  en  France,  de  Jean  Leclerc  et  de  Toustaint; 
«n  Allemagne,  de  Lessing,  de  Basedow,  de  Jahn  et  de  Glabach. 
Pour  l'édat  «t  le  scandale ,  c'^st  même  demeuré'  loin  de  la  comédie 
^Aéopbilamropique,  jouée  vers  la  fin  du  siècle  passé,  avec  ^es 
adeursqui  se  nommaient  :  La'RerriHère,  Bernardin,  Hatry,  Du- 
pont de  Nemours.  Si  grande  qu'ait  été  imagination  des  nouveaux 
Mesâîes ,  ik  ^sent  restés  au-dessous  de  l'expédient  du  cabaliste  Van 
Helment,  qui,  pour  mieux  parodier  Jésu&Christ,  se  fit  rouler  dans 
des  langes,  et,  ainsi  emmaillotté,  voulut  qu'on  le  déposât  dans  une 
étable,  où  il  se  prit  à  vagir.  Dans  les  sphères  du  mysticisme  et  de  1*0- 
Inminisme,  ils  copient,  sans  les  vaincre,  Saint-Martin  et  Swedenborg; 
•  dans  leur  théogonie,  ils  touchent  au  panthéisme  ancien;  dans  leur 
théocratie,  ils  refont  les  Hiérophantes,  les  Brames,  les  Mages,  les 
Druides,  les  Scaldes,  en  demandant  à  l'affection  une  obéissance 
•absolueque  ces  prêtres,  mieux  avisés,  demandaient  à  la  terreur» 
Leur  morale,  si  étrange  qu'elle  soit,  n'est  guère  plus  neuve» 
'C'est,  pour  les  rdations  entre  les  sexes,  de  l'épicurisme,  compli- 


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340  RETUE  DES  DEUX  MONDES. 

que  de  polygamie  ou  de  polyandrie,  le  tout  aggravé,  au  profit ih 
prêtre,  de  quelque  chose  qui  ressemble  à  Tanden  droit  du  seignev. 

Entré  dans  la  science  avec  la  prétention  de  terminer  le  duel  qui 
y  subsiste  entre  la  matière  et  Tintelligence,  le  saint-simonisme  n't 
guère  fait  que  continuer  Técole  sensualiste,  en  développaat  Cabans 
à  travers  Locke  et  Condillac.  Même  avortement  dans  les  matières 
politiques  et  sociales.  Pour  retrouver  les  premiers  traits  de  la  cos- 
mogonie saint-simonienne,  le  gouvernement  d*harmonie  et  d*amoiir, 
codifié  dans  la  loi  vivante;  le  procédé  hiérarchique  si  vague  et  si 
abusif,  l'anathème  sur  Vhéritage,  la  gestion  par  main  morte,  le 
monopole  sacerdotal,  réservoir  immense  d'où  la  propriété  doit 
découler  sur  le  monde  par  des  millions  de  canaux;  pour  retrouver 
tout  cela,  il  suffit  de  feuilleter  Platon,  Diodore,  tous  les  théosophes 
grecs,  Laplace,  Tabbé  de  Saint-Pierre,  Geoffroy  Saint-Hilaire  dans 
sa  Théorie  des  Analogues,  Thomas  Morus  dans  son  Utopie,  Daniel  de 
Foé  dans  son  Essai  sur  les  Projets,  Lantier  dans  son  Voyage  iÂMU- 
nor,  Colebrooke  dans  ses  Becherckes  sur  la  nufthographie  kimUmt. 
Quant  à  ses  plans  confus  d'association  et  de  travail  commun,  le 
saint-simonisme  est  demeuré  en  arrière  de  Zinzendorf ,  de  Robert 
Owen ,  de  Rapp  et  de  M.  Charles  Fourrier,  réalisateurs  plus  expli- 
cites, plus  positifs,  plus  vrais  dans  leurs  méthodes  sociétaires.  Les 
sciences  exactes  ne  lui  doivent  rien ,  si  ce  n'est  l'intention ,  formdte- 
ment  accusée,  de  les  renouveler  plus  tard  de  fond  en  comble.  Enfin 
l'économie  politique,  dont  fl  assure  avoir  changé  la  foce,  est  en- 
core, après  lui,  ce  que  l'ont  faite  Quesnay,  Turgot,  Smith,  Say, 
Ricardo  et  Sismondi.  A  part  quelques  thèses  d'ordre  secondaire  oè 
il  a  plaidé,  conséquent  à  sa  foi,  pour  Tautorité  contre  hi  liberté 
industrielle,  pour  la  mercuriale  contre  hi  concurrence,  pour  le  tarif 
contre  l'affranchissement  fiscal,  controverses  de  détaiQ  jetées  ao 
milieu  des  mille  controverses  qui  partagent  la  science,  il  n'a  rédle- 
ment  rien  fait,  rien  dit,  rien  signalé,  que  les  maîtres  n'aient  si* 
gnalé,  dit  et  fait  avant  lui. 

Maintenant,  de  ce  que  le  saint-simonisme  n*a  pas  eu,  en  réafité, 
autant  d*importance  qu'il  a  affecté  de  le  dire ,  nous  ne  voulons  pas 
conclure  que  son  passage  au  travers  de  ce  monde  ait  été  on  ind- 
dent  complètement  inutile,  et  qui  doive  toujours  rester  infécond. 
Une  foule  de  questions,  qui  sonuneillaient  avant  lui,  ont  été,  par  le 
fait  seul  de  son  avènement,  éveillées  d'une  façon  si  brusque  et  si 


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SOaALISTES  MODEI^IES.  341 

bruyante,  que,  placées  désormais  en  relief,  elles  sont  acquises  à 
la  cariosité  générale ,  et  livrées  à  cet  esprit  d'analyse,  qui,  tôt  ou 
tard,  agira  sur  elles  par  un  travail  de  transition.  Le  saint-simo- 
nisme  sera  à  l'avenir  social  ce  qu*est  un  ballon  d*essai  dans  une 
expérience  aéronautique.  Le  ballon  d'essai  s*enléve  aux  yeux  de 
la  foule  étonnée,  monte,  s'amoindrit  peu  à  peu,  et  se  noie  dans 
Teqpace  :  après  un  rôle  court  et  brillant,  c'est  fait  de  lui;  mais 
le  grand  aérostat  y  a  gagné  du  moins  de  connaître  l'état  des  zones 
atmosphériques,  et  les  caprices  des  aires  de  vent  qui  l'attendent 
sur  son  chemin. 

Louis  Retsaud. 


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LETTRES 

SUR  L'ISLANDE 


IBSUIILIIii^IIIILç^' 


A  MONSIEUR  VILLEMAINy 

SBCRiTAIRI  PBEPiTUBL  Ol  L*ACADillU  PEAHÇAUI. 

Une  traversée  de  neuf  jours  nous  a  conduits  à  Reykiayik.  Le  21  mai 
nous  regardions  fuir  derrière  nous  les  côtes  de  France  ;  le  30  au  matm 
le  pilote  du  pays,  couvert  d'un  manteau  de  peau  de  phoque,  nous  guidait 
vers  la  capitale  de  l'Islande ,  une  capitale  de  700  habitans,  une  ligne  de 
maisons  danoises  au  bord  de  la  mer,  et  les  cabanes  islandaises  sur  lei 
côtés.  A  voir  de  loin  ces  maisons  en  bois,  abritées  entre  deux  collines, 
posées  l'une  à  la  suite  de  l'autre  le  long  de  la  rade,  on  dirait  autant  de 
bateaux  pécheurs  ancrés  sur  la  grève  et  attendant  le  retour  de  la  ma- 
rée pour  se  remettre  à  flot.  Grâce  pourtant  à  ces  habitations  danoises, 
l'impression  que  l'on  éprouve  en  entrant  à  Reykiavik  est  moins  triste 

(1)  Noas  avons  annonce,  dans  notre  nnméro  du  iS  mai,  le  départ  dn  bâtiment  de  TéM 
la  Becherche,  envoyé  ponr  retronver  les  traces  de  M.  J.  de  Bkisseville.  V.  Marmier  avtit 
été  chargé»  par  l'Académie  Française ,  de  la  parUe  littéraire  de  rexpediUoo;  notre  jene 
eollaborateor  s'est  empressé  de  transmettre  le  résultat  de  ses  premières  obserratioDSti 
secrétaire^  perpétuel  de  TAcadémie,  et  c'est  à  robligeance  bien  connue  de  M.  TUleinala 
que  nous  devons  communication  de  cette  lettre.  (K.du  D,l 


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qo'on  pourrait  se  rimagioer  d'après  les  rehitîoos  de  phuieurs  voya- 
geurs. Ou  passe  encore  par  certaiDs  degrés  de  civilisatiou  avaol  d^eo 
leuir  à  l'aspect  réel  du  pay«.  Les  omenens  de  luxe  doot  les  marchands 
danois  aiment  à  s'entourer,  cackient  comme  un  lideau  la  nudité  des  dte- 
meures  ifilandaiseSy  et  les  maisons  bâties  en  boia  nous^prépairent  graduel- 
lement à  voir  la  cabane  sauvage  qiai  s'élève  à  quelques  pieds  de  terre , 
avec  ses  murailles  de  tourbe  et  son  toit  de  gazon.  Mais  ce  dont  nulle 
civilisation  étrangère  ne  peut  faire  gnace  au  voyageur  qui  arrive  ici  pour 
la  première  fois,  c'est  l'odeur  paus^abonde  qui  le  saisit  au  moment  où  il 
pose  le  pied  sur  le  sol  de  l'Islande.  Cette  odeur  le  poursuit  partout  et 
s'attache  à  tous  les  objets  dont  il  se  sert;  c'est  le  résultat  de  cette  quan- 
tité de  poisson  que  les  Islandais  font  sécher  en  plein  air,  le  résultat  de  la 
malpropreté  au  milieu  de  laquelle  vivent  ces  malheureux,  et  des  matières 
souvent  corrompues  dont  ils  se  nourrissent. 

L'histoire  de  Reykiavik  ne  remonte  pas  très  haut.  Il  y  a  soixante  ans, 
ee  n'était  guère  qu*un  village  de  pécheurs.  Biais  sa  situation  est  bonne; 
sa  rade,  protégée  par  plusieurs  petites  lie»,  passe  pour  l'une  des  rades 
les  plus  eommodes  et  les  plus  sûres  qui  existent,  et  non  loin  de  là  se 
trouvent  des  bancs  de  pèche  justement  renommés.  Peu  à  peu  les  négo- 
cians  danois  y  établirent  leurs  factoreries^  et  la  ville  acquit  chaque 
année  plus  d'importance.  Aujourd'hui  c'est  la  résidence  du  gouverneur, 
de  l'évéque,  du  médecin  général  du  pays,  du  président  du  tribunal.  On 
y  trouve  une  bonne  école  et  une  bibliothèque  de  huit  mille  volumes.  A 
une  lieue  de  là  est  l'école  universitaire  de  Bessestad  ;  à  peu  près  à  la 
même  distance,  l'ancienne  imprimerie  de  Hoolum,  transportée  à  Yidoë. 
Je  ne  fais  qu'indiquer  ceci  en  passant,  j'y  reviendrai  une  autre  fois  spé- 
eialement. 

Notre  première  visite  en  arrivant  ici  était  due  au  gouverneur,  M.  de 
Urieger,  et  nous  ne  saurions  trop  nous  louer  de  l'accueil  qu^il  nous  fit. 
U  a  voyagé  en  France  et  en  Italie,  il  parle  français  facilement,  et  il  s'est 
lait  notre  guide  et  notre  interprète  avec  une  grâce  charmante. 

Le  lendemain  nous  allâmes  voir  avec  lui  l'évéque ,  qui  habite  une  jolie 
maison  au  bord  de  la  mer.  Autrefois  il  y  avait  deux  évéchés  en  Islande , 
l'un  à  Hoolum,  l'autre  à  Skalholt.  Tous  deux  ont  été  réunis  à  Reykiavik 
en  1797.  M.  Steingrimr  Jonsson ,  qui  occupe  aujourd'hui  le  siège  épisco- 
pal ,  est  un  homme  âgé,  fort  instruit,  autrefois  professeur  de  théologie  à 
l'université  de  Bessestad,  et  qui  a  conservé  dans  ses  nouvelles  fonctions 
les  goûls  studieux  qui  Ranimaient  dans  m  earrière  de  professeur.  J'ai 
trouvé  chez  lui  une  belle  bibliothèque  d'owwages  étrangers,  une  riche 
collection  de  sagas  islandaises,  d'éditions  rares  et  de  pièces  manuscrites 
ay^yit  rapport  à  l'histoire  du  p^fs. 


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344  RETCB  DES  DEUX  MONDES. 

M.  Steingrimrnous  reçut  avec  toute  la  cordialité  des  hommes  da  Nord. 
Tandis  qu'il  nous  faisait  les  honneurs  de  son  salon,  tandis  qu'il  nous  mon- 
trait avec  empressement  ses  livres  et  ses  manuscrits,  parlant  tour  à  tour 
latin  avec  l'un  de  nous,  danois  avec  un  autre,  anglais  avec  un  troisième, 
sa  femme  préparait  elle-même  le  café,  le  vin  de  Porto,  et  la  bière 
choisie  qu'une  maltresse  de  maison  islandaise  tient  toujours  en  réserve 
pour  les  étrangers.  Cette  visite  avait  d'ailleurs  un  intérêt  particulier  pour 
l'évêque  et  pour  nous.  M.  Gaimard  lui  avait  envoyé  la  veille  divers  pré- 
sens au  nom  du  roi  et  du  ministre  de  la  marine ,  et  nous  assistions  à  Tia- 
stallation  de  ces  objets  dans  le  salon  épiscopal.  Je  ne  saurais  vous  dire 
avec  quelle  satisfaction  naïve  le  digne  vieillard  contemplait  la  selle  en 
velours  qui  lui  était  destinée,  et  les  tasses  en  porcelaine  de  Sèvres  ran- 
gées sur  son  armoire.  Ce  fut  bien  autre  chose  quand  un  de  nos  compa- 
gnons de  voyage  tira  le  cordon  d'une  pendule  que  nous  avions  aussi  ap- 
portée, et  que  l'instrument  caché  dans  la  boite  commença  à  jouer  Tou- 
yerture  de  Zampa,  et  l'une  de  nos  walses  les  plus  populaires.  Alors  il 
courut  avec  une  joie  d'enfant  appeler  sa  femme;  avec  sa  femme  vint  la 
fille  d'un  de  ses  amis,  et  les  servantes,  qui  n'osaient  entrer,  s'avancèrent 
jusqu'auprès  de  la  porte;  derrière  elles,  le  garçon  de  ferme  se  dressait 
sur  la  pointe  des  pieds  pour  apercevoir  le  magique  instrument.  Tout 
cela  formait  un  tableau  d'intérieur  plein  de  grâce,  dont  Wilkîe  eût 
voulu  peindre  les  détails,  et  Greuze  les  bonnes  et  candides  physiono* 
mies.  Nous  passâmes  ainsi  deux  heures  à  visiter  les  trésors  littéraires 
de  l'évêque,  à  parler  avec  lui  de  l'Islande  qu'il  connaît  bien,  de  son  his- 
toire qu'il  connaît  encore  mieux,  et  nous  sortîmes  enchantés  de  son  hos- 
pitalité. 

Cette  hospitalité,  nous  l'avons,  du  reste,  retrouvée  partout,  avec  moins 
de  luxe  extérieur,  mais  avec  la  même  générosité.  Partout  où  nous  nous 
sommes  présentés,  dans  la  maison  de  l'ouvrier  comme  dans  celle  du  riche 
bourgeois,  nous  avons  vu  l'Islandais  empressé  de  nous  tendre  la  main, 
de  nous  faire  entrer  dans  sa  demeure,  et  sa  femme  courant  en  toute  hâte 
chercher  ce  qu'elle  avait  de  meilleur  â  nous  offrir.  Ces  jours  derniers  nous 
visitions  à  quelques  lieues  d'ici  la  maison  d'un  paysan.  A  côté  de  la  cham- 
bre qu'il  occupait,  on  nous  en  montra  une  autre  avec  quatre  lits  réservés 
pour  les  voyageurs  qui  viennent  souvent,  pendant  l'hiver,  lui  demander 
asile,  et  près  de  la  cuisine,  une  forge  où  il  a  lui-même  ferré  maintes 
fois  gratuitement  le  cheval  du  passant.  Après  nous  avoir  fait  servir  do 
lait  et  du  café,  il  monta  â  cheval  et  nous  guida  â  travers  les  landes  rocail- 
leuses où  nous  voulions  aller,  passant  le  premier  les  rivières  enflées,  et 
prenant  nos  chevaux  par  la  bride  pour  les  soutenir  au  milieu  de  Vuxu 
Quand  il  nous  quitta  après  quatre  heures  de  marche ,  nous  nous  gardâmes 


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UBTTEES  SUE  L'iSLANDE.  345 

bien  de  lai  offrir  de  l'argent,  car  pendant  qae  nous  étions  chez  loi, 
Idi  ayant  témoigné  le  désir  d'acheter  une  Bible  islandaise  de  Hoolam  et 
une  édition  ancienne  du  Landnamabok  que  je  trouvai  dans  sa  bibliothè- 
que, il  avait  voulu  me  les  donner,  mais  non  en  recevoir  le  prix.  A  Rey- 
kiavick,  nous  avons  joui  du  môme  accueil.  Les  Islandais  aiment  les 
étrangers.  Ils  sont  flattés  qu'on  vienne  les  voir  de  si  loin;  puis,  ils  avaient 
gardé  un  bon  souvenir  de  M.  Gaimard  et  de  son  compagnon  de  voyage, 
qui  étaient  déjà  venus  ici  l'année  dernière;  enfin,  nous  leur  apportions 
beaucoup  de  choses  utiles  dont  ils  n'avaient  pas  encore  appris  à  se  servir. 
Mais  ce  qui  ne  serait  ailleurs  qu'un  trait  de  caractère  louable,  devient 
ici  une  œuvre  difficile,  une  véritable  vertu.  Quand  ces  pauvres  gens  vous 
apportent  une  jatte  de  lait ,  une  tasse  de  café ,  ils  se  privent  souvent  du 
nécessaire.  Ils  sacrifient  en  un  instant  ce  qu'ils  ont  obtenu  avec  beaucoup 
de  peine;  ils  donnent  à  l'étranger  ce  qui  était  réservé  pour  une  occasion 
solennelle ,  pour  leurs  fêtes  de  famille.  Hélas  !  tout  ce  qu'on  a  dit  de  la 
misère  des  Islandais  n'est  point  exagéré;  et  à  Reykiavik  même,  là  où 
l'affluence  des  étrangers,  le  mouvement  du  commerce,  pourraient  servir 
à  la  pallier,  cette  misère  éclate  encore  de  toutes  parts.  Il  y  a  ici,  comme 
je  l'ai  déjà  indiqué,  deux  populations  distmctes,  les  marchands  danois, 
les  pécheurs  et  paysans  islandais.  Les  marchands  viennent  chaque  année 
avec  leurs  bâlimens  chargés  de  denrées  étrangères.  Us  arrivent  au  mois 
de  mai,  et  s'en  retournent,  pour  la  plupart,  au  mois  d'août.  Quelques- 
uns  seulement  passent  ici  l'hiver.  Ib  ont  des  habitations  élégantes  et 
jouissent  d'une  vie  confortable.  Derrière  ces  maisons  danoises,  bâties  à 
grands  frais  avec  des  planches  et  des  solives  apportées  de  la  Norwège,  on 
aperçoit  une  construction  grossière ,  une  muraille  dt  tourbe  et  de  mousse, 
portant  un  toit  de  gazon  qui  s'en  va  en  pointe  comme  une  tente.  C'est  la 
cabane  islandaise,  le  hœr.  Il  n'est  plus  ici  question  d'art  ni  d'élégance.  La 
seule  chose  que  l'on  ait  eu  en  vue  en  construisant  ces  demeures  massives, 
c'est  de  mettre  les  habitans  à  l'abri  du  froid.  La  muraille  est  épaisse  de 
quatre  à  cinq  pieds,  recouverte  eu  terre  et  fermée  hermétiquement  de  tous 
côtés;  une  porte  étroite  au  milieu,  un  carreau  de  fenêtre  à  côté,  une 
ouverture  au-dessus  du  toit.  L'intérieur  est  divisé  en  quatre  comparti- 
mens,  le  sol  entièrement  nu,  et  l'espace  si  resserré  qu'à  peine  peut-on 
s'y  mouvoir.  Ici  le  pêcheur  prépare  ses  filets  et  ses  lignes;  là  deux 
mauvais  tonneaux,  gâtés  par  l'humidité,  renferment  ses  provisions.  Dans 
la  cuisine  pendent  ses  pantalons  en  peau  de  phoque  et  son  manteau  en 
cuir  épais.  Deux  pierres  posées  l'une  sur  l'autre  composent  le  foyer,  et 
des  ossemens  de  baleine,  des  têtes  de  cheval  desséchées,  servent  de  siège. 
On  n'entre  là  qu'en  courbant  la  tête;  on  ne  peut  s'y  tenir  debout.  Au 
dehors  apparaît  un  enclos  où  le  paysan  n'a  pn  faire  croître  un  peu  d'herbe 


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foin  pear  l^iver.  -QiMlqiiM-ttBa  y  joîgDOBt-aD  poti*  <N«rè  4e  ja«dfn.  fte 
-fowranNOMiit  danois  lt«r  ewvpie  ohaqtto  aiuiéoles  graiiMf  ! 
Bs^ènent  l^unléfiMneB  ^U'emammwmmà  de  juin ,  et  8*ili«e  k  i 
Jent'pee  au  neia  d^aottt,  l«iBoî«oe«>ortfraBd  rit%iie"d*M>epepd«i».Si 
àveelle<  hahitatiAo  le*péolM«ir  joint  escove  un  bèlîflMni^eD-plaiiQlM»  de 
ilpdqQeapie^eerféty  peur  Amw  sécber  le  poisson ,  Upeotseï 
comme  un  élve  pmilégié.  La  phipapt  fenlséober*le  prodnit  de4eiir] 
en  plein  air  sur  les  nrars;  mais  du  moins  ils  penyont  OIfo  bien  sûme  qne 
peraonne  n'y  leuobera.  Sfnit  et  jonTy  une  quantité  de  mornes  sent  mu 
étalées  au  berd  du  dk%mm,  et  jamais  on  a'a  en  d'eaemple  de  vol.  9e 
temps  en  tea^)s,  aopvès  de  ces  misérables  demeures,  on  rencontre,  il 
est  vsai,  quelques  babitaiions  plus  vastes,  mieux  aérées  et  miens  bâties, 
appartenant  à  des  paysans  riobes,  qui,  sms  vouloir  ebanger  le  mode-de 
construction  nationale,  ont  du  moins  ebeecbé  è  le  rendre  aussi  < 
que  possible;  mais  ces  habitations  sent  en  petit  nombre. 

La  vie  du  péQhenr  islandais  est  une  vie  de  privations^et  de  i 
eontiauelles,  une  vie  de  lutte  contre  la  nature  et  les  étémens.  An  mois 
de  ilévrier,  quand  la  terre  est  couverte  de  glaees,  quand  le  ciel  bmmenx 
de  L'Islande  n'annonce  que  des  orages,  quand  les  rayons  d'un  soleU  pale 
percent  à  peine  à  traversua  crépuscule  obscur  qni  ressemble  à  une  naît 
saqsfin,  le  pdcbeur  quitte  sa  fismllle,  sa  obaumière.  Il  laissée  sa  fsoHK 
le  sein  de  filer  la  laine ,  depréperer  le  beerre  ;  à  ses  enfiuis ,  e^nî  de^ar- 
der  les  bestiaua.  Il  »'en  va  avec  sa  ligne,  le  long  du  golfe,  commencsr 
sa  laborieuse  existence.  Là  se  trouvent  quelquefins  réunis  jusqn^à^triis 
et  quatre  mUle  péc^ieurs,  et  dans  tout  le  pays,  les  babltatieas  neseot 
plus  occupées  que  par  des  fernsoes  et  des  enfens.  Chaque  nuit  les  pé- 
cbeuis  consultent  L'aspect  <bi  eid-;  si  l'boriaon  leur  présage  une^m* 
péte,  ils  restent  à  terre;  sinon,  fisse  lèvent  à  deux  heures  an  matmet 
s*embarquent ,  après  avoir  Isit  leur  prière ,  sans  deuteune  prière  cenoM 
eeHe  du  matelet  breton  :  «  Mon  Dieu!  protégeennoi;  ma  barque ert si 
petite,  et  la  mer  est  si  grande!  »  Et  toute  la  journée  les  péebenn 
jettent  à  ht  mer  leurs  Hgneset  leurs  Mets,  et  vers^^le  soir  its  s'en  revien- 
nent avec  des  bateaux  remplis  jusqu'au  bord;  car,  si  le  sol  islandaîsest 
ingrat  ponr  eux ,  la  mer  du  moins  les  traite  avec  IfbéraKté.  Les  femmes  ki 
attendent  à  leur  retour  pour  recevoir  le  poisson  et  le  préparer.  On  eoope 
toutes  les  têtes  pour  les  faire  sécher.  C'est  là  ce  que  le  pécheur  réserve 
pour  lui;  presque  tout  le  reste  est  destiné  à  être  vendu.  La  pèche  durs 
jusqu^an  mois  d'avril,  quelquefois  jusqu'au  mois  de  juin.  Quand  le  pè- 
ebeur  est  rentré  chez  lui ,  il  compte  ses  richesses ,  rassemble  ses  prori- 
siens,  les  poissons  qu'il  afàit  sécher,  le  drap  (vadnM)  que  sa  femme  a 


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R«fkîink  et  ^e^HapeDvi^Pd'SDnelà^qai  l'itieiMklit^  et  il  Itmt  poHe  to 
finiil  de  son  travail.  Il  y  a  une  grande  foire  à  Reykiavik  au  inoi»de  JuiBi 
Lii  pay flaaa  ialandaîa  y  vieBoest  de  qn«^aiice  ei  einquasle  lieoea ,  portant 
avec  eux  leur  tente  peur  ae  repeaer,  le  peîaaop  peadu  à  Tarçon  deateUes, 
et^ka-attlrea «denrée»  enforanéBa  dam  dea  aaes  de  kine.  11  n'eat  pas  rare 
alandeyoirarriYery  à  la  aie  Tua  de  raulrè»  dea<»rayaneadèoent  che-» 
T«aX|  tevadurféi  de  proTiatens. 

Leeeaoïeroe  qui  ae  UÂi  entre  les  Daneia^t  lea  blandais  eat  en  grande 
partie  on  comiBerce  d'éoliaoge^  Lea  Iskmdnla  livrent  levrs  denrées  «t  re« 
çoitentdela  farine»  duael,  ducafé,  de  r<eatt-ée«viey  quelques  menblea 
deliiie>  e&r  la  civilisatioB  avec  ses  raffineoNose  déjà  commencé  à  s'insh> 
nnar  dan»  le  pauvre  Bêgt,  et  tel  paysan  ^«utf«A>î8  buvait  sa  bière  dana 
uDvase  de  bois  grossièrement  travaillé»  veut  at^urd*bui  prendre  son 
calèdans  une  tasse  de  poroclaîfle.  Quelquefois  ils  demandent  à  recevoir 
une  partie  de  ce  qui  leur  est  da  en  aiffent  »  et  eela  ne  s'opère  pas  sans' 
qoelques  négociations^  car  il  y  vnde  Tintéréi  des  Danois  de  payer  tout  en 
marebandisea.  L'argent  n'est  pas  d'ailleurs  peur  eux  une  chose  néoea- 
saire;  ils  acquittent  ordinatrenient  leurs  impdta  avec  tant  de  livres  de 
poisson ,  et  tant  d'aunes  de  vaâmél.  Ils  paient  de  la  mène  manièrelenra 
dcaMstiquee  et  knra  ouvriers  »  ea  ceusd^entre  eux  qui  amattenl  quelqvea 
spida  (1)  lea  laissent  pataibèement  repeser  au  fend  d'-une  caisse.  Ils  igno- 
rent encore  l'art  de  plaeer  krurergent  dans  des  spéculations  de  commerce , 
01  de  le  prêter  à  usure«  Le  plus  triste  résultat  de  ces  transactions  avec 
les-Danob»  c'est  qu'une  fais  l'échange  fait»  le  pauvre  pécheur  islandais 
qii  tout  l'hiver  a  supporté  la  faim»  le  froid,  la  fatigue^  se  pêne  de  joie 
à  la  vue  d^in  baril  d'eau^de^vie.  Âleraaoai  la  tente  où  ils  sent  instaUés» 
sar  le  port»  dnns  lésines,  les  malbeuranxislandaîs  boivent  pour  oublier 
eequ'fls  ont  souffert,  puis  ils  boivent  de  nouveau  peur  euUier  sans 
doate  ce  qu'ils  sont  encore  destibés  à  souffrir.  Quand  ils  en  sont  là,  an 
liiu  de  faire  du  bruit  et  de  «e  battre  »  ils  se  prennent  la  nain^  4»t  s'embua»- 
nat  avec  effusion  de  ccrar;  puis  iis  montent  à  cheval  et  se  mettent  «n 
roQie.  Mais  dans  leur  étal  d'ivresse,  ou  ils  oubèinut  de  prendre  ce  qui 
kmr  appartient»  ou  ils  nouent  nsal  leurs  saos,  et  ifs -arrivent  ordhiaînH 
nsm  cheneus  dans  lé  plus  triste  étau  Les  riciiesses  son^  loin  »  et  le  pn^ 
iMlttrese  réveille.  Un  de  nos  amis  en  n  rencontré  un  ^  scellait  ainal' 
«▼ecses  rêves  de  bonheur ,  l'œil  enflammé ,  la  tête  tombant  sur  la  poitrine. 
A  Farçon  de  sa  seHe  pendait  un  baril  d'eau-de-vIe  qui  coulaii  d'un  c6té, 
ctnn  Mit  dfc  xuttè  qui  '  ci9ilhll*dM%iatt*e  )  ctte'WenlietiretQLltliindàli^  fkt^ 


W  ■manlp  daaoiie  et  litondaiae  gai  ▼aasè<psaitès»#i4»ct 


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348  RETCB  1>B8  HEUX  ICMDBS. 

maDt  Toreille  à  tontes  les  remontrances^  contmnait  paisiblement  sa  route. 
Une  demi-henre  après ,  le  sac  à  café  et  le  tonneau  durent  être  par&ilfr* 
ment  vides. 

C'est  ainsi  que  se  terminent  souvent  ces  voyages  de  commerce,  et  le 
pécheur  rentre  chez  lui  pour  vivre  d'un  peu  de  beurre  rance  et  de  têtes 
de  poissons  séchées  au  soleil.  Sa  boisson  ordinaire  est  du  lait  mêlé  ayee 
de  Feau  (  blanda  ).  (  Ceux  qui  sont  riches  boivent  de  la  bière  préparée 
par  la  maltresse  de  la  maison.  )  Il  se  chauffe  avec  de  la  tourbe  qu'il 
feçonne  lui-môme ,  et  broie  entre  deux  pierres  Forge  dont  il  a  besoin. 
Au  mois  d'août,  il  fauche  Fherbe  de  ses  enclos;  c'est  là  sa  seule  récolte. 
Encore  s'estime-t-il  heureux  quand  cette  récolte  est  assez  abondants 
pour  lui  permettre  de  garder  ses  troupeaux.  L'année  dernière  les  habitiat 
de  Reykiavick  ont  été  >efoligés  de  tuer  une  partie  de  leurs  vaches  et  deletus 
chevaux ,  faute  de  foin  pour  les  nourrir. 

Les  Islandais  sont  graves  et  silencieux.  C'est  peut-être  de  tous  les  peu- 
ples celui  qui  a  le  moins  le  sentiment  de  la  musique  et  de  la  danse.  A  les 
voir,  on  dirait  qu'ils  sont  tous  sous  le  poids  de  cette  nature  austère  ao 
milieu  de  laquelle  ils  sont  nés.  De  toutes  parts,  leurs  yeux  ne  rencontrent 
qu'un  tableau  sinistre,  des  souvenirs  de  calamité  ou  des  sujets  de  terrear. 
une  terre  aride  et  volcanique,  de  la  cendre  et  de  la  lave ,  et  pas  une  fleur, 
pas  une  plante  (1)  ;  une  mer  orageuse  et  des  montagnes  de  glace.  Noos 
avons  parcouru  pendant  plusieurs  jours  à  une  assez  grande  distance  de 
Reykiavik,  cette  contrée  sauvage,  couverte  de  rochers  vomis  par  les 
volcans.  On  ne  trouve,  pour  tout  chemin,  qu'un  sentier  brisé  à  chaque 
instant,  ou  par  les  rivières  qui  débordent ,  ou  par  Feau  fétide  des  marais. 
Llslandais  seul  peut  s'aventurer  au  milieu  de  ces  landes  désertes,  comme 
les  navigateurs  au  milieu  de  l'océan;  l'étranger  s'y  perdrait.  De  temps 
en  temps  seulement,  on  aperçoit  une  pyramide  en  pierre  placée  comme 
un  phare  pour  indiquer  la  route  à  suivre  pendant  Fhiver,  et  de  loin  en 
loin  aussi,  un  bâtiment  en  pierre,  adossé  contre  une  montagne  et 
construit  successivement  par  les  paysans.  Le  premier  qui  fait  halte 
dans  un  lieu  commode  et  abrité  contre  le  vent,  pose  la  base  de  Fédifice; 
un  4utre  arrive  qui  continue  l'oeuvre  de  son  prédécesseur,  puis  un  troi- 
sième travaille  sur  le  même  plan ,  et  chaque  paysan  qui  vient  là  passer 
une  nuit  croit  devoir  payer  à  ceux  qui  l'ont  précédé,  à  ceux  qui  le  sui- 
vront, le  tribut  d'une  heure  de  travail.  Le  monument  se  trouve  ainsi 


(1)  Le  gouveroeor  nous  faisait  admirer  un  soir ,  dans  son  Jardin ,  l'arbuste  unique  de 
Reykiavik,  an  sorbier.  11  y  a  cinq  ans  qu'il  est  planté,  et  U  a  deux  pieds  «te  bait 
Chaque  bourgeon  qui  pousse  sur  ses  rameaux  est  un  érènement;  mais  quand  11  arrlfffs 
à  la  hautevt  du  mur  qui  le  protège,  U  mourra. 


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UCTTRBS  «UR  l'iSLAIlDE.  349 

acheTé.  Les  Islandais  qui  voyagent  savent  où  il  faat  le  chercher,  ils  se  di* 
rigeot  là  le  soir  avec  lears  chevaux  et  s'endorment  entre  ces  quatre  murs. 
C'est  la  tente  du  désert ,  c*est  le  caravansérail  des  montagnes  du  Nord. 
Quelquefois  y  après  avoir  traversé  pendant  plusieurs  heures  ce  sol  fan- 
geux et  mouvant  des  marais,  ou  cette  terre  calcinée  des  collines,  on  est 
surpris  d'apercevoir  tout  à  coup  un  espace  de  verdure  et  un  toit  de  gazon 
d'où  s'échappe  un  nuage  de  famée.  C'est  une  ferme,  un  hwr.  Cest  là  que 
demeure  la  famille  du  paysan ,  isolée  du  monde  entier,  visitée  parfois, 
dans  les  beaux  jours,  par  quelques  voyageurs,  et  abandonnée  l'hiver 
à  elle-même.  Cinq  ou  six  bcer  comme  celui-là,  disséminés  à  travers  les 
campagnes,  composent  une  commune  ayant  son  maire  et  son  pasteur; 
en  cherchant  plus  loin,  on  trouverait  une  cabane  en  terre  avec  une  croix 
au-dessus  :  c'est  l'église.  Puis,  il  faut  dire  adieu  à  ces  pauvres  oasis,  et 
continuer  sa  route  le  long  de  ces  montagnes  dont  les  cimes  échevelées 
attestent  encore  l'éruption  violente  qui  les  a  brisées.  La  plupart  des  vol- 
cans qui  ont  été  enflammés  autrefois  sont  maintenant  éteints;  quelques- 
uns  le  sont  depuis  si  long-temps,  qu'on  n'a  pas  même  gardé  le  souvenir 
de  leurs  dernières  éruptions.  Mais  on  marche  encore  sur  deâ  bassins  que 
l'on  dirait  éteints  de  la  veille,  sur  une  cendre  épaisse,  sur  une  terre 
rouge  qui  ressemble  aux  débris  d'un  four  à  chaux.  Au  haut  d'un  de  ces 
cratères,  j'ai  trouvé  Yarabis  toute  seble,  élevant  sa  tige  fragile  et  ses 
blanches  corolles  sur  cette  terre  nue  et  calcinée.  La  dernière  rose  de 
Thomas  Moore  était  moins  isolée;  la  pauvre  Marguerite  de  Robert  Bums, 
moins  à  plaindre. 

Si  cette  terre  islandaise  porte  presque  partout  une  empreinte  de  dé- 
solation, souvent  aussi  elle  présente  un  aspect  grandiose,  un  caractère 
sublime.  Au-dessus  d'une  des  collines  de  Reykiavik  s*élève  un  obser- 
vatoire où  les  marchands  vont  se  placer  pour  découvrir  au  loin  leurs 
vaisseaux.  Là ,  j'ai  souvent  admiré  le  vaste  panorama  qui  se  déroulait  au- 
tour de  moi;  souvent  le  soir  à  onze  heures,  le  soleil  était  encore  sur 
rhorizon ,  et  ses  rayons  enflammés  se  balançaient  dans  la  mer  comme 
une  colonne  de  feu;  la  mer  était  calme,  seulement  une  brise  légère 
plissait  en  se  jouant  les  vagues  bleues  qui  retombaient  ensuite  avec  mol- 
lesK  comme  une  nappe  d'argent,  ou  scintillaient  comme  des  étoiles.  A 
travers  ce  golfe  d'Islande  s'élè?ent ,  de  disunce  en  distance ,  des  lies  cou- 
vertes de  gazon ,  et  tout  autour  on  aperçoit  une  enceinte  de  montagnes 
dont  le  sommet  se  perd  dans  les  nuages.  Celles  qui  sont  le  plus  près  de 
terre  ont  une  couleur  bleue  limpide  que  je  ne  sais  comment  définir.  Ni 
les  montagnes  de  la  Suisse  que  j'ai  parcourues  avec  les  premières-impres- 
sions de  la  jeunesse,  ni  les  Alpes  que  j'ai  long-temps  contemplées,  ni  les 
Pyrénées  dont  j'ai  gravi  les  cimes  les  plus  élevées,  n'ont  cette  teinte  si 


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claire,  cm  tooslamiiieaxqtte  4e  peintre  admire  saut  paavoirlesezprinir». 
Plus  loin  y  l'aspect  des  mootagoescliaDge;  à  leur  base ,  elles  se  caafondeat 
avec  Teau  de  la  mer;  à  leur  sommet ,  elles  se  revôteot  d'uoe  couleur  de 
pourpre  et  d'opale^  elles  ont  un  manteau  de  neige  qui  éblouit ,  et  des 
pointes  de  glace  qui  ressemblent  à  une  couronne  de  diamans;  et  quiod 
le  ciel  est  clair,  quand  rextrémité  du  golfe,  leSoeefels,  se  lève  sont  le 
disque  du  soleil  avec  sa  tête  éternellement  chargée  de  frimas,  il  apfsnli 
au-dessus  des  vagues  comme  un  nuage  d'or.  En  ce  moment  t«ute  cette 
partie  de  l'Islande  a  l'aspect  d'une  contrée  méridionale.  La  Méditemaée 
n'est  pas  plus  limpide  que  cette  mer  du  Nord,  Je  ciel  du  midi  n'est  fm 
plus  beau.  Tandis  que  partout  ailleurs  l'obscurité  enveloppe  la  terre, 
le  jour  le  plus  pur  sourit  à  la  chaumière  de  l'Islandais.  Alors  lea  eofaoi 
du  pécheur  montent  sur  leur  toit  de  gazoo ,  et  passent  là  de  loogoes 
heures  comme  sur  une  terrasse  italienne.  J'ai  rencontré  ainsi  un  soir 
deux  enfans,  un  frère  et  une  sœur,  assis  au  haut  de  la  cabane  de  lear 
père;  la  jeune  fille,  avec  ses  blonds  cheveux  flottant  sur  les  épaolei, 
s*appuyait  sur  son  frère;  un  mouton  jouait  autour  d'eux,  et  devant  la 
porte  de  la  cabane,  la  grand'mère  tournait  une  quenouille  chargée  de 
laine.  On  eût  dit  d'une  idylle  deThéocrite,  d'un  poème  d'André  Cbé- 
nier,  transportés  dans  ces  froides  régions  du  Nord,  et  l'imagination  da 
peintre  n'eût  pu  inventer  un  groupe  plus  gracieux,  au  milieu  d'im  paysage 
plus  imposant. 

A  quelque  distance  de  la  ville ,  on  peut  rêver  le  désert,  la  solitude  la 
plus  absolue.  Toutes  les  maisons  disparaissent  entre  les  collines  qni  les 
abritent,  et  l'on  n'aperçoit  que  la  mer,  les  montagnes  et  le  àd.  Là 
règne  le  silence  des  lieux  inhabités.  Pas  une  voix  humaine  ne  se  fait  en- 
tendre, pas  un  chant  d'oiseau  ne  s'élève  dans  l'air,  pas  une  feuille  œ 
soupire.  Tout  est  calme,  repos,  sommeil;  et  si  après  avoir  contemplé 
ce  tableau  oriental ,  on  reporte  ses  regards  sur  cette  terre  si  noe , sur  ces 
landes  rocailleuses  qu'on  a  à  ses  pieds,  on  dirait  que  la  nature  a  jeté  là 
par  grandes  masses  tous  les  élémens  d'une  création  splendide,et  ne  s'est 
pas  donné  la  peine  d'achever  son  œuvre. 

Ne  pourrait-on  pas  attribuer  i  ces  magnifiques  scènes  de  la  nature,  à 
ces  contrastes  si  vivement  tranchés,  l'amour  que  les  Islandais  portent  à 
leur  pays?  Quand  ils  ont  été  attristéa  pendant  six  mois  par  l'aspect  d'oae 
nuit  continuelle,  un  jour  continuel  vient  aussi  pendant  six  mois  les  récréer. 
Quand  ils  ont  regardé  avec  ennui  leur  terre  couverte  de  lave  et  de  nh 
chers,  ils  peuvent  saluer  avec  entliousiasme  la  belle  mer,  les  nujestueoses 
montagnes  qui  se  déconvrent  à  leurs  yeux.  Quand  la  tempête  a  ébraaié 
leur  cabane  et  baUu  pendant  plusieurs  heure»  leur  fragile  chaloupe,  n'est- 
eepaaiKMU*  eux  une  grande  joie  que  de  voir  les  vagues  se  calmer  et  ks 


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netges i^entr'oirrrir  poar  faire  place  à  l'azar  du  ciel  ?  Une  pèche  heureuse, 
mue  saisoD  fécoode  leur  fait  oublier  de  longues  journées  de  fatigue  et  de 
scaffrances.  Un  rayon  de  soleil  est  pour  eux  une  aurore  de  bonheur.  C'est 
un  signe  bienf  iisant  de  la  nature  ;  c'est  le  sourire  d'une  mère  avare  qui 
les  a  traités  avec  rigueur  et  qui  semble  s'attendrir. 

Peot-étre  aussi  n'aiment-ils  tant  leur  pays  que  par  les  peines  qu'ils  y 
trourent,  par  les  efforts  auxquels  ils  sont  condamnés.  Les  voyageurs  ont 
souvent  observé  que  les  habitans  d'une  contrée  ingrate  restent  fixés  sur 
leur  sol  y  tandii  flue^ctuatdeS'plaines.keS'plqB  r'mmm  s^leiyient  souvent 
sans  regrefc.  ifiit-^e'iuietlM  ée.*la  PrwvMenc»?  est^^e  «a  instifict  de  la  na- 
ture ?  est-ce  l'effet  de  ce  sentiment  de  vanité  humaine  qui  fait  que  nous 
nous  attachons  davantage  aux  choses  qui  nous  ont  le  plus  coûté?  Quoi 
qu'il  en  soit,  nous  voyons  chaque  année  des  populations  entières  quitter 
les  belles  campagnes  du  Wurtemberg  y  de  l'Alsace,  pour  s'en  aller  aa 
loin  chercher  une  habitation  étrangère,  une  terre  inconnue,  et  l'Islandais 
reste  sur  la  colline  de  lave  oà^il-eaia^  dans  le  pauvre  enclos  de  gazon  qui 
loi  donne  à  peine  de  quoi  nourrir  ses  brebis  et  son  cheval.  On  a  souvent 
essayé  d'arracher  les  Islandais  à  leur  pays,  et  presque  toujours  ces  tenta- 
tives ont  amené  d'effrayans  exemples  de  nostalgie.  J^en  citerai  un  entre 
autres.  Un  Islandais  avait  été  transporté  en  Angleterre;  il  y  était  depuis 
plusieurs  années,  et  peu  à  peu  l'impression  de  douleur  qu'il  avait  éprou- 
vée en  s'élotgnant  de  sa  patrie  s'était  effacée.  On  ne  l'entendait  plus  re- 
gretter ni  sa  ferme,  nf  M»^noitegM»^î)^fittîttitie  mitre  fongue,  et  vi- 
vait d'une  autre  nt.t^  jo«v,itiMi(iisi|att-4Miit  éms-  cm^él»!  de  calme  si 
complet  en  appar«MM,.4qp6è9alte  <fipl  à-pnoncer  Aeiiuittlui  «n  mot 
islandais,  et  swiriiin  >  àr^rmièt  i^im  tesùré»  voilàtrale  me.^hAlne  de 
souvenirs  qui  se  réveillardafls^s«&  iiipvit^il^plimns.,  ii  te«»fe« rnnUde ,  et 
ses  amis  sont.obligés  dele  têmmw^ 

Je  termine  ici  cetteresguisae  d'uRs^^iour  passager  iRaykiavik*  tie  n'ai 
fait,  monsieur,  que  vous. dépeindre  ims  premièfes  impressions èL'aspect 
de  ce  pays.  J'ai  écarté  de  cette  lettre,  tout  ce  qui  avait  rapport  à  L'itat  ac- 
tuel de  la  langue,  de  la  littérature  et  de  l'instruction  en  Islande,  afin  de 
rassembler  sur  ce  sujet  Icphis  de  documens  possfblés  et  de  les  réserver 
pour  une  lettre  à  part.  'Nous  partons  demah»  pour  visiter  le-Guyses, 
l'Hécla  et  le  c6té  ooeilleBtaKde'nfshiDée.  Je  me  ferai  un  dievoir  de  vous 
transmettre  les  ^haeivatiouo  que  je  pourrei  r ecnenKr-dmis-ee  voyage,  et 
je  désire  bien  vivemeal^'^ettBs«<>itBt  ëenatore  è^vouslatéreaser. 

]|fyklavU,15Jiiiiii9S6. 


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MORTIS  AMOR. 


Hélas  I  qui  le  croirait  I  ce  fantAme  hideux» 

Ce  monstre  à  Tœil  éteint  dans  son  orbite  creux, 

Au  crâne  sans  cheveux  et  souillé  de  poussière. 

Aux  membres  allongés  et  froids  comme  la  pierre, 

A  la  teinte  jaunâtre,  à  cette  fade  odeur 

Qui  vous  met  malgré  vous  le  trouble  dans  le  cœur. 

Tout  ce  je  ne  sais  quoi  qui  n'est  plus  de  la  vie , 

Que  ne  peut  expliquer  nulle  philosophie. 

Et  dont  l'entier  sQence  et  Timmobilité 

Révèlent  le  néant  dans  sa  difformité; 

La  mort,  ce  laid  produit  de  la  vieille  nature, 

La  mort,  le  vaste  effroi  de  toute  créature, 

La  mort  a  rencontré  siir  terre  un  amoureux. 

Un  être  qui  Tadore,  un  amant  vigoureux 

Qui  la  serre  en  ses  bras  d'une  étreinte  profane. 

L'asseoit  sur  ses  genoux  comme  une  courtisane , 

L'entratne  avec  ivresse  à  sa  table,  à  son  lit. 

Et  comme  un  vieux  Satyre  avec  elle  s'unit  1 


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MÛKTIS  AlIOft.  Z^ 

Sdenx  acooiqdeiDentI  ausai  de  préférence 
A  tout  antre  pays  la  Mort  aime  la  France , 
Et  depuis  cinquante  ans,  devant  ses  yeux  ont  tort 
Les  barbare^  excès  des  peuplades  du  Nord. 
Que  lui  font  les  baisers  de  la  vieille  Angleterre? 
n  est  vrai  qu'elle  sait  auprès  d'un  pot  de  bière 
Tranquillement  s'ouvrir  une  veine  du  front» 
Ou  se  iaire  sauter  la  tète  avec  du  plomb  ; 
Mais  la  France  vaut  mieux  et  lui  platt  davantage. 
C'est  là  qu'au  suicide ,  au  duel  on  s'encourage , 
C'est  là,  malgré  Gilbert  et  son  vers  immortel, 
Que  Ton  court  voir  encor  mourir  un  criminel. 
Là  que  la  politique,  aux  sanglantes  chimères , 
Vient  sans  peur  essayer  ses  formes  éphémères. 
Là  que  l'on  a  dressé  l'abattoir  social  ; 
Enfin  le  sol  chéri  du  meurtrier  brutal. 
Et  le  seul  lieu  sur  terre,  où  peut^tre  sans  haine 
On  attente  en  riant  à  toute  vie  humaine. 
Gomme  si  ce  qu'on  souffle  avec  légèreté 
Pouvait  se  rallumer  à  notre  volonté; 
Et  comme  si  les  forts,  les  puissans  de  ce  monde. 
Tous  les  bras  musculeux  de  la  planète  immonde, 
Pouvaient  dans  leur  vigueur  refaire  le  tissu 
Que  le  doigt  de  la  mort  une  fois  a  rompu. 


Ah!  n'est-ce  pas  assez  que  l'avare  nature 

Nous  redemande  à  tous  une  dette  si  dure, 

La  vie,  à  tous  la  vie?  et  faut-il  donc  encor 

Nous-mêmes  dans  le  gouffre  enfouir  le  trésor? 

Oh  I  n'est-ce  pas  assez  de  la  pflle  vieillesse. 

De  tous  les  rongemens  de  la  vie  en  faiblesse. 

Du  venin  dévorant  des  soucis  destructeurs. 

Et  de  la  maladie  aux  plaintives  douleurs? 

N'est-on  pas  sûr  d'entendre  un  jour  les  chants  funèbres. 

De  faire ,  tôt  ou  tard ,  le  saut  dans  les  ténèbres , 

D'avoir  trois  pieds  de  terre  après  soi  sur  le  flanc? 

Ne  doit-on  pas  mourir?  —  S'il  &ut  que  notre  sang 

TOVE  VJI.  23 


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ZSt  REY1JB  vÊs  msvx^imvDEs. 

S*épanch69  fl  est  tonjourstlëy cw;  en'tsmefië; 

Où  Ton  peut  le  verserarec  qoefi^pm-énergiiK 

Alors  que  Tétraugcr  tout  cuif^Mé  dè^Ér» 

Sur  nos  champs  désolés  pnsseismÊnmnmFm&rg 

Foulant  d'un  pied  sanglant  rHertiiMe  noo^canpagnes'^ 

Et  chargeant  sur  ^ontk^s^fflfirdënoveompagiie»;! 

Quand  le  boudiër  tforquî  ddit lou9  nôuir  couvrir;'  • 

L'honneur  de  notrenom,  estpfèi^de  se  Mnrir*' 

Ou  bien  lorsque  la  loi ,  rloWe  et  tnauditëv 

Répand  des  flèts  de  pteurs  perla  Ville  imonMtir 

Ahl  voilà  le  moment,  et  lé- sang  qui  «s»  perd  v 

A  toute  la  cité  ilu  moins  prefStë'et^sert. 

Mais  tel  n'est  pas  le  train  *or^Kfi»it*e  des  ehosea;^ 

Ce  n'est  point  pour  lei  juste «t pour  del>eil軀aii8W^ 

Que  la  mort  violente  aime  à  frire  ses  coups; 

Cest  pour  des  vils  hÀebets,  de»  rèrasdiKioaBeB-aaAll^ 

Une  vaine  piq<h«>  une^raràon'folfttt^, 

Une  affaire  souvent  de4ux0o«'del'théâtii9| 

Une  froide  parade,  et;  s»flM8a:voÎppoarqiioii' 

Le  désir  d'occuper  lestlatntjpses  après  «ok 


Vanité,  vanité!  Je eonnaift^ ton  empcpe, 

Et  je  retrouve  en  toi  toute  notre -satire; 

0  Glle  de  l'orgueil  I  6  terrible  fléau 

D'un  peuple  au  cœur  sans  fiel ,  mais  au  faible  cerveau I 

Toujours  ton  noir  venin  distiHé  svr  marace. 

Du  haut  jusquesenbas,  en'corrcnnpra  latnaan; 

Toujours,  nous  ramenant  dans*  un 'oerdelitâl;' 

Ton  souflle  changera  l'œuvre  dubien  Mi^Mik 

Triomphe  donc,  6  monstret  oui,  de  nor pauvi aa iBBBNi/ 

Comme  un  bouquet  de  fleura  fane  les  pvpsaaanea, 

Fais  de  leur  douée  vie  un  cordeau  ma)  filé. 

Au  vice  dégoûtant  vends  leur  corps  maculé. 

Jusqu'au  dernier  degré  de  l'impure  misère. 

Tu  soutiendras  l'éclat  de  teurs  yeux ,  6  Biégère  1 

Puis,  verse  au  cœur  de  l'homme  un  désir  insensé 

De  dominer  le  monde  et  d*«n  Mre  encensé , 


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Pour  brfller  à  toat  prix,  lance-le  dans  le  crime. 

Mets  devant  lui  l'étal  au  penchant  de  l'abîme , 

Invente  des  forfaits  inouis  et  sans  noms; 

Qu'importe  que  le  sang  ruisselle  à  gros  bouillons , 

Que  le  soleil  se  voile  et  la  terre  frémisse, 

Quaia  tonbe,en  an  jour,  da»s  a»n  v»ntre  englMtiBse, 

Femmes,  enfans^TieHlatdSy-frappéstFimeoup soudain, 

Qu'importe  tant  de  morts  à  Fhorrible  assassin? 

n  entendra  les  cri^d^laute^  nature. 

Sans  trembler  un  instant  ou  changer  de  figure; 

Car  sur  le  champ  du  meurtre  et  même  à  Téchafaud, 

0  vanité,  c'est  toi  qui  lui  tiens  le  front  haut. 

Et  lui  donnes,  grand  Dieul  souvent  plus  de  puissance 

Que  n'en  donne  au  cœur  pur  la  sainte  conscience  I 

Auguste  Barbier, 


23. 


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DIPLOMATES 

EUROPÉENS. 


m. 


Les  grandes  monarchies  européennes  ont  un  incontestable  avan- 
tage sur  les  gouvernemens  libres  et  orageux  :  c*est  la  perpétuité 
de  leur  système  et  la  longue  vie  politique  de  leurs  hommes  d'état. 
Depuis  vingt-cinq  ans,  F  Autriche  et  la  Russie  sont  représentées 
avec  une  unité  constante  par  deux  ministres ,  le  prince  de  Met- 
ternich  et  le  comte  de  Nesselrode  ;  la  mort  seule  a  privé  la  Prusse 
des  services  du  baron ,  depuis  prince  de  Harâenberg.  Cette  durée 
des  hommes  d*état  crée  dans  les  cabinets  des  traditions  salu- 
taires; il  en  résulte  qu*une  série  de  mesures  peuvent  être  con- 
çues, qu'une  méttae  pensée  peut  être  suivie  et  exécutée  avec  persé- 
vérance. Un  jeune  homme  est  pris  au  sortir  de  ses  études;  on  le 
classe  dans  le  troisième  ou  le  second  ordre  des  conseillers  d'am- 
bassade; puis  il  devient  ministre  plénipotentiaire.  S'il  s*élève  et  se 
distingue,  il  obtient  un  poste  dans  la  chancellerie ,  et  une  fois  in- 

(1)  Yoyex  la  UynUson  do  f  re  octobre  1835. 


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vesti  de  la  confiance  du  prinoe,  3  reste  sa  vie  entière  attaché  à  la 
même  carrière.  De  là  une  prudence  consommée  dans  toutes  les 
transactions  y  une  intelligence  profonde  des  affaires;  la  position 
politique  qu'on  s'est  faite  comme  un  but  d'ambition,  devient  le 
sujet  des  études  de  toute  une  vie  ;  c*est  là  vraiment  le  secret  de  la 
supériorité  des  cbanc^eries  étrangères  sur  nos  mobiles  institu- 
tions diplomatiques. 

L'Angleterre,  qui,  avec  un  admirable  instinct  de  grandeur,  ne 
s'est  jamais  dissimulé  les  avantages  de  certaines  institutions  étran- 
Itères  sur  les  siennes,  a  essayé  de  corriger  Finstabilité  des  hommes 
par  la  stabilité  des  partis.  Là  il  y  a  deux  écoles,  les  wbigs  et  les 
tories;  en  naissant,  on  est  destiné  à  suivre  l'une  ou  l'autre;  les 
universités  de  Cambridge  et  d'Oxford  reçoivent  dans  leur  sein 
cette  double  génération  studieuse ,  s'appliquant  aux  idées  spéciales 
qui  divisent  les  deux  grandes  nuances  parlementaires.  On  mar- 
che nettement  dans  la  carrière  qu'on  s'est  faite;  en  sortant  des 
bancs  universitaires,  on  est  jeté  dans  le  parlement  par  des  élec- 
tions de  fsmiUe.  Si  vous  êtes  tory  et  que  les  tories  aient  le  pouvoir, 
TOUS  entres  dans  les  bureaux  comme  sous-secrétaire  d'état,  pour 
n^en  plus  sortir  qu^avec  votre  parti,  et  réciproquement  si  vous  êtes 
whig  et  que  les  whigs  tiennent  le  ministère.  Tout  est  fixé  dans  la 
hiérarchie;  par  cela  seul  qu'on  sait  d'où  l'on  vient,  on  sait  égale- 
ment où  l'on  va. 

En  France,  rien  de  semblable;  il  n'y  a  pas  une  seule  carrière 
fixe;  on  a  horreur  de  toute  espèce  de  classification,  on  n'admet 
^  aucune  supériorité  ;  le  hasard  vous  donne  une  position ,  le  hasard 
TOUS  en  fait  tomber;  il  n'y  a  pas  plus  de  motifs  pour  les  fortunes 
inouies  que  pour  les  disgrâces  éclatantes.  Quand  un  homme  a  le 
malheur  d^élever  la  tête  au-dessus  du  niveau,  mille  voix  se  réunis- 
sent pour  contester  cette  supériorité  blessante  et  l'abattre  au  plus 
tAt;  on  a  plus  de  confiance  dans  le  hasard  que  dans  l'étude,  dans 
la  propre  opinion  de  sa  capacité  que  dans  l'examen  sérieux  des  faits. 
Est-il  étonnant  que  les  cabinets  étrangers  dominent  le  plus  sou- 
vent les  négociateurs  français?  Ils  opposent  les  traditions  aux  faits 
improvisés ,  des  efforts  persévérans  à  une  politique  mobile  et  va- 
riable. 

En  mettant  en  présence  les  trois  hommes  d'état  que  nous  venons 
4e  nommer,  le  prince  de  Mettemich,  le  comte  de  Nesselrode  et 


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m.  dt^HaMcnberg ,  notts  if a^iis  pat  ptéléndki  élabfir  im  pflfÉl^ 
Me  abâolu*  La  diBémioe  flendUe^^cfifi  «lisfe  entre  Mz,  «?eM  icfiè 
le  prince  de  Metlatnkb^  et  M.  de  Bctéettbeiig  fàrent  iOii|oM»  les 
àonunee  de' lenrs  preppes  idées,  l'eippeesioii  é*n»^fmime  qûlb 
ASttivîrent«vec  constance  «t  qu'ils  appHqvèpent  à  travers  loiuhles 
•évièMnienstavx  deux  grandes  aMintrdiies4piîlettr  toaeiii  eMÉées; 
ce  sont  des  horonies  d'état  types,  avec  une  idée  ftse^dom  Mile 
'leur  vie  Mt  le  dévei^ppenient.  Le  prisée  défiardMiberg,  par  exem- 
ple ^s'inpoea,  dan»  les  relatians  âf  reatérieiar;  fagnadissoicni^de 
t'Mtaenee  nationale  de  la' Prusse/  et^  dans^Je  gewwrnemeBt^^nié- 
vient  Jareeonstitmion  de»  états  eti  de  latK>«rgeoisiepnis8iemie^i4e 
prince  de  Hetteraich  s'appikpiS)  snrtoat  depuis  tM8  y  à  iaire  pré- 
^valoir  «on  système^  de  nédiaiien  armée  ;  d'infloence «orale  parte 
^frauda  amemens;  aaaidis  qu'i  vrai  dire,  le  comte  dèNesseIredeWa 
-jsaaaia  été  qoe  le'fiitièle  exécmenr  des  ^ voleatés  de  ses  ttaltres  ;!  il  a 
été  l%BSige  d^AteMMKlre,  lamain  intelligente  qui  a  exée«téses''fia- 
iemés,  mène  les  pins  excentriques.  On  peiimrf^  comparer  la  po^fr- 
«tien  delM.  de  Nesseirode  a^^iréscdes  cvav» AlexandreiSt  Nte^AM^à 
oeHe  desministres'seorétaife»  d'étal  sous>Nepoléon  $  VidfloeReeqiitl 
•  a^iereée  résirit94e  sa  vieMle^expémnoe  /  de  oeti#longae  habiKée 
des  affaires  d{plematiqnes,<qiM^e8teM8i^une;([nÉldepma8anGe. 
diarles-Alhert,  ^comte  de'  Nes^islrodé,  saqait  en  tTSO'd'mie 
fomille  d'origine  allemande  ;  son  père  avait  été  ministre  plénipeaen- 
tlaîre  de  Catherine  auprès  des  dwes  de 'Wiirteaiberg>et  deSaxe. 
La  Livonie  est  -une  de  ees  'province»  'du  vaste  empire  nasse  qii 
sont  un  peu  plu»  germanique»  que  moscovites  ;>dans  la  lutte^de  la 
eîtiiisalion  étrangère  contre  1  esprit-  de^  la  ^viétte  Russie  depito 
Pierre  I*^,  le»genlishonmes  de  la  livonie*  obtinrent)  une  aortede 
iïiveur  :  cette  noblesse  tfétait  pas  assez  lAemande  pour  être  «em- 
piétement étrangère,  ^Ue  n'était  pa»  assesirasaepourentrer  cmh 
plètement  dans  les  mécontentemen»  moscovites  eontreles^sueeas- 
seurs  du  czar.  De  là  eeHe  tendance  des  empereursése  fattstebir 
plus  spécialement,  soit' dans  le  serviee^^iiitaire^  soi^  dans  le  ser* 
'vice  administratif. 

A  l'époque  où  le  jeune  NesselrOde  étudiait  danS'le  tMé^ém 
gardes-nobles,  à  Saint-Pétersbourg,  la  vieille  Catherine  Unsaiit 
aott^règne  sous  le^oteetoràt^  «nr  peu  >brtrtd,Jde^sôn{^ 
^tsÉikini  dette  femme  si^  baute>  ri  eiMeuae'à^'étAâier^  <q»  < 


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DVMHàïEs  jKmetiEVSr  390  : 

lâAe^la  chrilttarimiLjmaBrià.oell»;^ME>qM  eîYiistflkmoMil^ A  la  (lobs 
polfeefil  ba]ilNy»,ifr«k(vaMi'>eib8eireiBlmideç  cette*.  (iuMM  6i  màlè 
deipeasée»  avak  fak^.aaran0êr»gDaiMl«inoat{  to^iaBani». rusas.  Le 
pltadeGatkarins  sanUaHétuf  dèa4drfl  delichanger  la  poUtique» 
josqa'iei  pwsmeal  onontilS)*  dhtMbiMtide  âaint-Pél«roboarg ,  et  > 
de  laieonstîtMc^aBsmaiide^t  centiiale;  e*^tak  la  preorier  pas  Tcra  r 
OM^prépandiraDoepfaisniaiqniemrJewdîMls  l-Enrep^v  système 
quifiitrsprispaD'soa^petitiifilB  AlMLaitdr*!  Pierce  W  avait^lIlODUré^ 
dtt^doigt  Gonalanliiiopbç  CBtkeriiieilHiî4«a  oeomie  étape  Varsone* 
Là  paassaoce  iiuaBe(safdisposBit>à  justiSer/  par  des  aoies^  la  repu» 
tationqvsilaii pfiépandéntiseatoorrespettdances  Utté^       et seê^ 
déptelM  poitiiQpiesç  c'était:  daas -ce  but  quetts  flattail  FesiNnl 
dmxTnrsiàck,  etjqnfdfe  caresaaitd*AleÉibert>  Diderot,  serte 
de  journalistes  qui  faisaient  ses  affaires.  Quand  Voltaire,  couptisaai 
dans  r^mérét'de  hupUloaDpIrie^  écmaît^A  la  Sémiramis  du  Nord: 
«-qse  duiNovd  Yieadvah^lalnnHèrevx»  il  révélait  cette  habileté 
pmfande  qui  portait)  Gathmoe  ià  fiiÉe  parler  d-elle  à  tout  prix  : 
c^>f6rce  de  iaire  oeanattve  let  nom  rui^ae,  disait^lle,  on  le* 
cMaiplera  peur  iqufll^ite  dmseentilranceet  en  Angleterre ,  et  noua 
ne  serons  pknrralégttéa^pariiiiileabarbeffes^  on  parter&de  nous  à 
T^saittès,  ÂiLMdresesàAHdBid'^  et  iliaMtr«qu*enlparIe  de  voua 
esidipkwialhs  pour  "oenquénride  ràswndant;  a 

Le  jevneroonilli'de'NesselnMb  entra^dan»  le  réginiMit  des  gardes 
del'empereur^PauW  il^oMnt  bientAt  letitred^aide^Hle^oamp,  et^ 
prtrseafi^ades^aoiHlMiesavecriecointeJPaUenv  au)G«rd'bui>anibaa- 
aadMf  k^Vkty^V^iafffès  f  il  qintt»lânnée  active,  et  passa  dans 
les  légations  ^po«ri  suivre  lia  carrière  deson  pèrew  Nous  nesaohions 
pas  q«^oa»atojafliaiscenaidésé  le  cabinet  russe  en  Franoe  sous  le 
point  4a  vne'exdusifde'son habileté  etde  sa  persévérance  diplo« 
matique. On  a-chei«M4a cantedeisa^prépondérancedans la Ibrce 
niatérîeUe desesemées, dans  soniorganîaaiîon absolue; ce  n*est 
pCMOtlàqtte'se'troove  si^supériorMi  D  ni*jr  a  rien  de  {dus  persévé^ 
Tant ,  de  pins  adrcritement  envahisseur  qne  le  cabinetnisse  ;  il  va  ' 
leateaoïantv  sans  beaucoap  de  btuic-^  et^  depuis  un  siècle^  â'a  aœnt  < 
8M  «npire  de  onte*  mOllon»  d*habitansi  occupant  pins  de  cbll[' 
ceata  lieues carrtes,  eny  comprenantlftOéorg e  et  la  portion  dst 
là  Tanarie-réenie  au  goavemenentide^^la  Crimée;  IndépendÉaa^o 
nient^ de  cea conquêtes^  la<Russie  a  aoqpiisfiBoeitteatable  protiao^> 


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360  REYUS  BBS  BEUX  HOIfBBS. 

torat  de  la  Moldavie  et  de  la  Yalachie,  une  influence  &i  P^ae, 
telle  qu'aucune  autre  puissance  n'est  déscmnais  en  mesure  de  Im 
tenir  tète;  enfin  la  position  prise  par  la  Russie  à  Gonstantinople 
n'est-elle  pas  aujourd'hui  le  fait  le  plus  grave  de  la  diplomatie,  el 
tons  les  efforts  de  l'Europe  ne  tendent-ils  pas  à  empêcher  l'accom- 
plissement des  vastes  projets  de  Pierre  !«',  déjà  réalisés  en  pttlîeT 

Pour  arriver  à  ce  résultat,  la  Russie  n'a  épargné  ni  protestations 
politiques,  ni  appel  au  principe  religieux,  ni  corruptions  adroite- 
ment préparées.  Sachant  s'arrêter  à  point  nommé,  elle  ne  s'av^en- 
ture  jamais  dans  un  système;  quand  son  ambition  a  trop  donné 
l'éveil,  elle  fait  une  concession  momentanée;  puis  elle  rejn^nd, 
avec  une  admirable  suite,  ses  projets  d'àutirdbis.  Quand  les  tanps 
sont  venus  et  les  obstacles  abaissés,  elle  marche  droit  à  la  réalisa- 
tion de  sa  pensée. 

Lorsque  le  comte  de  Nesselrodé  commença  sa  carrière  dans  les 
rangs  secondaires  de  la  diplomatie,  Catherine,  frappée  d'une  apo- 
plexie foudroyante,  descendait  dans  la  tombe  ;  elle  cédait  le  sceptre 
au  grand-duc  Paul,  qu'elle  avait  tenu  dans  l'obscurité  la  plus  pro- 
fonde. Le  grand-duc  fut,  en  quelque  sorte,  jeté  d'un  cachot  smr  le 
trône,  delà  solitude  au  gouvernement  de  quarante  miHions  d'ames. 
On  a  exagéré  la  sombre  bizarrerie  de  PaulW;  on  l'a  présenté 
comme  un  prince  passant  soudainement  d'un  deq>otism^  farouche 
à  la  bienfaisance  et  à  la  douce  intimité.  Paul  h'  était  du  sang  de 
Pierre  h^;  entouré  de  conjurations,  menacé  dans  sa  personne, 
dans  sa  couronne,  il  fut  souvent  forcé  de  prendre  ces  résolutions 
inattendues  qui  ne  purent  lui  sauver  la  vie.  Les  caractères  naissent 
presque  toujours  des  situations.  Pour  juger  Paul,  il  faut  descendre 
dans  les  profondeurs  de  l'esprit  national  des  Russes,  et  voir  si 
l'empereur  n'était  pas  la  vivante  image  de  cette  noblesse  qui  «i 
finit  avec  son  prince  en  l'étouffiant  sous  des  oreillers. 

L'Europe  avait  prb  une  impulsion  nouvelle  depuis  la  révolution 
française.  Paul  h'  défendit  la  cause  de  l'unité  royale  en  France; 
inquiété  lui-même  par  l'esprit  de  révolte,  il  dut  voir  avec  peu  de 
foveur  cette  explosion  populaire  qui  éclatait  chez  nous;  mai» 
l'éloignement  de  la  Russie ,  ms  embarras  financiers,  le  partage  de 
la  Pologne,  ne  lui  permirent  pas  de  prendre  part  à  la  pranîère 
coalition  contre  la  révolution  française;  les  Russes  n'entrèrent 
en  ligne  qu'à  la  seconde  guerre  d'Italie,  lors  de  la  campagne  de 


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DIPLOMATES  EUROPEENS.  361 

Souwarow.  La  bataille  de  Zurich  mit  un  aux  espérances  de  la  se- 
conde coalition;  mais  les  régimens  russes  avaient  entrevu  l'Italie ^ 
ils  avaient  touché  la  Suisse.  Comme  les  barbares  des  in«  et  iv«  siè- 
cles, ils  rappelaient,  aux  longues  soirées  de  leur  froide  patrie ,  qu'il 
y  avait  de  grandes  villes  de  marbre  au  midi  de  TEurope,  que  ces 
belles  terres  produisaient  des  fruits  savoureux,  que  de  magni- 
fiques récoltes  se  déployaient  sur  d*immenses  plaines.  Ces  sou- 
venirs et  ces  regrets  sont  encore  un  des  dangers  de  la  civilisation 
moderne. 

La  carrière  diplomatique  de  M.  de  Nesselrode  s'ouvrit  un  peu 
plus  largement  lors  de  l'ambassade  de  M.  de  Marcoff  à  Paris,  sous 
le  consulat;  époque  merveilleuse  de  force  et  de  jeunesse,  où  tout 
se  retrempait,  gouvernement,  institutions,  systèmes  politiques.  Le 
premier  consul  put  facilement  ouvrir  des  négociations  avec  la  Rus- 
sie. Toutes  les  fois  qu'un  gouvernement  régulier  s'est  établi  en 
France,  TEurope  n  a  jamais  hésité  un  moment  à  le  reconnaître. 
M.  de  Nesselrode  demeura  comme  conseiller  d'ambassade  à  Paris; 
il  vit  naître  et  se  développer  dans  toute  sa  splendeur  la  puissance 
de  Bonaparte.  Qui  lui  aurait  dit  alors  que,  quinze  ans  plus  tard,  ce 
serait  lui,  comte  de  Nesselrode,  chancelier  d'Alexandre,  qui  pré- 
siderait aux  actes  de  déchéance,  et  sanctionnerait  le  décret  du 
sénat  de  1814,  qui  rétablissait  les  Bourbons? 

Paris  était,  à  cette  époque  du  consulat,  un  séjour  de  plaisirs  et 
•de  fêtes.  Le  traité  d'Amiens  venait  d'être  conclu;  la  paix  avait  été 
conquise  par  la  victoire;  on  avait  soif  de  distractions  et  de  repos. 
L'esprit  de  bonne  compagnie  commençait  à  se  montrer,  on  en  re- 
cherchait le  code  et  les  traditions,  on  en  caressait  les  débris;  il  y 
uvait  une  petite  cour,  aux  Tuileries,  chez  Joséphine  ;  on  recueillait 
avidement  tout  ce  qui  ressemblait  à  Tancienne  étiquette.  Les  ambas- 
sadeurs seuls  avaient  des  livrées,  et  ces  beaux  équipages  brillaient 
au  milieu  des  cortèges  quasi-républicains,  composés  d'une  longue 
suite  de  flacres  dont  on  cachait  les  numéros.  Napoléon  réservait 
-encore  toute  sa  magnificence  pour  les  fêtes  militaires,  ces  grandes 
revues  du  Carrousel,  où  se  déployaient,  au  milieu  des  flots  de  pous- 
sière, les  beaux  escadrons  des  guides  et  les  grenadiers  de  la  garde 
coiûulaire.  Ce  luxe  des  ambassades,  la  noblesse  d'extraction,  je-> 
taient  sur  tout  lepersonnel  diplomatique  un  vernis  d'aristocratie  qui 
produisit  un  engouement  général.  De  là  ces  bonnes  fortunes  qui. 


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802  HCVf  B<Jlte8  W0X  VOHOtS. 

pli!is  tinrd,  ëèifvirent  si  Men  le  comte  de  Metternich  dams  lesphs 
>  gtaciéM  eé^nnages.  Lo  oôiAte  kle  NeMOlrcde  avilit  trente  ans; 
eonrnietottsIiPs^RtMés,  il  ]^t»liit  «feoQeiiteiit  la  lansiie  française; 
fl  n*avait  irien  de  cet  accent  déêagt4Qbtei(}tt0téiitTeaprit  du  comte 
de  Metter nieh-ne  peat  disëinKiler^  H  ont «ddnc  sa  part  danfii  les  dis- 
sipations delà  noQYëHe^eoar'Où  de  jeunes  femmes,  font  étonnées 
de  leur  position  nouvelle,  s^ottbliàient  av«c  tant  d'abandon ,  sans 
s'inquiéter  si  le  chef  de  Fétàt^n'était  pas  la^e  la  phis  grave,  la 
plus  sérieuse  et  la  plus  sévère  de  son  temps.  Nous  ne  savons  pour- 
quoi, maisrien  ne"  nous  a^pdus  fait  preiidve^n  mépris  la  société  du 
consulat  et  de  Tempire  que  la  lecture  des  mémoires  qui  ont  été 
publiés  pour  en  faire  Tapologie.  A  cMé'des  merveilles  d*un  seul 
homme,  que  ces  petites  passions ,  que  ces  étroi&cs  intrigues  sont 
mesquines  et  désblantes  1 

La  légation  russe  avait  alors  à  s*occuper  d-nne  des  questions  les 
plus  iroportantesr  du  droit  maritime  et  des  gens.  Lctraité  d*  Amiens, 
qui  ne  pouvait  être  qu'une  trêve  armée  entre  la  France  et  l'Angle- 
terre, fut' déchiré  parles  deux  puissances  à  la  fois.  C'est  «me  ques- 
tion oiseuse  de  savoir  lequel  des  deux  gouvememens  commit  la 
premièreinf raction  au  traité  ;f  cette  paix  croula-pftrce  qu'elle  n'était 
qu'un  pointtle  repos  entre  deux  cabinets  qui  ne  pouvaient  vivre 
l'un  à  câté  de  l'autre  dans-leur  gigantesque  ambition.'  Dès  que  la 
guerre  fut  déclarée  entre  la  France  et  l'Angleterre ,  Napoléon  dut 
songer  à  pousser  vigoureusement  les  hostilités  ^mais  pour  arriver 
à  ce  résultat,  il  lui  fallait  la 'Coopération  de  quelques-unes  des  puis- 
sances du  continent.*PattM«r,  ardent  dana  ses  haines  comme  dans 
ses  admirations ,  avait  conçu  une  haute  estime  pour  le  premier 
eonsul,  et  Bonaparte,  mettant  à  profit  les  sentimens  de  son  nouvel 
alh'é,  lui  demanda  de  faire  re^rivre  le  grand prindpe  de  la  neu- 
tralité armée^^u'profit  de- la  Russie,  du  Danemarck  et  delà 
Suède.  Ce  principe  était  en  complète  opposition  avec  les  idées  et  les 
intérêts  anglais;  le  cabinet  britannique  n'a  jamais  admis  que  lepa- 
villon  pAt  couvrir  la  marehanléKse;  Me  escadre  parut  dans  le  Sand 
pour  agir  simultanément  centre  le  Danemarck,  la  Suède  et  la  Rus- 
sie, qui  avaient  «dhéîé' à  iaMMltralité  armée.  Ce^ftit  la  légation 
russe  de  Paris  iCfui  artéta>  fiftr  Forgatie  du  comte  de  Nesselfode, 
les  bases  fondemeiicales  ^>iMtté/Bur  tes  neutres,  dévdoppBment 
d'une  grande  pensée  ée^drok  Màiitfanie. 


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PIPIiOHATES  EUROPÉENS. 

Hais  bieatât  la  Saee  des  choses  changea  comne  par  qd  ccfip  de 
foudre.  Pa«l  I"  meurut  étouffé  daas  son  lis  par  une  aristocratie 
hautwie  qui  YOiilaU  se  débarrasser  d'umnattregèntot.  Le  doux  es 
mystique  Alexandre  fut  appelé  à  remplaeer  son  père,  et  ses  dispo*^ 
sitieii»àKég4rdde'Ia France  et  de  Napoléon  furent  presque  tmmé^ 
diatemeatbelUqueuBas*  L^Angletevre  domiaa  le  cabinet  de  Sainte 
Pétersbourg;  JaJégaUoA  russe  quitta  Paris. 

Le  r61e  (Aus  élevé  que  va  jouer  H«  de  Nessdirode  à  partir  dooetle 
époque,  Timportance  des  négociations  de  la  Russie  avec  la  EraMce^ 
iiécessitent  de  bien  expliquer  rorgatisatioa  hiérarchique  du  corps 
difJomatiqttei,  tel  qu*a  avait  été  conetilué  à  ravénemeeil  d*Alexant 
dre«  Le  czar  étant  à  la  fcûs  chef  suprême  deFarroéOf  de'radmiaisH 
trairni  et  de  Féglise,  tous-les  pouvoirs  dépendeal  de  lui;  en 
«onséquence,  il  se  réserv  e  la  direotion  de  ce  qu'on  appelle  la  chan^ 
ceUerie.  Cette  chancellerie  a  d*abord  des  agens  qui^  soue  le  titrd 
d'ambassadeurs  ou  de  ministres^  représentent  ofScieHement  le 
pfuiee  à  rextérieur.  Cette  chancellerie  est  inquiète*  et  active;  aussi» 
les  ambassadeurs  sont-ils  souvent  forcés  de  prendre  des  rensei*- 
goemens  minulieu&qui  sortent  du. rMeoidiaiaive  des  a^gens  recon- 
nus et  officiels.  Cest  ce  qiû  p«rta  si  souvent  rempereur  Napoléon 
à  des  mesures  presque-  violentes  contre  les  anAassadsui^s  russes; 
ceux-ci  se  procuraient  les  états  militaires^  les  convuntionB  secrètes, 
ils  pénétrment  les  mystères  les  plus  intimes  du  cabinet.  Indépen-* 
damment  de  ces  agens  officiellement  accrédités,  le  czar  envoie 
encore  des  aides-densamp  sans  autre  mission  patente  que  celle  d'un 
voyage  ou  d'un  compliment 4  ces  aides-de-camp  examinent,  font 
des  rapports  aussi  bien  sur  les  gouvernemens  et  les  populations 
qu'ils  inspectent  que  sur  les  ag^s  mêmes  de  la  Russie.-  C'est  ainsiy 
par  exemple,  qu'en  1811  l'aide-de^ramp  Tchernitche£f  fit  deux  ou 
trois  voyages  à  Paris,  sous  prétexta  de  comidimenter  Napoléon  et 
de  lui  apporter  des  lettres  autographes,  et  s'en  retourna  enRussie 
avec  l'état  de- toutes  les  forces  militaires  qu'un  employé  du  minis- 
tère de  la  guerre  lui  avait  livré.^  Enfin,  quand  le  czar  entre  en  cam- 
pfigne,  un  grand  nombre  d'officiers-généraux  réunissent  à  leur 
titre  militaire  des  missions  diplomatiques.  Ainsi  le  comte  Pozzo  di 
Borgo  suifaittottt  à  la  fois  les  opérations  stratégiques  et  les  négo- 
ciations qui^  pouvaient  en  assurer  le  développement. 

Le  comte  de  Nesselrode  fut  attaché  à  son  retour  à  la  chancelle-^ 


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I 


36(  REVUE   DES   DEUX  MONDES. 

rie  intime.  L*emperear  Alexandre  lui  reconnut  une  grande  apti- 
tude pour  les  négociations,  une  intelligence  sérieuse ,  enfin  cet 
esprit  souple,  érudit  et  facile,  si  essentiel  pour  seconder  la  volonté 
du  maître.  Pendant  les  grandes  guerres  de  1805,  couronnées  par 
Austérlitz,  pendant  la  campagne  de  1807,  et  lors  de  l'entrevue 
d'Ërfurth,  le  comte  de  Nesseirodc  chercha  surtout  à  plaire  à  Tem- 
pereur  Alexandre,  trop  profondément  pénétré  de  l'excellence  de 
ses  propres  idées  pour  souffrir  une  impulsion  qui  n'eût  pas  été  la 
sienne. 

C  est  à  partir  del'entrevue  d'Erfurthque  trois  pensées  se  disputent 
plus  spécialement  la  diplomatie  du  cabinet  de  Saint-Pétersbourg: 
l'une,  entièrement  russe,  qui  voyait  avec  douleur  l'alliance  d'Alexan- 
dre avec  le  chef  du  gouvernement  français.  Il  y  avait  haine  du  vieux 
Moscovite  contre  la  civilisation  du  midi,  de  la  vieille  noblesse  contre 
de  glorieux  parvenus.  On  ne  voulait  pas  une  rupture  ouverte  avec 
la  France;  mais  les  engagemens  pris  par  le  traité  d'Erfurth,  les  in- 
timités nées  entre  les  deux  couronnes  sous  la  magique  parole  de  Na- 
poléon, déplaisaient  à  rimpératrice-mère,  aux  successeurs  de  ces 
boyards  qui  prétendaient  encore  au  gouvernement  féodal  des  pro- 
vinces russes.  La  seconde  école  était  en  quelque  sorte  grecque  et 
orientale  :  elle  fut  plus  tard  représentée  par  le  comte  Capo  distria. 
Par  le  traité  d'Erfurth,  Napoléon  avait  voulu  satisfoire  quelques- 
unes  des  vieilles  ambitions  de  la  Russie  :  dans  ce  nouveau  partage 
du  monde,  il  concéda  à  Alexandre  la  réalisation  pleine  et  entière  des 
idées  de  Catherine,  Gonstantinople  dans  quelques  années,  Ispahan 
et  la  Perse  à  une  époque  plus  reculée;  on  parla  de  l'indépendance 
de  la  Grèce  et  de  la  possibilité  d'une  insurrection  parmi  les  popula- 
tions helléniques  et  syriaques.  Il  y  avait  long-temps  que  ces  projets 
roulaient  dans  la  tête  de  Napoléon.  Général  de  l'armée  d'Egypte, 
n'avait-il  pas  songé  dès-lors  à  réchauffer  les  passions  chrétiennes  pour 
soulever  les  Koptes  et  les  Syriaques  contre  la  domination  ottomane? 
On  sent  qu'au  principe  de  l'école  diplomatique  grecque  devaient  se 
lier  quelques  maximes  de  liberté;  Capod'Istria  en  demeura  l'ex- 
pression auprès  d'Alexandre.  La  troisième  école  diplomatique  fat, 
en  quelque  sorte,  fondée  par  le  comte  de  Nesselrode;  elle  consista 
à  prendre  le  milieu  entre  toutes  ces  idées.  Le  comte  de  Nesselrode 
ne  fut  jamais  dévoué  exclusivement  aux  plans  de  l'entrevue  d'Er- 
furth ;  il  ne  se  laissa  pas  séduire  par  les  rêves  gigantesques  des 


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DIPLOMATES  EUROPiERS.  S85 

deux  empereurs;  il  ne  fut  ni  absolument  libéral  avec  Técole  alle- 
mande et  grecque,  ni  absolument  vieux  Russe  dans  ses  répugnan- 
oes  contre  Napoléon.  Ce  que  sut  apprécier  Alexandre,  ce  fut  Tobéis- 
sanoe  intelligente  du  ministre  à  toutes  ses  volontés.  Le  comte  de 
Nesselrode  exécutait  toujours ,  mais  en  tempérant  ces  impressions 
d'enthousiasme  mystique  qui  caractérisaient  souvent  la  politique 
d'Alexandre  ;  il  ne  donnait  pas  Timpulsion,  mais  il  empêchait  d'al- 
ler trop  loin. 

L'époque  où  conmience  la  faveur  du  comte  de  Nesselrode  est,  à 
rrai  dire,  celle  de  l'expédition  française  en  Russie.  Le  mouvement 
qui  repoussa  cette  gigantesque  entreprise  fut  plus  national  encore 
que  militaire;  il  fallut  se  retremper  dans  le  vieux  sang  moscovite 
pour  retrouver  l'énergie  des  forêts,  contre  laquelle  les  czars  lut* 
talent  depuis  Pierre  l".  Alexandre,  dont  Téducation  et  les  pridci- 
pes  s'opposaient  à  ce  retour  de  barbarie,  eut  besoin  de  trouver  dans 
son  intimité  des  hommes  auxquek  il  pût  conCer  ses  craintes  sur  le 
résultat  du  mouvement  moscovite  qui  le  dépassait.  Le  comte  de 
Nesselrode  devint  un  de  ces  hommes  de  confiance;  dés  1812,  sans 
avoir  le  titre  officiel  de  chancelier  d'état,  il  prit  la  plus  grande 
part  aux  immenses  travaux  diplomatiques  d'alors.  Ce  fut  M.  de  Nes- 
selrode qui  conclut  et  signa  le  traité  de  subsides  avec  TAngleterre 
et  l'alliance  intime  des  deux  grandes  puissances  contre  Napoléon. 

Le  comte  de  Nesselrode  ne  fut  pas  plénipotentiaire  en  titre  au 
congrès  de  Prague;  les  pleins  pouvoirs  furent  confiés  à  M.  d'Ans- 
tett,  diplomate  habile  d'ailleurs,  quoique  ce  choix  ne  dût  pas  être 
très  favorable  au  système  de  paix  (1).  Mais  Timpulsion  et  la  direction 
émanaient  tout  entières  d'Alexandre,  et  par  conséquent  du  comte 
de  Nesselrode,  son  interprète  le  plus  sincère  et  le  plus  dévoué.  D 
étmt  alors  d'une  immense  importance  d'entraîner  l'Autriche  dans 
la  ligue  contre  Napoléon  ;  le  succès  de  la  campagne  d'Allemagne  en 
dépendait.  M.  de  Metternich  n'était  rien  moins  que  décidé  à  cette 
époque;  il  voulait  d'ailleurs  faire  acheter  l'alliance  de  l'Autriche 
au  plus  haut  prix  possible.  La  négociation  fut  suivie  avec  une 
*  grande  habileté  par  le  comte  de  Nesselrode;  et  à  la  fin  du  congrès 
de  Prague,  la  coopération  de  l'Autriche  était  assurée  aux  arméea 


(1)  M.  d*Ansteu  était  d*origine  française,  et  Napoléon  ne  pardonnait  pat  à  on  Français 
4e  tervir  on  gouvernement  étranger. 


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9K  ntnm'^vaiS'hunitm^tnm. 

Uiî<noow(élénRmt  8*étailiiiiiflnfe8lé  dans) Ja  di^tfaMitifr trm»^à 
Oétte^ éj^oqm^  Le gènérûl PouMudi Borga irenait d'airiraraM fan^ 
tièr^éflérâ^  après  atoîrreiipM  sa  missUmauprèa  dl»  prinmfTOjitf 
de  Saèàé ,  Benruadette;  I%xzadi  fi^Kigo  repréàeiilat  tovtèsiM'kil^ 
nés  dH'parll  corse  coatreNtapolébft;  il  éaatS'amidœ  générERtl 
mécontens  de  Tempire;  son  idée  fixe  était  la  chute  derBona^parlo^ 
LeccmMde^Nesselrodè  6«t,  sinao  à  lutter  comitnnoMe  inflocuÊe, 
d«  mokifliè  :eii  attéBuer  iesMeonséqneoees  exagéréési  Conuacr  Hldt 
Ifettemidivle  cowle  dciNéaselrode  croy^t  qu'il  éiail  p^aiUe'de 
tHûler  aT«c  Mapoléoa  /  eu  SMtioit'  sa  ipvîsaaace  mStaire^  de  tcHe 
Mrte  qof  elle'  ne  menaçâtiphie  Uindépendàn»  attemanéev'  aï  ia^  sieik* 
rite  deB^tirôts  et  >dea>  rdatious'deafpraBdsétatsb  Slirtefpoiaftvb 
comte defifessdrode  serapprodoit  encore  des  opÎMBs^'Alexa»* 
dre ,  qid,  durant  la  campagne  de  181S,  nepensakpas  phieàren* 
Terser  Fenipereur  des  Français  qn^  se  mêler  des  foormes  dii|^»r 
Temementdela  FrancejLaqaeationdurenTersemettimeyiiilqa'ea 
1814  ;  onuvait  assez  aloïkrsdeB  affaires  d'Allemagne;  IerRhi«n^4iail 
pas  franchi;  On  a  dit  que  leeomte  dcrNessAode^'  coaaatssatti  Vett 
ttiBTued^Aba  entre  rëmpereur  Alexandre  et  Beraadotte»  ne  pans» 
valt  ignorer  qu'il  y  avait  été  question  d'nn  grand  nombl'e  d'éventoa» 
lités ,  parmi  lesqneHes  se  troiMrail  la'  posabilité  d'une  auftre^fonne 
de  gouvernement  en  France»  Ceux  qui  savent  unpen  le^fond  des 
affairesi  n'ignorent  pas»  qne  rien  ne  fut  plus  vagnerque  cette!  entre* 
?ne,  si  on  en  excepte  la  question  des  rapports  intimes  de  la<Riisiii 
et  delà  Saède>  de  leurs  différentes  réclamations  territoriales  el 
pécuniaires,  et  qu'en  n*y  arrêta  aucune  conventnm  peorrenversii 
le  souveraÂfrquJ  jonissaken  France  d'une  autorité  incontestée. 

En  181t,  lorsque  les  alKés  eurent  passé  le  Rhin,  la  diplomatie  di( 
suivre  en  personne  toutes  les  phases  de  la  guerre,  pour  être  toiqean 
à  portée  deTépondre  aux  propositions  qui  ponveient  être  faites  pat 
Fempereur  Napoléon.  L'arrivée  de  lord  Castlereaghsuriecontineitf 
fecilitait  les  transactions  pour  les  subsides  et  l'armement  des  corps; 
l'Angleterre  à  ce  moment,  il  feut  bien  le  dire,  avait  acqiûs  un 
tel  ascendant,  qu'elle  seule,  en  quelque  sorte,  donnait  l'impul- 
sion et  dirigeait  tous  les  actes  des  cabinets  :  fournissant  les  subsi- 
des de  guerre,  rien  de  plus  simple  qu'e]le  dût  leur  assigner  un  ^n- 


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jifjflOMA'OiS  EIUlOBÉfiHÇ.  367 

,  ffekâtonnioé.  LeoMBUe  de  JXesseltode  régla  avecjord  Casdereagh 
.  la  foana4Q  paiementf  pour  la  sûlde  xle&  tromm^^t  lea  résultats 
dô)lomatiques  de  la  campague. 

DoraAt  GAlte  campagne  de  181&,c*estauprdadu  comte  deNessel* 
,  r^e  que  convergent  toutes  les  démarches  du  parti  royaliste  pour 
.  lu  restauration  des  Bourbons;  c'est  à  lui  que  s*ouvrît^  pour  pré- 
parer tes  voies  à  Tancienne  dynasUe^JUL  deVitroUes,  agent  secret 
de  M.  de^  TaUeyrand  an  quartier-général  des  alliés.  Les  tristes 
.  évènemensde  la  guerre  avaient  amené  les  troupes  coalisées  à  Paris; 
.  Jq.mcfnent  était  décisif  pour  cette  fraction  du  sénat  qui,  sous  la 
direction  de  HM.  deTaUeyrand,  .d'Alberg»  Jaucourt,  voulait  la 
cbote  de  NsfHdéon;  Un  gouvernement  provisoire  avait  été  formé 
aqprès roceQpation.de  *la  capitale^  il. n'y  avaitpas  à  hésiter  dans  le 
;(Âoix.des  aUmiots,  il  était  urgent  <d*.obtenir  Tappui  de  l'empereur 
Aleoandre  i  mais,  avant  tout,  il  fallait  s'assurer  le  crédit  du  omte 
de  Kesselrode,  le  mini^trç  signataire  de  tous  les  actes  diplomati- 
ques depuis  trois  ans.  H  fut  donc  entouré ,  assailli  par  mille  intri- 
gv€9  cpiise  croisaient,  par  des  négociations  de  toute  espèce  qui 
Tenaient  abonUr  à  son  cabinet*  Les  premières  démarches  du  comto 
/da:M8ssrirode  furent  très  réservées;  il  voulait  t&ter  l'opinion;  il 
fellait  d'ailleurs  décider  le  prince  de  Schwartzenberg,  qui  com- 
'  imdiit  l'armée  active,  à  une  grande  démonstration,  et  l'on  ne 
savait  pas  précisément  quels  étaient  les  projets  de  l'Autriche  et  da 
priBoad&Metternich  en  particulier.  Toutes Jes  pièces  diplomatiques 
teanée»  du  eomie  de  Nessdrode  se  ressentent  de  cette  situation 
.  OMD(dexe.  Toutefois  le  ministre  d^Àlexandre  se  prononça  plus  net^ 
..tementdans  nnedettre  officielle  du  1''''  avril,  adressée  àM.  Pasquier, 
pvé&t  de  peliee,  afin  qu'il  eût  à  mettre  en  liberté  les  personnes 
jDTètées  pour  avoir  manifesté  des  opinions  favorables  à  leur  sou- 
nermn  iégUime.  U  était  évident  que  l'expression  souverain  légitime 
indkpiait  «ne.  décision  secrète  prise  en  faveur  des  Bourbons.  Ja- 
mais peut-être  il  n'y  eut  plus  d'aaivité  dans  la  diplomatie;  le 
•sdon  de  M.  de  Nessekode  ne  désemplissait  pas  :  tantôt  c'était 
H»deGa«laineattrtqui  venait  avec  les  pleins  pouvoirs  de  Napo- 
•Jéon;  iwtAt  les  maréchaux  de  l'empire  qui  stipulaient  les  droits 
;]de  l'armée  ;  tantôt  arrivaient  MU.  de  TaUeyrand,  Jaucourt,  d'Âl* 
^becg ,  pour  presser  M^  de  Nessekode  d^en  finir  avec  toutes  les  in- 
i,.par  ia  dâdbéanee  deu Napoléon;  enfi^,  les  royalistes 


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X 


( 


368  REVUE  DES  DEUX  MOlfDES. 

dévoués  aux  Bourbons,  tels  que  MM.  Sosthènes  de  La  Rochefou- 
cauld, de  Yitrolles,  accouraient  joindre  leurs  instances  de  cour- 
tisans. 

Ce  fut  à  la  suite  de  ces  négociations  si  diverses  que  parut  la  dé- 
claration de  Tempereur  Alexandre  qui  annonçait  à  la  France  qu'os 
ne  traiterait  plus  avec  Napoléon  ;  H.  de  Nesselrode  tint  la  plume, 
et  imprima  à  cet  acte  un  remarquable  esprit  de  modération.  Cette 
déclaration  fut  tirée  à  iin  nombre  immense  d'exemplaires,  an 
moyen  d*une  presse  à  la  main,  dans  Thôtel  de  M.  de  TaUeyrand, 
rue  Saint-Florentin  ;  ce  fut  un  coup  de  parti  pour  la  maison  de 
Bourbon.  On  a  dit  que  de  riches  présens  déterminèrent  la  résolo- 
tion  de  M.  de  Nesselrode.  Il  faut  en  général  un  peu  se  défier  de 
tous  ces  bruits  qui  circulent  après  les  grands  évènemens  politi- 
ques; il  y  a  moins  de  corruption  qu'on  ne  pense  dans  les  affoires. 
Toutefois ,  il  est  probable  qu*à  la  suite  d*un  acte  aussi  décisif,  on 
dut  garder  quelque  reconnaissance.  D  est  bien  rare  que,  dans 
les  transactions  diplomatiques ,  il  n*y  ait  pas  toujours  quelques 
dons  secrets  qui  accompagnent  la  signature  des  stipulations;  c*est 
un  usage  ;  ces  présens  furent  proportionnés  sans  doute  i  la  grtu- 
deur  du  service  :  c*est  tout  ce  que  rhnpartialité  historique  peut  dire 
à  ce  sujet. 

Cette  époque  de  iSH  fut  brillante  pour  le  comte  de  Nessdrode. 
L'influence  modérée  de  la  Russie  avait  dominé  toutes  les  résolutions 
et  adouci  les  conditions  de  la  victoire.  L'empereur  Alexandre  était 
salué  comme  un  symbole  de  paix;  1* Autriche,  l'Angleterre,  étaient 
effacées;  on  ne  parlait  que  d'Alexandre,  et  sa  popularité  se  refléta 
sur  le  comte  de  Nesselrode  jusqu'à  ce  point  de  donner  quelque 
jalousie  à  M.  de  Metternich,  qui  jamais  ne  fut  plus  oublié  que  dans 
les  transactions  de  Paris  en  ISlfc.  Le  ministre  autrichien  aBait 
prendre  sa  revanche  au  congrès  de  Vienne.  La  première  occupa- 
tion de  Paris  fut  l'apogée  de  la  toute-puissance  morale  de  la  Russie 
dans  les  affaires  du  midi  de  l'Europe. 

Ici  nous  avons  besoin  de  bien  préciser  tous  les  obstacles  qui  en- 
touraient le  rAle  de  M.  de  Nesselrode.  Rien  n'était  plus  mobile  et 
plus  impressionnable  que  Tesprit  d'Alexandre:  il  passait  de  Fen- 
thousiasme  à  un  sentiment  opposé  avec  une  inconcevable  rapidité; 
il  était  presque  impossible  de  le  faire  revenir  de  l'idée  qu'Ô  avait 
embrassée,  et  si  on  le  suivait  sur  ce  terrain,  une  a^tre  idée  8urf^ 


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DIPLOMATES  EUROPÉENS.  369 

nait  bientôt  qvC'û  adoptait  avec  non  moins  de  chaleur.  Depuis  la  fin 
de  1813^  Alexandre  était  fortement  préoccupé  du  mysticisme  de 
M""*  Krûdner  ;  il  mêlait  à  ses  manifestes  européens ,  à  ses  théories 
de  paix  et  de  guerre,  une  sorte  de  superstition  exaltée  bien  difBdle 
à  tradu're  et  à  appliquer  dans  les  affaires  positives.  Au  congrès  de 
Vienne  pourtant,  c*  était  d'affaires  positives  que  Ton  avait  à  traiter.  La 
Pologne  était  alors  occupée  par  une  armée  russe.  L*écoIe  diploma- 
tique des  vieux  Moscovites  voulait  que  cette  occupation  devint  per- 
manente; elle  demandait  que  la  Pologne  fût  réunie  à  la  Russie,  et 
que  les  Polonais  ne  reçussent  ni  constitution,  ni  privilèges  d'état 
libre.  Les  intentions  d'Alexandre  étaient  bien  différentes  :  il  son- 
geait à  orner  son  front  de  la  couronne  de  Pologne  ;  il  voulait  en 
réunir  tous  les  fragmens  dans  un  même  système  d'organisation 
politique.  Le  comte  de  Nesseirode  fut  l'exécuteur  fidèle  de  cette 
pensée  au  congrès  de  Vienne;  la  question  de  Pologne  fut  son  unique 
préoccupation,  comme  la  conservation  de  la  Saxe  et  la  restauration 
des  Bourbons  de  Naples  avaient  été  le  but  de  M.  de  Talleyrand. 
M.  de  Nesseirode  eut  aussi  à  combattre  tout  à  la  fois  M.  de  Metter- 
nich  et  la  Prusse,  qui  craignaient  de  voir  échapper  les  fragmens  de 
la  Pologne  qui  leur  étaient  échus  par  le  dernier  partage.  Toutefois 
ce  fut  au  congrès  de  Vienne  que  H.  de  Nesseirode  se  lia  avec  le 
baron  de  Hardenberg.  La  Russie  avait  appuyé  les  prétentions  de  la 
Prusse  sur  la  Saxe;  des  liens  politiques  et  de  famille  avaient  rat- 
taché ces  deux  états  l'un  à  l'autre  ;  la  Prusse  était  destinée  désor- 
mais à  servir  d'avant-garde  à  la  Russie  dans  ses  projets  d'influence 
sur  le  midi  de  l'Europe.  Cette  intimité  de  la  Russie  et  de  la  Prusse 
amena  un  rapprochement  secret  entre  l'Autriche,  l'Angleterre  et 
la  France,  dans  le  but  de  s'opposer  aux  projets  d'Alexandre. 

Tous  ces  petits  intérêts  se  confondirent  en  face  de  l'immense  nou- 
velle du  débarquement  de  Napoléon  au  golfe  Juan.  L'empereur 
Alexandre,  plus  que  jamais  dans  les  idées  mystiques  et  libérales  de 
Técole  allemande ,  n'hésita  pas  un  moment  à  prêter  ses  forces  à  la 
coalition.  M*"'  Krûdner  ne  lui  avait-elle  pas  persuadé  que  l'ange 
blanc  ou  de  la  paix  devait  en  finir  avec  l'ange  noir  ou  des  batailles, 
et  que  ce  rAle  de  médiateur  et  de  sauveur  du  genre  humain  lui  était 
destiné?  Les  immenses  armées  d'Alexandre  se  mirent  donc  en  mou- 
rement  contre  l'ange  noir;  mais  les  Russes,  qui  avaient  prêté  un 
app«i  décisif  dans  l'invasion  de  1813  et  de  îBih,  n'arrivèrent  cette 
TOME  vn.  2i 


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:  370  RBTOE  DES  DEUX  IIOR9ES.        ^ 

.  ifbU  qu'en  troitiéiiié  ligne  de  bataille.  Cest  oe^qai  expfiqoa  VîUflwm 

>texcliisiveiiiait  anglaise  et  prussienne  qui  domina  les  transactiooi 
.de  1815.  Alexandre  se  posa  commeprotecteur  des  intérêts  françaû^ 
autant  par  générosité  de  caractère  que  par  la  rivalité  naturelle  qai<, 
se  montrait  dès<4ors  entre  la  Russie  et  1*  Angleterre.  Dansoettedr-^ 

.  constance.  Faction  de  M.  de  Nesselrode  fut  aussi  puissante  sur  Tes- 
prit  de  Tempereur  que  celle  du  comte  Pozzo;  ils  rendirent  de.granda 
servicesànotre  pays,  il  foutle  reconnatere  ;  ils  nous  sauvèrent  d'uAj 
morcellement  de  teroitoire  et  d*unc  indemnité  pécuniaire  ^uis^-éte- 
rait  au-dessus  des  ressources  de  la  France. 

Dés  cette  époque  commence  à  poindre  une  rivalité  dangereose^ 
pour  le  comte  de 'Nesselrode  :  nous  voulons  parler  deCapo  d'Istria. 
Le  comte  Capo  distria  était  né  dans  les  Hes  Ioniennes,  au  sein  M^ 
cette  population  grecque  si  souvent  encouragée  par  les  csars  i^ 
conquérir  sa  liberté;  il  était  ramid'Vpsilanti,  de  toute  cette gésé- 
ration  ardente  qui  combattait  pour  l'indépendance  hellénique.  Son 
.  crédit  remontait  à  ses  négociations  en  Suisse  en  1815,  négocia-^ 
tiens  qui  eurent  pour  résultat  un  nouvel  acte  de  médiation.  Gspe^ 
d*Istria  fut  quelque  temps  après  appelé  à  partager,  avec  le  comte  ^ 
de  Nesselrode,  le  mbistère  des  affaires  étrangères,  et  la  casse  j 
grecque  trouva  en  lui  un  appui coastant,  un  interprète  chaude 
fidèle. 

Cétait,  nous  le  répétons,  une  véritable  rivalité,  car  le  comte  de 
Nesselrode  appartenait  essentiellement  aux  idées  et  à  Técole  eoro-  ^ 
péennes.  La  pensée  dominante  de  cette  école ,  depuis  1816,  était  h  Z 
répression  du  mouvement  libéral  produit  par  la  grande  résistaaoe  ^ 
populaire  aux  conquêtes  de  Napoléon.  M.  de  Nesselrode  s'étaitsnr 
ce  point  tout-à-fait  rapproché  de  M.  de  Metternich;  tous  deai 
voyaient  avec  chagrin  Tempereur  Alexandre  livré  à  Técole  libérale 
hellénique  du  comte  Capo  distria.  La  difficulté  politique  se  com- 
pliquait d'une  question  religieuse:  il  y  avait  sympathie  entre  les, 

t  deux  égtises  grecques  de  Moscou  et  d'Athènes;  les  patriarcties 
'  étaient  en  communion.  On  ne  pouvait  sur  ce  point  attaquer  de  front    ^ 

:  Fempereur  Alexandre  ;  il  n'était  possible  à  M.  de  Nesselrode  de  lut-  "^ 
ter  contre  Capo  d'Istria  qu  en  semant  partout  des  craintes  sur  les 

;  redoutables  «progrès  de  Tesprit  d'insurrection. 

J>éjè,  à  latfin  de^  1815,  Fempereur  Alexandre  avait  oonçu  le  fff)^t 
idela.sfflBtetftIiiance,fprojetx|ui,  4aiis  i*origine,  n'était  queloti: 


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I 


1^1 


oaiè'qvl  reposait  sur  nn  principe^de  résistance  à  Tésprit  de  Kbertér/ 
i*«aifite4iWàBce  étaiitun  contracte  garantie^  mtitaellé,  et  en  qnel-> 
[ne-aorte  d»  serfid  '^rité  dei^^  covronnes^  contre  I^tntmvementlfbéral 
les  peuplé».  W.  delfMternteh  et  le^  comtede  Nësselrode  n'étaient 
«rtaniemenf  pas  des  hommes  k  yag^es  transactions ,  il  y  araittrop 
léposittf  dans* leur  Tîe'pour  cela.  Ile  virent  néanmoins  aree  satis-* 
wskkm  le  czar  s'engager  dans  ces  idées  ;  l'un  et  Tântre  espéraient 
mtratner  f  empereur  ATelandre  dans  lenr*  système.  Les  évènemens 
wmbiaieat  iFaillettra*  favwrser  la  pensée  commune  du  comtes  de 
feaMdrode  et  da  prince  de  M^tternieh.  Les  sociétés  secrètes  d'Allé^ 
Dagae  prenaîeni  on  développement  efFk-ày  ant;  la  FHisse,  V A vtriche, 
^taieBldansde  perpétuelles  incfniétades'suv^ré'sprit'et  la  tendance 
tecea  assoda tiens;  eHes  écrfvaient'  notes-  sor  notes  an  cabinet  de 
Mot-Vétersbourg  y  et  Ml  de  Nesselrode  promettait  secours  ans 
ieax  cabinets  alarmés.  D*un  antre  côté,  le  sénat  de  'Pologne,  pav 
une  résistance  mri  calculée,  venait  de  blesser  profondémetiTlë^ 
ftffecfioBS  de  Tempereur.  €e  qtii,  dans'un  geuvernemenf  normal  et 
Donsittutionnel ,  eAt  étéreonsiéKvé  comme  u»  acfe^ légal,-  Ah  eon^ 
Fondo  aree  la  réveMè  armée;  et  f  empereur  prit  toai:4  couples' ré^ 
solodoss  rieientes  à  l'égard  de  la  P6te^ne.'  C^it  rentra  dans  les 
idées  du  système  européen,  cette  grande  répression  qui  appartei- 
Dait.à  récok  de  VMi  de^Wèsselrbde  et  MWtm  nichr,  Il^y  avuit  amsi 
phis;d*iifvinlérét  en  jeu.  powr^  affelbfir  le  crédit  du  'CoHégue  Kbérai 
de-M.  de  Nesselrode.  Cape  d^istria'' était  farorable  à  sescompa** 
triotes,  q«â  venaienipdeeeeouer'par  uwnKnivement  généreux  l'ôp^ 
presafott  de  la  Porte;  Càpod%tria' poussait  Pempereur  AMaiMrfe 
à  intiervenir  immédiatemeni  e«'portani*'mfe'année  rw9se^suf»'le 
Proth ,  eruneflottedans ta-Sferée. Lé prrnee'de M^témieli'Vit «rec 
effirm  VînsiirreetiondelafiTèee^  VieilW'allîée  de  la  Pélrtei  la  nwi* 
son  d^Aiïtriche  s'efforça  d'éviter  un 'conflit  qui  menaçait  ia  pms^ 
Htooe  ottomanoy  nécessaire  à  PéquiHbre  européen  ;  en  conséquence; 
la  tactique  del'Autriclie,  secondée  par  M.  de  Nesselrode,  dut  être 
de  persuader  à  l'empereur  Alexandre  que  le  comte  Capo  d'Istria 
ne  voyait  qu'une  question  de  co-reKgionnaires  là  où  il  y  avait  un 
véritable  esprit  de  révoluticm. 

Ce  fut  alors  que ,  de  concert  avec  le  comte  Nesselrode,  M.  de 
Metternich  revint  à  l'idée  d'un  congrès^  à  ces  grandes  représenta^ 

24. 


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379  REYIIl  DES  DEUX  1I0KIIK8. 

lions  des  souverainetés ,  telles  que  les  entendait  la  saintMiiM^ 
L*écoIe  diplomatique  du  congrès  de  Vienne  avait  une  prédBedai, 
marquée  pour  ces  assemblées  européennes  dans  lesqueUes  lerk» 
mes  d*état  se  réunissaient  pour  régler  les  grandes  affaires  dicoi»' 
tinent.  Ce  goât  des  congrès  se  rencontre  également  chex  E  è 
Talley  rand ,  chez  le  prince  de  Mettemich  et  chez  le  comte  deNe«k 
rode.  L'empereur  Alexandre  les  recherchait  aussi ,  parce  qa*OBrf 
consultait  comme  arbitre  souverain  ;  Q  aimait  qu'on  s'en  rapportki 
sa  générosité  et  à  son  expérience.  H.  de  Nesselrode  accompipili 
czar  dans  les  réunions  de  Troppau  et  de  Laybadu  Ceux  qd  o* 
approché  l'empereur  Alexandre  à  cette  époque,  remarquerez 
qu'il  était  dans  une  sorte  d'incertitude  entre  les  idées  libénbA 
les  tendances  fortement  répressives  de  l'Autriche.  M.  de  Hetto^ 
nich  consacra  toute  son  habileté  à  convaincre  Fempereur  des  dai- 
gers  qui  menaçaient  les  souverainetés  européennes»  si  on  va 
décidait  à  un  de  ces  grands  mouvemens  militaires  qui  en 
avec  les  rébellions.  C'est  alors  qu'à  point  nommé  arriva  au 
de  Nesselrode  la  nouvelle  d*un  mouvement  séditieux  q«i  s'éttk 
manifesté  dans  un  régiment  de  la  garde  à  Saint-Pétersbonrg.  Gem 
nouvelle  changea  brusquement  les  dispositions  de  l'emperevi 
H.  de  Nesselrode  reçut  ordre  d'entrer  corps  et  ame  dans  kwmr 
vement  autrichien. 

Ce  qu'il  faut  bien  remarquer,  c'est  que  dans  cette  lutte  entre  k 
principe  libéral  et  le  principe  absolutiste,  Capo  d'Istria  était  de* 
meure  le  fidèle  interprète  d'une  pensée  indépendante  pour  laGrèoi 
Le  malheur  voulut  que  le  mouvement  insurrectionnel  des  HeDèseï 
se  mêlât  à  la  révolte  du  Piémont,  à  la  proclamation  de  la  comtits* 
tion  des  cortès;  on  ne  put  pas  toujours  exactement  détermiiier  h 
différence  qui  existait  entre  un  mouvement  militaire  désordooné» 
qui  effrayait  les  gouvememens  réguliers,  et  ce  magnifique  spedt* 
de  de  la  Grèce,  vierge  morte,  comme  dit  Byron,  qui  arbonitii 
croix  sur  ses  drapeaux  déchirés.  Capo  d*Istria  fut  disgracié  fcm 
son  amour  de  la  Grèce.  Triste  ingratitude  des  révolutionsl  c'est  ce 
même  Capo  d'Istria  que  le  poignard  d'un  Hellène  fra{^  au  oror. 

Dès-lors  s*opère  la  fusion  intime  de  la  politique  russe  ei  à 
la  diplomatie  autrichienne;  c'est  l'absolu  triomphe  du  prince  di 
Metternich.  Cette  situation  se  prolonge  au  congrès  de  Vérone.  M.  de 
Nesselrode  était  alors  ministre  unique,  chef  de  la  chancdlerieso» 


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DIPLOMATES  BUROPÉIMS.  573 

I  ordres  d'Alexandre.  Au  coii(p*ès  de  Vérone,  c'est  M.  de  Nés- 
Irode  qui  tient  la  plume  ;  tout  se  fait  de  concert  à  Fégard  de  FEs- 
^ejes  notes  diplomatiques  sont  rédigées* en  commun;  c*est 
.  de  Hettemich  qui  écrit  au  ministre  autrichien  à  Madrid»  comme 
3st  M.  de  Nesselrode  qui  rappelle  le  ministre  russe  et  qui  f ul- 
ioe  des  arrêts  de  proscription  contfe  rassemblée  des  cortès. 
)  n*estplus  Alexandre  libéral  modéré  ;  c^est  le  prince  absolu ,  im- 
^tif,  qui,  par  l'organe  de  son  ministre  »  impose  partout  la  loi.  Si 
finesse  de  M.  de  ViUèle  se  refuse  d'abord  à  s'engager  dans  une 
HDpagne  coûteuse  et  soumise  à  des  chances  diverses,  H.  de  Nés- 
irode  n^hésite  pas  à  lui  écrire  au  nom  de  son  maître  pour  lui  an* 
)ncer  que  la  Russie  est  décidée  à  tout  tenter  pour  réprimer  Tes- 
rit  de  révolte  dans  la  Péninsule.  La  fin  de  la  vie  d'Alexandre  est 
Hnptie  de  cette  préoccupation  ;  la  sainte  cause  de  la  Grèce  lui  pèse 
mime  un  remords;  il  en  porte  la  douleur  empreinte  sur  sa  phy- 
onoime  maladive;  mais  que  faire?  MM.  de  Nesselrode  et  de  Met- 
imich  se  sont  emparés  de  son  ame,  Os  l'ont  livrée  à  mille  terreurs  ; 
è$onnais  le  libéralisme  lui  fait  peur;  on  Im  présente  comme  un 
pectre  menaçant  les  sociétés  secrètes  de  son  empire;  il  ne  comprend 
S8  qoe  le  meilleur  moyen  d'occuper  l'effervescence  des  Russes  se- 
ûi  de  les  jeter  sur  la  Turquie  pour  aider  à  la  délivrance  de  la 
■rice.  On  a  beaucoup  cherché  les  causes  secrètes  de  la  mort  si  ra- 
ide  de  l'empereur;  peut-être  cette  douleur  poignante  n'y  fut-elle 
as  étrangère.  Alexandre  était  religieux,  il  avait  l'ame  sympathi- 
^,  et  chaque  coup  de  yatagan  qui  faisait  rouler  une  tète  de 
Bmme  ou  d'enfant  sur  les  ruines  d'Athènes  ou  de  Lacédémone  de- 
ait  atteindre  ses  propres  entraHles.  Ce  remords  dévora  ses  derniers 
ttors. 

A  la  mort  d'Alexandre,  la  Russie  subit  une  commotion  tout  à  la 
ns  politique  et  militaire.  On  ne  connaît  pas  assez  dans  l'Europe 
méridionale  le  caractère  spécial  de^a  famille  des  czars;  il  y  avait 
le  Texaltation  dans  l'amour  filial  de  l'empereur  Alexandre  pour  sa 
ieille  mère;  il  y  avait  un  respect  profond  dans  les  czaréwitz  Gon- 
tantin  et  Nicolas  pour  leur  idné.  Cet  intérieur  de  famille  était  ton- 
dant; la  mort  d'Alexandre  les  surprit  tous,  et  sur  son  tombeau 
^ta  ce  mouvement  militaire  préparé  par  les  sociétés  secrètes  et 
ttr  ane  génération  dé  jeunes  officiers  qui  rêvaient  la  vieille  in- 
lépendance  slave.  L'avènement  de  l'empereur  Nicolas  allait-0 


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37&  REWB'MES  DEiat 

changer  lai  pOttCîoa  du  ûOkntè  dé  Neeseirodef  (lor 
enqpâcha  que  le  ministre  «eîàlsaerifiè  :  r^teiradaK 
que  NiccdMprofessaîi'ipofÉf»  lervoldolésetlapeniéedeton 
enwke^  jemie^  encore  Hfmt  atneonraDt  des  affaires,  3  M 
sait  uttie  des^eirtoimardéSTfaoïiHnesfqiit  aTaiesÉ  dirigé  la  poKi 
la  Russie  depws  lagfaftde'épocpierderl&14«D*ua  antre  o6lé^lti 
Nesselrode  possédaîl'r^scime  de  l'impératrioeHntee^  etqndbiMij 
aance  n'araiepas  ex^oée  €»t^immm  Geuroonée  swt  tons  leiM| 
nsmeosl  Eik^se«de  ganda  ses^méptis  aristattatkiaearpaurHifM 
léon;  elle  dooMursea^fib  Aieotaaére  même  aptès'Srfoilh.  Sèi 
les  mœurs  palriarcaks^  sesreaEaoH  lut  feàsaienl  en  qmiqiftaNi 
hommage  de^laoonreHasvi  oomme^Hs  devateal  le  pouYoirpdii^ 
que  à  celle  qui  leur  araii  donné  4a*viev 

Tottiefoid^  lef^OBl^NesselradetB-aperçatbieaWkt  qalii  étnà 4 
modifier;  les  idées  aTaientmarclié  depuis.  kiinHUt  d*Akiaiidn.l 
était impossiMe  de  oentenirtéspril  russe,  qui  se^fvoDoaçatsui 
énergtei  en  âhreur  des  €«ees  ;^fl  felbit  doauemmdimeBi'i  tÉifè 
tndemîiîlaire^uafefgiieanaétait  ÎDdîspeBsaUfcLïaMtnee^iipiiMl 
de  MettemkbiBttr  le  cabinelîde'âÉiQa^Péletriwurg  js^affrihiu  CM 
alersqneH«  de  gkusekedefuonuminie  à  ser  séparegide  l'AUéiBigai 
à  se  faite  {dos  eomplèlsiMil^Russev  à  ise*  dassia^rplus  nMMrt 
dans  le  8e«Bfdel*înlfi4nrentîeargree<|ueu  Les  Ienip8)n*étaisnl9la»lai 
mêmes,  le  principe  nMnarehique'av^  partout  triomphé,  dmA 
Siémont  cosMne  à  Madrid  eiàWliplesi;.la  PàbgncrpanîMiiiMtib 
remeaftiseumisesofis  BOft'Tioo«oafGonstanlin^.G*«st<aiotttqii,|0 
la  tendance vdesirilSfiGwiHBiéliiee^  léiconHe-de  Itasashrode Mi 
l'a^agwtsle^e^lhdeilleÉtemicJi»  aiecrieqneiil.avwlnMabéji» 
qu*alors.  La  tendance  russe  remporta  sur  Tesprit  allemand. 

De?  celte  riinaiiafr  nanvteHe-nÂiiiif  m  pkttiMMPsrésutaiiffîM^ 
rapprochement  intime'  de  4a  Russie  e(' do  la^fVance;  3«brifaiti 
profonde  des  cabinet»  de  SainCpMtenshnurg^Bi^de^LnadreftrMM 
méfiances  inquiètes  dol Autriche,  et  de  M.  de  Ueltermch à  l'éftiA 
des  projets  de  la  Russie  sur  l'Orient 

LHntimiié  de  la  France  et  de  It  Russie  remontât  à  répeq»<h 
1815,  et  s*élail  ressef'rée  au<;ongrès  d*Aix-la^apeUev  es  1BI8» 
sous  linflnenee  du  due  de  Richelieu.  La  pensée  du  cabinet  fraoçat 
fbt  toute  russe  en  effet  sous  le  duc  de  Richelieu^  sens  Iflyi.  Des^ 
les,  de  Montmorency,  de  Yillàle  et  de  Damas.  Le  ministère  ^o** 


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,  de  La  Ferrenuys  fdt  égatement  déroué^  à  PàDifince  russe;  ett» 
Hait  pas^tilcmnem  de  la  reconnaissance  pour  des  serrices  rendus 
la  restauration  :  c*était  la  conviction  que  Talliance  russe,  qui  ne 
orait  en  aucune  manière  blesser  nos  intérêts,  devait  au  con- 
lire,  dans  un  certain  nombre  de  circonstances ,  ag^randir  notre 
Rnence  diplomatique  et  nos  circonscriptions  territoriales.  La  col- 
ction  des  dépêches  du  comté  Nesselrode  pendant  cet  intervalle, 
9  notes  diplomatiques  qui  sont  aux  affaires  étrangères,  constatent 
IfBsamment  la  bienveillance  du  cabinet  de  Saint-Pétersbourg,  et 
9  efforts  tentés  pour  obtenir  le  concours  de  la  France. 
Une  des  causes,  entre  autres,  de  cette  intimité  si  recherchée  était 
rifalilé,  formidable  déjà,  qui  éclatait  entre  V Angleterre  et  la 
assie.  Les  alliances  de  t815  avaient  bouleversé  toutes  les  vieilles 
^  diplomatiques  ;  les  querelles  particulières  s*étaient  effacées 
fvant  le  bat  commun,  qui  était  la  destruction  du  pouvoir  de  Na- 
)léon.  Mais  une  des  fautes  de  l'Angleterre  dans  cette  circon- 
ance fat  surtout  d'agrandir  démesurément  Vinfluence  delà  Rus- 
e,  de  créer,  pour  ainsi  dire,  sa  toutes-puissance  d'avenir.  C'est 
rec  tes  subsides  et  l'argent  de  TAngteterre,  en  1813  et  en  1814, 
ne  le  cabinet  de  Saint-Pétersbourg  a  acqaisies  moyens  de  peser 
tout  jamais  sur  les  intérêts  anglais.  Le  comte  de  Nesselrode,  qui 
trait  pris  part  au  plus  grand  nombre  des  transactions  de  1815,  dut 
gaiement  se  séparer  des  traditions  de  l'école  de  1812;  et  c'est  de 
habitetéque  ces  changemens  sans  brusquerie.  Le  comte  de  Nessel- 
ode  est f  homme  des  transitions;  il  ne  s'est  jamais  posé  inflexible 
ans  an  système  ou  dans  une  idée,  et  s'est  fait  le  traducteur  des 
s«ip8*et  des  intérêts  ;  ceci  explique  comment  le  chancelier  d'état 
e  l'empereur  Nicolas  eut  quelquefois  des  idées  si  diamétralement 
ppesées  au  chancelier  d'état  de  Tempereur  Alexandre. 
On  peut  dire  que,  jusqu'à  la  révolution  de  1830,  la  politique 
itsse  est  tout  orientale;  elle  fut  dominée  en  quelque  sorte  par  la 
[vestimi  turque.  L'ancienne  théorie  de  la  sainte-alliance  est  aban- 
loiméepottr  un  intérêt  moins  sentnnentaU  par  une  singulière  fa- 
^té,  on  cessait  d'avoir  peur  des  révolutions,  et  la  plus  complète 
l^rëvolutiiMis  arrivait.  1830  vint  tout  à  coup  faire  naître  des  émo« 
Iwis  fiouvéBes  ;  le  principe  populaire  faisait  irruption  avec  vio- 
B«e;  il  se^présentait  avec  la  même  énergie  que  le  pouvoir  militaire 
1^  fempereitt  Napoléon,  con^e  lequiel  PBurope  s'était  autrefois 


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376  REVUE  DES  DEUX  MOIIDES. 

armée.  La  vieille  édacation  du  chancelier  d*état  allait  le  serrir 
car  la  première  conséquence  de  la  révolution  de  juillet  était, 
de  faire  revivre  le  vieux  traité  de  la  sainte-alliance, 
tombé  en  pièces,  au  moins  de  préparer  un  traité  de  garantie 
luelle.  n  fallait  oublier  toutes  les  dissidences  particulières  ft 
courir  au  plus  pressé  ;  les  idées  du  prince  de  Metternich  repn 
saient  à  la  surface;  on  faisait  un  retour  vers  les  projets  de  fl 
Nous  sommes  assez  portés  à  croire  que  M.  de  Nesselrode  » 
pas  avec  déplaisir  ce  retour  vers  des  principes  qu*il  compm 
mieux,  et  dont  il  avait  nourri  ses  premières  années  d*étu(teet 
travail.  Mais  Tàge  était  venu.  M.  de  Nesselrode,  en  1830,  aratj 
teint  sa  soixantième  année ,  et  ce  n*est  pas  au  déclin  de  h  tie 
Ton  est  préparé  à  ces  grandes  perturbations  qui  dérangent  f< 
tence.  On  n'a  pas  ^enu  assez  compte,  en  récapitulant  les  GSQsei< 
maintien  de  la  paix,  de  cette  peur  de  dérangement  qui  daaiaà 
existences  fatiguées.  Ce  n*est  pas  sans  raison  que  Tantique 
avait  mis  dans  les  mains  des  vieillards  la  déclaration  de  la 
Supposez  à  M.  de  Metternich  reffervescence  des  jeunes  aooées,! 
comte  de  Nesselrode  quinze  ans  de  moins,  qui  sait?  peut-être  lai 
eût  éclaté  violente,  et  avec  elle  toutes  les  chances  de  désordre. 
D'ailleurs  le  mouvement  de  la  Pologne  devenait  une  raSsi 
occupation  à  la  Russie,  et  les  idées  de  Tempereur  Nicolas  se  troi 
raient,  sous  le  point  de  vue  de  la  répression,  en  parfaite  barra 
avec  récole  de  son  ministre.  Ce  que  voulait  la  nation  russe,  iH 
la  réunion  de  la  Pologne.  Sans  partager  sur  ce  point  toas  les  pi 
jugés  des  vieux  Moscovites,  le  chancelier  d*état  était  d'arisfl 
cette  nationalité  divisée,  que  ce  gouvernement  double  et  simota 
nuisait  àVunité  politique  et  administrative  de  la  Russie.  Cestaot 
remarquable  que  cet  ensemble  d'administrations  diverses  qai<!' 
stituent  le  vaste  empire  russe,  et  qui  toutes  correspondent  irsï(B 
tre  commun  sous  la  main  de  l'empereur.  Le  cabinet  de  Saint-PM 
bourg  commande  à  mille  peuples  divers  :  Tartares,  MahoiDétia 
Polonais,  Cosaques.  Chacun  de  ces  peuples  a  ses  lois,  ses  co^noatâ 
sa  puissance,  ses  souvenirs.  Il  n'y  a  là  ni  forme  commune  de  M 
rimpôt,  ni  même,  jusqu'à  un  certain  point,  homogénéité potfl 
conscription  militaire;  les  uns  paient  tribut,  les  autres  sont  tti< 
à  des  redevances  d'armes,  de  chevaux;  ici  le  recrutemeot  ^  " 
par  les  seigneurs,  là  par  des  levées  en  ma^se;  quelques  peq)les  sûi 


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DIPLOMATES  EUROPÉENS.  STT 

re  soumis  à  toute  la  rigueur  du  régime  féodal;  d'autres,  à 
[obéissance  plus  régulière,  plus  directe  envers  le  prince. 

I  Russie  il  y  a  donc  nécessité  d*une  éducation  plus  soignée,  plus 
ite  pour  les  hommes  d*état;  un  jeune  homme  qui  se  destine  à 

plomatie,  à  Saint-Pétersbourg,  doit  savoir,  indépendamment  du 
^is  et  de  Tallemand,  le  grec  moderne  et  une  langue  orientale* 
de  Nesselrode  a  employé  une  bonne  partie  de  sa  vie  à  s'immiscer 
as  l'étude  des  langues  vivantes.  Les  bureaux  auxquels  il  pré- 
»  sont  les  plus  vastes,  les  plus  multipliés,  les  plus  minutieux  : 
^  a  un  bureau  pour  les  relations  avec  la  Perse,  une  division  pour 
rapports  avec  la  Chine,  avec  les  petits  princes  mahométans,  in- 
pendamment  de  la  correspondance  secrète  avec  les  chefs  de 
pulations  que  la  Russie  veut  faire  révolter  contre  Tislamisme. 
Mais  depuis  cinq  ans,  le  système  des  aides-de-camp  diplomates 
repris  toute  sa  force  ;  Tempereur  Nicolas  aime  cette  organisation 
tmi-militaire  qui  laisse  à  la  Russie  une  attitude  armée,  même 
I  négociant.  H.  de  Nesselrode  n'existe  plus  guère  que  comme 
^DseO  dans  les  affoires  actives.  Prenez  toutes  les  questions  qui  se 
int  agitées  depuis  la  révolution  de  juillet  :  la  Pologne,  la  Tur- 
ne,  la  Grèce;  presque  toutes  sont  traitées  en  dehors  de  M.  de 
esselrode,  et  par  la  correspondance  directe  de  l'empereur  avec 
!8  envoyés  de  confiance.  Le  chancelier  d'état  n'est  que  la  main  qui 
met  les  dépêches  à  l'empereur.  La  jeune  école  diplomatique  russe 
considère  comme  un  homme  dont  la  pensée  est  finie;  on  le  garde 
)nune  un  souvenir  honorable.  Depuis  deux  ans  surtout,  la  goutte 
M^bleM.  de  Nesselrode;  il  est  devenu  très  inactif;  ses  bureaux 
M  remplis  d'agens  qui  prennent  encore  son  avis  par  déférence, 
ais  qui  en  définitive  suivent  la  pensée  de  l'empereur.  Sans  doute 
T  a  des  diplomates  plus  avancés  dans  la  vie,  qui  conservent  le 
^  grand  ascendant  sur  les  affoires  de  leur  pays;  peut-on  parler 
3  la  faiblesse  des  ans  lorsqu'on  a  sous  les  yeux  le  spectacle  mi- 
iculeux  du  prince  de  Talleyrandî  A  vrai  dire,  aujourd'hui  M.  de 
wselrode  n'est  qu'un  vaste  répertoire  que  l'on  va  consulter  sur 
s  transactions  des  trente  dernières  années;  c'est  à  peu  près  ce 
l'était  M.  d'Hauterive  à  la  fin  de  sa  vie,  dans  nos  bureaux  des 
feires  étrangères. 

M.  P. 


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CHRONIQUE  DE  LA  QUIWZAIIW: 


tmoom 


La  dtoparitioD  d'Armand  Carrel  des.  rangs  de  la  presse  est  ré?i 
le  plus  tristement  remarquable  de  cette  quinzaine  :  sa  mort  a 
UM le  monde,  amis  et  adversaires,  les  partis  et  les  masses;  etle i 
rHto  def  iiMnnie  a  été  mkefi^lefaie  XtÈuttère  par  le  fide  qu'il  a  laM^C 
relaraU  ofoquis^pap  soD'oripiialilé  vue  plaee  que  personne  ne  tm 
occuper  après  lui.  Simple  journaliste ,  il  s*était  créé  puissance  palitif 
il  avait  associé  le  pamphlet  quotidien  à  l'autorité  de  la  tribune;  sansi 
ractèï*e  officiel ,  il  s'était  élevé  à  une  véritable  égalité  ^rec  iCk  hoa 
d^itot  eties  goav«raaBs. 

-OeUe  8itua«ioa  était  unlifiiei  et  Cairél  la  derakià-s»  persooàafilè 
fonreote.  Les  choses  sont  toujours  ce  que  les  hommes  les  font  :Gii 
avait  fait  de  son  journal  un  drapeau ,  un  camp,  une  force. 

n'est  probable  que  le  jeune  pobrtciste  eût  été  on  grand  capItiÂie 
lëi'cireoiistaBceslui  eosscnfonvert  la  lice  de  hi  guerre  «t  de  là 
atttit'l*faabhiidedeiMirrirsoii<eflprii  des  iradiliotiS^el  des  leçons  ùih 
poreor.  Puisqu'il  devait  périr  jeune ,  que  u'a^^t-il  succombé  povr 
cause  plus.noble  et  plus  digne  de  lui ,  plutùt  que  de  trourer  sa  fin  < 
One  rencontre  obscure  ! 

-Le  défaut  de  Carrel  fttt  f  riteès' du  courage;  îl'ne-s'estîom-pal-i 
lul^nème;  ilneson^apas-assesiqu'^l  avait  le  droit  et  le  devw 
avare  d'une  vie  qui  appartenait  au  pays.  Le  courag«dei'bonuot  pc 
que  ne  doit  pas  ressembler  à  l'impétuosité  militaire;  récrivain  doit 
tôt  avoir  le  sang-froid  qui  ' 

Sait  aflronter  hi  mort  c;t  ne  la  donne  pas. 


Dans  nos  masurs ,  on  se  bat  moins.par  vengeance,  que  par.  amour-] 

que  par  fierté,  pottr  donner  au  public  la  preuve  qu'on  ne  tremble      

Ûmenacrde  la  baile-etdefépér.  Qtii  avait  moina-besoîo^qiie^dannl 
ptouvvr  s(mp}m9§Ô9  lui  «rlofai,  si'>éfMOttvé»  sMieualtr«iq«ot 

La  pePted*ArmandX;|u*relestirréparable.  ilavaitport^do 
le  journalisme,  dans  ces  luttes  incessantes  dont  il  savait ,  à  forée  de 
renouveler  les  deuils  et  la  monotonie;  son  style  netveor,' déH^ 
énergique  etpur,  était  admiré  de  Chateaubriand  et  de  Béranger» 
tenaient  à  honneur  de  le  compter  parmi  lenrs  amis.  B  est  beaa  d'à?» 


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Dut^Mix  :«M»]«iif.iaiplMMrdo  jtanMiitte'à«Oté:icto>la  iriolle  f)^ffe 

Cev'tstpas  ici<le>amBMQi  d^enniaer  ht  etnûôM  polUk|a«'de  Garni 
d'apfirécier  l&clief  de  parti ,  d*aolant  plas  que  ipocÀque  jugemefit  q«e 

0  porte  WÊT  ka-«yslènie  qu*U  arait^dopté  dapa»  quatre  ans,  sa  jusle 
oooHiée*  ie|Mse  «ut  4es«  loadeniefia  énconlestaMet.  Le  réftoblteam  de 
ealeiaoïiérîcaiae  peut  être auiiei  à €eMt«e¥ene eisawais à uoe diacu»- 
m  sévère;  mais  le  pi^lleîste  prated^^et  patrtate  qui  avait  on  BOMur  si 
teUiftat  de  la  t^lotfe  et  de»  intérêts  de  la  Fiaoee ,  iniais  le  défeaBenr 
«dMiHs  politiques,  qui aodC  aupéfiauira  àtmiiesicaibnDes  degeuvep- 
iment,  ae  peuvent  ffvacfMDtref^^pwi^appcoiniioaiuiRverselle. 

Csrrel  leiceUait-tdaa»'  les.iqaaalieBSiidei  fiolslicpie  étrangère;  il  fai- 
itus  eaDtcerpoida^iéfessaire  à  ItenUBliieBasDL.qoi  jqous  attire  yen  Ual- 
loce  de  TAngleterre  ;  il  avait  le  culte  de  la  grandeur  natieaale  ^  il  le 
»afrissait  BPdemmetit  ttans  sou^anieau  nMiett  de  raUaoguisBemeDt^i 
Ottséoerre  ai^ourd'hui.  La  FfaDcejevtaitqiieises  intérêts  deiglotreeide 
sisiance  ne  8eraleiU<is««6..tisàia>par.eet}fl90inMe^ji4e.la.fienaée.il 
Miiiiwi  jmur  à  i'aotioo^iet^'è Je  isre;^tfifte.nsa:éÉeniiasfrpa»q«ril(f6tid6 

1  psirie  de  GomeUle. 

Tout  a  été  triste  .daBa«ss«deniÎ0rr.^rs.  Ds  ainisÉnn  runeara  dacoaa- 
fet  et  d'assassinat  sent  néons  OMsteswr  l'opinion ,  et  le  nnoistére  n'a  pas 
en  fortiié  FefiTBoi  public  for.  iaanppfeanoft  de  k  «evue  da.â9  ijiMet*'Jl 
ttimpoMible  de  jM|ias  nroifa  sna  appvéhenaiens  nàriettsefl  des  hbîm»- 
les,  i  latsineérké  de^iesara  rnnset§nenion»)e» de kmn versantes;  et  iA  est 
iffieile  de  prononoertuorUàme  atesnkia«r4aaéaolniion^iiBontpnae« 
1  paratt  qu'on  a  penséidanar  4e  ^lûne^siuf  il  aérait  iasenside  fimr«.  paar 
M  dire»  provofuer  rp.TtnawiiaaaoetlièdeMse  d'no» yaignée^e  sotiénts, 
it  deleor  etf&lr  tes  iseéiHésiduiGriiae^lOn  cite  ^ousnot  qn'oii.attiibueé 
l«de  Tafieynsnd  :  cqâ'il  Dallait  ararieu  rstnnée4emièce ifrcanrags.de 
^•Ker  ia  fevoe,  eC  oetie  année  e^ni  deia-  suppnaaer.  a 

Hfint  donc  ooDsemir  è-latssèr/pMser  Idta  imissée  ^oettonaladie»:  ee 
Méra.  aurai  .de  raSBassîsHiiçino«s4Kt>|»ns>àûen.c|ue  «&fléatt> sera 
Mrtqi^jl  est  ^euYanlable^  efcqpe  ses -vapeurs  Viafaeieraiit  pas  to§- 
Vnps  astre  aatoiosphère;;  Mais .  il  «» ^trisieîiqae4ea  inaenaccftdn  «rime 
}vmeûi  tenir  en  échec  toute  une  80cîélé,i«t  (peut^^Cre  ^céIhI  été  plas 
Wbile  d'achever  dedéahoiiaser  itaHisainea.jaoiia  le  imeidtisen  camage. 

Aa^aseias  nonajifeoseu  pour idédoainwigafiwa.d'^lataps  a»s> lagts 
Kl  élriqne;  le  géoéaalBugesndiairadefls^vfe^nialBMDé  Abdel^Kaiderv4La 
te  ^  aaaiètBvx  priaoaoiers  y  a  t«é  à  vltenotni  «n  »Biid&  eaoaiil^^ 
^  toatiaie^  pousser  l' Aaabe  ' jusqu^aaH'  eoaiaa  de4a  végaaee<;  Vailà:  de 
^^^te^ésuHaai  qnlcoaaaiidaraal  aatre  eeiaaie«etodant«oa»  noiUflnioaB 
''•l^'Miisvéiettir.CcgsiaïaaBs^eaMiag  loia>iteif»4es^  puiisiquis 

^  gMral  Bageaad;»«aas.naaS'ffappelensYea  •acamaéeS'deifîtaoe» 
l^^^ûteaveaaaedJde/sestallaqaeB  tcontpe.ianiieasu  >-awds  f«ééfrj|sfi^8fagit 
^•orniee  de^la  Brama  eaairai  UéMager^  toaa  4es  diaiamlisna  dsifisal 
^*'»"<*WI<s.liosaide  Ffanaa^il  afy  aytast»  saiifltoii  nlapposHiaayiai 
••■^••^î  lcs>4fii4oaa  «eaaat  visa  y  lea^l^aNaita  tastaerHcas  pwéialeat 


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880  un»  DES  Diux  horsbs. 

dès  qu'il  s'agit  de  la  gloire  des  trois  royamnes.  Cette  relîgioiidehpÉ 
doit  rester  intacte  et  sacrée  aa  milieu  des  dissensions  politiques. 
Dous  n'hésiterons  pas  à  reconnaître  que  le  général  Bageaud  a  ii^ 
en  Afrique  une  remarquable  vigueur,  qu'il  a  montré  plus  d*intol 
d'initiative  qu'on  n'avait  fait  jusqu'alonj,  qu'il  ne  s'est  pas  cootefltffl 
chasser  l'Arabe  devant  lui,  mais  qu'il  a  voulu  le  joindre  et  eolÉ 
qu'il  apprend  à  nos  jeunes  soldats  à  marcher,  à  s'aguerrir  à  laoooM 
des  fatigues,  et  qu'il  a  fait  preuve  enfin  de  belles  qualités  militaiifisj 
général  a  compris  qu'il  fallait  avoir  Abdel-Kader  mort  ou  viialyi 
qu'une  victoire  éclatante  était  nécessaire.  H  n'f  a  plus  A  s'en  déiii 
France  est  engagée  d'honneur  à  conquérir  et  k  civiliser  rAfnqBe.ll 
faits  parlent  plus  haut  de  jour  en  jour,  et  jamais  provocation  pios 
à  Faction  et  à  la  gloire  ne  fut  plus  hautement  adressée  par  la 
à  une  grande  nation. 

Ce  fat  une  noble  pensée  que  celle  qui,  après  1880,  résdutd'iéni 
l'arc  de  triomphe  de  l'Étoile  et  de  l'inaugurer  un  99  juillet.  Qal 
autre  journée ,  en  effet ,  convenait  mieux  à  la  consécration  du  rouauwrf 
Le  ao  juillet  avait  remis  la  France  en  possessionde  cette  immeoK ^ 
militaire  des  vingt-cinq  années  de  la  révolution  et  de  l'empire.  Lt 
saura  gré  au  gouvernement  qui  a  conçu  cette  pensée,  et  l'a  si  éi\ 
et  si  rapidement  réalisée.  Si  l'on  est  juste,  M.  Thiers  n'aura  pull 
dre  part  dans  la  reconnaissance  publique.  On  sait  que  ce  fut  le 
qui  obtint  des  chambres  les  fonds  nécessaires,  comment  il  appelais 
aide  l'éHte  des  artistes,  avec  quelle  ardeur  il  poussa  les  travaux.  L'i!» 
gnration  de  l'arc  de  triomphe  a  eu  lieu  le  jour  promis.  Quoique  les  détaiii 
soient  d'une  haute  valeur,  c'est  surtout  l'effet  grandiose  que  prodaitra 
semble  des  sculptures,  c'est  surtout  la  richesse,  la  grandeur  ^  ladiptf 
dû  mwmment  tout  entier  qu'il  faut  admirer.  On  est  fier  d'être  <fai pif 
qui  a  fait  tant  de  nobles  choses  en  un  quart  de  siècle,  et  eo  sait  si  vUe* 
ment  constater  le  souvenir.  Quelle  histoire  que  celle  qui  vous  estdoirf 
à  lire  dans  le  registre  solennel  de  ces  voûtes  colossales  I  Quelles  pasesi» 
périssables  léguées  à  la  postérité  I  Quel  éloquent  résumé  de  nos  éenihi 
guerres,  que  ces  simples  listes  de  capitaines  illustres  et  de  kaott  £hI 
d'armes  gravées  sur  les  murs  !  Pas  une  pierre  ici  qui  ne  dise  un  dob  |^ 
rieuK  ou  une  victoire  immortelle. 

Les  quatre  larges  trophées  qui  décorent  les  quatre  façades  priDÔpili 
sont  une  digne  décoration  du  monument  ;  par  leur  situation  sur  le  prentf 
plan,  par  leur  énorme  développement  et  leur  valeur  réelle,  ce  ioet|« 
morceaux  de  sculpture  qui  attirent  et  méritent  surtout  l'attentioD.  Le#^ 
qu'a  traité  M.  Gortot,  c'est  Napoléon  au  faite  de  la  puiSMnce  et  e»* 
rooné  des  mains  de  la  Victoire  :  œ  n'est  pas  celui  que  nous  préféi«i>if 
Napoléon  de  M.  Gortot  ne  satisfait  pas;  l'expression  de  sa  figure  vooM 
être  profondément  pensive;  elle  n'est  qu'indécise  et  vulgaire.  U  g^ 
triomphant  de  l'empereur  devait  être  autrement  idéalisé  sur  ^^^ 
triomphe  dent  il  est  l'ame.  Les  deux  trophées  de  M.  Ettex,  m  r^ 
l'un  de  l'autre ,  sont  d'une  composition  savante,  trop  savante  peot-^ 
Peut-être  l'artiste  en  aH-il  trop  voulu  faire  deux  pendans; saignai* 
opposés  se  répendem  plus  symétriquement  qu'il  peçoafeaaitGetl^* 


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U¥UB.  —  CHRONIOUB.  VSl 

ênae  régolarité  tient  plutôt  de  Tarcbitecture  que  de  la  sculptare.  Da 
Aie,  ridée  des  sujets  de  M.  Ettex  était  belle.  Il  Ta  exécutée  avec  un 
icontestable  talent.  D*nne  part,  c'est  la  Patrie  qui  arrache  le  laboureur 
s  seschamps  et  remmène  défendre  le  sol  envahi  ;  de  l'autre,  c*est  la  Paix 
ni  le  ramène  àsa  charrae;  rediit  ad  boves.  Un  peu  moins  de  raideur  et 
D  pea  plus  d*élan,  il  y  aurait  là  presque  du  Michel-Ange.  Le  morceau 
ipital  et  supérieur  est  celui  de  M.  Rhude.  Voici  bien  92.  La  frontière 
it  menacée,  mais  les  armées  ennemies  ne  la  passeront  pas.  Le  peuple  tout 
Qtier  se  iève  comme  un  seul  homme  et  court  au  combat.  Le  génie  de  la 
ésistance  guide  nos  soldats,  planant  sur  eux,  ses  grandes  ailes  déployées, 
œil  étiocelanty  magnifiquement  irrité,  sAr  de  la  victoire.  Ici  tout  est 
aonvemeot  et  enthousiasme  ;  tout  est  au  niveau  du  sujet.  Ce  chef-d'œu- 
Te  de  M.  Rhude  est  un  véritable  chef-d'cravre. 

Les  morceaux  encadrés  au-dessus  des  trophées  ou  sous  les  voûtes  sont 
Ton  astre  style.  Là  plus  d'allégorie.  Le  vieil  uniforme  de  la  vieille  garde 
mpériâle  reparaît  partout ,  et  vous  le  regardez  le  cœur  ému  et  bondis- 
tant.  Tout  l'idéal  est  dans  la  vérité  même  des  faits  représentés.  Que  vou- 
ei-voas  de  plus  grand?  C'est  Austerlitz ,  c'est  Aboukir,  c'est  le  passage 
io  pont  d'Arcole,  c'est  Jemmapes,  ou  bien  ce  sont  les  funérailles  de 
Mareeau,  c'est  la  prise  d'Alexandrie.  Tous  ces  ouvrages  nous  ont  paru 
dignes  du  monument,  et  dignes  aussi  de  BIM .  Gechter ,  Seurre  atné,  Feu- 
chère,  Marochetti,  Lemaire  et  Ghaponnière,  leurs  auteurs. 

Le  bas-relief  non  interrompu  qui  court  autQur  des  quatre  faces  du 
grand  entablement  est  dû  aux  ciseaux  associés  de  MM.  Brun,  Laitié,  Jac- 
qoot,  Gaillonette,  Seurre  atné  et  Rhude.  Son  élévation  le  met  tellement 
hors  de  la  portée  du  regard,  que  nous  n'en  avons  guère  aperçu  que  l'effet; 
nais  cet  effet  est  magnifique.  Il  nous  montre  réalisé  tout  ce  que  nous 
avions  rêvé  des  frises  du  Parthénon. 

Il  reste  à  poser  le  couronnement  de  l'acrotère.  Quel  sera  ce  couronne- 
iBentî  On  n'est  plus,  dit-on,  d'accord  là-dessus.  Nous  regretterions, 
quant  à  nous ,  qu'on  eût  abandondé  l'idée  de  cet  aigie  immense  qu'on 
avait  promis  de  confier  au  ciseau  de  M.  Barye.  Laissez  à  César  ce  qui 
appartient  à  César.  Vous  avez  été  déjà  généreux  et  désintéressés.  Vous 
n'avez  pas  imité  cette  faiblesse  de  Napoléon  qui  mettait  son  chiffre  à 
des  monumens  qu'il  n'avait  pas  bâtis.  Vous  l'avez  replacé  lui-môme  sur 
sa  colonne.  Soyez  plus  généreux  encore;  placez  son  aigle  sur  cet  arc  que 
^^OQsavez  fini ,  mais  qu'il  avait  commencé,  etqui  est  l'arc  de  ses  triomphes. 

Les  esprits  prompts  à  s'alarmer  se  sont  eiagéré  l'importance  des  der- 
niers mouvemens  carlistes  en  Espagne.  Certes  c'est  un  symptôme  fôcheux 
^  la  persistance  de  cette  insurrection,  qui  gagne  chaque  jour  du  ter- 
tio, s'étend  et  se  propage  dans  des  provinces  qu'elle  n'avait  pas  jusqu'à 
présent  atteintes.  Pour  quiconque  a  étudié  de  près  et  sérieusement  ce 
1^ys>  il  était  elarr  que  la  guerre  civile  se  prolongeant,  les  choses  devaient 
ioèvitablement  se  passer  ainsi.  Ce  n'était  pas  uniquement  au  nord  que  le 
prétendant  avait  des  champions  nombreux  et  décidés;  il  en  avait  bien 
Cotres  également  dévoués  partout  ailleurs.  Mais  au  mohis,  partout  ail- 
^'«^  qu'en  Biscaye  et  dans  le  Guipuzcoa ,  la  force  supérieure  et  organî- 
^  d'avance  des  libéraux,  et  leurs  mesures  bien  prises,  araîent  fortement 


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38S  RETOB  Ms  osux  MO/ams. 

contenu,  d'abord  et  enchaîné  le  parti  oantre-ré?oliitk»iiake.  DèiiMMh 
faute,  ou  plutôt  tout  le  malheur  du  gotiTernement  de  la  régemej 
de  ne  savoir  ou  de  ne  pouvoir  étouffer  en  quelcfues  mois  ia 
sa  bonne  chance  avait  resserrée  dans  un  étroit  espace.  Aa 
menty  don  Carlos  ne  jouait  qu'au  pur  jeu  de  hasard.  Se  maio 
temps  donné,  une  seule  eampagne,  il  était  évident  qu*ii  s'élabl 
solidement  pour  donner  avant  peu  les  mains  à  ses  partisans  de 
ooins  du  pays.  Voilà  justement  ce  qui  est  advenu .  Le  cabioei  de 
n*ajant pu  profiter  duprerarierisolement  des  révolté» pour  les 
comme  on  devait  s*y  attendre,  tout  ce  ^a'il  a  tenté  depuis  n*a  guère 
qu'à  leur  avantage.  Si  la  molle  et  doucereuse  admiaistratioa  de 
tinez  de  la  Rosa  les  a  fortifiés  et  encouragés,  l'adminiatretioii 
gique,  mais  peu  prudente,  de  M.Meiidizabal  ne  leur  a  pas  été 
fitable.  Niera-tH>n,  par  exemple,  qu'ea  (ermuai  teus  les  délires 
renvoyant  chez  eux  cent  «aille  «noines,  «ce  dénoter  ministre  B*aitï 
lui-même  des  uofwx  ,iA^  guêdUai  prêts  à  leier.le  drapeau  da 
dant  jusque  dans  ke^Msadras  districts? 

Ainsi  les  bandes-.^U'CnrèJflérifio.paroenreiit  aujoiird'bai  pli 
aement  que  jaoaai»iee  deux  Casti^s;*  d'eventoreux  lieuteoans  de 
Yillareal  .menacent*  à  la  Ahs. la  "Galice  et  les  Astories  ;  le  Canal 
monUgnards^lu.royaMsede  ^ialence  s'esaUede  nouveau  et  reasaialJ0 
armes;  une  imprévoyante  çxpé4itienrëu  géséral  Eirans  vieoi  «fécbvtf 
contre  ies  fertificattoas  restaurées  de  j^ontarabie.  Est-ce  à  direcapeodvC 
que  le  ftnempJbepNcfaain  de  don  CarleS'^eit  assuré  ou  seulemeiit 
bablePLoinde  là.  Le  trône  de  la  jeune  reine 'O'est  pas  nnêieaérii 
ment  ébranlé»  11.  a  eu  contffairey'daes  la  nation,  des  soutitnieidàteraBiril 
Aussi  et supérieurs^en  nemère,  ee  force  el  en  lumières.  Maisnoe  tristeiè» 
rîlé  ressort  des  évènemens  de  plus  eapUis  inoootestable.  G!est  que  lia? 
aurrectleo  a  jeté  matntenafit  deteJles  racines ,  qu'il  est  devenu  iMi|wfAifi 
de  prévoir  qiiand .aile  sera  arrachée  du  sol,et  si  eJleen  serajenabar»' 
cbée.sanaJe  bouleverser  4out  entier.  Ce  peuple  n'est  pasi  de  ceux  «ta 
^i  ia.  discorde  civile,  «ne  Isis  alkimécr  s'éteint  etsémen t.  U  est  Édite 
iset  haines  de  parti  ^et  seles  transmet  réHgieusement  de  gènératimt« 
féoération.  Qu'on  n''eublie^a8  qu'euxei^taioes portions  de  la  €ataio|Ba 
et  du  royaume. de  Valence^  «1  aofosisleenoerede  ville  à  viUe^^le  villii^i 
A  village  ,.desaAimosi4és«rdentes  etimplac8l>les,doat  l'eri^Be«^e«aals 
aux  guerres^ioiérieciresdeia  suooessêon.  Toutefois,  il  n'y  a  pas  à  éém- 
pérer  encore  de  la  pacification  des  provÂnoes  insurgées.  £Ue  «lépesdrt 
iMAncoupdes.  prochaines  ^coriès. .  Les^ecteurs  assemblésaieflinieDtfir- 
loiii  ,00  -ce. moment  knra  nouveaui^  .jHPemiradoras.  Ce  que  I'^hi  saitdM 
44u>ix^acomplift  ne  dit  pas  «piel  sera  le  seoade  la  mi^^^riié  »  ei  ai  «Hé  aia- 
jtiendra  leiiiiioistère4sturHz.,Te«joiirfr>est41>quetlesdeuxobeii<iesdi8X 
opiniem  lesfOus  trnm^bées  vent'SeMtveufter-en  présence.M.AI^^ 
U  IVm  et  \L  Moridizabal  son4  néélos  déjà  l'un  et  l'autre.  Pourra  qae 
ressemblée  ootivdle  n'aille  pas  a^épuiaer  ^ea  moeconbals  4a  pmenssfi 
léa  oratoires,  pou rvi^qu'eilene. soit.pasUvaée aux faiseorade  prayalslt 
^[iiarrangG4irs  do  phrases!  Cet^sml^  pays* kildemandere cette  fDis««9 
flé  «era  pas  des  parak||i^  «osera ^de&aeleii. Ce  tu^eUeinidevnniBl 


^ 


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I 


oût;  coûtvqôecoMe,  toute  antre  réfomeceiiMte;  ^  een  larféfemwi» 
le  la  guerre  cirile.  Lecommaidemeot  '.sis|MréiDe  dei'ânaée  lemlile^  à 
"teare  qQ*ll  est»  bien  mal'  à  propos'  et  biea  ioprudemmeac  mit  aiMi^ 
nakis  déCordora,  le  plus  :  beau  disnoureutv  mais  le  moiat  capable  d«Li 
ifénéraux  qui,  depuis  1833,  soatauceesfîTeaMnt  venos  s*eaufer8aB8»SttD«' 
^  contre  les  batailJons  carlistes.  Que  les  eortés  qui  anrvveaA  lesimiwi— t '. 
[>ar  leur  vole  et  soutieimeot  friDchemeiit  uae  aduriaislfiatieniTfgoarauaat' 
ït  indépeadaDte.  DQt^eUe  déplaire  à  la  ceiir  afin  de  la  jmeux  aernr, 
^tteadoiiBfslratîOD  saura  blés,  saas  doute,  choisir  enfin  le  géaéral.qu^ilfi 
faut  aux  troupes  de  la  reine,  Ceaeeait  tmp  malheureux  sbla.cane  ëe  Inn 
liberté  nedécourrait  pas  panni  lés  siena^un-seul  bonone  ^i^aiftaaeaiéM  ' 
delà  défendre,  lorsqu'au  déftufde  Zumalaoarregiiy ,  celle  de  4*a 
tisme  trouve  d'emblée ,  danr  la  personne  de  Braao  YillareaL,  i 
cbefaosaientreprenantetraussi  habile  que  son  ptédéeesseiir. 

En  Angleterre,  la  querelle  continue  aussi  animée  entre  le^  deur  s 
blées  lé^lsïlitres,  et  le  publie  continue  de  regarder  ce  spectacle  tpade^ 
mentaîre  ai^ec  le  même  calme  indifférent.  Il  est  inoui  qu'une  crise  pôle*' 
tique  de  cette  gravité  s'opère  aa  milieu 4^n  pareil  engourdissement  dn 
ipstfs  qu'elle  intéresse.  Les  lords,  qui  ne  voient  plus  nul  ineonvénienttà  t. 
être  courageux  et  imprudens;  redoublent  chaque  jour  debaidieesetet  der^; 
témérité;  il  n'f  a  plus  de  mesure  utile  et  libérale  qui  trouve  graeedoiaat)' 
eux,  si  inoflénsive  qu'elle  soit  et  en  dtfcors  des  questions der>paiti;  Lee 
communes  leur  avaient  dernièrement  eniN>yé,  en  seconde insteneeynD-bill  h' 
tendant  Ir  abeHr  l'emprisonnenient  pour  dettes;  Il  n'a  pas  étèmienK  ac*<  * 
cueilli  de  leurs  seignàniea  cette  année  qne  l'année  passée.  Il  ▼ioBt'd'éthi^' 
encore  impitoyablement  repoussé^  Que/voule>z^o«sf  La  pairie  est  iario»-  • 
labte.  A-t-elte  emprunté  de  l'argenl)  il  n^y  a  d»  receors  jni  conanatai/'s 
biens  ni  contre  ses  personnes;  pourquoi  paftager«it^liéiaipeclepe«plee#J 
privilège?  Et  puis  le  gcandmai^  quand  des  créanciers  légitimes  4ies» 
draient  tonte  sa  wie  entre  qustreanirs  unpsuwe bOiMBe qui  n'estpaafua ^ 
lordl  Le  bill  des  corporaliôna  angtaises-et  gilleisea^  arraobéà  grand'»  • 
pane  Tàn  passé  de  la  chamfcre'hantey  nécessitait  un  amendeaMnt^qui'eau 
facilitât  rexéeution*,Cet  amendement^  votèpar  lee  eetnawineny  estseuasia  ^ 
aux  pairs.  Mais  ils  se  reprocheal  assex  déjà  Ja  faibiease  qu'ib  ont  enuidéf 
consentir  tme  loi  si  capitalcmeotihostile  à  ieurs^inléretsçau'meias'ilane" 
perdront  pas  cette  exceHenSeioocasioittqni  s'dfre  d^ntrawr  iatuuaschei 
des  monleipalités  nouveUas:  L'amendement  est  rejelèv  Ube  aoare  vietiBaev 
plus  illustre  a  bientôt  présenté  la  gorge  à  leurs  seigneuni».  Il  s'agit  idoe 
fameux  biU  de  la^  dtane  iriandaise,  qui  leur  arnve  résigné  d'avance i  saftv 
sort,  quoique  fort  d'un  vote  des  communes  qota^  pour  lai  troisième'foiav 
consacré  son  principe  cPappcoprialioai.  Et  en^effaiyitorflfnetet'deilaiidfa 
Lyndbursty  la  clause  d'apprepriatten  est  retraucbée,  c*e9t-«à-dire  queie? 
bill  tout  entier  est  anéanti.  Cette  fois  même,  comme4eB  revenus. de- l'è*i^ 
glise  sent  touchés,  afin  que  rimmolation  sott  phis  solennelle^  le  bane  dcf 'ï 
lards  spHîtueis  dirige  le  sacrifice.  Cest  l'éloquence  fanatique  de  l'évéïin^'.' 
tfBieter  qui  a  fulminé  les  grandis  mois  de  spoliation  et  de  sacrilège. 

On  dirattqne  la  seconde  chambre  songeait  à  pvendresanhmioheqMnéx 
^  expédiait  si  rapidement,  de  son  côté,  deux  mesures  de  réforme  fort 


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384  RBYUB  DBS  DEUX  MONDES. 

importantes,  mais  fort  compliquées  de  déiatls,  sar  lesqneDes  la  pairie  D*t 
point  de  contrôle,  attendu  qu'elles  sont  en  partie  matière  de  finance.  Noos 
voulons  parler  desbills  qui  réduisent  le  droit  de  timbre  des  joumaoi  et 
fixent  le  mode  et  le  prix  de  leur  transport  par  la  poste.  La  discustioa  de 
ces  lois  a  fait  grand  honneur  au  chancelier  de  l'échiquier.  Elle  a  prooié 
chez  lui,  non  pas  un  talent  d'orateur  qu'on  li^i  savait  déjà,  mais  de  yastes 
connaissances  financières,  une  noble  franchise  et  un  véritable  es|>rit 
libéral.  Il  a  levé  de  lui-même  le  premier  tous  les  obstacles  qui  auraient 
pu  retarder  l'exécution  immédiate  de  ces  deux  biils.  M.  Grote  propo- 
sait une  modification  qui  eût  établi  pour  chaque  journal  une  estam- 
pille particulière.  Ce  mode  eût  fourni  le  moyen  de  constater  au  joste 
le  nombre  d'exemplaires  que  publie  chaque  feuille;  car^  le  même  timbre 
étant  commun  à  toutes,  les  grandes  entreprises  de  la  presse,  intéressées  i 
grossir  leur  publicité,  achètent  du  gouvernement  plus  de  timbra  en 
blanc  qu'elles  n'en  peuvent  consommer  et  en  cèdent  ensuite  sous  main 
une  portion  dans  les  provinces.  M.  Spring  Rice  a  montré  que  cette  addi- 
tion, quoique  désirable,  retarderait  beaucoup  la  mise  en  vigueor  de 
Tune  des  deux  lois.  Il  a  promis  d'ailleurs  de  reprendre  ramendemeot  et 
d'en  faire  l'objet  d'un  bill  séparé.  C'est  lui  qui  a  sollicité  aussi  et  obtena 
pour  l'Irlande  une  double  réduction  du  droit  de  timbre ,  en  considéra- 
tion de  la  pauvreté  du  pays  et  de  son  plus  grand  besoin  de  lumières. 

Croirait-on  qu'au  moment  même  où  l'administration  whîg  agissait» 
libéralement  et  faisait  de  si  bonne  grâce,  aux  radicaux,  ces  concessions 
qu'ils  avaient  réclamées,  ils  aient  été  sur  le  point  de  se  séparer  d'elle  et 
de  lui  retirer  leur  appui  ?  C'est  au  sujet  du  bill  de  réforme  de  l'église  èti- 
blie  qu'a  éclaté  ce  dissentiment  de  quelques  jours  entre  les  deux  grandes 
sections  des  réformistes,  qui  a  failli  donner  gain  de  cause  aux  tories. 
Cette  réforme  de  l'église ,  proposée  et  arrangée  par  l'église  elle-même, 
n'était,  à  la  vérité,  qu'une  moquerie  de  réforme.  On  ne  pouvait  prendre 
au  sérieux  une  mesure  qui ,  sans  laisser  un  shelling  de  plus  dans  h 
poche  du  contribuable,  se  bornait  à  faire  passer  quelques  milliers  de 
livres  sterling  des  coffres  de  l'archevêtiue  de  Canterbury  dans  ceoi 
de  tel  ou  tel  évêque  moins  grassement  salarié.  Comment  la  finesse  de 
M.  BuUer  et  le  bon  sens  de  M.  Hume  n'avaient-ils  pas  compris  que  ce 
bill  ouvrait  au  moins  une  porte  du  temple  par  laquelle  on  y  poorrait 
rentrer  plus  tard ,  afin  d'en  réformer  réellement  le  luxe  scandaleux  et  la 
énormes  abus?  O'Connell  a  été  plus  habile  et  mieux  inspiré.  Il  a  bien 
senti  que  le  succès  de  sa  cause  en  Irlande  et  celui  des  réformes  en  Ânfrie- 
terre  dépendaient,  pour  long-temps  encore,  d'une  union  étroite  et  absolue 
des  libéraux  de  toute  nuance;  aussi,  dans  cette  petite  querelle  de  famille, 
s'est-il  activement  employé  à  ramener  la  paix,  et  a-t-il  soutenu  le  mims- 
tère  de  toute  sa  vigueur,  comme  il  faisait  peu  de  jours  avant  en  plein  air, 
sur  la  place  publique  de  Rocbester,  comme  il  fait  depuis  un  an  partout 
envers  et  contre  tous.  Du  reste  cet  incident  n'a  pas  eu  de  suite  sérieuse, 
puisqu'à  l'heure  de  voter  la  réforme  de  l'église  établie,  toute  l'oppositioa 
des  radicaux  s'est  réduite  à  la  protestation  d'une  trenuine  de  leois 
membres  les  plus  inflexibles. 

F,  BuLOz. 


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SIX  ANS. 


Cétait  un  précepte  de  Vécole  pythagoricienne  de  ne  jamais  se 
livrer  an  sommeil  avant  d'avoir  soumis  à  un  examen  attentif  les 
actions  de  la  journée.  Le  mahre  avait  pensé  que  ces  retours  de 
l'homme  sur  lui-même  étaient  une  méthode  excellente  de  réforme 
et  de  sagesse,  et  devaient  imprimer  à  la  volonté  plus  de  constance 
et  d*énergie.  La  Tie  publique  n*a  pas  moins  besoin  de  souvenirs 
que  la  conduite  particulière  :  il  est  salutaire  de  considérer  d'épo- 
que en  époque  l'espace  parcouru ,  de  marquer  les  écueils  tournés 
par  l'habileté ,  ou  signalés  par  des  naufrages.  Mais  si  ces  retours 
de  la  réflexion  sur  les  affaires  sociales  sont  utiles,  ils  ne  manquent 
pas  de  difficultés;  car  fl  n'est  accordé  à  personne  de  se  tenir  à 
l'écart  sur  la  rive  et  de  se  séparer  du  spectacle  que  nous  nous 
domions  les  uns  aux  autres  pour  mieux  le  juger  :  tous  nous  som* 
Dïes  engagés  dans  la  traversée  commune ,  tous  nous  sommes  en 
pleine  mer;  nous  voguons  ensemble,  parfois  un  peu  en  désordre, 
Biais  partageant  les  mêmes  hasards  et  la  même  impulsion.  Can- 
"^g,  dans  le  port  de  Plymouth ,  comparait  l'Angleterre  à  un  des 
vaisseaux  que  dans  la  rade  il  voyait  inmiobiles  et  calmes,  mais  qui, 
au  moindre  appel,  pouvaient  s'animer,  se  remplir  de  matelots,  de 

TOME  VII.  —  15  AOUT  1836.  23 


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38& 

soldats ,  et  réveiller  leurs  foudres  endormies.  A  contempler  la 

société ,  ne  dirait-on  pas  une  flotte  immense ,  d*un  appareil  infini 

mais  divers ,  peuplant  la  mer  de  distance  en  distance ,  et  soumis 

aux  aventures  variées  d'une  navigation  commune?  Il  est  difficQe 

de  porter  son  regard  juste  et  loin,  du  milieu  même  du  flot  qu'on 

laboure. 

Quand ,  il  y  a  sixi  ans  9 1»  révolution  s^liocoi^plRy^ce  grand  éyè- 
nement  donna  satisAictioD  aux  «eutimenj^c^t  aw  pensées  de  la  ma- 
jorité nationale.  Depuis  long-temps  la  France  avait  désespéré  de 
pouvoir  accorder  ses  destinées  et  sa  fortune  avec  la  vieille  légiti- 
mité ;  elle  était  opprimée  sous  les  prétentions  et  la  tyrannie  du 
passé,  et  Vavénement  d'un  gouvernement  nouveau,  relevant da 
principe  de  la  souveraineté  nationale ,  fiit  salué  avec  allégresse. 
L'usurpation  était  éclatante  ;  trois  rois  furent  détrônés  d'un  seul 
coup,  le  vieillard ,  le  fils  et  le  petit-fils  :  la  France  était  préoccupée 
du  désir  d'ériger  sur  les  débris  de  l'ancienne  dynastie  une  royauté 
qui  pût  satisfaire  à  ses  instincts  et  à  ses  droits,  tant  alors  on 
croyait  à  la  conciliation  nécessaire  et  possible  des  progrès  démocra- 
tiques avec  les  formes  d'une  monarchie  régénérée  1  Nous  écrivons 
ici  fidèlf^mont  l'histoire. 

Siiot  après  l'iastitutioii  du  aouv0a»|;^v<erMmeDtk,l*ébianle^ 
ment  impriçié  aux  imaginations  et  aux  ânes  se  maaifostêi  par  dsu 
développemens  impétueux ,  le  saiotn-siiimifen)»!  etr  le  i!épi]d)iiear 
nisme^'  on  avait  b^ucoup  faift^onvoulMlpIua  faire  eaoore^  di»^ 
position  naturelle  aux  sociétés  comun^r  aasr  indtvidius  ;  il  senè 
puéril  de  s  étonner  qu'après  uiieoomiii9iiQa<popiukitre7latJ9Ba«Me 
et  le  peuple  aient  embrassé  l'espéraoee  de.  progrès  BO^veanx.  U 
pea«éo  n'était  pas  coupable,  n»a«s  l'exéQutioO'fut'mravaîse* 

ho  saint-simonîsme  etle  répubiicaiiisviesepMltagirBntlatiièaie 
soeia^;  l'un  s'empara  du  fond»  l'aintre»  de; la  forme»  Iliéiaitiutk, 
ap^è^  une  révolution  dont  l'explioision  fut  nécessaire^  maie  subtoi 
d'érjger  uue  école  de  science  sociale  dont  les*  jeunes  etr nombreair 
soutiens  eussent,  préparé  par  leurs  travamcf  des  réfonoes  dans 
les  lois4)t  la  constitution  :  si  le  saiat^simonisme  se  fàt  toeu  satis&it 
d'un  rôle  philosophique,  chaqpe  jour  eût  augmenté  sa  puissanod; 
mai^:  on  sait  que  ses  prétentions  au  sacerdoce  et  à  la  révélatioa 
n'onti£^ouU  qu'à  retégiier  ses;  débris  sur  les;  bords  duNQ,  m 
becf^ai)  mâma  da  cetta  tbéocraii^  si  maladroitement  évoquée^ 


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Sendaiit  que  le  sakil-sinieiiisBie  s'égarait  dans  la  chhnère 
d>Biie  relig^  improvisée  et  d'nne  société  nouvelle,  le  républi- 
eaRisme  se  heurtait  à  une  idée  fiausse,  à  la  pensée  d*^battre 
Tiolnnnmit  le  {^vemement  à  l'érection  duquel  il  avait  contribué 
'lui-fiiéDie/niais^'fl  se  hâtait  de  condamner,  et  dont  la  ruine  lui 
pnrut  s«^4»«ha!mp  la  condition  nécessatre  de  tout  progrès  démo- 
tsraiiqne.  Un  peu  de  rMexion ,  quelque  connaissance  de  Vhistoh'e 
et  des  affres  humaines  lui  eussent  démontré  le  néant  de  sonBn- 
troprise.  Si  la  ^votonté  de  Thonmie  est  puissante,  ses  fantaisies 
•^échouent  tovgours.  Or  que  pouvaient  penser  la  Fwmce  et  rEurope 
de  ce  caprice  imprévu  de  renverser  ittcontinent  rœuvrc  de  la 
*  yféiiBe ,  'H  de  ne  recomiAitTe  que  Tinsurrection  comme  instrument 
de  réforme?  Le  succès  ne  seconda  pas  cette  erreur;  la^Trance  ne 
'ifonEdait  pa» suivre  cet  entraînement  aveugle;  elle  sentaifqulmpro- 
Tiser  la  république  ne  donnerait' pas  la  liberté,  mais  déplacerait  le 
«pewroir  en  Faggravant. 

La- pente  des  évènemens  aété rapide  :  eniSSl,  Casimir' Përier 
io^ua  la  résistance  ;  en  18S2,  Thnsurrection  flit  vaincue  le  5  et  le 
ii.jifin  :iSS3  vit  Fétrange  publication  du  manifeste  des  Droits  de 
Thomme  ;  1834  lut  témoin  de  la  loi  sur  les  associations  et  des  trou- 
bles d'avril;  la  machine  infernale  ensanglanta  18S5 ,  et  les  lois  de 
septembre  suivirent;  l'attentat  d'AIibaud  a  signalé  1888. 

Le  temps  dévore  tout,  les  grandeurs,  les  fisrutes,  les  crimes  et  les 
'nalheurs  des^  hommes,  arec  une  insatiable  avidité;  la  société-dure 
au  niKeu  de  eetfe'mobiKté  qui  la  trouble ,  ttans  Tafibiblir,  et  qui 
"semble  su  contraire  f  aguerrir:  et  la  tremper  enoofe. 

]4obilitate  viget. 


six  ans,  hi'ndtion  française  u  pu  rencontrer  des  revers  et 
'  des  hâdies  amvBSIieu  de  ses  pnrogris  et  de  «es  triomphes;  mais  elle 
-«'a  jamais  rétrogradé,  signe  certahi  devigneuret  de  nouveaux 
'Mccés  pour  l'avenir. 

Le  tiers-état,  aous  l'andenne  raonarehie,  commença  de  s^éman- 

dper  par  l'industrie,  et  acheva:  de^s'éiever  par  l'église,  les  lettres 

w  la  seience^  Il  avaét  ^  sa  dis^sition  le  négoee ,  lestnétiers^iet  la 

îbnnque;  4  avaitnn  pied' dans  le  bart«auet  le  parlement,  régnait 

ffOMT  la  MMMMprei  La  vév<dtttion^Qte^7^  lui  a'owertle'gouver- 


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388  RETCE  DES  DEUX  MONDES. 

Sous  Tancienne  monarchie ,  Tarmée  était  le  pririlége  de  la  no- 
blesse ;  depuis  environ  cinquante  ans,  elle  est  la  gloire  du  peuple. 
Ici  nous  parlons  du  peuple  tout  entier,  paysans  et  bourgeois,  jeu- 
nesse de  toutes  les  classes  et  de  tous  les  rangs.  L^émancipation 
plébéienne  doit  ses  plus  grands  progrès  à  Tégalité  sous  les  dra- 
peaux. Les  grades  militaires  sont  accessibles  à  tous  ;  ils  sont  h 
plupart  possédés  par  les  classes  moyennes,  héritières  de  la  no- 


L'administration ,  le  barreau^  la  magistrature ,  appartiennent 
au  tiers-état ,  qui  dispose  ainsi  de  Texécution  des  lois  ,  et  il  les  fait 
en  même  temps  qu*il  les  applique. 

Les  classes  moyennes  jouissent  donc  des  droits  politiques;  elles 
doivent  tout  ensemble  travailler  à  les  augmenter  et  hausser  letir 
esprit  au  niveau  de  leurs  devoirs  et  de  leurs  droits.  La  bour- 
geoisie, cette  moitié  de  la  démocratie,  ne  saurait  oublier  qa'O 
serait  périlleux  pour  elle  de  rester  au-dessous  de  sa  fortune.  Blé 
est  libre ,  car  elle  tient  dans  sa  main  sa  puissance  ;  comme  la  fort 
bien  dit  M.  Guizot,  dans  un  état  social ,  la  liberté ,  c'est  la  participa- 
tion au  pouvoir.  Oui,  la  liberté,  c*est  la  puissance;  vivre  politique- 
ment, c*est prendre  part,  en  quelque  degré  que  ce  soit,  au  ma- 
niement des  affaires  communes. 

Or ,  le  gouvernement  est  chose  nouvelle  pour  les  classes  moyen- 
nes, et  jusqu'à  présent  elles  s'y  sont  montrées  un  peu  gauches  et 
empruntées.  N*a-t-on  pas  souvent  importé  dans  les  affaires  publi- 
ques l'esprit  des  transactions  privées  ?  Le  ménage  et  la  famiUe 
n'ont-ils  pas  tyrannisé  l'état  et  la  patrie  ?  Voilà  Técueil  de  la  bour- 
geoisie. Ses  ennemis  lui  reprochent  des  vues  et  des  vertus  petites; 
on  lui  impute  la  médiocrité  de  l'esprit  et  l'égoïsme  du  cœur  ;  on  loi 
crie  qu'elle  est  incapable  de  con^prendre  et  de  mener  le  monde, 
que  la  grandeur  lui  échappe  et  lui  répugne.  On  lui  oppose  encore 
qu'elle  est  sans  entrailles  pour  ce  qui  vient  après  elle  ,  pour  les 
classes  ouvrières  dont  elle  est  sortie ,  et  qu'elle  manque  de  cette 
affectueuse  charité  qui  pousse  l'homme  à  tendre  la  main  à  soo 
frère  pour  le  faire  asseoir  à  côté  de  lui. 

L'avènement  de  la  bourgoisie  à  la  direction  sociale  est  légitime, 
car  les  déductions  des  temps  et  de  1  histoire  Vont  amené  ;  mais  il 
reste  à  se  rendre  digne  de  cette  fortune  d'autant  plus  grande 
qu'elle  a  été  plus  naturelle  et  plus  lente  à  venir.  Si  la  bourgeoisie 


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SIX  ANS.  389 

qui  &it  partie  da  peuple  n'en  avait  pas  le  génie  ^  elle  se  perdrait  ; 
si  elle  voulait  porter  aux  affaires  Fégoîsme  de  Varistocratie ,  elle 
n*en  aurait  pas  la  force  orgueilleuse ,  mais  seulement  les  travers  et 
les  vices ,  et  trouverait  le  même  châtiment. 

Après  les  classes  moyennes  viennent  les  classes  ouvrières 
qu*anime  l'exemple  de  Témancipation  de  la  bourgeoisie ,  et  qui  se 
jettent  avec  ardeur  dans  Tarène  sociale.  Nous  ne  connaissons  rien 
de  plus  sacré  que  les  destinées  des  hommes  qui  travaillent  et  qui 
achètent ,  par  de  rudes  labeurs ,  la  vie  de  leurs  femmes  et  de  leurs 
eefans.  Si  en  France  les  classes  ouvrières  sont  plus  pétulantes  et 
plus  ambitieuses  qu'ailleurs ,  nous  n'estimerons  pas  cette  efferves- 
cence une  plaie  sociale  ;  car  nous  savons  d'où  elle  vient  et  oii  elle 
aboutira.  Comment  8*épouvanter  des  sentimens  que  Dieu  a  mis  lui- 
même  dans  le  cœur  des  hommes  ? 

A  Vambition  des  classes  ouvrières  qui  réclament  des  droits  po- 
litiques,  sachons  répondre,  non  par  des  refus  éternels ,  mais  par 
la  sincère  promesse  que  les  droits  seront  reconnus  sitôt  qu'Us 
seront  noblement  conquis.  Dites  au  peuple  que  les  droits  politiques 
dépendent  et  sortent  de  la  moralité  sociale  et  de  l'intelligence; 
prodiguez-lui  Vinstruction,  et  d'époque  en  époque  reconnaissez- 
lai  de  nouveaux  droits. 

Bans  les  débats  entre  les  classes  moyennes  et  ouvrières ,  il  y  a 
des  torts  réciproques.  Sitôt  après  la  révolution  de  1830,  la  bour- 
geoisie aurait  dû  montrer  aux  prolétaires  de  larges  et  de  bienveil- 
lantes dispositions ,  un  avenir  d*émancipation  et  de  liberté  au  prix 
du  travail  et  de  Téducation ,  et  faire  briller  à  leurs  yeux  l'espé- 
rance avec  franchise  et  dévouement.  Mais  non,  on  s'est  montré  dur, 
avare ,  impitoyable  :  on  a  aigri  les  passions,  au  lieu  de  les  diriger 
en  les  épurant.  De  son  côté ,  le  prolétariat  s'est  jeté  dans  la  vio- 
lence ,  et  sortant  à  peine  du  servage ,  il  a  voulu  se  proclamer  sou- 
verain. 

Ahl  que  ceux  auxquels  il  est  donné  de  parler  au  peuple,  et 
d'exercer  sur  lui  quelque  persuasion,  l'instruisent  au  lieu  de 
le  flatter,  et  lui  ouvrent  les  yeux  sur  ses  plus  chers  intérêts. 
Qu'ils  lui  disent  qu'il  n'y  a  de  conquêtes  durables  que  celles  du 
temps.  Cette  même  bourgeoisie ,  que  les  classes  ouvrières  ont  de- 
vant les  yeux ,  combien  d'années ,  de  siècles  a-t-elle  mis  à  obte- 
nir, par  ses  efforts,  l'égalité  sociale?  Depuis  Suger  jusqu'à 


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'  890  REYUE  Ç^i  DmJX  MONDES. 

f ^^Oiertrdvuî^  Fab^  jiij|(^*4  Qi4er9jt|  40*4^  j)«iie  «M»  pim 
4^peaaée.  .Mes.  fmai^»  «voms  ré<)la49eK.:d^s  d^ioits  et.4n  povunr; 
ëtes-vous  bien  sûrs  4e  Je$  mérjytjer?  Si4ftB;iaiD  1% jpoîssaiipe.umliit 
entre  vos  mains»  qu'ea/^i^-^vpus?  ]p^orabIes^^oi»b^9i^^s^ 
^ù  la  victoire  serait  invu,ile  1 

Les  classes  ouvrièrea  ne  peuvent  parvcipir  à  des  4fchIs  et  à  Ii 
vie  poUti(|\&e  ,que  par  «ne  éducation  persévérai^te.  Où  ^wUmii 
jhommes  ?  où  sont  leurs  reppése^t^s  ?  Elles  les  attendent  .«qgûr: 
le  jour  où  sortiront  de  leur  sein  des  ckefs  et  de^  guidesiit'^s 
suivr-ont  avec  foi,  et  doi^t  le  .talent  justifiera  la  popnlaitfé.ie 
jour  <^ù  elles  auront  leur  O'Con^^l  paMefit  et  audacieux ,  b^. 
ardent  y  sachant  se  servir  des  lois  pour  les  r^uner  e^Jbsdlti- 
ger  y  ce  jour  aura  vu  s'accomplir  un  progrès  dont  il  f^adnfii' 
dter  non-seulement  un  intérêt  particulier ,  ma^,la  isooi^  ^ 
^tière. 

QMand  un  pays  pri^nd  à  la  liberté ,  il  doit  en  avioir  Je  cxmif^ 
les  mœurs;  et  riej^n'est  plus  nécessaire  que  la  fr^flLctuse  <lesf^ 
sitions  et  des  partis»  Si  en  Angleterre  le  parti  radical  v«»t  imt^ 
une  réforme  et  un  .nouveau  progrès,  il  sait  ji|uels  ^omoMSi^ 
ront  ses  soutiens  et  ses  promoteurs;  il  siMt.ai»Bsiîi4$qii'i<^ 
limite  il  peut  compter  sur  les  secours  des  wiglis,  qiu  i  bif 
tour  ont  les  représentans  de  leur  poUtique.  On  s'accepte  et  « 
s*allie  tout  en  se  distinguant  les  u^s  des  autres.  Nous  avons  en  « 
France ,  depuis  six  ans ,  des  irrigues  et  des.  factions ,  ,9iais  pis  à 
partis  :  soit  inconstance  et  vanité,  soit  indépendi^oce  é^ftsgé^^ 
d'humeur ,  aucune  opinion  n'a  pu  s'élever  à  un  parti  vrain^it 
solide  et  puissant ,  hppaogène  ;  jusqu'à  présent  ,^  plus  fp^ 
effort  de  l'esprit  politique  n'est  accouché  q/aed'igoe^tfne. 

Et  cependant  que  de  pensées  et  de  s^plimens  .^jpçài^s  4^^ 
dent  dans  notre  pays  une  véritable  express^  poIitic$aeI  Us 
principes  radicaux  qui  doivent  émanciper  progressivem^  ks 
classes  ouvrières  ne  sont  ni  claire^aentéMtbliSy^pipopi^ai»^ 
représentés.  Qù  eçt  TÊvangile  du  radicaljipe?  f^  smt  sçial#^ 
^constitutionnels? 

J)'un  autre  ç^,  où  spnt  les  tji^ies  et.l^  jfif^sffifi^ 
d'une  bourgeoisie  intelligente  qui  aime)aliberiéj^,q^i^i>ta^ 
pov  elle  y  B^ûs  ppi^r  /ses  frères  mpifts  avfiwés  ^99^  la.^^ 
Tpe  et  leçdiTPits.  «p^x  ?  H  fm^v4^  nmi^.  ^IM4^  ia.  d^WWP»* 


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6lt  AlfS. 

Idéale  la  déttôéi'âtte  dôb^eiine;  d'arceô'rd  stll*  cértatnÀ  points,  sè- 
irée  sur  d'autres,  mais  toutes  deux  réunies  par  \^È  sympathies' 
Mnniiines  dé  la  scx^ë  htrth^inè  et  français!^. 
Si  ces  deux  parti»  étaitentvrîHfûènt  constitués,  leur  existence  se- 
lit  déjà  un  progrès  poiïr  noire  société  démocratique ,  car  ils' 
exprimeraient  atec  fidélité.  La  France  est  une  vaste  démocratie 
des  degrés  différetlèr.  Quels  sont  dont  les  gèhtilshotiithes  qui  ne 
entent  pas  ici  être  dti  peuple?  Qui  reftise  d^étre  travailleur  et  cî- 
)yen?  Dans  la  vie  politique  comMe  dans  les  ateliers  de  Tindus- 
fie,  les  fonctions  sont  diverses ,  mais  le  travail  et  le  droit  sont  les 
ignés  humains  et  conliUuns.  L*homme  a  droit  à  tout  ce  qu'il  peut, 
lil  se  place  par  son  travail.  L'émancipation  sociale  est  une  déduc- 
ion  de  progrès  acéom[flte  et  de  droits  obtenus  qui  se  déroule  à 
ravers  les  siècles  ;  nonique  rien  ne  vienne  traverser  cette  évolution 
listorique ,  nfiats  toujours  elle  svLvtùànte  les  obstacles  et  reprend 
a  suite  de  ses  développemens. 

Au  surplus  les  promoteurs  de  l'émancipation  sociale  ont  souvent 
TOttvéles  plus  grands  écuëils  dans  leurs  pétulances  et  leurs  pré- 
npitations,  et  ils  ont  fait  Teculer  leur  cause  de  tout  l'espace  qu'ils 
roulaient  franchir  avant  le  temps.  Fautes  funestes,  car  elles  amè- 
lent  une  déroute  passagère ,  où  sont  enveloppées  la  raison  et  la 
^wtice  aussi  bien  qtle  les  prétentions  extrêmes. 

Napoléon  a  dit  :  Tout  gouvernement  qui  n'a  pas  été  imposé  par 
l'étranger  est  un  gouvernement  national.  Ce  mOt  si  juste  explique 
pourquoi  les  violences  qui  s'attaquent  directement  à  un  établisse- 
ment politîque  échouent  toujours.  Ces  agressions  sont  d'orageux 
Caprices  qui  viennent  expirer  devant  la  nature  des  choses. 

Rien  n'est  moins  arbitraire  que  l'institution  d*un  gouvernement. 
Hle suppose  des  causes  antérieures,  des  fermens  de  révolution' 
Vû  ont  long-temps  attendu  avant  d'éclater,  un  concours  nécessaire 
d^ circonstances  heureuses,  le^œu  d'une  immense  majorité.  Quand 
lOtttes  ces  raisons  et  ces  convenances  s'accordent  à  poursuivre  le 
néme  résultat,  un  gouvernement  nouveau  usurpe  avec  rapidité  la 
place  de  l'ancien. 

L'histoire  nous  apprend  aussi  que  les  gouverneinens  tombent 
piatèt  sous  leurs  propres  fautes  que  sous  les  attaques  des  partis* 
Ni  le  général  Mallet  n'a  détruit  Napoléon,  ni  Berton  n'a  préTahi 


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392  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

contre  Louis  XVin.  Les  coups  de  main  n^ébranlent  pas  les  ftmde^ 
mens  des  choses. 

Les  peuples  peuvent  se  plaindre ,  murmurer,  souffrir;  mais  ik 
se  déterminent  difficilement  à  la  ruine  d'un  pouvoir  qu'ils  ont  éferé 
ou  reconnu  :  il  n'y  a  guère  que  le  joug  de  l'étranger  ou  le  mépris 
des  droits  mêmes  de  l'humanité  qui  puissent  les  appeler  soudain  i 
l'insurrection  ;  autrement  ils  préfèrent  la  réforme  de  leur  gouver- 
nement à  sa  chute  ;  Dieu  a  mis  cette  patience  dans  le  cœur  des  peu- 
ples, pour  l'honneur  et  la  stabilité  des  sociétés  humaines* 

Et  dans  cette  prudence  sociale  qui  ménage  le  pouvoir  au  miliet 
de  ses  fautes,  il  y  a  un  instinct  profond  ;  les  sociétés  sentent  qa  u 
fond  le  pouvoir  est  une  partie  d'elles-mêmes,  car  la  vérité  est  tou- 
jours comprise  confusément  par  les  masses.  Nous  écrivions,  fl  jra 
cinq  ans  :  a  Le  pouvoir,  philosophiquement  considéré ,  ne  saurait 
se  distinguer  de  la  société;  il  est  un  ministère  public  institué  ai 
profit  de  tous,  et  qui,  par  un  progrès  nécessaire  et  successif, 
s'exercera  non-seulement  pour  tous ,  mais  par  tous ,  à  des  degrés 
différens.  D  ne  saurait  avoir  d'autre  titre  que  son  utilité ,  d'autre 
légitimité  que  l'assentiment  général.  Il  n'y  a  donc  pas  pour  loi 
d'hérédité  en  soi  et  naturellement  nécessaire  pajr  droit  du  sang; 
mais  il  peut  être  profondément  utile  que  ce  ministère  public  soit 
stipulé  héréditaire.  Alors  Thérédité  politique  puise  sa  raison,  ooa 
dans  le  sang  et  la  nature ,  mais  dans  l'utilité ,  le  consentement  et  U 
liberté  de  tous  (1).  d  Et  quelle  est  la  conséquence  de  ces  principes, 
si  ce  n'est  que  Fégoïsme  est  interdit  au  pouvoir,  qui  n'est  rien  par 
lui-même ,  et  qui  doit  tout  à  ceux  qu'il  représente  et  qu'il  sert.  S 
la  constitution  de  l'état  reconnaît  l'hérédité  politique ,  cette  héré- 
dité ne  sera  pas  de  droit  fatal  et  divin,  mais  de  droit  volontaire^ 
contractuel  :  et  par  cette  royauté  démocratique,  le  principe  de  la 
souveraineté  nationale  ne  sera  pas  violé,  mais  reconnu. 

Entrons  dans  le  fond  des  choses.  Si  la  France  a  pour  principe 
la  souveraineté  nationale  et  populaire ,  pourquoi  pas  aujourd'hui 
la  république?  Pourquoi?  Demandez-le  à  l'histoire  de  notre  pa^s 
et  de  notre  siècle.  Ehl  mon  Dieu!  nous  ne  sommes  pas  rois,  ce  neti 
pas  pour  nous  que  nous  parlons  (â).  Mais  la  logique  ne  peut  encore 

* 

(1)  Philosophie  du  Droit. 

(2)  Chateaubriand. 


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SIX  ANS.  395 

ntrainer  à  sa  suite  nos  mœurs  et  la  réalité.  Cette  première  place, 
iqui  la  donnerez-vous?  A  votre  voisin  ou  à  vous-même?  à  un  sol- 
lat,  à  un  médecin ,  à  un  littérateur  ou  à  un  avocat?  Sommes-nous 
[ens  à  supporter  au  pouvoir  suprême  quelqu'un  en  frac  noir»  sans 
leux?  La  royauté  historique  et  héréditaire  n'est-elle  pas  elle- 
Qéme  un  hommage  à  Tégalité  démocratique ,  puisque  également 
naocessibie  à  tous,  elle  se  soustrait  au  concours  du  mérite  et  de  la 
olonté? 

Mais,  dira-t-on,  peut-on  s*arréter  en  chemin  de  la  logique?  Hé- 
is!  les  déviations  de  la  logique  constituent  proprement  Thistoire 
lomaine.  Le  christianisme  a-t-il  porté  toutes  ses  conséquences  lo- 
;iques?  la  philosophie  a-t-elle  réalisé  tous  les  postulats  de  sa  dia- 
ectique?  La  société  est  le  milieu  vivant  dans  lequel  Fesprit  doit 
racer  son  sillon  et  sa  route;  elle  n'est  ni  mauvaise  ni  parfaite;  elle 
st  le  produit  complexe  de  toutes  les  facultés  et  de  tous  les  instincts 
le  rhnmanité  ;  elle  est  une  expression  altérée  de  l'esprit  du  monde, 
t  en  même  temps  on  la  voit  parfois  rebelle  ^ux  exigences  de 
et  esprit.  Nous  la  trouvons  routinière  et  philosophe,  ancienne  et 
louvelle ,  peureuse  et  hardie ,  s'agitant  dans  une  rotation  conti- 
luelle  de  ses  qualités  et  de  ses  travers.  Quand  une  révolution  ter- 
ible  a  passé  sur  un  pays ,  elle  a  justement  accompli  les  ordres  de 
)ieu.  Elle  a  lavé  les  souillures  avec  du  sang,  et  balayé  les  immon- 
lices  avec  des  tempêtes  ;  elle  a  frappé  le  sol  pour  Tébranler  salutai- 
ornent.  Tout  a  tremblé,  tout  s'est  régénéré  dans  la  ruine  etVagita- 
ion;  alors,  après  la  foudre  et  les  orages,  la  société  sort  rajeunie 
te  ces  tourmentes,  gardant  néanmoins  des  souvenirs  et  des  racines 
'ans  le  passé  ;  et  il  n'est  pas  plus  possible  d'étouffer  sa  jeunesse 
t  son  avenir,  que  d'extirper  ses  fondemens  et  son  histoire. 

Quand  on  suit,  dans  le  passé,  les  rapports  du  gouvernement  et 
ela  société,  on  trouve  que  toujourales  changemens  de  forme  ont 
aivi  les  développemens  du  fond,  mais  n'ont  jamais  pu  ni  les  pré- 
Mer,  ni  les  forcer.  En  France,  où  les  progrès  de  la  société  ont 
té  si  distincts  et  si  clairs,  le  gouvernement  a  été  tour  à  tour  la 
lonarchie  féodale,  la  monarchie  des  états-généraux,  la  monarchie 
es  parlemens,  la  monarchie  du  pouvoir  absolu.  Quand  le  régime 
évolutionnaire  expira.  Napoléon  institua  la  monarchie  démocra- 
que  et  militaire,  qui  fut  remplacée  par  la  monarchie  constitution- 
^le.  L.*homme  ne  peut  pas  plus  arrêter  les  transformations  suc- 


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394  REVUE  DBS  DEVX  MONDES. 

eesahre»  AM^éUbKssemeiis  poUli(|iiM  q«*ajrracher  brHtqnemttidv  j 
institiitionB  Mttvelles  d'tm  soi  qni  n'est  pas  aaaM  féeaadé.  ' 

Sons  lAT^tauralîon,  la  fretuotme  dénonça  pas  i  la  monarcUi 
qu'elle  TOiriait  la  éétrnire,  mak  elle  Faccnsa  de  ne  pas  se  metta  ' 
d'accord  afBC  Tétat  aocial.  La  question  était  posée  d'one  façoaà  \ 
judicieuse^  qu'elle  raUia  rinmense  majorité,  et  la  rérohnioB  i^  1 
pour  instrumens  taus  ceux  qui  l'auraient  repoussée,  si  dk  eètcli. 
proposée  comme  but  à  leurs  plaintes  et  à  leurs  griefs.  ! 

Les  partis  eitrémès  ne  s'aperçoivent  pas,  dans  leurs  emporte- 1 
mens,  que  des  agressions  directes  fortifient  ce  qu^eHes  ne  pra- 
vent  abattre,  et  qu'en  niant  un  gouvernement  avec  une  colère i»* 
puissante ,  on  l'affirme  d'antant  plus;  on  lui  fournit  ainsi  Foocasûa 
de  prouver  sa  présence  et  sa  force,  et  les  combats  auxquels  on  Ir 
provoque  semblent  le  dispenser  de  ses  devoirs. 

Hais  si  d'un  c6té  les  partis  extrêmes ,  pendant  ces  six  années,^ 
ont  été  contre  la  nature  des  choses,  en  ce  qui  concerBe  les  got- 
vernemens  et  l'opportunité  des  révolutions ,  le  gouvemoneai.â 
son  tour,  a-t-il  bien  compris  la  société  à  la  tête  duquel  il  a  étémb! 
n  n'a  pas  été  vaincu,  mais  entraîné  dans  de  graves  abem- 
tions. 

Ainsi  on  ne  s'est  pas  contenté  de  nier  la  république,  œ  qui  éuà 
du  droit  du  gouvernement,  mais  on  a  nié  la  démocratie  :  noa-] 
seulement  on  a  r^Mussé  les  tentatives  d'un  noovelle  révolmioi^i 
mais  les  réformes  législatives  et  couslttutionndies.  GonmKst  «^ 
justifier  d'avoir  confondu  la  modération  et  les  excès?  Si  c'est ij 
dessein,  on  est  immoral;  si  la  confusion  est  involontuire ,  on 
inhabile. 

Nous  avons  vu  le  principe  le  plus  élémentaire  de  la  sociabilité,] 
le  principe  même  de  l'association  méconnu  en  ISSi,  conune  il  Tavdi 
été  en  1807.  Punissez  l'abus,  nuâs  reconnaissez  le  droit.  Le  jory  i 
subi  de  graves  altérations,  qui,  sans  fortifier  le  pouvoir,  tendent  i 
dénaturer  l'institution  même.  Enfin  le  principe  de  la  liberté  de  Ff^- 
prit  humain  a  succombé.  Ces  faits  sont  à  nos  yeux ,  non-seulemeoi 
des  atteintes  à  la  itérité  sodale,  mais  des  fautes  funestes  i  œia 
qui  le^  commettent.  Les  gouveniamens  ne  peuvent  blesser  le  droSi 
sans  se  blesHer  euxtménMS. 

Quelles  que  soient  les  ciffaondtanoes  au  milieu  desquelles  agit  m 
jiyy^rnenient,  il  est  sotuois  à  ladouble  obUgs^îondene  pwiS' 


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SIX  ANS.  088  • 

le  droit  et  de  si^ft^elà  soeiété.  Rien  ne  sanrrit  le  relever  de  * 
imVtë  ddvoir  :  la  légitimité  morale  de  ses  pre8erq>tiea8  et  det* 
flm;  la  gpmiéêar  et  Tédât  de  ses  actes. 
LaFnnce,  surtout,  a  toujours  dênrosdé  à  ses  gouvememenB'^ 
rdteaetify  des  résultats;  elfe  ne  leur  a  jamds  pemm  de  se  - 
iraocher  dan^  une  surrefflance  négative;  sous  tous  le»  régimes» 
tstouies'ie»  situations,  elle  a  rondm  qu^on  agll  et  pav  elle  et- 
or  diérie  gouvernement  de  Robespierre  ne  fiit  pas  moins-entre-  • 
feoaitet  uflhiré  que  celui  de  Louis  XÏV.  En  vaiv  vous  diriez  i  ' 
wtàikè  qtft'ene  est  malade,  que  ses  passions  sont  diffidies  à  sa-" 
Eaire,  que  le  gouvernement  ne  saurait  être  chargé  du  bonheur  ' 
•  nasses  et  des  individus.  Mms  alors  pourquoi  le  pouvoir  7  D 
rosaire  la  nature  des  choses  que  les  problèmes  et  les  difficultés  ' 
«hssocsiéfés  offiwnt  à  résoudre*  soient  aindessue  des  forces^ 
■itiaes  ;  ce  serait  nier  la  b  onté  de  Dieu  et  la  possibilité  de  l'hia- 

SdBs  doute  il  serait  plus  couriet  plus  commode  de  restreindre 
eeslîdu des alEanres puMi^aes  à  régofsme  indrnduel,  delahser 
neret se  perdre  eeux  qui ,  faute  de  lumières,  sont  en  train  dé  - 
Toiner,  et  de  laisser  mourir  ceux  qui  fie  savent  coMuent  vivre. 
is  cette  manière  de  gouverner  aurait  beau  s'entourer  de  formes 
lutîtationnellés ,  eHene  pourrait  ni  vivifier  ni' contenir  la  société. 
S8t  précisément  pour  échapper  à  cet  égofsme  dti'*  pouvoir,  que 
>  Datioas  préteiutent  un  jour  se  gouverner  eHesHOiémes,  afin 
^«a  jour  te  pouvoir  qu'elles  auront  volontairement  délégué  n*ait 
ntres  seucis  quelles  intérêts  généraux. 
Vousélonnerez-vous  si  la  société  fi*UBçaise  est  inquiète  et  tour* 
latée?  Mais  la  surprise  et  le  dépit  seraient  puérite.  Vou»  avez 
ioaté  par-dessus  tout  lesexi^  de  la  guerre,  vous  avee  aujour* 
kai  la  plëmtude de  lapais.  Les  ardeurs  généreuses  qui  n*ont 
B^épaneher  au-deliors  ont  reflué  au  ceear  en  s*aigrissant. 
Us  états  libres  sont  calmes  au-dedans  quand  ils  guerroient  au- 
brs;  mais  la  paix  générale  les  livre  toujours  aux  agitations 
iriewes. 

^assi>tl  est  d'utto  sage  prévoyance  d'offNr  à  la  nation,  quand 
I  reste  paeifhiQe,  les  occasions  et  les  moyens  de  l'activité  poli— 
^  et  iiidustrtele.  Des  réformes' dans  leslt^,  des  droits  poK-^  < 
t% nouveaux^  dévastes  entreprises  commerdalesi  agricoles^ 


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396  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

réclat  des  arts  et  de  Vindustrie,  voilà  les  dédonunagemensquek 
système  de  paix  doit  livrer  à  un  peuple  libre.  Une  révolution  ce«- 
porte  nécessairement  des  développemens  que  la  sde&ce  poKtiqne 
doit  satisfaire  avec  une  mesure  intelligente;  on  ne  peut  fiûre nie 
loi  aux  nations  de  Vadage  du  stoïdsnie  :  Supporte  et  obtûem-'il 

n  est  remarquable  que  le  gouvernement,  depuis  que  lescoffi- 
sions  violentes  ont  expiré ,  s^oable  plus  incertain  et  plus  embarr^ 
dans  sa  contenance.  On  dirait  qu*il  avait  besoin  des  agivitk»s« 
des  émeutes  pour  lui  donner  la  réplique  et  lui  fournir  son  ihèmeJ 
a  nié  ses  adversaires,  mais  il  ne  s*est  pas  encore  affiméli- 
méme* 

Si  la  restauration  représentait  le  triomphe  du  passé  sur  ieprésoi 
et  l'avenir,  apparemment  on  Va  renversée  pour  demander  d'autm 
satisfactions  au  gouvernement  nouveau.  La  France  n'opposait-* 
pas,  en  1830,  le  drapeau  tricolore  au  drapeau  blanc,  respériKe 
de  la  gloire  aux  souvenirs  de  l'invasion,  la  démocratie  à  i'arisKh 
cratie ,  Tindépendance  philosophique  au  joug  du  bigotîsme,  rusnr- 
pation  à  la  légitimité?  Voilà  la  réalite  politique.  Quand  la maisofl 
d'Orléans  fut  invitée  à  supplanter  la  maison  de  Bourbon ,  cefiéui 
pas  pour  venger  les  descendans  du  régent  des  mépris  de  la  cour  de 
Louis  XIV  ni  de  Louis  XVI,  mais  pour  servir  la  révolution  accoo- 
plie;  mais  pour  intimider  et  maintenir  l'Europe.  Napoléon  a  dit  a 
Sainte-Hélène  ;  «  Si  l'on  eût  dû  avoir  le  spectacle  d'une  légrûmié 
interrompue ,  je  maintiens  qu'il  était  plus  avantageux  aux  rois  qw 
ce  fût  par  moi,  sorti  des  rangs,  que  par  un  prince  membre  de 
leur  famille,  car  des  milliers  de  siècles  s'écouleront  avant qw la 
circonstances  accumulées  sur  ma  tète  aillent  en  puiser  nn  âoire 
dans  la  foule  pour  reproduire  le  même  spectacle  ;  tandis  qu'il  n«* 
pas  de  souverain  qui  n'ait,  à  quelques  pas  de  lui ,  dans  son  pato. 
des  cousins,  des  neveux,  des  frères,  quelques  parens  propres i 
imiter  facilement  celui  qui  une  fois  les  aura  remplacés.*  ^oHi 
quelle  force  l'usurpation  donnait  à  la  France  contre  l'Europe. 

Ce  n'est  pas  en  imitant  ce  qu'elle  remplace  qu'une  dynastie  do«- 
velle  peut  s'établir  solidement  sur  les  ruines  de  ranciemie;ellei* 
saurait  trouver  la  force  et  la  durée  qu'en  représentant  de  grand» 
idées  et  de  grandes  passions  nationales.  Si  Guillaume  d'Oraog* 
garda  le  trône  d'Angleterre  pour  lui  et  ses  successeurs,  ne rep 
sentait-il  pas  sincèrement  le  protestantisme  contre  le  caUioli<^ 


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SIX  ANS.  597 

La  maison  de  Brandebourg ,  qui  gouverne  la  Prusse ,  a  pu  s'iden- 
tifier avec  elle,  en  représentant  la  réforme  religieuse  et  le  génie 
nouveau  d'une  démocratie  militaire.  La  maison  d'Orléans  ne  sau- 
rait avoir  d'autre  rôle  et  d'autre  avenir  que  de  représenter  les 
principes  de  la  révolution  française. 

Nous  ne  traçons  ici  ni  fantaisies,  ni  chimères  ;  nous  souscrivons 
à  l'évidence  des  faits  les  plus  positifs.  Les  partis  et  les  gouverné- 
mens  ne  se  persuaderont-ils  jamais  qu'ils  n'ont  de  force  que  par 
l'obéissance  aux  lois  nécessaires?  Le  monde  moral  n'est  pas  plus 
soumis  à  nos  caprices  que  le  monde  physique ,  et  la  raison  des 
choses,  quand  elle  est  méconnue,  a  d'inévitables  vengeances. 

Veut-on  se  convaincre  du  néant  de  la  politique  appelée  docirî- 
natrcy  qui  s'attache  depuis  six  ans  à  nous  démontrer  que  la  vie  est 
dans  l'immobilité?  Si  M.  Guizot  et  ses  amis  eussent  réussi,  comme 
ils  le  désiraient,  à  entrer  aux  affaires  avant  ou  après  M.  de  Marti- 
gnac  eussent-ils  eu  d'autres  maximes  que  celles  qu'ils  développent 
aujourd'hui?  N'eussent-ils  pas  gouverné  avant  1830  comme  après? 
Quelle  est  donc  cette  politique  qui  est  la  même  sous  la  légitimité, 
comme  sous  l'ordre  nouveau?  Qui  se  trompe  ici  ?  La  France  ou  quel- 
ques hommes?  On  ne  saurait  avoir  raison  contre  la  raison  des 
choses,  pas  plus  qu'il  n'y  a  de  droit  contre  le  droit.  On  ne  parvien- 
dra jamais  à  faire  de  l'époque  où  nous  sommes  le  pléonasme  de  la 
restauration.  Pour  donner  raison  à  l'école  doctrinaire,  il  faudrait 
supprimer  les  prémisses  de  1789  et  le  corollaire  de  1830. 

Quand  le  cabinet  du  22  février  s'est  formé,  on  ne  saurait  nier 
qu'il  n'y  eût  dans  la  sphère  officielle  quelques  soupçons  des  de- 
voirs que  le  temps  imposait  au  pouvoir.  On  sentait  confusément 
qu'une  révolution  devait  produire  son  système,  et  non  pas  contre- 
foire  celui  d'une  autre  époque;  on  cherchait  à  quitter  la  voie  des 
réactions  violentes;  on  désirait  changer  un  peu,  mais  sans  en 
avoir  l'air.  Le  nouveau  ministère  avait  en  face  de  lui  la  cohorte 
doctrinaire,  qui  lui  demandait  d'un  air  menaçant  si  vraiment  il 
avait  changé.  D'un  autre  côté,  les  nouveaux  alliés  de  la  nouvelle 
administration  disaient  tout  haut  que  leur  appui  était  le  prix  d'un 
changement.  Entre  ses  anciens  amis  et  ses  soutiens  de  la  veille^  la 
nouvelle  administration  semblait  fort  empêchée  : 

N'étes-Tous  pas  souris?  parlez  sans  fiction. 


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39^  RETUE  DES  A80X  MONDES. 

Oui»  ;  FOUS  rétea ,  ou  biea  j>.iie.Mi&pas.bel£Ufi^ 
Pardonnez-moi  >  dit  la.pattvrette , . 

Ce  n*e$t  pas  ma  profession. 
Moi  y  souris  î  des  méchans  vous  ont  dit  ces. nouvelles. 

Grâce  à  l'auteur  de  l'univers 

Je  suis  oiseau  ;  voyez  mes  ail6s. 

MaisphiS'lcÉi: 

Je^siHA89urift^  vivenl  les  rats. 

A  vrai  dire,  aj]joucd*hai  >  nous  serions  embarrassés  de  décider/ 
qui  a  prévalu  y  de  la.  souris  ou.  daToiseam.  Nous  leur  avions  oob^ 
seillé  cependant  débattre  des,  ailes,<et  de  s*élever  aa-dessos  des 
souris. 

Cette 'indéeision  parlementaire  a  pu, .  versia  fia-  d'une  sessioD, 
ne  pas  compromettre  le^nouoistère,  et  nous  égayer  mémo  par  queln 
ques  effets,  plaisans  et  comiques.  Mais  aujourd'hut/l*iacertitude 
n^est  pbi&de  Thabileté,  et  il  ne  réussit  pas  toujours  de  faire  le  mm 
trop  longTtemps.  Loin  de  là;  le  ministère  devait  se  proposer,  sitôt 
après  la  clôture  des  chambres ,  de  se.  caractériseir  par  des  actes 
dout  il  eûl  assumé  sur  lui  tout  Je  mérite  et  toute  la  responsabilîté. 
Qu'attendait  le  public?  des  actes  de  clémence  venant  chercher 
toutes  les  iifortunes  ^  sans  distinguer  les  partis  et  les  couleurs,  oor 
vrant  aussi  bien  les  portes  de.  Ham  /cpie  celles  de  Clairvaux  et  de 
Doulensv.  On  demandait  encore  de  nouvelles  preuves  de  courage 
personnd  et  de  conGance  dans  le  peuple  pour  rinaugurationécbh 
tante  d*un  monument  national.  Ufadlait  convier  Farmée  et  le  peuple 
au  pied  de  Farchitecture  triomphale^  et  metixe  au  défi  Tassassinat 
de  venir  souîlleile  testament  de  nos  victoires.  N*y  a-rtnil  donc  plus 
de  grandeur  dans  les  imaginations  et  dans  les  âmes  ^  et  ne  sait*oa 
plus  qu'on  n*est  an  poste  du  pouvoir  que  pour  oser  et  agir  ? 

Au  surplus,  si  les.puissances  officidles  n*oiii  pas  paru  devant^k 
mottiunent  nouveau ,  le  peuple  Vinaugure  tous  les  jours  par  sa 
présence  et  sa  patriotique  curiosité.  L'enfant,  Tartisau,  le  soldai, 
rétudiant ,  l'artiste ,  les  fenmies ,  les  familles ,  y  font  de  fréquens 
pèlerinages.  Varc  sera  pour  la  France  un  livre  d'histoire  dont 
elle  saura  l'ensemble,  les  épisodes,  les  plus  petits  détails;  elle 
en  lira  plusieurs  fois  toutes  les  pages,  elle  en  gardera  bonne  mé- 


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399 

moire,  et  par  cette  éclatante  reconnaissance  du  passé.  Napoléon  a 
encore  préparé  Tenthousiasme  de  Tavenir. 

Contrarier  les  sociétés  est  toujours  funeste  aux  gouvernemens  ; 
les  abandonner  à  elles-mêmes  n*est  pas  moins  dangereux.  On  perd 
ainsi  Tinstinct  des  sentimens  et  des  intérêts  généraux  ;  on  s*égare 
dans  une  société  qu*on  ne  connaît  plus,  on  spécule  et  on  agit  à 
faux,  on  est  sans  avertissement,  sans  luAiére,  et  plus  tard  sans 
issue.  Non-seulemient,  le  sdence  des  ^uplés  est  la  leçon  des  rois,- 
comme  a  dit  Tévêque  de  Beauvais,  ironiquement  cité  par  Mirabeau 
dans  les  premiers  jours  de  la  Constituante,  mais  il  leur  est  aussi 
un  piège  fatal;  il  y  a  peur  les  geuvememens,  dans  Vapatlne  des  so- 
ciétés, sinon  de  fa  perfidie,  du  moit»  beaucoup  de  périls  ;  en  poli- 
tique, on  n*a  pas  d*ennemi  plus  redoutable  que  Tinconnu  :  et  le 
danger  sera  d'autant  plus  sérieux  si  le  peuple  dont  vous  adminis- 
trez les  affaires  a  1  imagination  mobile,  la  conception  vive,  Fesprit 
net,  Tame  ardente  ;  s'il  juge  avec  une  justesse  rapide  tous  ceux 
qui  montent  à  ses  yeux  sur  la  scène ,  et  si  par  des  conversions 
mystérieuses  et  subites  il  peut  passer  brusquement  soit  de  rindif- 
férence  à  la  colère,  soit  de  raffiëction  à  l'ironie,  ou  de  la  résignation 
à  la  volonté. 

Leeminier.^ 


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DANTE, 

PÉTRARQUE  ET  BOCCACE, 


A  PROPOS  DE  L  OUYKAGE  DE  M.  ROSSETTI 


8CLL0  SPIBITO  A!fTIPAPAL8  CHB  PR0DU8SB  LÀ  RIFORMA,  B  STTLLA  SBGRBTA 

I5FLUBIIEA    CD*  BSBRCITÔ  HBLLA  LBTTBRATURA  D*  BUROPA ,   B  SPE- 

aALMBNTB  D'ITAUA,  COMB  RISCLTA  DA  MOLTI  SUOI  CLASSICI, 

MASSIMB  DA  DANTB,  PBTRARCA,  BOCCACIO  (1). 


Ce  livre  méritait  de  n'être  point  passé  sous  silence ,  ne  fût-ce  que 
pour  la  singularité  de  sa  destinée.  Cest  Vœuvre  d'un  Napolitain, 
expatrié  à  la  suite  des  événemens  politiques,  qui  a  trouvé  en  An- 
gleterre, non-seulement  un  asile,  mais  un  emploi  honorable,  ayant 
été  nommé  professeur  à  l'université  de  Londres.  Un  livre  italien, 
sur  un  sujet  qui  n'intéresse  que  l'Italie,  publié  en  Angleterre,  est 


(1)  Le  livre  de  M.  RossetU  a  déjà  donné  lieu  dans  la  Revue  { livraison  du  15  (émn 
IK^i)  à  un  article  piquant  de  Tun  de  nos  collaborateurs ,  M.  Delécluze.  Il  nous  a  semlrfc 
qu'il  ne  saurait  être  indifférent  aux  esprits  de  plus  en  plus  nombreux  qu'intéresse  Dan(«. 
d'avoir  à  ce  svijet  Topinion  du  savant  critique  M.  W.  Schlegel ,  plus  sévère  d'aiUeurs  enrers 
M.  Rossetti  que  ne  Ta  été  M.  Delécluze. 

M.  W.  Schlegel  nous  lait  espérer  qu'il  noni  adressera  bientôt  d'autres  travaux. 

{N,  du  D.) 


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DANTE,  PÉTRARQUE  BT  60CCACE.  401 

comme  nn  enfont  nouveau-né  exposé  dans  un  désert  :  on  saurait 
difCdlement  imaginer  un  moyen  plus  sûr  pour  empêcher  qu'il  ne 
trouvât  des  lecteurs.  Aucun  libraire  anglais  n*a  voulu  s'en  charger. 
Les  frais  de  l'impression  ont  été  fournis  par  un  généreux  protecteur 
auquel  l'ouvrage  est  dédié. 

Néanmoins  il  a  été  mis  à  Vindeo'.  Ce  n'est  pas  cette  sentence  qui 
nous  étonne  :  la  dixième  partie  de  ce  qu'il  contient,  eût  suffi  pour 
la  lui  attirer.  Mais  comment  la  censure  romaine  a-t-elle  été  infor- 
mée de  l'existence  de  ce  livre?  On  ignore  généralement  en  Italie  ce 
qui  s'imprime  au-delà  des  Alpes  ;  à  peine  la  France  fait-elle  excep- 
tion, n  faut  donc  que  quelques  exemplaires  se  soient  glissés  furti- 
vement ou  accidentellement  à  travers  tant  de  barrières  qui  s'op- 
posent en  Italie  à  l'introduction  des  livres  étrangers,  pour  peu 
qu'ils  paraissent  suspects. 

Parmi  les  compatriotes  de  l'auteur,  ceux  qui  ont  eu  un  sort  sem- 
blable au  sien,  et  qui  partagent  ses  opinions  politiques,  accueille- 
ront peut-être  son  hypothèse  comme  une  espèce  de  consolation  ; 
mais,  assurément,  elle  n'aura  point  de  succès  auprès  des  admi- 
rateurs désintéressés  de  la  poésie  italienne,  qui  n'ont  aucun  motif 
pour  faire  des  rapprochemens  forcés  entre  les  auteurs  du  xiv*  siè- 
cle et  des  évènemens  plus  récens. 

Qu'il  se  soit  manifesté  pendant  tout  le  moyen-âge  en  diverses 
contrées  de  l'Europe  un  esprit  d'opposition  très  prononcé,  souvent 
très  hardi,  contre  les  usurpations  pontiûcales  et  la  corruption  des 
mœurs  du  clergé,  c'est  un  fait  si  universellement  connu,  si  bien 
coastaté,  qu'il  est  superflu  de  vouloir  le  prouver  de  nouveau. 
M.  Rossetti,  dans  son  premier  chapitre,  intitulé  :  Dm  Langage  ouvert 
contre  Rome,  dit  là-dessus  des  choses  qui  sont  vraies,  mais  rien 
moins  que  neuves.  Dès  le  second  chapitre,  dii  Langage  secret  contre 
Rome  y  il  commence  à  développer  son  hypothèse  qui  remplit  tout  le 
reste  du  volume.  Il  soutient  qu'il  existait  dans  les  xiv*  et  xv*  siècles 
une  vaste  association  secrète,  répandue  dans  toute  l'Italie  ;  qu'elle 
se  rattachait  à  la  ^ccte  des  Albigeois  ;  que  son  but  était  le  renver- 
sement du  saint-siége  et  une  réforme  radicale  dans  l'église,  telle 
que  les  protestans  l'ont  opérée  dans  le  xvi'^  siècle  ;  que  les  membres 
de  cette  association  avaient  inventé  un  langage  de  convention,  par 
lequel  ils  pouvaient  se  reconnaître  et  se  communiquer  leurs  pen- 
sées, sans  que  leurs  compatriotes  non  initiés,  et  surtout  sans  que 

TOME  VII.  26 


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402  RITDB  ISS  BEUX  HOIflBVS. 

les  autofilés  eeclésiastîqoes  s*efi  aperçnsseBl;  que  Daate^  Hum- 
iqne  et  Boccaoe,  ainsi  qu'une  foule  d'autres  poètes  ei  nltui^  es 
prose,  leurs  oontemporatas ,  leurs  imitateurs  et  smtouamxh, 
étaient  afBUés  à  cette  secte  ;  enfin  que  tous  leurs  ouvrages  eatàé 
composés  dans  le  but  de  préparer  Vaccomplisseoient  des  grsids 
projets  que  Fassodation  méditait,  et  qu'Hs  sont  écrits  dans  mi 
style  à  double  entente,  ayant  un  sens  patent  et  un  aeiii  njalé- 
rieux. 

Toili  une  étrange  découverte.  Nous  croyions  jusqu'ici  que  ces 
génies  originaux,  les  patriarches  de  la  littérature  itaUenoe,  araôent 
eu  une  véritaMe  vocation  poétique,  et  qu'inspirés  par  les  nwss, 
ils  avaient  parlé  le  langage  des  dieux.  Point  du  tout  :  M.  Rossitii 
nous  apprend  que  tout  cela,  d'un  bout  à  l'autre,  n'est  qu'im  jar- 
gon de  bohémien. 

Mais  ce  qui  est  plus  étrange  encore ,  c'est  de  voir  la  convictioa 
inébranlable  de  M.  Rossetti;  son  zèle  pour  propager  sa  chimère; 
l'importance  qu'il  y  attache  ;  sa  colère  contre  ceux  qui  Tont  ooi- 
tredit  à  l'occasion  de  son  Commentaire  sur  la  Divine  Comédie;  & 
le  dévouement  avec  lequel  il  se  prépare  (en  pleine  sécurité  de  ne 
jamais  être  mis  à  l'épreuve]  à  devenir  le  martyr  de  ses  prephc- 
ties  apocryphes  sur  le  passé. 

M.  Rossetti  a  foit  des  frais  considérables  de  lecture.  ■  a  com- 
pulsé ,  toujours  dai»  le  but  de  trouver  la  confirmation  de  sgù  hy- 
pothèse ,  non-seulement  Dante ,  Pétrarque  et  Boccace ,  mais  aussi 
€ecco  d'Ascoli,  Cino  da  Pistoia,  Fraacesco  Barberim,  Faziotkisli 
Uberti,  Federigo  Frezzi ,  etc.,  etc.  Il  ne  se  borne  pas  à  cela  :  3  a 
mêlé  l'ordre  des  templiers ,  des  rose-croix,  des  francs-maçons, 
les  visions  de  Swedenborg ,  la  doctrine  exolérique  et  éeotériqve 
des  philosophes  grecs,  les  mystères  d'Eleusis,  et,  peu  s'enfoat, 
les  hiéroglyphes  des  prêtres  égyptiens.  De  la  plupart  des  choses 
que  nous  venons  d'énumérer,  l'auteur  s'est  formé  une  idée  toot 
aussi  fausse  cpie  de  l'ancienne  poésie  italienne.  A  cAté  de  cet  éta- 
lage d'une  érudition  indigeste  et  superficielle ,  la  verbosité,  tr^ 
commune  chez  les  savans  de  son  pays ,  n'y  manque  pas  non  pbs. 
Ce  lourd  volume ,  d'une  impression  serrée ,  est  une  mosaïque  de 
citations  de  toute  espèce ,  d'explications  et  de  notes  prolixes ,  en- 
tremêlées de  déclamations  ampoulées  ;  le  tout  formant  une  ledare 
passablement  festidieuse. 


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DÀlfTE^  pirilAAQOV  ET  BOCGkCB.  40B' 

M.  AfMMttlêroii  aiKOflr  <acc«iirelét  les  preuves  ;  ne»»  n^  a^ens  > 
)a»tfoavé*iiiui  seule  qoî  pût  sevlqiiir  resanen  âiime  sanie  criti* 
|ae.  Car  ea  quoi  consistent  ces  prétend  lias  prewes?  ce  sont  des 
)as8ages  tortorés  poor  en  tirer  un'  sen»  caché  que  personne  uY  a 
janaB  soupç^miéw 'Atec  cette  roaniire  dlnterpréler,  on  pouvta 
faireidâre  à  un  auteur  y  owpkitôt  Ifti  faire  indiquer'  par  énignes^ 
tontcequeVon  voudra. 

Les  assooiatiotts  ont  été  fréquences  dans  le  moyen-Age  y  paroe 
qo^OB  cherchait  des  garanties  particulières  au  niiKeu  de  Tanarehie 
etiiea  vMences  du  pouvoir  qui  Croubhôenl  altomativenieat  For dre 
soeial.  Jlais  ces  associations  étâent  généridemeni  pubKques.  Ce 
siMe flor>  fauoc,  simple  et  énergique  à  Vexcès^  déésigiwét  lâ*di»' 
siniatien  et  ne  savait  pas  6*y  prêter. 

Les  deux  fameuses  factions  politiques  qui  divisaienl  alors  toute  ' 
ritslie,  et  souvent  les  citoyen»  d'une  même  républicpe^  ne  saii- 
raictttètre  rangées  dans  la  classe  des  associations  puUM|nes«  Une: 
association  suppose  toujours  des  engagemens  formels'^  dee  s^ath 
tuts y  un  régfane intérieur^  chargé  de  diriger  lesdéMbératton»,  db ' 
préparer  et  d'employer  les  moyens  d^action*  Rien  de  tout  ceU: 
n'eiistaît  chez  les-Guelfes  et  les  GibehHs^  Le  jiott>do  l'empereur  el 
dapape>  était  le  cri  de  ralliement  pour  des  hommes  qui  n» 
s*étaient  ligués  que  d'une  façon  temporaire;  et  souades«kapeaux; 
qoiportaientd^unepart  raigtodel'emiKÎrey  de-l'autre,  lesidésde^* 
Saînt^Pierre^  chacun  combattait  pour  sa  pt epro  indépendateou 
saptopre  ^amUtiou^. 

L'assooiatton  aat^apek  queM^R^ssettisuppoee^  n^avail'done- 
rieadeicoinmutt<«vee  les  GibeKn»^  puisque,  selon  lui»  eHe<élHl' 
dirigée  contre  l'autorité  spirituelle  du  soufrai»  pottttfb/ et  qu'il 
idefiiifie>ces  sectaires  aveelesMiigeoistou^VaudoisiCenxHâ^  dàs 
le  xiie  siècle  y  ont»  en  effet,  trouvé  eik  Italie  quelques  «  adhérons 
qui  fiôent  appelés  Patarins.  En  1233,  ils  fiirent  persécutés  et  livrés 
aa  supplice  dans  plusieurs  viHes  de  la  Lombardie.  Plus  tard  il  n'en 
est  plus  question.  Celte  tentative  était  donc  antérieure  à  l'époque^ 
de  la  littérature  italienne  qui  ne  commence  que  vers  la  fin  du  xin* 
siècle.  Les  Vaudois  du  Piémont  seuls  ont  pu  passer  inaperçus  dans 
leur  retraite  montueuse,  et  conserver  la  simpheité  de  l'égUae 
primitive  jmqu'à  nos  jours»  malgré  les  nouveUes  persécutions 
qu ils  essuyèrent  ea  IWO  et  encore  en  1655.  Leurs  colons»  en- 


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iOk  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

voyés  au  fond  de  la  Calabre ,  eurent  un  sort  plus  malheureux.  Il 
est  superflu  de  f^re  remarquer  que  ces  pâtres  montagnards  n*ont 
pu  avoir  aucune  influence  sur  une  littérature  qu*ils  ignoraient. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  la  propagation  de  la  secte  des  Vaudois ,  de 
sa  durée  ou  de  son  eitinction  dans  le  reste  de  l'italie;  en  suppo- 
sant même,  avec  M.  Rossetti,  que  les  membres  de  TassodatioB 
secrète  eussent  absolument  les  mêmes  opinions ,  il  y  a  une 
différence  essentielle  qui  met  ceux-ci  à  une  distance  inmiensedes 
premiers.  Les  Albigeois  et  les  Vaudois  professaient  franchement 
leurs  convictions;  en  hommes  vertueux,  ils  vivaient  selon  leur 
foi  et  ils  mouraient  pour  elle.  Les  associés ,  au  contraire ,  se  ca- 
chaient soigneusement ,  et  dissimulaient  au  point  d'observer  les 
pratiques  religieuses  qu'ils  condamnaient  intérieurement,  ce  que 
les  Vaudois  eussent  regardé  comme  une  profanation. 

L*association,  en  effet,  a  gardé  merveilleusement  bien  son  se- 
cret, puisque,  après  tant  de  siècles,  M.  Rossetti  est  le  premier  aie 
découvrir.  Elle  a  pris  un  excellent  moyen  pour  cela  :  elle  n'a  ni  a^ 
ni  parlé.  Je  me  trompe  :  elle  a  su  en  même  temps  se  taire  et  parler; 
elle  a  parlé ,  bavardé  même ,  d'une  manière  inintelligible  pour 
tout  le  monde,  excepté  pour  les  affiliés.  Or ,  ceux-ci  n'avaient  pas 
besoin  d'être  persuadés ,  et  les  autres  lisaient  sans  y  entendre  ma- 
lice. Us  croyaient  lire  des  chants  amoureux ,  respirant  un  senti- 
ment pur  et  idéal,  et  ils  n'apercevaient  pas  le  venin  de  l'hérésie. 
Dans  quel  but  tant  de  poètes  (car  aucun  de  cette  époque  n'échappe 
à  la  diligence  de  M.  Rossetti)  auraient-ils  mis  leur  esprit  à  la  to^ 
ture  pour  inventer  et  mettre  en  vers  tant  de  déguisemens  de  la 
même  thèse  ?  Car  en  admettant  comme  vraies  les  incroyables  inter- 
prétations de  M.  Rossetti ,  il  n'y  a  rien  dans  ces  passages  occultes 
qui  ait  servi  à  fortifier  même  une  opinion  déjà  adoptée  :  ils  n'aa- 
raient  jamais  été  que  des  énigmes  oiseuses. 

On  rapporte  que  le  barbier  du  roi  Midas,  après  que  celui-ci  em 
subi  une  métamorphose  fâcheuse ,  craignant  que  son  secret  ne 
rétouffàt,  pour  se  soulager  dit  à  voix  basse  entre  les  roseaux  d'un 
étang  :  a  Le  roi  MiJas  a  des  oreilles  d'âne  I  »  L'association  eo 
question  ressemble  fort  à  ce  barbier.  Cependant  l'issue  fut  diflë- 
rente.  Les  roseaux  grandis  et  agités  par  le  vent,  l'année  suivante, 
répétèrent  les  mêmes  paroles.  Ainsi ,  le  barbier  eut  la  satisfiictiofl 
de  voir  le  secret  éventé,  sans  qu'on  pût  l'accuser  d'indiscrétiofi. 


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( 


DANTE  y   PÉTRARQUE  ET  BOCGAGE.  405 

Les  associés,  au  contraire,  selon  M.  Rossetti,  ont  sans  cessé  mur- 
muré entre  les  dents  :  o  Le  pape  est  Fantechrist  I  »  sans  que  jamais 
aucun  écho  se  soit  réveillé  qui  ait  rendu  leur  doctrine  populaire. 

M.  Rossetti  a  touIu  prévenir  une  objection  qui  se  présente  na- 
turellement. Les  chefs  de  Téglise ,  pendant  tout  ce  temps,  ne  se  sont- 
ils  pas  aperçus  qu*on  les  insultait,  et  qu'on  voulait  détruire  leur 
autorité?  Ohl  oui,  dit-il,  ils  comprenaient  fort  bien,  mais  ils  ont 
jugé  plus  prudent  de  ne  pas  paraître  comprendre.  Ainsi  tout  s'est 
passé  en  politesses  :  on  a  ri  sous  cape  des  deux  côtés ,  et  la  nation 
seule  a  été  dupe. 

En  effet,  si  l'association  était  telle  que  M.  Rossetti  la  peint,  les 
chefs  de  Véglise  auraient  eu  raison  de  la  mépriser.  Un  seul  homme 
de  la  trempe  de  Savonarola  était  plus  redoutable  que  des  milliers 
d'adversaires  aussi  puérils  et  aussi  pusillanimes. 

L'encouragement  des  superstitions  profitables ,  le  trafic  des  in- 
dulgences, les  artifices  pour  enrichir  l'église  déjà  beaucoup  trop 
opulente,  la  corruption  des  mœurs  du  clergé,  et  principalement 
de  la  cour  de  Rome,  l'ambition  mondaine,  le  népotisme  et  la  vie 
scandaleuse  des  papes  eux-mêmes ,  enfin  tout  ce  que  les  associés 
devaient  abhorrer ,  tout  cela  pendant  deux  siècles ,  non-seulement 
allait  son  train  ordinaire,  mais  empirait  de  plus  en  plus ,  sans  que 
les  initiés  de  la  secte  aient  jamais  osé  paraître  au  grand  jour,  sans 
qu'ils  aient  fait  la  moindre  tentative  de  rallier  les  peuples  autour 
d'eux.  Qui  peut  croire  à  une  association  nombreuse,  couvrant 
l'Italie  entière  comme  d'un  réseau ,  comptant  dans  ses  rangs  les 
hommes  les  plus  distingués  par  leurs  talens,  et  qui  néanmoins  n'au- 
rait donné  aucun  signe  de  vie,  si  ce  n'est  par  de  misérables  quo- 
libets? 

M.  Rossetti  attribue  à  cette  association  une  grande  influence 
sur  la  réforme  du  xvi'  siècle.  Mais  comme  il  s'arrête  en-deçà  de 
cette  époque,  nous  pouvons  nous  dispenser  de  le  réfuter  d'avance. 
n  est  contraire  aux  règles  de  la  logique  de  chercher  une  cause 
éloignée,  obscure  et  plus  que  douteuse,  quand  les  causes  rappro- 
chées, manifestes  et  puissantes,  suffisent  pour  expliquer  un  évé- 
nement. La  réforme  de  Luther  a  produit  un  grand  retentissement 
en  Europe.  L'Italie  n'a  pu  rester  étrangère  à  cette  secousse;  mais 
elle  l'a  éprouvée  plus  tard  que  d'autres  pays  voisins  de  l'Allema- 
gne. D'ailleurs,  a-t-on  jamais  ouï  dire  que  les  protestans  italiens 


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406  RvnnrDi!&^  hmx  moniAss. 

aienl  foit  dériver iem^ doctrines  d'Une  ancierniesodécé  seerèteT 
Leuraorades  avoués  éiaienf;LHiher;  Melanchthoiiv  Zuingle,  Galthi 
et  autres  réfermateun,  av^elefsquels  ils  étaient  en-correspondanœ. 

A  répoqne  même  <  oiit  Fînâuireetion  religieuse  éclata  en  AQenoh 
gne  'y  on  était  eoaqié>eA  Itàlto  de  tout  autre  choses  Le»  beaux-arts 
avaient  atteint  leur  apogée;  Od'aohevait  à  Rome  le  temple  le  plus 
vaste  et  le  plus  magnifii^ue  quvait  jamais  été" érigé  en  Thonnew 
d'aucun  cultes.  Michel-^nge^^t  Mptiaél  rivalisaient  de  génie  pour 
embellir  les  pompe9>etcélébt«FlëS' triomphes*  de  l'église  romaine. 
Personne  ne  semblait  se  douter  que  sa  domination  fût  ébranlée  jus^ 
que  dan»,  les  :fondemeii& 

Dans  plusieurs  écriraiM  italiens  de  la  première  moitié  du 
xvi'  siède  (par  exempte  dam  Mâichiavel),  il  est  facile  de  reconnaî- 
tre, à  des  symptômes  mntéquivoques»,  un  esprit  bien  différent  de 
celui  des  réformateocs  :  un  scepticisme  universel,  accompagné, 
comme  cela  arrive  d'ordiiim^e,  d'une  profonde^ 4ndifHireBee  pour 
tout  ce  qui  concerne Jar^ioB ,  que  ces  auteun  neTegardstient 
que  comme  uBrinstrument'pditique. 

Tout  lemonde  sMt  qwsiBaiiie  et  Pétrarque  on»  signalé  sans  mé- 
nagement la  corruplio»  dé*  la  cour>de'Rome  et  d'Avignon- et  les 
abus  du  régime  eœlésiastiqu»^  mais  personne  n'avait  encore  soup- 
çonné qn»,  même  dans'lëur  pensée  la  plus  intime-,  ils  se  fiissent 
séparés  de  1  égKse  i  catholique,  ou  qu'ils  eu'eussent  rejeté  les 
dogmes.  Ce  que  nous  <disone  de  ces  grands  hommes  n'a  palpeur' 
but  de  rétablir  leup 'réputation  d^orthodoxie-;  c'est  conme^poètes^ 
qu'il  nocui  «poi^e  '  «de  4es^  justifiefl»^  et'  d'effàcsv  'là*  'flétrissure  que 
M.'  Rossetii  tâche  d'imprûnep  à  leerf root. 

En  parlant  de  Dante,  il  s*écrie  :  ce  Assurément,  la  religion,  cette 
fille  de  Dieuv  ne  sera  pas  moins  saiàle,  lorsqu^o'aura  démon*- 
tré  qu'une  muse  tremblante,  afiti  de  se  rendit" invulnérable > 
a  été  engagée  par  la  peur  à  se  couvrir  de  ses  vètemens.  d  —  Que 
veulent  dire  ces  phrases  contournées  y  si  ce  n'est  que  la  peur  a 
rendu;  le  poète  hypocrite?  La  miuse  de  Dante  îrenMantel  Dites 
donc  plmftt  foiidroyanit!  Il  a  composé  son  grand  poème  sous  le 
poids  d'une  sentence  de  mort,  bsinni  de  Florence,  d^x>uillé  de 
son  patrimoine,  errant  d'un  asile  précaire  à  l'autre;  il  l'a  pu- 
blié de  son  vivant,  quoique  ce  poème  fût  de  nature  à  lui  at- 
tirer Vinimitié  de  beaucoup  d'hommes  puissans,*  et  surtout  des 


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DANTE  9   PÉTRAftOUE   ET  BOCCACE.  497 

ciîgputaires  de  réélise.  Il  regrettait  amèrement  «a  patrie  ;  il  espé- 
rait encore  que  radmirationdue  à  son  poème  ferait  révoquer  les 
sentences  portées  contre  lui,  et  qu'il  serait  couronné  de  laurier 
dans  le  même  baptistère  où  il  avait  été  tenu  sur  les  fonts.  Néan- 
moins, a-t-îl  flatté  ou  seulement  ménagé  les  Florentins?  Ne  leur 
dit-il  pas  les  vérités  les  plus  sévères?  Et  cette  ame  si  fière  qui 
grandissait  dans  l'adversité ,  cette  «ne  aa  même  temps  si  pieuse , 
si  contemplative  y  aurait  profané  volontairement  par  un  mensonge 
continuel  le  double  sanctuaire  de  la  religion  «t  de  la  poésie  ! 

M.  Rossetti,  pour  étayer  son  système  d'amphibologie,  rappelle 
la  nature  allégorique  et  Vobscurité  de  la  Divine  Comédie. 

L'obscurité  de  Dante  provient  de  son  extrême  laconisme,  d*un  lan- 
gage souvent  suranné  et  varié  par  des  licences  très  fortes,  de  mille 
allusions  à  des  détails  Ustoriques  et  biographiques,  aujourd'hui  peu 
connus,  ou  entièrement  oblitérés;  d*une  sphère  scientifique  diffé- 
rente de  la  nôtre,  qui  se  composait  de  la  physique  et  de  la  méta- 
physique d'Aristote,  comme  on  l'entendait  alors,  de  l'astronomie 
de  Ptolémée  et  de  la  théologie  des  docteurs  de  l'église,  tels  que 
saint  Thomas  d' Aquin  et  saint  Bonaventvre  ;  quelquefois  aussi  de 
la  bizarrerie  de  cet  esprit  solitaire  qui,  en  tout,  dans  les  expres- 
sions, les  métaphores  et  les  comparaisons,  évitait  les  sentiers  bat- 
tus. Mais  il  n'y  a  jamais  cette  obscurité  vague  qui  naît  de  la  con- 
fusion des  idées  et  du  style.  Quand  on  a  pénétré  le  sens,  on  tient 
quelque  chose  de  substantiel.  Au  reste,  les  passages  restés  on 
devenus  inexplicables  sont  peu  nombreux.  Ils  le  seraient  moins 
encore,  si  les  anciens  commentateurs  avaient  apporté  à  leur  tra- 
vail plus  de  critique.  A  cet  égard  les  commentateurs  modernes  ont 
ravantage  ;  mais  ils  sont  moins  familiers  avec  la  manière  de  penser 
du  poète  et  de  ses  contemporains.  Dante  aspirait  à  l'universalité  du 
savoir  :  pour  le  juger  équitablement,  il  faut  connaître  la  pauvreté 
de  ses  matériaux,  source  de  ses  erreurs. 

Le  moyen-àge  avait  un  goût  dominant  pour  l'allégorie.  Plus 
tard  on  la  voit  encore  figurer  dans  la  peinture ,  et  la  poésie  dra- 
matique a  commencé  par  elle.  La  personnification  d'une  idée  géné- 
rale ou  abstraite  n'a  rien  d'équivoque;  mais  en  poésie,  malgré  sa 
clarté,  elle  est  toujours  un  peu  froide.  Pour  cpi'on  croie  à  la  réalité 
d'un  être  idéal,  il  faut  qu'il  prenne  des  traits  individuels  ;  c'est  ce 
qui  est  arrivé  dans  la  mythologie.  La  phipart  des  divinités  de  la 


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408  REVUE  DES  DEUX  HONDAS. 

Grèce  étaient  primitivement  des  symboles  des  puissances  natu- 
relles ou  des  facultés  de  Famé  ;  mais  ce  n'étaient  pas  des  persoo- 
niGcations  inventées  exprès  par  la  réflexion  ;  c'étaient  plutôt  les 
créations  spontanées  d'une  imagination  jeune ,  pour  laquelle  tout 
était  animé  dans  la  nature.  Ensuite  la  tradition  6t  Thistoire  de  ces 
divinités  y  et  par  là  les  transforma  en  individus.  De  même  Dante, 
dans  ses  personnifications ,  a  tellement  fondu  ensemble  la  partie 
idéale  et  le  caractère  individuel,  qu'il  n'est  plus  possible  de  les  sé- 
parer. Le  voyageur  qui  traverse  les  trois  régions  où  les  âmes  sé- 
journent selon  leur  état  moral  est  l'homme  naturel  ;  mais  c'est  aussi 
lui,  le  poète ,  Dante  Alighieri,  avec  toutes  ses  particularités  bio- 
graphiques. Virgile  figure  la  raison  non  éclairée  par  la  révélations- 
mais  c'est  aussi  le  poète  latin  que  tout  le  moyen-âge  a  vénéré  comme 
un  grand  sage.  Béatrice  représente  la  science  des  choses  divines; 
mais  c'est  aussi  Béatrice  Portinari,  dont  la  chaste  beauté  avait  h\t 
sur  Dante ,  dès  sa  première  jeunesse ,  une  impression  profonde. 
Qu'y  a-t-il  donc  de  si  inconcevable  dans  cette  combinaison?  Le 
beau  est  un  reflet  des  perfections  divines  dans  le  monde  visible,  et, 
selon  la  fiction  platonique ,  une  admiration  pure  fait  pousser  les 
ailes  dont  l'ame  a  besoin  pour  s'élever  vers  les  régions  célestes. 

Quelques  allégories  spéciales  ont  été  fort  débattues,  et  les  com- 
mentateurs n'ont  pu  s'accorder  sur  leur  sens.  Cela  prouve  qu'elles 
n'étaient  pas  heureusement  imaginées  ;  mais  on  peut  les  laisser  de 
côté  sans  que  cela  nuise  à  l'ensemble. 

Les  visions,  à  la  fin  du  Purgatoire  (chant  xxxii),  où  Dante  a  em- 
prunté des  images  de  l'Apocalypse,  se  rapportent  aux  intrigues  et 
aux  querelles  de  Boniface  VIII  et  de  Philippe-le-Bel,  et  à  la  trans- 
lation du  saint-siége  à  Avignon.  Le  poète  a  dû  se  servir  ici  de 
formes  prophétiques,  parce  que  ces  évènemens  sont  postérieurs  à 
l'époque  de  son  voyage  idéal,  c'est-à-dire  à  l'an  1300.  Néanmoins 
l'allégorie  est  très  claire  :  tous  les  commentateurs  l'ont  comprise. 

On  peut  attribuer  à  Dante  un  esprit  antipapai  dans  le  sens  que 
nous  venons  d'indiquer;  mais  si  on  entend  par  là  le  rejet  d'une 
autorité  centrale  et  suprême  dans  l'église ,  et  le  désir  de  renver- 
ser le  saint-siége ,  rien  n'était  plus  éloigné  de  sa  pensée.  A  cet 
égard,  le  discours  prêté  à  saint  Pierre  (Parad.  xvii)  est  décisif.  La 
sainteté  de  l'institution  en  elle-même  est  maintenue,  malgré  l'hor- 
rible dépravation  où  elle  était  tombée.  Tout  ce  morceau  est  su-^ 


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DANTE,   PÉTRARQUE  ET  BOCCACE.  409 

blime.  La  lumière  céleste  qui  renferme  Vame  de  Tapfttre  rougit 
d*indignation  ;  les  deux  se  colorent;  c*est  une  éclipse  comme  au 
moment  de  la  mort  du  Sauveur,  pendant  que  ces  paroles  fou- 
droyantes se  font  entendre  :  «  Celui  qui ,  sur  la  terre ,  usurpe 
ma  place,  ma  place ,  dis-je,  vacante  en  la  présence  du  flls  de 
Dieu,  a  fait  de  mon  cimetière  un  cloaque  de  sang  et  de  souil- 
lure ,  de  sorte  que  Tesprit  pervers,  précipité  du  haut  des  cieux ,  se 
complaît  là-bas.  »  Ces  vers  désignent  Boniface  VIII.  Dans  la  suite 
du  discours,  TapAtre  signale  d'avance  la  conduite  criminelle  des 
premiers  papes  d* Avignon ,  Oément  Y  et  Jean  XXII ,  en  la  faisant 
contraster  avec  la  sainteté  de  ses  premiers  successeurs ,  devenu» 
martyrs  de  la  foi. 

Nous  demandons  s*il  est  humainement  possible  de  dire  des 
choses  plus  fortes  et  plus  hardies?  Certes,  ces  paroles  n*ont  pas 
retenti  seulement  en  Italie;  la  cour  d'Avignon,  où  siégeait  alors 
Jean  XXII,  a  dû  en  frémir.  Le  grand  homme  qui  osa  parler  ainsi, 
qu'avait-il  à  cacher?  Est-il  croyable  que,  pour  laisser  deviner  sa 
pensée  à  quelques  conGdens ,  il  ait  habillé  en  logogriphes  et  en 
acrostiches  ce  qu'il  avait  proclamé  avec  une  voix  de  tonnerre  sur 
la  place  publique? 

Le  même  argument  s'applique  à  Pétrarque.  Lui  aussi  a  parlé 
sans  détour  et  attaqué  de  front  les  pontifes  de  son  temps.  Dans 
ses  lettres,  il  fait  la  peinture  la  plus  hideuse  de  la  cour  d'Avignon. 
Ces  lettres,  dit  M.  Rossetti,  n'ont  été  rendues  publiques  qu'après 
sa  mort.  Comme  nous  savons  que  les  lettres  de  Pétrarque  étaient 
fort  admirées  et  passaient  de  main  en  main,  cela  aurait  besoin 
d'être  prouvé  ;  mais  nous  n'insistons  pas.  M.  Rossetti  croit  avoir 
trouvé  un  grand  appui  à  son  hypothèse  dans  les  églogues  latines 
de  Pétrarque,  composées  à  l'imitation  de  Virgile.  Dans  la  sixième , 
saint  Pierre  et  Clément  VI  sont  mis  en  scène  en  costume  de  pas- 
teurs, et  sous  les  noms  de  Pamphileet  de  Mition.  Dans  la  septième, 
la  nymphe  Épy,  amante  du  pape,  représente  la  ville  d'Avignon.  A 
cette  occasion,  M.  Rossetti  nous  donne  un  échantillon  de  son  éru- 
dition grecque  :  «  Epy^  semtradice  di  Epylogo  et  Epycuro,  indica 
quelia  città  epicarea  in  rUtretto ,  in  epîlogo,  »  Nous  renvoyons  le  sa- 
vant professeur  aux  écoliers  de  collège,  les  premiers  venus,  qui  au- 
ront peut-être  la  malice  de  lui  faire  accroire  que  son  orthographe 
est  correcte  et  son  étymologie  excellente.  Ce  n'est  pourtant  pas 


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I 


une  énigme  de  sphinic  :  Aipg  signifie  esent^yA;  <rest)  cOBànHUoa 
voit,  Qne  allusion  a«  mte  d* Avignon*  Dftn^une  de^se^  lettres,  Pé^ 
trarque  dit  :  Inmpe  horrida  tristis  sedat  AvenniooUni;  nunc  ponû'* 
fÊxmaximus Rbrminm,  propttiistdibus  ddâêftU,  citante,  ul  or^'tror, 
naiurà,  capuPorifi^  ef^cêre  niiitHr,  obHtns  Lateranieî  Si/t^frt.  Cepen- 
dant Pétrarque  a  fait  une  faute  de  gtiec,  eti  ne  mettant  pas  ce  mot 
au  féminin  :  Aipeiit^,  /Epea;  mais  alors  la  langue  grecque  n'était  pu 
encore  accessible  à  tons  :  il  avait  fait  de  vtiin»  efforts  pour  rap- 
prendre. 

Je  m^étonne  cpie  M.  Rossetti  n*ait  pas  fait  metnion  de  la  seconde 
églogue  qui  se  rapporte  à  un  événement  déji  éteigne,  à  la  mort  de 
l'empereur  Henri  VII  (en  1313),  dont  le  nom  [Arrig^)  n'est  qoe 
légèrement  altéré  en  ilr^iM^  afin  de  lui  donner  un  air  classique. 
Ici,  M.  Rossetcl  aurait  pu  surprendre  Pétrarque,  pour  ainsi  dire, 
en  flagrant  délit,  puisqu'il  nous^  apprend  qne  les  sectaires  non* 
seulement  mettaient  le  nom  de  cet  emperenrenchiffreset  en  ana- 
grammes, ce  qui  leur  était  bien  loisible,  mais  qu'ils  le  déifiaient  et 
lé  mettâfiem  à  la  place  de  Dieu  et  du  Christ.  T)  est  naturel  que  les 
Gibelins  aient  déploré  la* mort  prématurée  de  tienti  Vil;  mais  de 
la  part  des  sectaires  cet  hommage  profane  eût  été  bien  gratuit. 
L'empereur  serait-il  par  hasard  venu<  en  Italie  pour  fkîre  triompher 
la  secte  sur  l'église  romaine  ? 

Le  costume  pastoral  est  un^  vt^ile  léger  et  transparent.  Si  Qé* 
ment  VI  et  ses  cardinam  nV>nt  pas  su  le  soulever,  U  faut  les 
pilaindre  d'avoir  eu  sr  peu  de  pénétration*  Le  poète  a  voulu  être 
deviné,  et  il  Ta  été.  On  trouve  une  partie  de  ces  allusions  expli- 
quée dans  rhistoire  littéraire  dltalie,  de  Gînguené. . 

Mais  si  Pétrarque,  qui*  était  chanoine  et  attaché  a«Bt  deux  frères 
Colonna,  F'évéqne  de  Lotnbèsev  le  cardinal ,  aatn  devonr  garder 
quelques  ménagement  dans  see  églogues,  il  a  rejeté  loin  de  loi 
toute  réserve  dàn»  les  quatre' femeux  sonnets  (xci,  cv,  cvi,  cnr). 
Cfes  sonnets  admirable» potir  U  noMe  indignation  qui  les  a  dictés 
et  pour  leur  mAle  éloquence,  sont  de  la  même  force  qM  le  passage 
de  Dante.  La  cour  pontiScaley  est  appelée  l'avare,  l'impie  Babykme, 
qui  a  comblé  la  mesure  du  courroux  divin  ;  c'est  un  nid  de  trahî- 
8onS)  l'école  de  l'erreur,  le  temple  de  l'hérésie  ;  elle  est  asservie  i 
tous  les  vices ,  à  l'ivresse^  à  la  débauche,  et  BéteéA>dtb  assista ea 
personne  aux;  fètea  voli^ueuses  qui  s^y  donnent»  Le  poète  an- 


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.j|Qnce>jQn..^]46j  pyçpphétfque,  uae,xat3aiii!M)t^  fui  «e  iaida  |»8 
,d*arriyer  j)ar.]Q;aQbiÂaie  etla  déposition  4e  ^Foisipapes  au  oco<lile 
do  Ginst^ce.  Ces  lignes  oflr^Qt  quoique  ,obfi€urité;.iiiais  cei^s 
Tobjet  de  tant  de  malé^iotions  est  4é^|gné  dairement. 

Ces  sonnets  ybidn  autrement  populaires  que  des  vers  latins ,  ûnt 
été  publiés  du  vivant  de  Pétrarque;  ses  poésies  italienne» é^jit 
itangées  par  ordre  chronologique,  on  peut  en  «déterminer  lépoque 
précise. 

Pétrarque  était  dana  une  position  {ijus  favorable  que  Dante  :  son 
immense  célébrité  lui  servait  de  garantie*  U  était  Toracle  des  sa- 
vans,  ridole  des  admirateurs  de  .la  belle;  poésie,  le  oonfident,  Tami 
de  plusieurs  princes,  et  Forgueil  de  sa  nation.  La.  vérité,  dite  cou- 
rageusement, a  aussi  sa  puissance  :  ses  sonnets  (mt  eu  «n  libre 
cours  en  Italie,  et  la  censure  tardive  du  concile  de  Trente  Q*a  pro- 
duit aucun  e£fet. 

Le  sujet  doit  paraître  épuisé  par  x^es  quatre  somnets  :  tcMitce 
qu'on  pourrait  ajamter  ne  serait  €|ue  redites.  Mais  M.  Eossetti 
ne  se  contente  pas  de^la^  Quand  le  poète  ^luike  de  mille  joajûères 
la  beauté,  la  grâce  et  la  v^rtu  de  Laure,  <)'^t* (toujours  le.  jargon 
des  sectaires,  et  cela  s'applique  à  tous  les  cto^tres  de  Tamour.  La 
Béatrice  de  Dante  est  la  secte;  la  Selvaggia  de  Cino  da  Pisitoia  est 
la  secte  ;  |a  Laure,  de:  Pétrarque  «st  la  secte  ;  la  Fiamm^ta  de  Boo- 
cace  est  la  secte  ;  bref,  la  secte  est  la  bieiirateée  de  tout  le  monde. 
Remercions-la ,  qudque  hérétjquQ  icpi'eUe  f At ,  d'Avqir  servi  d^-oc- 
casion  à  tant  de  beaux  vers. 

Pour  mettre  en  évidence  son  bypotibèse,  M.  Roasetti.a'a  pasju 
trouver  de  meilleur  moy e«,qu&  de  Mre^  wpirâeF  les  fiassages  dtés 
avec  une  bigarrure  dUtaliq^^  et  de,  jDs^jiUsciiIes.  Il  s'attache  parti- 
culièrement au  mot  lumière  (LUC£)  comme  à  un)  des  plus  suspects. 
Nous  lui  a.urions  conseillé  de  Vencro  dorée,  pour  raiidrepltts  sen- 
.  jsible  aux  yeux  du  lecteur  l'éelat  du  gi}a«d  mystère.  Quelques  pen- 
lagrammes  aussi  aur^M^^t  été  à.  propos  ;  Jès  e^csNlremens  des  obif- 
fres  de  Henry  YII>  damés  p^;29i  jet.^8i$^,S(99t  qiK^lqHOcGbose 
d'approchant. 

On  perdraitr^i^q^fWP^^  réfuter  wdéwilidtepiir^tes  «rieurs. 
IVousnous  bovni^cmsk  uneiobservaiMin  géoévaie^  La  pogésie  lyri- 
Ipe enitaliea çomp^çé  par.laii»it»4^bysk||9aidu  aemûMiit»  ^t 
.piaUiem-WMoiW^  i^eM^mét^phyëquc^j^l^i  ViwpMO^fide  Téo^e 


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412  RETUB  DES  DEUX  MONDES. 

scolastique.  Les  sranetsetles  canzoni  des  plus  anciens  poètes  ita- 
liens ne  parlent  ni  aux  sens  ni  à  Vame,  parce  qu'il  n'y  a  ni  volnpté 
ni  passion.  Cest  un  sentiment  trop  volatilisé  pour  exciter  la  sym- 
pathie :  on  peut  douter  quelquefois  qu'il  ait  eu  un  objet  corporel. 
A  l'égard  de  Dante  et  de  Pétrarque,  ce  doute  deviendrait  absurde. 
Dans  les  poésies  lyriques  du  premier  il  y  a  encore  des  restes  de 
l'ancienne  subtilité,  mais  souvent  aussi  il  est  l'historien  naïf  d'é- 
motions vraies  et  profondes,  par  exemple  dans  la  vision  de  h 
mort  de  Béatrice,  qu'il  eut  pendant  une  maladie,  Pétrarque  a  éclipsé 
ses  devanciers,  non-seulement  par  le  charme  du  style  et  de  la  ver- 
sification ,  mais  parce  qu'il  réunit  une  ardeur  passionnée  avec  la 
pureté  des  sentimens  les  plus  exaltés,  et  la  courtoisie  chevale- 
resque des  troubadours  avec  la  profondeur  d'un  solitaire  contem- 
platif. 

Passons  à  Boccace.  Cet  écrivain  a  composé  un  grand  nombre  d'ou- 
vrages dont  la  plupart  ne  sont  plus  que  des  antiquités  littéraires, 
quelques-uns  même  des  raretés  bibliographiques.  D'une  part,  il 
faisait  le  métier  de  savant;  de  l'autre,  il  cultivait  la  gaie  science  du 
nouvelliste  et  du  romancier  ;  et  les  prétentions  du  philologue  ont 
eu  souvent  une  influence  nuisible  sur  les  inspirations  du  poète. 
L'on  ne  saurait  nier  qu  il  n'ait  quelquefois  méconnu  sa  vocation  et 
fait  fausse  route.  Versificateur  médiocre,  il  a  fait,  sans  y  prendre 
garde,  une  infinité  de  vers  faibles,  ce  qui  n'était  plus  pardonnable 
après  Pétrarque.  Son  ambition,  comme  prosateur,  était  de  façon- 
ner le  beau  parler  toscan  aux  périodes  de  Cicéron;  dans  le  genre 
descriptif  et  pathétique,  il  a  rendu  son  style  traînant  par  l'em- 
ploi multiplié  des  participes  et  des  phrases  incidentes,  tandis  que 
rien  n'est  plus  gracieux  que  son  imitation  du  dialogue  familier. 
L'ouvrage  qui  lui  a  coûté  visiblement  les  plus  grands  efforts,  le  Fi- 
locopo,  est  aussi  celui  dans  lequel  il  a  le  plus  complètement  échoué. 
Une  seule  de  ses  compositions,  le  Décaméron,  a  eu  un  succès  po- 
pulaire et  européen.  Boccace  a  beau  en  parler  comme  d'une  folie 
de  sa  jeunesse  (folie  tardive,  puisqu'il  avait  quarante  ans  lorsque 
le  Décaméron  parut),  c'est  son  titre  de  gloire.  En  accordant 
qu'une  partie  des  applaudissemens  qu'il  obtint  était  due  à  des  at- 
traits étrangers  à  l'art  et  au  talent,  en  désapprouvant  même  ces, 
attraits,  il  me  semble  qu'on  peut  encore  y  trouver  de  quoi  justifier 
une  admiration  sans  alliage.  Mais  il  ne  s'agit  pas  ici  d'appréder 


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DANTE,   PÉTRARQUE  ET  BOCGACE.  US 

le  mérite  littéraire;  noas  n'arons  qu'à  examiner  les  prétendus  in- 
dices d*une  association  secrète. 

M.  Rossetti  s*obstine  à  vouloir  trouver,  dans  les  autres  écrits  de 
Boccace,  le  jargon  d*un  sectaire  occulte  qui  n*y  est  pas,  tandis 
que  dans  le  Décaméron  Vesprit  antipapal  est  à  la  surface. 

Boccace  démasque  Thypocrisie;  il  se  moque  de  la  superstition, 
de  la  crédulité  du  vulgaire  et  de  la  supercherie  des  prêtres;  il 
parle  d'un  ton  goguenard  de  beaucoup  de  pratiques  de  dévotion 
prescrites  par  l'autorité  ecclésiastique;  il  passe  en  revue  le  clergé, 
tant  séculier  que  monastique,  sans  oublier  aucune  classe,  depuis 
la  cour  de  Rome  jusqu'au  curé  de  village;  il  ne  censure  pas  avec 
austérité ,  comme  l'avaient  fait  Dante  et  Pétrarque,  les  infractions 
faites  au  vœu  de  chasteté  :  il  les  peint  avec  les  détails  les  plus  co- 
miques. 

Les  quatre  premières  nouvelles  sont  comme  une  ouverture  d'o-  . 
péra ,  où  le  compositeur  fait  pressentir  tous  les  motifs  qui  vont  se 
déployer  dans  le  corps  de  l'ouvrage.  D'abord,  nous  avons  le  sieur 
Chapelet,  grand  scélérat,  déclaré  saint  moyennant  une  fausse 
confession.  Vient  ensuite  le  juif  Abraham  et  son  ami  chrétien  ,  un 
riche  marchand  de  Paris,  qui  met  tout  en  œuvre  pour  le  convertir. 
L'honnête  juif  dit  qu'avant  de  prendre  une  résolution ,  il  veut 
visiter  la  capitale  de  la  chrétienté ,  projet  dont  son  ami  s'efforce 
vainement  de  le  détourner.  Abraham  revient  de  Rome,  et  dit,  au 
grand  étonnement  du  marchand,  qui  avait  déjà  désespéré  de  sa 
conversion  :  or  Maintenant  je  me  ferai  baptiser  ;  car  une  religion 
aussi  mal  gouvernée,  qui  néanmoins  se  maintient,  doit  avoir  une 
origine  surnaturelle.  »  C'est  une  apologie  ingénieuse  du  poète ,  qui 
déclare  par  là  qu'en  peignant  les  vices  des  mauvais  ministres  de 
la  religion,  il  n'a  pas  voulu  porter  atteinte  au  respect  qui  lui 
est  dû.  La  troisième  nouvelle  est  la  plus  hardie  de  toutes.  Saladin 
consulte  un  sage  juif  sur  le  mérite  relatif  des  trois  religions  qui  se 
partageaient  le  monde  alors  connu  ;  le  juif  se  tire  d'affaire  par  la 
parabole  des  trois  anneaux,  dont  l'application  range  sur  un  pied 
d'égalité  la  loi  judaïque,  chrétienne  et  mahométane.  Lessing  en  a 
fait  usage  dans  un  drame  destiné  à  recommander  la  tolérance  uni- 
verselle, et  c'est  là  l'interprétation  la  plus  favorable  qu'on  puisse 
donner  de  cette  parabole.  Dans  la  jsixième  nouvelle  de  cette  jour- 


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414  ABVDB  BES  MOX  MOMBS. 

.a6e,Bocc&oe  aitaqae  les  inquiftitoars  domiiiiodAS,  tu  prigiil  jttf 
espionnage  ^  leurs  chicanes  et  leur  vénalité.  Ensmle ,  quelque  i^ 
Tiée  que  soit  la  scène  de  ses  contes ,  il  ne  donne  îamtis  a  loqg4^ 

,  pit  aux  prêtres  et  aux  moines.  Nous  y  voyons  paraître  un 
mais  simple  confesseur,  qui,  à  son  insu ,  fait  les  messages  à 

.  id*une  dame;  puis  vient  le  voyage  du  ricke  fermier  Ferendo 
purgatoire  ;  le  oordelier  Albert, idéguisé  en  ange  Gâbriel;le 
du  frère  Ciboule,  tout  rempli  de  pélerinagesfiabulenx  et  de 

.bouffonnes,  chef-d^œuvre de  parodie; et  bien  d'avtres  eoiMes 
core  qu'il  est  plus  convenable  de  ne  pas  indiquer  davantage. 

On  peut  blftmer  Boccace,  non  sans  raison ,  de  tt'*avoir  pas 
bornes  à  sa  témérité  et  à  aa, pétulance;  mais,  «Murémeat,  n| 
n*était  plus  éloigné  de  son  oamctère  que  la  réserre  et  la 
lation.  Faisant  assez  bravement  la  guerre  pour  son  propre 
qu*avaic4  besoin  de  ^se^iîgwer  av«c  «ne  BttÈée  de  sectaires  pot 
Irons?  Ce  joyeux  oompagnenéâaiè^l  d'humeur  à  se  iniss^  syni- 
£er  par  des  marchands  de  mysCècesiimpénétr^les?  L'amour,  «t 
on  amour  rien  moins  qne  plaimnapie,  rattbiiiond*aEatesr,  oii^ 
rétude  de  lai  littérature  daasiqne,  léentîl  poussait  radmiratiwi  |» 
itfà'À  Fidolàtrie,  ont  occupé  4our  i  tour  sa  vie,  et  ne  labsaîeot  pôt 

':de  place  pour  l'esprit  de^seole. 

.La  converaion  de  Boccace ,  dont  ses  biographes  par)»!,  l't 
rien  ide  commun  Avec  la  question  qui  nous  occupe.  Le  chartreo 
qui  vint  le  visiter ,  lorsqu'il  avait  près  de  oinquame  ans ,  ne  fos- 

:  ikit  pas  eonvaincre.de  la  foi  catholique  le  sectaire,  le  patarin ,  Fbé 
rétique;  il  voulait  rappeler  le  mondain  à  une  rie  réguBère  etaix 

, [méditations  rdigieuses.  Le  but  élait  louable,  mais  les  mojetf 
nmptoyés,  une  prophétie  et  ruM  visionrmiracnlense,  foroat  dèsq»- 
iprouvéspar  le  sage  et  pieux  Pétrarque.  Boocace,  quis'étiîK  uil 

.anoqué  dos  gens  deiMume  foi  qui  croient  aux  faux  nrirades ,  vé 

.nn  peii^mérité  rjh«miliation:d'en  être  effrayé  à  son  (tour.  L^rffcl 

.'Jie  parait. |ms> avoir >été  durable  :. on  n'en  vaitaucuBetraosibii 

ïoes  éerila,  dont  .les  pins. importans,  id'aBlamrs,  sont  anténearsi 

fCette  époque. 

Dante  et  Pétrarqnerétnsent  dopmfinds  théoiogieos,  etentii 

.MoannttS4y>ur  leis {lar  beaucoiq)!de;savatt8  de  FégOse  oaholkp»; 

JBoeeaae^.an  «NUmûre^réteîanuiis  lait  d^étnéos  aédensesta  <» 


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BAIfTB».  RÉnUBOm  BT  BWQUX.  4f5 

renie.  Cm  troii 'éeriraisa  ont  été  appdén  souvent  lin  pvécurseiivff* 
le  la  réfonmtioo;  maû  cette  épîdiète,  pfour  être  juste,  a  beaonr 
Tôtre  bien  définie* 

BanS'Feitfr éprise  des  réfbrmatsnis  du  xn^  siècle,  il  ya  denx 
jioses  parfaîtemement  discm^es*  D'aiMyrd,  ils  ne  rédainient 
{ne rateKtâm des  aboset  le  rétabUssemeol de  la  discipline ecc^- 
»asëq«e.  Bs  fitrenl  poossés  à  ta  coaireTerse  par  la  nécessité  de* 
le  défendre  conlre  Taccnsation  d^hérésta;  ils  se  détennînèreaC 
mfin  à  rejeter  la  tradition  postérieure  aux  premiers  siècles  du  chrts^ 
ianisBe,  et  à  s'en  tenir  nmfpienient  au  tcile  des  saintes  Ëcri^ 
iures.  Sous  le  premier  point  de- rue  seulement,.  Dante  et  Pétrav^- 
]ue  pe«YeBÉ  être  assimilés  aux  réformateurs.  Si,  ensuite,  Toa 
ïntend  par  précurseurs  ceux  qui  accélèrent  l'époque  d'un  érène** 
[iimit,il  serait  difficile,  pour  ne  pas  dire  inipo8s9)le,  de  prouver 
leur  influenee.  Les  cewres  laiîaes  de  Pétrasqi»  atyantétéia^prir* 
CDées  avant  la  fin  du  xy^  sièdiB,  ont  pu  étn»  consultées  par  Us 
sayans  aHemands.  Dante,  au  contraire,  fort  négMgé  à  cette  époque 
3n  Italie  même,  était  coni|dètemen*  inconnu  au^lelâ  des  Alpes.  Le 
Décaméiroa  a  été  traduit  en  plusieurs  langues,  il  a  été  lu  avec  avi- 
lité  pendant  le  xvi^  siècle,  parce  que  les  satires  qu'il  contient  ré^ 
pondaient  à  l'opinion  populaire. 

Les  Albigeois,  à  tous  égards,  dbiveni être  regardés  en  réalité' 
:omme  précurseurs  de  la  réformer.  Albigeois,  Vaudois,,  Patarin^ 
les  noms  ne  sont  que  des  distinctions  géographiques;  Thistorien 
les  ya«dQÎ8>,  le  vénérable  payeur  £^^,  atteste  qut  ils  étaient  tousi 
le  la  mêsKicrmununioit»  Puisque  M.  RosBettiaiftmiesiaudacieiBse>> 
nent  que  les  trois  fondateuns'de  la*  littérature*  italienne  étaient* 
iesPatarins,  U  importe  de  rectifier  les  notio«»  qu^i)  donne  sur- 
;eux^.  Les  Albigeois  ontééé  indignement  calomniés:  c'est rao-^ 
X)mpagnément' obligé  d'une  perséontion  ii^uste;  Leurs  ennemis^ 
iTant  réussi  à  les  exterminer;  ont  pu  déflorer  leur' doctrine' à^ 
rdonté;  ik*  en  ont  fait  des  momichéens.  Je  ne  m'étome^ point  qne* 
es  écrivains  itaMens  depuis  Villani<jusqa*à  Muratorii  asent  répété' 
e  mot  d'ordre;  mais  je  vois  à  regret  un  historieni  protestant  (1) 
'eproduire  une  assertion  déjà  contredite  par  Bbyle  et.  bien*  d'à»-» 
res:  auteurs  graves.  Les  livres  qm  servaient  à^l'iantruetion  reli^ 


(1)  Sitmondl,  Bistoire  des  répjfb-  itaU,  UtmM^png^ 


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41G  RETDB  DES  DEUX  MONDES. 

gieuse  chez  les  Albigeois  onl  péri  avec  eux  ;  mais  ceux  des  Yaudois 
enstent  en  partie,  el  cela  revient  au  même.  Léger  en  avait  commfh 
nique  quelques  pièces  ;  M.  Raynouard  a  fait  imprimer  en  entier 
la  Noble  Leçon  (de  1100) ,  comme  un  des  plus  anciens  monameos 
de  la  langue  romane.  Ce  sont  les  seuls  documens  sur  lesquels  leurs 
doctrines  doivent  être  jugées.  Bossuet  révoquait  en  doute  leur  as- 
thentidté  ou  même  leur  existence.  Son  objection  est  vaine  :  les  do- 
cumens sont  là,  tellement  authentiques,  que  les  formes  du  langage 
attestent  leur  haute  antiquité.  Qu'on  lise,  qu'on  examine  :  je  dé6e 
le  plus  habile  inquisiteur  d'en  extorquer  la  moindre  trace  de  ma- 
nichéisme. C'est  la  foi  chrétienne  dans  toute  sa  simplicité  primitiTe. 
Cependant  j'y  vois  aussi  ce  qui  a  attiré  aux  Vaudois  tant  de  per- 
sécutions ,  entre  autres  un  passage  remarquable  sur  la  confessioB 
des  agonisans,  et  les  dons  faits  à  l'église  pro  remedio  animœ  (1).  En 
traitant  de  manichéens  les  Patarins,  M.  Rossetti  n'a  fait  que  répéter 
sans  examen  une  vieille  erreur  ;  mais  les  mystères  qu'il  leur  attri- 
bue, et  la  complicité  des  poètes  avec  eux,  sont  de  son  inventîOD. 

D'autre  part,  Q  confond  sans  cesse  les  Gibelins  avec  ces  secutres 
supposés,  et,  pour  rendre  spécieuse  cette  combinaison,  fl  croit 
pouvoir  tirer  un  grand  parti  du  traité  latin  de  la  Monarchie.  D  n'est 
pas  bien  sûr  que  celui  qui  passe  sous  le  nom  de  Dante ,  soit  de  lui  : 
mais  nous  l'acceptons  comme  tel.  La  doctrine  contenue  dans  ce 
traité  n'appartient  pas  exclusivement  à  Dante  :  elle  avait  été  mise 
en  vogue  par  les  jurisconsultes;  elle  était  si  peu  secrète,  que  les 
professeurs  de  Bologne  l'enseignaient  publiquement  en  chaire. 
L'empereur  est  le  pendant  du  pape  :  au  premier  appartient  la  s^ 
prématie  sur  le  temporel,  comme  au  pape  sur  le  spirituel.  Tons 
les  états  de  la  chrétienté  relèvent  de  l'empereur  ;  les  rois,  au  Keu  de 
vider  leurs  querelles  par  les  armes,  doivent  les  porter  i  son  tri- 
bunal, etc.  Cette  théorie  doit  paraître  absurde  aujourd'hui,  parce 
qu'elle  attribue  au  chef  électif  de  la  nation  germanique,  considéré 
comme  le  vrai  successeur  des  anciens  empereurs  romains,  des  droits 
qui  ne  sont  pas  fondés  dans  l'histoire,  et  que,  d'ailleurs,  il  n'avait  pas 
la  puissance  de  faire  valoir  et  accepter.  Mais  dans  un  temps  où  les 
papes  s'arrogeaient  le  droit  de  déposer  les  rois,  et  de  disposer  des 
royaumes,  c'était  l'unique  moyen  d'opposition ,  d'une  opposition, 

(1)  Raynouard,  Trota>ad<mrSt  tom.  II,  pag.  94-96. 


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BAIfTE^  PÉTRAKQDE  ET  BOCGACE.  417 

notez-le  bien,  toute  politique,  et  Dullement  religieuse.  Dante  dit 
à  la  fin  du  traité  :  cr  Je  ne  soutiens  pas  que  l'empereur  soit  en  tout 
indépendant  du  pontife  romain;  César  doit  à  saint  Pierre  la  même 
vénération  qu'un  fils  aîné  doit  à  son  père,  d  M.  Rossetti  s'est  bien 
gardé  de  citer  ce  passage;  il  y  a  de  quoi  ruiner  son  système  de 
fond  en  comble. 

Selon  lui,  Dante  a  dévoilé  son  dessein  profane  dans  les  deux 
premiers  vers  d'une  épitaphe  latine.  Voici  le  corps  du  délit  : 

Jura  monarchiœ,  snperos,  Phlegethonta ,  lacusque 
Luslrando  cecini ,  voluerunt  fata  quoasquc. 

Des  lecteurs  trop  confians  n'y  verront  d'abord  qu'une  énumé- 
ratiôn  des  œuvres  de  Dante,  de  l'opuscule  en  question,  et  des 
trois  parties  de  la  Divine  Comédie.  Mais  notre  subtil  interprète  dé- 
montre que  Dante  a  composé  son  grand  poème  uniquement  dans 
le  but  de  faire  ressortir  les  droits  de  la  monarchie  ;  ensuite,  les 
droits  de  la  monarchie ^  cela  signifie  le  triomphe  de  la  secte,  le  ren- 
versement du  saint^iége,  et  je  ne  sais  quels  autres  mystères  d'ini- 
quité, n  faudrait,  ayant  tout,  s'assurer  que  ces  détestables  hexamè- 
tres, rimes  dans  le  goût  monacal  et  pleins  d'expressions  louches, 
sont  de  la  main  de  Dante,  ce  que  je  nie  positivement.  Je  pourrais 
appuyer  ma  négation  de  preuves  très  fortes,  si  je  ne  craignais  pas 
d'avoir  épuisé  la  patience  du  lecteur. 

A  cette  occasion,  trouvant  inconcevable  que  tout  le  monde  ait 
entendu  la  Divine  Comédie  autrement  que  lui,  M.  Rossetti  s'écrie  : 
«Quel  est  donc  ce  charme,  ce  talisman?  Et  à  présent,  le  charme 
est-D  rompu?  Le  talisman  est-il  brisé?  Il  a  duré,  il  dure  et  il  du- 
rera toujours  ;  et  celui  qui  a  perdu  son  temps  à  écrire  ces  pages, 
ou  ne  sera  pas  lu ,  ou  sera  regardé  comme  un  fanatique ,  qui  voit 
ce  qui  n'existe  nulle  part  ailleurs  que  dans  son  cerveau  démonté, 
et  prend  ses  fausses  idées  pour  des  argumens  et  des  raisons,  d 
C'est  un  triste  pronostic  que  l'auteur  se  fait  à  lui-même  :  nou^ 
n'avons  garde  de  le  contredire.  Oui,  cela  est  déjà  arrivé,  cela 
arrive  en  ce  moment,  et  cela  pourra  parfois  arriver  encore.  Bien- 
tôt  l'oubli  lui  accordera  une  trêve  indéfinie;  son  livre  sera  relégué 
dans  quelques  bibliothèques  à  côté  des  Goropius  Becanus  et  de» 
Olaûs  Rudbeckius.  —  M.  Rossetti  continue  :  «  Peut-être  même 
Tanteur  sera  détesté  comme  un  impie,  ennemi  de  l'église  catholi- 

TOME  VII.  27 

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416  MTVE  •Ht  WUn  «OK 

^^h»  IHwtref  éctinios.»  Gala  fowrait  Mrtvwt  — li ,  «oKwta 
l'on  «sait  envers  lin  de  reprée»Bct,€a«e  tmwÊft  mtiêuc&mymé 
«es  déelaralioM  expresses.  Mais  eela  ne  wms  vegarie  plan  :  mm 
B*a¥<NM  écrire  <ja*k  rinstorien  «ans  âifsenieinent,^  aa  ittéit- 
teur  dépourvu  du  sentiment  de  la  poésie.  Une  tteraa  ^m^bm 
{Fûreign  Beview)^  en  pariant  da  oenmeaiaiM  sur  la  Borne  ComUk, 
a  employé  des  formes  plus  aoer'bes;  nons  m'avons  pas  voohifni- 
cbir  les  bornes  de  la  critique  littéraire.  Après  avoir  rempli  cette 
tftcbe  pénible,  hfttons-nous  de  rafraîchir  notre  imagination  et  de 
reposer  nos  yeux  de  tant  d*anagrammes,  en  contemplant  les  des- 
atasspirkmk  et  presque  aériens  de  VÛMUeflaxaun  7  ce  que 
«eus  coBseiSona  aussi  au  leetenr. 

à.W.I 


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DES  BARDES 


CHEZ  LES  GAULOIS 


€t  r^  Iro  mttt»  Xlatxom  €tiîxqntf$. 


Les  bardes  gaulois  n'ont  laissé  qu'on  nom  tagoement  célébra , 
mais  poini  de  monumens.  Les  bardes  chantaient  dans  nos  forêts 
comme  les  bomérides  sur  les  rives  de  laGréceetde  Tlonie;  mais 
leurs  chants  sont  morts  avec  la  nationalité  gauloise,  Tépée  romaine 
a  coupé  les  vieilles  forêts  et  moissonné  la  vieille  poésie  de  k  Gaide, 
Si  l'Asie  eût  conqms  la  Grèce  ^  aurions-nous  les  chants  d*Homère? 

Dénués  de  monumens,  séduits  à  quelques  indications  éparses 
dans  les  auteurs  grecs  et  latins,  tâchons  de  suppléer  à  ce  qui 
nous  manque,  de  compléter  ce  qui  nous  a  été  laissé. 

Nous  avons  deux  moyens  de  nous  foire  une  idée  de  cette  poésie 
gauloise,  maintenant  perdue  : 

Rapprocher  et  comparer  soigneusement  les  passages  dans  les- 
quels les  auteurs  anciens  font  mention  de  nos  bardes; 

Étudier  l'institution  des  bardes  chez  d'autres  nations  d'origine 
eeltiiiQe,  au  sem  desquelles  cette  institution  s'est  oonservée  ^ob^ 
koff-temps  que  dans  la  Gaule* 

27. 


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490  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

On  sait  que  les  Gallois,  reste  des  anciens  Bretons  d* Angleterre, 
les  Irlandais,  les  montagnards  d*Ëcosse,  ouGaêls,  sont  de  race 
et  de  langae  celtiques,  comme  Tétaient  les  anciens  Gaulois.  Os 
trois  peuples  ont  eu  des  bardes  jusqu'à  une  époque  récente.  Nous 
examinerons  ce  qu'ont  été  ces  bardes. 

Enfin  nous  chercherons  si  Finstitution  et  la  poésie  des  bardes 
ont  laissé  quelque  empreinte  sur  notre  littérature  ou  quelque  ves- 
tige dans  notre  pays. 

Bien  que  les  anciens  nous  apprennent  peu  de  chose  sur  la  poésie 
des  bardes,  ils  nous  en  disent  assez  pour  nous  révéler  trois  genres 
distincts  dans  cette  poésie  : 

La  poésie  sacerdotale; 

La  poésie  guerrière; 

La  poésie  satirique. 

Les  bardes  étaient  avec  les  druides  dans  un  rapport  trop 
étroit  pour  rester  étrangers  à  la  poésie  mythique ,  par  laqudle 
ceux-ci  transmettaient  leurs  enseignemens.  Strabon  indique  ce 
rapport  des  bardes  avec  les  druides,  en  ces  termes  :  «  les  trois  clas- 
ses les  plus  honorées  de  la  nation  gauloise,  sont  les  bardes,  les 
druides  et  les  devins,  d  En  plaçant  ainsi  les  bardes  auprès  des  drui- 
des, Strabon  montre  assez  que  là,  comme  partout  ailleurs,  h 
poésie  à  son  origine  a  été  associée  à  la  religion. 

Remarquons  aussi  le  rapport  des  bardes  aux  devins  ou  prophè- 
tes ;  le  caractère  prophétique  est  un  caractère  essentiel  de  la  poé- 
sie des  bardes  sur  lequel  nous  reviendrons. 

Outre  les  bardes  classés  par  Strabon  avec  les  druides  et  les 
devins,  il  y  avait  chez  les  Gaulois  des  bardes  guerriers;  outre 
cette  poésie  sacerdotale,  il  y  avait  une  poésie  belliqueuse.  Cest 
ce  qu'attestent  Elien,  Ammien  Marcellin,  Festus  et  cette  belle 
apostrophe  de  Lucain  :  a  0  vous  qui  envoyez  à  Timmort^ité  les 
noms  et  les  âmes  de  ceux  qui  sont  morts  vaillamment,  bardes, 
vous  avez  fait  entendre  des  chants  nombreux.  » 

Le  mot  nombreux  (plurima)  prouve  qu'à  la  connaissance  de 
Lucain,  cette  portion  martiale  de  la  poésie  des  bardes  était  cod- 
sidérable. 

Lucain  est  loin  de  traiter  les  chants  des  bardes  avec  ce  mépris 
dont  les  Romains  étaient  prodigues  pour  tout  ce  qui  venait  des 
peuples  barbares.  Le  Celtibère  Lucain  parait  avoir  eu  une  certaine 


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LES  BAIUDES.  421 

sympathie  pour  la  poésie  gauloise;  les  traditions  druidiques  ne  lui  ' 
étaient  pas  entièrement  étrangères,  et  il  semble  s*en  être  une  fois 
inspiré  dans  sa  description  de  la  forêt  de  Marseille  (1). 

<r  C'était  un  bois  sacré  (2)  inviolé  depuis  des  siècles  ;  des  rameaux 
entrelacés  enveloppaient  Tair  ténébreux  et  les  froides  ombres  de 
ces  profondeurs  sans  soleil.  Les  Pans  agrestes,  les  Sylvains  rois 
des  forêts,  les  nymphes,  n'habitaient  pas  ce  lieu.  Il  était  consacré 
à  des  dieux  et  à  des  rites  barbares  ;  des  autels  s'y  élevaient  pour 
d'effroyables  holocaustes;  chaque  arbre  avait  été  lavé  de  sang 
humain.  Là,  si  l'antiquité  qui  vit  les  dieux  mérite  quelque  créance, 
les  oiseaux  craignent  de  se  poser  sur  les  rameaux,  les  bêtes  sau- 
vages de  se  coucher  dans  les  fourrés  ;  jamais  le  vent  ne  descendit 
sur  ces  forêts,  ni  la  foudre  que  secouent  les  noires  nuées;  les  ar- 
bres immobiles  et  muets  recèlent  une  horreur  étrange  ;  une  eau 
noire  ruisselle  de  mille  fontaines  ;  des  troncs  informes  et  taQlés 
sans  arts  sont  les  tristes  simulacres  des  dieux;  leur  difformité 
même,  et  la  pâleur  du  bois  pourri,  épouvantent;  on  redoute  ces 
dieux  dont  les  figures  sont  inconnues;  on  tremble  devant  eux, 
d'autant  plus  qu'on  les  ignore. 

<r  La  tradition  raconte  que  souvent  la  terre  s'ébranle  et  les 
profondes  cavernes  mugissent;  que  les  ifs  se  prosternent  et  se 
relèvent  soudain;  que  la  forêt,  sans  se  consumer,  resplendit  des 
lueurs  d'une  incendie  ;  que  des  dragons  se  glissent  à  l'entour  des 
rameaux  qu'ils  embrassent.  La  religion  de  ces  peuples  n'ose  ap- 
procher de  ce  bois  ;  ils  l'ont  cédé  àleurs  divinités.  Lorsque  Phœbus 
est  au  somment  de  sa  course,  ou  que  la  sombre  nuit  remplit  le  ciel , 
le  prêtre  lui-même  pénètre  en  tremblant  sous  ces  ombrages  :  il  a 
peur  d'y  rencontrer  son  dieu.  » 

Plusieurs  traits  de  cette  description  ont  un  caractère  lugubre  et 
fantastique,  inconnu  à  la  poésie  romaine.  On  y  reconnaît  un  génie 
plus  sombre,  plus  barbare,  et  quelques  traits  qui  semblent  em- 
pruntés aux  superstitions  gauloises.  C'est  un  écho  de  la  poésie 
druidique  dans  l'imagination  de  Lucain. 

Revenons  à  nos  bardes. 

Les  bardes  ne  composaient  pas  seulement  des  hymnes  religieux 


(1)Liv.III,v.S08. 

(S)  Une  forfit  druidique. 


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4SBL  RETUE  DBg  MUr  MONDES. 

eldes  hymnes  guerriers,  ilscomposaieAt  ansndescbantssatîfiqiQes. 

Bîodore  de  Sicile  dît  posilivemeiit  qu'ils  louent  les  uns  et  raiDett 
les  autres.  L'épigranune  est  aussi  ancienne  qpie  le  panégyrique;  à 
toutes  les  époques,  il  y  ala  poésie  qui  raille  en  face  de  la  poéae 
qui  loue.  Momus  figure,  dans  TOlympe  antique ,  et  Loki,  dans 
rCMympe  Scandinave  ;  le  même  siècle  vit  naître  Vlliade  et  le  Mar- 
gîtes.  Lea  chanta  exaltés  dea  troubadours  furent  contemponioa 
des  sirvenles  moqueurs. 

Mais  rien  ne  correspond  phis  exactement  aux  trois  genres  de  la 
poésie  gauloise  que  les  trois  sortes  de  poésie  dont  les  scaldes  de 
la  Scandinavie  fournissent  des  exemples. 

En  effet,  TEdda  contient  des  poésies  mythologiques  et  cosbo- 
goniques,  dont  les  auteurs  furent  ou  des  scaldes  préires  ou  des 
scaldes  affiliés  aux  prêtres  delà  nation,  écrivant  sous  une  inflnenoe 
religieuse  et  sacerdotale.  On  possède  en  outre  des  chants  nomr 
brewx  de  scaldes  guerriers  ;  ces  chants  sont  analogues  aux  diaots 
belliqueux  mentionnés  par  Lucain.  Enfin,  les  sagas  scandinafss 
renferment  une  foule  de  chants  satiriques  ;  ceux-ci  ont  même  vm 
nom  particulier  (nidungr  visu). 

IVaprès  cette  corrélation  de  divers  genresdelapoésie  des  bardes 
avec  ceux  que  présente  la  poésie  des  scaldes,  on  peut,  jusqu'à  un 
certain  point ,  se  former  une  idée  des  m  onumens  de  la  pr^nièie 
qui  ont  péri ,  par  les  monumens  de  la  seco  nde  qui  subsistent. 

On  est  d'autant  plus  autorisé  à  faire  ce  rapprochement  yqn*on 
trouve  chez  des  bardes  gallois  du  n^  siècle  certaines  images  qoi 
semblent  empruntées  aux  scaldes» 

Le  barde  Aneurim  a  composé  un  chant  oà  se  trouvent  œs 
mots  (1)  :  c(  n  a  rassasié  les  aigles  noirs ,  il  a  appcêté  ua  festin  aux 
oiseaux  de  proie.  »  N'est-ce  pas  le  refrain  favorldes  scaldes»  qne le 
chantre  des  Maruprs  a  éloquemment  rappelé  dans  le  bardit  de  son 
admirable  bataille  des  Francs?  N'esvce  pas  comme  si  on  entendait 
Ragnar-Lodbrok  s'écrier  au  milieu  des  serpens  auxqiaels  on  l'a 
livré,  a  Nous  avons  apprêté  un  festin  abondant  aux  corbeaux^ 
nous  avons  rassasié  les  oiseaux  de  proie.  »  Le  barde  ajouta  :  •  La 
chair  était  préparée  pour  les  loups  plutAt  que  pour  le  banqoet 
nuptial.  »  N'estoe  pas  cette  étrange  association  d'images  de  saogeC 

(i)  Byan,  Some  ^^edmem  ofihepoetr^  ofthe  tmOent  Wdth  bardi^n^  Tê^VL 


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LBS  BARDES.  VB 

de  volupté  qui  faisait  dire  à  Ragnar  :  or  Quand  j'étais  au  mifieu  des 
lances,  fëproutais  une  aussi  grande  joie  que  ^i  j'arais  serré  daAs 
mes  bras  une  jeune  ffHe  édatante  de  beauté?  »  Le  barde  et  lescaMe 
ne  tiennent-ils  pas  ici  le  même  langage  ? 

Yoîlà  pour  la  ressemblance  ;  quant  aux  déférences  de  caractère 
qui  distinguent  la  poésie  germanique  de  la  poésie  celtique ,  on  les 
appréciera  par  les  fragmens  que  je  citerai  de  cette  dernière. 

n  paraît  qu'il  arriva  aux  bardes  gaulois  ce  qui  arrive  en  général 
'  aux  organes  de  la  poésie  primitive  ;  ils  déchurent  de  la  situation 
élevée  qu'ils  occupaient  d*abord  à  c6té  des  druides  ;  ils  tombèrent 
dans  une  position  inférieure  et  précaire,  dans  la  dépendance  et  sous 
le  patronage  des  chefs  des  tribus  gauloises.  Cette  situation  sodide 
est  d'autant  plus  à  remarquer ,  qu'elle  se  reproduit  avec  des  ana- 
logies frappantes  partout  ob  les  bardes  ont  subsisté  :  dans  le  pays 
de  Galles ,  en  Irlande  et  en  Ecosse. 

tJne  anecdote,  rapportée  par  Athénée,  d'après  Possidonius^ 
qui  visita  la  Gaule ,  montre  ce  que  cette  relation  des  bardes  et  des 
chefs  gaulois  était  devenue  environ  cinquante  ans  avant  la  con- 
quête de  César. 

A  cette  époque ,  c*était  l'usage  parmi  les  chefs  gaulois  de  ras- 
sembler dans  les  festins  un  grand  nombre  de  bardes ,  et  la  muni- 
ficence à  leur  égard  était  une  vertu  que  leurs  louanges,  comme 
on  va  le  voir,  ne  manquaient  pas  d'exalter.  Luerius  ou  Luermus, 
roi  des  Arvernes,  passait  pour  le  plus  magnifique  des  rois  de  la 
Gaule;  n  était  la  providence  des  bardes  et  leur  héros.  crfJn  jour,  dit 
Possidonius ,  qu'il  avait  donné  un  grand  repas ,  un  certain  poète 
barbare,  s'étant  attardé,  trouva  Luerius  qui  partait;  alors  allant  i 
la  rencontre  de  Luerius  avec  des  chants,  il  se  mit  à  exalter  le 
tnérite  du  chef  et  à  déplorer  son  propre  retard.  Luerius  charmé 
demanda  une  bourse  d'or  et  la  jeta  au  poète,  tandis  qu'A  cou- 
rsât à  côté  du  char.  Le  poète,  l'ayant  ramassée,  recommença  ses 
hymnes,  disant  :  <r  Les  vestiges  de  ton  char  sur  la  terre  font  ger- 
mer l'or  et  les  bienfaits.  » 

L'attitude  du  barde,  courant  auprès  des  roues  du  diar,  à  peu 
près  comme  les  mendRans  qui  suivent  en  chantant  ime  chaise  de 
poste  à  la  montée ,  et  remerciant  par  des  louanges  outrées  de  la 
iHHirse  qu'on  a  bien  voulu  lui  jeter  ;  cette  attitude  n'offire  rien  de 
fort  élevé  ;  on  y  sent  la  dégradation  où  étaient  déjà  tombés ,  si 


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&S4  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

ce  n*est  tous  les  bardes,  au  moins  un  certain  nombre  d*entre  eux; 
ces  bardes,  dont  remploi  primitif  était  d'enseigner  la  puissance 
des  dieux ,  de  donner  Timmortalité  aux  braves,  ou  de  prophétiser 
Tavenir. 

Possidonius  dit  encore  :  a  Quand  les  chefs  vont  en  guerre,  ils 
mènent  avec  eux  une  suite  de  gens  qu*on  appelle  parasites.  Ces 
gens,  qui  mangent  à  la  table  de  leur  patron,  chantent  ses  louanges, 
non-seulement  au  peuple  qui  se  rassemble  autour  d*eux,  mais  en- 
core à  tous  ceux  qui  veulent  bien  les  entendre  en  particulier.  > 
Voilà  une  véritable  dépendance  personnelle,  une  sorte  de  domes- 
ticité, de  vassalité,  à  laquelle  sont  réduits  ces  bardes  attachés  à  la 
personne  du  chef. 

On  voit  donc  que  les  chefs  gaulois  avaient  des  bardes  attachés 
à  leur  personne,  les  suivant  partout,  enflammant  leur  valeur 
pendant  le  combat,  et  la  célébrant  après. 

Cest  ainsi  que  les  rois  Scandinaves  avaient  leurs  scaldes  atti- 
trés. Saint-Olaf  en  plaça  quatre  autour  de  lui  avant  la  bataille 
de  Sticlarstadt,  afin,  leur  dit-ir,  qu'ils  vissent  de  près  ce  qu  ils  au- 
raient à  chanter.  Il  en  était  de  même  des  rois  de  la  Grèce  dans  les 
temps  héroïques.  Âgamemnon  laissa  son  poète  auprès  de  Qytem- 
nestre,  et  ce  ne  fut  qu'après  avoir  tué  le  chantre  divin  qu'Égiste 
parvint  à  séduire  la  reine  d'Argos.  Il  était  le  poète  d'Ulysse,  ce 
Phémius  que  les  prétendans  forçaient  à  chanter  dans  leurs  festins 
insolens,  et,  qui,  au  souvenir  de  son  maitre,  interrompait  ses  chants 
par  des  larmes.  Enfin,  le  barde  avait  une  place  déterminée,  et  pour 
ainsi  dire  un  rang  officiel  dans  la  hiérarchie  domestique  de  la  petite 
cour  des  rois  du  pays  de  Galles  et  d'Irlande. 

C'est  aux  bardes  de  ces  deux  pays  et  à  ceux  de  l'Ecosse  que 
nous  allons  nous  adresser  pour  compléter  les  données  insuffi- 
santes que  les  anciens  nous  ont  laissées  sur  les  bardes  gaulois. 

Nous  commencerons  parcelle  de  ces  contrées  qui  est  la  plus  voi- 
sine de  notre  patrie,  par  le  pays  de  Galles  ou  Cambrie.  C'est  là 
que  le  bardisme  s*est  le  mieux  développé,  s'est  le  plus  complète- 
ment organisé,  et  s'est  conservé  le  plus  long-temps. 

On  trouve  le  bardisme  établi  de  temps  immémorial  dans  h 
Grande-Bretagne.  Selon  les  traditions  galloises,  l'inventeur  du 
chant,  de  la  musique,  est  aussi  le  fondateur  du  bardisme;  c'est  un 
])ersonnage  purement  mythologique,  père  de  la  muse ,  et  nommé 


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LES  BARDES.  42$ 

Tydaîn,  qui  pourrait  bien  être  le  Teutatès,  le  Mercure  gaulois,  îik 
yenteur  des  arts  (1].  H  est  associé  dans  cette  circonstance  à  Hurle- 
Fort,  qui  paraît  être  le  même  qu'Hésus,  le  Mars  gaulois.  Ainsi, 
rinstitution  des  bardes,  dans  le  pays  de  Galles,  se  rattache  parles 
traditions  de  son  origine  à  la  mythologie  celtique. 

Un  rapport  singulier  des  bardes  gallois  avec  les  druides ,  c*est 
le  caractère  paciflque  inhérent  à  la  condition  de  barde.  Les  drui- 
des ,  semblables  en  cela  au  clergé  catholique ,  étaient  dispensés 
de  prendre  part  à  la  guerre,  et  dans  le  principe  les  bardes  gallois 
étaient  entièrement  étrangers  aux  armes ,  à  tel  point  que  par  le 
fait  même  de  la  guerre  on  abjurait  la  dignité  de  barde.  Le  bar- 
disme,  comme  Féglise,  avait  horreur  du  sang  ;  noble  pudeur  du 
meurtre  bienséante  à  la  poésie  et  à  la  religion. 

Les  triades  galloises  fournissent  des  preuves  de  ce  fait  curieux  : 
les  triades  sont  des  collections  de  noms  propres  et  de  souvenirs, 
la  plupart  fort  anciens,  groupés  trois  par  trois  ;  parmi  ces  triades 
il  y  a  celle  des  trois  plus  grands  traîtres  ,  des  trois  plus  célèbres 
amans,  des  trois  femmes  les  plus  belles  ;  il  y  a  aussi  les  triades  des 
trois  guerriers  qui  se  sont  faits  bardes,  et  celle  des  trois  bardes 
qui  ont  abjuré  la  condition  de  barde  pour  se  faire  guerriers. 

Tel  était  Tétat  primitif  du  bardisme  gallois;  mais  bientôt,  par  la 
force  des  choses ,  la  guerre  entra  dans  cette  institution  héritière 
de  l'esprit  pacifique  des  druides.  Le  barde  Aneurim,  dont  je  par^ 
lais  tout  à  rheure,  était  si  peu  étranger  à  la  guerre,  qu'il  nous 
:apprend  lui-même  dans  son  chant  sur  la  fatale  bataille  de  Cattraeth, 
comment  il  a  survécu  presque  seul  à  tous  ses  compagnons;  Merlin 
«t  Taliessin  aussi  étaient  guerriers. 

Le  VI*  siècle  fut  Tâge  d*or  des  bardes  gallois;  ce  fut  la  dernière 
époque  de  glorieuse  résistance  contre  Tinvasion  saxonne  pour  la 
nation  cambrienne  et  pour  les  Bretons  du  Nord,  qui  sont  aussi 
célébrés  par  les  bardes.  On  a  les  poésies  authentiques  de  plusieurs 
bardes  de  ce  temps  (2).  Les  plus  célèbres  sont  :  Aneurim,  Lly- 
warch,  Taliessin  et  Merlin  (3). 


(1)  Owen,  Cambrian  Biography,  334. 

(9)  L'anUienticité  de  ces  poésies  a  été  mise  à  Tabri  de  tonte  oitfeetibn  par  TexceUente 
disserUilon  qne  M.  Sharon  Torner  a  placée  dans  le  troisième  volnme  de  son  Histoire  tUs 
4nglO'Saxoru, 

(3)  Merlin  ou  Mxrddhin.  La  tradition  loi  attrU)ae  Téreetion  dn  monnment  gigantesque 


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483  REVUE  DE$  DEUX  110m>ES. 

Pe^c  vié^  qi4  çemble^t  draidûmes  ce  rencontrent  dans  la  poésie 
de.  c^  hard)Q9^  tout  chrétiens  q^'iU  sont.  Tel)^  ^t  la  croyance  à  la 
ni6t^psy<^3^»  croy^ce  gauloisAy  et  sous  ce  rapport  ils  sont  les 
djefoiers  rqyréçeutau^  de  Tautique  alliance  des  druides  et  des 
bardes. 

Ces  restes  de  druidisme  conservés  che%  les  bardes  gallois  ex- 
pliquent rauîmosité  réciproque  de  ces  bardes  et  du  clergé  chré- 
lj/eiD.  Saint  Gildas,  le  Salvien  de  F  Angleterre,  qui  a  écrit  un  petit 
l^vre  pleia  d'une  éloquence  barbare  sur  la  ruine  de  la  Bretagne, 
I^ile  avec  colère  et  mépris  de  ceux  qui  préfèrent  les  accords  des 
chantres  profanes  aux  saintes  mélodies  de  Téglise.  En  revanche,, 
Taliessin  expirime  sou  dédain,  pour  Tignorance  des  moines  dans 
des  vers  qui  semblent  faire  allusion  à  sa  vieille  science  druidique. 
«  Ita  ne  savent  pa3>  dit-il ,  ce  qui  distingue  le  crépuscule  de  Tau- 
rore;  ils  ne  connaissent  pas  la  direction  du  vent,  la  cause  des  agi- 
tations de  lair.  a  Taliessin  cependant  conclut  chrétiennement  :  «  Qae 
la  Christ  9oit  mou  partage  1  x>  Merlin  disait  :  a  Je  ne  veux  pas  re- 
cevoir les.  sacremena  de  ces  odieux  moines  en  robe  noire;  que 
IKeu  m*adi|i|iniatre  lui-même  les  sacremens.  » 

Tons  deux  détestent  les  moiaes  et  acceptent  le  christianisme; 
Merlin  semble  Taccepter  philosophiquement. 

Ces  sorties  autHUonacales  ont  dû  contribuer  à  faire  de  Mer- 
lin un  sorcier,  mais  sa  gloire  de  poète  eût  sufQ  pour  lui  donner 
aa  renonunée  d'enchanteui:*  Ainai  Virgile  à  Naples  est  un  magi- 
cien; dans  Torigine,  entre  les  euchAutemens  de  la  magie  et  les 
epchantemens  de  la  lyre.,  il  exist^i^  une  parenté  qu'attestent  les 
affinités  du  langage.  On  sait  qu'en  latin  camien  signifie  à  la  fois 
un  charme  et  un  chant.  Le^  langues  du  nord  offrent  de  seipblables 
analogies  (  rimor,  Uoih  )  ;  la  tradition  populaire  a  conservé  poor 
Merlin  et  pour  Virgile  le  souvenir  de  cette  association  primitive  de 
ridée  du  magicien  et  de  l'idée  du  poète. 

n  y  eut  quelque  chose  de  plus  dans  la  métamorphose  qui  Ot  da 
barde  gallois  un  devin,  un  prophète,  l'auteur  enfin  des  prédictioDS 
qui  ont  rendu  au  moyen-àge  le  nom  de  Merlin  si  célèbre.  Après 

deatone-Eng^.  AyMlitu^  ipB  noT^^  f^/P  iw^arde,  il  derint  fou  d«  douleur,  et  se  réfegia 
dans  une  forte,  I^i,  apoRABOU  M«.  pçf^^.d^jn»  l^  Intervalles  de  son  délire.  Qnelq«efDls 
on  distingue  deux  Merlin  ;  mais  Je  crois  qu*il  n*a  existé  qu*un  seul  personnaae  de  ce  mm* 


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CBS  BARDES.  tt7 

les  désastres  éa  règne  fl'Anhar  qui  apportèrent  les  Saxons  aa 
cttardela  Cambrie,  et  décidèrent  la  question  entre  les  anciens 
possesseurs  du  sol  "breton  et  les  noaveanx  conqnérans,gennains, 
3  resta  dans  le  petit  pays  cambrien,  une  foi  opiniâtre  à  la  résur- 
rection future  de  la  nationdité  bretonne  et  une  invincible  espé- 
rance. Les  bardes  se  firent  les  apôtres  de  cette  foi,  les  prophètes 
de  cette  espérance;  diSjà  autrefois  les  druides,  dans  la  révolte  du 
41arilois  Tindex,  mSlaient  à  leurs  exhortations  belliqueuses  la  pré- 
diction de  TafFranchissement  de  la  Gaule  et  de  la  chute  derem* 
fBre  romain;  de  même  les  bardes  cambriens  transmirent  de  siècle 
^en  «iècle  dans  leurs  chants  des  prophéties  patriotiques,  inspirées 
par  cette  afttente  indomptée  qu'elles  nourrissaient. 

Jamais  poètes  ne  furent  plus  complètement  identifiés  aux  sen- 
timens  populaires  que  les  bardes  cambriens.  lamais  poésie  ne  fiât 
fSusprofondément  nationalequelaleur.  Les  habitudes  prophétiques 
que  la  poésie  des  anciens  bardes  gaulois  pouvait  devoir  à  leur  com- 
merce avec  les  devins  et  les  druides  furent  ravivées  par  la  situation 
politique  d'un  peuple  qui  ne  vivait  que  dansravenir.  Les  bardes  se 
-refirent  devins  pour  prédire  cet  avenir»  pour  annoncer  le  retour 
d*Arthur  qui  devait  reparaftre  et  affranchir  son  pays.  Les  bardes 
4nrent  prophètes  à  la  manière  des  prophètes  juifs ,  annonçant  de 
même  un  sauveur,  un  Messie,  un  libérateur  de  la  nation  opprimée. 
De  là  vint  la  grande  célébrité  de  Merlin ,  dont  le  souvenir  se  liait 
avec  celui  d* Arthur;  de  là  les  prédictions  mises  sous  son  nom  à 
diverses  époques,  et  qui  étaient  des  vœux  d'indépendance  ou  des 
menaces  d'insurrection. 

Merlin  lui-même  avait  dit  :  «  Les  Cambriens  seront  triomphans, 
leur  chef  sera  illustre;  chacun  aura  son  droit,  les  Bretons  seront 
4ans  la  joie  (1)«  b 

DèsB30,  un  barde  annonçant  que  le  pays  serait  sauvé  quand 
Fennemi  viendrait  dans  ses  entrailles,  disait  :  a  C'est  Merfinquil'a 
prèditi  »Toici  avec  quelle  énergie  ce  barde  prophétisait  la  ruine  des 
Saxons  et  la  renaissance  de  la  nationalité  bretonne. 

«  Le  chant  prophétique  le  déclare  :  le  jour  arrivera  où  les  hommes 
deCambrie  s'assembleront  unanimes  danS  leur  résofcilion,  avec 
ma  seul  dessein,  un  seul  cœur.  Alors  l'étranger  s'éloignera;  alors 

(Ij  AffeUinau  de  Merlin,  cité  pu  Sh.  Torner.  aistofànglo-SaxoM,  U ID,  p.  38lw 


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428  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

le  païen  sera  mis  en  fuite  ;  et  je  le  sais  certainement,  le  succès  nous 
attend,  quelle  que  soit  la  chance  du  con^>at.  Que  le  Cambrien  se 
précipite  comme  Fours  des  montagnes  pour  venger  le  meurtre  de 
ses  ancêtres,  que  tous  serrent  en  faisceau  les  pointes  de  leurs  lao- 
ces,  que  chacun  oublie  de  protéger  le  corps  de  son  ami,  qu'As 
multiplient  les  crânes  vides  de  cervelles  des  nobles  Germains, 
qu'ils  multiplient  les  femmes  veuves  et  les  coursiers  sans  cavaliers, 
qu'ils  multiplient  les  corbeaux  avides  devant  les  pas  des  guerriers 
vaiUans  (!}.  » 

Au  X'  siècle,  le  roi  Uoel-le-Bon  voulut  réorganiser  TandenDe 
existence  cambrienne.  Dans  ce  but ,  il  forma  des  coutumes  du  pays 
un  corps  de  législation  que  nous  possédons  encore  ;  les  bardes 
tiennent  une  place  assez  considérable  dans  cette  législation.  On 
peut  tirer  des  chapitres  qui  les  concernent  quelques  traits  naîB 
et  piquans  (2).  D'abord  la  loi  interdit  au  barde  de  s'occuper 
d'autre  chose  que  de  son  art.  Est-ce  par  respect  pour  cet  art, 
ou  par  tout  autre  motif?  Les  bardes  font  là,  comme  chez  les 
Gaulois,  partie  de  la  petite  cour  des  chefs,  ils  y  occupent  un  rang 
distingué.  Il  y  a  quatorze  personnes  qui  ont  le  droit  de  s*asseoir  i 
la  table  du  chef,  et  parmi  elles  sont  deux  bardes,  le  barde  do- 
mestique, dont  la  situation  est  assez  semblable ,  mais  cependant 
supérieure  à  celle  des  bardes  parasites  attachés  aux  chefs  gaulois, 
et  le  barde  de  la  chaise,  le  barde  à  qui  appartient  le  droit  de  la 
chaise;  sorte  de  barde  lauréat,  chef  des  bardes,  conune  il  y  eut 
depuis  le  roi  des  ménestrels.  La  condition  de  barde  domestique 
n'est  point  mauvaise  dans  la  législation  d'Hoel.  «  Il  possédera  une 
terre  libre,  le  roi  lui  donnera  un  vêtement  de  laine,  et  la  reine  un 
vêtement  de  lin.  Aux  trois  fêtes  principales,  il  sera  assis  auprès 
du  préfet  du  palais ,  qui  lui  présentera  la  harpe  (  étiquette  ho- 
norable pour  le  barde  domestique  ).  Quand  des  chants  seront  de- 
mandés, le  barde  à  qui  appartient  le  droit  de  la  chaise  chantera 
d'abord  les  louanges  de  Dieu,  puis  celles  du  roi  dans  le  palais 
duquel  il  se  trouvera,  et  si  ce  roi  n'est  pas  là  pour  être  célébré, 
les  louanges  d'un  autre  roi:  d  droit  de  priorité,  assez  naturd, 
que  le  roi  prélevait  sur  la  louange  de  son  barde,  a  Après  que  le 


{!}  Cambrian  Regiêter,  1796,  p.  san 

(S)  Leges  WalUas  eccle9M9tic«  et  civiles  Hoelii  boni,  Londres,  1730,  pae«  SB» 


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LES  BARDES.  429 

barde  de  la  chaise  aara  chanté,  le  barde  domestique  chantera  un 
troisième  chant,  différent  des  deux  premiers.  Quand  la  reine  voudra 
entendre  un  chant,  le  barde  domestique  sera  tenu  de  lui  en  chan- 
ter un  à  son  choix ,  mais  à  voix  basse ,  à  Toreille,  pour  que  la  cour 
n*en  soit  pas  troublée.  »  On  avait  pris  de  prudentes  précautions 
contre  l'incommodité  d'un  chant  trop  prolongé  ou  trop  bruyant. 

Quant  aux  appointemens  du  barde  royal ,  les  voici  : 

a  Quand  le  barde  royal  ira  piller  avec  les  serviteurs  du  roi,  s*il 
chante  devant  eux,  il  aura  le  meilleur  taureau  du  butin ,  et  au  jour 
du  combat,  il  chantera  devant  eux  la  monarchie  bretonne  ;  d — c'est, 
de  siècle  en  siècle,  le  sujet  perpétuel  des  chants  du  barde  ;  -^  a  le 
roi  lui  donnera  un  damier  d'ivoire,  et  la  reine  un  anneau  d'or;  » 
d'après  une  autre  version ,  a  une  harpe;  et  il  ne  la  cédera  ni,^rft> 
tis,  ni  pour  de  l'argent  à  personne. 

cr  n  conduira  chez  le  roi  un  homme  qui  fera  injure  à  un  autre , 
et  tout  homme  qui  aura  besoin  d'appui,  a  Belles  fonctions  du  barde, 
qui  tiennent  à  son  affinité  primitive  avec  le  druide  arbitre  des  dif- 
ferends,  et  se  rattachent  à  ce  caractère  pacifique  et  pacificateur, 
qui  interdisait  la  guerre  à  ceux  dont  la  mission  était  le  chant. 

cr  Si  le  barde  demande  quelque  chose  du  roi,  qu'il  chante  un 
chant;  si  d'un  homme  noble,  qu'il  chante  trois  chants;  si  d'un  plé- 
béien, qu'il  chante  jusqu'à  la  nuit,  d 

Singulière  disposition  I  la  loi  veut-elle  faire  entendre  par  li  que 
le  barde  n'est  pas  seulement  l'homme  du  prince,  que  le  poète  ap- 
partient à  tout  le  peuple? 

Ce  qui  détermine,  avec  le  plus  de  précision,  l'importance  per- 
sonnelle du  barde,  c'est  la  valeur  de  l'amende  que  l'on  paie  pour 
le  mal  qu'on  lui  fait. 

<(  Une  injure  faite  au  barde  domestique  est  évaluée  six  vaches  et 
cent  vingt  deniers  ;  son  meurtre  est  estimé  cent  vingt^ix  vaches.  » 
C'est  fort  cher,  d'après  lo^  tarif  de  la  loi  galloise.  C'est  le  prix  de 
quelques  personnages  assez  importans,  et  aussi,  il  faut  l'avouer, 
de  quelques-uns  qui  ne  le  sont  guère.  C'est  le  prix  du  préfet  de  la 
vénerie,  du  juge  domestique,  du  préfet  de  l'écurie,  de  celui  qui 

prépare  l'hydromel,  du  médecin,  de  l'échanson enfin  du  cuisi^ 

nier  de  la  reine. 

Les  lois  germaniques  contenaient  des  dispositions  analogues.  La 
ioi  des  Ripuaires  dit  :  «  Que  celui  qui  blesse  la  main  du  harp  oc 


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499  RBTUE  un  1»BI7X  VOIIBES. 

"pafeiifNttrB  CoSs  plus  (jnepoitr  un  mitre.  sTcAs  Msicfiil  les privM* 
1^68  tjne  ftnsait  i  h  muse  h  loi  barbare. 

Le  chef  des  bardes,  personnage  plus  êlerè  que  ie  1>arde  do- 
nestique,  est  eneore  urieux  traité  par  fat 'foi  gaHoise. 

ttï  recevra  une  douMe  portion  de  buân;  il  aura  une  doaUe 
part  dans  les  dons  royaux,  dans  les  largesses  fiâtes  i  l'occasimi  dn 
mariage  de  la  fille  d'un  chef;  il  recevra  cent  vingt-quatre  de- 
niers de  tout  chanteur  qui  quitte  la  corde  de  soie,  et  devient  chan- 
teur aulique.  » 

On  voit  là  une  sorte  de  degrés  académiques  et  comme  des  droits 
attachés  i  ces  degrés,  et  prélevés  par  le  chef  des  bardes. 

Kifin  la  harpe  a  sa  législation  comme  le  barde,  et  le  prix  que 
la  loi  reconnak  à  Vime,  achève  de  déterminer  rimportanee  de 
Tautre. 

«  La  liarpe  du  chef  des  bardesvaut  eem  vingt  tleniefs,  autant 
que  celle  du  roi.  ^ 

€*est  un  prix  très  élevé  en  le  comparant  au  prix  deauutres  ob- 
jets que  la  loi  mentionne.  190  deniers ,  c*est  le  prix  <hi  grenier  du 
Toi,  tandis  que  la  maison  du  vilain  n'est  estimée  qu'à  10  deniers, 
la  charrue  à  11  deniers;  enfin,  voyez  combien  la  harpe  pacffiqne 
du  barde  était  placée  au-dessus  de  l'arme  du  guerrier;  tandis  que 
la  harpe  du  chef  des  bardes  vaut  190  dem'ers,  la  lance  n'est  évahiée 
qu'à  h  deniers.  Une  loi  galloise  exceptait  la  harpe  de  la  vente  du  mo- 
bilier que  fou  faisait  après  la  mort  du  possesseur;  enfin ,  Tusage 
de  donner  l'investiture  au  barde  par  la  harpe  s'est  conservé  fort 
tard  ;  e*était  un  droit ,  un  privilège  féodal ,  attaché  à  certaines  pro- 
priétés; on  voit  dans  les  titres  de  la  terrede  Kames:OlAfmc  argaOs 
dispositio  pertinet  ad  hanc  baroniam,  —  à  cette  baronnie  appartient 
le  droit  de  conftrer  la  harpe  d'argent. 

Depms  Hod  le  législateur  jusqu'à  Edouard  l*',  pendant  près 
de  quatre  stèdes,  l'institut  des  bardes,  subsiste  avec  honneur. 
Ou  trouve  dans  cette  période  un  assez  grand  nombre  de  petits 
chefis  gallois  qui  sont  bardes ,  et  dont  on  possède  les  poésies.  Nous 
n'en  sommes  plus  à  la  sévérité  antique,  qui  ne  permettait  pas  de 
cumtder  l'emidoi  de  guerrier  et  celui  de  barde.  Owen,  qui  vivait 
en  1160,  vante  ses  exploits  et  ceux  de  ses  compagnons  dans  des 
chants  un  peu  moins  emportés,  un  peu  moins  sombres  que  les 
chants  des  scaldes^  où  cependant  la  gaieté,  quand  elle  s'y  ren- 


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1£»BAUB&»  m 

otitret,  est  mllé»  de  fttfMcbe»  plaitântari— go»  1m  wfMèê  ner 
diBaiMmraiMtptt»*  Owqa  dit  à  uom  éehftuoi  :  •  Aiyparte-nevA  dm 
m  (1),  dttBMÎHmr»  M»  tallte  seva  abattoe.  »  Joyesietè  dé  laéW 
on  peu  MMDbve  et  aseez  dana  le  goàt  ieaadinave.  Un  paaaafe  A'aor 
barde  wùmsaè  Moine  (  i9M)fBioaUe  a^ee-aaiy^i  comtBeat  lea  bas^ 
dea  eBfiiageaieot  à  oilte  ipoqae  leur  poritioii  aHprès  dea  ekefe 
gallois. 

flr  Nooa^  bardea  du  pays  bteleii,  notre  prinee  notas  eonvieaa 
1^  janfier,  et  ohacan,  seloat  notre  ifang»  nous  nous  Unoaa  i  htr 
joie,  feeeraai  de  Vor  et  de  Targent  pour  notre  récompenae.  a 

B  termina  ainsi  Féloge  de  sali  prince  : 

c  Henreuae  la  anère  qui  t'a  porti,  ear  ta  es  sage  et  noble ,  tvt 
dîstrSNies  larDonant  de  riches  habita^  do  For  et  de  Targenl»  et  îM 
bardes  te  céMBrent  parée  qiae  ta  les  fisia  asseoir  à  ta  table  et  leur 
donne»  tes  chevaux.  Moi-mèaiiey  fai  été  récompensé  de  mon  do» 
de  poésie  par  de  Ymt  et  une  distinction  flatteuse  ^  et  si  je  désirai» 
que  mon  prmoa  me  fit  cadeau  de  la  lune,  il  me  la  donnermt  eer-^ 
tainement.  s 

Oft  voit  que  si  le  barde  montae  une  a^dité  un  peu  empressée 
pour  For,  Fargeoit  et  la  table  de  son  patron,  du  moinail  m  ms»-' 
que  pas  de  coidknce  dans  sa  libéralité. 

Au  xi\*  siècle,  la  poésie  des  bardes^  s'éloigaant  toujours  plus  der 
sa  sévérité  primitive  ^  tourne,  sous  Finfluence  de  la  chevalerie  qiii> 
pénètre  pao'tout,  à  la  mollesse  et  à  la  galanterie.  Les  bardes  sou-^ 
pîffent  comme  (tes  aiéaestrels^Un  d'eux,  Howel,  en  ISiOy  adressaia 
i  sa  belle  des  stances  où  la  grâce  est  souvent  mêlée  à  FatTéterie^ 
J*aime  assez  qu'il  lui  diae  :  a  Tu  es  semblable  au  flocon  de  neigior 
cpie  le  vent  chasse  devant  lui  ;  tu  as  la  blancheur  de  la  vague  qpi 
sobfiae.  »  Je  suis-  eneore  en  pays  celtique,  je  me  crois  ches  Ossian.. 
Mais  quand  le  bardis  ajoute  :  <it  Si  tu  me  demandais  mea  yeux  f,  & 
toi  qut  ee  le  soleil  d'une  vaste  contrée,  je  m'en  séparerais velon*- 
tiera  pour  te  plaire,,  tamt  est  giiand  le  mal  que  je  souffre... ^  Us  mo 
i  cause  de  peine  cpiand  je  refpirde  les  murs^  polis  de  ta  de^ 
et  que  je  le  eememple  belle  comme  le  soleil  levante  » 

le  croia  voir  Faffectatîon  du  madrigal  poindae  au  sein^de  ta  poé- 
sie dea  bardes,.  q|ie  viennent  envahir  les  rafflu^oMaa^  de  la  litté»- 

(I)  Evan ,  If e<«/k  Bardi ,  p.  a. 


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433  BEVUE  DES  DEUX  MONDES. 

rature  provençale  déjà  corrompue.  Je  pense  à  Théocrite ,  dont  k 
cyclope  offre  aussi  à  Galathée  son  œil.  Le  chantre  gallois  du 
xiv*"  siècle ,  qui  certes  n*avait  pas  lu  Théocrite ,  se  rencontre  avec 
lui  dans  ce  trait  de  simplicité  cherchée,  de  naïveté  maniérée.  On 
est  plus  étonné  de  le  trouver  chez  un  barde  que  chez  le  poète 
qui  travaillait  ses  élégantes  pastorales  pour  la  cour  efféminée  et  sa- 
vante des  Ptolémées. 

Mais  ce  qui,  à  cette  époque  comme  aux  époques  précédentes, 
faisa't  la  force  de  la  poésie  des  bardes  gallois,  c'étaient  ces  pro- 
phéties que  leurs  chants  renouvelaient  sans  cesse ,  ces  prophéties 
d'un  avenir  d'indépendance  et  de  gloire ,  ces  prophéties  de  la  Cam- 
brie  délivrée,  de  l'Angleterre  reconquise  par  la  race  bretonne. 
Les  prédictions,  les  menaces  que  nous  avons  recueillies  de  la  boa- 
che  du  barde  du  vu*  siècle  ne  s'étaient  jamais  interrompues.  Comme 
les  druides  au  temps  de  Vindex  prophétisaient  la  chute  de  l'empire 
romain,  les  bardes  annonçaient  la  chute  des  rois  anglo-normands. 
On  faisait  encore  parler  Merlin,  on  mettait  sous  le  nom  révéré  du 
barde-prophète  toutes  les  espérances  de  la  race  déchue. 

Giraud  de  Cambrie ,  évèque  un  peu  infidèle  à  la  cause  du  clergé 
national,  et  qui  a  laissé  sur  son  pays  des  détails  assez  curieux, 
se  plaint  que,  de  son  temps,  on  altérait,  on  falsifiait  les  prophé- 
ties de  Merlin;  c'est  que  les  bardes  en  faisaient,  de  siècle  en 
siècle,  le  véhicule  des  sentimens,  des  passions,  des  haines  patrie- 
ticpies  de  leur  temps,  et  c'est  à  cause  de  cette  étroite  alliance  da 
bardisme  avec  le  patriotisme  gallois  qu'Edouard  fut  si  atrocement 
cruel  pour  les  bardes;  il  les  fit  pendre  eh  masse.  On  sait  que  le 
mstssacre  des  bardes  gallois  a  inspiré  à  Gray  une  ode  magnifique 
où  lui-même  s'est  enflammé,  comme  d'un  souvenir,  de  cette  poé- 
sie prophétique  et  vengeresse  des  anciens  bardes.  On  peut  compa- 
rer i  l'ode  de  Gray,  un  chant  d'un  poète  national  et  contemporain  (1); 
chevalier,  il  crut  à  la  chevalerie  d'Edouard,  et  il  suivit  sa  bannière; 
puis,  ne  pouvant  résister  au  spectacle  de  l'abaissement  de  sa  pa- 
trie, il  rentra  dans  le  pays  de  Galles,  en  souleva  une  partie  con- 
tre Edouard,  fut  vaincu,  fait  prisonnier,  et  dans  sa  prison  composa 
une  élégie  sur  sa  propre  captivité  et  sur  les  revers  de  la  ûun- 
brie;  lui-même  était  barde.  Je  citerai  de  ses  plaintes  celles  qui 

(1)  Btu,  Weish  Bardt,  p.  48. 


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LES  BARDES.  435 

portent  précisément  sur  la  décadence  du  bardisme,  sur  la  misère 
i  laquelle  les  bardes  sont  réduits  au  milieu  de  la  misère  générale 
do  pays. 

ff  A  nos  bardes  nationaux  sont  interdits  leurs  divertissemens, 
leurs  réunions  accoutumées.  Les  bardes  des  deux  cents  régions 
se  lamentent  de  n*avoir  plus  d'appui.  0  Christ!  mon  Sauveur  1 
puissé-je  descendre  dans  la  tombe  maintenant  que  le  nom  de  barde 
est  un  vain  nom ,  un  nom  mort,  jd 

Tous  les  bardes  ne  périrent  pas  par  la  barbarie  d*Édouard ,  et 
quand,  aux  premières  années  du  xv*  siècle,  un  chef  gallois,  Owen 
Glendover  souleva  une  dernière  fois  le  pays  de  Galles  contre  l'An- 
gleterre; quand  les  Gallois  purent  une  dernière  fois  rêver  le 
triomphe  et  l'indépendance  de  leur  pays ,  Vinsurgé  national  eut 
pour  lui  les  bardes,  et  aussitôt  les  chants  de  Merlin ,  les  poésies 
prophétiques,  annonçant  que  le  jour  de  la  Bretagne  était  enfin 
arrivé,  commencèrent  à  pleuvoir  de  tous  côtés.  Owen  Glen- 
dover fut  vaincu;  sa  défaite  fut  le  dernier  coup  porté  à  cette  poé- 
sie des  bardes,   dont  la  destinée  fut  à  toutes  les  époques  si 
intimement  liée  au  destin  de  la  patrie  galloise.  Henri  lY  interdit 
leurs  assemblées,  qu'ils  purent  reprendre  sous  Henri  V.  Ces  as- 
semblées remontaient  à  la  plus  haute  antiquité.  Elles  se  tenaient 
en  plein  air,  auprès  d'un  monument  druidique,  et  cette  circon- 
stance porte  à  en  rattacher  l'origine  aux  anciennes  réunions  des 
druides.  L'usage  s'en  est  continué  dans  le  pays  de  Galles  jusqu'à 
Elisabeth.  Depuis  lors ,  on  a  fait  quelques  tentatives ,  véritables 
anachronismes,  mais  anachronismes  touchans,  pour  ressusciter 
cette  ancienne  coutume.  La  dernière  de  ces  tentatives  est  de  17%. 
En  1796,  on  annonça  qu'une  assemblée  de  bardes  aurait  lieu  à 
Clamorgan,  dans  le  pays  de  Galles.  L'autorité  en  prit  ombrage; 
on  craignait  qu'il  n'y  eût  là-dessous  des  menées  démocratiques. 
On  était  en  guerre  avec  la  France,  le  nom  de  Bonaparte  fut  pour 
quelque  chose  dans  l'effroi  des  shériffs  du  pays.  On  empêcha 
cette  assemblée;  ainsi,  par  un  jeu  étrange  de  la  fortune,  le  fan- 
tôme du  vieux  bardisme  gallois  disparut  devant  l'ombre  de  Na- 
poléon. 

Je  me  suis  arrêté  un  peu  long-temps  à  l'histoire  des  bardes  dans 
le  pays  de  Galles,  parce  que  les  origines  du  bardisme  en  ce 
|>ays,  se  rattachent  d'une  manière  frappante  aux  origines  du  bar* 

TOME  VII.  28 


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iSk  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

disme  gaulois,  parce  que  sa  vie  toujours  mêlée  i  la  Yîe  na- 
tionale,  ne  s*;  est  complètement  éteinte  qu*à  «ne  époque  ants 
peu  ancienne.  Cétait  donc  le  théâtre  sur  lequel  il  était  le  plus  im- 
portant d'étudier  le  développement  général,  de  l'institation  et  de 
la  poésie  des  bardes;  je  serai  beaucoup  plus  court  en  traitant  dei 
bardes  de  llrlande  et  de  TËcosse ,  dont  les  destinées  Oiit  été  moins 
complètes  et  sont  moins  connues. 

En  Irlande,  le  bardisme  est  très  ancien.  Malheureusement  tout 
ce  qui  tient  aux  antiquités  de  llrlande  a  été  embrouillé  outre  ae- 
sure  par  les  rêveries  des  antiquaires.  Si  on  les  croyait,  il  y  anrait 
eu  des  académies  en  Irlande  avant  Jésus-Christ.  Ce  serait  le  roi 
Cor  mac,  restaurateur  de  la  fabuleuse  académie  de  Tara,  qui^ 
antérieurement  à  Tintroduction  du  christianisme,  aurait  instiUié 
les  dix  offices,  confiés  à  dix  personnages  qui  ne  devaiest  jamais  s'é- 
loigner du  roi  (1).  Les  principaux  étaient  le  druide  pour  prier  et 
offrir  des  sacrifices  en  sa  faveur,  le  chef  des  seigneurs  pourk 
conseiller,  un  barde  pour  chanter  les  actions  de  ses  ancêtres,  » 
médecin  pour  prendre  soin  de  sa  santé ,  un  musiciei^  pour  les  di- 
vertir... De  plus,  chacun  des  nobles  avait  aussi  son  druide^  son 
premier  vassal,  son  barde,  son  juge.  Ces  quatre  fonctions  étaient 
rémunérées  par  des  terres  héréditaires  dans  les  familles  coBune 
les  fonctions  elles-mêmes. 

Cette  organisation  ne  fut  point  Vœuvre  du  très  douteux  roi 
Cormac;  mais  tout  porte  à  croire  qu'elle  était  l'org^isation  pri' 
mitive  de  chaque  tribu  irlandaise.  Le  poète  avait  là  sa  place  ma^ 
quée,  comme  dans  l'antique  commune  indienne,  agrégation. pri- 
mordiale, molécule  sociale  indestructible,  qui  a  résisté  aux  ianoai- 
brables  conquêtes  que  l'Inde  a  subies.  Chaque  communes  sa» 
prêtre,  son  astrologue  et  aussi  son  poète  (2).  La  fonction  de  poète  est 
un  office  public,  un  élément  fondamental  de  la  petite  communauté.  & 
en  était  de  même  dans  l'ancienne  Irlande;  même  qurèa  la  complète 
anglaise  et  l'introduction  du>  christianisme,  l'offtce  de*  barde  ss 
transmit  héréditaire  dans  quelques  familles. 

{i)  BoUand,  ttlHory  ofthe^rukds^  p.  80i 

(S)  Les  douze  offlces  essentiels  à  la  communauté  sont  le  charpentier,  le  forseron.,  kfior- 
donnier,  le  mhar,  espèce  de  watchman ;  le  cordier,  qui  est  aussi  le  bourreau,  et  selote 
qtieltniefois  pour  assassiner;  le  potier,  le  barbier,  le  blanchisseur,  le  prêtre,  le  poète,  k 
dteuHrateoB  d>eaiu  Ces  douxe  ofEoes  expriment-'  avee  une  naiveté,  que  leur  dlfCoM 
CpnAlfèfpifaaiite,  1m  betoiQftéfonâamMtaïuidriiiiftfooiétiQEinaiive.. 


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1MB  SAIMKS.  iSK 

fin»  fe«iot  MnâmfMM  (pmpIriP^s^estQoiMn^ré^vilMt 
et  peut-être  la  racine  du  nratmoA»^  p^r  loqusIiStcabon  désigne  les 
éefiae  qu^âaseorfe  aaxdniîiesret  «nx  bardée.  Su  reste,  il  se  me 
aesdile  pas  que  le  caraet^e  frephétîqae  aoit  assw  lAUv^^t  a«x 
Wrdes  irlaiidais  qu'aux  bardes  gallois.  €1»»  lesidaadaîs,  le  barde 
eemble  plus  occupé  du  passé  que  de  r^veuir.  Cest  dans  le  passé 
que  vit  ce  peuple*  Le  songe  de  la  f^sm  £id>uleuee  de  rantiqne  Esin 
a  jomaelésss  fils  réreurs,  oomme  Fespoir  ardent  de  ravarâra 
BOBtenu  les  fib  p«tiens  et  opônAtres  de  la  Cambrie* 

AÀnasi  chez  les  irlandais,  le  barde  se^ranfond  aTec  lesarrant»  le 
decleuT  (oilam),  avec  le  chroniqueur  et  le  généalogiste. 

Les  bardes  irlandais  sont  amseî  des  hérauts  d^aruMs  oomme  les 
liAnd^es  d^Homère;  ils  interviennent  pour  séparer  les  combaC- 
tans.  Ssl-oe  encore  un  Teslq^  de  ce  caractère  padfiqpie  primitifn- 
annt  inhérent  an  bardisme,  et  qfï'û  doit  i  son  origine  sacerdo- 
tale. 

Quant  an  respect  dont  la  personne  du  barde  irlandais  émit 
Tobjety  S  n*y  a  dans  les  traditions  irlandatses,  qu*un  exemple  d'«n 
bnrcte  mis  à  mort,  et  le  chef  qui  s'est  rendu  coupabie  de  ce  crian 
ost  roué  à  rexécration,  il  est  arrÎTéâ  la  postérité  arfeele  mm  de 
tète  vile,  tête  déshonorée  (1).  Les  vieilles  lois  iriandaises  s'ooou- 
pent  du  barde  oonotte  la  loi  galloise.  Son  véêemeut  ce  Je  v^ement 
de  sa  femme ,  sont  évalués  à  trois  Taches ,  eequi  est  un  taux  asscE 
élevé,  rekttivenient  aux  autres  prix  {S^  La  harpe  du  barde  était 
un  lfla»de  un  objet  mporlant  aussi  bien  que  dans  le  pajs  de 
fiaUes;  e9e  faisait  partie  des  insignes  de  la  cité  royale.  La  harpe 
d^*BrienoJoué  un  rôle  politique  dans  rfaistoireirinndaîseau  xi*s^ 
cle  (3).  Cette  harpe  fut  portée  à  Rome,  elle  resta  dans  les  maiw  des 
papes  jusqu'au  xv!""  siècle,  lome,  dans  l'intervalle,  la  confia  à 
Henri  U,  comme  un  signe  de  son  droit  sur  ririande.  L'Irlande 
devait  se  soumettre  au  possesseur  de  la  harpe  et  de  la  cour- 
ronne  d*0'Brien.  Puis  cette  harpe  fut  envoyée  de  Rome  i  Henri  Vm, 
comme  défenseur  de  la  foi  ;  on  sait  qu'il  ne  mérita  pas  long-temps 


(i)  Miss  Brooke  Relicks  of  Irish  poetry ,  142. 

(3)  Walker,  Hlstorical  Memoirs  ofthe  Irish  bards,  49. 

(3)  Walker,  ibid.  61. 

28. 


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436  REVUB  DBS  DJBUX  MONDBS. 

ce  tilre.  C'est  depuis  cette  époque  seulement  que  Tlrlande  a  une 
harpe  pour  armoiries  et  pour  syoïbole. 

Les  bardes  irlandais  eurent  la  direction  patriotique  que  noos 
avons  remarquée  chez  les  bardes  gallois.  Us  la  consenrèrent  jusque 
sous  Elisabeth»  et  c'est  ce  qui  attira  sur  eux  la  colère  et  le  mé- 
pris de  ses  partisans  et  de  ses  serviteurs.  Spenser,  le  célèbre  au- 
teur deTapothéose  allégorique  et  chevaleresque  de  la  Rme  de 
Féerie,  disait  d*eux  :  a  U  y  a  parmi  les  Mandais  une  certaine  dane 
de  personnages  appelés  bardes,  dont  la  profession  est  de  m^tie 
en  relief,  dans  leurs  rhythmes,  la  louange  et  le  bttme.Bs  soot 
tenus  en  si  haute  estime  et  réputation,  que  nul  ne  leur  ose  A- 
plaire,  dans  la  crainte,  s'il  les  offensait,  de  s'attirer  leurs iu- 
vectives  et  d'être  déshonoré  dans  la  bouche  des  hommes.  Leurs 
poèmes  sont  reçus  avec  un  applaudissement  général ,  et  chantésaux 
fiâtes  et  aux  assemblées  par  d'autres  personnes  dont  c'est  ta  fonc- 
tion particulière  et  qui  sont  aussi  récompensées  par  des  doos  et 
une  grande  renommée.  Les  bardes  irlandais  choisissent  rarement 
les  actions  des  hommes  de  bien  pour  sujet  de  leurs  éloges.  Mais 
celui  qu'ils  trouvent  le  plus  désordonné  duis  sa  conduite,  le  plus 
dangereux  et  le  plus  désespéré  dans  tout  ce  qui  constitue  la  déso- 
béissance et  la  rébellion,  ils  le  rehaussent  et  le  glorifient  dans 
leurs  rhythmes,  ils  le  vantent  au  peuple,  et  le  proposent  aux  jeu- 
nes gens  comme  un  modèle  à  imiter.  » 

^)enser,  qui  avait  sa  part  de  la  conquête  de  l'Irlande,  ne  pou- 
vait éprouver  une  grande  sympathie  pour  les  bardes  qui  poussaieut 
à  la  rébellion  le  peuple  conquis,  ni  pour  ce  que  le  poète  étégaut 
appelle  dédaigneusement  leurs  rhythmes  comme  pour  ne  pas  ooo- 
promettre  le  mot  de  vers. 

L'auteur  un  peu  pédantesque  de  l'Arcadie,  sir  Philippe  Sidoej» 
se  plaignait  qu'en  Irlande  la  vraie  science  fût  pauvre  et  les  barde» 
respectés  (1). 

.  Avec  le  temps,  les  anciens  bardes  ont  été  remplacés  en  Iriaode 
par  des  mendians  aveugles  chantant  de  vieilles  chansons  et  a 
composant  de  nouvelles,  menant  dans  une  sphère  moins  élevée  ooe 
vie  assez  analogue  à  celle  des  bardes,  allant  demander  rhospitaiitê 


(0  Walker*  BiU,  mm.  134 


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LES  BARDES.  457 

aux  petits  propriétaires,  aux  fermiers,  au  lieu  de  s'asseoir  à  la  table 
des  rois  du  pays. 

Cest  ainsi  qu*ea  Grèce  il  y  a  encore  aujourd'hui  des  chantres 
mendians  et  aveugles  comme  Homère.  On  trouve  en  Irlande  de 
pareils  personnages  jusqu'à  une  époque  fort  rapprochée  de  la 
nôtre;  on  en  cite  plusieurs  qui  ont  vécu  dans  le  xvii*  et  le  xviu*  siè- 
cle; tel  fut  Carolan  (1670),  Cormac  (1708).  Le  dernier  qui  ait  eu 
quelque  renommée  est  un  certain  Maguire,  qui,  en  1736,  résidait 
à  Londres  près  de  Charing-Gross.  <r  Sa  maison  était  très  fréquen- 
tée, dit  M.  Walker,  et  sa  rare  habileté  à  jouer  de  la  harpe  était  un 
attrait  de  plus;  le  duc  de  New-Castle  et  quelques-uns  des  minis- 
tres venaient  le  visiter.  Un  soir,  on  le  pria  de  chanter  quelques 
airs  irlandais  :  ils  étaient  plaintifs  et  solennels,  on  lui  en  demanda 
la  cause;  il  répondit  que  ceux  qui  les  composaient  étaient  trop  pro- 
fondément affligés  du  sort  de  leur  patrie  pour  pouvoir  en  trouver 
d'autres  ;  mais,  ajouta-t-il,  délivrezrla  des  fers  qui  pèsent  sur  elle, 
et  vous  n'aurez  plus  à  nous  reprocher  la  tristesse  de  nos  chants. 
On  s'(rflen6a  de  cette  effusion  de  cœur;  sa  maison  fut  désertée 
peu  i  peu,  et  il  mourut  le  cœur  brisé,  d 
Ce  pauvre  aveugle,  musicien,  chanteur,  poète,  et  si  fidèle  au 

culte  et  aux  douleurs  de  sa  patrie c'est  le  dernier  barde  de 

l'Irlande. 

Quant  à  l'Ecosse,  c'est  le  pays  d'où  nous  est  venu  le  nom  du 
barde  le  plus  célèbre,  le  nom  d'Ossian. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'entrer  dans  la  discussion  de  l'authen- 
ticité des  poèmes  d'Ossian;  je  renverrai,  pour  l'examen  de  cette 
question,  à  une  belle  leçon  de  M.  Villemain,  et  à  celles  que  M.  Fau- 
riel  a  consacrées  à  Ossian  dans  son  excellent  cours  de  l'année  der- 
nière, dont  nous  pouvons  espérer  la  prochaine  publication.  Je 
me  bornerai  à  rappeler  sommairement  le  résultat  de  la  discus- 
»on. 

Macpherson  a  été  certainement  de  mauvaise  foi  en  donnant 
comme  authentiques  des  poèmes  qu'il  avait  composés  de  morceaux 
conservés  par  la  tradition  et  qui  ont  été  retouchés,  altérés  et  inter* 
polés  par  lui.  Le  comble  de  la  mauvaise  foi  a  été  de  retraduire  en 
gallique  le  texte  anglais  qu'il  avait  publié,  créant  ainsi  un  original 
menteur  d'après  une  copie  falsifiée. 
Macpherson  a  donc  construit  soa  O^slan^  mm  les  matériaui 


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438  RBYUB  1IB8  mUX  MONDES. 

enstaient.  TJne  enqufite  solennelle  ayant  été  ra^Atate,  on  a  ea- 
staté  Vexistence,  non»  il  est  vrai,  d^un  seul  des  poèmes  dosHi 
parMacpherson,  mais  de  la  poésie- osçianique  qn'iln'araîtpaii- 
renter.  On  fabrique  un  ou  plusieurs  poèmes  an  moyen  de  fing- 
mens  qu*on  arrange  on  flènature,  on  ne  feit  pas  une  poésie  di 
toutes  pièces;  on  en  peut  txnnlnner  et  modifier  les  ètémens,  oa  a*« 
saurait  créer  la  substance* 

n  faut  même  ajouter  qu'on  a  retrouvé  dans  les  montagnes  dt- 
cosse  quelques  parties  des  poèmes  publiés  par  Macpharaoa  son 
le  nom  d*Ossian ,  entre  autreis^  la  fameuse  invocation  au  soldlàM 
Carthon,  un  des  passages  dont  on  se  croyait  le  plus  autorisé  i«r 
'authenticité  à  cause  de  certains  détails  qui  ra(^lleat  MiltOB;  ci 
qui  prouve  quil  y  a  souvent  autant  d'imprudence  à  rejeter  tropfili 
qu'à  admettre  trop  légèrement. 

Si  MacphorsM  n'a  pu  créer  le  fonds  de  la  poésie  'Oaâeflipi» 
les  mœurs  dont  cette  poésieoffre  le  tableau  n'est  paa  4Êé  iavemte 
par  lai;  ces  maurs  ont  eaiaté  aa  mous  dans  la  tnditkNi,  etdii 
tradition  doit  reposer  sur  gneiqoe  ehose. 

D  est  vrai  qu'un  ées  caraelèves  4e  la  poésie  otsioniqne,  e*6St  no 
aingnlier  vague  en  loot  4^  qui  tient  A  rexistenee  extéiioaie  ém 
héros.  Ce  caractère,  par  lequel  cette  poésie  se  distingue  de  toalM 
les  poésies  primilÎTea  en  général  «i  précises,  ai  arrêtées ,  peigmnt 
d*une  manière  si  saillante  les  iiabkudes,  laphysioRomie ,  le  gom 
àe  vie  des  papnlaiians,  m  mm  Jewpielles  ^les  ee  produisent,  ce 
Ctfaetère,  tpÊteiàcMàm  auK  poésies  dOesîan,  <et  <lMt  fl  n'eet  pas  Ih 
eile  de  nadre  saison,  8*<fipoae,  ainsi  qoe  le  degré  ifaltéiatioBiA 
eUes  Bons  sont^wnennei,  àeeqae  nnus  paieneos  nous  Cttre,inr 
«lies ,  nae  idée  nette 4e  Texisieiioe  des  bardée  cslédoniens,  bim 
4pbs  les  bardes  y  imerviemieat  souvent. 

Cependant  nous  avons  lieu  de  croire  fidèles  le  peu  des  trtitt 
^'elles  nous  présentent  ;  car  ils  sont  assez  conformes  à  ceux  qse 
aoas  ont  fonnûs  d'autres  documens  plus  authentiques  et  phs 
précis. 

Chez  Ossian,  il  n'y  a  pas  de  prêtres,  parce  qu'A  n'y  a  pas  ds 
IKeu.  8*3  est  resté  quelque  chose  des  druides,  ce  sont  ces  pierm 
du  pouvoir  auxquelles  s'attache  une  vague  terreur;  du  reste,  3 
«'y  a  d'autre  religion  que  la  religion  des  morts.  Au-dessus  de  te 


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été  d«tmto«fai»tdello»yeB,  point  de  eiel,  maïadM  muges  ; 
leiat  de  divinilè»,  mus  de*  onbim. 

B  fleiabl»qael'MieiraneMHgioadeadroiâ»a,eftser«linBt,  a 
aissé  «n  vide  <A  la  nH^om  ehi élienne  a'wt  ftoiat  tfMfé«,  «t  que 
e  vide  s'«8t  reinpli  ds  foeldaiesl 

Dus  «rtte  absence  de  loate  religiDn ,  to«te  traee  du  tM»  ralir- 
jieux  dé»  bardes  a  complètemeBt  dispara.  Gqimm  dan»  le  paya 
de  GaUes  et  en  Irlande,  ils  sont  tantôt  des  hérauts  de  paix  et  d« 
concorde,  tantôt  des  chantres  baUiqoeia.  Quawl  un  étranger  ar- 
me, awit  de  loi  demander  son  nom,  ils  vent  liavitec  aux  jpies 
du  festin;  s'il  apporte  k  guerre,  il»  se  plaçait  sur  la  coUiae,  et  en- 
flaament  le  cowage  dea  coaibatlaa».  Après  la  victoire,  assis  prè» 
da  chef  sur  bi  bruyère,  auUmr  du  (Mm  brâlant,  il»  célèbrent  sa. 
gkars  et  la  (^e  de  ses  aïeux. 

Le  ton  grave  et  triste  de  la  poésie  ossiaaiqu»  «t'y  *»»"  J*"»»"» 
reteatir  d'acceat  satirique  et  moqueur.  Ici  le  caractère  dominant 
dubarde  est  un  caractère  mélancolique  ;  le  type  peui^tre  idéal  du 
barde  calédonien,  c'est  Osaian;  c'est  un  vieux  guerrier  aveugle,  le 
dersier  de  sa  race,  se  levant  dans  la  nuit  parce  qu'il  a  entendu  les 
armures  de  ses  pères  frémir  aux  murs  de  la  salle  abandonnée  ou 
leur  voix  se  plaindre  dansles  vents ,  détachant  sa  harpe  suspendue 
près  de  son  bouclier,  et  chantant  dans  les  ténèbres,  aux  murmure» 
du  torrent,  les  exploits  de  son  père,  la  mort  de  son  fila,  les  hauts 
fiutsde  sa  jeunesse,  lesjoies  et  les  combatsdesioursqui  ne  sontplus. 
L'Irlande  dispute  à  la  Calédonie  son  barde.  L'Wande  réclame 
Ossian  et  Fingal,  et  U  parait  que  l'Irlande  a  raison.  9i  Pmgri  et  Os- 
siaa  ont  vécu  quelque  part,  c'est  dans  Erin,  Les  démêlés  de  a 
tribn  de  Finn  et  de  la  famille  de  Morni,  tels  que  la  raconte  la 
vieilte  poésie  irlandaise,  semblent  se  rattacher  à  quelque  vérité 
historique  et  locale.  Les  poésies  iriandaises  ont  un  caractère  uo 
peu  moins  indéterminé  que  les  chants  calédoniens;  elles  sembtent 
tenir  de  ptas  près  à  la  réalité.  Cesten  se  transplant^  ou  se  dé- 
paysant dans  les  montagnes  d'Ecosse  que  ces  tradiyons  nattvea 
d'Irlande  ont  perdu  sur  un  sol  étranger  leur  eonsistanee  et  leuB 
physionomie,  et  sont  devenues  elleHnômes:  ^orausea  et  vagues 
cmmeles-brmnes  de  leur  nouvelte  patrie  etr«wme  les  «mbwa 
qui  les  habitent. 


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4(0  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

Les  poésies  irlandaises  où  figure  Ossian,  ont  consenré  à  kiir 
manière  le  souvenir  d*un  moment  remarquable  de  la  destinée  des 
bardes  ;  le  moment  où  ils  eurent  à  lutter  contre  le  christianisiiie 
qui  venait  avec  ses  dogmes  et  ses  chants  leur  disputer  Timagini- 
tion  et  Tame  des  peuples.  Ce  conflit  curieux  est  indiqué  naîvenent 
dans  un  dialogue  touchant,  bien  que  parfois  burlesque ,  eatre 
Ossian,  le  barde  par  excellence,  et  saint  Patrice,  Vapôtre  (k 
rirlando(l). 

Ici,  comme  en  Ecosse,  Ossian  a  survécu  h  tous  les  rois,  à  toosks 
héros,  avec  lesquels  sa  glorieuse  vie  s*est  écoulée.  Son  père,  sod 
fils,  sont  morts  ;  tous  ses  amis  sont  morts  ;  et  voilà  qu'on  veut  dans 
ses  derniers  jours  lui  foire  adopter  une  croyance  nouvelle.  Le  lieta 
barde  est  obligé  de  se  soumettre,  seulement  il  murmure,  fl  se 
plaint  que  sa  force  soit  épuisée,  qu'il  ne  puisse  mettre  i  la  raîsoQ 
ceux  qui  l'ont  converti  un  peu  malgré  lui ,  qui  le  font  jeûner,  qaik 
fatiguent  de  leurs  psalmodies  et  de  leurs  cloches,  auxquelles  3 
préfère  ses  chants  guerriers.  Ossian  témoigne  énergiqaeme&t  sa 
mauvaise  humeur  à  saint  Patrice.  Saint  Patrice,  en  missiomnire 
habile,  prie  d'abord  Ossian  de  lui  faire  entendre  ses  chants;  Os- 
sian profite  de  cette  politesse  du  saint;  il  lui  récite  les  hauts  bits 
de  sa  jeunesse  et  les  exploits  de  Fingal.  Patrice,  alors,  loi  dit  bru- 
talement que  Fingal  est  en  enfer.  «  Si  les  héros  de  mon  temps 
vivaient,  reprend  Ossian,  ils  le  tireraient  d*enfer  malgré  Dieo. 
Mais  crois-tu  donc  que  Dieu  traite  de  la  sorte  le  magnanime  Fin* 
gai?  Eh  bien  !  Fingal  est  meilleur  que  lui;  car  si  ton  Dieu  était  pri- 
sonnier, il  lé  délivrerait.  » 

Cette  étrange  discussion  no  nous  montre-t-elle  pas  sous  oœ 
forme  naïve  la  résistance  des  anciennes  traditions  aux  nouveam 
enseîgnemens,  les  luttes  qui  durent  avoir  lieu  entre  les  bardes  ei 
les  missionnaires  chrétiens. 

Enfin,  cette  poésie,  qui  par  moment  touche  au  comique,  n'a- 
t-elle  pas  avec  moins  de  charme  peut-être  plus  de  vie  que  celle  de 
rOssian  calédonien?  N'accuse-t-elle  pas  des  rapports  plus  mani- 
festes, une  situation  plus  déterminée? 

Mais  quelle  qu'ait  été  l'origine  des  poésies  ossianiques,  il  est  cer- 
tain que  le  bardisme  a  subsisté  dans  les  montagnes  d'Ecosse  JQS- 

(I)  mil  Brooke,  Mkki  of  IrUh  poe(ry,  73. 


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LES  BARDES.  441 

qu'à  la  fin  du  dernier  siècle;  Vinstitution  des  bardes  était  encore 
parfaitement  organisée  parmi  les  tribus 'de  montagnards  qui  pri- 
rent part  à  l'expédition  du  prétendant,  et  le  barde  était  encore  à 
cette  époque  un  personnage  social  ayant  un  rang  marqué,  un  re- 
venu fixe  en  terres,  seul  genre  d'appointemens  que  puisse  donner 
une  société  peu  avancée,  à  défaut  d'un  privilège  sur  le  butin,  tel 
que  celui  qu'accordait  au  barde  la  loi  galloise.  Les  chefs  des  clans 
écossais  s'entouraient  encore  de  leurs  bardes,  à  l'époque  dont  je 
parle,  comme  le  pouvaient  faire  les  chefs  gaulois  aux  époques  les 
plus  reculées  (1).  Hais  le  rôle  même  que  les  montagnards  écossais 
jouèrent  dans  cette  guerre,  amena  la  désorganisation  de  l'antique 
existence  du  clan,  et  en  même  temps  la  destruction  de  l'institution 
des  bardes  qui  en  était  une  portion  essentielle.  Ainsi,  au  moment 
où  le  nom  du  barde  calédonien  devenait  populaire,  où  la  poésie 
calédonienne,  en  dépit  et  peut-être  à  cause  des  altérations  qu'elle 
avait  subies,  devenait  un  objet  d'admiration  et  d'engouement,  Ik 
source  de  cette  poésie  tarissait  pour  jamais,  et  les  derniers  bardes 
mouraient  de  misère  et  d'abandon  dans  quelques  vallées  ignorées 
de  rÉcosse. 

Nous  arrivons  à  là  Gaule  :  que  sont  devenus  ses  bardes? 

La  Gaule  fut  primitivement  le  principal  séjour  des  anciens  bar- 
des, et  c*est  dans  la  Gaule  que  leur  institution  a  eu  le  moins  de 
durée,  a  laissé  le  moins  de  traces.  Nous  recueillerons  avec  un  soin 
d'autant  plus  minutieux  toutes  celles  que  nous  pourrons  découvrir. 

L'existence  des  bardes  était  liée  à  celle  des  druides.  Or,  les  drui- 
des se  firent  tolérer  par  les  empereurs  en  associant  les  divinités 
gauloises  aux  divinités  romaines,  en  faisant  un  amalgame  souvent 
bizarre  de  la  mythologie  nationale  et  de  la  mythologie  des  conqué- 
raos.  Grâce  à  ce  compromis  volontaire,  à  cette  confusion  prudente, 
les  druides  évitèrent  la  persécution,  et  jouirent  même  de  quelques 
honneurs?  On  voit,  dans  Ausone  (2] ,  qu'au  iv'  siècle  appartenir  à 
une  famille  de  druides  était  considéré  comme  la  preuve  d'une  des- 
cendance illustre. 

Un  vers  de  Prudence,  dans  lequel  il  oppose  barde  à  augure,  mpn- 


(1)  Voyex  la  vive  peinture  de  la  cour  sauvage  da  Celte  JacoUte  Fergos  Mac-Ivor  dans 
Waverley» 
(«jProrewow.lYetX. 


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us  REYUB  BBS  MmC  MOICDBS. 

tre  qali  eetle  époque  en  raUftduRt  enoereto  fctrdbt  4b«iM 
HVgvrale  des  mtes  et ^ies druides  (1)* 

99  s^est  eonsenré  quelque  paît  en  Gagées  bardes,  et  telv- 
des  en  possessmi  <ies  tradhions  druidiqaeBy  oe  n*a  piAn^ 
dans  r Annoriqtte,  dam  cette  previoee  smoiise  kBparfntewitpir 
les  Btmianis,  qui,  après  la  eonquéfe  barbare,  afsniiépeatat|k- 
sieurs  sièdes  un  état  indépendant,  et  qui,  mrigrésaréiM&ib 
France,  est  restée  ecAtique  et  gaidoise  de  phjsioaonis,  de  (Mm 
et  deiangue,  jusqu'à  nos  jeors. 

On  peut  donc  admettre  coranie  possible  rerâstenee  d*ii  M« 
annoricatn  du  t*  ou  ti*  aiède,  nonimé  Guinldm,  dont oo icn, 
Tannée  dernière,  aroir  retrouvé  les  chants. 

n  11*7  ^  ^^'^^  d'invraisemMable  à  eeque  ses  poésies  se«oi>t 
eonservées  dans  Tabbaye  de  Landrenec ,  eonme  se  sentcauer- 
Tées ,  dans  le  pays  de  <jialles ,  celles  de  Talîessin ,  de  UywifA» 
ide  Merfbi,  et  d'autres  bardes  gallois  contemporabn.  Espirov  p 
le  manuscrit  deGuinklan,  s*il  existe,  sera  livré  à  la  poUieliiftf 
vsk  patriotisme  breton  bien  entendu ,  et  que  notre  BietApc  ifli 
aussi  son  barde. 

Hais  en  attendant  ce  barde  légitime,  la  critique  doit  se  proaoï- 
cer  sur  Thypothèse  qui  ftdt  procéder  les  jongleurs  et  les  «)•- 
Yères  des  bardes,  et  quifeit  naître  une  grande  portion  deU  po^ 
rie  chevaleresque  (  tout  ce  qui  concerne  le  roi  Arthur  et  h  »* 
ronde)  des  kâi  (frétons,  œuvre  prétendue  des  bardes  annoric0S< 

0*abord,  9  feut  faire  la  part  de  ce  qui,  dam  ces  influences, si 
éDes  existaient,  appartiendrait  aux  bardes  du  pays  deGdeset 
à  ceui  de  notre  Bretagne. 

En  raison  de  la  communauté  de  langue  et  de  race  qin  snitt*» 
Bretons  de  FArmorique  et  leurs  voisins  du  pays  de  Galles  et  de 
GomouaiHes,  par  suite  des  émigrations  nombreuses  et  des  rdt- 
tlons  fréquentes  que  cette  Communauté  a  produites,  il  est  tdr» 
que  les  traditions  de  la  Cambrie  ont  passé  dans  TArmoriqne,*'! 
sont  localisées,  pour  ainsi  dire,  au  point  que  nos  Bretons,  s*àf^ 
saut  eux-mêmes  par  Tidentité  de  leur  nom  et  de  celui  des  w^ 
habitans  de  1* Angleterre,  ont  fini  par  se  persuader  que  Merbet 
Arthur  ÀaiMt  lauTA  coflipatriûtea,  ûiu  cra  poMé^ 

(i)  ^...  Bardai  pater  aat  artu  augor.  J^otheoiis,  contra  wnUmista»^  t.  lit.    , 


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LES  BARDBS*  443 

preoûeB,  et  ont  attendu' le  second  ayec  un  espoir  obstiné  qni  a  été 
piorerbial  am  moyen-Age  sous  le  worn  d^enpoir  breton. 

Hais  les  traditions  qui  concernent  Arthur  et  Merlin  sont  cer- 
tainement galloises  d^origioe;  Ardiur  et  Merlin  ont  vécu  dans  le 
pays  de  Galles  et  non  en  Basse^Bretagne.  La  mort  d'Arthur  est 
liée  à  la  ruine  de  Tindépendance  cambrîenne;  Vattente  de  son  re* 
tour,  à  k  résurrection  de  cette  indépendance,  n  n*y  a  pas  moyen 
de  douter  qu'Arthur  ne  soit  un  héros  étranger  à  notre  Bretagne,, 
o&  ont  été  importés  tout  ensemble  et  son  nom  ei  l'intérêt  glorieux 
que  le  sentiment  national  des  bardes  gallois  avait  attaché  à  ce  nom. 

Quant  aux  bardes  armoricains,  nous  na  pouvons  Caire  pour  eux 
ce  que  nous  avons  iait  pour  ceux  des  autres  pays  oeltiques»  suivre 
de  siècle  en  siècle  leur  destinée  :  la  Bretagne  est  ^  au  moyea»â0S, 
si  étrwigère  et  si  inconnue  à  la  France,  qjoe  noua  mandions  de 
rensdgnemens  sur  ses  bardea,  comme  sw  prascpie  tout  ce  qui  la 
concerne. 

Cest  de  ces  bardea  inconnus  et  proUématiques  de  la  Bretagne 
qu'un  homme  ^ès  savant,  M.  Delarue  (1) ,  a  vouln  faire  descendre 
les  trouYères  et  les  jongleurs.  Cest  dans  certaines  compositiona 
bretonnes,  dont  le  nom  seul  est  connu,  et  qu'il  suppose  être  l'ou- 
vrage des  bardes^  dana  les  laU  /^eiofvsy  qu'il  voit  la  source  de  prea- 
que  tonte  la  poésie  chevaleresque  du  moyen-Age. 

On  peut  affirmer  que  les  bardes  ne  sont  pour  rien  dana-Vori* 
gine  des  jongleurs  et  des  trouvères.  Les  joni^urafiirentunecon^ 
tinualien  de  ces  personnafesy  tantôt  mîmes,  tantôt  jouira  de  ly  re^ 
qu'on  appelaient  '^^eukaope$,  d'oàl'cn  a  feit  jongleara.  Le  plus  an* 
den  personnage  appartenant  à  cette  etasse,  dont  l'histoire  moderne 
Casse  mcmtion ,  est  ce  joneur  de  lyre,  cUkMfedu»^  <pie  Théodoric  en* 
veya  d'Italie  à  Oovia^  L'origine  des  jongleurs,  cenuae  leur  nom 
l'atieate^  est  donc  romaine  et  nuUemait  eeltique* 

Lealronvères  sont,  dans  le  nord  de  U  France^  ce  qu'étaient  les 
troubadours  dans  le  midi;  et  les  troulmdoars,  anssî  bien  qne  les 
jenglenrs,  se  rattachent  aux  reste»  de  la  enllase  gréce-romaine 
dans-  la  6anle  méridionale*  Aucun  feit  na  les  vatmche  aux  bardes» 

Une  antre  «piestion  saprésenSe»  Quelle' part  les  traditions  gd-* 
loisec,  soit  qii'eUea  aient  été  senlement  chantéon  par  les  bardea 

|l}  Jlecaercfte«  MT ie«  ouvrages  des  bardes  armoricains,  par  G.  Delans^^iSMl 


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bU  EETUB  DES  DEUX  MONDES. 

cambrienSy  soit  qa*elles  aient  trouvé  de  Técho  chez  nos  bardes 
armoricains,  queUe  part  ces  traditions  ont-elles  eue  à  la  formation 
de  cette  portion  de  la  poésie  chevaleresque,  où  figure  Arthur,  etqm 
est  connue  sous  le  nom  de  cycle  de  la  Table-Ronde? 

La  part  que  les  traditions  galloises  conservées  dans  les  chants 
des  bardes,  dans  les  triades,  dans  les  chroniques  galloises,  pri- 
vent revendiquer  dans  le  cycle  de  la  Table-Ronde,  n'a  pas  été 
encore  exactement  déterminée.  M.  Fauriel  a  parfaitement  prouvé 
que  le  cycle  de  la  Table-Ronde  a  emprunté  ses  principaux  déve- 
loppemens,  et  en  particulier  tout  ce  qui  se  rapporte  au  saint  Graal, 
à  des  sources  qui  n*ont  rien  de  celtique. 

Mais  il  est  quelques  personnages  et  quelques  faits  qui  ont  passé 
certainement  de  la  tradition  galloise  dans  l'épopée  chevaleresque 
du  moyen-ftge.  Seulement,  dans  ce  passage,  la  physionomie  de  ces 
personnages  et  de  ces  feits  s*est  complètement  roétamorphoséf. 
Ainsi  Arthur,  le  petit  chef  cambrien,  est  devenu  le  conquérant  du 
monde;  le  barde-prophète  Merlin  a  été  un  sorcier,  fils  du  diable,  et 
amoureux  d'une  fée.  Tristram,  dont  le  nom  est  gallois,  est  devenu 
le  beau  Tristan. 

Parmi  les  faits  appartenant  i  la  tradition  cambrienne,  qui  om 
servi  de  point  de  départ  aux  inventions  romanesques,  et  que 
celles-ci  ont  multipliés  et  brodés  à  Finfini,  j'indique  Vhistoîre  do 
meurtre  d'Arthur  parle  ravisseur  de  sa  femme,  son  neveu  Mordret 
Dans  cette  histoire,  où  noms  propres ,  mœurs ,  caractères ,  toat 
est  gallois,  et  qui  se  trouve  dans  les  vieilles  chroniques  galloises, 
je  crois  découvrir  en  germe  l'histoire  de  Tristan,  amoureux  de 
la  femme  de  son  oncle,  et  l'histoire  de  Lancelot  et  de  Genièvre, 
qui  n'est  qu'une  reproduction  de  celle  de  Tristan  et  d' Yseult.  Tris- 
tan est  un  personnage  gallois,  auquel  la  poésie  chevaleresque  a 
donné  une  physionomie  chevaleresque.  Lancelot  est  un  persomuÉge 
purement  chevaleresque  mis  à  la  place  d'un  personnage  gaUob 
dans  la  légende,  dont  il  est  le  héros,  et  qui  est  calquée  sur  ceOe  de 
Tristan.  Le  rapt  héroïque  et  brutal  de  la  femme  d'Arthur,  par 
Mordret,  a  fourni  le  thème  d'une  aventure  d'amour,  de  laquelle 
la  poésie  chevaleresque  s'est  complu  à  tirer  des  variations  infinies 
de  galanterie  et  de  tendresse,  jusqu*à  ce  qu'elle  en  ait  fait  le  déS- 
cieux  récit  qui  devait  perdre  Françoise  do  Rimini,  et  que  Daate 
devait  éterniser. 


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LES  BARDES.  415 

Restent  les  laU  bretom^  dont  on  a  foit  grand  brait.  Ce  qu'il  y  a 
déplus  décisif  à  leur  égard ,  c*est  le  témoignage  de  Marie  de 
France,  trouyére  du  xii*  siècle,  qui  prétend  leur  devoir  le  sujet  de 
plusieurs  de  ses  febliaux.  D*abord  il  ne  m* est  point  démontré 
qu'elle  ait  dit  la  vérité ,  car  dans  ses  contes  je  ne  vois  rien  de  cel-  ' 
tique  9  et  chez  elle  je  ne  découvre  aucune  trace  de  la  plus  légère 
connaissance  du  breton  ;  mais  quand  on  supposerait  à  ces  contes 
une  origine  bretonne>qu*en  résulteraitril?  Un  seul  d*entre  eux  se 
rapporte  à  un  personnage  de  la  Table-Ronde ,  les  autres  sont  des 
febliaux  comme  il  pouvait  s*en  rencontrer  partout  >  et  il  importe 
assez  peu  à  Thistoire  de  notre  poésie  du  moyen-âge ,  que  ceux-ci 
soient  venus  de  Bretagne  en  Normandie ,  comme  le  dit  Marie  de 
France  9  ou  aient  passé  antérieurement  de  Normandje  en  Breta- 
gne,  comme  je  suis  porté  à  le  penser  (1). 

Voilà  à  quoi  se  borne,  en  y  joignant  quelques  noms  propres  et 
le  germe  de  quelques  incidens  romanesques ,  les  emprunts  feits 
par  la  vieille  poésie  française  à  des  traditions  celtiques. 

Ponr  achever  d*étre  juste ,  il  faut  ajouter  qu*au  moyen-âge  une 
vague  renommée  de  merveilleux  s'attachait  à  notre  Bretagne.  On 
parlait  au  loin  du  tombeau  d* Arthur,  du  perron  de  Merlin ,  de  la 
ibrét  de  Brocheliant,  pleine  de  merveilles  et  de  fantômes.  Les  vieilles 
forêts  druidiques  sont  le  type  de  toutes  ces  forêts  ensorcelées, 
jusqu'à  celle  d'Armide. 

De  plus  9  le  nom  d'un  instrument  de  musique  fort  employé  des 
trouvères,  et  qu'ils  appellent  la  rote  y  n'est  autre  chose  qu'une  alté- 
ration du  mot  celtique  cruid,  qui  désigne  la  harpe  chez  les  bardes 
gallois  et  chez  Ossian,  et  que  Fortunat  appelle  chrotta  britanna. 

Ainsi  les  chants  des  bardes  n'ont  guère  fourni  à  la  lyre  des 
trouvères  que  son  nom. 

Enfin ,  pour  ne  rien  négliger  de  ce  qui  peut  se  rapporter  aux 
bardes  dans  les  coutumes  particulières  de  la  Bretagne,  je  rappel- 
lerai qu'elles  offrent  quelques  traits  qui  paraissent  remonter  à  eux. 
Mous  savons,  par  les  anciens,  que  les  bardes  figuraient  dans  les 
mariages,  et,  à  l'heure  qu'il  est,  il  semble  qu'il  y  ait  des  représen- 
tans  des  bardes  dans  ces  solennités.  Voici  ce  qui  se  passait,  il  y  a 

0)  Pintieiin  d^entre  eax  font  aUoaion  à  des  croyanoes  rapenUtienses,  qui,  Je  crois, 
•ont  phitAt  Scandinaves  que  ceiUques.  Le  moi  lied^  et  en  ialin  barbare  leudus,  a  loi- 
11^^  nne  origine  germanique. 


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4M  RBTUB  DIS  MBX  KONDES. 

peu  de  temps^  en  Bretagne,  et  ce  qui,  je  crois,  s*y  passe  eoeon. 
Uaoratemr  se  place  à  la  tdte  du  cortège  du  mariée  un  aotre  se  plaoe 
smt  le  seail  de  la  porte  de  Tépousée.  Celui-ci  esake  les  perfedisai 
de  la  jeone  fiUe,  celui-là  exalte  les  mérites  de  l'époux  ;  ce  dialogus, 
qui  vrttsemblableoMDt  hàt  dans  l'origine  un  dumt  akemattf ,  de- 
Yieitt  souvent  me  viye  et  longue  altercation,  qui  finit  quelquefeii 
par  des  coups*  Ce  sont  ]k  y  sans  doute,,  des  représentans  fiirt  â- 
dignes  des  anciens  bi^des  gaulois;  la  prose,  comme  toujoun, a 
remplacé  la  poésie;  le  discours  a  remplacé  les  vers.  Daus  quelqaet 
endroits ,  cet  office  est  dévolu  aux  tayieurs,  et  aiUeuTs  tout  se  ré» 
dttit  à  un  discours  pédaatesqae  dn  maitre  d'école  adressé  i  la  ma- 
riée. Ainsi  ta  se  dégradant  toute  poésie,  et,  «i  suhrant  le  caan 
deasièdes,  oo  descend  des  druides  ei  des  bardes  aux  laîUeursct 
aux  maîtres  d'écoles. 

J«  J*  AuPftKK. 


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ECRIVAINS 

PRÉCURSEURS 

DU  SIÈCLE  DE  LOUIS  XIV. 


n  oTen  est  pas  des  grandes  époques  de  Fart  comme  des  hommes  de 
génie  qui  y  brillent  :  tout  intéresse  dans  la  vie  de  Téerivain  supérieur; 
on  remonte  volontiers,  avec  lui,  le  sentier  de  son  enfance  ;  on  prend  plai- 
sir à  le  suivre  dans  ses  développemens,  à  voir  cette  nature  vivace  se  dé- 
ployer à  Taise ,  et  grandir  dans  les  obstacles ,  jusqu'à  ce  qu'elle  se  soit 
imposée  au  monde.  Mais  les  grands  siècles  littéraires  ne  Jouissent  pas  du 
même  privilège;  on  les  accepte  en  général  pour  ce  quMls  valent,  sans 
trop  s*inquiéter  de  leurs  premiers  essais  et  des  tâtonnemens  de  toute  sorte 
qui  se  rencontrent  partout  au  début.  Cest  que  dans  chaque  phase  de  l'es- 
prit humain,  à  mesure  qu'il  entre  plus  de  personnages  en  scène,  rintéret 
se  reporte  sur  les  derniers  venus,  et  l'on  oublie  ceux  qui,  comme  dans 
la  tragédie  classique,  avaient  fait  Texposition  de  la  pièce.  H  y  a  cependant 
ingratitude  à  ne  s^occuper  ainsi  que  des  acteurs  du  premier  plan,  et  i 
ne  pas  tenir  compte  de  ceux  qui  ont  ouvert  la  voie  et  servi  d'anneau  de 
transition  entre  deux  époques  de  Tart.  C'est  alnrt  qu'il  en  est  arrivé  pour 


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448  RBVUB  DBS  DEUX  MONDES. 

le  xyii«  siècle.  Les  grands  écrivains  da  règne  de  Louis  XIY  renièrott 
dédaigneusement  ceux  qui  avaient  bercé  leur  enfance.  On  aurait  dû  leur 
savoir  gré  de  leurs  tentatives ,  on  aurait  dû  se  souvenir  qu'ils  avaient 
appartenu  à  un  temps  difficile^  où  les  commotions  du  siècle  précédent 
agitaient  encore  les  esprits ,  et  où  la  science,  confondue  avec  Fart, 
était  impuissante,  faute  de  but  et  d'esprit  de  critique.  Le  xtf  nè- 
cle  avait  légué  au  xvii*  les  haines  mal  éteintes  de  la  Ligue ,  Téchodela 
parole  brutale  et  populaire  de  Luther,  le  dogmatisme  de  Calvin,  et  le 
scepticisme  tolérant  et  facile  de  Montaigne;  lourd  et  accablant  héritage 
qui  eût  affaissé  l'intelligeDce ,  ou  du  moins  l'eût  dirigée  en  un  autre  sens, 
si  la  main  puissante  de  Richelieu  n*eût  serré  en  un  faisceau ,  et  presque 
à  les  briser,  les  élémens  politiques  épars,  et  si  Pascal  n'avait  enchaîné  le 
Doute  derrière  le  char  de  la  Foi.  Ceci  posé,  il  est  facile  de  concevmr 
qu'entre  Luther  et  Bossuet,  entre  Bacon  et  Descartes,  entre  l'empirisme 
et  l'idéalisme,  entre  Montaigne  qui,  ayant  peur  de  la  mort,  se  console  en 
disant  :  que  sais-je?  et  Pascal  qui ,  voyant  à  ses  pieds  l'abîme  da  néant, 
se  retient  à  la  religion  avec  une  force  surhumaine;  il  est  facile  de  conce- 
voir qu'il  se  soit  trouvé,  entre  Charron  et  Malebranche ,  au  commence- 
ment du  XVII*  siècle,  une  école  mixte  et  de  transition,  à  demi  croyante 
et  à  demi  sceptique,  à  demi  littéraire  et  à  demi  savante ,  qu'on  a  oubliée 
parce  qu'elle  a  côtoyé  tous  les  partis,  sans  être  d'aucun,  parce  qu'elle 
a  beaucoup  écrit ,  sans  rien  laisser  qui  fasse  date ,  et  qu'on  puisse  appe- 
ler un  monument.  Cette  école,  en  poésie,  subissait  l'influence  espagnole, 
ne  marchait  plus  que  l'épée  au  côté,  récitant,  sous  les  balcons,  et  la 
mandoline  en  main ,  des  vers  pleins  d'une  redondante  afféterie  et  d*nn  bd 
esprit 'étudié.  En  érudition  littéraire,  elle  conservait  les  savantes  tradi- 
tions des  polygraphes  du  siècle  précédent,  de  Budée  et  de  Casaubou,  et 
surtout  des  critiques  de  l'université  de  Leyde ,  Juste  Lipse  et  Scaliger.  II 
y  a  donc  deux  divisions  distinctes  dans  les  écrivains  de  ce  temps,  eifl 
importe  de  les  bien  séparer.  D'abord,  ce  sont  les  littérateurs  qui  soîvaicfit 
la  cour,  affectant  les  bonnes  fortunes  comme  Voiture ,  faisant  les  braves 
et  les  fanfarons  comme  Scudéry  ;  acquérant  une  réputation  avec  des  qua- 
trains et  des  madrigaux,  débités  aux  réunions  de  cet  hôtel  Rambouilki 
que  le  spirituel  essai  de  M.  Rœderer  n'est  guère  parvenu  à  réhabiliter. 
Le  temps,  pour  les  poètes  et  les  prosateurs,  se  passait  en  repas  joyeux  et 
assaisonnés  de  pointes,  en  galanteries  débitées  aux  dames  avec  affecta- 
tion de  bon  ton  et  de  belles  manières,  ou  en  ces  lectures  dé  romans  éU^ 
duSf  comme  VAsirée  qu'aimait  encore  tant  l'abbé  Prévost.  On  visait  aosi 
à  la  profondeur  dans  cette  coterie  ;  Balzac  faisait  profession  d'admtnr 
beaucoup  Tacite  qu'il  appelait  l'ancien  original  des  finesses  modernes. 
Mais  à  côté  de  ce  cercle,  qui  envahissait  les  sièges  de  l'Académie  française 


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GABRIEI*  NAmuE.  U9 

et  tes  booddrs  des  dames»  à  c6té  de  ces  poètes  de  coar ,  ibsoucians,  très 
répandus,  ne  se  nsélant  guère  de  religion,  plus  occupés  d'un  bon  dîner 
ou  d'un  madrigal  agréablement  tourné,  que  du  problème  de  la  destinée 
humaine,  il  s'était  formé  une  antre  association  d'hommes  lettrés  et  nourris 
de  la  culture  grecque  et  latine.  Ces  hommes,  la  plupart  médecins,  tous 
enclins  à  uo  amour  vif  de  l'érudition ,  succédaient  à  l'école  savante ,  labo- 
rieuse, sceptique  de  Henri  Estienne;  mais  ayant  de  moins  que  ce  grand 
homme,  la  perséyeranoe  au  but  et  la  hardiesse  de  l'entreprise,  ib  ipar^ 
fUlèreni  leur  science  en  d'ingénieux  traités,  en  de  sayantes  dissertations; 
ils  dépensèrent  en  monnaie  courante  une  érudition  immen^ ,  un  juge- 
ment sain,  un  esprit  yif  et  assez  prompt  à  saisir  le  côté  yrai  des  choses. 
Au  xvi«  siècle,  à  part  la  poésie ,  à  part  Rabelais,  il  n'y  avait  guère  eu  de 
littérature  en  France,  mais  plutôt  un  très  remarquable  élan  vers  la 
science  littéraire  et  critique.  L'école  dont  nous  parlons  a  mêlé  la  littéra- 
ture à  l'érudition  ;  après  elle,  il  y  a  eu  progrès,  l'art  a  suivi  sa  voie,  et  la 
science  la  sienne.  On  trouve  d'un  côté  Molière,  Corneille  et  Racine,  de 
l'autre  Ifabillon,  d'Achéry  et  Edmond  Hartène.  De  pareils  noms  sans 
doute  jettent  bien  de  l'ombre  derrière  eux,  et  bien  des  torrens  de  lu- 
mière dans  Tavenir;  mais  il  nous  paraît  juste  pourtant  qu'on  n'oublie 
pas  tout-à-Dait  ceux  qui  ont  posé  la  première  pierre  du  grand  édifice  lit- 
téraire, ceux  qui  ont  ouvert  à  tous  les  trésors  de  la  science,  et  qui ,  pleins 
de  désintéressement  et  d'activité ,  ont  vécu  sans  faste,  obscurément,  dans 
le  silence  des  bibliothèques.  Ce  comité  philosophique  dont  nous  voulons 
parler ,  qui  avait  des  rapports  étendus  avec  les  érudits  du  siècle,  se  bornait 
à  un  cerde  étroit  et  intime  qui  ne  se  mêlait  pas  aux  soirées  de  la  cour. 
Gabrid  Naudé  est  l'homme  autour  duquel  nous  essaierons  de  grouper 
les  adeptes  les  plus  remarquables  de  cette  société  sayante.  Ce  sont  là  les 
derniers  des  GanUdt;  en  plem  xvii*  siède,  ils  appartiennent  encore  par 
beaucoup  de  points  au  xvi*;  ils  sont  autant  latins  que  français;  ils  savent 
bien  l'antiquité,  mais  ils  n'ont  pu  encore  oublier  Érasme  et  son  siècle. 
Déjà  en  eux  pourtant  perce  le  bon  et  franc  esprit  français  qu'avaient  mis 
eo  vogue  Rapin,  Pithou  et  tous  les  auteurs  de  la  Satyre  Ményppée,  bons 
bourgeois  qui  furent  à  peu  près  sous  la  Ligue  ce  que  fut  le  cercle  de 
Naudé  sous  Richelieu. 

Naudé  était  né  à  Paris,  dans  la  paroisse  Saint-Méry ,  vers  les  premiers 
jours  de  février  1600.  Ses  parens,  honnêtes  gens,  disent  les  biographes, 
étaient  sans  doute  de  petits  marchands  de  ce  quartier  obscur  et  popu- 
leux. Comme  le  jeune  enfant  manifestait  un  grand  goût  pour  la  lec- 
ture, on  lui  fit  faire  ses  études  au  collège  d'Harcourt,  sous  le  professeur 
Padet.  Sa  philosophie  terminée,  on  conseilla  au  jeune  Naudé  la  théolo- 
gie. Mais  son  esprit  critique,  qui  s'était  déjà  nourri  de  Charron  et  qui 
TOME  vu.  29 


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«iiBAit  asBec  Pâlliire  dàimée  «t^saiiie^idr  ItaMlfae,  M 
deftjyUogiMBfcsod  lome  de  la  âoatoaoe,  et  sNntfilt  à  la 
oonHne  à  «De  seienoa  ^s  pwlive^  et^l  «le  i^MifMierilt  pa»  d*MiQi« 
4e.8elHrrer  à  ses  «eMt  ë'ériiâilîan  littéfairo«C'âe«aeliei«heB  t^ 
phiqu66.  C'est  à  oette  époque ,  4e  I4l98.ii  iMS^  fa'ilTfit'tla  oanmJnrmff 
deCkiy-Patiii,  a^eetoqnekilaoftTÎt  ias.kB^oMdvniéâeeiDe  fkatMomau.  Imi 
qu*étudiaoteiieore«tayaDtà|nRet9agÉ«Ba;N«tiiié  MtaitrMt^niiiflin 
par  nn  disooon  fur  les  libelles  (1).  Cette  pD]ilioaiian,iq«l«iéitiebleH 
sans  doute»  quelque  auccës ,  décida  ie  ^préaident  de^Mentoea  ^prcadR  k 
j^ne  savant  pour  bibilotliécaioe*  Qaok(nf4in  paeeil  «mploi  Indémnlt 
de  aesétudes  médicales,  Gabriel  Neudèdnt  l^eeepter^  paro^qn'Mivari- 
sai t  cette  passion  pour  les  livrea^e  noua  yofua—  filat>«anl  se  'éémkfjfft 
en  lui  à  4in  si  baut  peint.  On  iaiaait  §DmÈà  brait  ahMr»d*«De  Beci0d*âiB- 
loiiiés  allemands  qui  devinaieDt  les  mystères  de  ia^  natove ,  à  l'aide  d'oai 
lumière  intérieure,  et  par  une  iatiiitiou  imnséditle.  Le  famaui  déaa* 
nognapbe  Maier  s'en  était  fait  Uapologiate;  i»  secte  arait  de  Denbraas 
^eptesy  comme  en  ont  teujeur»  les  docinDea  mystérleusea^et  soiMalaiel- 
les,  comme  en  ont  trouvé  en  Eapayqe  lea<  A^ombrado  et  plus^i^éoeBifliflat 
eu  France  les  convukionnaiMa  et  le  chaitlatanisaae  de  Cagiiostfo.  Vêaiéf 
YwHêaidsssiUer  l&t^euxde  Vemiméewmnifei-  aimàire  igrtgifrel^wlBffaciit 
lhir«i«ii50}H|fe,  publia  un  traité  eealiieoesliiéresd0»kiAo8ei^naîs{^.llflfBil 
sou  livre  à  M.  de  Guénégault,  oassetller  dua^ten^sea  cobmIb,  et  ilial 
dit  dans  Tépttre  dédicatoire  :  a  Je  coataaa  ingémiemant  la 
n'avoir  eu  -teUe  forée  en  mon«DéPoit,  que ,  éaanant  vol  à  mon 
r.aBcey  par-deasua  les  forces  dema  capacité,  ^cUe  aa'ait  pcn* 
que  ce  petit  Itnrese  deuatpréaauAer  amoieLealfliléëe  nos  flaéritas,  gani 
d'une  teUe  efbrooterie,  que  d'espérer  de  éuypaafmr  angneulv  la  la» 
'  BMère  par  le  flambeau  et  petitea  «atiiioetiea  de  ânes  iWDuyli— a.  a  ifii^ 
gré  oette  modestie,  le  livre  de  jKatidé,iqni  wrait  «été  «écrit  en  quian 
joues,  est  un  diarmant  tnaité  fdein  d'vne  coière  JnrC 
œs  téséàriaaa  ai  «McrJUgiiea  Mres  de  la  Reae-Grolx,  qui  a' 
qu'use  fmège  relmUê  et  una  toar^  empiÊmuMê ,  Iraiifilaail^iaa  pkts  engh 
iaKnes  sotcrees  delauaturs.  Les «iuiîons,  oboiaies, pleines  4e  aaoa etdi 
goût ,  n'y  envahissent  pas  trop  le  texte,  comme  cela  a  lieu  4Ma  ks  pfo* 
dndiofia  postérieures;  et,  l'auteur  ne  roulant  pas  ae4iélrflf«icr  éeVèdSt 
tifua  de  son  ouvrage,  sans  avoir  fencoatré  le  ti'oylfws  4ê  la  xérUi^^ 


(1)  Il  est  intimlé  Marfore,  iGSO,  in-8o,  et  ne  se  trouve  dans  aueime  des  bibliolU^ 
départs.  Il  a  disparu  i  la  Bibliothèque  royale. 

iB|  JUtfnicitoR  à  Urrtmceturla  vérité  49  fhUtf^m^M  Mm  de  itttmCnl'p 
il»,  ita-s»,  nue. 


; 


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OABRIBL  WLXmL  461 

isiyf^i cette  méthode  d^;re98i?e»  qui  plus  tard,  chez  loi,  devient 
£titigaiite  et  ôte  beaucoup  de  leur  charme  au  piquaot  de  rénidition  et  à 
la  Terre  féconde  d'un  style  souvent  poétique  et  saisissant.  Quoi  qu'il  en 
soit,  malgré  les  eiTorts  de  Gabriel ^audé,  et  quoiqu'il  ait  dit  a  qu'après 
avoir  fouillé,  descouvert  et  tronçoooé  cet  arbre  à  la  racine,  il  lui  serait 
Cscile  de  fagoter  les  branches  et  en  faire  des  bourrées,  lesquelles  se  ré- 
duiraient en  cendres,  soudain  qu'elles  seraient  eschauffées  par  la  moin- 
dre flamme  du  feu  de  la  vérité,  a  les  Rose-Croix  trouvèrent  encore 
long-temps  des  prosélytes ,  et  un  défenseur  dans  le  trop  célèbre  médecin 
aoglais  Robert  Fludd. 

U  est  probable  que  l'ouvrage  de  Naudé  sur  Us  Bose-€roir  n'avait  été 
pour  lui  qu'une  courte  distraction ,  au  milieu  des  travaux  plus  importans 
dont  il  publia  le  résultat  après  un  court  voyage  en  Italie ,  pour  pren- 
dre à  Padoue  le  bonnet  de  docteur,  La  mort  de  son  père  l'ayant  rappelé, 
il  revint  bientôt  à  Paris,  et  livra  au  public  son  Apologie  pour  les  grands 
homvus  foMSsement  soupçonnez  de  magie.  C'était  un  noble  et  grand 
projet  que  celui  de  réhabiliter  tant  de  réputations  entachées  aux  yeux 
du  vulgaire  de  nécromancie  et  de  supematuralisme.  L'influence  en- 
core puissante  des  écrits  magiques  et  superstitieux  de  Delrio,  de  Le 
Loyer,  de  Lancre,  de  Godelman,  répandaient  partout  ces  croyances 
erronées.  Les  plus  grands  poètes  de  l'antiquité,  les  réputations  les^ 
■ûeux  établies,  n'étaient  pas  exemptes  de  ces  reproches  de  magie. 
Haudé  justifia  tour  à  tour  Zoroastre  et  Pythagore,  Socrate  et  Cardan, 
Thomas  d'Aquin  et  Salomon,  des  sottes  accusations  dont  on  avait  terni 
leur  mémoire.  Le  livre  de  Naudé.est  donc  un  bon  livre,  bien  conçu,  quoi 
qiu'on  en  ait4it ,  plein  de  science  et  de  faits  curieux;  un  livre  qui  a  fait 
avancer  l'esprit  humain  et  a  aidé  à  le  délivrer  des  préjugés  qui  em- 
barrassaient sa  marche.  Naudé,  dans  cette  Apologie ,  montre  toute  rindé>» 
pendance  d'un  jeune  esprit;  U  repass€.iout par  Vestamine  de  la  raison;  il 
sent,  ainsi  qu'il  le  dit,  que  la  fausse  persuasion  suit  l'ignorance  comme 
FonU>re.suit  le  corps,  et  l'envie  la  vertu;,  il  se  défie  des  témoignages  im- 
primés et  teneontrez  à  talons  sans  les  esplueher  et  examiner  aussi  cu^ 
Tieussmeut  gii*ils  méritent.  L'instant  solennel  de  reconstruction  sociale  et 
de  transition  intellectuelle  dans  lequel  il  vit  ne  lui  échappe  pas.  a  Ce 
siècle,  dit-il,  est  plus. propre  à  polir  et  aiguiser  le  jugement  que  n'a  été 
pas  un  autre,  à  cause  des  changemens  notables  qu'il  nous  a  fait  veoir  par 
1%  descouverte  d'un  nouveau  monde,  les  troubles  survenus  en  religion, 
l*ji»Uuration  des  lettres,  la  décadence  des  siècles  et  vieilles  opinions,  et 
l^invention  de  tant  d'ouvrages  et  artifices.  »  V Apologie  est  le  seul  livre  de 
^audé  qui  soit  un  ouvrage  complet,  conçu  dans  un  but  d'art  et  de  science. 
Ce  n'est  pas  sans  douteice  qpj^'iLa  hiissé  de  pl|iis.remarquable,  maisx*est 

29. 


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452  RBTUB  DES  DEUX  MONDES. 

une  œavre  indépendante  des  circonstances ,  une  œuvre  de  progrès  fkite 
avec  désintéressement  y  et  non  pour  amuser  les  loisirs  d'un  cardinal,  oa 
flatter  un  bienfaiteur^  ainsi  qu'il  arriva  en  général  pour  les  productions 
qui  suivirent.  On  retrouve  d'ailleurs,  dans  V Apologie  des  grands  hommes 
soupçonnez  de  magie ,  presque  toutes  les  qualités  et  les  défauts  du  style  de 
Naudéy  moins  cette  finesse  de  plaisanterie  et  cette  moquerie  sceptique 
que  lui  donna  l'expérience  des  choses  du  monde ,  et  qu'il  montra  plus 
tard  dans  le  Mascurat,  Les  citations  abondent  déjà  ici ,  et  cette  manière 
de  chercher  des  comparaisons  poétiques  dans  l'histoire  (si  fréquente 
chez  Naudé)  revient  presque  à  chaque  page.  S'il  s'agit  de  montrer  que, 
malgré  sa  faiblesse ,  il  peut  essayer  d'attaquer  Terreur  et  d'aborder 
son  vaste  sujet ,  c'est  tour  à  tour  cette  grosse  pierre  qui  éuit  près  d'flir- 
pasa,  et  qui  ne  cédait  pas  aux  chocs  les  plus  violens»  tandis  qu'on  la 
remuait  facilement  en  n'appuyant  que  du  bout  du  doigt;  c'est  cet  oiseao 
de  rtle  de  Chypre  qui  fait  seul  évanouir  des  bandes  de  locustes  et  de  ca« 
valettes;  c'est  encore  la  troupe  de  grenouilles  qui  s'enfuit  au  premier  coup 
que  le  vassal  frappe  sur  l'étang  de  son  seigneur.  Naudé ,  à  l'époque  où, 
très  jeune  encore ,  il  publia  son  Apologie ,  commençait  à  acquérir  one 
certaine  réputation.  Selon  la  mode  du  temps,  on  trouve  après  la  préface 
les  vers  qui  ont  été  adressés  à  l'auteur.  Guy-Patin  le  dit  envoyé  par  Apol- 
lon pour  tuer  Python;  Jonvin  plaisante  agréablement,  en  lui  disant  qœ 
son  style  magique  ne  sera  qu'une  preuve  de  plus  en  faveur  de  la  magie 
qu'il  veut  combattre;  GoIIetet  appelle  son  livre  le  Palladium  des  bons  es- 
prits, et  Gaffarel  l'envoie  aux  cieux,  comme  le  poète  de  la  première  ode 
d'Horace  :  Angelico  tendis  super  astra  volaiu, 

Naudé  commençait  donc  à  se  répandre.  Son  amitié  avec  Guy-Patin  se 
resserrait  tous  les  jours.    Gassendi,   qui  débutait  avec  éclat  par  sei 
Exercitations  contre  Aristote,  étant  venu  se  fixer  à  Paris,  fit  bientôt  k 
connaissance  de  Guy-Patin  et  de  Naudé.  Cest  à  partir  de  la  publication 
de  V Apologie,  et  du  séjour  de  Gassendi  dans  la  capitale,  que  commencè- 
rent ces  réunions  fréquentes,  devenues  depuis  célèbres,  et  qu'on  prit 
dans  le  temps  pour  des  parties  de  plaisir  sagement  ménagées.  Il  n'en  était 
rien  pourtant.  Naudé  avait  à  Gentilly  une  maison  de  campagne  où  ve- 
naient souvent  souper  et  coucher  les  deux  amis.  Gassendi ,  pour  sa  santé 
faible  et  délicate,  ne  buvait  que  de  l'eau  et  s'imaginait  qu'autrement  soo 
corps  brûlerait;  Naudé,  quoique  grand  de  taille  et  fortement  constitué, 
agissait  de  même  et  ne  mangeait  presque  que  des  fruits  et  des  nmi* 
Patin ,  au  contraire ,  faisait  beaucoup  mieux  les  honneurs  de  la  table;  il« 
dit  toutefois  qu'il  buvait  fort  peu  (1),  et  il  a  ajouté,  à  cette  ocaùoOf 

(1)  Utîres  choiiies  de  Guy-Patin ,  tom.  I,  pag.  S6  (de  1648). 


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CÀBRIBL  RÀin>£.  kSS^ 

qQ'H  ne  pouvait  que  jeter  de  la  poudre  sur  l'écriture  de  ces  deux  graods 
hommes.  Je  crois  cependaot  que  pour  mettre  sa  philosophie  Acre  et  cha- 
grine au  niveau  du  scepticisme  rieur  et  modéré ,  bien  que  caustique ,  de 
ses  célèbres  convives,  il  lui  était  besoin,  comme  excitant,  de  quelques 
verres  d'un  vin  généreux.  Mais  de  quoi  parlait-on  au  milieu  de  ce  petit 
comité  philosophique,  réuni  le  soir  autour  du  foyer,  tisonnant  à  Taise, 
abondant  en  paroles  et  en  causeries  animées,  comme  de  vieux  proprii" 
Mret  qui  causent  de  maisons  quHls  bâtissent  ou  de  plantations  qu'ils  sur- 
veulent?  C'est  ce  qu'il  sera  facile  de  deviner,  quand  nous  aurons  rappelé 
ce  qu'étaient  Naudé,  Gassendi  et  Patin ,  ainsi  que  les  quelques  amis  plus 
rares  qui  se  mêlaient  çà  et  là  à  leurs  réunions. 

Gassendi,  l'homme  à  coup  sûr  le  plus  remarquable  de  ce  cercle  philoso- 
phique, et  un  peu  plus  Agé  que  ses  deux  amis,  avait  embrassé  de  bonne 
heure  l'état  ecclésiastique.  Après  de  beaux  succès  dans  le  professorat,  il 
voulut  se  consacrer  exclusivement  A  la  philosophie.  Esprit  érudit  et  cri- 
tique ,  plus  capable  de  réhabiliter  un  système  vieilli  ou  d'en  développer 
l'essence,  que  de  tirer  de  ses  propres  conceptions  une  large  théorie,  Gas- 
sendi essaya  de  reconstituer  les  opinions  d'Épicure.  Venger  un  écrivain 
méconnu,  montrer  qu'il  n'avait  pas  prêché  une  morale  impie  et  corrompue, 
c'était  up  but  digne  d'une  ame  généreuse.  Mais  Gassendi  ne  voulut  pas  s'en 
tenir  là  ;  il  tenta  de  réduire  en  doctrine  et  de  ramener  sur  la  scène  cette  phi- 
losophie vieillie,  de  lui  faire  traverser  les  siècles  par-dessus  le  christia- 
nisme, et  de  l'implanter  tant  bien  que  mal  sur  le  sol  de  la  science  moderne  ; 
il  voulut  enfin,  chose  conséquente,  placer  la  morale  d'Épicure  à  c6té  de 
l'empirisme  que  venait  de  fonder  Bacon.  Ce  n'est  pas  qu'il  ne  prenne  ses 
précautions;  car,  sur  le  titre  même  de  son  livre,  il  déclare  n'adopter  du 
philosophe  ancien  que  ce  qui  rentre  dans  les  idées  catholiques.  Mais  il 
a  beau  faire,  il  a  beau  écrire  à  Campanella  qu'il  se  souvient  du  sceau  qui 
loi  a  été  imprimé  au  baptême,  sa  foi,  ainsi  que  l'a  dit  M.  Cousin, 
n'est  qu'une  réserve  ou  une  habitude.  Admirateur  de  Hobbes,  qui  re- 
QoovelaitDémocrite,  Gassendi  tient  au  monde  ancien  par  Epicure,  au 
monde  nouveau  par  Bacon;  il  a,  à  le  bien  preodre,  fondé  le  sensualisme 
moderne,  car  il  ne  reconnaît  en  dernière  analyse  que  des  sources  externes, 
qae  des  phénomènes  sensitifs  pour  principes  de  nos  connaissances.  Peu 
lui  importe  l'unité  de  l'être  et  son  activité  qu'il  est  accusé  d'anéantir. 
Qa'on  lui  dise  qu'autre  chose  est  la  passivité  sensible ,  autre  chose  la  vo- 
lonté agissante  et  libre;  qu'on  objecte  encore  qu'il  n'y  a  pas  d'individua- 
lité dans  un  être  fictif  qui  se  transformerait  en  des  sensations  successives, 
c^ela  ne  l'empêchera  pas]  de  poser  un  système  dont  la  conséquence  a  été 
déduite  avant  Locke,  puisque  Gabriel  Naudé  dit  en  propres  termes  :  «  Les 


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4Bi  HEYUBi  VêB  Dm  MORUES. 

tÊm^imi  les  portes  de  iMte  coonûmaoe  (i).  »  On  qpipi'cad  qoiéÊt  im 
neiise  iiifloeiics  dat  aToir,  sar  les  hommes  éoÊi  imnm  neos  oceupeas,  Is 
philosophie  sensaaliste  y  et  combieo  les  réunions  deGentiily  démentait 
tfoofent  sceptiques  et  hardies,  au  milieu  des  détours  sans  finxf  oneeeese- 
rieemicale.  Gassendi  appartenait  par  plus  d'un  point  aux  philosophes  de 
siècle  précédent.  Écrivant  comme  eax  ea  iatin,  il  était  comme  eux  éra^, 
ce  qui  Ta  fait  appeler,  par  Tennemann,  le  plus  savant  parmi  iesphileso- 
phes  et  le  plus  philosophe  parmi  les  savans.  C'était  d^aïUeurs  «a  bm^ 
homme  ^  comme  le  dit  Guy^PaUn  dans  une  de  ses  lettres,  parlant  he»h 
eoiip ,  mais  avec  modération ,  prêchant  de  petits  serosanadés  l'âge  ds  àt 
ans,  disert  et  parfois  rhéteur.  U  ne  se  mêlait  guèee  aux  choses  présatei 
que  dans  la  couversatton  intime  et  pour  ea  rire.  Le  portrait  d^pieiiK, 
dessiné  sur  un  modèle  trouvé  4  Rome,  et  que  lui  envoyait  Naudé,  oaaai 
proposition  astronomique  de  Galilée,  l'occupait  beaucoup  plus  qm  ks 
évènemeos  de  son  temps,  fût-ce  même  Texécution  de  Cinq^Mars  et  de 
De  Thou.  Gassendi  était  fort  recberché  parmi  le»  savans  à  cause  de» 
grande  réputation,  cl  une  reine  lui  écrivait  au  milieu  de  sa  gloire:  t Je 
désirerois  cultiver  avec  soin  l'estime  et  la  bienveillanoe  d*Bn  si  graed 
homme  que  vous  esles^  et  d'interrompre  vos  méditatioiis  el  vastre  loiar 
par  des  lettres  qui  soyent  la  conBrmation  de  nostre  commerce.  »  Dam 
ses  rapports  sociaux,  Gassendi  était  fort  doux,  modéré,  et  £Mile  à  h 
discussion.  Aussi,  dans  sa  querelle  avec  Descar^es,  que  je  rappelle  afee 
peine,  parce  que  les  premiers  torts  sont  du  cOté  du  père  de  la  phaesophie 
moderne,  Gassendi  n'employa  pas,  dès  l'abord,  les  termes  méprism 
dont  l'accable  Descartes;  car,  si  Ton  crie  :  O  esprit I  on  a  vite  répeado: 
O  chair! 

Dans  ces  réunions,  où  Gassendi  faisait  preutie  d'une  retenue  et  dHme  bhk 
dération  souvent  éclectiques,  Guy-Patin,  au  contraire,  caractère  fantasque 
onginal,  apportait  un  esprit  souvent  prévenu  d'avance,  caustique,  birdî, 
plaisant  au  fond ,  mais  sous  une  forme  amère.  Si  les  gestes  et  rexténcor 
coïncident  avec  le  caractère ,  ceux  de  Patin  devaient  être  anguleux  il 
saccadés.  Affectant  de  la  froideur  dans  ses  paroles,  et  viaaot  panrtmti 
une  certaine  éloquence  de  conversation  ;  peu  sensible  et  ne  rapportut 
guère  ses  sympathies  qu'à  de  Tamour-propre  littéraire  eu  à  de  Taniili^ 
scientifique,  Guy-Patin,  homme  de  beaucoup  d'esprit  et  d'tme hMéft- 
ture  fleurie  d'ailleurs^  était  singulièrement  tourné  k  riroBîe^l  aa  ssi" 
casme.  U  résumait  en  lui  la  philosophie  deCbafron  ea  son  eM  nés» 

(1)  Apologie,  etc.,  ch.  xvin.  -  Le  sens  qu'atudia  madé  à  ces  paroles  B*eit  peeth 
"  parFa^tgéoénl  de  set  aatreséerltSé 


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tat  et  boQdear,  et  la  partie»  iodme^  jd^ewaneiit  Me#drate»  on  peu 
é9»fttedu  Poiitaj^rtiflddRabelalB,  qo^ilarrait,  dtt-oo,  comneoté.  Ce* 
lait,  à  tout  prendre,  on  homme  très-singalier  et  plein  de  ooi^adictiooi, 
iaerédule,  disant  que  l'enfer  est  im  feu  qui  fait  bouillir  la  marmite  du 
elergé,  comme  Calvin  dit  que  le  purgatoire  est  la  ekimie  du  pape^  et 
après  cela  se  disputant  nvement  arec  un  conseiller  aux  mounaies,  pour 
b  préséance  dans  une  procession.  Il  arait  eacore  d'étranges  antipathies , 
3  était  entier  et  excentrique  dans  ses  jugemens.  Aiosi ,  il  ne  parlait  qu'a* 
?ec  horreur  des  Anglais  :  «  Ils  lui  étaient ,  dit-il ,  parmi  les  peuples  ^  ce 
qa'est  le  loup  parmi  les  brutes*  o  II  détestait  aussi  lelfaEarin,  parce  que 
sa  milson  de  CoraEieille  avait  été  dans  la  guerre  dévalisée  par  les  soldats. 
A  part  sa  bibliothèque ,  qui  avait  dix  mille  volumes ,  4  part  quelques 
amis  littéraires.  Patin  n'eut  guère  d'affection  de  ccnnr.  Sa  place  de  doyen 
de  réeole  de  médecine  et  de  professeur  au  collège  royal,  ainsi  que  ses 
études  et  ses  malades,  lui  demandaient  beaucoup  de  temps  et  ne  le  lais- 
saient guère  aux  jouissances  intimes  du  foyer.  Il  n'aimait  pas  d'ailleurs, 
il  le  dit  lui-même ,  à  se  donner  grand  souci.  Tout  pour  lui ,  dans  la  vie , 
en  dehors  de  la  science ,  se  rapportait  à  peu  près  à  l'argent.  Ainsi ,  il 
écrit  à  un  ami,  en  se  mariant ,  que  sa  femme  lui  apporte  vingt  mille  écus» 
sor  père  et  mère  vivans encore.  Antre  part,  à  propos  de  son  beau-père, 
il  dit ,  et  on  comprendra  facilement  que  ce  n'est  pas  moi  qui  parle  :  a  Ces 
geasr-là  ressemblent  à  des  cochons  qui  laissent  tout  en  mourant ,  et  qui 
ae  sont  bons  qu'après  leur  mort,  o 

Guy-Patin  était  très  flatté  des  fréquentes  invitations  de  Lamoigoon,  Il 
en  parlée  chaque  instant  dans  ses  lettres;  mais  bien  qu'il  se  crût -honoré 
de  ses  rapports  avec  l'illustre  magistrat,  sa  fierté  se  trouva  piquée 
qoand  Delorme  éenvit  que  M.  de  Lamoignon  était  son  Mécènes.  On  dit 
pourtant  que  quelques  grands  lui  offraient  un  louis  d'or  sons  l'assiette 
chaque  fois  qu'il  allait  dtner  chez  eux. 

lia  hardiesse  de  Patin  ne  s'étendait  pas  seulement  aux  choses  de  la  re« 
Kgion  ;  il  disait  des  rois  :  a  Ce  sont  d'étranges  gens  que  les  prhices  d'aujonr» 
d'hol  ^  et  peut  être  que  tels  ont  été  pareillement  ceux  du  temps  passé.  »  Aa 
fond  des  opinions  de  Ouy-Patin  perce  donc  partout  un  scepticisme  iro-^ 
niqae  et  chagrin.  La  ^e  n'est  pour  lui  qu*une  assez  mauvaise  farce  jouée 
sor  de  mauvaises  plandies  par  des  gens  qui  ne  se  connaissent  pas  et  qui 
eurent  se  revoir  dans  les  coulisses  (1).  A  part  ses  ouvrages  sur  la  mé* 
decine,  il  ne  reste  qu'un  seul  monument  littéraire  de  Guy-Patin  :  ce  sont 
ses  lettres ,  correspondance  (armante ,  pleine  de  mensonges  et  de  wéA*^ 
I ,  de  méchancetés  et  de  sarcasmes,  comme  im  joumii  d'aïqourdTlMi  » 


^l4Mr«a«Mfkf^  Stob  l>  va»  lOSL 


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4S6  REVUE  DBS  DEUX  MOHDBS. 

En  effet,  c'est  bien  la  gazette  da  temps,  rédigée  par  ud  esprit  fort  qui  se 
met  à  Taise,  tout  en  ménageant  les  convenances,  par  mi  sceptique,  écri- 
vant non  pas  pour  le  public,  mais  pour  un  petit  cercle  d'amis.  C'est,  i 
coup  sûr,  l'un  des  pamphlets  historiques  les  plus  amusans  que  Ton  con- 
naisse après  les  mémoires  du  duc  de  Saint-Simon  et  les  historiettes  de 
Tallemant.  Guy-Patin  se  peint  tout  entier  dans  ses  lettres  ;  son  indigna- 
tion incessante  contre  les  apothicaires,  qu'il  appelle  de  monstrueux  co- 
losses de  volerie,  sa  fureur  contre  l'antimoine,  son  dédain  des  marchands, 
viennent  interrompre  çà  et  là,  par  leurs  formes  grotesques,  les  boutades 
continuelles  et  les  spirituelles  saillies  de  ce  caractère  plein  d'aménité  et 
d'obligeance  scientifique ,  qui  fut  incrédule  par  vanité  et  incisif  par 
amour-propre.  Sa  nature,  fortement  accentuée,  se  développe  à  Taise 
dans  ces  lettres;  aussi,  il  ne  faut  pas  s'étonner  qu'un  homme,  qui  lai 
était  semblable  en  certaines  parties ,  Bayle ,  ait  trouvé  cette  correspon- 
dance a  pleine  de  traits  vils  et  hardis  qui  divertissent  et  font  faire  de  so- 
lides réflexions,  d 

Tels  étaient  les  deux  hommes  les  plus  remarquables  dès  réunions  de 
Gentilly  chez  Naudé.  Le  précepteur  du  duc  d'Anjou,  Lamothe-le-Vayer, 
venait  aussi  s'y  mêler  quelquefois,  mais  toujours  sur  le  ton  de  cérémonie. 
C'était  un  homme  de  médiocre  taille,  d'une  conversation  agréable ,  fou^ 
nlssant  iofmiment  sur  quelque  matière  que  ce  fût;  un  peu  contredisant, 
à  la  vérité,  mais  sans  entêtement,  parce  que  toutes  les  opinions  lui  étaient 
indifférentes.  Il  s'habillait  singulièrement,  ne  pouvait  souffrir  ancone 
espèce  de  musique,  mais  tombait  en  extase  au  bruit  du  vent;  il  se  maria 
à  soixa»te-dix-huit  ans  pour  se  consoler  delà  mort  de  son  fils;  d'aillenn 
plein  de  connaissances  variées,  mais  qui  n'étaient  nouées  à  aucun  centre, 
il  écrivit  tout  à  la  fois  des  traités  de  morale  à  l'usage  des  princes,  les  q* 
niques  Dialogues  iTOrasiug  Tvhero,  et  les  pages  souvent  graveleuses  de 
l'Hexameron  rustique,  Lamothe-le-Vayer  tenait ,  par  sa  position  dans  le 
monde ,  à  ces  littérateurs  de  cour  dont  se  moquaient  entre  eux  nos 
sceptiques  de  Gentilly,  et  par  la  nature  même  de  son  caractère  littéraire 
à  l'école  de  Naudé,  qui  mêlait  l'érudition  et  l'art.  Tout  donc  entre  loi 
et  les  amis  de  Patin  se  passait  en  poUtesses  ;  il  leur  offrait  ses  livres,  et 
en  revanche  Naudé  l'appelait  le  Plutarque  de  la  France.  Du  reste,  La- 
mothe-le-Yaycr,  qui  mériterait  une  étude  à  part ,  ne  prenait  pas  poor 
médecin  Guy-Patin.  Ainsi,  lors  de  la  mort  de  son  fils,  on  le  voit  ^peler 
seulement  Esprit,  Brayer  et  Brodineau,  qui,  selon  Guy-Patin  (que ce 
jugement  peint  bien  ) ,  envoyèrent  le  jeune  homme  au  pays  d'où  per- 
sonne ne  revient.  A  propos  de  Lamothe-le-Vayer,  je  retrouve  encore 
dans  les  lettres  de  Patin  cette  acrimonie  injuste  qui  le  caractérisait;  il  ^ 
trouve  autant  stolque  qu'homme  du  monde,  mais  voulant  être  loué  sans 


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GABRIEL  NAUDÉ.  4t(T 

jamais  loaer  personne,  et  avec  cela  fantasque  et  capricieux.  On  trouvait 
encore  de  temps  à  autre,  dans  la  société  des  trois  amis,  le  savant  Diodati^ 
Bernier  qui  alla  porter  la  philosophie  de  Gassendi  jusqu'aux  Indes,  le 
poète  Guillaume Colletet,  célèbre  par  ses  amours  ancUlatet,  qui  épousa 
successivement  trois  de  ses  servantes  et  accepta  d'elles,  comme  dot,  les 
gages  qu'il  leur  devait;  le  bibliothécaire  de  Richelieu,  Gaffarel,  lors- 
qu'il ne  voyageait  pas,  et  enfin  Sorbière ,  qui ,  plus  jeune  que  son  maître 
Gassendi,  entra  dans  le  petit  comité  seulement  vers  la  fin,  et  qui  tour  à 
tour  protestant  et  catholique,  retournant  ta  jaquette,  comme  dit  Patin, 
Q,e  dut  qu'apparaître  çà  et  là ,  au  milieu  des  courses  de  sa  vie  aventu- 
reuse, dans  les  réunions  sceptiques  dont  nous  essayons  de  donner  une  idée. 
Le  philosophe  italien  Gampanella,  qui  termina  en  France  son  existence 
orageuse,  dut  aussi  venir  quelquefois  y  causer  de  Hobbes  et  d'Épicure 
avec  son  rival  Gassendi.  —  Pour  Naudé ,  homme  sans  ambition,  sage, 
prudent,  de  mœurs  très  pures,  ne  revenant  guère  des  premières  im- 
pressions, ami  discret  et  réservé,  d'affection  sûre  et  plus  intérieure 
qu'expansive,  Naudé,  dis-je,  écrivain  de  bon  goût,  emunciœ  naris, 
s'était  toujours  tenu  assez  volontiers  en  dehors  des  factions  politiques 
présentes  et  des  coteries  du  temps.  Ayant  à  peine  de  quoi  suffire  aux 
premiers  besoins,  heureux  pourtant  en  cette  médiocrité,  il  aimait  à  faire 
valoir  a  son  petit  talent  dans  la  vie  contemplative,  sans  se  vouloir  empê- 
cher et  empêtrer  dans  l'active.i)  La  modération  était  la  base  de  la  con- 
duite de  Naudé;  aussi,  comme  il  le  dit,  «  il  aimait  à  aller  rondement  en 
besogne,  ne  cherchant  qu'un  gain  honnête  et  modéré,  ne  faisant  point  le 
muguet,  le  maijolet,  l'enfariné,  le  fanfaron,  ennemi  de  toutes  sortes  de 
grivelées,  p  et  préférant  sa  bibliothèque  Mazarine  au  premier  royaume 
d'Europe,  comme  le  cicéronien  Bembo  mettait  le  style  de  l'orateur  latin 
au-dessus  du  duché  de  Mantone. 

Les  soirées  de  Gentilly  devaient  être  fort  amusantes,  lorsque  la  couver* 
sation  était  ainsi  tenue  par  des  esprits  aussi  indépendans,  par  des  types 
aossi  bien  caractérisés.  La  gaieté,  la  folle  joie  même,  n'étaient  pas  inter- 
dites chez  les  admirateurs  de  Rabelais,  et  après  une  longue  causerie  sur 
le  dernier  livre  de  M.  de  Saumaise,  ou  après  une  lecture  du  catalogue 
de  la  prochaine  foire  de  Francfort,  entre  une  échappée  contre  Richelieu^ 
et  quelques  bruits  de  la  ville  sur  les  commencemens  de  Manon  Delorme» 
toute  jeune  encore,  s'il  venait  à  être  question  du  grand  Yossius  et  de  sa 
nombreuse  famille,  on  ne  manquait  pas  de  se  demander  avec  Grotius  :  Scri- 
ieret  ne  accuratius  an  gigneret  faeUiust  A  quoi  Guy-Patin  se  hâtait  de  ré- 
pondre qu'il  s'acquittait  aussi  bien  de  l'un  que  de  Pautre.  L'érudition  litté- 
rah*e,  philosophique  et  médicale  faisait  doûc  à  peu  près  tout  le  fonds  des  in- 
terminables causeries. On  se  tenait  à  l'écart  delà  foule  qu'on  dédaignait 


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4B8  REYUK  DBa  MmL  1I0IIDB8. 

etpoar.  qui  OBnféorivait  gaère.  Ainsi  Gasseadi  trouve  que  la  phikMophM, 
ait  coatenle  de  peu  de  juges  et  doit  éviter  les  jugemens  de  la  foule.  A 
chaque  instant  Naudé  manifeste  aussi  ses  craintes  de  se  profianer,  comme 
il  dit,  jusqu'à  la  Gonnaissanoe  du  vulgaire  (i).  Cette  espèce  d'aristeoratit 
érudite  s'étendait  à  la  littérature;  ainsi,  au  point  de  vue  ducomité  de 
Gentilly,  Corneille  n'est  qu'un  illustre  faiseur  de  comédies  (2)  ;  on  se  me* 
que  fort  agréablement  de  Balzac  quand  il  appelle  un  fagot^  «a  soleil  éi 
la  nuit  (2i),  Gassendi  faisait ,  il  est  vrai ,  des  vers,  dans  sa  jeunesse ,  mui 
il  avait  dit  adieu  depuis  trèa  long-temps  à  ces  sortes  dTamusoeimsi 
quant  à  Naudé ,  il  rendait  volootiera  mépris  pour  mépris  à  cette  littéra- 
ture facile  y  qui  faisait  profession  de  composer  des  fables  et  des  reneoirtrei 
amoureuses  pour  l'entretien  des  femmes  et  des  petits  enfaya.  Ce  dédaia 
mutuel  des  poètes  de  la  cour  et  du  petit  comité  dont  nous  faisons  Tins* 
toire,  montre  bien  qu'il  y  avait  peu  de  rapports  entre  ces  deux  coteriea 
Qu'eussent  en  effet  été  faire  Naudé  et  Gassendi  aux  réunions  de  VhMi 
de  BamboaiUet?  et  de  leur  côté,  comment  les  beaux  esprits  babiliiési 
bien  dfoer  et  A  recevoir  de  grasses  pensions  et  de  bons  bénéfices,  se 
fussent-ils  habitués  à  la  pauvreté  de  Naudé ,  aux  réceptions,  intimes  et 
sans  façon  de  ses  deux  amis?  Aussi  Tallemant  des  Réaux,  qui  abonde  dans 
ses  hisiorieHes  en  récits  de  toute  sorte  sur  les  Voiture  et  les  ChapehiBi 
garde  un  silence  absolu  à  propos  du  cercle  de  Guy-Patin.  Il  tenait  œpea- 
danty  pour  l'allure  franche  et  le  piquant  dn  récit,  A  cette  école  pûHsimm 
dont  Gabriel  Naudé  affectait  de  prenike  le  titre.  Mais  les  beaux  es^ti 
regardaient  ces  érudits  comme  des  savans  impies  et  indécrottables  dsst 
il  était  à  peu  près  inutile  de  parler;  et  pourtant  ne  serait^l  pas  vraiii 
dire  que,  malgré  le  dédain  que  professelent»  A  leur  tour»  nos  savans  peor 
la  littérature  courante,  ils  eurent  sur  La  Fontaine,  sur  Motièse,  une  ia- 
fluence  sourde  et  cachée  ?  L'esprit  si  fin  doiNaudé,  et  qui  nous  parait  leord 
en  certains  points,  parce  que  testes  lesaHnsions  sont  perdues  ponrneus, 
n'est-t-il  pas.un  des  germes  dsfénie  de  l'auteur  de  Tartufe? 

Lamothe-le^Vayer  était  donc  A  peu  près  le  seul  écrivaiade  lacoor^ 
vint  se  mêler  quelquefois  au  cercle  de  Gentilly.  La  nature  de  ses  éerin^ 
en  général  sérieux,  et  sa  maniène  de  voir,  libre  et  fantasque  ei^ses  allnrei^ 
l'en  rapprochaient  volontiers.  Je  crois  pourtant  qu'il  n'y  fut  jasMis  reçi 
sur  ce  ton  de  familiarité  et  de  simple  franchise  dont  on  usait  envers  Ies48- 
Ues  amis.  Il  était  de  la  cour,  etquand  il  venait  A  Gentilly,  la  servante* 
Naudé  mettait  sans  éeiite  la  nappe  hlandiei  et  tâchait  de  sauver,  taal 


Cl)  Voyez  son  Mtologl^^  cb,  jv,  et^ 

(3)  Uitres  choisies  de  G^^y-Paiin,  tom,  I,  pa^  90S. 

(SQtfMCicraf,  pag.fS-. 


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bienqoe  nal^  rbMMiir  de It  tmJÈfm,  ODmme  (MA  éêm H  FUmeêréb 
Lêmwurmmir.  Loiwiae  UanoUie^le-V^yer  ptrlageait  ikMi  lattUe  de  Gêê* 
jeudi  et  de  Neudé^  le  repas,  peur  être  pkia  céfetooimnii ,  n*€o  dereosk 
p»  plus  animé.  Cétait  plutôt  une  débauche  philosophique  qu'une  dé«> 
hauehe  réeHe;  des  ehoses  fert  hardies  pour  le  temps  s'y  disaient  comme 
psf  tradition  de  Meknehton  et  de  Bèse ,  et  on  allait  souvent  fort  prêt  é^ 
«meliuilre  (1).  Guy-Patin^  inspie  eu  son  langage  et  soutenu  par  les  bou» 
tades  ineenoécftteates  et  sans  suite  de  Lamothe,  lançait  eontinnellemeot 
deviresatlequcsy  qu'avaient  peine  à  réprimer  la  modération  de  Ga8« 
fsadi  et  le  caractère  llMïile  et  un  peu  faible  de  Naudé.  Le  cynique  Guy* 
Patin,  qui  se  ménageait  en  public,  et  qui  se  déboutonnait  en  fait  d'opinioni^ 
<»inme  M.  de  Buffon  en  Aiit  de  style,  lorsqu'il  était ofaei lui ,  apportait 
là  tout  ce  qu'iV  avait  amassé  de  fiel  contre  le  clergé,  a  Les  sages  Toya^ 
fiurSy  dit  -il ,  ne  se  moquent  des  chiens  du  village  qu'après  qu'ils  en  sont 
éloignés  et  qu'ils  ne  peuvent  plus  en  être  mordus,  a  Aussi,  à  Gentilly, 
^  haine  presque  voltairienne  se  déployait  à  l'aise  et  contre  la  mokMrtM, 
cmnme  il  dit,  et  eontre  les  eavdioaox,  qu'il  définit  volontiers,  animal 
mônnuy  cailidiN»»inBpaar,  «opax  H  «orojr,  omniaiii bens^Sdamm.  Après 
ia  Bible ,  le  livre  qu'il  admire  le  plus,  ce  sont  les  ^sNMIoiis  de  Galvfai. 
Là-dessus  Naudé ,  que  Patin  se  vantait-pourtant  df avoir  cUiHatsé,  se  ré^ 
criait  fortement.  H  appdait  Luther  uu  moine  défroqué,  et  Calvin  Top*» 
probre  du  naonde.  U  rcjetût  sur  les  actions  des  hommes  le  doute  hardi 
qoe  Patin  professait  en  matière  de  rdigien,  et  ilavaogait,  oaalgré*les  sar- 
casmes de  son  ami ,  que  «  l'offioe  de  notre  esprit  est  de  respecter  l'histoire 
ecclésiastique  et  de  toujours  douter  de  la  civile,  a  Naudé,  (bailleurs, 
i>acillaat  en  ses  convictions  et  comme  un  peu  tremblant  à  la  base,  n'était 
que  trop  souvent  entraîné  à  applaudir  aux  sorties  Acres  et  mordantes  de 
Gay^Patin,  et  aux  vaines  déclamations  de  LamoAc^le-Vayer  dans  ses 
jours  de  mauvaise  humeur. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  pourtant  91^  la  conversation  ne  roulât  que  sur 
une  ironie  religieuse,  à  coup  sâr  nuisible  en  des  matières  qui  appellent 
tonte  la  sévère  austérité  de  rinlelligence.  La  philosophie,  la  science,  l'é- 
rudition, étaient  tour  à  tour  en  jeu,  et,  par  une  bixarrerie  assez  singulière, 
Don-seulement  on  employait,  dans  ces  réunions,  cesnutxlmes  d'état,  ce 
jargon  politique  et  diplomatique  auquel,  ainsi  que  l'a  fort  bien  dit 
M.  Sainte-Beuve  (2),  le  règne  de  Eiohelteu  avait  donné  cours,  mais  encore 
on  j  causait  beaucoup  guerre,  bataiUe  et  stratégie.  Je  ne  sais  si  Ton  doit 

(1)  Lettres  choisieê  de  Guy-Patin,  tom.  I,  pag.30. 

(S)  Portraits  littéraires,  tom.  I.  Aa  tome  II,  dans  i*artide  Béranger,  U  est  fort  Men 
ffiontré  anssi  comment  riilnstre  poète  tient  qaslqpMS-UDeSds'MS  allofët  taMhei  destra- 
i  ti  ons  de  Técole  de  Gny-PaOn  et  de  Gassendi. 


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'480  REYUB  DES  DEUX  VOICBES. 

ttlriboer  cet  enlhoosiasme  militaire  à  l'influeDoe  cheraleresqoe  des  ro- 
manceros eispâgnolSy  ou  à  celle  de  Strozzi.  Mais  oa  n'écrivait  à  cette 
époque  que  la  dague  posée  à  côté  de  l'encrier  et  les  éperons  appendns  à 
la  bibliothèque.  C'est  un  élan  général  et  irrésistible.  Le  grand  Descartes 
prend  du  service  en  Hollande  et  en  Bavière;  Scudéry  se  vante  de  mieux 
quarrer  des  bataillons  que  des  périodes  et  d'avoir  employé  plus  de  mèdies 
d'arquebuse  que  de  mèches  de  chandelle.  Naudé  lui-même ,  par  une  ad- 
miration étrange  pour  l'état  militaire ,  déclare  le  métier  de  la  guerre  ao- 
dessus  de  ceux  c  qui  passent  inutilement  leur  vie  à  fombre  d'une  bi- 
bliothèque (1).  o  n  recueillit  même  plus  tard  le  résultat  des  conléreooH 
stratégiques  de  Gentilly,  dans  un  ouvrage  spécial  (9)  qui  n'a  pas  faitoa- 
blier  Yégèce  et  qu'ont  fait  oublier  Folard  et  Montecuculli.  On  voit,  par 
cette  tournure  guerrière  et  à  demi  politique,  que  les  amis  de  Nandé 
avaient  siibi,  ainsi  que  lui,  du  moins  en  on  certain  point,  l'influence  des 
Idées  du  temps  et  des  ridicules  de  l'époque.  Toutefois  ce  cerde  philoso- 
phique» dont  Gassendi  fut  le  principal  représentant,  eut,  ilfaot  ledire, 
une  immense  influence  sur  les  destinées  de  la  philosophie;  son  esprit, 
après  avoir  traversé  le  xvii*  siècle  en  se  tenant  obscurément  caché,  et 
plutôt  à  l'état  d'application  qu'à  l'état  de  théorie,  dans  les  réunions  de  Mo- 
lière, de  Chapelle»  de  Ninon  de  l'Enclos»  leva  hautement  la  tôte,  qaaod 
le  haut  clergé  du  règne  de  Louis  XIY  eut  perdu  son  éclat,  et  quand 
l'école  sombre  et  claustrale  de  Port-Royal  n'osa  plus  paraître  au  grand 
jour.  Alors  la  philosophie  de  Gassendi  et  de  ses  adeptes,  qui  avait  été 
d'abord  propagée  par  le  voyageur  Bemier  et  l'aventureux  Sorbière,  lot 
poussée  à  ses  dernières  conséquences.  Sensualiste  avec  Locke  et  Condillac, 
rouée  avec  la  régence,  impie  avec  Voltaire,  athée  avec  d'Holbach,  eDe 
vint  achever  son  rôle  dans  un  cachot  de  Bourg-la-Reine,  le  jour  où  s'j 
empoisonna,  pour  éviter  l'échafaud,  le  dernier  représentant  de  ces 
théories,  le  marquis  de  Condorcet.  La  tempête  révolutionnaire,  qui  eo- 
tratna  dans  l'abîme  tant  d'autels,  tant  de  trônes,  et  qui  jeta  au  Panthéoa 
Marat  à  côté  de  Descartes,  sut  briser  tous  ces  systèmes  et  lancer  l'esprit 
humain,  lesté  du  passé,  comme  un  puissant  vaisseau  dans  les  flots  defa- 
venir.  Le  sensualisme  tâcha  pourtant  un  moment  de  se  mettre  à  sa  re» 
morque  et  de  le  suivre;  vain  effort  qui  rappelle  quelque  peu  l'inutile  dé- 
vouement de  Cynégire.  * 

Les  réunions  d'Auteuil  chez  M"**  Helvétius  durent  avoir  des  points  de 
ressemblance  avec  les  soupers  de  Gentilly.  Cabanis  et  Garât  devaient  f 
dire,  seulement  avec  plus  d'esprit  et  de  convenance,  bien  dea  choses 

(*)  Addiiian  à  rw*i.  d€  UiOi  XI,  pag.  iU 
i9)De$tudiomaUarl, 


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GABRIBL  NAUIIÉ.  ,t6l 

qu'avaienl  ditei  autrefois  Gassendi  el  Naudé.  Je  ne  crois  pas  pourtant  qne 
le  caractère  de  Guy-Patin  se  retrouvât  là  en  entier.  Tout  aussi  y  était  plus 
ouvert,  mieux  assorti;  il  y  avait  plus  de  science  du  bien-vivre,  [^lus  d'ai- 
sance dans  la  critique.  Mais  au  fond  ragrément  intarissable  des  cause- 
ries, la  prodigue  verve  du  bon  sens  et  d'un  esprit  naturel,  le  commerce 
facile,  le  doute  modéré  et  un  peu  moqueur,  tout  rappelait Gentiily  dans 
cette  philosophie  accommodante  dont  le  dernier  et  le  plus  vénérable 
représentant,  M.  de  Tracy,  vient  de  mourir. 

Cependant ,  pour  en  revenir  à  Naudé,  sur  lequel  il  est  temps  d'insister, 
le  président  de  Mesmes  le  gardait  toujours  comme  bibliothécaire.  Par 
reconnaissance,  Naudé  lui  dédia  son  Àdvis  pour  dresser  une  hibUothé-- 
^  (1).  Le  sujet,  pour  le  temps,  devait  piquer  singulièrement  la  curio- 
sité érudite  des  beaux  esprits;  tous  les  savans  s'empressèrent  de  lire 
un  livre  qui  n'avait  de  modèle  que  dans  deux  opuscules  assex  ignorés , 
Ton  de  Juste-Lipse  (2) ,  l'autre  de  Richard  de  Bury  (3).  On  trouve  beau- 
coup de  sagesse  et  de  bon  goût  dans  ce  petit  traité,  où  Naudé  professe 
pour  son  époque  les  idées  les  plus  larges  ;  il  veut  que  tous  les  livres ,  hé- 
rétiques ou  non,  soient  admis  dans  ces  vastes  catacombes  de  la  pensée 
humaine,  qu'on  nomme  bibliothèques,  et  qu'il  voudrait  généreusement 
voir  ouvertes  au  public;  il  met  aussi  toute  son  adresse  de  savant  et  tout 
son  amour-propre  de  bibliothécaire  en  jeu,  pour  engager,  par  d'adroites 
flatteries,  le  président  de  Mesmes  à  acheter  des  livres.  Dans  ce  dessein, 
il  procède  par  ces  énumérations  historiques  que  nous  avons  déjà  fait  re- 
marquer dans  son  style.  Invoquant  tour  à  tour  Ptolémée-Philadelphe , 
qui  donna  15  talens  des  œuvres  d'Euripide,  et  Aristote  qui  acheta 
72,000  sesterces  les  œuvres  de  Speusippe,  et  Platon  qui  employa  1,000  de- 
niers à  l'acquisition  des  écrits  de  Philolaus,  et  Hurtado  de  Mendoza  qui 
fit  venir  d'Orient  un  vaisseau  de  livres,  et  Pic  de  la  Mirandole  qui  dé- 
pensa 7,000  écus  en  manuscrits,  et  ce  roi  de  France  qui  mit  sa  vaisselle 
en  gage  contre  un  livre  de  médecine,  il  a  pourtant  oublié,  chose  étrange, 
ce  Panorme,  tant  admiré  des  bibliophiles,  qui  échangea  sa  maison  contre 
nn  Tite-Live.  Si  Naudé  mettait  ainsi  à  contribution  toute  k  science  de 
l'antiquité  pour  engager  son  protecteur  à  augmenter  les  rayons  de  sa  bi- 
bliothèque, c'est  que  la  passion  des  livres,  cette  passion  innocente  qu'igno- 
nient  les  anciens ,  et  qui  a  brouillé  tant  de  ménages  modernes ,  c'est 
que  l'amour  du  booquin  l'avait  absorbé  tout  entier.  Naudé,  d'ailleurs, 
je  me  hâte  de  le  dire,  avait  une  plus  vaste  capacité  d'affection,  et 


(«)  Paris,  len,  in-it. 

(I)  De  bIbUotkecU  epitagma. 


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fXH  RETVB  DBS  DEUX  VONDBS. 

il  aimait  tcms  ies  livres  sans  exception ,  commelS.  Xavier  de  Halstre 
toutes  les  femmes.  Il  ne  reconnaissait  guère,  en  fait  de  livres ,  deox 
divisions 'distinctes y  à  savoir,  le  livre  rare  et  le  livre  commun;  noQi 
pour  lui,  cette  dualité  de  l'être  imprimé  n'existait  pas ,  et  il  absorbùt 
tout  dans  son  vaste  panthéisme  de  bibliophile.  H  eût  presque  dit  de 
ses  chers  volumes,  ce  qu'en  disait  Richard  de  Bury  :  a  Ce  sont  noi 
maîtres;  ils  nous  instruisent  sans  verge  et  sans  férule,  sans  colère  et  sans 
rétribution^;  quand  vous  venez  i  eux,  ils  ne  dorment  point;  si  vous  les 
cherchez,  ils  ne  se  cachent  pas  ;  si  vous  vous  trompez,  ils  ne  murmureat 
janiais ,  ils  ne  sourient  point  de  votre  ignorance  (1).  »  Le  centre  des  af- 
fections de  Naudé,  c'étaient  donc  les  livres.  Il  a  écrit  quelque  part  qaH 
ne  sortait  guère  de  sa  bibliothèque  que  j>oiir  aller  à  la  mangeoire  (S),  et 
je  n'ai  pas  de  peine  i  le  croire,  car  toutes  ses  idées  étaient  tournées  de 
ce  côté,  et  il  eût  presque  fait  comme  le  Florentin  Magliabecchi  qui  man- 
geait et  dormait  sur  ses  livres ,  au  milieu  des  puces  et  de  ses  araignées 
chéries.  La  carrière  de  bibliothécaire  devenait  donc  de  plus  en  phis 
celle  de  IVaudé.  Sans  doute,  il  s'était  souvent  demandé  si  c'était  là  un  état 
honorable  et  utile,  puisque  l'antiquité  ne  connaissait  guère  ces  sortes  (Teo- 
plois.  Ayant  pourtant  le  modèle  de  Yarron  qui  gouvernait  la  bibliothëqoe 
du  mont  Palatin ,  et  plus  récemment  l'exemple  de  Budée ,  d'Heinsios  et 
de  Gasaubon ,  il  se  décida  à  s'adonner  entièrement  à  ces  sortes  de  tra- 
vaux. Gassendi  s'éloignait  de  Paris  pour  mieux  philosopher,  Guy-Patin 
devenait  de  jour  en  jour  plus  occupé  ;  il  faHut  se  séparer  et  se  résoodre 
à  n'entretenir  désormais  ces  doux  commerces  d'amitié  que  par  des  lettres 
fréquentes.  Naudé  aussi  désirait  voyager;  sur  la  présentation  de  Pierre 
du  Puy,  le  cardinal  de  Bagni  le  prit  comme  bibliothécaire  et  secrétaire 
de  ses  lettres  latines. 

Naudé  partit  pour  Rome ,  avec  son  nouveau  protecteur,  sur  la  fin  de  h 
saison,  en  1630.  Le  séjour  de  cette  ville,  où  il  devait  demeurer  douze  ans, 
donna  à  son  caractère  une  souplesse  d'opinion  peu  louable.  On  voit  dès- 
lors  qu'il  habite  cette  vieille  Rome  qui  a  passé  par  touslesabaissemenset 
par  toutes  les  puissances ,  par  toutes  les  vertus  et  par  toutes  les  corrap- 
tions;  on  sent  qu'il  foule  une  terre  où  il  y  a  eu  des  esclaves.  Secrétaire 
d'un  cardinal ,  et  lancé  par  conséquent  dans  un  monde  où  les  opinions 
devaient  être  peu  tolérantes;  forcé  de  faire  ployer  à  chaque  circonstance 
son  esprit  douteur  et  son  indifférence  philosophique,  dans  un  pays  où  il 
n'y  avait  pas  de  milieu  entre  la  foi  et  l'incrédulité,  dans  une  ville  où 
chacun  était  athée  ou  croyant;  obligé,  par  convenance,  de  changer  en 

{i}PhHobibUi,  aLip.n. 
(9}  Mascwrat,  pag.  971. 


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piwélytîHi^  ei  pf^mfà^  e^'propagvidttrelIgîeiiBe,  oeue  «pniwi  soaTeni 
maaîtelée^pwiiuiy  qa^ea  fait  de  culte  a  fallaU  dêmiennr  eomme  Ton 
étotlv(l^.,  Naiidéitit  contrawl  de  s'iiabètoer  à  une  hypocrisie  d'ôptnioiiê 
qui  eeofeDtit  pea  à  son  caractère^  Je  suiS'inéaie  étonné  qu*il  ait  osé  eii«^ 
tietonir  en  Italie  des  liaisons  areo  GrenooKi  dont  la  religion ,  selon 
Patin,  était  aussi  dootense  que  celle  de  Pomponace,  de  Cardan  et  de 
MacfaiaveL  La  politique  théorique  avait  déjà  séduit  Nandé,  car  son 
école  voyait  ayec  peine  la  coterie  de  la  cenr  envahir  un  sujet  qui  était; 
s^oift  elle  y  de  «on  domaine  exclusif.  Gomme  Balzac  avait  mis  du  bel  es*» 
prit  et  du  pbttbus  dans  son  Priitetf,  ainsi  qu'on  disût  alorSy.Nandé  vou«> 
lat  porter  sa  méthode  de  critique  érudite  dans  la  politique.  Quelques 
mois  avant  son  voyage,  il  publia  donc  une  ÀddiUon  à  rHisMre  de  Louis  XI n 
Ce  n'est  pas  une  histoire  méthodique  et  profonde  comme  celle  de  Gom« 
mines ,  on  une  ehroniqne  scandaleuse  comme  les  pages  de  Jean  de  Troyes^ 
mais  plutôt  des  notes  un  peu  diffuses,  où  on  trouve  de  tout,  par  exem^ 
pie,  des  détails  fort  cnrieux  sur  Ui  barbarie  scolastiqne,  et  des  recher- 
ches savantes  sur  le  prix  des  livres  avant  l'imprimerie ,  et  sur  la 
typographie  elle-même.  Naudé  professe  pour  Louis  XI  une  grande  ad- 
miration. Golletet  lui  dit  même,  à  la  suite  des  vers  grecs,  latins  et  fran^ 
çais  qui  suivent  la  préface,  qu'il  n'appartenait  qu'à  lui  d'èclaircir  le  soîeH 
«t  de  blanchir  Vyvoire.  D'où  viennent  de  la  part  de  Naudé,  liomme 
probe  et  incapable  de  mensonge,  ces  continuels  éloges  du  plus  trompeur 
et  du  plus  parjure  de  nos  rois?  Est-ce  parce  qu'il  a  ramené  l'nnité  dans 
la  monarchie ,  en  rabaissant  au  profit  des  classes  moyennes  les  grandes 
têtes  féodales  qui  jetaient  de  l'ombrage  sor  son  trOne?  Non ,  ces  censé'- 
quences  n'étaient  pas  encore  visibles,  bien  que  Richelieu  continuât  alors 
l'œuvre  de  Louis  XI.  Ge  qui  causait  l'admiration  de  Naudé,  c'était  sans 
doute  la  devise  :  Qmi  ne  sait  pas  dissàrnukr  ne  sait  pas  régner.  En  effet , 
les  traditions  de  Machiavel  avaient  propagé  parmi  les  savans  cette  con«^ 
viction,  que  la  politique  est  un  art  de  dissimulation  continuelle  où  la 
boone  foi  est  nuisible ,  et  oùJes  moyens  importent  peu  quand  la  fin  doit 
être  bonne.  Quoi  qn'il  en  soit,  malgré  Fessai  deDudos ,  le  caractère  de 
Louis  XI,  que  Walter  Scott  a  commencé  à  mettre  en  lumière ,  attend 
encore  un  historien.  L'opnsculede  Naudé  devra  entrer  dans  les  roaté^ 
rianx  d'un  livre  qni  avait  été,  dit^Ni ,  écrit  par  l'homme  le  plus  capable 
de  l'exécuter,  par  le  plus  grand  écrivain  qne  la  France  ait  jamais  eu 
peuti^tre,  Montesquieu.  Arrivé  à  Rome,  Naudé  continua  à  s'oceoper 
depotitiqoe.  an  9iiliea<  d'une  raultit^ude  de  publications  érudites,  de 
querelles  sur  l'auteur  de  17mitotioii  de  J.-€.,  de  mémoires  sur  des  points 

(i)  I«/lr«^MÉi#t^dS'€taHNttinr)M^inr  FS^"  Mi 


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461  RETUB    DBS  DBUX  KOIfDBS. 

bibliographiques,  il  consacra  le  temps  que  lui  laissaieut  tous  ces  tranoi 
et  les  affaires  du  cardinal  de  Bagni  à  une  Bibliogrt^hie  poUtique  qui  loi 
coûta,  dit-il,  beaucoup  de  peine  (1),  et  qui  fût  regardée  long-temps 
comme  un  excellent  livre.  Cependant,  les  idées  politiques  de  Nandé 
prenaient  chaque  jour  une  forme  plus  déterminée.  Il  en  était  arrifé 
k  un  certain  fatalisme  historique  qui  ne  voyait  dans  les  révolotioDS 
successives  de  l'humanité  que  des  modifications  semblables  à  cdles 
des  formes  matérielles,  mais  sans  croire  à  rien  de  progressif  dans 
les  idées,  a  Toutes  les  choses  du  monde,  écrivait-il,  sans  en  excep- 
ter aucune,  sont  sujettes  à  divers  bouleversements  qui  les  rendeot 
beaucoup  estimées  en  un  temps,  puis  mesprisées  et  ridicules  en  raotit, 
font  monter  auiourdhuy  ce  qui  doit  tomber  demain,  el  tournent  ainn 
perpétuellement  cette  grande  roue  des  siècles  qui  fait  paroistre  mourir  et 
renaistre  chacun  à  son  tour  sur  le  théâtre  du  monde.  Les  empires,  les 
sectes,  les  arts  ne  sont  pas  exempts  de  cette  vicissitude.  Les  peuples,  après 
avoir  paru  et  dominé  en  un  certain  temps ,  se  ralentissent  par  après,  et 
retombent  dans  une  grande  barbarie,  de  la  quelle  è  peine  ils  sont  relevés 
qu'ils  y  retournent  encore ,  quittant  ainsi  la  place  et  demeurant  dans  nu 
perpétuel  confiict ,  pour  paroistre  les  uns  après  les  autres,  comme  Castor 
et  Pollux,  ou  plutôt  pour  régner  successivement  comme  Atrœos  et 
Thyestes.  o  Cette  appréciation  morne  et  froide  des  empires  qui  tombent 
sans  profit  pour  l'humanité ,  cette  contemplation  inflexible  de  la  société 
toujours  en  douleur  pour  ne  rien  enfanter,  cette  croyance  que  chaque 
temps  s'accomplit,  non  en  vue  de  l'avenir,  mais  pour  soi  et  en  dehors  de 
la  sphère  des  idées;  en  un  mot,  ce  fatalisme  historique,  comme  je  l'ai 
déjà  dit,  durent  conduire  Naudé  à  de  fausses  conséquences  poUtiqncs. 
C'est  ce  qui  arriva  pour  le  malheur  de  sa  mémoire. 

Le  cardinal  de  Bagni  désirait  voir  résumées  toutes  les  vues  de  la  po- 
litique ambigué  de  son  temps ,  toutes  les  idées  romaines  sur  les  matières 
d'état.  Naudé  écrivit  donc  pour  lui,  et  non  pour  M.  d'Emeri,  intendant 
des  finances,  comme  on  l'a  dit  à  tort ,  un  opuscule  malheureusemeot  cé- 
lèbre, et  qui ,  selon  M.  Dupin  afùé  (2),  aurait  été  tracé  sur  le  caneïas  do 
Prince  de  Machiavel ,  dont  il  surpasserait  la  cruelle  profondeur.  Les 
Coups  d^étai  de  Naudé  n'ont  pas  seulement  laissé  trace  dans  le  monde 
politique,  mais  ils  ont  encore  donné  naissance,  parmi  les  bibliophiles,! 
une  querelle  dont  ce  ne  serait  pas  ici  le  lieu  de  parler,  si  la  bonne  foi  de 
notre  auteur  n'y  était  gravement  compromise.  U  est  dit,  dans  la  préface 
des  Coups  d'état,  que  ce  livre,  fait  par  obéissance,  n'a  été  tiré  qs'i 

(I)  Eplstola  Naudteî.  Génère,  isn.  Pag.  SS4. 

(i)  Uttrcs  sur  laprofution  d^fwocah  cinquième  Mition,  tMk  ll|  pag-Sa. 


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GABRIEL  NAUDÉ.  tfiS 

douze  exemplaires,  pour  la  satisfaction  du  cardinal  de  Bagni  qui  n'avait 
«  ses  lectures  agréables  que  dans  la  facilité  des  livres  imprimez,  o  II  est 
en  effet  facile  de  concevoir  que  Naudé  n'ait  pas  voulu  publier  un  ou- 
vrage qui  avait  été  arraché  à  ses  principes,  et  qui  contenait  d*aussi  détes- 
tables doctrines.  Seulement ,  comme  le  cardinal  de  Bagni  n'aimait  pas  à 
lire  les  manuscrits,  on  en  fit  imprimer  une  douzaine  d'exemplaires,  qui 
ne  devaient  pas  sortir  du  cercle  resserré  d'un  petit  nombre  d'amis.  Rien 
donc  que  de  très  naturel  et  de  fort  plausible  jusqu'ici.  Mais  comment 
expliquer  qu'on  connaisse  maintenant  plus  de  cinquante  exemplaires  de 
la  fameuse  édition?  Naudé  mentait-il  dans  la  préface  et  voulait-il  vrai- 
ment abuser  de  la  bonne  foi  du  public  en  lui  donnant  un  livre  qui  était 
supposé  écrit  pour  quelques  amis  ?  Une  pareille  duplicité  littéraire  ne 
répagnait-elle  pas  au  caractère  de  Naudé,  qui  n'avait  d'ailleurs  aucun 
intérêt,  si  cela  n*eût  pas  été,  à  indiquer  le  nombre  des  volumes  tirés?  Il 
est  donc  plus  probable  (et  c'est  l'avis  de  M.  Nodier)  que  l'on  n'a  pas 
retrouvé  jusqu'ici  d'exemplaire  de  l'édition  pnnceps,  et  que  celle  que  nous 
connaissons  n'est  qu'une  contrefaçon  à  petit  nombre  •  faite  sur  un  volume 
envoyé  probablement  à  Paris  par  quelque  ami  indiscret  (1).  Quoi  qu'il 
en  soit,  et  bien  que  le  dessein  de  Naudé  de  n'écrire  que  pour  le  car- 
dinal de  Bagni  pallie  un  peu  sa  faute,  son  livre  n'en  restera  pas  moins  un 
mauvais  pamphlet  en  faveur  de  la  tyrannie.  L'auteur  d*abord  se  croit  à 
une  époque  de  décadence  et  où  les  empires  vont  bientôt  finir,  et,  à  ce 
point  de  vue,  il  lui  devient  nécessaire  de  conclure  que  la  concentration  du 
pouvoir  peut  seule  sauver  les  états.  Il  perce  dans  ce  livre  de  Naudé, 
comme  dans  ses  autres  écrits,  une  grande  admiration  pour  les  minis- 
tres qui  gouvernent  hardiment  :  ainsi  Richelieu  de  son  temps,  d'Am- 
boise  sons  Louis  XII,  et  Sully  sous  Henri  IV.  Toute  sa  sympathie  est 
acquise  à  ces  hommes,  parce  qu'ils  font  converger  la  puissance  vers 
uu  même  centre.  Il  faut  que  rien  ne  leur  résiste,  et  de  là  une  triste 
conclusion  à  la  nécessité ,  à  la  moralité  même  des  coups  d'état.  Ils  doivent 
frapper  comme  la  foudre  avant  qu'on  ne  les  entende  gronder  ;  ils  doivent 
ressembler  à  ce  Nil  dont  les  peuples  ignorent  la  source,  tout  en  jouissant 
de  son  embouchure.  Qu'importe  que  la  loi  s'oppose  aux  coups  d'état  du 
prince;  le  prince  doit  non-seulement  commander  selon  les  lois,  mais  en- 
core aux  lois  mêmes,  si  la  nécessité  le  requiert.  Quant  à  la  moralité  des 
moyens,  Naudé  n'y  tient  guère.  Le  peuple  lui  parait  une  bête  à  plusieurs 
têtes ,  vagabonde ,  errante ,  folle ,  étourdie ,  sans  conduite ,  sans  jugemeot, 
et  de  mécanique  condition.  En  cela  peut-être  il  a  quelque  raison;  mais 


|1)  Gny-PaUn  d*amean  dit  que  PéditUm  frlncêpi  eu  Cmipê  dtitat  Mt  m  peîUi  sarte^ 
Iftîet.  Or,  réditlon  connae  eit  in-K 

TOME  TII.  SO 


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Uê  REYUE  BK6  DBOX  MONDES. 

astMse  à  4ire  qu'il  faille  ea  inférer  qoe  les  ministres  doiveati^étki&r  à 
le  séduire  par  les  apparences,  à  le  gagner  par  des  prédications»  des  mira* 
des  et  de  bonnes  plumes^  propres  à  le  mener  par  le  nez  et  hii  foire  ap- 
|iroa?er  ou  condamner  sar  Tétiqaette  du  sac  toot  ce  qu'il  œntieat? 
Est-ce  i  dire  qu'on^  eùX  bien  fait  de  jeter  quelques  os  en  la  boudie  de 
Luther,  de  lui  cadenasser  la  langue  par  quelque  pension  ou  gros  bénéto? 
Cestoe  quels  morale  niera  toujours,  et  c'est  ce  qu'avance  Gabriel  Nandé, 
qui ,  par  malheur,  ne  s'en  est  pas  tenu  à  ces  erreurs,  et  a  osé  se  faire 
l'apologiste  d'unies  plus  grands  crimes  politiques  dont  soient  ensaaglaiK 
tées  les  pages  de  nos  annales.  En  un  mot ,  et  pour  être  quittes  d'une  ttcbe 
qui  nous  répugsosor  le  nom  de  Naudé,  on  trouve  dans  les  Coupt  éditai 
l'apologie  de  la  Satm-Barthélemy.  Pour  qu'on  ne  m'accuse  pas  de  n'in- 
sister que  légèrement  sur  ce  point,  je  citerai  les  deux  i^ushorribks  pas- 
sages. «  Je  ne  craindrai  point ,  lit-*on  dès  l'abord ,  de  dire  qoe  ce  fol 
nue  action  très  juste  et  très  remarquable,  et  dont  la  cause  était  plus  que 
légitime ,  quoique  les  effets  ea  aient  été  bien  dangereux.  C'est  une  grande 
lâcheté,  ce  me  semble,  à  tant  d'historiens  français  d'avoir  abandooné 
Charles  IX  et  de  n'avoir  montré  le  juste  sujet  qu'il  avait  de  se  défaire  de 

l'amiral  et  de  ses  complices (1).  d  A  la  page  suivante,  on  lit  eneort: 

«  Il  fallait  imiter  les  chirurgiens  experts  qui,  pendant  que  hi  veine  est 
ouverte,  tirent  du  sang  jusqu'aux  défaillances,  peur  nettoyei  les  corps 
cacochymes  de  leurs  mauvat3es  humeurs.  Ce  n'est  rien  de  bien  partir  a 
l'on  ne  fournit  la  carrière;  le  prix  est  au  bout  de  la  lice,  et  la  fin  règk 
toujours  le  commeoeonMot.  »  Jamais,  je  crois,  Fapologie  du  crime  n'i 
été*  écrite  avec  un  pareil  sang-froid.  Il  est  vrai  que,  comme  Naudé  dobs 
le  dit  imoméme  on  ne  parlait  pas  en  si  mauvais  termes  de  cette  eié- 
eutio»  ea  Italie  qu'en  J'rance.  C'est  qoesaos  doute  le  sourenir  des  pro* 
cessions  qu'oq  y  amt  ftiites  en  actions  de  graoes>  n'était  pas^ncore  paaé. 
11  y  a  aussi  à  notre  époque  une  déplorable  iend«ice<[e  fatalisme  histori- 
que qui  cherche  à  justifier  tous  les  crimes  de  l'histoire,  à  substituer  b 
nécessité  à  la  culpabilité ,  le  fait  à  l'idée ,  la  chose  accomplie  à  rintentioo. 
Hommes  inconséquensqui  font  faire  i  la  fatalité  la  conquête  de  la  liberté, 
espèces  d'architectes  en  ossemenset  en  tètes  de  mort,  pareils  è  ceux  qu'on 
trouve  à  Rome  dans  les  catacombes,  ainsi  que  l'a  dit  admirablement 
Mé  de  Chateaubriand,  On  est  ainsi  amené  de  nos  jours  à  justifier  ks 
scènes  delà  Terreur  et  de  la  Saint  «Barthélémy;  l'un  yaut  l'autre.  Qu'as 
rot  tose  feu  sur  sott  peuple  ou  qu'un  magistrat  place  un  orchestre  è  cMé 
daJ'éciiafiimdyqui'oii  se  nomme  Charles  IX  o«  Lebon,  qa'oirmetteBor- 
gia  au  Vatican  ou  Marat  au  Panthéon,  la  vérité  ne  doit  montrer  là  qœ 

(i)Pag.fi6. 


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ÛkÉÊML  Mme*  'wff 

'  ^les  nsflsstiiSy  ponirlesquélâ  ItiiVsl  pas^dv  liâpCèine  dstis  l'histoire .  Le  erfme 
recid  iefc  faoïnnips  égaux ,  oomme  la  mort,  etlt^eate  toojoiirs  crhnoy  aoit 
qaTH  vienne  d*inie  tête  cooromiée,  ou  qn'ft  seit  rœurre  (Ftiii  tribun. 

Tni  dit  tout  ce  tin'fl  y  arëlt  de  condamnable  dans  fourrage  de  Gabriel 
~lfandé ,  sans  essayer  de  le  justifier  en  rien,  soit  par  sa  position  foroée,  soit 
par  les  Idées  de  son  temps.  On  troote  pourtant  dans  les  ÛHrps  étéktî  pins 
de  modération  qu'on  ne  le  pourrait  croire  au  premier  abord.  Ainsi,  il 
avoue  que  la  matière  qu'il  traite  est  penchante  vers  VinjusHce ,  que  les 
coups  d*état  ne  doivent  venir  qu'à  la  défensive  et  non  à  rofTensive ,  pour 
conserver  la  puissance  et  non  pour  l'agrandir  ;  qci^ls  ne  doivent  appa- 
raltrer  qné  eomme  des  comètes,  des  tremblemens  de  terre  et  des  érup- 
tions; qn^  7  fsut  procéder  en  Juge,  non  en  partie,  en  médecin,  non 
en  tiourrean  ;  qu'ils  ne  doivent  se  trouver  dans  la  vie  -des  rois  que  comme 
sur  les  médailles  des  hérétiques,  où  II  y  a  un  pape  d'un  côté  et  un  diable 
de  l'autre.  Tfandé,  selon  la  mode  de  son  temps,  croit  que  tout  a  été 
finesse  et  tromperie  dans  Kbistolre,  et  il  Ta  même  (jugement  singttHer 
chez  lui  ! }  jusqu'à  ranger  dans  ce  nombre  la  conversion  de  Ctovis  et  les 
miracles  de  Jeanne  d'Arc.  Pourtant,  on  trouve  çà  et  là  dans  son  livre 
des  idées !it>érales,  qui  font  singulière  figure  au  milieu  de  la  politique 
despotique  et  cntelle  qui  y  est  prêcbée  à  tontes  les  pages.  Ainsi ,  Il  dit 
quelque  part  qtf  il  ne  faut  pas  assigner  de  bornes  à  la  démence  des  rois, 
parce  qu'elle  est  comme  Pinfini  et  qu^Ale  n^  doit  pas  avohr  de  limites. 
PIqs  loin,   il  veut  que  les  emplois  soient  abordables  à  tous,  et  à  tM) 
propos  il  ajoute  que,  malgré  son  estime  pour  la  noblesse,  il  préfère  le 
sofeil,  qui  produit  du  dedans  là  lumière,  à  la  lune,  qui  la  reçoit  du 
dehors,  les  tortures  hii  paraissent  aussi  injustes,  et  il  -ose  écrire  t|He 
le  maréchal  d'Ancre  n'eût  pas  été  moins  justement  pnni ,  qnand  on  ne 
Téûc  point  tratné  et  déchiré;  Quant  aox  limites  que  doit  avoir  l^oiiéis- 
sance  enters  les  rois,  il  n'ose  guère  aborder  la  question.  Cette  détermi- 
natioil  du  pouvoir  royal  eût  été  corieu^  dans  sa  bouche.  Toici  les  sevis 
passages  que  j'ai  trouvés'  dans  ses  Coups  et  état  sur  ,ce  sujet  :  a  Quand  te 
soave^fn  use  de  son  pouvoir  autrement  que  le  bien  publie  on  le  sien, 
qui  n'en  est  point  séparé ,  le  requiert ,  il  f^it  plutôt  ce  qui'  eist  de  la  pas» 
sionêt  de  l'ambition  d'un  tyran  que  rofflce  d'un  roi.  p  Ailleurs,  on 
trouve  môme  cette  pensée  plus  avancée,  que  a  les  sujets  ont  le  droit  de 
donner  ordre  aux  déportemens  d'un  tyran.  » 

De  l'esprit  général  des  ouvrages  politiques  de  Naodé  ressort,  nous 
Tavôns  dit,  une  grande  sympathie  pour  les  ministres  supérieurs  qui 
s'emparent  de  la  puissance,  et  qui  sont  comme  une  incarnation  du  pom- 
voir.  Il  se  plaît  à  tracer  le  portrait  du  ministre  dont  il  se  fait  un  idéal,  «fe 
veux  qu'il  vive  dans  le  monde  comme  s'il  en  était  dehors,  et  aa-dessoos4a 

30* 


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468  âBYUB  OBS  OBUX  MONDES. 

dd  commes'U  en  était  aa-dessiia;qa*il  t'imagine  que  laoonr  cal  le 
monde  où  il  se  dit  et  se  fait  le  plus  de  sottises,  où  les  amitiéa  aoi^ks  pl« 
capricieuses  et  iotéressées,  les  hoibmes  les  plus  masqués,  les  maiiret  ks 
moins  aCfiectionnés  à  leurs  serviteurs;  qu'il  se  pique  d'une  pauvreté  gêaé» 
reuse,  d'une  liberté  philosophique,  mais  séyèrey  et  d'une  grande  obill- 
nation  au  bien.  »  Sans  doute,  le  portrait  qu'il  trace  est  beea; 
livre  n'en  est  pas  moins  un  livre  blâmable ,  à  propos  duquel  on 
toujours  redire  ce  que  l'auteur  avait  écrit  autre  part  :  c  La  pli 
sçavans  a  la  vertu  de  servir  bien  souvent  d'ombrage  aux  plus 
imperfections,  et  d'eslever,  sur  la  noblesse  de  ses  aisles,ce  qui  méritcfeit 
d'estre  caché  dans  les  profonds  abysmes  de  Toubliance.  »  Oui»  aune 
saurait  trop  le  répéter,  ce  sera  toujours  une  tacbe  pour  la  mémoire  et 
Naudé  que  son  apologie  de  la  Saint*Barthélemy.  U  y  a  des  orimes  fe'si 
ne  peut  essayer  de  justiGer  sans  s'exposer  aux  malédictions  de  l'histeire. 
liais  en  ne  jugeant  que  pour  ce  qu'elles  valent,  ces  pages  arrachées  à  h 
faiblesse,  on  peut  conclure  que  le  livre  de  Naudé  tend  à  imnaoler  eolié* 
rement  le  droit  privé  au  droit  public.  U  en  était  encore  au  point  de  vie 
de  l'antiquité*  Le  christianisme  vint  apporter  dans  la  société  Tidée  poiee- 
tionnée  du  droit  particulier  et  de  l'égalité  individuelle.  Tontes  les  Um-* 
'  dances  de  progrés  doivent  donc  se  manifester  dans  le  sens  de  ralUaneede 
plus  en  plus  intime  de  ces  deux  principes.  C'est  là  le  problème  de  r»c> 
nir.  Le  livre  de  Naudé,  qui  était  rétrograde  en  politique ,  dut  peu  ern- 
renir  à  la  liberté  de  pensées  de  ses  amis.  Aus^j  on  trouve  dans  les  letlisi 
de  Guy-Patin  un  passage  extrêmement  caractéristique  où  ropiniouëa 
hardi  sceptique  échappe  presque  en  entier  et  achève  de  mettre  en 
lumière  le  cercle  philosophique  de  Gentilly.  Ce  fragment  a  été  écrit 
après  la  mort  de  Naudé,  et  11  est  d'autant  plus  remarquaible,  qae 
l'Acreté  de  Guy-Patin  s'y  montre  a  l'aise  :«  L'auteur  des  Coups  éTAst, 
dit-il,  étoit  en  un  lieu  où  il  flattoit  le  pape  et  son  patroo  le  cardîMl 
de  Bagniy  où  il  avoit  peur  de  l'inquisition  et  de  la  tyramiîe»  et  de 
laquelle  même,  à  ce  qu'on  m'assure;,  il  avoit  été  menacé:  de  plus,  fl 
avoit  une  grande  pente  à  nh  prendre  aucun  parti  de  religioQy  ajmt 
l'esprit  tout  plein  de  considérations,  réflexions  et  (diMervations  politkpMS 
sur  la  vie  des  princes  et  le  gouvernement  du  monde,  et  sur  la  moi- 
nerie  aujourd'huy  répandue  en  Europe ,  de  sorte  qu'il  étoit  bieo  pfaMt 

politique  que  catholique Je  ne  veux  pas  oublier  que  H.  Nandé 

faisoit  grand  éut  de  Tacite  et  de  Machiavel;  quoi  qu'il  en  soit,  je  creii 
qu'il  étoit  de  la  religion  de  son  profit  et  de  sa  fortune,  doctrine  qu'il  arot 
puisée  à  Rome.  Mais  ce  discours  m'ennuye;  je  tous  dirai  en  un  mot,  jt 
ne sçais  qui  a  été  le  meilleur,  ou  l'écolier  ou  le  maître,  Rome  ou  Paris, 
ie  cardinal  de  Bsgni  oo  990  secrétaire  I9U01  le  (»irdioal  Naj;arin  go  s« 


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l^bliotliéeaire;  je  me  penoade  poortoit  qoe  loi»  éms,  n'éteéent  giière 
inquiétez  ni  chtrgez  de  scrupules  de  la  oonscîeQoe*  Tontefott,  je  vous 
dirai  que  M.  Naudé  étoit  uo  homme  fort  sage  »  fort  réglé ,  fort  prudent^ 
qai  sembloit  YÎTre  dans  nue  certaine  écpiité  naturelle»  qui  étoU  très  bon 
auoai ,  fbrt  égal  et  fort  légal  »  qui  s'est  toujours  fort  fié  à  moi  et  à  personne 
antaint  que  moi,  si  ce  n'est  peut-être  à  feu  M.  Moreau;  point  jureur  ni 
mocqueur,  point  ifrogne;  il  ne  but  jamais  que  deTeau.  Je  ne  l'ai  jamais 
Yu  mentir  à  son  escient;  il  prisoit  fort  Charron  et  la  RépubUqfêê  de  Bodin. 
Je  coDcludsque  Thomme  est  un  chétif  animal  »  Iràen  bizarre  »  si^t  à  ses 
opinions,  fuitasque  et  capricieux  »  qui  tend  à  ses  fins ,  et  qui  toute  la  rie 
n'aboutit  guère  à  son  profit ,  particulièranent  en  pensées  non  seulement 
Tagues,  mais  quelquefois  extravagantes.  Aussi  plusieurs  n'y  réossirent*ils 
pas»  el  même  M.  Naudé  n'y  a  pas  trouré  son  compte,  tout  savant  qu'il 
foi  (1).  o 

On  peut  conclure  de  cette  dernière  phrase  que  la  fortune  n'abonda 
pas  toujours  chez  Naudé*  En  effet,  son  goât  assez  dispendieux  pour  les 
Myres,  et  la  pension  modique  que  lui  faisait  le  cardinal  de  Bagai  devaient 
à  peine  suffire  à  ses  besoins,  avec  le  peu  de  profit  que  lui  rapportaient  ses 
IlTree.  Modeste  en  ses  goûts,  toujours  en  causeries  desavant,  ou  enfermé 
daos  sa  bibliothèque,  il  semble  cependant  qu'il  aurait  dû  trouver  dans  ses 
ressources,  sinon  Yawrea  mecfiocrHss»  du  moins  le  m  amgmUi  ëomà.  O 
faut  qu'il  n'en  ait  pas  été  toujours  ainsi,  car,  dans. un  Tolnme  d'épi- 
grammes  latines,  publiées  plus  tard ,  en  1650 ,  il  remercie  les  frères  du 
Pay  dei'amitié  qu'ils  ont  bien  voulu  lui  montrer  lorsqu'il  était  à  Rome, 
qmmwÊviM  egeniem  (2).  Ce  peu  d'aisance,  ainsi  que  ses  goûts  sditaires  de 
bibliophile,  empêchèrent  sans  doute  Naudé  de  se  marier.  La  femme  ne 
lui  paraissait  guère  qu'un  ustensile  assez  inutile  dans  l'ameublement  d'une 
nuôson.  n  préférait  a  une  bonne  mesnagère  et  couturitee  à  une  sça- 
vante  (3).  »  On  lui  fait  même  dire  dans  le  Navàcoana  :  c  Je  ne  pourrai 
me  résoudre  à  me  marier;  ce  marché  est  trop  épineux  et  plein  de  dif-« 
ficulté  pour  un  homme  d'étude,  s  H  était  de  l'avis  de  l'avocat  Guion, 
qui,  en  achetant  un  exemplaire  des  oeuvres  de  Mii«  de  Goumay,  citait 
certain  passage  d'Accursc  :  Puer  bibens  vinum  et  mulier  Icquens  laiimum 
nunquam  faeietii  finem  bimim  (4).  Naudé  était  peu  susceptible  d'une 


(1)  Lettrée  choisies,  tom.  IV,  pag*  S31  et  suivantes. 

fS)  Naudca  epigrammata,  iOSO,  in-lS.  Dédicaee. 

(^  Masewral,  pag.  SO. 

(4J  Walter  Scott,  dans  atf  savant  ouvrage  inUtalé  :  Demont^ogy  and  Witcheraft^ 
ch.  Ti,  a  inséré  un  Jugement  assez  eurieux  sur  Naudé.  Hais  l'illustre  écrivain,  mal 
informé  sans  doute,  fait  de  notre  auteur  un  ecclésiastique.  Cest  une  erreur  qu*il  est  utile 
de  relever,  les  éditions  populaires  de  Walt«r  Scotl  se  multipUftnt  de  plÙ  m  pluS  sa 
France. 


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iteM^^oiÉHe  é>BMtfleotftMi  IHea  tMCie.  De«M  temps; 
eoBfîilaU^è  peo  prèvëaw  Iwf^iiattiemsde  11i(M^^  <to  AunbooillÉlelfl 
boraiieaiiirfiiiiltat'^e  lft>can»dB  A^ymnM  lie  TeûÉTB.  Le  godt  «ipagfli 
pour  let  êai/hmmem  tlnMdeMspiM  eilM  dénimtuB  amourein  ne  il 
trmifeîi  guèrefae  diiis'lel  Mvtmm  dbm  les  peèsies.  Une  seide  feminel 
€eUe4poqiieéliit«qp«l»lto  de  notir  les  bHIleiites  émotions  de  rÉoioiir,  ft 
eette  femme  peussaififai  jaleuie  jnsqu'à  l'asstssinat  :  c'était  GMsiiie. 
Quant!  à  Maoéà,  la  yie  dot  a^afmirpmF  hii  ni  seeonaea  Tives  ni  espé* 
ranees  ééçuei«  llJa  pfit  dét lUoeé  ponr  ee  qu^eNe  faut ,  né  la  dorai 
pas  de  trop  df  îMasiona^  n^ér  raafcnHRssant  pta  de  tnop  de  dégoûts,  eéh 
tance  sans  ooDOMtfatioa»  ilhmu  et  sans  épanoulnement  au  debort; 
▼le  qni  nei  s^est  pm  evéé  dldolès  aiofoeUes  il  fant  saorifier,  et  qui  s*éd 
fait,  ee  dehors  de  rart ,  an  but  d'évaditnm  spécisie.  Tontes  les 
avaient  peu  à  peu  disparu  de  son  ame,  au  profit  de  la  grande 
qsà  le  dominait,  l'asHiir  des  Irms.  Il  s'étnt  développé  on  goiae 
d'indifiiénaee  aoqaense^aai 'fond  de  cette  exisliiDoe  qui  avait  été  «i 
peu  laîaiée  à  éllesavle,  et  nonrcboyée  à  tout  propo»,  mdlHniieÉI  liMlè 
en  des  lètes  et  en  de  dan" présens,  comme  ceHe*  du  peiéte  rjnaiid 
par  etempie  y  ou  #tt  tBvd«slle  é»Ve4lBîrev  Pendant  aen  séjQiir  ê  I^ 
il  avait  pais  quelque  dMse'd^idfte»  et  de  psvferm^  dans  leuulUla 
Dans  la  cité  éternelle  qneiléran  avait  brûlée,  el  que  les  ptélettESi 
mettaient  à  l'enean,  eu  eiaiqae  vice  avait  son  temple,  et  où,  sdai 
l'espreaston  deMareoe ,  il  j  avait  moins  d'hommes  quede  dieux,  ssH 
les  pordques  ob  afuîeiit  été  attehées  les  proscriptions  de  SjfUa  et  4» 
triumvirs,  il^réva  rapotbéose  des  tyrans  et  reloge  de  la  SaJuc-UfeHM* 
lemf.  Cette  ^faiblesse  a^^mal  tourné  àNaudé.  D'autres  ettC  leuéftaq»- 
sltion  sans  qu^on  les  es  ait  blânés;  d^autres  ont  iroifvé  de  baMssvatt 
à  Fliilippe»le*-Bel«tdes  «ertnsàilMbespierre.  Il  commence  mémoMel^ 
nirà  peu  prés  promré^  par  des  pièoes  et  des  témoignages  aotheliliqeOt 
que  laSaint-^Dartliélemf  a  été  plntétone  mesure  piése  èlalégére  cCsM 
grande  rédenon  (1),  qi/un  massadre  projeté  lottg«4enipa  à  ravaastf  ic 
mûri  dans  yemtve.  Je  crois  qu'il  serait  assez  piquant  de  rapproefierii 
jugement  de  Naudé  les  opinions  de  quelques-uns  de  nos  eoniemponto 
fort  avancés  en  fait  d'idées  de  liberté  et  de  progrès  aoeiai ,  qui  ont  tldd» 
je  ne  dirai  pas  de  justifier ,  mais  au  moins  d'expliquer  la  Saint-Bariité- 
lemy.Le  plus  illustre  d'entre  eux,  avant  de  s*être  jeté  hrusquemeotdaBi 
les  luttes  de  la  démocratie,  moaira  en  l'une  de  ces  admirables  luecfcs-  1^ 
res,  qui  n'ont  pas  été  le  côté  le  moins  vif  et  le  moins  retentissant  dt  a  1^ 
gloire,  une  approbation  assez  prononcée  de  la  IJ^nc.  Plus  récemmevlf  n 

.  .(t)  Yoyoz  le  tome  ¥11  de  l^iceUante  oeUectton  pvbliée  par  M.  INn^^Qa^ 
tous  le  UUe  à^ArcMvc9  curieuse  de  l'histoire  de  France^ 


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mmàé  4n 

écrivains  qu'on  peuli  pour  le«rt  ofMom  coMckiicnwg  «t  abfo* 

r«pproclMir  de  If^  de  I^  Meinaif^  MM.'Boelieff  ^lloiii^  dsM  IHi^ 

ces  bette»  préfaces  dont  Ufrfooit  préééder  les  TokAMi  de  leur  IfltM^ 

lrai#iilaéf#i<eIar^TOlfil4iiifrêi»ç«isiv  oaldk€eq«'lâ^lattl07«leBeiil|>ei« 

aibiB  de  haaarctor  peor  la  Jnstiâcatioii  Hkéerîqiie  de  eette  déplorabtejeor* 

néeduSiJM^IS/ra.  QmotàNtttdé,  il  j  a  «ne  ekeie  qei  «pK^pie  periti» 

teflMDt  10»  éloge  deCharles  IX,  et  je  m'élenae  q«'en  ne  l'ait  pas  encore 

liBT)iiqiiée*  Nandé  avail  dû  oonoaHreHebbes^  qui  était  lié  aree Gassendi; 

oe  dn  mebis ,  s'il  ne  Tarait  jamais  tu  f  il  adoptait  les  principales  idées 

de  sa  philosophie  «  Or,  on  sait  que  cène  phUosephie  aboottisant  en  poli* 

tique  an  despotiunef  Tantenr  avait  en  la  logîqne  de  son  système,  et  avait 

quitté  L'àngleterre  lorsde  rexécotien  deCiMurles  P*,  ponrj  revenir  quand 

Gromvrell  y  eut  as9i8  sa  dictature^  pavée  qu'il  lui  devait  respect  comme 

despote.  Il  n'est  donc  pas  étonnant  que  eet  homme  singulier,  qui  croyait 

à  pause  à  Dieu,  et  tremi>)ait  è  la  pensée  dn  démon,  qui  n'avait  pas  fbi  à 

la  liberté,  mais  qm  dressait  un  autel  à  latyrranie;  il  n'est  pas  étonnant 

qœ  Hohbes  ait  laissé  qnelqnes-unesde  sés^dées  à  Nsnidé.  Toutefois,  et 

je  me  hâte  de  le  dire,  l'auteur  des  Ooaps  d'éSsI  n'a  saisi  dans  Phistoire 

qaeieeùtépartienlier,eenereteteonlîagent;  bien  qu'il  vécût  au  temps  de 

Vieayles idées delaMencamiowi lui-éebappent  absolument.  Le  hHe  de 

FiBSoi  ,  du  général ,  de  l'absolu  dans  le  développement  humain,  n'a  pas  été 

ccMKipvis  par  lui.  Notre  sièele ,  fécond  en  grands  historiens,  a  au  contraire 

parfaitemeatprofité  deces pensées;  mais  peut-être  est'^i  à  craindre  qu'on 

ne  ftiasft  peu  à  peu  disparaître  les  hommes  sons  les  idées,  et  il  serait  à 

déairer  que  le  sens  juste  et  modéré  reprltun  peu  de  son  empire,  et  réta- 

bits^ea  leur  vrai  lieu  certaines  portions  grandies  ou  rabaissées  è  tort. 

M»  Ciuérard,  dans  un  excellent  travail  sur  l'ininenee  dn  dergé,  sons  les 

dem  premières  reees,  inséré  récemment  aux  Biémeires  de  l'Académie 

dea  kieeriptiens,  a  redressé,  à  propos  de  Gharlemagne,  par  exemple, 

q»elcpies«uns  de  ces  jugemens  exagérés. 

San  protecteur  étant  mort  en  1641,  Naudé  se  trouva  de  nouveau  sans 
eaaploi^  Le  cardinal  Barberin  se  l'attacha;  mais  cela  ne  dura  guère,  car 
o»  le  voit  bient<H  nommé  médecin  de  Louis  3CIII  avec  appointemens  ; 
pwa,  l'année  suivante,  Rieheliett  l'appeHe  pour  en  faire  sonbîbHothé-^ 
casre  :  mais  ce  ministre  étant  mort  presque  immédiatement ,  Mazarin  lui 
dooaa  le  même  empU>i>.  De  retour  à  Paris ,  Naudé  continua  sans  doute  à 
^vair  G«iy*Patia^  Quant  à  Gassendi^  il  était  en  Provence,  Les  petites  réa* 
Biaos  pMOBophiqnee  ne  darent  donc  plos  avoir  le  même  charme;  la  pé* 
tukmea  dalajeaoeese  était  passée;  l'êge  était  venu,  etavee  hii  la  vraie 
af^rémtion  des  ehoses>  Les  soupers  furent  phis  rares  et  moins  égayés, 
etraarnedotpasf  IsraMr)  eoBMaa  aux  réunions  postérieures  d'Anteuil, 


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472  REVUE  I>ES  DEUX  MONDES. 

la  belle  résolutioQ  d'aller  se  noyer  en  compagnie  après  le  repas.  D'aiDans 
cette  époque  de  la  vie  deNaudé  se  passa  presque  en  voyages continoelsiMr 
chercher  des  livres.  La  Hollande  y  l'iulie,  l'Allemagne»  l'Angletenc, 
furent  tour  à  tour  visitées  par  lui  ;  et  il  en  rapporta  les  îmmeiiseB  ii> 
chesses  qui  fbrment  aujourd'hui  la  bibliothèque  Mazarine.  Uo  «oteor^ 
temps  nous  l'a  peint  d'une  manière  assez  comique,  sortant  pieîn  de  po«- 
sière  et  de  toiles  d'araignées  de  chez  les  bouquinistes  qui  lui  veodiiat 
les  livres  en  bloc  et  par  tas.  Que  d'innocentes  jouissances,  qœ  de  dâ* 
cieuses  surprises  ne  dut  pas  éprouver  le  bon  Naudé ,  lorsqu'il  reocootnit 
ainsi  mille  trésors  enfouis  comme  la  perle  dans  le  fumier!  Chaque  déoM- 
verte  nouvelle  l'animait  à  la  recherche  :  il  se  souvenait  sans  doute  que 
Logius  avait  trouvé  Quintilien.  sur  le  comptoir  d'un  charcatier,  et  qv 
Papire  Masson  rencontra  les  œuvres  de  saiot  Agobard  chez  un  reliev, 
qui  allait  en  faire  des  couvertures.  Aussi  nulle  fatigue,  nulle  priraiia 
ne  lui  coûtait  pour  fonder  l'un  des  plus  beaux  dépôts  littéraires  ^  y 
ait  en  Europe.  En  revanche,  la  bibliothèque  Mazarine  n'a  pasntee 
toutes  les  productions  de  son  fondateur ,  et  l'on  s'est  contenté  de  dmma 
son  nom  à  je  ne  sais  quel  méchant  escalier. 

On  comprend  que  Naudé  ait  aimé  Jdazarin.  Qu'importe  que  Maan 
fût  un  ministre  cruel  et  despotique?  n'avait-il  pas  le  goût  des  livres, 
n'envoyait-ii  point  Naudé  dans  toutes  les  contrées  de  l'Europe,  avec  per- 
mission d'acheter  ce  qu'il  y  trouverait  de  curieux?  Aussi  je  pardonae 
volontiers  à  Naudé  d'avoir  admiré  Mazarin,  et  d'avoir  écrit  en  sa  fitfev 
son  chef-d'œuvre,  le  Maseurat  Ce  n'est  pas  que  Naudé  eût  beaueoop  i 
se  louer  de  la  générosité  de  son  protecteur,  qui  lui  avait  donné,  pour  look 
faveur,  deux  petits  bénéfices,  un  canonicat  de  Verdun,  et  le  prieuré  de 
l'Artige,  en  Limousin,  qui  rapportaient  1,200  livres  de  rente.  A  enjafer 
même  par  un  passage  du  Maicurat,  Naudé,  qui  avait  une  multitude  de 
frères  et  de  neveux,  qu'il  lui  fallut  peut-être  aider,  n'était  pas  très  à 
Taise  dans  ses  finances.  Quand  Sainct-Ange  reproche  à  Maseurat  d'être, 
«  non-seulement  mouchard,  mais  encore  conseiller,  émissaire,  advocat, 
factotum,  secrétaire  du  cardinal,  »  Naudé  lui  fait  répondre  :  a  Je  voa- 
droiâ  que  tu  eusses  menty  toute  ta  vie,  et  que  ce  que  tu  viens  de  dire  liât 
véritable  ;  je  ne  serois  pas  affamé  comme  un  rat  d'église,  ou  chargé  étv- 
gent  comme  un  crapaud  l'est  de  plumes.  »  Le  Jugement  de  taaf  eefâê 
M  éerU  conlre  Mazarin,  plus  connu  sous  le  nom  de  MaMcnrai,  est  m 
pamphlet  fort  amusant  contre  tous  les  écrits  connus  sous  le  nom  de  Mh 
zarinades.  Une  portion  toute  nouvelle  du  talent  de  Naudé  s'y  montre  à 
l'aise  et  presque  à  chaque  page.  C'est  une  plaisanterie  attique,  on  nr- 
casme  de  bon  goût,  une  causticité  sans  amert«nie,quidoime  déjà  idée 
de  la  manière  toute  nouvelle  que  déploy»  plus  tard  Pascal  dans  U$  Pinssii* 


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CABRIEL  NAUBi.  47S 

Met.  n  n'y  a  pas  Ici  de  basse  flagornerie  pour  Mazarin  ;  s'il  tait  le  mal» 
n  moii»  le  bien  qu'il  ayance  est  Trai.  H  reconnaît  plnsieurs  des  Mazari- 
•des  «  composées  arec  addresse,  ingénieusement  desguisées  et  propre- 
lent  assaisonnées.  »  Il  règne  dans  toot  le  livre  une  critique  si  saine, 
me  réserve  si  sage  »  que  l'un  des  plus  acharnés  ennemis  du  cardinal,  Guy- 
^tin,  a  dit  :  «  Combien  que  le  sujet  me  déplaise,  la  lecture  du  livre  ne 
lisse  pas  de  m'étre  fort  agréable,  o  II  n'y  a  point  d'ailleurs  plus  d'un 
ixième  du  volume  consacré  à  Mazarin.  Ce  sont  à  tout  propos  des  di- 
(ressions  savantes  et  pleines  d'intérêt  sur  des  questions  d'art  ou  d'his- 
oire.  Je  recommande,  entre  autres  choses,  des  détails  curieux  sur  les 
lépenses  de  dos  rois ,  et  un  excellent  morceau  sur  la  poésie  macaroni- 
{ne;  l'histoire  de  ce  genre  de  littérature  y  est  parfaitement  traitée  et 
lyec  une  érudition  supérieure.  Le  Mascurat  est  un  livre  on  l'on  apprend 
toujours  quelque  chose  chaque  fois  qu'on  l'ouvre.  Selon  le  père  Lelong, 
ee  qu'il  y  a  de  plus  remarquable  dans  ce  pamphlet ,  c'est  un  sentiment  plus 
vif  et  plus  dégagé ,  quelque  chose  de  moins  chagrin  et  misanthropique 
qae  dans  les  CoMps  d'état:  on  y  remarque  une  allure  firanche  et  un  peu 
cavalière.  Les  deux  interlocuteurs  mangent  et  boivent  au  plus  fort,  ce 
qai  ne  les  empêche  pas  de  citer  du  grec  et  du  latin  à  toutes  les  phrases. 
Mascmrat  renvoie  parfaitement  la  balle  i  Sainct-Ange.  Ce  dernier  a  beau 
soutenir  les  pamphlétaires ,  il  faut  qu'ils  soient  battus.  Naudé ,  par  la 
bouche  de  Mascurat ,  les  compare  ingénieasement  à  différentes  drogues 
qas  certaine  femme ,  dans  Ausone,  donna  à  son  mari  pour  ne  point  faillir 
de  l'empoisonner;  une  seule  l'eût  tué,  et  toutes,  se  servant  mutuelie- 
ment  d'antidotes,  n'eurent  aucun  effet.  Autre  part,  il  se  moque  de  ceux 
qui  accusaient  Mazarin  d'être  ignorant,  parce  que  lui-même  en  était 
convenu  par  modestie,  a  Donne-t-on,  dit-il,  ses  bottes  à  nettoyer  à  celuy 
là  qui  se  dit  vostre  très  humble  serviteur;  et  si  on  dit  :  Il  n'y  a  rien  céans 
qai  ne  soit  à  vostre  service,  cela  donne-t-il  lieu  d'emporter  les  meubles 
d'one  maison?  Envoye-t-on  à  l'eschole  le  savant  qui  se  dit  ignorant?» 
Naudé  ne  manque  pas  de  profiter,  pour  la  justification  de  son  maître,  de 
ces  déductions  historiques  que  nous  avons  fait  remarquer  plusieurs  fois 
déjà  dans  sa  manière.  Ainsi ,  comme  on  reprochait  à  Mazarin  d'avoir  un 
singe  qu'il  mettait  sur  ses  genoux ,  c'est  tout  à  coup ,  et  comme  un  flot 
qui  déborde  de  l'antiquité  :  Épaminondas  s'exerçant  avec  les  garçons  de 
la  ville,  Seipion  jouant  à  cornichon  va  U  long  devant  de  la  VMrine  avec 
lœlitts,  Agésilas  montant  à  cheval  sur  un  bâton  pour  faire  rire  ses  en- 
fuis, Jacques,  roi  de  Chypre,  s'amusant  à  dévider,  Charles  IX  ferrant 
son  cheval,  Auguste  caressant  une  caille,  Alexandre  agaçant  de  petits  pour- 
ceauiy  et  Honorius  portant  une  poule.  S'il  ne  cite  pas  les  mouches  de  Domi- 
ticn,  Tours  de  Yalentinien  nourri  de  chair  humaine  et  le  cheval  de  Caligula, 
c^est  que  ces  noms  ne  lui  paraissent  pas  sans  doute  propres  à  rappro- 


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fH  UCYUB  Mi  DHRt^KMBES. 

oher  de œlai'de  Masaiin.  J^criviAt  pk»  iÊsàt  ^  n^eèl  pt»^ 
parJertfe  Far«igiiée'd«^PélîiftMi,'et  deCrébUJflii-AMiwit  ta 
chats  el  deaes^chlMSi  Lopsqa'il  a'agit  das  fautea  é» 
glisse  adroiieflMBt  tarson  autre  sujet,  ou btea^cooiaia à 
défaite,  il  dit  qœ  c'est  une  pierre  qui  reftcentra  la  faux»  aae 
milieu  d'un  faisceau  de  lauriers,  une  ronee  dans  uae  geriM  dorée.  Bft 
d'attleors  dans  le-âfaseiirat  une  grande  liberté  de  passée.  On  aaUfM 
la  fémle  romaine  ne  menace  plus  sa  main,  et  qtt'41  foule  une  lene  «làiis 
pas  de  la  liberté  laissent  leur  empreinte.  Tout^lemeiide,  àaea  eeM^dsil 
pouvoir  parvenir  à  k  puissance,  et  comme  il  la  dit  orùment,  tel  peutaïa- 
per  cardinal  qui  n'avait  àlaé  que  d-un  plat  de  tripes.  Les  boosie» 
teries  et  les  portraits  piquans  ne  manquent  pas  non  plus  dana-le 
ral.Ilyenfrmémequin'ontpas  vieilli :t;eci,  par  exemple  :€Le 
du  François  est  si  inquiet ,  si  insolent,  si  ambitieux,  si  entreprenat  d 
si  insatiable ,  que  soudain  qu'il  a  donné  un  coup  de  bowiet  a«x  iiiiniMiii, 
incontinent  après  qu'il  leur  a  parlé ,  qu'il  leur  a  dit  on  iMi  dire  qii*94lsll 
leur  serviteur,  il  en  veut  estre  payé,  il  veut  qu'on  lui  denae  toat  eeqafi 
demande ,  qu'on  augmente  ses  pensions,  qu'on  fasse  eslat  de  ses  reama» 
mandations;  en  un  mot,  il  est  oapi^le  d*épaiser  en  un  jour  toutes  ks 
grâces  que  la  cour  peut  faire  en  un  an.  »  Ce  e^feé  ironkpie  et  gncigas 
fois  sentencieux ,  qu'on  trouve  pour  la  première  fois  dans  le  caractènadi 
Naudé,  marque  diez  lui  une  nouvelle  phase;  il  est  un  peu  dégoSiédi 
monde,  et  il  sait  la  vie.  Ni  la  nature  avec  son  luxe  de  végétation ,  ai  les 
passions  du  cmnr  avec  leurs  molles  et  fondantes  ealases,  ai  l'i 
avec  ses  rêves  avides,  ne  peuvent  plus  le  sédmre  dorénavant; 
plaisirs,  il  s'est  arrêté  à  des  jouissances  plus  sàrea  et  BMfins 
aux  sévères  jouissances  de  l'intelligenoe. 

Quant  à  sa  manière  de  procéder^  en  foit  de  style ,  ette  estia  aaéow  dans 
leMascuraiqae  dans  ses  autres  écrits;  les  citations,  miemieliaiiieeié, 
mais  aussi  nombreuses  et  prises  avec  affecta  tien  dans  des  antcm  psa 
connus,  envatûssent  aouventle  texte, et  se  sueoèdent  kaoBeeaiixaMras, 
et  les  unes  par  les  autres,  presque  aubasard ,  sans  goAtei  sans  méthede. 
Naudiavaitdéjà  ditautre  part  ;  •  J'ay  bigarré  mon  laagafpa  de  nutiquai 
sentences  etauthoritex  latines  sans  les  habiller  à  la  fraaçoise,  piibqa'eHes 
ifont  aueua  besoin  d'être  enteadiiesde  la  piapulaee.  m  Dans  le  JMJfswiwI 
il  est  moins  fanfaron,  et  on  voit  que  l'Académie  et  l'hôtel  Rattboafflet 
avaient  àtk  se  moquer  de  cet  étalage  de  citations,  de  même  que  le  psdt 
comité  pMosopbique  de  GentMly  riait  en  soupant  deaphraseade  Bafemest 
des  autres  beaux  esprits.  «Quand  je  cite  tous  ceslMms  auteurs,  ditNaodé^ 
c^tostiansailaelation,  c'est  parce  <|u*ik  aie  vienasat  êmb  mcuwmn  cufaaiii 
c'est  pafceqa'ilm'estausiiaéa^de  le  iiIreeoawieattxJeaBes  ttIdSfn 
ontesté  voir  debeaux  jardins  de  se  parer  de  fleunqa'dlea'oat 


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hilrcQwma  a^of ,  4aeU«r  io«&cei  auihoiim  anninufctfc  tuoikwMM»  ^pmw4 

fr e»»7 enbet^  Jia  ^raoà»  ea Mroit.plustôi  fiay.  »  Au  Us^de  NiudA^ 

a  citatm  étaH  on  des  étémeos  eiseatials  du  s^le»  surtout  chaitei 

avaaa;  au  aûUflu  de  ces  lambeaux,  pris  ^  et  li  à  louto  rautifoiié  ^ 

li  recmiaua  faut  bîfiD  fi^  bm^  à  uu  fonda  4e  lai^gago  fnuoaîa  peu 

bmieeiicore)  kuUcîadaBasa  marche,  1»  langues  est  cemna  tgeartilMtg 

ftt  pleiiied'héaîtatioD,  sans  mesure  eisaos  am^i:  ce  n^  plus  le  françaii 

3e  Rabelais,  et  ee  n'est  pu  eBQAffeoidui  deCorpeille.  L'idiome  est  là  «a 

tmvaôl  ei  en  fenneatatioii  pour  produire  la  ^rose  de  Pasoal  et  deBossuet^ 

^iy  pins  tard,  se  rmsrformeffa  ehaa  VoUfôiiOf  pnis  ehe«  Jiiaab«a«*  Oui- 

tre  Que  cba^ue  g4aie,  asps  se  fiûne^ouraela  sa  Ungne  A  lui,  s'^ppro* 

prie  oo  style,  et  taille  aoo  langage  sur  le  p^^rou  de  sa  peaséo,  du  jour 

oii  une  kugues'arvétOf  00  peut  le  dire,  cette  laog|iemoui:t;€ar  cette  iai* 

mobilité  impliquerait  qu'un  peupla  peut  fifveet  aoeompUr  sea  phasea 

saoa  BDodifier  ses  formes.  Or,  qu'est  le.langage,  sinon  la  forme,  l'instro^ 

ment  de  l'idée?  Ghea:Nattdé^  Uest  peufacilo  de  voir  et  de  saisir  tou^ 

tes  ie»traoaforœatioAa d'idiome,  le  style  étant* à  chaque  iostant  briaj^ 

fA  ooaime  interrompu  par  les  citations;  i'art  se  bornait  alors  à  biea 

agoaoer  tooa  ces  Cragmeos,  à  faire  une  gorbe  de  tous  ces  épiSi.  PlfP 

tard»  au  temps  de  Li^myère,  il  y  eut  une  mo  r^aoUoo  cootne  oatte 

manière  d'éorire;  onne  regardait  plus  les  savaus,  bers  de  leur  biblio«> 

tbèqpe,  que  comme  des  inutilités  imprapres  à  tout.  Le  grand  moralista 

disait  â  ce  sujet  :  «  U  y  a  roaintepaot  une  aorte  de  bai>dieas#  k  aoute* 

nir  devant  certains  eaprîta  la  bonté  de  l'érudition.»  On  ait  été  mal 

wuQ,  en  effet,  à  prodiguer  la  seieace  littéraire  dans  les  salooa  de 

Louia  XIV,  ou  durant  les  promenades  de  Versailles ,  et  il  n'est  pas  dou^ 

taux  que  Naudé  n'ait  touché  auit  derniers  écrivains  qu'avec  son  génio 

snpériear  Labrayère  caractérisait  en  son  chapitre  de  ia  Ckaàr0f  par 

ces  mots  :  «Il  y  a  moins  d'un  siècle  qiu* un  livfe  fican^4toitttncer'*> 

tain  nombre  de  pages  latioes,  où  l'on  découvroit  quelques  lignea  et 

quelques  mots  en  notre  langue.  i>.  Labruyère  a  dit  aussi  en  parlant  de^ 

oufrages  de  l'esprit  :  a  L'on  écrit  régulièrement  depuis  yingi  annéea; 

l'ion  est  esclave  de  la  construction,  on, a  soeoné  le  joug  du  latinisme^  et 

réduit  le  style  à  la  plurase  purement  £rani?m^  »  Tout,  cela,  comme  ou 

Toit^  a'ai^bque  parfaitement  à  Naudé  et  àaon  école*  A. part  les  restdo* 

tkma  personnelles  de  talent,  et  lea  honoisi^les  travaux  et  dehpca  du 

mfie. 

l^bibliothéoaiM  deiManann,  pendant  lea^jo^r  de  douze  années  q^'U 
ft  alors  àPam^f  epid>lî|i  cnèMd'ouiin^iQ^aiti^t  4^ 
napusOerai  pa&deaoaépigawoei  lati|ieabiip9i9^i«uMMi  Co  mmiém 
ll9M^ltto»«)<iUiMii|»tioiw^^  Soilie^lpbniepp^KtrikitA^t  JMudMK^ 


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479  UTUK  BBS  BEDX  KOIIDBS. 

de  Paul  Joire  oa  de  GaUiée.  Bien  que  ces  poésies,  malgré  quelque 
dans  la  pensée,  et  assez  de  délicatesse  dans  l'éloge,  méritent  en  tout  reaUl 
où  elles  dorment,  on  y  trooTO  pourtant,  à  la  fin  du  volume,  une  élégie  tu- 
chante  sur  la  mort  du  cardinal  de  Bagni.  Mais  Naudé  n'eut  pas  à  josir 
long- temps  de  ces  distractions  littéraires.  La  fortune  de  Mazaria  s'é^po, 
et  le  parlement ,  par  une  mesure  peu  digne  de  lui,  voulut  foire  vendreectti 
bibliothèque,  qui  avait  -coûté  à  Naudé  tant  de  peines,  tant  de  von^EL 
Qu'on  juge  de  l'indignation  du  savant  bibliophile  ;  son  pluscher  enfant  M 
était  cruellement  enlevé.  H  se  raidit  contre  cette  tyrannie,  et  il  adresa  ii 
pariement  une  supplique  pleine  de  vigueur  et  de  mesure,  où  le  rcs^ 
a  peine  à  contenir  la  colère.  Cette  pièce  est  admirable  d'héroïque  réss- 
tance,  et  l'ame  de  Naudé  y  est  tout  entière.  Ab  ungnê  leonem.  Il  saniBe 
noblement  et  menace  presque  les  conseillers  du  parlement  :  «  MesHi- 
gneurs,  leur  dit-il,  pouvez-vous  endurer  que  cette  belle  fleur  quiro- 
pand  désia  son  odeur  par  tout  le  monde  se  flétrisse  entre  vos  maias?  i 
Mais,  par  une  singulière  préoccupation  de  haine  personnelle,  lepsrie- 
ment  ne  fit  pas  droit  aux  réclamations  de  Naudé,  et  l'écrivain  paaireet 
modeste  s'imposa  nn  sacrifice  an-dessus  de  ses  forces,  en  rachetant  piv 
3,50D  livres  tous  les  ouvrages  de  médecine  de  la  bibKothèqne  du  canfiaaL 
Heureusement  le  projet  anti-national  du  parlement  n'eut  pas  de  suite. 

Mais  que  deviendra  Naudé?  Plus  de  bibliothèque  à  ranger,  pins ^ 
livres  à  acheter.  Que  fera  ce  goinfre  en  fait  de  livres,  fteRtio  HèraraB) 
comme  l'appelle  Niceron.  D'ailleurs,  ainsi  qu'il  le  dit  lui-méaie,  tort 
le  monde  à  Paris  le  regardait  de  côté,  sans  doute  parce  qu'il  avait  prêié 
sa  plume  à  Mazarin.  Il  se  décida  bientôt  à  quitter  la  France.  Voswtflt 
fit  nommer  bibliothécaire  de  Christine,  et  il  partît  pour  la  Suède  en  1^ 
avec  Bochart,  le  ministre  de  Caen.  Tout  le  monde  sait  le  caractère  de 
Christine.  On  trouve  dans  le  recueil  des  harangues  qui  lui  furent  idref- 
sées  lors  de  son  voyage  en  France,  plusieurs  portraits  d'elle  fort  rease» 
bUms.c  Elle  a,  y  est-il  dit,  l'esprit  porté  aux  choses  héroïques ,  surtout  I  b 
justice  ;  mais  elle  est  comme  les  hommes  agiles  qui  sont  devenus  piniyti- 
ques  ;  ils  peuvent  discourir  et  non  agir.  »0n  y  voit  encore  qu'elle sltflHf- 
lait  à  la  manière  des  hommes  dont  elle  avait  toutes  les  façons;  cenneesit 
elle  portait  épée  et  perruque,  et,  pour  comble,  on  lui  reprochait  de 
jurer  quelquefois  et  d'être  fort  libre  en  ses  discours.  Elle  entrait  gilin* 
ment  en  conversation,  prenait  la  main  aux  hommes,  et  le  prenaier  n» 
de  la  cour  était  peut-être  son  intime  ami.  Femme  d'un  esprit  viril  jos- 
qu'au  crime,  selon  l'énergique  expression  de  M.  Yillemain,  ellepa^ 
aait  tour  à  tour  des  découvertes  de  Meibomius  à  la  métaphysique  de 
Descartes.  Gassendi  la  félicitait  d'accomplir  le  vœu  de  Platon  qui  fooUit 
des  rois  philosophes,  et  à  propos  de  quelques  calomnies,  il  lui  (Mt: 
cYous  marchez  siur  l'Olympe,  bien  au-dessus  de  la  foudre.  »  Bztrêse 


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GABRIEL  HÀimi.  tTT 

i  tout  y  ^le  finit  dans  Fascétisme  les  scènes  tnmaltneases  de  sa  yie. 
■^  de  Longuerille  disait  d'elle  :  c  On  doit  espérer  qu'elle  sera  une 
incte»  nnssi  bien  qu'une  héroloe.  »  Avant  qu'elle  eAt  abdiqué  le  sceptre 
lyal  pour  la  science ,  elle  exerça  sur  la  littérature  une  influence  im* 
enscy  qu'il  serait  peut-être  assez  curieux  de  caractériser.  Toutes  les 
iustrations  intellectuelles  se  rendaient  à  sa  cour,  et  Naudé  n'hésita  point, 
land  on  lui  proposa  la  bibliothèque  de  Stockholm.  Il  paraît ,  par  une  de 
s  lettres,  que  le  classement  des  livres  lui  demandait  beaucoup  de  temps, 
;  qu'il  eût  volontiers  répondu  à  ceux  qui  venaient  le  troubler»  eomoM 
njas,  lorsqu'on  lui  parlait  de  matières  n'ayant  pas  trait  au  droit  :  Non 
Utiiel  ad  edieUim  prœtorU.  Mais  le  séjour  de  Naudé  à  la  cour  de  Chris- 
ine  ne  fat  pas  long.  Les  folies  du  premier  médecin  Bourdelet  ayant 
>rcé  la  plupart  des  Français  à  se  retirer,  Naudé  ne  voulut  pas  rester 
rai,  et  demanda  l'année  suivante  son  congé,  malgré  les  instances  de  la 
eine.  Guy-Patin,  qui  se  sentait  privé  de  la  présence  d*un  ami  qui  lui 
ttait  devenu  nécessaire,  écrivait  à  cette  occasion  :  c  A  quelque  chose 
nalheur  est  bon;  j'aime  mieux  qu'il  soit  ici;  tout  le  Nord  ne  vaut  pas  ce 
^rand  personnage.  »  Naudé  reprit  donc  le  chemin  de  la  France,  mais 
&ay-Patin  ne  devait  plus  le  revoir,  car  il  fut  saisi,  à  son  passage  à  Ab- 
berille,  d'une  fièvre  continue  avec  assoupissement  qui  l'enleva  le  20  juil- 
let 1653.  Son  corps  fut  présenté  à  l'église  Saint-George  et  inhumé  dans 
la  nef.  Ainsi  mourut  l'homme  le  plus  remarquable  peut-être  de  ces  éru- 
dits  littéraires  de  la  famille  de  Dnpuy,  de  Lamonnoye,  de  Sainte-^Mar* 
ihe,  de  Ménage  et  de  Leducfaat ,  dont  la  race  est  à  pen  près  perdue  de 
notre  temps.  Gassendi  pleura  beaucoup  cet  ami  si  complaisant,  si  sage, 
à  respecté ,  qu'on  consultait  toujours  pour  les  publications  littéraires. 
Malgré  ces  regrets,  il  faut  que  la  mémoire  de  Naudé  ait,  en  ce  temps 
même,  été  calomniée  par  l'envie;  on  trouve  ce  passage  dans  les  lettres 
de  Gny*Patin  à  Spon  :  c  II  n'y  a  pas  encore  de  bibliothécaire  de  Mazarin. 
C'est  un  nommé  Poterie,  qui  y  servait  sous  feu  M.  Naudé,  mais  qui  ne 
l'^re  pas.  C'est  un  fripon  qui  a  rendu  de  très  mauvais  services  à  notre 
bon  ami,  après  sa  mort,  ou  au  moins  qui  a  tâché.  Mais  l'innocence  de  sa 
▼ie  et  de  ses  mœurs  l'a  jusqu'à  présent  très  bien  défendu  des  calomnies 
de  ce  pendard.  9  Sans  doute  les  clameurs  de  la  haine  se  turent  bientôt, 
^^  Injustice  commence  pour  les  hommes  lorsque  la  tombe  les  recouvre. 

Gh.  Labiitb. 


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LA 

NUIT  D'AOUT. 


lA  BIUSE. 


Pepuis  que  le  soleil,  dans  l'horizon  immense, 
  franchi  le  Cancer  snr  son  axe  enflammé. 
Le  bonheur  m*a  quittée,  et  j'attends  en  sSence 
L'heure  oii  m'appellera  mon  ami  bien-aimé. 
Bèbifil  depuis  lon9-temp9  sa  demeure  est  désertew 
Dtfi  beaux  jours  d'autrefois  rien  n'y  semble  mant» 
Srakiy  je  Tien»  eucor,  de  «nm  voile  eeuTerte, 
Poser  mon  front  brûlant  sur  sa  porte  entr'ouyerte, 
Comme  une  yeure  en  pleurs  au  tombeau  d'un  eni^. 

LE  POÈTE* 

Salut  à  ma  fidèle  amie. 
Salut,  ma  gloire  et  mon  amour. 
La  meilleure  et  la  plua  chérie 
Est  celle  qu'on  trouve  au  retour. 
L'4^inioftet  Tavarice 
Viennent  un  temps  de  m'emporter. 
Salut,  ma  mère  et  ma  nourrice, 
Salut,  salut,  consolatrice! 
Ouvre  tes  bras,  je  viens  chanter. 


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.u.  iicir  d'amt^ 


LA  MVSB. 


Pourquoi,  cownf  uMtf*»  mtofiMêè  d^airpénncd, 

reiifiii8'tui«l«ttTBiit  prav  re^wtr  si  tarOT 

Que  t'en  vas-taclwfcher,  <ni«n  qoelqtte  hamfd. 

Et  que  rappotl»*tti,  jteoii  quoique  sowffipaiiceT 

Que  fais-to  loin  demoi ,  cfiMid  j'atMids  jnsqnlm  f5«rt 

Tu  suis  un  fÉk  'éobir  dmeiiiM  nuit  pftBfende. 

n  ne  te  restera  detteifW^s  du «obAd 

Qu'un  JttpoiBonntnépns  ptwrnotre  hemttettamtr. 

Ton  cabinet  é'étode  est  ^dc  qvand  f *n+rej 

Tandi^ip'à  -ce  indoon ,  inqmète  et  peomre , 

Je  regarde  an  «réfant  tes  mors  de  ion  jnrdin , 

Tu  te  livres  dans  l'ombre  à  ton  mauvais  destin. 

Quelque  fière  beauté  te  vetîent  dams  sa  chaîne. 

Et  tu  laisses  mourir  cette  pauvre  verveine 

Dont  les  derniers  rameaux,  dans  des  tençs  plus  heureux. 

Devaient  être  arrosés  des  larmes  de  tes  yeux. 

Cette  triste  verdure  est  mon  vivant  symbole , 

Ami,  de  ton  oubli  nous  mourrons  toutes  deux, 

Et  son  parfum  léger  comme  Toîseau  qui  vole 

Avec  mon  souvenir  s'enfuira  dans  les  deux. 

tE  POÊ*rE. 

Quand  j'ai  passé  par  la  fnraide , 
J*ai  vu  ce  soir,  dans  le  sentier, 
Une  fleur  tremblante  et  flétrie. 
Une  pâle  fleur  d'églantier. 
Un  bourgeon  vert  à  côté  d*elle 
Se  balançait  sut  l'arbrisseau; 
ry  vis  poindre  une  fleur  nouvelle; 
La  plus  jeune  était  la  plus  belle  ; 
L'homme  est  idnsi,  toujours  nouveau. 

XA'UTTSE. 

Hélasl  toujours  un  homme,  héiasi  toujottw^IesJameBl 
Toujours  laafttodg^poodreux  et  lasuenr  aafimitt 


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i80  REYUB  DBS  DEUX  MONDES. 

Toujours  d'affreux  combats  et  de  sanglantes  armes; 
Le  cœur  a  beau  mentir,  la  blessure  est  au  fond. 
Hélas  !  par  tout  pays ,  toujours  la  même  rie  : 
Convoiter,  regretter,  prendre ,  et  tendre  la  main, 
Toujours  mêmes  acteurs  et  même  comédie. 
Et  quoi  qu'ait  inventé  Thumaine  hypocrisie, 
Rien  de  vrai  là-dessous  que  le  squelette  humain. 
Hélas!  mon  bien-aimé,  vous  n*étes  plus  poète. 
Rien  ne  réveille  plus  votre  lyre  muette  ; 
Vous  vous  noyez  le  cœur  dans  un  rêve  inconstant; 
Et  vous  ne  savez  pas  que  Tamour  de  la  femme 
Change  et  dissipe  en  pleurs  les  trésors  de  votre  ame, 
Et  que  Dieu  compte  plus  les  larmes  que  le  sang. 

LE  POÈTE. 

Quand  j*ai  traversé  la  vallée, 
Un  oiseau  chantait  sur  son  nid. 
Ses  petits,  sa  chère  couvée. 
Venaient  de  mourir  dans  la  nuit. 
Cependant  il  chantait  l'Aurore; 
0  ma  Muse ,  ne  pleurez  pas  I 
A  qui  perd  tout.  Dieu  reste  encore , 
Dieu  là-haut,  l'espoir  ici-bas. 

LA  MUSE. 

Et  que  trom'eras-tu,  le  jour  où  la  misère 
Te  ramènera  seul  au  paternel  foyer? 
Quand  tes  tremblantes  mains  essuieront  la  poussière 
De  ce  pauvre  réduit  que  tu  crois  oublier  •— 
De  quel  front  viendras-tu,  dans  ta  propre  demeure, 
j  Chercher  un  peu  de  calme  et  Thospitalité? 
Une  voix  sera  là,  pour  crier  à  toute  heure  : 
Qu'as-tu  fait  de  ta  vie  et  de  ta  liberté? 
Crois-tu  donc  qu'on  oublie  autant  qu'on  le  souhaite? 
Crois-tu  qu'en  te  cherchant  tu  te  retrouveras? 
De  ton  c<Éur  ou  de  toi  lequel  est  le  poète? 
Cest  ton  cœur,  et  ton  cœur  ne  te  répondra  pas. 


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LA  NUIT  D'AOUT.  481 

L*amour  l'aura  brisé  ;  les  passions  ^nestes 
L'auront  rendu  de  pierre  sl^  contact  des  méchans  ; 
Tu  n'en  sentiras  plus  que  d'effroyables  restes, 
Qui  remueront  encor,  comme  ceux  des  serpens. 
O  ciel!  qui  t'aidera?  que  ferai- je  moi-même^ 
Quand  celui  qui  peut  tout  défendra  que  je  t'aime. 
Et  quand  mes  ailes  d'or,  frémissant  malgré  moi, 
M'emporteront  à  lui  pour  me  sauver  de  toi? 
Pauvre  enfant!  nos  amours  n'étaient  pas  menacées. 
Quand  dans  les  bois  d'Auteuil,  perdu  dans  tes  pensées. 
Sous  les  verts  marronniers  et  les  peupliers  blancs, 
Je  t'agaçais  le  soir  en  détours  nonchalans; 
Ah  I  j'étais  jeune  alors  et  Nymphe,  et  les  Dryades 
Entr'ouvraient  pour  me  voir  l'écorce  des  bouleaux. 
Et  les  pleurs  qui  coulaient  durant  nos  promenades, 
Tombaient,  purs  comme  l'or,  dans  le  crystal  des  eaux; 
Qu'as-tu  fait,  mon  amant,  des  jours  de  ta  jeunesse? 
Qui  m'a  cueilli  mon  fruit  sur  mon  arbre  enchanté? 
Hélas!  ta  joue  en  fleurs  plaisait  à  la  Déesse 
Qui  porte  dans  ses  mains  la  force  et  la  santé.   ** 
De  tes  yeux  insensés  les  larmes  l'ont  pâlie[; 
Ainsi  que  ta  beauté  tu  perdras  ta  vertu. 
Et  moi  qui  t'aimerai  comme  une  unique  amie. 
Quand  les  Dieux  irrités  m'ôteront  ton  génie. 
Si  je  tombe  des  cieux,  que  me  répondras-tu? 

LE   POÈTE. 

Puisque  l'oiseau  des  bois  voltige  et  chante  encore 
Sur  la  branche  où  ses  œufs  sont  brisés  dans  le  nid  ; 
Puisque  la  fleur  des  champs,  entr'ouverte  à  l'aurore. 
Voyant  sur  la  pelouse  une  autre  fleur  éclore. 
S'incline  sans  murmure  et  tombe  avec  la  nuit; 

Puisqu'au  fond  des  forêts,  sous  les  toits  de  verdure. 
On  entend  le  bois  mort  craquer  dans  le  sentier. 
Et  puisqu'en  traversant  Fimmortelle  nature, 

T0tf£  VII.  31 


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4W  MYm  ^v»  w»  ÂÊMimsL 

L'homme  n'a  m  .^gOiW€r!dfrawpifrî^whdiw%> 
Que  de^mm^h»  tgmioviKt^MÈWimmi^fÊtJëMtt 

Puisque,  j«Aqu*MX  tlHim$,:^nikA(s^.4bmti^(m^Simm^ 

Puisque  tout  oi»mi<pe4P»r  pow  «4mn^  4f«mfi« 

Puisque  0*#9l|i» «li8r«»A4«^>|^ ^Miifti^.qKila rSUfirm 
Puisque  sur  ui»e  toinbe.OR  MkispMir  d^fteu^ 
Le  brin  d*he^  s9ifQrè*qi»:P«w  4pime.j)e(pim; 

J'aime,  «c  je  ^^n»  pABr>  j*M»e,v«*J0  vflm^^sonl^ir; 
J'aime,  et  pour  ua  baisio^  j^4cmpelA>Pltlg^iQ; 
J'aime,  9t  jevvmx  neiHir  aur^wi  jffl^i:^  fm^OÔ^Si 
Ruisseler  um^4Qarcei9ifiii|sy5ibte.'à  t^riR* 

J'aiw,  ,et  jç  m^  qhantef  la  jpi^rQt  U  p^m^ve» 
Ma  foUe  ej^p^rifiMdçe  e^,mes  «ouqi^vd^iia  jonr^ 
Et  je  ven^  r/|ÇQoter  ^X  régi^^  $si$^.miS0 
Qu'après  avoir  juré  (Uiri^rje>SMs.^QllrflrW^ 
J'ai  fait  serm^i^t  de  YÛfi^,^i4e  Q)0|ixir  d^aiOQur^ 

Dépouille  devant  tous  l'orgMeil  qui  te  dé^YQ^Bp 
Cœur  gonflé  A'amfittume  ^.qui  X^xv^ix  iBifoé. 
Aime,  et  tu  renaîtras;  C^toi^emr^,  pa^r  éçl^T^; 
Après  avoir  9puf{ert  il  fftVt^uffnr  enoof^; 
n  faut  aimer  sans  cesse,  après  avoir  aimé. 

Alfred  de  Musset. 


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aaifl 


DES 

POÈTES  ÉPIQUES. 


ÏI. 


lUAiigiet  Albènes  fie^Mt  pas  JMteflMif  sœitt^À.  L'bAè  é^t  ]^â(3)iè- 
(te  FMtMi^  Ce  flfMH  dMt  ptmm^  d*\«Bè  ««Ae  «bétété. 
dteiit,  fiMlliedd>  MfiHie  dMt>  méote  «Wâayagë^  pafl^^ii- 
nèEfiienl  ittétâe  idéal  él  ffldéle  poéi^.  l)*où  il  stf t  «ïidot^  ({te  Ton 
jMrpéttt  AtMOrièf  HottiiJHre  seÉka  éSliteler  to  aystènid  d^  aMqttftés 
ï^iMiiieB^  Le  PttMhéâoti  a  fôujc^V^  ^  âéH  éidiho  dàM  lé  ifiont 
Vtfàflti. 

bds  HfiMMièMsr  d^  Wotf  iW  r^popéer  îlMiéimë  aViatelit  plata 
WtffiT lÉ  fin  d«  aiètle dtfttaiiM*.  Siâ^iàtls  iipr«è^  eMe^  ftir^M;  aff^U- 
q«déa  i(¥ec  bisaiicotip  pltiatPédaft^ttisonèfà  l'histoitè  tdittlAiiie,  paîMin 
tk«ttttlld<ttii|mèédirft  tiû^Me^  telrqaMféa  if«èèftéftii^  péUI*  dëh^e 
t^ipoitt^fidn^;  oèfr  il  aVaM'dtt  ist^id^iaié^  d«  l^ndkMitftt^e 

au 


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4S4  REVUE  DBS  DEUX  MOîlDES. 

dans  une  mesure  égale,  presque  autant  d'imagination  que  de 
science,  et  par-dessus  tout  cela,  une  ardeur  de  prosélytisme, 
une  gravité,  un  héroïsme  d'intelligence,  tels  qu'il  est  bien  difficile 
à  ses  adversaires  même  de  prononcer  son  nom  sans  vénéraUoa. 
Imaginez  un  Curlius  érudit,  toujours  prêt  à  se  jeter  dans  les  gouf- 
fres inconnus.  C'est  de  lui  qu'on  pouvait  dire  à  juste  titre,  qu'A 
prophétisait  le  passé ,  tant  il  excellait  à  découvrir  dans  Thistoire 
de  merveilles  inconnues  à  ce  passé  lui-même.  Cet  homme  était 
Niebuhr;  esprit,  ame,  imagination  du  nord,  s'il  en  fut  jamais;  vnd 
Scandinave  sous  la  figure  d'un  compatriote  de  Montesquieu  et  de 
Montaigne;  il  tenait  d'ailleurs  de  cette  grande  époque  de  guerre, 
où  la  nation  allemande ,  maniant  à  la  fois  l'épée  et  la  truelle ,  coBh 
battait  en  même  temps  qu'elle  bâtissait,  dans  sa  poésie  et  dans  sa 
philosophie,  l'édifice  de  ses  rêves.  Personne  ne  sentit  plus  que 
Niebuhr  l'héroïsme  des  passions  de  ce  temps-là.  De  son  camp 
d'érudit,  il  commença  par  attaquer  Napoléon  avec  le  texte  com- 
menté des  Philippiques  de  Démoslhènes.  Plus  tard,  cette  épée 
athénienne  ne  suffisant  plus,  il  travailla  à  épauler  des  batteries 
aux  journées  de  Bautzen,  de  Lutzcn,  de  Leipsick.  Ce  fut ,  en  tout, 
un  noble,  un  courageux,  un  implacable  ennemi. 

Ce  fut  aussi  au  milieu  de  ces  passions  encore  refoulées,  qu'il  publia 
en  1811,  la  première  partie  de  son  lli^t  ire  Romaine.  Cette  époque  est 
importante  à  constater.  Les  chants  nationaux  venaient  d'acquérir 
dans  la  mêlée  de  l'Europe  une  valeur  imprévue.  L'expression 
soudaine  et  inculte  des  sentimens  de  la  foule  avait  alors  plus  de 
prix  que  n'en  avait  eu  jamais  l'art  savant  et  cultivé  ;  on  enteadait 
dans  l'air  comme  un  éternel  murmure  de  mélodies  nationales, 
qui  précédaient  le  cri  de  la  bataille.  Romances  espagnoles ,  balla- 
des écossaises,  irlandaises,  chansons  des  Tyroliens,  des  Russes, 
des  Serbes,  étaient  incessamment  traduites  d'une  langue  dans  uBf 
autre.  Les  poètes  comme  les  princes  s'humiliaient  devant  la  roase 
des  peuples.  Par-dessus  tout ,  c'était  le  règne  du  poème  des  Nie- 
belungen.  On  adorait  de  nouveau  le  vieux  poème  germaniq«e 
comme  une  de  ces  reliques  que  l'on  exhume  de  leurs  châsses,  i 
la  veille  du  combat;  tout  vivait,  tout  s'inspirait,  tout  s'enivrait  du 
chant  populaire,  le  poète,  le  critique,  le  soldat,  le  prêtre,  le  m. 
Ce  fut  le  tour  de  l'érudil.  C'est  sous  cette  préoccupation,  ou  plu- 
tôt sous  cette  obsession,  que  Niebuhr  conçut  sa  théorie  de  This- 


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POÈTES  ÉPIQUES.  485 

toire  primitive  de  Rome.  Ainsi,  du  moins,  s'explique  comment  il 
transporta  la  harpe  de  Siegfried  dans  le  Pomœriura  des  Latins ,  et 
comment  il  attribua  à  la  plèbe  romaine  le  génie  idé.il  des  Scandi- 
naves et  rinstinct  de  poésie  des  Burgondes.  On  a  reproché  au  siè- 
cle de  Louis  XFV  d'avoir  fait  des  anciens  ^autant  de  seigneurs  de 
la  cour  de  Versailles.  Ne  pourrait-on  pas  dire  que  Niebuhr  les  a 
trop  souvent  changés  en  Germains  de  sa  tribu,  des  Dittmarses? 

Delà  même  manière  que  Wolf  avait  aboli  Homère,  Niebuhr 
abolit  les  trois  premiers  siècles  de  Rome,  au  proGt  du  chant  po- 
pulaire. Cette  hypothèse  n'était  ni  moins  hardie,  ni  moins  riche 
que  la  précédente  ;  elle  s'appuya  comme  elle  sur  l'analogie  ;  en 
outre,  elle  édifiait  ce  qu'elle  semblait  détruire;  déjà  à  moitié  ren- 
versées par  Bcaufort ,  les  annales  des  rois  et  des  premiers  consuls 
se  changeaient  en  une  suite  d'aventures  Octives  et  de  rhapsodies  hé- 
roïques; ainsi  dans  Virgile,  les  vieux  vaisseaux  échoués  s'étaient 
métamorphosés  en  amoureuses  naïades.  Dans  celte  transforma- 
tion, on  perdait  trois  ou  quatre  siècles  de  l'histoire  ;  on  y  gagnait  une 
poésie  primitive,  indigène,  ou  du  moins  l'ombre  de  toutcela.  Au  lieu 
d'une  succession  d'évènemens  souvent  impossibles,  presque  tou- 
jours contestables,  on  avait  le  chant  de  Romulus,  le  chant  de  Tar- 
péia,  léchant  de  Numa,  d'Ancus,  de  Servius,  de  Lucrèce,  de 
Tarquin.  Par  une  analogie  nouvelle  avec  les  Niebelungcn,  on  éta- 
blissait que  ces  poèmes  latins  n'avaient  été  achevés  que  plusieurs 
siècles  après  les  temps  auxquels  ils  se  rapportaient  par  leurs  sujets. 
De  plus,  chose  merveilleuse  I  ces  ch  ants  étaient  tantôt  d'origine  popu- 
laire, tantôt  d'origine  aristocratique  ;  il  y  avait,  pour  ainsi  dire,  le 
chœur  plébéien  sous  Servius,  le  chœur  patricien  sous  Tarquin-le- 
Superbe;  de  sorte  que  la  grande  épopée  se  partageait  en  un  dia- 
logue dans  lequel  on  reconnaissait  la  différence  des  voix  et  des 
conditions.  La  harpe  de  fer  du  Capitole  exprimait  les  deux  modes 
entre  lesquels  se  divisait  la  cité  de  Romulus. 

L'histoire  allemande  avait  commencé  par  le  chant  de  Siegfried 
dans  le  poème  des  Amales,  l'espagnole  par  celui  du  Cid,  la  bre- 
tonne pas  celui  d'Arthus.  Pourquoi  en  serait-il  autrement  de 
l'histoire  romaine?  Que  de  raisons  se  joignaient  à  celle-là!  Les 
contradictions  des  historiens,  l'absence  de  monumens  certains, 
l'incendie  du  Capitole  dans  lequel  avaient  péri  tous  les  vestiges  de 
la  tradition  écrite;  ces  motifs  avaient  une  valeur  négative:  on  y 


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486  HBYCB  DES  DEUX  MONDES. 

ajoutait  le  merv^eax  des  aventures,  la  poésie  des  canclères^et 
puis  enfin^  quelques  textes  égarés  ;  oar  c'était  le  c6té  faible  de  œ 
système,  qae  le  petit  nombre  et  Tinsuffisance  des  témoignages  sur 
lesquels  il  s'appuyait.  Mais  cette  foiblesse  n'était-elle  pas  bieo 
rachetée  par  les  ressemblances  de  l'histoire  unt¥erselle,  par  h 
grandeur  des  résultats ,  par  Vaudacè  même  de  la  découverte  qm 
tenait  d'une  sorte  de  révélation,  surtout  par  l'accent  convainco 
du  chef  de  la  nouvelle  doctrine.  Son  intolérance  étant  an  gage 
de  vérité,  on  cédait  à  une  conviaion  si  orgueilleuse  tout  ce  que  h 
science  laissait  douteux.  Voilà  comment  on  crut  voir  reparaître» 
sous  les  récits  oratoires  de  Tite-Live,  comme  sous  de  maladroits 
palimpsestes,  une  série  de  chants  épiques  en  mètres  saturnins.  Ces 
chants,  qui  commençaient  à  Romulus,  avaient  pour  dénouement 
la  bataille  de  Regille.  Après  cette  journée  seulement ,  on  enâiût 
dans  l'histoire.  Par  là  était  résolu  le  problème  de  l'épopée  ro- 
maine. Ce  n'était  plus  dans  le  siècle  d'Auguste  qu'il  fallait  cher- 
cher le  vrai  monument  de  la  poésie  latine.  Tout  au  contraire  c'est 
au  commencement,  et  dans  les  langes  de  la  société  romaine,  qve  se 
rencontrait  ce  chef-d'œuvre.  Les  lignes  principales,  les  formes» 
les  divisions,  les  épisodes,  et  même  quelques  débris  du  rhythne, 
venaient  d'en  être  découverts  ;  chacun  pouvait  le  refaire  à  son  gré. 
Êst-il  besoin  de  dire  que  l'on  attribuait  tout  d'abord  à  ce  Paraéà 
perdu  de  la  poésie  latine,  toutes  les  qualités  que  l'on  refusait  i 
l'époque  de  culture,  l'originalité,  la  grandeur,  la  naïveté ,  l'indé- 
pendance? Au  milieu  de  cela,  survinrent  les  critiques;  ils  arrachè- 
rent à  Virgile  sa  couronne  chancelante;  ils  la  mirent  au  front  do 
fantôme  de  l'Homère  latin ,  nouvellement  retrouvé  dans  les  hot^ 
tes  de  la  Rome  primitive;  bien  des  cordes,  il  est  vrai,  manquaient  à 
cette  lyre  perdue  depuis  trois  mille  ans.  Mais  l'imagination  des 
érudits  était  empressée  à  les  rattacher  et  à  les  faire  vibrer  i  leur 
guise.  Ainsi  s'acheva  le  triomphe  d'un  rêve;  rien  ne  manquait 
fantôme,  pas  même  l'apothéose,  après  quoi  on  se  demanda  oa 
jour  s'S  avait  réellement  existé,  et  quelle  preuve  on  en  avait;  oe 
jour-là ,  la  foi  tomba  comme  eBe  s'était  élevée.  Niebuhr  était 
appuyé  sur  \VoIf  ;  la  ruine  de  l'un  devait  entraîner  la  ruine  éi  Jk 
Vautre.  Ni  chez  les  anciens ,  ni  chez  les  modeMies»  il  n'y  a  pbœi 
la  fiais  pour  deux  Homère.  f^ 

n  y  eut  un  ten^s  où  toutes  les  hypothèses»  pourvu  qp'eOes  f^ 


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POÈTES  iSnQUES.  UfT 

arrirassent  d'i^remagne,  étaient  acceptées  par  nous  en  Trance 
sans  presque  aucun  contrOlë.  H  semMatt  qu'ëflès  portassent  au 
front  le  signe  visible  de  rinMIRbilité.  Plus  elles  sortaient  des  ha- 
bitudes reçues,  plus  ces  filles  de  la  révélation  nouvelle  étaient 
aecue&lies  avec  avidité.  Mais  ces  temps  sont  passés^  un  trop 
grand  nombre  de  ces  fantômes  nous  ont  trompés,  se  donnant  chez 
nous  pour  jeunes  et  nouveaux  quand  fls  étaient  déjà  surannés  et 
décFédités  'dans  leur  pays.  La  barque  qui  va  et  vient  sur  le  Rhin 
nous  a  apporté  de  la  contrée  des  songes  assez  d*ombres  sans 
corps,  auxquelles  nous  avons  accordé  le  droit  de  cité.  Avant  de  les 
suivre  dans  leurs  vides  royaumes,  il  doit  nous  être  permis  aujour- 
d'hui d'examiner  ces  hôtes,  sans  être  taxé  dMmolérance. 

Quand  je  considère  de  près  la  question  d'une  épopée  populaire' 
dans  les  premiers  temps  de  Rome  (t),  autant  cette  hypothèse  agrée 
d'abord  à  ma  fantaisie,  autant,  après  cela,  je  trouve  peu  de  rai- 
son de  me  fier  à  cet  attrait  ;  et  je  finis  par  ne  découvrirpas  moins 
d'invraisemblance  dans  le  système  nouveau  que  dans  la  fable  an- 
tique. La  première  chose  que  je  demande  est  de  savoir  par  quels 
organes  cette  épopée  s^est  exprimée ,  par  quels  moyens  elle  s*est 
transmise  et  perpétuée.  Or,  cette  difficulté  si  élémentaire  m'arrête 
tout  court.  Où  sont,  dans  Rome,  les  chanteurs  des  poèmes  romains? 
oà  sont  les  rhapsodes,  les  homérides  latins?  Il  n'y  en  a  point,  et 
je  n'aperçois  rien  qui  puisse  les  suppléer.  Évidemment,  si,  pendant 
quatre  siècles,  les  souvenirs  nationaux  se  sont  transmis  par  le  chant, 
on  aura  découvert  dans  les  habitudes  publiques  des  Romains 
la  trace  d'établissemens  semblables  à  ceux  des  Grecs,  n  y  aura 
parmi  eux  des  famiRes  qui  feront  profession  de  réciter,  de  père 
en  Sts,  rniade  de  Romulus  ;  cette  profession  elle-même  sera  une 
sorte  de  sacerdoce.  Ce  que  la  société  héroïque  du  moyen-âge  a 
fitit  pour  des  fictions  qu'elle  savait  être  telles ,  la  société  romaine 
ne  l'aura-trelle  pas  fait  pour  le  poème  sacré  de  la  cité?  Chez  les 
modernes,  je  connais  des  bardes,  des  ménestrels,  des  trouvères. 


(1)  Les  ourrages  modernes  qiie'J*iii  pu  consulter  sur  ce  S8j«t  sont,  après  VHisiûtr^j 
^maine  de  Kielmhr ,  les  examens  qui  en  ont  été  laits  par  William  et  Frédéric  Sehlegel , 
iSrs  fltlSIS;  dô  FontUfu»  hlUorieU  T.'LhfU,  Lêobinann,  48»;  Epiùrisis  qtusêtiimtp 
de  BIst'  Rom.,antiq.  fontibus  et  verltate^  Beck;  de  OrigMlms  Hiit-  Rom.  diêêertàHOf 
^etersen,  1835;  Bittoire  de  Vétat  romain,  Wachsmuili;  Jffol.  toi.,  Knmse^  1885;  QHiP» 
1838. 


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488  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

des  jongleurs ,  des  meistersaengers,  qui  tous  ont  chanté  la  fable 
d'Arthus  ou  de  Charlemagne  ;  à  plus  forte  raison  trouverai-je  uo 
grand  nombre  d'hommes  et  de  conditions  semblables  dans  la 
vieille  Rome.  Mais  il  n'en  est  rien,  loin  de  là;  le  nom  même  du 
poète  manque  à  la  langue  de  cette  société  du  patron  et  du  client, 
tant  ils  sont  loin  de  posséder  une  école  de  rhapsodes  épiques;  ils 
ne  connaissent  d'abord  que  le  prophète  et  le  devin  augurai,  ra/e*. 
Ainsi  voilà  une  société  fondée,  dit-on,  sur  l'épopée,  et  qui  n  a  pas 
mime  dans  sa  langue  un  mot  pour  désigner  la  condition  da 
poète  (l)  I  Mais  au  moins,  en  admettant  que  ce  dernier,  quelque 
nom  qu'on  lui  donne,  ait  été  l'unique  conservateur  de  la  tradition 
des  ancêtres,  il  sera,  sans  nul  doute,  honoré  dans  Rome  plus 
qu'en  aucun  lieu  du  monde.  Le  rhapsode  latin,  s'il  existe,  aura  sa 
part  de  gloire  au  festin  du  patriciat  ;  sa  place  sera  marquée  dans 
la  cité;  il  n'aura  rien  à  envier  au  rhapsode  d'Ionie.  Or,  c'est 
précisément  encore  le  contraire  qui  a  lieu  dans  la  vieille  Rome,  le 
poète  n'est  rien  autre  chose  qu'un  histrion,  un  parasite.  Catonpeut 
reprocher  à  un  proconsul,  comme  une  action  déshonorante,  d'a- 
voir lié  commerce  avec  l'un  d'eux ,  quand  même  cet  histrion  était 
le  grand  Ennius.  Ce  sont  là  de  singulières  contradictions  dans  une 
société  qui  devrait  tout  au  poète. 

J'admets  qu'on  n'en  tienne  point  de  compte,  non  plus  que  de 
celte  autre  circonstance,  qu'aucun  Romain  n'a  été  sur  la  voie  des 
origines  romaines.  De  semblables  méprises  se  découvrent  ailleurs, 
et  je  consens  qu'on  n'en  lire  aucun  argument  sérieux. Maïs,  après 
cela,  je  m'informe  des  autorités  antiques  sur  lesquelles  le  nouveau 
système  est  fondé  ;  et  mon  étonnement  est  grand  de  voir  qu'en 
éconcîuisant  les  citations  parasites,  tout  se  réduise  à  deux  ou  trois 
lignes  de  Caton  l'ancien,  répétées  presque  dans  les  mêmes  termes 
par  Varron  et  par  Denys  d'Halicarnasse.  Dans  le  peu  de  motsex- 
traits  de  son  livre  surMes  origines,  Caton  affirme  que,  long-temps 
avant  lui,  c'était  une  coutume,  dans  les  repas,  de  chanter  des 
vers  à  la  louange  des  vertus  des  grands  hommes.  Qui  croirait  que 
ce  soit  là,  avec  quelques  mots  semblables ,  l'unique  fondement  de 
la  théorie  nouvelle?  Rien  pourtant  n'est  plus  vrai.  Détachée  de  ce 
qui  la  précédait  et  de  ce  qui  la  suivait,  l'assertion  de  Caton  prouve   f 


{i)  Le  mol  vaies  n'a  eu  celle  signiflcation  que  depuis  Ennius. 


I 


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POF.TE.S   ÉPIQUES.  489 

bien  rexistencc  de  quelques  chants  de  table.,  quand  m^me  elle^ 
laisse  ignorer  si  ces  chants  étaient  véritablement  populaires,  ou 
s'ils  étaient  déjà  imités  des  Grecs.  Seulement  il  y  a  loin  de  là  à  une 
série  de  longues  aventures ,  qui  formeraient  ensemble  un  cycle  et 
une  histoire  continue.  On  pourrait  même  dire  que  les  circonstances 
indiquées  par  le  vieux  sénateur  s'opposent  à  cette  dernière  sup- 
position. Dans  la  société  frugale  des  premiers  Romains,  la  cou- 
tume fut-elle  jamais  de  prolonger  les  festins  aux  accords  intermi- 
nables de  la  lyre  épique?  Un  chant  de  guerre,  une  prière  sacrée, 
une  néhie  de  funérailles,  voilà  ce  qui  s'accorde  avec  ces  mœurs  ; 
de  lentes  rhapsodies  au  banquet  de  Cincinnaïus ,  c'est  là  ce  qu'on 
ne  peut  se  figurer.  Il  ne  sert  de  rien  de  remarquer  que  les  faits 
de  l'histoire  romaine,  pendant  trois  siècles,  sont  pleins  de  merveil- 
leux ;  car,  pour  affirmer  sans  réplique  que  des  évènemens  ont 
leur  origine  dans  un  poème,  il  ne  suffît  pas  que  le  récit  en  soit 
mêlé  de  circonstances  surnaturelles.  D'une  part,  la  tradition  la 
pliis  merveilleuse  peut  fort  bien  se  transmettre  et  durer  sans  le 
secours  du  chant  et  sans  celui  du  rhythme.  C'est  ce  que  Ton  voit 
par  les  traditions  ecclésiastiques,  par  les  contes  populaires,  par 
la  légende  dorée.  D'une  autre  part,  il  est  des  faits  poétiques  qui, 
sous  des  accessoires  fabuleux,  peuvent  être  très  réels.  De  nos 
jours,  nous  avons  eu  de  cela  un  exemple  frappant  qui  ne  doit  point 
être  perdu.  Tl  a  été  donné  à  notre  temps  d'observer  dans  des  faits 
très  authentiques,  dans  ceux  de  la  guerre  des  Grecs  contre  les 
Turcs,  l'effort  d'une  mythologie  naissante,  qui  rappelle,  par  beau- 
coup de  points,  l'esprit  de  l'antiquité  héroïque.  A  presque  tous  les 
Klephtes,  nos  contemporains,  sont  attribués  des  actions  surhu- 
maines. Que  manquc-t-il,  dès  le  présent,  à  Karaiskaky,  à  fiotzaris, 
àTzamados,  à  Nikitas  le  lurcophage,  pour  devenir,  entre  nos 
mains,  autant  de  types  généraux?  Ils  conversent  avec  leurs  sa- 
bres, avec  les  t'3tes  coupées,  avec  les  fleuves  où  ils  passent,  avec 
la  montagne  qu'ils  gravissent;  les  oiseaux  aux  ailes  d'or  leur  par- 
lent leur  langue  magique.  Dailleurs ,  un  seul  d'entre  eux  accom- 
plit dans  la  tradition  des  actions  pour  lesquelles  suffirait  à  peine 
une  armée  entière.  £n  est-ce  assez  pour  me  démontrer  que  ces 
hommes  que  j'ai  vus  de  mes  yeux  et  touchés  de  ma  main  ne  sont 
que  des  êtres  de  raison,  et  qq*ils  n'existent  qu'en  vertu  d'un  poème 
inventé  par  l'orgueil  populaire?  Cependant  la  plupart  des  raison- 


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490  RETDE  DBS  DEUX  MONDES. 

«emens  de  Niebuhr  s'appliqueraient  à  eux,  et  condairaieot  i 
tilemeiit  A  ce  résuUat  :  Souli  n'ssl  pas  moios  fabuleuse  qm  1 

Que  si,  laissant  les  considécatioosextfinsèques»  je  pénètre  phi 
avant  daos  la  queatiou»  et  si  j'eicaoïine  les  règnes  des  sept  roit  de 
fiovie»  uourseuleneot  j*y  cherche  en  vain  le  caractère  évideitè 
poésie  populaire  qu'on  croit  y  découvrir;  mais  eneore  j*y  BfeÊçàà 
tout  le  contraire.  Les  étemelles  divisions  de  tribus,  de  curies,  de 
centuries ,  les  r^glemens  politiques ,  les  établissemens  de  loist  de 
4)oUéges  pontificaux,  de  monnaie,  les  cemmemaires,  les  graad» 
annales,  les  tibri  ttitiei,  la  division  des  artisans  par  Numa,  des  dif- 
aes  par  Servius,  les  constnictions  d'aquéducs,  de  murs  d'enoeiale, 
(d0  routes ,  de  cloaques  ;  voilà  d'étranges  sujets  de  chansons  et  de 
ihèmes  héroïques  I  A  quoi  bon  tout  inventer  pour  n'inreoler  fm 
mieux?  Dans  la  plupart  des  autres  £aûts  se  découvre  un  mAïf 
d'érudition  grecque,  peut-être  plus  opposé  encore  aa  géoisde 
l'inspiration  plébéienne;  et  dans  tous  les  cas,  l'empreinte  d*un|i- 
nie  jpridifVie  s'y  laisse  voir  bien  plutôt  que  celle  d'un  génie  poici- 
que  et  spirilualiste.  Ce  triste  peuple  romain  ne  chante  pas  ;  il  écrit  : 
il  écrit  sur  le  bois,  sur  l'écorce,  sur  le  cuivre,  sur  le  {rfomb,  sv 
l'airain,  sur  la  toile.  En  vain  les  sibylles  ont  tiré  de  bonne 
heure  son  horoscope  dans  la  langue  d'Homère;  il  n'a  point  la  séié- 
nité  de  Tlonie  peur  épancher  se»  rudes  souvenirs  en  longoes  ite^ 
sodies.  U  n'a  point  eu  d'enfance;  sa  jeunesse  a  mAri  en  un 
el  le  travail,  la  guerre,  le  châtiment,  la  loi,  la  nécessité,  rii 
lion ,  l'ont  vieilli  avant  l'Âge»  Ses  années  sanglantes  s(Mit  maniBées 
une  à  une  par  le  grand  pontife,  et  marquées  d'un  clou  au  pilori 
sao^;  voili  aa-j^miére-ôpopée,  la  seule  indubitable.  Prédestîaée 
À^la  prose,  Home  a  toi^ujs  su  écrire.  Elle  s'est  formée  et  s'est 
aïK^rue  à  Tombée  d'Alexandrie  I  Ses  rois,  hommes  ou  idées,  Kkpk- 
tes  ou  symboles,  ont  deux  visages  comme  son  Janus  :  l'un  très 
idéal,  l'autre  très  réel.  A  c6té  de  la  louve  du  Tibre,  vous  les  ren- 
oontrez  dans  tous  les  embarras  de  la  jurisprudence  et  delà  parole 
écrite.  Des  fiisles,  des  cooamentaiies,  des  annales,  un  droit  fëciil , 
un  droit  papirien»  écrits  sur  l'écorce  du  figuier  ruminai  ;  est-ce  là  le 
berceau  d'un  rhapsode?  N'est-ce  pas  plutôt  le  berceau  d*un  légiste? 

En  vain  oppQ8e4-on  <^les  livres  ont  été  détruits  dans  Tinoeodie 
du  Capitole,  et  qiie  chacun^plébéien,  patricien,  a  recomposé  i  sa 
guise  les  éges  perdus.  Admettes  qu'un  seul  monument  ait  échappé 


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POÈTES  ÉPIQUES.  491 

aux  flammes ,  Farbitraire  dans  la  tradition  devient  imposslMe,  et 
personne  ne  nie  aujourd^hni  qn*il  n'y  en  ait  en  plusieurs  de  sauvés. 
Joignez  à  cela  que  le  chant  populaire  ne  se  reforme  pas  sjwtéma* 
tiquement  trois  ou  quatre  cents  ans  après  les  évènemens  dont  il 
^'inspire;  cet  artifice  est  le  contraire  même  de  la  nature.  Les  Uvrep 
écrits  se  sacrifient  en  un  moment;  3  n'est  besoin  que  d*un  trs^t 
de  plume,  et  voilà  des  interpolations,  des  omissions  irréparables. 
Avec  répopée  chantée,  il  en  est  autrement.  Pour  la  falsifiera 
mm  jour,  11  faudrait  la  conspiration  de  tout  le  monde  sans  que  pef- 
sonne  en  fût  instruit.  Le  chant  populaire  s*altère  avec  le  temps  de 
génération  en  génération  ;  il  se  développe ,  il  se  modifie,  il  s'atté- 
nue, il  se  transforme,  il  ne  se  recompose  pas  tout  d'un  coup  et 
sciemment  au  profit  d*un  autre  ftge.  Supposé  même  que  cela  fftt, 
le  corps  des  prêtres  (que  l'on  feit  au  reste  trop  peu  mterveniT  dans 
cette  question)  n'a  pu  perdre  entièrement  le  souvenir  du  passé.  S 
le  peuple  romain  eAt  voulu ,  à  certains  jours,  façonner  un  poème 
systématique  à  son  profit,  qui  doute  que  cette  version  mensongère 
li'eût  été  démentie  par  les  pontifes?  Au  moins  elle  n'eAt  jamais  pris 
la  place  de  leurs  annales.  Partout  où  le  sacerdoce  a  été  établi ,  la 
muse  plébéienne  n'a  pu  l'emporter  en  autorité  sur  h^tradition  des 
prêtres.  Ceci  est  confirmé  par  l'exemple  des  Hébreux,  des  Égyp- 
tiens et  du  monde  catholique.  Au  moyen-âge,  les  caraefères  d'At^ 
tila ,  de  Oiarlemagne ,  ont  été  défigurés  par  la  poésie  populaire. 
Hais,  au  sein  de  l^gnorance  de  l'époque,  qui,  certes,  équivaut  à 
rincendie  du  Capiiele,  la  simple  chronique  des  monastères  a  em^^ 
péché  dans  le  monde  la  confusion  absolue  de  l'histoire  et  du  poème. 
Ce  que  le  magicien  Turpin  n'a  pu  sous  les  Carlovingiens,  je  doute 
qu'il  reftt  pu  davantage  dans  le  grand  cloître  de  la  Home  patricienne. 
D'ailleurs  il  n'est  que  trop  visible  qu'à  force  de  l'exagérer,  Nte- 
buhr  détruit  lui-même  son  assertion.  Il  suppose  que  les  poèmes 
héroïques  de  Romulus  et  de  Numa  existaient  encore  au  temps 
d'Auguste;  c'était  donc  à  l'insu  de  tout  le  siècle.  H  croît  aussi  re- 
connaître dans  la  prose  de  Tite-Live  des  lambeaux  de  vers  satur- 
nins, et,  après  cela,  des  vestiges  d'un  mètre  lyrique  dont  personne 
au  monde  ne  connaît  seulement  les  règles.  Autant  vaudrait  dire 
que  les  œuvres  de  Pascal  et  de  Bossuet  sont  les  débris  d'un  vieux 
poème,  sur  ce  fondement  q  u'il  se  trouve  dans  leur  prose  des  lam- 
beaux d*hémistiches. 


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492  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

Non ,  Rome  n'est  point  sortie  de  terre ,  comme  les  villes  grec- 
ques, au  son  des  flûtes  enchantées  ;  un  plus  rude  commencement 
Ta  préparée  à  une  virilité  plus  austère.  Pas  davantage  les  exem- 
ples tirés  de  Tépopée  germanique,  espagnole,  persane,  ne  s  ap- 
pliquent à  elle.  Le  plébéien  romain  ne  s'égare  pas,  comme  le  Sieg- 
fried des  Niebelungen,  dans  une  vague  contrée,  au  chant  des  cygnes 
du  Rhin  et  au  son  des  harpes  des  Valkyries.  Il  n*est  point  assis, 
comme  TArthus  breton,  dans  un  festin  éternel,  à  la  table  ronde, 
parmi  les  bardes  de  Cornouailles  et  du  pays  de  Galles.  Il  n'écoute 
pas ,  comme  le  Cid  à  côté  de  Chimène ,  les  luths  de  Castille  ;  il  ne 
ressemble  pas  même  au  Serbe  errant  sur  son  cheval  caparaçonné, 
ni  au  Klephte  libre  sur  le  sommet  du  Vourcano.  Avant  tout,  le 
plébéien  romain  est  dominé  par  la  loi,  par  l'écriture,  par  la  prose. 
Cest  un  débiteur  entre  les  mains  de  son  créancier;  c'est  un  juris- 
consulte, un  Gains,  un  Papirius,  non  un  Homère.  S'il  balbutie  un 
poème ,  c'est  la  litanie  des  laboureurs  et  des  prêtres  arvales ,  ou 
plutôt  quelque  lambeau  du  poème  horrible  des  douze  tables ,  lu 
horrendi  carminis.  Les  formules  des  patriciens,  le  nom  secret  delà 
cité,  les  cérémonies ,  les  ruses ,  le  spectacle  dramatique  de  la  loi, 
voilà  ce  qui  excite  son  imagination  plus  que  des  aventures  idéales, 
que  rejette  son  esprit  matérialiste  et  de  bonne  heure  enchaîné.  D 
a  des  traditions  de  famille,  des  légendes,  quelques  rares  chan- 
sons de  guerre  et  de  table ,  des  hymnes  religieux ,  point  de 
poèmes  ni  de  rhapsodies  continues.  Quand  même  il  en  aurait, 
où  les  chanterait-il  ?  Quel  loisir  lui  laisse  la  guerre  ou  Vergasiu- 
lum?  Est-ce  sous  le  fouet  du  créancier  qu'il  chantera  le  triste 
chant  du  plébéien?  Il  n'a  point  d'assemblées  qui  soient  des  assem- 
blées poétiques,  point  de  jeux  de  Némée  ni  d'Olympie.  Il  ne  voyage 
pas  comme  le  rhapsode  grec  ;  il  ne  chevauche  pas  comme  le  chan- 
teur serbe.  A  trois  lieues  de  sa  ville  il  trouve  l'ennemi.  Au  dedans, 
au  dehors,  est  l'esclavage.  Son  foyer  est  muet.  De  là  il  faut  suppo- 
ser ou  que  ce  furent  les  patriciens  qui  chantaient  à  leurs  banquets 
le  chant  composé  contre  eux  par  les  plébéiens ,  ou  que  ce  poème 
populaire  fut  de  bonne  heure  écrit  et  conservé  en  secret  par  le 
peuple  sous  cette  forme  savante;  et  je  ne  sais  laquelle  de  ces  deux 
hypothèses  est  la  plus  inadmissible. 

Ce  n'est  pas  tout.  Si  les  plébéiens  ont  été  capables  de  produire 
dans  l'âge  barbare  une  épopée  telle  qu'on  la  suppose,  cette  fecnlté 


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POÈTES  ÉPIQUBS.  493 

n'aura  pas  disparu  en  un  moment.  On  retrouvera  plus  tard,  je  ne 
dis  pas  des  poèmes  semblables ,  maïs  au  moins  des  fragmens  et 
des  tentatives  du  génie  populaire.  Quand  les  poètes  patriciens , 
formés  sur  les  modèles  grecs,  commenceront  à  paraître,  on  verra 
une  lutte,  un  effort  de  la  pensée  plébéienne,  pour  résister  à  l'inno- 
vation. Si  Ton  n'admet  pas  la  lutte  de  deux  écoles ,  il  y  aura  au 
moins  quelque  part  un  regret  pour  cet  ancien  vers  saturnin  in- 
venté par  les  Faunes  (1)  et  aboli  par.Ennîus.  Dans  les  grandes 
occasions,  on  entendra  encore  le  retentissement  de  ces  chants 
évanouis.  Après  le  poète  viendra  l'écho,  après  Homère  les  home- 
rides.  Dans  l'époque  d'art  le  plus  cultivé ,  le  génie  national  con- 
servera encore  des  marques  de  son  origine ,  et  la  muse  des  pre- 
miers temps  visitera  par  intervalles  le  siède  de  Mécène.  Sur  ce 
dernier  point,  je  sais  bien  qu'à  nous  autres  Français  on  peut  bb-' 
jecter  l'oubli  dans  lequel  le  siècle  de  Louis  XIY  a  laissé  tomber  les 
formes  de  la  vieille  poésie  indigène  ;  mais  cet  oubli  n'a  pas  été 
complet.  Dans  cette  seconde  renaissance,  il  y  eut  toujours  des 
hommes  et  des  monumens  qui  représentèrent  la  tradition  du  vieux 
génie  que  l'on  appelait  gaulois.  Sans  parler  des  Amadis  et  des 
poèmes  chevaleresques  en  prose,  Lafontaine  seul  ferait  soupçonner 
tout  un  monde  perdu.  11  n'y  a  point  de  Lafontaine  sous  Auguste.' 
Enfin,  on  ne  sait  oii  remonter  pour  trouver  dans  la  poésie 
romaine  la  trace  du  chant  populaire:  plus  vous  poursuivez  ce  fan- 
tôme, plus  il  vous  échappe;  dès  que  vous  entendez  prononcer  un 
nom  de  poète,  la  réaction  grecque  est  déjà  complète.  Le  plus  ancien' 
de  tous,  Livius  Andronicus,  débute  par  une  traduction  de  l'Odyssée . 
Après  lui,  Nœviuset  surtout  Ennius,  en  racontant  les  histoires  les 
plus  intimes  de  la  vieille  Rome,  sont  déjà  sous  le  joug  d'Euripide. 
Si  l'on  remonte  plus  haut,  on  trouve  la  liturgie  des  prêtres  pour 
bénir  le  temple,  le  champ,  le  tombeau,  mais  point  de  rhapsodies, 
point  de  poèmes  héroïques,  point  d'épopée.  Pour  enfanter  une 
série  de  poèmes,  il  iaut  à  un  peuple  une  certaine  oisiveté  ou  liberté 
poétique;  celle  du  Germain  dans  la  forêt  hyrcanienne,  du  Gaël 
dans  le  clan ,  de  l'Arabe  dans  le  désert ,  du  trouvère  dans  sa  maison 
joyeuse  de  Provence.  Mais  il  n'y  a  point,  il  ne  peut  y  avoir  d'épo- 

(1)  Scribsêre  alii  rem 

Versibù  quos  olim  Fauni  valesque  cancbant- 

Etmii  fragmenta. 


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4^  RKTUB.Md.MQft  WIIIPB8. 

iliui  miMNAÏ^'^  ViM  pQ89#§8iQp.d*eU^vgi0ipfi.$«iMflWe^éfia(^ 

tode  cp«Pif9i^e  m  àmi^\^^  €;^t  Àmop  m^^,  wmamim^istàm 
iii4UM)ftipmb}§q«04?^4i9^  firak4i:«l4t 

la  per8fliwrii^,n»9ill)e  4?4lk»WlllMmi  ild4M^M^  4W9  J^PMp 

pam  on  ÀpfM4w#  /P0  qni  «Mf  âMfts  w  p^qpW  le  pni^Mi  W  ptai 

pp^nie  Jti^qv^Ol  épiq9fl»iet,fi^UPKH»a^lKtiqUop,^lilty4fîtét.^ii 
ordre  pNmm«qi^P)Û)o^pbiiH^«  «flHko  WWÊÎÊr 

46  dom^^lia  iw>NMlre  Qi^^^ 
dap44e8.giwHr#rPi^m^éSiiiiçt9K4^  S^mVt 

dans  leii^A<<M^P^  a^  p^ip^ue  ponr.^i^  à  4r»vwi  U>nt#0  les  ^ 
q^(^.  Ç^  m;ilp  9*^pt  poiq^  W  ^mA  les  At^imffbures^  fls  nais 
possèdent  dP4^4^M^tdea4M9ilM^)^  Le  poèM 

MrQique  nl^u^t  .Que  1$^ >d^i^tepp(i(i^il(mMiQ¥  des  ^aroiea  iadir 
gèpes  et  fppiiM^9|é(^4iMMP  l)M^»i9^m^^m^f  avwainéoaiiisaie 
i^*a  pu  «tt^or  pour  .^im  %|s|m«^9  qi\i)telir  «MPWMtM;  le  dé- 
font d*ui^  ^iÂe(PPpu)AÎrAf  dftAfi^le^  pp^ilif^fSftQiiipt  de  Romi» 
dey^ Qllti9i)per,K^t QnMrd.,  pmr  ré^Mt.,  itefdiiM  emfiniatéci 
et  abs^imte  ,d^  r£^4e  du  wM^  d'Apipist^^  .Ce  fiiilà^c^  ,<im,  i  h 
fin,  p^HP^yirfiil^  wfi^ii^apaiT.  QoMime  «oiijiàros,  .U«eatitq«*t9 

Mm  isQiiij6qiiQQce  qui  tient  de  pràs  à  celle-là ,  est  ridée  que  Isf 
Romains  en  général  se  formaient  du  but  de  la  poésie.  De  ce  qa*eile 
n*avait  point  été  chez  epx  Texpression  consacrée  des  croyances 
populaires  et  mitionales,  il  s'ensuit  qu'ils  la  considérèrent  de  bonne 


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riûie  ilimmioii  wMÊ»^lm'(pip(kL^^  l^tre 

pmÊT-  yjjguiwiinMi  der  tWtrtetetiiiC  ehM  tes  ^em,  ell0  àn^  élé 
i«fUtioii>  oiUe  et  dogme  te<tt  «ii6«*iUlë.  Elle  était  ]M>)li>  eiik  pkis 
YMM  4ae  riiigtoiri8i;'e»<^<M*  mimé  M  foifl  te  siygtètie  4*l!^sldCè. 
€heB  taalioiDBiM,  riên^ctociela.  La^ poésie  est  flolieti)  foble,  nâfen- 
«oifge;  c'est  dereiia  un  grand  mérite  qoe  de  santrfr  s^en  déiSèr. 
Ba^  là>  qaaad  Tke^Live  iilsiHiscfit  Ennins,  il  se  garde  biea  de  le 
oÊerç  fl (Promit ^  entelusant^  nfeanquér  à  la  dignité  <fe  la  tradttiOÉ. 
En  on^molle  ditorce  enttie  la  poésie  et  la  réalité  s^t  aeooiâipli 
parlée  Ri»nnm».  Le  monde  idéal  et  le  inonde  réel,  rémrfs  jusque- 
Ui  du»  lesijfnriqiKos'ortencaUx,  dans  leis  prophètes  hébreût,  dads 
habymtfe^^rpiiiqaesy  datas  les  rhapsodes  ioniens;  sont  désortnai», 
léparés;  ils  ne  se  €Otifondro«lt  phte.  Le  poète  n'é^  pln^  te  guide 
df»  peuplesb  H  a  perdu  une  à  one  toutes  ses  dduronilé»^  hors  la 
oaureonè^defs  songes.  Il  n*e9t  pltrs  ni  tégislatetir,  ni  prêtre  ^  ni  hid- 
toinen^n  est  devenu  on  ne  sait  <]uoi>  une  espèce  de  fou  de  coiir 
fnt  pour  d^rtir^aprèsle lion  muselé  du  cirque,  Tutaivers  deveMi 
▼ieuxw 

Wvptti^  oè^aécè  dit  plus  ftuat,  il  est  également  manilfeste 
que  l-art  romabi  devait  nécessairement  adopter  pour  loi  suprême 
la  loi  d'imitàtfon>  C'était  la  règle  à  loquelfe  il  était  soumis  en  nai^ 
sam^  Ses  formes  lui  étaient  imposées  en  même  temps  que  la  théO« 
dicée  et  la  cosmogonie  dea  Arecsi.  Un  métne  syistème  religieux  ne 
poUiFaHpaa  produire  deux  systèmes  tf'ait  diffèrens;  et  les  dièUx 
hdléniqfues  une  Ams  i^econnus  >  k  cbnséquence  était  de  donner  à 
Plliadeet  à' rOdyssèe  presque  la  même  importunée  sociale  dàîis 
Athènes  et  dans  Reine^  "PcMt  se  itottt  dans  la  poétique  paTenàé, 
m4me  lorsque  teut  semMe  s^'y  conftredire*  Depuis  le  grammairien 
lusqu'au  père  dcGf  dieuic,  tout  s^ngendt^  1-uti  de  l-autre;  toat 
^appuie  Tan  sur  Ta^Kre;  Tei^^tianus  sur  Horace,  HorsK^  sur 
Aristéie,  Ar(aiote  sur  HO)mèif«f>  Hoimère  sur  lupitei^.  Pour  <Aau- 
g<^  la  A>rme  de  rart-,  iifeUâit'etianger  lee  dieui^,  ^  il  n'y  avait 
que  le  Clirist  cfiA  pèt  déshériter  Homère.  De  là ,  quand  lesr  criti- 
i^es  modernes  ont  trente  de  rétiiblir  telle  quelle  la  tfiéorie  d'imi^ 
IMion^  ils  ont  fhit  une  règle  générale  de  ce  qui  avait  été  utt'cas 
particulier  à  Vétibbseiaelit  des  Romaiiisi  Ge  dOphidlâeu  ioû  nofti 
ilMis^leiPAcolei. 


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496  •  REVUE  DES  DEUX  MONDES.  ' 

En  effet,  H  est  arrivé  aux  Romains  ce  qui  est  adveoa  à  toutes 
les  civilisations  naissantes  quand  elles  ont  été  subitement  misesen 
rapport  avec  des  civilisations  plus  avancées.  Celles-ci  ontpromp- 
tement  dévoré  celles-là.  J)ès  le  berceau ,  l'Hercule  latin  a  été  en- 
lacé par  les  replis  du  serpent  grec;  jamais  il  n'a  pu  s'en  dégager. 
.  Au-dessus  des  huttes  de  Romulus  planait  le  fantôme  de  la  civili- 
sation homérique.  A  peine  ce  dernier  commença-t-il  à  paraître, 
qu'il  fût  le  maître,  et  qu'on  n'en  voulut  plus  reconnaître  d'autre. 
La  révolution  commença  par  les  dieux;  le  tagès  d'Étrurie  s'inclina 
sur  sa  glèbe,  comme  un  serf,  devant  le  Jupiter  Panhellénien. 

Ce  changement  ne  produisit  pas  même  un  schisme ,  et  le  poly- 
théisme païen  fonda  dès-lors  dans  Rome  une  sorte  de  catholi- 
cisiQe  païen.  Le  vieux  Saturne  d'Italie  se  laissa  détrôner  saut 
résistance  par  les  dynasties  des  dieux  étrangers.  Le  ciel  grec 
s'abaissa  avec  toutes  les  nuées  olympiennes  sur  l'Italie ,  sansqa'il 
sortît  un  seul  murmure  de  cette  terre  déshéritée.  11  est  vrai  que 
les  populations  les  plus  religieuses  avaient  été  extirpées  au  préa- 
lable. Les  cités  cyclopéennes  n'étaient  déjà  plus  habitées  que  par 
les  couleuvres  toscanes,  et  les  Romains  avaient  traité  les  Étrusques 
de  la  même  façon  que  plus  tard  Charlemagne  traita  les  Saxons  hé- 
rétiques. Par  là  fut  frayé  le  chemin  aux  croyances  et  aux  divinité 
nouvelles.  Quand  fut  ainsi  consommée  l'invasion  religieuse,  que 
restait-il  à  faire  à  l'art?  il  lui  restait  à  l'admettre  et  à  s'y  conformer. 

Supposez  que  dans  la  lutte  les  Étrusques  l'eussent  emporté  sur 
les  Romains,  l'Italie  ancienne  eût  certainement  produit  une  poésie 
plus  originale.  Au  lieu  de  tout  puiser  dans  l'imitation  de  la  Grèce, 
leur  art  eût  trouvé  ses  formes  dans  la  liturgie  toscane,  dans  les 
hymnes  des  prêtres,  des  augures ,  des  sibylles.  Mais  TextirpatiiHi 
de  ce  peuple  fut  en  même  temps  l'anéantissement  de  la  vieille  poé- 
sie italique.  Je  remarque  que  la  même  question  de  civilisation  ei 
d'art  qui  se  débattit  entre  Athènes  et  les  Persans,  se  résolut  dans 
le  même  sens  entre  Rome  et  les  Étrusques.  £n  soumettant  ces  der- 
niers, Rome  soumit  avec  eux  le  sacerdoce  qui  devint  muet,  et  per- 
dit sa  poésie  dans  l'esclavage  de  la  cité  politique  :  ainsi,  on  peut 
dire  que  dans  l'antiquité  l'école  d'Homère  triompha  deux  fois  du 
génie  sacerdotal  et  oriental ,  la  première  avec  les  Grecs  à  SaU- 
mine,  la  seconde  avec  les  Romains  au  bord  du  lac  Regiile. 

Si  pour  produire  un  système  de  faits  propres  à  la  poésie  épi- 


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POÈTES  ÉPIQCES.  49T 

que,  il  n*était  besoin  que  da  concours  du  monde  matériel,  aucune 
tradition ,  aucune  histoire,  ne  seraient  plus  riches  en  cela  que  la 
tradition  et  que  Thistoire  romaines.  Il  sufGt  de  rappeler  les  princi- 
paux sujets  qu'elles  fournissent,  et  qui  touchent  à  tous  les  rap- 
ports du  monde  antique.  —La  tradition  d*Énée,  —  Tépoqu'e  des 
rois,  —  les  guerres  puniques,  —  César,  —  les  invasions  des  Bar- 
bares. —Ces  sujets  ont  été  traités  séparément  par  Nœvius,  Ennius, 
Virgile,  Lucain,  Stlius  Italiens,  Claudien.  Mais  chacun  d*eux  porte 
en  soi  un  vice  commun  à  tous,  et  que  rien  ne  peut  racheter.  Rome 
a  t>eaa  être  placée  au  cœur  du  monde,  un  univers  tout  entier 
échappe  constamment  à  sa  conquête ,  je  veux  dire  Tunivers  im- 
palpable des  croyances  et  des  idées.  Le  monde  réel  dominait  trop 
fortement  chez  elle  le  monde  idéal ,  pour  qu'il  pût  s'établir  entre 
eux  les  justes  proportions  d*où  naît  l'harmonie  de  Tart  ;  Faction 
surpassait  la  pensée,  Thistoire  opprimait  le  poème.  Entre  la  terre 
et  le  ciel,  Taccord  ne  fut  jamais  parfeit,  et  la  faute  en  fut  toujours 
aux  dieux. 

Premièrement,  les  dieux  étrangers,  sortis  de  la  Grèce,  restent 
froids  et  inanimés  dans  leur  nouvelle  patrie  ;  point  de  sympathie 
ni  d'alliance  entre  eux  et  les  évènemens  au  milieu  desquels  le 
poète  les  transporte.  Us  ne  sont  pas  nés  de  ce  sol ,  ils  n'ont  pas 
grandi  avec  ce  peuple.  Cest  un  monde  qu'ils  ignorent,  qu  ils  pro- 
tègent sans  ravoir  fait,  qu'ils  condamnent  sans  le  haïr,  qu'ils  ser- 
vent sans  l'aimer.  Pour  eux ,  les  honneurs  politiques  du  culte 
romain  ne  valent  pas  l'indépendance  des  monts  de  la  Thrace.  Dans 
le  Panthéon  d' Agrippa ,  ils  regrettent  la  liberté  de  TOlympe  et  le 
grand  ciel  d'ilomère;  à  proprement  parler,  ils  sont  prisonniers  de 
guerre  dans  l'épopée  latine.  Comme  des  rois  vaincus,  ils  suivent , 
enchaînés  et  muets  dans  l'Enéide,  le  char  de  triomphe  de  l'imagi- 
nation romaine. 

Autre  difficulté.  Ces  dieux  ont  beau  arriver  de  toutes  les  par- 
ties du  monde  antique  dans  le  Panthéon  latin,  ils  ne  le  remplissent 
qu'à  peine,  car  leur  nombre  augmente  en  raison  inverse  de  la  foi. 
D'abord ,  à  mesure  que  les  dieux  étrusques  commencent  à  dé- 
choir, leurs  sièges  vides  sont  occupés  par  les  dieux  grecs.  Ceux- 
ci,  venant  à  décliner  à  leur  tour,  les  dieux  orientaux  sont  admis 
à  leur  place;  les  Romains  en  usent  avec  l'Olympe  comme  les  mo- 
dernes avec  leurs  chambres  hautes  :  Us  créent  à  volonté,  selon  le 

TOME  VII.  32 


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4f98  BETUfi  mm  vmjt:  vtKDss. 

-tvéw «barotts.  <G'^«tvfttiiri  qa%  te  fema>  «^  tÉoinsiie:  ii8B>  «m» 
eebtte  oiy«|ii6«oe  doM  ^aqiieUe  86i)ôudoi6at  JàpiM)  iMi  « 
dftiris*  Dè»l6  feApt  de  Vm0i>»  lee^tetw  Atirie&t<fleiiii4è«tf»- 
bnes^qui  irâtaaieot  leur  éicMtlè  dtfiliite  denr les  Hmm  de  Im- 
mmt  de  SaUiTM*  fie  toutes  parts,  de  rarient^^et  ddf-Brt,li 
dieux  me^eaMimeaC^dftiis  là  giMde  Josjiphai*4t4a  Bonrâfft- 
iMe  pour  enteedre  à  là  Sm  le  jugemeni  du  Ckrisl  awurcifriè: 
Reiirea-¥eiie^  meadils  I 

fl  rôgttke  de  tique  réMronaia^  se  développwif  kKuii  mmu 
dene  les  Iwûfles^  elles  eoadiliens  dumeBdb  maléffiei^  «odiriiak 
oBKHideîdéai  {(oAm  des  croyances)  enîvaU  on  progiM  tMfto- 
Ivaire  ^  la  fâiUe  cooooidaAce  ipd  esislwt  à  Teirigias  det'aHiè 
Tautre  ne  devait  pas  tarder  à  éti^e  ronpiie.'Seiis  Céseiv  Mm 
BMUériel  ppésentait  ^  connne  il  a  élé  rtsmaecpié  «Bears^  àm^tÊà- 
liws  très  épiquesi  Mais  le  syeièiae  de  la  théodieie  pàSeMeM 
dès-lors  aussi  impuissant  à  le  comprendre  qu*à  le  régir.lesfniii 
dieux  étaient  deyenuetrop  petits  peiur  soMreà  TadaMMUiMidi 
monde  roaiain.  L^bamamté  avaittsrandi>«  Ja(^i»aB^rèsd^di»Mi 
an  aaitt«  En  un  mot,  il  y  avait  ane  sarte  d^uaiié^  dans  l^MHhs^ 
■ieiMtiumain»el  une  anarchie  absolue  dans  FéiabliseemiicélM, 
e*est^à^ire  tout  le  coairaire  de  réquttibre{BieeBsair^i»«< 
aavateurw  l>e  fl^y  dans  la  hitte  déjà  flafraâiè  ehrtre  laeMîNMi 
atitiq«eet>les^  hommes  du  Nord,  les  dieua  de  Bmm»  éffouk^ 
milli»  80U6  leur  pearpre,  n'auraient  ftts^  eu  faoitoneat«Mirte 
dieuE  bavbàtfes  sens^  te  IMne  saové»  Les  preniei^  ne  pcai*^ 
plus  résoudre  les^Uf&oidtés  <)4  le  niwde  étatt^ptoagè.  ûn^éé^ 
eédé  la  place à'I' autre?  Odin^ou' JupiDer?  H  élak  temps  qoB  Mf^ 
parût  pour  lès^eotioilier  Tua  et  TMlre^ 

Par  tout  ce  qui  précède,  on  peut  se  faire  une  idéedetdlflta*^ 
aa.miUe»  desqurtles  était  plongé  le  poète  romaîa.  U  n^tatlK»»' 
loi  ni  le  peuple  ni  les>dieux  ;  il  foUait  qu  il  pùidine  à  ehaqaeiMO^ 
da ^ur  comme  Médée  :  Moi  seul ,  et  c'en  assea^  iossir  NqjW 
StinkiSi.  ma^ré  tous  leure-efforte  pour' imiter  Uamère,  nê'M^ 
ib'€(ae  desxhroiiqaeurs  en  vers,  oaeeqa^ ronappehdiile'i!^ 
gués*  L^art  roaaiù  était  un  adge  tombé  de  la  sphère  iéMe  i» 
Greeedaiis  la  Sadoeia  impériale*  Le  poème  y  ftitdeboAaehitiB 
^smttm  Al'hikteiiseï  d'où^ilBembl04iile>la  poé^  \ÊtàÊÊèf^,9JfÊti^ 


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liaBMBefa  des  Persans  et  qne  les  Sagas  dlslaBde*  HMe  voie  «a 
fcfirtate  A  Yitiga^  poor  lataw^ict,^iliûauaiB>il  derétaiDer^dans 
Ri«iraKi»  Qsmm^  dam  iHuPambten,  les  rodas-poètes  qm  1^ 
m%  pfécédé*  il  poofail  «naai  sotlir  des  fimaa»  nationalefl,  al 
toiiar,  |Mr  l^foitaïkm  d'Alanandine»  à  une  saite  d'éfiopée  âhstr 
lileal  4aivaiile$'e*esi  là  le  parti  ^*il  eboisit  t  c'^si  eeiai  qui  éiail 
m  le  génie  de  son  temps.  Le  ¥ie9  esprit  de  Rmoe  était  mari 
pseifiatoii  ;  laapril  casnKipolil0  ataiic  vainea  avec  César.  La  %rû^ 
tàmk  é^^Èùbt,  qneUe  que  soit  sao  origine,  marque  ^n  moins  ral«* 
Moe  de  la  Grèee  et  4e  Raase.Cest  8iir4%lée  de  lajMirenté  de 
ttdeaai  cîiriliMitiops  qne  repose  l'^^we  de  Virgile.  Dans  ce  sens, 
ftpaàme,  pliui£asmopoiileqne>rDmain,  a  pour  «ailé  Vanité  même 
ieVaittiqatié.  L'^ânéide-clot  eomrae  d*iin  sceau  le  paganisme;  sep 
apport  «ree  riKâde  est  île  même  que  celai  du  Paradu  perdu  avep 
a  fthle«  Homère  et  Virgile  aantarnseatteietui  comme  le  sont  le 
lomaMuceaMnl  alkiffin  d'un  mAme<nande.<l*est  laqneue  dusesvi 
psntqoi  va  refeiodre  satète.  Enjoutte,  si  Maasère  marque  le  liesi 
le  rOrient  et  da  la  firèce,  Virgile  nmrque  «ehû  de  la  Grèce  et  de 
l^llslie;  al  par  oe  o6té,  il  s'est  atlaohé  à  f  une  de  ces  idées  qui  ap» 
^rtiwient  i  Tépopée  philosopfaiqae  du  genre  huoMin.  Foi  H  aa* 
tira  qu'au  moyan-^-àgefl  veprésenla  lui  seul  TantâquilétOHleatièrey 
M  ^'il  devint  on  personnage  pins  poétique  qne  son  poème.  Lea 
t^S^acles  dea  -mopaatèies  firent  de  lui  un  prophète  moitié  païen , 
■toitiéobtétian^qiii  survivaitàlOMtuikmoade  détruit.  Parmi  les  rui- 
M  de  remfûre  romain ,  il  resta  comme  leapeotre  de  la  poésie  anti- 
(ne;  ombre  vagabonde  quidevait  initier  «Dante  à  la  ailé  des  morts. 
Malgré  crta,  Virgile  ne  peut  servir  de  centre  à  l*hisloire  de  la 
poésie  latine.  Las  poètes  romains  fie  forment  pas  autour  de  lui  une 
^ite  fiiaulle,  comme  les  Grecs  autour  d*Homère;  et  Tavare  fes- 
lia  de  t'Énéide  ne  les  nourrit  pas  tous  ensemble  de  ses  débris, 
p^dans  Rome  que  s*est  brisé,  pour  la  première  fois,  le  chœur 

E tique  des  rlrapsodes  et  des  muses.  L'inspiration  religieuse  et  po- 
biire,  qui  jusque-là  tenait  tout  réuni,  a  disparu.  Chacun  8*es 
aaas  savoir  où ,  Tun  dans  sa  joie,  l'autre  dans  sa  douleur.  Lea 
Ctasne  sont  plus  frères.  Plus  d'unité,  plus  de  lien,  plus  de  sys^ 
6  qui  les  rassemble,  si  ce  n'est  peut-être  le  matérialisme  de 


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500  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

Lucrèce.  Enfans  prodigues,  ils  vont  pattre  au  hasard  le  troopeai 
dispersé  d'Épicure;  au  reste,  sans  aïeul,  sans  chef,  sans  guide,  h 
sont  tons  orphelins. 

Une  chose  pouvait  les  réunir.  En  effet,  si  Tasserrissement  pré- 
maturé du  sacerdoce,  si  la  pénurie  des  élémens  nationaux  w»- 
saient  au  développement  du  poème  lyrique  et  du  poème  héroiqQe, 
une  troisième  forme  restait,  qui  paraissait  devoir  résumer  toit  le 
génie  romain  ;  c^est  la  forme  du  drame.  La  querelle  incessante 
des  patriciens  et  des  plébéiens  faisant  le  fond  de  leur  histoire,  q« 
ne  penserait ,  au  premier  abord,  que  ce  dût  être  là  une  situatk» 
éminemment  propre  aux  inventions  du  théâtre?  Cette  qaefék 
éternelle  de  Taristocratie  et  de  la  démocratie,  qui  commence  entre 
Romulus  et  Rémus  sous  le  figuier  ruminai,  qui  se  poursuit  sor 
TAventin  et  dans  le  soliloque  du  mont  Sacré;  ce  dialogue  sans  in. 
qui  s'agite  dans  la  paix  plus  que  dans  la  guerre  ;  ce  peuple  maet 
qui  transmet  sa  parole  au  tribun;  cette  lutte  acharnée  dans  Yat- 
ceinte  des  mômes  murailles;  ces  péripéties  continues;  ces  réconci- 
liations subites ,  et  de  nouveau  ces  récriminations  furieuses,  ei 
au  dénouement  comme  le  dieu  de  la  machine,  tantôt  un  Marias, 
tantôt  un  Sylla,  tantôt  un  César,  qui,  détruisant  tout,  renversant 
tout  à  son  profit,  concilie  tout  aussi,  voilà  certainement  une  tragé- 
die ou  une  comédie  historique  dont  chaque  scène  suffisait  à  la  Tïe 
d'un  poète.  Sans  doute  elle  eût  été  exécutée  par  quelque  Shaks- 
peare  du  mont  Aventin  si  la  violence  des  patriciens  n*y  eût  mis 
bon  ordre;  mais  la  loi  des  douze  tables,  en  punissaitt  de  mort 
rironie  plébéienne,  coupa  court  de  bonne  heure  à  toutes  les  t«iia- 
tives.  Malgré  cela,  le  poème  fut  commencé  par  Nœvius,  qui  expù 
son  audace  dans  la  prison  des  Métellus.  Après  lui ,  il  faUut  tmb 
siècles  avant  que  sa  colère  étouffée  éclatât  dans  Juvénal.  Rose 
finissait  alors  comme  elle  avait  commencé ,  par  la  satire. 

Lorsqu'on  entre  plus  avant  dans  le  temps  de  la  décadence  ro- 
maine, c'est  aujourd'hui  l'usage  d'expliquer  cette  époque  par  scf 
ressemblances  avec  la  nôtre;  on  cède  volontiers  au  plaisir  de  fiis- 
liger  son  siècle  avec  cette  vieille  férule;  et  pourtant  Dieu  sait  sur 
quels  faux-semblans  reposent  presque  toujours  ces  analogies!  Si 
Lucain,  Silius  Italiens,  Stace,  Claudien,  marquent  une  chute  ^ 
prodigieuse  dans  l'art,  ce  n'est  pas  seulement  parce  qu'ils  ont  al- 
téré la  diction  et  la  langue,  Jusqu'au  dernier  soupir^  les  RcHnain» 


I 


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POÈTES   ÉPIQUES.  50! 

ont  excellé  à  composer  ce  que  ron  appelle  de  beaux  vers  et  de  belles 
phrases,  sorte  d*art  mécanique  dans  lequel  ils  sont  de  beaucoup 
supérieurs  aux  Grecs,  le  moindre  d'entre  eux  pouvant  en  remon- 
trer là-dessus  au  vieil  Homère.  La  décadence  ne  vient  pas  non 
plus  de  ce  qu*ils  ont  quitté  les  principes  du  siècle  d'Auguste.  Le 
contraire  de  cette  idée  serait  plus  exact.  Dites  que  ces  poètes  sont 
demeurés  stériles  parce  qu'ils  sont  restés  asservis  à  une  loi  morte, 
et  vous  toucherez  au  vrai.  Pour  eux,  la  vieille  société  a  beau  mou- 
rir, ils  n'en  ont  cure.  La  même  expression,  la  même  règle,  la  mdlme 
mythologie,  ils  rappliquent  à  rilalied'Évandre  et  à  l'Italie  des  em- 
pereurs. Avant  comme  après  les  Barbares,  Rome  est  toujours  pour 
eux  la  Rome  de  Fabricius  et  de  Caton.  Que  leur  fait  le  bélier  qui 
frappe  à  la  porte?  jusqu'au  bout,  ils  continuent  le  jeu  classique  des 
temps  de  Saturne.  C'est  toujours,  quoi  qu'il  arrive,  même  sénat, 
mêmes  naïades ,  même  triomphe,  surtout  même  imitation.  Sous  le 
Goth  Stilicon  reparait  l'âge  d'or.  Alaric  est  le  commensal  d'Énéc  ;  le 
siècle  de  Claudien  se  revêt  de  la  peau  du  lion  homérique.  La  poéti- 
que du  siècle  d'Auguste  régit  jusqu'à  la  fin  le  siècle  d'Augustule. 
Qui  ne  voit  clairement  que  si  l'art  de  cette  époque  n'a  aucune 
valeur  sérieuse,  ce  perpétuel  mensonge  en  est  la  cause?  car  ce 
n'est  pas  la  poésie  en  soi  qui  manquait  au  spectacle  de  cette  société 
agonisante;  le  spectateur  seul  y  manquait.  De  tant  de  prophètes 
ofGciels,  augures,  dévias,  aruspiccs,  pas  un  n'a»le  pressentiment 
de  ce  qui  menace  le  monde  antique.  Tranquillement  et  stupide- 
ment la  société  romaine  s'en  va  à  l'abhne  sans  qu'il  se  trouve, 
parmi  tous  ces  intrépides  disciples  du  siècle  d'Auguste,  un  homme 
qui  ait  le  cœur  de  se  lever,  et  de  dire  :  «  Xous  périssons  I  »  Certes, 
il  ne  valait  guère  la  peine  d'avoir  à  son  berceau  tant  de  sibylles 
pour  n'être  pas  prévenu  de  sa  chute  une  heure  d'avance.  Ni  Attila, 
ni  aucun  des  Barbares,  ne  peuvent  arracher  cette  momie  impé- 
riale à  l'imitation  c'e  ■  s'jicide,  quelle  biiihutie  encore  dans  se n 
tombeau  de  Bysanc».  Voul-oii  voir  quelque  chose  de  plus,  il  faut 
relire  Symmaque.  Quand  tout  est  fini,  et  qu'il  n'y  a  déjà  plus  de 
Kome,  sous  Théodosc,  il  se  trouve  encore  un  homme  pour  de- 
mander, au  nom  de  la  société  qui  n'est  plus,  le  rétablissement  du 
culte  do  Janus.  Sans  doute  cet  hommc-là  croyait  qu'il  ne  fallait 
c]u'un  décret  de  remvi?rcur  pour  vossusciter  les  dieux  ensevelis, 
«lopuis  trois  ♦r;i?df\'5,  -^   us  le  .{jraîîd  lumiilus  do  l'Olympe.  S'il  y  a 


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9M  RE YD»  ^«S  Wm»  JfONDES. 

parmi  nom  iies  SftMMtqaes,  W'avou^vbavi^iioiii&tiv'ild 
bienmieux. 

Gela  admis,  je  demande  «ur  quel  fondement ^t^erttmtm'iMit 
comparer  une  sociélé  ai  -peu  préoccupée  de  sa  fin  à  kt  aoelélé  ma- 
derne ,  tra  contraire  si  liaMle  à  compter  ses  pkriea,  A/éeooler^si 
ruines,  à  sonder iies Messnres ,  à  prophétiser  sa '«lNile,el^m<h 
plus  tire  de  cette  science  même  sa  principale  grandeur.  Gherto 
Romains,  on  ne  trourepoint,  comme  9  a  été  dit  d-Hieesua,  de  lé- 
rémie  ni  d^bafe  pottr|]ileurer  sur  leur  misère  ftiture.  liais  3  n'fa 
point  non  plus  parmi  «ux  de  René,  point  de  GUMe-^Harold ,  pojii 
de  Faust  pour  dévoiler  Jiinesttre  leurs  oorabata^téviears.  Q  i^ 
a  pas  même  de  don  Juan  'à  la  dernière orgiedu  pagasisme. Li 
monde  romain  et  la  aodété moderne  sont ,  si  Ton  veut,  et 
même  cela  pourrait  se  nier,  deux  étabHssemens  près  de  se 
soudre.  Ds  se  ressemblent  par  une -même  apparence  fie 
Mais ,  pénétrez  au--deUi ,  tout  est  divers.  i.e  monde-ptâen^n^iif 
la  consciencede  sa  misère;  il  est  tel  que  cet  unfvew^phyaiqae^esl 
parle  Pascal,  et  qui-nc'sahpas.^'il'meurt;  T^Milre,  le  inoiida  mo- 
derne, le  «ait-sil)^,  qu'-f)  est  toujours  aurlepemt  rfee^eKagérsrsoa 
mal.  Et  pour  ce  qui  regardera-poésie,  la  phitosoplûe,  o«,  pourHi^ 
dire,  le  principe  de  la^norale,  ces  deux  conditions  d*uiie  rmeqili 
se  connaît  et  d'une  ruine  qui  s -ignare  sont  si  <liCKrentes  eBtoeéBq^ 
l'une  est  si  pauvre,  l'autre  est  si  liche  <ie  sa  propre  HMaèr»,  q— « 
point  seul,  une  fois  bien  établi,  suffirait  à  renverser  «toutes  ki 
analogies  qu'on  y  pourrait  opposer.  A  quoi  bon  attacher  ce^oorpf 
vivant  à  cecorpamortt'Onne  serait  pas  plus  10fn<ki  vraî^ea'eosr 
parant  aujourd'htii  4a  plainte  de  la  société  chrétienne  é  la*  pliioli 
des  prophètes ,  laquelle  était  aussi  pleur  et  joie ,  pMsé  et^aiei^ 
tout  ensemble. 

Depuis  longtemps  on  nous  assure  qu'il  se  préparedttns  la  peMi 
contemporaine  un  retour  vers  Timitation  de  Tantiquité.  Si  ooMt 
réaction  tant  promise  conduisait  à  la  fin  à  Fétude  des  formes  giw- 
ques,  nul  doute  qu'elle  ne  fAt  un  progrès  pour-tous.  Au  contnife» 
si  ce  devait  être  seulement  un  retour  à  la  poétique  latine,  il  j  ta- 
rait plusieurs  inconvéniens  à  redouter  d'un  aussi  brusque  repee- 
tir.  Il  a  été  composé  sur  ce  sujet  quelques  stances  qui  semblei^M 
devoir  pas  être  séparées  de  cette  étude  sur  Tépopée  et  la  critiqie 
romaines,  puisqu'elle  en  est,  en  plusieurs  points,  le  conuneataire- 


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POÈXSS  ÉPIQUES.  Stô 

A  LA  MUSE  LAI9NE. 

Sous  moD  toit  résonnant  gazouille  Tbirondelle; 
Le  petit  da  boavreuil  dont  j'ai  vu  crottre  Taile 
Commence  à  becqueter  mon  pain  de  chaque  jour. 
Car  le  toit  du  poète  est  ouvert  dans  Torage 
A  la  jeune  hirondelle,  aux  parfums  du  rivage, 
A  tous  les  ebaots  d'amour. 

U  n'est  fermé  qu'à  toi,  triste  muse  latine  ! 

Loin  ton  ciel  plagiaire  où  le  frelon  butine, 

Sur  leurs  longs  pieds  de  bouc  tes  mètres  salions. 

Vieux  enfans  d'un  vieillard  tes  hymnes  de  Saturne, 

Puis.au  bord  de  ton  urne 
L'(§popée  épaodkée  à  flots  olympien! 

Sans  ailes,  sans  guirlande  et  plus  riche  que  belle. 
Je  ne  t'aimai  jamais.  Ton  avare  mamelle, 
Loin  de  ma  mère,  enCant,  m'a  nourri  de  mes  pleurs. 
Tu  ne  sus  qu'insulter  les  plus  doux  de  mes  songes; 
Et  dans  mon  ciel  d'avril  tu  métes  tes  mensonges 
A  mes  premières  fleurs. 

Ta  férule  outragea  ma  muse  à  la  lisière; 
Et  moi,  fuyant  déjà  ta  classique  lanière. 
J'allais  où  va  l'oiseau  me  plaindre  dans  les  champs; 
Et  quand  j'avais  pleuré  mes  larmes  de  poète, 

Sautillant  sur  ma  tète. 
C'est  l'oiseau  nouveau-né  qui  m'enseignait  mes  chants. 

Mais  toi,  pendant  ce  temps,  sur  le  trépied  montée, 
Vestale,  qu'as-tu  fait  du  feu  de  Prométhée? 
Tu  l'as  laissé  mourir  sous  ta  tremblante  main. 
Ton  souffle  sur  ton  âtre  ose  à  peine  descendre; 
Car  les  pensers  d'amour  qui  raniment  la  cendre 
N'habitent  pas  ton  sein. 

Vestale,  qu'as-tu  fait  du  foyer  d'Ionie? 
Dans  tes  mètres  d'emprunt  la  torche  du  génie 
Sur  l'autel  des  Latins  n'a  brillé  qu'en  mourant. 
Ton  œuvre  la  plus  belle  est  un  sépulcre  vide 

Où,  dans  ta  cruche  aride, 
Tu  taris  en  un  jour  l'eau  poiséo  au  torrenl. 


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S04  REVUE   DES   DEUX  UOIHDES. 

Fille  de  ravisseurs,  sans  semer  tu  moissonnes; 
Des  guirlandes  d*antrui  tu  te  fais  tes  couronnes; 
Aux  prophètes  vieillis  tu  dérobes  leurs  deux. 
Quand  tes  Lares  sont  nus,  pour  les  vôtir  de  soie. 

Dans  les  tombeaux  de  Troie, 
Tu  ravis  le  lir.ceul  à  l'épaule  des  Dieux. 

Hors  du  monde  des  sens  pour  loi  tout  est  chimère; 
El  ton  vers  parasite  à  la  table  d'Homère 
N'a  foi  qu'en  ses  cinq  pieds  de  dactyles  chaussés. 
Tu  crois  qu'au  lieu  de  l'ame  un  lambeau  d'auapeslc, 
Comme  un  Mercure  ailé,  porte  au  faite  céleste 
Tes  larcins  cadencés; 

Que  riambe  inégal  peut  forger  sur  Tenclume, 
Comme  un  Vulcain  boiteux,  sans  que  le  cœnr  s'allume. 
De  deux  coups  de  marteau  ses  brûlans  javelots; 
Et  que  mieux  qu'une  veuve  en  sa  douleur  voilée, 

Auprès  d'un  mausolée. 
Un  spondée,  à  pas  lents,  va  traîner  ses  sanglots. 

Le  métier  use  en  toi  la  verve  sibylline. 
Tu  fardes  ta  Vénus  du  fard  de  Messaline; 
De  Delphes  sans  profit  lu  pilles  le  trésor; 
Rien  n'enrichit  janiais  les  cylharcs  menteuses, 
El  c'est  en  vain  qu'au  front  des  prières  boiteuses 
Tu  mets  un  masque  d'or. 

Voilà,  voilà  comment,  quittant  le  laticlave, 
Et  ceignant  à  ses  reins  ta  ceinture  d'esclave, 
L'art  se  fit  artisan  au  fond  des  lupanars. 
Ouvrier  des  Pisons  à  la  courte  tunique, 

Dans  ta  geôle  classique, 
II  tourna  sur  le  grain  la  meule  des  Césars. 

Tous  les  grands  ciseleurs  d'une  vide  parole, 
Tous  les  beaux  désespoirs  qu'une  rime  console. 
Tous  les  prophètes  faux  dans  leur  vaste  cité, 
Des  poètes  sans  cœur  les  rampantes  extases. 
Tous  les  limeurs  de  mots,  les  artisans  de  phrases, 
Sont  ta  postérité. 

Ah  !  si  pour  apaiser  la  fièvre  de  notre  âge, 
A  l'ame  il  faut  verser  un  antique  breuvage. 


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POÈTES  ÉPIQUES.  505, 

Dans  la  coupe  des  Grecs  nous  boirons  à  longs  traits. 
Quand  Tépine  est  au  cœur  qu'un  long  passé  dévore, 

Nous  apprendrons  encore 
A  cueillir  sur  Tlda  les  simples  des  forêts. 

Je  n'ai  point  oublié  le  sentier  de  l'Â^tlique. 
J'ai  suivi  plus  d*un  jour,  au  bord  de  mon  caîque, 
Dans  le  flot  albanais  la  plainte  de  Sapho. 
Mes  yeux  ont  vu  de  près  les  grands  dieux  sur  leur  folte. 
Et,  dans  ma  longue  nuit,  des  ciuq  voix  du  Taygète 
J'entends  partout  l'écho. 

Mais  toi,  n'espère  pas  que  nos  libres  pensées 
Reprennent,  sous  ton  joug,  les  entraves  passées. 
Comme  un  honteux  bétail  qui  choit  sur  ses  genoux. 
Non,  non;  trop  de  sentiers,  sur  de  nouveaux  abtmes. 

Ont  aplani  nos  cimes. 
La  muse  repentie  habite  loin  de  nous. 

De  tes  philtres  latins  nous  défions  les  charmes. 
Des  amours  plus  puissans  ont  de  leurs  chaudes  larmes 
EfTacé  dans  nos  mains  tes  livres  entr'ou verts. 
Que  feraient,  sous  nos  toits,  les  petits  Dieux  de  plâtre. 
Et  tes  Lares  gourmauds,  qui,  rangés  dans  ton  âtre, 
Nous  cachent  l'univers? 

Maudit!  maudit  cent  fois  le  poète  parjure 
Qui  le  premier,  livrant  son  aile  à  ton  injure. 
Voudrait  tout  ramener  aux  lois  de  ton  ciseau; 
Et,  prenant  ta  quenouille  où  ta  main  l'a  laissée. 

Dans  ton  froid  gynécée. 
En  rimes  filerait  un  servile  fuseau! 

Que  jamais  sa  maison  ne  soit  de  chants  remplie  ! 
Que  l'amphore  en  ses  mains  ne  garde  que  la  lie! 
Que  les  mots  dans  son  cœur  ne  rendent  qu'un  vain  bruit! 
Que  jamais  une  vierge,  amante  de  sa  gloire. 
N'éveille,  pour  l'entendre,  en  leur  couche  d'ivoire, 
Les  songes  de  la  nuit  ! 

Edgar  Quinet. 


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CHBONJQUJE  DE  LA  QUINZAHÎE. 


14  août  1836. 


La  grande  afifaire  de  cette  quiazakie  est  le  mouvement  révolutiaiioaire 
qui  a  commencé  en  Espagne  par  la  ville  de  Malaga»  où  le  coDunaDdant 
militaire,  San-Just«  et  le  gouverneur  civil,  M.  le  comte  de  Donadio,  oQt 
été  massacrés  dans  la  soirée  du  25  juillet  aux  cris  de  vive  la  consHMm 
de  1812.  Ce  mouvement  s'est  étendu  avec  beaucoup  de  rapidité  dans 
toute  FAndalousie,  dans  TEstramadure  et  jusqn*À  Madrid,  et  partoatil 
présente  le  môme  caractère ,  sauf  les  massacres  qui  n*0Dt  désboooré 
que  Malaga.  Mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  remarquable,  c'est  que  la  con- 
stitution de  1812  a  été  proclamée  le  2  août  à  Sarragosse,  avant  que  la 
révolte  de  Malaga  y  fûtoonnne,  bien  qtt'eUeait  eu  lieu  sept  jours  phis  tôt. 
On  pourrait  en  conchuet  qae  le-moMvomeDt  se  rattache  à  «ipe?co»pira- 
tion  positive  dont  le  foyer  existait  à  Madrid,  et  c'^t  ofiCoptivemeot  très 
probable;  ou  bien,  ce  qui  est  certain  qiiant  aux  dispositions  générales  da 
peuple,  lessentimens  qui  Tout  fait  éclateront  agi  à  la  fois  sur  plusieois 
points  avec  la  même  fanœ^  et  y^oot  produitie  mène  oéssIUit» 

Nous  dirons  tout  j^l'lMiàreoe que  nous^pensoos  die  doUerèrtlotiaOyqoi 
n'est  peuti-ètre  pas  aussi  redoutable  qu'on  le  suppose.  Mais  d'abord  oa 
mot  sur  ses  causes,  ou  plutôt  sur  ses  prétextes,  et  sur  les  circonstaocei 
quelquefois  très  singulières  qui  l'ont  accompagnée. 

Depuis  quelque  temps,  les  armes  de  la  reine  n'étaient  pasfbit  beureoseSi 
Les  carlistes,  sans  faire  de  bien  grands  progrès,  matntenaieot  cepeodait 
leurs  positions,  et  avaient  même,  en  dernier  lieu,  élargi  un  peu  le  cercla 
de  leurs  opérations.  La  légion  anglaise,  déjà  fort  affaiblie,  avait  échoua 
dans  une  tentative  sur  Fontarabie,  qu'on  avait  ensuite  appelée  une  simple 
reconnaissance  pour  déguiser  un  échec;  le  chef  carliste  Gomez  avait  ùii 
mie  pointe  très  hardie  jusqu'en  Galice»  où  les  populations  l'ont  fort  oui 
reçu,  où  il  a  échoué ,  mais  dont  il  revient  avec  quelque  argent  extorqué 


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d»  «êlé  %ir  dSaotrft^et  M08  '«v#ir  ét^  jwcpi'iovséPîfiMsaaMAl  €Dlamé.  Im 
choeet  allaient  mieus  ea  Catologne;.  mais  dans  Valenœ  et  daos  le  Bas* 
Ara^fûB»  des- bandes aodacieases  dévastateot  le  pays  et  répoufantaieat  par 
leurs  atpeoicés.  Tout  cela  n'était  pas  très  grave,  don  Carlos  élait  encore 
bien  loin  de  Madrid;  nuns,  enfin,  le  parti  eaalté,  mécontent  du  dernier 
obaagemeat  de  ministère  et  battu  dans  les  élections,  aimait  mieux  crier 
à  le  ir$Mtim,  eccoser  Gordovade  perfidie^et  vociférer  contre  M.  Isturiti^ 
4pie  de  reconnaître  les  vériubies  causes  qui  éternisent  la  guerre  civile, 
<^est-à-cUre  le  manque  d'argent,  le  manque  d'union,  l'absence  d'une  di«> 
reetion  vigoureuse  et  suivie,  les  rivalités  des^généraux,  et  par-4essus  tout 
m  eertwn  déœuragement  dans  les  esprits,  suite  naturelle  des  oscHIations 
du  povf>eir  et  des  réactions  en  sens  contrairea-qui  ont  tant  de  fois  affligé 
les  bonnètes  gens  dans  le  court  espace  de  quelques  années.  Les  meneuse 
ont  profité  de  ces  défiances;  les  carlistes  ne  se  sont  pas  fiait  faute  de  les 
«egmenteit,  d'exaspérer  les  haines,  d'entretenir  les  divisions,  et  il  en  est 
rtsuM  le  tentative  révolutionnaire  qui  a  donné  au  gonvomement  de  la 
FoUnedeux  ennemis  4  combattre  au  lieu  d'un,  qui  ajouterait  aux  chances 
du  prétendmt,  si  leqprétendaat  et  les  siens  étaient  d'autres  homoes,  qnl 
ôtera  momentanément  quek|iies  ressources,  et  coûtera  quelque  argentan 
trésor,  mais  prouvera,^  nous  l'espérons  iermement,  la  double  impuissance 
des  carlistes  et  des  révolutionnaires,  vaudra  au  gouvernement  de  la  reine 
une  démonstration  vigoureuse  de  sesaUiés,  et  ralUera  définitivement  au- 
teiHr  du  trène  tout  ce  qu'il  y  a  de  sensé,  d^honnéle  et  de  vraiment  patriote 
dans  la  naiioa  espagnole. 

Il  n'y  a  eu  derésistanee  nulle  part,,  c'est  vraL;^  le  mouvement  s'est  pro- 
pagé rapidement  et  accompli  sans  peine.  On  dit  qae  les  gardes  nationales 
se  sant  parfont  prononcées  unanimement  pour  le  conatitutien;  enthoa- 
siasme,  preclamatiens ,  feux  de  joie,  rien  n'a  manqué  de  ee  qni  ne 
nanqee  jamais  en  pareil  cas;  mais  tout  celé  ne  prouve  pas  grand*ehose« 
Proclamer  la  constitution  de  leiS  pour  le  peuple  espagnol ,  c'est  proda^ 
mer  le  souvenir  d'une  grande  époque,  d'un  grand  ébranlement  national , 
ë^ine  défeiMe  héroïque,  de  la  guerre  de  l'indépendance,  souvenirs  sur 
lenineb  on  vivra  encore  long- temps  en  Espagne  ,..pnroe  qn'il  n'y  a  rien 
^■Ire  chose  dans  son  histoire  depuis  la  découverte  dn  Nouveau-Monde.  Lee 
IfetMs  quarts  des  Espagnols  ne  savent  pas  ce  que  c'est  que  la  constitution 
de  18id;  ils  ne  l'ont  paS'étudiée,  Btonesepsfisîennent  certainement  pas  pour 
^  système  d'une  seule^obambre  ;  ils  s'inqidtent  peu  du' v«lo  suspensif  en 
ebsola,  de  la  députation  permanente,  de  tons  les  Douages  md^eemèinée 
^bA  fendent  inapplicable  la  coostitatéon*  de  18tôv  Pour  eus ,  cela  ne  vent 
^^ que  liberté,  indépendance,  élan  national. ^'ii se  tourne  contre  4ea 
^ooHisten,  A  la  bonne  heure;  raaiseneore-iSnit-ilvde  toute  nécessité,  nn 
^BOwemenwnt^  un  penveîr  œntral,  fort ,.  inteUigentet  respeetéy penrle 
*ri§ar. 

di  eôtéde  ia  >gyandc  pièoeqni  sejeueenpublie,/ilyetoi|Jonrr'lnpe» 
^qnt  se  jnne  dansles  eouKsses.  Dans  les  monvemen^fiepulaiiiea,.*!  y  a 
^^<9M*s  des  faonunea  qui  cherchent  de  Vimpomanee  locales  de  H  «a 
juntes  si  nombreuses.  L'histoire  dcM.  de  Toreno-dit  iceai^ietnn^aioipMa 


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508  RETUE  DES  DECX  MONDES. 

de  sens  et  de  vérité  :  il  y  a  des  intérêts  particuliers  qui  veulent  se  satisfaire; 
il  y  a  les  inévitables  ennemis  de  tonte  autorité  nouvelle,  il  y  a  les  ernbarras 
d'argent  et  les  embarras  de  position;  les  exagérés,  qui  veulent  toujours  afler 
plusloin,  les  timides  qui  se  cachent  ons*en  vont.  L'année  dernière,  on  a  td 
tout  cela  dans  les  juntes  ;  <5ctle  fois  on  en  voit  déjà  quelque  chose.  A  Ma- 
laga,  le  lendemain  de  la  révolution  ,  on  ne  savait  où  trouver  de  rargenl; 
la  commission  de  gouvernement  avait  déjà  ses  ennemis,  et  le  reconnais- 
saTt  naïvement  dans  le  bulletin  officiel  de  ses  séances;  elle  se  plaignait  de 
la  froideur  des  uns,  du  mécontentement  des  autres;  avant  qu'on  eôt  ap- 
pris le  soulèvement  de  Cadix,  la  jeunesse  même  refusait  de  marcher sor 
Grenade.  A  Sarragosse,  les  tiraîllemens  sont  tels,  que ,  sur  quatre  jiiales 
de  gouvernement  nommées  l'une  après  l'antre,  pas  une  encore  n'a  réussi 
i  s'installer. 

Nous  ne  croyons  donc  pas  que  le  gouvernement  de  la  reine  soit  sérifo- 
sement  menacé.  La  constitution  de  1812  nous  inquiète  d'autant  moiifê  qae 
les  provinces  soulevées  reconnaissent  formellement  aux  certes  le  droit  df 
la  modifier.  Nous  ne  serions  vraiment  inquiets  que  le  jour  où  Tannée, 
fidèle  jusqu'à  présent,  échapperait  à  ses  chefs  et  prêterait  à  l'iosarrecticD 
un  appui  sans  lequel  il  n'y  a  pour  elle  ni  durée ,  ni  succès. 

Il  y  a  sur  ces  évènemens,  sur  la  tournure  qu'ils  prendront,  sur  b 
résistance  que  pourra  opposer  aux  juntes  le  ministère  espagnol,  une 
grande  anxiété  dans  le  monde  diplomatique;  mais  on  peut  être  sdr  que 
l'Europe  redoute  beaucoup  plus  le  triomphe  de  la  révolution  qu'elle  dc 
désire  celui  de  don  Carlos.  Et  la  France,  que  fera-t-elle?  Voilà  ce  qu'on 
se  demande  de  toutes  parts.  Intervenir?  Pas  lout-à-fait;  la  question  d'ar- 
gent est  grave.  Abandonner  la  cause  de  la  reine,  laisser  don  Carlos  Éaire 
peut-être  quelques  pas  de  plus  à  la  faveur  de  cette  confusion?  «icore 
moins.  Des  engagemens  solennels ,  l'honneur  et  l'intérêt  de  la  révolatioD 
de  juillet,  l'honneur  et  l'intérêt  de  la  nouvelle  dynastie,  tout  le  défend. 
On  restera  donc  fidèle  au  système  de  la  quadruple  alliance;  on  lui  doe- 
nera  plus  de  développement;  on  imprimera  au  recrutement  dc  la  légion 
étrangère  un  mouvement  plus  rapide;  elle  recevra  un  chef  d'un  ranf 
plus  élevé,  d'une  réputation  militaire  plus  éclatante ,  d'une  énergie  in- 
contestable, d'un  nom,  d'une  position  politique  à  laquelle  il  serait  dif- 
ficile de  refuser  plus  lard  tout  ce  qui  sera  nécessaire  pour  ne  pas  k 
compromettre;  et  si  les  Anglais  s'y  prêtent,  comme  il  n'y  a  lieu  d'en 
douter,  le  but  du  traité  de  la  quadruple  alliance  pourra  être  attdat 
Est-ce  assez?  est-ce  tout  qu'il  serait  possible  de  faire,  questions  déhcates 
que  nous  posons  sans  les  résoudre.  Pour  nous,  notre  conviction  profoade 
est  qu'il  faut,  à  tout  prix,  empêcher  don  Carlos  de  s'établir  à  Madrid. 
Le  clef  de  voûte  du  système  de  paix  suivi  depuis  six  ans  est  la  solidarité 
d'une  Europe  constittitionnelle  opposée  à  l'Europe  absolutiste.  Pactiser 
avec  Carlos  serait  trahison  envers  les  prétentions  les  plus  justes  et  les  pte 
modérées  de  la  révolution  française,  qui  tend  à  multiplier  les  mosar- 
chies  constitutionnelles  ;  politique  que  M.  de  Talleyrand  s'est  si  souvest 
vanté  de  servir,  et  que  probablement  le  président  ministre  des  affaires 
étrangères  n'abandonnera  pas. 


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RBYtJE.  —  CHRONIQUE.  600 

Il  est  fâcheux  ponr  la  famille  doctrinaire  que  les  évènemens  qui  se 
passent  dans  la  Péninsule  aient  détourné  sur  eux  rattcntion  générale.  La 
harangue  de  M.  (iuizot  aux  cent  soixante-neuf  électeurs  de  Lisieux  n'a 
pas  produit  tout  Feffet  que  s'en  promettaient  les  am:s  du  rédacteur  en 
chef  de  la  Paix.  Cependant  il  vaut  la  peine  d'étudier  celte  pit«e  d'élo- 
quence dirigée  contre  le  n)inistére  du  22  février,  et  destinée  à  porter  Té- 
pouvante  dans  ses  rangs.  D'abord  M.  Guizot  remercie  les  cent  soixante- 
neuf  électeurs  de  Lisieux  de  leur  perse véranco  politique;  cet  éloge  lui 
sert  de  transition  pour  célébrer  le  système  du  juste-milieu  qui  est  à  la 
fois,  suivons  bien  ceci,  la  politique  du  13  mars,  la  politique  de  Casimir 
Périer,Ia  politiquedu  11  octobre,  la  politique  de  M.  Guizot, la  politique 
des  amis  de  M.  Guizot,  la  politique  royale,  la  politique  nationale. 
M.  Guizot  n'a  jamais  été  plus  prolixe  et  moins  clair  qu'au  banquet  de 
Lisieux.  Cependant  à  travers  tous  les  paralogismes  et  les  adulations  de 
l'ancien  ministre  de  l'instruction  publique  peree  cette  pensée  qu'on  ne 
saurait  trop  méditer  ;  Le  roi  Louis-Philippe  remplit  aujourd'hui  la 
même  mission  politique  qu'Henri  IV  au  commencement  du  xvii«  siècle; 
il  est  possible  qu'il  succombe  tragiquement  dans  sa  glorieuse  entreprise. 
(On  peut  se  rappeler  qu'il  y  a  quinze  jours,  un  journal  qui  reçoit  volon- 
tiers les  inspi  rations  de  M.  Guizot,  semblait  vouloir  préparer  la  France  à 
la  possibilité  d'une  catastrophe,  et  travaillait  d'avance  à  l'en  consoler.) 
Mais  après  Henri  IV  vint  Richelieu;  or,  la  France  est  assez  heureuse 
pour  avoir  l'équivalent  de  ce  grand  ministre,  comme  elle  a  sur  le  trône 
l'image  du  grand  roi  qui  est  tombé  sous  le  fer  d'un  assassin.  Le  nouveau 
Richelieu,  vous  l'avez  deviné,  n'est  autre  que  M.  Guizot,  qui  se  juge 
destiné,  sous  un  nouveau  règne,  à  enchaîner  les  factions  et  à  réprimer 
la  démocratie,  comme  Armand  du  Plessis  abaissa  la  noblesse.  Ainsi  l'his- 
toire est  décrétée  d'avance ,  et  nous  n'avons  plus  qu'à  nous  soumettre  aux 
prévisions  du  député  du  Calvados.  Il  nous  semble  qu'ici  M.  Guizot,  qui 
a  si  souvent  reproché  à  ses  adversaires  le  plagiat  politique,  ne  s'en  gêne 
guire,  et  nous  le  surprenons  à  se  contrefaire  un  avenir  d'après  un  passé 
qui  nous  semble  peu  convenir  à  sa  taille. 


Le  voyage  inattendu  du  roi  de  Naples  à  Paris  a  d'autant  plus  occupé 
l'atieDlion,  qu'elle  avait  moins  de  sujets  sur  lesquels  se  porter  à  l'inté- 
rieur. On  a  suivi  avec  intérêt  le  jeune  prince ,  avide  de  s'instruire,  dans 
ses  visites  à  nos  principaux  établissemens  publics.  On  rapporte  qu'en 
s'approchant  de  l'arc-de-triomphe  de  l'Étoile  et  de  la  colonne  de  la  place 
Vendôme,  il  s'est  découvert  et  a  salué  profondément.  Ce  n'était  pas  là, 
de  sa  part,  simple  courtoisie.  Ses  antécédens  marquent  bien  qu'il  y  a 
chez  lui  une  vive  et  véritable  sympathie  pour  la  gloire  de  nos  armes 
et  tout  ce  qui  s'y  est  associé  en  Italie.  Au  rebours  du  système  qu'avaient 
adopté  son  père  et  son  aïeul,  depuis  son  avéuement,  c'est  aux  hommes 
«nibus  des  idées  progressives  ou  élevés  à  l'école  de  nos  guerres  qu'il  a 
conUé  les  postes  principaux  de  l'administration  et  de  l'armée.  Lorsqu'il 
est  monté  sur  le  trône,  Rocca-Romana  vivait  dans  l'exil,  sévèrement  puni 


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m  RBVflB  M»^»MX  MIMS. 


é^m  vMè^fiiétitèà  Msral.  LcfBMVeMHPsI'a  rafptlé  prèr^  Wmi{(i. 
déral^.et  1^  £iU  oa^latfie  de  ses  garées»  Le  lr»U  fldivaliteil  pi»«- 
t«clériici^»e.  m.  de  Bourmool  éuit  Teiwi  à  Nafrfe»  «ve^pkttiMirMh 
hililét  eiriistesy  et,  melgré  tous  ies  effons,  «'«raît  pa  obtitir  4te 
reçu  ni  prôsenlé  à  la  oo«r.  Gepeftdaot  l'exHAiBiscre  de  €b«rl«rïtt 
Invité  À  une  fôte  <|toe  doimait  Mw  de  Lebseltem,  le  mîimtre  éfA^Êâàft, 
et  oà  le  roi  parut  m  mènent.  OiMne  sa  majeité  traverstit  toiaia» 
Ji.  de  Bonrmeot  t*«avança  sur  aen  pMflage,  espérant  sans  étmm 
Mfeax  aceDeilli  là  et  hoftoré  d^m^eritretiei».  Mais  è  sa  fae^lsiiriai 
ae^étèttma  tout  d'un  coup,  disant  à  eecrx'  qui  remtewaidbt  :  «-'iOe- 
neut  certains  honMies  osent*  ils  se  meiitrer  endore  en  fiarope  ipA 
Waterieo?  »  Voiei  un  autïe  tra4tt|(ii  kenere  dotiMèinéet  le  tan  ctk 
politi^ae  da  jesme  scmyemin.  On  kiia^ak  dénemcé  «mcenplottell- 
quel  étaieM  implkiiiés  plnéienrs  effieiers-et  soldats  de  demt  réfioBâ 
Qaelqee  seit  le  tlang er  auquel  il  s^expose^  sa  résOlulion  eM  InsotltpriR 
Les  deux  régimMs  accusés  sent> revois  à  la  bâteel  i9lf  eoos  leima. 
Il  se  ptoee  ssaltà^leortète;  ii  tesecvéuit  eu  plaiiie;il  ks  ktàgmémr 
somvres,  quatre  beoree  durvntsptiis  il  1^  ramène  à  la  ville  ksraiêi, 
et  n'en  ponrant-  pbssii  Alors  il-  fait  arnéser  deux  capitaines  des  phn  «M- 
pmmis«  Lear  procès  n'tst  pm^m§,  OeasplèteinetH  coitfiRneas,  ibtai 
csiidanuiésà  mort.  L*etécotidn:dff^iitéti«^iaitnédflate,  et  avoir  lies»  k^b 
l^safe,  dus  la  courdcr  Présidée  qiiediiuiiaMbt  les  fttiêtrcridJUsiÉ  i  iff^ 
Déjà  les  coupables  sont  à  geoMrx^.le^  yods  bandés.  Qaaivikehsliit  i# 
peirosr  à  la  fols  leurs  poitritieft.  Lei^pisi»«t  àsonbaleon^miiseeM 
pas  afin 4e  se  repoftre  d'une  seètierde^sMg.  A>  Uaspect  du  sopplieeft^ 
^agfie  tout  ému  son  nieuehetr.  <:s^eÉt  la  g^œ  pleine  et  entlMeétftf^ 
ésittnésiqu'il  vient  d'aceorder^  CorOftfmMont  >  le  royaume  deeDetttf* 
ks  a  droit  de  beaacoap  espérer  dHm  asemtque  de œt  âge  qui  a  ébp^ 
instîMoiS'd^  générosité  et  de  démenée,  et  se  montre  danseef  vofif^ 
rempM'tte  simplieité,  si  empressé  de  comraiire  par  Ini^méme  ei  éekift 
étudier  les  inatkutinns  et  les  cbeses  ntlles  des  divers  pays  <|ii'ï  P** 
court.  L'établissement  d'une  garde  tMtiunale  et  quelqiM  aMiei  b^ 
res  libérales  ont  témoigné  déjà  de  son  bon  vouloir.  Ce  pea  qu'il  if''^ 
permet  d'espérer  qu'il  fera  davantage  pour  Tavancement  et  h  liberté* 
«an  pays>  q%m^d  i4  va  lui  revenir  idAmlt  par  sa  prepre  stpérW» 
•t  conseillé  par  Fètat  prœpère  des  MifieHS  lib)^  qn^M  aurs  v»  Oi 
prufius  (lltH)n,  de  h  présence  d^  roi  de  IfifAes  à  Paris»  peorarftfitf 
k  double  ambasiiade  vaeeute  eiiti«  kn^deux  cours.  Parmi  tesiMAR*i 
eMidldats  que  présemeruit  Napteis,  deM' swnoat  seraient  au  ptt«iAi«< 
L'on ,  m;  Filadgieri ,  fits  et  nil%«tfe  pdblldilfr,  officier  d^ael»»»*"*' 
tinetien,  élevé  eu  France,  et  qui  a  iiWtaè  bonorablement  sert*  dâa* 
Hfmées;  l'îWtre,  *  Acton,  ffls  de  ràttfcieuffllrtfstre.lH.  Aciea,  «»«*• 
«aralfsant  Iiafitn,  «  su  ccwset^rttfui  l'esprtt  do  parfait  geaWi»'*' 
gl^is.  S<*i'libéïralismet«tép«)Ové,  shfbttuneiiuiiiense.  H  a^épow**»*^ 
db*dlic  déBàlbWg,  et  tient  IW*  tout  te  qu^i  y  a  de  plus  éteté. 

Sn  >la^e*efte,  kscoittnmifeaettt'eu  t^ècêfiMMMl  w»**"*^ 
jbttrtiéë,  cdk  ôà'*  soutdliMItéft  iësWWéttdtoeiislWr»dft» 


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K  tu 

imAkcrn^  «ftl»  eooiiftaiiAM<M«4rMH«i«Btr  inr-  k  «hainp  et  tattîNe^ 
iMsi  rugiine  m^lé  thMide-^t  la  ^ictwe  viw— wpt  éitpot^.  fJbowû  Joto 
Mi8MUfOMQrti*eil9»§eHi«ot.  GamoM  4>ûkMails^«tl0adre,  tta^is*! 
Rihml  Mlle  «Bftvaî»Miiai<et'OMi^-c(Hiii  aux  inoyaM  ÉîaatoniMocl^ 
m^^OMi  AaoïeiUatiae'V^M^daoe'iiiM  ynitiaB  4}tti  MOMUaltM  jeu 
Axi9tQMt  4«  «aMoaU  II  a'oafr't«pu>^'à  lui'fKMitlMiiy  «n  «oBBipakit  itoa 
frivil4pft4e!]a  chambroy  âa'ft'aMttM»iifta«aalage'iiioénsrdoiilo«K.Sik«*it 
MPptaieiil  «auteau  qo^  ikayaat  -la  alauM  d'apprapriaiioa ,  Wa  torda 
praie4t.aMDÀaaa  loi. de*ftoaiMei^  violé  aiasiiaaptérogatMret  rin  rnaaim  i 
tléa,  an  «erlu  d«  vi«ii  usaga  parieaiaauipay  lavjjpaafcar.aùt  jaté  le  bill 
lutiliMur  le  bureau  das-buiaBîara,  d*aè  oe§.  damiers  Veussant  patiMéA 
arreat  bors^de  la  saUe.  La  miaulpa  a  dédaigné,  aieoraiicMi,  ce Irop 
iQUa-tiiQnfiha.  U  a  vouUi  ae  davair  le^iea  qu'aiafoad.  et  boa  è  la  ferme. 
te  leslay  la  débats  qut-reeoiaflaaBçaH  pour^la'diiHèaie^Mipaiii-^ife  eolffe 
u BièQiaa adivemlree ^ft'a pas a(ïeri beaucoup  d^inaideDa'Dld'aogunseaa 
laaveaiix.  Le  diseours  captieux  ei  Tide  d^sirRtïbert  Fael  n'a  ffoère.ea 
i'satce  nérile^iua  dHDspmrkebHHaoie^péplique  de,M.  SbaU.  aPreoea 
|urde,awt  ditlaoî-^evaut  premier  lerd  de  la  trésarerie ,  taus  ptél^^ 
)ei  D«  réiDaaaer  que  las  superfluités  de  l'église,  et  ce  saot  ses  pilîaaa 
Mmeqaa^vavis  ébuaaleaA-^Rassurea-voua,  »Vst  écrié  réloquaDtaaaleiw 
irUiHiAi&^iepreaaat  risMige  ébauchée  et  la  fiuissBBi  ao^mattre;  rassures*^ 
vous  :  noua  n'ébrouions  pa&  les  piliers  devotre  église,  uaus  la  débaproa** 
Msseolaaiaiit  de  ce  déme  pasaot  chargé  ûor  qui  siaaaae.d'éorasaFaB 
i^éeroalaotitédiâoe  tout-aeiiaf  ave&ses-fvôlreset'Sas^^^als.  »  LotdSAaa-t 
^,  qai  répandait  au  représeulaat.de  Tipperary,  a'eat  TaineoMut  efiaivé 
^'«fEûhlur-l'aaèt  de. cette  obaleureuse  aoriie;  vaiuaaiant  il  a  taaté  d*aur^ 
^alaer leacaasciaoGesde cas whigs  bons  protestaosque remuait  autrar- 
Poissa  puisaaote  parole;  la  majorité  raiaistérieUe^-est  retrouvée eaqu'ella 
^'a  pas  cessé  d'être  aur  oatte  ques^oo  irlandaise  ^faiilte,  peuiiflopotaBla» 
naiscompaateet  isMnaaUe  daassa  /islblesda. 

^  autres  mêlées  parlemautaires  d^'laquiosaine  u^aotpaa  eu  lemâaie' 
^lat.  Cesi  ainsi  qu'aux  communes,  sur  la  motion  de  lord  John  Rua*- 
^}t  ont  été  rejetés  presque  sans  débat  les  amandemeua  d^s  lords  a» 
M  qui  complétait  la  loi  des  corporations  anglaises  et  galloisea  de  l^a» 
^^niiar«  Bina  que  l'aflaifo^Crtaon  imparlanaa ,  at  aqntinoàt  natSeaMOt 
a  oolliaien^vecla  pairie,  è^peineai  rassefl»blée>était  an  nombre  suffisant» 
s^est-à^re  qu'il  n'y  avait  guère  surlcs  bancs  plus  dea-quarantemafnbffea 
^ifoureasameut  exigés  pour  fermer  une  chambre.  Oomparativement  «I 
^tre  leurs  habitudes  de  jadis,  leslorda  montrant  plus  deaèle  législatif. 
Trois  d'entre  eux  pourraient  composer  une  chambre  des  pairs  tout-à- 
ait  légale,  et  ils  sont  encore  bien  une  centaine  à  leur  poste.  Il  est  vrai 
1^'ils  prennent  un  divertissement  extrême.  Rien  ne  les  amuse  comme 
^  faire  le  mal,  et  d'empêcher  le  bien;  et  ils  se  donnent  à  souhait  de  ce 
wQble  plaisir.  Durant  les  deux  dernières  semaines ,  il  n'y  a  presque  pas 
sa  de  jour  qui  ne  les  ait  vus  employés  à  mutiler  ou  à  détruire  quelque  me- 


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512  REVUS  DES  DEOX  MONDES. 

sore  utile,  longuement  et  consciencieusement  élaborée  par  les  communes. 
Le  bill  des  mariages  catholiques,  et  je  ne  saiscombien  d'autres,  aossi  esKs- 
tiels  et  réclamés,  ont  successivement  succombé  sous  leurs  coups.  Restait 
le  bill  de  réduction  du  timbre,  qui,  à  son  titre  de  la  loi  de  OnaDce ,  pa- 
raissait devoir  s'échapper  sain  et  sauf  de  leurs  mains.  Mais  ne  tihU-î-U 
pas  que  la  sagacité  de  lord  Lyndhurst  s'est  avisée  d'y  découvrir  une  daose 
intolérablç,  en  ce  qu'elle  s'immisce  tyranniquement ,  à  son  avis,  dam  la 
propriété  des  journaux.  Étrange  métamorphose!  les  lords  se  sont  faits 
soudainement  les  champions  de  la  justice  et  de  la  liberté.  Ils  derieoDeot 
plus  radicaux  que  les  radicaux  eux-mêmes.  La  clause  soi  disant  Teiaiœre 
est  écartée  du  bill ,  bien  qu'elle  n'eût  d'autre  tort ,  au  fond ,  que  d'être  i 
peu  près  inutile.  Ce  dernier  acte  de  la  pairie  témoigne  plus  de  perfidie  et 
de  hardiesse  qu'aucun  de  ses  actes  précédens.  Il  est  clair  que  sous  le 
prétexte  spécieux  de  protéger  riniérôt  des  journaux,  elle  n'avait  qn'im 
but    celui  de  rendre  impossible  pour  cette  année  l'exécution  d*anc  ré- 
forme universellement  populaire.  Que  devait-il  en  effet  arriver»  seloa 
toute  probabilité?  Cette  fois,  le  privilège  des  communes  était  iocoastes- 
toblement  entamé.  Si  le  bill,  qui  n'était  que  pure  matière  de  finncp, 
leur  était  rapporté,  elles  seraient  nécessairement  contraintes  de  le  re- 
pousser d'emblée.  La  session  expirait.  Il  serait  bien  difficile  an  ca- 
binet d'obtenir  d'elles  une  nouvelle  loi  qui  pût  être  renvoyée  aux  lonfe, 
dégagée  des  articles  sur  lesquels  ils  avaient  fondé  leur  oppositwa.  Ib 
auraient  ainsi  triomphé  et  rempli  leur  objet.  Heureusement  Tactinteci 
la  décision  du  chancelier  de  l'échiquier  ont  déjoué  ces  calculs  machiaré- 
liques  de  leurs  seigneuries.  Le  biil  du  timbre,  qu'elles  avaient  altère , 
a  été  ,  en  effet ,  supprime  le  11  par  les  communes  ;  mais  il  leur  en  a  éî« 
présenté  immédiatement  un  nouveau,  qui  a  subi ,  séance  tenante,  sa  pre- 
mière lecture.  Les  lords  seront  pris  au  mot.  La  loi  leur  sera  soumise t^ 
qu'ils  l'ont  voulue ,  et ,  bon  gré  malgré ,  il  leur  faudra  bien  la  voter  araot 
la  clôture  du  parlement.  Du  reste,  puisque  sa  témérité  rencontre  si  peu  de 
résisunce,  le  torisme  a  peut-être  raison  de  profiter  de  sa  veine  poor 
tenir  en  échec  ses  adversaires ,  et  réparer  un  peu  son  rempart  léiardé. 
C'est  chez  les  Anglais  une  maxime  politique  que  dans  la  guerre  des 
partis  tout  moyen  d'attaque  et  de  défense  est  légitime.  En  ce  monefit 
de  tiédeur  publique ,  les  whigs  jouent  également  bien  leur  jeu  lorsqu'il 
se  bornent  à  louvoyer,  à  maintenir,  l'arme  au  bras,  leur  position.  Ce  soat 
les  radicaux  seuls  qui  ont  tort,  et  marquent  peu  d'intelligence  en  goar- 
mandant,  comme  ils  font  aujourd'hui,  le  peuple  lui-même  de  sa  lorpcur. 
L'esprit  démocratique  a,  de  temps  en  temps ,  besoin  de  se  reposer  et  de 
dormir.  Soyez-en  sûrs,  il  saura  bicn  s'éveiller  tout  seul  quand  il  le  f«- 
dra ,  et  prendre  en  un  instant  toutes  ses  revanches. 


F.    fiCLOZ. 


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ROMANCIERS 


DE 


LA  FRANCE. 


m>»  lUB  aui  viiiiisQmB^ 


Ba  temps  de  M"*  de  Séyigiiéy  à  cAté  d'elle  et  dans  son  intimité 
la  plus  chère»  il  y  eut  une  femme  dont  l'histoire  se  trouve  pres- 
que confondue  avec  celle  de  son  aimable  amie.  C'était  celle  que 

tk.il  désignait  pour  la  femme  de  France  qui  avait  le  plus  d'esjmt 
et  qui  étrivcât  le  mieux.  Cette  personne  n'écrivit  pourtant  qu'assez, 
peu,  à  son  loisir,  par  amusement,  et  avec  une  sorte  de  négligence 
qui  n'avait  rien  du  métier;  elle  haïssait  surtout  d'écrire  des  let- 
tres, de  sorte  qu'on  n'en  a  d'elle  qu'un  très  petit  nombre,  et  de 
courtes;  c'est  dans  celles  de  M*""  de  Sévigné  plutét  que  dans  les 
siennes  qu*on  la  peut  connaître.  Mais  elle  eut  en  son  temps  un 
rôle  à  part,  sérieux  et  délicat,  solide  et  charmant,  un  rôle  en  efFet 
considérable,  et  dans  son  genre  au  niveau  des  premiers.  A  un 
fonds  de  tendresse  d'ame  et  d'imagination  romanesque  elle  joi- 
gnait une  exactitude  naturelle,  et,  comme  le  disait  sa  spirituelle 
amie,  une  divine  ration  qui  ne  lui  fit  jamais  faute  ;  elle  l'eut  dans 
9es  écrits  comme  dans  sa  vie,  et  c'est  un  des  modèles  à  étudier 

TOME  TII.  —  !«'  SEPTEMBRE  1836.  35 


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9R  KEVCB  I>BS  DB17X  MOlfDES. 

dans  ce  siècle  où  ils  présentent  tons  un  si  juste  mélange.  On  a  vé- 
cemment  cherché,  en  réhabilitant  Thôiel  de  Ramboofltoly  i  ea 
montrer  rhéritière  accomplie  et  triomphante  dans  la  personne  de 
M*'  de  Maintenon  ;  un  mot  de  Segrais  trancherait  plutôt  en  fiarenr 
de  M"'  de  La  Fayette  pour  CMe  flUatlott  diraclft  où  tout  le  préden 
avait  disparu  :  après  un  portrait  assez  étendu  de  M**  de  Ban- 
bouillet,  il  ajoute  incontinent  :  a  M"*  de  La  Fayette  avait  beaa- 
«  coup  appris  d'elle,  mais  M*'  de  La  Fayette  avait  Fespiit  phs 
a  solide,  etc.,  etc.  d  Cette  héritière  perfectionnée  de  M"^  de  '. 
bouillet,  cette  amie  de  M"'  de  Sévigné  toujours ,  de  M**  de  ] 
tenon  long^temps,  a  son  rangel  sa  date  astowée  en  ntftlre  littératute, 
en  ce  cj«*elïe  a  réformé  te  roman,  et  qu^ne  partde  ceta^^trâv 
rotf  on  qui  était  en  elle,  elle  l'appliqua  à  ménager  et  i  fixer  un  gave 
tendre  où  les  excès  avaient  été  grands,  et  auquel  elle  n'eot  qa*â 
toucher  pour  lui  foire  trouver  grâce  auprès  du  goût  sérienx  qe 
semblait  disposé  à  l'abolir.  Dans  ce  genre  secondaire  où  la  défio- 
tesse  et  un  certain  intérêt  suftient,  mais  où-  aal  génie  (8*0  a*«a 
rencontre)  n'est  de  trop;  que  VArt  poétique  ne  mentionne  pas,  qee 
Prévost,  Le  Sage  et  Jean- Jacques  consacreront;  et  qui,  du  uaaçê 
de  M"*  de  La  Fayette,  confinait  du  moms  dans  ses  parties  élevé» 
aux  parties  attendrissantes  de  la  Bérénice  ou  même  de  Vlpkigémk^ 
M"^  de  La  Fayette  a  fait  exactement  ce  qu'en  des  genres  plot  ea- 
timés  et  plus  gravât  ses  coiMaiporaÉls  {IhiMcsr  a'étiii««  à  rcsn 
proposé.  UAitrée,  en  impkatMt,  à  vtm  dim,  le  roiiaiiiMiFnMeb 
avttt  biemAt  servi  de  êovtck»  à  cet  intermittable»  rojatona»  C^rw, 
Cléopâire,  Potexandre  et  Oii^  Boileav  y  cMftt  eo«n  pcr  ae«#ârdé. 
leries,  non  moins  qu'à  cette  lignée  de  poèmet  épiqtièt,  le  Jtee 
mmé,  le  Saim  Lonh,  la  Pucelle;  M"*  de  La  Fayette^  stne  pÊtnÊm 
railler,  et  conime  venant  à  la  Mrite  et  mm  le  oMiveri  de  esta  dt-^ 
^noiera  que  Segrais  et  Huet  drstinguaiem  ma)  d'elle  et  < 
puent  des  mêmes  louanges,  leur  perta  co«p  plutqM  | 
la  Princesse  de  Clèves.  Et  ce  qu'elle  fit,  bien  eertaineneoi  ^e  tfm 
i^endit  compte  et  elle  le  voulait  faire.  :^e  avait  oomttme  de  dbe 
qu'une  période  retranchée  d'un  ouvrage  valait  un  leuisd'or,  ec«i 
met  vingt  sous  :  cette  parole  a  toute  valeur  dans  sa  bouche,  si  Fea 
senge  aux  romans  à  dix  volumes  dont  il  fallait  avant  tem  sorlk* 
Propoi^tfea,  sobriété,  décence,  moyens  simples  et  de  emwt  subsi* 
t«és  aux  grandes catastrofihes  et  aui&gvaades  phrases»  lebeeMt ki 


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MiMicwie  PB  M  wumcE.  B15 

.jbciât»  dekrifoniif^  tm,  pour  parier  «uwt  anUtitÉMomit,  de  la 
.ratûocbe  qu'elle  fit  duvoman;  elle  9e  montre  bien  éa  pur  «iècle  de 
Lovôs  XIV  en  cela. 

La  liaison  si  longue  et  si  inviolable  qu'^vt  M**  de  La  Fayette  avec 
JJL  de  La  Rocbefomaidd  Aîl  resMntto^  sa  vie  «He^mèsie  à  un  ro- 
ffuun,  à  on  ronao  sage  {remm  iMtefbîa},  idos  hors  4e  tèf^  que  la 
vie  de  M"*4e#éiigAé  qiii«*aime4oe  saiiHe,  mdiis  calculé  et  con- 
certé que  celle  de  W*  de  MaifileMe  qui  ne  vise  qu'au  saorement 
4i¥ec  le  roi.  Ommam  à  y  fm  m  emm  tendre  s'aHaat  avec  une 
raison  ^mire  -ot  désabusée  qn*il  adondtt,  une  passion  tardive, 
maïs  fidéle^^  «ntve  dew  .âmes  sériMses  où  la  plius  sensible  corrige 
,ia  misafttbnqpiede  r^nlre;dieiatdélictttMae,4u  smitiment,  delà 
^MSddation  aéqîppeqM,  4e  la  douceur»  plutAc  que  de  lHasion  et 
.delaAamnie;tf>'*4eClévès«  «o  unmot^maladHveet  Ugàrenient 
.  Attristée,  é  oôté  de  11.  de  Nemours  vieffî  et  auleur  des  Maximes: 
l^UeiMt  la  vie  de  M^'  de  La  Fayetle  et  le  rapport  eiact  de  saper- 
Mone  à  son  x^mm*  Gepega  d'illoaîon  qu'on  remarque  m  éUe,  cette 
j,aisoa  mélauGoUque  qui  fak  le  fends  de  sa  vie»  a  passé  un  peu  dans 
.  l'idéal  de  son  roman  même,  et  aussi»  cerne  semUe»  danrtous  ces 
antres  romans  m  quelque  sdrte  émanés  d'aile  et  qui  sont  sa  posté- 
lâté,  dans  E^t^kne  es  RoikeHn^  MademoUeUe  de  Ckrmcnl,  Édomrd. 
Quelle  que  soit  la  tendi^esacqnîr^vireten  œs  créatkms  heureuses» 
]a  rdson  y  est»  l^e^péHenca'bnmaiae  y  seofle  par  quelque  coin  et 
titflîédiila  pasaîoA.  Â  cèté  de  Ji^ame  aimame  qui  dé|à  s'abandoime» 
il  y  aausritét  quelque  chose  qui  avertit  et  qui  retient; M.  de  La 
AHM^hefouoauld  ,aa  jood  est  iloujours  tt. 

*8i  >(*«  de  La  Fayette  réforma  le  roman  en  France;  le  roman 
(Obevalereeque  et  seutimeetàl  »  et  lut  imprima  cette  nuance  particu- 
UÀro  cpi  concilie  jusqw'à  utt  eertaîa  point  Hdéal  avec  robaervation» 
0m  peut  dire  aussi  qu'elle  fonda  la  foremière  un  exemple  tout  à- 
fMt  abtstro  de  ces  at^tcbemens  durables  »  décens»  légitimes  et  con 
sacrés  dans  leurixmatanee  (1)»  do  tous  les  jours»  de  toutes  les  mi- 
nutes pendffiit  des  aimées  juaqtf'à  la  mort  ;  qui  tenaient  aux  mœurs 
de  l'andenne  société»  qui  sont  éteints  à  peu  prés  avec  eHe  ;  mais 
qui  ne  pouvaient  naître  qu'après  cette  sociéié  étid)tie  et  perfeedon- 
fHée^otollepiieiefiitque  vers  ce  temps4à.  LaPwmeeuede  dèves 

tf)  nfimfHim  W»  it»Tis»iilOTsr^flwt»»>wlH  ^rgWg«q>esi|B4^ 

33. 


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516  RBTCE  DES  DEUX  MONDES. 

et  son  attachement  arec  M.  de  La  Rochefoucanld,  ce  sont  deux 
titres  presque  égaux  de  M*"'  de  La  Fayette  à  une  renommée  tou- 
chante et  sérieuse;  ca  sont  deux  endroits  qui  marquent  la  littéra- 
ture et  la  société  de  Louis  XTV. 

J^aurais  laissé  pourtant  le  plaisir  et  la  fantaisie  de  recomposer 
cette  existence  bien  simple  d'événemens  aux  lecteurs  de  H**  de 
Sévignéy  si  un  petit  document  inédit ,  mais  très  intime,  ne  m'araft 
engagé  à  mettre  la  bordure  pour  Tencadrer. 

Le  père  de  M**  de  La  Fayette,  maréchal-de-camp  et  gouyemeiir 
du  Havre,  avait  du  mérite  et  soigna  fort  Féducation  de  sa  fine.St 
mère  était  de  Provence,  et  comptait  quelque  troubadour-laurétt 
parmi  ses  aïeux.  M"'  Harie-Madeleine  Pioche  de  La  Yergne  eut  de 
bonne  heure  plus  de  lecture  et  d^étude  que  bien  des  personnes, 
même  spirituelles,  de  la  génération  précédente,  n'en  avaient  reçiL 
M*'  de  Choisy,  par  exemple ,  avait  prodigieusement  d*esprit  na- 
turel, en  conversation  ou  par  lettres,  mais  pas  même  d'orthogra- 
phe. M"*  de  Sévigné,  et  M"'  de  La  Fayette,  plus  jeune  de  cinq  ou 
six  ans  que  son  amie,  ajoutèrent  donc  à  un  fonds  excellent  aoe 
culture  parfaite.  On  a  pour  témoignages  directs  de  cette  éducation 
les  transports  de  Ménage,  qui  d'ordinaire,  comme  on  sait,  tombait 
amoureux  de  ses  belles  élèves.  Il  célébra ,  sous  toutes  les  formes 
de  vers  latins,  la  beauté,  les  grâces,  Télégance  du  bien  dire  et  do 
bien  écrire  de  M"*  de  La  Fayette  ou  de  M"*  de  La  Vergne ,  Laierm, 
comme  il  disait.  Plus  tard,  U  lui  présenta  son  ami  le  docte Haet, 
qui  devint  aussi  pour  elle  un  conseiller  littéraire.  Segrais,  qui,  avec 
M""  de  Sévigné,  suffit  à  faire  connaître  M»'  de  La  Fayette,  nous 
dit  :  <r  Trois  mois  après  que  M"*  de  La  Fayette  eut  commencé  d'ap- 
a  prendre  le  latin,  elle  en  savait  déjà  plus  que  M.  Ménage  et  qie 
<r  le  père  Rapin ,  ses  maîtres.  En  la  faisant  expliquer,  ils  eurent 
<r  dispute  ensemble  touchant  l'explication  d'un  passage ,  et  ni  Tod 
a  ni  l'autre  ne  voulait  se  rendre  au  sentiment  de  son  compagnon  : 
<r  M"*  de  La  Fayette  leur  dit  :  cr  Vous  n'y  entendez  rien  ni  Ton  ni 
a  l'autre  ;  d  en  effet ,  elle  leur  dit  la  véritable  explication  de  œ 
<r  passage;  ils  tombèrent  d'accord  qu'elle  avait  raison.  C'était  no 
n  poète  qu'elle  expliquait,  car  elle  n'aimait  pas  la  prose,  et  die  n'a 
<r  pas  lu  Cicéron  ;  mais  comme  elle  se  plaisait  fort  à  la  poésie,  ék 
a  lisait  particulièrement  Virgile  et  Horace  ;  et  comme  elle  avait 
or  l'esprit  poétique  et  qu'elle  savait  tout  ce  qui  convenait  i  cet  art, 


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ROKÀNCIERS  DE  LA  FRANGE.  517 

ir  elle  pénétrait  sans  peine  le  sens  de  ces  auteurs,  a  Un  peu  plus 
loin  il  revient  sur  les  mérites  de  H.  Ménage  :  a  Où  trouvera-t-on 
<r  des  poètes  comme  M.  Ménage,  qui  fassent  de  bons  vers  latins , 
e  de  bons  vers  grecs  et  de  bons  vers  italiens?  Cétait  un  grand 
ff  personnage,  quoi  que  ses  envieux  en  aient  voulu  dire  :  fl  ne  savait 
<r  pourtant  pas  toutes  les  finesses  de  la  poésie;  mais  M"*  de  La 
<r  Fayette  les  entendait  bien,  d  La  personne  qui  préférait  à  tout  et 
sentait  ainsi  les  poètes,  était  à  la  fois  celle-là  même  qui  se  montrait 
vraie  par  excellence ,  comme  M.  de  La  Rochefoucauld  plus  tard  le 
lui  dit,  employant  pour  la  première  fois  (1)  cette  expression  qui 
est  restée:  esprit  poétique,  esprit  vrai,  son  mérite  comme  son 
charme  est  dans  cette  alliance.  Avec  cela,  M*'  de  La  Fayette  avait 
grand  soin  (  Segrais  nous  en  avertit  encore  )  de  ne  faire  rien  paraî- 
tre de  sa  science  ni  de  son  latin,  pour  ne  pas  choquer  les  autres 
femmes.  Ménage  nous  apprend  qu'elle  répondit  un  jour  à  M.  Huyg- 
hens  qui  lui  demandait  ce  que  c*était  qu'un  ïambe,  que  c'était  le 
contraire  d'un  trochée;  mais  il  fallait  M.  Huyghens  et  sa  question , 
croyez-le  bien,  pour  lui  faire  prendre  ainsi  la  parole  sur  le  trochée 
et  sur  l'ïambe  (2). 

Mariée  dès  1655  au  comte  de  La  Fayette,  ce  qu'il  y  eut  probable- 
ment de  plus  remarquable  et  de  plus  d'accord  avec  l'imagination 
dans  ce  mariage,  ce  fut  qu'elle  devint  ainsi  la  belle-sœur  de  la  mère 
Angélique  de  La  Fayette ,  supérieure  du  couvent  de  Chaillot,  autres 
fois  fille  d'honneur  d'Anne  d'Autriche,  et  dont  les  chastes  amours 
avec  Louis  Xin  composent  un  roman  chaste  et  simple,  tout  sembla- 
ble à  ceux  que  représente  M"^  de  Qèves.  Son  mari ,  après  lui  avoir 
donné  le  nom  qu'elle  allait  illustrer  et  qu'une  si  tendre  lueur  dé* 
corait  déjà,  s'efface  et  disparatt  de  sa  vie  pour  ainsi  dire;  on  n*ap- 


(I)  Cesi  par  erreur  qu*aii  tome  Im  des  Critiques  et  Portraits,  pag.  43  (  saconde  édition) , 
fai  attribué  à  Mm»  de  Sérigné  d^avoir  la  première  employé  ce  mot;  elle  rappliqua 
maintefoisà  ton  amie,  à  sa  fille;  on  aurait  pu  le  lui  appliquer  à  elle-mÂme  ;  mais  il  parait 
blea  que  ce  fut  M.  de  La  Rochefoucauld  qui  le  dit  d^abord, 

(t)  Tallemaut  des  Réaux,  ce  rapporteur  ordinaire  des  mauvaises  paroles,  en  attribue 
une  à  MU«  de  La  Vergne  sur  son  maître  Ménage  :  a  Cet  importun  Ménage  va  venir  tan- 
tôt. »  11  la  rapporte  au  reste  à  bonne  fin,  et  pour  montrer  que  le  pédant  galant  n*était  pas 
du  dernier  bien  avec  ses  belles  élèves.  On  n'avait  pas  besoin  de  ce  témoignage  pour  con- 
chore  que  Ma*  de  La  Fayette  ne  se  faisait  aucune  illusion  sur  les  défauts  du  pauvre  Mé- 
nage, et  Je  crains  même  qu'elle  n'ait  songé  à  lui  entre  autres ,  le  Jour  où  elle  dit  «  qu'il 
était  rare  de  trouver  de  la  probité  parmi  les  savans.  » 


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M8  »]KyPB  ItpS  ]^EU]L  XQS^.. 

pr^p4 p}p§ cien  ^e Nfiuî  ^^ di3tiiigue.£Qe  en  eut depx,^ 
^mait  be^ucopp,  Tun  militaire,  dQnt  rétablis$emeat  Tavait  tagt 
'Occupé»  et  qui  mourut  peu  de  temps  après  eUe,  et  un  autre,  Takhé 
4e  I^  Fayette,  pourvu  de  bonnes  abbayes,  et  dont  on  sait  sortMt 
gu')]  prétait  négligemment  les  manuscrits  de  sa  mère  et  les  perdit 
]  M^^  d^  La  Fayette  fut  introduite  jeune  à  Thôtel  de  Rambaidht, 
e(  elle  y  appris  beaucoup  de  la  marquise..  H.  Rœderer,  qui  a  ial^ 
T^t  à  ce  qu  aucune  des  plaisanteries  de  Molière  n'atteigne  rh6td.de 
Pamboi^illet,  le  fait  se  dépeupler  et  finir  un  peu  plus  t6t  quHie 
cppvient.  1^'  de  La  Fayette  eut  le  temps  d*y  aller  et  d*y  prafil|r 
^UQsi  bien  que  M""'  de  Sévigné.  M.  Auger,  dans  la  notice,  d*a3(^|K> 
^luifite  et  intéressante,  ipais  sèche  de  tpn,  qu'il  a  donnée  a|r 
M*'  de  La  Fayette,  dit  à  ce  propos  :  a  Introduite  de  bonne  bep» 
f  4an3  la  société  de  Tbôtel  de  Rambouillet ,  la  justesse  et  la  soUdM 
€  naturelles  de  son  esprit  n'auraient  peut-être  pas  résisté  à  la  op* 
fr  tagion  du  pnauvais  goût  dont  cet  hôtel  était  le  centre,  si  la  lec^vt 
«  4os  poètes  latins  ne  lui  eût  offert  pu  préservatif,  etc.,  etc.  »  Js 
préservatif  eut  bien  dû  agir  sur  Ménage  tout  le  premier.  Cehfft 
de  plus  injuste  pour  Thôtel  Rambouillet,  et  M.  Repérer  a  cofHBlè- 
tement  raison  contre  ces  manières  ,de  dire.  Mais  il  s*abuse  ]p» 
^^me  assurément  quand  il  fait  de  cet  hôtel  le  berceau  légitime  d| 
^n  goût,  quand  il  nous  jnontre  M""*  de  Scudéry  comme  y  étant  |||î> 
tdt  tolérée  qu*exaltée  et  admirée.  H  oublie  que  Voiture,  tant  (fd 
yécut,  tint  le  dé  en  ce  monde-là  ;  or,  on  sait,  en  fait  d'esprii,  iia» 
ajissi  en  fait  de  goût,  ce  qu'était  Voiture.  Quant  à  M"'  de  &udéfjf  | 
suffit  de  lire  Segrais,  Huçt  et  autres,  pour  voir  quel  cas  on  ùiâf^ 
de  cette  incomparable  fille,  et  de  Y  illustre  Bossa ,  et  du  grand  Cgrwjf 
et  de  ses  vers  si  natureb,  si  tendres,  que  dénigrait  Despréaux,  a^ 
oh  il  ne  saurait  mordre;  et  ce  que  Segrais  et  Huet  admiraient  es  de 
pareQs  termes  devait  n*étre  pas  jugé  plus  sévèrement  dans  ai 
monde  dont  ils  étaient  comme  les  derniers  oracles.  M**  de  jU 
Fayette,  qui  avait  l'esprit  solide  et  fin,  s'en  tira  à  la  manière  de 
M*^  de  Sévigné,  en  n'en  prenant  que  le  nûeux;  par.  son  Age,  A 
j^ipartenait  tout-à^ait  à  la  jeune  cour,  et,  même  avec  ommis  é» 
scnditè  dans  l'esprit ,  eV^  n'aurait  pas  manqué  d'en  posséder 
les  pbis  justes  élégajaces^  Pà»  les  prepiiers  teotps  dej^qn 
eUe  avaUtM  l'ocGasion  do  yoir  f néignemment  an  çoayet  dftfhiiiii 
U  j^me  princesse  d'An^^terr^  priN  ^  la  vmfi  Heorieite,  qp^ 


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alors  en  exil,  s*y  était^  reUrée.  Quaad  1^  jeûna  pfinefsae  fut  der^-i 

lUie  M;idaiue  et  rogrneinent  le  pliis  animé  de  1^  cour»  IHT  de  La^ 

Fayette,  bien  qu^  de  dix  ans  son  a^ée,  garda  Fancienne  faniQiarit^ 

9l?ec  elle,  eut  ten^gour^  ses  entrées  ps^rticuliéres,  et  put  passer  pour 

aa  favorite.  Dans  Thistoire  charmante  qu^elle^  a  tracée  des  annéea 

l^rillaates  de  cette  princesse,  parlant  d*ello-méme  à  la  troisièma 

personne,  elle  se  jugip  ain^  :  a  M"'  de  La^TrimouiUe  et  M*'  de  La 

Q  Fayette  ét^ent  de  ce  nombre  (  du  nombre  des  personng^  quivoytùçnt. 

«  souvent  Madame).  Lapremière  lui  plaisait  par  sa  bonté  et  par  une 

e  certaine  ifigénuité  à  conter  tout  ce  qu'elle  avait  dans  le  cœur, 

OLqui  ressentait  la  smpliâté  des  premiers  siècles  ;  l'autre  lui  avait 

«été  agréable  par  son  boxeur;  car,  bien  qu'on  lui  tr^nvàt  do. 

«  mérite,  c'était  une  sorte  de  mérite  si  sérieux  en  apparence,  qu'il 

«ne  semblait  pas  qu'il  dAt  plaire  à  u^e  princesse  aussi  jeune que^ 

e  Madame,  o  A  l'ftge  d'environ  trente  ans,  M"^  de  La  Fayette  se 

trouvait  donc  au  ceqtre  de  cette  politesse  et  de  cette  galanterie 

deaplus  Oorissantes  années  de  Louis  XIV  ;  elle  était  de  toutes  les 

parties  de  Hadame  à  Fontainebleau  ouàSaint-^oud;  spectatrice 

plutôt  qu'agissante  ;  n'ayant  aucune  part,  comme  elle  nou9  dit,  à  sa 

Mi^dence  sur  de  certaines  affaires,  maisquand  elles  étaient  passée^ 

•I  un  peu  ébruitées ,  les  entendant  de  sa  bouche ,  les  écrivant  pour 

lui  complaire  :  or  Vous  écrivez  bien,  lui  disait  Madame,  écrive?:» 

J9  \onB  fournirai  de  bons  mémoires,  ^-rra  C'ét^t  un  ouvragcf 

ai3set  difficile,  avoue  M^'  de  La  Fayette,  que  d^  tourner  la  vérité 

ea  de  certains  eiubroits  d'une  mianiére  cpii  la  fit  connaître  et  qui  nc^ 

iàl  pas  néanmoins  offensante  ni  désagréable  à  la  princesse,  d  Un 

de  ces  endroits  entre  autres,  qui  aiguisaient  toute  la  dâicatessQ 

de  M*'  de  La  Fayette  et  qui  excitaient  le  badinage  de  Madame 

pour  la  p^e  que  l'aimable  écrivais  s'y  donnait,  devait  être, 

jloiagine,  celui-ci  :  a  fMe  {Madame}  se  lia  avec  la  comtesse  da 

m  Soissons...  et  ne  pensa  plus  ,qu*à  plaire  au  roi  comme  belle-* 

«  aceur;  je  crois  qu'elle  lui  plut  d'une  autre  manière,  je  croia 

«  aussi  qu'elle  pensa  qu'il  ne  lui  plaisait  que  comme  un  beau-frère^ 

^  quoiqu'il  lui  plût  peut-être  davantage;  maïs  enfin,  comme  flf 

^  étaient  tous  deux  infiniment  aimables,  et  tous  deux  nés  avec  def 

<^  dispo»tions  galantes,  qu'ils  se  voyaient  tous  les  jours  au  miliea 

^  des  plaisirs  et  des  diverttssemens,  il  parut  aux  yeux  de  tout  le 

«  monde  qu'ils  avaient  l'un  pour  l'autre  cet  agrément  qui  précède 


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520  fiBYUE  DES  DEUX  MOIfDBS. 

<r  d'ordinaire  les  grandes  passions,  d  Madame  moarat  dans  les 
bras  de  H"''  de  La  Fayette,  qui  ne  la  quitta  pas  à  ses  derniers  mo- 
mens.  Le  récit  qu'elle  a  fait  de  cette  mort,  égale  les  be^ux  redis 
qu'on  a  des  morts  les  plus  touchantes  ;  il  s'y  trouve  en  chemin  de  ces 
mots  simples  et  qui  éclairent  toute  une  scène  :  <r ....  Je  montai  €kei 
<r  elle.  Elle  me  dit  qu'elle  était  chagrine,  et  la  mauvaise  humeur  dont 
cr  elle  parlait  aurait  fait  les  belles  heures  des  autres  femmes,  tant 
e  elle  avait  de  douceur  naturelle  et  tant  elle  était  peu  capable  d*aî- 
a  greur  et  de  colère...  Après  le  dtner  elle  se  coucha  sur  des  car- 
a  reaux...;  elle  m'avait  fait  mettre  auprès  d'elle,  en  sorte  que  sa  télé 
or  était  quasi  sur  moi...  Pendant  son  sommeil  elle  changea  si  ooim-* 
«r  dérablement,  qu'après  l'avoir  long-temps  regardée  j'en  fos  ^ir- 
o:  prise,  et  je  pensai  qu'U  fallait  que  son  esprit  contribuât  fort  i 
<r  parer  son  visage...;  j'avais  tort  néanmoins  de  faiire  cette  rMexioa, 
a  car  je  l'avais  vue  dormir  plusieurs  fois ,  et  je  ne  l'avais  pas  vae 
<r  moins  aimable...  Monsieur  était  devant  son  lit;  elle  l'embrassa,  et 
«lui  dit  avec  une  douceur  et  un  air  capable  d'attendrir  les  cami$ 
«ries  plus  barbares  :  Hélas!  Monsieur,  vous  ne  m'aimez  plus,  0  y 
«  a  long-temps  ;  mais  cela  est  injuste;  je  ne  vous  ai  jamais  mancpié. 
ff  Monsieur  parut  fort  touché ,  et  tout  ce  qui  était  dans  la  chaiirim 
<r  l'était  tellement,  qu'on  n'entendait  plus  que  le  bruit  que^ont  des 
«r  personnes  qui  pleurent...  Lorsque  le  roi  fut  sorti  de  la  diambiv, 
u  j'étais  auprès  de  son  lit;  elle  me  dit  :  Madame  de  La  Fayette,  lioa 
a  nez  s'est  déjà  retiré.  Je  ne  lui  répondis  qu'avec  des  larmes^. 
a  Cependant  elle  diminuait  toujours...  »  Le  90  juin  i&lB,  M**  de 
La  Fayette  écrivait  à  M"'  de  Sévigné  :  a  II  y  a  aujourd'hui  trcb 
ans  que  je  vis  mourir  Madame  :  je  relus  hier  plusieurs  de  ses  let- 
tres; je  suis  toute  pleine  d'elle,  o 

Au  milieu  de  ce  monde  galant  et  brillant,  durant  dix  aniié^, 
M"'  de  La  Fayette  jeune  encore,  avec  de  la  noblesse  et  de  l'agré- 
ment de  visage,  sinon  de  la  beauté,  n'était^Ue  donc  qu'observatiîœ 
et  attentive,  sans  intérêt  actif  de  cœur,  autre  que  son  attache- 
ment pour  Madame,  sans  choix  singulier  et  secret?  Vers  Pas- 
née  1665 ,  comme  je  conjecture ,  et  comme  je  Texpliquerai  plus 
bas ,  elle  avait  choisi  hors  de  ce  tourbillon  pour  ami  de  eaeor 
M.  de  La  Rochefoucauld,  âgé  déjà  de  cinquante-deux  ans. 

Elle  écrivit  de  bonne  heure  par  goût,  mais  avec  sobriété  tou- 
jours. C'était  le  temps  des  portraits  :  M"*  de  La  Fayette,  vers  165^ 


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ROMANCIERS  DE  LA  FRANCE.  521 

en  fit  un  de  M"*  de  Sévigné,  qui  est  censé  écrit  par  un  inconnu  :  a  U 
<r  vaut  mieux  que  moi,  disait  celle<i  en  le  retrouvant  dans  de  vieilles 
a  paperasses  de  If^^deLaTrémouilIe  en  1675,  mais  ceux  qui  m*eus- 
<r  sent  aimée  il  y  a  seize  ans,  Tauraient  pu  trouver  ressemblant,  jd 
€*est  toujours  sous  ces  traits  jeunes  et  à  jamais  fixés  par  son  amie» 
que  M"*  de  Sévigné  nous  apparaît  immortelle.  Quand  Madame, 
engageant  H"'  de  La  FayeUe  à  se  mettre  à  Fceuvre,  lui  disait  : 
Vous  écrivez  bien,  elle  avait  lu  sans  doute  la  Princesse  de  Montpensier, 
première  petite  nouvelle  de  notre  auteur,  qui  fut  imprimée  dès 
1660  ou  1662  (1).  Comme  élégance  et  vivacité  de  récit,  cela  se  dé- 
iachait  des  autres  nouvelles  et  historiettes  du  moment,  et  annon- 
çait un  esprit  de  justesse  et  de  réforme.  L'imagination  de  H"*  de 
La  Fayette,  en  composant,  se  reportait  volontiers  à Tépoque  bril- 
lante et  polie  des  Valois,  aux  règnes  de  Charles  IX  ou  de  Henri  n, 
qu'elle  idéalisait  un  peu  et  qu'elle  embellissait  dans  le  sens  où  les 
gracieux  et  discrets  récits  de  la  reine  Marguerite  nous  les  font  en- 
trevoir. La  Princesse  de  Montpensier,  la  Princesse  dcClhves,la  Corn-- 
tesse  de  Tende  ne  sortent  pas  de  ces  règnes,  dont  les  vices  et  les 
crimes  ont  trop  éclipsé  peut-être  à  nos  yeux  la  spirituelle  culture. 
La  cour  de  Madame,  pour  l'esprit,  pour  les  intrigues,  pour  les 
vices  aussi,  n'était  pas  sans  rapports  avec  cette  époque  des  Valois, 
€t  l'histoire  qu'en  a  essayée  M*'  de  La  Fayette  rappelle  plus  d'une 
fois  les  Mémoires  de  cette  reine  si  aimable  en  son  temps ,  qu'il  ne 
faut  pourtant  pas  croire  toujours.  Le  perfide  Vardes  et  le  fier 
M.  de  Guiches  sont  bien  des  figures  qui  siéraient  d'emblée  à  la 
cour  d'Henri  H;  et  à  cette  cour  de  Madame,  il  ne  manquait  pas 
même  de  chevalier  de  Lorraine.  M**  de  La  Fayette  avait  dans  ce 
monde  une  sorte  de  r61e  d'autorité,  et  exerçait  pour  le  ton  une 
critique  sage.  Deux  mois  avant  la  malheureuse  mort  de  Madame , 
M"*  de  Montmorency  écrivait  à  M.  de  Bussy  en  manière  de  plai- 
santerie (  !•'  mai  1670)  :  «  M"*  de  La  Fayette,  favorite  de  Madame, 
fr  a  eu  la  tète  cassée  par  une  corniche  de  cheminée  qui  n'a  pas 
«r  respecté  une  tète  si  brillante  de  la  gloire  que  lui  donnent  les  fa* 
a  veurs  d'une  si  grande  princesse.  Avant  ce  malheur  on  a  vu  une 
a  lettre  d'elle  qu'elle  a  donnée  au  public  pour  se  moquer  de  ce 

<i)  LeDictloimaire  de  Moreri  dit  18W,  el  Quéraid  lOfiO.  Ce  qu'il  y  a  de  eerlain,  e'est 
que  la  preml^  édition  poMiituie,  avec  privilège  du  roi,  esl  de  ie89,  lana  aucan  nom 
4'4VteV« 


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5S2  RETDB  ims  DEUX  MONDES. 

n  qu'on  "àppeHe  fcs  mots  à  la  mode  et  dont  Vasage  ne  Tant  rios; 
«  je  vous  renvoie,  d  Sait  cette  lettre  qui  est  tonte  composée  di 
jargon  àfmpirigourique  dont  elle  voulait  corriger  le  beau  monde; 
c^st  un  amant  jaloux  qui  écrit  à  sa  maîtresse;  BoileSEitt  en  son  geue 
n'eût  pas  mieux Ikft.  M*'  de  La  Fayette,  à  un  degré  radoaci,  éak 
-  un  peu  le  Despréaux  de  la  politesse  de  coiir.  A  la  fin  de  cette  wtm 
année  rt70,  parut  Zûj/rfe,  le  premier  ouvrage  véritable  de  M^de 
Xa  Fayette  y  car  /tr  Prineesse  de  Monfpeimer  n*était  pas  on  oottA(i 
et  n^avait  d'ailleurs  été  remarquée  dans  le  temps  que  d'assexpeuda 
personnes.  Zaijde  portait  le  nom  de  Segrais ,  et  ce  ne  fut  pas  aie 
pure  fiction  transparente.  Le  public  Crut  aisément  que  Segrii 
était  Fauteur.  Bnssy  reçut  le  livre  comme  étant  de  Segrais ,  sedb- 
poâa  à  le  lire  avec  grand  plaisir  :  cr  car  Segrais ,  dissôt-il,  nepsil 
Tien  écrire  qui  lïe  soit  joli;  »  après  Tavoir  lu,  il  le  critique  et  h 
loue  toujours  dans  la  même  persuasion.  Depuis  lors  il  n'a  pis 
manqué  de  persoiînes  qui  ont  voulu  maintenir  à  Segrais  Thonaeir 
delà  paternité  ou  du  moins  une  grande  part.  Adry»  qui  a  douai 
une  édition  de  ta  Princesse  de  Clèves  (1807),  en  remettant  él  his- 
sant la  question  dans  le  doute,  semble  incliner  en  fkveur  dnpoèls 
bel-esprit. 

Mais  le  digne  Adry ,  qui  fait  autorité  comme  bibliographe,  a  l'esprit 
un  peu  esclave  de  la  lettre.  Segrais  pourtant  nous  dit  assez  neCle- 
ment ,  ée  semble,  dans  les  conversations  et  propos  qu'on  a  recueflb 
de  lui  :  a  La  Princesse  de  Clèves  est  de  M"*  de  La  Fayette. ..  Zatfde,1fd 
<r  a  paru  sous  mon  nom,  est  aussi  d'elle.  Il  est  vrai  que  j'y  ai  eu  quri- 
0  que  part,  mais  seulement  dans  la  disposition  du  roman  où  les  r^pet 
a  de  l'art  sont  ôbservée^ïveé  grande  exactitude,  d  II  est  vrai  de  pht 
qu'à  un  autre  moment  Segrais  dit  :  a  Après  que  ma  Zt^de  fut  in|iri- 
<r  mée,  M"*  de  Là  Fayette  en  fit  relier  un  exemplaire  avec  du  papier 
a  blanc  entre  chaque  page,  afin  de  la  revoir  tout  de  nouveau  et  d'y 
a  foire  des  corrections,  particulièrement  sur  le  langage;  mais  dkm 
a  trouva  rien  à  y  corriger,  même  en  plusieurs  années,  et  je  ne  pense 
ir  pas  que  Ton  y  puisse  rien  changer,  même  encore  aujourd'hui.  » 
n  est  évident  que  Segrais,  comme  tant  d'éditeurs  de  bonne  foi,  sa 
laissait  dire  et  rougissait  un' peu  quand  on  lui  parlait  de  sa  Zayde. 
La  confusion  de  Fauteur  à  Téditeur  est  chose  facile  et  insensible. 
Au  moyen-âge  et  mèmeau  XYi*^  siède^  une  phrase  de  latin  copiée 
ou  citée  faisait  autant  partie  de  l'amour-propre  de  l'autenr  <pf>HM 


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ROMANCIERS  SE  LA  FRÀ!f<:É.  iSÊS 

pensée  propre.  ^9  s*âgi(  (fan  roman  on  (Tun  (Mtë  qu'on  a  mU 
en  circulation  le  premier,  on  est  plus  chatonflleux  eiicore  :  ces  piaf'*^ 
rains-là  ne  haïssent  pas  le  soupçon  matm  et  ne  le  démentent  qu'A* 
demi.  Même  sans  cela ,  à  force  d'entendre  unir  son  nom  à  la  Iduange 
ou  à  la  critique  de  rœuvre ,  on  l'adopte  plus  étroitement.  Oii  m'a , 
s*il  m'en  souvient,  tant  jeté  à  là  tété  Ronsard,  qUe  j'ai  de  là  peine 
à  rie  pas  dire  mon  Ronsard.  OU  est  flatté  d'ailleurs  d^avolr  portd 
le  premier  une  bonne  nouvelle,  et  même  une  mauvaise.  Le  bon  Adry, 
Êiute  d'Y  entendre  maBee,  s'embarrasse  donc  bien  gratuitement 
de  ce  mot  de  Segtais,  nia  Zayde.  Huet  est  assez  formel  à  ce  sQjet 
dans  ses  Origines  de  Caên  ;  il  Test  encore  plus  dans  son  Coihrheniàiré 
latin  sur  lui-même  :  a  Déâ  gens  mal  informés,  f  dit-il,  ont  prU 
pour  Une  injure  que  j'ftntaiÉf  voulu  causer  à  là  fdnommée  de  Se- 
grais  ce  que  j'ai  écrit  dans  le^  Origines  deCaën;  mais  je  puis  attester 
le  fait  sur  la  foi  de  mes  propres  yeux  et  d'après  nombre  de  lettrée 
de  M''*  de  La  Fayette  elle-même  ;  car  elle  m'envoyait  chaque  par- 
tie de  cet  ouvtage  successivement,  au  fur  et  &  mesure  de  la  com- 
position, et  me  les  faisait  Itiré  et  revoir.  0  Enfin  ÎT"*  de  La  Fayette 
disait  souvent  à  Huet  qui  avait  mis  en  tête  de  Zàifde  son  ti^ltë  dé 
l'Origine  des  Romans  t  «  9ave2-vottsque  nous  troûs  marié  nos  en- 
fens  ensemble?  D 

n  est  vrai  qu'après  tdut ,  îe  genfe  de  Zatjdénë  dlffii^  pas  st  no- 
tablement de  celui  des  nouvelles  de  Segrais,  qti*Dn  n'ait  pn  dàn^ 
le  temps  prendre  le  cHange»  Zayde  est  encore  dans  Tancien  et 
pur  genre  romanesque,  quoiqu'elle  en  soit  le  plus  fin  joyau;  et  si 
la  réforme  y  commence,  c'est  uniquement  dans  les  détails  et  la 
snite  du  récit,  dans  la  manière  de  dire  plutAt  que  dans  la  concep- 
tion même.  Zayde  tient  en  quelque  sorte  un  milieu  entre  YAstrée  et 
fes  romans  de  l'abbé  Prévost,  et  fait  la  chaîne  de  Tune  aut  autres. 
Ce  sont  également  des  passions  extraordinaires  et  subites,  des 
ressemblances  incroyables  de  Visage,  des  méprises  prolongées  et 
pleines  d'aventures,  des  résolutions  formées  sur  un  portrait  ou 
^n  bracelet  entrevus.  Ces  amans  malheureux  quittent  la  cour 
pour  dés  déserts  horribles,  où  ils  ne  manquent  de  rien;  ils  pas- 
senties  après-dinées  dans  les  bois,  contant  aux  rochers  leur  mar- 
tyre, et  ils  rentrent  dans  les  galeries  de  leurs  maisons,  où  se 
soient  toutes  sortes  de  peintures.  Es  rencontrent  à  rimprovisle 
*^  le  bord  de  la  mer  des  princesses  infortunées  >  étendues  et 


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52^  REYUE  DES  DEUX  MONDES. 

comme  sans  vie,  qui  sortent  du  naufrage  en  habits  Hiagnifiqoes, 
et  qui  ne  rouvrent  languissamment  les  yeux  que  pour  lear  domwr 
de  l'amour.  Des  naufrages,  des  déserts,  des  descentes  par  ner, 
et  des  ravissemens  :  c'est  donc  toujours  plus  ou  moins  Tancien  ph 
man  d'Héliodore,  celui  de  D'Urfé,  le  genre  romanesque  espagnol, 
celui  des  nouvelles  de  Cervantes.  La  nouveauté  particolière  i 
H**  de  La  Fayette  consiste  dans  l'extrême  finesse  d'analyse;  ks 
sentimens  tendres  y  sont  démêlés  dans  toute  leur  subtilité  et  km 
confusion.  Cette  jalousie  d'Alphonse,  qui  parut  si  invraisemblâUe 
aux  contemporains,  et  que  Segrais  nous  dit  avoir  été  dépeinte  sv 
le  vrai,  et  en  diminuant  plut6t  qu'en  augmentant,  est  poursuivk 
avec  dextérité  et  clarté  dans  les  dernières  nuances  de  son  dérè^ 
ment  et  comme  au  fond  de  son  labyrinthe.  Là  se  fait  sentir  le  mt- 
rite;  là  l'observation,  par  endroits,  se  retrouve.  Un  beaupt»- 
sage ,  et  qui  a  pu  être  qualifié  admirable  par  d' Alembert ,  est  cefoi 
où  les  deux  amans  qui  avaient  été  séparés  peu  de  mois  aupara- 
vant sans  savoir  la  langue  l'un  de  l'autre,  se  rencontrent  inopmé- 
ment,  et  s'abordent  en  se  parlant  chacun  dans  la  langue  qm'  n'est 
pas  la  leur,  et  qu'ils  ont  apprise  dans  l'intervalle,  et  puis  s'arrê- 
tent tout  d'un  coup  en  rougissant  comme  d'un  mutuel  aveu.  Poar 
moi ,  j'en  aime  des  remarques  de  sentiment  comme  ceUe-d,  qae 
M**  de  La  Fayette  n'écrivait  certainement  pas  sans  un  secret  re- 
tour sur  elle-même  :  a  Ahl  dom  Garcie,  vous  aviez  raison  ;  il  n  j 
a  de  passions  que  celles  qui  nous  frappent  d'abord  et  qui  nous  sur- 
prennent ;  les  autres  ne  sont  que  des  liaisons  où  nous  portons  to- 
lontairement  notre  cœur.  Les  véritables  inclinations  nous  l'arra- 
chent malgré  nous,  a 

M"^  de  La  Fayette  ne  connut  pas,  Je  pense,  ces  passons  qâ 
nous  arrachent  avec  violence  de  nous-mêmes,  et  elle  apporta  vo- 
lontairement son  cœur.  Lorsqu'elle  fit  choix  de  M.  de  La  Rochefou- 
cauld pour  se  lier  avec  lui,  j'ai  dit  qu'elle  devait  avoir  trente-dœ 
ou  trente-trois  ans  à  peu  près,  et  lui  cinquante-deux.  Elle  le  voyait 
et  le  rencontrait  depuis  déjà  long-temps  sans  doute,  mab  c'est  de  h 
h'aison  particulière  que  j'entends  parler.  On  va  voir  par  la  lettre 
suivante  (inédite  jusqu'ici  (1) },  et  qui  est  une  des  phis  eonfiden- 

(1)  BésidadeSalnt-Germaln,  paqiiet4,  no 6.  Bibliothèque  du  loL-rUd^iccoa- 
tnandé  à  M.  de  Vonmerqué  ee  paquet  qui  loi  convient  si  bien  panmequanUté  de  lâtnt 
d^  Tabbé  de  La  Victoire,  de  la  comtesse  de  Uaurc  et  de  Xn«Vle  Sablé.  Madeaoiscflfl» 


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EOMÂNCIBBB  DK  LA  HUIfCB.»  595 

tieUes qa'oo  puitse  désirer,  que  vers  le  temps  de  la  poblîcatioa 
des  Maximes  et  lors  de  la  prraûère  entrée  da  comte  de  Saint-Paul 
dans  le  monde,  il  était  bruit  de  cette  liaison  de  H*'  de  La  Fayette 
et  de  M.  de  La  Rochefoucauld  comme  d*une  chose  assez  récem- 
ment établie.  Or,  la  publication  des  Maximes,  et  Ventrée  du  comte 
de  Saint-Paul  dans  le  monde,  en  la  rapportant  à  Tâgede  seize 
ou.  dix-sept  ans,  concordent  juste ,  et  donnent  l'année  1665  ou 
1666.  Hr*  de  La  Fayette  écrit  cette  leUre  à  H"'  de  Sablé,  ancienne 
amie  de  H.  de  La  Rochefoucauld,  la  même  qui  eut  tant  de  part  à 
la  confection  des  Maximes  ^  et  qui  depuis  quelque  temps  s'était 
toutp-à-fiiit  liée  avec  Port-Royal,  par  intention: de  réforme  et  peur 
de  la  mort,  à  ce  qu'il  semble,  plutôt  que  par  conversion  bien 
entière  :  —  «Ce  lundi  au  soir.  —  Je  ne  pus  Ûer  répondre  à'VOtre 
«  billet,  parce  que  j'avais  du  monde,  et  je  crois  que  je  n'y  répon- 
«  drai  pas  aujourd'hui,  parce  que  je  le  trouve  trqp  obligeant.  Je 
c  suis  honteuse  des  louanges  que  vous  me  donnez,  et  d'un  autre 
c  côté  j'aime  que  vous  ayez  bonne  opinion  de  moi,  et  je  ne  veux 
c  vous  rien  dire  de  contraire  à  ce  que  vous  en  pensez.  Amsi  je  ne 
«  vous  répondrai  qu'en  vous  disant  que  M.  le  comte  de  Saint-Paul 
a  sort  de  céans,  et  que  nous  avons  parlé  de  vous,  une  heure  du- 
<r  rant,  comme  vous  savez  que  j'en  sais  parler.  Nous  avons  aussi 
9  parlé  d'un  homme  que  je  prends  toiyours  la  liberté  de  mettre 
«  en  comparaison  avec  vous  pour  l'agrément  de  l'esprit.  Je  ne 
a  sais  si  la  comparaison  vous  offense,  mais  quand  elle  vous  oSèn- 
«  serait  dans  la  bouche  d'un  autre,  elle  est  une  grande  louange 
<r  dans  la  mienne  si  tout  ce  qu'on  dit  est  vrai.  J'ai  bien  vu  que 
«  M.  le  comte  de  Saint-Paul  avait  ou!  parler  de  ces  dits-là,  et  j'y 
«  suis  un  peu  entrée  avec  lui.  Mais  j'ai  peur  qu'il  n'ait  pris  tout 
«  sérieusement  ce  que  je  lui  en  ai  dit.  Je  vous  conjure,  la  pre- 
a  miére  fois  que  vous  le  verrez  y  de  lui  parler  de  voas4néme  de  ces 
cr  bndts-là.  Gela  viendra  aisément  à  propos;  car  je  lui  ai  donné 
a  les  Maximes,  et  il  vous  le  dira  sans  doute,  liais  je  vous  prie  de 
«  loi  en  parler  comme  il  fout,  pour  lui  mettre  dans  la  tête  que 
<r  ce  n'est  autre  chose  qu'une  plaisanterie,  et  je  ne  suis  pas  assez 

dan»  to  Princesse  de  Paphlaçcnle,  traçant  des  portraits  de  ces  deux  dames,  a  dit  :  «  Cesl 
de  leur  temps  que  Técritore  a  été  mise  en  usage.  On  n'éeriTait  que  les  contrats  de  mariai; 
de  lettres,  on  n*en  entendait  pas  parler.  »  £ti  bien  I  bon  nombre  des  lettres  de  ces  àr\  os  ^ 
d^andères  de  Mine  de  Sévlsôé,  sont  là. 


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59C  Binrw  ttk»'  é^tn  MMêê:- 

<r  assQufe  dt  cti  ({116  mntM^Ér  pËKfè^pÊkif  fêp0Êiif9tfiiH  tws^dftitf 
<r  bien,  et |e  pense qa^il  Caitdmk côvniieneèr  fitr  pcMUâder  l*ani^ 
a  bassftdèur.  Néanmoins  il  fÊat  s'en  Aet«  à^voffslilibAecé ,  elle  eut 
cr  au<-dessiis  des  naacimet  ordiMires;  nvieis  enfln  persnadet-te. 
a  le  haisrjeoane  te  mort  qttelesgens  de  sen  âge*  ptiistfeac  craifT 
a  qne  j*aitde8)0aUuiterte8.  B  leur  seraMc^  qfft*on  le«rr  parait  eent 
ff  ans  dès  qa^on  est  pin»  tidflle  qn'eur,  et*  ils  sont  tout  propre 
<r  à  s'étoHierqttraseît  encoi^e^qptteflîiM  dès^jens  ;  et  d^phis  il  crdl- 
<r  rait  phnt  aMmest  oesqu^o»l«it4it«it'de  il.  de  La  tkùfkefyùCAtlU 
«  qpae  d'iwMtre»  Bâte,  j««e  veui  pas<qif  il  en  peMe  rien,  sAm 
«  qu'il  estdeoieaatfiiB^  et  je  v<HW  prieilr  n'onblief  noii  phisde' 
«  lui  Ater  cela  de  lat4te,  sitam  €(st  qti{aiUtit,<|«s  j'«i  ouûié  toCre 
c  message^  Gela  n^esi  pa^gèméreux  de  t^oM  fiih%  eeifimif  ^m 
c  serneeen^renwen  deoiandantiitfaaftfe; 

«  En  nauye.'^H  ne  t«wB pas'  onlfier  dé  was^dire  ijœ  fii 
«  trcraré  levrUeaMBldeVespritaa  conte  de  Saiat^aaK  »' 

Pour  ifooier  à  rôairitdacette  lettre  ^  qn'on  YeniBe  bim  soti^ 
peler  la  aHaatm  pvécmetM.  de  Sidittftal^  Ms  de  H^^de  lM^ 
gneville  et  probablement  aftasi  deJft  d^ËaRoehi^toMatild,  te^ 
namt  voir  11^*  do  La  Fayett^i  ^fài  passe  pew  r^ef  dHme  demiètiB 
passion  tendvs ,  et  qui  voadrait»  le  TOir  détrompé...  ou  tMmpè  Hh 
dessns.  --^LeisrHMemsiirdVipriidl»  jeune  prinoe^i^  droit;  je 
pense,  au  cmr  de M^^  de  Longuei4De,  à  qui  to post^^^riptum  ta 
moffis ,  et  le  reste  aussi  sana  dovte ,  fur  bien  Titè  montré.  Ce  met 
charmant  de  la  latre,  et  que  deTraient  méditer  toutes  les  amonrs 
un  peu  tardives  :  a  Je  hais  comme  1»  mort  que  les  gêna  de  son  ftge 
puissent  croire' que  j'at  des  galanceriesy  »  répond  exactement  è 
cette  pensée  de  i«  Ftimieuedt  C/èoe»;  a  H**  de  Glè?es,  qui  était 
dans  cet  âge  ce  l'on  ne  croit  pss  qu'une  femme  puisse  être  aimée 
quand  eUe  a^passé  ringt-dnq  ans>,  regardait  avec  uo  extMme  étoa- 
nementratiachsmeal  que  le  roiavmt  pour  celte  dudiesse  (deVa^ 
lentinois  ).  s  dette  idée^là  ^  comme  oirvoit ,  était  familière  à  1^  de" 
La  Fayette.  EHe  craignait  surtout  de  paraître  inspirer  ou  sentir 
la  passion  à  cet  4ge  oili  d^autres  Tafifectent.  Sa  raison  délicate 
devenait  une  dernière  pudeur. 

Je  tiens  d'autant  plus  à  ce  que  la  liaison  intime  et  déclarée  de 
M.  de  La  Rochefoucauld  et  d'elle  ne  commence  qu'à  cette  époque, 
qu'il  me  semble  que  l'influence  sur  lui  de  cette  amie  affectueuseest 


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ejqprwntoflnt  cawUralre  aux  Maximes  ;  qa'dle  tes  Ini  eAtfeitrieçMii- 
gex  fit  relranchersi  elle  Tavait  eoTiroiuié  avaut  comme  depw»  «t 
^e  le  La IU)ûhefeiioautd misanthrope,  celui  1qtti^ dirait  qu'il  n*a^ 
yait  trouvé  de  Tamour  que  daas  les  rwima,  at  <iue,  pgm  lui,^ 
jK^eaavait jamais  éiprouYé^  n'^stzfas celui doot eUedisaii^plus 4ard : 
«  M,  de  JUKocbefoucauld  m*a  jdonné  de  Tesprtt»  mais  j*ai  réforme 
jBoneœur.  D 

Paas  un  petit.billet  de  sa  maiu  (  iaédit  )  à  M""^  de  Sablé ,  qui  avait 
elle-^mème  composé  des  Maximes ,  je  Us  :  «  Vous  me  dooueriez  ie 
plus  grand  chagrin  du  monde  si  vous  ne  me  montriez  pas  v<^ 
Maxinies^  W^""  Su  Plessîs  m'a  donné  une  curiosité  étrange  de  ha 
Toir,  etc*est  justement  parce  qu'elles  ;Soni  honnêtes  et  raisonnap- 
Ues  que  j'en  ai  envie,  et  qu'elles  me  persuaderont  que  toutes  tes 
personnes  de  bon  sens  ne  sont  paa  si  persuadées  de  lacorruptioa 
générale  que  l'est  M.^  de  La  Rochefoucauld,  jp  C'est  cette  idée  de 
corruption  générale  qu'elle  s'attacha  à  combattre  en  M.  de  La  Ro- 
chefoucauld et  qu'elle  rectifia.  liC  désir  d'éclairer  et  d'adoudrçe 
noble  esprit  fiit  sans  doute  un  appât  de  raison  et  de  bienfaisance 
pour  elle  aux  abords  de  la  liaison  étroite. 

L'ancien  chevalier  de  la  Fronde ,  devenuamer  et  goutteux ,  n'é^ 
tait  pas  au  reste  ce  qu'on  pourrait  se  figurer  d'après  son  livre 
seul.  11  avait  peu  étudié,  nous  dit  Segrais,  mais  son  sens  merveil* 
kux  et  sa  science. du  monde  suppléaient  à  Tétude.  Jeune,  il  av^t 
donné  dans  tous  les  vices  de  son  temps  et  s'en  était  retiré  avec 
l'esprit  plus  sain  que  ie  corps,  si  l'on  pouvait  appeler  sain  quelque 
chose  d'aussi  chagriné.  Cela  n*empécdiait,en  rien  la  douceur  de  sqa 
commerce  et  son  agrément  infini.  Il  était  la  bienséance  parfaite  » 
continue,  et  gagnait  chaque  jour  à  être  vu  de  plus  près.  Homme 
de  la  conversation  particulière,  un  ton  de  plus  ne  lui  allait  pa^. 
S'il  lui  avait  faUu  parler  devant  cinq  ou  six  personnes  un  peu  ^- 
lennellement,  la  force  lui  aurait  manqué,  et  la  harangue  qui  était 
d'usage  pour  l'Acaflémie  française,  l'en  détourna.  En  juin  1672, 
quand,  un  soir,  la  mort  de  M.  de  Longueville,  ceUe  du  chevaher 
de  Marsillac,  son  petit-fils,  et  la  blessure  du  prince  de  Marsillaç, 
son  fils,  quand  toute  cette  grêle  tomba  sur  lui,  nous  dit  M*"'  de 
Sévigné,  il  fut  admirable  à  la  fois  de  douleur.et  de  fermeté  :.(c  J*ai 
vu  son  cœur  à  découvert,  ajoute-t-elle  »  en  cette  cruelle  aventure; 
fl  est  au  premier  rapg  de  ce  que  j'ai  jamais  vu  de  courage^  ^e 


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sa  RETUE  DES  DEUX  MONDES. 

mérite,  de  tendresse  et  de  raison.  »  A  pen  de  distance  de  là,  eDe 
lUsaft  de  lui  encore  qu*il  était  patriarche  et  sentait  presque  ans» 
bien  qu'elle  la  tendresse  maternelle.  Toilà  le  La  Rochefoucauld 
réel,  et  tel  que  M*«  de  La  Fayette  le  réforma. 

De  1666  à  1670,  la  santé  de  M»*  de  La  Fayette ,  qui  n*était  pas 
encore  ce  qu'elle  devint  bientôt  après ,  et  la  faveur  qu'elle  possé- 
dait auprès  de  Madame ,  lui  donnaient  occasion  et  moyen  d'aOer 
assez  souvent  à  la  cour;  ce  n*est  guère  qu'après  la  mort  de  Ma- 
dame, et  à  l'époque  aussi  de  cette  diminution  de  santé  de  M**  de 
La  Fayette ,  que  la  liaison ,  telle  que  H"*  de  Sévigné  nous  la  montre, 
se  régla  complètement.  Les  lettres  de  l'incomparable  amie,  qoi 
Tont  d'une  manière  ininterrompue  précisément  i  partir  de  ce 
temps-là,  permettent  de  suivre  toutes  les  moindres  circonstances 
et  jusqu'à  l'heureuse  monotonie  de  cette  habitude  profonde  et 
tendre  :  a  Leur  mauvaise  santé,  écrit-elle ,  les  rendait  comme  né- 
cessaires l'un  à  l'autre,  et...  leur  donnait  un  loisir  de  goAter  leors 
bonnes  qualités  qui  ne  se  rencontre  pas  dans  les  autres  liaisons... 
A  la  cour,  on  n'a  pas  le  loisir  de  s'aimer  :  ce  tourbillon ,  qui  est  s 
violent  pour  tous ,  était  paisible  pour  eux ,  et  donnait  un  grand 
espace  au  plaisir  d'un  commerce  si  délicieux.  Je  crois  que  nnDe 
passion  ne  peut  surpasser  la  force  d'une  telle  liaison...»  Je  ne 
rajpporterai  pas  tout  ce  qui  se  pourrait  extraire  de  chaque  lettre, 
pour  ainsi  dire ,  de  M"'  de  Sévigné  ;  car  il  y  en  a  peu  où  M"*  de  la 
Fayette  ne  soit  nommée,  et  plusieurs  sont  écrites  ou  fermées chû 
elle,  avec  les  complimens  tout  vifs  de  H.  de  La  Rochefoucauld  fv 
voilà.  Aux  bons  jours,  aux  jours  de  santé  passable  et  de  dîner eo 
lavardinage ovL  bavardinagc,  c'est  un  gracieux  enjouement,  ce  sort 
des  roulades  de  gaietés  malicieuses  sur  cette  folle  de  M"*deMa- 
rans,  sur  les  manèges  de  M"*  de  Brissac  et  de  M.  le  Duc.  H  y  a  des 
jours  plus  sérieux  et  non  moins  délicieux,  où,  à  Saint-Maur,  dans 
cette  maison  que  M.  le  Prince  avait  prêtée  à  Gourville,  et  dool 
M»'  de  La  Fayette  jouissait  volontiers ,  on  entendait  en  compa- 
gnie choisie  la  Poétique  de  Despréaux  qu'on  trouvait  un  chef- 
d'œuvre.  Puis,  une  autre  fois,  en  dépit  de  Despréaux  et  de  sa 
Pcéiique,  on  allait  à  Lulli ,  et,  à  de  certains  endroits  de  l'opéra  de 
Cadmus,  on  pleurait  :  (t  Je  ne  suis  pas  seule  à  ne  les  pouvoir  soot^ 
nir,  disait  M»'  de  Sévigné  ;  l'ame  de  M»«  de  La  Fayette  en  est  M 
^armée.  »  Comme  celte  ame  alarmée  est  bien  la  délicatesse  mto' 


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ROMÀIVaERS  DE  Lk  FRANCE.  529 

6  Zayde,  Zayde»  on  sent  à  vos  alarmes  la  tendresse  romanesque 
qui  n*est  satisfaite  qu'à  demi  et  qu'il  ne  fout  pas  trop  réveiller  I  -— 
  y  a  des  jours  aussi  ob  H*^  de  La  Fayette  va  encore  foire  une  pe- 
tite visite  à  la  cour,  et  le  roi  la  place  dans  sa  calèche  avec  les  dames 
et  lui  montre  les  beautés  de  Versailles  comme  ferait  un  simple  par- 
ticulier ;  et  un  tel  voyage  /un  tel  succès ,  si  sage  qu*on  soit ,  fournit 
matière,  au  retour,  à  des  conversations  fort  longues,  et  même  à 
des  lettres  moins  courtes  qu'à  l'ordinaire  de  la  part  de  M"*  de  La 
Fayette  qui  aime  peu  à  écrire  ;  et  H"^  de  Grignan  de  loin  est  un 
peu  jalouse  ;  elle  Test  encore  à  propos  de  quelque  écritoire  de  bois 
de  Sainte-Lucie  dont  H**  de  Hontespan  fïiit  présent  à  M**  de  La 
Fayette  (1)  ;  mais  M**  de  Sévigné  raccommode  tout  cela  par  les 
complimens  et  les  douceurs  qu'elle  arrange  et  qu'elle  échange 
sans  cesse  entre  sa  fille  et  sa  meilleure  amie.  Même  quand  M"'  de 
La  Fayette  n'alla  plus  à  Versailles  et  n'embrassa  plus  en  pleurant 
de  reconnaissance  les  genoux  du  roi,  même  quand  M.  de  La 
Rochefoucauld  fut  mort,  elle  garda  son  crédit,  sa  considération  : 
«  Jamais  femme  sans  sortir  de  sa  place ,  nous  dit  M*'  de  Sévigné , 
n'a  fait  de  si  bonnes  affaires,  d  Louis  XIV  aima  toujours  en  elle  la 
fevorite  de  Madame ,  un  témoin  de  cette  mort  touchante  et  de  ces 
belles  années  avec  lesquelles  elle  restait  liée  dans  son  souvenir, 
n*ayant  plus  guère  reparu  à  la  cour  depuis. 

Mais  Versailles,  et  la  Poétique  de  Despréaux ,  et  l'opéra  de  Lulli, 
et  les  gaietés  sur  la  Marans,  sont  toujours  vite  interrompus  par 
cette  misérable  santé  qui,  avec  sa  fièvre  tierce,  ne  permet  pas  qu'on 
l'oublie,  et  devient  peu  à  peu  l'occupation  principale.  Dans  son 
beau  et  vaste  jardin  de  la  rue  de  Vaugirard ,  si  verdoyant,  si  em- 
baumé, dans  la  maison  de  Gourville  à  Saint-Mauf,  où  elle  s'habitue 
en  amie  franche,  à  Fleurî-sous-Meudon,  où  elle  va  respirer  l'air 
des  bois,  on  la  suit  malade,  mélancolique;  on  voit  cette  figure  lon- 
gue et  sérieuse  s'amaigrir  et  se  dévorer.  Sa  vie,  durant  vingt  ans, 
-se  convertit  en  une  petite  fièvre  plus  ou  moins  lente,  et  les  bulle- 
tins reviennent  toujours  à  ceci  :  a  M"*  de  La  Fayette  s'en  va  demain 


(i)  Il  ressort  des  lettres  dé  Mm*  de  Sëvigné  que  1I»«  de  Grignan  devait  asseï  souvent  lai 
répéter:  «  Voyez,  voyez t  votre  Mme  de  La  Fayette  vous  aime-t-elle  donc  si  extraordi- 
nairement?  £lle  ne  vous  écrirait  pas  deux  lignes  en  dix  ans,  elle  sait  faire  ce  qui  l^accom- 
mode,  elle  garde  sei  aises  et  son  repos,  et ,  du  milieu  de  cette  indolence,  snrreiUe  très  bien 
de  Tceil  son  crédît.  w 

TOMB  VII.  54 


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à  «ne  petite  meîsaa  avprés  de  Mevdon  où  eOs  a  d^  été;  Hfef 
passera  qmme  Jours  poar  être  conme  suspeoikie  eaueie  ciel  et 
la  t^re;  die  m  veut  pas  penser  aipaiier,  mrépoDdTO^méeooiet; 
eUe  est  £it%ttëe^4e  dire  boBjoar  et  benseir;  eUealow  leajoaraJi 
ièyre,  et  le  repos  la  (^rit;  il  loi  fiioi  donc  du  repos  ;  je  rkaifsir 
qmiqaefois.lLde  La  Rocbrfoueaidd  est  daaseetie  diaise  qoerom 
GoanaisseB  :  il  est  d^uoe  tristesse  incroyable,  et  Ton  ooflEipread  hiei 
aisémeiit  oeqa*ila.  j»  Ce  qu'a  sans  doute  M.  de  La  RechefoaGSsU 
de  {»re  que  la  gontte  et  qm  ses  maux  ordinaires  »  c'est  de  MOr 
qner  de  M*'  de  La  Fajrette, 

La  tristesse  qu'un  tel  état  nourrissait  natni^dlmnent  n'eis^échut 
pas  rasfément  et  le  sourire  de  reparaître  aux  moindres  iate^ 
yaUes.  Bans  les  sobriquets  de  société  qu'on  ^se  donnait,  et  qiî 
jEaisaient  de  M"'  Scarron  le  Dégel,  à^  Colbert  le  Nwrd,  de  IL  de 
Pomponne  ta  Plvàe^  M'""  de  La  Fayette  avait  nom  le  BroaiUaré  :  ]e 
brouillard  se  levait  quelquefois ,  et  Ton  avait  des  horizons  char- 
mans.  Une  raison  douce,  résignée,  mâancoliqne,  attachante  et  dé- 
tachée^  reposée  de  ton,  semée. de  mets  justes  et  fraïqpaas  fo'sQ 
retenait,  composait  Tallure  bid)ituelle  de  sa  conversation,  de  sa 
pei»ée«  Cestasêezqued'êire,  disait^^ed^ordînaire,  en  acceptait 
son  état  inactif.  Ce  mot,  qui  la  peint  tout  entière >  est  bieaà) 
celle  qui  disait  aussi ,  à  propos  de  Montaigne,  qu'il  y  aurait  pbw 
à  awir  wi  voisin  comme  lui. 

Une  sensibilité  extrême  et  pleine  de  larmes  reparaissait  par  m- 
tans  tout  à  eoiip  à  travers  cette  raison  continue,,  comme  une  source 
qui  jaillit  d'une  terre  unie.  On  l'a  vue  tout  oionn^e.par  rémodos 
de  la  musique.  Quand  M"''  de  Sévignépar^t  pour  les  Rochers  on 
pour  la  Provence,  il  ne  fallait  pas  qu'elle  lui  fit  ses  adieux  et  (pe 
sa  visite  eût  l'air  d'être  la  dernière  :  la  délicatesse  de  M"^  de  La 
Fayette  ne  pouvait  siq^rter  le  départ  d'une  telle  amie.  Un  jooroo 
parlait  devant  elle ,  M.  le  Duc  présent ,  de  la  campagne  qui  devaï 
s'ouvrir  dans  cinq  ou  six  mois;  l'idée  soudaine  des  dangers qae 
M.  le  Duc  aurait  à  courir  alors ,  lui  tira  aussitât  des  larmes.  Ces 
effusions  avaient  un  charme  plus  grand  et  plus  de  prix,  on  le  con- 
çoit» dans  une  personne  si  judicieuse  et  avec  un  esprit  si  réposé. 

Son  attention,  du  sein  de  sa  langueur,  ne  se  portait  pas  moias 
sur  les  points  essentiels;  sans  bouger,  elle  veillait  à  tout.  Si  eBe 
réforma  le  cœur  de  M.  de  La  Rochefoucauld,  elle  répara  aussi  ses   1^ 


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H 


ItfrM*  Xlkt  yêHlMdMl'Meil^tflhi'[m>iS6ëy  6t  r^ldfldèftiÉf  û&p(ltÔif>tt  ' 
pktf  beau  de  ^s  Mmi»  en  M«9iiTtifBSMt'le«  tAdfftmâé  ptaww 
*ûs  éittwt  0nlM<t»é»^Q»€M^  aveiï  eeM  qifdtoéerffirit  petf 
leUMff,  et  seidement  pottt  lé  néeessâdre.  Cétuit  soft  seul  coiii: 
aifjietts  aree^H**  de  Sévi^.  Le  petH  nombref  dé  letti^  de  Wf^  dir 
t  Fftyeiie  seaipMMiiie  tbmetpoor  diretpi'eHe  ne  dira  qtte  detnt 
M8»  qu'elle  dirait  i^un  si  eHe  n'arAft  la  mlgfriiie.  On  yoH  iMutor 
paraître  on  jeurM.  de- La  Fayette  en  peraonne,  qtii'arriTe  tout 
près  je  ne  sais  d'où,  oeamie  «Nftird'eiciWcr.  Il'  sitfllt  de  HrtrUf 
fie  lettre  .*  fié  bknl  ké  bkn!  ma  belle,  qn'nvet  vous  àcriet  cbmrHt  ' 
i  ^dfflef  eie.»  ete.,  pear  Meir  eèmialtre  le  train  db  irié  ctt  M**^  de 
I  Fayeito  e^  saisir  cfa  dif%renee  de  ton  d'avec  M*«  âe'Stitffaè.  ûû 
Itf^ees  mots  #6iiveat  dtés:  «Tons  êtes  en  Proténieis,  mû  belfe; 
»  beares  sont  Bbres  et  votre  ttte  en^core  phis  ;  le  goAt  d^éeriré 
ms  dare  eaeore  pear  tout  le  monde;*  9  m^estpassè  pour  tont  1er 
onde;  ei  si  j'avais  an  amant  qai  roiMf  de  tnesT lettrertoos  fer  ' 
atiosy  je  roaipraia  avcelaî.  »' 

M^  de  La  Fayette  élrit-trètf  vnOe  et  «ërft^afA^;  UfàlàirB^ 
oin  iur  pafêle  (f)  :  «  Efle  n^nrii  paëKJtenaélè'nNAadre  titre4^ 
ni  que  ce  fAty  simule  i^e«t4l6^ persuadée  qiM  le  ffiérfttA^  et  (féit 
i  qui  a  iijt  <fifer  k  qurf^'an*  miMÊfi  éMH  sèAe,  qooi^Viik  1ht 
èKeaie  (3).  »  IP^  de  IMateno»,  avee  qsiW"  deLs^Fàryefte  avait 
1  liaison  étnite,  AttftdfiM  esprit' «assiitierveiRirasenfeift  dr^, 
lais  d'aa  eapaMère- moins  frane;  aasfl^  jvdkieme,  maia  moins 
raie;  et  cettedilMvMoe-daticoiilribDer  àleur  refhiidissemeiit.  Ea 
&72,  quand  lP^Sc»»¥on*é}<Hf«iieneemftles  Miards^Iioaiâ^XI^, 
u  bout  da  Cvaboarg  aaint^GermaiB^,  près  de'Tan^ard,  lâm  an^ 
elà  de  la  attUsoti  A  M^  de  La  Ftfyeltè',  eèlfeMcr  était  eneore  en 
aison  particaUère  avee  elle;  elle  reewait qttek|tiefeis  de  ses  non'^ 
elles  ainsi  qne  M^^  de  Coalangea;  eHes^  durent  même  la  visiter 
nseoible.  Mai^  la  confideuGe  de  M^  Scarren  se  resserrant  par 
legrésy  il  en  résulta  de  ces  paroles  rapportées  et  de  ces  conjectures 
ni  déplaisent  entre  amis  :  <r  L*idée  d'entrer  en  religion  ne  m'est 
unais  venue  dans  l'esprit,  écrivait  H*^  de  Maintenoa  à  l'abbé 
lestn  ;  rassurez  done  Ai"''  de  La  Fayette,  s  Donnant  à  sonfrère  des 
eçons d'économie,  Kh*  dé  Maintenon  écrivait  en  1678  :  a  l'aurais 

(3)J5egral8iaQa. 

51. 


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dnquante  mOIe  livres  de  rente  cpie  je  n'aorais  pas  le  traiii  de 
grande  dame,  m  im  Ut  galonné  d*or  Goaime  H*' de  La  Fayette  y  ai  iB 
yalet  de  chambre  comme  M"'  de  Coolanges.  Le  plaisir  qu'elles  eo 
ont  vaut-il  les  railleries  qu'elles  en  essuient.  »  Je  ne  sais  si  kb 
galonné  de  M*'  de  La  Fayette  prêtait  beaucoup  aux  plaisai- 
teries;  mais  couchée  là-dessus»  comme  il  lui  arrivait  trop  son- 
vent,  elle  y  était  plus  simide  à  coup  sûr  que  s<m  ainie  sons 
ce  manteau  couleur  de  feuille  morte  qu'eUe  affecte  d'user^ 
qu'au  bout.  Enfin  toute  amitié  cessa  entre  elles  ;  M"^  de  Ibis- 
tenon  le  déclare  :  a  Je  n'ai  pu  conserver  l'amitié  de  M**  de  La 
Fayette,  elle  en  mettait  la  continuation  à  trop  haut  prix.  Je  lai  ai  , 
montré  du  moins  que  j'étais  aussi  sincère  qu'elle.  C'est  le  dac  qn 
nous  a  brouillées.  Nous  l'avons. été  autrefois  pour  des  baga- 
telles (1).  X»  Et  dans  les  mémoires  de  H*'  de  La  Fayette  sur  les  an- 
nées 1688  et  1689,  à  propos  de  la  comédie  d'Estber,  on  lit:  <r  EBe 
(H"^  de  Haintenon  )  ordonna  au  poète  de  faire  une  comécUe,  mais 
de  choisir  un  sujet  pieux  :  car,  à  l'heure  qu'il  est,  hors  de  la  piété 
point  de  salut  à  la  c^or  aussi  bien  que  dans  Vautre  monde.  La 
comédie  représentait,  en  quelque  sorte,  la  chute  de  M"*'  de Uùst- 
tespan  et  l'élévalipn  de  M"**  de  Maintenon;  toute  la  différence  ht 
qu'Esther  était  un  peu  plus  jeune  et  moins  précieuse  en  &itde 
piété.  D  En  citant  ces  paroiea  de  deux  femmes  illustres,  je  ae  me 
plais  pas  à  en  Caire  ressortir  l'aigreur  qui  gâta  une  Ipngue  aflaclioB. 
En  somme.  M"*  de  Haintenon  et  H"'  de  La  Fayette  étaioit  dm 
puissances  trop  considérables,  et  qui  faisaient  trop  peu  de  frais, 
pour  ne  pas  se  refroidir  à  l'égard  l'une  de  l'autre.  M**  de  Mainte» 
non,  en  grandissant  la  dernière,  dut  par  degrés  changer  enrers 
M**  de  La  Fayette  qui  resta  la  même;  c'est  ce  procédé  unifbiiDe 
que  M"'  de  Haintenon  aurait  peut-être  voulu  voir  changer  un  pn 
avec  sa  fortune  (2).  H"'  de  La  Fayette  mourante  était  celle  encore 
dont  H"*  Scarron,  écrivant  à  H"*  de  Ghantelou  sur  sa  présentatkn 

(I)  Lettre  à  !!>»«  de  Saini-Géran,  août  1684.  De  quel  duc  f*aglt-ii?  Est-ce  do  doqtc» 
duc  de  La  Rochefoacauld ?  On  voit,  par  une  lettre  dé  Ma*  de  Maintenon  à  la  BKiie, 
d*avril  1679 ,  qu'elle  ne  pouvait  sonfirir  les  V arsillae ,  père  et  fils. 

(1)  La  Beanmelle,  dam  les  Mémoire  qui  précèdent  son  édition  des  Lettres  de  a««^ 
Maintenon,  suppose  à  Ma«de  La  Fayette  je  ne  sais  quels  torts  de  caractère  et  qseDâ 
prétentions  de  vouloir  remplacer  Mme  de  Sablé,  qui  éloignèrent  d'elle  ses  amis,  et  reo^i- 
rent  sa  maison  déserte  :  on  ne  peat  trancher  avec  plus  dlmpertinence  àreaoontre  de  »& 
Its  témoignages. 


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EOMAWCIgRS  DB  hk  PRAHCB*  538^ 

\  11"*  de  Montespan,  avait  dit  en  1666  :  <r  M**  de^Thianges  me  pré- 
senta à  sa  sœur...  Je  peignis  ma  miaère...  sans  me  ravaler  ;...  enfin 
M"*'  de  I^  Fayette  aundt  été  contente  du  vrai  de  mes  expressions 
et  de  la  brièveté  de  mon  récit,  s  En  fiait  de  société  mmable  et  polie, 
onissaiit  le  sérieux  et  le  vrai  à  la  grâcOi  si  j'avais  été  de  H.  Roede- 
rer,  j*en  aurais  vn  et  placé  le  triomi^e  le  plus  satisfiaisant  dans  te 
cercle  de  M"**  de  Sévigné  et  de  La  Fayette,  plntét  que  dans  Téiéva-. 
tion  et  le  mariage  de  H**  de  Uaintenon.  Celle-ci  nuisit  en  un  sens  à 
la  société  polie,  comme  certains  révctetionnaires  ont  nui  à  la 
VbeTié,  en  la  poussant  trop  loin  et  jusqu'aux  excès  (pi  appellent  la 
réaction  contraire.  Il  fiallait  s'arrêter  avant  la  pruderie  sous  peine 
de  provoquer  la  Régence. 

En  juillet  1677,  un  an  avant  la  Prineeue  de  Clhes,  on  voit  que  la 
santé  de  M**  de  La  Fayette  semblmt  au  pire,  bien  qu'elle  dût  en- 
core atter  quinze  ans  à  dépérir  ainn  sans  relàdte,  éîtmtde  celles  qm 
trainent  leur  nmèrable  vie  jusqu'à  la  demUre  gomte  d'kuile  (1).  C'est 
pourtant  dans  l'hiver  qui  suivit,  que  MU  de  La  Rochefoucauld  et 
eOe  s'occupèrent  de  ce  joli  roman  qui  parut  chez  Barbin  le  16  mars 
1678.  Segrais,  que  nous  trouvons  encore  sur  notre  chemin,  dit  en 
im endroit,  qu'il  n'a  pas  pris  la  peme  de  r^MHidre  à  la  critique 
que  l'on  fit  de  ce  roman  (a);etittaaiatre  eftdroil,  que  M**  de  La 
Fayette  a  dédaigné  d'y  répondre;de  sorte  qu'Q  y  aurait  doute,  si 
on  le  voulait,  sur  son  degré  de  coopération.  Mais,  pour  le  coup, 
nous  ne  le  discuterons  pas,  et  ce  roman  est  txoip  supérienr  à  tout 
ce  qn'O  a  jamtts  écrit  pour  permettre  d'hésiter.  Personne,  au  reste, 
ne  s'y  méprit  cette  fois;  les  lectures  confidentielles  avuent  fiait 
bmit ,  et  I9  livre  fut  bien  reçu  comme  l'œuvre  de  la  seule  M"*  de  La 
Fayette,  aidée  du  goût  de  M.  de  La  Rochefiracauld.  Dés  que  cette 
Princesse^  ainsi  annoncée  à  l'avance,  parut,  elle  fut  l'objet  de  toutes 
les  conversations  et  correspondances;  Bossy  et  M**  de  Sévigné 
s'en  écrivaient;  on  était  partout  sur  le  qui^ive  à  son  propos  ;  on 
s'abordait  dans  la  grande  allée  des  Tuileries  en  s'en  demandant 
des  nouvelles.  Fontenelle  lut  le  roman  quatre  fiois  dans  la  non*- 

(I)  Ma»  de  Sévigné. 

(i)  Il  est  à  remarquer  qu'à  Tendroll  où  on  lui  fUt  dire  eeU»  daai  le  S^graiiiana»  on  lui 
prête  une  erreur  au  si^jet  du  roman  qui  aurait  été  le  sien  :  il  parle  en  effst  de  la  rencon- 
tre de  U.  de  Nemours  et  de  Ua«  de  Clèves  cliez  le  Joailler,  tandis  que  c*est  M.  de  Clèves 
qal  y  rencontre  celle  qui  doit  Cire  ta  femme.  On  ne  peut  donc  prendre  ce  propos  «  mai 
fwieilU,  pour  une  aiiorilc. 


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sut  mmm  tw^  Mtrx 

eU  bii  dev  vMdevatM*-  VaHiieMfirr  ècxMt  tti»  in^ogtiiié^nB  pëÊ^ 
velame  de  crkh|Be^  qu'ofl  attfibiM'  an  pèfte  Bo^boitrs ,  ef^VFÉbSê^ 
de  Gfaaniea  ripoita  p»  m  wâtÊ4  pelif  vohiiMqii^  8«qpvt>èêid# 
BaitieitdîAoooMt,  4»Mqiia  oMibfietd'ators  ert  adv^rstire  €HdMhi° 
doi  spîritael  jéante^  JLa^PHii0«M<foC/ib^?f  a8ti^ 
qa^elle  méritait  ^  et  astideiiiflMite  pariai  nom  Id  pi^eflrioir  M  ditadlIP 
phu  ainudblM  i^eaMuias 

n  est  ioudiaiK  de  pesfatodàas  qiaMe  simatton  pa»fftAêf#it^ 
qoifent  œs  étte»  aï  elMUiitfWa  ^ ei^pa»» ,  ces  peMAMagM  MMéi# 
sasstadie,  oesaeiiliaiaiiarillatev  ^  aecoin{4ia,>8^fendree;  gouM^ 
M"'  de  La  Fayette  mit  là  tout  ce  qae  son  aaro^^aiâfilé  et  poMq0 
tenaiteo  réservede  premtors  rdtciBieajOurs  ehérts^  et  corasieliéfk 
LaRodiefoiicaidd  se  pfeorsaMs  dMKr  à  retrouTèp  dans  M.  deRtf» 
meurs  cette  fkwrbailtaHto  de^dM^f^alélne  doiil41  aVidl^Mp  rtéÉuit» 
et»  en  quelque  sortie  aMinireirenbeHî^  TétfcnÉimm^Wsiifemmiii 
Ainsi  ces  deni^aaiÉ  fiêiHfe  vêàïMf^iBiiÊ^p2LtinUÊi^^^ 
mière  beaméde  I1lse<^4k^tt#s'éta(étif  p«i^eM«N^ 
raient  pu  a'MiDer.  6$LW^t(PÊ(lê»  tmsmm  i4f^  'dë<a#f«i»  enfH" 
d^sbord  est  pi«sqM'S(ibi«Nèijd{iaffgagér,  âianjpae  bien^la  pmttêû» 
Tautevr,  qui  eat  de  p«tadf^ltaMMf  dMs  idar  c^qH^O  «  dé pilV 
frais  et  depiaspadiqueydë'pItts^sdetsMeer  cIb^iAm  ti^^ 
plus  indéicrs>  et  de  ^s  tirr«slaitMe,  de  plas  kâm9mt>  M^ilff^iill^ 
n  esl  question  k  tmvnMinmm^4&cè9iAJùie  ((léëéàiimeUpmnlt^ 
jeiMemjéumèu  U  kMài^  Aé  eéUé  gmn  du  trmbk  ei  d^imham 
dont  i&mtê  lés  oélêim^  fféêè  ^nm  r4m)mdknseiimo9ewiieé0lafPv^ 
wi^ejeunmêy  e«Aa  de<^[>urc€l  qlt  éSI  le  filas }éa»d*^lte  et  desit 
ami,  en  leurlii^son  ttttt«dite^  Pàn#k  teneur  de  la;v<l»^  eâe  étiÉiM«- 
tont  sensée;  elle  araitle  jiïgMietit  au-dessaa  de  80Beeprit>  liî 
disait-on,  et  cette  loïKinge  la  flattait  plus  que  lereste:  id,  la  peétft^ 
la  sensibilité  intérieure  reprennent  le  dessus ,  quoique  la  raiseo  se 
manque  jamais.  Nulle  part,  comme  dans  la  Pfiàceise  de  Clè»e$f  ki 
contradictions  et  les  duplidlés  déliéftf^s  de  Tamour  n*ont  été  i 
naturellement  exprimées  :  «  M"^  de  Clèves  avait  d*abord  été  Stcbés 
e  que  M.  de  Nemours  eftt  eu  lieu  de  croire  que  c'était  lui  qui  rarail 
«  empêchée  d'aller  chez  le  maréchal  de  Saint-André  ;  mais  ensuite, 
a  elle  sentit  quelque  espèce  de  chagrin  que  sa  mère  lui  en  eût  en- 
a  tièrement  ôté  Topinion d  a  M"'  de  aèye&s'étak  bim  doutée 


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ROif AmaBRs  m&  u  tkaiice*  8t& 

Wi|Mee  prince  B*était  aperçu  de^  tarveiMibiMié  qifeNe  avait  ««eposr 
M  lin;  el  ses  paroles  loi  irent  Toiriqu^eBe^ne  s*itail  pas  tronpée* 
•r  Ce  tei  était  ane  iprânde  douteur  de  i^ytr^'oite  n'éiait  plas  laort- 
t  ttessede  cacher  ses  semimens/  et  de  les  «^oir  laissé  paraître  au 
«  diefr^er  de  Croise.  EHe  en  atak  aosai  bemaoup  que  M.  d&Na- 
t  monrs  les  connût  ;  mais  cette  deraiére  daalenr  &*était  pas  si  en- 
rtière,  et  elle  était  mêlée  de  ^eiqaè  aorte  de  de«ce«r.  v^— Les 
scènesy  sont  jastesy  bienconpées,  parlantes,  en  un  on  deox  cas 
sêlilêaient  inyraisemfclaMeSy  raaisMnrées  eMcve  par  Pèffropos  de 
riatérét  et  un  certain  air  denégfigence.  Les  épisodes  n*éloigaent 
jamais  trop  du  progrès  de  Faction ,  et  y  aident  cpiek|n^is.  La  plus 
invraisemblable  circonstance,  celle  du  pavillon,  quand  M.  de  Ne- 
mours arrive  singulièrement  à  temps  peur  entendre  derrière  une  pa* 
lissade  Taveu  foit  à  M.  de  Qèves;  cette  scène  que  Bdssyet  Yalinoourt 
relèvent)  faisait  pourtant  fondre  en  larmes ,  au  dire  de  ce  dernier, 
ce«x  même  qui  n'avaient  pleurèqu'une  fois  à  /pMjfMe.  Pour  nous, 
qîieôes  invraisemblances  choquent  peu,  etqui  aimons  de  la  Princeue 
de  Elèves  jusqu'à  sa  couleur  un  peu  paasAe,  ce  qui  nous  diarme 
encore ,  c*est  la  modération  desrpeimarea  qui  touchent  »  à  pdnt , 
c^est  cette  manière  partout  si  discrète  et  qui  donne  à  rêver  :  quel* 
qiies  saules  le  long  d'un  ruisseau  quand  l'amant  s'y  promène; 
pMv  toute  description  delà  beauté  de  ramame,  us  cheveux  eonfur 
sèment  rattachés  ;  plus  loin ,  des  yeux  UN  Vûxsgressisfar  des  larmes, 
et  pour  deirniër  trait,  eeite  vie  qui  fut  assez  emne,  impression 
flualeelle-même  ménagée.  La  langue  en  est  égidement  délideuse, 
exquise  de  choix,  avec  des  né^igenoes  et  des  irrégularités  qui  ont 
leur  grâce,  etqueValincourtn'a  notées  en  détail  qu'en  les  suppo- 
sant dénoncées  par  un  grammairien  de  sa  connaissance,  et  avec 
iufie  sorte  de  honte  d*en  faire  un  reproche  trop  direct  à  l'aimable 
auteur.  Je  n'y  di^tiague  que  deux  locations  qui  ont  vieilli  :  «  Le  roi 
ne  survécut  guère  le  prince  son  fils;  »  et  :  a  Hilord  Gourtenay  était 
auâ^i  aimé  de  la  reine  Marie,  qui  l'afandtépousé  du  consentement 
de  toute  l'Angleterre ,  sans  quelle  cemnui  que  la  jeunesseet  la  beauté 
de  sa  ^c&ur  Elisabeth  le  touchaient  davantage  que  Fespérancede 
régner  ;  ^  pour,  si  se  n'est  qu'elUtanmUf  etc.;)cett6vdernièrelooBtion 
revient  plusients*  ftMs. 

Le  petit  volume  de  Valincourt,  qu'Adry  a  réimprimé  dans  son 
édition  de  la  Pi4Hcesse4e  Clives^  est^mécbaatiDoa  distingué  de  la 


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586  .    UTUS  BBS  DBDX  MOIIIIBS. 

critique  polie,  telle  que  les  amateurs  de  goAt  se  la  pennettaiot 
sous  Louis  XIV.  YalinGOurt  n*ayait  alors  que  Yingt-<àBqiii;i 
aimait  peu  le  monde  de  Huet,  de  Segrais;  il  arrivait  jdos  Ustifi 
représente  au  net  lesjngemens  de  Racine  et  de  Boileao.  Sanis 
qui  se  tempère  toujours,  n*empéche  pas  en  lui  Téquité,  et^lt 
fasse  la  part  à  la  louange  ;  il  n'a  pas  évité  pourtant  la  mioBliectli 
chicane  du  détail.  Ceux  qui  attribuaient  la  critique  au  pènl» 
hours  avaient  droit  de  trouver  plaisant  que  le  censeur  repmUi 
à  la  première  rencontre  de  M.  de  Clèves  et  de  M"*  de  Chartm 
d*avoir  lieu  dans  une  boutique  de  joailler  plutôt  que  dan  s 
église.  Quoi  qu'il  en  soit,  Tensemble  atteste  un  esprit  exact  H  h 
décemment  iromque,  et  tel  que  Fontanes  l'aurait  pu  ooasidtflriffc 
plaisir  et  profit  avant  de  critiquer  M*'  de  Staël.  L'abbé  deOwies. 
qui  reprend  cette  critique  mot  à  mot  pour  la  réfuter  avec  iq«e, 
m'a  tout  Tair  d*un  provincial  qui  n'avait  pas  demandé  i  IfdeU 
Fayette  la  permission  de  la  défendre;  Barbier  d'Auceorts'afk 
tiré  autrement.  On  peut  voir  dans  Valincourt  une  théorieoei^ 
du  roman  historique  très  bien  exposée  par  un  savant  q«1  itfr»- 
duit,  et  cette  théorie  n'est  autre  que  celle  que  Walter  Soodto 
partie  réalisée. 

Bussy,  qui  dans  ses  lettres  à  M*'  de  Sérigné  parle  asMikafK- 
ment  de  la  Prnuesse  de  Clives,  ajoute  avec  cette  incroyable  6taté 
qui  gâtait  tout  :  or  Notre  critique  est  de  gens  de  qualité  qn  o« 
<r  de  l'esprit  :  celle  qui  est  imprimée  est  plus  exacte  et  plaiiiit^* 
<r  beaucoup  d'endroits,  d  Pour  venger  M"*  de  La  Fayette  défè- 
ques malignités  de  cet  avantageux  personnage,  il  suffit  de  citerde 
lui  ce  trait-là. 

En  avançant  dans  la  composkion  de  la  Prinee$u  de  OhKtt^ 
pensées  de  M**  de  La  Fayette,  après  ce  premier  eMorTerjh 
jeunesse  et  ses  joies,  redeviennent  graves  ;  l'idée  du  dcroir  lif 
mente  et  l'emporte.  L'austérité  de  la  fin  sent  bien  celte  wtikf^ 
et  si  prochaine  de  la  mort,  qui  fait  paraître  les  ckosa  dee&i^^^ 
CCI  œil  si  différent  (1)  dont  on  les  voit  en  santé.  Dès  l'été  de  iSTI*  ^ 
avait  elle-même  éprouvé  cela,  et,  comme  l'indique  M**deSéfipfc 
tourné  son  ame  à  finir.  Le  disabusement  de  toutes  Aof^  ^ 
montre  dans  cette  crainte  qu'elle  prête  i  M**  de  Qèfe$f  ^^ 

itj  TallBcotti  reotrqve  atee  ralioo  qall  Ikidrall  :  tfe  «tlvl  tf Mil. 


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ROHANGIBRS  DE  LA  nUNCB.  517 

^^  ne  60it  le  tombeau  de  l'amour  du  prince^  et  n'ouvre  la 
a.uk  jalousies  :  cette  crainte,  en  effet ,  autant  que  le  scru- 
<A  devoir,  s'oppose  dans  l'esprit  de  M*^  de  Qèves  au  ma- 
Lxrec  l'amant.  En  achevant  leur  roman  idéal,  il  est  clair  que 
1^:3^  amis  y  que  M.  de  La  Rochefoucauld  et  elle,  ea  venaient 
^ir  de  ce  qu'il  y  aurait  eu  de  félicité  imaginable  pour  leurs 
c^e:rsonnages,  et  quHs  se  reprenaient  encore  à  leur  douce 

^sréelle  comme  au  bien  le  plus  consolant  et  le  plus  sûr. 
'^osi  jouirent  plus  long-temps.  Dans  la  nuit  du  16  ab  17 
^80,  deux  ans  jour  pour  jour  après  la  publication  de  la  Prln- 
^  ClèveSf  M.  de  La  Rochefoucauld  mourut  :  a  J'ai  la  tète  si 
^  <]e  ce  malheur  et  de  l'extrême  affliction  de  notre  pauvre 
»  écrit  M*^  de  Sévigné,  qu'il  faut  que  je  vous  en  parle.... 
^  IMarsillac  est  dans  une  afBiction  cpii  ne  peut  se  représenter; 
^dant,  ma  fille,  il  retrouvera  le  roi  et  la  cour;  toute  sa  hr 

9o  retrouvera  à  sa  place;  mais  où  M*'  de  La  Fayette  retrou- 
^^^-elle  un  tel  ami,  une  telle  société,  une  pareille  douceur,  un 
^^icient,  une  confiance,  une  considération  pour  elle  et  pour  son 

^EBe  est  infirme,  elle  est  toujours  dans  sa  chambre,  elle  ne 
'^^  point  les  rues.  H.  de  La  Rochefoucauld  était  sédentaire 
^1  :  cet  état  les  rendait  nécessaires  l'un  à  l'autre,  et  rien  ne 
^>^aitétre  comparé  à  la  confiance  et  aux  charmes  de  leur  ami- 
*  Songez^y ,  ma  fille,  vous  trouverez  qu'il  est  impossible  de  faire 
^^  perte  plus  considérable  et  dont  le  temps  puisse  moins  conso- 
"^^  Je  n'ai  pas  quitté  cette  pauvre  amie  tous  ces  jours-ci;  elle 
^Qait  point  ùive  la  presse  parmi  cette  famille,  en  sorte  qu'elle 
^ait  besoin  qu'on  eût  pitié  d'elle.  M*'  de  Goulanges  a  très  bien 
^it  aussi,  et  nous  continuerons  quelque  temps  encore....  j>  Et 
Kischacune  des  lettres  suivantes  :  «La  pauvreM*'  de  La  Fayette  ne 
ait  plus  que  faire  d'elle-même...  Tout  se  consolera  hormis  elle.;» 
96t  ce  que  Mh'  de  Sévigné  répète  en  cent  façons  plus  expressives 
unes  que  les  autres  :  cr  Cette  pauvre  femme  ne  peut  serrer  la  file 
tne  manière  à  remplir  cette  place.  »  M**  de  La  Fayette  né  cher- 
i  pas  à  la  remplir;  elle  savait  que  rien  ne  répare  de  telles  ruines, 
me  cette  amitié  si  tendre  avec  H*'  de  Sévigné  ne  suffisait  pas^ 
)  le  sentait  bien  :  il  y  avait  trop  de  partage.  Pour  se  convaincre 
l'insuffisance  de  telles  amitiés,  même  des  meilleures  et  des  (dus 
ires,  qu'on  lise  la  lettre  de  M"*  de  La  Fayette  à  M»'  de  Sévigné 


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818^  UTW  Ml  iHont 

de^ettdfésie^  eii|«non  lue  eiMuile  te  CMHMntaîte  q«'««  fiA  Mf^t; 
Steifpaé  écffvtttrà  8ft  8U0  :  «  Mm  Biml  U  bdle  pr^otitisn  èh 
DréH^^  pki8  dies  nm$  d'Allé  cMpi^iiâtBle,  de  n'avoir poun  d*éi|é' 
fwigeei  de  dévote  nfllioéeii»!  «ei  l'^ft  eompfemdra  oomlmi  Q  m 
tnt  pat  (o«t  tedomander  &  <w  amitiéa  qm  m  leot  poiai  wmqm 
H  99m  partage,  pwqiie  le»  pl«e  dMioatea  jigenl  aînai.  Aprèsfe^ 
mottr,  après  YmniAé  absotae^  saaa  arrièiiefpeiisAe  m  retoor^aOleink 
t<mt  entière  occMqpfèeet  pèoétrèe,  eilamimeqtàQmWêpû  B*raqii 
lamortottBievu 

M"*  de  La  Fayeite  yècm  itéaDd  asiièe»  eaeore  :  on  penet  fl^ 
quérir  ebeslP«  de  Sèrigoè  des lèeers^détaila  de  sa  vie  «lériMM 
durant  ces  aaaèes  désertes.  Une  vite  emrée  eirliaiseif  avesli 
je«oe  M*'  de  Sekunbere  donna  qvdqae  éfei  cnridos  et  jricMi 
a«x  antres  amies  pks  anciennes  r  en  ne  toit  pas  que  cetefnt 
d'ttne  ame  q«  sendflah  se  reprendre  à  qadipie  chose  mt  dlifi» 
C'est  pent^tre  par  TeCst  du  même  besoin  tnqnîel,  que»  dèi 
les  premiers  mois  de  sa  perte,  ^efit  augmenter  moore,  dieM 
du  jardin  y  son  appartement  dé}i  si  taste,  à  mesnre  hâssl  ipi 
aon  existence  diraÉlnait.  D  paridt  missi  qne  ponr  roÉiplir  les  lwe« 
ses,  M^  de  La  Fayette  se  hdssa  aHer  à  phksienrs  écrils ,  dontqsat 
qnes-nns  ont  pn  ètrfe  égarés.  Lu  Cmmeue  de  Tende  doià  dater  (it 
ces  année»là*  Lephnibrt  de  la critiqne  de Bnssy  etdnnioÉih 
en  gènéraly  an  sqet  de  io  Prîhceae  de  C/èrcs»  serait  porté  sur  Tmi 
eitraordinaire  que  Fhérbine'fait  à  son  mari.  M**  de  LnFÉyenif 
en  inventant  une  noittelle  situàlionranalogne»  qui  ammàt  un  aiM 
plus  extraorcKnaire  encore^  penaa  que  là  prennes  ennermtd'tf' 
tant  justifiée.  Elle  réussi!  Idans/u^  Connexe  c(e  Tetule^  himiqa'ifM 
moms  de  développemens  qu^il  n'eèt  £sdhi  pour  que  la  PrioÊCtmà 
Oièoes  ete  une  sœnr  comparable  àeUe  :  on  sèntqne  l'aMenr  sut 
but  et  qu'il  y  court;  Les  Mémstrei  de  la  Cour  de  France  pour  leras' 
Bées  1666  et  166»  se^font  remarqnerpar  la  suke»  la  précisiaDitJii 
dégagé  du  récit  :  aucune  ditagatién  >  presque  aucune  réfcsioi; 
un  narré  vif,  empressé,  attentif;  une  inteHigence  oontimdk 
L'auteur  d'un  tel  écrit  était»  certes,  un  esprit  capable  d'afiM 
positites.  J*ai  cité  le  mot  asses  pkpiant  sur  M~  de  Haioteiôs  I 
propos  d'Esiher.  Kadne,  par  contre-covp,  y  est  unpealégèreBKit 
Ivaité  atecsacomécKsfiecotiasiK  :  orllt^  deMtdntemm,  pondiredi^ 


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♦i»  piiKi  «te»  q^  je  roi,  fitf•i|%^«0tfw»édi^fl»rB4(D^ 
ii.BieiB»pr  poito  dU'Mnfisivtâ  1  on  a«ké  d^  «a<pftM»ff<i  jl^siiMM- 
ii-Ud>le»  pottreafedre  à«oo«ui)b4ar«tC6lai  fUcAuxqiii^iiilfi^alC 

ité  d'an  jBoade  ^  préf&jca  loogriepwft  Coso^iUe  à  Btofa^»;  «Ob 

Mr«il.«wé  «l.pmiiqiié  dans  Zo^ife  o&f^HfjB  e«pagitf>l ,  3i  dNar  à  Tm- 

iQQf  4a  Câc(»  0^  ^pkB  Raeiafi et  Bottew  «ramt  lue.  BUe  oMaptaît 

pour  Miis.pavlipiilîeKs  des  bonnes  wmtm  S^§rtts»  Boet,  qui 

aYident  des  antipathies  et  même  des  haines  (1)  cMin  ees  dans  paà- 

les  régams»  M  «  de  La  Boehefimcaiild ,  qui  Jas  goûtait  Viin  et  l'astre 

imme  écrivains»  ne  leur  trauvaiiqu'uoe  aenle  soria  d*espiit ,  et  laa 

Jageait  paorras  d'eatretien  hors  de.laura  yera.  y^useonrt  enfia, 

qniavait  maigpkélaPrifiûf9âe4eCii^êj  citait  Télèv/e,  Iwm.iiitiaie  de 

leos  deux*  Apcàs  eela.  M""*  de  La  Fayette  avait  trop  d'esprit  et 

d*Aqiiilé  pe»r  aepas  adnÎMr  digoaaifQt.das  amawps  deat  la  teai- 

dresse  ou  la  justesse  trouvait  ea  cNedes  eoides  si  préparées.  An 

aiomeat  où  elle  sévère  le  iOioias  Hmtt»,  elle  rappelle  eaeor e  le 

m^€ur  poèie  at  u^mu^.  Ou  a  .vu  qu'elle  écoutait  diei^Gonrvile, 

e'est-è-dire  ebes^eOe,  la  p4aci^iieder|k>iteaiMEKMvait ,  nous  Famns 

4it ,  avec  Boileau  plus  d'un  rappMi  de  droitui^  d'esprit  et  de  erir- 

ligne  irréfragabWj  et  était  à  sa^wiére  «n  oreals  do  Jx>u  sans  dans 

m  beau  nionde.  l^  mM9  4  la  JOe^téaii»  4n;onia  ralenua  d'dl» 

l^noinbrQuxsu9aksenavo9scitéb$aMmp>  aixqnris  il  faat  a» 

jouter  encore  ;  par  exemple  :  a  Celqi  qui  se  met  au-^daswis  d^ 

antiiasj  qKslqoe asprit  qu*il  a^»  se  ipetiau-dessous  de  son  aiiprit.  a 

Voilean ,  fiapsaat  uq  jour  ^wi  d*Qlivat,i  dîiaît  :  «  Savea-vott»  pouiv 

i  (ppi  les  aqwoiens  ont  si  peu  4*Adffûratetrs?,  o^eat  paroe  que  lea 

s  trois  quarts  tout  au  moins  de  ceux  qui  les  ont  traduits ,  étaient 

<  des  ignorans  ou  des  sots.  M"'  de  La  Fayette  >  la  (emme  de  Fr^mc^ 

s  qpiavait^le  jHfia  d'esp.rjt  ^  ,gp  éfcyjiy^  ]e:QHmi:.r emparait i« 

s  sot  traducteur  à  un  laquais  qoB  samaltMsse  envoie  finre  un  cem^ 

s  pKment  à  quelqu'un.  Ce  que.sa  maîtresse  lui^iui^  djt  en  tenu^ 

p  p^  I  il  r^  |e  rendra  girossièroinent  >.  il  TiMtopie  ;  plus  il  f  avait 

s  de  déiieatasse  dans  le  coapliaMat,  moins  ee  laquais  a*en  tire 

e  bien  :  et  voilà  en  un  mot  la  plus  parfaite  image  d'un  mauvais  tra* 

.<4p«te9r«^KiQij^upar«^^  dtm  «ytiftWy  mm^^  ftw^^f  tei^ 

N  Voir  Blet  IV  Mleaa-daiii  Ml  Jliftnolrei  mi9j^^ 


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nméide  cette  resseniblanoe,  cet  accord  d'elle  à  hd,  qœ imsUl- 
qtiOBs.  M.  Rcederer  a  mille  fois  raison  aa  sujet  des  r^itloos  è 
Molière  avec  le  monde  de  M»"  de  Sévigné ,  de  La  Fayette,  da 
montrant  que  la  pièce  des  Femmes  Savantes  ne  les  regardait  es  ria. 
Quant  à  La  Fontaine  »  il  est  constant  qn*à  une  époque  il  fàt  ferta 
femiliarité  avec  Mh'  de  La  Fayette  ;  on  a  des  vers  aflectueux  qtlli 
adressait  en  lui  envoyant  un  petit  billard  :  ce  devait  être  di  lÊOf 
où  il  dédiait  une  fable  à  Tauteur  des  ÈÊaxmes ,  et  une  autre  à  ai- 
demoiselle  de  Sévigné  (1). 

Depuis  la  mort  de  M.  de  La  Rochefoucauld ,  les  idées  de  M^è 
La  Fayette  se  tournèrent  de  plus  en  plus  à  la  religion;  ob  aitf 
témoignage  précieux  dans  une  belle  et  longue  lettre  de  Dagoit,(|s 
est  à  elle.  Elle  Favait  choisi  pour  directeur.  Sans  être  liée  (&«%- 
ment  avec  Port-Royal,  elle  inclinait  de  ce  côté,  et  Thypocmei 
la  cour  Ty  ppussait  encore  plus.  Sa  mère,  d'ailleurs,  avait  époni 
en  secondes  noces  le  chevalier  Renaud  de  Sévigné,  onde  de IPi 
Sévigné,  et  l'un  des  bienftdteurs  de  Port-Royal-des-Chafflp8»M 
il  avait  fait  rebâtir  le  cloître  :  il  n'était  mort  qu'en  1676.  Vr'ieU 
Fayette  connut  Duguet,  qui  commençait  à  prendre  un  gnoiT^ 
spirituel  pour  la  direction  des  consciences,  et  qui,  dans  cette<iici- 
dence  de  Port-Royal ,  n'en  avait  que  les  traditions  justes  et  mtlM 
sans  rien  de  contentieux  ni  d'étroit.  Void  quelques-unes  des  pi* 
rôles  sévères  qu'adressait  ce  prêtre  selon  l'esprit,  à  lapésiM 
qui  les  lui  avait  demandées  : 

a  J'ai  cru,  madame,  que  vous  deviez  em^rfoyer  utSeffieutto 
«  premiers  momens  de  la  journée,  où  vous  ne  cess^  de  donir 
«r  que  pour  commencer  à  rêver.  Je  sais  que  ce  ne  sont  point  abrs 

(I)  MnM  de  La  Fayette  était  donc  bien  réellement  du  même  groupe  etcomn»^^ 
Parnasse  que  La  Fontaine,  Racine  et  Despréanx  ;  et  le  petit  récit  soivant  n*est  q^ftllfli? 
%n  pen  enfontinedn  vrai:  «En  lero,  dit  Ménage,  M»»  deThIanges  donna  en  étrtfS^ 
chambre  tonte  dorée,  grande  comme  une  table,  à  M.  le  dne  du  Maine.  Atk-itm^^^ 
VpTiet  il  y  avait  en  grosses  lettres  :  Chambre  du  Sublime.  An  dedans  nn  Ut  et  iinkil>A 
avec  nn  grand  fauteuil,  dans  lequel  était  assis  M.  le  duc  du  Maine,  feit  en  ctiei  to^  ^ 
«emblant  Auprès  de  lui  M.  de  La  Rodiefoucauld,  aufoel  U  donnait  des  ten  p^^ 
examiner.  Autour  du  fMiteuil  M.  de  ManlUac  et  M.  Bossuet,  alors  évéque  de  CoMi^^ 
Tautre  bout  de  l'alcôve,  Mme  de  Thianges  et  Hm«  de  La  Fayette  lisaient  des  vers  uiii"* 
Au  dehors  du  balustre.  Despréaux  avec  une  fourche  empêchait  sept  ou  huit  nëdiaBi  pQ^ 
d*entrer.  Racine  était  auprès  de  Despréaux ,  et  un  peu  plus  loin  La  Fontaine,  a^^ 
sait  signe  d*avancer.  Toutes  ces  figures  éuientde  dre,  en  petit,  et  chacun  de  cens 4*^ 
représentaient  avait  donné  la  sienne.  »  Ménage  ne  nous  dit  pas  s*U  a  posé  pov  f^^ 
cinq  ou  six  mauvais  poètes  chassés  par  Boileau. 


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MiUMM»  M  tA  nktHX.  611 

les  pensées  sniTies,  et  qne  somreiit  tous  n^éCes  appliquée  qu'à 
n'en  point  avoir.  Mais  il  est  difficile  de  ne  pas  dépendre  de  son 
naturel  y  quand  on  veut  bien  qu*il  soit  le  mattre;  et  l'on  se  re- 
trouve sans  peine,  quand  on  en  a  beaucoup  à  se  quitter.  Il  est 
donc  important  de  vous  nourrir  alors  d'un  pain  plus  solide  que 
ne  sont  des  pensées  qui  n'ont  point  de  but,  et  dont  les  plus  inno- 
centes sont  celles  qui  ne  sont  qu'inutiles.  Et  je  croirais  que  vous 
ne  pourriez  mieux  employer  un  temps  si  tranquille  qu'à  vous 
rendre  compte  à  vous-même  d'une  vie  déjà  fort  longue,  et  dont 
il  ne  vous  reste  rien  qu'une  réputation  dont  vous  comprenez 
mieux  que  personne  la  vanité. 

«  Jusqu'ici  les  nuages  dont  vous  avez  essayé  de  couvrir  la  reli- 
gion vous  ont  cachée  à  vous-même.  Ckmune  c'est  par  rapport  à 
elle  qu'on  doit  s'examiner  et  se  connattre,  en  affectant  de  l'igno- 
rer, vous  n'avez  ignoré  que  vous.  Il  est  temps  de  laisser  chaque 
chose  à  sa  place  et  de  vous  mettre  à  la  vAtre.  La  vérité  vous  ju- 
gera ,  et  vous  n'êtes  au  monde  que  pour  la  suivre,  et  non  pour  la 
jager.  En  vab  l'on  se  défend,  en  vam  on  dissimule,  le  voile  se 
déchire  à  mesure  que  la  vie  et  ses  cupdités  s'évanouissent  ;  et  l'on 
est  convaincu  qu'il  en  faudrait  mener  une  toute  nouvelle,  quand 
il  n'est  plus  permis  de  vivre.  ïl  fout  donc  commencer  par  le  désir 
sincère  de  se  voir  soi-même  comme  on  est  vu  par  son  juge. 
Cette  vue  est  accablante  même  pour  les  personnes  les  plus  décla- 
rées contre  le  déguisement.  VXie  nous  6te  toutes  nos  vertus  et 
même  toutes  nos  bonnes  quittés,  et  l'estime  que  tout  cela  nous 
aurait  acquise.  On  sent  qu'on  a  vécu  jusque-là  dans  l'illusion  et  le 
mensonge;  qu'on  s'est  nourri  de  viandes  en  peinture;  et  qu'on 
n'a  pris  de  la  vertu  que  l'ajustement  et  la  parure,  et  qu'on  eu  a 
négligé  le  fond,  parce  que  ce  fond  est  de  rapporter  tout  à  Dieu 
et  au  salut ,  et  de  se  mépriser  soi-même  en  tout  sens  ;  non  par  une 
vanité  plus  sage  et  par  un  orgueil  plus  éclairé  et  de  meilleur  goAt, 
mais  par  le  sentiment  de  son  injustice  et  de  sa  misère.  » 
Le  reste  de  la  lettre  est  également  admirable,  et  de  ce  ton  ap- 
proprié et  pressant.  —  Ainsi,  vous  qui  avez  rêvé,  cessez  vos  rêveà  l 
^ons  qui  vous  estkniez  vraie  entre  toutes ,  et  que  le  monde  flattait 
Tétre  telle ,  vous  ne  l'étiez  pas ,  vous  ne  l'étiez  qu'à  demi  et  qu'à 
^t  :  votre  sagesse  sans  INea  était  pur  bon  goAtI  — »  le  lis  pins 
oin  une  phrase  sur  ces  années  c  dont  on  ne  s'est  point  encore  sin- 


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iM2 

At^emeAlr^peati,  paro^^'im  «0t  asmi  iiqaaie  pour  noMnnfc 

blesse  et  pour  mmar  te  f  }â  en  a  ifé  eawe.  o 

Unaa avant  de  mourir,  M"*  de  lia  Fajfette écrivait  i  IT^èSi- 
vigné  oii  potit  billet  qpi  eiprioie  son  mal  aaas  repos  aotet  jiir,fl 

Tésigoaitioa  i  Dieu,  et  qui  Omt  pAr  oes  Mots  :  «  Crorei,  aifiè 
sphère,  que  r^oa  êtes  la  personoe^te  monde  qm  j'ai  le  pksTMi- 

.)i>lemeat  atméeu>L'autreaffecijoaqu*^eBe  nommaii  ^im^^étn 
pomptailplua,  étaitreUe^onetepgneaeevelia, 

TQutconcondejpiaqm'att  bout,  ettouis^achèver  li**deSifi^ 
^it  à  M"«  de  Gnitand»  le  3  jui  1603»  de«x  ea  uoîb  jeonaiîii 
le  jour  funeste,  et  déplore  la  mort  de  cette 
f  •«•••Ses  iafii3|tt|&8>  4<HNs4ew  ana^  éiaieiit^eYenuesaititaB; 
«  je  ia  défendais  tovy^ws,  oar  fm  disait  qu'elle  éuit  tfSàkm 
M  vouloir  poJ4it  «pfitir^  SH^  avait  ine  tristesse  monele:  QA 
s  lioli^  encsypel  ii'eat«a)l0  9^  la  plus  beureuse  femme danoaie! 
(T  Maiajeidisi|i4Â4C^fitfamMa«f»rèei^^ 
0 11^  de  I^a  Fayette  .n'Agit  pasiloîle,  et  je  aa'eB  teasis  tiuBébit 
a  madame /la  pauvre  famme  ii*eat  fi^éseatemeut  que  tnp  jut- 
^  9^..-  Elle  a^iât  deux  pat](pas  dans  le  cceur,  et  la  {leiBieà 
0  jçmvLT  flétrie^  N*était^)e  pas  assez  pa«ir  avoir  oes 
«  ^ese  plaigumt?...«  l&k  a  eu  raison  pendait  m  vie,  deseoit- 
0  aou  ^prds  sa  mort,  et  jamais  elle  n'a  été  sans  cette  diriaeniiii< 
#r  qui  était  sa  qualité  fNriae|)a)e«..«£lie  n'a  eu  aneune  tmiiiiia"'^ 
0  pspdant  les  çiatre  jours  j(iu'^  a  été  malade....  Pauraomfli- 
a  aolMion,  IKaalui  alait  une  gt^èM  toute  particulière,  et 

•  q«e  une  vraie  prédestinatiao»  c'est  qu'elle  se  confessa  kjffr* 
«  la  petite  Féte-iHeu ,  avec  une  ataotilode  et  un  aei 
:«  pouvaient  venir  que  de  blâ»^  regait«otre  Seigneur  de  bai* 
€  manière.  Ainsi,  ma  ehère  mad«ne,  nous  regardons cettic* 
f^DHpinn  j  qu'aUe  Axatt  aenantané  de  feka  i  la  PanteoMe» 

#  «ne  miséricorde  de  JRieu»  qui  nons  voulait  consoler  deosf^ 
a  n'a  pas  été  en  état  de  ratoeviNr  le  viatiqne.a-*  Ainsi  m0t^^ 
wérn,  4fiBè  an  mMange  deidoucaur  triste  et  de  viveseiiri>^' 
4n  aaie^se  salon  le  monde  et  de  f)epantirdavantDiea,edi^ 
me  idéidefir«id«elian  wm  enchme  t  QuepeniKmivaaterà^ 
tnnwe  mntjèa^  ide  réflanon  et  d'waeiipmMDtt  Laleltiei'^ 
A»8iMé,ia  A^Mi^daaèm»  atlabHro  4e  ]bif«et,i*«*^ 
JiMlMiaiiie?ifi7  SàmnSÊS^ 


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SUR 

LA  DÉCOUVERTE 

D'UN  MANUSCRIT 

tomtHkwt 
LA  TRADUCTION  DE  SANCHUTTIATHON, 


«  Si  inUttoire  ancienne,  dit  un  savant  historien  {i),  a  essuyé  \ 
)erte  sensible  et  à  jamais  irréparable»  c*est  surtout  parla  dispaii* 
ioodes  écrits  qui  traitaient  de  laconstituttoa,  des  entreprises  oldaa 
ravanx  des  Phéniciens.  Plus  ce  peuple  a  influé  sur  le  développo-» 
^ni  de  Tbamanité  par  ses  propres  invenlions,  par  VétablrnseaMiit 
le  ses  nombreuses  colonies  et  par  son  commerce  immense,  ploa 
)a  sent  la  lacune  que  la  perte  de  oes  écrit&a  laissée  danaMs  fûcet 
lu  genre  humain,  j»  Et  cependanty  mal({ré  cetle  absence  totale  d# 
locomens  originaux,  le  vénérable  professeur  de  Geettingue,  n'ayafli 
l'autre  secours  que  quelques  données  éparses  dans  la  BiUe  et  dans 
es  auteurs  grecs  et  latins,  mais  guidé  par  cette  conscieMe  intima 
|u'il  a  de  la  vie  des  peuples  de  Tantiquité,  est  parvenu  4  nous  feir» 
^^^'^'^^e  Tétat  politique,  la  constitution,  les  colonies  des  Pbéai^ 

^^^wea^  Idées  9ur  la  politique  et  Ue<mmmce  des  pet^^ieVimiiq^^ 


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SJtfr  UVOB  MS  BSCX  MOlDNiS. 

ciensi  et  les  routes  que  suivait  leur  immense  commerce ,  tant  sur 
terre  que  sur  mer.  Mais  que  de  fois  il  regrette  »  dans  son  livre,  de 
n'avoir  pas  sous  les  yeux  les  histoires  de  Dius  et  de  Ménandre 
d'Éphèse»  dont  Josèphe  nous  a  conservé  quelques  fragmens,  et  sur- 
tout rhistoire  de  la  Phénicie  par  Sanchuniathon»  dont  Eosëie, 
dans  sa  Préparation  évangélique,  a  cité  de  longs  fragmens,  qui, 
malheureusement,  ne  contiennent  que  la  partie  cosmogonique de 
Fouvragel  Aussi  a-t-il  dû  apprendre  avec  une  joie  bien  vive,  nuû 
sans  doute  mêlée  de  quelque  incertitude,  la  nouvelle  annoncée  il  y 
a  environ  six  mois  par  les  journaux,  que  la  traduction  grecque  de 
Sanchuniathon,  par  Philon  de  Byblos,  avait  été  retrouvée  dans  m 
couvent  de  Portugal.  Sa  joie  et  son  incertitude,  tous  les  amis  de 
l'antiquité  les  ont  partages;  mais  le  découragement  a  bientôt su^ 
cédé  à  Tespérance  quand  on  a  vu  que  cette  annonce  n'était  sniTÎe 
d'aucun  autre  document,  soit  sur  l'état  et  le  contenu  du  manoscrit, 
aoit  sur  son  futur  éditeur. 

Ce  silence  affligeant  vient  enfin  d'être  rompu  par  la  publicaiioi 
d'une  brochure  annoncée  comme  l'avant-coureur  du  texte  grec  de 
Philon,  et  ayant  pour  titre  :  Analyse  de  f  histoire  primitive  des  PU- 
niciens  par  Sanchuniathon,  faite  sur  le  numuscrit  nouvelicment  rc- 
trouvé  de  la  traduction  complète  de  Philon;  avec  des  observations  de 
Fr.  Wagenfeld.  Cette  brochure  qui  a  paru  chez  Hahn,  à  Hanovre, 
contient  en  outre  un  fac-similé  du  manuscrit  et  un  avant-propos 
de  M.  le  docteur  G.-F.  Grotefend,  directeur  du  lycée  de  Hanovre, 
connu  depuis  long-temps  dans  le  monde  savant  par  les  importais 
travaux  auxquels  il  s'est  livré  sur  les  inscriptions  de  PersépoUset 
sur  celles  de  la  Lycie. 

Que  doit-on  penser  de  cette  publication?  Fautril  la  regarder 
comme  une  mystification  ou  comme  un  document  sérieux?  Le  ooa 
deOrotefend,  si  Ton  n'en  a  pas  abusé,  comme  on  a  abusé  cet  \sm 
du  nomd'Herschell,  ne  permet  guère  devoir  dans  cette  bro- 
chure l'œuvre  d'un  faussaire?  L'Allemagne  n'est  pas  la  terre  dM* 
sique  de  ces  sortes  de  supercheries  dont  l'Italie  a  donné  àeàttMj 
nestes  exemples.  La  bonne  foi,  disons  plus,  la  candeur  germaniqt^li^ 
n'admet  guère  un  pareil  soupçon.  Le  fac-similé  du  manuscrit,  joitff| 
i  la  brochure,  est  d'une  écriture  fort  ancienne,  qui  annonce  h  1 1 
main  non  d'un  Grec,  mais  d'un  homme  de  TOccident;  orunCHtf' 
saire  n'eût  pas  choisi  de  préférence  un  caractère  de  ce  genre,  q» 


I 


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MANUSCRIT  DE  SANCHUmATHON.  845 

pouvait  le  trahir.  Déplus,  un  mystificateur,  dont  le  but  eût  été 
surtout  d'obtenir  un  débit  considérable,  aurait  cherché  à  composer 
un  livre  plus  divertissant,  à  y  jeter  plus  d'épisodes  romanesques  ; 
on  invente  difficilement  l'histoire  complète  d'un  peuple  tel  que  les 
Phéniciens,  car,  à  chaque  pas,  Ton  est  exposé  à  se  trahir.  Or,  il 
faut  en  convenir,  dans  l'analyse  de  Sanchuniathon,  la  simplicité  et 
la  vérité  de  la  narration,  ses  coïncidences  avec  la  Bible,  la  mul- 
tiplicité des  détails,  la  facilité  avec  laquelle  les  noms  propres  s'y 
expliquent  par  Thébreu,  tout  semble  annoncer  une  composition 
originale.  Enfin,  et  cet  argument  n'est  pas  sans  quelque  force,  Tau- 
léiir,  qui  fixe  Texistence  de  Sanchuniathon  au  vi'  siècle  avant  notre 
ère,  n'eût  pas  manqué  d'insérer  dans  son  livre  l'histoire  de  la  fon- 
dation de  Carthage,  et  surtout  le  rédt  du  siège  de  Tyr  par  Nabu- 
cbodonosor,  tandis  qu'il  s'arrête  au  ix^  siècle,  se  bornant  à  indi- 
quer les  historiens  qui  ont  raconté  les  évènemens  postérieurs.  On 
ne  peut  non  plus  tirer  un  argument  négatif  de  l'époque  tardive  de 
cette  découverte,  autrement  il  faudrait  nier  l'existence  de  la  Ré- 
publique de  Cicéron,  des  Institutes  de  Gains,  de  la  Chronique  d'Eu- 
s^e ,  des  différens  ouvrages  de  Lydus,  etc.  Ce  n'est  pas  d'ailleurs 
la  première  mention  qui  soit  faite  d'un  manuscrit  de  Sanchunia- 
thon. Beck,  dans  une  note  sur  la  bibliothèque  grecque  de  Fabri- 
ehis,  prétend  qu'il  existe  un  fragment  inédit  de  cet  auteur  à  la 
bibliothèque  de  Hédids  à  Florence;  il  ajoute  qu'un  troisième 
fragment  a  été  recueilli  en  Orient  par  Peîresc  qui  le  porta  à  Rome 
au  père  Kircher,  mais  que  ce  dernier  refusa  de  le  publier.  Enfin, 
Léon  Allatîus  a,  si  je  ne  me  trompe,  dit  quelque  part  avoir  vu  de 
ses  propres  yeux  dans  un  monastère  des  environs  de  Rome  un  ma- 
nuscrit de  Philon  de  Byblos. 

Le  seul  argument  négatif  qui  ait  quelque  force,  c'est  l'absence 
de  tout  renseignement  précis  sur  le  manuscrit  qu'on  prétend  avoir 
découvert  dans  la  péninsule  espagnole.  Mais  s'il  est  vrai,  comme 
on  rassure,  que  ce  livre  provienne  d'un  couvent  portugais  qui  fut 
pillé  lors  de  l'expédition  de  don  Pedro  contre  son  frère ,  et  qu'il 
ait  été  porté  en  Allemagne  par  un  officier  lianovrien  (I),  on  conçoit 
9i'on  ait  hésité  à  citer  des  noms  propres. 
Déjà  des  opinions  très  opposées  ont  été  émises  sur  cette  dé- 
fi) C^est  ce  que  semblait  prouver  le  début  de  la  préiàce  de  M.  Grotefend  :  a  Quel  écrit 
*  Iwarrais-je  recommander  avec  plus  de  Joie  aux  savans  que  celui  qui  nous  Mi  eonnaltie 
TOME  VII.  35 


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4^  UTirB  9NIS'  l^BOL  «OHMS. 

côuTérte.  Nous  fiAvons  par  VAikemiemnk  M9S  jâiAet  denii»,t|iife 
681WBC  GeseniiiSy  le  plus  célèbre  de^tovs  ies^Mbraisans  liefJËb- 
rflMd^j  Gesentes,  qai  nevs  promet  tetpHfMikm  pr  ociMMie  dw  ■■ 
(scripcions  phénkriemies  qae  le  temps  «Tespeolées/B^esi  proni 
•eoriaivear  de  l^mthenticité  dn  ttanitBerit'daiif4i.'WâgeÉMil>VRM 
de  pabKer  Vanalyêe.  Il  est  yriai  que ,  suWmi  le  «léme  jmé, 
-ll.Wflken,  rhtttorien  des  creisadesy  s'MtproAoacé  poir (né- 
gative; mais,  quel  que  soit  le  respect  que  Aiérite  ropùMii 
41.  Wilkeo,  en  pareÏHe  matière,  cdHede  M.'fieBeons  doitlift> 
finrter.  Noas^devons  ajouter  que, -ail  fant^eii  ertive l'artidii 
tÀihemmm ,  M.  Gretefend  a^MibH^  la  Mt^MmMe  rat  himè 
if.'WageôMd:  irPeur  prévenr  rial6Dtio&  o&'l%ajpopmit<lli 
-de  traduire  cet  ouTcagc  daus  tfmtreaiaDgiies,  joeroiaqalMÉ 
^moii  devoir  de  déclarer  pubMqfoemeiit,  et  aana  perdre  deMpi» 
^e,  d'après  les  renseignemensTeoueNfis  jusqificly  je'8ms«(Mfe- 
(meut  convaincn  que  Textrail  de  Sancfauiiifftken-n*mt  qu'ius^t^ 
liieuse  action.  Et  je  fais  cette  déclaration  san^attendreavomm* 
-i^rtbe,  qui  prendrait  trop  de  temps;  car^  en  soppesaiit^i^ 
définitive  le  résultat  démoatrftt- que  oetta  dédanitiea  ffèàp 
fondée,  elle  suffit  dès  à  préaent  pour  eagagei^M.'WâgsiMdtci- 
'femire  son  bomieur  en  donuant  4les  preuves  tde  ta  prelAé^t 

Maïs  au  premier  abord  cetteuolepavattiMBGieiiiempeiviMi 
l'ouvrage  de  M.  Orotefend.  Comment  I  «o^»  été  ertidBuaml*!* 
^éy  ou  ronadélo7a}enM«itabiiséde«o»nom,^elil4eberasi^ 
Ufier  1  ouvrage  d'ingénieuee^etion;  et  eette^déelaratioadsiifil 
n'a  d'autre  bot  que  d'empédiet  la  trad«ctk>n  de  Itf  brmtotdm 
^s  langues  étrangères!  Mais,  dufus  Tune  ou  TautrO' supperite» 
qui  n'aurait  commencé  par  accabler  le  feussaire  sous  le  pôidideu 
juste  indignation^  sans  s'inquiéter  si  des  traduotJOBadans  tffftrei 
idiomes  pourrjûeut  contribuer  i  propager  l'erreur?  6i  la  «tt0^ 
VAihenœMH  est  de  M*  Grotefeud,  il  faut  qu'elle  ait  été  ilùiiW* 
par  le  traducteur  ang^ms^  soit  involontaîrement,  soit  daat^ ^ 
•d'intérêt  personnel. 

Telles  étaient  les  rétfexioBs  que  suggérait  i  Faulenr  di  ^ 
article  une  telle  complication  d'inckleas  et  de  do«fees,qotBdlt 

«  le  contenu  d'un  Uvre  dont  la  perte  a  (ié  il  long- temps  déplorée  et  qu>u  htnmi^'^ 
••vliltireummr  dus «amnittRCii  Jtoi  eoDMtvéeC  ioimNp miném *■*»«*' 


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uAmmam  w  sÀKCRiJifiATBAii.  SVt 

WfmhkiMtrt  umuàt  dé  M,  GroCêfénd ,  autqttel  Q  s'était  adressé 
lonr  loTtr  ses  incenkùài&Ê^ 

Hano?i9,  le  18  aoftttSSS. 

df^tr  de  temps  après  avoir  reCômm&hdé  aux  savans  l'analyse  de  la  tra- 
laetion  de  SattchtmrathoQ  par  Phflon  de  Byblos,  qu'on  prétend  avoir 
técouverl^  réoemtMsitty  j*ài  eu-  lieu  dé*  nre  convaincre  que  Fauteur  de 
leoe  analyse  n'étëitqn^Qii  niy«tiÛoate«ir;et  jemesuis  vu  dans îa  nécessité 
Pexprinifer  pnbKquaineatnMrâiiitts  tuiil'BatMenticlté  de  sa  découverte: 
léH  9rai>qw'ily  a  iant^emoUfiquiflaMentênfavêurde  VM^hmmHté  iê 
'êWNtge^  que  les  ^eiiMnct  Um  plu»  ftli&iM  jiMtvaildi^lEftfMfoml^yclMiiv^ 
!a  matière  d'uw  douU.  liais  conme  tout  ce  qui  a  paru  à  ce  sojet  dans  le 
|)j^licannonee,  dans  M.  Wagenfiald,  qb  insigne  mystificatenr,  et^«e>pe»^ 
ioiuie.n'a  pi^  jusqu'ici  ezaminep  le  manusorit,  on  est  autorisé  4  douter  de 
l'anthenticité,  sinon  de  l'ensemble,  4û  moins  de  beaucoupde  détails.  On 
^t  d'autant  plus  éloigpé  de  s'attendre  à  une  pareille  supercherie  de  la 
pan  ff  un  jeune  homme  candidat  en  théologie  et  eu  philologie  à  Brème,  que 
Tamour  de  la  vérité  est  le  trtfHtaraetéHstîque  de^  Allemands.  Mais  mal- 
heureusement M.  Wagenfeld  a  si  peu  d'amour  pour  la  vérité ,  que  je  me 
sait  vusoUigé  de  rompre  toute  relation  aVeeflut«  Lès  doat€»que  j'ai  émis 
dans  les  joumafix  ntavaient  d'autre  but  qnerde  le-mettre  au  pied  du  mur> 
alb  d'arriver  au  moins  à  quelque  certttade*  Ils  ont  tm  pour  résiillat  d€  U 
feàninriler  awée  id  UhrwM»  SehtumMLûn^  à  Biiié/B^  p&ur  ItmprèSiAm  dk 
Vwighml  fne^.  Mais  ttalheereoienent'oiti  deote-égatemenr  de  fàuihenti» 
dté  de  eet  origmaL  Et  en*  adraetmc  même  «foeee  texte  grée  ettt^oii# 
hase  un  ancien  annusority  on  ne  peut  prendre  poor^argent  comptant  ce 
^i  vient  d'un  homne  quiy  conneM;  Wageoiéldy  est  oovrenu  qœpoar 
le{daisir  de  myitiier  lefmbUCy  il  ae  cniiBdn^t  pas  de  reooarkr  à  l'im-i* 
paiture. 
«  Recevez ,  naensieur,  ete* 

G.-F.  GaOTEFiDID»  B 

On  voit,  par  cette  lettre,  que  tous  les  doutes  sont  encore  loin 
d^étte  krvés  ;  mkds  elle  noas^  prouve  que  M.  Groteflend  est  vérfta** 
biementrauteur  de  la  préfecequi  précèdeFanalyse  en  question,  et 
Qtte,  neconnaissantpasles  motife  peu  honorables  qui  oni  pu  déter- 
miner M.  Wagenfeld  à  abuser  de  sa  bonne  foi  et  de  celle  du  public, 
3^  cru  dés  le  principe  à  l'authenticité  de  Touvrage.  Maïs  qu'on  ne  se 
Uite  pas  de  blâmer  le  respectable  directeur  du  lycée  de  Hanovre 
^'avoir  accordé  confiance  à  ce  travail, imsiteil fÂilAveftiMtid'Im- 

35. 


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^iS  ,;  RBVUE  BE8  DEUX  MOIIBBS. 

bileté  et  de  savoir,  qa*Q  peut  tromper  Vœû  le  plus  exercé. 
penser  qu'un  jeune  homme  qui  vient  à.  peine  de  quitter  les  bues 
de  l'université. ait  déjà  acquis  assez  de  science  pour  faire  revine 
un  ancien  peuple  dans  une  histoire  suivie  et  probable?  Comment 
croire  surtout  que,  pour  satisfaire  une  fantaisie  aussi  bizarre  qaln- 
explicable»  ce  jeune  homme,  dès  son  début,  compromette  tout  son 
avenir,  et  s*expose  à  jamais  au  mépris  de  ses  concitoyens?  Tout 
autre  savant  que  M.  Grotefénd,  qui,  sans  connaître  le  caractke 
du  jeune  étudiant,  eût  reçu  la  communication  de  son  livre,  se 
serait  passionné  pour  la  découverte  ;  car,  je  le  répète,  rien  de  (rios 
vraisemblable  que  tout  ce  récit.  Nous  en  ferons  juge  le  pubUc  ei 
mettant  sous  ses  yeux  quelques  extraits  de  cette  brochure,  qui 
méritera  toujours  d'être  regardée  comme  une  production  aussi  cu- 
rieuse cpi'intéressante,  quelle  que  doive  être,  en  définitive,  Topi- 
nion  à  laquelle  on  s'arrêtera  sur  le  compte  de  son  auteur. 

Nous  commencerons  par  l'histoire  mythique  de  Mélicerte  oo 
Melkart,  l'Hercule  tyrien  (liv.  n,  chap.  9-15). 

Ce  mythe  est  racontéfort  au  long  d'après  les  chants  sacrés  que  Sancbo- 
niathoneotendit  à  Tyr,  dans  son  enfance,  et  dont  le  sens  meryeiUeia 
devait  avoir  fait  une  forte  impression  sur  son  esprit.  L'idée  renferiDétt 
dans  ce  mythe,  c'est  qu'on  ne  peut  s'élever  à  la  divinité  qu'en  poursoivut 
un  grand  et  noble  but  à  travers  tous  les  dangers ,  et  en  surmontant  ton- 
tes les  fatigues.  Mélicerte  se  propose  un  but  éloigné  de  l'autre  côté  de 
la  mer  orageuse ,  au  bout  de  la  terre  (  cap.  10  ).  Ce  but  est  digne  d'n 
dieu:  celui  qui  l'atteindra,  s'élèvera  vers  la  divinité. — Mélicerte  arriie 
en  effet  à  Tartessus;  ses  contemporains  étonnés  lui  élèvent  destemplâ 
et  des  autels ,  et  l'invoquent  à  l'égal  de  Kronos  et  des  autres  dieux.  Da 
reste  il  est  incontestable  que  ce  mythe  renferme  aussi  plusieurs  soafe* 
nlrs  historiques ,  comme  par  exemple  la  notion  d'une  grande  quantité  de 
métaux  précieux  en  Espagne. 

L'auteur  commence  par  nous  raconter  une  aventure  amoureuse  de  h 
jeunesse  de  Mélicerte,  et  la  fin  tragique  de  cet  amour.  Les  fils  de  Dém- 
roon,  Mélicerte  et  Isroas,  après  une  expédition  contre  les  géans,  le 
disputèrent,  en  partageant  le  butin  fait  sur  l'ennemi ,  la  possession  de 
Déisone  (I),  jeune  fille  des  montagnes,  d'une  rare  beauté ,  dont Isrotf 
s'était  emparé.  Mélicerte  propose  de  s'en  remettre  au  choix  de  la  jeaoe 

•  Xt)  Bu  hOirea  JMcAcn,  fvUUté.  W. 


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MANUSCRIT  DE  SAICCHUmATHOlC.  S49 

fIle;'l8roas  y  eonsent,  et  Déisoae  choisit  Mélicerte  :  car  il  était  aussi 
beaa  qu'Isroas  (1)  était  laid. 

Mélicerte  alors  célèbre  son  épouse  dans  des  chants  qui  s'étaient  con- 
servés jusqu'au  temps  de  Sanchuniathon  et  que  l'on  chantait  à  la  fête  de 
ce  héros.  Mais  Isroas  vint  pour  enlever  de  force  Déisone,  et  assiégea 
la  tour  de  Mélicerte.  En  vain  celui-ci  tenta  de  l'apaiser.  <k  Le  vautour 
tue  le  vautour,  et  le  cèdre  de  la  montagne  renverse  son  frère  dans  sa 
chute.  Mais  pourquoi  désires- tu  le  combat,  pourquoi  veux-tu  la  guerre 
contre  ton  frère?  Tu  connais  mon  courage;  je  ne  voudrais  pas  te  rencon- 
trer dans  le  combat.  Ne  sommes-nous  pas,  ô  mon  frère,  deux  torrens, 
qai  s'élancent  du  même  ravin?  Pourquoi  cherches-tu  le  combat  contre 
ttoi ,  Isroas?  d  Lorsque  Isroas  vit  qu'il  ne  pouvait  point  s'emparer  de  la 
jeane  fille,  il  la  perça  de  loin  d'une  flèche,  afin  que  son  frère  ne  pût  pas 
non  plus  en  jouir.  Mélicerte  accourt  et  la  trouve  morte.  H  la  pleura 
trois  jours,  et  demanda  alors  aux  Gabires  des  vaisseaux  avec  lesquels, 
à  la  tête  de  ses  nombreux  compagnons,  il  fait  route  vers  Cittium,  dont 
les  habitans  étaient  alors  en  guerre  avec  les  montagnards.  Aidés  par  Mé- 
licerte, les  Gittiens  remportent  la  victoire,  et  en  reconnaissance  de  ce 
service,  ils  veulent  que  le  héros  devienne  leur  roi.  Mais  lui  part  pour  la 
côte  située  en  face  de  Gittium ,  où  demeurait  le  frère  de  son  père ,  nommé 
Jurus.  Le  récit  de  l'entrevue  de  Mélicerte  avec  le  vieillard  aveugle  est 
fort  touchant. 

Là  il  s'arrête  quelque  temps  :  car  la  mer  est  orageuse  et  les  vents 
soufflent  avec  violence.  Jurus,  sentant  approcher  sa  fin,  donne  sa  bénédic- 
tion à  Mélicerte,  d'après  un  ancien  usage  de  l'Orient,  l'exhorte  à  con- 
tinuer son  voyage,  et  lui  prédit  l'avenir  :  a  Tu  triompheras  d'une  mer 
inconnue,  et  le  premier  de  tous  les  mortels  tu  verras  les  bornes  de  la 
terre.  Tu  deviendras  si  grand,  que  Kronos  et  les  autres  dieux  te  regar- 
deront comme  leur  égal.  » 

Jurus  mourut;  Mélicerte  l'ensevelit  et  le  pleura  trois  jours.  Le  qua- 
trième jour  il  se  relève,  se  purifie»  et  s'embarque  avec  ses  compagnons 
pour  continuer  son  voyage.  Mais  une  violente  tempête  les  fit  long-temps 
errer  sur  la  mer.  Enfin  ils  entrèrent  dans  une  baie ,  mais  comme  il  s'y 
trouvait  un  grand  nombre  de  bas-fonds ,  ils  essuyèrent  un  naufrage  où 
quelques  hommes  de  l'équipage  périrent.  Gependant  le  plus  grand  nom- 
bre échappa  aux  dangers  et  atteignit  le  rivage. 

D'abord  ils  formèrent  le  dessein  de  se  construire  un  nouveau  vaisseau 
^Qr  cette  plage;  mais  ils  furent  contraints  d'y  renoncer  parce  que  les  forêts 
-^u  pays  ne  leur  offraient  pas  de  bois  de  construction,  et  que  d'ailleurs, 

(t)  Kn  hâ>rea  tch  roa,  niomnie  de  la  médbanoeté^  lliomiiie  de  la  laldeor.  ▼• 


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5w'  Rimjc  DCd'  BEiTx*  MoiniB^; 

datis  ees'pait'argeiv  les  écneils  et  les  bas-fond^  rèodaflecit  laniifd^àfil^ 
très  dangereose.  Ils  résolurent  donc  de  remonter  la  côte  jusqu'à  œ'qùlS^' 
trouvassent  un  port  sûr  et  des  matériaux  èotrenables. 

Ce  naufrage  doit  avoir  eu  lieu  sur  la  côte  occidentale  de  l'Italie,  car 
la  entrée  où  les  voyageurs  arrivèrent  ensuite  est  nommée  Ersiphonie  (1)» 
Us  s^y  établirent  an  pied  d'une  montagne  quMls  appelèrent  Liban  (2),  et 
îl  réstifte  de  la  comparaison  d'antres  passages  que  sons  le  nom  d*ErsipliD- 
niéy  irfaut  entendre  les  côtes  de  la  Ligurie,  et  sons  celui  dé  Liban^  iei 
Alpe^.  H  y  avait  aussi  un  chemin  qui  conduirait  au-delà  de  la  montagM, 
le  long  des  côtes  de  la  mer.  IM^licerte,  qui  avait  appris  que  cette  mooti-^ 
gne  était  sacrée  et  que  les  dieux  y  résidaient ,  envoya  ses  compagnmis^' 
avant  par  le  chemin  indiqué ,  et  lui-môme  gravit  la  montagne  poory 
sacïrifiér  et  y  prier.  Ainsi ,  dans  la  légende  hébraïque  le  peuple  reste  ém 
la  |»latne,  et  MoTse  seul  monte  sur  le  sommet  de  la  montagne  poîur  seniei- 
tre  en  rapport  avec  la  divinité.  Un  autre  point  de  comparaison  se  pii- 
sente  dans  Tune  et  Tàutre  tradition  ;  c*est  que  le  séjour  de  Bffélicertesiirlî 
moûtdgne,  fut  de  quarante  jours  comme  celui  de  Moïse.  (  Voyez  Enide^ 
xXilv,  28.)  Le  héros  phénicien  y  vécut  dans  un  commerce  intime  tfec 
lef  ^feux  ;  puis  il  redescendit  auprès  de  ses  compagnons^  qui,  dans  Hiii^ 
vadèy  avaient  construit  un  vaisseau  sur  les  bords  d'un  grand  fleure.  Ce' 
fleève  ne  peut  être  autre  que  le  Rhône ,  car  il  est  dit  que  MéKcerte  dot 
descendre  durant  cinq  jours ,  en  se  dirigeant  à  Touest ,  avant  d'y*  i^^roiH 
vef  ses  compagnons. 

léi  Tautenr  donne  quelques  détails  sur  la  montagne  sacrée.  MSSet/tit 
estleseul  mortel  qui  ait  gravi  ce  picinaccessible,  parce  quMndépendàm* 
mdfrt  des  horreurs  d'une  nature  sauvage ,  une  telle  entreprise  offrait  des 
dangers  qui  devaient  détourner  leS  plus  audacieux.  En  effet ,  dansl# 
marais  et  dans  les  lacs  qui  entouraient  la  montagne ,  se  trouvaient  dei 
dragons  d'une  grosseur  démesurée ,  qui  enlaçaient  pour  le  dévorer  qo»^ 
conque  s^pprochait  de  ces  lieux ,  et  dans  les  forêts  voisines  on  voyaitil 
m&ifca  des  arbres  des  fantômes  effrayans.  Le  milieu  de  la  montagne  cÂ^ 
enveloppé  de  brouillards  et  de  nuages.  Au-dessus  des  nuages  s'élève  lâ^ 
ciàie  la  plus  haute ,  couverte  de  neiges  étemelles.  Là  se  trouve  là  dé^ 
mesure  des  dieux^  inaccessible  à  tous  les  mortels. 

Mélicerte  se  remit  en  mer  avec  son  vaisseau  nouvellement  coDStniit^ 
et  aborda  dans  une  Ile  où  se  trouvaient  de  nombreux  troupeaux  d» 
IxMk;  Il  désirait  se  procurer  quelques  pièces  de  bétail,  car  il  était  (M 

(1^  En  ha^en  Ertu  uafçn^  la  terra  d«  nord»  nom  que  Itiavaleiii  dooné  UsJbM^' 
JreUUvement  à  k  Sicile  et  à  rAMqiie;  car  pour  eu  let  dU«  de  U  Ligurie  éuial  ^ 
J  avait  de  plus  aa  nord.  W. 


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MANITSCIIIT  DE  SÀNCHUNIATHOlf •  ^8^ 

une  grande  détresse.  Mais  Tarare  et  îhhospïtaUer  Obybacros  (l)  auquel 
appartenaient  ces  troupeaux,  refusa  d'accc^der  à  sâ  prière^  et  Méïicerto 
se  vit  contraint  de  recourir  à  la  violence  pour  Téloigner.  Pendant  ce  temps 
ses  compagnons  emmenèrent  tranquillement  les  bestiaux  dont  ils  avaient 
besoin ,  et  accablèrent  de  leurs  railleries  Obybacros,  qui  de  loin  exhalait 
sa  furear  en  horribles  injures. 

Il  est  inutile  de  faire  ressortir  la  conformité  parfaite  qu'offre  avec  cette 
tradition  celle  où  les  Grecs  racontent  l'enlèvement  des  bœnfs  de  Géryôa 
par  Hercule.  Cette  dçrnîère  a  pris  évidemment  naissance  chez  les  Phéni- 
ciens, et  les  Grecs  n'ont  fait  que  Fembellir  en  l'attribuant  à  leur  Her- 
cule (2).  Du  reste,  les  Phéniciens  et  les  Grecs  sont  d'accord  sur  le  Heu  'de 
la  scène,  que  les  uns  et  les  autres  placent  danâ  leà  lies  Baléares.  Ainsi,  Mé- 
licerte  était  parvenu  près  des  côtes  de  Œspagne. 

Parti  de  ces  lieux,  il  fît  naufrage  sur  les  côtes  d'une  fie  voisine.  Cette 
lie  était  couverte  de  forêts,  et  comme  Mélicerte  se  trouvait  malade,  per- 
sonne n'osa  pénétrer  dans  ces  bois  épais  pour  y  chasser;  car  tous  étaient 
effrayés  par  les  sons  terribles  qui  partaient  de  ces  Heox,  semblables  ans 
rugissemens  d'un  lion  redoutable.  Ils  se  virent  donc  réduite  aux  coquilla* 
f^  et  aux  poissons  dont  le  port  était  pourvu  en  abondance. 

Témoin  de  la  frayeur  de  ses  compagnons,  Mélicerte  sentit  se  ranimbr 
son  ardeur  chevaleresque,  et  ne  trouvant  personne  qui  voulût  l'ao^ompa- 
gner,  tout  malade  qu'il  était,  il  s'aventura  seul  au  milieu  delà  forêt.  Bien- 
tôt il  aperçut,  au  milieu  du  taillis  le  plus  touffu,  une  femme  d'une  grande 
beauté  qui  était  endormie.  Au  bruit  des  pas  du  héros  elle  se  réveille  et  lui 
ordonne  de  s'approcher.  Il  obéit,  mais,  ô  prodige!  les  jambes  de  Cette 
femme  se  terminent  en  queue  de  serpent.  Mélicerte,  qui  ne  connaît  pas 
la  crainte,  s'avance  intrépidement  pour  connaître  sa  volonté.  Elle  lui  an- 
nonce qu'elle  est  l'une  des  servantes  de  Léiathana  (3) ,  la  reine  des  seï*- 
peos,  et  l'invite  à  la  suivre  auprès  d'elle.  Mélicerte  y  consent,  et  trouve 
dans  une  caverne  la  reine  entourée  de  ses  suivantes,  qui,  toutes,  soiit 
semblables  à  elle.  La  reine  lui  apprend  qu'elle  a  été  chassée  de  ses  états 
par  Masisabas  (4)  qui  la  retient  en  ces  lieux  par  ses  enchantemens  p  Wak^. 
Mais,  ajoute-t-elle,  je  t'ai  choisi  pour  me  venger,  car  je  vois  que  tu  es  lia 
homme  de  cœur.  Ta  donc  !  tu  le  rencontreras  à  Tartessus ,  aux  bornes 
du  monde,  et  quand  tu  l'auras  abattu  sous  tes  coups,  tu  trouveras  poOr 

(i)  En  liébrea  Âbi  bakar,  le  père  da  béUtil.  W. 

(S)  Cependant  JnsUn  (xur,  4,  i8)  dit  qn'Hereide  est  orf|laalr6  d*Alte»  Amwfint  tiD 

(S)  En  bëbren  tivtfdthan,tecouthéf  slnttëax.  ËtpresSlmi  empfc^^  en  paMm^det 
Dioiiitfed*'d*ane  grande  dtmenslon ,  et  notamment  des  trocodlles  et  dfl^lerpeita»>lr« 
(«)  0!i  Kaslaabal,  le  trait  (moMa)  de  BaaL  W. 


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8S2  RETUE  DES  DEUX  MONDES. 

ta  récompense  d'immenses  richesses  dans  sa  demeure.  Elle  dit,  et  en  le 
congédiant  elle  lai  remit  une  botte  qui  contenait  un  poison  mortel.  Ed 
trempant  ses  flèches  dans  ce  poison,  il  ne  pouvait  manquer  de  donner  h 
mort  à  son  ennnemi.  Mélicerte  alors  se  hâte  de  regagner  le  riyage  oà  il 
raconte  à  ses  compagnons  les  prodiges  dont  il  a  été  témoin^  et  l'accaeQ 
qu'il  a  reçu. 

Ses  compagnons  sont  émerveillés  de  son  récit ,  et  se  hAtent  de  réparer 
le  navire.  Pendant  plusieurs  jours  ils  font  route  vers  l'ouest,  et  abordeot 
enfin  en  terre  ferme.  Ils  débarquent  alors ,  et  aperçoivent  dans  Tiiité- 
rieur  du  pays  de  Tartessus  une  citadelle ,  qui,  d'après  la  descriptioD de 
Léiathana,  ne  peut  être  que  la  demeure  de  Masisabas.  Celui-ci ,  qià 
avait  vu  de  loin  le  vaisseau  s'approcher  des  côtes ,  n'attendit  pas  que 
les  étrangers  l'attaquassent ,  et  accourut  vers  le  rivage  pour  engager 
le  combat.  Il  était  d'une  taille  démesurée ,  et  dépassait  Mélicerte  de 
toute  la  t^te;  ses  armes  brillantes^  sa  force  prodigieuse,  tout  semblait  ra- 
dre  la  victoire  douteuse  pour  le  héros  phénicien.  Un  accident  iniUenda 
rendit  encore  la  position  de  Mélicerte  plus  difficile;  car  au  moment  oà  il 
marchait  à  la  rencontre  de  son  ennemi,  son  arc,  trop  fortement  teodai 
se  brisa,  et,  par  là,  il  se  vit  dans  l'impossibilité  de  faire  usage  du  poison 
que  Léiathana  lui  avait  donné.  La  tradition  sans  doute  a  ajouté  cet  épi- 
sode pour  montrer  comment  un  héros,  par  sa  propre  force,  peut  sans  le 
plus  léger  secours  mener  à  bout  toutes  les  entreprises. 

Dans  cette  extrémité,  Mélicerte  saisit  un  javelot  et  le  lance  à  son  en- 
nemi avec  tant  de  vigueur  qu'il  le  perce  de  part  en  part  et  le  clone  mime 
â  un  arbre  voisin.  La  victoire  de  Mélicerte  est  assurée,  il  s'approche (k 
Masisabas  et  lui  coupe  la  tête. 

Vient  ensuite  l'énumération  des  trésors  que  le  vainqueur  trouva  danila 
citadelle  conquise,  et  qui  consistaient  en  beaucoup  d'or  et  des  monceaux 
prodigieux  d'argent  (1).  Au  bruit  de  ce  glorieux  exploit,  les  habitans  des 
contrées  voisines  accoururent  pour  rendre  hommage  au  héros,  et  loi  té- 
moignèrent leur  reconnaissance.  Ils  lui  apportèrent  aussi  en  présent  me 
quantité  énorme  de  métaux  précieux.  Mélicerte  apprit  d'eux  que,  pris 
de  là,  se  terminait  la  mer  et  se  trouvait  un  détroit  qui  conduisait  daas 
l'Océan.  A  cette  nouvelle,  il  remonte  aussitôt  sur  son  navire,  et  saitaot 
.  la  direction  indiquée,  il  parvint  le  jour  même  au  détroit.  Mais,  comme 3 
était  déjà  tard,  il  résolut  de  ne  desrendre  à  terre  que  le  lendemain.  Lei  I 
habitans  des  côtes,  en  apercevant  suspendue  à  la  proue  du  navire  b  tjte  I 
de  Masisabas  qu'ils  avaient  jusqu'alors  regardé  comme  invincible,  c1»b-  I 


/: 


<i)  Les  richesses  de  l*Es|mgne  en  métaux  prédenx  éUient  cél^tres  dans  Vanûf^  1  f^^ 
instio  (  i^fjT,  1, 6)  y  en  pariant  de  ce  pays ,  fait  aussi  mention  de  tes  tUftrusanm  mtÛBt  I  ^ 
rymfeUceidivitioi.W.  Iv^ 


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MANUSCRIT  DE  SANCHUIHIATHON.  SS5 

tèrent  les  louanges  et  riotrépidité  de  Mélicerte ,  et  raccueillirent  avec 
joie. 

Ainsi  Mélicerte  avait  enfin  atteint  le  but  qu'il  se  proposait  depuis  long- 
temps, a  II  fut  le  premier  qui  parvint  aux  bornes  de  la  terre.  Avant  tpus 
lès  Sidoniens  et  tous  les  Tyriens  il  pénétra  sur  les  plaines  désertes  de 
rOcéan.  Aussi  reçut-il  la  récompense  qui  lui  était  promise.  Aux  yeux 
des  habitanSy  race  grossière  et  sauvage ,  tout  dans  les  étrangers  était  un 
sujet  d*admiration,  leur  navire ,  leur  costume ,  leurs  ustensiles.  Ils  vi- 
vaient de  pêche  et  de  chasse ,  et  avaient ,  il  est  vrai ,  des  barques ,  mais 
très  petites  et  très  grossièrement  construites.  Ils  ne  portaient  pas  non  plus 
de  vétemenSy  et  se  couvraient  de  peaux  de  bêtes,  car  ils  ne  connaissaient 
ni  l'art  du  tisserand  ni  aucun  autre  art.  Tous  leurs  meubles  étaient  d'un 
travail  grossier  et  d*une  simplicité  extréme.Les  étrangers, an  contraire^ 
avaient  un  grand  vaisseau,  de  beaux  vétemens,  des  meubles  pleins  d'élé- 
gance. A  ces  différentes  circonstances,  et  surtout  aux  grandes  choses 
qu'il  avait  accomplies,  ils  reconnurent  que  Mélicerte  était  un  dieu.  Us 
regardèrent  aussi  ses  compagnons  comme  des  dieux  i  mais  comme  des 
dieux  inférieurs. 

Ensuite  Sanchuniathon  raconte  l'érection  des  deux  colonnes  par  Méli- 
certe, son  règne  à  Tartessus  et  son  apothéose.  Sur  l'une  et  l'autre  rive 
du  détroit,  il  y  avait  une  montagne  au  haut  de  laquelle  il  éleva  une  co- 
lonne. Ces  deux  colonnes,  on  les  voit  encore  aujourd'hui,  et  elles  doivent 
leur  nom  à  Mélicerte.  ~  Personne  n'ignore  que  la  légende  de  l'Hercule 
grec  s'est  approprié  cette  expédition ,  mais  comme  dans  les  temps,  bien 
postérieurs,  où  les  Grecs  osèrent  aussi  se  hasarder  dans  cette  contrée,  les 
anciennes  colonnes  de  Mélicerte  avaient  disparu  depuis  long-temps , 
l'Hercule  grec  éleva  les  montagnes  de  Gibraltar  et  de  Geuta ,  comme  mo- 
nument de  ses  exploits,  et  depuis  lors  on  n'a  pas  cessé  de  les  appeler  les 
colonnes  d'Hercule. 

Mélicerte  s'établit  dans  cette  contrée  et  s'efforça  d'initier  les  habitans 
à  la  civilisation  de  l'Orient.  Avant  tout  il  bAtit  une  citadelle  et  une  ville. 
Les  Tartessiens  reconnaissans  lui  élevèrent  des  temples  dans  la  ville  et 
dans  les  contrées  environnantes ,  où  ses  images ,  d'argent  pur,  étaient 
l'objet  d'un  culte  religieux.  Un  jour,  enfin,  qu'il  était  parti  sans  suite 
pour  la  chasse,  il  ne  revint  pas,  et  Ton  ne  put  jamais  retrouver  ni  son 
corps,  ni  son  tombeau;  car,  d'après  les  opinions  de  l'ancien  Orient,  le 
tombeau  des  hommes  qui,  comme  Mélicerte,  ont  été  admis  dans  le 
commerce  de  la  divinité,  reste  toujours  inconnu.  C'est  ainsi  que  jamais 
personne  n'a  vu  le  tombeau  de  Moïse.  (Deuteron.  xxxiv,  6.)  Après  la  dis- 
^Htion  de  Mélicerte ,  ceux  de  ces  compagnons  qui  Inl  avaient  survéca , 
Résolurent  de  faire  connaître  à  leur  patrie  les  résultats  de  leor  expédition^ 


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£3^^  HBYDB  DK9  WUX  HONBES. 

6t  choisireot.ponr  cette  mission  les  hommes  ood  mariés;  C9r  pliuâçoit 
d'entre  eux  avaient  épousé  des  filles  du  pays.  Â.prës  beaucoup  de  Catigocs 
et  de  Rangées,  les  envoyés  arrivèrent  enfin  dans  la  mère-patrie yÇt  élevè- 
rent, sur  le  Heu  même  d'où  ils  étaient  partis^  un  temple  en  rhonnearde 
Mélicerte.  a  Ce  temple ,  on  le  voit  encore  dan^  l'ancienne  ville  des  T}- 
riens.  »  La  ville  de  Tyr  elle-même  fut  bAtie  plus  tard  sur  ce  même  ei|^ 
placement. 

Dans  le  dernier  chapitre  dç  ce  livre,  l'auteur  décrit  les  statues  dn 
dieu  et  les  fêtes  que  célébraient  ^  son  honneur,  un  jo|ir  avant  leur  .dé- 
part, ceux  qui  s'embarquaient  pour  Tartessuç. 

Certes  il  serait  difficile  de  donner  iuieeoiik»r  phns  BtteeBri 
œ  symbole  si  intéressant  des  progrès  de  la  navigation  et  dacon*' 
merce  des  Phéniciens.  D  n'y  «  pas  moins  de  vérilé  dans  le  rédl  dt 
voyage  de  découvertes  que  le  roi  de  Tyr,  Joram  oa  Hiram,  oaé- 
temporain  de  Salomon,  fit  exécuter  par  sa  flotte,  qui  palrvtnt  jns^ 
que  dans  Ttle  de  Ceylan  : 

Les  Ethiopiens  (1)  apprirent  à  Joram  que  vers  le  midi  il  y  avait  asai 
de  vastes  et  riches  contrées;  que  la  population  y  était  iaunense;  les  jno- 
ductions  variées  et  remarquables;  qu'elles  consistaient  ea  or,  en  9ï§^ 
en  perles,  en  pierres  précieuses,  en  bois  d'ébène,  en  ivoire,  ensisg^s, 
perroquets,  paons,  etc.;  que  toutes ees  productions  se  trouvaient  daos4a 
Chersonèse  la  plus  éloignée  vers  l'orient^  là  où  les  homipes  voyaient  les(H 
leil  sortir  des  ondes  de  la  mer. 

Joram  envoya  alors  une  députation  à  Natambalos ,  roi  de  Babylooe^  et 
lui  fit  dire  :  «  J'apprends  que  le  pays  des  Ethiopiens  est  vaste  et  pc^ulesi, 
et  que  de  Babylone  on  peut  y  arriver  facilement,  mais  non  pas  de  Tjr, 
Si  tu  consens  à.  fournir  à  nie9  sujets  les  vaisseaux  nécessaires  pour  ce 
voyage,  je  t'enverrai  cent  manteaux  de  pourpre,  s  Le  roi  se  montra  dV 
bord  disposé  à  y  consentir;:.mai8  il  retira  sa  promesse  quand  les  our- 
chands  éthiopiens  qui  se  itrouvaient  à  Babylone,  amenés  par  le  commeree^ 
l'eurent  mepaoéd'  abandonner  la  villes  s'il  donnait  des  vaisseaux  aux  Tf- 
riens. 

Alors  Joram  offrit  au  roi  des  Juifis,  Irenius  (Salomon),  de  loi  foontf 
tous  les  bois  nécessaires  pour  la  cons^vction  d'un  nouveau  palais  s'il  oob* 
sentait  à  lui  céder  un  port  sur  la  mer  d'Ethiopie,  et  Irenius  lui  abandoott 
la  vUle  et  le  port  d'EMotha  (EUth  ). 

Bien  qu'il  y  eût,  di^s  le  voisim^  4e  ce  lieu  d'immenses  Xorêls  de  pdr 


(i)  Us'agUâetralfl  JoD^bprt  UidMai(9ièandffit  loiiHHDptvéea41|icov4aiti* 
SlOoii.  M,  Gxol«SBDdieS9«tPNi9iurj;t]49itp^ 


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ILIimçClUT^PE  84HCH9SUTP01f.  .^y^ 

niier8,<M^imne  iloes'y  trouvait  pas  de  bois  de  CQ(Dstriictipn^j[<^*i^S6  jrît 

,  lorcé  d,'y  faire  pOTiter^  par  huit  miUe  chameaux,  celui  dont  il  avait  besoiin* 

.Oq  j  CQii8^rui9it  UOQ  Qotte  de  dix  vaisseaux ,  dont  Kedar,  Jamiue  et  KQti* 

Ips  objljiu^nt Je  cdnmandeiQent.  I^ankapa^us  (f),  le  seul  des  troiç  Éthjo* 

pieu^uL^t 3uryécu>  déwantreyQir  sa  patrie,  s'embarqua  ayec  eux  et 

,jû,|tette  DMt  à  ^a  voile. 

.  JU^i^r,  d*ÉilotbaXut  bientôt/^ auchie»  mais  des  tempêtes  ne  permirent 

lias,  aux  ypyagears  de  traverser  le  détroit  pour  pénétrer  dansja  hauto 

,;i,fKier.,lU^o.déçidérent  donc  à  débarquer  dans  une  lie  pour  y  attendre  la 
€n  du  mauvais  ten^.  Pen^^tr  leur  .séjour  dans.  Cette  tle,  ils  semèrent 

.^-^taJin^m^t  dans iun  endroit  fi^yor^le  et  recueillirent  une  abop4ante  mois* 

^J9pnr,pni|u|te,  |Is  fcanc^rept  le  ^étroit,  se  dirigèrent  à  l'^t  ^  rençpn* 

,^ii^^t«.lo«g-teiiiips  après  avoir  quitté  r^rabie,  dM  vi^ûseauxbab^j^^o- 

.  ,j|)içiv^^  ,reyçj[^Qt  d!Éthiopie  dem  leur  patrie. 

^X^jfpc^uiyaiat  ^  lç9  Phéniciens. fiperçurent  le  p^ys  des  Éthiopiens,  ^é- 

.,^rt,et  çabjqpneux  sur  le  rivage,  ^nais  hérissé  de  montagnes  dans  Tinté- 

.rîf^r.  P,prant  dix  jours  ils  longèr^t  cette  côte  inhospitalière,  faisant 

toujours  vpile  à  l'est,,  et  atteignirent  enfin  le  poipt  od  elle  se  dirige  vers 

^}e  ^ud,  à  upe  di^Umce  infinie  ^  couverte  de  villes  populef^s.  I^^thio* 

.  {liens,  possédaient  ai^ssi  de9  yps9e^fij.jsx  se  livraient  à  la  payigation;  mai^ 
leurs  bâtimeu^  n'étaient  pas  équipés, en  guerre,  et  l'usage  des  voiles  jeur 

.é^iît  incQnnn.  Les  "^fy riens  cofitinuèrent  leur  rpute.pj^ant  trente-six 

^  jours  e^  arrivèrent  enfin  dans  l'tle  de  Racldus. 

Ils, débarquèrent  sur  pn  rivage, très  l^as  et  cpuvert  d'arbres,  énornies; 
mjBis  durant.la  nuit,  un  vent  imjpétueux  les  en  ^o^gna,  et  ils  coururent  de 
l^nds  dangers  jusqu'au  moment  où  ils  trouvèrent  enfin  un  mouillage 
jûr.  Dans  l'intérieur  du  pays  s'élevaient  de.nqmbreox  villages  très  peu* 
j>lés,  et  quand  les  Phéniciens  $'4vancèrent  dans  les  terres,  ils  furent  en- 
durés par  les  indigènes,  qui  accoururent  en  grand  nombre  et  les  condui- 
nrent  au  gouverneur  de  la. province.  Celui-ci  les  traita  somptueusement 
durant  sept  jours.  Pendant  ce  temps ,  il  envoya  un  messager  au  roi  de  la 

.  contrée  pour  l'informer  de  l'arrivée  des  étrangers  et  lui  demander  ses 
ordres.  Le  septième  jour,  le  messager  revint,  et  le  jour  suivant  Iç  gou- 
Tcmeur  conduisit  lesTyriens  au  roi^  qui  habitait  la  grande  et  populeuse 

,  ville  de  Rochapatta  dans  l'intérieur  de  l'ile. 

La  marche  était  ouverteparunetroupe  de  doryphore$(  lanciers)  que  le 
roi  avait  envoyés  pour  escorter  les  étrangers  et  pour  écarter,  par  le  bruit  de 

9  Jeivt^niics^èeaéléphaiis,  doutée  pays  abonde,  etqvl  rendaient  le^royage 
très  dangereux.  Ensuite  venaient  les  Tyriens  dont  les  chefs,  Kedar,  Ko- 


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356  BETUE  DES  DEUX  MONDES. 

tilos  et  Jamine,  étaient  voitures  dans  des  litières,  et  les  habitansdn  village 
qui  portaient  les  présens  destinés  à  leur  souverain.  Venait  enfin  le  goo- 
vemeur,  monté  sur  un  éléphant  et  entouré  de  sa  propre  garde.  Darant 
le  voyage  y  ils  arrivèrent  aux  bords  d'un  fleuve  où  se  trouvaient  un  grand 
nombre  de  crocodiles  qui  dévorèrent  Tun  des  hommes  de  l'escorte. 

Au  bout  de  trois  jours ,  ils  aperçurent  devant  eux  la  ville  de  Rodia- 
patta,  entourée  de  hautes  montagnes.  Au  moment  où  ils  s'approchèrent  de 
la  ville,  une  multitude  innombrable  accourut  à  leur  rencontre,  les  mif 
montés  sur  des  éléphans,  les  autres  sur  des  Anes,  d'autres  encore  portéi 
en  palanquin;  mais  le  plus  grand  nombre  était  à  pied. 

Là ,  ils  furent  reçus  par  un  ofGcier  qui  les  conduisit  dans  le  vaste  ti 
splendide  château  du  roi,  dont  il  ferma  la  porte  derrière  eux,  afinque 
la  foule  des  curieux  ne  pût  y  pénétrer  avec  le  cortège.  Ensuite,  il  les 
présenta  au  roi  Rachius  qui  était  assis  sur  un  tapis  précieux.  Les  Tyiiâ» 
lai  offrirent  leurs  présens  qui  consistaient  en  chevaux,  en  étoffes  de  poo^ 
pre  et  en  sièges  de  bois  de  cèdre.  Lé  roi ,  de  son  côté,  leur  fit  remettre 
des  perles,  de  l'or,  deux  mille  dents  d'éléphant  et  une  grande  quantité  de 
cannelle.  Puis  il  leur  donna  l'hospitalité  pendant  trente  jours. 

Quelques  Tyriens  moururent  dans  lUe,  l'un  d'eux  de  maladie,  les 
autres  frappés  par  les  dieux.  Un  Tyrien  ayant  trouvé  des  crottes  de 
chèvres,  traça  quelques  sillons  dans  le  sablé  et  invita  l'un  de  ses  com- 
pagnons ,  qui  était  près  de  là,  à  venir  jouer  avec  lui.  L'autre  chercha  vai- 
nement du  crottin  de  chameau ,  attendu  qu^il  n'existe  pas  de  chameaux 
dans  cette  lie ,  et  pour  le  remplacer  il  prit  une  bouse  de  vache  qu'il  coapi 
en  morceaux;  puis  il  se  plaça  vis-à-vis  son  compagnon ,  déposa  les  mor- 
ceaux de  fiente  dans  les  sillons  tracés  sur  le  sable,  et  le  jeu  commença. 
Un  prêtre  qui  passa  par  là  les  invita  à  cesser  ce  jeu ,  attendu  que  la  fiente 
de  vache  était  sacrée  dans  ce  pays.  Mais  les  deux  Tyriens  se  rirent  de 
cette  injonction  et  continuèrent  leur  jeu.  Le  prêtre  s'éloigna,  mais  quel- 
ques instans  après,  les  deux  joueurs  tombèrent  morts,  au  grand  effroi 
des  assistans.  L'un  des  deux  morts  était  né  à  Jérusalem* 

La  grande  fie  de  Rachius  est  entourée  de  tous  les  côtés  par  la  mer  ■ 
ce  n'est  vers  le  nord  où  elle  communique  par  un  isthme  avec  le  contînest 
opposé.  Raaut  dont  on  voit  encore  les  pas  empreints  sur  les  montagn«a 
créé  celte  lie  en  amoncelant  le  limon  primitif.  C'est  de  Baaut  que  descend 
le  grand  roi  (1).  L'Ile  a  en  largeur  six  jours  de  marche  et  plus  de  douze ea 

(i)  On  a  pensé  que  le  nom  de  Baant  avait  été  employé  lei  pour  désigner  Boo4dba,flldi 
là  on  a  tiré  une  prenye  contre  l'authenticité  du  travail  de  M.  Wagenfeid.  HaSsd'^bsràfl 
n'est  pas  démontré  que  le  enlte  de  Bonddha  n'ait  pas  existé  iCeylan,  au  x«  OMt,  «Tilt 
i.-C;  et,  d^m  antre  cété,  rien  ne  dit  qu'ici  Baaut  se  rapporte  &  Bouddha.  Raant  est  le ■« 
que  }e^  Phéniciens  donnaient  au  chaos.  Avoir  vu  les  uvcet  des  pas  de  Baant  dans  uHei.    |  ^ 


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MAHUSCaiT  BB  SAlIClIimUTHON.  857 

loDgaear.  Les  productions  ea  sont  précieuses  et  variées.  La  mer  fournit 
ayec  profusion  aux  habitons  de  la  côte,  des  poissons  d'un  goût  agréable, 
H  le  gibier  abonde  dans  les  montagnes.  La  cannelle  y  a  beanconp  de  force, 
et  les  éléphans  qu'on  rencontre  dans  l'Ile  sont  les  plus  grands  qui  existent. 
Oo  trouve  dans  les  fleuves,  de  l'or  et  des  pierres  précieuseSi  et  des  perles 
larleborddelamer. 

Quatre  rois  régnent  sur  le  pays;  mais  ils  sont  soumis  à  un  roi  suprême 
auquel  ils  envoient  en  tribut  de  la  cannelle,  des  éléphans,  des  perles  et 
des  pierres  précieuses.  Ils  ne  lui  donnent  pas  d'or,  parce  qu'il  en  possède 
en  grande  quantité.  « 

Le  premier  roi  a  ses  états  au  sud  dans  la  partie  où  se  tiennent  les  élé- 
phans et  dans  laquelle  on  les  prend  en  grand  nombre;  le  second  à  l'ouest 
où  l'on  récolte  la  cannelle.  C'est  dans  cette  contrée  que  s'était  qiéré  le 
débarquement  des  Tyriens.  Le  troisième  a  son  royaume  au  nord  e&  Vi^n 
recueille  les  perles  en  grande  alxmdance.  Une  muraille  est  âevée  dans 
toute  la  largeur  de  l'isthme  pour  défendre  l'Ile  contre  les  attaques  des 
Barbares  du  continent.  Enfiit,  les  possessions  du  quatrième  sont  à  l'est, 
et  c'est  là  qu'on  trouve  les  pierres  précieuses  avec  profusion.  To^is  les 
quatre  sont  Crères  du  roi  de  Rocbapatta,  le  roi  suprême,  d^nité  qui  est 
toujours  conférée  à  l'alné. 

Ce  roi  suprême  possède  oaille  éléphans  noirs  qui  sont  très  communs 
dans  le  pays ,  et  cinq  blancs  dont  l'espèce  est  extrêmement  rare  et  ne  se 
trouve  pas  dans  les  autres  contrées.  Quand  les  chasseurs  prennent  un 
éléphant  de  cette  couleur,  ils  le  conduisent  aussitôt  au  roi  de  Rncbèpatta  ; 
car  la  loi  ne  permet  qu'à  lui  d'en  posiéder  de  semblables. 

Les  crocodiles  sont  aussi  très  communs  dans  Je  pays,  mais  les  habitans 
les  chassent  dans  les  marais  et  les  tuent  à  coup  d'épieux.  Les  Tyriens  as- 
sistèrent à  ce  genre  de  chasse  dix  jours  après  leur  arrivée  à  Rocbapatta. 
les  crocodiles  ne  sont  pas  les  seuls  objets  d'effroi  qu'on  rencontre  dans  les 
lieux  solitaires.  Les  mouches  y  sont  si  nombreuses  et  si  altérées  de  sang, 
que  les  messagers  du  roi  qui,  pour  plus  de  promptitude,  sont  obligés  de' 
traverser  les  plus  épaisses  forêts ,  sont  souvent  tués  par  elles. 

Tous  ces  détails,  Joram,  au  retour  des  vaisseaux,  les  fit  graver  sur 
une  colonne  qui,  par  son  ordre,  fut  érigée  sur  le  parvis  du  temple  de 
Mélicerte.  «  Il  est  vrai  que  cette  colonne  a  été  renversée  par  le  tremble-, 
ment  de  terre  qui  s'est  fait  sentir,  il  y  a  un  an  (o  tnisl^vo-t  fftte^rnt  ynç). 


t*éuii  peat-être  pour  eux  y  reconnaître  les  traces  d*ane  formaUon  primltiTe.  RebDUver  lat 
traces  d\in  Diea  dans  les  endroits  inaccessibles ,  est  une  idée  reUgieose  commune  à  tons 
Impies,  et  dont  nous  avons  vn  pins  haut  un  exemple.  Du  reste  ces  prétenduM  traces  de 
Baaui  ft'appeUent  auJourd*buile  i4ed  d'Adam. 


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tion.  » 

Noast^royons  devoir  dire  iciqa*an  savant  indiamste,  aaqad  non 
avons  coimnuûiqaé  cet  extrait,  n*y  a  rien  vu  qui  dénote  une  6U« 
ficationV  On  ne  peut  qu'émettre  la  même  opinion  sur  I9  ImitièfljielifK^ 
qui  contiept  un  relevé  dea  feroes  miUtoirQsde  Tyrel  des  paplré' 
quentés  par  ses  vaiaseanx. 

HUITIÈME  LIVRE. 

'  cGoei«st  le  Périple  dont  Jovam»'F0iëé'9fr^  a  ordonné  la-rédattiorl 
leram^  ptStre  deMélkerteyfel'qa^il  avouluqu'on  gravAt  sor  uneco- 
lonne  éltfée  dans  la  veslibide  du  temple  de  ce  diea.  H  a  prescrit  ta 
scribe  Sjéjk  d^en  faire  quatre-eopîes  pour  être  envoyées  aux  faabiuni  de 
fiidoD,  de  ByUos^  d'{AnMiusel<de  Béry  te.  »  Mais  presque  tontes  ces  oopîei 
«faieoi  étâperdncs,  etnons  «ronsvn  pInS  haut  qne  la  colonne ^e-iiéae 
avait  été  brisée.  Un  seul  exemplaire  fût  conservé  dans  le  temple  deBuJ* 
lis  à  Bfblos^  lîanfteur  noosen  a  rapporté  les  termes  exprès  (/««  yt^f^i»* 
«M/i7J>«M«).  Le  ooaunenoeraeni'élait^inst  conçn  : 

a  iloram  ^ifib  de  Bartophas,  roiVAe  T^ri  a  fait  appder  devant  hiî  Jdnn, 
flis'de  M  adfDus  ^  vers  Je  temps  des  premières  figues ,  et  lui  a  dit  :  Prads 
ton  livre  et  dresseJeeaulogne'de  tous  les  états,  de  toutes  les  ties,  detoos 
les  pays  barbaves ,  de  leurs  forces^  de  leurs  trirèmes ,  de  lenrs  navires  et 
de  leurs  ûhars; 'Car  aostrirèraes)  eniiaTiguant  vers^  I*lle  de  Rachios^oBt 
atteint  les  bernes  de  la  terre  à  Test ,  en  sorte  que  nous  oonnatssoBS  ks 
pays  les  plus  éloignés  etdeurshabitans  y  et  que  nous  savons  ce  qoeafli 
pères  ignondent^^eusqui^Mviguaient  vers  lesties  et  vers  l'occident  sas 
coQoattre  les  centrée  oiientalesqui  noas  sent  connues  anjounThni.  Écrit 
tout  cela  pourq«elesouveair  s^en  transmette  chez  nos  descendans^Quasd 
le  roi  eutidit^er  mots,  je  me  prosternai  et  m'éloignai  pour  rédiger  cet 
écrit,  a 

S  n.  —  POSSESSIONS  DBS  TTBIBNS  SUU  LE  CONTUTENT.  (Cbap.  3-S.}  - 
I.  —  TVa  ET  SIDON.  (Chap.  3-4.) 

De  même  que  parmi  tous  les  rois,  le  roi  des  Tyriens  est  le  plos  pmî- 
sànt  y  de  même  aassi  la  ville  de  Tyr  est  la  plus  grande  et  la  plus  ridie  àt 
toutes  les  viUes«  C'est  elle  qui  a  inventé  tous  les  arts.  C'est  en  effet  tbn  |  i 
cette  contrée  que  les  compagnons  d'Usous  ont  les  premiers  construit 


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I 


MANCSCEIT.  DK .  SÀIfCBVfOAXBÛlIf .  QG{k 

Taisteau  pour  seilérober  à  la  poursuite  d'Hypsouramoa;  ce  sont  les  ha<^ 
bitans  du  pays  qui,  les  pramiersy  se  sool  livrés  à  ragricukureet  à  d'autres, 
travaux. 

L'armée  du  roi  se  compose  de  soixante  miUerComlMittaoa^  cent  trirèmes^ 
et  une  quantité  innombrable  de  vaisseaux  de  transport.  Il  a  en  outre  mille^ 
doryphores  couverts  d'armures  en  or,  et  quatre-vingts  chars  de  guerre.  La 
temple  de  Mélicerte  et  toute  la  ville  ont  été  bâUs  par  les  compagnons  de 
ce  Dieu  y  à  leur  retour  de  Tartessus.  Aux  environs  de  Tyr  se  trouvent  les. 
Tilles  d'Hysora,  de  Msné  {UAhn),  Silyphe,  Bethobarkas,  qu'on  appelle 
aussi  Belhataba,  et  Ramasé. 

La  viiie  desSidoniens  est  aussi  très  riche.  Ses  forces  de  terre  consistent 
€&  cent  mille  combattans,  mille  doryphores  et  vingt  chars;  ses  forces 
navales  se  composent  de  soixante  trirèmes.  Au  territoire  des  Sidoniens 
appartiennent  aussiles  villes  de  MonychuSy  Jauphé,  Moyra,  Dibon,  séjour 
des  enffiBitis  du  roi  >  Nebra  et  Soate. 

II.  —  BTBLOS,  AAADVSy  BÉaVTB.  (Chap.  5^7.) 

L'armée  des  Bybliens  consiste  en  .vingt  miUecombattaDS,  deuxaûHe^ 
doryphores  et  vingt  chars.  Ils  ont  en  outre  quatre-vingt-cinq  galères.  Dans, 
leur  ville  sont  les  temples  de  Kronosqui  a  onde  la  vitle,  de  Baaltis  et  d'au- 
tres dieux.  Près  de  Byblos  sont  situées  les  villes  d'Asmania,  de  Jasude,  de 
I^ebi te  et  de  Nebra  (différente  de  celle  <  es  Sidoniens). 

Les  Aradiens  ont  une  armée  de  huit  mille  hommes,  plus  mille  dory<^ 
phoreSy  cinq  cents  archers ,  vingt  chars  de  guerre  et  cinquante  trirèmes^ 
Les  villes  de  leur  territoire  sont  Arboze,  Kasauron,  Itymia,  Delibas  et 
Asypotia.  Entre  Delibas  et  Itynna  se  trouvent  les  Misybata,  pierres  pro- 
phétiques élevées  par  le  dieu  Ouranos  (1). 

Les  Béry tiens  peuvent  mettre  sur  pied  dix  mille  combattans,  mille 
doryphores  et  quarante  chars  de  guerre.  Leur  marine  se  compose  de  trente 
galères.  Leur  ville  a  été  bâtie  par  Ellun,  qui  lui  adonné  le  nom  de  sa 
feoune  Béryte.  On  y  admire  surtout  les  temples  de  Pontus  et  d'Astarté. 
Les  villes  peuplées  par  les  Béry  tiens  sont  :  Arbe,  Isbas,  Sydrobal  et  Beth.-? 
astaroth.  Sur  le  chemin  q  lî  conduit  à  Byblos,  près  de  la  ville  de  Sydro- 
bal, s'élèvent  les  ruines  de  la  tour  des  Égyptiens  qui,  sous  la  conduite  de 
Piasurgus,  cl  erchèrent  à  soumettre  la  contrée.  Une  vierge ,  Adramot  (2), 
les  vainquit  et  détruisit  leur  repaire. 

ni.  ^ LES  MONTAGNES.  (Chap.  8.) 

liCS  forces  des  habitans  des  montagnes  s^élèvent  à  trente-deux  mâle 

(S)  /r«  Uitru/^A,  /«AVTtîoy  xiôifo»*  ^;n.  En  hébna  lEfUMliefa.  W. 

(9)  PhUon  donne  aUleiin  an  noi|^4'i49U9o,t  Uiénas^HUiéa Adraaaia>^€oaipb  Vmbm 


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560  REVUE  DES  DEUX  MORDES, 

hommes,  dont  deux  mille  archers.  Ils  n'ont  ni  villes,  ni  yaisseaux,  nidiais 
de  guerre,  et  habitent  de  nombreux  villages.  C*est  chez  eux,  dans  les 
villages  de  Gabara,  d'Oryx  et  de  Gadra,  que  se  trouvent  les  Bétyles  (1),  qoi 
sont  aussi  des  oracles  établis  par  Ouranos.  Les  plus  célèbres  sont  sur  le 
sommet  du  mont  Zetunus  qui  est  couvert  d'oliviers  et  sur  la  route  qoi 
conduit  des  monUgnes  à  Tyr.  Sur  la  montagne  qui  lui  fait  faœ,  eslle 
village  de  Momîgura,  où  se  trouve  une  forteresse  avec  des  retranchemett 
et  une  garnison. 

$  III.  —  ÉNOlféRATlON  DBS  FORCES  DE  TTE.  (Ghap.  0.) 

Ces  villes,  ces  villages,  ces  montagnes,  sont.tributaires  du  roi  Joram: 
et  quand  ce  prince  se  dispose  à  la  guerre,  il  rassemble  à  Tyr  toutes  les 
*  forces  militaires  dont  il  dispose,  savoir  :  six  cent  huit  mille  combattaoSi 
cent  quatre-vingts  chars,  six  mille  doryphores,  deux  mille  cinq  cents  ar* 
chers  et  trois  cent  vingt-cinq  trirèmes.  Si  la  guerre  doit  avoir  lieu  sor 
mer,Ieshabitansdes  lies  et  des  colonies  lui  envoient  leur  contingent,  qui 
consiste  en  soixante-dix  mille  soldats,  deux  mille  six  cents  archers  et  trois 
cent  dix-huit  vaisseaux  de  transport. 

S  IV .  —  POSSESSIONS  DES  TTRIEN8  AU-DELA  DE  LA  ITEB.  (Chap.  10-14.) 

La  première  des  Iles  estCittium  (Chypre).  Elle  est  fertile  et  bien  peu- 
plée. L'intérieur  de  Tile  est  habité  par  des  barbares  impies  et  gros»ers 
qui  ressemblent  par  les  mœurs  et  par  le  langage  aux  géans  du  mont  Li- 
ban. Sur  les  côtes,  riches  en  ports,  sont  situées  des  villes,  des  villages  et 
des  forteresses  bâties  par  nos  ancêtres.  La  ville  de  Cittium,  fondée  par 
Demaroon,  a  une  armée  de  dix  mille  hommes,  soixante  galères  et  cinq 
cents  archers;  mais  elle  n'a  pas  de  chars,  l'usage  en  étant  inconnu  dans 
les  îles.  Dans  la  môme  contrée  se  trouvent  encore  les  villes  de  Lydana  et 
de  Gola,  ainsi  que  beaucoup  de  villages.  L'ile  renferme  encore  la  Tilie  de 
Masuda  (2),  qui  fut  fondée  par  le  Sidonien  Bimalus,  et  peut  équiper  quatre 
mille  hommes  et  vingt  galères.  Près  de  cette  ville,  au  sommet  d'aoc 
montagne,  est  un  grand  autel  élevé  à  Kronos,  et  qui ,  brillant  toujours 
d'un  vif  éclat ,  peut  être  aperçu  des  navigateurs  môme  par  un  temps 
pluvieux. 

En  naviguant  vers  l'occident,  on  rencontre  l'ile  des  Rbodiens  qui, en 
cas  de  guerre,  peut  fournir  trois  mille  hommes  et  dix  vaisseaux.  Les 
Sidoniens,  dans  des  temps  fort  reculés,  y  ont  fondé  une  ville;  maisrin- 
fertilité  du  sol  a  contraint  les  habitans  à  rabaadooner,  et  depuis  lois  ib 
vivent  dispersés  dans  plusieurs  villages. 

La  côte  opposée  est  au  contraire  fertile  et  très  peuplée.  On  y  trooTC 

(I)  Les  Bétyles  étaient  des  pierres  rondes  aax(t<ieUes  on  atlriboait  une  vertu  piopfcêti- 
One.  Il  en  est  question  dans  la  Genèse,  xxir ,  18  et  sniv. 
,«  M.  Grotefend  croit  Tolr  dans  Kasuda  les  traces  da  nom  d'Amathontr  (Amatàas). 


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MAMUSCRIT  DE  SANCHCNIATHON.  JSSl 

tfois  étabUssemens  des  Sidoniens,  un  desAradieos  et  quatre  des  Tyriens. 
Les  noms  des  yilles  sidoniennes  sont  Machira,  Supha,  Zoara;  celui  de 
rétablissement  d'Àrados,  Sale;  ceux  des  colouies  tyriennes,  Ozyne^ 
Betbomalkroty  Masaba  et  Gasra.  Les  babitans  de  Machira  ont  une 
armée  de  cinq  mille  hommes  et  vingt  vaisseaux.  Ceux  de  Supha  peu- 
vent armer  deux  mille  hommes  et  dix  vaisseaux  ;  ceux  de  Zoara  ^  mille 
hommes  et  dix  vaisseaux.  Les  Saléens,  de  leur  côté,  ont  quinze  cents 
guerriers  et  une  flotte  de  huit  vaisseaux.  Enfin ,  les  babitans  d'Ozyne 
mettent  sur  pied  deux  mille  hommes;  ceux  de  Bethomalkrot  douze  cents; 
ceux  de  Masaba  cinq  cents,  et  ceux  de  Casra  huit  cents.  Les  quatre  villes 
réunies  possèdent  quinze  vaisseaux. 

Les  Machiréensy  les  Suphéens  et  les  Ozynéens  font  souvent  voile  vers 
des  lies  et  des  détroits  situés  au  couchant  pour  combattre  les  barbares 
de  ces  pays,  qui  se  livrent  à  la  piraterie,  et  ont  des  vaisseaux  semblables 
aux  nôtres. 

L'Ile  des  Gérâtes  (Crète)  est  d'une  étendue  considérable.  LesSidoniens 
y  ont  fondé  une  ville  de  Mapiza,  et  les  Tyriens  un  établissement  nommé 
Mapristor  (1) ,  a  parce  que  les  Tyriens  y  ont  un  port,  o  Mapiza  fournit 
trois  mille  combattans,  quinze  vaisseaux  et  cent  archers,  Mapristor 
quatre  cents  hommes  et  six  vaisseaux.  Dans  les  montagnes  habitent  les 
Gérâtes  aujourd'hui  subjugués,  mais  qui,  autrefois  redoutables  sur  mer, 
ont  fondé  des  étabUssemens  dans  le  pays  de  Gaza. 

Gadira,  ville  riche  et  peuplée,  est  une  colonie  des  Mapizéens.  On  y 
trouve  un  temple  d'Astarté  entouré  de  murs,  ce  qui  a  fait  donner 
à  la  ville  le  nom  qu'elle  porte  (2).  La  ville  a  sept  mille  combattans,  deux 
cents  archers  et  une  flotte  de  trente  galères.  Sur  la  côte  opposée,  les  Ga- 
diréens  ont  peuplé  beaucoup  de  villages  et  de  châteaux. 

Si  Ton  navigue  à  Touest  de  cette  lie,  on  arrive  en  quatre  jours,  avec 
un  vent  favorable,  dans  File  deMazaurisa,  également  très  peuplée.  Les 
Tyriens  et  les  Sidoniens  y  habitent  six  villes,  Nasbos,  la  ville  de  Mélicer» 
te,  Jamnia  ÇUjuiftw)^  Jitron,  Malkuba,  Ophala  et  Moraba,  et  beaucoup 
de  villages.  Ges  colonies  fournissent  onze  mille  hommes  et  une  flotte  de 
trente-huit  vaisseaux  (3). 

De  Moraba,  on  arrive  en  un  jour  à  Mylité  (4) ,  où  l'on  ne  trouve  point  de 

(f  )  En  hébreu  Mif)ratt  ior,  le  port  de  Tyr.  W. 

(2)  TûJ^ufAf  yif  Tfixoc  -Kiywffii^  iJotttePhiloD.  En  hébrea  Ghedera.  W.-M.  Grote- 
fend  dans  sa  préface  pense  quMI  s'agit  de  CyUière. 

(3)  Mazanrisa  est  laSicile,  pays  (en  arabe  mur)  du  fen  (en  hébreu  eeh);  elle  était  ainsi 
•appelée  à  cause  de  son  volcan  W.  Quant  aux  six  étabUssemens  formés  par  les  Tyriens 
<«C  les  Sidoniens  en  Sicile,  M.  Grotefnid  renvoie  à  Thucydide ,  Ut.  IV,  cb,  n. 

(4)  Malte,  suivant  M.  Grotefend. 

TOMB  TU.  56 


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6^  REYVR  I>E6  DEUX  MOICM»» 

Tilles  t  mais  sealemeat  des  TUlages.  L'Ile  met  sur  pied  deux  mille  cob« 
battans  et  peut  armer  quinze  vaisseaux.  Elle  est  couverte  d*aotels  consa- 
crés  à  Astarté  Mylité. 

De  là  on  aborde  promptemeot  à  Vaphilé ,  colonie  peuplée  par.desAra- 
dienSy  des  Bybliens  et  d'autres  encore.  Dans  des  temps  plus  ancieos  il  j 
avait  là  cinq  colonies,  que  lea sauvages  indigènes  détniisireiit  ;  leshabi- 
tans  de  ces  cinq'ViUes  soTéunireotaorcepoint  et*y  bâtireat  une  viOe. 
Leura  fofcea  consistent  en  quatre  mULe  combattan&Al  tFente^xvaissaaBx. 
Cet  établisseoMnl  se.trottve  4aiis.le paya  da  Teogar contrée  vaste,  mai» 
fort  déserte,  parce  42tt'elie  est  dépourvue  d'eaii  et  brûlée  par  le  loleiL 

En  navigant  au  nord  de  Mazaurisa,  on  arrive  caErséphonie,  où  la 
trouvent  quatre  colonies,  dont  l'anmée  monte  à  douze  mille  bonàracs  et  k 
vîngt-cinq  vaisseaux.  Cette  force. imposante  date  de  l'époqae^ù»  au  iiii>> 
ment  d'une  guerre  contre  les  Tartessiens,  les  Sidoniens  y  eovoyèooit  des 
renforts.  On  n'a  rien  à  craindre  des  indigènes ,  car  ils  sont  peu  nombreux 
et  très  pacifiques.  Dana  ce  pays  est  le  mont  Libnas  »  consacré  à  JUélicerte, 
qui  y  a  laissé  l'empreinte  de  ses  pieds* 

Près  de  l'Erséphonie  sont  situées  les  deux  lies  de  Kitoa  et  de  Gadyla  (i), 
séparées  par  un  détroit  sur  lequel  est  située  une  petite  Tille.  De  là  oo  ir- 
rive en  dix  joursÀ  Tartes^us,  eapassant  près  del'lle  déserte  de  Léiattois 
et  des  lies  d'Obibacros. 

Maintenant,  si  l'on  réunit  toutes  les  forces  de  terre  et  de  mer  do  nn 
Joram,  on  trouvera  que  son  armée  consiste  en  vingt-cinq  myriades  de 
combattans  de  toute  arme,  et  sa  flotte  en  six  cent  quarante- trois  fais- 
seaux,  n  possède  en  outre  cent  quatre-vingts  chars  de  guerre  et  d'iia^ 
menses  trésors;  car,  sien  temps  de  guerre  les  villes  lui  envolent ds 
troupes  auxiliaires,  en  temps  de  paix  elles  hii  paient  un  tribut. 

S  y.  —  TARTESSOS  ET  LES  IMTECHASINES.  (Ghap.  IS.) 

Les  Tartessiens,  descendans  de  Mélicerte,  sont  alliés  des  Tyriois  et 
habitent  à  l'occident.  Leur  prince  est  Nausitanus ,  fils  ce  Charon ,  qui  est 
très  paissant  et  possède  beaucoup  de  galères  et  d'autres  vaisseani.  Ce 
peuple  habite  cinq  grandes  villes  et  beaucoup  de  villages.  Les  contrées 
voisines  des  fleuves  sont  très  fertiles ,  les  montagnes  renferment  de  riches 
mines  d'or  et  d'argent,  surtout  aux  villages  d'Ardiabe  et  d'Ophile. 

Tartessus  çst  située  sur  le  détroit  et  sur  Tocéan.  L'océan  septCDtriooil 
n'est  pas  navigable  à  cause  du  soulèvement  des  vagues,  celui  da  sod 
penoe^que  les  côtes  y  sont  désertes.  Là  est  le  promontoire  de  Tiborsypba* 

(t)  La  Corse  et  la  Sardaigoe. 


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Legcontré^l^  fdas  ékûgDèesdecet  <i!é«Q/Mmt  leaimiid^ 
dire  les  lies  d'Hyresa ,  Hyrisima^  Mazaurisa  et  Igydula ,  quiéUôfiot  kacî 
populeuses  dans  leprincipe,  maisqjii  ont  été  entièrement  dépeupléefltpar 
une  peste.  Elles  sont  à  dix  jours*  de  marche  du  promontoire  de^ibor* 
sypha  (1). 

Dans  le  Toisinage  des  Tyriens  hnbitetit  les'GéiiBtes»  letf- Jmfs,  lesÉgyp* 
tiens,  les  Arabes,  les  Damascènes  et  lestiamathéens/ alliés  de  Joranâ. 

EnÉgypte  est  le  Nil.  En  le  remontant^  on  arrive  en  sept  jours  â  la  capi- 
tale où  l'on  trouTO  un  grand  nombre  d'esclaves  éthiopiens  venus  des  con- 
trées méridionales.  Ils  ont  la  peau  noire,  niais  parieors  mœurs  et  leur 
manière  d'être^  ils  ressemblent  beaucoup  aux  Égyptiens;  Leâ  Éthiopiens 
habitent  les  contrées  les  plus  méridionales  de  la  terre. 

An  nord  habitent  les  Arméniens,  les  Phrygiens  et  les  Lydiens;  bieti  plnS 
an  nord  encore  les  Cambres ,  les  Amydones  et  les  Titans.  Les  Titans  sont 
one  race  très  sauvage  et  à  demi  nue  qui  va  chercher  en  Médie  des  ché* 
vaux  blancs  qu'elle  regarde  comme  des  dieux:  Ils  habitent  autour  dtin 
grand  lac  et  sont  à  vingt  jours  de  marche  des  Mèdes. 

Vers  le  levant  babitent4es.Bah^k^M6i^,'MM^aSr^l4it8âlUpp^|ia^ 
La  ville  des  Babyloniens  est^graode,fitp^uplée,L»JilMlanourrit49rQQin<* 
breux  troupeaux  de  chevaux  blapcs.  Lepay  s  des  Éthiopiens  e;it;sablQna^«S 
et  aride  sur  les  côtes,  montagneux  dans  l'intérieur  des  terres. 

Le  pays  le  plus  reculé  à  l'orient  est  la  Ghersonèse  de  Hachins,  où  les 
trirèmes  de  Joram  sont  parvenues. 

Gtons  encore  quelques  chants,  nationaux  qui  se  trouvent  rap^ 
portés  dans  le  cours  de  l'ouvrage.  Assurément  il  y  a  une  poésie 
bien  élevée  et  une  suite  damages  djgpes.  de  la  Bible. dans. ce  chant 
funèbre  sur  des  guerriers  tyriens  mortaà  Tarte891l^>  /{ue  M.Gro-* 
tefend  rapproche  du  fameux  cantique  d*É:(écbie)  : 

La  mer  t'a-t^elle  i:ejeté3ur  le  .nvf^xQnunQruneperiebrilliiiKte,  ou 
bien  es-tu  né  du  ciel ,  ast,re  Jumineux  ?  Le  coniinentiirille.de  ton  édatet 
la  mer  réfléchit  ta  beauté. 

O  reine  des  flots^  quand  tu  vois  toupeuple^naviguer,  tu  te  réjouis  comme 
une  heureuse  mère  à  la  vue  de  ses  enfans. 

Mais  jette  les  yeux  au  loin ,  et  des  larmes  rouleront  sur  tes  joues  et  bai- 
seront le  sol  ;  et  la  mer  retentira  de  tes  chants  plaintifs; 

Car  tes  trirèmes  ont  été  brisées  à  Tartessus,  et  les  plus  braves  de  tes 

(i)  Le  nom  d'Imyrchakines  •'expUq[ae  par  rhébrea  :  limrakkokim,  Ues  éloignées.  Il 
«*agit  éTidemment  des  Ganariea, 

SB. 


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564  RETUB  DBS  BEUX  MONUBS. 

fils,  étendos  morts  sur  ua  rivage  lointain,  sont  la  proie  des  notoonet 
des  poissons. 

Il  n'y  a  pas  moins  de  grandeur  dans  ce  chant  d'un  roi  d*HamaIh 
banni  de  ses  états  : 

Ammisus  m'a  diassé  4e  la  ville  ;.  mes  serviteurs  m'ont  accablé  de  km 
railleries;  mais  je  ferai  fouetter  mes  serviteurs  et  je  taerai  Ammiios. 

Autrefois  je  reposais  sur  1|  pourpre  de  Tyr,  et  mon  oonsiin  était  âi( 
de  soie  babylonienne. 

Mais  croyez- vous  que  je  tremble  parce  que  robsconié  desoeadsorii 
forêt  et  que  Torage  passe  à  travers  les  arbres  comme  un  lion  rugissant? 

Croyez-vous  que  je  m'épouvante  àTaspectdes  rochers  qui  brillent  àb 
darté  de  la  lune  et  des  pâles  fantômes  qui  surgissent  de  chaque  motte  de 
terre? 

Le  lion  est-il  sans  courage  dans  son  obscure  tanière?  Avez-voos  jasais 
vu  le  sanglier  saisi  de  crainte  ?  Le  sanglier  sauvage  parcourt  sans  effiraiks 
ravins  de  la  montagne,  et  le  rugissement  du  lion  fait  trembleneses* 
nemis. 

Après  la  lecture  de  ces  divers  extraits,  on  concevra  qae  des 
hommes  tels  que  Gesenius  et  Grotefend  aient  cru  à  l'authenticité 
du  livre  auquel  nous  les  avons  empruntés.  L'opinion  de  H.  Gro- 
tefend a  changé,  31  est  vrai,  mais  ses  doutes  actuels  paraissent  plu- 
tôt tenir  aux  renseignemens  qui  lui  sont  parvenus  sur  le  caractère 
de  H.  Wagenfeldqu'à  Touvrage  en  lui-même. D'ailleurs,  lalettrede 
H.  Grotefend  ne  prouve  pas  que  la  falsification  soit  complète»  pou- 
qu'il  parait  croire  à  Texistence  d'un  manuscrit  que  M.  WagenfeU 
aurait  altéré.  La  publication  du  texte  grec,  qui  est  formelleaefll 
promise,  viendra  bientôt  fournir  des  armes  sûres  à  la  critique, et 
ai,  en  définitive,  il  £aut  voir  dans  M.  Wagenfeld  un  suocesmr 
d*Annius  de  Viterbe  et  de  Ligori,  on  ne  pourra  s'empédier  del^ 
gretter  qu'avec  tant  de  science,  avec  un  sentiment  si  profond  des 
antiquités  sémitiques,  une  imagination  si  poétique  et  si  fécondeiil 
ait  compromis  son  avenir  littéraire  en  se  rendant  coupable  d'ooe 
supercherie  qui  ne  peut  nuire  en  rien  à  ceux  qu'il  aurait  trompés, 
mais  qui  porterait  à  jamais  atteinte  à  son  caractère  et  à  son  boo- 
neur, 

Ph.  Le  Bas. 


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REVUE 


LITTÉRAIRE 


VO 


PREMIER  SEMESTRE  DE  1836. 


Si  Ton  veut  bien  accepter,  comme  point  de  comparaison,  une  évalua- 
tion des  travaux  littéraires  de  Tannée  1835,  insérée  dans  l'un  des  pré- 
cédens  numéros  de  la  Revue  (!*'  avril),  nous  aurons,  pour  l'anlée 
coorante,  un  double  progrès  à  signaler.  On  a  fabriqué  moins  de  livres; 
on  en  a  produit  de  meilleurs.  Non  pas  que  nous  ayons  à  rappeler  beau- 
coup de  ces  bruyans  succès ,  qui  ne  laissent  à  la  critique  d'autre  rôle  que 
l'admiration  ;  mais  nous  avons  compté  en  plus  grand  nombre  les  ouvrages 
solides,  instructifs,  dirigés  vers  un  but  utile,  et  qui,  lors  même  qu'ils 
n'atteignent  pas  toute  la  perfection  désirable,  ont  du  moins  le  mérite  de 
mettre  en  mouvement  beaucoup  d'idées.  C'est  ainsi  qu'il  faut  compren- 
dre l'amélioration  littéraire  que  nous  nous  empressons  de  constater. 

La  production  matérielle  du  semestre  qui  vient  de  s'écouler,  comparé 
aux  mois  correspondans  de  l'année  dernière,  s'est  affaiblie  de  plus  d'up 
hiiitième,  et  cette  diminution ,  portant  principalement  sur  les  livres  tirés 
à  plus  grand  nombre,  peut  être  évaluée  à  dix  millions  de  feuilles  ou  vingt 
mille  rames  pour  la  librairie  seulement.  Quant  au  journalismcj  il  est 


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jm 

iovjaan  fort  entreprenant.  Mais  les  illusions  qni  ont 
de  nombreuses  tentatÎTes  sont  déjà  expiées  en  grande  partie. 
semaine  a  tu  éclore  environ  trois  feuilles  nouvelles.  Plusieart  n*ool 
que  comme  prospectus ,  et,  faute  d'alimens,  en  sont  restées  à  TélaliM- 
bryonuaire.  Beaucoup  d'autres  ont  succombé  après  une  courte 
tion,  et  si  quelques-unes  soutiennent  encore  leur  existence 
que,  elles  demeurent  bleu  tl^igiéoi-  wis/)pate  d'une  pogition  staUaH 
régulière.  Sans  entrer  dapsia  ^sofs^tgo  jla  budget  d'autmi,  qull  wmê 
soit  permis  d'établir  un  fait  social  autant  que  littéraire  :  à  safnir,  fMb 
journalisme  qui,  chez  nous ,  est  né  d'hier,  en  est  encore  «nx  rêves  dsris 
des  prenUera  d^hgta^u'i{  se  pay s>^Bf iUr(tf çfijbyii  dj  ifwpe 
les  entrepc^peup^pp-enpont , i^po^iynieiix  ûIt%  avpit  que  les 

naires  aifinlLaFPÛi»^^c^^^^o*^'^f^i*^^-^'^l<^^^ 
commerciales  ne  sont  pas  applicables  aux  produits  de  la  presse;  qÊ^  tiâ 
plus  que  du  savoir- faire  pour  découvrir  un  domaine  exploitable  davh 
sphère  infinie  des  opinions  et  des  J4ées;  que  d'ailleurs  une  rfirtutiseas 
8*improvise  pas  plus  qu'un  public,  et  que  la  force  inteliectaelle  ipii  mIbs 
un  journal  n'est  pas  à  la  disposition  des  hommes  d'afbires  comme  kiws 
aveugle  que  li|P9e;^a  xnt^f* 

Revenons  i  la  librairie  qui  doit  seule  nous  occnper.il  n'y  apesda  ft» 
nations  dans  tout  ce  qui  tient  i  l'enseignement  scolastique,  où  beom* 
position  du  livre  ne  change  pas  plus  que  les  chances  de  débit.  Mâatt 
fait  assez  remarquable  est  que  les  œuvres  d'imagination,  les  livres  ds«» 
binet  de  lecture,  ou,  pour  employer  le  mot  usité  dans  le  commeni^  la 
nouveautés,  atteignent  positivement  le  chiffre  élevé  de  Tamiée  dermlKt 
On  compte  encore  pour  les  romans  plus  d'un  volume  par  jpOFf  et  lu||sv 
de  deux  volumes  par  seqiaine  en  poésfes,  que  repousse  cepeodipiXp- 
stinct  des  éditeurs;  ce  qui  prouve  que  la  plus  grapdq  partie  des  ttèfk' 
tiens  de  la  presse  se  trame  en^déhors  de  la  librairie^que  les  frais seaat 
leiits  par  la  vanité  oisive  ou  parTinexpé.rience  des  débutons,  qoi  s»«0- 
damnent  à  de  rudes  sacrifices  pour  conquérir  un  public  et  une 

La  diminution  que  nous  avons  annoncée  porte  principal 
les  livres  sérieux,  les  sciences  métaphysiques,  la  littérature 
l'histoire.  Ce  fait  n'est  point  en  contradiction  avec  ce  que  nous  avaniCt 
plus  haut.  La  liste  est  moins  nombreuse;  mais  on  y  trouve  plus  de  |r»- 
ductions  estimables.  La  conséquence  est  naturelle.  Il  n'en  est  pas  dessBi» 
vres  rationnelles  comme  des  créations  poétiques  ou  dramatiques,  dssftlt 
valeur  est  toujours  contestable ,  et  qui  permettent  au  plus  obscur  d^mfà* 
rer  les  caprices  de  la  vogue.  Les  recherches  profondes,  les 
solides  et  avancés  désespèrent  la  paresse,  et  écartent  les  rivalités 
«anten.  Au  reste,  nous  nous  promettons  de  préciser  par  des  chifSre^àbi 


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WÊnjû  LitiiEàiu«  987- 

Il  de  ehaiioe  année  ^  œs  moaremens  de  la  presse  qu'il  suffit  if  indiquer 
ujourd'hui. 

L  — •  THÉOLiM^œ* 

Cette  diyisîoa  est  principalement  fermée  parla  réimpressioades  claisi- 
[oes  de  séminaire ,  de  la  liturgie  et  des  traités  mystiques ,  i  l'usage  des 
unes  ferventes.  Le  SainU Augustin,  édité  par  MM.  Gaume,  est  le  seol 
lavrage  dont  la  reproduction  mérite  d'être  signalée.  L'œuvre  nouvelle  du 
lergé  est 9  comme  d'habitude,  assez  mince  :  elle  se  borne  i  des  règle- 
nens  de  confrérie,  au  programme  de  quelques  pratiques  dévotes,  et  enfin  à 
nnq  ou  six  livres  de  controverse,  qui  rappellent  le  ton  aigre  et  l'ergo- 
isme  de  l'ancienne  Sorbonne.  On  n'y  distinguerait  pas  un  écrit  nouveau 
|ui  commandât  l'attention  publique ,  pas  une  seule  page  peut-être,  con* 
^nie  avec  rintelligence  de  l'esprit  français  au  xix*  siècle. 

Ajoutons  enfin  que  la  production  du  premier  semestre,  comparée  aux 
résultats  de  l'année  précédente,  est  à  peu  près  réduite  de  moitié» 
N'est-ce  pas  un  fâcheux  augure  pour  la  réaction  religieuse,  que  les 
agioteurs  en. librairie  ont  si  habilement  exploitée  depuis  deux  ans. 
Nous  xegrettODS  de  porter  atteinte  à  des  illusions  respectables  sans  doute, 
mais  qu'un  froid  examen  ne  nous  a  pas  permis  de  partager.  Le  mouve- 
ment régénérateur  n'est  pour  nous  qu'une  des  mille  oscillations  de  la 
pensée  publique,  sans  portée  réelle,  sans  direction  précise.  Pour  qu'il  se 
prépétuât,  il  faudrait  que  l'impulsion  vint  du  clergé  :  or,  il  n'en  est  rien« 
Le  clergé,  ou  du  moins  les  cheis  suprêmes  qui  déterminent  jusqu'aux 
moindres  actes  du  corps  ecclésiastique,  sont  demeurés  tellement  étran- 
gers à  cette  effervescence  soudaine,  qu'ils  ont  été  les  premiers  à  s'en 
étonner,  et  que  dans  l'impuissance  de  s'en  rendre  compte,  ils  ont  tout 
expliqué  par  une  intervention  divine,  en  faveur  de  cette  église  gui  ne 
doit  pas  périr.  H  est  évident  d'ailleurs  qu'une  doctrine  ne  devient  c(Miqué« 
rante  qu'à  condition  d'être  active;  et  l'activité  est  autre  chose,  selon 
nous,  que  le  remuement  d'un  zèle  aveugle.  L'activité  est  la  tendance  à  un 
but  nettement  exprimé,  une  marche  vers  un  progrès.  Nos  prêtres  ont-ils 
su  faire  sortir  de  leurs  dogmes  une  application  d'un  bénéfice  incontes* 
table,  un  principe  social  de  nature  à  rallier  les  esprits  d'élite,  et  à  en- 
traîner les  sympathies  populaires?  Bien  loin  de  là.  Ils  reconunandent  à 
chacun  la  passivité  qui  les  aimule  eux-mêmes.  L'unique  affaire,  comme 
ils  disent,  celle  du  salut  étemel,  étant  possible  en  tons  teiiq[>s  comme  en 
tous  lieux,  il  est  inutile  de  modifier  le  milieu  dan&  lequel  on  accosiplit  son 
temps  d'épreuve.  Au  mal  social  ils  ne  savent  qii'ua  seul  remède^  la  ré- 
signation ,  et  ils  s'en  tiennent  à  prêcher  l'orthodoxie  des  croyances^  qui 
ne  sont  guère  combattueSi  la  supériorité  de  la  morale  chrétienne,  que 


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668  RBTUË  DES  DEUX  HONDES. 

personne  n'a  Jamais  contestée ,  8*adressant  aux  indiridos  qu'ils  tra* 
vent  d*humear  à  les  écouter,  c'est-i-dire  à  ceux  qui  n'ont  pas  besoa 
d*étre  convertis.  Mais  sonder  la  valeur  morale  des  institutions, s^o^ 
rir  du  sort  des  masses ,  et  des  chances  qu'elles  ont  de  faire  le  biea  n 
le  mal  9  c'est  dérober  ee  qui  est  dû  à  César.  César  est  toujours  cdoiqi 
perçoit  le  budget.  Telles  sont  les  maximes  professées  hautement  pir  le 
clergé 9  qui  Font  engourdi  dans  rindifférence  de  tout  ce  qui  se  puseia- 
tour  de  lui ,  et  le  laissent  impuissant ,  séparé  par  ses  habitudes,  se«  i^ 
et  même  par  son  langage,  d'une  société  qu'il  ne  comprend  pas  ^\m^ 
n'en  peut  être  compris. 

Et  maintenant,  nous  nous  adressons  aux  intelligences  que  le  OTiii* 
cisme  n'a  pas  obscurcies.  Si  le  christianisme  a  transformé  lernoodes* 
den,  ce  qu'on  ne  saurait  nier  raisonnablement ,  s'il  a  constrnitiaTeeks 
débris  qui  jonchaient  le  sol  de  l'Europe,  cette  civilisation  qui  nousabrik 
encore,  est-ce  donc  en  préchant  l'immobilité ,  en  se  faisant  ud  ménte^ua 
yeux  des  puissances,  de  sa  nentmlité  absolue? 

L'opposition,  ou  plutôt  une  sorte  (fanimosité  contre  ceux  qui eatn- 
prennent  de  rendre  au  vieux  corps  catholique  quelque  peu  desonéserfie 
virile,  se  manifeste  journellement  par  des  réfutations.  L'une  dei pis 
curieuses  est  la  Censure  de  cinquante-six  propositions  ^  extraites  è  di- 
vers écrits  de  M.  de  La  Mennais  et  de  ses  disciples,  promnlgoicpv 
l'archevêque  de  Toulouse,  avec  la  sanction  du  pape  et  FadSiésioDâe 
presque  tons  les  membres  de  l'épiscopat  français.  Les  propositiooscii' 
damnées  ne  sont  pas  des  hérésies,  à  proprement  parler.  Elles  ne  blesot 
aucunement  le  dogme.  Il  s'agit  de  quelques  opinions  hasardées  saries 
fondemens  rationnels  de  la  certitude,  sur  la  loi  morale  des  époquesant^ 
rienres  au  christianisme,  et  sur  le  développement  temporel  dapriadpt 
chrétien.  Elles  nous  paraissent  appeler  une  controverse  sur  qoeiffi 
points  d'histoire  et  de  philosophie  ,  plutôt  qu'une  réprobation  caBoaîfix» 
et  en  tout  cas  il  ne  suffit  plus  aujourd'hui ,  pour  entraîner  les  espritti» 
clore  une  discussion  en  disant ,  comme  souvent  les  docteurs  révéresdiV' 
mes  ;  Hœe doetrina  estfalsaytemeraria,scanda\osap  seditiosûffM^^ 
injuriosa.  Nous  croyons  encore  qu'il  est  injuste  de  déchirer  uoe  paf^ 
pour  isoler  une  phrase  qui  prend  ainsi  un  sens  absolu,  tandis qa'd^^ 
trouverait  expliquée  et  adoucie  par  ce  qui  la  précède  et  la  suit. 

On  s'étonne  de  rencontrer  au  nombre  des  propositions  frapP^Pf 
les  foudres  de  l'église,  cette  thèse  soutenue  dans  l'Avenir, ^^^ 
pies  de  M.  de  La  Mennais ,  que  le  catholicisme  est  conciliabie  avec  w» 
ies  libertés  publiques.  Les  fragmens  qui  réclament  la  liberté  deUpit^ 
«ont  particulièrement  incriminés.  Le  poète  croyant  est  rendu  rtV^ 
èle  de  tous  ces  méfaits  ;  son  censeur  le  traite  d'anarchiste  et  crieTidei^ 


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BETUE  UTTÊRAIRB.  M^ 

m  parodiant  ainsi  Gicéron  :  a  Enfin  Catilina  est  sorti  de  Rome  !  il  ne  dé- 
Dbirera  plus  le  sein  des  vrais  enfaDS  de  Rome  !  Ahiit..J  «Un  autre  adver- 
saire, que  M.  de  La  Mennais  a  déjà  rencontré  plusieurs  fois,  est  plus  inci- 
Bif  encore,  or  Parlez- vous  de  sa  personne ,  dit- il,  il  est  mort!  Parlez^vous 
de  sa  doctrine,  sous  ce  point  de  vue,  s'il  n'est  pas  mort,  il  devrait 
l'être  (1).  » 

Le  but  de  ce  dernier  écrit  est  de  défendre  contre  les  novateurs  l'an- 
cienne théologie  scolastique,  c'est-i-dire ,  la  science  divine  expoeée 
selon  la  méthode  analytique  et  dialectique  d'Aristote  :  nous  reproduisons  fi- 
dèlement la  définition  de  l'auteur.  Selon  lui,  la  foi  chrétienne  ne  peut  être 
sauvée  que  parle  philosophe  païen.  IL  parait  cependant  que  les  jeunes  clercs 
montrent  peu  de  goût  pour  le  syllogisme,  et  de  son  propre  aveu ,  a  ils  em- 
ploient leur  temps  i  la  lecture  de  la  basse  et  moderne  littérature  fran- 
çaise, où  respire  plus  ou  moins  le  goût  romantique,  étude  plus  propre  à 
nourrir  leur  esprit  de  vent  que  de  vérité  et  de  sagesse,  d  C'est  à  quoi  l'on 
veut  mettre  ordre.  Ainsi ,  après  une  trêve  de  dix  ans ,  deux  ennemis  irré- 
conciliables, Aristote  et  le  romantisme,  vont  se  rencontrer  de  nouveau 
sur  le  terrain  de  la  théologie.  Nous  publierons,  s'il  y  a  lieu,  le  bulletin 
du  combat. 

Nous  avons  trouvé,  dans  plusieurs  ouvrages  signés  par  des  prêtres,  une 
singulière  prétention.  A  les  en  croire,  il  est  injuste,  inhumain,  de  re- 
procher au  clergé  français  son  infériorité ,  après  l'avoir  dépouillé  des 
biens  qui  lui  permettaient  d'encourager  par  des  bénéfices  les  hommes 
distingués  de  son  ordre,  et  d'entretenir  ces  sanctuaires  d'études  illustrés 
jadis  par  de  beaux  monumens  littéraires.  Leur  erreur  est  grande,  s'ils 
pensent  qu'on  fait  crime  au  clergé  de  ne  pas  produire  des  compost*- 
tions  académiques.  Ce  que  lui  demandent  les  gens  sensés,  c'est  de  sub- 
stituer aux  pratiques  superstitieuses,  aux  aberrations  mystiques,  une 
instruction  saine,  un  parler  ferme  et  franc,  intelligible  pour  le  peuide 
qu'il  se  propose  de  transformer;  c'est  d'exposer  sa  foi  de  telle  sorte, 
qa'elle  surmonte,  s'il  est  possible ,  les  préventions  hostiles,  et  redevienne 
ce  qu'elle  a  été  long- temps,  un  lien  social.  Pour  composer  un  livre  dp 
celte  nature,  il  n'est  pas  besoin  d'une  congrégation  de  bénédictins.  D'ail- 
leurs, Texcuse  invoquée  par  les  prêtres  est  d'autant  moins  recevable, 
qu'ils  sont  en  meilleure  position  que  les  antres  citoyens  pour  agir  sur  les 
esprits.  Ils  n'ont  pas  A  vaincre  les  obstacles  de  tous  genres  qui  attendent 
le  littératenr  isolé.  A  celui-ci,  il  est  rarement  permis  de  marcher  dro^ 
dans  la  route  où  il  aperçoit  le  beau  et  l'utile.  U  faut,  pour  s'asisurer  édi- 


(1)  Héfeiue  de  rEme^snement  eaiheUvfs^  par  M.  Boyor,  dlieeM»  do  Salnt-SiapleQK 

Wivol.ta-ea,  ,  , 


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leoraet  lecteoarsi  qifil  /««lesa  répntaiion,  ce  qui  M  nfrèdidRMMt 
qae  ftûre  nn  bon  outrage." H*  faat  meotir  aux  bons  rasâneci  km 
génie,  et  parader  long-temps  devant  «m  public  fri voie,  afin  de  Mile 
remarquer.  C'est  là  un^and  mal,  et  dont  les  suites  sont  pins  Mtm 
-  ^on  ne  pense,  dansun  pays  où  l'inteUigence'goayeme  tontparàséoH 
Nous  croyons  donc  que,  s'il  y  a  eioeption  sur  ce  point,  elle  est  mtm 
du  prêtre.  Son  œurre  est  naturellement  poussée  par  le  corps  ttàéÈÊh 
que  dont  les  membres  pénètrent  partout,  et  accueillie  par  une cBnIÉ 
fervente  qui  se  fait  de  Tadroiration  un  devoir  «de^coDsdence.LepM» 
en  un  mot,  dispose  d'un  mécanisme  de  pulilicité  dont  rageaeewstèl 
-des  beaux  jours  de  l'église,  et  qui,  malgré  sa  vétusté,  esteooonai 
puissant  aujourd'-bui  pour  élever  à  la  réputation  des  mérites  fwtwli* 
tsbies. 

n.  — •  PHILOSOPHIE. 

Les  ouvrages  de  cet  ordre ,  au  nombre  de  ^gC  environ ,  se  fi^bM 
'  par  moitié  ila  métaphysique  abstraite  ou  à  des  thèses  de  monlepnip> 
Il  en  est  un,  parmi  les  premiers,  ^qui,  se  présentant  comme  le  Mir 
mot  de  la  science  des  principes,  sollicite  de  notre  part  un  examesMi* 
Nous  transcrivons4on  titre  ^ff  Cours  ds  phihsophie,  professé  à  hlM^ 
des  Lettres  parM/Yictor  Cousin ,  pubfié,  avec  son  aviorisM^,^^ 
près  les  mefdleures  rédactions  de  ce  cours,  par  M.  AddpheGiA 
maître  de  conférences  i  rÉcole  normale.  »  La  prétention  de  régéDtnrH 
études  philosophiques ,  proclamée  il  y  a  vingt  ans  par  H.  CoQsia,ioriM 
ime  polémique  assez  Apre,  mais  qui  s'éteignit  bientôt,  faute (TaliiiiL 
Lliabile  professeur  pnt  répondre  à  ses  antagonistes ,  qu'on  aedevtf  p 
le  juger  sur  1er  souvenirs  que  hissait  une  improvisation  rapide,  ni  «i<* 
sur  des  Fragmens  imprimés,  qu'il  ne  présentait  que  comme  ikift^ 
déchirées  du  livre  de  sa  doctrine.  Le  mouvement  politique  des  4ei4n 
années  l'ayant  porté  à  la  direction  suprême  de  l'enseignementt  fl>^ 
fmnuler  enfin  son  «ystème;  et  quoique  n'ayant  pas  tenu  li|ila«til 
accepte  évidemment  l'expression  des  théories -produites  en  soosott.O* 
connaît  la  manière  de  Fauteur  :  lé  suivre  dé  trop  près,  c'est  ^eip* 
souvent  à  être  obscur.  Nous  n'hésiterons  pas  cependant  à  péoéirtr  vm 
hii  dans  les  profbddeurs  de  la  métaphysique;  un  grave  intérêt  i^ 
-attire.  Ce  livre  est  destteé  à  renseignement  :  il  importe  de  uyét^^ 
opinions,  quelles  sympathies,  quelle  vigueur  morale  doivent  appoïUr** 
le  monde  ces  enfàns  tpii  demain  seront  des  hommes. 

Le  professeur  s'exprime  ainsi  dès  son  début  :  a  Ce  que  je 
mAtat'oei  vSHMiisni#vnaiMNfÉM  /jUgMM  MuSs^ièiMeeirnes  i 
ce  qn'dles  ont  de  commun  et  de  vrai ,  néglige  ce  qu'eUes  ost^^f*'^ 


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MiMMité^-  Il  «"agil  éé^cêmnmc^r^  en  France;  av«c  la  inrétb^otté  dcr 
fÊÊi^éèdh,  bMi tlâtnim  tsprit  édwCfqtie',  la régénérattoii  de lar sdence* 
MIetiiellet  »  -^  Le  mot  adepièpovr  ëyidbble  de  la  i^loiophte  ùoiiTdle 
monapÉratt  pÉBsMtemmeâe'ei^iqQé.^BtiDe  lai  attrlbaant  que  8t 
rieur  Uttériâe'y  o»  antfereit'à  an  noi^^ensy  pttiaqffll  n'est  paa  pos^ble- 
anemMer  tleiinc  fd9e§  sam  être  an  thôlMséenr.  Totttet  1er  sectes,  tontes 
irengtena,  saiia^n  eioepcerlaTell^l^cathol^fney  ont  été  forcément 
jtectiqnes,  c'eatniHdlreKyie  ^  péttr  former  leùrdiognie,  elfes  ont  empfdtaté^ 
tttsontnohiB  aiii'tNMïCriiiea'aiiléi'Ienres.'llbi9il'y&  dentt  manières  d'eier^ 
r^Dèdioiz  :  en  i'Oty  Se  tléter aaiuc  ii'apifès  certaines  règles  généralement 
Attiatti  eeqtte^Fea>aecepte  eemmeiléroMir  d^flb^armini^  entière;  oa 
i6non  pose  en  principe  la  sooverainetéde'faralfoti  ind^Mnelhj  et  dans 
&eâs  cbàeiMi  se  doH  faire  sa  loi  hitelleetaeHë  et  tnorafe  selon  les  Inmières 
Q^ila  tron^^ftea  en  sa' conscience.  Danois  prentière  théorie,  la  liberté 
MMéoalleest^ppHMéeparianfaJerftè;  la  société  nentfatMelIndlTidu: 
'mu  rètoe  deFabsi^atisme.  L'opfaâoncontralne' isolant  les  indifidos 
#penl  produire  qoe^des  tendaneea diirerganies ,  des  fietnatismes  hostiles, 
l'anarehie  dès-lors  est  iné?ttable>  et  doit  passer  ptoroptement  de*  la 
pMre  des  fééêSKlMns  larégfon-  activer  CondHél^'M  M  sociale  arec  le 
loit  periennel^  veHêrlé'gi^tté,  rnttfqnrprebtètaè'Hleia  philosophie.  Gé 
«dblèuie  n'eai  -pas  albei  formellement  pesé  iJMnsle-coorrs  dé^M.  Cousin^ 
«r  qu'en  entiHmvelasohrtion'complète.  Iltésnhetie  cette' indécision 
[as  les  disciples  inlnteHigens  prêtent  ian  maître  tmeabsnrdité,  enattrt- 
lasm  è  chàena  la  di^tiVimifé  ^ehà/Hiriy  et  «qne  dans  Topinlon  ndgaire 
édecUane  de  M  :  Conaln  est  encore  celai  de^i>iderot  $  qui  disait  nafre- 
Mttti  «  <}ttieeù^[iie  reçoit  le  syatémed'un  antre  éetectlque  ;  p^îd  aussitôt 
Mlltré  dTécleotique.  » 

CMà  l'OMivre  qa^ll  fàos  jngér  les  doetrines.'Tëos^es  snceessenrs  dé 
)Meanes ,  édeetiqoes  eu  cedeTnler'sces^  ont  bdnrts  pourpHncipe  géné^ 
Mur  de  tonte  phUesopMe^  TaeMjsexle'Iapensée/De  ce-méme point  de 
lêpare^LoiâDei  RaldètXbnl^ldsireis^lumièresda  xtnrsiècte,  sontar-  ' 
très  à  des  termes  opposés.  Vient  i  son  touf^  Mv  Oonsin,  qnrrépadie 
'cMine  de-aêi  de^anelersj  et  réoMHtttoéev  à  ses  tisiiaes'et^rHs,  ta 
tf^ÉpusIiluii  de  la  pemêiefÊT  la  etnatience.^ 

li)ftlMifd'qarestH»iltfelacoaseiefiee9V^i«la<)*époH^  pre* 

nière*qniation«  (Plg^  il^:)  Isr-Teafi  hMemgaaee',  par  Cela  seulqn'elleest 
■Mttgenee,  ddicnéeeÉSairemenf  se  comptvnéi^  dDMnême  •ao-nembre 
^MfreenÉBiisanees,  et  cette  voe  iné? HaMe' d^èHëMOékne  ^est  ce  qu'on 
VNIela  eaiiselaiMe«  a^AecepténS'ceite^éinitibtf  y  qn\  ki>ést  ))earUBt  paf 
MMl  M^dKetMËMres'j  etf ta'ovMlbnspItaqaelé'coiiidènce  esc  rele^lœ  * 


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57B  KETUS  DES  DEUX  MOHDBS. 

ioténeur  de  la  pensée  qui  expérimente  sur  eUe-méme.  Maig  rtilAVifi 
recommande  si  sourent  cette  méthode  expérimentale,  ne  dit  putni 
cettement  en  quoi  elle  consiste ,  et  comment  elle  opère  pour  siiiir  ctoi- 
stater  les  faits  intellectuels.  Son  explication  est  négstire.  (P^.Dli 
«  Je  n'entends  y  par  expérience,  ni  l'obseryation  inténeorei  unàk, 
qui  ne  nous  donne  que  des  sensations  diverses,  maltipUées  et  nàùk^ 
ni  même  Tobservatlon  intime,  dirigée  sur  des  phénomènes  intens, 
aussi  variables ,  aussi  fugitifs,  que  les  phénomènes  du  monde  estoiii 
Nous  sommes  réduits  A  interpréter  la  pensée  da  philosophe.  U  pràoi 
sans  doute  que  rexpérience  se  manifeste  par  des  résultats,  c'at-éniit 
par  l'acquisition  de  certaines  vérités  incontestables.  Pour  éviter  le  npit* 
che  d'avoir  obscurci  son  système,  empruntons  de  kû  2e  fait  Isjrfif  dv: 
c'est  donner  en  même  temps  une  idée  de  la  clarté  du  reste  de  ronmfe. 
(Pag.  52.  )  or  Le  fait  le  plus  clair  et  le  plus  approfondi  auquel  poiiepir- 
venlr  la  réflexion,  c'est  la  conscience  immédiate,  !<>  de  denx  tenMsMy 
le  moi  et  la  nature  extérieure ,  phénomènes  variables,  se  iifflitaatra 
l'autre;  2o  d?un  être  infini  :  l'aperception  de  ce  dernier  terme  nad  leile 
possible  l'aperception  du  fini,  comme  à  sou  tour  la  vue  du  finiitb 
condition  indispensable  de  la  vue  de  l'infini.  » 

Résumons.  La  conscience,  après  avoir  eiqiérimenté,  peot  ilflMi 
l'existence  de  trois  faits:  le  moi  ou  l'individu,  le  ttOii-iiioionlaoaW,it 
la  loi  de  ces  deux  termes ,  qui  est  l'infini ,  l'absolu ,  la  vérité  ioDHériA 
^  et  nécessaire.  Maintenant,  quelles  facultés  intellectuelles  ont  éii  «sfi 
en  jeu  pour  arriver  à  la  connaissance  de  ces  trois  élémens  ?  L'édectdit, 
en  vertu  de  son  onmipotence ,  emprunte  à  Locke  et  à  ses  diadplef  taçà 
une  faculté  passive,  la  sensibilité;  aux  écoles  écossaise  et  aUemaadei  ^ 
faculté  active,  la  volonté.  Puis,  avançant  que  ces  facultés  sont  iopo^ 
santés  pour  arriver  à  la  notion  de  l'absolu,  il  déclare  (pag-i^c^^) 
«  qu'il  existe  un  troisième  élément  qui  n'a  pas  encore  été  jiylHii»"'* 
analysé  ni  décrit,  la  raison,  prise,  non  comme  faculté»  nuisc»'^ 
règle  de  nos  jugemens,  raison  impersonnelle,  qui  n'est  ni  l'iiM^^ 
monde  sensible,  ni  l'œuvre  de  la  volonté ,  mais,  pour  ainsi  dire,  ^^ 
de  la  vérité  dans  l'individu,  o 

Annoncer  en  termes  généraux  que  le  moi  humain  est  coastittié  pV" 
sensibilité,  la  volonté  et  la  raison,  est-ce  rendre  compte  des  pbéaoaii'' 
intellectuels?  A  coup  sûr,  les  philosophes  de  profession  n'aoeepttr**^ 
pas  pour  une  analyse  de  la  pensée  une  proposition  conçue  en  dei  tfft^ 
aussi  vagues.  Notre  éloignement  pour  les  querelles  de  motsnoairasdR 
plus  concilians,  et  nous  certifierons ,  si  l'on  veut ,  la  grande  déoooftf^  ** 
l'^ectisme,  à  savoir,  que  l'homme  est  à  la  fois  actif,  passif»  «t.*«..>^ 
pas  raisonnable,  mais  raisonneur,  suivant  la  variante  proposée  jad^P*^ 


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RKTUB  LITT£aAIU.  SJS 

m  homme  d'esprit  Mais  ces  oondusions  ont-elles  tme  rtlear  pratique? 
l  n'en  pas  douter,  selon  M.  Cousin.  L'homme ,  à  l'aide  des  facultés  qu'on 
ai  restitue,  peut  saisir  rti^folic,  l'être,  rinfini  fc'est  tout  nn),qnisemani- 
este  sous  trois  formes  (page  57)  :  a  le  vrai,  qui  comprend  la  cause  comme 
a  substance,  le  beau  et  le  bien,  jd  L'important,  pour  nous,  serait  de  sa- 
roir  quelles  choses  sont  absolument  vraies,  belles  et  bonnes,  et  comment 
^  choses  deviennent  applicables  aux  arts,  aux  sciences,  i  la  vie  sociale? 
ici,  les  paroles  du  philosophe  deviennent  tellement  confuses,  qu'il  faut 
icheter  la  moindre  idée  par  un  effrayant  travail  d'esprit,  et  ces  idées,  il 
uffirait  souvent  de  les  opposer  les  unes  aux  autres  pour  en  faire  ressortir 
e  grotesque  ou  le  contradictoire.  Nous  choisissons  les  assertions  les  plus 
ormelles  sur  les  trois  modes  de  l'absolu  (page  140).  a  La  substance  de 
a  vérité,  c'est  Dieu.  Mais  nous  ne  savons  de  Dieu  rien  autre  chose,  sinon 
la'il  existe,  et  qu'il  se  manifeste  i  nous  par  la  vérité  absolue.  Se  tnanl- 
ester  pour  un  être  universel  et  étemel ,  c'est  se  manifester  universelle-, 
nent  et  éternellement.  Dieu  s'est  donc  manifesté  en  tout,  partout  et 
toujours,  et  comme  il  ne  s*est  manifesté  que  par  la  vérité,  il  s'ensuit  qu'il 
kit  y  avoir  partout  et  toujours  de  la  vMté;  d  voilà  tout  ce  qu'on  nous 
ipprend  sur  le  vrai.  Le  beau' (page  225)  «  ne  peut  être  la  voie  ni  de  i'u- 
4)f>  ni  du  bien ,  ni  du  saitit.  H  ne  conduit  qu'à  lui-même,  jo  Par  consé* 
lueot ,  les  arts ,  ayant  pour  objet  l'expression  du  beau ,  ne  méritent  leur 
M^  qu'à  condition  d'être  inutiles.  Cest  l'auteur  qui  l'affirme,  et  plus 
oin  (page  281)  il  développe  sa  peiisée.  —  «  Gomme  je  refuse  aux  beaux- 
irts  tout  but  d'utilité,  comme  l'art  ne  doit  servir  qu'à  lui-même ,  je 
lois  effacer  l'éloquence  de  la  liste  des  arts,  jd  Autant  en  fait-il  de  l'histoire 
^  de  la  philosophie,  parce  qu'elles  tournent  Us  mots  vers  un  but  d^utiliti, 
Mais  la  poésie  et  la  musique,  qui  apparemment  ne  servent  à  rien,  sont 
des  arts  par  excellence;  et,  viennent  ensuite  s'échelonner  à  des  distan- 
^  diverses,  la  sculpture,  l'architecture  et  la  construction  des  jardins 
(page  282).  La  théorie  du  bien,  c'est-à-dire  la  philosophie  pratique,  est 
^('Bdée  sur  l'idée  absolue  du  droit  et  du  devoir.  M.  Cousin ,  par  son  sys- 
tème, est  dbpensé  de  toute  argumentation,  et  L'absolu,  dit-il  (page  320), 
^légitime  par  lui-même.  Si  l'on  me  demande  pourquoi  il  y  a  des  devoirs^ 
le  répondrai  parce  qu'il  y  a  des  devoirs.  Il  n'y  a  pas  de  raison  à  donner 
^^  la  raison,  b  Ainsi ,  nous  sommes  revenus  à  ces  affirmations  pures  et 
'tapies  qu  on  a  tant  reprochées  aux  vieux  traités  de  philosophie.  Pour- 
ïuoî  donc  substituer  à  l'ancienne  dialectique  aride,  mais  ferme  et  déci- 
^^^^A^transeendentalisme  allemand  qui  ne  peut  engager  personne,  parce 
ïue  jamais  deux  rêveurs  ne  se  rencontreront  dans  le  même  nuage?  On 
^*cn  voit  aucun  motif,  si  ce  n'est  que,  pour  attirer  à  soi  la  foule  béante,  il  ^ 
^ftot  pouvoir  dire,  en  se  drapaçit  dans  S(m  manteau,  comme  l'un  des  docteurs 


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ée  flfdttère  :  -«-  c  Nom  avoos  ctieogé  tout  oela^  cgnoos  âtisons  •Bjwftrf 
letchosM  d'une  méthode  tonte  no!i?eIIe.  d 

Une  longue  thèse  de  ntéuphyslque,  inUtulée  :  Essai  d'inducikmsfÊi' 
hsopkiques  diaprés  les  faits,  par  M.  Rogniat  aloé ,  mérite  d'être  «fislii- 
gnée.  An  lien  de  remonter  par  des  subtilités  d'analyse  à  la  soaroe  dew 
IhcultéSy  l'autear  affirme  leur  existence  comme  un  fait  planant  aa-dem 
delà  démonstration^  et,  en efCet»  les  puisuinees  qui  coudtaeot  riMMM 
nesont  appréciables  que  par  leur  acte  Tisible,  de  même  qa'oa  ne  pari 
oenscater  l'étément  lumineux  que  par  la  clarté  qu'il  répand.  —  «De  àsm 
càoiea  l'une,»  est^il  dit  dès  les  premières  pages ,  a  on  les  cames  et  fa 
•fiéta  qui  embrassent  l'existence  de  l'honine  sont  enchaînés  dant  m 
•Édre  absolument* indépendant  de  lui^  ou  il  dépend  de  loi  qni  nirâM 
effBta  soient  on  ne  soient  pas.  Bans  le  premier  cas,  tout»  discossiea  «« 
aana  objet,  a  Ainsi,  ceôx  qui  nient  que  l'homme  soft  tin  agent  libre,  a 
ptasienrs  cas  du  moins>  n'ont  qa'à  ièmher  un  litre  qui  n'est  paa  lait  pav 
eax.  Nous  avons  suiri  tfeO'  intérêt  une  aérte  d^duetiona ,  appuyées  saga- 
tnent  sur  les  flnts  aréréé  de  la*  vie  erganlqwe  ^t  de  la  vie  ratiotmdle,et  frf 
conduit  jusqu'au  grand  probtènt  de  la  condition  dn  genre  hm^SBrli 
terre.  Mais  ceUe  dernière  parde^apptlle  encore  les  méditations  daflib* 
sdphe.  On  sent  dans  les  idées  et  damsf'réipresslon  une  ioeertita^^ 
lesBOft  sortout  par  la  comparaison  atec  lés  débuts  de  l'oarrage.  On  ânil 
que  devant  se  prononcer  sur  lod  grands  principes  socianx,  f^iaiearrt 
pas  osé  formuler  nettement  ses  conclusions  (1). 

En  général,  les  traités tiai  ont  pdnr  objet  la  science  de  la  sage«e,fl 
dont  la  reprodoctioB  est  éternelle^  nediflèrent  les  uns  des  antres  qucfg 
lÉ  manière  de  groupe^  un  certain  noinbre  d'argumens  coams.  A  as* 
penl-étre,  de  tous  les  livres,  ceux  qu'on  lit  lemafan  aàjonrd*hoi,  et  ésâ 
Finflaenoe  est  la  ph»  bornée.  La  faute  en  appartient  rooiasà  la  aeiMai 
qu'à  ceux  qui  en  font  profés^on.  Pour  la  plupart,  la  philosophie  éM 
qn'une  sorte  d'escrime  dont  le  but  est  de  fortifier  et  d*élaiidie  HMI- 
ligenee.  Dans  les  luttes  de  la  pamle^  lemèuphysiden  devient  ea  dM 
assex  redoutable  par  l'usage  qu'il  pOnfMre  des  argumetn-de  <AaqaaHa 
tème,  par  l'habitude  d'épuiser  uaeidéa,  dé  conduire  un  lilsiwiminsil, 
de  dénaturer  les  ikits ,  en  les  poussant  jaaqa'è  l'état  d'abstnctien.  Laaah 
liment  de  ces  avantages  le  rend  trop  souvent  tranchant ,  quereflear,  sMS 
pkié  poor  l'adversaire  qui  ose  le  suivre  sur  le  terrain  dé  la  < 
est  vrsÉ  qu'il  finit  presque  toefours,  comiDe  les  duellistes  de  ] 


W  U  tniilèms  volame  de  IWtloIre  dt  to  PailoM^fe,  dft  H.  Blltar,  vl^ 
c^MsUdrange»  qaal  des  AagusUDs,  9.  Noos  aiuadoat  le  quatrième  TolaaM,  filM 
ceupléter  la  première  parUe.  pour  prétenter  quelques  vuei  géaérales  tarla  iilinJaijii 
aîMMUia,  à  réteatlea  de  eettetotparlâals'pehlleailoab 


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par  tomber  souples  coups  tf  un  novice  qui  PattaffaëT^BohiBieiit  areé  les 
drmes  de  la  nature ,  le  sens  oomnran. 

n  se  troHTC  encore  quelques  hommes  de  censctenceet  de  bonne  inten- 
tion,  pour  qui  la  philosophie  est  la  recherche  dayrai.  liais  >  par  une  in- 
concevable fatalité,  ils  font  de  lenr  science  une  algèbre  indéchiffrable 
[>our  quiconque  ne  vent  pas  subir  on  apfmntissage  rebutant»  L'appAt  dés 
lécou vertes  les  conduit  dans  des  voies  non  frayées ,  sans  Inmière  et  sans 
ssueSy  et  lorsque  après  mille  divagations  ils  se  retrouvent  en  présence  du 
)ublic,  ils  ont  oublié  la  langue  qu'il  fout  parler  pour  en  être  compris. 
Le  bon  sens  naïf ,  qui  fait  les  grands ,  les  vrais  philosophes ,  est  plbff  ram 
sncore  que  la  naïveté  de  sentiment  qui  fait  les  grands  poètes. 

VL  —  éCOHOlOE  POUTIQUB  ET  ÂDHINISTHATIVfi. 

Les  publications  relatives  aux  généralités  de  la  politique  souffrent  de 
la  défaveur  qui  pèse  en  ce  moment  sur  les  systèmes  abstraits.  Les  libraires 
sn  risquent  fort  peu.  Ou  a  réimprimé  divers  fragmens  des  discours  tn 
terits  polémiques  de  Benjamin  Constant ,  qui ,  heureusement  disposés, 
DDt  pu  être  présentés  comme  un  Cowrs  de  politique  constitutionnelle»  La 
rie,  les  doctrines  et  l'influence  du  célèbre  publiclste  ont  inspiré  i  M.  Pages 
[de  TAriège)  quelques  pages  très  remarquables  qu'il  a  placées  comme 
introduction  en  tête  de  l'ouvrage.  Un  historien,  dont  l'expérience  s'est 
formée  au  spectacle  des  grands  événemens,  M.  de  Sismondi,  vient  de  ^ 
livrer  des^  Études  sur  les  consentions  des  peuples  libres.  (7est  on  calcul 
de  probabilités  à  l'usage  de  ceux  qui  sont  intéressés  au  jeu  des  passions  , 
Boit  dans  les  masses,  soit  dans  les  êtres  privilégiés  en  qui  se  personnifie  le 
pouvoir.  L'auteur  procède  à  ^analyse  des  élémens  sociaux ,  et  s'efforce  de 
déterminer  leurs  lois  d'affinités  et  de  répulsion  :  mais  il  fait  remarquer 
sagement  que  les  inductions^  tirées  du  rapprochement  des  feits  connus» 
n'ont  pas  dans  la  pratique  uncTalenr  absolue,  et  qu'on  s'exposerait  à  de 
grands  mécomptes,  si  Ton  appliquait  les  prescriptions  des  docteurs  tn 
politique  avant  d'avoir  étudié  le  tempérament  des  peuples.  Faut^il  ooo* 
dore  de  là  que  le  savoir  des  hommes  d'état  n'est  pas  autre-chosequeda 
savoir-faire?  C'est  aujourd'hui  l'avis  de  bien  des  gens. 

On  sait  que  les  constructions  ruinent  presque  toujours  ceux  qui  les  en- 
treprennent. On  songe  donc  moms  i  rebâtir  qu'i  réparer.  Les  esprits  se 
tournent  vers  l'utile  et  le  possib^.  La  pr^se  répand  un  déluge  de  livres 
et  de  brochures  sur  tontes  les  matières  administratives.  Au  Keu*de  dé- 
damer  contre  les  abus,  on  indique  de  petites  améliorations  dont  Hi  somme 
réalisée  procurerait  un  grand  bien.  H  est  remarquable  que  presque  tous 
<^  écriu  témoignent  d^M^Mf^éisent  ^«tniotlNtQr  intéfété''dâ  vt>lus 


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976  BETUB  BBS.DEUl^  MmCDES. 

grand  nombre.  Les  classes  pauvres,  qui  n'ont  pas  de  mandataires das 
nos  assemblées  légales ,  sont  peut-être  plus  fidèlement  repr^enléei  ^k 
les  autres  classes  devant  Topinion  publique.  On  peut  même  dire  qptëks 
ont  cause  gagnée.  Le  soulagement  des  parties  souffrantes  est  pour  la  »- 
cîété  ce  qu*est  pour  l'individu  la  conservation  de  soi-même ,  le  imaHr 
des  devoirs.  Il  n'y  a  plus  d'hésitation  sur  ce  principe  ;  mais,  dès^H 
8*agit  des  mesures  i  prendre  dans  l'intérêt  du  pauvre  lui-même ,  ki  «s 
se  partagent  et  la  discussion  s'établit. 

Selon  les  uns»  l'infortune  copstitue  un  droit  suffisant  aox  seooonfa- 
blics.  Tout  homme,  par  le  seul  fait  de  son  indigence,  devient,  en  qaàfi 
sorte,  créancier  de  l'état,  et  peut  réclamer  légalement  rassistanee  ê- 
recte,  ou  du  moins  un  travail  assuré  et  productif.  C'est  le  sjstêneàs 
philantropes  étourdis  du  dernier  siècle,  et  que,  sans  s*en  dooter,  ki 
économistes  modernes  continuent,  en  réclamant,  comme  un  acte  de  jatk» 
et  de  prudence,  l'institution  des  colonies  agricoles  et  des  établisBenns 
industriels. toujours  ouverts  aux  pauvres  travailleurs.  Mais  quelques  es- 
prits assez  forts  pour  résister  aux  mouvemens  d'une  compassion  irrélé- 
chie  combattent  formellement  toutes  ces  propositions.  Us  pensent  qQer«^ 
tion  du  gouvernement  ne  saurait  jamais  être  que  préventive,  qmïètA 
doit  s'appliquer  uniquement  à  détruire  les  abus  qui  engendrent  laoiièR^ 
et  abandonner  le  redressement  du  mal  existant  à  la  charité  des  paràn- 
liers,  aux  sympathies  libres.  C'est  l'opinion  professée  par  IL  Docbâtel  àm 
un  livre  qu'on  vient  de  réimprimer  sous  ce  titre  :  ConsidénOkms  «TA»- 
namie  politique  sur  la  bienfaisance ,  et  dans  un  excellent  travail  delf.Hi- 
ville ,  de  la  Charité  légale  (1),  qui  a  partagé  avec  le  précédent  ks  stfin- 
ges  de  l'Institut. 

La  charité  légale  est  celle  dont  le  principe  est  écrit  dans  la  k»,  et  ^ 
le  gouvernement  exerce  avec  les  deniers  publics.  L'Angleterre  n'est  p0 
la  seule  contrée  soumise  i  la  taxe  des  pauvres.  La  Suède,  la  rionlcey 
le  Danemarck,  la  Livonie,  la  Hollande,  la  Belgique  et  presque  isole 
l'Allemagne,  une  partie  de  l'Ecosse,  de  la  Suisse  et  des  États-Unis  d*ABè- 
rique,  subissent  le  même  système,  i  quelques  différences  près  dans  leaià 
d'administration.  M.  Naville  s'est  appliqué  i  suivre  l'effet  de  ce  syslèBX 
dans  les  pays  qui  en  ont  fait  la  triste  épreuve.  Les  renseignemens  qo^  i 
réunis  à  force  de  lectures,  de  correspondances  et  d'observations,  nousta 
connaître  le  régime  du  pauvre,  et  comblent  ainsi  une  lacune  trop  fré- 
quente dans  les  livres  qui  exposent  la  vie  intérieure  des  nations.  Omae 
.  il  n'y  a  pour  le  pauvre  qu'une  seule  affaire  en  ce  monde ,  qui  est  de  âè- 
fendre  son  existence  contre  les  besoins  dévorans,  dire  à  quelles  cooditifli 

(1)  a  voL  ttt-S>  thei  Daftart,  libraire,  gaal  Malagiilt»  T. 


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REYUB  litt£râire.  S77 

il  trouve  à  rivre^  c'est  compléter  l'histoire  d'une  grande  partie  de  l'es- 
pèce humaine. 

La  classe  des  nécessiteux  est  condamnée,  par  défaut  d'éducation,  à  une 
s<»rte  d'enfance  morale.  Ce  n'est  pas  la  raison  qui  tempère  en  eux  les  mau- 
Taîs  instincts,  mais  la  crainte  d'une  expiation  cruelle,  la  perspective  du 
dénuement  absolu  et  des  mille  tortures  qui  le  suivent.  Affranchir  le 
pauvre  des  suites  de  ses  propres  fautes ,  c'est  offrir  une  prime  à  la  lâ- 
cheté, au  dévergondage;  c'est  ruiner  le  principe  de  l'émulation,  de  la 
prévoyance,  de  la  dignité  personnelle,  des  sentimens  de  famille,  de 
toutes  les  vertus  i  l'aide  desquelles  on  peut  vaincre  la  misère.  Celui  qui  vit 
d'aumOnes  répudie  peu  i  peu  l'idée  de  sa  dégradation ,  et  au  lieu  de  faire 
effort  pour  se  relever,  il  exagère  l'aspect  hideux  de  son  infortune ,  afin  de 
se  créer  des  droits  i  des  secours  plus  abondans.  Ajoutons  que  pour  main- 
tenir une  caste  toujours  croissante  qui  se  met  bénévolement  en  dehors  de 
la  loi  commune,  il  faut  établir  des  réglemens  de  police  contraires  aux  droits 
naturels  que  la  société  doit  conserver,  même  à  ses  membres  indignes. 
Ainsi ,  dans  presque  tous  les  pays  de  l'Europe ,  les  pauvres  sont  attachés 
comme  un  troupeau  au  sol  de  la  paroisse  qui  a  charge  de  les  nourrir.  Ou 
les  accable  de  vexations  et  d'ignominie ,  pour  effrayer  ceux  qui  seraient 
tentés  de  réclamer  l'assistance  légale.  En  plusieurs  localités,  les  obstacles 
mis  i  l'union  légitime  des  pauvres  provoquent  une  brutalité  révoltante, 
et  enlèvent  i  une  foule  d'enfans  sans  famille  ces  tendresses  d'instinct  que 
la  charité  publique  ne  saurait  remplacer.  En  un  mot,  les  lois  établies 
jusqu'ici  pour  adoucir  les  privations  matérielles,  ont  presque  toujours 
créé  des  plaies  morales,  bien  plus  affreuses  assurément. 

Les  économistes  français,  qui  ont  entrevu  ces  tristes  résultats,  ont  cm 
les  éviter  en  exigeant  des  pauvres,  en  compensation  des  secours  qu'ils  de- 
mandent, une  somme  de  travail  dans  un  établissement  industriel  ou  agri- 
cole; mais  ce  projet  ne  fait  qu'aggraver  l'inconvénient  de  l'aumône  directe  : 
il  détruit,  chez  celui  qui  s'y  soumet,  la  liberté  sans  laquelle  aucune  amé- 
Horation  morale  n'est  possible.  Appliquer  la  classe  indigente  à  un  travail 
nécessairement  improductif,  qui  paralyse  ses  facultés  naturelles ,  n'est-ce 
pas  lui  enlever  les  chances  d'affranchissement  toujours  offertes  an  cou- 
rage et  i  l'intelligence,  et  perpétuer  ainsi  son  infériorité?  Le  contrat 
qui,  dans  les  temps  anciens,  liait  le  maître  à  l'esclave,  était-il  dif- 
férent de  celui  qu'on  propose  ?  D'ailleurs,  l'expérience  a  prononcé.  Les 
établissemens  où  l'on  a  comprimé  tant  d'esprits  vagabonds,  indiscipli- 
nables,  sont  presque  toujours  devenus  des  foyers  de  corruption.  Il  y  a 
à  craindre  encore  que  la  concurrence  élevée  entre  les  ateliers  de  cha- 
rité et  les  industries  libres  n'aboutisse  qu'à  déplacer  la  misère. 
Les  considérations  dont  nous  offrons  ici  le  résumé,  sont  appuyées ,  dans 
TOME  VII.  37 


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Kffg  RBTra  MB^  tBDX  MMDES. 

FooTrage  de  M.  Nasille,  par  des  rediBrebei  de  alaUstique  sur  tesonibn 
des  pauvres  dans  les  contrées  soumises  à  la  mesure  qu*il  combat.  La 
pièces  qu'il  a  réooies  donnent  une  triste  idée  de  Tétat  présent  de  fBa- 
rope.  Citons  quelques  faiu.  A  Copenhague ,  la  taxe  préienrée  au  profitte 
indigenSy  s*est  doublée  en  quatre  ans.  LaSuède  est  également  aeof&wle. 
A  Stockholm ,  où  se  trouvaient,  ily  a  un  sièoiey  93^  pauvres,  on  en  conque 
aujourd'hui  plus  de  15,000;  A  BerUn,  depuis  1816,  la  d^ense  a  qua- 
druplé, et  raocroissement  de  la  population,  au  lieu  de  partager  le  fu^ 
deau ,  a  au  contraire  grossi  la  classe  qui  est  réduite  à  virre  d'annôofli. 
A  Venise,  une  moitié  de  la  ville  est  positivement  assistée  parFaotre, 
et  le  gouvernement  autrichien  fait  de  grands  sacrifiées  dans  rintérfttde 
la  tranquillité.  Le  voile  jeté  sur  cette  partie  de  radmîmstration  danspla- 
sieurs  principautés  de  rAUemagne,  cache  sans  doute  de  grandes  calani- 
tés,  et  le  soupçon  est  confirmé  par  le  nombre  considérable  d'Alkmandi 
qui  sont  forcés  de  s'expatrier  chaque  année.  Les  sept  ports  des  Etats-UiÉ 
en  ont  reçu  31,000  dans  le  courant  de  1834.  Sur  100  habitans,  k  JSfA- 
lande  en  secourait  9  en  1822;  la  proportion  s'élève  aujourd'hui  à  iSLfii 
Belgique,  plus  d'un  sixième  de  la  population  est  à  l'état  d'indigeooe.  Ba 
Suisse ,  la  taxe  est  très  inégalement  répartie ,  mais  partout  elle  tend  à^ao- 
croître,  a  II  est  des  districts,  dit  M.  Na ville,  dont  les  bourgeois,  poof 
échapper  à  des  charges  énormes,  renoncent  à  leurs  droits  de  bonrgeôile 
avec  plus  d'empressement  que  leurs  pères  n'en  avaient  mis  à  les  ooMpié* 
rir.  tt  Le  canton  de  Berne ,  qui  soutient  un  dixième  de  sa  poptelatioo,  eH 
un  des  moins  écrasés.  En  d'antres  parties ,  le  nombre  des  assistés s'élèie 
jusqu'à  la  proportion  de  25  sur  100;  et  chaque  année,  l'insuffisanee  dci 
secours  chasse  des  troupeaux  d'éraigrans  jusque  dans  les  états  de  lUoioii 
américaine ,  déjà  bien  souffrante  elle-même  de  tontes  les  infirmités  dah 
vieille  Europe. 

Mais  ce  fléau  bizarre  qui ,  à  l'opposé  des  antres,  grossit  les  popnlatioai 
.et  multiplie  les  malheureux ,  le  patkpérisme ,  afflige  particnlièreneat  II 
contrée  d'où  son  nom  nous  est  venu ,  l'Anglecerre.  Les  témoignages  pri- 
vés paraîtraient  suspects  s'ils  n'étaient  confirmés  par  des  docnmeos  éÊ' 
ciels,  comme  M.  Naville  a  pris  soin  de  le  faire. La  taxe,  noos dit-il) 
absorbe  aujourd'hui  un  sixième  du  revenu  net  des  propriétés  immobi» 
liëres.  Calculée  par  tète ,  en  raison  de  la  population ,  elle  est  double  de  te 
qu'elle  était  en  1780,  et  un  tiers  à  peu  près  de  la  nation  anglaise  fait  n* 
loir  des  droits  à  la  charité  publique.  Le  plus  fAcheux  est  que  cette  chsr^e, 
'dont  nous  donnons  ici  la  moyenne ,  est  variable  selon  les  hasards  de  lapa* 
IHilation ,  de  sorte  que,  légère  en  certains  endroits,  elle  devient  intolé- 
rable en  plusieurs  autres.  Ainsi,  le  rapport  de  ceux  qui  reçoivent  à «0 
qui  donnent,  était,  en  1831,  des  quatre  cinquièmes  à  Manchester,  etda 


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RETUB  UTTBBAIBB.  £79 

iêpt  huitièmes  dans  une  région  du  comté  de  Durbam,  Les  enquêtes  fûtes 
récemment  par  ordre  du  gouvernement  britannique  citent  diverses  pa- 
roisses qui  voient  la  moitié ,  les  trois  quarts ,  et  quelquefois  la  totalité  de 
leur  revenu  englouti  par  les  pauvres;  il  se  trouve  ainst qu'en  ces  dernières, 
les  propriétaires  sont  les  seuls  qui  ne  possèdent  rien. 

Un  peu  trop  préoccupé  de  la  thèse  qu'il  soutient,  M.  Naville  parait  at- 
tribuer toutes  ces  calamités  à  la  charité  légale.  On  lui  demandera  sans 
doute  si  les  contrées  affranchies  de  cette  mesure  sont  plus  favorisées ,  et 
pour  notre  part ,  nous  regrettons  qu*il  n'ait  pas  étendu  ses  recherches  au 
reste  de  l'Europe.  Une  curiosité  bien  légitime  nous  a  conduits  à  consul* 
ter  quelques  documens  relatifs  à  la  France.  Il  en  ressort  que  la  condition 
des  classes  indigentes  s'est  considérablement  améliorée  chez  nous,  tan- 
dl»qu'elle  s'aggravait  chez  nos  voisins.  Sous  Louis  XIY,  un  dixième  de  la 
nation  était  réduit  à  la  mendicité ,  et  mendiait  effectivement:  c'est  l'ex- 
pression d'un  mémoire  écrit  en  1698  par  un  hon^me  en  position  d'être 
bien  informé,  le  célèbre  Yauban.  Aujourd'hui,  avec  une  population  au 
moins  doublée,  on  ne  compte  plus  qu'un  Indigent  sur  vingt  personnes, 
1,000)000  environ  pour  toute  la  France  :  encore  comprend-on  dans  cette 
éiVBluation  les  enfans  abandonnés  au  nombre  de  540,000,  les  infirmes 
presque  tous  recueillis  daus  les  établissemens  publics,  et  beaucoup  d'in- 
dividus valides  qui  ne  sont  pas  totalement  dénués  de  ressources.  Nous 
poisons  ces  chifTres  dans  une  brochure  récemment  publiée  par  un  fonc- 
tionnaire qui  analyse  le  bel  ouvrage  de  M.  de  Yilleneuve-Bargemont 
sur  V Économie  politique  chrétienne.  D'autres  faits  nous  sont  fournis  par 
les  derniers  rapports  de  l'administration  des  hospices  de  Paris.  On  sait 
que  la  capitale  et  les  grandes  villes  manufacturières  sont  les  principaux 
foyers  de  souffrance.  Le  recensement  de  1813  donnait  près  de  103,000 
individus  en  état  d'indigence.  En  1835,  on  n'en  trouve  plus  que  62,539, 
Aminution  qui  équivaut  à  moitié,  en  établissant  la  relation  du  nombre 
des  habitans  aux  deux  époques.  Prenant  un  terme  de  comparaison  plus 
rapproché,  on  trouve  un  progrès  môme  sur  les  dernières  années  de  la 
restauration. Le  mal  est  grand  encore  assurément.  Les  chiffres  nous  ap- 
prennent que  les  pauvres  déclarés  sont  dans  la  proportion  d'un  i  douze, 
et  que  plus  d'un  cinquième  des  habitans  de  Paris  a  fréquenté  les  hos- 
pices et  les  maisons  de  bienfaisance.  N'oublions  pas  toutefois  que  treize 
hôpitaux,  onze  hospices,  nombre  de  sociétés  charitables,  font  de  la  capi- 
tale le  rendez-vous  de  toutes  les  misères,  et  que  d'ailleurs  il  ne  faut  pas 
toujours  compter  au  nombre  des  malheureux  ceux  qui  réclament  effron- 
tément l'assistance.  L'administration  a  constaté  un  fait  dont  les  adver- 
saires de  la  charité  légale  feront  sans  doute  leur  profit.  Plus  des  deux  tiers 
des  ittdigens  échangent  à  leurs  frais  contre  du  pain  blanc  celui  qu*lls  re* 

37. 


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580  RBYUK  DES  DEUX  MONDES. 

çoiventy  qui  est  pourtant,  assure-t-on,  d'une  qualité  supérienreàcelm 
dont  se  contentent  les  soldats,  et  on  a  calculé  que  la  somme  employée  par 
les  pauvres  de  Paris  à  cet  échange  s'élevait  par  année  à  120,000  francs  aa 
moins. 

Mais  il  y  a  des  misères  cachées  que  la  fierté  ennoblit,  des  souflrancei 
bien  réelles  qui  sévissent  dans  les  entrailles  du  peuple.  La  classe  des  tra- 
vailleurs paraît  avoir  moins  profité  que  les  autres  des  éprenves  du  der- 
nier siècle.  Selon  Yauban,  que  nous  aimons  à  citer  parce  qu'il  est  préds, 
le  journalier  ou  l'homme  de  peine  gagnait  dans  les  campagnes  oeuf  sou, 
l'ouvrier  des  fabriques  douze  sous  :  les  bons  états  rapportaient  de  quiiue 
à  trente  sous  par  jour,  le  blé  ayant  débit  à  raison  de  sept  livres  le  sè- 
tier.  Ce  qui  représente  trente  à  quarante  sous  de  notre  monnaie  actaelte 
dans  les  deux  premiers  cas,  et  dans  les  autres  une  progression  de  deux 
et  demi  à  cinq  francs.  On  voit  qu'en  général ,  la  balance  est  à  peu  près 
égale  entre  les  deux  époques;  mais  une  question  nouvelle  se  présente  :  la 
somme  du  salaire  a-t-elle  aujourd'hui  pour  Touvrier  la  même  valeur 
qu'autrefois?  Nous  ne  le  croyons  pas.  Évidemment ,  sa  condition  n'est  plos 
la  même.  Le  cercle  de  la  société  s'est  élargi  pour  le  recevoir.  Il  s'efforce 
d'y  apporter  des  habitudes  épurées,  une  intelligence  ouverte  à  tontesies 
idées  qui  ont  cours;  il  participe  enfin  à  cette  anxiété  d'esprit  qui  est  le 
dangereux  privilège  des  riches.  Or,  le  prix  de  labeur  qui  procurait  jadis 
l'aliment  matériel ,  laisse  en  souffrance  les  appétits  moraux  et  les  besoins 
de  convention  non  moins  impérieux.  De  là,  des  plaintes  sourdes  et  des 
remuemens  sans  fin,  symptômes  ordinaires  de  malaise. 

Au  reste,  si  l'on  croit  les  indications  fournies  par  la  bibliographie,  od 
grand  nombre  d'hommes  éclairés  sont  préoccupés  aujourd'hui  de  l'avenir 
des  travailleurs.  Plusieurs  sociétés  savantes  ont  appelé  les  méditations 
sur  ce  point  en  ouvrant  des  concours.  Une  présomption  favorable  est  ac- 
quise à  l'ouvrage  de  M.  Emile  Béres (des  Classes  ouvrières ,  et  du  Mf» 
d'améliorer  leur  sort),  couronné  deux  fois,  à  Paris  et  à  Màcon.  Noustroo- 
Tons  encore  une  foule  de  brochures  sur  les  salles  d'asile,  rinstmction 
primaire ,  les  caisses  d'épargne,  les  sociétés  de  tempérance,  la  constito- 
tion  de  l'industrie ,  l'ouverture  des  immenses  travaux  qui  doivent  utiliser 
un  grand  nombre  de  bras.  Par  exemple,  on  compte,  pour  ce  premier  se- 
mestre, 41  publications  relatives  à  des  projets  de  routes,  canaux  et  che- 
mins de  fer.  Enfin  un  grave  débat  est  soulevé  sur  un  projet  que  la  théorie 
nous  présente  comme  le  complément  de  toutes  les  améliorations,  nuis 
qui,  dans  la  pratique,  soulève  des  difficultés  presque  insolubles.  H  s'agit 
du  système  pénitentiaire  appliquéaux  détenus.  La  librairievient  de  mettre 
en  présence  plusieurs  ouvrages  sur  ce  sujet.  Un  des  plus  instructifs  est 
celui  de  M.  Charles  Lucas  {de  la  Réforme  des  prisons ^  ou  de  la  Tkiork 


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RBTUB  LITTÉRAIRE.  éU 

ée  rempri5onfi6ni€n()y  livre  Dourri  de  méditations  et  de  faits  observés, 
et  sur  lequel  nous  appellerons  particulièrement  l'attention  de  nos  lec- 
teurs, lorsque  nous  résumerons  la  discussion  engagée  sur  le  système  pé- 
nitentiaire. 

IV.  —  PHILOLOGIE. 

Dans  l'une  des  dernières  livraisons  de  la  Revue,  M.  Dujardin  a  dé* 
montré  que  les  phrases  obtenues  par  la  lecture  des  hiéroglyphes  sont 
intraduisibles  par  la  langue  qu'on  croit  celle  des  anciens  Égyptiens.  Mais 
il  a  négligé  une  tâche  plus  humble  qui  rentre  dans  le  cadre  de  ce  bulletin 
bibliographique  :  c'est  de  faire  connaître  le  plan  et  les  détails  du  livre 
déjà  célèbre  qu'on  peut  considérer  comme  le  testament  scientifique  de 
Champollion.  Le  livre  de  M.  Champollion  est  intitulé  :  Grammaire 
égyptienne  y  ou  Principes  généraux  de  V écriture  sacrée  égyptienne  ^  appli' 
quéeàla  représentation  delà  langue  parlée  (1).  La  première  partie,  qui 
seule  est  publiée,  forme  le  tiers  de  l'ouvrage,  et  contient  neuf  chapitres. 
Le  premier  résume  l'histoire  du  plus  noble  et  du  plus  puissant  de  tous  les 
arts,  celui  de  l'écriture.  L'idée  de  consacrer  la  mémoire  des  faits  im- 
portans  par  la  représentation  môme  des  objets  qui  forment,  pour  ainsi 
dire,  le  corps  du  discours,  n'appartient  pas  aux  seuls  Egyptiens.  Elle 
s*est  produite,  comme  une  inspiration  naturelle,  à  l'origine  de  presque 
toutes  les  sociétés,  et  fait  encore  aujourd'hui  la  base  du  système  gra- 
phique des  Chinois.  La  peinture  servile  du  langage,  étant  impossible 
en  beaucoup  de  cas,  on  ne  tarda  pas  à  donner  aux  figures  une  valeur 
conventionnelle.  Le  nombre  en  fut  probablement  limité,  et  le  choix 
fait  d'après  certaines  règles.  Champollion,  qui  a  copié  et  soumis  à  la 
plus  scrupuleuse  analyse  toutes  les  inscriptions  que  le  temps  n'a  pas 
encore  effacées,  rapporte  les  objets  figurés  à  seize  classes  bien  dis- 
tinctes. Dans  la  première ,  par  exemple,  il  range  les  corps  célestes;  dans 
la  seconde,  les  êtres  humains  divers  par  l'âge  et  l'attitude;  viennent  dans 
les  suivantes  les  aftimaux,  les  plantes,  des  instramens  de  métier,  ou 
simplement  des  formes  géométriques.  Le  nombre  des  figures  usitées  dans 
chacune  de  ces  seize  subdivisions  n'est  pas  déterminé.  Champollion  af- 

(1)  Chez  Firmln  Didot,  petit  In-folio;  prix  de  la  première  partie  :  S5  fr.  LUmprimeor 
11.  F.  Didot,  Justement  célèbre  dans  Tart  quMl  professe,  a  imaginé  pour  ce  Yolume  «n 
proeédé  ingénieux,  qui ,  avec  quelques  periectionnemens,  pourra  trouver  de  nombreuses 
applications;  c*est  Talliance  de  Timprimerie  et  de  la  UthograpUe.  La  nécessité  de  marier 
sans  cesse  dans  le  mdme  texte  l*écriture  hiéroglyphique  et  récriture  ordinaire  présentait 
une  difficulté;  on  a  composé  la  planche  d'impression  en  ménageant  des  espaces  pour  les 
flgures.  L'impression  des  caractères  a  été  transportée  sur  la  pierre  lithographique,  où  les 
li&iroglyphes  ont  été  dessinés  «dans  les  blancs  réservés. 


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Sfj^  RBYUB  BBS  BBUX  MOiaipS. 

firme  cependant  que,  dans  tout  le  système  liiéroglyphique ,  on  n'&  pa», 
<^tk)gué  jusqu'ici  plus  de  neuf  cents  types . 

Mais  sur  les  monumens  et  dans  les  manuscrits  égyptiens ,  on  voit  un, 
grand  nombre  de  signes  dont  la  forme  ne  parle  pas  à  l'esprit.  Les  érudits^ 
supposant  que  ces  signes  fonctionnaient  comme  les  lettres  de  nos  alpha* 
bets  modernes,  ont  long-temps  cherché  le  secret  de  leurs  combinaison!. 
Selon  l'auteur  de  la  Grammaire  égyptienne,  ils  ne  sont  qu'une  abréviatioii 
dti  hiéroglyphe  pur,  et  constituent  un  second  ordre  de  caractères  d'one 
c&écution  facile  et  rapide,  appropriés  ainsi  aux  usages  de  la  vie  ciVîleoa 
religieuse .  Ces  caractères  hiéraiiques  ou  démotiques,  selon  leur  emploi, 
réproduisent  seulement  le  trait  principal  de  l'objet  qui  est  leur  primittfj^ 
éi  quelquefois  ils  s'en  éloignent  tant,  qu'on  pourrait  les  considérer  comme 
éès  signes  arbitraires.  Ghampollion  en  convient  lui-même,  et ,  en  vérité,, 
dh  ne  sait  en  vertu  de  quel  principe  on  a  pu  les  rattacher  à  un  type  plutôt 
cju'à  l'autre. 

Touis  ces  hiéroglyphes,  soit  parfaits,  soit  réduits,  jouent  dans  l'écri- 
tilre  égyptienne  un  triple  rôle.  Ils  sont  figuratifs,  lorsqu'ils  éveillent 
iHdéepar  l'image  môme  de  l'objet.  Dans  ce  cas,  un  Hon  d^siné  démît 
se  traduire  par  lion.  Les  hiéroglyphes  sont  symboliques  pour  l'expresste 
des  idées  abstraites  ou  des  choses  dont  la  forme  matérielle  n'est  pas  pré^ 
èise,  comme  le  feu,  le  ciel.  Le  lion  pourrait  alors  désigner  la  force, te 
courage. Les  mêmes  caractères  sont  encore  phonétiques,  c'est-à-dire  qu'ils 
procèdent  comme  notre  alphabet  à  la  peinture  des  sons^  au  Léo  de 
}iéindre  l'idée.  Chaque  image  vaut  phonétiquement  la  première  let- 
tre de  son  appellation  vulgaire  :  le  lion ,  en  cet  exemple,  se  trouverait 
réduit  à  la  fonction  alphabétique  du  L.  L'articulation  S  pourrait  être  re- 
firésêntée  par  un  enfant,  un  œuf,  une  oie,  une  étoile,  etc.,  objets  dont 
lé  nom  en  langue  copte  commence  par  un  S.  De  la  sorte,  un  même  mdt 
peut  se  reproduire  sous  vingt  aspects  différeus.  ChampollioQ  va  au-devant 
des  objections  que  soulève  cette  conjecture  (1),  en  disant  que  le  nombft 
des  signes  employés  phonétiquement  était  fixé  et  consacré  par  l'usage,  d 
<|u'irne  dépendait  pas  du  caprice  d'un  scribe  ou  d'un  copiste  d'en  intro* 
duire  de  nouveaux  dans  les  textes.  Cependant  ce  nombre  était  encore 
considérable.  On  trouve  dans  la  Grammaire  égyptienne  un  ubleaa  ùes 
hiéroglyphes  phonétiques  et  désignes  qu'on  en  considère  comme  l'a- 
brégé. Il  ne  comprend  pas  moins  de  sept  à  huit  cents  caractères  pour  rcpré» 

.  (i)  Cette  conjecture  {uiraitra  moins  bizane  si  on  le  rappelle  que  notre  alphabet  n'k  pu 
d'autre  origine.  Les  Hébreux  ou  plutdt  les  Phéniciens,  de  qui  nous  tenons  noi  lettitt, 
4i«i«nt  aief,  heit,  guimel,  daUt  (A.  B.  C.  D.},  moU  qui  signifient  bctuf,  fiiai<oii*cii- 
«Mttr^or/e;  et,  selon  Topinlon  très  probable  des  érudiu,  ces  leltrei  n*élaiflBtd'ataid 
qu'âne  image  grossière  des  objeu  dont  elles  prenaient  le  bqbu 


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mtfn  uniftAiwu  HB5 

ffintenine  trenlaiiie  de  lettres  deoi  se  oorapeseralphabet  eepte.:Ajo«iltfiis 
%ae  la  dispotttîoo  des  ktéroglyphes  était  arbitraire  :  ils  pouvaient  s'écrire 
indifTéremment  de  gauche  à  droite,  de  droite  à  gauche,  de  haut  en  bas 
.  oa  de  bas  en  haut.  L'ordre  processionnel  que  semblent  suivre  les  figures 
indique  le  sens  de  réerilure.  Les  hiératiques  se  sueeèdent  de  gaudheà 
jâroite,  mais  en  se  superposant  à  yolontà»  ou  en-  se  succédant  selon  fes 
/âhneosions  du  lieu  qu'ils  occupent. 

Nous  transcrivons  enfin  l'assertion  fondamentale  de  l'auteur  (page  47). 
•«Tout  texte  hiéroglyphique  ou  hiératitpie  se  compose  d'un  assemblage 
•des  trois  espèces  de  signes  dont  nous  venons  d'exposer  la  nature  partidu- 
lière  employés  simulfaiiîéiiail,  c'est-à-dire  que,  dans  toute  inscription 
égyptienne  en  écriture  sacrée,  on  rencontre  constamment  les  caractères 
,  figuratifs  et  symboliques  entremêlés  à  des  groupes  de  caractères  phoné- 
tiques, ou  combinés  avec  eux,  chaque  sorte  de  caractères  concourant  à 
l'expression  des  pensées,  selon  la  méthode  qui  lui  est  propre,  par  YiwU' 
lalion  directe,  par  la  simUUudê,  ou  par  la  notation  du  Sim  des  mots.  » 
La  dernière  ligne  de  la  célèbre  inscription  de  Rosette  est  rapportée 
comme  exemple.  Ghampollion  y  voit  sur  soixante-seize  caractères,  lîz 
figures,  vingt-cinq  symboles  et  quarante-cinq  lettres  alphabétiques. 

Les  derniers  chapitres  de  cette  première  partie  ne  traitent  encore  que 
.  du  nom,  de  l'article,  du  système  de  numération,  en  expliquant  le  rap- 
port de  la  méthode  graphique  qu'on  vient  de  décrire,  avec  le  langage 
des  anciens  Égyptiens.  Nous  en  supprimons  le  résumé  pour  éviter  une 
analyse  grammaticale  toujours  fastidieuse.  Une  des  règles  de  cette  gram- 
maire nous  parait  cependant  trop  étrange  pour  n'être  pas  mentionnée  ici. 
Ghampollion  dit  que,  dans  l'écriture  alphabétique,  les  Égyptiens  suppri- 
maient les  voyelles  médiates,  supposition  autorisée  par  l'exemple  des 
.  Hébreux,  et,  à  l'en  croire»  son  rival  anglais  ne  se  serait  fourvoyé  que 
pour  n'avoir  pas  pressenti  cette  circonstance.  Mais,  ajoute-t-il,  la  sup- 
pression de  ces  voyelles  jetant  de  l'obscurité  en  beaucoup  de  cas,  on  a 
eorrigé  ce  défaut  par  l'addition  de  signes  qu'il  prétend  avoir  reconnus, 
et  qu'il  appelle  déterminaiifs.  Or,  ce  déterminatif  est  la  npréséntaiion 
même  de  Tobjet  dont  le  mot  est  le  signe  oral  (page  72] ,  c'est-à-dire  qu'on 
joint  ainsi  l'image  du  mot  au  mot  lui-même  exprimé  par  des  lettres.  Les 
exemples  cités  à  l'appui  de  cette  règle  sontctirieux.  Le  mot  crocodile  est 
écrit  par  quatre  figures  phonétiques,  plus  un  déterminatif  qui  est  un 
erocodîle  :  pour  le  mot  haiaHce,  quatre  signes  phonétiques  suivis  d'mie 
balance,  et  pour  déiermtûer  le  mot  qui  exprime  l'idée  de  malfaiteni*, 
nous  voyons  un  homme  qui  parait  lever  une  arme  meurtrière.  Cette  hf- 
pothèse  nepn>voque-t-elle  pas  l'incrédulité  ?  Quel  avantage  les  Egyptieas 
auraient-ils  trouvé  à  l'emploi  alphdl>étique-des  hiéroglyphes,  ai  an  Mte 


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584  REVUB  DBS  BEUX  MONDES, 

d^obtenir,  comme  nom,  une  économie  de  temps ,  ils  avaient  été  obligés  de 
dessiner  cinq  ou  six  images  pour  dire  ce  que  figurativement  onpoonit 
exprimer  par  une  seule?  S*ii  est  vrai  qu'ils  se  sont  tenus  à  ce  moi^tnieiix 
système,  même  à  une  époque  où  ils  ne  pouvaient  plus  ignorer  le  mé- 
canisme des  alphabets  hébraïque,  grec  et  romain,  c'est  probabiemest 
que  la  superstition  les  attachait  à  une  pratique  informe,  conservée  sans 
amélioration  depuis  les  premiers  essais  d'écriture.  Nous  voyons ,  eo  effet, 
.  qu'affranchis  de  leurs  préjugés  par  le  christianisme ,  ils  appliquèrent  Vu- 
phabet  grec  un  peu  modifié  à  l'idiome  vulgaire ,  qui  prit  dès-lors  le  scn 
de  langue  copte. 

Les  objections  logiques  soulevées  par  la  théorie  de  GhampoUioD  sont 
graves,  il  faut  le  reconnaître;  et,  dans  l'application,  les  causes  d'eireon 
paraissent  nombreuses.  C'est,  en  beaucoup  de  cas,  la  difficulté  dedèsi- 
gner  l'objet  représenté  parle  hiéroglyphe,  soit  complet,  soit  abrégé;  c'est 
encore  le  sens  vague  des  symboles,  la  triple  signification  des  mêmes  ct- 
ractères,  et  surtout  l'emploi  simultané  de  trois  valeurs  différentes.  SiToo 
tient  compte  enfin  des  variations  probables  de  la  langue  copte,  il  résulte 
de  cet  ensemble  une  multitude  de  combinaisons  qui  laissent  aux  illusions 
de  l'interprète  une  latitude  infinie.  Il  y  a  plus.  Les  règles  exposées  dusU 
Grammaire  égyptienne  ont  paru  démenties  par  les  essais  de  vérifiatfoa 
tentés  jusqu'ici.  Les  critiques  anglais,  dévoués  au  docteur  Yung,  tffir- 
ment  que  les  textes  déchiffrés  par  Champollion  sont  inexplicable  par  la 
langue  copte,  et  chez  nous,  cette  même  opinion  est  soutenue  avec  aatorité 
par  M.  Dujardin. 

Néanmoins  la  majorité  des  esprits  gravés  et  exercés ,  ceux  qui  soit 
assez  forts  pour  sacrifier  à  l'avancement  des  sciences  toutes  les  sugges- 
tions personnelles,  diffèrent  leur  jugement,  qui  doit  clore  tout  débat  Ib 
savent  qae  s'il  est  prudent  de  ne  pas  croire  sur  parole  l'auteur  d'an  sys- 
tème, il  est  juste  aussi  de  ne  pas  admettre  légèrement  les  objections  qû 
lui  sont  opposées.  Ils  savent  que,  quand  la  vérité  vient  à  surgir,  elle  ne  le 
dégage  pas  nettement  de  l'erreur,  et  que  souvent  des  expériences  mieux 
dirigées  ont  corrigé  les  détails  qui,  à  première  vue,  paraissaient  contre- 
dire le  principe.  Il  suffît  de  reconnaître  que  la  méthode  créée  par  cdoi 
qu'on  a  surnommé  l'OEdipe  français  peut  seule  conduire  à  la  solution  de 
la  grande  énigme,  et  qu'à  ce  titre  elle  méritait  la  protection  des  savaflf 
qui  ont  obtenu  pour  elle  la  publicité.  Il  ne  serait  pas  impossible  d'aillenn 
que  l'incrédulité  fât  bientôt  vaincue.  La  critique  est  à  l'œuvre.  Nous  pa^ 
Ions  de  cette  critique  qui  cherche  les  difficultés,  non  pas  pour  les  mettre 
en  saillie,  mais  pour  les  aplanir.  Deux  dictionnaires  coptes,  qu'on  dit  très 
satisfaisans,  viennent  d'être  publiés,  l'un  à  Turin ,  par  M .  l'abbé  Peyron; 
l'autre  en  Angleterre,  par  M.  Tattem.  En  même  temps  on  savant  italici» 


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REVUE  LITTÉRAIRS.  S86 

^i  a  pu  profiter  des  leçons  de  GhampoUioDy  M.  Sal^olioi,  poursuit  cou« 
rageosement  les  recherches  du  maître.  Soa  programme^  exposé  dans  une 
excellente  critique  de  Tabbé  Peyron,  est  de  nature  à  dissiper  toutes  les 
incertitudes.  Il  s'attache  principalement  aux  manuscrits  funéraires,  dont 
le  sens  est  à  peu  près  connu ,  et  qui  reproduisent  une  même  formule  con- 
sacrée par  la  religion  égyptienne.  Comparant  tous  les  groupes  aux- 
quels on  peut  attribuer  une  même  signification ,  il  en  note  scrupuleu- 
sement les  moindres  variantes.  S'il  parvient  à  prouver  qu'un  môme  mot 
est  écrit  tantôt  par  plusieurs  figures  jouant  le  rôle  de  lettres,  tantôt  par 
xme  seule  exprimant  un  symbole  ou  une  idée ,  il  aura  confirmé  la  thèse 
fondamentale  de  Champollion  par  une  démonstration  sans  réplique.  Le 
même  procédé  servira  tout  naturellement  de  confirmation  ou  de  correc- 
tif à  l'alphabet  recomposé  par  l'auteur  de  la  Grammaire  égyptienne.  Si  des 
travaux  dirigés  avec  tant  de  persévérance  et  de  sagacité  ne  conduisent 
pas  à  des  résultats  solides,  il  faudra  abandonner  le  déchiffrement  des 
hiéroglyphes  à  cette  race  de  fous  qui  cherche  encore  le  mouvement  per- 
pétuel et  la  transmutation  des  métaux. 

Le  dernier  recueil  publié  par  l'Académie  des  iuscriptions  contient  un 
mémoire  de  M.  Saint-Martin  sur  les  inscriptions  de  Persépolis,  que  le  cé- 
lèbre voyageur  Niebuhr  a  fait  connaître  à  l'Europe.  L'interprète  n'avait 
pas  à  vaincre  la  difficulté  principale  qui  compliquait  la  tâche  de  Cham- 
pollion. Le  doute  n'est  pas  possible  sur  la  valeur  alphabétique  des  carac- 
tères cunéiformes  (ainsi  nommés  parce  qu'ils  ont  la  figure  de  coins,  ou 
plutôt  de  fers  de  flèches,  diversement  agencés  pour  former  des  lettres). 
Cette  écriture  étant  assez  commune  dans  les  ruines  de  la  Médle,  de  li| 
^Sabylonie,  de  la  Bactriane,  se  trouvant  aussi  en  Arméuîe,  en  Egypte,  et 
en  général  dans  les  contrées  où  les  anciens  Perses  ont  porté  leurs  armes, 
il  est  naturel  de  chercher  à  la  traduire  par  l'idiome  de  ces  conquérans, 
le  zend,  le  plus  ancien  dialecte  de  la  langue  persane.  Les  inscriptions  de 
Persépolls  présentent  trente-neuf  caractères  différens.  M.  Saint-Martin 
j>rétend  en  avoir  reconnu  vingt-cinq,  douze  consonnes  et  treize  voyelles; 
^t  cet  alphabet,  quoique  incomplet,  lui  livre  le  sens  de  deux  inscriptions 
-^u'il  rapporte  à  Darius  età  Xerxès.  Sa  version,  très  différente  de  celles 
-  <qa'on  nous  avait  déjà  données  avant  lui,  n'est  pas  généralement  admise 
jiarles  érudits.  Leur  science  divinatoire  s'exerce  aujourd'hui  sur  d'autres 
snonumens  de  même  nature  récemment  découverts.  On  peut  espérer 
Hja'une  lecture  exacte  de  l'écriture  cunéiforme  jettera  enfin  quelque  lu« 
^^mière  sur  les  ténébreuses  annales  des  royaumes  asiatiques. 

Une  série  d'ouvrages,  que  M.  l'abbé  Delatouche  a  intitulés:  Études  h^ 
^^^aîques  et  Panorama  des  langues,  pourrait  bien  fournir  un  nouveau  grij 
^tox  adversaires  de  la  science  étymologique.  M.  Delatouche  prétend  a 


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ggO  RETUB  DM  DBUt  MOlfDBS» 

tronyé  dans  la  langae  des  Hébreux  un  certain  nombre  de  syllalbes  qal 
considère  comme  le  germe  de  toutes  les  autres  langues.  «  J'ai  tout  réduit, 
dit-il,  à  des  analogies  de  sons  que  j*ai  formulées  en  équations  et  en  ana- 
logies d'idées,  de  manière  à  ramener  tout  le  matériel  des  langues  à  vingt 
où  trente  racines  primitives.  »  Le  travail  de  M.  Delatooche  n'est  peut- 
èfre  pas  sans  valeur  comme  procédé  de  mnémotechnie  ;  fl  peut  terrirft 
cTâsser  dans  la  mémoire  des  élèves  le  matériel  des  langues;  mais,  préseolft^ 
comme  système  étymologique,  il  ne  soutiendrait  pasmteiela  discussîoo. 
Il  n'est  plus  permis  d'affirmer  des  étymologies  sur  de  simples  rapports 
de  consonnances.  L'histoire,  qui ,  aujourd'hui,  s'appuie  avec  tant  deiiie- 
cès  sur  la  philologie,  lui  demande  une  méthode  rationnelle,  précise.  Hfe 
ne  se  contente  plus,  pour  prouver  la  parenté  des  peuples,  da  rapprodie- 
ment  d'un  certain  nombre  de  mots  sans  liaison  naturelle  entre  éux.EBe 
forme,  au  contraire,  des  familles  d'idées,  des  séries  de  termes,  ponrosa- 
stater,  dans  l'expression,  les  similitudes  et  les  variantes  :  elle  met  ai  re- 
gard le  mécanisme  de  chaque  idiome.  C'est  la  stricte  observation  de« 
règles  qui  donne  un  grand  prix  au  Parallèle  des  langues  de  VEnrùpetlée 
TInde  (1),  laborieusement  établi  par  M.  Eichhoff.  La  conformité  radlofe 
du  sanscrit  avec  les  idiomes  européens  avait  déjà  été  signalée  par  pfo- 
sieurs  philologues;  mais  on  devra  à  M.  Eichhoff  une  démonstnûon 
claire  et  méthodique  de  ce  fait  intéressant.  Il  commence  par  distribuer 
les  langues  de  l'Europe  en  quatre  groupes  principaux ,  lo  Janguan' 
inaneSf  parlées  par  les  Phrygiens ,  les  Grecs,  les  Étrusques  et  les  lAÛm, 
et  dont  les  débris  entrent,  pour  la  plus  grande  part,  dans  la  formata 
dé  ntalien,  du  français,  de  l'espagnol ,  du  portugais  et  du  valaqoe; 
2o  langues  ceUiques,  dont  il  ne  reste  aujourd'hui  que  deux  dialectes  :  le 
gaélique ,  en  Ecosse  et  en  Irlande,  et  le  cymrique,  dans  le  pays  de  Gala 
et  la  Bretagne  française;  3o  langues  germaniques,  comprenant  les  idioaies 
tudesque,  saxon,  anglais,  normannique  et  gothique;  4^^  langues slawnMti 
qui  sont  le  russe,  le  polonais  et  le  lithuanien.  A  l'exception  de  trois  <&- 
lectes,  le  basque ,  le  hongrois  et  le  finnois,  toutes  les  langue  européesncs 
sont  embrassées  par  cette  énumération.  —  a  Considérées  quant  i  lev 
substance  même,  dit  M.  Eichhoff,  et  indépendamment  de  la  phraséologie, 
elles  sont  originairement  identiques,  c'est-à-dire  composées  des  nênKS 
racines  primitives,  que  l'influence  du  climat,  la  prononciation  nationafe) 
les  combinaisons  logiques,  ont  nuancées  de  diverses  manières,  Untdtei 
remplaçant  un  son  par  un  autre  son  homogène ,  tantôt  en  étendant  oae 
idée  du  sens  propre  au  sens  figuré ,  ou  en  la  graduant  par  une  dérivatin 
ct^ntinue,  sans  que  les  élémens  du  langage  en  soient  essentiellement  li* 

(i)  Grand  volume  iii-4i\  De  runprlmerie  rciyale.  Cliea  l'kiUev,  place  ëaLovne.i 
Prix:30fr. 


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UTos  uttAuibe*  4SBT 

'  térës.  »  —  Ainsi  qae  noos  Pavons  dit,  l'auteor  prouve  sa  thèse  par  une 
méthode  sûre  et  lumineuse  ;  avec  lui,  on  n'a  pas  à  crundre  les  iUusîoos 
qui  ont  jeté  tant  de  ridicules  sur  plusieurs  éty  mologistes.  Sa  comparaison 
embrasse  la  substance  et  Taccident ,  les  mots  et  leur  emploi  dans  le  lan- 
gage. Après  avoir  mis  en  regard  les  particules  pronominales  ou  indécil- 
nableSy  il  classe  les  noms  substantifs  en  huit  séries,  qui  comprennent  le 
monde  et  les  éiémens,  les  corps  organisés,  le  technique  des  arts  et  mé- 
tiers, les  qualifications  et  les  termes  métaphysiques  d'un  usage  habituel. 
Ainsi  se  trouve  formée  une  liste  de  cinq  cents  mots  environ,  qui,  expri- 
mant les  principaux  actes  de  la  vie  sociale,  représentent  suffisamment 
chaque  langue.  Le  mot  indien  forme  un  primitif  qu'on  reconnaît  facile- 
ment dans  plusieurs  idiomes  européens,  et  quelquefois  dans  tous.  Suivent 
cinq  cent  cinquante  verbes  monosyllabiques,  qui,  dans  le  sanscrit,  ontk 
qualité  de  radicaux,  et  qui  reparaissent  assez  fidèlement  dans  les  langues 
dérivées.  Enfin,  le  parallèle  fait  fonctionner  simultanément  le  mécanisme 
^grammatical  de  chaque  langue;  et,  eu  égard  à  l'élwgnement  des  temps  et 
des  lieux,  on  s'étonne  de  ne  pas  trouver  plus  de  dissemblance  dans  le 
procédé  d'agrégation  pour  les  mots  composés,  dans  la  génération  de$ 
désinences,  dans  les  modifications  des  noms  et  des  verbes.  Par  exemple, 
•on  s'explique  fecilement  certaines  anomalies  des  verbes  grecs,  quand  on 
remonte  à  la  conjugaison  indienne. 

On  sait  que  les  historiens  se  sont  emparés  des  découvertes  de  la  phile- 
iogie  pour  expliquer  les  origines  européennes.  Bs  font  manœuvrer  les  peu> 
pies  dans  des  ténèbres  si  épaisses ,  que,  pour  contrôler  leurs  récits,  il  fau* 
draît  lutter  d'audace  avec  eux.  Leur  vue  pénétrante  suit  d^abord  les  Ibé- 
riens,  qui  quittent  la  région  des  langues  sémitiques  oucfaaldéennes,  longent 
Je  littoral  de  l'Afrique,  pour  s'établir  dans  la  péninsule  qui  rappelle  leur 
nom,  et  de  là  dans  les  parties  de  la  Gaule  et  de  l'Italie  que  baigne  la 
Méditerranée.  Mais  ils  sont  pressés  de  toutes  parts  par  les  migrations 
successives  des  peupl^  de  race  indienne ,  et  dont  les  langues ,  d'origine 
sanscrite,  ont  donné  lieu  au  parallèle  qui  nous  occupe.  Ce  sont  d'abord  les 
familles  thrace  et  pélasgique  venant ,  l'une  par  le  Taurus,  et  l'autre  par 
la  Thessalie.  Une  'seconde  famille  quitte  le  berceau  asiatique,  franchit 
le  Caucase ,  et  entre  en  Europe  par  le  nord.  Ce  sont  les  Celtes  ou  Gadls 
qui  tendent  vers  le  midi ,  et  font  dans  la  Gaule  une  halte  commandée  par 
'  la  résistance  des  Ibériens.  Plus  tard,  d'autres  rameaux  détachés  de  la 
'  souche  indienne  suivent  la  même  voie  pour  former  le  faisceau  germa- 
'  nique.  Enfin,  les  nations  slaves^,  toujours  de  même  origine,  viennent 
s'échelonner  auprès  des  autres;  mais  elles  sont  obligées  de  céder  une 
partie  du  sel  européen  qui  leur  reste  à  des  tribus  de  sang  tartare,  qui 
donnent  naissance  aux  Hongrois  et  aux  Finnois. 


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ggg  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

M.  Eicbhoff  résume  dans  son  introduction  cette  théorie  des  migratiooii 
qu'on  pourrait  appeler  l'histoire  des  temps  anté-historiques  :  illefaitane 
beaucoup  de  réserve,  et  nous  dirons,  au  risque  d'être  indiscrets,  avec  une 
coquetterie  de  style,  qui  a  quelque  peu  scandalisé  les  érudits  de  profes- 
sion, n  faut  lui  savoir  gré  de  n'avoir  pas  donné  carrière  à  son  imagina- 
tion, en  formulant  un  système  absolu  d'ethnographie.  La  science  qui 
prétend  diviser  l'humanité  en  familles  naturelles  en  est  encore  aux  coo- 
jectures.  Les  deux  méthodes  qu'elle  a  employées  jusqu'ici  n'ont  donné 
que  des  résultats  contradictoires,  et  l'une  n'est  pas  plus  que  Tantre  à  Fa- 
bri  des  objections.  A  celle  qui  distingue  les  races  d'après  les  caractérei 
physiologiques,  on  peut  répondre  que  souvent  les  populations  ont  changé 
d'aspect,  et  qu'on  n'a  pas  encore  décidé  jusqu'à  quel  point  un  régime  phy- 
sique et  moral,  suivi  pendant  un  nombre  de  générations,  peut  modifier 
l'organisme.  L'autre  méthode,  qui  prononce  sur  l'affinité  des  peuples  pir 
la  comparaison  de  leurs  langages,  est  quelquefois  trompeuse.  Une  racesob- 
siste,  son  idiome  disparaît.  Par  exemple,  la  race  ibérienne,  aujounThm 
répartie  entre  les  peuples  de  langues  romanes,  n'aurait-elle  pas  été  rat- 
tachée comme  ceux-ci  à  la  souche  indienne,  si  son  curieux  idiome,  le 
basque,  ne  se  trouvait  pas  miraculeusement  conservé  dans  les  gorges  des 
Pyrénées,  pour  témoigner  de  son  origine  sémitique.  Ces  remarques  ne 
sont  pas  dirigées  contre  l'ethnographie  elle-même,  mais  contre  ceaxqd 
pourraient  ruiner  une  science  naissante,  en  lui  empruntant  des  résuluts 
hasardés  :  et  nous  avons  voulu  féliciter  un  habile  grammairien  d'avoir 
établi  un  fait  grammatical,  sans  tomber  dans  le  travers  de  certams  safau» 
qui  se  hâtent  de  ratUcher  les  destins  de  l'humanité  entière  au  point 
unique  qu'ils  ont  éclaircl. 

V.  —  mSTOIRE. 

Les  travaux  historiques  continuent  d'être  en  faveur  :  les  récits  origi- 
naux sont  collationnés  et  reproduits;  on  fouille  les  archives;  on  déblaie 
les  ruines.  Aux  monumens  humains ,  on  demande  des  témoignages  da 
passé;  aux  sciences  naturelles,  les  faits  organiques  qui  sont  de  tous  ks 
temps.  Les  diverses  écoles  sont  à  l'œuvre.  La  lourde  érudition,  qui  se 
nourrit  de  livres  dépecés,  heurte  l'hypothèse,  assez  creuse  pour  l'ordi- 
naire. Sans  doute  ce  mouvement  des  esprits,  qu'on  appelle  un  retour  aux 
études  graves ,  annonce  avant  tout  un  revirement  de  la  mode  littéraire! 
Parmi  les  entrepreneurs  de  narrations,  nous  reconnaîtrions,  à  coup  sàr, 
des  gens  qui  faisaient  le  roman  il  y  a  peu  d'années,  comme  ils  eussent 
fait  de  la  philosophie  sous  Diderot,  ou,  Delille  régnant,  de  la  poésie 
descriptive.  Du  moins  l'activité  engagée  en  cette  direction  ne  sera  pif 


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EETUE  LITTÉRAIRE.  589 

sans  résultats  durables.  Nous  lui  devrons  peu  d'histoires  achevéeSi  ieriles, 
mais  des  documens  ioédits,  des  compilations  intéressantes,  des  ébauches, 
qui  ont  le  mérite  d'indiquer  des  sources  et  de  grouper  des  faits;  en  un 
mot,  une  foule  de  livres  utiles  à  ceux  qui  s'appliqueront  avec  discerne- 
ment à  la  science  du  passé. 

L'histoire  des  religions,  qui  se  mêle  aujourd'hui  à  tous  les  genres  d'é* 
crit8,est  l'objet  spécial  de  plusieurs  publications.  M.  Anotde  Maizières  a 
réuni ,  sous  le  titre  de  Code  sacré  (1),  des  tableaux  où  sont  rapprochées 
ies  diverses  traditions  religieuses  sur  les  points  principaux  du  dogme 
et  de  la  morale.  C'est  un  atlas  destiné  à  l'étude  des  opinions  et  des  croyan- 
ces, qui  sans  doute  prendra  place,  dans  les  bibliothèques ,  à  côté  de  ceux 
qqi  exposent  les  révolutions  politiques  :  il  en  présente  les  avantages  réels 
et  les  inconvéniens  inévitables.  Nous  adresserons  à  M.  Anot  de  Maizières 
quelques  observations  critiques,  qui  ne  peuvent  pas  nuire  à  sa  compihi^ 
tion:  le  public  sait  fort  bien  que  discuter  les  détails  d'un  ouvrage,  c'est 
rendre  témoignage  de  sou  importance.  Nous  lisons  (  page  10  de  l'intro- 
dactiott')  :  —  a  La  religion  de  Fo  ou  Bouddhah ,  qui  marque  à  l'orient  la 
première  révolution  du  brahmabme,  est  tellement  identique  pour  le 
fond  de  la  doctrine  avec  la  religion  primitive ,  que  le  savant  Schlegel 
avoue  ne  pouvoir  l'en  distinguer,  d  «  Gomment  s*en  tenir  au  doute  sur 
Une  doctrine  qui  est  aujourd'hui  professée  par  plus  de  deux  cent  cinquante 
millions  d'hommes,  et  qui  se  trouve,  relativement  à  la  révélation  primi- 
tive deBrahma,dans  les  mêmes  termes  que  le  protestantisme  à  l'égard  da 
catholicisme.  Le  véritable  fondateur  du  boudhisme,  Shakia-Mouni ,  n'est 
pas  même  cité  une  seule  fois ,  et  nous  ne  savons  pourquoi  on  lui  donne  le 
nom  de  Fo,  un  des  plus  anciens  révélateurs  de  la  Chine.  Quant  à  cette 
dernière  contrée,  nous  voudrions  connaître  les  croyances  qui  l'ont  divisée 
long-temps,  et  qui  tendent  à  se  fondre  aujourd'hui ,  moins  par  persua- 
sion que  par  l'état  de  somnolence  où  se  trouvent  les  esprits.  La  secte  de 
Lao-Tseu ,  suivie  par  la  masse  du  peuple,  méritait  d'être  mentionnée 
autant  que  la  réforme  philosophique  de  Confucius.  En  suivant  l'histoire 
du  boudhisme,  qui,  repoussé  de  l'Inde,  où  il  prit  naissance,  a  débordé 
sur  la  Chine,  le  Japon,  le  Thibet,  la  presqu'île  malaise  et  Ceylan,  on 
aurait  obtenu  des  notions  plus  exactes  sur  les  pratiques  religieuses  de 
ces  derniers  pays.  L'auteur  du  Code  sacré  a  sans  doute  tracé  son  vaste 
cadre  avant  de  reconnaître  si  les  matériaux  valables  rassemblés  jusqu'ici 
étaient  assez  abondans  pour  le  remplir.  En  beaucoup  de  cas,  l'absence 
des  textes  sacrés  l'a  conduit  à  formuler  des  dogmes  d'après  des  autorités 


(1)  Ou  Exposé  comparatif  de  toutes  les  religions  de  la  terre.  Grax^d  atlas  in*lDUo.  Che» 
M^  i  éditeur,  rue  Gaénégaud ,  19, 


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KEYUB  WS  DEUX  MOlfABS. 
fort  coiïtesteblcs.  Quelques  phrases  empruntées  aux  historiens 
sur  les  sociétés  égyptiennes  et  celtiques  ne  peuvent  donner  que  des  wh 
tlons  fausses,  lorsqu'elles  ne  sont  pas  redressées  par  une  critique  int^ 
gente.  Les  fictions  poétiques  que  les  scoliastes  ont  grossièrement  sjsiif 
matisées  sous  le  nom  de  mythologie,  n*ont  pas  Timportance  d*un  TérttsUi 
code  religieux.  Il  fallait  éviter  du  moins  de  présenter  comme  législstfor 
Orphée,  dont  les  poésies  sont  apocryphes,  et  dont  rexisteooe  raème«t 
niée  par  Aristote  et  Cicéron.  Mais  si  M.  Ânot  paraît  étranger  aux  traran 
qui,  chaque  jour,  dévoilent  quelques-uns  des  mystères  du  monde  ori<ih 
tal ,  il  a  puisé  aux  bonnes  sources  pour  le  christianisme  et  les  schiiiMi 
qui  en  dérivent ,  tels  que  la  communion  grecque,  le  mahométisme  et  kl 
sectes  protestantes.  Nous  citerons  comme  particulièrement  inléressintii 
tableau  des  traditions  répandues  sur  la  terre  relativement  à  la  chute  k 
F  homme  et  à  sa  rédemption,  ainsi  que  ceux  où  sont  comparées  les  eéfé- 
ttonies  qui  consacrent  les  principaux  termes  humains,  la  »*?î«Mift%  k 
puberté ,  le  mariage,  la  mort. 

Quant  aux  feuilles  qui  exposent  les  devoirs  prescrits  à  Thosuiie  pir 
les  différentes  révélations,  elles  soulèvent  des  objections  graves.  Uafiii- 
eepte  cité  par  Platon  ou  par  Sénèque  ne  peut  pas  être  accepté  eomie 
Fexpression  fidèle  d'Osiris  ou  de  Numa.  Il  n*a  pas  plus  d'autorité  f» 
èmte  autre  phrase  proverbiale;  en  second  lieu ,  ces  maximes  transnlMi 
fdT  la  bouche  des  sages  ne  pouvant  que  recommander  les^  actions  loiia> 
blés,  on  donnerait  à  penser  que  toutes  les  croyances  ont  une  égale  n- 
lenr  en  pratique:  supposition  absurde  et  insoutenable.  La  véritable om»- 
lité  d'une  religion  ne  doit  pas  être  appréciée  par  les  prescriptions  qu'elle 
adresse  à  Pmdiridu,  mais  par  la  puissance  qu'elle  déploie  pour  transfor- 
mer  Findiridu  lui-même,  par  les  sentimenset  les  idées  que  ses  dogsiei 
ttigendrent,parla  voie  plus  ou  moins  noble  qu'elle  ouvre  à  Factifité 
humaine. 

C'est  à  ce  point  de  vue  que  M.  Auguste  Boulland  s'est  placé  pour  csfli- 
parer  dans  un  Essai  dThisMre  universelle  (1)  les  traditions  de  tous  les  peo- 
pies  depuis  les  temps  primitif  jusqu'à  nos  jours.  Son  livre  atteste  dn 
savoir,  de  longues  et  épineuses  recherches,  d'excellentes  intentions,  et 
cependant  nous  craignons  qu'il  ne  soit  pas  récompensé  par  le  succès  k 
la  tâche  immense  qu'il  s'est  imposée.  Au  lieu  de  laisser  parler  les  teim 
originaux  dans  une  version  simple  et  littérale,  il  a  cédé  à  la  malhenreoie 
pensée  de  faire  du  style  :  les  matériaux  les  plus  précieux,  enluminés  de  si 
main,  sont  devenus  méconnaissables.  Quand  il  s'agit  des  principes  sodaox, 
les  témoignages  de  la  tradition  ne  sauraient  être  trop  formels.  Une  pan- 

{!)  s  vflt  In^  lUnirie  de  Paulin,  ne  de  Setne,  35. 


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BC?OB  XITTiBAIRB.  99f 

phrase  en  langage  bftlique,  où  se  sont  donné  rendez-vous  tous  les  noms 
baroques  de  Tfaistoire  nnirerseUe,  rend  cette  lecture  sooyent  fatigante.  H 
est  difficile  de  remonter  aux  sources  dont  l'indication  est  très  vagne  :  de 
sorte  que  les  faits  si  péniblement  amassés  pour  établir  la  loi  do  dévdop^ 
pement  humanitaire^  ne  prouvent  rien  de  plus  que  Tiine  des  mille  hypo^ 
thèses  qui  courent  à  petit  bruit  danslemonde,  en  attendant  le  grand  jour 
où  la  société  leur  viendra  demander  son  salut* 

Avouons  qu*il  est  au-dessus  des  ibrces  ordinaires  de  Tintelligence  de 
saisir  l'esprit  de  toutes  les  religions  connues  et  d'en  constater  nettement 
la  valeur,  n  est  bien  difficile  déjà  d'en  approfondir  une  secde.  Ainsi ,  nous 
doutons  qu'on  possède  une  idée  bien  juste  du  christianisme ,  après  avoir 
lo  l'ouvrage  que  M.  de  Potter  présente  comme  le  fruit  de  vingt  années 
d'efforts.  Ce  n'est  pas  là  une  exagération  de  prospectus.  Toutes  les  pubti- 
cations  qui  ont  rempli  sa  vie  studieuse ,  se  rapportent  aux  annales  de  la 
société  chrétienne  et  se  trouvent  refondues  dans  V Histoire  philosophique^ 
politique  et  critique  de  l'Église  (1),  dont  le  premier  volume  vient  d'être 
livré  à  Texamen.  Une  introduction  très  développée  résume  les  doctrines 
de  l'auteur.  Ce  qui  l'a  déterminé  à  prendre  la  plume,  c'est  la  parité  de 
l'époque  actuelle  avec  celle  de  la  réforme  tentée  par  les  premiers  chré- 
tiens. —  «  G'est(nous  dit-il  y  page  x),  la  conviction  profondément  arrêtée 
que  nous  ne  parviendrons  à  recomposer  la  société  qui  se  dissout  qu'en 
invoquant  les  principes  fondamentaux  de  la  doctrine  de  Jésus ,  et  par  leS 
moyens  mis  en  œuvre  du  temps  des  ap6tres  et  de  leurs  disciples  immé« 
diatSy  c'est-à-dire  par  la  charité  et  le  dévouement  spontanés  comme 
religion  y  et  l'association  fraternelle  des  hommes  se  reconnaissant  tous 
égaux  en  droits  pour  base  d'institutions  sociales,  jd  —  Cet  exposé  semble 
promettre  des  études  sévères  sur  le  principe  dirétien,  des  recherdies 
sur  la  politique  des  apôtres ,  et  les  succès  vraiment  merveilleux  de  la  foi 
nouvelle.  En  effet,  les  histoires  connues  jusqu'ici  sont  loin  d'être  satis- 
faisantes sur  ce  point.  Celles  qui  ont  pour  auteurs  des  membres  du  clergé 
sont  moins  des  annales  que  des  apologies.  l.a  conversion  des  peuples  y 
est  expliquée  par  l'éclat  et  l'ascendant  des  miracles.  Le  moyen  cependant 
eût  été  assez  mal  choisi.  Le  don  des  miracles  n'était  pas  alors  un  privilège 
acquis  aux  chrétiens.  Les  traditions  de  cet  âge  attestent  des  faits  surna-» 
turels  bien  plus  inexplicables  que  les  guérisons  opérées  par  les  apôtres, 
et  les  théologiens  modernes,  ne  pouvant  repousser  les  témoignages  de 
l'antiquité  sans  danger  pour  leur  propre  croyance ,  ont  fait  honneur  aa 
diable  de  tous  les  prodiges  qui  ne  servaient  pas  directement  la  cause  de 
Bien.  L'un  des  plus  réservés,  l'abbé  Fleury,  dont  on  réimprime  présoa^ 

(f)  LttnitHe  is  Uâtûtt^  ras  aaaiefBiiiUe,  U»  ItVmvragB  «ira  hoU  vohun«t 


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g92  REYUB  DBS  BBUX  VOIOIBS. 

tement  la  yolamineose  histoire ,  raconte  Dalvemeut  que  SimoD-le-Magi- 
cien  s*est  élevé  en  l'air  soutenu  par  les  démons.  S'il  se  permet  on  doate 
sur  la  résurrection  d'une  jeune  fille  par  le  philosophe  Apollonius  de 
Tyane,  il  dit  en  toute  confiance,  d'après  Flavius  Josèphe,  que  l'an  onzième 
de  Néron,  une  vache  destinée  au  sacrifice  mit  bas  on  agneau  dans  le 
temple  de  Jérusalem ,  et  que  le  peuple  assemblé  tira  de  là  le  présage  de 
sa  ruine  prochaine.  D'un  autre  côté ,  les  écrivains  critiques  ne  donnait 
pas  meilleure /aison  des  conquêtes  du  christianisme.  Us  les  attribuent 
uniquement  à  la  supériorité  de  sa  morale.  Mais  déjà  plusieurs  écoles 
avaient  atteint  les  sublimités  de  la  théorie.  Les  Pères  de  l'église  le  re- 
connaissent volontiers ,  et  Lactance  ajoute  :  a  Sed  defendere  id  quod  inte- 
nerant  nequiveruni,  nec  ea  quœ  vera  senserant,  in  summam  redigere  potU' 
runtf  sicut  nos  fecimus.  ï>  Il  est  de  fait  encore  que  tous  les  révolutionnaires 
modernes,  depuis  les  Yaudois  jusqu'aux  Jacobins,  ont  fait  sonner  les  mots  de 
liberté  et  de  fraternité  y  sans  fonder  pour  cela  un  nouvel  ordre  social.  Cest 
qu'il  ne  suffît  pas  de  prêcher  le  dévouement  pour  déterminer  les  riches 
à  faire  bourse  commune  avec  les  pauvres ,  et  nous  persistons  à  croire  qu'il 
y  a  quelque  chose  d'inexpliqué  jusqu'à  présent  dans  l'action  irrésistible 
des  promoteurs  du  christianisme.  M.  de  Potter  a  entrevu  ces  difficultés, 
mais  confusément  et  sans  chercher  à  les  résoudre.  —  a  Malgré  l'instioet 
moral  ineffaçable  dans  l'homme  (dit-il,  page  cxxxui),  la  doctrine  sociale 
de  Jésus  aurait  fait  peu  de  progrès  dans  le  peuple,  si  elle  avait  été  pré- 
sentée sans  les  dogmes  destinés  à  remplacer  les  religions  dont  on  dé- 
pouillait le  monde,  s  —  Il  fallait  en  effet  que  le  dogme  chrétien  eût  no 
sens,  une  énergie  incontestable ,  pour  prévaloir  contre  les  croyances  éta- 
blies, et  les  hérésies  qui  lui  ont  opposé  constamment  d'autres  Tues  dogma- 
tiques. Ce  raisonnement  une  fois  admis,  il  devenait  naturel  d'étudier  le 
dogme,  et  d'en  établir  rigoureusement  la  valeur  civilisatrice.  Au  con- 
traire, le  jiouvel  historien  le  flétrit  sans  examen ,  et  le  traite,  en  vingt  pas- 
sages, de  jonglerie,  d'appât  grossier  jeté  aux  imaginations  populaires. 
Mais  pourquoi  M.  de  Potter  se  fût-il  imposé  la  lourde  tâche  de  pénétrer 
les  mystères,  de  ramener  à  un  sens  positif  les  langues  symboliques  créées 
par  le  génie  sacerdotal  ?  Il  n'y  aura  plus  de  dogme  dans  le  christianisme 
régénéré  qu'il  propose.  Ecoutons  son  évangile  (page  zlui)  :  —  «  Qu'oa 
croie  ou  non  à  la  Trinité,  à  la  résurrection  de  Jésus»  à  son  existence  même, 
è  la  chute  ou  à  la  rédemption  de  l'humanité,  à  telle  ou  telle  nature  de 
l'âme  humaine ,  on  n'en  sera  ni  plus  ni  moins  social ,  ni  plus  ni  moins  re- 
ligieux, tout  comme  si  on  croit  ou  ne  croit  pas  aux  incarnations  de  Yish- 
non ,  et  à  la  métempsycose ,  aux  émanations  du  panthéisme  et  de  la  kab- 
bale, aux  aventures  de  Jupiter,  au  paradis  de  Mahomet  ou  à  celui  d'Odin.i 
V.  de  fotter  caigne  emprunter  au  çhri^tî^isme  ce  qu*il  appelle  Télé* 


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RBTtTE  L1TT£lAIRB.  SUS 

mt  social,  c*esl-à-dire  le  précepte  de  la  charité,  delà  fraternité udî- 
rselles.  H  prêche  une  assodalion  libre,  renouvelée  du  temps  des  apôtres, 
les  riches  vendaient  leur  bien  pour  former  un  fonds  social  commun. 
(que  le  christianisme  n'a  obtenu  qu'un  instant,  et  par  des.  moyens  de 
rsnasion  dont  nous  n'avons  plus  rmtelligence,  la  philosophie  vèritahlej 
lie  de  M.  de  Potter,  -^  a  a  mission  de  le  faire  et  le  fera.  Elle  réunira 
unira  tous  les  hommes,  juifs,  chrétiens,  mahométans  et  idolâtres,  sec- 
teurs de  Boudha  et  de  Gonfucius,  croyans  et  sceptiques,  déistes,  pan- 
éistes  et  même  athées,  pourvu  qu'ils  reconnaissent  les  droits  de 
lomme,  croient  à  la  justice  et  aiment  leurs  semblables  (p.  197).  »  Voilà 
rtes  un  magnifique  programme,  et  nous  regrettons  bien  de  n'avoir  pas 
isi  la  base  logique  d'une  philosophie  qui  promet  tant  de  merveil- 
s.  L'auteur  avoue  que  l'individualisme  absolu  est  la  négation  de  la  so- 
été ,  et  rend  impossible  tout  rapprochement  durable.  Il  repousse  éga- 
ment  le  sens  que  les  catholiques  attribuent  au  mot  autorité.  Est-ce 
lie  la  raison  qu'il  préconise  ne  serait  pas  plus  la  raison  de  chacun  que 
iUcde  tout  le  monde?  M.  de  Potter  lèvera  facilement  cette  difficulté.  H 
ossède  un  argument  qui  répond  à  tout,  si  bien  qu'il  se  pose  à  lui-même 
es  objections  pour  se  donner  le  plaisir  de  les  détruire.  Voici  le  raison- 
ement,  fort  sensé  d'ailleurs,  qu'il  prête  à  ses  adversaires  (page  xxxviii}  : 
-  a  Que  mettrez-vous,  en  attendant  que  la  philosophie  ait  pris  corps,  à  la 
lace  de  la  société ,  telle  que  le  christianisme  et  le  catholicisme  l'ont  con- 
lituée?  —  Je  n'en  sais  rien,  répond-il,  ni  ne  dois  le  savoir,  caria  phi- 
)sophie  que  vous  craignez  tant,  ne  sera  jamais  un  système  complet  et 
rrêté  d'avance....  Il  y  aura  toujours  mouvement ,  c'est-à-dire  développe- 
iient,  variation ,  progrés  !  o 

Par  cette  appréciation  du  philosophe,  on  peut  se  faire  une  idée  de  l'his- 
orien.  Les  trois  premiers  livres,  qui,  avec  l'introduction,  forment  le 
)remier  volume,  conduisent  jusqu'à  la  fin  du  it«  siècle  de  l'église  et  aux 
laerelles  suscitées  par  les  novatiens,  à  l'occasion  des  canons  pénitentiaux, 
époque  intéressante  pour  les  origines  du  droit  ecclésiastique.  M.  de  Pet- 
er n'a  pas  prétendu  animer  le  tableau  des  évènemens  :  sa  narration  ne 
rise  jamais  à  l'effet  dramatique.  Il  reconnaît  au  contraire  les  imperfec- 
tions de  son  style,  et  fait  valoir  sa  condition  d'étranger  comme  un  droit  à 
l'indulgence.  Son  livre  n'est,  à  vrai  dire,  qu'une  série  de  dissertations  et 
d'aperçus  critiques  sur  les  faits  principaux  des  annales  sacrées.  Il  nous 
semble  dicté  dans  un  esprit  de  scepticisme  et  de  dénigrement  qui  n'est 
plus  de  notre  siècle.  Ainsi,  après  avoir  renouvelé  sur  l'existence  même  de 
Jésus-Christ  des  doutes  assez  ridiculement  fondés  sur  le  silence  de  Flavius 
Josèphe  et  de  Philon  le  Juif,  l'auteur  évite  de  se  prononcer  sur  ce  point 
fondamental.  Les  hérésies  présentaient  autant  de  prt^lèmes  qui  sont  en- 

TOHB  YU.  38 


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SIM  EEYUE  HES  MOX  liO»ES. 

Gore  sans  lolatioD.  N'est-il  pas  évident  qm,  lorsque  les  oonciki  iAhmI<> 
taientuneopinioDet  rejetaient  Fantre,  ils  obéissaient  à  une  poli|i^pie<p^ 
serait  important  de  connaître,  et  qu'on  parviendrait  peut^tre  à  déaîte 
avec  de  la  sagacité  et  de  la  pénétration  philosophique?  Trop  souvent  ks 
jogemens  sont  appuyés  sur  des  faits  tronqués  et  des  citaitioiis  sais  auto- 
rité. Par  exemple,  pour  contester  la  part  du  christianisme  à  rénaocipi- 
tion  de  la  femme ,  on  cite  l'incident  soulevé  au  second  concile  de  Hkoa. 
par  un  évéque,  qui  déclare  que  la  femme  ne  déviait  pas  être  cosipriflem» 
le  terme  générique  homme.  Il  était  bon  d'ajouter  que  cet  évèque  fntaoi- 
sitôt  réduit  au  silence,  et  que  les  actes  du  concile  n'ont  pas  mèane  Uà 
mention  cl'une  bouUde  rapportée  seulement  par  Grégoire  de  Tours.  Rica 
de  plus  injuste  que  le  chapitre  consacré  à  l'exposition  de  la  morale  da 
Pères.  Les  exen^es  de  niaiserie  qu'on  y  rassemble  n'ont  jamais  été  Tex* 
pression  du  corps  entier.  Nous  croirons  que  les  Pères  interdisaieat  us 
chrétiens  l'étude  de  la  grammaire  quand  on  aura  prouvé  qu'ils  éuiot 
eux-mêmes  illettrés  pour  leur  temps.  Il  suffit  d'un  peu  de  patience  pour 
trouver  quelques  assertions  erronées,  quelques  phrases  ridicules,  dans  la 
masse  énorme  de  volumes  qu'ont  produits  ces  grands  hommes  :  mais  il  ùo- 
drait  de  la  science  vraie  et  un  esprit  élevé  pour  dominer  leur  doctriae 
et  en  saisir  l'aspect  général. 

Le  principal  intérêt  de  l'histoire  de  l'église  consiste  dans  cette  andti<- 
tude  de  citations,  de  notes  et  d'appendices  qui  la  surchargent.  Ce  lourd 
bagage  d'érudition  n'appartient  pas  en  toute  propriété  à  M.  de  Potier. 
Les  vingt  années  qu'il  a  employées  en  recherches  n'auraient  pas  suffi  poff 
épuiser  la  moitié  des  textes  qu'il  invoque.  Il  a  dû  profiter  des  ioiineoRi 
travaux  de  critique  entrepris  par  les  premiers  réformés,  dans  le  H 
d'éclairer  les  origines  chrétiennes,  et  poussés  dans  une  autre  directi« 
par  l'école  philosophique  du  dernier  siècle.  En  résumé,  ce  livre  peut  à^ 
venir  utile  par  l'indication  de  beaucoup  de  sources  dont  la  trace  est  ^ 
néralement  perdue;  mais  il  arrive  trop  tard,  selon  nous.  Son  sucoèsett 
été  certain  il  y  a  dix  ans,  sous  le  règne  du  vieux  libéralisme .  Cest  que  le  wi 
It6éra/»  celui  de  la  restauration,  n'était  pas  un  fiévreux  comme  nous lo- 
tres,  qui,  sous  prétexte  d'indépendance,  creusons  les  faits,  pesons  les  té- 
moignages, éloignons  de  nous,  autant  que  possible,  les  préventions  aer 
quines.  Il  possédait  une  somme  d'idées  fixes  qu'on  avait  greffées  sur  tai 
et  qui  végétaient  avec  lui.  Il  pratiquait  la  tolérance,  suivant  la  loi  do 
patriarche  de  Femey,  et,  à  l'exception  de  trois  grandes  classes,  il  eôtité 
son  chapeau  à  tout  le  genre  humain.  Ces  classes,  on  les  connaît  :  les  tyran 
jusqu'aux  commissaires,  ceux  qui  sont  assez  nalCs  pour  se  dire  noble$,«> 
assez  tonsurés  pour  s*estimer  prêtres.  On  a  dit  que  le  libéral  n*exisiepto 
aujourd'hui,  et  que  l'espèce  entière  a  disparu  dans  le  grand  catadjP^ 


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UfUB  LmiftÀHA*  ((95 

i  iS90.  Si  le  tinistre  le  CÊnÈrin»,  si  t*oii  ne  retreove  pa§  qeelqaes  wâi^ 
doB  de  la  famille  blottis  dans  les  Boiis«'préfectBre89  les  chasibres  de  jus* 
1^6  ou  la  garde  natiooaley  les  éditeiirsde  M.  de  Pouer  deTront  {Hreodre 
deuil. 

HiaTOiBB  ABcauuiB  BT  àMC0Éoh9Gm.'^Vn  Boorean  Totnme  de  l'Hit- 
»ire  romaine  de  Niebuhr  vient  d'être  traduit  et  publié  par  M.  deOol» 
éry  (l).  Il  commence  avec  le  n*  siècle ,  à  compter  de  la  fondation  de  ht 
ille,  et  conduit  juaqu^à  Tan  874*  Cette  époque  est  signalée  par  deux  grands 
dis  qui  constitoent  définitivement  la  nationalité  romaine.  Cest  rétablisse» 
lent  de  la  loi  des  douze  tàbhu,  qui  substitua  le  droit  écrit  et  positif  aux 
icertiludes  de  la  coutume  et  de  l'arbitrage  :  oeuvre  imparfaite  sans 
kmte»  que  les  ameademens  et  add^iens  nécessaires  ne  tardèrent  pas  i 
ransformer,  mais  qui ,  jusqu'à  la  ruine  de  la  j^épublique,  oenserra  entre 
M  deux  ordres  divisés  d'intérêts^  l'aulorité  d'un  contrai  social.  Plus  tard, 
'est  la  race  gauloise  qui  y  après  une  désastreuse  invasion ,  demeore  sus* 
tendue  aux  flancs  des  Alpee,  coame  un  lorrent  toujours  prêt  à  se  re- 
tendre .  Les  petits  états  de  ritaliCy  jusqu'alors  jalooz  de  leur  indépendance, 
e  familiarisent  par  crainte  avec  l'idée  d'une  fusion.  La  seule  puissance 
|ui  ait  montré  de  la  vi^^ur  lors  de  la  premî^^  attaque ,  Rome ,  se  fait 
m  titre  de  ses  mines  comme  un  cbef  de  ses  bèsssures.  Un  meuvement 
le  concentration  s'opère  enu  faveur.  Les  populations  qai  se  laissent  idi- 
lorber  par  elle  assurent  sa  prépondérance  et  kd  permeltenl  d'écraser  les 
^ités  rivales  qui  résistaient  encore.  Borne  devient  ainsi  la  forteresse  de 
ntalie.  Elle  dominera  le  pays,  mais  à  condition  de  le  pretéger,  et  son  ré- 
^me  intérieur,  confiormé  à  cette  tâche,  ne  sera  qu'une  consigne  mili- 
taire qui  va  la  conduire  à  des  conquêtes  immenses,  à  un  éclat  menteur,  à 
des  misères  très  réelles.  L'époque  comprise  entre  ces  deux  termes  est 
parement  tusterique.  EUe  n'offre  plus  matière  aux  interprétations  har- 
dies, aux  décisions  emijecturalesyqniy  dans  les  premiers  livres'de  Niebnhr, 
consacrés  aux  origines,  ont  olfosqué  tout  ce  qui  restait  de  dévots  è  l'anti* 
quité.  La  savante  critique  de  l'auteur  allemand  s'eierce  cette  Ibis  sur  la 
légiriation  et  les  expériences 'politiques  si  fréquemment  renouvelées  chez 
les  Romains.  Cette  partie  de  son  travail  est  une  véritable  création.  Il  est 
vrai  qu'il  possédait  sur  ses  devanciers  un  avantage  immense.  Depuis  un 
demi-siècle,  toutes  les  combinaisons  sociales  ont  été  discutées,  et  toutes 
les  formes  de  gouvernement  reproduites.  Le  spectacle  des  révolutions  a 
dû  fournir  aux  historiens  de  notre  temps  une  science  pratique  plus  utile 
pour  la  parfaite  intelligence  des  textes,  que  l'exubérante  érudition  des 
anciens  philologues.  Ainsi,  dans  Niebuhr,.une  loi  romaine  se  trouvera 

(1)  Chez  Levraut,  libialn,  me  de  la  Harpe,  SI. 

38. 


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586  REYUB  DIS  DBDX  HOHDES. 

quelque  sorte  commentée  par  son  rapprochement  avec  une  loi  françtiie. 
Les  fastes  du  parlement  britannique  expliqueront  un  incident  souleré  n 
sein  du  sénat.  Cette  méthode  donne  lieu  à  des  aperças  aouYenl  neob,  et 
dont  lespublicistes  modernes  pourraient  faire  leur  profit.  Le  passage  sd- 
yant  nous  parait  dans  ce  cas  :  —  «  Dans  l'antiquité,  dit  l'auteur  au  ssiet 
de  la  mission  législatrice  confiée  aux  décemfirs,  on  ne  votait  jamais  sur 
les  articles  d'une  loi;  l'on  ne  votait  pas  non  plus  sur  des  changemeos  pro- 
posés par  d'autres  que  par  ses  rédacteurs*  On  adoptait  ou  l'onrejetst 
l'ensemble  et  dans  sa  forme  primitive,  d  —  Cette  remarque  est  dérdop- 
pée  dans  une  note  ainsi  conçue  :  —  «  Depuis  l'assemblée  oonstitnaote,  le 
contraire  se  pratique  sur  le  continent.  Sous  la  restaurittoD,  surtout,  la 
amendemens  des  commissions  ont  souvent  changé  Teqirit  de  la  loi,  ce 
qui. n'eût  été  qu'un  petit  mal;^  mais  il  y  en  eut  d'improvisés  qui  y  intnh 
duisirent  des  changemens  et  des  contradictions*  Grâce  à  la  raisoa  ^ 
préside  encore  aux  affaires  politiques  de  l'Angleterre,  elle  est  deoenrée 
étrangère  à  cette  singulière  opinion,  que  la  perfection  peut  résulter  d'osé 
sagesse  collective,  d 

L'histoire,  ainsi  traitée,  gagne  sans  doute  en  vérité  et  en  précisioo^aiaii 
ne  perd-elle  pas  beaucoup  en  intérêt  et  en  puissance?  Le  meurtre  de 
Tirginie,  la  prise  de  Rome  par  les  Gaulois,  l'exil  de  Camille,  la  cobjqiv 
tion  de  Manlius,  et  tant  d'épisodes  qui  ont  animé  d'admirables  tableaux, 
ne  causent  pas  i^us  d'émotion  chez  le  critique  aUemand  qu'on  cowpl» 
rendu  de  gazette.  Tous  ces  braves  Romains  qui ,  mis  en  scène  par  Tile- 
Live ,  Rollin  ou  Yertot ,  jouaient  si  magnifiquement  leurs  r6les  de  fnaè 
hommes,  ont  disparu.  Après  les  illusions  du  drame,  c'est  l'analyse  à 
feuilleton. 

Le  Précis  des  guerres  de  César  (1),  par  Napoléon ,  annonce  une  ces- 
naissance  parfaite  des  plans,  des  ressources,  des  intentions  du  capitaisB 
romain.  On  y  croit  sentir  une  mystérieuse  intelligence  établie  entre  deex 
grands  génies.  Le  bulletin  de  chaque  campagne  de  César  est  suiri  d'ob* 
servations  oCi  le  commentateur  français  expose  en  maître  tes  variatiotf 
et  les  progrèsde  la  science  militaire.  Quelquefois,  après  avoir  établi  soi- 
dément  les  légions  romaines  dans  leur  camp  retranché,  il  se  donne fe 
plaisir  de  les  entamer  avec  l'artillerie,  de  les  culbuter  avec  quelques  ligi* 
mens  français.  Le  style  est  net ,  exact ,  parlant.  Il  ne  justifie  pas  cepeadait 
le  titre  d'écrivain,  qu'on  a  trop  souvent  ajouté  aux  titres  plus  lé^ttnei 
de  Napoléon. 

fi  Nous>vons  remarqué  dans  le  dernier  volume  publié  par  l'Académie  àfi 
Inscriptions  et  Belles-Lettres,  cinq  Mémoires  sur  l'histoire  romaine ,  p0 

(i)  Librairie  de  Qaxkê  Goeielio,  niQ  6ftim-Gcnii«io-dei-Ms« 


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RBTUK  urriftAnx.  891 

.  Doreau  de  U  Malle.  H  suffira  de  leur  emprunter  quelques  condusiens 
)ur  en  faire  apprécier  rimportaoce  et  le  mérite.  Le  premier  détermine 
étendue  et  la  population  de  Rome  ancienne.  Les  historiens  les  plus  mo- 
irés ,  adoptant  sans  examen  les  évaluations  de  Juste-Lipse  et  de  Yossius, 
icordaient  à  la  grande  cité  trois  à  quatre  millions  d'habitans.  M.  de 
hàteaubriand  lui-même  a  reproduit  cette  erreur  dans  ses  Études  hUto" 
qves»  Au  dernier  siècle ,  on  avait  condamné^  comme  un  crime  de  lèse- 
lajesté  romaine,  la  conjecture  de  l'abbé Brottier, qui  réduisait  ce  nombre 
douze  cent  mille.  Aujourd'hui ,  M.  Dureau  de  la  Malle  démontre  l'exa- 
èration  de  ce  dernier  chiffre  dans  une  série  de  calculs  et  de  raisonne- 
leos  qui  épuisent  le  problème.  La  trace  des  deux  enceintes  de  murailles 
été  parfaitement  reconnue  et  mesurée  géométriquement.  La  première, 
acée  par  Servius  Tullius,  et  qui  suffit  à  Rome  républicaine,  a  638  hec* 
Lres  de  superficie  ;  la  seconde ,  élevée  huit  siècles  plus  tard  par  Aurélien , 
coupe  1,396  hectares ,  c'est-à-dire  les  deux  cinquièmes  environ  de  la  su- 
erficle  de  Paris.  Mais  la  capitale  de  l'Italie  renfermait  peut-être  une 
opulation  plus  pressée  que  celle  de  la  France  T  Le  président  de  Brosses 
it  à  ce  sujet,  dans  les  lettres  intéressantes  qu'on  vient  de  publier  récem- 
lent  :  a  II  fallait  que  les  ménages  fussent  entassés  les  uns  sur  les  autres , 
omme  à  Pékin,  où ,  selon  ce  que  j'ai  appris  d'un  missionnaire ,  une  fa« 
oille  de  douze  personnes  n'a  pour  tout  logement  qu'une  chambre  de 
randeur  médiocre  où  tous  les  gens  couchent  sur  une  estrade,  rangés  à 
été  les  uns  des  autres  comme  des  éperlans.  j»  Cette  supposition  ridicule 
ist  enfin  renversée  par  les  recherches  du  savant  académicien.  Rome  im* 
)ériale  était  enceinte  de  murs,  d'un  rempart  et  d'un  fossé  très  large, 
î^aris  n'a  qu'un  mur  de  clôture  simple  de  deux  pieds  d'épaisseur;  Rome 
mût  275  places  ou  carrefours,  Paris  n'en  a  que  70;  il  existait  dans  la 
nlle  antique  424  temples  entourés  ordinairement  de  bois  sacrés ,  nous 
x>mptons  seulement  50  églises.  Les  habitations  des  nobles,  rendez-vous 
l'une  nombreuse  dientelle,  devaient  être  plus  vastes  que  nos  plus  riches 
bétels ,  et ,  par  exemple ,  le  palaii  d^or  de  Méron ,  où  se  trouvait  la  sta* 
tue  colossale  de  cet  empereur,  haute  de  cent  vingt  pieds,  occupait  seul 
plus  de  terrain  que  les  Tuileries,  le  Louvre  et  le  Luxembourg  réunis. 
Les  cirques,  les  théâtres,  les  promenades  n'étaient  pas  moins  multipliés 
à  Rome  qu'à  Paris;  et,  dans  cette  dernière  ville,  les  bains  ne  tiennent  pas 
la  vingtième  partie  de  la  place  qui,  dans  l'autre,  était  envahie  par  les 
thermes  publics  et  particuliers.  La  hauteur  des  édifices,  restreinte  par  les 
réglemens  de  salubrité ,  n'excédait  pas  celle  des  nôtres.  L'espace  livré  à 
rbabitalion  à  Rome  est  donc  facilement  appréciable.  Or,  en  admettant  ^ 
coDtre  toutes  probabilités,  que  cet  espace  fût  comparativement  deux 
fois  plus  garni  que  les  plus  populeux  quartiers  de  Paris^  la  Rome  d'ÀQ« 


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^gosls  n'iNvait  «mok  enfermé  que  967,000  habitans.  B  fmOrét Mk 
«»  chiffre  poar  fenoeiiite  (fAnréKea ,  qui  est  encore  ceie  de  mjm, 
•noiiitUporlioBsitaéeaiMielà  duTibreetajoQtéeparlwpipef.QHt4 
J|a  popalalioii  éaa  fanboargs ,  ou  pkitôt  de  hi  banHeoe ,  qo'oo  ptvnki 
la  nfoesr  joindre  à eeHe  de  la  fflle,  il  n^t  pas  pooible  de  réfM 
fins  de  llOyOOC^  létes.  Ainsi,  Rome,  dans  sa  pins  grande  exteoM,! 
mi  Y  comprenant  le  suhurhhÊm,  n'a  pas  dû  compter  phis  de  9Sêjmw 
difidoi  de  loatet  classes,  et  peat-etre  en  a-t-eUe  possédé  ksof 


La  ttonstmense  errenr  qai  entassait  des  miHîons  de  RomiiBm 
«Eiperfide  moitié  moins  grande  que  celle  de  Paris,  a  été  accrédilée|rl 
Aasse  ialerprétalion  d'an  passage  de  Pobltus  Victor.  Cet  écrifiii.fi* 
laissé  une  deaeription  de  Rome  an  iv»  siècle  de  notre  ère,  mâtém' 
roa  après  lesianovalioBS  d'AuréHen ,  dit  qu'alors  on  comptait  i0lp# 
(éomuê )  et  45,74M^  lusulof.  Mais  les  critiques  modernes  ne  reaofM 
pas  que  ce  mot  avait  pris  dÎTcrses  acceptions.  Dans  l'origine,  ptr  «esê> 
taphore  très  natnreile ,  on  donnait  le  nom  d'Ifes  à  ces  m^tsâbtmfÊkè 
maiions  isolés  de  tous  côtés  par  les  rues.  Ces  groupes  résenéiat  pl^ 
bléîens  étaient ,  comme  chez  nous  ,iM)rdés  de  boutiques  ;  fonge^  K^ 
capricieux,  fit  passer  à  la  partie  le  nom  du  tout.  Plus  tard,  lesptffM 
pour  augmenter  leurs  revenus ,  ne  dédaignèrent  pas  de  biiecii^ 
4es  basars  pour  les  marchands,  ou  même  de  pratiquer sor  h fMi* 
leurs  demeures  de  petits  logemens  dont  les  locataires  consemiolki^ 
nom  d'iiiftilslres.  Le  plan  des  anciens  édifices ,  ou  de  nombres!  enapis 
puisés  dans  le  droit  de  cette  époque,  prouvent  jusqu'à  l'éTideBte  <^^ 
«ot  inntkB  a  très  souvent  la  signification  de  bovllgiie,  etqAKP' 
avoir  d'autre  sens  dans  le  ikmeux  passage  de  Publius  Victor.  Fv^ 
Interprétation ,  touts^xplique.  Au  lieu  de  ces  groupes  de  miisoBKà^* 
ientasiait  des  famiMes ,  nous  avons  des  ccAlules  qui  pouvaient,  à  h  rip^> 
ne^oentenir  qu'un  locataire;  et  la  population  de  Rome  ancienDe,éfii>^ 
^'après  ces  bases,  se  trouve  en  rapport  parfait  avec  la  topographie ^^ 
ville,  avec  les  dénonbremens  et  la  consommation  jonmdièredesâe*^ 
mentionnés  dans  les  annales. 

Ces  données  neuves  et  intéressantes  reçoivent  une  confirmili»  ^ 
torique  des  mémoires  suivans  de  M.  Dureau  de  la  Malle.  Uoefode^*' 
moignages  établissent  que  la  population  italique  était  très  foibleso^ 
domination  dévorante  des  Romains,  et  qu'elle  n'a  pas  cessé  de  s'u»**^ 
depuis  le  temps  des  Gracques,  ou,  si  l'on  veut,  depuis  le trioiapb« 
Foligarchie  jusqu'à  celui  de  la  démocratie  représentée  par  lesemper^ 
On  manque  de  renseignemens  sur  la  race  esclave;  elle  éuit  rcoos^ 
\  cesse  par  les  recrutemens  en  pays  étranger».  Quant  à  la  popol^^ 


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MT«  UTTÉRAIMU 

>rey  on  es  peut  érahier  leiiooibre«t  le  dépérisfenieDC  fooeeislf  par  les 
eensemens  des  bemmes  en  état  de  porter  les  armes*  La  république 
mptaft  sept  cent  emquante  mille  citeyeos  de  dix-^ept  à  soixante  ans 
sndmt  le  siède  où  elle  a  vaincu  Aimibal,  soumis  la  Ckule  cisalpine^  la 
icUe  et  l'Espagne.  La  population  libre  était  déjà  moindre  lorsqu'elle 
ibjiigiia  lUlyrie,  rfipire,  la  Grèce,  la  Maeédoine»  l'Afrique  et  l'Asie 
âneare.  Plus  tard,  l'empire  s'étant  accru  de  la  Syrie,  de  la  Palestine,  de 
Egypte  et  des  Gaules,  le  droit  de  cité  était  acquise  presque  toute  l'Ita- 
e ,  et  cependant  le  recensement  opéré  par  César  ne  donna  plus  que 
oatre  cent  cinquante  mille  citoyens  de  dix«sept  à  soixante  ans  (1).  Sur  ce 
ombre  trois  cent  vingt  mille  se  trouvaient  dans  le  plus  complet  dénué- 
aent.  Ds  n'en  exerçaient  pas  moins  les  droits  politiques  attachés  à  leur 
[ualité  de  citoyens  romains.  C'était  unpeiiple  de  rois,  comme  il  s'appelait 
ui^mème,  mais  de  rois  à  l'indigence,  qui,  après  avoir  décidé  des  afTaires 
lu  monde,  recevaient  chaque  jour  de  la  charité  publique  une  ration  de 
min ,  de  viande,  d'huile  et  de  vin. 

On  s*étonne  d'abord  des  grandes  choses  accomplies  avec  d'aussi  faibles 
xtoyens.  Mais  cette  poignée  d'hommes,  qu'on  est  tenté  de  prendre  en 
[Htlé  quand  on  la  considère  comme  nation,  serrée  en  légions  sur  le  champ- 
de-bataille,  formait  une  armée  redoutable.  Remarquons  encore  que  soit 
bonheur,  soit  prudence,  les  Romains  se  heurtèrent  rarement  à  des  corps 
politiques  résistans  et  fortement  organisés,  comme  ceux  qui  se  font  équi- 
libre dans  l'Europe  moderne. 

Un  autre  Mémoire,  non  moins  instructif,  de  M. Bureau  de  La  Malle, 
concerne  l'administration  romaine  en  Italie  et  dans  les  provinces  conqui- 
ses pendant  le  dernier  siècle  de  la  république.  H  nous  montre  d'une  part 
la  nation  dominatrice,  épuisée  d'hommes,  inhabile  à  produire,  et  affa- 
mée pour  peu  qu'un  pirate  intercepte  les  denrées  qu'elle  ne  sait  plus 
obtenir  de  son  propre  sol.  Par  un  contraste  frappant,  les  provinces  sont 
écrasées  de  tributs  énormes,  frappées  de  réquisitions  en  milices,  en  vi- 
vres, en  vaisseaux,  sans  défense  contre  l'avidité  insatiable  des  Verres  et 
des  Flaccus ,  et  cependant  elles  réparent  comme  par  enchantement  tout 
ce  que  les  vainqueurs  dévorent  en  population  et  en  richesses»  Cest  qu'un 
préjugé  ordinaire  aux  peuples  conquérans  flétrissait  à  Rome  tout  autre 
travail  que  celui  des  armes.  Les  Romains  demeurèrent  constamment 
étrangers  aux  notions  qu'on  a  de  nos  jours  systématisées  sous  le  nom  d'é- 
conomie politique.  Us  ne  comprenaient  qu'un  seul  genre  de  spéculation , 


(I)  La  France  possède  aïOoardlial  enyiron  neuf  nUlUora  de  eitùuens  de  dii-aept  à 
soixante  ans ,  c'est-à-dire  une  force  vlfile  vingt  Mi  plus  grande  que  celle  de  r«inpire  ro- 
BùOn  au  temps  de  César* 


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QOO  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

Tusure,  et  notaient  d*infainie  beaucoup  de  professions  utiles.  Les  vaincasi 
au  contraire,  honoraient  les  arts,  les  sciences ,  la  navigation;  quelquefoii 
même  ils  récompensaient  par  des  prérogatives-  sociales  les  serrices  in- 
dustriels,  et  le  commerce  ne  tardait  pas  à  ramener  dans  les  cités  mau- 
facturières  les  trésors  que  la  violence  avait  entassés  à  Rome. 

Nous  signalerons  enfin  de  savantes  recherches  sur  le  système  métrique 
des  anciens,  suivies  de  dix-sept  tables  de  conversions  en  poids,  mesura 
et  monnaies  françaises.  Une  note  de  ce  travail  caractérise  si  bien  la  pro- 
bité, la  patience  et  autres  vertus  académiques,  que  nous  regardons 
comme  un  devoir  de  la  reproduire,  a  Ce  Mémoire,  dit  M.  Durean  de  Li 
Malle,  composé  en  1824,  je  Tai  gardé  dix  ans  sans  le  publier,  vérifiait 
mes  bases,  appelant  sans  cesse  la  critique  sur  la  solidité  de  mes  déduc- 
tions. »  Et  plus  bas,  à  l'occasion  d'un  dissentiment  avec  M.  LetroDDe,il 
ajoute  solennellement  :  a  Le  jugement  de  nos  pairs  dans  les  deux  Acidé- 
mies,  et  celui  des  savans  de  FEurope  qui  s'occupent  de  cette  questioa 
grave  et  compliquée,  décidieront  entre  nous.  Je  l'attends  avec  calme,  et  je 
m'y  soumettrai  sans  appel,  d 

M.  Saint-Martin  fait  avec  M.  Bureau  de  La  Malle  les  honneurs  do  ro- 
lume.  Outre  le  mémoire  sur  les  inscriptions  de  Persépolis,  que  nousaïQos 
eu  occasion  de  citer,  il  a  déterminé,  d'après  des  calcub  astronomiques, 
une  date  de  l'histoire  ancienne,  qui  est  sans  importance  par  elle-mém^ 
mais  qui  offre  un  point  fixe  pour  rattacher  solidement  la  chronologie  gé- 
nérale. Il  s'agit  de  l'écIipse  prédite  par  Thaïes,  qui  suspendit  unebataiOe 
entre  les  Mèdes  et  les  Lydiens.  Sa  date  est  reportée  au  30  septembre  de 
l'an  610  avant  Jésus-Christ.  Les  critiques  modernes  lui  assignaient  Tao 
597,  sur  la  foi  du  jésuite  Petau.  M.  Saint-Martin  discute  ensuite  un  pas- 
sage de  Salluste,  relatif  à  l'origine  persane  des  Maures  et  des  Numides. 
Ses  conclusions  développent  le  fait  énoncé  assez  obscurément  par  l'histo- 
rien latin.  Beaucoup  d'érudition  dans  les  autres  mémoires  du  même  au- 
teur nous  parait  dépensée  en  pure  perte. 

Un  problème  d'archéologie,  controversé  depuis  long-temps,  a  reooo- 
velé  une  polémique  assez  vive  entre  deux  savans  académiciens.  Les  pein- 
tures historiques  des  grands  artistes  de  la  Grèce  étaient-elles  exécntées 
sur  les  murs  mêmes  des  édifices  dont  elles  faisaient  l'ornement ,  comme 
les  fresques  des  modernes ,  ou  bien  étaient-elles  des  tableaux  sur  boiSi 
peints  dans  l'atelier,  et  transportés  ensuite  à  destination?  Voilà  toate 
la  question.  La  première  hypothèse,  forte  de  la  voix  de  Winkelman  et  de 
la  majorité  des  antiquaires,  a  rencontré  des  opposans,  et  notamment  far* 
chéologue  Bœttiger,  dont  M.  Kaoul-Rochette  s'est  constitué  l'interprète. 
Mais  M.  Letronne,  résumant  toutes  les  objections  pour  les  combattre, a 
8u  faire  d'une  dissertation  scientifique  un  livre  piquant  sous  ce  titre: 


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BBTUE  UTTiRÀHUB.  601 

Mres  cTun  antiquaire  à  un  arUste  (i),  car  remploi  de  1t  peintare  histà- 
iqoe  muraU  (ce  mot  lui  appartient) .«  Bq  tous  les  temps,  dit-il,  mais  prii^ 
[paiement  aux  époques  anciennes,  la  peinture  murale  a  fait  partie  inté- 
rante  de  la  décoration  des  édifices,  quelles  que  fussent  leur  nature  et 
$ar  destination.  Elle  a  formé,  en  quelque  sorte,  le  complément  du  sys- 
^noe  polychrome,  ou  de  cette  diversité  de  couleurs  appliquées  à  leur 
arfaoe,  soit  au  dedans,  soit  au  dehors,  système  qui,  chez  les  Grecs  et  les 
Lomains,  s'est  étendu  à  tout,  aux  armes  et  aux  ustensiles,  comme  aux 
tatues  et  aux  bas-reliefs,  comme  aux  monumens  de  Tarchitecture  reli* 
lieuse,  civile  et  privée,  d  Les  citations  ne  sont  pas  épargnées  pour  établir 
[ue  les  grandes  compositions  des  Parrhasius,  des  Zeuxis,  des  Protogène, 
Ht  été  tracées  sur  les  parois  mêmes  des  temples,  revêtues  d'nn  enduit  dont 
es  artistes  avaient  le  secret;  que  ces  peintures  ont  pu  être  mobilisées, 
oit  en  détachant  l'enduit  des  murailles  et  en  rajustant  les  éclats  sur  un 
[md  de  bois,  soit  même  en  sciant  le  mur  latéralement  et  en  affermissant 
a  surface  peinte  dans  un  chAssis;  qu'ainsi  s'explique  la  translation  à  Rome 
l'un  très  grand  nombre  de  tableaux,  portés  dans  les  triomphes,  et  relé- 
;ués  ensuite  dans  les  édifices  publics  ou  dans  les  galeries  des  curieux. 

La  réponse  de  M.  Raoul-Rochette  rappelle  la  bataille  du  LtOiin,  où 
'on  faisait  choix  des  gros  livres  pour  écraser  ses  adversaires.  L'impri- 
nerie  royale  lui  a  fourni  pour  projectile  un  très  lourd  Uirquario  (2) .  Sa  ré- 
ùtation,  qui  n'est  pas  sans  aigreur,  tend  à  prouver  que  la  peinture  sur 
Dur  n'a  été  en  usage  qu'à  la  naissance  et  à  la  chute  de  l'art  grec;  que 
lans  la  première  époque  elle  n'était  pas  autre  chose  qu'une  enluminure 
ippliquée  sur  des  dessins  au  trait;  dans  les  derniers  temps  une  industrie 
Hibalteme  que  Pline  et  Yitruve  flétrissent  conune  un  symptôme  de  dé- 
Adence.  Mais,  selon  lui,  dans  les  Ages  florissans,  les  peintures  historiques 
Dut  été  exécutées  sur  planches  mobiles,  à  loisir,  dans  ces  ateliers  qui, 
i^ez  les  Grecs,  étaient  respectés  comme  des  sanctuaires,  et  qu'ensuite  on 
les  scellait  dans  le  mur  des  édifices.  H  avoue  que  la  main  des^  maîtres  a 
quelquefois  décoré  les  murailles,  mais  que  ce  fut  exceptionnellement,  et 
sans  qu'on  en  puisse  tirer  avantage  contre  les  généralités  qu'il  expose. 
ML.  Raoul-Rochette  ne  se  contente  pas  de  prodiguer  les  textes  grecs  et  la- 
tins. U  fait  intervenir  les  auxiliaires  pesamment  armés  de  l'Allemagne, 
et  cite  avec  orgueil  cette  sentence  des  savans  d'outre-Rhin,  rendue  par 
Torgane  du  professeur  Hermann  deLeipsick  :  Dealiis  aliorum  erroribus 
ita  dispuiavit  Rochettus,  ilH  ui  satis  eonfutaii  videantur. 

A  vrai  dire,  les  plaidoiries  ont  plus  d'importance  que  le  fond  même  du 


(1)  Chez  Heidelofr  et  Campé,  raeVivienne,  1& 

f9}  Mimumens  inédits  de  la  peinture  antique,  précédée  de  Bechereheh  etc. 


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proofet.  BSkê  dMNidèat  en  MQU^netrienB  foit  inslniettfi  Mrtr|i^ 
Bonne  des  grands  artistee  de  rantiquité,  snr  teortuKiyMittMMffl;* 
le  sort  de  leurs  composHions;  et  dans  la  rétMfoii  dea  deox  toliMfa 
Ironterait  les  matérianz  d'on  des  plot  curieux  ^lapltres  de  niMlè 
Fart  Quant  au  point  en  litige.  Il  est  Impossible  de  aepreaooeerttM 
de  conscience.  EFidemment  les  deux  genres  de  peinture  cet  écéprilfÉ 
fiar  les  maitresde  la  belle  ^>oque,  et  11  est  penl-étre  ftitie  de  rAi 
ai  Tnn  a  été  la  règle  et  l'autre  l'exception.  Tous  les  textes,  selMlifl 
-qu'on  leur  attribue,  viennent  tour  à  tour  en  aide  à  cbacunedes  paid 
nous  semble  (Cependant  que  M.  Letronne  a  un  peu  trop  usé  do  dnilfr 
.  terprétatlon.En  lisant  ses  lettres  ingénieuses,  nous  nous  soonMii# 
sente  un  avocat  babile,  déployant  les  ressources  du  savoir  et  ^m)i^ 
reuae  élocution  pour  s'emparer  des  faits  et  se  les  concilier  par  M^ 
Par  exemple,  doit-on  admettre  avec  M.  Letronne  que  SjneiiQiytyM 
Athènes  en  402,  ait  écrit,  par  erreur,  que  les  plonrJUs  dêhoisifàviâ 
reçu  les  chefo-d'œuVre  de  Polygnote  venaient  d'être  enlevéeidoNtf 
.  Fline  parle  en  effet  d'un  mur  de  briques  couvert  de  peintures,  «MA*' 
cédémone,  et  enchâssé  dans  un  cadre  de  bois,  soixante  ans  eafiivi^ 
notre  ère;  mais  il  ajoute  qu'à  Rome  on  admira  moins  l'oBurre  da^ 
-que  le  moyen  hardi  employé  pour  la  déplacer.  N'est-ce  pas  àinit^ 
tement  que  les  aittres  tableaux  qui  depuis  un  siède  se  troonieilM 
ville  étaient  de  nature  à  être  transportés  sans  (tiffieolté?  L'ealèvoM^ 
stuc  qui  revêtait  les  murailles  n'est  indiqué  que  par  de  rares  e«B(i>l 
encore  ne  se  rapportent^ils  pas  directement  aux  produits  de  VutgntiB 
faits  rassemblés  en  faveur  de  Topinion  adverse  paraissent  ^oidédâ 
Cest  Polybe  qui  voit,  après  le  sac  de  Corinthe,  des  tableaoxictéii  «^ 
et  dont  les  soldats  romains  se  servent  comme  de  tablesè  joaeno'*'^ 
disant  de  la  Vénus  aoadyomène,  le  cbeM'osuvre  d'A|^peUe:Cp>^ 
hac  tabula  carie;  c'est  aussi  l'usage  des  expositions  et  des  dé^F* 
en  Grèce ,  attesté  par  diverses  anecdotes.  Au  reste,  si  M.  Rsod-Bii*^ 
doit  gagner  sa  cause,  on  ne  lui  reprochera  pas  d'avoir  séduit  lei  jai<^ 
y  a  danssen  plaidoyer  de  l'humeur  souvent,  mais  jamais  de  iDalic^|^ 
.  coup  de  pages ,  et  pas  un  livre.  Sa  verbeuse  érudition  pMSft  **•* 
en  droite  ligne  des  sovaiis  a»  «s,  si  bien  que  noos  serions  teo*^^^ 
avec  le  docteur  allemand  dont  il  a  invoqué  le  suffrage  :  &s0i9*^ 
Roekeiiuê. 

On  ne  sait  pourquoi  les  TnkMKonf  tératologiquÊe,  recQëllies«tp"'|* 
avec  un  commentaire  par  M.  Berger  de  Xivrey,  ont  pris  rasf  f*^ 
collection  des  documens  relatifs  à  l'histoire  de  France.  ^^^^ 
tient  :  1«  De  monstris  et  helluiSf  ouvrage  latin  du  xe  siède;  ^^^^^, 
de  plus  monstrueux,  c'est  l'ignorance  de  nos  pères  en  fait  de  vM^ 


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'^eUres  dJUxandrê^Je-GNind  k  sa  mère  Olympe  et  à  Arittote,  stVlti. 
diges  de  llade»  extraites  du  fattx  Callysthèney  et  traduites  enfrançu» 
>rès  les  manuscrtta  de  la  BibliothèqQe  du  Roi.  C'est  une  copie,  on  (da- 
une  altération  des  lettres  véritables  d'Akiandre»  que  l'antiquité  arait 
gieusemeot  conservées.  Les  deux  antres  opusculeSy  Merveilles  de  l'Indu 
?ropriéié$  des  Beslet ,  sont  des  variations  françaises  dn  même  texte. 
xpécHtion  d* Alexandre  dont  par  malheur  les  détails  nous  sont  peu  cou- 
9  a  été  ,  pendant  le  moyen*âge ,  un  cadre  de  roman  fantastique  pour  les 
ivains  de  F  Asie  et  de  r£urope.  On  sait  que  notre  vers  b^camètre  doit 
ette  circonstance  son  nom  d*alexandrin,  La  correspondance  du  con- 
trant avec  son  maître  était  dans  l'ouvrage  un  chapitre  obligé.  Chaque 
liste  tenait  à  honneur  de  l'enrichir,  en  puisant  dans  les  compilations 
tyclopédiques  de  l'époque,  ou  même  en  se  laissant  aller  à  rêver  du 
ode  oriental.  Les  fragmens  rassemblés  par  M.  Berger  de  Xivrey  sa^ 
^portent  à  cette  coutume.  Sans  intérêt  par  eux-mêmes^  ils  servent  de 
ttexte  à  des  notes  savantes  que  l'éditeur  n'a  pas  épargnées. 
9I8TOUUB  DE  FaANCB* — Parmi  les  nombreux  travaux  consacrés  h  l'his- 
re  nationale,  le  premier  rang  aj^rtient  à  VUUloire^e  la  Quule  miridiO' 
le  sous  les  conquérons  germains  (1).  M.  Fauriel  a  donné  sous  ce  titre  une 
rticxi  d'un  grand  ouvrage  sur  l'histoire  des  provinces  méridionales  delà 
ance.  Dans  la  première  partie,  il  doit  embrasser  l'état  de  cette  région ^ 
puis  les  temps  les  plus  anciens  jusqu'à  l'invasion  des  Francs;  dans  la 
!ondey  celle  qui  vient  de  paraître,  il  nous  montre  les  Barbares  germain» 
lutte  contre  la  civilisation  latine  jusqu'au  x«  siècle,  où  les  derniers  reste» 
cette  civilisation  semblent  avoir  disparu.  M.  Fauriel  n'a  négtigé  aucua 
âdent  de  ces  invasions  de  Barbares  qui  se  chassent  et  se  poussent  les  una 
i  autres;  il  sait  nous  intéresser  aux  généreux  efforts  des  populationa 
éridiouales  pour  défendre  leur  indépendance  et  leur  civilisation. 
De  tous  cea  récits,  un  fait  ressort  avec  évidence,  c'est  que  la  résistance 
dlo-romaine  n'est  véritable,  n'a  de  force  et  de  durée  que  dans  les  popiU* 
tions  méridionales.  Au  nord,  au  contraire,  aussitôt  après  la  conquête^ 
s  Gallo-Romains  semblent  ne  plus  exister,  tant  ils  se  sont  mêlés  et  fondus 
rec  la  masse  conquérante.  On  trouve  bien  çà  et  là  quelques  résistances 
idividuelles,  mais  toutes  les  traces  de  nationalité  ont  dii^ru*  C*est  a» 
tidi  que  la  lutte  persiste-;  la  civilisation  romaine  y  est  si  forte,  fs'elle 
ût  par  s'assimiler  les  Barbares  eux-mêmes.  Les  Yisigoths  devienneni 
mtre  les  Francs  les  champions  de  cette  civilisation  qu'ils  semblaient  des* 
Dés  à  anéantir.  Puis,  quand  ceux-ci  ont  succombé  dans  la  lutte,  lesmé^ 
^causes  produisent  sur  leurs  adversaires  une  semblable  transformatkMW 

«}4vQl.in^,cfaes  Piilia,  nie4»8oiMfltlal^0raHin*Sll 


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90k  UTUl  DBS  DKUX  MOimBS. 

Le  Midi  convertit,  en  quelque  sorte»  à  sa  cause,  les  cheb  baibarci  ^ 
lui  sont  imposés  par  les  Francs,  et  ils  deviennent  entre  ses  maios  iad^* 
fensears  de  son  indépendance.  De  là  l'hostilité  si  dramatique  des  d«^ 
d'Aquitaine  contre  les  rois  firancs  de  la  première  race,  et  enfin,  Iidos- 
velle  conquête  du  midi  de  la  Gaule  par  Charles  Martel  et  Pépin.  LliiiiMt 
du  second  royaume  d'Aquitaine,  fondé  par  Charlemagne,  vieiA  ajottiff 
l'autorité  d'un  nouvel  exemple  aux  faits  révélés  par  les  récits  antérioiR 
Louis-le-Débonnaire  (avant  son  élévation  à  l'empire).  Pépin  d'Aqoitiine, 
agissent  en  véritables  rois  aquitains,  et  dans  un  intérêt  tout  mérHfiouL 
Nous  regrettons  d'affaiblir  par  l'analyse  ce  grand  fait  qui  apparaît  me 
éclat  dans  les  pages  animées  de  M.  Fauriel.  Entre  les  divers  épisodote 
guerres  du  midi  contre  le  nord,  nous  avons  surtout  admiré  le  beau  récit 
de  la  conspiration  de  Gondowald.  Les  populations  du  midi  se  dédarot 
toutes  pour  l'aventurier,  qui,  quoique  lui-même  de  race  fraoqoe»feabie 
leur  promettre  un  chef  et  un  appui  contre  les  Francs. 

Si  M.  Fauriel  suit  avec  une  sorte  d'angoisse  toutes  les  chances  de k 
lutte,  s'il  provoque  nos  sympathies  en  faveur  des  vaincus*  c'est  que  sdoa 
lui  la  cause  du  midi  était  celle  de  la  civilisation.  H  paraît  croire  qoe  h 
société  française  a  eu  pour  berceau,  non  pas  le  nord  où  le  bras  di  coa* 
quérant  obéissait  au  génie  catholique,  mais  le  sol  méridional  où  kl  ger* 
mes  de  la  culture  romaine,  épars  et  écrasés  un  instant  sons  des  hIdcs, 
se  relevèrent  spontanément,  du  x«  au  xiu«  siècle,  après  la  séparatMade 
provinces  méridionales  de  la  monarchie  des  Francs.  M.  Fannel  laisse  de- 
viner  cette  préoccupation  en  promettant,  dans  la  troisième  partie  qnl 
prépare,  l'histoire  de  cette  «époque  de  création  ou  de  rénoTatkeqai 
succède  peu  à  peu  aux  derniers  bouleversemens,  aa  milieu  denp* 
achève  de  s'opérer  le  démembrement  de  la  monarchie  carloTingieflie- 
G*est  durant  cette  époque  et  dans  les  parties  les  plus  méndiooalesdf 
la  France  que  se  forme  pièce  à  pièce  tout  un  systènoe  de  ciTOisaâiB 
originale,  système  dans  lequel  on  voit  les  misérables  débris  de  fa- 
cienne  culture  romaine  s^empreindre,  s'animer  inopinément  d'an  o«' 
▼el  esprit,  se  recomposer  sous  des  fermes  nouvelles;  c'est  là  etalort 
que  l'on  voit  s'organiser  dans  les  villes,  sur  les  ruines  de  la  curie  ro- 
maine, un  gouvernement  municipal  sous  les  influences  duquel  ces  w» 
devienient  rapidement  de  petits  états  libres.  »  L'examen  de  cette  iWone 
ne  saurait  trouver  place  dans  un  simple  bulletin.  Elle  sera  l*<*i*'^'f 
étude  approfondie  que  la  Revue  doit  faire  des  travaux  historiqotf  de 
If.  Fauriel.  Il  nous  suffira  d'avoir  appelé  l'attention  sur  un  oarrageqo 
donne  une  haute  idée  de  la  science  et  du  talent  de  l'auteur.  Bo^' 
M.  Fauriel  joint  à  toutes  les  qualités  d'un  esprit  supérieur  Téruditioa 
plus  vaste  et  la  plus  sûre.  Il  n'a  négligé  aucun  des  moyens  qui  étales^* 


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EBTVB  UTTfoAnE.  60S 

son  pouvoir  :  chroDÎqoet  imprimées  et  mamiscrites,  chartes ,  diplômes, 
documens  contemporains  de  toute  espèce,  il  a  tout  étudié,  discuté  et 
ôclairci*  Une  connaissance  approfondie  des  monumens  et  de  la  littérature 
des  peuples  méridionaux  lui  a  fournie  une  multitude  de  reuseignemens 
précieux.  Enfin,  il  a  visité ,  parcouru  à  plusieurs  reprises  le  théâtre  des 
èvènemens*  De  là,  un  coloris  séduisant  dans  les  descriptions  et  une  exac-^ 
Utude  géographique  qui  ne  pouvait  être  poussée  plus  loin. 

Un  hasard  heureux  pour  la  science  a  fait  concourir  avec  la  publication 
du  livre  de  M.  Fauriel ,  celle  d*un  savant  mémoire  de  M.  Reinaud  sur 
les  invasions  des  Sarrazins  dans  le  midi  de  la  France  (1).  Bien  que  conçu 
dans  un  but  et  sur  un  plan  tout  différent,  l'ouvrage  de  M.  Reinaud  com- 
plète et  contrôle  quelquefois  celui  de  M.  Fauriel  dans  ce  qui  regarde  les 
invasions  arabes.  Tous  deux  ont  l'immense  avantage  d'avoir  puisé  aux 
sources  originales,  et  profité  des  chroniques  arabes.  Jusqu'ici,  en  effet , 
Doas  ne  connaissions  sur  ces  évènemens  que  le  témoignage  des  chroni- 
queurs chritiens,  et  l'on  sait  combien  ils  sont  arides  et  incomplets. 

M.  Reinaud  a  divisé  son  livre  en  quatre  parties;  dans  la  première,  il 
raconte  les  irruptions  des  Sarrazins  par  les  passages  des  Pyrénées  jusqu'à 
leur  expulsion  du  Languedoc  par  Pepin-le-Bref  en  759.  Les  évènemens 
qui  remplissent  cette  période  importante  ne  nous  paraissent  pas  avoir  été 
racontés  avec  assez  de  détails;  on  n'a  le  temps  de  connaître  ni  les  hommes 
ni  les  choses.  C'est  une  énumération  ^uicte,  curieuse,  mais  froide,  et  un 
peu  sèche.  Pour  n'en  citer  qu'une  preuve,  la  bataille  de  Poitiers,  dont 
M.  Fauriel  donne  un  tableau  si  vivant  et  si  dramatique,  occupe  à  peine 
quelques  lignes  dans  l'ouvrage  de  M.  Reinaud.  La  seconde  partie  est  con- 
sacrée aux  invasions  des  Sarrazins,  venant  de  différons  côtés  par  terre  on 
par  mer,  jusqu'à  leur  établissement  sur  les  côtes  de  Provence  vers  l'an  8S9. 
€omme  le  fait  très  bien  remarquer  M.  Reinaud ,  dans  cette  seconde  pé- 
riode, le  caractère  des  invasions  a  tout-à-fait  changé.  Durant  la  première 
4>oqae,  les  Sarrazins  envahissaient  la  France,  non-seulement  avec  l'in- 
teotion  de  la  conquérir  et  d'y  faire  fleurir  l'islamisme,  mais  encore  avec 
le  projet  de  subjuguer  tout  le  reste  de  l'Europe,  et  de  faire  de  cette  partie 
du  monde  une  province  de  l'empire  des  khalifes.  Les  che&  de  l'armée 
conquérante,  dont  quelques-uns  avaient  vu  le  prophète  et  qui  étaient 
tons  originaires  de  l'Arabie  ou  de  la  Syrie,  étaient  sans  cesse  ramenés 
▼ers  rOrient  par  toutes  leurs  pensées.  Dans  la  seconde  époque,  les  Arabes 
divisés  et  affaiblis  par  des  guerres  intestines,  cessent  de  se  livrer  à  des 
entreprises  hardies,  et  d'ailleurs  les  populations  chrétiennes  réunies  sous' 
l'empire  de  Pépin  et  de  Charlemagne  ont  pris  plus  d'ascendant.  En  gé- 

0)  t  Y<^fai-e»,  chtf  Dondey-Dupré,  me  Ylvtenae^  t. 


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flHi  RBTOB  BIS  mnrx  mmns. 

Béral  ce  sont  elles  qui  attaquent  rémlr  de  Gordeoeponr  IttkalttBifO- 
lient;  ils  sont  ploa  occupés  à  se  nuire  entre  eux  qu'à  Cure  de  novela 
conquêtes  sur  les  chrétiens.  Nous  en  avons  la  preute  dans«n  fait  csneo: 
c'est  que  les  princes  de  Gordoue  s*unirent  d'intérêt  avec  ks  enputn 
presque  toujours  en  guerre  avec  les  Musulmans  y  tandb  que  leskUte 
d'Orient  firent  alliance  avec  les  princes  français.  Les  invasion inrite 
des  Arabes  nous  présentent  une  série  de  faits  peu  connnusjii^a'ià,â 
sur  lesquels  M.  Reinaud  nous  donne  de  curieuses  indications  dans  la  (ni- 
sième  partie  de  son  livre.  La  quatrième  est  pleine  de  notions  intéraBBii 
sur  le  caractère  général  et  les  résultats  dés  invasions,  sur  les  Qfli^eii  rei- 
pritet  klégislatiOD  desconquérans  qui  ont  laissé  leurs  traces  diu  le  ni 
de  la  France. 

Ainsi  que  nous  l'avons  dit,  il  serait  souvent  utile  de  rapprodierlifini 
de  M.  Fauriel  de  celui  de  M.  Reinaud,  et  de  les  critiquer  l'on  ptr  FntA 
M.  Fauriel  a  tracé  d'une  manière  plus  large  et  plus  intéressiole  I« 
grandes  invasions  qui  mirent  un  moment  en  péril  Texistaoee  de  II 
chrétienté;  mais^-si  l'on-s^'en  rapporte  aux  récits  de  M.  Reinaud,  H.  Fn- 
riel,  séduit  par  l'éclat  de  la  puisÉanee  arabe  auxxi*  et  xn*  sèclei,aini 
TU  d'un  œil  trop  favorable  Us  hommes  et  l'époque  de  l'invasioo.  Qdqvi 
chefs  syriens^  qui  avaient  profité  des  restes  de  la  civilisation  greepei» 
portée  en  Asie,  purent  porter  en  Espagne  le  germe  ée  ces  lomièm,âft 
cette  poésie  chevaleresque  qui  s'y  développa  plus  tard.  Maismteafi 
de  l'invasion  de  Tarek  et  de  Moussa  la  masse  des  conqaérsos  était  n 
grande  partie  barbare.  Les  armées  qui  envahirent  rBspagne^etplBittfi 
la  France»  étaient  composées  d'Arabes,  de  Rerbères»  de  reoégitfSy  dejol 
et  de  chrétiens,  qui,  sans  avoir  renié  leur  culte,  prouvaient  |sr  leur  e» 
duite  qu'ils  n'appartenaient  à  aucune  religion.  H  est  vrai  que  M*  Furid 
fait  mention  des  Berbères,  de  leur  grossièreté  et  de  leur  n|»adtéfli- 
vage;  mais  c'est  dans  le  livre  de  M.  Reinaud  qu'on  trouve  rnmqae  nei- 
tion  de  ces  juife  et  de  ces  chrétiens  mêlés  aux  Arabes,  et  qm  n'M^ 
^'un  infâme  ramassis  de  brigands  de  toutes  langues  et  de  tous  psji.  Aa 
juger  par  cerSains  traits,  dont  l'authenticité  n'est  pasmisecn  dosie^is 
Arabes  eux-mêmes  étaient  loin  d'avoir  dépouillé  toute  barbarie.  èSsà^ 
Tarek,  pour  inspirer  plus  de  terreur  aux  habitans  d'une  ville  d*£4»^ 
qu'il  assiégeait,  aurait  fiait  tuer  quelques-uns  de  ses  captife,  9^^^ 
avoir  fait  cuire ,  les  aurait  donnés  1  manger  à  ses  soldats. 

Les  livres  que  nous  venons  de  mentionner  se  rapportent  à  W^ 
positive;  ils  ont  pour  but  de  nous  en  faire  connaître  les  faits  réeb»  ^^ 
détacher  même  de  ce  qui  pourrait  s'y  être  mêlé  de  faux  ou  de  faM^ 
En  voici  un  qui  a  été  conçu  dans  un  tout  autre  but.  L'auteur,  M.  1^ 
de  Lincy,  s'est  constitué  Thislafiiaada  «tdMMe^eldtt  annK**"  '^ 


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tenu,  afw  vifeoDy  qifil  y  atait  une  Iteime  immense  dtiit  no»  éludes  siflr 
lemoyco-ige»  que  pour  comuftre  la  vie  des  peuples  de  cette  époque ,  il 
06  laffisait  pas  d'étudier  les  faits  matériels  de  leur  histoire,  qu'il  fallait 
mcore  s'occuper  de  leurs  idées,  de  leurs  croyances,  même  lorsqu'ellea 
iTaieot  potr  ol^et  des  superstitioiis  ou  des  fkbles.  Dans  un  grand  ouvrage 
la'il  pr^re  sons  le  titre  deLimredêi  iJgm^âe$,  et  dont  il  Tient  de  publier 
^introduction,  il  s'est  proposé  de  faire  connaître  toutes  les  traditions  ro^ 
nanesquesou  ineligieusestiue  le  moyen-Age  a  inventées  ou  chargées  de  ses 
ïealeurs.  L'auteur  indique  d'abord  les  sources  et  les  causes  de  toutes  les 
égeodes  qui  vont  l'occuper.  Au  premier  rang,  il  place  la  destriiction  deis 
iK)imes  études,  qui,  formant,  pour  ainsi  dire,  table  rase  dans  les  espritâr, 
es  prépara  merveiUeusemeat  A  toutes  les  crofanees  populaires.  Aussi ,  le 
MMnbre  des  fables  que  le  moyen^âge  semble  avoir  inventées  est  prodl» 
Sieux;  mais  nous  ne  devons  pas  oublier  que  l'esprit  dominant  de  cette 
^ue  fut  de  modeler  sur  elle-même  les  idées  et  les  laits  qu'elle  aoeep^ 
tait,  et  de  donner  ainsi  sou  costume  et  ses  morars  à  des  récits  d'une  ori» 
^oe  plus  ancienne.  M.  de  Lincy  s'occupe  d'abord  des  légendes  sacréet, 
tirées, en  grande  partie,  des  livres  apocryphes,  et  des  actes  de  vie» de 
iaints.  Viennent  ensuite  les  légendes  relatives  aux  hommes  célèbres  de 
l'histoire  ancienne  et  moderne  ;  il  n'en  est  pènt-étre  pas  un  seul  dont  lea 
rentables  actions  ne  soient  défigurées  par  des  inventions  grossiéret. 
i^  Leroux  de  Lincy  donne  pour  exemple  les  croyances  accréditées^ 
noyen-^ge  sur  Homère,  Alexandre  et  HÉhoaiet.  SVittaehant  surtout  a«K 
éditions  ^i  obscurcissent  les  premier»  temps  de  l'histèire  de  Franee, 
len  montre  la  source  dans  nos  anciens  poèmes  en  Ittigue  vnlgdre,  et 
oous  pouvons  juger  de  leur  nombre,  de  leur  éteîiduë,  d'après  ceux  qu'on 
I  consacrés  aux  exploits  souvent' imaginaires  de  Gbarlemagne  et  de  ses 
paladins,  et  ifoi  forment  un  ensettible  de  plusieurs  centainea  de  miliiein 
lie  vers. 

Nous  ne  suivrons  paa  l'auteur  dans  les  détails  qu'il  donne  sur  les  U^ 
Rendes  relatives  aux  villes,  aux  forêts,  aut  montagnes,  aux  eaux,  aux 
pittres  précieuses,  auxanimattX.  Nous  croyons  qu'il  a  eu  tort  de  confon- 
dre avec  le»  légendes  toutes  les  oignions  populaires  relatives  à  ces  divers 
oljets.  £1108*86  retrouvent ,  il  est  vrai ,  dans  la  plupart  des  récits  ftJmleux; 
Daais  elles  ne  sont  proprement  la  matière  d'aucun  de  ces  récits.  Un  cha- 
pitresur  le  monde  merveilleux,  les  nains,  les  géans,  les  fées,  les  krafia- 
Sarous,  termine  heoreusement  ce  livre  qni  se  fait  remarquer  autant 
par  la  darté  élégante  du  style  que  par  des  aperçus  ingémeux,  et  mm 
érudition  presque  toujours  sûre. 

Passons  dea  compositions  historiques  aox  docnmens  inédits*  La  Bmpm 
P  d^  consacré  un  article  à  h  pnbUeation  des  pifc^  diphnaati^es  inr  bi 


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608  umjs  DES  DEIJX  MOimis. 

successioa  d'Espagne  »  à  laquelle  la  belle,  introduction  et  les  at»  tn* 
vaux  de  M.  Mignet  ont  donné,  une  haute  importance.  M.  fnoâqut 
Michel  y  chargé  par  le  ministre  de  l'instruction  publique,  peodatlei 
trois  années  qui  Tiennent  de  s'écouler»  d'explorer  les  bibliothèqueide 
l'Angleterre,  pour  y  recueillir  les  poèmes  en  vers  français  qui  miDqMst 
à  nos  collections  y  a  transcrit  deux  ouvrages  »  qu'il  vient  de  publier,  a 
attendant  les  grands  poèmes»  dont  le  gouvernement  a  ordonné  rinprts- 
sion.  Dans  le  premier»  il  a  réuni  tout  ce  qui  reste  des  ancien  po^ 
inspirés  par  les  aventures  amoureuses  du  beau  Tristan»  le  béroiniai- 
nesque  dumoyen-age.  Ces  fragmens»  reproduits  avec  tout  le  lue éei 
belles  éditions  anglaises  »  sont  accompagnés  d'édaircissemens  qui  peofot 
en  faciliter  l'intelligence.  Nous  avons  surtout  remarqué  un  gloKikeâs 
mots  du  vieux  firançais»  qui  n'avaient  pas  encore  été  convenaUemesta- 
pliqués.  Si  l'on  doit  faire  un  reproche  à  l'éditeur»  c*est  d'aroir  mpfé 
à  ses  lecteurs  la  science  polyglotte»  qu'il  parait  posséder»  et  ^tmà* 
gligéde  traduire  les  textes  anglais»  allemands»  espagnols»  grecs, etc, 
qu'il  se  plaît  à  prodiguer. 

Le  second  recueil  publié  par  M.  Francisque  Michel  est  intitii]é:0f»* 
niques  anglo^normandes.  n  a  eu  l'heureuse  idée  de  réunir  loostttiirf 
divers  textes  inédits  destinés  à  servir  d'appendice  à  l'un  des  bem  sx^ 
numens  historiques  de  notre  siècle»  Y  Histoire  de  la  conquiU  it  fliflf 
terre  par  les  Normands.  On  saura  gré  à  M.  Michel  d'avoir  pobfié  ^ 
détails  enfouis  dans  les  bibliothèques  anglaises»  sur  qudqaesH»  <)(> 
personnages  illustrés  par  les  récits  de  M.  Thierry.  Les  chroniques tf|i^ 
normandes  doivent  avoir  deux  volumes.  Le  premier  seul  a  ptro.  Il  c«- 
tient  un  extrait  de  la  chronique  de  Geoffiroi  Gaimar»  un  extnit  àt  b 
continuation  anonyme  du  roman  de  Brut»  la  vie  de  saint  Edoor^t 
un  extrait  de  la  chronique  de  Pierre  de  Langloff  »  et  enfin  nneitnH  de 
TEstoire  e  la  généalogie  des  dux  gui  ont  esté  en  Normandiêp  ptr  Beaoe* 
de-Sainte-More.  Le  morceau  capital  du  volume  est  celui  de  6ii>'- 
Ce  trouvère  anglo-normand  du  xn*  siècle  a  composé  en  vers  ose  dif** 
nique  des  rois  d'Angleterre»  depuis  l'arrivée  des  chefs  suons  j0^ 
Guillaume  »  fils  du  conquérant  ;  et  c'est  la  dernière  partie  de  cette  chns* 
que  que  M.  Michel  a  insérée  dans  son  recueil.  L'épilogue  n'en  est  pssi^ 
morceau  le  moins  curieux;  il  donne  des  détails  prédeux»  eiq«e||' 
trouve  trop  rarement  dans  les  poèmes  de  cette  époque»  sur  ii  vu^ 
dont  Gaimar  avait  composé  son  récit»  sur  les  livres  de  tous  genres,  »^ 
français  et  gallois ,  qu'il  avait  réussi  à  se  procurer.  L'extrait  de  Bcsflft* 
Saint-More  a  moins  d'importance  historique»  parce  que  le  trontère»** 
mand»  dans  cette  partie  de  sa  chronique»  a  presque  toajooistn^ 
et  mal  traduit  Orderic  YitaL  Nous  aurons»  d'ailleurs»  occasioa  de  rertar 


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BBVUE  LITliRAIRE.  609 

snr  rhistoire  de  Benoit  de  Sainte-More ,  qui  n'a  pas  moins  de  trente  mille 
yerSy  et  qui  s'imprime  en  ce  moment  à  l'imprimerie  royale. 

Ce  n'est  pas  seulement  avec  l'aide  du  ministère  de  l'instruction  publi- 
que que  l3s  grands  monumens  littéraires  du  moyen-âge  sont  publiés.  Des 
éditeurs  dévoués  s'efforcoat  de  mettre  à  la  portée  de  tous  les  productions 
diverses  de  cette  littérature  si  long-temps  négligée.  Nous  devons  citer 
surtout  le  Roman  de  Brut,  publié  par  M.  Leroux  de  Lincy.  Ce  poème, 
composé,  en  1155,  par  Wace,  trouvère  normand,  auquel  nous  de- 
vons le  Roman  de  Rou,  n'a  pas  moins  de  seize  mille  vers,  et  n'est,  à 
vrai  dire,  qu'une  histoire  merveilleuse  de  l'Angleterre.  L'histoire  de  nos 
voisins  se  mêle  si  souvent  à  la  nôtre ,  qu'une  source  féconde  pour  eux 
ne  saurait  être  sans  utilité  pour  nous.  Les  notes  que  M.  Leroux  de  Liney 
a  jointes  au  récit  des  aventures  du  roi  Lear,  prouvent  que  Sbakspeare  n'a 
pa  avoir  connaissance  des  poèmes  de  Wace ,  ni  de  la  cbronique  de  Geoffroi 
de  Montmouth ,  mais  qu'il  avait  certainement  puisé  dans  des  ouvrages 
écrits  d'après  ces  deux  chroniqueurs.  Le  poème  de  Brut  est  publié 
avec  tous  les  soins  que  réclamait  son  importance.  Le  texte  est  donné 
d'après  neuf  manuscrits;  les  variantes  sont  placées  au  bas  des  pages; 
tous  les  mots  d'une  acception  différente  de  celle  qu'on  leur  donne  au- 
jourd'hui sont  expliqués  aux  lecteurs  peu  familiarisés  avec  notre  ancien 
idiome.  Des  notes  historiques ,  géographiques  et  littéraires  complètent  le 
travail  de  l'éditeur.  Il  s'est  attaché  surtout  à  rapprocher  les  traditions 
fabuleuses  recueillies  par  Wace,  des  faits  historiques  solidement  établis 
par  les  chroniqueurs ,  les  poètes  français  ou  latins ,  gallois  ou  anglo- 
saxons.  U  résulte  de  ce  curieux  travail  que  le  Roman  de  Brut  n'est  pas, 
comme  on  l'avait  cru  jusqu'ici,  une  simple  traduction  rimée  de  la  chro- 
nique latine  de  €reoffroi  de  Montmouth  :  il  y  a  imitation  visible  de  la 
part  du  trouvère  normand;  mais  une  foule  de  détails  prouvent  qu'il  avait 
consulté  d'autres  sources  et  recueilli  d'autres  traditions. 

Après  avoir  heureusement  débuté  par  VYstoire  de  H  Normans,  que 
nous  avons  fait  connaître  par  une  analyse  très  développée,  la  Société  de 
f  histoire  de  France  viçnt  de  donner  cette  année  deux  volumes  de  moin- 
dre importance.  Le  premier  est  un  recueil  de  lettres  du  cardinal  Mazarin 
à  la  reine  et  à  la  princesse  Palatine,  écrites,  pendant  sa  retraite  hors  de 
France ,  en  1651  et  1652.  Les  nombreux  mémoires  laissés  sur  la  Froude 
par  les  principaux  acteurs  de  ce  drame  n'ont  pas  complètement  éclairci 
les  mille  intrigues  qui  le  compliquent.  Voici  une  correspondance  qui 
donne  la  preuve  matérielle  d'un  fait  que  jusqu'ici  l'on  avait  seulement 
soupçonné ,  à  savoir,  que  ce  fut  pour  ne  pas  livrer  à  ses  ennemis  l'homme 
qu'elle  aimait ,  qu'Anne  d'Autriche  soutint  avec  tant  de  fermeté  les  périls 
de  la  lutte  dangereuse  où  elle  s'était  engagée,  en  maintenant  Mazarin  au 

TOllfi  Tll.  39 


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-4)10  RBTin  M8  KV  HOICDES. 

fouvoîr.  Les  seolioieiM  exprinés  é^m  ks  loitt^s  eu  «iaiitre  mM< 
d'un  amant,  poar  sa  maîtresse.  Le  oar#i«l  $e  vuuri  pamr  HU;  ilvnpinit 
lui  envoyer  loii  ccnir.  Les  mots  jMieioti  el  arcblir  f eTîesneot  aam  icae 
sous  sa  plume. 

M.  Raveoel,  éditer  de  cetle  correspoadMAce, s*est imposé  Upéiifele 
lAche  de  la  déekiffnr.  Malbeureusevèent,  k  chose  se  lui  a  pas  Hajsry 
,  élé  possible,  et  la  confusion  des  chiffres  employés  pur  Maaaiio  raén 
graud  nombre  de  passages  peu  intelligibles.  Toutes  les  lettres  adaivs 
dans  ce  volumineux  recueil  ne  sont  pas  iaédites^  et  l'éditear  a'esl  pasir^ 
réproehable  dans  soq  cboix.  Nous  bUmenms  OMore  la  Utoetéqa'ii 
prise  de  traduire  ea  quelque  sorte  le  style  de  Nazaria  ea  faisant  dupt- 
raltre  rorthograpbe  vicieuse  et  les  italianismes.  U  oous  sembb  fK 
e*est  enlever  à  ces  lettres  leur  caractère  original,  et  nous  eosâMi 
une  copie  exacte.  Au  reste ,  le  style  du  cardinal  n'a  pas  beaucoap  i 
à  passer  par  les  corrections  de  rôditeur,  et  Ton  s'éloone  de  ne  lai  I 
aucune  des  qualités  des  bons  écrivains  de  son  époque. 

L'autre  volume  publié  par  la  société  est  le  presdier  d'une 
édition  de  Grégoire  de  Tours,  texte  et  traduction  en  regard, 
texte,  l'excellente  édition  de  Roinart,  reproduite  dans  le  recueil  detJai- 
toriens  de  France  parD.  Bouquet,  laissait  peu  de  cho8esÀdésis«r;kis- 
reté  chaque  jour  croissante  de  cette  édition,  et  son  format  pea  faiiniMf 
à  l'étude,  ont  pu  seuls  déterminer  les  sociétaires  à  k  réimpnaaer.  11  ei 
était  tout  autrement  de  la  traduction.  Déjà  nous  en  avions  trois  :  fae 
de  4610,  par  Claude  Bonnet,  avocat  au  parlement  de  Grenoble;  FaslR 
de  1688,  par  l'infatigable  abbé  de  Narolks;  la  troisième,  enfin,  met 
récente  et  publiée,  par  Sauvigny,  sous  le  titre  de  Mmoins  éê.  M- 
(/oire  de  Towt ,  dans  l'une  des  premières  collections  consacrées  à  fUn 
toîre  nationale.  Les  deux  premières  sont  fautives,  et  souvent  pins  kia- 
telliglbles  que  l'original.  La  troisième,  bien  que  très  sopérienre,  kîMÎt 
encore  beaucoup  à  désirer.  Celle  de  M.  Guadet  a-t*elle  résola  k  probtee 
•d'une  reproduction ,  en  langage  moderne,  du  père  de  l'histoire  de  Fmse. 
A  ea  juger  par  ks  trois  livres  qui  ont  paru,  nous  ne  le  pensons  pss.  Tn- 
duirc  Grégoire  de  Tours  est  une  rude  tâche ,  qui  exigerait  k  rénownée 
qualités  bien  rares.  Ce  ne  serait  pas  asseï  de  comprendre  paHkitesMSt 
la  langue  souvent  barbare  de  l'évéque  :  il  faudrait  connaître  à  fHidlB 
hommes ,  les  choses  et  les  usages  de  son  temps ,  être  assez  aultre  de  sa- 
tre  langue  pour  k  plier  &  un  styk  inculte ,  mais  énergique  et  orîgîML 
Nous  doutons  que  M.  Guadet  ait  réuni  à  un  assez  haut  degré  cese«- 
ditions  indispensables.  Toutefois  son  travail  n'est  pas  sans  utiliié,  b 
textp  y  est  souvent  mieux  compris  et  mieux  rendu  qu'il  ne  l'avait  été  jsH 
qu'ici,  et  des  notes  intéressantes  complètent  celles  des  précédeas  édileafi. 

Le^grandes  chroniques  de  Saint-Denis,  jadis  si  célèbres,  si  répandues. 


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HETUË  LITtÊRAIRE.  611 

aBJourdliài  si  complètement  négligées,  mérîtaîeut  sans  doute  l'attention 
des  éditears.  Si  elles  sont  insuffisantes  pour  les  premiers  siècles,  il  en  est 
tout  autrement  pour  les  derniers  temps  qu'embrasse  leur  rédaction.  Un  in- 
térêt de  curiosité  nous  attire  vers  un  monument  qui,  pendant  tant  de  siè- 
fAéêf  a  été  la  seule  autorité  historique.  Ces  chroniques  doivent  expliquer 
ncRD-^seulement  les  erreurs  matérielles  et  grossières  qui,  telles  que  notre 
descendance  desTroyens,  font  sourire  aujourd'hui,  mais  encore  ces  idées 
fikjflses  sur  la  physionomie  générale  des  premiers  temps  de  notre  histoire, 
beaucoup  moins  faciles  à  détruire,  et  qui  font  encore  le  fonds  des 
croyances  historiques,  malgré  les  éminens  travaux  de  récole  moderne. 
Quelques  mois  sur  les  chroniques  de  Saint-Denis  feront  apprécier  l'im- 
portant travail  de  leur  nouvel  éditeur,  M.  P.  Paris.  Au  moyen^âge,  le 
clergé  seul  écrivait  et  conservait  l'histoire;  les  cathédrales ,  les  monas- 
tèrtefs  itoportans  avaient  leurs  chroniques,  c'est-à-dire  une  collection 
plus  ou  moins <»mplète  des  chroniqueurs  et  des  annalistes  latins:  Gré- 
goire de  Tours/ Fredegaire,  Eginard,  Aimoin.  De  toutes  ces  col- 
lei^eas,  la  plus  célèbre  était  celle  de  Saint-Denis.  C'est  elle  que  les 
tirouvères  et  les  jongleurs  invoqueort  le  plus  sourent ,  pour  donner 
du  crédit  à  leurs  compositions.  Mais  elles  étaient  loin  de  former  un 
seul  corps  d'histoire.  Les  érudits  français,  entre  autres  Laeumc  de 
Sainte-Palaie ,  ont  pensé  qu'au  xii«  siècle  seulement  l'abbé  Suger  avait, 
av«G  toutes  ces  chroniques,  fait  rédiger  un  corps  d'annales  latines  qu'il 
compléta  lui-même  en  écrivant  ta  rie  de  Louis-le-Gros.  Nous  possédons, 
avec  oe  dernier  morceau ,  une  suite  non  interrompue  de  biographies  de 
rois  de  France ,  rédigées,  à  partir  de  cette  époque ,  par  des  auteurs  con- 
temporains, jusqu'à  Guillaume  de  Nangis;  mais  nous  n'avons  plus  la 
compilation  latine  des  chroniques  de  Saint-Denis.  Peut-être  devons-nous 
douter  qu'elle  ait  jamais  existé ,  et  croire  que  la  rédaction  française  con- 
Hue  aujourd'hui  fut  faite  directement  sur  les  annalistes  latins  conservés  au 
tfésor  de  cette  abbaye.  Quoi  qn^il  en  soft  de  ce  point  douteux,  en  avait 
jusqu'ici  pensé,  avec  Saintc-Palàie,  que  le  premier  traducteur  ou  com- 
pilateur des  chroniques  de  Saint-Denis  était  Guillaumede  Nangîs.  M.  Pa- 
ris, dans  la  dissertation  qu'il  a  placée  en  tête  de  son  premier  volume,  se 
prononce  pour  le  ménestrel  anonyme  d'Alphonse,  comte  de  Poitiers, 
fi^e  de  saint  Louis.  Il  cite ,  d'après  un  manuscrit  de  la  bibliothèque 
royale,  le  prologue  de  cet  auteur,  et,  en  le  comparant  au  prologue  des 
grandes  chroniques,  tel  qu'il  se  lit  aujourd'hui ,  il  fait  remarquer  les  rap- 
ports qui  existent  entre  le  travail  du  premier  traducteur  et  celui  des 
moines  qui  mirent  la  dernière  main  à  Touvrage  sous  Philippe-le-Bel ,  et 
Itti  donnèrent  pour  la  première  fois  le  titre  de  Chroniques  de  France  selûn 
qu'è0eê89ni  eomervéês  à  SainUDenis. 

39. 


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612  ftETUE  DES  BEDX  MONDES. 

Dans  sa  dissertation ,  Sainte-Palaie  avait  éoiis  une  opinion  très  fato- 
rablc  à  ces  chroniques ,  et  avait  été  jusqu'à  dire  «que  si  elles  étaient  im- 
a  primées  avec  les  corrections  et  les  restitutions  nécessaires ,  on  pourrait 
((  presque  y  avec  cette  seule  lecture^  acquérir  une  connaissattce suffisante 
a  de  notre  histoire.»  M.  Paris  nous  semble  avoir  eu  tort  d*adopter  cette 
opinion,  et  nous  croyons  qu'il  a  été  beaucoup  trop  loin  dans  son  xè^  pour 
la  réhabilitation  du  monument  qu'il  publiait.  En  justifiant  les  compila- 
teurs des  chroniques  de  Saint-Denis  d'avoir  préféré  le  texte  d'Aimoiai 
celui  de  Grégoire  et  de  Fredegaire,  il  s'est  môme  laissé  entraîner  jusqa'i 
faire  le  procès  de  l'illustre  évêque  de  Tours ,  auquel  seul  nous  devons  de 
savoir  quelque  chose  des  premiers  temps  de  notre  histoire.  Au  xipet 
au  xiii*  siècles  y  les  moines  de  Saint-Denis  ont  pu  préférer  les  contes 
d'Aimoin  aux  récits  de  Grégoire  et  de  Fredegaire;  mais  de  notre  tempi, 
préférer  Aimoin  à  Grégoire,  ce  serait  nier  la  critique  historique.  Pour  on 
ouvrage  souvent  remanié ,  le  choix  d'un  texte  présentait  une  difficulté  sé- 
rieuse. Fallait-il,  à  l'exemple  des  bénédictins,  suivre  pour  chaque  épo- 
que le  plus  ancien  manuscrit  ou  s'en  tenir  à  la  rédaction  définitive  7  M.  Fi^ 
ris  a  prisée  dernier  parti.  Le  texte  qu'il  donne, d'après  un  grand  nombre 
de  manuscrits ,  date  du  xiv*  siècle.  Les  notes  qui  l'accompagnent  m- 
voient  aux  annalistes  latins  qui  ont  fourni  les  élémens  de  la  compilât» 
française. 

L'histoire  littéraire  s'est  enrichie  d'un  document  assez  curieux.  Ccst 
V Inventaire  des  livres  de  l'ancienne  bibliothèque  du  Louvre  »  fait  en  Fao- 
née  1375,  par  Gilles  Mallet,  garde  de  ladite  bibliothèque  pour  le  roi 
Charles  Y.  La  librairie,  comme  on  disait  alors,  occupait  trois  étages  de 
l'une  des  tours  du  vieux  Louvre.  £lle  s'était  formée  des  copies  que  le  roi 
faisait  faire  à  grands  frais ,  ou  des  ouvrages  nouveaux  dont  il  encoura- 
geait la  composition.  Souvent  aussi,  les  seigneurs  se  mirent  à  la  recherche 
des  manuscrits  pour  flatter  les  goûts  studieux  du  maître,  et,  en  1407,  le 
duc  de  Guyenne  fit  en  ce  genre  un  présent  de  grande  valeur.  Presque  tooi 
ces  ouvrages,  au  nombre  de  huit  à  neuf  cents,  étaient  couverts  de  riches 
étoffes,  écrits  et  enluminés  avec  soin.  Les  courtisans  et  les  clercs  dispo- 
saient assez  librement  de  cette  bibliothèque,  de  sorte  que  ses  continuelles 
acquisitions  la  renouvelaient  sans  l'enrichir.  En  1411,  un  nouveau  cau- 
logue,  dressé  par  le  successeur  de  Mallet,  donna  à  peu  près  le  wèm 
nombre  de  volumes,  mais  avec  beaucoup  de  mutations  :  le  tout  fîit  alors 
estimé  2,322  livres  4  sols,  somme  qui  représenterait  en  notre  monnaie 
une  valeur  assez  considérable.  Pendant  l'invasion  anglaise,  le  trésor  lit- 
téraire amassé  par  Charles-le-Sage  tenta  le  duc  de  Bedfort,  qui  prenait 
la  qualité  de  régent  du  royaume;  mais  comme  une  spoliation  complète 
eût  été  impolitique,  il  s'adjugea ,  pour  1,200  livres,  tous  les  volumes  qu'H 


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( 


RBTUE  LITTÉRAIRE.  613 

pat  rassembler,  et  les  fit  passer  en  Angleterre.  H  n*en  resta  chez  nous 
qae  ceax  qui  se  trouvaient  alors  confiés  à  des  savans.  Il  n*est  donc  pas 
exact  de  reporter  à  la  Tour  de  la  Librairie,  comme  on  Ta  fait  souvent , 
Forigine  de  la  grande  bibliothèque  qui  est  aujourd'hui  une  des  richesses 
nationales.  Mais  il  reste  à  Charles  Y  le  mérite  incontestable  d'avoir  sécu- 
larisé la  science  y  en  ouvrant  un  lieu  d'étude  pour  les  lettrés  qui  n'a- 
vaient pas  l'accès  des  bibliothèques  monacales.  Il  voulut  même,  par  une 
libéralité  qui  contraste  avec  l'étroite  discipline  des  établissemens  moder- 
nes, qu'on  entretint  dans  les  salles  trente  petits  candélabres  et  une  grande 
lampe  d'argent,  afin  qu'on  y  pût  travailler  à  toute  heure. 

L'éditeur,  M.  Van  Praet,  qui,  comme  bibliothécaire,  a  été  lui-même 
un  des  plus  recommandables  successeurs  de  Gilles  Mallet ,  s'est  contenté 
d'ajouter  de  courtes  notes  bibliographiques  aux  manuscrits  qu'il  a  décou- 
verts. On  désirerait  encore  une  table  systématique  qui  permit  d'appré- 
cier la  direction  intellectuelle  du  xiv* siècle.  Les  deux  catalogues,  faits 
successivement,  fournissent  ensemble  1,236  ouvrages,  inscrits  au  hasard 
et  sans  autre  règle  que  celle  de  leur  arrangement  au  Louvre.  Ce  nombre 
est  réellement  réduit,  par  de  fréquentes  répétitions ,  surtout  dans  la 
liturgie  et  les  livres  de  piété.  Quoique  le  roi  fat  capable  de  comprendre 
les  textes  latins,  il  n'a  guère  rassemblé  que  des  traductions.  Plusieurs  de 
celles  qu'on  a  faites  par  son  ordre  font  époque  dans  l'histoire  de  la  langue 
française,  et  notamment  la  Cité  de  Dieu  de  saint  Augustin,  commencée 
en  1371  par  Raoul  dePresles.  Les  autres  classiques  de  cette  bibliothèque 
sont  Ovide  en  rimes,  par  Philippe  de  Yitry,  la  Politique  et  les  Econo- 
miques d'Aristote,  par  Nicolas  Oresme,  la  Géométrie  d'Ëuclide,  quel- 
ques livres  de  Sénèque,  le  Fait  des  Romains  (traduction  de  Suétone), 
Valère  Maxime,  Boéce,  et  le  grammairien  Douât.  Point  de  livres  de  droit, 
après  le  Digeste  et  les  Décrétahs.  Une  chronique  espagnole  et  les  voyages 
en  Orient  du  Vénitien  Marco  Polo  sont  les  seuls  documens  relatifs  aux 
pays  étrangers.  Les  romans  chevaleresques  tiennent  lieu  d'histoire  natio- 
nale. La  philosophie  est  représentée  par  Pierre  Lombard,  Thomas  d'A- 
quin  et  Albert-le-Grand.  La  section  des  sciences  est  relativement  la  plus 
riche;  elle  possède  quelques-unes  des  compilations  encyclopédiques  célè- 
bres au  moyen-âge  :  le  Trésor  de  Brunetto  Latini ,  dont  une  édition  a  été 
préparée  par  ordre  de  Napoléon;  plusieurs  exemplaires,  tant  en  latin 
qu'en  français,  du  Grand  miroir  historialy  composé  au  xiii«  siècle  par  le 
dominicain  Vincent  de  Beauvais,  et  l'un  des  premiers  livres  imprimés  à 
Paris  deux  siècles  plus  tard.  On  remarque  aussi  les  recueils  d'histoire 
naturelle  connus  sous  les  noms  de  Bestiaires  et  de  Lapidaires^  un  grand 
nombre  de  livres  sur  l'astrologie  et  les  sciences  occultes;  enfin,  plusieurs 
livres  de  médecine,  traduits  de  l'arabe,  à  l'exception  d'un  traité  origi- 


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6^'  REVUE  IffiS  Mine  HONNIS. 

hilI  ,  par  le  chirurgiea  français  Heori  de  Maiide?ille.  Tels  sont  les  Mm» 
d'étude  offerts  aux  contemporains  de  Charles  Y.  Il  y  a  loin  de  là  au 
millions  de  volumes  répartis  aujourd'hui  dans  les  dix  bibliothèques 
parisiennes. 

Histoire  des  pats  étrangers.  —  Nous  rappellerons  d'abord  VHiilmn 
de  l'empH-e  ottoman,  par  M.  de  Hamnier.  La  seconde  livraison  (1)  com- 
mence à  l'installation  des  vainqueurs  dans  la  ville  de  Constantin ,  et  em- 
brasse les  règnes  de  Mohammed-le  Grand,  de  Bajézid  II  et  de  Sélim  F. 
Qd  voit  ces  princes  éprourer  ce  qui  arrive  d'ordinaire  aux  conquérans. 
Leurs  succès  sèment  autourd'eux  la  jalousie  et  Tinquiétude.  On  les  harcèle 
par  de  continuelles  agressions;  ou  traverse  leurs  desseins,  on  éfRe  Tin- 
stant  de  la  fatigue  pour  les  anéantir.  Ces  manœuvres  les  forcent  à  élargir 
sans  cesse  le  sol  envahi ,  afin  d*y  bâtir  plus  solidement,  et  une  conqoéta 
nouvelle  n'est  souvent  qu'un  acte  obligé  de  défense.  Enfermés  dans  mi 
cercle  d'ennemis,  les  premiers  sultans  font  face  de  tous  c6tés,  et  la  victoire 
étend  leur  empire  en  tous  sens.  A  la  mort  de  Sélim ,  moins  de  soixante-dix 
ans  après  la  prise  de  Gonstantinople,  la  domination  ottomane  est  établie 
en  Europe  sur  la  Servie,  la  Bosnie,  la  Yalachie,  l'Albanie,  le  Péloponèse, 
les  lies  de  l'Archipel.  En  Asie,  elle  s'étend  jusqu'au  corar  de  la  Perse.  La 
Blésopotamie  et  l'Egypte  sont  enlevées  aux  sultans  mamloucks,  avec  le  pn>> 
tectorat  des  villes  saintes,  la  Mecque  et  Médine,  c'est-A-dire  avec  m 
droit  de  suzeraineté  sur  l'Arabie  et  la  suprématie  sur  tous  les  peuplesqai 
professent  le  mahométisme.  Déjà  les  nations  chrétiennes  comptent  phis 
de  vingt  invasions  en  Italie,  dans  les  états  autrichiens ,  en  Hoagrie  et  m 
Pologne. 

J^es  guerres  acharnées,  les  dévastations,  les  massacres,  les  snppltcei 
atroces  qui  ont  rempli  cette  époque  trop  peu  connue,  donnent  aux  pagei 
de  M.  de  Hammer  une  couleur  sombre,  un  intérêt  soutenu,  maisdM* 
loureux.  La  conduite  des  sultans  à  l'égard  des  puissances  chrétienoeii 
dont  l'auteur  a  trouvé  le  secret  dans  les  historiens  orientaux,  a  pour  oooi 
le  prix  d'une  révélation.  Ces  chefs  farouches,  qu'on  dirait  emportés  pir 
l'instinct  de  la  destruction,  montrent  néanmoins,  quand  leur  intérêt 
l'exige,  la  perfide  réserve  des  politiques  achevés.  Le  mépris  des  infidèlai 
qu'ils  affectent  n'est  qu'une  ruse  pour  les  épier  à  couvert.  Ils  savent  foit 
bien  démêler  parmi  eux  les  moindres  germes  de  mésintelligence,  et  soi* 
vaut  le  brutal  axiome  de  leur  diplomatie,  siueiler  les  pores  etmtrt  Uf 
chiens f  et  les  chiens  contre  les  porcs* 

En  lisant  l'histoire  asiatique,  on  se  demande  souvent  comment  oe•b«^ 
des  conquérantes,  qui  se  jettent  étourdiroent  au  sein  d'une  popnlatka 

{r>  ïooM  B  et  4,  plvs  SInimea  dHu  trtsM  atlBS.  BelMxaH ,  ne  de  TenetiH,  1. 


i 


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l^ofitile,  qui  s'épuisent  ea  des  luttes,  sans  fin ,  ne  disparaissent  pas  bientôt 
dans  les  torrens  de  sang  qu'elles  font  couler.  La  conduite  du  vainqueur 
de  CoQStantinople  donne  raison  de  cette  singularité.  Pour  repeupler  sa 
capitale  presque  déserte,  il  enlève  les  plus  riches  familles  des  villes  con- 
quises en  Illyrie,  en  Bosnie,  dans  la  Grimée,  en  Grèce,  dans  l'Asie  mi- 
neure. Un  très  petit  nombre  de  ces  colons,  ceux  de  Karamanie,  soi^t 
inusulmans  :  les  autres  appartiennent  à  différens  rites  chrétiens.  Tout^ 
les  institutions  de  Mohammed  II,  le  véritable  fondateur  de  Tempire,  ten- 
dent à  créer  un  peuple  en  assimilant  les  élémens  hétérogènes  que  lui 
offre  la  victoire.  Mais  la  puissance  qu'il  a  si  laborieusement  enfantée  es^t- 
elle  née  viable?  Possède- t-elle  du  moins  les  principes  de  stabilité  et  de  ré- 
génération que  nous  attribuons  aux  grands  états  du  système  européen  ? 
C'est  le  problème  du  siècle  que  la  diplomatie  moderne  aura  bientôt 
iranché  définitivement,  et  dont  on  peut  prévoir  la  solution  dans  le  grave 
et  savant  travail  de  M.  de  Hammer. 

Beaucoup  d'écrivains  s'occupent  de  l'histoire  et  des  destinées  de  l'Es- 
pagne, qui  partage  avec  la  Turquie  l'attention  de  l'Europe.  Ce  n'est  pas 
que  l'Espagne  par  elle-môme  et  directement  ait  un  grand  poids  à  jetçr 
dans  la  balance.  Depuis  long-temps,  elle  n'est  dans  la  politique  générale 
que  l'appendice  de  la  France.  Mais  en  reproduisant  successivement  cha- 
que phase  de  notre  situation,  elle  l'exagère  jusqu'au  radicalisme.  Ainsi 
elle  réagit  sur  nous  et  par  nous  sur  les  autres  nations.  One  nouvelle  histoire 
é^Espagne  et  de  Portugal,  par  M.  Paquis,  réduit  à  de  justes  proportions 
les  volumineuses  annales  du  jésuite  Mariana,  de  Ferreras  et  de  La  Clè4p. 
Le  judicieux  éditeur  n'a  pas  négligé  les  travaux  de  la  critique  moderne. 
Les  établissemeos  civils  et  religieux  des  W isigoths  sont  exposés  d'après 
l'école  historique  des  jurisconsultes  allemands.  Pour  la  domination 
des  Arabes  on  fait  intervenir  souvent  les  orientalistes,  et  notamment 
il.  Lembkè,  qui  a  consulté  plusieurs  manuscrits  inconnus  à  ses  prédéces- 
seurs. A  juger  par  les  premières  livraisons,  l'histoire  générale  de  la  Pé- 
aînsule  sera  enfin  résumée  dans  un  livre  consciencieux  et  intelligent. 

Notre  curiosité  est  plus  directement  excitée  par  l'ouvrage  de  M.  To- 
reno  :  Histoire  du  soulèvement^  de  la  guerre  et  de  la  révolution  d^Espa^ 
^ne  (1).  Quelles  que  soient  les  destinées  que  l'avenir  réserve  au  peuple 
espagnol,  il  ne  peut  plus  se  soustraire  au  grand  mouvement  d.e  réforme 
qui  emporte  les  sociétés.  Or,  la  crise  régénératrice  qui  lui  a  ouvert  cette 
carrière  immense,  c'est  la  guerre  de  l'indépendance.  C'est  donc  là  qu'il 
faut  remonter  pour  prendre  une  idée  complète  de  l'Espagne  du  xix«  siècle. 
Les  nations  ont  dans  leur  vie  des  époques  où  elles  se  trempent,  comme 

^t)  a  vol  ini8B.  Faulin,  éditmr,  rue  de  Selae-Salni-Germain,  3S. 


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QlQ  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

les  individus  ont  des  âges  où  se  forment  leur  tempérament  et  leor  ca- 
ractère; 1808  est  pour  la  Péninsule  une  de  ces  époques  décisives.  C'est 
là  qu'il  faut  saisir,  au  moment  de  leur  fusion,  les  élémens  divers  de  l'Es- 
pagne actuelle.  L'ouvrage  de  M.  Toreno  suffit-il  pour  cela?  Nous  ea 
doutons.  Cependant,  c'est  un  précieux  avantage  que  d'avoir  l'histoire  de 
ce  grand  fait  politique  tracée  par  un  Espagnol,  par  un  homme  d'état, 
par  un  de  ceux  qui  en  furent  témoins,  et  qui  même  jouèrent  le  premier 
rôle.  Citoyen  de  la  province  où  commença  l'insurrection,  M.  Toreno, 
fort  jeune  encore,  y  prit  une  part  active ,  suivant  en  cela  l'exemple  pa- 
ternel. C'est  lui,  avec  don  Angel  de  la  Yega,  qui,  député  par  les  premiers 
insurgés  des  Asturies,  alla  chercher  le  secours  de  l'Angleterre.  Plus  tard 
il  fut  au  nombre  de  ceux  qui,  par  une  démarche  hardie,  emportèrent  It 
convocation  descortès,  et,  enfin,  membre  de  cette  assemblée,  on  l'y  vit 
déployer  cette  première  ferveur  de  patriotisme  qu'aucune  déception  n'a 
encore  attiédie.  Son  témoignage  n'est  donc  pas  sans  autorité.  D'aillears, 
cette  histoire  porte  l'empreinte  d'un  travail  consciencieux.  On  voit  qae 
l'auteur  a  puisé  aux  meilleures  sources,  consulté  les  documens  originaoi, 
recueilli  des  renseignemens  curieux  et  précis.  Ainsi,  parfaitement  in- 
formé, il  nous  fait  pénétrer  dans  le  détail  des  intrigues  de  cour  qmse 
terminèrent  si  misérablement  par  l'abdication  de  Bayoane;  il  nous  initie 
au  secret  des  négociations  ambitieuses  des  divers  princes  qui  voulaient 
exploiter  la  situation  delà  Péninsule.  Une  des  circonstances  de  ce  geon 
les  plus  singulières,  ce  sont  les  ouvertures  faites  au  gouvernement  de 
Cadix,  au  nom  de  Joseph  Bonaparte,  par  le  chanoine  La  Pena.  Trop  hon- 
nête homme  pour  ne  pas  souffrir  de  la  situation  fausse  que  lui  avait  ûite 
l'ambition  de  son  frère,  n'ayant  pas  l'héroïsme  d'abnégation  nécessaire 
pour  se  dévouer  sans  réserve  à  ses  desseins,  ou  pour  s'affranchir  au  prix 
d'une  couronne,  Joseph  aurait  fait  cause  commune  avec  les  cortès,  si  elles 
l'avaient  voulu  reconnaître  pour  roi.  Il  offrait  de  s'abandonner  à  leor  di- 
rection. Le  refus  péremptoirc  de  la  régence  lui  épargna  ce  qui  aurait  pn 
être  considéré  comme  une  lâcheté,  et  aucune  communication  ofliciellene 
fut  faite  à  l'assemblée  nationale. 

M.  Toreno  n'est  pas  moins  complet  dans  l'exposition  des  travaux  lé- 
gislatifs  de  ces  cortès,  qui  fondèrent  des  institutions  à  la  portée  des  batt^ 
ries  françaises,  et  dans  le  récit  des  progrès  et  des  luttes  de  la  révolotioB- 
L'insurrection  surtout,  si  spontanée,  si  universelle,  si  audacieuse,  est  re- 
tracée au  vif  et  comme  par  un  homme  qui  l'a  vue.  C'est  la  partie  de  l'oa- 
vrage  qui  offre  le  plus  d'intérêt  et  d'instruction. 

Après  tous  ces  travaux  pleins  d'une  science  qu'on  n'obtient  jamais  saof 
quelque  fatigue,  on  est  heureux  de  pouvoir  mentionner  un  de  ces  rare« 


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REVUE   LITTÉRAIRE.  617 

'OOTragcs  dont  la  lecture  est  uq  délassement.  Il  est  vrai  qu'il  ne  date  pas 
de  notre  siècle ,  et  que  celai  qui  l'a  écrit  ne  se  croyait  pas  obligé  de  sou- 
tenir son  rôle  d'auteur  en  face  d'un  public.  Ce  sont  des  lettres  adressées  à 
quelques  amis  par  un  érudit  de  premier  ordre ,  un  yrai  connaisseur  en 
fait  d'art,  et  par-dessus  tout,  un  homme  d'esprit.  Le  président  de  Brosses, 
ayant  entrepris  de  recomposer  l'histoire  romaine  de  Salluste  avec  les 
fragmens  disséminés  qui  nous  en  restent,  fit  en  1739  le  voyage  d'Italie» 
pour  recueillir  les  élémens  du  grand  ouvrage  auquel  il  consacra  quarante 
anuées.  C'est  sa  correspondance  qui  vient  d'être  publiée  par  M.  R.  Co- 
lomb, sous  ce  titre  :  l'Italie  il  y  a  cent  ans  (1).  Antiquités,  palais,  ta- 
"bleaux,  littérature,  gouvernemens,  aspects  généraux  de  la  société, 
,physionomies  curieuses,  rien  n'échappe  à  l'infatigable  visiteur.  Sa  for- 
tune et  son  mérite  déjà  apprécié  lui  donnent  accès  partout.  Le  hasard 
môme  le  favorise.  Un  conclave  a  lieu  pendant  son  séjour  à  Rome.  Il  tient 
journal  de  toutes  les  intrigues,  et  trace  un  épisode  piquant  de  l'histoire 
ecclésiastique,  en  racontant  les  tours  de  Scapin  qui  se  renouvellent  chaque 
fois  qu'il  s'agit  de  donner  un  chef  au  monde  chrétien.  II  se  trouve  à  Na- 
zies pendant  les  fouilles  entreprises  pour  déblayer  Herculanum,  et  trans- 
met à  l'Académie  des  Inscriptioi.s  le  premier  cri  de  surprise  qu'a  causé 
cette  miraculeuse  trouvaille.  Il  explique  à  Buffon  l'action  dévorante  du 
Vésuve ,  qu'on  force  à  reudre  sa  proie  après  dix-sept  siècles.  L'apprécia- 
tion des  œuvres  d'art  tient  une  grande  place  dans  la  correspondance  du 
président.  II  veut  tout  voir.  Il  se  lance  d'instinct  sur  la  trace  des  maîtres, 
sans  craindre  cette  lassitude  que  les  voyageurs  ont  souvent  éprouvée  sur 
une  terre  encombrée  de  curiosités.  Une  fois  seulement,  à  Venise,  il 
^avoue  vaincu  par  leTintoret,  dont  il  se  contente  d'examiner  mille  à 
douze  cents  tableaux.  Évidemment,  Charles  de  Brosses  possédait  les 
connaissances  positives ,  les  secrets  de  la  pratique,  sans  lesquels  les  juge- 
mens  en  fait  d'art  manquent  toujours  de  solidité.  L'opinion  qu'il  émet  lui 
appartient.  Son  enthousiasme  est  franc  et  sans  idolâtrie.  Après  avoir 
admiré  les  deux  sibylles  dont  l'exécution ,  d'une  pureté  exquise,  éleva 
Raphaël ,  jeune  encore,  au  rang  des  maîtres,  il  place  sur  la  môme  ligne 
deux  figures  peintes  en  regard  par  un  artiste  oublié,  Timoteo  délia  Vite. 
Cette  piquante  correspondance  pourrait  néanmoins  avoir  un  grand  tort  aux 
yeux  de  certaines  gens.  Elle  substitue  l'Italie  véritable  à  celle  des  poètes 
et  des  romanciers ,  si  favorable  aux  coups  de  théâtre ,  aux  caractères  tran- 
chés. Il  ruine  sans  pitié  une  des  plus  fécondes  ressources  de  la  scène 
moderne.  Voici,  par  exemple,  ce  qu'il  écrit  de  Venise  :  a  Le  sang  est  si 
doux  ici  que,  malgré  la  facilité  que  donnent  les  masques,  les  allures  de 

(1}  s  ToL  in-So,  Chez  Leravasiettr,  libraire,  place  TendOiae. 


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618  REVUE  DBS  DEUX  IfOIlDES. 

nuit ,  les  rues  étroites ,  et  surtoat  les  ponts  sans  garde-fous ,  d*où  Tob  peat 
pousser  un  homme  dans  la  mer  sans  qu'il  s'en  aperçoive ,  il  n'arrive  pas 
quatre  accideos  par  an ,  encore  n'est-ce  qu'entre  étrangers.  Vous  pouvez 
juger  par  là  combien  les  idées  que  l'on  a  sur  les  stylets  vénitiens  sont  mal 
fondées.  Il  en  est  à  peu  près  de  même  de  leur  jalousie  pour  les  femmes. 

Cependant  cela  mérite  explication »  Nous  résistons  à  l'envie  de  citer. 

Il  y  a  d'ailleurs,  au  sujet  des  femmes  italiennes,  des  explications  qui  poor^ 
raient  être  déplacées  ici ,  mais  que  le  voyageur  sait  faire  accepter  à  forofr 
d*esprit. 

VI.  —  LrrTÉRATURE. 

Ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut,  les  romans,  les  poésies,  etime 
foule  de  compositions  capricieuses,  qu'on  ne  sait  à  quel  genre  attribuer, 
tiennent  une  large  place  dans  l'inventaire  général.  Il  est  assez  diffidie 
d'estimer  ces  fruits  bigarrés  de  l'imagination.  S*ib  ont  quelque  saveur, 
c'est  surtout  pour  ceux  qui  les  dévorent  dans  leur  primeur.  Mais  trop 
souvent  ils  sont  fanés  et  affadis  quand  vient  la  critique  réfléchie,  qoi» 
pour  les  productions  de  cette  nature ,  arrive  toujours  trop  tard.  LescBO- 
vres  poétiques  ou  romanesques,  dignes  d'une  étude  littéraire,  ne  sont 
jamais  que  des  exceptions.  Les  plus  remarquables  du  semestre  ont  été 
caractérisées  à  leur  apparition  par  quelques-unes  de  ces  pages  que  nos 
lecteurs  n'oublient  pas,  et  qui  ne  nous  laissent  rien  à  dire  du  Jacelyn  de 
M.  de  Lamartine,  de  la  tentative  épique  de  M.  Quinet ,  de  la  Confesskm 
d'un  enfant  du  siècle  ^  de  M.  Alfred  de  Musset.  Si  la  Revue  n'a  pas  encore 
parlé  du  Chemin  de  traverse ,  c'est  qu'elle  se  propose,  à  l'occasioa  de  cet 
ouvrage,  de  revenir  sur  les  précédons  travaux  de  M.  Janin ,  sans  même 
excepter  l'œuvre  polémique,  où  éclatent  souvent  les  heureuses  saillies  de 
son  talent. 

M.  Alphonse  Karr  a  donné  deux  volumes  qu'il  lui  plaît  d'appeler  :  U 
Chemin  le  plus  court  (1).  Hètons-nous  de  déclarer  que  son  livre  est  spiri- 
tuel, varié,  souvent  gracieux,  et,  pour  tout  dire  en  un  seul  mot  que  nos 
auteurs  ont  laissé  vieillir,  amusant  II  ne  faut  pas  d'ailleurs  appliquer  cofr 
trelui  la  loi  d'après  laquelle  on  juge  les  romans.  Sa  constitution  un  pea  foi* 
ble  ne  subirait  pas  sans  danger  l'opération  analytique.  Son  titre  n'est  jos- 
f  ifié  que  par  un  imperceptible  incident.  L'auteur  n'emploie  pas  l'échafiia* 
dage  scénique  qui  soutient  d'ordinaire  les  compositions  romanesques.  H 
dédaigne  les  contrastes  de  caractères,  les  ressources  du  mystérieux  et  de 
l'imprévu.  S'il  fallait  spécifier  sa  manière  >  nous  ne  saurions  que  rappel» 
celle  des  peintres  flamands ,  qui ,  fort  peu  préoccupés  de  l'ensemblei  ^tf- 

(1}  Chez  Gosadin,  me  SaintrGermain-del-Fi^,  9; 


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HBTim  LITTiR4im«  619 

{filent  l'intérêt  dans  les  détails,  et  qui  j  par  rhenreox  agencement  des 
groupes,  par  Tesprit  de  leur  coloris ,  donnent  un  sens  «t  de  l'expression  à 
des  scènes  nulles  par  elles  •mômes ,  à  des  objets  inaperçus  et  mnets  dans  la 
vie  réelle.  Les  ouvrages  de  ce  genre  peuvent  exciter  sur  l'instant  de  l'émo* 
tk>n  ou  du  plaisii*,  mais  ils  ne  laissent  dans  les  souvenirs  qn'une  confusion 
pénible.  II  n'y  a  pas  d'impressions  grandes  et  durables  sans  l'unité  d'in- 
tention ,  sans  la  franchise  des  moyens.  C'est  surtout  à  ceuxqui  font  preuve 
de  puissance  qu'on  doit  la  vérité  toute  entière,  et  en  ce  sens  l'œuvi^  de 
M.  Karr  nous  autorise  à  lui  rappeler  les  conditions  immuables  du  succès. 
Dans  le  Chemin  le  plus  court,  la  figure  du  principal  personnage  est 
lieiireusement  trouvée.  C'est  bien  1&  un  des  types  de  Tépoque.  L'allure 
somnolente  de  Hugues  répond  parfaitement  au  vagabondage  de  son  es* 
prit.  Il  est  si  candide-d'ailieurs,  si  parfaitement  inoflènsif ,  qu'on  se  prend 
tout  d'abord  à  l'aimer,  etqû'tm  souffre  plus  que  lui-même  des  obstacles 
qu'il  rencontre ,  des  duperies  dont  il  est  victime.  C!ependant,  en  le  sui«- 
vaut  de  plus  près,  on  serait  forcé  de  reconnaître  que  ce  jeune  homme, 
si  complètement  en(fuignonné  y  est  en  quelque  sorte  coupable  des  mes* 
«ventures  qui  lui  arrivent  :  on  verrsfit  que  toute  son  ambition  est  de  vivre 
«ans  souci ,  sans  fatigue ,  et  pour  lui-seul  ;  de  caresser  nonchalamment  ses 
moindres  sensations,  et  de  se  laisser  végéter  dans  cette  demi^ivresse  que 
procurent  les  arts;  que  Hugues. enfin,  sans  but,  sims fonctions,  à  qui 
manque,  non  pas  la  force,  mais  assez  d'énergie  pour  en  latre  usage ,  n'a 
peut-être  pas  le  droit  de  se  plaindre  d-une  société  au  milieu  de  laquelle 
il  est  absolument  inutile.  Cette  conclusion  ne  ressort  pas^netteraent  du 
livre  de  M.  lUrr,  et  peut-être  n'était-elle  pas  dans  son  intention;  £t 
cependant  cet  écrivain  fait  si  souvent  preuve  d'un  sens  droit ,  d'une  ironie 
fine  et  pénétrante,  qu'il  ne  tiendrait  qu'à  lui  de  mettre  en  saillie  une 
pensée  utile,  et  de  donner  ainsi  à  ses  fictions  l'ampleur  et  Tauterité  qui 
leur  manquent.  Nous  ne  lui  citerons  pas  d'autres  modèles  que  lui-même. 
Il  faudrait  que  sa  touche  fût  toujours  aussi  franche  que  dans  le  portrait 
de  cette  belle-mère  dont  l'intervention  officieuse  fait  de  Tintérieur  des 
jeunes  époux  un  véritable  enfer;  il  faudrait  surtout  qu'à  l'avenir,  il  dé- 
figeât  son  œuvre  de  digressions  que  rien  ne  justifie ,  des  thèses  paradoxa- 
les qui  ne  sont  que  des  remplissages ,  des  boutades  que  tous  les  lecteurs 
peut-être  ne  trouvent  pas  de  bon  goût.  Par  exemple,  l'auteur  interrompt 
son  récit  pour  aller  voir  si  l'orage  n'a  pas  endommagé  ses  fleurs ,  ou  bien 
il  laisse  deux  pages  en  blanc,  invitant  chacun  à  les  remplir  selon  les  res- 
sources de  sen  esprit;  ou  bien  encore ,  il  divise  une  page  en  deux  colonnes, 
pour  mettre  en  regard  ce  que  pensent  deux  de  ses  personnages.  Tout  ce 
que  nous  pouvons  dire  de  ces  fantaisies ,  c'est  que  les  écrivains  de  quel- 
que poids  n'ont  jamais  eu  la  faiblesse  d'y  céder.  Ceux  qui  ont  de  l'origina- 


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620  RBYOE  DES  DEUX  MONDES. 

lité  réelle  I  et  assurément  M.  Karr  est  du  nombre ,  ont  plus  à  perdre  qie 
les  autres  à  la  bizarrerie  affectée. 

SetHmiay  par  M"''  Hortense  Allard,  est  un  roman  qai  mérite  mes- 
tion  à  part  y  et  qui  assigne  à  l'auteur»  parmi  les  femmes  qui  ècrÎTeot, 
un  rang  que  l'amitié  seulement  jusqu'ici  lui  accordait.  SeîUmia,  selon 
nous,  réalise  en  grande  partie  les  espérances  qu'il  y  a  bien  dix  ans,  Ger- 
irude,  début  de  M*"*^  Allart,  avait  fait  concevoir.  Dans  l'intervalley  Ftii- 
teur  a  publié  successivement  plusieurs  romans  ou  môme  d'autres  écrits 
plus  sérieux,  comme  celui  sur  la  Femme  et  la  Démocratie.  Dans  tous  ces 
ouvrages,  M°**  Allart  avait  fait  preuve  d'élévation  et  de  pensée;  nais 
l'exécution,  la  couleur,  la  facilité  et  le  charme  laissaient  beaucoup  à  dé 
sirer*  L'auteur  voulait  souvent  peindre  la  passion ,  et  en  atteignait  ci  et 
là  des  éclairs;  mais  on  pouvait  croire  que  l'effort  de  la  pensée  y  était  an 
moins  pour  autant  que  la  flamme  du  cœur.  Il  en  est  autrement  de  5d- 
iimia  :  il  y  a  passion  vraie,  il  y  a  élévation  toujours,  il  y  a  enfin  peinture. 
L'héroïne  de  M"'*  Allart  est  une  Romame;  l'auteur  les  aime  ainsi.  Aymt 
vécu  de  bonne  heure  dans  cette  ville  de  l'histoire  et  des  souvenirs  aus- 
tères,.tous  ses  rêves  s'y  reportent  et  s'y  encadrent  comme  au  ciel  deh 
patrie.  Settimia  aime  Marcel,  jeune  Français  qui  est  allé  passer  une  sais» 
à  Rome  avec  sa  famille,  avec  sa  mère  malade;  la  jeune  fille  a  été  élevée 
avec  soin  par  son  oncle  l'abbé  .Yéra,  un  de  ces  savans  éclairés  et  pas- 
sionnés, comme  l'Italie  en  garde  encore.  Le  mariage  avec  Marcel  n'est 
pas  possible  aussitôt;  il  est  trop  jeune,  il  n'a  pas  de  carrière.  La  famiUe 
de  Marcel  »  en  retournant  en  France,  veut  le  ramener;  il  résiste.  Rappelé 
plus  tard  par  un  protecteur  de  qui  sa  carrière  peut  dépendre,  il  hésite 
encore ,  puis  cède  et  part.  Tous  ces  combats  de  l'amour  vrai  et  de  Vam- 
bition  virile  sont  parfaitement  peints,  soit  au  cœur  de  Marcel,  soit  an 
cœur  de  Settimia.  Settimia  veut  à  la  fois  Marcel  homme  et  grand  par  la 
pensée  entre  les  autres  hommes,  et  elle  le  veut  esclave  et  faible  i  ses 
pieds;  elle  lui  dit  par  momens  :  a  L'amour  s'augmente  des  richesses  de 
l'esprit,  jo  et  s'il  manque  un  jour  de  venir  à  Albano,  afin  de  rencontrer 
un  savant  français  qui  arrive  à  Rome,  la  voilà  mourante  et  qui  erre  pâle 
et  folle  dans  les  campagnes.  En  regardant  avec  Marcel  les  plaines  qui  s'é- 
tendent à  perte  de  vue  sous  le  soleil  couchant ,  elle  lui  demande  s'il  y 
saurait  bien  faire  manœuvrer  une  armée;  et,  s'il  reçoit  de  Paris  une 
lettre  de  rappel  qui  le  rend  distrait,  elle  veut  rompre.  Tout  ce  combat 
est  rendu  à  merveille  par  l'auteur;  cette  alliance  de  l'ambition  et  de 
l'amour  dans  les  âmes  fortes  a  évidemment  beaucoup  occupé  M***  Allart: 
comment  concilier  l'étendue  et  la  curiosité  de  l'esprit  avec  Tarder  sacrée 
du  cœur?  les  affaires,  l'activité  et  la  gloire,  l'influence  du  moins,  avec 
le  règne  intérieur  de  l'amour?  En  croyant  que  l'avenir  réserve  une  coi- 


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RBYUE  UTTERÂIRE.  G21 

cilîation  satisfaisante  à  ces  deux  moavemeDS  jusqu'ici  opposés  et  séparés, 
M°^  AUart  s'abuse  peut-être  :  mais,  à  coup  sûr,  elle  se  pose  la  question 
avec  une  noble  fermeté  philosophique ,  et  elles*y  agite,  au  nom  de  Set- 
timia,  en  jetant  çà  et  là  de  grands  traits.  Tout  le  premier  volume,  qui 
est  rempli  des  luttes  violentes  et  tendres  de  Settimia  et  de  Marcel,  et  de 
l'essai  de  vie  indépendante  que  va  mener  à  Naples  Settimia  après  le  dé- 
part de  son  amant  pour  l'Inde,  me  parait  supérieur  au  second,  qui  con- 
tient le  retour  de  Marcel,  ses  dangers  dans  la  traversée  à  bord  du  Kent , 
et  ses  luttes  nouvelles  avec  Settimia  plus  fatigantes  que  les  premières  et 
trop  prolongées.  Je  n'aime  pas  non  plus  du  tout  qu'il  ait  été,  même  un 
seul  moment,  sous-secrétaire  d'état,  et  cela  sans  avoir  été  à  la  Chambre 
(faveur  singulière);  ce  seul  mot  de  sous-secrétaire  d'état  me  gâte  toute 
cette  Rome  et  la  passion  de  ces  nobles  êtres.  Oh  !  non,  la  grande  ambition, 
la  vraie  gloire,  même  l'influence  aujourd'hui  enviable  de  toute  pc usée 
mAle,  n'est  pas  là.  — •  En  somme  Settimia,  par  la  gravité  du  ton,  par  l'é- 
loquence de  certaines  pages,  et  la  science  combinée  de  l'ambition  et  de 
l'amour,  n'est  pas  indigne  de  ce  grand  nom  de  Rome  qui  sans  cesse  y 
revient  et  dont  Tadoration  y  domine  :  les  personnes  sérieuses  qui  out  vu 
l'Italie,  et  qui  ont  la  religion  romaine,  comme  on  dit,  pourront  placer 
ce  roman  élevé  dans  leur  bibliothèque,  pas  très  loin  du  romande  llouie 
Sotiterratne  qu'il  rappelle  quelquefois. 

Le  nom  d'Hyppolite  Arnaud ,  qu'un  roman  intitulé  Pierre  (1)  a  fait  re- 
marquer, cache,  dit-on,  celui  d'une  autre  femme.  Si  l'auteur,  résistant 
aux  exigences  de  la  routine ,  fût  resté  maître  de  son  cadre ,  si  la  néces- 
sité de  fournir  deux  volumes  n'eût  pas  fourvoyé  son  principal  person- 
nage jusque  dans  la  Mer  Pacifique,  nous  n'aurions  que  des  éloges  pour 
des  scènes  d'un  sentiment  vrai  et  profond,  d'une  exécution  chaleureuse. 
A  tout  prendre,  c'est  un  heureux  début,  qui  oblige  à  la  fois  Tauleur 
à  une  étude  plus  sévère  du  sujet,  et  le  public  à  cette  bienveillante  atten- 
tion qui  féconde  le  talent. 

M.  de  Balzac,  qui  se  fait  appeler  le  plus  fécond  de  nos  romanciers,  a 
trouvé  un  système  de  composition  qui  lui  permettra  de  justifier  ce  titre 
sans  trop  de  peine.  Au  lieu  de  lutter  pour  accorder  à  la  pensée  les  élé- 
mens  que  lui  offre  la  langue  commune,  travail  ingrat  où  l'écrivain  épuise 
d*ordinaire  son  temps  et  sa  force,  M.  de  Balzac  forge  un  mot,  ou  ce  qui 
revient  au  même,  emploie  des  termes  barbares  et  inintelligibles,  que  les 
compilateurs  de  vocabulaires  vont  chercher  on  ne  sait  où?  Souvent  en- 
core, il  nous  donne  pour  des  métaphores  des  mots  qui  sonnent  creux 
en  se  rencontraut.  Ainsi  le  Lys  dans  la  Vallée  nous  révèle  des  pa- 


(Jj  Chez  Ladvocat,  liJjraire,  rue  Chabanais, 


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iimeng  subis  ea  silence ,  des  MaadieêS  IgBorées ,  à»  i 
cessibles.  Un  parfvm  de  femme  Mlle  dans  l'ame  du  hérof ,  et  oettefeaM» 
parle  avec  une  voir  d'or.  Quand  un  luitearse  permet  desenibUhlmlir 
cences,  Téditeur  devrait,  comme  pour  les 'écrits  des  TÎ^uxâ^es^fti» 
suivre  le  volume  par  un  glossaire  des  mots  difficiles* 

La  fécondité  s'explique  encore  par  le  déiaut  opposé  «ii.néolo|pana»A 
pâleur  et  le  manque  de  caractère.  Ce  défaut  est  trop  souvent  celai  ii 
style  du  bibliophile  Jacob.  En  revanche,  il  peut  offiir  à  la  onrieiilédBi 
iectcurs  les  ressources  d'une  piquante  érudition.  C'est  ce  qui  swilieMki 
son  dernier  roman  :  Pignerçl ,  histoire  du  Umpe  4e  Louis  XiV  ^. 
Après  toutes  les  dissertations  qui  ont  si  bien  embrouillé  ThiMoiieik 
l'homme  au  masque  de  fer,  qu'elle  est  devenue  la  plus  inextiicalik 
énigme,  le  bibliophile  hasarde  une  nouvelle  eei^eeture.  Selen  Im, 
le  malheureux  prisonnier  ne;&erait  autre  qi^le  surintendant  Fiwiqiwi, 
qui,  puisantsans  pudeur  dans  les  coCfresde  l'état  pouraisoaivir  sesfi- 
lans  caprices,  aurait  attiré  l'implacable  ressentiment  du  roi»  eo «Mê- 
lant de  ses  désirs  M"*  de  La  Valiière.  G<mdamaé  en  1664,  après  tm 
années  de  procédure,  enfermé  dans  le  donjon  de  PigneroL,  sous  la  garie 
du  farouche  Saint-Mars,  et  enfin,  surpris  en  flagrant  délit  d'évasioaapris 
«ne  captivité  de  seize  ans ,  Fouquet,  dont  on  annonce  la  oiort,  est  ioba- 
mé  en  effigie,  mais  réellement  enfermé  dans,  cet  affreux  iombe»»  défier, 
où  il  doit  rester  encore  vingt-trois  ans.  Telle  est  la  version  «tu  bibliefihile. 
Nous  ne  savons  pas  si  elle  supporterait  l'épreuve  de  la  costrovenelnsls- 
rique;  mais  nous  croyons  que  le  drame  intéressant  qui  la  déveidffwast 
de  nature  à  la  mettre  en  crédit  :  l'émotion  qu'il  provoque  est  si  forte, 
qu'on  a  peine  ii  l'attribuer  à  des  infortunes  imaginaires. 

Nous  éviterons  de  nous  prononcer  sur  quelques  ouvrages  que  des  neas 
justement  estimés  paraissaient  recommander  au  public.  On  doit  le  si- 
lence aux  erreurs  du  talent.  Quant  à  cette  lourde  pacotille  qu'on  lanœà 
tout  hasard  sur  l'océan  capricieux,  nous  n'entreprendrons  pas  d*eo  (aire 
l'inventaire.  Ce  serait  d'ailleurs  un  affligeant  travail.  S*il  éuit  possible  de 
classer  les  deux  cents  volumes  de  romans  publiés  en  ces  derniers  mois, 
on  les  verrait  descendre,  par  une  Imperceptible  dégradation,  jusqu'à  la 
plus  incurable  niaiserie ,  jusqu'à  l'impudente  nullité.  Cootentona-nous  de 
signaler  quelques  traits  de  physionomie  générale  qui  permettant  déco»- 
stater  dans  le  genre  une  tendance  nouvelle.  Reportons  nos  souvenirs  à 
trois  années.  Le  roman  n'était  rien  moins  alors  que  l'épopée  des  tem^ 
modernes  :  son  cadre  et  ses  machines  constituaient  la  forme  par  excel- 
lence, et  il  ne  reculait  devant  aucune  des  grandes  questions  historiques  ou 

(1)  s  vol.  tn-So.  Chez  Renduel ,  rue  des  Grandi- Augastins,  Si. 


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sociales.  Celte  bouffée  d'orgueil  8*excusait  par  une  étourdissante  fortune. 
Un  peu  moins  choyé  aujourd'hui»  le  roman  renonce  peu  à  peu  aux  préten- 
tions qui  l'ont  trop  souvent  conduit  au  ridicule;  il  tend  à  redevenir  ce 
qu'il  était  autrefois  »  un  livre  de  lecture  récréative  et  facile,  un  spectacle 
au  coin  du  feu.  Il  faut  ajouter  que  la  majorité  des  écrivains  affecte  la  so- 
briété dans  le  style  y  la  moralité  et  quelquefois  même  l'orthodoxie.  Les 
réclamations  contre  le  dévergondage  des  esprits  ne  sont  déjà  plus  des 
raison.  A  ceux  qui  ne  veulent  voir  que  lés  torts  de  notre  littérature ,  sans 
tenir  compte  du  bien  qu'elle  fait ,  nous  pouvons  affirmer  que  le  mal  mo- 
ral, à  aucune  époque ,  n'a  été  moindre  qu'aujourd'hui.  11  serait  facile  de 
multiplier  les  preuves.  Mais  sans  sortir  du  cercle  de  publications  que  nous 
avons  parcouru ,  nous  citerons  comme  point  de  comparaison ,  un  livre  qui 
date  d'un  demi-siècle,  et  qu'on  vient  de  réimprimer  {Théorie  des  lois 
criminelles,  par  Brissot  de  Warville,  2  vol.).  On  lit  dans  un  chapitre  sur 
l'adultère  :  —  a  L'adultère  n'existe  pas  dans  la  loi  naturelle.  Il  est  au  con- 
traire bien  naturel  de  ne  pas  borner  son  goût  à  un  seul  fruit,  et  de 
cueillir  toutes  les  fleurs  qui  peuvent  flatter  l'odorat  et  charmer  Fœil.  —  » 
A  coup  sûr,  on  ne  trouverait  pas,  dans  un  seul  des  écrits  du  jour,  cette 
phrase  anacréontique  dont  nos  pères  n'étaient  pas  choqués  dans  un  grave 
traité  de  jurisprudence. 

A.  C.  ï. 


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LES 


AMITIÉS  LITTÉRAIRES. 


Si  les  poètes  de  nos  jours,  en  se  plaignant  de  la  critique,  n'al- 
laient pas  au-delà  du  reproche  d'injustice  et  d'ignorance,  la  criti- 
que devrait  se  taire  et  accepter  l'accusation  comme  încffensire; 
dans  tous  les  temps,  les  hommes  qui  produisent  des  œuvres  d'ima- 
gination ont  eu  pour  leurs  paroles  et  leurs  pensées  une  admiration 
persévérante  et  obstinée  ;  dans  tous  les  temps ,  soit  à  Taurore,  soH 
au  déclin  de  leur  gloire ,  ils  se  sont  crus  méconnus  par  leur  siècle; 
cette  plainte  éternelle  et  vulgaire  ne  mérite  pas  d'être  discutée.  Car 
pour  un  Milton  réduit  à  tenir  une  école ,  achevant  un  poème  im- 
mortel dans  la  solitude  et  la  pauvreté,  combien  de  rimeurssans 
Terve  et  sans  génie,  qui  alignent  des  mots  et  comptent  des  syllabes, 
et  qui  réussissent  à  monnoyer  leur  emphase  et  leur  jactance  I  Mais 
les  poètes  de  nos  jours  vont  plus  loin  dans  leurs  reproches  que  les 
poètes  d'autrefois  ;  à  les  entendre ,  ils  n'ont  pour  juges  que  lears 
élèves  ;  souvent  la  critique  ne  saurait  où  prendre  les  premiers 
•élémens  de  la  discussion;  sans  leurs  leçons  bienveillantes,  les 
commentateurs  seraient  muets  et  réduits  à  la  plus  docile  des  ado- 
rations ;  aussi ,  dès  que  leur  mérite  est  mis  en  question ,  dès  que  le 
doute  ose  atteindre  un  seul  de  leurs  poèmes ,  ils  crient  à  l'ingrati- 
tude. Ce  dernier  reproche  est  plus  grave  que  celui  d'înjusUce  et 


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LES  AIITTIÉS  LlTTéftAlRBS.  685 

d*ignoraiice,  et  c'est  pour  le  réduire  à  sa  juste  valeur  que  j'essaie 
aujourd'hui  de  raconter  comment  naissent,  grandissent  et  mea- 
rent  les  amitiés  littéraires.  Dans  ce  récit  sommaire,  fondé  sur  de  nom- 
breuses expériences,  je  m'abstiendrai  de  tous  les  traits  qui  pour- 
raient avoir  un  caractère  satirique  ;  je  resterai  dans  la  région  des 
idées  générales,  et  si  les  épisodes  de  ce  chapitre  s'appliquent,  avec 
unelittéralité  rigoureuse,  à  plusieurs  physionomies  contemporaines, 
ce  sera  la  faute  de  la  vérité,  mais  non  pas  la  mienne*  Je  serai  franc 
dans  tout  ce  que  )j  dirai ,  je  n'inventerai  rien,  je  n'essaierai  pas  de 
grossir  ce  que  j'ai  vu,  d'exagérer  les  confidences  que  j'ai  reçues; 
je  ne  chercherai  pas  reffét  aux  dépens  de  la  fidélité;  j^accomplirai 
religieusement  les  devoirs  de  l'historien ,  mais  je  ne  serai  jamais 
personnel.  J'espère  que  cette  esquisse,  envisagée  sérieusement 
comme  un  document  désintéressé ,  mettra  le  public  à  même  d'ap- 
précier ce  que  signifie  l'ingratitude  littéraire. 

Pour  n'omettre  aucun  des  points  de  ce  sujet  difficile,  je  prends 
le  poète  à  son  début.  Il  est  seul,  ignoré;  il  n'a  pas  encore  eu  le  temps 
ou  la  force  de  se  révéler;  il  rêve  là  gloire  et  ne  sait  pas  s'il  l'attein- 
dra. Il  cherche  dans  le  champ  de  la  poésie  une  montagne  ou  une 
vallée  qui  n'ait  pas  été  défrichée;  il  parcourt  toutes  les  voies  ten- 
tées par  l'imagination  humaine,  afin  de  découvrir  quel  chemin  il 
doit  se  frayer,  vers  quel  but  il  doit  diriger  ses  effî)rts.  H  se 
promène  autour  des  traditions  consacrées  comme  un  soldat  au- 
tour des  murailles  d'une  place  ennemie  pour  surprendre  une  pierre 
ébranlée,  un  pan  de  rempart  chancelant,  et  arrêter  dans  sa  pensée  . 
par  où  il  fera  brèche  et  pénétrera  dans  la  place.  Car  il  aspire  au 
titre  de  novateur.  Plus  tard,  peut-être,  il  comprendra  que  la  nou- 
veauté n'est  pas  la  garantie  la  plus  sûre  de  la  durée  ;  plus  tard  il 
mesurera  la  distance  qui  sépare  l'invention  de  la  singularité;  mais 
aujourd'hui  le  loisir  et  la  réflexion  lui  manquent  pour  discerner  la 
beauté  de  la  nouveauté;  il  veut  appeler  sur  son  nom  l'attention 
publique,  et  le  moyen  le  plus  rapide  pour  atteindre  ce  but  lui  sem- 
ble naturellement  le  meilleur  moyen.  Plein  de  confiance  dans  sa 
jeunesse,  dans  la  sève  exubérante  de  ses  pensées,  il  construit  à  la 
hftte  une  poétique  hardie  qui  contredît  formellement  les  idées  de 
la  foule,  mais  qu'il  espère  défendre  glorieusement  en  multipliant 
ses  ouvrages  comme  autant  de  sorties  contre  l'ennemi.  Quel  que  . 
soit  son  courage,  quel  que  soit  son  génie,  qu'il  ait  projeté  à  priori 

TOM  VII.  ^ 

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6tt  RKvm  n»  vaux  mquims. 

]a  num  de»  tnuiiliom qui  TembarraMeM,  on  qtfû  sft  Mmuà, 
par  la  peine  imemible  de  sa  réveriey  à  dMtiBr  le  rnitwnwg 
des  préceptes  qtâ  obstroent  sa  route,  ilaerénssiipas  duftMMr 
ceap  à  oonqpiPérir  la  sympatlue  ou  même  eecleoBent  la  carMi 
BkHi  qoe  la  solitvde  eHtrre  conoM  le  yiû,  bien  que  le  didegM» 
sidB  de  rtioMBse  arec  sa  pensée  exake  parfois  jasqa'i  la  iWfffr 
teHige&ee  nttpréro^faste,  cependant  le  poète  qni  débote  m  kté 
de  se  heniter  contre  ta  réaMté.  H  n  bean  dans  sa  fierrt  toofiB' 
santé  se  bâtir  un  palais^  et  du  banc  de  son  trAme  imaginaire  oot- 
templer  ses  Yassaox  fators,  il  kn  arrnre  sourent  de  se  réreiDerci 
sursnot,  et  de  svhre  d'nn  «ril  désolé  ses  ilnsioiisqiiisedispeneit 
coamase  les  mages  sons  le  rent.  Sonrenit  H  est  saisi  d'an  4imfà 
profend;  il  doute  de  Ini  mémo  et  de  Tavenir,  îl  se  denaaiée  à 
le  Twn  qu*il  a  formé  n'est  pas  nn  rora  insei»éy  s*fl  n'a  p 
tenté  l'impossible ,  s*a  ne  ferait  pas  miens  de  rentrer  te 
les  voies  battues  et  frayées  depuis  long-temps.  D  est  pris  de^m- 
passieii  en  voyant  Tintervalle  qni  le  sépare  de  la  foule;  9  ntmt 
d'un  regard  découragé  le  déMrt  oeil  s*est  eafermé^eiaMi^ 
sonadmiration  pour  l'ccurre  ignorée  desonigéftie^il  sent  aadete 
de  kn-méme  un  vague  dé«r  de  popularité,  un  bes<m  de  lou^p 
et  d*apf4aadbsement  ;  il  commenoe  à  eOBiprendre  qn*il  lai  bit  * 
auditoire,  et  que  si  personne  ne  vient  à  son  secours,  il  «t^ot- 
damné  i  une  étemelle  obscurité .  Bans  œs  heures  dealoami«<l^ 
défeiHaneo,  le  poêle  ne  songe  pas  i  feîro  de  régoismeine  areb 
inviabdile  et  sncrée  ;  il  est  bien  loin  de  croire  que  le  meade  Mip- 
partienne,  et  que  le  doute,  même  bienvefllant  et  poS,  ssit*** 
impardonnable  injure*  Par  im  instinct  de  oonservatiooqB'il^^ 
bKera  plus  urd,  ou  du  moins  <pi*il  ne  vuudra  plus  entendre,! 
descend  des  hauteurs  soUtaires  de  sa  rêverie,  et  consent  i  diacs- 
ter  avecses  amis  la  valeur  et  la  probabilité  de  sen  opinioas.  D  dé- 
pouille l'orgueil  impérieux  qui  l'avait  emporté  si  loin  de  la  réiiitéf 
il  se  feit  simple  et  indulgent  pour  les  objections,  il  accepte  cooac 
des  conseils  les  argumens  les  plus  vifs  et  même  les  pins  bostiH 
et  il  trouve  dans  cet  échange  femiUer  de  sentimens  et  d'i^léesb 
plus  douce  et  la  {dus  vraie  des  consolations.  Peui  pensoa  anese 
rassérène  et  s'apaése;  il  respire  plus  librement^  son  regard  6'assaie 
et  s'éckârcit;  il  voit  pkïB  nettement,  M  iqppréeie  avec  uns  iiapi^ 
tiidiiéplusUiAre  tous  les  c6tés  de  la  question  poétique.  Uaai^ 


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a»à me  tocMMB  kst diffiedlés <|É*fl.4mii  d*abevd  néeoiiiHie»,  #t 
iécoiwre  mk  Ibad  du  préjugé  populaiiie  do«  parocHe»  de  bon  sens 
^  de  raiiCMi  qu'il  n*aTait.fifts  8#iipç(Hiiié6».  B  s'explique  la  résis- 
itues  qa^il  a  ranoanlréte  sur  sa  route ,  et  à  mesure  qu'il  juge  mieux 
ses  adversaires ,  il  sent  £Ribiir  sa  colire  et  grandir  son  espérance.. 
1  arrive  enfin  à  estimer  la  fioule  quil  combat,  à  prévoir  la  durée 
le  la  guerre  ;  il  trace  avec  use  lenteur  persévérante  ses  lignes  de 
âreenvallation;  il  se  retraadie  dans  son  camp  en  attendant  Vou- 
Fertore  de  la  eampagae.  n  n'a)  plus  l'enivrement  de  la  solitude  r  tt 
»t  tout  i  la  fois  résolu  et  dairvoTant,  hardi  et  réservé,  amèi- 
ieas  et  prudmt.  liais  à  qui  doit*il  ce  progrès  inattendu?  A  quî, 
B^en'estàranîtiét  N'esti^oepas  dans  la  discussion  fimM^et 
XMopléte  de  ses  idées  qu'il  a  puisé  le  courage  de  les  soutenir  jé^ 
lo'au  bout?  If 'esi€e  pas  dans  la  discussion  qu'il  a  entrevu  pour 
a  première  fois  la  nécesoté  d'étudier  l'armée  enneorie  avant  de 
attaquer? 

L'heure  dont  je  parle  est  àiseup^sAr  Theure  la  plus  he«reuBe>dé 
a  vie  du  poète*  H  Ji*est  {dus  seal>  â<  est»  osanpm»  A^  mesure  qaffl 
iec<»iplit  aa  pensée,  il  entend  résonner  à aon^ oreille  devparèles 
feneouragement  et  de  btmivBiUaBoe.  fiaos^l'émocion  qu'il  Krsar 
in  visage  ami,  il  entrevoit  l'mithoMiasmg  populaire;  le  présent^ 
û  modeste  qu'il  soit,  est  riche  d'un  i^enir  immense,  indéini. 
^oreé  de  s'escpliquer  à  celui  qui  reçoit  le»  pnaièrss  confidenoes 
le  son  géwe ,  amené  sans  effort  et  sans  contrainte  à  dérouler 
levant  lui  tous  les  mystères  de  sa  volonté ,  il  arrivée  se  miens 
comprendre  lui-même.  Dans  l%ilimilé  de  ses  épanehemens  ^i 
Be cemMÛssent  ni  lu  honte  ni  l'embarras,. n'ayant  rien  à.cadier^ 
rien  à  taire ,  ne  rougissant  pas  de  liwer  sa  pensée  inadievée, 
il  s'aperçoit,, au  moment  môme  où  il  parie,  de  la  foute  où  il  aflait 
tomber,  il  se  corrige  en  se  révélant,  et  souvent  ne  veut  déjà 
plus  ce  qu'il  annonce  vouloir*  Ce  perpétuel  contrôle  qu'il  exeree 
sur  lui-même,  cet  enseignement  famttier  auquel  il  se  livre  cha- 
que jour  à  propos  de  son  œuvre,  donne  i  toutes  ses  idées  une 
clarté  singidière.  Le  mouvement  de  la  conversation  entraîne  son 
intelligence  au  milieu  de  régions  imprévues ,  et  pose  devant  lui 
des  problèmes  sans  cesse  renaissans,  que  la  création,  réduite  à 
l'emploi  solitaire  des  focultés,  n'aurait  pu  ni  deviner  ni  résoudre» 
n  se  fait  alors  en  lui  deux  part&bien  distinctes,  l'une  spontaaéo^ 

40. 


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828  RBVUB  DES  DEUX  MORDES. 

active,  impétueuse ,  l'autre  calme,  réfléchie,  prévoyante. En niis 
temps  qu'il  invente,  il  sait  pourquoi  il  invente;  il  ne  va  plas  se  jeter 
tête  baissée  dans  les  abîmes  sans  fond;  il  mesure  le  danger  ini 
de  l'affronter,  et  s'il  échoue  dans  une  hardie  tentative,  da  mm 
fl  n'a  pas  à  se  repentir  de  sa  présomption  ou  de  son  ignorance;] 
ne  reçoit  que  les  blessures  au  devant  desquelles  il  amarcbé;e( 
certes  dans  la  douleur  même,  si  cuisante  qu'elle  soit,  c'est o^ 
consolation  puissante  de  se  souvenir  que  la  douleur  était  prére^ 
Or,  je  crois  être  dans  la  vérité  en  affirmant  que  le  poète  Hrréilii- 
même,  sans  ami  et  sans  interlocuteur,  n'ayant  ponr s'éproum 
chaque  jour  que  sa  seule  conscience,  ne  recueillerait  pas loei 
riche  moisson  de  clairvoyance  et  de  sagacité,  qu'il  ferait sostot 
fousse  route,  et  qu'après  avoir  trébuché,  il  n*aurait  pas toqjom 
le  courage  de  se  remettre  en  marche.  Sans  l'amitié  il  serait  pei^ 
être  aussi  fort,  mais  il  ne  serait  pas  aussi  persévérant. 

De  son  côté,  le  confident  du  poète  s'éclaire  par  les  qoestios 
même  qu'il  lui  adresse.  En  le  voyant  à  l'œuvre ,  en  assistiotcii^ 
que  jour  aux  progrès  de  la  pensée  qui  est  née  sous  ses  ]fni,« 
surveillant  avec  une  attention  assidue  l'épanouissement  ethfl^ 
raison  du  germe  déposé  dans  le  sol  fécond  de  la  réflexion,  Ak- 
quiert  fatalement  une  subtilité  d'interrogation,  une  précisk«(if 
curiosité  qu'il  n'aurait  jamais  pu  atteindre,  s'il  n'avait  pas  en  4l^ 
vaut  lui  l'expérience  vivante  de  la  poésie,  le  spectade  intérim 
d'une  intelligence  aux  prises  avec  l'inspiration.  L'étude  Tigihaa 
de  l'œuvre  qui  s'accomplit  sous  ses  yeux  développe  en  loi  &\ 
finesse  de  jugement,  une  délicatesse  de  perception  i  laquelle  il  ne 
serait  jamais  arrivé  sans  le  secours  de  cette  stimnlation  (f^ 
dienne.  Les  impressions  de  chaque  jour  éveillent  en  loi  uneseï^ 
bilité  qui  ne  se  serait  jamais  manifestée,  si  elle  n'eût  pas  étésoKoM^ 
par  la  présence  d'une  œuvre  inachevée,  dont  chaque  agraBÈ- 
sèment  est  pour  lui  un  problème  d'un  égal  intérêt,  d'une  égale»»' 
veau  té.  Certes  la  lecture  attentive  des  monumens  de  la  poésie»^ 
tique  et  moderne  peut  révéler  aux  intelligences  sérieuses  bien*' 
secrets  de  composition,  et  développer  chez  elles  une  nrtf^ 
de  goût.  La  comparaison  de  ces  monumens  entre  eux ,  et  destrat^ 
formations  successives  à  l'aide  desquelles  ils  s'engendrent  dans* 
ordre  logique,  peut  fournir  des  données  précieuses  sur  l*P^' 
.jpétuité  de  la  tradition,  sur  la  Yîtlçur  dç  Ift  ûgiiYWUrtWVi^^** 


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LES  AMITIÉS  LITTÉRAIRES.  ^9 

ibsolnment  ;  mais  tontes  ces  révélations  de  la  lecture  sont  lentes , 
aborieuses ,  et  ne  réussissent  pas  toujours  à  éclairer  d'un  jour 
iompletle  mystère  de  Teniantement  poétique.  Le  poète  à  l'œuvre , 
|ui  se  débat  sous  le  dieu  et  frémit  sur  le  trépied ,  est  par  lui-même 
m  enseignement  inappréciable,  une  leçon  vivante ,  et  que  nulle 
ecture  ne  saurait  remplacer.  Assister  au  développement  progres- 
lif ,  à  l'élargissement  régulier  de  la  pensée ,  voir  comment  les  idées 
l'ordonnent  et  s'enferment  concentriquement  l'une  dans  l'autre, 
/est  plus  qu'apprendre  la  stratégie,  c'est  assister  à  une  bataille, 
^rivé  du  secours  de  cette  leçon  vivante,  le  critique  pourrait  poser 
les  prémisses  très  vraies ,  et  déduire  de  ces  prémisses  des  conclu- 
ions irrécusables;  mais  il  ne  porterait  pas  la  lumière  de  la  dialec- 
iqae  dans  toutes  les  parties  de  la  discussion,  ou  plutôt  il  ne  po- 
erait  pas  tous  les  problèmes  particuliers  compris  dans  un  problème 
;énéral,  parce  qu'il  ne  lui  serait  pas  donné  d'entrevoir  tous  ces 
problèmes  par  la  seule  force  de  l'induction. 

n  est  donc  vrai  que  le  poète  et  le  critique,  en  vivant  dans  une 
Qtime  familiarité,  s  instruisent  mutuellement  et  agrandissent  cha- 
[ue  jour  le  champ  de  leur  pensée.  H  est  donc  vrai  que  l'inspiration, 
arveillée  par  la  réflexion,  et  la  réflexion,  fécondée  par  le  spec- 
acle  permanent  de  l'inspiration,  se  doivent  une  mutuelle  recon- 
laissance.  Dans  cette  involontaire  initiation,  chacun  donne  et  reçoit 
lans  ta  même  mesure;  celui  qui  se  montre  et  celui  qui  regarde, 
:elui  qui  interroge  et  celui  qui  répond,  s'enrichissent  dans  une 
>roportion  égale,  et  n'ont  rien  à  regretter  dans  leur  générosité. 
%acun  des  deux  étant  pour  l'autre  l'occasion  et  la  cause  d'un  en- 
leignement,  n'a  qu'à  se  féliciter  de  ce  perpétuel  échange  de  pen- 
lées.  n  serait  impossible  de  déterminer  lequel  des  deux  joue  le 
)remier  rôle,  lequel  des  deux  est  l'obligé.  Car  cette  initiation  a 
^la  de  singulier,  que  les  deux  interlocuteurs  sont  à  la  fois  prêtres 
ît  néophytes  ;  le  poète  et  le  critique  ont  toujours  une  question  à 
)ffrir  en  échange  de  la  question  qu'ils  viennent  de  résoudre.  Ces 
icux  intelligences,  qui  s'épient  et  se  guettent,  non  par  ruse,  mais 
par  bienveillance,  non  pour  se  tromper,  mais  pour  s'éclairer  mu- 
tuellement, ont  droit  au  même  respect,  à  la  même  soumission.  Le 
poète  qui  crée  et  qui  souvent  limite  sa  pensée  à  l'horizon  de  son 
œuvre,  ne  peut  traiter  avec  dédain  l'esprit  auquel  il  confle  tous 
SCS  projets,  cl  qui;  n'ayant  çnçhalné  ^oo  ^çiiyité  à  auçuue  idod 


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OO  MffUB  M»  DSOK  MOlfDBS. 

déteniiiiiée,  tparene  lilMrsneot  Taxe  entier  de  Vm 
m$inB.  Mais  la  Dberté  vagabonde  de  la  réflexk» 
doit  oontemider  avec  jMe  foUidtudo  fraterneOe  llBteffienoȈ 
poète  penchée  sur  son  œnvpe  comme  l'ai^^e  sur  sa  proie,  et  iM 
avec  dévouement,  avec  'émotion,  cette  volonté  qui  s*aceoapi. 

Cette  estimation  de  la  poésie  et  de  la  critique  pourra  Kair 
singulière  aux  esprits  enthousiastes  qui  n'admettent  pas  foiofin 
la  parité  de  Tinspiration  et  de  la  réflexion*  Mais  ce  serait  leai- 
prêndre  singulièrement  sur  le  sens  de  nos  paroles  que  de  m»  » 
«usqr  de  prédileetion  pour  la  réflexion  inactive.  Nous  nfw» 
aussi  bien  que  personne,  la  distanoe  qui  sépare  le  génie  dnnw; 
mais  dans  la  question^que  nous'traitons ,  il  ne  s*agit  pas  de  ia  n- 
leur  absolue  de  ces  demt  formes  deia  pensée ,  il  s'agit  des  «vi» 
que  chacune  des  deuK'Fend  à  Tautre;  et,  sous  ce  pemtdemlB 
poète  et  le  critique  sontsur  un  pied  d'égalité  parfiâite* 

Convaincus  de  cette  vérité,  le  poète  et  le  critique  vimtn^ 
semble  dans  une  heureuse  harmonie.  Leur  amitfé  repeiesff^ 
mutuel  respect,  jD'est-4-dir6>mir  la  mutuelle  întdligmoedeMerrin 
qu'ils  ofit  reçus  et  rendosé  Atons'il  n'-estpas  rare  de  voirieoii^ 
sinterposer  entre  lepeèle  et  la  foale,  et,  profitant  delMrii 
dans  laquelle  il  av^u^'coatinuede^  vivre  avec  lai,  ts^bptrm 
esprits  mdiflérens  ou  blasés ,  hostiles  ou  ironiques ,  b  passéefit 
présidé  à  la  conception  et  à  l'exécution  d'une  œurn  poétitp 
Dans  ces  occasieDs,  qui  se  représement  à  de  fréquensistefrtfeft 
le  critique  ne  demande  au  poète  aucune  reconnaissaDce.Iltii^ 
en  lui-4néme  ou*dans  le  speetade  des  conversions  qu*fl  a  pro^ 
sa  récompense  la  plus.donoe.  841  est  éloquent ,  sTH  possède  Fut* 
persuader  ou  de  oonvaincre,  s^fl  sait  remuer  les  passioBsota* 
tourer  d'une  lumineuse  évidence  le  théorème  auquel  il  se  dévo** 
y  s'applaudit  de  sa  puissance  et  ne  songe  pas  àréclaoierQns)l>''j 
pour  les  sympathies  qu'il  enchaîne,  pour  les  colères  qu'il  q)>i*' 
pour  les  dédains  qu'il  ramène  à  la  docilité.  Si  le  poète,  dans  Qnii0>^ 
vement  de  gratitude,  comble  d'éloges  son  ami  et  soninterpri*,» 
dans  un  élan  d'enthousiasme  il  loi  promet  les  plus  hautes  destia^ 
le  critique,  sans  révoquer  en  doute  la  sincérité  des  paroles  tf* 
entend,  ne  se  laisse  pourtant  pas  aveugler.  11  sait  très  bicnceipl 
vaut  et  ce  qu'il  peut;  il  a  mesuré  ses  forces  et  son  coura^** 
s'iAstient  avec  une  égale  persévérance  de  la  fausse  modestie  rtti^ 


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LES  AWVnÉS  UTTÉRAIHES.  6Sf 

Aetté  emphaliqm.  B  aecaeiHe  la  IbMiige  et  le  temehâemeiit 
BOBë  une  effiosion  spoBtanée ,  mais  mpermet  paa  à  rémotion  du 
ètê  de  troubler  la  sérénité  de  sa  pensée.  H  assiste  à  la  ivoire  de 
D  ami  avec  un  entier  désintéressement.  Un  jour  peat*étre  il  cfaan« 
Ta  de  rMe  et  tentera  pour  son  compte  de  gravir  leè  dmes  labo-* 
mses  de  la  renommée;  atijourdlim  sa  tâche  est  plus  tramble^ 
lis  rédaane  cependant  l'emploi  de  toutes  ses  forces.  Cest  à  hii 
l'il  appartieiit  d'sAer  au  derant  des  doutes  qui  ne  sont  pas  encore 
s,  d'épier  sur  les  lèrres  immobiles  le  sourire  incrédule  qui  n'a 
s  encore  pKsséla  bouche,  et  de  réfuter  les  doutes  et  les  sou-* 
*es  avant  qn*ils  ne  soient  devenus  contagieux.  Cette  tiche  ùsu- 
meikt  n'a  rien  d'éclatant  ni  de  {^rieux,  mms  sufit  à  contester' 
le  ame  généreuse  et  dévouée. 

Interpréter  diaqué  jour  pour  la  foule  inattentive  et  distraite 
ravre  dont  il  a  suivi  rentier  épanouissement,  est  pour  le  critique 
rieux  mi  réle  presque  aussi  actif  qiïe  celtn  du  poète.  Les  jq>- 
ludiBsemens,  s'ils  lui  arrivent,  ne  lui  appartiendront  jamais 
as  partage.  S'il  a  révélé  dans  xin  dratne  ou  dans  un  roman ,  dans 
I  reeoeil  d'odes  ou  d'âégies,  dès  beautés  mystérieuses  qu'une 
pide  lecture  n'aurmt  pas  découvertes ,  si  pard'habiles  transfor- 
aions  il  a  amplifié,  sans  l'altérer,  la  pensée  du  poète,  c'est  au 
lète  que  reviendra  la  meSleure  partie  dès  applaudissemens.  Maië 
poète  et  le  critique  sont  unis  entre  eux  par  une  amitié  trop 
roite  pour  que  la  jalousie  puisse  les  diviser;  car  le  critique,  sans 
re  pour  le  poète  ce  que  le  gm  est  pour  le  chénë,  n'a  cependant 
ks,  &  cette  heure  de  dévouement  et  d'abnégation,  une  personna- 
4  lassez  nette,  assez  tranchée,  pour  vivre  par  lui-même  d'une 
e  indépendante  et  complète.  Résolu  à  aider  de  toutes  ses  forces 
Kvéaement  du  poète  dont  il  a  entendu  les  premiers  bégaiemens, 
kjdè  à  construire  de  ses  mams  le  trône  sur  lequel  il  veut  asseoir 
Hi  ami,  il  met  toute  sa  joie  dans  la  joie  qu'il  contemple,  il  est 
3Qreux  du  bonheur  qu'il  a  fi^t ,  et  n*entrevoit  pas,  dans  un  avenir 
nochain ,  le  bonheur  égoïste  et  solitaire. 
La  condition  intellectuelle  que  j'essaie  de  peindre ,  en  la  réduis 
m  à  ses  élémcns  les  plus  généraux,  prépare  au  poète  et  ati  cri- 
que des  triomphes  multipliés.  Appuyés  l'un  sur  l'autre,  ib  mar- 
inent d'un  pas  assuré  à  la  conquête  des  esprits  r^>elles.  Dégagé 
a  sottoi  de  la  disoussioVi  le  poète  m  renfimiie  tool  eùtier  dans 


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G32  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

sa  création;  lorsqu'il  se  mêle  au  inonde ,  c'est  pour  recoeiDirlc) 
louanges  amassées  par  Tintervention  bienveillante  de  son  io^ 
prête.  De  son  côté,  le  critique,  ramené  sans  cesse  parlespedidï 
de  la  poésie  active  aux  formules  les  plus  précises  delà  discosÉi, 
ne  court  pas  le  danger  de  s'égarer  dans  les  espaces  imaginab, 
et  de  poser  des  problèmes  ou  insolubles  ou  inutiles.  Il  nesêpEt 
pas  la  théorie  de  l'application,  et  sans  abdiquer  son indiridubc, 
sans  renoncer  à  son  libre  arbitre,  il  côtoie  cependantleim 
qu'il  a  vu  sur  le  chantier  et  dont  il  épie  le  sillage.  Livré  à  lai-ok 
il  ne  pourrait  se  défendre  du  besoin  de  construire,  pour  sœM 
plaisir,  des  formules  absolues,  impérieuses,  qui  ne  violeraieirtpH 
la  vérité ,  mais  ne  pourraient  recevoir  aucune  applicatioD  isul' 
diate  ;  il  dépenserait  son  énergie  dans  un  combat  sans  Tictoire. 
Quand  le  poète  emporté  loin  de  sa  retraite  studieose  se  nf- 
pelle  les  heures  paisibles  que  je  raconte ,  il  n'a  plus  l'intd^ 
assez  sereine,  assez  désintéressée,  pour  restituer  à  chaque dio« 
le  caractère  qui  lui  appartient.  H  ne  consent  pas  à  reoonoaitrerê* 
galité  fraternelle  dans  laquelle  il  vivait  avec  8oninterprète.Éiouii 
par  les  rêves  orgueilleux  de  sa  vie  nouvelle,  il  proteste  conwk 
passé,  et  récuse  le  témoignage  de  sa  mémoire.  H  baptise  de  dok 
étranges  et  hautains  l'intime  familiarité  à  laquelle  il  a  di  ses  pi» 
douces  journées.  Dans  celui  qui  le  soutenait  et  qui  marcàait  ptè 
de  lui,  il  ne  veut  plus  voir  qu'une  plante  parasite,  incapable* 
pousser  par  elle-même  des  branches  vigoureuses  et  feuiBues;ilsfr 
tribue,  dans  les  jours  qui  ne  sont  plus,  une  force  et  wicowiF 
qu'il  n*avait  pas;  de  son  ami,  il  fait  un  disciple  obéissant; il oot^ 
les  clameurs  envieuses,  les  ironies  insultantes  que  seulil  cûiécps- 
tées  en  frémissant,  et  auxquelles  il  n'eût  peut-être  pas  résiste  s 
personne  n'eût  été  près  de  lui  pour  relever  son  courage;  floa» 
les  conseils  qu'il  a  reçus,  les  conversations  pleines  de  francte'^ 
d'entraînement  où  il  a  puisé  plus  d'une  leçon  imprévue.!»^ 
quoi  qu  il  fasse  ou  qu'il  dise,  il  ne  peut  réduire  sa  mémoiww^ 
lence,  il  ne  peut  rayer  les  jours  inscrits  au  livre  de  ses  soureaffs. 
les  jours  où  il  se  confiait  sans  réserve  et  sans  Causse  honte ib 
discrétion  d'un  ami,  où  il  ne  craignait  pas  d'avouer  touràtow * 
ambitions  gigantesques,  ses  so  daines  défaillances,  ses  reooi^ 
mens  désespérés.  Le  passé  dont  il  se  détourne  parle  plus  haot?^ 
son  orgueil,  et  sait  bien  le  contraindre  au  regret  et  au  repeflû^- 


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LES  AMITIÉS  LITTÉRAIRES.  635 

Oui,  le  poète  et  le  critique,  lorsqu'ils  fondent  chacun  leur  puis- 
ince,  vivent  dans  une  égalité  fraternelle;  et  cette  égalité  foit  leur 
)rce  la  plus  grande.  Le  créateur  et  l'interprète,  en  s*avouant  mu- 
lellement  leurs  doutes  et  leurs  tfttonnemens,  arrivent  par  une 
oie  phis  directe  au  but  qu'ils  se  proposent,  à  la  gloire  et  à  la  clair* 
oyance.  C'est  pour  avoir  méconnu  cette  vérité  incontestable  que 
ss  poètes  d'aujourd'hui  ont  proféré  contre  leurs  juges  des  repro- 
hes  si  amers  et  si  injustes  ;  c'est  pour  avoir  nié  comme  imaginaire 
ette  fraternité  intellectuelle,  qu'ils  ont  prononcé  le  mot  si  singulier 
'ingratitude.  En  rétablissant  dans  leur  vrai  jour  tous  les  épisodes 
e  la  vie  littéraire,  lious  démolissons  pièce  à  pièce  l'échafaudage 
le  l'accusation,  et  la  défense  se  simplifie  en  se  réduisant  au  rôle 
inique  d'historien. 

Nous  voici  arrivés  à  l'époque  critique  de  la  vie  du  poète.  La  lutte 
st  achevée,  ou  du  moins,  si  elle  continue,  elle  changera  de  carac- 
ère;  la  gloire  va  prendre  la  place  de  la  douleur.  Préparé  à  son 
ivénement  par  des  combats  multipliés,  quand  il  sent  la  gloire  venir 
i  lui ,  il  l'accueille  avec  une  émotion  sérieuse.  H  comprend  que  la 
lignite  nouvelle  dont  il  est  revêtu  lui  impose  des  devoirs  nouveaux. 
Tant  qu'il  a  vécu  dans  l'obscurité,  bien  que  toutes  ses  veilles  fus- 
lent  dévouées  à  l'avenir,  bien  que  chacune  des  ciselures  patientes 
le  sa  pensée  fût  destinée  à  diviser  la  lumière  en  rayons  glorieux, 
cependant  la  nuit  indulgente  où  ses  travaux  s'enfouissaient  lui  lais- 
sait la  faculté  de  revenir  sur  sa  première  volonté,  d'émonder  les 
parties  inutiles,  d'agrandir,  de  corriger  la  première  forme  de  sa 
pensée  ;  s'il  se  trompait,  le  loisir  ne  lui  manquait  pas  pour  réparer 
sa  faute  ;  il  n'avait  pas  à  craindre  qu'une  voix  importune  gourman- 
dàt  sa  maladresse  ou  son  ignorance.  H  régnait  paisiblement  dans 
son  petit  domaine,  et  ne  redoutait  ni  la  curiosité  ni  l'insolence  des 
passans.  Si  les  semences  qu'il  avait  jetées  dans  les  sillons  ne  rencon- 
traient pas  dans  le  sol  assez  de  sucs  nourriciers,  si  le  blé,  au  lieu 
de  mûrir  et  d'étendre  sur  la  plaine  un  tapis  doré,  s'arrêtait  dans  sa 
croissance  et  ne  donnait  au  moissonneur  qu'une  paille  sans  épis,  il 
pouvait  se  consoler  dans  l'espérance  d'une  année  meilleure,  sans 
avoir  à  subir  les  railleries  jalouses.  Aujourd'hui  la  gloire ,  en  le 
touchant  du  doigt,  a  fait  de  lui  un  autre  homme.  L'attention  pu- 
blique va  se  concentrer  sur  chacune  de  ses  œuvres.  Chacune  de  ses 
paroles,  une  fois  prononcée,  sera  pour  lui  une  occasion  de  louange 


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MdeUhM.  Bteoranifl  9  ne^^appartiem.fkML  SftiPttiiiiwili 
téalisée,  prudente  oa  éleunlie»  «veuglie.wicbwnrDjMle.fliig 
qnise  à  la  ««ltîtu4e,  el  aonuEiae  itrév^Kaibleinuil  an  jogaiMiJ 
plus  sévère.  A««sv  dès  €e  noaiest»  le  poète  dmeat  ée  ptasiifi 
frave»  de  pliw  ea  fins  réBéehi.  H  renomce  ans  ft«eiitiuei,iti 
ne  dédde  pas  a»  «lèpart  «rvAoi  d;*AT«ttr  jreceuma  ktrooiaiÉi^ 
n^n^er.^  n  s  ÎAterdît  lecaaprice  comme  «ne  fome  nrépanbk;!^ 
iXNMulle  longHevps  aviMl  d*agir«  parce  <pi*a  sait.qu'eA  agîMftl 
livre  9a  eoMtaUe  à  rt&e»Mr«ble  comrftle  de  k  fûide.  H  svnii^ 
destinée  de  son  nona  avee  une  anxiété,. une  soUkilnideqBe  mij 
pent  ralentit;  Q  nignore  pas  que  Tadmication  est  inffomiitft^ 
rétive,  et  pour  l*end»atner  il  alirége  son  sosuneil  et  îâÈtm^ 
liberté. 

Mais  la  gloire,  d'abord  si  oteiense  et  si  difficile  à  pertsr,  jei^ 
tanorpkose  et  devient  plus  indfdgente.  Q^and  elle  sneoédaiil 
Jnlte^  ette  e^^geait  du  poète  une  réaignatîtm  plein&  d*aneM«;i 
ne  ftuniHarWant  aviec  Lui,  en  apfwenant  à  le  connaître,  ebps 
ehnque  jour  quelcpies-iikAe^  de  ses  dëfianees,  ette  sMiilec  stdèndi 
enfin,  elle  dMige  de  nom  et  s*app<Ae  la  p<^[>ularité.  Dès(|ft*dki 
reçu  ce  npaveau  Jtopténie^  elle  se  montre .pbrâie  de  prévernsosi 
d^obséquîosiié.  Elle  fait  du  poète  son  enfant  gAté.  Tontcefi'll 
est  bien  dit.  Chacune  4e  9e9  parole9  est  une  révélation;  ducmé 
aes  projets  est  une  prouve  de.  sagOMo.  Gbaoun  de  ses  oipnoei>i 
étourdi  qu'il  soit»  est  estimé  k  Végal  d'une  volonté  ptér^ifttt'^' 
peut  tout  se  permettre  »w»  danger.  S'il  parle  des  ctean  f ^ 
ignore^  ;s*il  confiovid  les  hommes  ^  les  temps,  s'il  tmite  fl 
comme  un  pays  conquis,  pas  une  voix  ne  s'élèvera  pear  l'i 
doutrecuidance  et  de  CMmié  ;  pas  une  voix  n*oser&le  taacèrooi'f 
«n  écolier  paressnux  e^  le  reniroyer  à  Tétude.  D  fmssmt^^ 
f  oute  inddente  au  milieu  dea  epplimrtisscmens  ;  ilUradamioitii" 
yeux  Funanime  admiratie^que  ses  cnuvrea  inspirent;  9iiaÊ0 
que  le  bruît  gcaudira  autour  <l^  Im,  à  mesure  que  tes bsaii^ 
retentiront  à  «es  or^le^,  il  oubliei^  sa  pr^aière  gloire,  ji^ 
sérieuse  et  inquiète;  il  croira  que  ce  qui  est  a  Imgnurs  élé.  i/^ 
il  faudrait  une  nature  siiigulièreaent  ferle  pour  résister  èkpof*^ 
krité.  A  moina  d'être  habitué  dèa  long*temps  à  cranter  ckaf^ 
jnur  avec  aot^méme»  à  moins  de  préféra  en  loule  ocoanûi  W 
l^cobation  silencieuse  de  sa  oonsdei^  aux  hotemensde»»^ 


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LES  AinTI^  LITTÉRAinS.  688 

aie  Vani<Mt  et  s^énervci;  die  s^endôrt  «a  bmit  déi  a(i{daiidisse^ 
nsy  comme  un  enfem  an  broH  des  cfaaâsons  de  sa  nourrice.  La 
ésie  n^est  plus  pour  elle  qa'un  jeu  on  un  métier.  A  quoi  bon  dé- 
nserr  les  ntiits  dans  la  méditation  Y  à  quoi  bon  feuilleter  les  lirre» 
udreux  pour  retrouver  le  sens  des  siècles  évanouis,  puisque 
dmiration  est  acquise  d^avanee  à  toutes  les  paroles  qui  s*échap^ 
ront  de  la  bouche  du  poète?  Pourquoi  risquerait-il  dans  des 
illes  imprudentes  la  f raicheur  de  ses  joiœs  el  Védat  de  see  yem , 
isque  la  science  n'ajouterait  pas  une  feiûlle  au  laurier  de  sa  cou* 
nae,  puisque  chacune  de  ses  imaginaifons  est  acceptée  conmnr 
te  vérité?  Il  ne  peut  ftiillir,  il  est  inspiré  ;  il  devme  ce  qu'il  ne  sait 
is,  ou  plutôt  il  n*y  a  pour  lui  ni  science  ni  étude.  Il  lui  sufBt  de 
►rter  sa  pensée  sur  un  sujet  quel  qu*S  soit,  pour  Tédairer  d'une 
Mte  lumière,  pour  en  pénétrer  toute  la  profondeur. 
L'indolence  n'est  pas  le  seul  danger  de  la  popularité.  La  demeure 
1  poète  est  bienlôt  trop  étroite  pour  oonlenir  ses  admirateurs, 
nand  il  luttait  contre  l'indiSérence,  et,  pk»  tard ,  quand  11  oom^ 
ençait  l'épreuve  de  là  gloire,  on  petit  nombre  d'amis  lui  s«f&-> 
lit;  il  était  heureux  de  réunir  autour  de  lui  quelques  intelfigen- 
!S  associées  à  ses  projets  par  un^  sympathie  sérieuse.  Ses  vœux 
allaient  pas  au-ddà  de  cette  petite  fomiHe  ;  et  s'9  lui  arrivait  de 
^ver  la  multittide,  ce  n'était  pas  pour  se  placer  au  milieu  d'elle, 
JUS  seulement  pour  espérer  de  la  dommer  un  jour.  Aujourd'hui 
'.lie  fiamille  est  pour  lui  comme  si  elle  n'était  pas.  Les  amis  qui  se 
lorifiaient  autreftûs  de  ses  coirfklences ,  somt  perdus  dans  la  foui» 
û  grossit  de  jour  en  jour.  BicotAt  le  poète  est  teHement  blasé> 
it'ii  ne  distingue  plus  la  saveur  des  louanges  qui  lui  arrivent» 
ontes  les  lèvres  qui  approuvent,  tomes  les  mains  qui  applaudis^ 
mt,  ont  pour  lui  une  valeur  égale,  une  égale  autorité.  Que  dïs-je?  Un 
leonna  empressé  au  panégyrique  vaut  nrieux  pour  lui  qu'un  ami 
Iradeux.  Le  poète,  une  fois  entouré  de  la  multitude,  compte  les 
nffirages  au  lieu  de  les  peser  ;  son  orgueil  glouton  ne  peut  se  rassas- 
ier de  louanges;  il  lut  faut  chaque  macin,  à  sou  réveil,  un  trou- 
eau  d'auditeurs  ébahi»,  pr^arés  à  recueiKr  toutes  ses  paroles 
Mnme  autant  d'orades  ;  qui  le  ^m^Kmement  mt  son  œuvre  de 
1  veille,  et  même  sur  son  œuvre  du  koéeuMn;  qui,  sur  le  seul 
tre  d'un  Irvre  enloore  i  faire,  le  haraagnetit  et  IrMidieut  comme 
'ilanmit  ceaquis  tia  roffaumcLafodey  m  cbÉlouaiàal  à  tmn^ 


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636  EEVUE  DES  DEUX  MONDES. 

heure Vorgueil  du  poète,  le  déprave  et  Fétourdit  si  bien,  qu'A  m 
peut  plus  se  recueîlHr  en  lui-même  et  s'interroger  sincërOTnent  sur 
la  portée  de  ses  projets.  Au  milieu  du  bourdonnement  des  lovan- 
ges,  il  n*a  plus  qu'un  seul  sentiment,  celui  de  sa  grandeur;  il  de* 
vient  incapable  de  réflexion  et  de  prévoyance.  Avant  môme  de  m 
mettre  à  Tœuvre,  son  premier  mouvement  est  de  s'admirer;  avaot' 
même  d'avoir  noué  la  fable  de  son  poème,  avant  d'avoir  posé  ses 
personnages,  il  se  complimente,  et  se  sait  bon  gré  de  ce  qu*3  n 
faire  ;  et ,  dans  cette  rêverie  complaisante,  il  est  si  heureux,  si 
content  de  lui-même,  qu'il  serait  presque  tenté  de  ne  pas  risqver 
l'exécution  de  sa  pensée;  car  son  bonheur  est,  dès  à  préseet, 
complet. 

Au  milieu  de  cette  cohue,  que  deviennent  ses  amis?  Leur  voix  se 
fait-elle  entendre  parmi  ces  voix  confuses?  Hs  prennent  le  seil 
parti  sage  :  ils  se  taisent  et  regardent. 

Peu  à  peu  le  poète  s'habitue  aux  flatteries  de  la  foule  ;  il  règne 
sans  contrôle,  et  ne  reconnaît  plus  d'autre  loi  que  son  seul  capriee. 
n  renonce  à  l'analyse  et  à  la  discussion  qui,  autrefois,  renpKs- 
saient  les  heures  les  plus  sereines  de  sa  journée;  il  ne  sait  plu, 
comme  à  ses  débuts,  se  reposer  de  l'inspiration  dans  les  épanciie- 
mens  d'une  amitié  franche  et  hardie.  Ce  qu'il  veut  et  ce  qu'il  aime, 
c'est  une  multitude  obéissante  et  empressée,  qui  ne  réponde  januû 
que  par  un  sourire  d'admiration,  qui  lui  permette  en  toute  occt- 
sion  le  déroulement  paisible  et  ininterrompu  d'un  monologue  soi- 
verain.  Les  objections  les  plus  timides  seraient  pour  lui  maintenant 
plus  qu'une  contrariété,  presque  autant  qu'une  injure.  Le  do«le 
qui  se  hasarderait  jusqu'à  l'interrogation  serait  à  ses  yeux  une 
faute  impardonnable.  Sur  le  trône  absolu  où  il  est  assis,  il  n'écooie, 
il  n'entend  que  lui-même,  et  s'il  lui  arrive  de  jeter  les  yeux  sur  les 
visages  muets  dont  il  est  entouré,  ce  n'est  que  pour  y  voir  le  refcl 
de  sa  pensée,  pour  s'admirer  dans  tous  ces  regards  où  se  peirt 
l'extase.  Vainement  l'amitié  courageuse  essaierait  de  le  rappeleri 
la  clairvoyance,  et  de  recommencer  les  conversations  ouMiéM; 
vainement  essaierait-elle  de  ramener  le  poète  à  la  tolérance,  à  lis- 
partialité  de  ses  premières  années;  il  est  trop  tard  maintenant  poor 
tenter  la  guérison  du  malade;  ou  du  moins  la  guérison  présente  des 
difficultés  sans  nombre.  Dans  la  voie  où  il  est  entré,  Vamitié  ne  se- 
rait pas  inutile;  mais  comment  parviendrait-elle  jusqu'à  lui?  Omd- 


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LES  AMITIÉS  LITTÉRAIRES.  637 

eut  franchirait*elle  les  rangs  pressés  d'admirateurs  qui  se  parla- 
mtla  parole  du  maître  comme  la  manne  céleste,  et  forment  autour 
3  lui  un  bataillon  inébranlable?  L*amitié,  en  présence  d'un  pareil 
)ectacle,  n'a  qu'un  rôle  à  jouer,  rôle  triste,  je  l'avoue,  et  bien  ca- 
ible  de  décourager  les  âmes  les  plus  généreuses  ;  c'est  d'attendre 
le  la  foule,  en  se  renouvelant,  lui  permette  d'arriver  jusqu'au 
)ëte  égaré.  Quelquefois  l'occasion  se  présente,  et  l'amitié  la  saisit 
rec  empressement  ;  mais  cette  tentative  est  bien  rarement  heu- 
)use;  le  poète  reconnaît  à  peine  l'interlocuteur  qui  l'aborde;  il 
écoute  d'un  air  distrait,  confus  ou  impatient,  et  lui  donne  àcom- 
'endre  que  l'heure  de  la  franchise  ne  doit  plus  revenir.  Si  Tinter* 
cuteur  persévère,  il  n'obtient  plus  même  l'honneur  d'une  réponse 
rasive. 

Les  courtisans,  si  humbles  qu*ils  soient  près  du  roi  qu'ils  adorent, 
3  renoncent  pourtant  pas  aux  joies  de  l'orgueil  ;  fls  consentent 
îen  à  proclamer  le  génie  du  maître ,  mais  ils  se  consolent  en  se 
roclamant  à  leur  tour  plus  clairvoyans  et  plus  sages  que  la  foule 
évouée  aux  royautés  voisines.  Us  croiraient  n'avoir  accompli  que 
moitié  de  leur  tâche,  s'ils  ne  persuadaient  pas  au  poète  qu'il  est 
ipérieur  à  tous  les  hommes  de  son  temps.  A  cette  condition  seu- 
ment,  ils  se  pardonnent  l'abdication  de  leur  intelligence.  Le  poète, 
IX  yeux  de  ses  courtisans,  n'a  de  rivaux  à  craindre  ni  dans  le 
issé,  ni  dans  le  présent.  La  splendeur  souveraine  de  sa  pensée  ne 
3rmet  pas  au  regard  d'apercevoir  dans  l'espace  entier  d'autre 
imière  que  la  sienne.  S'il  a  écrit  des  odes,  il  laisse  bien  loin  der- 
ère  lui  Pindare  et  David  ;  il  concilie,  par  un  privilège  inattendu , 
i  pureté  grecque  et  la  hardiesse  hébraïque.  S'il  a  dit  un  jour  :  Je 
5UX  régénérer  le  théâtre,  et,  si,  pour  le  prouver,  il  a  encadré 
iielques-uns  de  ses  caprices  dans  une  série  de  noms  historiques, 
is  courtisans  lui  répéteront  chaque  matin  qu'il  réunit  en  lai-méme 
liakespeare,  Galderon  et  Schiller,  qu'il  a  touché  les  cimes  les  plus 
evées  de  la  passion ,  de  la  fantaisie  et  de  la  philosophie.  S'il  a  con- 
'nti  à  tenter  le  roman  par  bienveillance  pour  les  esprits  du  second 
i^dre,  s'il  a  résolu  d'offrir  sa  pensée  â  la  multitude  sous  le  modeste 
^tement  de  la  prose ,  tous  les  génies  de  l'Europe  moderne  qui  ont 
lis  dans  le  roman  l'histoire  des  nations  ou  l'histoire  du  cœur,  ne 
>nt  tout  au  plus  que  les  précurseurs  du  poète-roi.  Ils  ont  annoncé 
i  venue,  mais  par  eux-mêmes  ils  ne  méritent  pas  d'être  nommés 


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6R  iivn»  Bts  Mot 

dam  les  annales  de  rintelH8eB<^  kamane.  K  qii*oii  ae 
j'^&agère  à  pliJsir ,  qve  j'accnniule  aur  la  tète  d'un  seul 
IMIes  les  folies  qm  se  penrent  inventer.  Bans  tout  ce  que  je  n* 
CMite,  riroagination  ne  joue  pas  le  phts  petit  rôle;  je  me  aoflrini 
et  j'écris  sons  la  diotée  de  ma  mémoire.  Ceux  qni  doutent  de  k^ 
rite  de  mes  paroles ,  de  la  fidélité  démon  rédt,  n*oiit 
dié  les  déveioppemens  de  rorgmi  poétique.  Hs  ne 
guère  celte  maladie  de  r«iie  iiamaine  qiie  par  quelqaes  ipcndi 
Ijriqae  latin  ;  s'ils  avaient  en  roccasien  de  voir  par  eux-mémsi  a 
que  j*ai  vn »  d^éoftendre  ce  qne  j-ai  entendu ,  ils  eenueut  lespt> 
miers  à  proclamer  mon  réek  incouq^. 

Placé  dans  ce  nuage  d'eneens,  que  vdulez^veus  que  ileiiiimt  ii 
poète?  H  a  connu  la  gloire  et  la  popularité»  il  ne  lui  restepivi 
subir  qne  rapothéose,  îl  détient  dsem  La  société  lui  appartiat 
tout  entière;  légfUatioil^  geiFKèriieroenty  m^istrature,  to•tI^ 
Mire  de  son  génie;  Se  nMer  au  mouTement  réel  des  affiures» 
rait  profaner  la  majesié  dîme  deva  pensée;  mais  il  se  tieot  prit 
à^  distribuer  ses  conseHs,  Kéfugié*  dam  son  oisiveté  olmrvejaMi 
cemme  aufaad  d*un sanettiaire,  il  attend  que  les  hmnflses  anqmii 
est  dévolti  le  soin  de  renouveler  et  d*app)ic[uer  les  lois  ouvrealfi* 
fin  les  yeux  sur  lettr  néant  et  leur  impuissance  »  et  vieumot  s*édd* 
rer  de  son  regard  ;  il  attend  que  le  p^s,  oonvaincu  sans  retoor  il 
rinsvtffisance  des  institutions  qu'il  s'est  données,  aceemre  aufik 
de  Ini  pour  kd  denander  un  nouveau  décalogue.  Sile  pays  tm^ 
signe  Â  comprendre  qu'il  est  dans  une  fausse  voie  et  qu*3  a 
d'un  sauveiuTy  le  poète  transfiguré  se  résignera 
à'Tacooniidissement  de  sa  missieil.  fl  est  bien  loin  i  cette  faemedM 
paisibles  travaux  de  Vimaginatton;  l'art  de  Muer  et  de 
une  fftMe  poétique  «Test  jfdus  quSiÉ  pmnt  i  peine 
dansle  d^mp  inmenBodeseo  ambition,  âmeûvoir  et  clmnMr,  ff^ 
T«Uer  au  fond  des  ccsurs  les  passions  endormies,  amener  surin 
paupières  brûlantes  des  Ilots  de  {armes,  n'est  plus  pour  lui 
gloire  secondaire.  U  ne  consent  p»  à  prendre  dans  le 
ment  de  la  société  un  rôle  détenàiné  par  la  nature  de  ses  ^avi 
il:iie  reconnaît  pas  en  lut-méne  le  limoo  commun  de  Y 
c'est  pourquoi  le  setârMe^pii  lai  8end>le  digne  de  hii,  le  senlfA 
pÉnsse  accepter  sans  dérogeiv  «l'est  aaureqpie  la  sonverafansilb* 
aelÉai  Nm  U  partes  pas^  de  la  gtdira  qui^couronn  é 


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«aoce  de  FiwgÎMlioa  ;  eu  hmit  des  itégîoASrdivîiMii  qQ*U  l)abîie»)il 
ne  voit»  eBte«4rait  pas.  D  a  prô  au  sérieux  son  apetWese;  A  pos- 
^e  fi^nnais  rouûaeîeai^  intukive»  ai  Wil  n'ag^  pas  Moare 
parvaau  à  ébranler  l'Olympe  e9  £roa$an(  k^aowcii,  du  mokis  IL  lui 
9iilftt  de  yo^k  pour  éclairer^  eu  se  joMOl»  les  qate^^m»  fes  ptas 
obsoures  ;  et  même»  à  parler  «ettfpietti,  il  a'y  a  pas  pMr  kû  de  ib6- 
ritaUe  (juestioa.  B  sait  et  il  cos^reiid  toute  ehose  directemeot 
sans  aveir  à  traverser  les  ambages  de  la  dialectique  vulgaire*  fl 
voit  la  vérité  face  à  face,  pure,  eiatière  et  spleiidide.  Si  la  société 
refuse  de  le  consulter  sur  ses  prochaines  daatinéea»  ette  tombera 
dans  le  désordre  et  la  confusion  ;  mais  il  est  généreux  et  magoa-* 
aimey  et  i  l'heure  du  pécil  sa  voix  sauiva  bien  se  iaire  entendre». 

L'amitîé  »  inquiète  devant  la  gloire,  HHiette  devant  la  popularité , 
n'a  plus  même  la  ressource  4^  silence  devant  Tapothéose.  Elle  «e 
retire  à  pas  lents,  avec  la  erainit^  de  ne  jamais  revenir  mf  ses 
pas.  Q4iand  ejle  avait  une  lutie  i  soutenir,  quand  elle  pouvnit 
A9pérer  de  ramener  le  poète  i  te  sagesse,  à  la  modératiM,  son  de- 
voir ét^ût  de  demeurer  fidétemmt  près  de  Ini;  qmtf^  le  terciîa 
de  la  défense  se  rétréett  chaque  jouir,  cependaiH  il  nelui  élait  pas 
permis  de  déserter.  IMs  aujourd'hui,  demewer  plus  loAg^mps, 
serait  inutUe  et  insensé.  Entr^  un  dmu  et  un  Jiomme,  il  ft'y  it  de 
possibloque  )a  prière  et  la  démence;  w,  ni  la  elémenoeni.la  pritee 
n'appaitjepuftmit  à  l'amie»  Sf^aqne  Végalîté  fratem^e  a  cos^,  diès 
que  le&  deux  inteUigenees,  urnes  autrefois  par  uno  fntinrité  de  ims 
les  instai^,  n*ont  pl«s  les^mémes  droits  et  tee  mêmes  devoirs,  Fami- 
ûé  n'est  pins  qu'une  parole  ^e,  qu;«B  nom  sonore  et  memeur* 
Le  critique,  en  abandonnant  le  poète,  acc(Mii(^t  un  aete  de  bon 
sens  et  de  dignité.  Il  n'a  rien  èse  reproflieff,  puisque  son  rôle  est 
terminé.  S*il  consentait  è  ftwdof  le  titre  d*ami,  lonicpi'il  ne  peut 
plus  exprimer  franchems nt  son  avis,  il  se  rendrait  oo^pable  de  lA* 
<^eté;  il,  perdrait  sa  propre  estime  et;  n*obtiendrail,.  pour  prix 
de  sa  complaisance,  qu'un  sourire  dédaignqux ;  it  revétimt  .la 
livrée  d'un  valet,  et  n'aurait  pas  mitoie  toreeonnaJQsaneo  du  malice 
V&il  se  serait  donné.  Qsu:  l'obéissaiiee  ne  snfiit  pas  an  poète  trans- 
figuré; il  lui  £aut  l'adoration;  tant  autre  se^Miment  ost.po<«r  Ipi 
*sns  i^enr,  et  ne  mérite  pns  ivi  reg^-  L'amitié  agk  dMQ  sage- 
RBsnt  aip^  laissant  le  poète  au.miUeu  do  la  foule  mpeti»  9«i  a  Mti 
M  tempts;  en  quittant  cette  multitude  agenqwUée,  eVe  n'a  rinn 


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640  urus  DES  deux  moivdbs. 

à  regretter;  loin  de  là,  elle  doit  se  féliciter  de  ne  s*étre  pas  avSe 
dans  la  pratique  d'un  culte  impie;  elle  doit  se  glorifier  d^avoir  con- 
servé la  sérénité  de  sa  pensée  parmi  les  idolâtres.  En  consultant  si 
mémoire,  en  interrogeant  chacune  des  journées  qui  ne  sont  plus  et 
qui  ne  peuvent  renaître,  elle  voit  que  son  énergie  et  son  dévoue- 
ment ne  pouvaient  aller  au-delà,  qu'elle  a  été  fidèle  selon  la  mesure 
de  ses  facultés,  et  que  l'heure  de  la  retraite  a  vraiment  sonné  pour 
elle.  Elle  peut  jeter  sur  le  passé  un  regard  désolé  et  gourmander 
l'orgueil  sur  les  désastres  qu'elle  contemple;  pour  se  mêler  à  It 
cohue  des  dévots,  il  faudrait  qu'elle  eût  perdu  toute  pudeur. 

Le  divorce  est  consommé;  mais  à  quelles  conditions?  Le  poète, 
Hvré  à  lui-même,  consentira-t-il  à  voir  dans  Tami  qu'Q  a  perdu  on 
homme  pareil  à  tous  les  autres?  S'il  le  rencontre  parmi  ses  juges, 
se  résignera-t-il  à  l'écouter  sans  colère?  Ne  craindra-t-il  pas  à  clo- 
que instant  que  ce  confident  dont  il  voulait  faire  un  disciple  ne  Evre 
te  mot  d'ordre,  et  ne  révèle  les  secrets  de  la  royauté  qu'il  a  refosé 
de  servir?  Dans  chacune  des  réflexions  présentées  par  le  critique 
initié  n*apercevra-t-Q  pas  le  germe  d'une  trahison?  Ne  sera-t-3  pis 
forcé  de  reconnaître  dans  les  paroles  qu'il  entendra  les  pensées 
qu'autrefois  il  exprimait  lui-même?  Cette  perpétuelle  comparaisoo 
du  présent  et  du  passé  n'éveillera-t-elle  chez  lui  aucun  dépit,  au- 
cune impatience?  Ne  l'espérez  pas.  Quel  que  soit  le  désintéresse- 
ment du  critique,  quels  que  soient  les  ménagemens  avecIesquebS 
exprime  son  avis,  le  poète  se  tiendra  pour  offensé  ;  il  cherchen 
dans  les  paroles  les  plus  paisibles  une  intention  injurieuse,  n  fera 
de  chaque  mot  une  énigme  traîtresse,  et  se  mettra  en  frais  de  sa- 
gacité pour  découvrir  sous  une  syllabe  innocente  une  goutte  de 
poison  mortel.  Il  n'aura  pas  de  repos  qu'il  n'ait  persuadé  i  la  knàù 
obéissante  sur  laquelle  il  règne  souverainement,  qu'il  est  caloniè, 
qu'il  est  puni  cruellement  de  sa  confiance,  qu'il  a  livré  ses  secrets, 
et  qu'il  est  à  la  merci  d'un  ami  infidèle.  L'éloge  même  dans  la  bou- 
che du  critique  initié,  s*il  ne  sélève  pas  jusqu à  l'enthousîasBe, 
jusqu'au  délire,  s  il  se  permet  seulement  quelques  réserves,  Féloee 
est  une  trahison.  J'aimerais  mieux ,  dit  le  poète  irrité,  j'aimertis 
mieux  cent  fois  être  attaqué  franchement,  et  savoir  à  quoi  n» 
tenir.  Ces  louanges  prudentes  sont  plus  dangereuses  qu'une  toàt- 
lité  déclarée.  H  y  a  dans  ces  restrictions  plus  de  perfidie  et  de  aé- 
chanceté  que  dans  le  blâme  le  plus  sévère.  En  me  louant  avec  œtle 
mesure,  il  se  donne  un  air  de  supériorité  absolument  insultant;  il 


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LES  AMITIÉS  LITTÉRAIRES.  641 

me  fait  la  leçon  comme  à  un  véritable^  écoUer.  Voilà  pourtant  ce 
que  j'ai  gagné  en  lui  accordant  mon  amitié.  Si  je  Tavais  prévu ,  je  • 
l'aurais  fîii  comme  une  vipère.  Et  comme  il  faut  justifier  cette  co- 
lère, comme  il  faut  appuyer  cette  accusation  sur  des  argumens 
plausibles  y  le  poète»  ne  pouvant  vaincre  l'évidence,  ne  pouvant 
changer  le  passé,  prend  le  partiale  plus  bref  et  le  moins  sage  :  il 
se  résigne  à  la  haine  comme  au  seul  moyen  de  se  venger. 

Si  cette  haine  insensée  s'adresse  malheureusement  à  une  nature 
irritable,  elle  peut  exciter  une  haine  pareille.  Mais  si  le  critique  se 
souvient  de  son  ancienne  amitié,  s'il  tient  compte  au  poète  irrité  de 
l'aveujglement  de  la  gloire,  de  l'orgueil  de  la  popularité,  du  délire 
de  l'apothéose ,  la  haine  du  poète  demeure  impuissante ,  le  dieu  ré- 
volté ne  rencontre  dans  son  juge  que  le  calme  et  la  sérénité.  Le 
critique,  sans  s'émouvoir  des  paroles  furieuses  qui  lui  sont  rap- 
portées chaque  jour,  sans  se  croire  offensé  par  le  dédain  superbe 
qui  retentit  jusqu'à  lui,  continue  publiquement  Tanaly  se  des  œuvres 
qu'il  appréciait  autrefois  dans  l'intimité  du  poète  ;  il  poursuit  sa 
tâche  laborieuse,  et  ne  s'inquiète  pas  de  l'injuste  colère  cpie  ses 
paroles  éveilleront.  H  ne  renie  pas  les  enseignemens  du  passé  ;  il 
reconnaît  avec  une  entière  franchise  combien  il  a  recueilli  de  vérités 
inattendues  dans  les  épanchemens  d'une  amitié  familière;  mais,  en 
écoutant  le  témoignage  de  sa  mémoire,  il  n'abdique  pas  sa  person- 
nalité, n  ne  voit  pas  ce  qu'il  gagnerait  dans  ce  renoncement.  C'est 
pourquoi  il  persévère  dans  le  chemin  qu'il  a  choisi.  Quoi  qu'il  arrive, 
que  la  haine  du  poète  s'apaise  ou  s'excite  à  la  vengeance,  peu  lui 
importe;  il  ne  changera  pas  de  rôle.  Tôt  ou  tard  l'évidence  triom- 
phera; le  poète  lui4néme  sera  forcé  d'avouer  qu'A  s'est  trompé , 
qu'il  a  été  jugé  sur  pièces,  sans  jalousie  et  sans  partialité.  Un  jour 
viendra  où  la  foule,  en  adoptant  l'opinion  du  juge,  imposera  silence 
à  la  colère.  Alors  l'inimitié  qui  divise  le  poète  et  le  critique,  ne  sera 
plus  possible.  Le  poète  comprendra  que  la  théorie,  en  cheminant 
solitairement,  peut  souvent  s'écarter  de  la  ligne  suivie  par  la  poésie 
active,  sans  se  rendre  coupable  d'ignorance  ou  d'injustice;  il  com- 
prendra que  l'équité,  réduite  à  ses  véritables  élémens,  n'nnplique 
pas  nécessairement  une  approbation  sans  réserve.  Ce  jour-là  le 
poète  et  le  critique  seront 'réconciliés;  mais  ce  bonheur  est  bien 

rare  dans  les  amitiés  littéraires. 

Gustave  Planche* 

TOME  VII.  41 

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CHRONIQUE  DE  LA  QUINZAINE. 


3l]ao«Ut886. 

Le  ministèrd  du  SA  février  n'existe  plus.  Après  avoir  résisté  in 
épreuves  M  la  session  ^  il  a  succombé  »  en  dehors  du  mouvement  parle- 
mentaire, dans  une  question  de  politique  extérieure ,  grave  saos  doote, 
mais  qui  ne  paraissait  pas  devoir  amener  la  dissolution  d'un  cabinet  fonné 
sons  les  auspices  de  la  chambre  »  et  véritable  expression  de  li  majorité. 
Celte  crise  ministérielle  a  été,  plus  long-temps  que  toutes  les  aotr». 
ignorée  du  public  et  renfermée  dans  le  secret  du  conseil.  La  dissolotin 
du  cabinet  aurait  même  brusquement  éclaté,  sans  que  Topinion  eûttroaré 
le  temps  de  s'y  préparer,  si  le  jour  même  où  les  démissions  forent  donnée 
pour  la  première  fois,  il  n'était  survenu  dans  l'après-midi  und  dépêche  té- 
légraphique qui  faisait  une  loi  de  suspendre  l'effet  des  résolatiom  d^ 
prises.  Cette  dépêche  annouçait  qu'à  la  suite  d'une  révolution  militaire;  li 
reine  ré|^ente  d'Espagne  avait  reconnu  à  Saint-Ildefonse  la  constitution 
de  1812.  — La  reine  était-elle  prisonnière?  Ses  jours  étaient-ils  menacés? 
Quel  parti  prendrait  son  ministère ,  qui  délibérait  à  Madrid  lor  ce  grave 
événement?  Essaierait-il,  avec  les  troupes  encore  fidèles,  de  réduire 
l'insurrection  de  la  Granja ,  et  de  ramener  les  deux  reines  dans  la  capi- 
tale,  où  le  désarmement  de  la  garde  nationale  s'opérait  sans  trop  de  dif* 
ficulté?  Si  la  constitution  de  1812  est  proclamée  à  Madrid,  qael  en  soi 
l'effet  sur  le  ministère  de  M.  Isturits,  sur  les  certes  émanées  des  dernièni 
élections,  sur  la  régente  elle-même,  en  un  mot,  sur  tout  un  ordre  de 
choses  qui  avait  pour  unique  base  le  testament  de  Ferdinand  VH?- 
.  Telles  furent  les  principales  questions  qu'on  se  fit  aussitôt,  et  tout  le  monde 
comprit  qu'il  fallait  au  moins  attendre  quelques  jours.  Cependant, qo»- 
que  les  ministres  démissionnaires,  ou  qui  étaient  dans  l'intention  de  le 
retirer,  easseut  fait  cette  concession  de  bonne  grâce,  il  était  dès-Ion  4 
peu  près  certain  qu'on  ne  parviendrait  pas  à  s'entendre  sur  le  fond  des 
choses ,  et  que  ce  provisoire  chancelant  ne  serait  pas  de  longue  durée. 

La  question  sur  laquelle  s'est  divisé  le  cabinet  éuit  celle  de  Iapolitiq« 
à  suivre  vis-à-vis  de  l'Espagne.  Ce  n'était  pas,  à  proprement  parier, h 
question  de  l'intervention,  mais  celle  des  mesures  à  prendre  pour  rele- 
ver, par  un  secours  efficace,  le  moral  ébranlé  de  l'armée  espagnole; celle 
delà  coopération.  Plusieurs  fois  déjà  elle  avait  occupé  non-seulement  le 


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k 


ministère  An  Bi  lévrier»  mais  cenx  qui  ToDt  précédé.  Tantôt  le  gouTer- 
nement  espagnol  lui-même  avait  provoqué  sur  cette*  importante  matière 
les  délibérations  de  ses  alliés  »  en  réclamant  une  assistance  conforme  »  si- . 
non  à  la  lettre,  au  moins  à  Tesprit  de  la  quadruple  alliance.  Tantôt  le  mi- 
nistère français,  à  la  vue  des  progrès  du  parti  carliste»  s*éuit  porté 
spontanément  à  rechercher  les  moyens  de  mettre  un  terme  à  la  guerre 
civile  des  provinces  du  nord  de  FEspagne»  si  préjudiciable  à  nos  inté- 
rêts, sous  quelque  point  de  vue  qu'on  l'envisage.  Enfin,  de  manière  ou 
d'autre ,  on  peut  dire  que  depuis  la  mort  de  Ferdinand  YII,  la  question 
n*avait  pas  cessé  un  instant  d'être  sous  les  yeux  du  ministère;  et  toutes  les 
fois  qu'on  l'avait  positivement  agitée ,  il  s'était  toujours  élevé  dans  le  sein 
du  conseil  une  voix  éloquente,  soutenue  par  une  conviction  profonde,  pour 
dire  que  la  France  se  devait  à  elle-même ,  non  moins  qu'à  l'Espagne,  de 
rendre  impossible  une  restauration  et  une  contre-révolution  à  Madrid. 
Cette  voix ,  c'était  celle  de  M.  Thiers. 

La  France  ne  s'était  pas  engagée  légèrement  à  soutenir  en  Espagne  la 
succession  féminine,  établie  par  le  testament  de  Ferdinand  VII,  et  coa* 
forme  d'ailleurs  aux  antiques  lois  de  la  monarchie  espagnole.  On  n'avait 
pas  fermé  les  yeux  sur  les  inconvéniens  de  l'abolition  de  la  loi  salique; 
mais  le  gouvernement  (M.  de  Broglie,  M.  Guizot  et  M.  Thiers  faisaient 
alors  partie  du  ministère ,  sous  la  présidence  du  maréchal  Soult)  en  fut 
moins  frappé  que  des  dangers  de  toute  espèce  dont  nous  menacerait  l'a- 
Ténement  de  don  Carlos  au  trône  d'Espagne.  H  n'y  a  pas  eu  sur  ce  point 
deux  opinions  dans  le  ministère.  Don  Carlos  était  un  drapeau  contr^ré- 
Tolutionnalre,  bien  avant  que  cette  nouvelle  guerre  de  succession  se  fût 
ouverte.  Son  avènement  à  la  couronne  aurait  rendu  impossible  cette  ac- 
tion de  la  France  sur  la  Péninsule,  qui  est  dans  son  rôle  naturel ,  dans  les 
intérêts  permanens  de  sa  politique,  et  qui  désormais  devait  avoir  pour 
base  la  communauté  de  principes  dans  les  deux  gouvememens.  La  révo- 
lution de  juillet  devait  faire  ce  qu'aurait  fait  le  cabinet  de  Versailles  sous 
l'ancienne  monarchie,  mais  arriver  par  d'autres  moyens  au  même  but, 
qui  était  de  ne  pas  laisser  échapper  l'Espagne  à  sa  légitime  influence.  Ce 
système  ne  rencontra  point  d'opposition  dans  le  conseil;  on  n'hésita  poûH 
sur  le  parti  éprendre;  la  France  reconnut  immédiatement  la  jeune  reine 
Isabelle  n  et  l'autorité  de  Ja  régente;  on  promit  des  secours  à  tout  événe- 
ment, et  cette  résolution  fut  généralement  applaudie. 

Ces  faits  ne  peuvent  être  méconnus;  ils  ne  le  sont  pas,  et  personne  ne 
les  a  oubliés.  Mais  ils  avaient  des  conséquences  et  ils  imposaient  des  de- 
voirs dont  le  dernier  ministère  paraissait  avoir  compris  toute  l'étendue. 
M.  Thiers,  entre  autres,  n'a  jamais  perdu  de  vue  les  moyens  d'exécu- 
tion par  lesquels  le  système  du  cabhiet  dans  la  question  espagnole  de- 
vait tôt  ou  tard,  selon  lui,  se  traduire  en  fait.  Convaincu  de  bonne 
heure  que  le  gouvernement  de  la  reine  ne  réussirait  pas  à  éteindre 
la  guerre  civile  par  ses  propres  forcés,  il  a  toujours  demandé  dans 
le  conseil  i^  démonstration  vigoureuse  contre  don  Carlos,  de  quel- 
le nom  qu'on  voulût  l'appeler,  intervention  ou  coopération.  Il  pea- 
^  avec  raison  que  plus  la  foction  carliste  ferait  de  progrès^  et  plus  eDe 

41. 


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644  REVUE  VBB  DEUX  MOKDBS. 

deviendrait  menaçante  pour  le  régime  constitationnél ,  plos  vomi  les 
passions  extrêmes  s'enflammeraient  et  trouveraient  de  prise  sur  k 
peuple,  n  voyait  bien  que  chaque  victoire  des  bandes  carlistes  proite- 
rait  aux  exâltados»  qui  ne  manqueraient  pas  de  crier  à  la  trmhisoa  et 
d'accuser  des  revers  de  Tarmée»  la  cour»  les  généraux,  le  système  de  bo- 
dération  suivi  par  le  gouvernement.  H  voulait  ainsi  faire  disparattre  ie 
plus  grand  obstacle  à  rétablissement  de  la  révolution  que  noos  avioos 
favorisée,  en  débarrassant  la  reine  de  ses  premiers  ennemis,  de  eesx 
qui  ont  été,  jusqu'à  ces  derniers  temps,  les  plus  dangereux,  les  seob 
déclarés.  Après  ce  grand  service  rendu  au  parti  libéral,  sans  disttoctioii 
de  nuances ,  la  France  aurait  pu  lui  faire  accepter  ses  conseib,  lui  faire 
partager  le  fruit  d'une  plus  longue  expérience  dans  la  carrière  de  U 
liberté.  Quand  il  y  aurait  eu  en  Espagne  un  gouvememoit  régulier, 
solide,  et  maître  de  son  action,  au  lieu  de  deux  partis  en  lutte,  ^on 
se  serait  vraiment  réalisée  l'alliance  des  états  constitutionnels  dn  addi 
de  l'Europe,  en  opposition  à  celle  des  monarchies  absolues  da  nord. 
M.Thiers,  quelle  que  fût  sa  politique  à  l'intérieur,  était  donc  révi^otioa- 
naire  au  dehors.  Comme  il  ne  comprenait  pas  une  politique  <f  isolement, 
il  voulait  que  la  France  pût  s'appuyer  sur  quelque  chose  autour  d'eue, et 
il  entendait  que  ce  fût ,  non  pas,  si  l'on  veut ,  sur  des  révolutions,  maii 
sur  des  gouvememens  régis  par  les  mêmes  principes  qu'elle ,  qui  eoaeot 
subi  un  changement  analogue  au  sien ,  et  qui  eussent  par  ccMaséquent 
les  mêmes  intérêts  généraux.  Au  reste,  cette  politique  parait  aosn  avoir 
été  celle  de  ses  collègues;  seulement  chez  lui',  et  par  la  nature  de  soa 
caractère,  elle  conduisait  plus  directement  à  une  action  positive,  et  efle 
tendait  davantage  à  se  manifester  par  des  résultats.  Nous  croyons  scfsir 
que  si  M.  de  Broglie  avait  su  manier  certains  détails  d'orfinisatkm  b£- 
taire,  s'il  avait  pu  imprimer  lui-même  le  mouvemoitâ  une  coopératioa 
efficace,  diriger  et  suivre  l'exécution  d'un  plan  qui  demandait  Vappiici- 
tion  simultanée  d'une  grande  activité  d'esprit  à  une  foule  d'objets  diven, 
il  aurait  volontiers  prêté  à  l'Espagne ,  contre  don  Carlos,  et  sur  la  mésK 
échelle,  le  genre  de  secours  que  M.  Thiers  lui  ménageait  dans  ces  der- 
niers temps.  Mais  M.  de  Broglie  ne  savait  trop  comment  s'y  prendre,  et 
plia  toujours  devant  l'opposition  que  rencontrait  d'un  certain  côté  loat 
projet  de  se  mêler  activement  des  affaires  d'Espagne. 

M.  Thiers  a  plusieurs  fois  proposé  l'intervention  ;  l'année  dermèrc,  il 
la  voulait  encore,  directe,  avouée,  sous  les  glorieuses  oonleors  de  b 
France.  H  n'a  jamais  cru  beaucoup  aux  prétendues  répugnances  des  Ek 
pagnols  pour  un  secours,  qui ,  après  tout,  n'avait  rien  de  plus humilint 
que  la  prolongation  de  la  guerre  civile  et  qui  les  en  eût  délivrés.  £■ 
cela,  il  voyait  juste;  car,  de  tous  les  hommes  qui  ont  manié  les  af- 
faires d'Espagne  depuis  trois  ans,  il  n'y  en  a  pas  un  seul  qui  n*ait  fat 
par  désirer  et  réclamer  l'intervention  de  la  France.  On  sait  avec  qaeic 
devise  H.Mendizabal  était  arrivé  au  pouvoir;  cependant  M.  Meodisabal 
a  demandé ,  loi  aussi,  l'intervention,  comme  M.  de  Toreno  l'avait  fait 
avant  lui,  etCQ0uaele  fit  après  luiM.IsturiU;etnousavonsvu,  clansw 
discussion  soteteçHe  des  cortès,  l'orgueil  eqMignol  se  payer  d'un 


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HBTOB.  •—  CHROIOQUB.  6tô 

sophisme  pour  approoYory  sans  tA>p  de  honte»  la  réalité  de  Tintervention 
sous  un  nom  différent.  D'ailleurs  y  les  certes  étaient  déjà  bien  en  arrière 
de  la  majorité  de  la  nation,  qui  demandait  à  être  sauvée  par  les  armes  de 
la  France,  sous  quelque  forme  et  à  quelque  titre  que  ce  fût. 

L'intervention  ne  Ait  cependant  pas  accordée.  A  une  certaine  époque, 
l'Angleterre  parut  éloignée  d*y  consentir»  et  son  consentement  n'aurait 
pas  même  encore  suffi  pour  lever  les  autres  obstacles  qui  s'y  opposaient. 
Ce  fut  alors  qu'on  adopta  le  système  des  secours  indirects  par  des  recru- 
temens  en  Angleterre  et  en  France.  Plusieurs  corps  étrangers  entrèrent 
donc  au  service  de  l'Espagne;  mais  bien  des  causes  concoururent  à  les 
rendre  moins  utiles  qu'on  n'avait  dû*  l'espérer.  Néanmoins»  le  seul  qui 
se  soit  bien  battu»  la  légion  française  d'Alger»  montrait  tout  ce  qu'on 
pouvait  attendre  de  ce  système  en  lui  donnant  plus  d'extension  et  en  le 
perfectionnant  sous  le  rapport  de  la  composition  des  cadres  »  de  la  direc- 
tion supérieure  et  du  matériel. 

M.  Thiers  avait»  dans  ces  derniers  temps»  sérieusement  renoncé  à  l'in- 
tervention directe;  mais  toujours  convaincu  qu'il  ne  fallait  pas  abandon- 
ner l'Espagne  »  il  s'était  occupé  de  substituer  à  l'intervention  directe  un 
plan  de  coopération  qui  promettait  le  même  résultat  sans  présenter  les 
mêmes  inconvéniens.  C'est  le  plan  que  H.  Bois-le-Comte  fut  chargé 
d'exposer  à  la  reine  régente  et  au  ministère  espagnol.  Il  consistait  à  for- 
mer» par  le  moyen  d'engagemens  volontaires  et  par  la  réunion  d'un  corps 
d'élite  espagnol»  du  corps  auxiliaire  portugais»  et  de  la  légion  an- 
glaise» sous  le  commandement  d'un  général  français»  une  armée  d'opé- 
rations» qui»  bien  dirigée»  aurait  dû  anéantir  en  Navarre  les  forces  car- 
listes» occuper  le  foyer  de  l'insurrection  et  la  frapper  au  cœur  d'un  coup 
mortel.  De  vieilles  expériences  militaires  répondaient  sur  leur  tête  du 
succès  de  cette  combinaison.  Parfaitement  secondé  par  le  nfinistre  de  la 
goerre  qui  entrait  dans  ses  vues  »  et  sûr  du  concours  de  l'Angleterre  »  le 
président  du  conseil  avait  tout  disposé  pour  l'exécution  de  ce  pian.  Une 
excellente  cavalerie»  quelques  mille  hommes  choisis  parmi  les  meilleurs» 
les  plus  robustes»  les  mieux  disciplinés  sur  un  grand  nombre  de  volon- 
taires qui  se  présentaient  dans  tous  les  régimens»  une  bonne  artillerie» 
un  service  matériel  assuré»  tout  devait  être  prêt  en  peu  de  temps.  Plu- 
sieurs généraux  avaient  été  désignés  au  choix  du  roi»  et  sur  ce  point 
si  important  on  devait  s'entendre  avec  le  gouvernement  espagnol.  Le 
nom  du  général  Bugeaud  qui  venait  de  remporter  un  avantage  signalé  en 
Afrique  »  qui  connaissait  parfaitement  le  théâtre  de  la  guerre ,  fut  même 
mis  en  avant. 

Ainsi»  faire  contre  don  Carlos  une  démonstration  vigoureuse»  don- 
ner à  ia  reine-régente  un  témoignage  éclatant  de  la  sympathie  de  la 
France»  garantir  le  trône  disabelle  II»  d'abord  et  directement  contre 
une  restauration»  et  puis  indirectement  contre  une  révolution  anar- 
chique»  tels  étaient  les  principes  du  système  auquel  M.  Thiers  n'avait 
cessé  d'attacher  son  existence  ministérielle.  Pendant  qu'on  s'occupait  en 
France  des  moyens  de  le  réaliser» le  ministère  espagnol  en  acceptait  la  pro- 
messe avec  reoonnaijisance,  Il  aurait  voulu  davantage,  à  cause  de  l'exten- 


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Bti  RBTos  i»t  Mux  mmuss. 

8ion  qne  la  guerre  eiyiU  avait  prise  et  du  bonleveneoMOt  ^ai  «nteit 
partout  la  suite;  mais  il  comprenait  la  force  des  raisons  qui  aTûfiat dé- 
terminé la  conduite  de  ses  alliés ,  et  il  partageait  leur  eqx>ir.  Malheoreo- 
sèment  il  y  avait  déjà  scission  dans  le  conseil  sur  l'étendue  de  la  coopén- 
tion  ;  le  plan  de  M.  Tbiers  rencontrait  des  obstacles  imprévus»  tant  éult 
remis  en  question. 

Les  mouvemens  de  Sarragosse  et  de  rAndalonsle,  ain»  que  la  fermet- 
tation  des  armées,  étaient  déjà  connus  quand  la  crise  ministérielle  a  eœ- 
menée,  et  sans  doute  ces  événemens  ont  contribué  à  ranimer  de  butes 
répugnances,  toujours  vaincues  à  grand'peine,  pour  l'adoption  d'uae  mêP- 
che  plus  décidée  à  l'égard  de  l'Esp'sgne.  Le  chifft^  du  contlngem  destisé 
à  renforcer  le  corps  français  au  service  de  la  reine  était  resté  dans  kn- 
gue  ;  il  s'agissait  de  le  fixer  définitivement ,  puisque  déjà  on  avait  saw  b 
main  un  grand  nombre  de  volontaires,  et  que  l'organisatioD  prwisoiR 
faisait  de  rapides  progrès.  Il  s'agissait  aussi  du  cboix  d'un  général,  a& 
de  lui  donner  immédiatement  ses  instructions,  de  régler  le  plan  d'opài- 
tions,  et  d'établir,  par  une  convention  formelle  avec  le  gouvernement  es- 

i)agDol,  les  rapports  de  toute  espèce  que  ce  général  aurait  avec  lui,  avet 
e  commandant  en  chef  de  l'armée  du  Nord,  les  autorités  locales ,  les  lu- 
bilans  du  pays  insurgé.  C'est  à  l'occasion  de  ces  deux  points,  sur  lesqadls 
on  ne  pouvait  plus  différer  de  s'entendre,  que  se  sont  manifestés  les  pre- 
miers symptômes  d'un  grave  et  profond  dissentiment. 

Deux  systèmes  se  trouvèrent  dès-lors  en  présence,  et  ont  continué  de- 
puis à  partager  le  conseil  jusqu'à  la  séance  du  35,  à  l'issue  de  Uqudlc 
six  des  ministres  présens  à  Paris  se  sont  trouvés  dans  un  camp,  et  k 
septième  dans  l'autre.  Celui  qui  semble  avoir  triomphé  est  le  systène 
d'une  neutralité  absolue,  d'une  observation  toute  passive,  d'un  aban- 
don complet  de  l'Espagne;  si  le  second  avait  prévalu,  en  sospeoâÊai 
l'exécution  des  mesures  prises  pour  le  recruteifaent,  car  on  était  d*ac^ 
cord  sur  ce  point,  on  aurait  conservé  à  tout  événement  une  mUitade 
menaçante  contre  don  Carlos;  on  n'aurait  pas  annoncé  au  parU  libéral  es- 
pagnol que  désormais  la  France  laisserait  le  champ  libre  à  une  restaora- 
tion;  on  aurait  évité  de  donner  au  parti  carliste  une  impulsion  morak 
qui  pouvait  servir  sa  cause,  et  exaspérer  la  révolution  à  Madrid  parle 
désespoir,  car  voilà  exactement  où  les  choses  en  étaient  lors  de  la  émh 
lution  du  ministère. 

Nous  avons  passé  sur  les  Conflits  intermédiaires;  ce  n*est  pas  qu'ib  nia- 
quent  d'importance,  mais  nous  tenions  à  établir  d'abord  quelle  était  la  véri- 
table question  agitée  dans  leconseil.  Quant  aux  incidens  delà  crise  miaiit^ 
rielle,  ils  n'ont,  pour  ainsi  dire ,  qu'une  valeur  apparente ,  et  noos  ne 
les  regardons  que  comme  les  indices  qui  trahissaient  la  lutte  de  deux 
systèmes.  Ainsi,  quand  le  Journal  de  Paris  déclarait,  après  les  évènemem 
de  Saint-Ildefonse,  «  que  la  France  ne  portait  pas  un  intérêt  moins  vif 
à  la  cause  de  la  reine;  »  cela  voulait  dire  que  la  majorité  du  consul  con- 
servait l'espoir  et  se  croyait  toujours  dans  l'obligation  de  raffermir  ses 
trône  ébranlé,  s'il  n'y  avait  à  le  défendre  que  contre  don  Carlos.  L'amie 
partie  du  conseil  répondait  à  cette  opinion  par  queSques  mots  insérés  aa 


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BETUB.  —  CHROHIQUE*  647 

Uonitewr  sur  Vorôte  du  jour  du  général  Lebeao.  Et  oe  (ht  pendant  plu- 
sieurs jours  un  fort  singulier  spectacle  que  celui  de  cette  petite  guerife 
entre  les  deux  fractions  du  conseil ,  par  le  moyen  de  deux  journaux  qui 
devaient  appartenir  également  à  la  majorité  du  cabinet.  Elle  amusa  la 
malignité  du  public,  et  n'était  pas»  il  faut  le  dire,  très  constitutionnellQ. 
Mais  c'est  un  point  sur  lequel  nous  aurions  tort  d*étre  bien  difficiles;  car 
en  matière  plus  grave,  tout  ce  qui  s*est  passé  n'est  au  fond  rien  moins  que 
eonstitutionnely  et  dans  les  régions  élevées  du  pouvoir  on  n'y  lait  pas  asses 
attention.  Quant  à  la  rectification  de  Tordre  du  jour  du  général  Lebeau^ 
elle  était  juste;  le  général  Lebeau  n'était  pas  au  service  de  laFrance,  et  ne 
tenait  pas  du  roi  son  commandement  et  son  titre.  Mais  en  relevant  une 
simple  Inexactitude,  on  annonçait  la  résolution  de  ne  pas  donner  suite  aux 
mesures  qui  avaient  reçu  un  commencement  d'exécution  par  l'entrée  en 
Espagne  de  cet  officier  supérieur  et  des  troupes  qu'il  commandait.  Noua 
croyons  que  c'était  une  faute.  Il  suffisait  de  ne  pas  leur  envoyer  de  con- 
forts ;  et  en  déclarant  aussi  formellement  qu'on  les  abandonnait  à  leurs 
propres  forces,  on  s'exposait  à  décourager  officiers  et  soldats.  L'article 
du  Moniteur  était  au  moins  inutile,  s'il  n'était  dangereux. 

Si  notre  exposition  des  causes  qui  ont  amené  la  dissolution  du  mi- 
nistère est  complète,  la  formation  du  nouveau  cabinet  sera  donc  une 
déclaration  solennellement  faite  à  l'Espagne  et  à  l'Europe,  que  le  traité 
de  la  quadruple  alliance  n'existe  plus,  que  le  triomphe  de  don  Carlos 
est  indifférent  à  la  France,  et  que  le  gouvernement  de  la  révolution 
de  juillet  ne  voit  plus  aux  prises  dans  la  Péninsule  que  deux  causes 
également  étrangères  à  ses  sympathies.  Nous  croyons,  pour  notre  compte» 
que  le  règne  de  la  constitution  de  1812,  inauguré  comme  il  l'a  été  par  de 
sanglans  désordres,  a  changé  la  position  de  la  France  vis-à-vis  de  l'Espa- 
gne. Personne  ne  le  nie,  et  les  ministres  démissionnaires  le  reconnais- 
saient hautement,  puisqu'ils  s'étaient  réduits  à  demander  le  nuiintien 
d'une  attitude  expectante.  Mais  est-il  bien  possible  qu'un  ministère  quel- 
conque accepte  dans  toute  son  étendue  la  situation  que  lui  fait  le  motif 
avoué  de  la  retraite  du  cabinet  présidé  par  M.  Thiers?  et  s'il  ne  l'accepte 
pas,  quelle  sera  donc  la  sigmfication  d'un  événement  aussi  grave?  Fau- 
dra-t-il  croire  à  des  influences  souterraines  qu'on  n'oserait  pas  avouep, 
à  d'obscures  intrigues,  à  l'existence  de  questions  toutes  personnelles  sous 
le  masque  d'une  question  de  principes?  La  presse,  qui  s'est  beaucoup  oc- 
cupée de  la  dissolution  du  cabinet,  et  qui  en  a  donné  des  explications  di- 
verses ,  a-t-eile  tout  dit?  Les  mieux  informés  pouvaient-ils  tout  dire? 
C'est  ce  que  nous  n'oserions  affirmer. 

Une  partie  de  la  presse  s'est  prononcée  hautement  contre  tout  projet 
d'intervention  française  en  Espagne,  même  sous  la  forme  d'une  coopéra- 
tion indirecte.  Elle  a  dit  que  l'intervention  était  une  arme  à  deux  tran- 
chans ,  qui  poiivait  frapper  à  droite  et  à  gauche,  et  elle^  s'est  défiée  du  bras 
qui  devait  la  manieç.  Assurément  ce  n'est  point  par  sympathie  pour  don  . 
Carlos;  elle  ne  croit  pas  et  désire  encore  moins  qu'il  aille  à  Madrid  dé- 
trôner la  révolution  et  rétablir  l'inquisition  avec  les  moines.  Mais  elle  a 
plus  de  confiance  que  nous  dans  l'élan  de  la  nation  equignole;  eQe  croit 


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648  R£VU£  DES  DEUX  MONDES. 

qae  si  un  ministère  énergique  sait  en  profi ter,  don  Carlos  est  perdu»  et  qat 
son  parti  sera  bientôt  anéanti  dans  toute  l'Espagne.  Nous  youdrioiis  Tes* 
pérer  comme  elle;  mais  nous  avons  de  bonnes  raisons  pour  en  douter. 

An  reste  y  le  rôle  de  la  France  n'était  certainement  pas  d'intenremr 
dans  les  querelles  intérieures  des  diverses  nuances  du  parti  libéral  espè' 
gnol;  mais  nous  croyons  (et  il  ne  s'agit  ici  que  du  passé,  nous  parlons  de 
ce  qui  aurait  dû  être  fait  autrefois,  de  ce  qui  aurait  assurément  préveon 
de  grands  malheurs),  nous  croyons  que  si  une  armée  française  ayait  mis 
fin  à  la  guerre  civile  des  provinces  basques  et  de  la  Navarre,  le  peuple  es- 
pagnol aurait  eu  k  bénir  l'intervention  de  la  France  dans  ses  affaires,  que 
la  liberté  n'y  aurait  rien  perdu,  et  que  l'humanité  y  aurait  beaoooap 
gagné. 

C'est  un  autre  système  qui  a  prévalu.  Le  ministre  de  l'intérieur  et 
M.  Pelet  (de  la  Lozère),  dit-on,  ne  voulaient  pas  engager  la  France 
dans  une  entreprise  qu'ils  estimaient  fort  chanceuse ,  et  qui  aurait  conté 
beaucoup  d'argent,  dans  un  pays  dont  les  dispositions  à  notre  égard  sont 
si  équivoques,  pour  un  résultat  incertain,  qui  pourrait  tromper  tous  les 
désirs  et  tourner  contre  toutes  les  espérances  du  gouvernement,  en  fa- 
veur d'une  cause  déjà  souillée  par  tant  d'excès  »  d'une  reine  qui  peat- 
étre  ne  conserverait  pas  le  pouvoir,  d'un  peuple  fort  rétif  aux  conseib  de 
ses  alliés,  et  à  qui  des  influences  ennemies  feraient  croire  sa  liberté  me- 
nacée quand  on  ne  voudrait  que  la  sauver.  Un  auguste  personnage  a  ton* 
jours  été  de  cet  avis  :  on  lui  prête  même  un  propos  familier  que  nons  ne 
rapporterons  pas ,  mais  qui  revient  à  dire  que  l'Espagne  n'est  bonne  i 
prendre  par  aucun  bout,  qu'elle  ne  peut  être  qu'un  embarras,  et  qi'û 
ne  faut  plus  s'en  mêler. 

Nous  ne  savons  pas  encore  quel  est  le  ministère  qui  acceptera  celle  po- 
litique d'observation  et  de  laisser  faire.  On  a  mis  en  avant  les  noms  de 

M.  Mole,  pour  les  affaires  étrangères,  avec  la  présidence  du  conseil; 

M.  de  Montalivet,  pour  l'intérieur,  où  il  resterait; 

M.  Guizot ,  pour  l'instruction  publique  ; 

M.  Duchâtel ,  pour  les  finances  ; 

M.  Persil,  pour  la  justice; 

M.  de  Mackau,  pour  la  marine; 

M.  de  Gaux  ou  le  maréchal  Molitor  pour  la  guerre. 

Mais  il  parait  que  les  divers  élémens  dont  se  composerait  ce  ministère 
ne  parviennent  pas  à  s'entendre;  M.  Guizot  ne  veut  pas  mettre  vis-à-fis 
de  M.  Mole  toute  l'abnégation,  toute  la  confiance  qu'il  avait  apportée  dans 
la  composition  du  cabinet  présidé  par  M.  de  Broglie;  il  réclame,  dit-oa, 
un  ministre  de  plus  pris  dans  le  parti  qui  le  reconnaît  pour  son  chef,  afia 
de  se  fortifier  dans  le  conseil,  où  il  n'aurait,  en  apparence,  qu'une  positioa 
secondaire.  Ces  difficultés  nous  menacent  d'un  long  interrègne  ministériel 
et  entretiennent  un  provisoire  absurde  et  préjudiciable  aux  affaires,  qui 
fatigue  tout  le-monde.  Elles  se  renouvellent  trop^souvent  pour  ne  pas  être 
prises  au  sérieux  et  pour  ne  pas  jeter  dans  les  esprits  l'idée  d'une  insta- 
bilité qui  les  inquiète  à  bon  droit,  et  à  laquelle  on  suppose  des  causeï 
bien  profondes.Ob!  la  France  politique  ne  ressemble  guère  il' Angleterre^ 


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BBYUE.  —  GHROMIQUE.  640 

OÙ  les  partis  marchent  comme  nn  seul  homme,  soos  des  drapeanx aux 
couleurs  bien  tranchées,  arec  des  principes  bien  nets,  et  où  l'on  sait  tou- 
jours au  juste  et  ce  qui  triomphe  et  ce  qui  succombe.  Il  est  fâcheux  pour 
la  monarchie  de  juiÛet  que  M.  Thiers  s*éloigne  de  ses  conseils.  Avec  tous 
ses  défauts  que  nous  avons  vivement  signalés  lorsqu'il  attachait  son  nom 
à  des  mesures  de  réaption,  mais  qu'il  n'était  ni  loyal ,  ni  habile  de  rappeler 
à  l'occasion  d'une  retraite  honorable,  il  apportait  plus qu'aucuA  autre, 
dans  le  cabinet,  une  intelligence  élevée  des  besoins  et  des  intérêts  de  la 
France;  c'est  de  plus  une  parole  éloquente  facile,  toujours  prête,  qu'on 
remplacera  difficilement,  et  qui  est  cependant  si  nécessaire  au  pouvoir 
dans  cette  vie  parlementaire  où  il  faut  gagner  son  pain  de  chaque  jour 
à  la  sueur  de  son  front.  *  ^ 

Les  affaires  d'Espagne  ont  eu  trop  d'influence  sur  la  crise  ministérielle 
que  nous  venons  de  raconter,  pour  qu'un  récit ,  puisé  aux  sources  les  plus 
sûres,  des  grands  événemens  qui  agitent  ce  pays ,  n'offre  pas  un  vif  inté- 
rêt ;  c'est  peut-être  même  par  là  que  nous  aurions  dû  commencer. 

Lorsque  nous  parlions  de  l'Espagne  dans  notre  dernière  chronique  ^ 
la  révolution  y  était  accomplie.  Une  conspiration  militaire  avait  éclaté  à 
Saint -Udefonse,  et  la  reine-régente,  menacée  par  des  soldats  en  ré- 
volte, avait  accepté  ou  laissé  proclamer  la  constitution  de  1812.  Mais 
ces  événemens  n'ont  été  connus  à  Paris  que  le  18 ,  par  une  dépêche 
télégraphique  de  Bayonne.  Les  détails  en  sont  arrivés  deux  jours  après, 
et  le  gouvernement  s'est  empressé  de  les  publier.  Le  premier  effet  que 
produisit  la  dépêche  télégraphique,  fût  de  retarder  la  dissolution  du  mi- 
nistère ,  qui  paraissait  inévitable  le  même  jour  à  midi. 

La  reine-régente  était  restée  à  Saint^Udefonse,  quoiqu'on  ne  lui  eût  pas 
^argné  de  trop  justes  avis  sur  les  dangers  qu'elle  pouvait  y  courir.  Elle 
n'avait  auprès  d'elle  qu'un  seul  ministre,  et  la  garnison  de  la  résidence 
royale  se  composait  de  1400  hommes,  appartenant  à  trois  corps  différens, 
1100  hommes  d'infanterie  et  300  de  cavalerie.  Ces  troupes  étaient  sous  les 
ordres  du  comte  de  San-Roman,  commandant  supérieur  de  la  garde, 
qui  la  veille  encore  répondait  de  leur  fidélité.  Mais  ce  qui  serait  incroya- 
ble dans  tout  autre  pays  que  l'Espagne,  on  leur  devait  trois  mois  de 
solde,  et  cette  malheureuse  circonstance  fut  trop  bien  exploitée  parles 
agens  secrets  venus  de  Madrid,  qui  les  travaillaient  depuis  quelque 
temps. 

Le  12  au  soir,  quand  les  portes  de  Saint-Udefonse  étaient  déjà  fermées , 
un  bataillon  d'infanterie  de  700  hommes,  dont  la  caserne  était  située  hors 
de  l'enceinte  de  la  ville,  sortit  de  ses  quartiers  en  bon  ordre,  musique  en 
tête,  et  se  présenta  devant  la  porte  voisine,  demandant  à  grands  cris  qu'elle 
lui  fût  ouverte.  On  s'y  refusa  long-temps,  et  ce  bataillon  resta  près  d'une 
heure  en  dehors  de  la  ville,  à  vociférer  des  menaces.  Cependant  les  esprits 
s'échauffaient,  et  on  se  disposait  à  enfoncer  la  porte,  quand  elle  fut  ou- 
verte du  dedans  par  l'autre  bataillon  d'infanterie  de  400  hommes,  qui 
était  caserne  dans  la  ville  et  qui  arriva  en  armes  pour  prendre  part  au 
mouvement.  Tous  ensemble  se  rendirent  alors  sur  la  phice  du  palais,  en 
criant  qu'ils  voulaient  être  payés  de  leur  /solde.  Au  milieu  de  ce  tu- 


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CHO  RETUB  US  MOX  K0IIDB8. 

moite»  on  entaiKhiVauiti  retentir  des  crie  de  mmera,  et  dee  i 
fwtriotiqnei.  La  cavalerie  était  sons  les  armes  et  y  resta  tonte  U  mit, 
sans  se  joindre  anx  réroltés  qni  venaient  TinsaHer. 

Au  premier  bruit  de  ce  qui  se  passait ,  M«  Yilliers  »  ambassadeur  d'As- 
gleterre,  et  M.  Bois-le-Gomte,  arrivé  depuis  deux  jours  à  Saint-D- 
defbnse,  se  rendirent  ensemble  au  palais;  mais  tous  leurs  efforts  pov 
pènétrer  jusqu'à  la  reine  furent  inutiles.  Les  soldats ,  qui  oocupeicBt 
tous  les  abords,  ne  laissaient  entrer  personne  ;  la  voix  des  officiers  étak 
méconnue,  et  les  sous-officiers  qui  dirigeaient  le  mouvement  voolaicBt 
que  la  reine  demeurAt  privée  de  tout  conseil,  de  tout  appui.  M.  Yîllîefs 
offrit  alors  de  garantir  le  paiement  de  la  solde  arriérée  dans  les  qaaram»- 
huit  heures.  Les  troupes  hésitèrent  un  instant,  et  elles  auraient  cédés 
les  secrètes  influences  qui  les  dominaient  ne  s'y  fussent  vivement  opposées. 
On  apporta  du  vin  sur  la  place;  à  l'ivresse  de  la  révolte  s'en  Joignii  bki- 
tôt  une  autre  qui  l'aggrava,  et  la  reine,  assiégée  dans  son  paUis,  sent 
forcée  de  capituler. 

Une  plus  longue  résistance  pouvait  avoir  de  funestes  résultats;  la  rdoe, 
que  son  courage  n'avait  pas  abandonnée  un  instant^  admit  auprès  d'elle 
une  députation  de  douze  soldats.  Ces  hommes  lui  demaodèreot  U  odobi>> 
tution;  ils  ne  savaient  pas  ce  que  c'était;  mais  là  encore  ils  obéisaiest 
aveuglément  aune  consigne.  Ils  se  promettaient  des  merveilles  de  h 
constitution.  Cette  singulière  discussion ,  conduite  du  côté  de  la  rrâe 
avec  sang-froid,  du  côté  des  soldats  avec  une  certaine  arroganee  mêlée 
de  protestations  de  dévouement ,  se  prolongea  quelque  temps  ;  mais  eofia, 
comme  les  soldats  opposaient  toujours  aux  meilleures  raisons  la  brutale 
obstination  de  leur  volonté,  il  fallut  bien  céder,  et  la  reine  signa  on  papier 
conçu  en  ces  termes  :  La  reine  auHoriee  U  général  Sss-Roauui  é  Imsst 
les  soUiats  jurer  la  eoAsiUuikni  jnequ'à  la  réunUm  des  eoriès.  Les  sold^ 
célébrèrent  leur  victoire  par  des  coups  de  fusil,  des  chanU,  des  cris  de 
joie,  et  une  espèce  de  marche  triomphale  autour  de  la  place  du  paiÉs; 
après  quoi  ils  retournèrent  à  leurs  quartiers,  laissant  la  reine  èp«iisée  psr 
nne  émotion  long-temps  contenue. 

Cependant  1^  ministère  était  encore  maître  delà  capitale,  où  l*iBfH^ 
tuné  Quesada  maintenait  l'ordre  par  son  énergie.  Aussitôt  qull  est 
appris  les  évènemens  de  la  Granja,  il  résolut  de  faire  retenir  la  rôae  à 
Madrid,  et  envoya  le  ministre  de  la  guerre,  Mendez  Vigo,  à  âaint- 
Ildefbnse,  pour  hâter  son  départ,  et  disposer  les  troupes  à  y  consentir. 
Hendez  Vigo  arriva,  le  14  au  matin,  à  la  résidence  ro jale,  y  trouva  h 
reine  presque  prisonnière,  les  précautions  multipliées  autour  d'elle  psar 
l'empêcher  de  fuir,  et  les  soldats  entretenus  à  dessein  par  les  meness 
de  la  révolution  dans  une  ivresse  continuelle,  qui  ajoutait  encore  à  Isor 
exaltation,  et  les  rendait  moins  accessibles  que  jamais  aux  conseib  de 
knirs  chcik.  M*  Bois-le-Comte  et  M.  Villiers,  qu'il  alla  trouver  en  airi- 
vantj  regardaient  la  tenutive  comme  fort  dangereuse,  et  ne  croyaic^ 
pas  qu'elle  pût  réussir.  Néanmoins,  le  ministre  essaya  de  pressentir  le 
dispositions  des  troupes,  qui  d'abord  ne  parurent  pas  devoir  knettrs  «à- 
suicle  au  départ  de  la  reine,  et  on  s'y  prépara  aussit^yt.  Hais,  étm  Fin- 


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UYUE.  —  CH|U)IfIQUB.  ^f 

t«ryill6,  le  conseil  des  sous-officiers  se  réunit»  et  décida  que  les  portes 
seraient  fermées  immédiatement;  il  prit  aussi  d*autres  mesures  pour 
empêcher  Teiécution  du  projet  de  départ. 

Cette  situation  ne  pouvait  durer;  il  fallait  désarmer  la  défiance  des  sol* 
daU;  il  fallait  sortir  de  leurs  mains  et  donner  à  la  révolution  un  cbef  qui 
en  devint  responsable  »  au  lieu  de  quelques  sergens  obscurs  intéressés  k 
prolonger  le  désordre.  La  reine  forma  donc,  dans  la  journée  du  14,  un 
ministère  constitutionnel  sous  la  présidence  de  M.  Galatrava;  l'état  de. 
siège  de  Madrid  fut  levé;  le  général  Seoane  fut  nommé  capitaine-géné- 
ral de  la  Gastille,  en  remplacement  de  Quesada ,  et  Rodil  appelé  au  com- 
mandement de  la  garde;  enfin^  la  constitution  de  1^12  devait  être  recon- 
nue et  proclamée  loi  fondamentale  de  TEspagne  jusqu'à  la  réunion  des 
eortès  qui  pourraient  la  réviser. 

Heodez  Vigo  revint  à  Madrid  le  15  au  matin  avec  ces  décrets  signés 
par  la  reine,  et  qui  furent  aussitôt  publiés.  H  y  régnait  depuis  deux  jours 
une  grande  agitation;  mais  Quesada  contenait  encore  le  mouvement, 
quoique  déjà  moins  sûr  de  la'fidélité  des  troupes. 

La  publication  des  décrets  de  la  reine  ne  laissait  plus  de  prétexte  aux 
Auteurs  de  désordre  ;  il  ne  restait  qu'à  jouir  du  triomphe  de  la  constitu- 
tion «^  mais  ce  n'était  pas  le  compte  des  che&  du  mouvement;  il  y  avait 
fluainienant  des  désirs  de  vengeance  à  satisfaire ,  une  populace  à  enivrer 
IKNir  la  compromettre  sans  retour,  pour  décourager  toute  opposition ^  et 
effrayer  par  un  terrible  exemple.  Avant  la  fin  de  la  journée»  une  multi- 
tude en  délire  rapportait  à  Madrid  les  sanglans  et  informes  débrb  du 
corps  de  Quesada.  Soit  mauvaise  volonté,  soit  impuissance,  les  nou- 
velles autorités  n'ont  rien  fait  pour  épargner  une  pareille  souillure  à  la 
révolution  qu'elles  représentent. 

X/OS  deuK  reines  sont  arrivées  le  17  au  soir  dans  la  capitale;  leur  palais 
n'est  pas  à  l'abri  des  visites  tyranniques  et  des  perquisitions  insolentes.  €e 
font  des  épreuves  de  tous  les  instans  auxquelles  l'ame  la  plus  fortement 
trempée  ne  résisterait  pas  long-temps.  Jusqu'Ici  la  reine-régente  a  été 
persoanellement  respectée;  mais  le  sera-t-elie  toujours?  et  dans  une  pa- 
reille absence  de  force  publique,  sa  vie,  sa  liberté,  ne  sont-elles  pas  à 
la  merci  d'un  caporal  ivre  qui  eçtralnerait  dix  soldats  résolus  à  sa  suite? 
Le  seul  acte  du  ministère  Galatrava,  qu'on  dit  fortement  ébranlé  » 
parait  avoir  été,  jusqu'à  présent,  la  dissolution  des  certes,  qui  venaient 
d'être  élus.  Cet  acte  était  commandé  par  l'opinion  triomphante  ;  une  nou- 
velle assemblée,  qui  sera  élue  selon  les  formes  établies  par  la  constitu- 
tion de  IS12,  se  réunira  dans  deux  mois. 

Au  reste,  ni  les  armées  ni  la  plupart  des  provinces  n'avalent  attendu  les 
évènemens  de  Saint-Udefonse  pour  proclamer  la  constitution  de  1812, 
avec  ou  sans  le  concours  des  autorités  civiles  et  militaires.  Chose  singu- 
lière! Barcelonne  est  la  dernière  grande  ville  de  l'Espagne  qui  se  soit  pro- 
nonoée,  et  encore  on  assure  que  c'est  malgré  Mina.  Cependant  la  coûsti- 
tutîon  y  a  été  proclamée  deux  jours  avant  que  les  décrets  de  la  reine  n'y 
luisent  connus.  Mais  l'état  de  Barcelonne  est  fort  bizarre  :  cette  ville  cu- 
«mle  la  constitution  de  1812  et  la  liberté  illimitée  qu'elle  consacre,  avec 
l'^t  de  iiége»  ja  censure  et  une  dictature  militaire  qui  ne  3e  gCne  pas 


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653  RBTUB  1>E8  DEUX  MOIfBKS. 

avec  les  agens  des  clubs;  car  elle  y  a  fait  enle?er  tout  récemment»  en  ne 
nuit,  trente  des  meneurs  les  plus  actifs  de  la  populace  (et  noopuda 
jeunes  gens  carlistes,  comme  l'a  prétendu  un  journal),  mesure  qui  a  pré- 
venu un  mouvement  ultra-révolutionnaire  préparé  poar  le  leodemiiB. 
C'est  Mina  mourant  qui  traite  avec  si  peu  de  façon  la  liberté  individuefle 
des  patriotes  barcelonnais.  Mais  on  craint  une  explosion  :  la  populace  y 
demande  à  grands  cris  la  déposition  du  gouverneur  civil,  la  dissolutin 
des  lanciers  de  la  garde  nationale,  comme  trop  aristocrates,  et  celle  d'uae 
garde  de  police,  qui ,  dans  ces  derniers  temps ,  a  maintenu  l'ordre  aiee 
vigueur.  Pendant  que  la  vie  de  Mina  n*est  plus  soutenue  que  parda 
moyens  factices,  l'intérim  de  la  capitainerie-générale  est  exercé  pirk 
général  Aldama,  commandant  en  second  de  la  principauté,  etiort 
impopulaire  à  Baroelonne.  Il  est  impossible  de  prévoir  comment  tott 
cela  finira.  On  ne  sait  pas  encore  si  la  reine  conservera  la  régence,  que 
la  constitution  de  1812  lui  refuse,  et  dont  elle  n'est* restée  nominale- 
ment en  possession  que  par  une  tolérance  dont  la  durée  est  incertaioB. 
Jusqu'ici  le  prétendant  ne  parait  pas  en  mesure  de  profiter  de  cette 
confusion,  et  ses  troupes  viennent  d'essuyer  deux  graves  échecs  i  quel- 
ques jours  de  distance,  l'un  en  Navarre,  l'autre  sur  les  confins  desnrfis- 
mes  de  Valence  et  d'Aragon.  Quant  à  Gomez,  on  ne  sait  ce  qu'il  eit  de- 
venu :  tandis  que  le  général  Espartero  se  vante  de  l'avoir  extermiiiéyJes 
carlistes  publient  qu'il  est  à  la  tête  de  20,000  hommes,  et  qu'il  oceope 
une  partie  de  la  Galice,  les  Asturies  et  le  royaume  de  Léon. 


REVUE  MUSIGAUS. 

L'Opéra  n'est  plus  le  théâtre  prospère  que  nous  avons  oodoil  La  seeood» 
rentrée  de  MH*  Taglioni,  dans  la  Révolu  au  sérail,  avait  attiré  pende 
monde,  et  la  Juive  s'est  chantée  devant  un  auditoire  des  moins  uMabren 
et  des  plusindifTérens.  Voilà  pour  l'autre  semaine.  Quant  à  celle  qoiiiest 
de  s'écouler,  elle  a  été  notée  parles  plus  tristes  revers.  On  sait  lefâchesx 
événement  survenu  lundi  pendant  la  représentation  de  Robtri-U-WM* 
Nous  ne  prétendons  pas  ici  rendre  M.  Dnponchel  responsable  d'uniideiB 
qui  tombe ,  ce  serait  absurde  ;  ce  que  nous  en  dirons  est  tout  simpteocst 
pour  déplorer  l'espèce  de  fatalité  qui  semble  depuis  quelque  temps  i*it- 
tacher  à  ce  théâtre.  En  effet,  s'il  se  rencontre  par  hasard  dans  l'asiée 
une  bonne  et  louable  représentation  d'un  chef-d'œuvre ,  voilà  qu'on  riiktf 
tombe  du  ciel  tout  exprès  pour  l'interrompre  an  beau  milieu.  En  fériié» 
c'est  avoir  du  malheur.  Sous  M.  Véron,  ce  rideau-là  serait  tombé  pee- 
dant  une  cavatine  de  M.  Alexis  Dupont,  et  n'aurait  rien  troublé  quels 
fausses  notes  du  chanteur;  mais  H.  Véron  était  un  homme  heureux. I^ 
lendemain  l'Académie  royale  a  fait  relâche.  C'est  un  excellent  mej^ 
d'empêcher  les  représentations  d'être  interrompues  queden'enpasdoostf 
du  tout.  En  cela  M.  Duponchel  nous  semble  avoir  parfaitement  raiioii^ 
Cependant  nous  doutons  que  sa  fortune  s'accommode  long-temps  d'as! 
pareille  logique.  Voilà  pourtant  où  l'Opéra  en  est  réduit.  Une  indi^ 
tion  de  M>^  TagUoni  l'oblige  à  ne  pas  ouvrir  86S  portes.  Oft  jouera  h  ^ji" 


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UYUB.  —  CHEONIQUE.  6S3 

phidê  00  rien.  Et  c^est  à  rinexpérience  de  M.  Duponchel  qu'il  faut  attri- 
buer  ce  triste  eut  de  choses  !  M.  Duponchel  professe  pour  la  musique  un 
dédain  qu*il  a  sucé  avec  le  lait;  mais  comme  les  gens  qui  l'entourent  sont 
presque  tous  des- musiciens  de  plus  ou  moins  de  génie  ou  de  talent,  qui 
défendent  tous  plus  ou  moins  leur  art  et  leurs  intérêts;  comme ,  après 
tout,  il  est  directeur  de  l'Académie  roy^ale  de  Musique ,  M.  Duponchel 
lutte  parfois  contre  ses  instincts  et  se  soumet;  mais  son  instinct  ne  man- 
que jamais  de  revenir  au  galop ,  et  dès-lors  il  n'a  de  cesse  qu'il  n'ait  con- 
fié sa  fortune  à  la  danse.  Qu'arrive-t-il  î  la  danse  un  beau  jour  s'accroche 
l'aile  ou  se  foule  le  pied ,  et  l'Opéra  chôme.  Pour  peu  qu'on  y  réfléchisse, 
on  verra  que  rien  au  monde  n'est  moins  varié  que  le  répertoire  de  l'O- 
péra :  ôtez-en  les  Huguenots j  Roheri-le-Diable ,  la  Juive,  que  reste-t-ilî 
Et  la  danse,  que  peut-elle  produire,  maintenant  que  les  Ellssier  sont  ab- 
sentes, sinon  Ut  Sylphide  et  la  Révolte  au  sérail  ?  Les  chanteurs  français  ne 
sont  pas  comme  les  Italiens,  courageux,  vaillans,  infatigables,  toujours 
prêts  à  chanter.  Quand  M.  Nourrit  ou  M^e  Falcon  ont  paru  dans  Robert-- 
le^Diahle^  il  faut  qu'ils  se  reposent  le  reste  de  la  semaine.  Alors  l'admi- 
nistration se  voit  dans  la  nécessité  absolue  de  jouer  Za  5yIpAtV/e,  ou,  si 
ST'*  Taglioni  est  indisposée ,  de  faire  relâche.  Cependant  le  répertoire  de 
rOpéra  n'a  pas  toujours  été  si  pauvre,  si  dénué ,  si  mesquin.  C'est  M.  Du- 
ponchel qui  l'a  mis  dans  ce  bel  état.  Aussi  ces  contretemps ,  qui  l'embar- 
rassent tellement  aujourd'hui ,  l'ancien  directeur  n'y  prenait  même  pas 
garde.  M.  Yéron  tenait  toujours  une  représentation  en  réserve,  pour 
remplacer  au  besoin  celle  qui  pourrait  manquer,  car  il  savait  mieux  que 
tout  autre  combien  le  public  interprète  mal  ces  relâches  fréquens,  qui 
sont  d'ordinaire  comme  les  derniers  soupirs  dès  administrations  maladi- 
Tes  et  chancelantes.  Dès  son  entrée  à  l'Opéra ,  M.  Duponchel  a  jugé  à  pro- 
pos de  se  priver  de  certaines  ressources  dont  il  aurait  pu  disposer  encore 
avec  fruit.  D'un  trait  de  plume ,  il  a  rayé  du  répertoire  bon  nombre  de 
partitions,  entre  autres  le  don  Juan  de  Mozart,  ce  chef-d'œuvre  dont  les 
représentations,  habilement  ménagées,  avaient  jusque-là  été  si- glorieuses 
pour  ce  théâtre.  Après  tout,  le  mal  n'est  pas  si  grand,  Mozart  devait  être 
exclu  d'une  scène  où  Rossini  subittous  les  jours  de  si  pitoyables  traitemens; 
et  mieux  vaut  se  résigner  à  ne  plus  entendre  Don  Juan^  que  de  le  voir 
taillé  en  pièces,  comme  Guillaume  Tell  ou  Moïse,  et  livré  à  l'incapacité 
des  sujets  du  second  ordre.  Que  M,  Duponchel  y  prenne  garde;  pour  peu 
que  cela  dure,  l'Opéra  finira  par  tomber  en  désuétude  aupr4  de  ces 
dignes  provinciaux  qui  le  fréquentent  et  promènent  chaque  soir  au  foyer 
leurs  femmes  et  leurs  filles  avec  une  singulière  ostentation;  car  pour 
l'ancien  public  doré,  qui ,  l'hiver  dernier  encore,  faisait  les  honneurs  de 
sa  salle,  il  n'y  faut  plus  penser.  A  l'heure  qu'il  est,  ce  public  est  partout 
en  Europe ,  hormis  à  l'Opéra;  il  se  repose,  il  voyage,  il  prend  les  eaux, 
il  est  à  Baden,  à  Vienne,  à  Prague,  où  l'on  sacre  l'empereur,  et  dans 
tous  les  châteaux  de  France.  Nous  le  retrouverons  au  Théâtre-Italien. 

Le  Théâtre-Italien  a  publié  le  programme  de  sa  saison  nouvelle.  Les 
grands  noms  de  Rubini,  de  Lablache,  de  Tambnrini  et  de  la  Grisi  sont 
en  tête.  Certes»  l'occasion  est  belle  de  produire  des  che&-d'œuvre,  et  les 
applaudissemensnemanquerontpâsàrentreprise.  OiheHo^ Don  Giovanni, 


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654  KEYins  i>E8  rauï  mmMs. 

Sèmiramide,ceà  intarissable^  sources  de  mélodie  et  d'or,  Tont  lkife,eBoon 
une  fois,  tous  les  frais  de  l*hiver.  A  ce  propos ,  il  faot  absolument  qm 
Fadministration  répare  on  oubli  dont  elle  se  rend  coupable  depoB 
deux  ans  envers  l'un  des  plus  grands  maîtres  de  la  scène  italienVy 
et  remette  au  répertoire  le  Mariage  secret,  où  Lablache  est  si  carienrOi 
peut,  sur  ce  point,  se  fier  à  la  bonne  volonté  de  Rossini ,  qui  ne  laism 
pas  échapper  l'occasion  d'entendre  l'adorable  musique  de  Cimarat, 
Tune  de  ses  admirations  les  plus  vives  et  les  plus  sincères. 

L'Opéra-Comîque  se  repose  dans  la  solitude  et  le  silence  ;  de  temps  i 
autre ,  le  bonhomme  se  réveille  de  sa  léthargie,  et  secouant  sa  pernnp» 
sous  son  bosquet  de  fleurs,  fredonne  quelque  motif  badin  de  Dalajraeoa 
de  ceux  qui  savent  encore  aujourd'hui-  l'art  divin  d'écrire  pour  n  f«x. 
En  ce  moment,  TOpéra-Gomique,  quia  brossé  son  habit  vert  pomme, le 
tient  deux  heures  par  jour  debout  sur  ses  petites  jambes,  pour  répéterai 
acte  de  W^*  Loîsa  Puget.  Bfii*  Puget  a  composé  pour  M"*  Damoreaapb- 
sieurs  album  de  romances,  parmi  lesquelles  il  y  en  a  qui  sont  charman- 
tes. Gomme  on  le  voit,  M"«  Puget  a  des  droits  incontestables  à  notre  se- 
conde scène  lyri({ue.  Tous  dire  ici  le  nom  de  toutes  ces  romances,  je  ne 
saurais.  En  vérité  c'est  une  chose  des  plus  curieuses  que  les  titres  que  foi 
invente  aujourd'hui;  la  romance ,  si  chétive  qu'elle  soit,  n'a  pas  su  éch^ 
.  per  à  ces  transformations  magnifiques,  que  l'on  fait,  de  notre  temps,  n* 
bir  à  toutes  choses.  Les  poètes  de  romances  ont  été  plus  furieux  cent  kb 
que  les  romantiques  de  la  restauration^  La  romance  a  dévoré  lesosK- 
mens,  les  cours  d'homme,  les  poitrines  de  femme,  dont  la  ballade  ne  mi 
plas.  Autrefois  la  romance  était  tout  bonnement  une  mélodie  agréable  et 
douce ,  dont  la  grâce  tournait  bientôt  à  l'afféterie  et  la  simpliàté  i  k 
niaiserie;  cela  s'appelait  d'ordinaire  la  fille  à  Nicolas,  Roseet  Lubin^ 
h  Aendes-votts  sous  Vorme  ;  on  parlait  beaucoup  de  lèvres  vermeilles,  de 
fiUes  du  hameaUfde  bocageet  d'om6rage.  Aujourd'hui  les  temps  sont  bien 
changés,  et  les  choses  ne  se  passent  plus  si  gaiement;  ce  ne  sont  que  spec- 
tt-es  qui  sortent  du  tombeau,  femmes  qui  se  laissent  mourir  de  faim,  d 
bonnes  lames  de  Tolède  qui  reluisent  à  la  Iqne  sous  les  balcons  maure»* 
ques.  La  passiou  a  tout  envahi  ;  les  notes  pleurent,  les  paroles  hurlent;  il 
y  a  du  délire  dans  le  titre  et  du  désespoir  dans  les  points  d'exclamatia 
qui  dansent  devant  lui.  Vraiment  on  ne  sait  où  tout  cela  peut  nous  con- 
duire, si  M.  Listz,  ce  grand  modérateur  de  l'art  social,  ne  se  hAle  d'écrire 
bien  vite  à  Genève  quelque  long  discours  en  cinq  parties,  dont  ses  aœinlc 
France  s'empresseront  de  nous  faire  part.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  partiti(« 
de  M"«  Lolsa  Puget  a  nom  le  Regard.  Gertes,  le  titre  est  bien  choisi  poff 
un  opéra-comique  ;  il  y  aura  dans  ce  regard  de  l'amour,  de  la  tendresse, 
de  la  mélancolie,  des  feux,  de  toutes  ces  choses  enfin  qui  réjouissent  tant 
les  dileitanti  de  l'endroit.  Fasse  le  ciel  que  ce  regard  éclaire  M.  Gros- 
nier,  et  ne  lui  serve  pas  tout  simplement  à  lui  faire  voir  de  phisprcssi 
ruine!  M.  Auber,  ce  musicien  de  tant  de  verve  et  d'esprit,  prépare,* 
son  Côté  un  ouvrage  en  trois  actes,  dont  il  destine  le  rôle  à  M«  Dus»- 
reau.  G'est  sans  doute  sur  cette  partition  que  l'Opéra-Comique  a  mis  s» 
espoir  de  l'hiver.  L'auteur  de  la  MueUe  et  de  Fra  Diavolo  est  un  homne 
à  qju  te  succès  manque  rarement.  Si  les  Chaperons  hUines  ont  échoué,  li 


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k 


nm*  "«^  CHRORiQui*  6tft 

^nte  n'en  est  pa»  à  sa  mosiqne,  li  légère,  si  bouffe^  si  ehârmantAy  naïf 
m  liTret,  l'un  des  plus  monotones  et  des  pins  fastidieut  qui  soient  au 
liéâtre.  Tont  porte  à  croire  qae  M •  Aober  prendra  bï^tôt  sa  revanclM 
l'une  éclatante  façon. 

M.Meyerbeer  est  à  Spa,  où  le  retient  le  soin  de  sa  santé.  L'illustre 
mteor  des  Huguenots  n'a  pu  se  rendre  au  désir  de  l'empereur  d'Autri- 
che,  qui  l'appelait  auprès  de  lui  pour  diriger  la  musique  des  fêtes 
(ai  vont  avoir  lieu  à  son  couronnement.  Nous  ne  saurions  dire  quel  grand 
BQvre  M.  Meyerbeer  prépare  à  l'henre  qu'il  est;  ce  qu'il  y  a  de  certain, 
4)Qtefois,  c'est  qu'il  compose.  M.  Meyerbeer  ignore  les  volaptés  du  repo^ 
^est  une  de  ces  natures  actives,  vigilantes,  infatigables,  à  qui  roisiveté 
*épngne.  La  préoccupation  de  l'œuvre  et  du  succès  les  défore.  Là  est  leur 
nal*  et  voilà  pourquoi  toute  médecine  éclioue  autour  d'elles.  Pour  que  ces 
)anx  minérales,  où  Ton  se  plonge,  fussent  efficaces,  il  faudrait  laisser  au 
bnd  cette  inquiétude  continuelle,  qui,  chez  certains  esprits,  est  comme 
a  sœur  fatale  de  la  pensée,  au 'point  que  l'une  n'existe  qu'à  la  condition 
le  l'autre,  et  qu'il  semble  que  le  jour  où  l'inquiétude  cesserait  de  se  ma- 
lifester,  toute  force  créatrice  serait  éteinte.  Nous  doutons  fort  que 
tf.  Meyerbeer  destine  à  l'Opéra  français  la  partition  qu'il  écrit  en  ce 
moment.  La  manière  étrange  dont  M.  Duponchel  abuse  du  succès  des 
huguenots  n'est  pas  faite  pour  encourager  ce  maitre  à  lui  confier  un 
second  ouvrage.  Nul  mieux  que  M.  Meyerbeer- n'est  eu  position  d'atteiw 
Ire  ;  et  pour  peu  qu'il  consente  à  ne  se  bâter  pas ,  il  arrivera  juste  à  teioops 
[Kmr  faire  les  bonneurs  d'une  administration  nouvelle. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  vient  d'écrire  en  ses  instans  de  loisir  une  des 
X)mpositions  les  plus  charmantes  qui  se  puissent  entendre.  Le  morceau 
loin  nous  parlons,  inédit  encore,  est  conçu  dans  des  dimensions  gran- 
lioses,  et  pourrait  s'appeler  cantate  si  la  mélancolie,  et  la  grâce  qu'il  res- 
[>ire  en  certaines  parties  ne  lui  donnaifflit  un  air  de  parenté  avec  les  plus 
limables  lieds  de  Dessauer  ou  de  Schubert.  C'est  là  une  composition  qu'on 
De  saurait  nommer.  Tout  y  est  arrangé  avec  art,  disposé  avec  mesure  et 
plein  d'harmonie  et  de  fraîcheur.  On  ne  trouve  guère  en  musique  d'effet 
plus  saisissant  à  la  fois  et  plus  simple  que  cette  progression  ascendante, 
|Qi,  partie  des  premières  mesures,  se  développe  insensiblement  pouc 
^ater  au  milieu  en  glorieuses  fanfares,  imitant  l'explosion  du  matin  dans 
la  nature.  L'accompagnement  abonde  aussi  en  petites  notes  charmantes 
qui  tombent  sur  le. clavier  comme  des  gouttes  de  pluie  ou  de  roâe,  en 
^taisies  que  ^eber  ne  désavouerait  pas.  Nous  parlions  tout-à-l'heure, 
^  propos  de  W^«  Ldsa  Puget,  des  musiciens  qui  font  d'un  djpéra  une 
t^mance  en  deux  ou  trois  actes.  On  pourrait  dire  le  contraire  de  M.  Meyer- 
^r;  sa  romance  vaut  une  partition;  pour  nous,  nous  tenons  fi:anchement 
^  morteau  pour  supérieur  à  tous  ceux  que  le  maître  a  produits  dans  le 
même  genre ,  et  nous  ne  doutons  pas  que  le  lecteur  ne  soit  bientôt  de 
'^tre  opinion  lâ-dessus. 

Le  voyage  de  Rossini  en  Allemagne  n'a  pas  manqué  de  traits  curieux 
^t  dont  Hoffmann  eût  bien  fait  son  profit.  Des  ovations  opiniâtres  s'empa- 
raient partout  de  l'illustre  maître,  des  arcs  de  triomphe  s'élevaient  en 
son  honneur  sur  toutes  les  routes  au  bruit  des  tambours  et  des  cymbales. 


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656  UTUB  tHËB  BBUX  MONDES* 

Rien  n'est  CQrieox  comme  de  lui  entendre  raconter»  avec  cet  esprit  nalia 
et  cette  verve  bouffonne  qu'on  lui  connaît ,  les  tribulations  glorieuses  da 
génie  en  voyage*  Sitôt  qu'il  arrivait  le  soir  dans  une  auberge ,  il  avait 
bâte  de  s'enfermer  et  de  s'étendre  dans  le  meilleur  fauteuil  de  F^idrat, 
enveloppé  de  sa  bonne  robe  de  chambre  »  afin  de  préluder  aux  voliqicà 
silencieuses  d'une  joyeuse  nuit  de  sommeil.  Dans  cette  espérance ,  il  oo- 
bliait  avec  délice  ses  partitions  si  chères  autrefois,  et  les  soins  de  sa 
santé  9  qui  lui  est  plus  chère  aujourd'hui  que  toutes  ses  partitioos.  Gepoi- 
dant  la  brise  du  soir,  qui  d'abord  ne  lui  apportait  que  les  paiiîims  des 
résédas  de  sa  fenêtre ,  se  chargeait  insensiblement  d'harmonie  et  de  tî- 
brations  métalliques.  C'était  un  bruit  agréable  et  charmant ,  lait  poor 
inviter  au  repos.  On  eût  dit  la  Muse  qui  descendait  du  ciel  pour  rmt 
bercer  son  bien-aimé  en  de  mélodieux  enchantemens.  Mais  Rossini  m 
croit  pas  à  la  Muse,  il  croit  plutôt,  l'Hupie,  aux  sociétés  philfaartnoQÎqaei; 
et  tout  à  coup,  ô  terreur!  dans  cet  air  qui  l'avait  enivré  tonUi-Theure^il 
reconnaissait  en  frissonnant  quelque  motif  de  Semiramis  ou  de  GwUktMm 
T0II:  c'était  la  sérénade  impitoyable  qui  le  poursuivait  jusque  dans  s» 
sommeil.  Que  faire  alors?  il  fallait  bien  se  résigner  aux  eonois  de  la 
gloire  y  et  venir  à  son  balcon  haranguer  les  pauvres  gens  qui  le  oompM* 
mentaient  d'une  si  bruyante  manière.  Il  leur  contait  mille  choses  sor 
l'art  et  le  progrès  auxquels  sa  vie  n'a  été  qu'un  long  et  douloorenx  dé- 
Touement;  puis,  après  une  bonne  heure  de  considérations  sodaJes,  lors- 
qu'il avait  Veuille  sur  ses  dignes  tètes  toutes  les  roses  de  sa  rhétorique,  il 
terminait  en  comparant  les  musiciens  de  génie  aux  cygnes  qui  ^h^mffrf 
leur  plus  belle  mélodie  en  mourant  »  et  les  congédiait  là-dessos»  satia&ils 
et  de  bonne  humeur. 

Il  parait  que  durant  ce  voyage,  il  s'est  révélé  chez  Rossini  on  takK 
oratoire  des  plus  magnifiques.  Au  moins  ce  serait  une  cottsoiati<Mi  de  foir 
le  génie  qui  se  répandait  autrefois  en  belles  notes  se  répandre  déiomiii 
en  belles  paroles.  Espérons  que  le  fleuve,  pour  changer  de  source^  le 
perdra  rien  de  sa  transparence  et  de  sa  limpidité.  A  la  place  d'un  grsMl 
musicien  nous  aurons  un  grand  orateur,  voilà  tout.  On  a  remarqué 
comme  dès  son  premier  début  dans  la  carrière  l'auteur  de  GtiiWawwtf 
Tell  en  a  deviné  les  moindres  ruses.  En  effet,  il  ne  manquait  jamais  de 
mettre  en  émoi  l'orgueil  patriotique,  et  d'appeler  toutes  les  vanités  loca- 
les ai4  secours  de  son  éloquence.  A  Liège,  il  a  parié  très  long-ten^  de 
Grétry,  ce  restaurateur  de  la  musique  en  France;  à  Francfort,  il  a  vail- 
lamment entonné  les  louanges  de  Gcethe  devant  une  foule  de  banquiers  et 
de  marcïiands  juifs  qui  le  comprenaient  à  peine.  Il  fallait  qu'an  Italien  vM 
rappeler  à  l'ancienne  ville  impériale  son  plus  beau  titre  de  gloire^  qa'cBe 
oublie,  ou  plutôt  qu'elle  ignore.  Peut-être  que  lorsque  Rossini  a  demandé 
la  maison  où  l'auteur  de  Werther  et  de  Faust  a  vu  la  lumière,  nul,  dms 
Francfort ,  n'a  pu  la  désigner.  Triste  enseignement  pour  lui!  Qui  pourri 
dire  que  dans  cinquante  ans  quelqu'un  saura  encore  à  Pesaro  la  cw 
dans  laquelle  est  né  le  plus  beau  génie  de  notre  temps .' 

H.W. 


F.  BoijOs* 

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SUR  L'ABUS 

QU'ON  FAIT 

DES  ADJECTIFS. 


LETTRE 

DE  DEUX  HABITANS  DE  LA  FERTÉ-SOUS-JOUARRE 

A  M .  LB  DIRBCTBUA  Bl  LÀ  RbTVE  DES  DBOZ  M0!a>B8  (!}. 

Mon  cher  monsieur  , 

Que  les  dieux  immortels  tors  assistent  et  tors  préservent  des 
romans  nouyeanxl  Nous  sommes  deux  abonnés  de  votre  Revue, 
mon  ami  Cotonet  et  moi,  qui  avons  résolu  de  vous  écrire  touchant 
une  remarque  que  nous  avons  Mte  :  c*est  que,  dans  les  livres  d'au* 
jotird'hm,  on  emploie  beaucoup  d'adjectifs ,  et  que  nous  croyons 
que  les  auteurs  se  font  par  là  un  tort  considérable. 

Nous  savons,  monsieur,  que  ce  n'est  plus  la  mode  de  parler  de 
littérature,  et  vous  trouverez  peut-être  que  dans  ce  moment-ci  nous 
nous  inquiétons  de  bien  peu  de  chose.  Nous  en  conviendrons  vo- 
lontters,  car  nous  recevons  le  Constitutionnel,  et  nous  avons  des 

(i)  Bien  q«e  nous  ne  partagions  pas  toutes  les  opinions  littéraires  développées  dans 
CBlte  lettre,  nous  n*avons  pas  voulu  priver  nos  abonnés  des  aperçus  piquans  qu'elle  coo- 
tet  En  pareil  cas,  le  Jugement  du  lecteur  rectifie  toujours  celui  du  critique. 

{N.  du  D.) 
TOME  VII.  —  15  SEPTEMBRE  1836.  IS 


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6uo  losfxns  HKS* 

fonds  espagnols  qui  nous  démangent  terriblement.  Hais 
qu*un  autre  vous  comprendrez  sans  doute  toute  la  douceur  qœ 
deux  âmes  bien  nées  trouvent  à  s'occuper  des  beaux-arts,  qui  fost 
le  charme  de  la  vie  au  milieu  des  tourmentes  sociales  ;  nous  m 
sommes  point  Béotiens^  monsieur;  w>us  Ifr^voyesipar  ces  paroles. 

Pour  que  vous  goâtiez  notre  remarque,  6imfit  en  apparraœ, 
mais  qui  nous  a  coûté  douze  ans  de  réflexions ,  il  fout  que  von 
nous  permettiez  de  vous  rsroater  posénent  et  graduellCTfte&t  de 
quelle  manière  elle  nous  est  venue.  Bien  que  les  lettres  soient  mm- 
tenant  avilies,  il  fut  un  temps,  monsieur,  où  elles  florissaient;  flftt 
un  temp»  ok  Y  on  lisait  les  livres  ;  et  dans  nov  théâtres,  naguère  «- 
core ,  il  fdt  un  temps  où  Ton  sifflait.  CTétait ,  si  notre  mémotre  est 
bonne,  de  1824  à  1829;  le  roi  d*alors,  le  clergé  aidant,  se  pr^Mrait 
à  renverser  la  charte,  et  à  priver  le  peuple  de  ses  droits;  etyoos 
n'êtes  pas  sans  vous  souvenir  qu'à  cette  époque  il  a  été  grandemeoC 
question  d'une  méthode  toute  nouvelle  qu'on  venait  d'inventer  poor 
faire  des  pièces  de  thé&tre,  des  romans  dt  même  des  sonn^.  Oi 
s'en  est  fort  occupé  ici  ;  mais  nous  n'avons  jamais  pu  apprendre 
clairement,  ni  mon  ami  Cotonetnrmoi, cequec'étaitque leromo- 
tisme,  et  cependant  nous  avons  beaucoup  lu ,  notanunent  des  pré- 
faces ,  car  nous  ne  sommes  pas  de  Falaise,  nous  savons  bien  que 
c'est  le  principal,  et  que  le  reste  n'est  que  pour  enfler  lat  cbose; 
mais  il  ne  faut  pas  anticiper. 

A  vous  dire  vrai,  dans  ce  pays-ci,  on  est  badaud  jusqa'aox 
orc9lles,et,  sans  compter  le  tipagejteg  jêroam^  nona  ioni— 
bien  aises  de  jaser  sur  les  quatre  on  omm|  heures,  fiom»  nveni  dmi 
la  rue  Marchande  un  gros  cabinet  de  leetnr e,  où  il  noua  rient  du 
cloyéres  de  livres;  deux  sons tevolmne,  c'est coameiMirtMl, al 
il  nY  anraitpas  à  se  plaindre,  si  les  pnrtièffea  sé-UTnientlesnrtÉM; 
mais  depuis  qu'il  n*y  a  plus  de  kterie,  eHea  détDrentiIenranaft% 
que  Bien  leur  pardonnel  c'est  à.  ne  «avoir*  pair  où  y  toucha*  Mrii 
pm importe;  nous  antres  Français,  nons  ne  regarfkms  paaik 
marge;  on  Angleterre,  les  gensqoi-soDt  proprétf  mmont  ilméai 
das  Kvres  propres;  en  France,  on  Ih  à  la  gamelle  ;  c'est  notre  ■*- 
nière  d'encourager  les  arts.  Nos  petites-maitresses  ne  souffiriraieit 
p^  une  mouche  de  crotte  sur  un  ba»  qui  n'a  alMm  qn^  leur  piMi; 
mais  elles  ouvrent  très  délicatement  de  leur  main  blanche  un  vo- 
lume banal  qui  jont  la  cuisine,  et  porte  la  marque  du  pouce  de  knr 


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l'ABW»  K8  ADneTHi.  '61(0 

fiD^r.  0  me  sonlMe  ponrtast  que  «i  j'élâs  fènuiie,  et  que  si  je  te- 
nus an  fond  de  moa  aleô^e»  1^  rideaux  tirés ,  un  auteur  qui  me 
plût,  je  n'aÎBierais  pas  qu'au  parfum  poétique  d'une  page  il  se  mè^ 
làL...  Je  reTiens  à  mon  si^et 

Je  Yoms diiaie qoenous ne oenq^eoions pas  ce  qae signifiait oe 
mot  de  romaïuiqme.  Si  ce  que  je  toob  raconte  tous  parait  un  peu 
■se  et  eonnu.an  premier  sdbord,  il  ne  but  pas  yous  effrayer,  mais 
wmjhnmu  me  hisser  £aire;.j'ai  intention  d'en  Tenir  à  mes  fins. 
C'était  donc  vers  1884»  ou  un  peu  pks  tard,  je  Tai  ouMîé;  on  se 
battait  dans,  le  J (marnai  des  Débals.  U  éudt  question  de  piuoresque, 
de^rois^fics,  du  paysage  introduit  dans  la  poésie,  de  l'histoire 
dnanatisée,  du  drame  falasonné,  de  l'art  pur,  du  rbythme  brisé, 
da  tragique  fondu  avec  le  eomiqae,  et  du  moyen-4ge  ressuadté. 
Mon  ami  G)taict  et  moi,  nous  nous  promenions  devant  le  jeu  de 
teal&r  E  fout  aaroir  qu'à  la  Ferté-sous-Jfouarre ,  nous  avions  alors 
un  grand  clerc  d'avoué  qui  Tenait  de  Paris,  fier  et  fcnt  imperti- 
lment,^nn  doutant  de  lien^traadmnt  sur  tout,  et  qui  avait  Tair  de 
comprendre  tout  ce  qu'il  lisait.  Il  nous  aborda  le  journal  à  la  main, 
en  nous  demandant  ce  que  nous  prisions  de  toutes  ces  querellas 
fttéraires.  Gotonet  est  fort  à. son  aise,  il  a  cbeval  et  cabriolet; 
nous  ne  sommes  plus  jeunes  ni  Tun  l'autre,  et  de  mon  calé,  j'ai 
quelque  poids;  ees  (pnstians  nous  révélèrent,  et  toute  la  ville  fut 
posnr  nous.  Hais  à  dater  de  ce  jour,  on  ne  parla  chez  nous  que  de 
TOinantique  et  de  classique  ;  M""  Dupuis  seule  n'a  rien  voulu  en*- 
tsadre;  eHe  dit  qae:c'est  jus-vert,  ou  vert-jns«  Noos  Iftmes  tout  ce 
qui  paraissait,  et  nous  reçûmes /a  Muse  an  cercle.  Quelques-uns 
de  nons  (je  fus  du  nombro)  vinrent  à  Paris  et  virent  les  Vêpres; 
l&60ù»préfot  acheta  la  pièce,  eià  une^quéte  pour  les  Grecs,  mon 
ffib récita  Pmthinaf^^et  l'Étranghre^  septième  messénienne.  D'une 
nuire  part,  M..Bttcottdray ,  magistrat  distingué,  au  retour  des  va- 
cances, rapporta  Us  MééUsnions  parfoitement  rdiées,  qu'il  donna 
  SSL  femme;  M"*  lavart  en  fot  choquée  ;  elle  déteste  les  novateurs; 
HM  nièoe  y  allait,  nouacessàniBs  de  nous  voir.  Le  re^veur;fot  de 
notre  bord;  c'était  un  esprit  caustique  et  mordant,  il  travaillait 
sDnsnunn.àia  Pondore;  quatre  ans  après  il  fot  destitué,  leva  Je 
jMascpie,  et  fitun.pamphfet  qu^in^prima.le  célèbre  Firmin  Sidot. 
11.  Bneoudr^  nous  donna,  vers  la  nu-septembre,  un  dinar  des 
\  orageux;  œ fut  là4[tt'éclata:la  guerre^*  voicicomment  l'affaire 


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660  RBYUE  DES  DE0X  MONDES* 

arriva.  M"^  Javart,  qui  porte  perruqae  et  qui  s'imaginait  qii*» 
n'en  savait  rien ,  ayant  fait  ce  jour-là  de  grands  frais  de  toQette, 
avait  ûché  dans  sa  coiffure  une  petite  poignée  de  marabouts  ;ene 
était  à  la  droite  du  receveur,  et  ils  causaient  de  littérature; peu â 
peu  la  discussion  s'échauffa  ;  M"*  Javart ,  classique  entêtée,  se  pro- 
nonça pour  Tabbé  Delille;  le  receveur  l'appela  perruque,  et  pir 
une  fatalité  déplorable,  au  moment  où  il  prononçait  ce  mot,  (Ttn 
ton  de  voix  passablement  violent,  les  marabouts  de  M*'  Javart  pri- 
rent feu  à  une  bougie  placée  auprès  d'elle  ;  elle  n*en  sentait  ricBet 
continuait  de  s'agiter,  quand  le  receveur,  la  voyant  tonte  a 
flammes ,  saisit  les  marabouts  et  les  arracha  ;  malheureusement  k 
toupet  tout  entier  quitta  la  tète  de  la  pauvre  femme,  qui  se  trovn 
tout  à  coup  exposée  aux  regards,  le  chef  complètement  dégaoi 
M"' Javart,  ignorant  le  danger  qu'elle  avait  couru,  cmtqwk 
receveur  la  décoiffait  pour  ajouter  le  geste  à  la  parole,  et  cooi» 
elle  était  en  train  de  manger  un  œuf  à  la  coque,  elle  le  lui  bnçi» 
visage  ;  le  receveur  en  fut  aveuglé  ;  le  jaune  couvrait  sa  chaûe 
et  son  gilet,  et  n'ayant  voulu  que  rendre  un  service,  Q  Ait  inpos- 
sible  de  l'apaiser,  quelque  effort  qu'on  fit  pour  cela;  M"* Jiîrt 
de  son  côté ,  se  leva  et  sortit  en  fureur;  elle  traversa  toute  bv* 
sa  perruque  à  la  main,  malgré  les  prières  de  sa  servante,  et  per- 
dit connaissance  en  rentrant  chez  elle.  Jamais  elle  n'a  voulu  croira 
que  le  feu  eût  pris  à  ses  marabouts;  elle  soutient  encore  qu'on  h 
outragée  de  la  manière  la  plus  inconvenante,  et  vous  penseik 
bruit  qu'elle  en  a  fait.  Voilà,  monsieur,  comment  nous  derioas 
romantiques  à  la  Ferté-sous-Jouarre. 

Cependant,  Ck)tonet  et  moi,  nous  résolûmes  d'approfondir  h 
question,  et  de  nous  rendre  compte  des  querelles  qui  dirisaeit 
tant  d'esprits  habiles.  Nous  avons  foit  de  bonnes  études,  GotM^ 
surtout,  qui  est  notaire  et  qui  s'occupe  d'ornithologie.  Nouse* 
mes  d'abord,  pendant  deux  ans,  que  le  romantisme,  en  m** 
d'écriture,  ne  s'appliquait  qu'au  théâtre,  et  qu'il  se  distingua** 
classique  parce  qu'il  se  passait  des  unités.  C'était  dair;  Ski- 
speare,  par  exemple,  fait  voyager  les  gens  de  Rome  à  Londre»»^ 
d'Athènes  à  Alexandrie,  en  un  quart  d'heure;  ses  héros  vireit* 
ou  vingt  ans  dans  un  entr'acte  ;  ses  héroïnes,  anges  de  vertu  ^ 
dant  toute  une  scène,  n'ont  qu'à  passer  dans  la  coulisse  pourï** 
paraître  mariées ,  adultères ,  veuves  et  grand'mères.  Voilà,  éi^ 


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SUR  l'abus  des  adjectifs.  661 

nous,  le  romantique.  Sophocle»  au  contraire ,  fait  asseoir  Œdipe, 
encore  est-ce  à  grand^peine,  sur  un  rocher  »  dès  le  commencement 
de  sa  tragédie  ;  tous  les  personnages  viennent  le  trouver  là,  Tun 
après  l'autre;  peut-être  se  lève-t-il,  mais  j*en  doute,  à  moins  que 
ce  ne  soit  par  respect  pour  Thésée,  qui,  durant  toute  la  pièce,  court 
sur  le  grand  chemin  pour  l'obliger,  rentrant  en  scène  et  sortant 
sans  cesse.  Le  chœur  est  là,  et  si  quelque  chose  cloche,  s'il  y  a 
un  geste  obscur,  il  l'explique;  ce  qui  s'est  passé,  il  le  raconte;  ce 
qui  se  passe,  il  le  commente;  ce  qui  va  se  passer,  il  le  prédit;  bref, 
il  est  dans  la  tragédie  grecque  comme  une  note  de  M.  Aimé  Mar- 
tin au  bas  d'une  page  de  Molière.  Voilà ,  disions-nous,  le  classique  ; 
il  n'y  avait  point  de  quoi  disputer,  et  les  choses  allaient  sans  dire* 
Mais  on  nous  apprend  tout  à  coup  (c'était,  je  crois,  en  1828)  qu'il 
y  avait  poésie  romantique  et  poésie  classique,  roman  romantique 
et  roman  classique,  ode  romantique  et  ode  classique;  que dis-jef 
un  seul  vers,  mon  cher  monsieur,  un  seul  et  unique  vers  pouvait 
être  romantique  ou  classique,  selon  que  l'envie  lui  en  prenait. 

Quand  nous  reçûmes  cette  nouvelle ,  nous  ne  pûmes  fermer  l'œil 
de  la  nuit.  Deux  ans  de  paisible  conviction  venaient  de  s'évanouir 
comme  un  songe.  Toutes  nos  idées  étaient  bouleversées  ;  car  si  les 
règles  d'Àristote  n'étaient  plus  la  ligne  de  démarcation  qui  séparait 
les  camps  littéraires,  où  se  retrouver  et  sur  quoi  s'appuyer?  Par 
quel  moyen,  en  lisant  un  ouvrage,  savoir  à  quelle  école  il  appar- 
tenait? Nous  pensions  bien  que  les  initiés  de  Paris  devaient  avoir 
une  espèce  de  mot  d'ordre  qui  les  tirait  d'abord  d'embarras; 
mais  en  province,  comment  faire?  £til  faut  vous  dire,  monsieur, 
qu'en  province,  le  mot  romantique  a,  en  général,  une  signification 
fecfle  à  retenir,  il  est  synonyme  d'absurde,  et  on  ne  s'en  inquiète 
pas  autrement.  Heureusement,  dans  la  même  année ,  parut  une  il- 
lustre préface  que  nous  dévorâmes  aussitôt,  et  qui  faillit  nous  con- 
vaincre à  jamais.  Il  y  respirait  un  air  d'assurance  qui  était  fait  pour 
tranquilliser,  et  les  principes  de  la  nouvelle  école  s'y  trouvaient 
détaillés  au  long.  On  y  disait  très  nettement  que  le  romantisme 
n'était  autre  chose  que  l'alliance  du  fou  et  du  sérieux,  du  grotes- 
que et  du  terrible ,  du  boufibn  et  de  l'horrible,  autrement  dit,  si 
vous  l'aimez  mieux,  de  la  comédie  et  de  la  tragédie.  Nous  le 
crûmes,  Gotonetet  moi,  pendant  l'espace  d'une  année  entière.  Le 
drame  fut  notre  passion ,  car  on  avait  baptisé  de  ce  nom  de  drame. 


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662  EBYUB  DES  BEUX  MOJIDIS* 

Bon-^seulement  les  ouvrages  dialogues,  mais  touH^  les  iiiTèntef 
modernes  de  rimagination ,  sous  le  prétexte  qu* elles  étaieni  drt» 
matiques.  Il  y  avait  bien  là  quelque  galimatias ,  mais  enfin  c'était 
quelque  chose.  Le  drame  nous  apparaissait  comme  un  prêtre  w^ 
pectable  qui  avait  marié ,  après  tant  de  stèdes,  le  comiqae  ai^  h 
tragique;  nous  le  voyions ,  vêtu  de  blanc  et  de  noir,  riant  d*an  ml 
et  pleurant  de  Tautre,  agiter  d*une  main  un  poignard,  et  dePautn 
une  marotte;  à  la  rigueur,  cela  se  comprenait,  les  poètes  du  josr 
proclamaient  ce  genre  une  découverte  toute  moderne  :  «Laraéla»' 
jcoUe,  disaient-ils,  étidt  inconnue  aux  anciens;  c'est  elle  qui,  joiiie 
h  Tesprit  d'analyse  et  de  controverse,  a  créé  la  religion  nouvelle,  la 
société  nouvelle,  et  introduit  dans  Tart  un  type  nouveau.  »  Apnler 
franc,  nous  croyions  tout  cela  un  peu  sur  parole ,  et  cette  mélancob 
inconnue  aux  anciens  ne  nous  fut  pas  d'une  digestion  bxâie,  Qaoil 
disions-nous ,  Sapho  expirante ,  Platon  regardant  le  eiel ,  n'ont  p» 
ressenti  quelque  tristesse?  Le  vieux  Priam  redemandant  son  fiif 
mort,  à  genoux  devant  le  meurtrier,  et  s'éeriant  :  «  Sonvieos-toi 
de  ton  père,  6  Achille  1  a  n'éprouvait  point  quelque  mélancolîeîLe 
beau  Narcisse,  couché  dans  les  roseaux,  n'était  point  malade  de 
quelque  dégoût  des  choses  de  la  terre?  Et  la  jeune  nymphe qd 
l'aimait,  cette  pauvre  Écho  si  malheureuse,  n'étaitrelle  donc  ptf 
le  parfait  symbole  de  la  mélaacoUe  solitaire,  lorsque,  épnîsëe  par 
sa  douleur,  il  ne  lui  restait  que  les  os  et  la  voix?  D'autre  part, 
dans  la  susdite  préface,  écrite  d'azurs  avec  mi  grand  taleat; 
l'antiquité  nous  semblait  comprise  d'une  assez  étrange  iaçon.  Os  y 
comparait,  entre  autres  choses,  les  furies  avales  sorcières,  etoi 
disait  que  les  furies  s'appelaient  Euménidés,  c'esl-à-dire  doutes  tt 
bienfaiàantes,  ce  qui  prouvait,  ajoutait*on,  qu'elles  n'étaient  qi» 
médiocrement  difformes ,  par  conséquent  à  peiae  ipt>le9qiies.  I 
Aous  étonnait  que  l'auteur  pût  ignorer  qm  l'antiphrase  est  n  1 
nombre  destropes,  bien  que  Sanetiua  ne  veuflle  pas TadaelM 
Mais  passons  ;  l'important  pour  nous  était  de  répondre  aux  qaes^ 
lionneurs  :  or  Le  romantisme  est  l'alliante  de  la  comédie  et  de  h 
tragédie,  on,  de  quelque  genre  d'ouvrage  qu'il  s'agisse,  te  ai- 
lange  du  bouffon  et  du  sérieux*  d  Yoflà  qui  allait  encore  à  av 
veiUe ,  et  nous  dormions  tranquiHes  là-dessus.  Mais  qoep^issif» 
monnenr,  lorsqu'un  matin  je  vis  Gotonet  entnr  tlnns  ma  chancre 
avec  six  petîisvoluaies  sous  le  bras  1  Arislai^haiie,  vousfemitf» 


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SIBI:  L  ABUS  DBS  AMBCTffS. 

est»  de  tous  les  génies  de  la  Grèee  antique ,  le  plus  noUe  à  la  fois 
et  le  plus  grotesque,  le  plus  sérieud  et  le  plus  bouCEon,  le^plus  ly •* 
riqae  et  le  plus  satirique.  Que  répondre  lorsque  Gotonet,  avec 
sa  belle  basse-taille ,  commença  à  déclamer  pompeusement  Tad^ 
mirable  dispute  du  juste  et  de  l'injuste  (1),  la  plus  grare  et  la  plug 
noble  scène  que  jamais  théâtre  ait  entendue?  Comment,  en  écouf 
tant  ce  style  énergique ,  ces.  pensées  sublimes ,  cette  simple  élo- 
quence,  en  assistant  à  ce  combat  diyin  entre  les  deux  puissances 
qni  gouvernent  le  monde ,  comment  ne  pas  s'écrier  avec  le  chœur  : 
ff  0  toi  qui  habites  le  temple  élevé  de  la  sagesse,  le  parfum  de  la 
vertu  émane  dettes  discours  I  »  Puis,  tout  à  coup ,  à  quelques  pages 
de  là,  voilà  le poètequi  nous  £ût  assister  au  spectade  d'un  homme 
qui  se  relève  la  nuit  pour  soulager  son  v^itre  (2).  Quel  écrivain 
e'est  jamais  ^vé  plus  haut  qu^Aristophane  dans  ce  terrible  drame 
des  Chevaliers  oà  paraît  le  peuple  athénien  lui-même  personnifié 
dans  un  vieiUard?  Quoi  déplus  sérieux,  quoi  de  plus  imposant  qaê 
les  anapestes  où  le  poète  gourmande  le  public,  et  que  ce  chœur 
qui  commence  ainsi  :  a  Maintenant ,  Athéniens,  prêtez-nous  votre 
attention ,  si  vous  aimez  un  langage  sincère  (3).  d  Quoi  de  plus  gro- 
tesque en  même  temps»  quoi  de  phis  bouffon  que  Bacchns  et  Xao- 
tliias  (4)?  quoi  de  plus  comique  et  de  plus  plaisant  que  cette  Myr* 
rhine ,  se  déchaussant  à  demi  nue ,  sur  le  lit  où  son  pauvre  époux 
meurt  d'abstmence  et  de  désirs  (5)  ?  A  voir  cette  rusée  commère , 
plus  rouée  que  la  rouée  Merteuil,  les  spectateurs  eux-mêmes  de* 
vaient  partager  le  tourment  de  Cinésias,  pour  peu  que  la  scène  fàt 
bien  rendue.  Dans  quelle  classification  pourra-tK>n  jamab  faire 
entrer  les  ouvrages  d'Aristophane?  quelles  lignes,  quels  cercles 
tracera-t-on  jamais  autour  de  la  pensée  humaine,  que  ce  génie 
audacieux  ne  dépassera  pas?  Il  n'est  pas  seulement  tragique  et 
comique ,  il  est  tendre  et  terrible,  pur  et  obscène,  honnête  et  cop- 
Tompu,  noble  et  trivial,  et  au  fond  de  tout  cela,  pour  qui  sait 
comprendre ,  assurément  il  est  mélanooUque.  Hélas  1  nionsieur,  si 
on  le  lisait  davantage,  on  se  dispenserait  de  beaucoup  parler,  et 


(i)  Bans  Uê  Muées. 

(S)  DàM  les  HarangiteuteM. 

(3)  Dans  les  Guêpes, 

(4)  Dans  les  Grenouilles. 
(8)  nani  Lysisupau* 


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061  RETUE  DES  DEUX  MONDES. 

on  pourrait  savoir  au  juste  d*où  viennent  bien  des  inventions  nou- 
velles qui  se  font  donner  des  brevets.  Il  n'est  pas  jusqu'aux  saint- 
simoniens  qui  ne  se  trouvent  dans  Aristophane;  que  lui  avaient 
fait  ces  pauvres  gens?  La  comédie  des  Harangueuseê  est  pourtant 
leur  complète  satire ,  comme  les  Chevaliers ,  à  plus  d*un  égard, 
pourraient  passer  pour  celle  du  gouvernement  représentatif. 

Nous  voilà  donc 9  Cotonet  et  moi,  retombés  dans  Tincertitude. 
Le  romantisme  devait,  avant  tout,  être  une  découverte,  sinoa  ré- 
cente, du  moins  moderne.  Ce  n*était  donc  pas  plus  TalUance  du  co- 
mique et  du  tragique  que  Tinfraction  permise  aux  règles  d* Aristote. 
(  J*ai  oublié  de  vous  dire  qu'Aristophane  ne  tient  lui-même  aacoo 
compte  des  unités.  )  Nous  f  imes  donc  ce  raisonnement  très  sim|de  : 
«Puisqu'on  se  bat  à  Paris  dans  les  théâtres,  dans  les  préfaces,  et 
dans  les  journaux ,  il  faut  que  ce  soit  pour  quelque  chose  ;  puisque 
les  auteurs  proclament  une  trouvaille ,  un  art  nouveau  et  une  foi 
nouvelle,  il  faut  que  ce  quelque  chose  soit  autre  chose  qu'une 
chose  renouvelée  des  Grecs  ;  puisque  nous  n'avons  rien  de  mieux  à 
faire,  nous  allons  chercher  ce  que  c'est.  » 

— 'Mais,  me  direz-vous,  mon  cher  monsieur,  Aristophane  est 
romantique;  voilà  tout  ce  prouvent  vos  discours;  la  différence  des 
genres  n'en  subsiste  pas  moins ,  et  l'art  moderne ,  l'art  humain- 
taire,  l'art  social ,  l'art  pur,  l'art  naïf,  l'art  moyen-âge.... 

Patience,  monsieur;  que  Dieu  vous  garde  d'être  si  vif  l  Je  ne 
discute  pas,  je  vous  raconte  un  événement  qui  m'est  arrivé.  B'ar 
bord,  pour  ce  qui  est  du  mot  humanitaire, ]e  le  révère ,  et  quand 
je  l'entends,  je  ne  manque  jamais  de  tirer  mon  chapeau;  puissent 
les  dieux  me  le  faire  comprendre!  mais  je  n&e  résigne  et  j'attends. 
Je  ne  cherche  pas,  remarquez  bien ,  à  savoir  si  le  romantisme  existe 
ou  non  ;  je  suis  Français,  et  je  me  rends  compte  do  ce  qu'on  zffék 
le  romantisme  en  France. 

Et,  à  propos  des  mots  nouveaux ,  je  vous  dirai,  que  durant  one 
autre  année,  nous  tombâmes  dans  une  triste  erreur.  Las  d'exanâ- 
ner  et  de  peser,  trouvant  toujours  des  phrases  Vides  et  des  profes- 
sions de  foi  incompréhensibles,  nous  en  vînmes  à  croire  que  ce  mot 
de  romantisme  n'était  qu'un  mot  ;  nous  le  trouvions  beau,  et  il  nous 
semblait  que  c'était  dommage  qu'il  ne  voulût  rien  dire.  Il  ressemHc 
à  Rome  et  à  Romain,  à  roman  et  à  romanesque;  peut-être  est-ce  h 
même  chose  que  romanesque;  nous  fûmes  du  moins  tentés  de  le 


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SUR  l'abus  DBS  ADJECTIFS.  66S 

croire  par  comparaison ,  car  il  est  arrivé  depuis  peu,  comme  vous 
savez  y  que  certains  mots  9  d^ailleurs  convenables  ^  ont  éprouvé  de 
petites  variations  qui  ne  font  de  tort  à  personne.  Autrefois ,  par 
exemple,  on  disait  tout  bêtement  :  Voilà  une  idée  raisonnable; 
maintenant  on  dit  bien  plus  dignement  :  Voilà  une  déduction  ration- 
nelle. C*est  comme  la  patrie,  vieux  mot  assez  usé;  on  dit  le  pays;  voyez 
nos  orateurs,  ils  n*y  manqueraient  pas  pour  dix  écus.  Quand  deux 
gouvernemensy  la  Suisse  et  la  France,  je  suppose,  convenaient  en- 
semble de  faire  payer  dix  ou  douze  sous  un  port  de  lettre,  on  di- 
sait jadis  trivialement  :  or  Cest  une  convention  de  poste;  b  mainte- 
nant on  dit  :  or  Convention  postale,  jd  Quelle  différence  et  quelle 
magnificence!  Au  lieu  de  surpris  ou  d'étonné,  on  dit  :  a  Stupéfié,  d 
Sentez-vous  la  nuance?  Stupéfié  I  non  pas  stupéfait,  prenez-y  garde  ; 
stupéfait  est  pauvre,  rebattu;  fil  ne  m'en  parlez  pas,  c'est  un 
dr61o  capable  de  se  laisser  trouver  dans  un  dictionnaire.  Qui  est-ce 
qui  voudrait  de  cela?  Mais  Cotonet,  par-dessus  tout,  préfère  trois 
mots  dans  la  langue  moderne  ;  Tauteur  qui ,  dans  une  seule  phrase, 
les  réunirait  par  hasard ,  serait ,  à  son  gré,  le  premier  des  hommes* 
Le  premier  de  ces  mots  est  :  morganatique;  le  second,  blandices,  et 
le  troisième...  le  troisième  est  un  mot  allemand. 

Je  retourne  à  mon  dire.  Nous  ne  pûmes  long-temps  demeurer 
dans  rindifférence.  Notre  sous-préfet  venait  d*étre  changé;  le  nou- 
veau-venu avait  une  nièce^  jolie  brune  pâle,  quoique  un  peu  mai- 
gre, qui  s'était  éprise  des  manières  anglaises,  et  qui  portait  un 
voile  vert,  des  gants  orange,  et  des  lunettes  d'argent.  Un  soir 
qu'elle  passait  près  de  nous  (Cotonet  et  moi,  à  notre  habitude, 
nous  nous  promenions  sur  le  jeu  de  boule),  elle  se  retourna  du  côté 
du  moulin  à  eau  qui  est  près  du  gué,  où  il  y  avait  des  sacs  de  fa- 
rine, des  oies  et  un  bœuf  attaché  :  «Voilà  un  site  romantique,  j>  dit- 
elle  à  sa  gouvernante.  A  ce  mot,  nous  nous  sentîmes  saisis  de  notre 
curiosité  première.  Hé,  ventrebleu,  fis-je,  que  veut-elle  dire?  ne 
saurons-nous  pas  à  quoi  nous  en  tenir?  Il  nous  arriva  sur  ces 
-entrefaites  un  journal  qui  contenait  ces  mots  :  cr  André  Chénier  et 
M"^  de  Staël  sont  les  deux  sources  du  fleuve  immense  qui  nous 
entraîne  vers  l'avenir.  C'est  par  eux  que  la  rénovation  poétique, 
4léjà  triomphante  et  presque  accomplie,  se  divisera  en  deux  bran- 
ches fleuries  sur  le  tronc  flétri  du  passé.  La  poésie  romantique, 
JSlle  de  l'Allemagne,  attachera  ainsi  à  son  front  une  ps^lnie  vertQ, 


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%6t  EEVUB  MES  rame  MOMDBS. 

MBOT  des  myrtes  d'Athènes.  Ossian  et  Homère  se  <)<mneDt  la  i 
c  lioB  amiy  dis-je  à  Gotonet,  je  crois  qae  voilà  notre  affaire;  le  ro- 
mantisme, c'est  la  poésie  allemande  ;  M"'  de  Staél  est  la  premièie 
qai  nous  ait  fait  connaître  cette  littérature,  et  de  Vapparition  de 
son  livre  date  la  rage  qni  noas  a  pris.  Achetons  Goethe,  SdûBer  et 
Wieland  ;  nous  sommes  sauvés,  tout  est  venu  de  là.  » 

Nous  crûmes,  jusqu'en  1830,  que  le  romantisme  était  l'imitatioi 
^es  Allemands,  et  nous  y  ajoutâmes  les  Anglais  sur  le  conseil  qn'oi 
nous  en  donna.  Il  est  incontestable,  en  effet,  que  ces  deux  peuples 
ont,  dans  leur  poésie,  un  caractère  particulier,  et  qu'ils  ne  res- 
semblent ni  aux  Grecs,  ni  aux  Romains,  ni  aux  Français.  Les  Es- 
pagnols nous  embarrassèrent,  car  ils  ont  aussi  leur  cachet,  et  il  ^ 
clair  que  l'école  moderne  se  ressentait  d'eux  terriblemefit.  Les 
romantiques,  par  exemple,  ont  constamment  prAné  le  Cid  de  Cor^ 
neille,  qui  est  une  traduction  presque  littérale  d'une  fort  beUe  pièce 
espagnole.  A  ce  propos ,  nous  ne  savions  pas  pourquoi  ils  a'en 
prAnaient  pas  aussi  bien  quelque  autre,  malgré  la  beauté  de  cselle- 
là;  mais,  à  tout  prix,  c'était  une  issue  qui  nous  tirait,  du  labyriodie. 
«  Mais,  disait  encore  Cotonet,  quelle  invention  peut-il  y  aroir  i 
naturaliser  une  imitation?  Les  Allemands  ont  fait  des  baDades; 
nous  en  faisons,  c'est  à  merveille;  ils  aiment  les  spectres,  les  gn^ 
mes,  les  goules,  les  psylles,  les  vampires,  les  squelettes,  les  c^res, 
les  cauchemars,  les  rats,  les  aspioles,  les  vipères,  les  sorcières,  le 
sabbat,  Satan,  Puck,  les  mandragores;  enfin  cela  leur  hit  plaisir; 
nous  les  imitons  et  en  disons  autant,  quoique  cela  nous  régale  mé- 
diocrement; mais  je  l'accorde.  D'autre  part,  dans  leurs  romans, 
on  se  tue,  on  pleure,  on  revient,  on  fait  des  phrases  longues 
d'une  aune,  on  sort  à  tout  bout  de  champ  du  bon  sens  et  de  la  na- 
ture; nous  les  copions,  il  n'y  a  rien  de  mieux.  Viennent  les  Angte 
par  là-dessus  qui  passent  le  temps  et  usent  leur  cervelle  à  broyer 
du  noir  dans  un  pot;  toutes  leurs  poésies,  présentes  et  fiiturw, 
ont  été  résumées  par  Goethe  dans  cette  simple  et  aimable  phrase: 
«  L'expérience  et  la  douleur  s'unissent  pour  guider  rhomme  i 
travers  cette  vie,  et  le  conduire  à  la  mort.  »  C'est  assez  ftui,  ^ 
même  assez  sot ,  mais  je  veux  bien  encore  qu'on  s'y  plaise.  EareiB 
gaiement,  avec  l'aide  de  Dieu  et  de  notre  bon  tempérament  fraih 
çais,  du  sarig  de  pendu  dans  la  chaudière  anglaise.  Survient  I1>- 
pagne,  avec  ses  Castillans,  qui  se  coupent  la  gorge  conmie  on  hti 


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SUR  l'abus  DBS  ABIBCTIP&  667 

im  verre  d'ean,  ses  Andaloases  qui  font  plus  vite  encore  uii  petit 
métier  noias  dépeviplaiity  ses  taureaux  y  ses  toréadors,  mata-> 
dors  y  etc... 9  fj  soascris.  Qaoi  enfin?  Quand  noas  aurons  tout 
imité,  copié,  plagié,  traduit  et  compilé,  qu'y  a--t-fl  là  de  romand-^ 
que?  n  n'y  a  rien  de  moinsnouveau  sous  le  ciel  que  de  compilev  el 
de  plagier.  » 

Ainsi  raisonnut  Gotonet ,  et  nous  tombions  de  mal  en  pis  ;  cair, 
examinée  sou^  ce  point  de  rue,  la  question  se  rétrédssdt  singu^ 
lièrement.  Le  classique  ne  serait41  donc  que  l'imitation  de  la  poésie 
Iprecque,  et  le  romantique  que  Timitation  des  poésies  allemande, 
anglaise  et  espagnole?  Diable!  que  deviendraient  fdors  tant  de 
beaux  discours  sur  Boileau  et  sur  Aristote,  sur  Tantiquité  et  le 
<)hristianisme,  sur  le  génie  et  la  liberté,  sur  le  passé  et  sur  Tave- 
nir,  etc.?  C'est  impossible;  quelque  chose  nous  criait  que  ce  fie 
pouvmt  être  là  le  résultat  de  recherches  ri  curieuses  et  si  empres*» 
aées.  Ne  serait-ce  pas,  pensftmes4Mms,  seulement  affaire  de  Confié! 
de  romantisme  indéchiffirable  ne  oonsisterait-il  pas  dans  ce  ven 
brisé  dont  on  fisnt  assez  de  bruit  dans  le  monde? 'Hais  non;  car, 
dans  leurs  plaidoyers,  fiovs  voyons  les  auteurs  nouttaux  dter 
Holière  et  quelques  autres  comme  aymt  donné  l'ènniple  de 
cette  méthode;  le  vers  brisé,  d'alBefirs,  est  horrible;  il  faut  dire 
plus,  il  est  impie;  c'est  un  saoriléee  envers  les4ieiix,  uneoflRsnse  à 
la  muse. 

Je  vous  expose  naïvement,  monsieur,  toute  la  suite  de  nos  tri*» 
bulations,  et  si  vous  trouvez  mon  récit  un  peu  long,  il  faut  songer 
4i  douze  ans  de  souffrances;  nous  avançons,  ne  vous  inquiétez  pas. 
De  1830  à  1831,  nous  crûmes  que  le  romantisme  était  le  genre  his-^ 
torique,  ou,  si  vous  voulez,  cette  manie  qui,  depuis  peu,  a  pris 
nos  auteurs  d'appeler  des  personnages  de  romans  et  de  mélo- 
drames Gharlemagne,  François  I**  ou  Henri  IV,  an  lieu  d'Amadis, 
4l'Oronte,  ou  de  Saint-Albin.  M"*  de  Seudéry  est,  je  crois,  la  pro- 
iniére  qui  ait  donné  en  France  l'exemple  de  cette  mode,  et  beaucoup 
de  gens  disent  du  mal  des  ouvrages  de  cette  demoiseOe,  qui  ne  les 
ont  certaifiement  pas  lus.  Nous  ne  prétendons  pas  les  juger  id;  ils 
ont  fait  les  délices  du  siéde  le  plus  poli,  le  plus  classique  et  le  plus 
galant  du  monde;  mais  Os  nous  ont-  semblé  aussi  vraisemblables, 
mieux  écrits,  et  guère  plus  ridicules  que  certains  romans  de  nos 
jours  dont  on  ne  parlera  pas  si  long-temps» 


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668  REVUE  DBS  DEUX  MONDES. 

De  1831  à  Tannée  suivante,  voyant  le  genre  historique  discré- 
dité, et  le  romantisme  toujours  en  vie,  nous  pensâmes  que  c'était 
le  genre  intime ,  dont  on  parlait  fort.  Mais  quelque  peine  que  nous 
ayons  prise,  nous  n'avons  jamais  pu  découvrir  ce  que  c'était  que 
le  genre  intime.  Les  romans  intimes  sont  tout  conune  les  autres; 
ils  ont  deux  vol.  in-8*,  beaucoup  de  blanc;  il  y  est  questioQ  d*adut- 
tères,  de  marasme,  de  suicides,  avec  force  archaïsmes  et  néolo- 
gismes  ;  ils  ont  une  couverture  jaune,  et  Us  coûtent  15  fr.;  nous  n*j 
avons  trouvé  aucun  autre  signe  particulier  qui  les  distinguât. 

De  1832  à  1833,  il  nous  vint  à  Tesprit  que  le  romantisme  pouvait 
être  un  système  de  philosophie  et  d'économie  politique.  En  efifet, 
les  écrivains  affectaient  alors  dans  leurs  préfaces  (que  nous  n  avons 
jamais  cessé  de  lire  avant  tout,  comme  le  plus  important)  de  parler 
de  l'avenir,  du  progrès  social,  de  l'humanité  et  delà  civilisation; 
mais  nous  avons  pensé  que  c'était  la  révolution  de  juillet  qui  était 
cause  de  cette  mode,  et  d'ailleurs,  il  n'est  pas  possible  de  croire 
qu'il  soit  nouveau  d'être  républicain.  On  a  dit  que  Jésus^hrist 
l'était;  j*en  doute,  car  il  voûtait  je  b»^  roi  de  Jérusalem;  mais 
depuis  que  le  monde  existe,  il  est  certain  que  quiconque  n'a  que 
deux  sous  et  en  voit  quatre  à  son  voisin,  ou  une  jolie  femme,  désire 
les  lui  prendre,  et  doit  conséquemmentdans  ce  but  parler  d'égalilé, 
de  liberté,  des  droits  de  l'homme,  etc.,  etc... 

De  1833  à  1834',  nous  crûmes  que  le  romantisme  coosisiait  i  ne 
pas  se  raser,  et  à  porter  des  gilets  à  larges  revers,  très  empe- 
sés. L'année  suivante,  nous  crûmes  que  c'était  de  refuser  de 
monter  la  garde.  L'année  d'après,  nous  ne  crûmes  rien,  Cotonet 
ayant  fait  un  petit  voyage  pour  une  succession  dans  le  Midi,  et  me 
trouvant  moi-^néme  très  occupé  à  faire  réparer  une  grange  que  les 
grandes  pluies  m'avaient  endommagée. 

Maintenant,  monsieur,  j'arrive  au  résultat  définitif  de  ces  trop 
longues  incertitudes.  Un  jour  que  nous  nous  promenions  (c'était 
toujours  sur  le  jeu  de  boule] ,  nous  nous  souvînmes  de  ce  flandria 
qm',  le  premier,  en  1824,  avait  porté  le  trouble  dans  notre  esprit, 
et  par  suite  dans  toute  la  ville.  Nous  fûmes  le  voir,  décidés  cette 
fois  à  l'interroger  lui-même,  et  à  trancher  le  nœud  gordien.  Noos 
le  trou  vînmes  en  bonnet  de  nuit,  fort  triste,  et  mangeant  une 
omelette.  Il  se  disait  dégoûté  de  la  vie  et  blasé  sur  l'amour; 
comme  nous  étions  au  mois  de  janvier,  nous  pensâmes  que  c'était 


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SUR  L  ABUS  DES  AUJECTIFS. 

qa*il  n^avait  pas  eu  de  gratification  cette  année,  et  ne  lai  en  sûmes 
pas  mauvais  gré.  Après  les  premières  civilités ,  le  dialogue  suivant 
eut  lieu  entre  nous,  permettez-moi  de  vous  le  transcrire  le  plus 
brièvement  possible  : 

MOI, 

Monsieur,  je  vous  prie  de  m'expliquer  ce  que  c*est  que  le  roman- 
tisme. Estrcele  mépris  des  unités  établies  par  Âristote,  et  respec- 
tées par  les  auteurs  français  ? 

LE  CLERC. 

Assurément.  Nous  nous  soucions  bien  d*Aristote  I  faut-il  qu'un 
pédant  de  collège,  mort  il  y  a  deux  ou  trois  mille  ans.... 

COTONET, 

Comment  le  romantisme  seraitril  le  mépris  des  unités,  puisque  le* 
romantisme  s*applique  à  mille  autres  choses  qu'aux. pièces  de 
théâtre? 

LE  CLERC 

C'est  vrai;  le  mépris  des  unités  n'est  rien;  pure  b^ateUe  1  nous 
ne  nous  y  arrêtons  pas. 

MOI. 

En  ce  cas,  serait-ce  l'alliance  du  comique  et  du  tra^^que? 

LE  CLERC 

Vous  l'avez  dit;  c'est  cela  même;  vous  l'avez  nommé  par  son 
nom. 

COTONET. 

Monsieur,  il  y  a  long-temps  qu'Aristote  est  mort,  mais  il  y  a 
tout  aussi  long-temps  qu'il  existe  des  ouvrages  où  le  comique  est 
allié  au  tragique.  D'ailleurs  Ossian,  votre  Homère  nouveau,  est 
sérieux  d'un  bout  à  l'autre  ;  il  n'y  a,  ma  foi,  pas  de  quoi  rire.  Pour- 
quoi l'appelez-vous  donc  romantique?  Homère  est  beaucoup  plus 
romantique  que  lui. 

LE  CLERC 

C'estjuste;jevousprie  de  m'excuser  ;  le  romantisme  est  bien 
autre  chose. 

MOI. 

Serait-ce  l'imitation  ou  l'inspiration  de  certaines  littératures 
étrangères,  ou,  pour  m'expliquer  en  un  seul  mot,  serait-ce  tout, 
hors  les  Grecs  et  les  Romains? 


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«70 

Iffl  ifllUG. 

N'en  doutes  pa».  LevOrec»  et  lesHoiiiaiM  aoutà^milii  Iimm 
de  Fr»ice;  nu  Ters  spirituel  et  merdant..*. 

COTONET. 

Alors  le  romantisme  n*est  qa*un  plagiat,  un  simulacre,  uneoth 
pie;  c*est  honteux ,  monsieur,  c*est  avilissant.  La  France  n'est  a 
anglaise,  ni  allemande,  pas  plus  qu'elle  n'est  grecque  ni  romaine,  et 
plagiat  pour  plagiat,  j'aime  mieux  un  beau  plâtre  pris  sur  la  Diane 
chasseresse  qu'un  monstre  de  bois  rermoulu  décroché  d'un  gre- 
nier godiique* 

IX  CLESC. 

Le  romantisme  n'est  point  un  plagiat,  et  nous  ne  youlons  imiter 
personne;  non,  TAn^eterre  ni  rAUenagne  n'ont  rien  i 
notre  payi. 

GOTONET,  TiTement. 

Qu'estrce  donc  alors  que  le  romantisme?  Est-ce  l'emploi  des  i 
crus?  Esc-ee  la  haine  des  périphrases?  Esilœ  l'usage  de  la  maii- 
que  au  théfttre  à  l'entrée  d'un  personnage  principal?  Mais  o»  es  a 
toujours  agi  ainsi  dans  les  mélodrames,  et  nos  pièces  nouvelles  ae 
sont  pas  autre  chose.  Pourquoi  dianger  les  tmrntst  MUm,  ann- 
que,  et  drama,  drame.  Calas  et  le  Joueur  sont  deux  modèles  en  ce 
ff&are.  Est^ee  l'abus  des  dobis  historiques?  Bst-ce  la  ftrme  dies 
costumes?  Est-ce  le  choix  de  certaines  époques  à  la  mode,  comme 
la  Fronde  ou  le  règne  de  C!harles  IX?  Est-ce  la  manie  du  suîdde  et 
l!héroïsme  A  la  Byron?  Soat<e  les  néologismes,  ie  néo-dirisiia- 
tûsme,  et,  pour  aiq)eler  d'un  nom  nouveau  une  peste  nouveUe,  tons 
les  néo$qphi$mei  de  la  terre?  Esl-ce  de  jurer  par  écrit?  Est-cede 
■choquer  le  bon  sens  et  la  grammaire?  EstH»  quelque  chose  enfia, 
vOu  n'eslH)e  rien  qu'un  mot  8<more  et  rorgndl  à  vide  <pii  se  bat  les 
illancs? 

LB  CLEMC,  av«ceiiUUUoa. 

JVonl  ce  n*eit  rien  de  tout  cela;  noni  vous  ne  compreoec  pu  la 
chose.  Que  vous  êtes  grossier,  monsieur  1  quelle  épaisseur  d»is  vos 
paroles!  Allez,  les  sylphes  ne  vous  hantent  point;  vous  êtes  pos- 
itf,  vofusétes  trumeau,  vous  êtes  vohite,  vous  n'avez  rien d'ogire; 
ce  que  vous  dites  est  sans  galbe  ;  vous  ne  vous  doutez  pas  de  lin- 
3tinct  sociétaire;  vous  avez  marché  sur  Gampistron* 


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IjeroiBMliflme»iiUHi  dier  monaieur  I  Non,  àocMpsâr,  oe  n'est  ni 
le  fliéjpris  des  uxànéa,  m  r^lianoe  du  comique  et  du  tragique,  ni  rien 
AU  Bdoiide  qiie  vous  puissiez  (Ure  ;  vous  saisiriez  vainemeut  Taile  du 
papiHon,  la  poussière  qui  le  colore  vous  resterait  dans  les  doigts. 
I46  romantisme»  c*est  Tétoile  qui  pleure»  c*est  le  yent  qni  vagit,  c*est 
la  nuit  qui  frissonne,  la  fleur  qui  vole  et  Foiseau  qui  embaume; 
e'est  le  jet  inespéré»  l'extase  allangnie,  la  citerne  sous  les  palmiers, 
et  l'espoir  vermeil  et  ses  mille  amours ,  l'ange  et  la  perle ,  la  robe 
blanche  des  saules,  6  la  belle  cbose»  monsieur  I  C'est  l'infini  et  l'é- 
toile» le  ehâiid»  le  rompu»  le  désenivré»  et  pourtant  en  même  temps 
le  plein  et  le  rond»  le  diankétï'al»  le  pyramidal»  l'oriental,  le  nu  à  vif, 
l'étreint»  l'embrassé»  le  tourbillonnant;  quelle  science  nouvel 
C'est  la  pUlosophie  providentielle  géométrisant  les  foits  accomplis, 
puis  s'éian$ant  dans  le  v^ue  des  expériences  pour  y  ciseler  les 
fibres  secrètes.... 

COTONET. 

Monsieur»  ceci  est  une  faribole.  Je  sue  à  grosses  gouttes  pour 
vous  écouter. 

LE  CLERC. 

J*en  suis  fâché  ;  j'ai  dit  mon  opinion»  et  rien  au  monde  ne  m*en 
fera  changer. 

Nous  fûmes  chez  M.  Ducoudray  après  cette  scène»  que  je  vous 
abrège,  vu  qu'dle  dura  trois  heures  et  que  la  tète  tourne  en  y  pen- 
sant. H.  Ducoudray  est  un  magistrat,  comme  j'ai  eu  Thonneur  de 
vous  le  dire.  Il  porte  habit  marron  et  culotte  de  soie,  le.tout  bien 
brossé»  et  il  est  poudré.  Nous  le  trouvâmes  dans  son  fauteuil  de 
cuir,  et  il  nous  offrit  une  prise  de  tabac  sec  dans  sa  tabatière  de 
corne»  propre  et  luisante  comme  un  écu  neuf.  Nous  lui  contâmes» 
comme  vous  pensez»  la  visite cpie  nous  venions  de  faire»  et  repre- 
nant le  même  suyet»  voici  quelle  fut  son  opinion  : 

«  Sous  la  restauration»  nous  dit-il,  le  gouvernement  faisait  tous 
ses  efforts  pour  ramener  le  passé.  Les  premières  places  aux  Tui- 
leries étaient  remplies,  vous  le  savez  »  par  les  mêmes  noms  que  sens 
Louis  XIV.  Les  prêtres,  ressaisissant  le  pouvoir,  organisaient  de 
tous  cètés  une  sorte  d*inquisition  occulte,  comme  aujourd'hui  les 


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672  RETUB  DES  DEUX  I101l]»8. 

associations  répablicaines.  D'autre  part ,  une  censure  séyàre  inter-  1 
disait  aux  écrivains  la  peinture  libre  des  choses  présentes;  qaeb 
portraits  de  mœurs  ou  quelles  satires,  mêmes  les  plus  doaoa, 
auraient  été  tolérés  sur  un  théâtre  où  Germanieus  était  défendH? 
En  troisième  lieu,  la  cassette  royale,  ouverte  à  quelques  gens  de 
lettres,  avait  justement  récompensé  en  eux  des  talens  ronarqu- 
bles,  mais  en  même  temps  des  opinions  religieuses  et  monarchiqiieg. 
Ces  deux  grands  mots,  la  religion  et  la  monarchie,  étaient  «km 
dans  leur  toute-puissance;  avec  eux  seuls  il  pouvait  y  avoir  sncGès, 
fortune  et  gloire;  sans  eux,  rien  au  monde,  sinon  l'oubli  ou  la per- 
sécution.  Cependant  la  France  ne  mancpiait  pas  de  jeunes  tètes  qu 
avaient  grand  besoin  de  se  produire  et  la  meilleure  envie  de  parler. 
Plus  de  guerre,  partant  beaucoup  d*oisiveté;  une  éducation  très 
contraire  au  corps,  mais  très  favorable  à  Vesprit ,  l'ennui  de  h  paix» 
les  carrières  obstruées,  tout  portait  la  jeunesse  à  écrire;  aussi  oy 
eut-il  à  aucune  époque  le  quart  autant  d'écrivains  que  dans  cdle-d 
Mais  de  quoi  parler?  Que  pouvait-on  écrire?  Comme  le  gouverne- 
ment, comme  les  mœurs,  comme  la  cour  et  la  ville,  la  littérature 
chercha  à  revenir  au  passé.  Le  trône  et  l'autel  défrayèrent  tout; 
en  môme  temps,  cela  va  sans  dire,  il  y  eut  une  littérature  d'oppo- 
sition. Celle-ci,  forte  de  sa  pensée,  ou  de  l'intérêt  qui  s'attadiaiti 
elle,  prit  la  route  convenue,  et  resta  classique;  les  poètes  qui  chan- 
taient Tempire,  la  gloire  de  la  France  ou  la  liberté,  siirs  de  plaire 
par  le  fond ,  ne  s*embarrassèrent  point  de  la  forme.  Hms  il  n'en 
fut  pas  de  même  de  ceux  qui  chantaient  le  trône  et  l'autel;  ayant 
affaire  à  des  idées  rebattues  et  à  des  sentimens  antipathiques  à  U 
nation,  ils  cherchèrent  à  rajeunir,  par  des  moyens  nouveaux,  h 
vieillesse  de  leur  pensée;  ils  hasardèrent  d'abord  quelques  contor- 
sions poétiques,  pour  appeler  la  curiosité  ;  elle  ne  vint  pas,  ils  re- 
doublèrent. D'étranges  qu'ils  voulaient  être,  ils  devinrent  biiarres, 
de  bizarres  baroques,  ou  peu  s'en  fallait.  M"*  de  Staël,  ce  Blûcfccr 
littéraire,  venait  d'achever  son  invasion,  et  de  même  que  le  pas- 
sage des  Cosaques  en  France  avait  introduit  dans  les  familles  quel- 
ques types  de  physionomie  expressive,  la  littérature  portait  dans 
son  sein  une  bâtardise  encore  sommeillante.  Elle  parut  bientôt  an 
grand  jour;  les  libraires  étonnés  accouchaient  de  certains enfans 
qui  avaient  le  nez  allemand  et  l'oreille  anglaise.  La  superstition  et 
ses  légendes,  mortes  et  enterrées  depuis  long-temps,  profitèrent 


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SUR  L*ABUS  DES  ADJECTIFS.  673 

du  moment  pour  se  glisser  par  la  seule  porte  qui  pût  leur  être  ou- 
T6Tte,  et  vivre  encore  un  jour  avant  de  mourir  à  jamais.  La  manie 
des  ballades,  arrivant  d'Allemagne,  rencontra  un  beau  jour  la 
poésie  monarchique  chez  le  libraire  Ladvocat,  et  toutes  deux,  la 
pioche  en  main,  s'en  allèrent,  à  la  nuit  tombée,  déterrer,  dans 
une  église ,  le  moyen-ftge  qui  ne  s*y  attendait  pas.  Comme  pour 
aller  à  Notre-Dame,  on  passe  devant  la  Morgue,  ils  y  entrèrent  de 
compagnie;  ce  fut  là  que,  sur  le  cadavre  d'un  monomane,  ils  se 
jurèrent  foi  et  amitié.  Le  roi  Louis  XYIII,  qui  avait  pour  lecteur 
un  homme  d'esprit,  et  qui  ne  manquait  pas  d'esprit  lui-même, 
ne  lut  rien  et  trouva  tout  au  mieux.  Malheureusement  fl  vint  à 
mourir,  et  Charles  X  abolit  la  censure.  Le  moyen-flge  était 
alors  très  bien  portant,  et  à  peu  près  remis  de  la  peur  qu'il  avait 
eue  de  se  croire  mort  pendant  trois  siècles.  Il  nourrissait  et 
élevait  une  quantité  de  petites  chauves-souris,  de  petits  lézards 
et  de  jeunes  grenouilles,  à  qui  il  apprenait  le  catéchisme,  la 
haine  de  Boileau,  et  la  crainte  du  roi.  Il  fut  effrayé  d'y  voir  clair, 
quand  on  lui  éta  Téteignoir  dont  il  avait  fait  son  bonnet.  Ebloui 
par  les  premières  clartés  du  jour,  il  se  mit  à  courir  par  les  rues, 
et,  comme  le  soleil  Taveuglait,  il  prit  la  Porte-Saint- Martin  pour 
une  cathédrale  et  y  entra  avec  ses  poussins.  Ce  fut  la  mode  de  Ty 
aller  voir;  bientôt  ce  fut  une  rage,  et,  consolé  de  sa  méprise,  il 
commença  à  régner  ostensiblement.  Toute  la  journée  on  lui  taillait 
des  pourpoints,  des  manches  longues,  des  pièces  de  velours,  des 
drames  et  des  culottes.  Enfin,  un  matin,  on  le  planta  là;  le  gou- 
vernement lui-même  passait  de  mode,  et  la  révolution  changea 
tout.  Qu'arriva-t-il?  Roi  dépossédé,  il  fit  comme  Denis,  il  ouvrit 
une  école.  H  était  en  France  en  bateleur,  comme  le  bouffon  de  la 
restauration;  il  ne  lui  plut  point  d'aller  à  Saint-Denis,  et,  au 
moment  ou  on  le  croyait  tué,  il  monta  en  chaire,  chaussa  ses  lu- 
nettes, et  fît  un  sermon  sur  la  liberté.  Les  bonnes  gens  qui  Técou- 
tent  maintenant  ont  peut^tre  sous  les  yeux  le  plus  singulier  spec- 
tacle qui  puisse  se  rencontrer  dans  l'histoire  d'une  littérature;  c'est 
Un  revenant,  ou  plutôt  un  mort,  qui,  affublé  d*oripeaux  d'un  au- 
^re  siècle,  prêche  et  déclame  sur  celui-ci;  car  en  changeant  de 
Icxte,  il  n'a  pu  quitter  son  vieux  masque,  et  garde  encore  ses 
^nanière  d'emprunt;  il  se  sert  du  style  de  Ronsard  pour  célébrer 
t«8  chemins  de  fer;  en  chantant  Washington  ouLafayette,  il  imite 

TOMB  VII.  45 


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tSk  IIBT9B  BBS  »Bra  BfllMI. 

Danle;  etp0iirparkr(topépiiUkiii^d*4g8lilé«  dek  M«cnin«t 
dutliTorce»  tt  va  ehevcher  de»  bioIa el  des  |riurMe»dttMle^ 
saîre  deces  «ècles  lénttireu  oà  to«t  élik  4ea|)0iMBM»  hmt, 
miaère  et supentitkm.Il s'adresse aa peaple le plos libre »kfbi 
brave,  bphu  gtt  et  le  plus  sain  de  l'wiivers»  eta«  tUite^ie- 
vant  oe  peaple  îoteHigeiit,  q«i  a  le  oossr  xwvert  et  les  waaim  ù 
proorptes,  il  ne  troave  rien  de  aveux  qœ  de  isîre  tÊàre  des  te- 
barisnie8èdesfiLaÉ6vieskK)Miniis;îl8editjeiiiifl^  et  parle  iasire 
jeunesse  comme  M  parlait  sotis  un  roi  podagre  qui  tsaît  tMce 
qni  resMiait  ;  il  appeÛe  Vavenir  i  grands  cris^  et  asperge  de  TÎdk 
eau  bénite  la  slatae  de  la  liberté  ;  vive  Dieul  qu'en  peaserst-de, 
ai  elle  n'était  de  marbre?  Mais  le  pubiip  est  de  chair  et  d*ei,  a 
qu'en  pense-t4?  De  qmi  se  soueie-t-il?  Que  va-t-il  voir  et  qt'etf- 
ce  qui  l'attire  à  ces  myriades  de  vaudevilles  sans  but,  sans  qime, 
sans  tête ,  sans  rime  ni  r^ûson?  Qu'est-ce  que  c'est  que  Uml  de  at- 
quis,  de  cardinaux,  de  pages,  de  rois,  dereinesydeiiimistre5,de 
pantins,  de  criailleries  et  de  baUveraes?  La  restauration,  eapir- 
tant,  nous  a  légué  ses  frq)eries.  Ahl  Français,  on  se  moqmtà 
.  de  vous,  si  vous  ne  vous  en  moquiee  pas  vous'-mémes.  Le  giaid 
Goethe  n'en  riait  pas ,  lui ,  il  y  a  quatre  ou  dnq  ans ,  lorsqu'il  Dtp- 
dissait  notre  littérature,  qui  désespérait  sa  vieiHesse,  car  le  digwi 
homme  s'en  croyait  la  cause.  Mais  ce  n'est  qu'à  nous  qu'il  fMit 
nous  en  prendre,  oui,  à  nons  seuls,  car  il  n'y  a  que  nous  sur  $ent 
d'assez  badauds  pour  nous  laisser  Caire.  Les  autres  natioi»  dvili- 
sées  n'auraient  qu'une  clé  et  qu'une  pomme  cuite  pour  les  niaiseri» 
que  nous  tolérons.  Pourquoi  HoUère  n'est-il  plus  au  monde?  Qr 
l'homme  eût  pu  être  immortel,  dont  immortel  est  le  gânie!  QmI 
misanthrope  nous  aurions  I  Ce  ne  serait  plus  l'homme  anx  nifaiis 
verts,  et  il  ne  s'agira't  pas  d'un  sonnet.  Quel  siéde  fut  jamaispbs 
favorable?  fl  n'y  a  qu'à  oser,  tout  est  prêt  ;  les  morars  sont  li,  les 
choses  et  les  hommes,  et  tout  est  nouveau;  le  thé&tre  est  Ibre, 
quoi  qu'on  veuille  dire  là-dessus,  ou,  s'il  ne  l'est  pas,  IMière  Tétnc- 
il?  Faites  ie  Tartuffe,  quitte  à  ftdre  le  dénouement  du  Tvitiffa 
mais  que  non  pas  I  nous  aimons  bien  mieux  quelque  autre  chose, 
comme  qui  dirait  PhiUppe-le-Loag,  ou  Charles  VI,  qui  n'était qse 
fou  et  imbéoQe;  voilà  notre  homme,  et  il  nous  démange  de  savw ^ 
quelle  couleur  était  sa  barrette  ;  que  le  costume  soit  juste  «utest' 
sans  quoi,  c'est  letaîUeur  qu'on  siffle,  et  ne  taSle  pas quitul^ 


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sm  L'joct  MB  àaanannk  OS. 

•esIndritslÉ.  Malepwte!  oà  iwi  tifttmm  nimir m  If  finrittnnri  nlkiimfi 
8e*CkiKrt  car  ces  teiHevr*  ont  k  tète  ohaude.  Qne  derîeWrakiift 
B08  apiià»-diBé60  si  on  nettfflaîtpiiiB?  Gomneat  dàgir&tl  Que  dim 
de  la  rdoe  Berthe  ou  de  la  reine  Blanche,  ou  de  Charles  IX,  ah! 
le  patii^fe  boBunel  ci  sm  pourpoint  allait  Id  masquer.  Qu'il  ak  aon 
pourpoint,  et  qu'il  soit  de  relours  noir,  et  que  les  crevés  y  soient, 
et  en  satin,  etles  bottes,  et  la  fraise,  et  la  chaîne  au  cou,  etl'épée 
du  temps,  et  qu'il  jure,  et  qu'on  Tentende,  ou  rendez-moi  Tar* 
geotl  Je  suis  venu  pour  qu'on  m'intéresse,  et  je  n'entends  pas 
qu'on  me  plaisante  avec  du  velours  de  coton;  mais  quelle  jouis- 
sance ipiand  tout  s'y  trouve  1  Nous  avons  bien  affaire  du  style,  ou 
des  passions,  ou  des  caractÂresl  Affaire  de  bottes  nous*  avon^ 
affûre  de  fraises,  et  c'est  le  subUrae.  Nous  ne  manquons  ni  do 
vices  9  ni  de  ridicules;  il  y  aurait  peut-être  Irien  quelque  petits 
Uoette  à  arranger  sur  nosamis  et  nos  voisins,  quand  ce  ne  serait 
que  les  députés,  les  filles  entretenues  et  les  journalistes;  maia 
qaoi  I  nous  craignons  le  scandale,  et  si  nous  abordons-le  présent, 
ce  n'est  que  pour  traîner  sur  les  planches  M"'  de  La  Yallette  et 
Chabert ,  dont  l'une  est  devenue  foUe  de  v^tu  et  d'héroïsme,, et 
l'autre,  grand  Dieul  sa  femme  remariée  lui  a  montré  son  propre 
extrait  mortuaire.  Il  y  aurait  de  quoi  faire  un  couple.  Mais  qu'est- 
ce  auprès  de  Marguerite  de  Bourgogne?  Voilà  où  l'on  mène  ses 
fiUes ;  quatre  incestes  et  deux  parricides,  en  costumes  du  temps^ 
c'est  de  la  haute  littérature;  Phèdre  est  une  myaurée  de  couvent-; 
c'est  Marguerite  que  demandent  les  collèges ,  le  jour  de  la  fête  de 
leur  proviseur;  voilà  ce  qu'il  nous  faut^  ou  la  Brinvilliers,  ou  Lu- 
crèce Borgia,  ou  Alexandre  VI  lui-même  ;  on  pourrait  le  faire  bat- 
tre avec  un  bouc,  à  défiiut  de  gladiateur  ;  voilà  le  romantisme^ 
mon  voisin,  et  ce  pourquoi  ne  se  joue  point  le  Polyeucie  du  bon*- 
homme  Corneille,  qui,  dit  Tallemand,  fit  de  bonnes  comédies,  j» 

Telle  ftit,  à  peu  de  chose  près,  Topiniou  de  M.  Ducoudray  ;  je 
fus  tenté  d'être  de  son  avis>  mais  Cotonet,  qui  a  l'esprit  doux, 
fut  choqué  de  sa  violence.  D'allieurs  la  conclusion  ne  satisfaisait 
pas;  Cotonet  recherchait  l'effet,  quelle  que  pàt  être  la  cause;  il 
s'enferma  durant  quatre  mois,  et  m'a  fait  part  du  fruit  de  ses  veilles. 
Nous  allons,  monsieur,  si  vous  permettez,  vous  le  soumettre  d'un 
commun  accord.  Nous  avons  pensé  qu'une  phrase  ou  deux,  écrites 
dans  un. style  ordinaire,  pouvaient  être  prises  pour  le  texte,  ou^ 

45. 


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676  RETUE  DBS  ]>IUX  MORDES. 

comme  on  dit  au  collège»  poar  la  matière  d'an  morceau 
tique,  et  nous  croyons  aroir  trouvé  ainri  la  véritable  et 
diffi&rance  du  romantique  et  du  dassique.  Vokd  notre  travail  : 

LETTRE  D*UNE  JEUNE  FUXE  ABANDOimÉE  PAR  SQ»  AJfAHT. 

{ Style  romanUqoe.) 

û  Considère 9  mon  amour  adoré ,  mon  ange,  mon  bien,  moi 
cœur,  ma  vie  ;  toi  que  j'idolâtre  de  toutes  les  puissances  de  nioa 
ame;  toi ,  ma  joie  et  mon  désespoir;  toi,  mon  rire  et  mes  larmes; 
toi,  ma  vie  et  ma  morti  —  Jusqu'à  quel  excès  effroyable  tu  as 
outragé  et  méconnu  les  nobles  sentimens  dont  ton  cœur  est  fkio, 
et  oublié  la  sauvegarde  de  Thomme,  la  seule  force  de  la  fiuMesse, 
la  seule  armure,  la  seule  cuirasse,  la  seule  visière  baissée  dans 
le  combat  de  la  vie,  la  seule  aile  d'ange  qui  palpite  sur  nous,  la 
seule  vertu  qui  marche  sur  les  flots,  comme  le  divin  rédempteur, 
la  prévoyance,  sœur  de  l'adversité  I 

<r  Tu  as  été  trahi  et  tu  as  trahi  ;  tu  as  été  trompé  et  tu  as  troHipé; 
tu  as  reçu  la  blessure  et  tu  Tas  rendue  ;  tu  as  saigné  et  tu  as 
frappé  ;  la  verte  espérance  s'est  enfuie  loin  de  nous.  Une  passon 
si  pleine  de  projets,  si  pleine  de  sève  et  de  puissance,  si  pleine  de 
crainte  et  de  douces  larmes,  si  riche,  si  belle,  si  jeune  encore,  et 
qui  suffisait  à  toute  une  vie ,  à  toute  une  vie  d'angoisses  et  de 
délires,  de  joies  et  de  terreurs,  et  de  suprême  oubli; — cette  pa^ 
sion ,  consacrée  par  le  bonheur,  jurée  devant  Dieu  comme  un  ser- 
ment jaloux;  —  cette  passion  qui  nous  a  attachés  l'un  à  Vautre 
comme  une  chaîne  de  fer  à  jamais  fermée,  comme  le  serpent  umt 
sa  proie  au  tronc  flexible  du  bambou  pliant;  —  cette  passi<ni  qui 
fut  notre  ame  elle-même,  le  sang  de  nos  veines  et  le  battemeat 
de  notre  cœur;  —  cette  passion,  tu  l'as  oubliée,  anéantie,  per- 
due à  jamais  ;  ce  qui  fut  ta  joie  et  ton  délice  n'est  plus  pour  toî 
qu'un  mortel  désespoir  qu'on  ne  peut  comparer  qu'à  Fab^nce 
qui  le  cause.  —  Quoi,  cette  absence  1...  etc.,  etc.  d 

TEXTE  VÉRITABLE  DE  LA  LETTRE, 
LA  PREMIERE  DES  LETTRES  PORTUGAISES. 

(St>ie  ordiDaire.) 

«r  Considère,  mon  amour,  jusqu'à  quel  excès  tu  as  manqué  de 
prévoyance!  Ah ,  malheureux,  tu  as  été  trahi,  et  tu  m'as  trahie 


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SUR  L*ÀBUS  DBS  AlknECTVS.  677) 

ir  defl  eepérauces  trompeuses.  Unepasdon  sut  laqp&elle  ta  avais 
lit  tant  de  projets  de  plaisirs,  ne  te  cause. présentement  qu'un 
kortel  désespoir,  qu'on  ne  peut  comparer  qu'à  la  cruauté  de 
absence  qui  le  cause.  Quoil  cette  absence...  etc.  a 
Vous  voyez,  monsieur,  par  ce  faible  essai,  la  nature  de  nos  re- 
berchea.  L'exemple  suivant  vous  fera  nûeux  sentir  l'avantage  de 
otre  procédé,  comme  étant  mcnns  exagéré  : 

PORTRAITS  DE  DEUX  ENFANS. 

(Style  romantique.) 

(T  Aucun  souci  précoce  n'avait  ridé  leur  front  naif ,  aucune  in- 
împérance  n'avait  corrompu  leur  jeune  sang;  aucune  passion 
lalheureuse  n'avait  dépravé  leur  cœur  enfantin,  fraîche  fleur  à 
aine  entr'ouverte ;  Tamour  candide,  l'innocence  aux  yeux  bleus, 
1  suave  piété,  développaient  chaque  jour  la  beauté  sereine  de 
mrftme  radieuse  en  grâces  inefEables,  dans  leurs  traits  sou- 
ians,  dans  leurs  souples  attitudes  et  leurs  harmonieux  mouve- 
lens.  » 

TEXTE. 

<r  Aucun  souci  n'avait  ridé  leur  front,  aucune  intempérance  n'a- 
ait  corrompu  leur  sang,  aucune  passion  malheureuse  n'avait  dé- 
rave  leur  cœur;  l'amour,  l'innocence,  la  piété,  développaient, 
haque  jour,  la  beauté  de  leur  Ame  en  grâces  ineffables ,  dans 
mrs  traits,  leur  attitudes  et  leurs  mouvemens.  a 

Ce  second  texte,  monsieur,  est  tiré  de  Paul  et  Virginie.  Vous 
avez  que  Quintilien  compare  une  phrase  trop  chargée  d'adjectifs 
lone  armée  où  chaque  soldat  aurait  derrière  lui  son  valet-de-cham- 
)re.  Nous  voilà  arrivés  au  sujet  de  cette  lettre  ;  c'est  que  nous  peu- 
ons  qu'on  met  trop  d'adjectifs  dans  ce  moment-ci.  Vous  apprécierez, 
tous  l'espérons,  la  réserve  de  cette  dernière  ampliGcation ;  il  y  a 
uste  le  nécessaire  ;  mais  notre  opinion  concluante  est  que  si  on 
'ayait  tous  les  adjectifs  des  livres  qu'on  fait  aujourd'hui ,  il  n'y  au- 
rait qu'un  volume  au  lieu  de  deux,  et  donc  il  n'en  coûterait  que 
iept  livres  dix  sous  au  lieu  de  quinze  francs,  ce  qui  mérite  ré- 
le&ion.  Les  auteurs  vendraient  mieux  leurs  ouvrages,  selon  toute 
apparence.  Vous  vous  souvenez,  monsieur,  des  acres  baisers  de 
'ulie ,  dans  la  Nouvelle  Uéloïsc;  ils  ont  produit  de  l'effet  dans 


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en 

tour  Ie0p8;*«ai0  il  mm  mbUb  que  daii»€dtt<i  ifa*^ 
nôeiit  guère,  e»r  il  ftnit  une  cpraDde  sobriété  dam  m  ««fitp, 
pour  qu*iiiie  épithàte  deremapqoeé  H  n'y  a  guère  de  roamas  Mi- 
tenant  où  l'on  n'aK  renoontré  ««tant  d*épthèlee  an  bevt  detiw 
pages,  et  plus  ¥ieleiite8>  qu'A  n'y  cm  a^dans  tout  Mwatojquieu.  tmi 
en  finir,  noascroyoag  qm4e  rooMMtisflie  consiste  à  employât  Um 
ces  adjectifs,  et  non  en  autre  chose.  Sur  quoi,  i 
bien  cordialement,  et  signons  ensemble. 

DUPUIS  ET  GOTOHBT. 

lArBetté^BouhJwuttt  s  inpliinhisu». 


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LA  PRESSE 

EN  ANGLETERRE. 


LA  PBESSE  POLITIQUE. 


Dqpnis  que  nos  années  ne  courent  pins  le  monde ,  c'est  la  langue 
française  qui  Tenyahit.  Au  temps  oà  Rivarol  proclamait  déjà  Tuni- 
yersalité  de  cet  idiome  civilisateur ,  il  n'était  encore  au  dehors  que 
la  langue  de  la  conversaticm  et  de  la  diplomatie  ;  il  sert  aujour- 
d'hui partout  d'instrument  à  la  discussion  et  de  véhicule  aux 
idées.  On  publie  des  journaux  français  en  Suisse ,  en  Belgique ,  à 
Francfort,  à  La  Haye,  à  Saînt^étersbourg ,  à  Odessa ,  à  Vienne, 
à  Constantinople,  à  Smyrne,  à  Alexandrie.  Ce  ne  sont  pas  nos 
compatriotes  qui  les  lisent;  ces  feuilles  vivent  d'une  clientelle  in- 
digène qui  les  défraie,  mais  qui  leur  impose  en  retour  le  goût  et 
les  besoins  du  pays*  Un  journal  hit  pour  les  marchands  d'Ams- 
terdam ne  saurait  ressembler  à  la  gazette  légère  et  polie  qui  est 
l'écho  de  la  cour  du  czar  ;  mais  l'un  et  l'aulre,  quoique  dans  une 
mesure  diverse,  reproduisent  la  pcdémiqne  de  nos  opinions.  <jB 
sont  autant  de  cercles  d'inégale  grandeur,  mais  tous  concentri- 
ques à  la  France  et  à  Paris,  ce  pôle  de  la  pensée* 


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680    -  RBTUB  DES  DBinC  IfOlfftBS. 

n  n*en  est  pas  ainsi  de  la  langue  anglaise.  Cet  idiome  in 
et  peu  malléable  ne  se  répand  point  de  lui-même.  II  semble 
rompu  tout  contact  avec  les  langues  de  TEurope,  en  dénataramb 
prononciation  des  lettres  communes  aux  races  du  nord  et  i  cdfes 
du  midi.  On  rapprend  par  nécessité ,  mais  on  ne  le  parle  pas  poor 
son  plaisir.  La  langue  anglaise  ne  s*étend  qu'avec  la  famiHe  as- 
glaise  ;  il  faut  aussi  qu'elle  fonde  ses  colonies.  On  en  dirait  autMt 
de  la  presse  :  les  Anglais  ne  la  conçoivent  que  sous  une  sede 
forme  ;  le  Times  est  pour  eux  un  type  universel.  À  Dublin  cosne 
à  Londres,  et  dans  la  Nouvelle-Galles  comme  en  Angleterre,  3â 
veulent  trouver  ces  immenses  feuilles  dont  chacune  renferme  den 
cent  mille  mots,  la  matière  de  deux  volumes  in-8*.  Prenez  une  ga- 
zette de  Canton,  de  Sidney,  de  Calcutta,  ou  de  Liverpool;  les  as- 
nonces  couvrent  invariablement  la  première  page ,  et  quelquefixi 
aussi  la  dernière.  Les  journaux  anglais  sont  partout  des  fewSks 
de  commerce  écrites  pour  des  marchands ,  soit  qu'ils  paraissent 
à  la  pointe  de  la  Chine,  soit  qu'on  les  publie  aux  portes  de  la  Gté. 

Ce  qui  classe  un  journal  en  France  parmi  les  feuilles  pofitiqiies, 
c'est  la  critique  des  actes  du  gouvernement  et  des  partis  ;  en  An- 
gleterre, c'est  la  publication  des  nouvelles  du  jour.  Le  public  n'y 
cherche  pas  autre  chose  :  la  discussion  a  sa  place  marquée  ailleurs, 
dans  les  chambres,  dans  les  clubs  et  dans  les  meetings.  De  là,  cette 
différence  dans  le  caractère  des  deux  presses  ;  ce  qui  est  /'acces- 
soire pour  nous  devient  pour  les  Anglais  le  principal.  L'annonce, 
la  nouvelle ,  autre  sorte  d'annonce ,  fait  chez  eux  le  fond  des  jour- 
naux, n  faut  qu'ils  en  donnent  sur  toutes  choses  et  de  tout  pays; 
on  exige  dans  une  feuille  publique  les  renseignemens  les  plus  po- 
sitifs, les  plus  minutieux,  les  plus  étendus.  Un  journal  anglais  doit 
présenter  chaque  jour  le  tableau  du  monde  habité,  sans  né^^ 
de  détailler  les  plus  minces  accidens  qui  surviennent  dans  la  société 
anglaise.  C'est  au  lecteur  de  choisir  ensuite,  comme  dans  unbtzar 
ou  dans  un  restaurant. 

La  presse,  telle  que  nous  l'avons  faite,  s'adresse  aux  sentimeos 
et  à  la  raison;  elle  est  littéraire,  philosophique,  politique,  sodjk; 
elle  provoque  les  opinions,  elle  spécule  pour  le  plaisir  de  l'esprit: 
c*est  un  meuble  de  luxe  dans  notre  société.  La  presse,  telte  q« 
lés  Anglais  la  font,  va  droit  aux  intérêts,  qu'elle  soUidtc  et  satis- 
fait tout  à  la  fois;  c'est  donc  tm  meuble  de  première  nécessité.  Des 


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ut  PUISSE  EN  AlfGLETBRBB.  681 

[a*iiii  certain  nombre  d'insulaires  se  troavent  réunis  sur  quelque 
oin  de  FEurope  ou  de  F  Asie  «  le  comptmr  existe  à  peine  qu'il  lui 
àut  un  organe  de  ses  intérêts ,  un  journal,  H  n'y  a  pas  d'intérêt 
91  Angleterre  qui  n'ait  le  sien. 

Par  un  étrange  contre^sens  de  la  législation,  cet  aliment  de  pre- 
nière  nécessité  est  aussi  cher  qu'une  consommation  de  luxe.  Un 
oarnal  coàte  7  pence  par  numéro  (  plus  de  14  sols  )  ;  il  y  a  même 
les  journaux  du  dunanche  qui  se  vendent  un  slùlting  (  25  sols). 
Sans  doute  une.entreprise  de  ce  genre,  qui  a  des  correspondans 
(ur  les  principaux  points  du  globe,  et  qui  est  tenue  de  recueillir 
ine  bibliothèque  de  documens,  entraîne  des  frais  immenses  que 
iupporte  en  définitive  le  public  des  lecteurs.  Mais  le  prix  exorbitant 
les  journaux  provient  surtout  des  droits  de  timbre  et  de  la  taxe 
mr  lo  papier,  qui  contribuent  à  en  élever  la  valeur.  Le  timbre  seul 
3St  de  &  pence  par  feuille  (  plus  de  8  sols  }•  Les  Anglais ,  qui,  en  ton- 
tes choses,  considèrent  le  résultat,  ont  flétri  ces  taxes  du  nom 
^* impôt  sur  Cimtruciion  [taxes  on  knowledge), 

L.e  bill  voté  par  le  parlement  dans  les  derniers  jours  de  la  ses- 
sion, et  qui  est  exécutoire  à  partir  de  septembre,  réduit  le  timbre 
les  journaux  à  1  penny  (2  sols).  Cette  taxe  les  affranchit  de  tout 
Iroit  de  poste  dans  le  royaume-uni;  combinée  avec  la  dimi- 
dation  des  taxes  sur  le  papier,  elle  va  rendre  la  presse  plus  ac- 
cessible à  toutes  les  classes  de  la  population.  Les  journaux  qui 
existent  descendront  plus  bas  et  iront  plus  loin  ;  de  nouvelles  feuil- 
les s'organiseront  en  concurrence  avec  la  presse  établie.  La  publi- 
cité ne  peut  manquer  de  recevoir,  sous  toutes  ses  formes,  une 
grande  et  salutaire  impulsion. 

Pour  mieux  juger  la  révolution  qui  se  prépare  dans  la  presse 
anglaise,  il  n'est  pas  inutile  d'examiner  le  régime  sous  lequel  elle 
a  grandi,  et  de  montrer  le  point  d*où  elle  partira ,  dans  cette  nou- 
velle ascension. 

La  liberté  de  la  presse,  dans  la  Grande-Bretagne ,  ne  repose  pas 
comme  en  France  sur  un  droit  écrit;  elle  exbte  au  même  titre  que 
la  liberté  de  toute  autre  industrie  :  elle  est  dans  la  coutume,  dans 
les  mœurs,  titre  qui  est  supérieur  chez  ce  peuple ,  et  antérieur  à 
«a  constitution.  Il  n'y  a  que  les  exceptions  qui  soient  formulées  m 
lois. 

Depuis  l'année  1695,  où  la  censure  (  licensing  aet  )  a  été  abolie. 


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anglais  peut  aiK)tf.  des  presses,  imprinier  et  pnridâer  od  c^'fl  M 
pbit.'L*é(Ktair>d'im.jounHil  ii*a.iu  antorisaliea  i 
cautionnement  à  déposer,  ni  formaiMs  dilatoim  à 
tenues  de  Tade  de  1708,  il  ssfGt  de  faôre»  denal  les 
du  timbre,  et  aor  papier  Ubre^OBe-dédanilionqBi  énonce  lésa*' 
tiares  qae  doit  traiter  le  journal,  les  nous  et  demenres  delSn- 
primeur,  de  Tédit^tr,  aâuiqae  des  deux  propriétaires 
Gbux^  soBt  également  responsables  des-amendes 
la  pnsoQ,  tt  cas  de  condanmatkNU 

A>  efrti  de  cette  indépendance,  si  étendue  et  si  abaoine,  Isa 
anglaises  ont  placé  des  pénalilés  sévères,  destinées  à 
L*abas..Il  n'eiiste  peuwétre  dans  ancnn  pays  et  H  n'a 
une  législation  plus  menaçante  que  les  lois  de  libdle  en  Aa^ 
terre;  Dotrelégislalîon de  septembre  1883  parattrut  toléranla  àm 
prix.  Les  lois  ooatre  le  libeUe»politiqiiepréiment  et  créent,  anpesl 
le  dire,  une  infinité  d'oSenses  à  la  religion,  aux  UKBnrs,  à  lakadt 
natniQ,  à  la  lei  des  nations,  à  la  constitution,  au  roi,  au  goum- 
nement  et  aux  deux.chanibres  du  pariement*  lies  lois  contre  la  i- 
bdle  privé  punissent ,  en  outre,  les  ofiénses  aux  cours  de  jmatkB, 
aux  grands  du  ret/mum  {sca»datawia§naiwn)f  aux  magistrats  et 
aux  personnes  privées.  Bans  le  plus  grand  nondm  des  cns.  Il 
crime  de  KbeBe  estassinnlé  au  crime  de  traidsonçetles  préoédoni 
dont  se  composai  cette  jurispmdeuGe,  empnnrtés  gènèraltinuil 
aux  époques  da  despetisBie,  fonnnssent  de  tdies  annea  contre  k 
presse,  qu'il  dépendrait  d*iui.  gnovemement  niai  intenlioHié  es 
récraser,  si  elle  n'avait  la  garantie  du  jury,  ce  paltadimn  dn  pat» 
pie  anglais. 

Le  parien»nt  est  encore  maître  de  jeter  sur  la  presse  uns  sarti 
d'interdit«  Bn  vertu  de  ses  privilèges,  il  peut  esidnre  la  pidieds 
ses  séances,  et  défendre  qu'il  en  soit  rendu  compte  dans laajev* 
nanx*  Cette  probiUtiQna  été  renonrvdée  trois  fias  pendant  le dtr- 
aîar  siède,  mais  l'usage  contraire  a  prévaku  Le  pariemmla 
Uen  TÎte  compris  que  son  autorité  sur  l'opinion  tenait  A  la  pali- 
csté,  et  à  la  publicité  la  plus  étendue  de  ses  discusrions.  Cependaat 
par  un  reste  de  ce  préjugé  des  chambres  contre  la  presse,  ksi^ 
dacteurs  de  journaux,  admis,  comme  par  grâce,  au  miHeu  dab 
fimle  des  ^spectateurs,  se  sont,  vus  obligés,  pendant  lonft  umft, 


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SB  Eir 

^torirelefiM-itotes  sHr  lents  genéin>  Anprogd'hni  onlcnf  acflorJkl^ 
ans  la  ehàndiredes  lords,  le  preonerbofic  de  la  grieriepoUî- 
ne  {tiranger^s  gaUery);  dans  la  cbanibre  dea  «oÉubiuièay  on  leor 
réserré  une  galerie  pardcaliàre,  plaoée  aurdasna  du  siéee  de 
orateur  (ipMfcer),  et  d*oà  ils  entendait  beaneonp nienx  ks  dkh 
oasioiis  qif  on  ne  peut  les  saisir  dn  liant  des  cages  à  o^oanes  oè 
sa  sténographes  ée  nos  jonmanx  ont  été  rdégnés  par  les  qaea^ 
eurs* 

aile  point  de  me  eonanereiid  adoaiinèdanslafomieatdaBa 
'organisation  des  jonmaux  anglais^  esta  vient  encore  de  la  liberté 
néme  dont  Fusage  les  a  mis  en  possession.  Toutlioanne  poîtrant 
kàxe  le  métier  d'xmpriniesr ,  et  tout  auprimear,  pourvu  qu*il  ait  des 
sapkanx,  pouvant  lamer  imjoornal  dans  la  eîrcidatioD,  fl  en  résidto 
ijne  les  feuilles  politiques  représentent  des  intérêts  plutôt  cpie  des 
Dpintom.  En  Franœ,  on  annexe  oonumméaient  une  iniprinierie  à 
Texploitation  d'un  joumaL  En  Angleterre,  une  entreprise  de  jour- 
nal n'est  souvent  que  Tannéxe  d'une  nnprimerîe.  Ce  ne  sont  pas 
des  hommes  qui  s'associrat  dans  le  but  de  propager  lenrs  ooavio- 
tiona  ;  ce  sent  des  capitaux  qui  se  groupent,  attirés  par  Fappàt  d'un 
bon  placement  (1). 

n  ne  fiiut  pas  se  rqprésenter  F  éditeur  dW  jearnal  anglais  cenune 
an  édaireur  de  parti  qwmarclie  à  la  propagande  dès  opinions  ou 
i  Fassaut  du  pouvoir.  8*3  se  plietce  d'im  oftié  phitôt  que  d'im  autre, 
c'est  qu'il  a  cakulé  iesdiances  de  succès ,  et  qu'il  croit  avoir  choiai 
la  plus  sûre.  Le  odcul  se  fiât  de  nonveaia  dans  les  grandes  ooca«- 
aions;(iiaque  événement  est  mesuré  à  ta  loiae  de  l'intérêt  peAson* 
lel;  on  met  aux  voix  Fopmson  de  l'année,  du  mois,  du  jour: 
de  là  ces  mconséqueaces  si  fréquentes  dans  le  langage^des  jouf- 

La  pensée  d'un  joarad^n'ast peint  dans  aertédactenra  ;  et,  pour 
4etit  ifire,  un  jonrnal  n'a  pas  de  rédaeteuns  qui  hncoramnniqnsat 


(i^lloiivtTOBftlt  VÊèBmyïéÊamèm»  u  TVjpnMnm.VTmc^  émt  la  yHiiB  det  Mm 

Sartenens.  Eloigiiée  du  centre  des  afiaires  et  dik  meuyemAnt  des  opinions,  commenl 
leprésenterait-elle  réellement  les  partis  ?  Elle  appartient  de  droit  à  la  spéculation  et  am 
MQlsspécnlatenirs  possibles  dans  les  dëparteinens,  tnn  imprimeurs  da  cbef-Ueu. 

f4  OnraoMto  piMl^ttsacnU  Li»dm.ipw,  loiSfiie^l^Miff  seidécida»  lerètlma- 
.coup  d'hésitations,  à  prendre  parti  pour  la  reine  contre  George  IV, .  cette  résoliUon,  qol 
Alt  U  source  de  sa  fortune,  n'orait  été  arrêtée  dans  le  conseil  des  propriétaires  qu'à  la 
smoilté  d*QDe  yolz. 


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68&  RBHJB  BBS  BBUX  MOIIDBS. 

leur  force  et  qai  en  reçoirent  la  leur.  On  ne  sait  même  pas^  cbAj^ 
gleterre;  ce  qae  c'est  que  les  rédacteurs  d'un  journal.  L.*é£teir,; 
propriétaire  lui-même,  ou  commis  des  propriétaires,  a  somfar, 
comme  des  commis  aux  écritures,  des  sténographes  on  rqfortm, 
qui  rendent  compte  des  séances  du  parlement ,  des  tnbuosaxtc 
des  meetings; des  correspondans  commerciaux  et  politîqpiesd^ 
la  cité  et  au  dehors  ;  enfin  des  sous-éditeurs  qui  commentent  ksm» 
relies  dans  le  style  qui  est  compris  des  chefs  de  fabrique  et  à 
comptoir.  Le  reporter  est  le  type  du  journaliste  anglais ,  espèee  de 
greffier  qui  se  regarde  comme  chargé  de  dresser  procès^r^id 
des  événemens. 

Cette  habitude  de  prendre  les  faits  pour  des  faits,  et  de  les  & 
registrer  à  peu  prés  sans  critique,  doit  rendre  les  journalistes  as-  ! 
sez  indifférens  aux  variations  d'opinion.  Ds  jouent  yéritablemeKi 
la  hausse  ou  à  la  baisse,  et,  comme  des  joueurs  expérimentés, ï 
imposent  silence  à  leurs  sentimens.  Si,  par  hasard,  leur  roai 
s'élève ,  ce  n'est  pas  une  émotion  qui  édate  en  eux ,  c'est  une  îb- 
pression  qu'ils  ont  reçue  du  public  et  qu'ils  lui  renvoient. 

L'organisation  de  la  presse  anglaise  la  met  dans  la  dépendra 
la  plus  complète  de  ses  lecteurs.  Les  journaux  n'ont  pas  d'ab<»- 
nés  et  n'arrivent  au  public  que  par  l'intermédiaire  des  nemma, 
espèces  de  libraires  qui  en  achètent  tous  les  malûi5  nocertaii 
nombre  d'exemplaires  qu'ils  font  circuler  à  tant  par  heure  dansk 
quartier  pendant  la  journée,  pour  les  expédier  ensuite  le  soir  ei 
province,  à  prix  réduit.  Dès  dnq  heures  du  soir,  Q  est  împossibk 
•de  trouver  à  Londres  une  feuille  du  matin ,  excepté  dans  les  dibs 
et  dans  quelques  établissemens  publics.  Au  sein  d'un  pays  ai  le 
moindre  chef  d'atelier  a  sa  bibliothèque,  personne  ne  fiait  coHectioE 
des  journaux  ;  leur  clienteUe  est  remise  tous  les  jours  en  qoestioiL 

n  en  est  de  cela  comme  des  baux  à  courte  échéance.  Un  f^ 
mier  qui  n'occupe  la  terre  que  pour  un,  trois  ou  cinq  ans,  s^ 
quiète  peu  d'améliorer  la  culture,  car  les  améliorations  pourmit 
ne  profiter  qu'à  son  successeur.  De  même,  un  journaliste  qmn'e* 
pas  assuré  de  retrouver  le  lendemain  les  lecteurs  de  la  veille,  « 
prendra  l'initiative  d'aucune  grande  pensée.  Il  n'ira  pas  heurter 
leurs  préjugés,  de  peur  que  le  temps  ne  lui  manque  pour  leséda- 
rer  ;  il  mettra  tous  ses  soins  à  sonder  l'opinion ,  afin  de  pouvoir  se 
l'attacher  en  la  suivant  et  en  la  flattant. 


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LA  PKBÊ8E  m  ▲RGLBTHftBE.  68S 

La  ctientelle  d*iin  journal  en  France  lui  donne  de  Tinflnence» 
du  pouvoir;  la  clientelle  d'un  journal  en  Angleterre  lui  procure 
des  annonces ,  c*estrji-dire  de  Targent.  Les  annonces  couvrent  or- 
dinairement les  frais  d'impression  et  de  rédaction  ;  c'est  la  vente 
des  numéros  qui  fait  le  bénéfice  de  l'entreprise.  Le  Timc$  reçoit 
pour  100,000  liv.  sterl.  d'annonces  ou  d!averiissemeM  par  année 
(2,500,000  fr.  )  ;  le  Moming-'Herald ,  la  plus  vieille  machine  de  cette 
presse ,  en  compte  à  peu  près  la  moitié ,  tandis  que  le  Mommg-Chr(h 
vicie  et  le  Standard ,  feuilles  de  meilleure  compagnie  dans  des 
opinions  opposées,  ne  retirent  pas  de  cette  branche  de  revenu  un 
bénéGce  proportionné  à  leur  influence  politique.  Ainsi,  plus  la  ré- 
daction d'un  journal  s'élève ,  moins  l'entreprise  s'enrichit. 

Le  droit  sur  les  annonces,  qui  était  dans  le  principe  de  3  $hilr 
iings  6  pence  par  article  (&  fr.  40c.],  fut  réduit,  en  1833,  à  un 
shilling  et  demi.  Par  suite  de  la  réduction,  le  revenu  sur  cet  im- 
pôt diminua  de  plus  de  2,000,000  de  fr.  ;  le  nombre  des  annonces 
insérées  dans  les  papiers  publics  s'accrut  très  faiblement,  et  à 
peine  dans  la  proportion  d'un  sixième  pour  les  journaux  solide- 
ment établis.  Le  prix  des  avertissemens  demeurait  encore  trop  au- 
dessus  des  facultés  du  petit  commerce  et  des  petites  industries. . 

Est^il  possible  d'établir  en  France  une  presse  d'annonces  comme 
la  presse  anglaise?  Quand  nos  mœurs  le  permettraient,  le  com- 
merce des  avertissemens  peut^il  devenir  le  substratum  d'un  journal? 
On  le  croira  difficilement.  Rien  ne  se  ressemble  moins  que  la  France 
et  l'Angleterre  à  cet  égard.  Les  Anglais  croient  à  Fainnonce,  c'est 
pour  eux  une  foi  vive  et  universelle  ;  les  averiissemens  n'ont  pas 
moins  de  lecteurs  que  les  nouvelles  politiques,  toutes  les  industries 
et  tous  les  commerces  y  ont  recours.  Avec  cette  multiplicité  et  cette 
activité  d'afflaires  ils  ont  besoin  d'apporter  une  stricte  éconraife 
dans  la  distribution  du  temps.  L'affiche  est  une  nécessité  pour  eux» 
parce  qu'elle  l'abrège,  comme  les  conmiunications  rapides,  comme 
les  voitures  qui  font  quatre  lieues  à  l'heure,  et  comme  les  chemins 
de  fer.  Toutes  les  affaires  se  traitent  en  Angleterre  sur  étiquette, 
et  l'annonce  dans  les  journaux  est  la  conséquence  du  même  sys- 
tème qui  a  introduit  l'usage  des  warranu  dans  les  docks.  Parcourez 
les  rues  de  la  Cité,  le  vitrage  de  chaque  magasin  est  bordé  d'an- 
nonces comme  les  pages  du  Times  ou  du  Moming^Adveriiser.  L'af- 
fiche court  les  rues  sur  les  éventaires  de3  mardiands  ambulans. 


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et  grimpe  em  lettrea  gigaUMqoes  joiqalaa  ftdie  des  MiteM.  k 
trente  Ueaes  de  Londres,  tous  Usez  svr  les  mars  d'un  pare  k  p»- 
cnrte  de  qoelqne  négociant  de  la  Cité;  on  to«s  xemet  ses  prixeo»- 
inns  à  Bonlogae ,  qoand  yoqb  mettez  le  pied  sur  le  batcia  i 
fq^ienr. 

îEa  e0t-*9  de  même  en  France?  qni  fiiit  usage  de  rannoneQ,  qDÎli 
1H  et  qui  y  croît?  Les  oserttsieiiMfts  afDuent  dans  les  bureau  des 
feuilles  anglaises,  msdgré  TimpAt  qni  devrait  agir  comme  une  pro- 
hibition. Chez  JKNH,  Ton  ne  timbre  pas  les  anneaœs,  le  public  las 
«btientà  boniBarclié,  et  cependant  la  librairie  est  à  peu  |»^ii 
aeule  industrie  qui  en  fosse  usage;  c*est  à  cela,  que  se  rëdait  la 
dientelle  oommerdale  des  joumaaaL.  La  feuille  la  pins  répaadv 
ifen  reçoit  pas  pour  1&,600  francs  par  mois. 

En  1796,  suivant  M.  de  MtmtTétan ,  les  journaux  anglais  em- 
l)ieyaîemdé)à9i&àâ&0^606  rames  de  papier  d'une  grande  dinei^ 
aioa.  Le  même  auteur  affirme  qae  leur  circulation  était  rédaiie  i 
150^000  rames  en  16tf7,  sur  lésqaéBes  le  trésor  percevait  aoMdfe 
ment  10^000,000  de  fir.  Au^rd'hui  limpôt  sur  le  timbre  et  wkt 
annonoes  rapporte  «imron  600,0001iv*  sierl.  ou  15,000,060  defr^ 
et  suppose  remploi  de  200,000  rames  de  papier.  Ajoatez  qae  h 
^presse  non  timbrée  publie  daque  srasaine  250,000  femUes  i  Ldd- 
dtes  et  100,000  dans  les  proriaees,  et  que  sa  pobKcîié  Mogmem 
de  jour  en  jour. 

Aux  États-Unis  o&  la  presse  n*a  ai  droit  de  tioibre  ni  dfmisvr  hi 
annoaoes,m  taxe  sur  le  papier  àpayer,  1,300  joumaaxpoliliqBSi 
^nèpandent  jusque  dans  les  hameaux  les  plus  reculés  de  chaque  étu 
^ia  connaissance  des  affaires  publiques.  L'Angleterre  n'eet  p» 
wissi  avancée.  Cependant  le  nombre  dis  feuîHes  politiques  pink 
'considérable,  si  on  le  compare  aux.publieationB  du  eonliaat 
l/irhmdeaerienBprime82^fMBrnaux,dant.21  aont  pid>liésiDt' 
(blin.Lavpublidtéfn'a  pas  moins  d^eslension  en  Êoosse  (1).  Dan 
^Angleterre  proprement  dîle^  (Mi«compte  175)  joummu  aaas  y  etf- 
«pmndrô h  viHe  de  Londres,  aveciles  lOOà  130  feuilfes  qmsia- 
yiiment  danale  rayon  de  la  Qté.. 

ias  journaux  de  province^  ne  paraîésealgéoéraleaientqa^aaelû 


nj  Bti  insÈ,  nrtande  nlmprtiMït  qoeSO  Jounaiix,  etrieoBse  «r.  AxflmirfWli^ 


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etr- 

aDeeptkm  rig<i»eqgeda  iwt^LsrtinaiirJiffa^ 
Liif||eun%»  oà  ks  oMkatioHi  tle  k  pensée  «'arrêtent  oonne  ter 
rvr^mx  da  eorps.  Les  feidUe»  hebéoBMulaiiiesiQa  d«  dinmiciBs 
ont  pwbliéas  le  Bamedi  ecnr  ;  les  fcaîHes^  parabseal  âaas  la  ae^ 
Dmkie ,  féyiNea  du  s«ir  cm  du  araiiit,  fimt  tyèm,  pendant  la  jenr* 
iôedQ<iknamhe,  à  leiirspablkatians.  Benest  demAme  de  tonte 
liscnssion  poiiiqoa;  le partanent  n'entre  pas  en  sévKe  le  samedi, 
le tvalnte  qne  le  débat ,  se  prolongaant^iNnnie  à  l'oi dinaire,  bien 
iTiffîtdiMnlannity  n'empiète  sur  1er  repos  du  fonr  consacré  an  Sei* 

Ga  d<rie^tre  poor  noas  un  snjet  d'^étonnemei^  qne;ces  longs  ia^ 
terrsdles  de  la  pubUdté  dans  un  pays  oà  le  plus  inniee  bentiqnier  a. 
l'hadritude,  sinonletdent  de  la  parole,  et  peut  paraître  déceoH- 
ment  enr  les  hustings^  oh  tout  le:nu>néeet  dncnn  s'oeospent^le» 
affaires  pnUiqnes ,  oà  les  jonmanx  sefiseitf  partent^  juscinedan» 
les  ateliers  de  charité  {wùrh-htmies).  £n  firance,  tes  feniites  poH« 
tiques  n'ontpas  antant  de  leetnars^  mair ces  lecteurs  yenlent  les 
lire  chaque  jour*  Il  y  a  peu  de  journaux  dans  les  départenenS'' 
qni  ne  paraissent  pas  plusiénrs  fais  par  sennine ,  et  ils  tendent  tons 
à  devenirqàetidiens.  Une  Tevna^  pour  prétfflidre.à  quelque  snecès, 
doH  ne  pafaiîsr  chaque  semneon  denx  fus  pan  moiSi.  Nous  ne  sa* 
Tons  pas  prendre  des  bafaitndeB  à  lonpm  échéance;  ilnenrfuttjden 
liens  de  tons  les  jours.  Les  Anglais  sk  œatarakedinent  le  temps 
auasi  bien  que  le  traraS.  Gonaniécant  la  ne  oomme  une  goode 
mnnu£act«De  eè  chaque  ourrier  a  satàdieetn'iiqn'nne  tâche  ,.ils. 
font  la  partdes  affiùres  pubSc^nesetlapart  desafsireaprivées.LeS' 
henunespelltiqnes,  ou^ceqntest  la^mésK  dioseea  An^terre^  tes 
hemawa  deloûr,  et  lesdianquiers,  dent  ks-spéculatÎMspeuyentétEe' 
affectées  par  le  mouvement  des  opiniensv  réserrent  chaque  îonr 
une  heure  à  rla  lecture  de&JMrnaur«  Le  marchand'et.tenianu£eM>- 
tmrier,  occupés,  du  mat»  au  eoûr,  à  fiiirémanoeunnr  uncarmés 

de  oommis  en  d'ouvriers  »  ne  alnquiétent  ^ère  qnm  le  jenr  du.  re« 
pas  de  savoir  comment  le  mende  a  marché.pendant  la  senurins^ 

L'4Mrvrier  de  même,  pure  madiina  six.  jours  dnmnl,  n'aqne  le  se|H 

tième  pour  réfléchir  et  pour  regarder  ce  que.dsvient  k  pays  enta 

les  mains  de  l'aristocratie. 
La  périodicité  des  puUicatîoas  politiques  s'à^hekmnejanirant 


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KETOB  H8  BiKUX  MÛlIMtt. 

ces  besoins.  La  presse  parienenlaire,  réduite  à  dix  joimiaiix,t 
la  parole  six  jours  sor  sept  ;  le  dimanche  appartî^it  à  b  preM 
populaire  et  aux  feuilles  qui,  mesurant  déjà  les  éyèneoieiis à  db- 
tance,  les  voient  ainsi  d*un  peu  [dus  haut.  Enfin ,  la  pditic^  d*iB> 
pulsion  9  le  jugement  des  partis  sur  les  hommes  et  sur  les  choses, 
ne  se  prononce  que  dans  les  rerues  trimestrielles  et  suit,  pov 
ainsi  dire,  la  marche  des  saisons.  La  presse ,  en  Anglet^re,  a  sa 
hiérarchie  comme  Fétat,  conune  Téglise  et  comme  la  société. 

Des  dix  journaux  quotidiens  qui  s*occupent  des  affaires  poli- 
tiques, huit  paraissent  le  matin  et  quatre  le  soir  ;  on  évalue  kir 
tirage  à  tô,OOOfeuilles  par  jour  (1) .  Le  Times  et  le  Mommg-AdKrtuer 
emploient  chacun  environ  200,000  feuilles  timbrées  par  mob,€e 
qui  porte  leur  tirage  à  6,600  par  jour.  La  circulation  des  six  jov- 
naux  qui  soutiennent  la  réforme  est  évaluée  à  26,000  feuilles  pir 
jour,  et  celle  des  quatre  journaux  qui  se  rattadi^dt  au  parti  ooa- 
servateur  à  19,000  feuilles  seulement.  Cette  proportion  représeste 
assez  exactement  l'état  de  Fopinion  dans  la  métropole  et  néM 
dans  le  reste  de  l'Angleterre ,  si  Ton  excepte  les  comtés  mani^ 
turiers. 

Les  journaux  du  soir,  le  Globe,  le  Courier,  et  le  Sun  k  l'excqtfioa 
du  Standard,  appartiennent  à  l'opinion  réformiste  ;  ils  n'ont  pas  la 
même  influence  que  les  journaux  du  matin,  auxquds  ils  empromeot 
généralement  leurs  compter-rendus  des  séances  parlementaires  et 
leurs  principaux  articles  de  fond  ( leading  articles).  Ce  qa'on leur 
demande  surtout,  ce  sont  les  nouvelles  de  la  journée;  celles  qm 
n'ont  pu  trouver  place  dans  une  première  édition  pubhée  i  dnq 
heures  du  soir,  une  seconde  édition  les  fait  connaître  deux  hemei 
plus  tard.  Us  devancent  ainsi  de  douze  heures  les  publications  d« 
lendemain,  et  sont,  pour  cette  raison,  fort  recherchés  dans  h 
Gté,  dans  les  provmces  et  à  l'étranger. 

Le  Globe  est  l'organe  du  ministère  ;  le  Courier,  un  peu  moins  ei- 
gagé ,  représente  la  partie  de  cette  coalition  qui  a  le  plus  d'afBoU 
avec  les  conservateurs  ;  le  Sun  et  le  True-Sun ,  son  concurreat  dt 
matin ,  défendent,  dans  une  mesure  diverse,  les  opinions  du  parti 
radical;  le  Sun,  le  plus  modéré  des  deux,  voit  sa  clientelle  s'ao- 
croître  de  jour  en  jour. 


(I)  En  1899,  Ton  oomptait  à  Londres  18 Journaux  quotidiens,  qui  publiaient 
4(V00OlBaillei  par  Jour.  Le  progrès  est  d*im  neuvième  en  sept  ans,  ou  de  il  peareai 


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l 


LA  PRESSE  EN  ANGLETERRE.  689 

Le  Mommg-Chronicle,  dont  Téditeur  et  rédacteur,  M.  Black  » 
fort  connu  par  sa  querelle  avec  M.  Roebuk,  jouit  d*une  grande 
considération,  représente  la  fraction  avancée  des  whigs;  il  se  tient 
sur  la  lisière  du  radicalisme ,  sans  y  entrer.  Le  Morning-Advcniser, 
le  phis  répandu  des  journaux  réformistes  et  le  plus  ancien ,  person- 
nifie ce  libéralisme  puritain ,  qui  est  le  vieil  esprit  de  la  réforme  en 
Angleterre  ;  c'est  Toracle  de  la  bourgeoisie. 

Les  diverses  nuances  du  parti  conservateur  sont  complètement 
et  fidèlement  exprimées  par  ses  quatre  organes  :  le  Moming^Herald, 
le  Moming'-Post,  le  Standard  et  le  Times,  Le  Moming-Herald,  espèce 
d'édifice  gothique,  est  l'arsenal  qui  recueille  tous  les  préjugés  du 
pays.  Son  langage  n'a  pas  la  violence  du  Moming-Post,  ni  l'audace 
délibérée  du  Times;  mais  il  ne  cède  pas  de  meilleure  grâce,  et  défend 
les  abus  comme  autant  de  parties  intégrantes  de  la  constitution. 
Le  Moming-Posl  et  le  Standard  représentent  plus  particulièrement 
l'opposition  de  la  chambre  des  pairs.  Le  TimeSy  plus  adroit  et  plus 
récemment  acquis  au  parti,  s'est  fait  l'organe  de  sir  Robert  PeeL 
Bans  l'ordre  des  intérêts,  car  toute  opinion  repose  sur  un  intérêt 
en  Angleterre,  il  figure  cette  aristocratie  manufacturière  et  mar- 
chande qui  a  toutes  les  prétentions  de  la  noblesse  sans  en  avoir 
l'éclat. 

La  presse  du  dimanche  compte  plus  de  40  journaux  et  publie 
plus  de  120,000  feuilles  ;  un  seul  journal,  le  Weekly-Dispatchy  four- 
nit le  quart  du  nombre  total  dans  cette  immense  circulation.  Parmi 
les  feuilles  hebdomadaires,  plusieurs  ne  se  proposent  que  de  re- 
produire les  opinions  et  de  compléter,  pour  ainsi  dire,  la  publica- 
tion de  leur  modèle  quotidien.  Tels  sont  le  Sunday-Uerald,  le  Sun- 
ffay-Times  et  le  Weekly-True-^un.  D'autres  s'adressent  à  la  fois  aux 
hommes  politiques  et  aux  littérateurs  comme  le  Spectator  et  YExa-- 
mtiter,  feuilles  d'une  rédaction  indépendante  et  élevée.  Le  plus 
grand  nombre  ont  leur  clientelle  dans  les  rangs  inférieurs  de  la 
société;  ainsi  du  Saiirist,  qui  fait  les  délices  des  domestiques, 
du  John  BtiU qui  est  lu  par  la  populace  des  tories,  du  Weeklg-DiS" 
paich,  vraie  denrée  de  province  et  pâture  de  fermiers. 

La  prépondérance  des  opinions  réformistes  est  encore  plus 
grande  dans  la  presse  hebdomadaire  que  dans  la  presse  quoti-* 
dienne;  car,  à  mesure  que  l'on  descend  dans  les  classes  inférieures, 
TOXB  vu,  44 


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Q90  RETUE  DES  DEUX  MOTfDES* 

on  rencontre  une  démocratie  plus  ardente  et  plus  déddée.  On 
compte  trois  feuilles  radicales  pour  un  journal  tory. 

La  proportion  n'est  pas  aussi  forte  pour  les  journaux  de  pn>- 
Tince  qui  suivent  le  même  mode  de  publicité,  H^y  a  cent  journaux 
réformistes  contre 75  feuilles  tories;  mais  la  drculatkm  de  cdes- 
ci  est  inférieure  de  moitié.  Sur  les  soixante  journaux  qui  se  tirait 
à  plus  de  mille  exemplaires  chacun,  on  compte  97  réformist» et 
23  tories;  la  circulation  moyenne  des  réformistes  est  de  1,9S1 
exemplaires  et  celle  des  tories  de  l,37Ji>  par  semaine.  Voici  le  tablen 
de  ces  forces  politiques. 

JomnMixJUiénRnE.       TMk 
1,000  ex.  et  au-dessous  de    1,300  «  I 

l,a00  1,500  11  6 

1,500  2,000  8  6 

2,000  a,ooo  2  i 

3,000        etau-dessQS  4  0 

Ainsi  la  circulation  des  feuilles  Ebérales  est  à  celle  desjoonnx 
tories  comme  100  est  à  43. 

Quoique  ces  chiffres  aient  été  relevés  survies  tableaux  ofBdds, 
ils  ne  présentent  pas  les  faits  avec  une  exactitude  absolue.  Li 
circulation  des  journaux  de  Londres  a  été  exagérée  aux  déçeai 
de  celle  des  journaux  de  province.  Voici  d'où  provient  ferrenr: 

Les  feuilles  de  province  en  Angleterre  n'ont  pas ,  comme  dam 
nos  départemcns ,  la  faculté  de  faire  timbrer  leur  papier  d&ns  k 
ville  où  elles  se  publient.  Il  n'y  a  pas  de  timbre  (ttamp'soffee) 
hors  de  Londres,  de  Dublin  ou  d'Edimbourg.  L'éditeur  (Toi 
journal  qui  s'imprime  à  Liverpool  ou  à  Newcastle,  à  cent  Be«s 
de  la  métropole,  est  obligé  de  tirer  de  Londres  ses  feuilles  tim- 
brées dont  les  accidens  du  trajet  mettent  souvent  ime  partie  htm 
de  service.  Quelquefois,  au  lieu  de  s'adresser  directement  à  Tad- 
ministration,  il  préfère  les  prendre  dans  les  bureaux  dequdqie 
confrère  à  Londres,  qui  lui  accorde  une  remise  et  paie  ainâ  Î9r 
vantage  de  figurer  sur  les  documens  officiels  pour  un  chififirc  |to 
élevé  que  sa  propre  consommation.  A  la  faveur  de  cette  super- 
cherie, le  Times  a  dissimulé  pendant  longtemps  le  vide  qui  éuil 
survenu  dans  sa  clienteile,  et  il  a  pu  conserver  le  ma^fiquere* 
venu  de  ses  annonces  qui  lui  rendent  par  mois  beaucoup  ^ 
que  le  plus  achalandé  de  nos  journaux  ne  reçoit  daas  une  année. 


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LÀ  HOESSB  BN  AKCLETBUB.  6B1 

*  piéreiâr  Iafra«de,  on  avait  imagÎBé  iia  eipédiefti  bicarré, 
mais  qui  était  toul-à-foit  dans  les  mœurs  anglaises.  Oiaqne  journal 
devait  porter  un  timbre  particulier  marqué  de  son  nom,  le  sceau 
de  la  propriété  dans  les  dioses  de  Tesprit.  Cette  clause,  proposée 
par  M.  Grote,  an  nom  du  parti  radical,  et  insérée  dans  le  bill  du 
oonsentement  du  ministère,  ne  fait  pas  partie  de  la  loi,  teUe<pie  le 
parlement  l'a  Totée  après  tes  amendemens  introduits  par  les  lords. 

JLa  presse  Aon  timbrée  n*a  pas  produit  un  seul  journal  quotidien. 
Pour  lutter  arec  les  feuilles  établies,  il  eût  ÂUu  des  capitaux 
oonsidéraUes,  capitaux  qu*aaoan  Anglais  ne  youdrait  aventurer 
dans  une  industrie  jdaoée  hors  la  loi;  mais  3  est  plus  fooile  de  fiiire 
concurrence  aux  feuilles  du  dimanche,  espèce  de  compflatioasqne 
Y^m  arrange sooveat  avec  quelques  coups  de  plume,  et  à  force  de 
riwiwiT,  et  pour  ksqueHes  on  n'a  pas  besoin  de  se  mettre  en  frais 
de  correspondances  à  rétranger  ni  d'organiser  àVintérievr  une  es- 
couade de  reporien  (l).  La  presse  bd>d<HBadmre  s'adresse  an  peu- 
ple» el  la  fettiUe  la  plus  populaire,  àmérite  é^l,  sera  toujours  ceUe 
qni  remplira  le  mieux  la  condition  du  bon  mttrché.  Les  journaux 
non  timbrés  se  vendent  quatre  sous  {tmo  pence),  les  journaux  tim- 
brés quatorze;  si  quelque  chose  doit  nous  étonner,  c'est  que  ceux-ci 
n'aient  pas  été  entièrement  étoufiG6s  par  une  concurrence  aussi  re- 
doiit^>le,  et  contre  laquelle  la  loi  les  laissait  à  peu  près  désarmés. 

Gette  presse  de  contrebande  a  la  prétention  de  parler  un  lan- 
gage plus  poU  et  plus  digne  que  œhii  de  la  presse  légale»  et  die 
n*a  pas  de  grands  efforts  à  feire  pour  y  réussir.  EUe  cherche  du 
reste  à  amuser  le  peuple  plutôt  qu'à  l'instruire;  les  comptes-ren- 
dns  des  assises  et  des  tribunaux  de  police,  les  histoires  drama- 
tiques, les  meetings  radicaux,  fbumisseiit  le  fond;  quelques  dé* 
damatîons  pasÂonnées  contre  la  chambre  des  lords  ou  contre 
lom^-PUlqiq^  complètent  le  joamaL  Cette  langue  démocratique 
nous  semUerait  étrange  et  presque  kiinteHigible.  Bdur  en  donner 
un  exemple,  le  Râdicml,  ayant  à  faire  l'apologie  d'Alibaud,  ne  vit: 
rien  de  mieux  que  de  remonter  à  Harmodius  et  à  Âristogiton, 
en  imprimant,  pour  l'édificatioii  des  ouvriers  anglais,  le  texte 
grec  de  Tode  composée  en  Thonneur  des  meurtriers  d'Hîppias; 

(1)  Pour  rédiger  les  coinptflB-rendns  des  téancei  da  parlement,  chicnie  Journal  qvoU* 
Osa  emploie  qurtone  oa  qotiue  reporttn^  et  déposée  S^OOd  lirrei  eteritag  psr  lOBaiuo 

44. 


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692  REVUE  DES  DEUX  MORDES. 

Varticle  fut  reprodait  dans  plusieurs  journaux.  N'est-ce  pu  na 
peuple  bien  républicain  que  cette  démocratie  à  laquelle  on  ne  peut 
parler  sans  avoir  pris  ses  degrés  à  Oxford? 

La  presse  non  timbrée  n*est  qu'une  machine  de  guerre.  On  s'en 
est  servi  avec  beaucoup  d'habileté  pour  faire  brèche  à  un  impAt 
monstrueux.  Mais ,  après  la  réforme  des  lois  sur  le  timbre  et  b 
réduction  de  la  taxe  à  un  pennij,  les  journaux  n'ont  plus  de  raisoa 
suffisante  de  s'affranchir  du  régime  légal;  ceux  qui  tenteraient  de 
continuer  la  fraude  se  verraient  abandonnés  par  ropinion  publiqae 
qui  les  a  jusqu'ici  soutenus.  Le  droit  était  pour  eux  quand  ib  lut- 
taient contre  une  loi  oppressive;  maintenant  la  loi  est  récoocOiée 
avec  le  droit,  et  les  mœurs  la  protégeront. 

Ajoutez  que  le  dernier  bill  confère  aux  officiers  du  fisc  des  pou- 
voirs très  étendus.  Ds  ne  sont  plus  réduits  à  saisir  les  feuilles  col- 
portées dans  les  rues,  et  à  retenir  les  colporteurs  en  prison.  On 
leur  ouvre  le  domicile,  cette  fDrteresse  inviolable  jusqu'à  présent 
du  citoyen  anglais.  Tout  employé  du  timbre  peut,  sur  la  dénon- 
ciation du  premier  venu,  et  sans  mandat  judiciaire,  pénétrer  dans 
les  maisons  et  saisir  les  journaux  non  timbrés  partout  où  il  les 
trouvera.  Si  une  personne  affirme  sous  serment  que  tel  imprimeor 
a  publié  telle  feuille  de  contrebande,  le  juge  de  paix  est  tenade 
délivrer  un  mandat  avec  lequel  on  va  saisir  les  presses  et  entamer 
une  procédure.  Les  amendes  sont  exorbitantes  et  s'élèreBt,  pour 
la  moindre  contravention,  tantôt  à  20,  tantôt  à  50  livres  sterling. 
Quel  capitaliste  voudra  courir  les  chances  d'une  industrie  ainsi 
exposée? 

La  concurrence  les  ruinerait  à  défaut  du  fisc,  car  les  éditeors 
des  journaux  timbrés  la  feront  à  leur  tour  avec  la  puissance  d*aB 
intérêt  solidement  établi.  On  pourra  donner  un  journal  timbré  i 
6  sous;  et  qu*est-ce  que  la  différence  de  2  sous  par  numéro poor 
des  feuilles  qui  paraissent  une  fois  par  semaine,  lorsque  cette 
inégalité  de  prix  est  compensée  par  une  grande  supériorité  de 
rédaction? 

Les  hommes  d'état  qui  proposèrent  au  parlement,  dans  h  do^ 
nière  session,  la  réduction  des  droits  de  timbre,  prévoyaient  stfs 
doute  les  changemens  que  la  presse  doit  subir  par  suite  de  cet» 
réduction.  Ds  savaient  bien  qu'ils  allaient  substituer  dans  qudqo* 
mesure  Tinfluence  des  opinions  à  celle  des  capitaux.  «  Nous  voa- 


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lA  PItSSSE  EN  ANGLETERRE.  695 

Ions  élever  le  caractère  de  la  presse,  i>  avait  dit  lord  Melbourne 
dans  la  chambre  des  lords. 

Quelle  que  soit  la  valeur  de  la  presse  politique  dans  la  Grande- 
Bretagne,  elle  occupe  en  effet  un  rang  inférieur  dans  la  société.  Une 
sorte  de  défaveur  plane  sur  les  écrivains  attachés  à  la  rédaction  des 
journaux.  La  haute  société  ne  leur  ouvre  pas  ses  salons,  et  les 
oblige,  par  cette  exclusion ,  à  vivre  dans  Tobscurité.  On  ne  les 
admet  pas  même  dans  les  clubs,  et  le  Morning-Herald  avouait  ré- 
cemment avec  amertume  que,  parmi  les  éditeurs  des  journaux  de 
Londres,  un  seul  en  a  obtenu  Feutrée.  Les  membres  des  deux 
chambres  qui  s'associent  aux  intérêts  et  à  la  rédaction  d'un  journal 
n'oseraient,  pour  rien  au  monde,  lui  donner  publiquement  ces 
marques  de  sympathie.  Un  homme  politique,  qui  veut  jeter  une  opi- 
nion en  avant,  n'a  pas  recours  directement  à  la  presse  ;  il  convoque 
un  meeting  dont  on  enregistre  ensuite  les  actes  et  les  paroles  dans  les 
colonnes  des  journaux. 

La  plupart  des  éditeurs  ont  le  titre  de  barristers  (  avocats),  ce  qnî 
équivaut  en  Angleterre  à  un  degré  de  noblesse  ;  ils  se  distinguent 
presque  tous  par  des  connaissances  étendues  :  d'où  vient  donc  ce 
préjugé,  qui  en  fait  des  parias  dans  l'ordre  politique?  En  France, 
un  journaliste,  quand  il  est  homme  de  cœur  et  de  talent,  marche 
régal  d'un  conseiller  d'état,  d'un  pair  ou  d'un  député;  la  presse 
est  comme  un  gymnase  où  les  chefe  de  parti  se  préparent  au  gou- 
vernement, et  tel  ministre  n'a  souvent  fait  qu'un  saut  du  bureau 
d'un  journal  au  banc  des  secrétaires  d'état.  En  Angleterre,  il  n'y 
a  pas  d'exemple  de  ces  illustrations;  on  ne  parvient  que  par  Taris- 
tocratie ,  par  le  barreau  ou  par  les  positions  commerciales.  La 
presse  n'est  ni  un  pouvoir  ni  le  marche-pied  du  pouvoir.  Pendant 
vingt  ans,  les  whigs  organisèrent  leur  parti  au  moyen  de  la  Revue 
if  Edimbourg;  mais  ils  n'auraient  jamais  songé  à  se  servir  d'un 
journal. 

Un  journal  anglais,  qui  a  recherché  les  causes  de  ce  discrédit, 
l'attribue  au  langage  brutal  de  la  presse.  <r  On  ne  conçoit  pas,  dit- 
il,  que  des  hommes  qui  veulent  appartenir  à  une  classe  respecta- 
ble de  la  société,  et  qui  doivent  avoir  une  éducation  libérale,  se 
livrent  à  ces  indignes  personnalités.  Dans  leurs  moindres  querelles 
ils  se  traitent  de  menteur,  de  voleur,  de  mercenaire,  de  scribe,  d'oni- 
mal,  et  cherchent  à  rabaisser  mutuellement  leur  caractère,  comme 


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004  RETUE  DES  DEOX  IIOIIBU* 

8*3  ne  dorait  rien  rejaillir  sur  eux-mêmes  decetle  dégndalîtiide 
la  presse.  D*où  vient  qae  la  presse  est  placée  pla8  haut  en  Fntnce 
qa*en  Angleterre,  si  ce  n'est  de  l'absence  des  personnalités  qà 
défigurent  nos  journaux?  j» 

Nous  ne  saurions  partager  cette  opinion.  Sans  doute  un  langig» 
plus  décent  contribuerait  à  la  dignité  de  la  presse  en  Angteterr^ 
Hais  cette  liberté  d'inrectire  n'est  pas  particulière  aux  joumiu; 
elle  fait  partie  de  la  langue  politique  du  pays.  Le  même  jour 
où  TOUS  aurez  lu  dans  le  Times  que  le  Mormng^hroniele  est  m 
polisson  [scoumlreC)  »  et  dans  le  Moming-Chromcle  que  le  Ttma  est 
xokcoquin  (ruffian)^  vous  entendrez  O'Connelly  dans  un  meettiM^,  dire 
que  les  tories  sont  des  voleurs.  Les  habitudes  de  la  presse,  en  An- 
gleterre, sont  les  mêmes  que  celles  des  chambres  ;  il  se  bit  daos 
les  deux  camps  la  même  consommation  d'injures  et  de  gros  mots. 
Les  Anglais  ne  sont  pas  des  Athéniens. 

Nous  reconnaissons  les  avantages  de  la  presse  anglaise.  Dn'f  t 
pas  de  journaux  au  monde  mieux  informés,  qui  renferment  oie 
plus  grande  quantité  ni  une  plus  grande  variété  de  renseignemeUi 
Les  propriétaires  n'épargnent  pour  cela  ni  soins  ni  dépenses  ;ie 
Itmes,  pour  sa  correspondance  de  Paris,  dépense  annueUemeit 
4  à  5  mille  livres  sterling,  somme  égale  à  ce  que  coûte  la  rédactîw 
entière  d'un  journal  parisien.  Qu'un  meeting  se  tienne  à  Edimbourg 
ou  à  Manchester,  on  enverra  deux  reporters  en  poM  et  à  grands 
frais  pour  recueillir  les  discours  et  les  émotions.  Tout  ce  que  l'on 
peut  foire  avec  de  l'argent,  nos  voisins  le  font,  et  le  font  nûeux  que 
nous  (1). 

Mais  écrire  un  journal  ou  le  diriger  dans  des  vues  poUtiqaâ^ 
avec  un  plan  de  campagne  et  le  coup-d'œil  de  rhonune  d'état,  voSi 
ce  que  Ton  ne  sait  pas  en  Angleterre.  Les  journaux  anglais  oui 


(1)  La  Hevue  de  Westminster  a  cité  deux  exemples  fort  remarqnablts  de  la  lapidilétvit 
Jaqueile  les  nouvelles  sont  transmlAes  par  les  JovmaiHi. 

«  Un  vaisseau  arrive  à  Liverpool  avec  des  dépèches  qui  contenaieat  la  «oQveik  €m 
l>ataille  décisive  entre  les  royalistes  et  les  patriotes  de  FAmérique  &a  Sud.  AossitAtqM 
le  uavire  An  signalé,  l'agent  expédia  un  l>atean  pow  recetok^es  letim  doat  tl  était  vv 
teur.  Quelquei-tnes  de  ceUes  qui  étaient deiUiiéet  pour  UndrM  y  tmnmk^^ofém^ 
im  exprès.  Elles  arrivèrent  à  une  heure  et  demie  le  lendemain.  Lorsque  la  pentBMQi 
le»  avait  reçues  en  eut  fait  usage  à  la  bourse ,  elle  les  communiqua  par  faveur  à  un  Jowmï 
diMoir»  leGto£»a,età  trois  heures  et  demi*  le  iMmquier  qui  lee  uTuli  eonBividquéeiiee»' 
vatt,  dmiaClié,  ""  —V  -'t  fimT-n'  yà  tu  nnniiWM»  !■  mdwMwt  Utfii^ 


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Hk  VBESSK  Bit  iOfOLBTEnUS.  68IS 

^exce1feii9  écmtins,  de»  éffitenrs  butvnicv;^  ib  ont  Mrtont  dans 
Foccamon  cet  admirable  bon  sens  qm  met  toujours  le  doigt  sur  là 
plaie,  et  qui  en  sonde  promptoment  la  profondeur.  Mais  ib  ront 
an  jour  le  jour;  ib  suivent  Topinion  dans  tous  ses  raouvemens^  et 
jusque  dans  ses  écarts.  Ha  sont  de  la  foule,  ils  ne  conduisent  pas. 

Tous  bs  partis  ont  deux  presses  en  Angleterre  :  la  presse  des 
BOTues,  où  ib  mettent  leur  pensée  poKtique,  et  la  presse  des  jour* 
naos,  presse  de  détail,  qm  ramasse  et  oohtrfile  les  faite.  La  pre*- 
mBre  est  eefle  des  gendraien  ;  elle  donne  un  rang  et  une  position  i 
eeiix  qui  écrivent;  la  direction  des  affaires  lui  appartient.  La  st- 
coude  est  la  presse  de  b  bourgeoisie;  c'est  sa  conversation  écrite, 
«Test  la  mesure  de  son  niveau  mteBectud.  Pmt  que  les  journaux 
fl*élèvent  dans  l'opinion ,  il  fout  peut-être  que  les  revues  dédineat, 
et  cela  se  foit  tous  les  jours,  ou  plutAt  tous  les  ans.  La  Revue  d'É^ 
éimbeurg  n'est  plos  une  écob;  b  Quarterki  Beview  est  devenu  une 
arène  de  personnafités  qui  n'épargnent  pas  même  les  femmes;  le 
Weitminê^er  Beview  s'est  fondu  avec  b  Landan  Review,  sans  pouvoir 
donner  au  parti  radieri  l'organe  qui  lui  manquait;  b  BriHêh  and 
foreign  Beview  fait  grande  dépense  de  talent  et  d*imparfialité  dans 
une  direction  qai)a'estpas  assez  visible  aux  yeux  du  public.  Les  tra- 
ditions de  la  grande  critique  se  perdent  en  Angleterre;  et  quand  on 
pourrait  les  conserver  religieusement,  elles  ne  réveilleraient  pas 
l'appétit  blasé  des  lecteurs. 

Admettons  que  les  journaux  succèdent  à  l'importance  des  revues. 
Ce  sera  beaucoup  assurément,  et  la  presse  ne  saurait  s'élever  plus 
haut  en  Angleterre.  Mais  n'y  a-t-il  rien  au-delà? 

Pour  dire  toute  notre  pensée,  le  rôle  de  la  presse  n'est  pas  le 
même  dans  les  deux  pays.  En  France,  et  avec  cette  impatience  de 
découvertes,  ce  génie  d'innovation  qui  nous  est  propre,  la  presse. 


dliflore  après»  le  courrier  qoi  les  ATait  apportées  de  Liyerpool  à  Londres  repartit  pour 
Liverpool  avec  nn  numéro  du  Journal ,  et  le  Jour  suivant ,  à  onze  lieures,  Tagent  de  Liver- 
pool  l*avait  déjà  reçu.  Gomme  dans  cet  intervalle  le  vent  n'avait  pas  été  favorable,  et  que 
le  vaisseau  n'avait  pu  entrer  dans  le  port,  les  habitans  de  Liverpool  reçurent  de  Londres 
la  première  nouvelle  de  la  bataille  une  beure  avant  rentrée  du  navire  qui  Tavalt  apportée 
en  Europe.» 

«  Lorsque  l'empereur  de  Russie  vint  en  Angleterre,  il  visita  l'université  d'Oxford  ;  la 
nouvelle  de  son  arrivée  fut  envoyée  le  soir,  par  un  exprès,  à  un  Journal  du  matin ,  où  elle 
ftit  insérée ,  et  le  lendemain  matin  l'empereur  trouva  sur  sa  table  le  récit  de  la  viaile  4e 
UTdlle.» 


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696  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

dans  toutes  les  opinions ,  est  une  sentinelle  avancée  qui  a  i 
d'avertir  plntftt  que  de  contrôler,  de  prévoir  plat6t  que  de  voir, 
de  signaler  les  tendances  et  non  les  foits.  Cest  l'instrument  le  pàv 
actif  du  progrès  di^z  un  peuple  qui  est  tourné  tout  «itierven 
Favenin 

La  vieiDe  Angleterre,  la  patrie  des  traditions,  est  aa  contraire 
suspendue  au  passé.  Là  personne  ne  donne  l'impulsion  au  coipt 
social;  0  gravite  de  lui-même,  le  principe  donné,  de  conaéquatt 
en  conséquence,  comme  de  degrés  en  degrés.  Quiconque  aurait  h 
prétention  de  diriger  l'opinion,. l'irriterait  contre  lui;  la  pr^« 
n'en  est  que  l'écho ,  elle  regarde  marcher  la  société  et  se  coBteott 
de  marquer  les  distances  parcourues.  Si  elle  prenait  Tinitiative  de 
quelque  idée  ou  de  quelque  démarche,  la  nation  ne  croirait  phs 
posséder  le  self-govemment* 

Ainsi  la  presse,  placée  en  France  à  l'avant-gacde  de  la  dviba- 
tion,  occupe  en  Angleterre  le  corps  de  bataille:  là  elle  n*a  pas  Tcc- 
casion  d'acquérir  une  gloire  brillante  ni  de  foire  des  coups  d'écbt; 
mais  elle  est  aussi  moins  exposée,  et,  dans  les  jours  de  malhear, 
moins  délaissée. 

L.  Faucheb. 


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LETTRES 

SUR  L'ISLANDE. 


n. 


A  M.  VILLBMAIN, 

SICâiTAIEl  VnsétïJWL  DB  VACàX^ÈmE. 

En  arrivant  à  Reykiavik/notre  intention  était  de  n'y  passer  d'abord 
que  quelques  jours.  Nous  roulions  profiter  des  vraies  semaines  d'été  pour 
faire  notre  excursion  dans  les  districts  les  plus  éloignés  de  Flslande.  Mais 
un  voyage  ici  ne  s'organise  pas  si  facilement  H  n*y  a  pas  de  bureau  de 
diligence  où  Ton  puisse  aller  retenir  sa  place  pour  partir  le  lendemain , 
pas  de  grandes  routes  où  l'on  conduise  tout  à  son  aise  voiture  et  bagage, 
pas  de  village  où  l'on  espère  s'arrêter  de  temps  à  autre.  Il  faut ,  avant  de 
partir,  tout  prévoir  et  tout  disposer,  comme  si  on  s'aventurait  à  travers 
une  contrée  entièrement  déserte.  Il  faut  emporter  sa  tente  et  ses  provi- 
sions; car,  passé  Reykiavik  et  quelques  pêcheries  danoises,  situées  sur  la 
côte ,  on  ne  trouve  plus  que  de  loin  en  loin  le  pauvre  bœr,  étroit  et  sale, 
^et  dénué  de  ressources.  Au  commencement  de  juin,  il  est  toi^jours  assez^ 


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difficile  de  se  procurer  ici  de  bons  chevaux.  Pendant  l'hiver  on  ne  ksr 
donne  qu'une  chétive  ration ,  ils  dépérissent  jusqu'à  ce  qu'au  printemfi 
on  les  reconduise  dans  les  pâturages ,  et  il  faut  qu'ils  y  restent  quelques 
semaines  pour  reprendre  leurs  forces.  Cette  année  la  disette  de  foomge 
avait  forcé  les  paysans  à  en  tuer  plusieurs,  et  ceux  qae  I'oqtous  préseoti 
étaient  d'une  maigreur  à  faire  pitié.  Enfin^  (^rès  noos  être  adressés  à 
plusieurs  marchands ,  nous  fintmes  par  réuair  le  nombre  de  cheviox  de 
selle  et  de  bagage  qui  nous  étaient  nécessaires ,  et  le  20  juin  nous  étions 
en  route  pour  le  Geyser. 

Je  ne  fatiguerai  pas  voire  attention  par  le  détail  journalier  de  notre 
voyage;  mais  je  voudrais  pouvoir  vous  peindre,  conmre  je  l'ai  vo<,  cette 
nature  étrange  et  souvent  grandiose.  Certes,  pour  celui  qui  est  habitué 
aux  divers  aspects  d'une  terre  plus  civilisée ,  pour  celui  qui  veut  toit  des 
villes,  des  monumens,  de  grandes  masses  de  peuples  réunis  sur  m 
même  point,  cette  contrée  serait  triste  à  parcourir;  mais  une  foisqo'oi 
a  fait  abstraction  des  choses  qui,  ailleurs,  nous  sembleraient  d'une  né- 
cessité absolue,  une  fois  qu'on  est  décidé  à  prendre  l'Islande  telle 
qu'elle  est,  à  la  chercher  là  où  elle  existe  réellement,  à  l'étudier  da» 
ses  misères  et  ses  beautés,  elle  présente  à  chaque  pas  une  source  fé- 
conde d'observations.  Ainsi ,  lorsque,  dans  le  cours  du  voyage,  noos 
avions  fait  les  haltes  nécessaires  pour  le  peintre  et  le  géologue,  c'était 
pour  nous  un  singulier  plaisir  de  nous  en  aller  chevauchant  à  tra?ers 
ces  landes  sauvages,  de  noter  l'un  après  l'autre  tous  les  changeineBS 
d'aspect  qui  s'offraient  à  nos  yeux ,  et  tous  les  accidens  de  la  journée. 
Tantôt  nous  nous  trouvions  jetés  au  milieu  d'une  plaine  marécageuse 
où  Ton  ne  découvrait  pas  une  trace  de  chemin,  sur  un  sol  fangeux  et  T^ 
cillant,  où  quelquefois  nos  dhévaux  eâfoùçdtent  jusqu'au  poitrûl.  Taotdt 
nous  marchions  sur  des  eooebes  de  lave,  ov  sur  on  sol  couvert  de  ca- 
dre que  le  vent  chassait  par  tourbillons.  Dans  quelques-uns  de  ces  champs 
de  lave,  les  vieillards  du  pays  se  souvenaient  encore  d'avoir  vu  desptti- 
sages  verts  et  des  habitations;  mais  une  nuit  le  volcan  avait  édaté,  et  k 
lendemain  tout  était  enfoui  sous  des  blocs  de  pierre  et  des  moDceaax^ 
eendre.  Autour  de^ce  lieu  de  dévastation ,  on  apercevait  de  longues  U^ 
de  montagnes  stériles,  sillonoées  par  des  bandes  de  neige  quidescei- 
daient  sur  leurs  flancs  rocailleux.  Nous  marchions  ainsi  pendant  plosieai 
heures  sans  découvrir  an  seul  vestige  de  culture,  sans  rennatierA 
être  vivant,  fm  asboste,  on  brin  d'herbe. Mais  quelquefois,  aamili^^ 
ee^e  enceinte  de  rochers  vdcanîques,  novs  étions  tout  à  coup  êrtUèip 
l'aspect  d'an  lac  Mea  enfénné  dans  celte  terre  aride,  oomme  une  cflf* 
d'argent  podr  i'oiâeaa  des  Hpnlagaes  qsà  vient  y  rafratohir  son  aUe,  p^ 
le  voyageur  qui  y  troufe  une  ^u  ^pure  et  limpide.  QaelqarfMi 


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LETTRES  SUR  L  ISLANDE*  1699 

nons  apercevioitty  à  one  assez  longue  distance.  Tendes  yert  et  les  murs 
de  gazon  du  bœr.  Ifons  nous  dirigions  à  la  bâte  de  ce  cMé;  notre  gnidd 
frappait ,  arec  le  manche  de  son  fouet,  trois  coups  à  la  porte,  et  le  paysan 
Tenait  nous  receroir,  et  la  jeune  lllle  islandaise,  timide  et  curieuse,  s'ayan- 
çait,  arec  ses  chereux  blonds  sur  l'épaule ,  pour  nons  offrir  une  jatte  de 
lait.  Cétait  on  de  nos  délassemens  de  voyage  d'entrer  dans  le  bœr,  si 
pauvre  qu'il  fût,  et  de  causer  avec  le  paysan,  assis  sur  une  tête  de  che- 
val dans  sa  cuisine  enfumée.  L'intérieur  de  ces  habitations  est  d'ailleurs 
«urieux  à  observer.  Comme  elles  sont  toutes  éloignées  Tune  de  l'autre  et, 
pendant  plusieurs  mois  de  l'année,  privées  de  communications,  il  faut  que 
le  propriétaire  fesse  en  sorte  d'avoir  dans  son  étroit  domahie  ce  dont  il 
«e  sert  habituellement.  Ainsi  sa  demeure  est  divisée  eneinq  ou  six  corn- 
partimens  rangés  sur  la  même  ligne.  Dans  l'un  est  la  euisine  et  la  cham- 
bre où  il  couche  avec  ses  domestiques,  dans  un  autre  la  laiterie,  dans 
nn  troisième  la  forge,  les  instrumens  de  menuiserie.  Cest  lui  qui  ferre 
:ses  chevaux,  qui  fïibriqne  ses  meubles.  On  a  remarqué  que  les  Islandais 
ont  une  aptitude  particulière  pour  tous  les  ouvrages  d'industrie.  Cette 
aptitude  a  dû  se  développer  par  la  nécessité  où  ils  sont  de  pourvoir  sans 
•cesse  eux-mêmes  aux  dioses  dont  ils  tmt  le  plus  pressant  besoin.  Avec  la 
<^me  fondue,  ils  fabriquent  des  boucles  pour  leurs  brides  et  des  cuillè- 
res. Avec  la  laine  ite  tissent  leurs  draps,  ils  tressent  leurs  cordes.  Dans 
la  même  chambre ,  une  femme  carde,  foule  et  teint  k  laine  destinée  à 
faire  une  pièce  de  drap.  Ds  fabriquent,  avec  des  os  de  baleine,  des  ai- 
^illes,  des  boutons,  des  manches  d'instrumens.  Un  morceau  de  lave 
leur  sert  de  marteau ,  et  un  bloc  de  pierre,  d'enclume.  Dans  les  premiers 
mois  d*hiver,  avant  le  temps  de  la  pêche,  la  plupart  des  paysans  passent 
leurs  longues  veillées  à  ces  travaux  mécaniques. Il  en  est  qui ,  à  force  de 
patience,  parviennent  à  faire  des  sculptures  en  bois  et  des  œuvres  d'orfé* 
Trerîe  remarquables.  Nous  avons  vu  un  meuble  islandais  sculpté  par  un 
paysan  avec  un  rare  talent.  L'œuvre  finie,  l'artiste  avait  écrit  un  nom 
au  bas;  mais  le  bœr  où  il  vivait  Ta  seul  connu  :  combien  d'hommes 
doués  de  grandes  facultés  restent  ici  sans  développer  leur  génie,  et  meu- 
rent sous  un  de  ces  toits  de  gazon  sans  être  connus! 

Dans  quelques  parties  de  l'Islande,  on  découvre  d'heure  en  heure  des 
habitations  de  paysans  rangées  au  bas  d'une  colline;  dans  d'autres,  nous 
passions  des  jours  entiers  sans  en  apercevoir  une  seule.  Tout,  autour  de 
nous,  avait  l'aspect  du  désert  ;  tout  était  morne,  sombre,  et  Ton  n'entendait 
que  le  cri  aigu  du  plurier ,  ou  parfois  le  bruit  d'une  troupe  de  cygnes  qui 
is'envolaient  à  notre  approche.  Dans  ces  plaines  abandonnées,  on  éprouve 
un  vrai  sentiment  de  joie,  quand,  par  hasard,  on  vient  à  rencontrer  une 
^utre  caravane.  Alors  les  paysans  islandais  descendent  de  cheval  et  vont 


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700  EETIIE  DBS  DBUX  MONBIS. 

s'embrasser,  puis  ils  s'asseoieot  sur  une  pierre  et  se  racontent  les  noonl- 
les  du  pays.  Celui  qui  vieot  de  l'intérieur  sait  si  la  pèche  est  booiie,â 
les  chevaux  ne  sont  pas  malades.  Celui  qui  vient  de  ReykUTick  ett  m 
personnage  important .  U  sait  le  prix  courant  des  marchandises,  et  qudcs 
le  marchand  danois  le  plus  accommodant.  H  sait  ce  qu'on  pense  de  U  pu 
et  de  la  guerre,  ce  que  fait  l'évéque  et  ce  que  dit  le  gouveuMv.  fi 
répète  de  point  en  point  tout  ce  qu'il  a  appris,  et  voili  le  journal  en  pfeia 
air,  la  gazette  officielle  de  l'Islande. 

Ce  qui  varie  à  chaque  instant  le  paysage  dans  une  contrée  où  il  n'y  a 
ni  forêts,  ni  Champs  de  blé,  ni  prairies,  ce  sont  les  montagnes  qm  t»* 
tôt  étenéent  leur  longue  chaîne  jusqu'au  bord  de  la  mer,  tantôt  s'élènai 
par  grandes  masses  comme  des  forteresses,  ou  s*élanoent  dans  les i 
comme  des  flèches  de  cathédrale.  Leur  couleur  change  sans  ces» 
le  ciel  qui  les  couvre,  et  l'heure  à  laquelle  on  les  observe.  Le  matin  « 
les  voit  surgir  comme  des  vagues  bleues  au-dessus  de  l'horizon;  le  soir, k 
soleil  les  Inonde  de  ses  rayons ,  et  les  fait  resplendir  comme  des  dûaes 
dorés.  Souvent  après  une  longue  journée  de  marche,  soit  par  on  effet  de 
mirage, soit  par  l'effet  de  notre  imagination,  nous  voyions  ces  naontagnrs 
se  dessiner  devant  nous  comme  les  remparts  qui  ^tourent  une  ville  de 
guerre,  et  oubliant  qu'il  n'y  a  dans  ce  pays  ni  ville  ni  remparts,  boos 
avancions  avec  un  indicible  mélange  de  joie  et  d'inqulétnde.  D^  noos 
distinguions  la  pointe  des  clochers,  le  faite  des  maisons  ;  il  nous  semblait 
entendre  la  rumeur  de  la  foule,  quand  tout  à  coup  notre  cheval  allait  se 
heurter  contre  une  pierre,  et  nous  n'apercevions  plus  devant  nous  qa'uœ 
masse  de  lave. 

Du  sommet  de  ces  montagnes  nous  redescendions  dansks  champs  de 
sable  volcanique,  le  long  des  grandes  rivières  que  nos  chevaux  traver- 
saient à  la  nage,  ou  sur  la  grève,  auprès  des  baies  où  viennent  aborder  k 
bateau  pécheur  et  le  navire  marchand,  et  chacun  de  ces  changemens  de 
site  nous  offrait  un  nouveau  tableau  et  de  nouvelles  impressions.  Un  ma- 
tin nous  côtoyions  ainsi  les  bords  de  la  mer .  Les  vagues  se  déroulaient  sar 
la  grève  comme  des  nappes  d'argent,  et  venaient  baigner  les  pieds  de  ■(» 
chevaux.  Un  peu  plus  loin  elles  s'élançaient  avec  impétuosité  coati« 
une  ligne  de  brisans ,  et  faisaient  jaillir  dans  l'air  des  gerbes  d'eau  perlée» 
des  flots  d'écume  étincelans.  Toute  la  plage  était  déserte,  mais  l'hirofi- 
délie,  dans  son  vol  gracieux ,  rasait  du  bout  de  l'aile  les  vagues  du  nvage, 
et  l'envoyait  briller  au-dessus  de  l'eau  les  yeux chatoy ans  du  pboqoe, 
cette  meermatd  du  moyen-âge.  A  quelque  disUoce  de  là  s'élevait  la  cha- 
pelle en  bois  construite  sur  la  dune.  C'était  un  dimanche.  Les  pécheurs^ 
réunis  autour  du  prêtre ,  avaient  entonné  leur  chant  religieux ,  et  ce  chast 
arrivait  à  notre  oreille  comme  le  son  d'une  voix  plaintive  et  solennelk. 


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LETTRES  SUR  L'iSLANDE.  701 

et  c'était  une  admirable  chose  que  le  calme  de  cette  frêle  église  au  bord 
de  la  mer  agitée,  l'aspect  de  cette  croix  au  milieu  de  la  solitude,  et  l'bar- 
monie  de  ces  yoix  religieuses  passant  à  travers  le  bruit  des  vagues,  et 
les  sîfflemens  du  vent. 

Tout  ce  qu'il  y  a  de  grave  et  de  poétique  dans  ces  diverses  contrées  de 
rislande,  s'accroît  encore  si  l'on  y  passe  avec  les  divers  souvenirs  histori- 
qUiea  qui  s'y  rattachent;  car  chacune  de  ces  baies ,  de  ces  vallées,  de  ces 
montagnes,  a  sa  place  marquée  dans  les  anciennes  sagas,  ou  dans  les 
aimales  modernes.  Souvent  cette  histoire  est  triste;  c'est  le  récit  d'une 
éruption  de  volcan,  le  tableau  d'une  famine,  d'une  épidémie  et  de  tous 
ces  fléaux  qui  ont  traversé  l'Islande  à  chaque  siècle.  Mais  en  remontant 
plus  haut,  elle  se  revêt  d'un  caractère  héroïque  qui  lui  donne  un  singu- 
lier prestige.  C'est  le  temps  des  Jaris  et  des  Scaldes,  le  temps  des  mythes 
religieux  et  des  combats  à  main  armée.  Ici  Ingolfr,  le  premier  colon  de 
l'Islande,  retrouve  les  pénates  qu'il  avait  jetés  à  la  mer  pour  lui  indiquer 
le  lieu  où  il  devait  aborder;  là  vivaient  les  Sturlungr;  ailleurs  est  la  mon- 
tagne célèbre  dans  la  saga  de  Niai.  Dans  cet  humble  bœr  qu'on  trouve 
auprès  du  Geyser,  Arae  Frode,  le  premier  historien  de  l'Islande,  écri- 
vait son  Landnama  Bok  et  ses  Schedœ,  Dans  cet  autre,  non  loin  de  Brei- 
dabolstad ,  Sœmund  chantait  l'Ëdda.  II  n'y  a  plus  ici ,  il  est  vrai ,  de  mo- 
numens  primitifs;  les  uns  ont  disparu  avec  le  temps,  les  autres  ont  été 
transportés  à  Copenhague.  Mais  l'histoire  est  là  qui  indique  à  chaque  pas 
l'endroit  qu'il  faut  voir  et  le  nom  qu'il  faut  y  chercher. 

Le  lieu  le  plus  célèbre  de  l'Islande,  c'est  Thingvalla  (1).  C'est  là  que, 
dans  les  premiers  temps  de  la  république ,  les  principaux  habitans  du 
pays  avaient  organisé  un  gouvernement  central  ;  c'est  là  que  chaque  an- 
née se  tenaient  ces  assemblées  générales,  ces  alihing,  espèces  de  champ-de- 
mars,  où  l'on  venait  délibérer  sur  les  affaires  publiques,  et  promulguer 
les  nouvelles  lois.  Là,  en  l'an  1000,  le  christianisme  fut  adopté  à  la  majo- 
rité des  voix.  Là  venaient  les  grands  juges,  et  les  deux  évêques,  et  les 
chefs  des  différens  districts.  On  réglait  les  impôts,  on  lisait  à  haute  voix 
les  principaux  contrats  de  vente  et  de  mariage,  car  c'était  à  la  fois  une 
assemblée  politique  et  une  assemblée  de  famille.  Quand  le  laogmand 
avait  parlé  pour  tout  le  pays,  le  sysselmand  jparlait  pour  son  canton.  Les 
prêtres  tenaient  leur  synode ,  le  tribunal  supérieur  jugeait  les  procès  cri- 
minels. Non  loin  du  tertre  de  gazon  où  il  venait  siéger,  est  le  rocher  où 
l'on  décapitait  les  hommes,  le  lac  où  l'on  jetait  dans  un  sac  les  femmes 

(1)  J'emploie  ici  le  mot  mis  en  usage  par  les  étrangers.  Le  yrai  mot  islandais'est  Thl]ig«> 
vollr,  au  pluriel  Tldngyallr  {Champs  du  Thing),  Les  Islandais  écrivent  Thing  avec  un 
caractère  parUcoiier  qui  manque  aux  autres  alphabets,  et  qui  se  prononce  en  sifnsnt^ 
Cest  le  th  des  Anglais, 


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70S  RSTR  MB  MVX 

condanmées  à  mort,  et  le  bûefcer  oà  Tna  brûhll  let 
assemblées  de  Thingn^le  coramençafeiil  ordkMûmneBl 
jaillet  et  dnrtienl  quelques  seraeiiies.  Les  deox  diefii 
occupaient  une  petite  maison  en  pierre  dont  en  Toit 
Testiges;  les  autres  eanpafent  sous  des  tentes.  Pesdut 
la  répuMique,  les  présidens  de  PassemMée  éC^cat  les 
par  le  peuple.  Plus  tard,  qund  FislaBde  ftit  réuBie  au 
le  goufeneur  Bommé  par  le  rei  s^euipim  sueeessivaneat  de 
férentes  attributions^  et  il  ne  leur  resta  plus  que  le  csaraeière  < 
loi  et  leur  droit  de  jurîdîetkm.  Les  eemiees  de  PakbiBg  oaitdaiékui 
siècles.  Elles  ont  passé  tour  à  tour  par  le  paganisme  seandiiiuvo  Hh 
cbristianismey  par  la  ferreureatiiolique  des  premiers  lenpe  alla  fdfcfr 
matîonypark  république  et  lamonardiie.  IJteeoFdonunee  d«  raiëe 
Danemartk  lésa  supprimées  enlMQ.  Le  tribouri  supérieur»  le ( 
neur,  l'éTêque^  sont  aujounf  hui  à  Ref kiarfli* 

C'est  dans  le  fond  d'une  coulée  dehrve,  entre  lesi 
de  rocbers  que  se  tenaient  les  séances  de  Fal^ing.  A  T»ee  ^ 
isolé  au  miUen  des  montagnes,  resserré  par  ces  lourdes 
pierre^  on  dirait  que  k  nature  avait  di^sé-ee  lien  eiprès  peur  ks  an- 
geuses  assemblées  d^un  peuple  de  pirates  et  de  guerriers.  Lorsqo^eii  «rrife 
à  Tbingrriky  par  la  route  de  Laxelr,  on  descend  dans  ee  ▼afloDeonme 
dans  un  sd^me,  par  une  pente  tortueuse,  par  un  sentierrompu  qui  res- 
semble à  un  lit  de  torrent.  A.  droite,  les  rocbers  s*ineiineot  fers  le  ke, 
comme  s'ils  suivaient  encore  la  pente  que  tenr  imprimait  fe  toIcbd  en- 
flammé; à  gaudie,  ils  s'étèrent comme  debauts  remparts, etse  «fkmiamt 
à  Fhorinm  sous  les  formes  ks  plus  étranges.  IVun  ofttè,  k  viBeQ  est 
fermé  par  ce  chemin  où  fou  n'avance  qu'avec  peine,  de  Faotrepar  me 
cascade.  Tout  autour  on  n'aperçoit  que  des  montagnes  rouges,  une  plaîBe 
Semée  de  quelques  arbustes  cbétifs,  un  grand  lac,  et  au  bord  du  kc  k 
pauvre  église  de  ThingviAa.  Le  soir,  qaand  tout  ce  paysage  est  édairé 
par  les  doux  reflets  d'une  lumière  argentée,  quand  tout  est  eafane,  et 
qu'on  n'entend  que  k  chute  de  Tean,  et  le  léger  frôkment  de  quelques 
touffes  de  mousses  d^assées  par  k  vent,  c'est  l'un  des  Keux  ks  plus  roman- 
tiques qnlt  soit  possibk  de  voir,  et  si,  an  milieu  decettesoKtude  profond^ 
on  se  représente  les  grandes  réunions  (f  autrefèls ,  ks  tentes  bkn^es 
dressées  dans  ce  vallon ,  les  juges  assis  sur  les  blocs  de  lave,  les  diefii  de 
chaque  cdiorte  mardiant  sous  leur  bannière,  et  le  peuple  dispersé  à  tra- 
yers.ksjrachers-,  je  ne  sache  pas  de  tableau  plus  digne  d'occuper  le  pin- 
.aewi  da  ptmire,  et  k  plume  de  l'historien  et  du  romancier. 

^Tandis  que  naos  étions  campés  sous  notre  tente  au  milieu  du  valku , 
^ous  rimes  venir  à  nous  un  homme  dont  l'extérieur  et  les  vétemens  por- 


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LETTRES  sua  L*ISLANBB.  703 

taient  Tempreinte  de  la  misère,  qui  nous  demanda  dans  un  langage  bar- 
bare, mêlé  de  latin,  de  danois  et  d'islandais,  si  nous  roulions  acheter  du 
lait  et  du  poisson.  C'était  le  prêtre  de  Thingvalla.  Le  sort  des  prêtres 
dans  ce  pays  est  triste,  plus  triste  encore  que  celui  des  prêtres  d'Irlande» 
sur  lesquels  on  8*est  si  souvent  apitoyé.  Us  ne  reçoivent  rien  du  gouver- 
nement. Us  ont  pour  tout  bien  la  jouissance  de  la  ièrme  qui  appartient  à 
l'église,  et  le  quart  des  dîmes  payées  par  leur  paroisse.  Si  la  veuve  de 
leur  prédécesseur  vit  encore,  ils  sont  obligés  de  lui  abandonner  une  part 
du  produit  de  la  ferme.  Si  la  vieillesse  ou  les  infirmités  les  empêchent 
de  faire  leur  service,  on  leur  donne  un  chapelain  avec  lequel  ils  parta- 
gent encore  leur  mince  revenu.  Ils  ont  une  certaine  taxe  pour  les  diver- 
ses cérémonies  du  culte,  mais  cette  taxe  est  très  légère,  et  les  paysans 
la  paient  avec  du  beurre  et  du  poisson.  Il  y  a  certaines  églises  où  le  pro- 
duit de  la  dlme,  du  casuel  et  de  la  ferme  ne  rapporte  pas  plus  de  20  à 
30  thaler  (60  ou  90  fr.  );  celle  de  Thingvalla  est  de  ce  nombre.  Les  prê- 
tres ne  peuvent  plus  exiger  de  corvées  de  leurs  paroissiens.  La  seule  pré- 
rogative dont  ils  jouissent  encore ,  c'est  de  pouvoir  placer  à  la  fin  de  l'au- 
tomne, dans  chaque  bœr,  un  mouton  que  le  paysan  s'engage  à  nourrir 
pendant  l'hiver,  et  à  leur  rendre  au  printemps.  Ne  pouvant  vivre  avec 
ce  peu  de  ressources ,  le  prêtre  est  obligé  de  travailler  comme  le  plus  pau« 
yre  habitant  de  son  district  ;  il  cultive  sa  ferme,  il  ferre  ses  chevaux,  il 
ya  à  la  pêche,  il  est,  pendant  six  jours  de  la  semaine,  pêcheur  et  paysan. 
Le  septième  il  revêt  le  surplis  et  prêche  ses  paroissiens.  Le  malheur  est 
qu'avec  cette  vie  de  labeur,  le  piètre  finit  par  s'assimiler  aux  bateliers 
avec  lesquels  il  passe  une  partie  de  son  temps.  En  travaillant  comme  eux, 
il  prend  l'habitude  de  boire  de  l'eau-de-vie  comme  eux.  U  oublie  lui- 
même  sa  dignité  de  prêtre ,  et  le  dimanche,  s'il  prêche  la  patience  et  la 
sobriété.  Dieu  sait/;omment  il  doit  être  écouté. 

La  demeure  du  prêtre  de  Thingvalla  était  plus  sale,  plus  misérable 
que  toutes  les  demeures  de  paysans  que  nous  avions  visilées  jusque-là. 
Dans  une  chambre  obscure ,  humide ,  sur  le  sol  nu ,  nous  trouvâmes  deux 
lits  qui  ressemblaient  à  des  grabats.  C'était  le  sien,  celui  de  sa  femme 
et  de  ses  enfans.  A  côté,  il  y  avait  ses  provisions  qui  se  composaient  de 
quelques  pains  de  suif,  d'un  peu  de  seigle  et  de  lait.  Une  vieille  femme 
cardait  de  la  laine  dans  une  autre  chambre,  et  un  lépreux  broyait  le  sei- 
gle sous  une  pierre.  La  lèpre  est  une  maladie  fréquente  dans  ce  pays, 
mais  les  Islandais  ne  redoutent  pas  l'approche  de  ceux  qui  en  sont  affec-» 
tés.  Us  la  regardent  comme  une  maladie  héréditaire,  mais  non  conta- 
gieuse. Si  le  malheureux  lépreux  de  la  vallée  d'Aoste  était  venu  dans  ce 
pays,  il  aurait  pu  y  trouver  des  amis  et  une  soeur . 
Nous  couchAmes  le  soir  dans  l'église.  C'est  le  refuge  habituel  des 


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704  REVUE  DES  DEITX  MONDES. 

voyageurs,  qui ,  dans  les  mauvais  temps,  ne  pourraient  reposer 
tente.  L'église  n*est  du  reste  que  comme  un  appendice  de  la  fersiedB 
prêtre.  C'est  là  qu'il  vient  écrire,  c'est  là  que  sa  femme  étend  la  lMiK;et 
le  tribut  que  les  étrangers  lui  paient  pour  y  passer  une  nuit  oa  desi, 
il  le  garde  pour  lui. 

Le  lendemain  nous  étions  en  route  pour  le  Geyser,  et  doos  noos  arrê- 
tions avec  surprise  auprès  du  cratère  de  Tentron,  dont  le  sommety  chargé 
de  scories  de  lave,  est  comme  une  cheminée  ouverte  prête  à  lancer  eneere 
la  flamme  et  la  cendre.  De  là,  on  ne  marche  qu'à  travers  un  sol  dèvasié, 
jusqu'aux  sources  chaudes  de  Langarvatn.  Nous  voyageâmes  tout  le  jour  et 
toute  la  nuit.  Le  matin  au  lever  du  soleil,  nous  passions  sur  one  mauvaise 
planche  la  large  cascade  de  Bruara,  et  deux  heures  apr^nous  étions  «i 
milieu  des  vapeurs  du  Geyser.  La  température  avait  changé  complète- 
ment. Le  thermomètre  était  descendu  de  12  degrés  à  0,  et  un  vent  vûh 
lent  soufflait  dans  la  plaine. 

Les  sources  bouillantes  du  Geyser  sont  situées  sur  une  colline,  ao-dessas 
d'une  plaine  marécageuse,  fermée  par  une  ceinture  de  montagnes  noires 
qui  donnent  à  toute  cette  contrée  un  caractère  de  deuil  et  de  tristes». 
Au  milieu  le  mont  Hécla  lève  sa  tète  blanche,  et  à  l'extrémité  apparais  le 
Blaaflal,  plus  chargé  de  neige  encore  que  l'HécIa.  Le  grand  bassin  da 
Geyser  est  entouré  d'une  croûte  épaisse  de  silice ,  taillée  par  parcdks 
comme  une  écaille  de  tortue.  Il  a  16  mètres  de  largeur  et  23  de  profon- 
deur. Près  de  là  est  le  Strockr  (1)  qui  partage  avec  le  grand  bassin  fadmi- 
ration  des  voyageurs.  Mais  à  chaque  pas  sur  la  colline,  on  rencontre  nne 
quantité  d'autres  sources ,  celles-ci  larges  et  profondes,  oarratDt  har  bas- 
sin de  silice  rose,  et  leurs  cavités  bleues  comme  l'azur  du  ciel ,  celles-U 
commençant  à  peine  à  sortir  de  terre ,  et  fumant  à  travers  le  gazon  qui 
les  recouvre  à  demi.  De  chaque  côté,  l'eau  de  ces  sources  se  répand  sur 
le  sol  qu'elle  pétrifie,  et  la  vapeur  qui  s'échappe  de  la  chaudière  ardente, 
s'en  va  comme  des  nuages  de  fumée  à  travers  la  plaine.  Aussi  je  com- 
prends maintenant  la  naïve  pensée  de  ce  vieil  auteur  du  Kongs-Skmgf' 
Sio  (2) ,  qui,  ne  sachant  comment  expliquer  cette  chaleur  souterraine, 
écrivait,  dans  sa  candide  ignorance,  que  toutes  ces  sources  étaient  aulaat 
de  fournaises  où  le  démon  faisait  bouillir  les  damnés. 

Le  Geyser  ne  jaillit  pas  régulièrement.  11  est  soumis  à  l'influence  de  b 
pluie ,  du  vent,  des  saisons.  Nous  avions  établi  notre  tente  entre  les  cur- 
ées mêmes,  afin  de  voir  l'éruption  de  plus  près,  et  nous  l'attendions  avec 
impatience  dès  le  moment  de  notre  arrivée.  Le  jour,  nous  craignio!»  de 

(1)  Geyser  vient  de  Geys  {Furens),  Strockr  en  islandais  signiOe pyrami<Ie. 
(S)  Livre  islandais  curieux,  écrit  entre  1140  et  1370,  traduit  en  latin  sons  le  titxtde 
Spéculum  regale,  imprimé  à  Sorœ  en  1768,  ln-4o. 


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LETTRES  SUR  L*ISLANDE.  705 

lioos  écarter  y  la  nuit  nous  veillions  chacun  à  notre  tour,  afin  de  donner 
le  signal  à  nos  compagnons  de  voyage.  Plusieurs  fois  nous  fûmes  réveillés 
par  les  cris  de  celui  qui  montait  la  garde.  Le  bassin  du  Geyser  commen- 
çait à  s'agiter.  On  entendait  un  bruit  souterrain  pareil  à  celui  du  canon, 
et  le  sol  tremblait  comme  s'il  eût  été  frappé  par  des  coups  de  bélier.  Nous 
courions  en  toute  hâte  au  bord  de  la  colline;  mais  le  Geyser,  comme  pour 
se  jouer  de  nous,  montait  jusqu'au-dessus  de  sa  coupe  de  silice,  et  débor- 
dait lentement  comme  un  vase  d'eau  qu'on  épanche.  Enfin  après  deux 
jours  d'attente,  nous  fîmes  jaillir  le  Strockr,  en  y  faisant  rouler  une 
i^uantité  de  pierres  et  en  tirant  des  coups  de  fusil.  L'eau  mugit  tout  à 
(X)up,  comme  si  elle  eût  ressenti  dans  ces  cavités  profondes  l'injure  que 
nous  lui  faisions,  puis  elle  s'élança  par  bonds  impétueux,  rejetant  au  de- 
hors tout  ce  que  nous  avions  amassé  dans  son  bassin,  et  couvrant  le  vallon 
d'une  nappe  d'écume  et  d'un  nuage  de  fumée.  Ses  flots  montaient  à  plus 
de  quatre-vingts  pieds  au-dessus  du  puits ,  ils  étaient  chargés  de  pierres 
et  de  limon;  une  vapeur  épaisse  les  dérobait  à  nos  regards,  mais,  en  s'é- 
levant  plus  haut,  ils  se  diapraient  aux  rayons  du  soleil ,  et  retombaient 
par  longues  fusées  comme  une  poussière  d'or  et  d'argent.  L'éruption  dura 
environ  vingt  minutes,  et  deux  heures  après,  le  Geyser  frappa  la  terre 
2l  coups  redoublés,  et  jaillit  à  grands  flots,  comme  l'eau  du  torrent, 
comme  l'écume  de  la  mer,  quand  le  vent  la  fouette,  quand  la  lumière 
l'imprègne  de  toutes  les  couleurs  de  l'arc-en-ciel. 

Nous  assistions  alors  à  l'un  des  phénomènes  naturels  les  plus  curieux 
qui  existent;  mais  ce  qui  a  rendu  notre  séjour  au  Geyser  plus  intéressant 
encore,  ce  sont  les  observations  de  géologie  et  de  météorologie  faites  par 
deux  de  nos  compagnons  de  voyage.  M.  Robert  a  recueilli  autour  de  ces 
sources  brûlantes  des  échantillons  curieux  de  lave  et  de  silice,  et  M.  Lot- 
tin  a  fait  une  importante  découverte.  Jusqu'ici  on  avait  cru  que  les  sources 
d'eau  bouillante  ne  s'élevaient  pas  au-dessus  de  cent  degrés.  En  plaçant 
dans  celles  du  Geyser  trois  thermomètres  centigrades,  M.  Lottin  s'est 
assuré  qu'elles  montaient  à  près  de  cent  vingt-quatre,  et  le  soin  conscien- 
cieux, l'habileté  avec  laquelle  cette  observation  a  été  faite  doivent  être 
une  garantie  pour  tous  ceux  qui  seraient  tentés  de  révoquer  en  doute  un 
tel  résultat. 

Une  fois  notre  travail  achevé ,  nous  reployâmes  notre  tente ,  et  nous 
partîmes  pour  Skalholt  en  saluant  gaiement  le  Geyser,  comme  des  mois- 
sonneurs saluent  le  champ  où  ils  ont  récolté. 

Quand  on  parle  de  l'Islande,  l'un  des  premiers  noms  sur  lesquels  se 
reporte  d'abord  la  pensée,  c'est  celui  de  Skalholt.  C'est  la  vieille  capitale 
de  cette  fîère  aristocratie  des  Jarl,  qui  auraient  voulu  faire  de  chacun  de 
leur  village  une  capitale.  C'est  la  véritable  Athènes  de  ces  landes  du  Nord, 

TOME  VII.  45 


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706  REVUE  DES  DEUX  MOIUUKOU 

qui  y  dans  Tes  premiers  siècles  du  moyen-âge,  portèreot  sur  leur  ooodbe 
de  pierre  plus  de  fleurs  de  poésie  que  les  conirées  méridionales.  Le  p^ 
mier  siège  épiscopal  de  Tlslaude  fut  établi  à  Skalholt,  ainsi  que  la  preiiifae 
école.  Là  fut  aussi,  pendant  une  vingtaine  d'années,  l'imprinifirie  (1).  là 
ont  vécu  des  hommes  justement  célèbces»  des  orateurs,  des  philoscpha, 
des  historiens;  cet  Isleifr  qui  commença,  en  l'an  1057,  ses  fonctioM  de 
premier  prélat  de  l'Islande,  par  assembler  autour-de  lui  une  tronped'eiiHM^ 
4  qui  il  enseignait  les  belles-lettres;  ce  Gissur,  qui,  au  commenceBiMt  do 
su*  siècle,  avait  visité  les  grands  états  de  l'Europe,  et  parlait  la  J 
de  tous  les  pays  où  il  avait  voyagé,  si  bien  qu'à  son  retour  on  loi  i 
le  surnom  de  Flos  Peregrinaiionis;  Tharlakr  Térudit,  et  Finnseo,  le  a- 
vaut  auteur  de  l'Histoire  ecclétiasiique.  Deux  fois  l'église  métropolitaiBe 
de  Skalholtfut  brûlée,  et  deux  fois  rebâtie  à  grands  frais  sur  no  plan  plos 
large.  L'évéque  donnait  alors  des  fêtes  auxquelles  il  inyitait  boit  ceaii 
personnes,  et  chacune  d'elles,  en  s'en  allant,  recevait  qudque  préseaL 
Plus  tard,  lorsque  l'école  de  Hoolnm  fut  fondée,  celle  de  Skalholt  comem 
encore  sa  prérogative.  En  l'an  1100,  on  enseignait  dans  cette  éooie  le  la- 
tin, la  grammaire,  la  poésie ,  la  musique.  C'est  plus  qu'on  n'en  savait  alors 
dans  d'autres  grandes  villes  du  reste  de  l'Europe. 

En  1552,  le  roi  de  Danemarck  établit  un  nouveau  règlement  pour  ces 
deux  écoles.  D  donna  aux  évéques  la  jouissance  de  quelques  biens  que  h 
réformation  avait  enlevés  au  clergé,  et  leur  imposa  l'obligation  de  pour- 
voir à  l'entretien  des  élèves.  Mais  trop  souvent  les  évéques,  an  lieu  de  rem- 
plir noblement  leur  devoir,  s'abandonnèrent  à  un  indigne  sentiment  de 
cupidité.  Bs  prenaient  pour  eux  le  revenu  des  biens  qui  leor  étaient  con- 
fiés, et  dépensaient  pour  les  élèves  le  moins  possible.  Plosieors  fois  le  roi 
leur  éorit  pour  les  rappeler àleur  devoir.  Finnsen  rapporte,  dans  ion  His- 
toire ecclMtuiique,  une  lettre  qui  montre  dans  quels  minces  détails  0 
fallait  entrer,  et  quelles  précautions  on  était  obligé  de  prendre  pour  ga- 
rantir les  pauvres  élèves  stipendiaires  de  l'avance  des  prélats.  Pennettea- 
moi  de  vous  citer  quelques  passages  de  cett^  lettre  vraiment  caractéris- 
Uque,  et  pour  le  temps  où  elle  fut  écrite,  et  pour  le  pays  auquel  eDe 
à'adresse. 

«  L'évéque,  dit  le  chancelier,  qui  parle  au  nom  du  roi,  entretiendra, 
a  pour  l'amour  de  Dieu,  une  bonne  école  et  vingt-quatre  écoliers  :  il 
«  aura  un  professeur  et  un  maître;  il  donnera  au  premier  60  thalers  par 

(I)  De  1685  à  1704.  EUe  éUlt  venne  de  Hoolnm ,  elle  y  retouna.  Entre  autres  bons  Inics 
imprimés  à  Skailiolt  dans  ce  eoort  espace  de  temps,  U  fiiiit  compter  le  UMdnamm  Bok,  la 
tasa  du  roi  Olaf,  les  Harmonies  évangéUques,  la  Grammaire  latine,  le  Umrede  rJMWi^ 
Mens  rapportetoBs  en  Fiance  qjaelqiMs-iDS  de  ces  Unes,  qal  sent  à  présent,  sa  I 
e,devsaiflsxaretéat 


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UTTIBS  8n  L*1SLAI!I]IE.  797 

m  aD  (iSOfiranei),  aibevrrei  poinoo,  Ttckiial,  ou  argent,  connue  11  vou» 
«  dra«It  Inf  ëonnere  de  plui  quatre  montons  rieax  (4  garnie  fàar:  te  chan- 
«  cdier  avait  ans  donte  penr  qne  réreqne  ne  donnât  des  agneaux  ),  trob 
m  meflûrea  ébhme,  une  desel,  une  de  beurre,  deux  cents  poissons  et  da 
«lah. 

arll  densera  an  naître  20  tfaalen  par  an. 

arll  sera  obligé  de  donner  aux  élères  une  bonne  boisson  et  de  bons  ali- 
m  nMBBranx  pins  grands,  à  chaque  repaa,  le  quart  d'un  gros  poisson,  ou 
m  k  moitié  d^Em  poisson  ordinaire;  aux  plus  pedts ,  le  quart  d'un  bon 
c  poisson  et  du  beurre. 

«  Les  repas  derront  être  préparés  à  une  heure  précise,  de  manière  que 
«  les  élètes  ne  négligent  pas  leurs  leçons, 

m  Si  Dieu  Toulait  que  quehiue»-uns  d^tre  eux  derinssent  malades, 
c  Fétéqne  devra  les  garder,  pour  en  prendre  soin ,  et  leur  faire  servir  du 
c  poisson  frais,  du  lait  et  de  la  soupe. 

«  Chaque  année,  à  la  Satnt-Hichel,  il  fournira  aux  élèves  des  véte^ 
«  mens  :  aux  grands ,  dix  aunes  de  vadma!  ;  aux  autres,  sept  aunes. 

c  n  leur  donnera  de  la  lumière  pour  étudier  le  soir  et  pour  se  coucher. 
«  n  ne  pourra,  sous  aucun  prétexte,  les  détourner  de  leurs  leçons  pour 
m  les  employer  à  quelque  travail  que  ce  soit»  et  sera  obligé  de  les  garder 
«été  et  hiver,  a 

Malgré  toutes  ces  précautions,  le»  écoler ne  forent  pas  mieux  entrete- 
nues. Les  mattres  et  les  élèves  se  plaignirent.  Les  évèques  aussi  se  plai- 
gnirent de  ne  pouvoir  satisfaire  aux  ebligatioBS qu'où  leur  imposait,  et, 
en  1746,  ils  obtinrent  une  ordonoanee,  qui.  Sont  en  leur  conservant  le 
même  revenu  (1),  réduisait  à  huit  mois  de  l'année  le  temps  des  études. 
En  1797,  la  réunion  des  deux  évéchés  de  Hoolum  et  de  Skalholt  en  un 
seul  entraîna  celle  des  deux  écoles.  La  nouvelle  institution,  basée  sur  de 
nouveaux  règlemens,  fut  d'abord  établie  à  Rejkiavik  ;  de  là  elle  a  été 
transférée  à  Besesstad.  J'espère  vous  en  parler  plus  au  long  dans  une  pro- 
chaine lettre. 

Nous  arrivions  dans  la  capitale  primitive  de  llslaBde  avec  tous  les  sou- 
venirs de  son  histoire,  rêvant  à  ses  ridies  évéques,  à  ses  réuaioos  de  sa- 
vans;  et  lorsqu'au  détour  d'une  colline  le  guide  bm  dit  :  a  Yoilà  Shal- 
iiolt  !»  je  ne  pouvais  croire  que  le  malheureux  groupe  de  maisons  que 
j'apercevais  devant  moi  Mt  cette  vieille  cité  dont  je  m'étais  fait  un  autre 
tableau.  C'était  pourtant  bien  Skalholt  :  un  pauvre  bœr  de  paysans,  ha- 

(1)  Ce  revenn  montait  à  9,500  thalers  (  7,800  fr.)  pour  Skalholt,  qui  devait  avoir  vingt- 
quatre  élèves,  et  3,000  thalers  pour  Hoolum ,  qui  n*en  avait  que  selie.  Cétait  à  cette  épo- 
que une  somme  considérable  pour  rislande.  Les  évdques  recevaient  en  outre  phuleurs 
élèves  riches  qui  payaient  le  prix  de  leur  pension. 

45. 


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70g  REYUE  BBS  DBCX  M01IBB8. 

bité  par  trois  familles,  qai  se  partagent  la  même  laiterie  et  la  même  ai- 
sine;  une  église  en  bois,  étroite  et  mal  bâtie»  yoilà  SkalholU Le  cimetière 
seul  atteste  qu'il  y  avait  là  autrefois  une  métropole.  Il  est  tracé  daida 
proportions  plus  grandes  que Téglise  et  le  bœr.  Les  morts  ont  mieux prdé 
que  les  vivans  la  place  oCi  fut  le  siège  épiscopal.  Près  da  dmetièfe  soit 
les  ruines  de  Tancienne  école ,  et  l'endroit  où  le  paysan  a  bâti  sa  tristeca- 
bane  est  celui  même  où  TéTéque  avait  autrefois  sa  demeure.  UégUse 
aussi  a  été  reconstruite  sur  un  plan  plus  vulgaire^  et  dans  des  dimeutiw 
beaucoup  plus  petites.  Elle  a  cependant  conservé  quelques  restes  de  a 
fortune  première,  plusieurs  beaux  livres,  plusieurs  omemens  (Tastri 
précieux,  des  chasubles  richement  travaillées,  et  un  calice  esa  vemeil , 
qui ,  à  en  juger  par  ses  ciselures ,  par  ses  médaillons  peints  Éuèuiàf 
doit  remonter  aux  premiers  temps  de  la  renaissance  de  l'art.  Si  je  ne  ne 
trompe,  c'est  le  calice  dont  il  est  parlé  dans  l'histoire  ecclésiastique  dis- 
lande,  qui  fut  apporté  à  Skalholt  par  Tévéque  Klangr  ,  en  1153.  Ce  qu'A 
y  a  ensuite  de  plus  remarquable  dans  cette  église^  ce  sont  des  ioscriptiais 
de  tombeau.  Une,  entre  autres,  m'a  frappé  par  son  expression  poétique; 
elle  fut  faite  pour  la  fille  de  l'é  véque  Yidalin,  qui,  lui  aussi,  peut  être  nà 
au  nombre  des  hommes  distingués  de  l'Islande  (1). 

Je  vais  dans  la  tombe  profonde. 
Heureuse  épouse  du  Seigneur. 
Mon  nom  n*était  pas  de  ce  monde» 
Il  est  dans  un  monde  meilleur. 

La  mort  apporte  &  mon  enfimee 
Le  firoid  baiser  qui  fait  souffrir. 
Hais  gaiement  là-baut  Je  m*ëlance. 
Je  revis  pour  ne  plus  mourir. 

Adieu  donc,  lumière  infidèle , 
P&le  reflet  d'un  Jour  plus  pur* 
Dnd  la  lumière  éternelle 
ITapparalt  dans  ce  ciel  d'azur. 

Nous  visitâmes  tout  Skalholt  et  toutes  ses  ruines ,  et  chaque  pis  qse 
nous  faisions  sur  ce  sol  poétique  ajoutait  à  nos  déceptions.  Nos  réres^ 
passé  furent  interrompus  par  un  incident  qui  ne  pouvait  guère  les  égayer. 
Le  cheval  qui  portait  nos  provisions  avait  pris  une  autre  route  qoe  il 
nôtre.  Noos  demandâmes  du  pain  au  propriétaire  du  bœr;  mais  les B- 
landais  ne  mangent  pas  de  pain.  Pour  le  remplacer,  la  femme  du  pays» 

(i)  Il  a  laissé  plusieurs  recueils  de  sermons,  un  recueil  de  discours  et  de  poésies  hUaa, 
et  un  livre  de  religion  inliluié  :  Postilla  evangelica,  qui  se  trouve  dans  toutes  les  iiuù<^ 
Islandaises.  Il  avait  iié  d'abord  professeur  à  l'école  de  Skalholt,  U  mourut  en  17^ 


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LETTRES  SDR  h'i&LÀNDE.  700 

nous  fit^  avec  de  la  farine  de  seigle^  une  espèce  de  galette,  comme  on  en 
prépare  ici  dans  les  occasions  extraordinaires,  une  galette  qui  n'est  ni 
pétrie  ni  cuite.  Quand  nous  en  eûmes  mangé,  nous  fûmes  tous  malades; 
mieux  valait  encore  faire  diète  ;  et  nous  partîmes  tous  de  Skalholt  plus 
affamés  qu'en  y  entrant. 

De  là  à  THécla,  nous  avions  une  longue  journée  à  faire,  et  deux  larges 
rivières  à  traverser;  mais,  de  distance  en  distance,  nous  voyions  la  tête 
blanche  du  cratère  se  dessiner  comme  un  croissant  entre  les  brunes  som- 
mités des  autres  montagnes ,  et  alors  nous  redoublions  le  pas  et  nous 
marchions  avec  ardeur.  Si  le  long  de  notre  route  nous  avions  été  frappés 
de  toutes  les  traces  sinistres  des  éruptions  de  volcans,  quand  nous  arri- 
vâmes aux  environs  de  TUécla ,  il  nous  sembla  que  nous  n'avions  rien  vu. 
C'est  là  qu'il  fallait  venir  chercher  l'aspect  de  la  ruine  et  de  la  désola- 
tion. Partout  le  sol  bouleversé,  partout  la  terre  enfouie  sous  ce  déluge 
de  feu  ;  des  blocs  de  lave  comme  des  murailles,  des  montagnes  de  cendre 
engendrées  par  le  cratère,  et  vomissant  à  leur  tour  d'autres  montagnes, 
Toilà  ce  que  nous  contemplions  avec  un  sentiment  d'effroi  et  de  stupéfac- 
tion. Cette  fois,  nous  ne  pouvions  plus  suivre  en  droite  ligne  notre  che- 
min. Il  fallait  passer  autour  des  masses  de  pierres,  se  glisser  entre  les 
rochers,  éviter  les  crevasses.  Nous  courions  des  bordées  sur  cette  terre  de 
Tolcans,  comme  un  navire  qui  a  le  vent  contraire,  et  qui  marche  vers  le 
port  en  le  perdant  de  vue.  A  chaque  pas,  un  rempart  de  roc,  une  rivière 
formée  par  la  neige  des  montagnes,  ou  un  marais  baigné  sans  cesse  par  la 
rivière.  Nous  regardions  de  temps  à  autre  l'Hécla,  dont  le  soleil  dorait 
alors  la  robe  blanche ,  et  qui ,  du  haut  de  sa  crête  glacée ,  semblait  se 
moquer  de  notre  fatigue  et  de  nos  efforts.  Enfin,  après  avoir  fait  de  longs 
détours  dans  le  même  cercle  à  travers  la  cendre  et  la  pierre  calcinée,  nous 
arrivâmes  dans  une  jolie  vallée,  abritée  entre  des  rochers,  coupée  par  un 
ruisseau.  Au  fond,  nous  aperçûmes  une  ferme,  un  enclos  de  gazon.  C'était 
bien  un  Eldorado  au  milieu  d'une  terre  aride,  une  oasis  dans  le  désert ,  si 
jamais  il  en  fut.  Nous  établîmes  là  notre  tente,  après  seize  heures  de 
marche.  Nous  étions  au  pied  du  cratère. 

Le  lendemain,  nous  partîmes  avec  un  homme  du  pays  pour  faire  cette 
ascension  de  l'Uécla,  qui,  dès  notre  arrivée  en  Islande,  avait  été  notre 
rêve  le  plus  beau.  Le  totnps  était  sombre,  mais  nous  craignions  qu'un 
autre  jour  il  ne  devint  plus  sombre  encore.  Nous  gravîmes  à  cheval  les 
premières  aspérités.  A  mesure  que  nous  avancions,  nous  pouvions  suivre, 
de  distance  en  distance,  tous  les  élémens  d'une  éruption:  d'abord  la  pierre 
ponce ,  poreuse  et  légère,  qui  monte  à  la  surface  du  cratère,  comme  l'é- 
cume à  la  surface  de  l'eau,  et  s'envole  au  loin  comme  la  cendre  chassée 
par  le  vent  ;  puis  la  scorie  broyée,  tordue  entre  les  masses  de  lave  dont  elle 


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710  BBTmS  DES  DEUX  HOHDES. 

s'échappe;  comme  la  crasse  des  lingots  de  fer;  pois  la  Uto  plus  i 
plus  compacte;  pais  le  basalte  serrée  luisant,  poli  comme  le  marbre ;'pab 
enfin  l'obeidien,  noir  comme  le  jais,  brillant  comme  le  verre ^  dégagée 
tout  alliage  étranger,  et  sortant  du  cratère  pur  comme  Tacier. 

Après  deux  heures  de  marche,  nous  mimes  pied  à  terre,  et  aJon  ^M 
la  fatigue.  Comme  il  avait  (Mlu  nous  précautionner  contre  la  oeîae  ei  h 
froid,  nous  portions  de  grosses  bottes  et  de  lourds  Tétemeni.  Le^heafa 
était  escarpé,  raboteux,  montant  en  droite  ligne  ;  noos  mardilaas  m 
courbant  le  dos ,  et  en  nous  appuyant  sur  nos  genoux.  BientM  i 
TAmes  au  pied  d'une  montagne  hérissée  de  pointes  de  basalte  et  de  i 
de  pierre  détachés  du  sol.  Là,  rien  ne  soutenait  nos  efforts;  quand  ans 
posions  le  pied  sur  un  roc,  il  s*écronlait  sous  nous;  quand  nous  i 
marcher  en  avant ,  nous  redescendions  avec  les  pierres  qui 
Fébranlement  que  nous  leur  donnions ,  et  nous  entraînaient  Ha»^  j 
diute.  Pas  un  arbuste  n'était  là  poumons  servir  d'appai,pasi 
à;  laquelle  nous  pussions  nous  cramponner.  Tout  ce  roc  escarpé  M^ 
comme  une  muraille  nue  et  vacillante,  qui  semblait  s'en  aller  ea  bot» 
ceaux  quand  nous  essayions  de  la  gravir.  A  chaque  instant,  il  bUalt  bobs 
arrêter  pour  nous  reposer  et  r^rendre  haleine.  Qnelqoes-iioft  de  nos 
compagnons  de  voyage  qui  avaient  été  sur  des  montagnes  beaucoup  pfas 
élevées,  nous  disaient  n'avoir  jamais  éprouvé  une  telle  COigae.  Pour  nni, 
je  me  couchais  tout  au  long  sur  les  rochers  de  basahe ,  et  en  étendant  !■ 
jambes  sur  cette  pierre  froide,  féproQvais  une  douleur  comme  n  ou  ase 
les  eût  brisées.  Lorsque  enfin  nous  fûmes  arrivés  an  soomiet  de  cette 
pointe  aigué,  nous  en  vîmes  s'élever  une  seconde  devant  noos,  et  après 
celle-ci  une  troisième,  car  toute  la  montagne  n*est  qu'une  Vmgaesait» 
de  pics  escarpés  étages  l'un  sur  Pautre,  et  fuyant  comme  des  gradins. 

Pendant  que  nous  accomplissions  ainsi  péniblement  notre  asoensioa, 
le  ciel  s'était  assombri.  Le  vent  sifflait;  la  pluie  tomba  à  flots,  et,  m 
peu  plus  haut ,  cette  pluie  était  de  ta  neige.  Alors  une  bmme  épais»  es-^ 
veloppait  la  montagne;  un  rideau  de  nuages  nous  serrait  dans  sessomtoi 
replis,  et  nous  ne  distinguions  plus  rien  autour  de  nous.  Notre  guide, 
las  et  découragé,  refusait  d'aller  plus  loin.  Nous  n'étions  encore  qne  sor 
le  premier  cône  de  l'HécIa;  nous  voulions  continuer  notre  route  jnsqn'aa 
bout.  Après  avoir  employé  toute  notre  éloquence  de  voyageurs,  nous  inl* 
mes  par  le  décider  à  nous  mener  jusqu'au  pied  du  second  cOne;  là,  do«s 
demandâmes  à  aller  au  milieu ,  puis  au-dessus,  et  enfin  sur  la  cime  de 
l'Héda.  L'orage  avait  cessé.  Un  rayon  de  lumière  perçait  à  travo^  les 
brouillards;  mais  c'était  ce  rayon  de  lumière  qui  ne  sert  qu'à  fiiire  mieox 
ressortir  Tobscurité.  Nous  distinguions  au-dessous  de  nous  les  montagnes 
^mme  des  masses  confuses,  la  plaine  couverte  d'une  brume  épaisse,  et  i 


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LETTRES  SUR  l'iSLARDE.  711 

travers  cette  brame ,  cette  plaine  ^  ces  montagnes  ^  le  soleil  voilé  par  les 
nuages  projetait  de  bin  en  loin  une  lueur  vague ,  une  teinte  blafarde. 
Et  tout  était  morne  y  silencieux  comme  le  désert,  profond  comme  Tablme. 
Pas  un  cri  ne  se  faisait  entendre;  pas  un  être  vivant ,  pas  une  plante  ne 
se  montrait  à  nos  yeux.  On  eût  dit  la  nature  morte ,  entourée  par  la  nuit, 
plongée  dans  le  chaos. 

Tout  à  coup  le  rideau  de  naages  se  déddre,  facur  du  del  reparaît, 
les  rayons  du  soleM  édatent  dans  i'espaee.  Le  lo»g  de  la  vaMée,  le  vent 
balaie  le  brouillard ,  qui  s'entr^ouvre,  s'éclaircit ,  et  s'en  va  par  lambeaux, 
léger  et  transparent  comme  un  voile  de  gaze.  D*un  côté,  nous  voyons  re- 
paraître toutes  les  montagnes  qui  environnent  lHécla,  avec  leur  crête 
rouge  et  leurs  bords  cendrés;  de  l'autre ^  lesSocèfial,  qui  portent  dans 
les  nues  leurs  épaules  de  neige  et  lourd  pics  de  glace,  briUans  comme  des 
pointes  de  lance  aux  rayons  du  soleil.  A  nos  pieds,  la  plaine  se  déroule 
au  loin  avec  les  lacs  d'eau  limpide,  qui  parsèment  sa  robe  verte  comme 
des  diamans,  et  les  deux  rivières  qui  la  traversent  comme  des  guirlandes. 
lia  montagne  bleue,  voisine  du  Geyser,  s'élève  au  milieu  de  la  vallée;  et 
devant  nous,  à  l'horizon,  nous  apercevons  comme  une  ceinture  d'or  la 
pleine  mer,  étincelante  de  lumière,  et  les  lies  Westmann. 

Nous  restâmes  saisis  d'un  sentiment  inexprimable  d'admiration  en  face 
d'un  spectacle  si  inattendu^  C'était  le  jour  de  printemps  de  cette  nature 
désolée;  c'était  le  /mI  IU9ù  de  cette  nuit  de  chaos.  Alors  nous  oabliAmes 
en  un  instant  et  la  fatigue  de  notre  excursion  et  le  froid  et  la  neige.  Nous 
saluâmes  d'un  cri  de  joie  enthousiaste  ces  solitudes  lointaines,  et  notre 
Tîeux  guide  lui-même  partageait  nos  transports.  C'était  la  seconde  fois 
de  sa  vie  qu'il  montait  jusqu'au  haut  de  l'Hécla,  et  pour  la  première 
fois  avec  des  Français. 

Ce  jour-là,  c'était  la  fête  de  M.  Gaimard.  Nous  la  célébrâmes  gaiement 
avec  le  vin  de  Champagne  que  nous  avions  apporté,  et  nous  nous  en  re* 
vînmes  en  récoltant  sur  notre  route  des  échantillons  de  lave  et  de  basalte. 
Nous  avions  quitté  notre  tente  à  neuf  heures  du  matin;  nous  y  rentrâ- 
mes à  mwÂt,  ricbes  de  nos  souvenirs,  heureux  de  notre  journée. 

X.  Marmirb. 
B^ktafik,  H  jalUilMS. 


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JEAN-SÉBASTIEN 


L'ORGANISTE. 


Ici  TinstiDCt  musical  est  héréditaire.  En  six  générâtioiis  à  peine 
trouyeriez*vous  deux  membres  de  cette  famille  qui  ii*aient  pas  fait  <fe 
la  musique  roccupation  de  leur  vie.  Un  boulanger  de  Hongrie  fntk 
patriarche  de  cette  féconde  tribu  »  la  tige  luxuriante  d*ou  se  sont 
échappés  tant  de  merveilleux  rejetons.  Au  commencement  da  xr/*s/è- 
cle,  inquiété  par  les  guerres  de  religion,  Yeit  Bach  abandonna  Près- 
bourg,  emportant  avec  lui  tout  ce  qu'il  put  sauver  de  sa  petite  for- 
tune et  gagna  la  Thuringe,  espérant  y  trouver  asUe  et  protectioD. 
II  s'établit  à  Wechmar,  petit  village  situé  non  loin  de  Gotha ,  ob  il 
reprit  avec  sa  profession  ses  études  mu^cales  long-temps  négligées; 
chaque  jour  il  emportait  son  cistre  dans  son  moulin,  et  pr^odail 
en  chantant  de  saintes  mélodies ,  au  milieu  du  fracas  des  meules 
et  des  roues.  Yeit  Bach  jeta  dans  Tame  de  ses  deux  fils  cette  harmo- 
nieuse semence  qu'ils  transmirent  ensuite  à  leurs  énfans,  de  teDe 
façon  qu'il  en  résulta  bientôt  une  famille  musicale  en  possession 
des  charges  les  plus  importantes  dans  presque  toutes  les  contrées 
de  la  Thuringe.  Certes,  les  Bach  n*ont  pas  tous  été  des  hommes 
de  génie  ;  cependant,  à  chaque  génération ,  on  en  compte  au  moins 
deux  qui  se  sont  distingués.  Au  commencement  du  xvii*  siéde,  trois 
jetmes  gens ,  petits-fils  du  vieux  Bach,  s'annoncèrent  par  de  si  heu- 


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JEAK-SÉBASTIEN.  713 

reux  débuts,  qu'ils  furent  jugés  dignes,  par  le  comte  régnant  de 
Schwarzbourg-Arnstadt ,  d'être  envoyés  en  Italie,  pour  y  terminer 
leurs  études  à  ses  frais.  On  ne  peut  dire  jusqu'à  quel  point  ils  répon- 
dirent aux  espérances  de  leur  noble  protecteur,  car  il  ne  nous  est 
rien  parvenu  de  leurs  ouvrages.  Il  en  eût  été  de  même  de  la  qua* 
trième  génération,  et  d'admirables  morceaux  seraient  aujourd'hui 
tout-à-fait  inconnus,  si  Jean-Sébastien  n'avait  eu  soin  de  les  con- 
server. Voici  les  noms  des  maîtres  de  la  famille  Bach,  dont  il  reste 
des  firagmens  importans. 

Jean-Christophe,  organiste  de  la  cour  et  de  la  ville,  à  Eisenach.  Il 
a  surtout  inventé  de  simples  et  d'heureuses  mélodies.  Dans  les  archi- 
ves de  la  famille  que  Gharles-Phiiibert-Emmanuel  Bach  conservait  à 
Hambourg,  on  a  trouvé,  parmi  bien  d'autres  pièces,  un  motet  de 
sa  composition  dans  lequel  il  avait  essayé  de  faire  usage  de  la  sixte 
augmentée;  audace  iaouie  à  cette  époque.  Pour  se  convaincre  des 
études  profondes  et  sévères  que  Jean-Christophe  avait  faites,  il  suffit 
de  lire  un  morceau  d*église  sur  ces  paroles  :  es  erhub  Hch  eïn  streit, 
composé  par  lui  à  l'occasion  de  la  fête  de  saint  Michel  Ce  fragment 
est  écrit  pour  vingt-deux  voix  obligées.  Ch.-Ph.-Emmanuel  en  faisait 
grand  cas.  a  Je  me  souviens,  écrit  Forkel,  d*un  jour  oii  le  vieux  et 
digne  homme  me  fit  entendre  quelques-unes  de  ses  anciennes  com- 
positions ;  il  jouait  de  mémoire  et  semblait  dépenser  le  peu  de  forces 
qui  lui  restaient  à  faire  mouvoir  ses  pauvres  doigts  engourdis  par 
l'âge  ;  il  fallait  le  voir  s'épuiser  en  travail  autour  de  ces  graves  études, 
suivre  le  motet  à  travers  toutes  ses  transformations,  et,  lorsque  re- 
paraissait libre  et  pur  le  chant  qui  lui  rappelait  sa  jeunesse ,  sa  famille 
et  ses  amours  de  vingt  ans,  il  fallait  voir  le  vieillard  sourire  avec 
béatitude  et  mouiller  de  ses  larmes  les  touches  du  clavier,  d  Après 
Christophe  viennent  son  jeune  frère  Jean-Michel,  organiste  et  gref- 
fier de  la  ville ,  et  Johann  Bemhard,  musicien  delà  chambre  et  orga- 
niste à  Eisenach;  il  a  écrit  surtout  de  belles  ouvertures  dans  le  style 
français. 

Non  seulement  ceux  que  je.  viens  de  citer,  mais  encore  plusieurs 
autres  membres  de  cette  famille,  auraient  pu  sans  contredit  obtenir 
des  charges  plus  importantes,  s*ils  eussent  voulu  abandonner  b 
Thuringe  et  se  faire  connaître  hors  de  leur  patrie.  G*est  vraiment 
une  belle  chose  à  contempler  que  la  vie  simple  et  laborieuse  de  ces 
premiers  artistes.  U  était  réservé  à  l'Allemagne  de  posséder  tontes 


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714  RETtfil  DES  BSUX  MOKBBS. 

les  gloires  naïves  et  sofitaires,  et  la  terre  d'Albert  DSrer  et  deSi- 
bein  devait  anssi  donner  au  monde  la  famHIe  Bach  et  Beetlio?eii.E& 
effet,  c'est  là  surtout  qu'on  trouve  ees  hommes  de  consdenoe  et dt 
foi  qui  passent  leur  vie  en  foce  d'une  toile  ou  d'an  clavier,  mu 
pures  et  tendres  qui ,  dans  leurs  naïves  spéculations ,  cherchent  i 
réaliser  leur  idéal  par  une  tête  de  saint  ou  par  une  rdigieusemik)- 
die;  artistes  dévoués  an  travail  qui,  dans  leurs  momens de kw, 
sortent  de  l'atelier  pour  rentrer  dans  la  femille ,  et  se  gardent  bîai 
d'éparpiller  leur  existence  dans  les  pays  étraagers  et  d'aller  j 
chercher  des  discussions  et  des  théories  nouvelles ,  persuadés  qn'ib 
sont  qu'entre  Tœuvre  et  Tartiste,  une  seule  chose  peut  slnter- 
poser  :  la  foi;  et  cette  foi,  où  la  trouveraient-ils  sur  la  terre, siée 
n'est  dans  le  fond  de  leur  ame? 

Les  membres  de  la  famille  Bach  conservèrent  toujours  les  uns  poar 
les  au^es  un  tendre  attachement;  comme  fls  ne  pouvaient  faabto 
tous  ensemble  et  voulaient  cependant  entretenir  leur  franche  et 
loyale  amitié,  ils  fondèrent  la  coutume  de  se  réunir  une  fois  Tan  et 
un  lieu  désigné.  Lorsque,  dans  la  suite,  la  famille,  devenue  (dusMS- 
breuse,  se  fot  dispersée  hors  de  la  Thuringe ,  d^uis  la  Haute^SoBf 
en  France,  en  Italie,  cette  fête  annuelle  n'en  sXibshta  pas  mm. 
Le  lieu  du  rendez-vous  était  ordinairement  Erfiirt,  Eisenadi  oi 
Amstadt  ;  selon  l'habitude  d'alors  de  sanctifier  toutes  cbosesparhi 
pratiques  religieuses,  sit6t  après  les  premiers  embrassemens  «  3s  en- 
tonnaient un  choeur.  G^était  d'abord  un  chant  large  et  sévère,  nne 
action  de  grâces  envers  Dieu  qui  leur  permettait  de  se  revoir  heoRSX 
et  bien  portans;  ensuite  la  musique  devenait  triste  et  lente,  et  w 
s'agenouillaient  priant  pour  leurs  vieux  parens  morts«  Enfin,  on  se 
levait,  et  le  chœur  finissait  par  un  hymne  où  les  pères  appdaieÉ 
toutes  les  bénédictions  du  ciel  sur  la  tête  de  leurs  enfens.  Nal  to» 
ger  n'était  admis  à  contempler  cette  première  effusion  d'amour,  et 
les  gens  de  Pauberge  qui ,  attirés  par  le  bruh,  venaient  écorteri 
la  porte,  ne  pouvaient  entendre  sans  émotion  ce  concert  hannoniesi 
de  tant  de  voix  de  la  même  famille;  car,  de  même  que  lesBadise 
ressemblaient  par  la  vigueur  du  corps  et  les  signes  du  visage,  ôà 
leurs  voix,  sans  être  tout-à-fait  pareiDes,  avaient  entre  cBcs  fc 
rapports  faciles  à  reconnaître  et  dont  on  était  frappé,  surtout  «i 
entendant  la  voix  aiguë  et  frêle  de  l'enfant  monter  autour  de  eefe 
de  son  père  qui  la  soutenait  dans  rharmonie,  conune  le  pesst 


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JEAN-SÉBASTIEN.  Vl{( 

*eiui  soutient  dans  Tair  ses  petits  dont  les  plames  commencent  à 
Musser. 

Après  cette  pieuse  introduction  »  ils  se  mettaient  à  table  et  son- 
>aient  joyeusement.  A  la  fin  du  repas»  la  musique  reyenait;  seu- 
emeat  les  hymnes  foisaient  place  aux  chansons  nationales»  car  oes 
loiBmes  étaient  d*abord  chrétiens»  puis  Allemands:  après  Dieu,  la 
>atrîe.  Ces  chœurs  mettaient  en  émoi  toute  la  ville;  les  passans 
Tarrétaient  en  groupe  autour  de  la  maison.  L'aubergiste  officieux 
ntroduisait  avec  un  air  de  protection  ceux  qui  dépensaient  le  plus 
ussidument  leurs  revenus  chez  lui  »  et  laissait  les  autres  se  morfondre 
i  la  porte.  On  a  dit  que  les  Bach  avaient  improvisé»  dans  oes  réu- 
lions,  plusieurs  airs  qui  depuis  sont  devenus  populaires.  Je  pense 
{u'il  faut  croire  plut6t  qu'ils  les  ont  tout  simplement  variés»  attendu 
ja'oD  en  peut  voir  en  grande  partie  les  idées  primitives  dans  un 
recueil  imprimé  à  Vienne»  en  1542. 

Cependant  tous  ces  braves  et  joyeux  Thuringiens  seraient  au- 
jourd'hui dans  l'obscurité»  s'il  n'était  sorti  de  leur  sein  un  homme 
Sont  la  gloire  fut  telle»  qu'il  en  a  rejailli  sur  leur  tombe  une  douce 
umière;  et  cet  homme»  c'est  Jean-Sébastien»  [le  joyau  de  sa  fo- 
mlle,  l'organiste  de  sa  patrie»  FenÊint  le  plus  chéri  de  la  Musique^ 

Jean-Sébastien  est  né  à  Eisenach»  le  SI  mars  de  l'année  1685. 
Son  père»  Jean-Ambroise»  maître  de  musique  de  la  cour»  avait 
m  frère  jumeau»  nommé  Gbrysostôme»  qui  exerçait  à  Amstadt  la 
Qnème  profession»  et  tous  deux  se  ressemblaient  tellement»  que 
leurs  femmes  ne  savaient  les  distinguer  l'un  de  l'autre  que  par  le 
vêtement  Ils  avaient  la  même  voix»  le  même  geste»  et  s*aimaient 
bien»  car  leurs  sensations  comme  les  lignes  de  leur  visage  étaient 
toutes  pareilles.  La  ressemblance  de  ces  deux  êtres  devenait  plus 
parfiiite  et  plus  harmonieuse  encore  dans  les  phénomènes  spirituels. 
Bans  leurs  croyances»  dans  leurs  pensées»  dans  leur  style»  partout 
la  même  unité;  c'étaient  deux  vases  faits  du  même  métal;  aussi  rien 
d*6tonnant»  lorsque  le  monde  extérieur  les  frappait,  qu'ils  rendissent 
le  même  son.  Si  Fun  était  malade»  l'autre  ne  tardait  pas  à  se  mettre 
au  lit;  ils  moururent  presque  en  même  temps,  et  furent  un  siyetde 
curieuses  observations  pour  les  savans  qui  les  approchèrent. 

Jean-Sébastien  avait  à  peine  dix  ans  lorsque  mourut  son  père;  fl 
avait  aussi  perdu  sa  mère  depuis  peu.  Le  pauvre  enfeuit  pleura  bien 


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716  BEYUB  DES  DEUX  UOIfBES. 

de  se  voir  orphelin  si  jeune;  il  quitta  Eiseoach  et  vint  se  réfs- 
gier  chez  son  frère  alnè,  Jean-Christophe^  or{^iste  à  OrdmfT.  Ce  fot 
de  lui  qu'il  apprit  à  poser  ses  doigts  sur  le  clavier»  et  dès  ce  mo- 
ment se  développa  son  aptitude  musicale.  A  peine  avait-H  en  ses 
mains  un  morceau  que  son  frère  lui  donnait  à  travailler,  quH  es 
demandait  un  plus  difficile.  Les  plus  célèbres  compositeurs  de  cb- 
vecin  étaient  alors  Froberger,  Fischer,  Johann  Casp.  Kerl,  Pachd- 
bel,  Buxtehude»  Bruhns,  Bohm.  Sébastien  s*était  aperçu  quesoB 
frère  possédait  un  livre  qui  renfermait  diverses  pièces  de  ces  mat- 
très.  11  supplia  son  frère  de  lui  donner  ce  livre.  Christophe  refica, 
craignant  sans  doute,  ce  qui  du  reste  arriva  plus  tard,  que  Féco- 
lier  ne  dépass&t  le  maître.  Mais  le  désir  de  la  possession  grandissant 
tous  les  jours,  et  Sébastien  désespérant  de  jamais  obtenir  ce  pré- 
cieux trésor,  il  résolut  de  s'en  emparer.  Un  jour  que  son  frère 
était  sorti  pour  remplir  les  devoirs  de  sa  charge,  il  pénètre  dans 
son  cabinet,  et  bientôt  aperçoit  le  livre  à  travers  les  grillages  de  h 
bibliothèque;  il  porte  la  main  à  la  serrure,  mais  la  clé  manque, 
car  Jean-Christophe,  honnête  et  digne  maître  de  chapelle,  connaît 
toute  la  valeur  de  ses  manuscrits  et  se  garde  bien  de  les  laisser  au 
pillage  de  ses  élèves.  Le  pauvre  Sébastien  jette  un  dernier  regard 
sur  le  cahier.  Quelle  amèrc  douleur  de  voir  tant  d*hannonie  s'en- 
fouir dans  la  poussière  d'une  armoire,  tant  de  notes  qui  voudraient 
chanter  en  plein  air  rester  silencieuses  comme  de  beaux  oiseaux 
en  cage  I  et  plus  il  fixait  les  yeux  sur  ce  livre ,  plus  grandisssât  Vha^ 
lucination;  tout  un  concert  tintait  à  ses  oreilles.  Cependant  Thenre 
avançait,  Jean-Christophe  allait  rentrer.  Lorsque  Roméo,  averti 
par  la  voix  de  l'alouette,  quitta  la  chambre  de  sa  bien-aimée ,  il  jeu 
sur  elle  un  regard  moins  triste  et  moins  baigné  de  larmes  que  ne  k 
fut  celui  de  Sébastien  lorsque,  pour  la  dernière  fois,  il  contemph 
le  divin  manuscrit.  Il  était  déjà  sorti  du  cabinet  et  s'en  aUaiti 
pas  lents,  déplorant  le  peu  de  succès  de  son  entreprise;  tout  i 
coup  un  rayon  lumineux  le  frappe;  il  revient,  et  se  place  de  non- 
veau  devant  l'armoire,  essayant  de  glisser  ses  mains  à  travers  le 
grillage.  Par  bonheur  les  mailles  sont  assez  larges  et  ses  bras  assex 
petits,  n  saisit  le  cahier,  le  roule,  et  le  tire  dehors.  Deux  jours  après, 
Sébastien  était  déjà  bien  embarrassé  de  son  trésor,  car  il  ne  pouvait 
s*en  servir  qu'en  secret  :  Christophe  était  toujours  là ,  et  du  matîa 
au  soir  ne  le  quittait  pas  un  instant  La  nuit,  c'était  la  même  sar- 


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JEAN-SÉBASTIEN.  717 

reillance.  A  neaf  henres  le  jeune  écolier  se  coachait,  son  mattre 
menait  le  visiter,  ponr  s'assurer  cpie  toute  chose  était  bien  à  sa  place, 
H  s'éloignait,  en  ayant  soin  d'emporter  la  lampe.  N'importe,  Jean- 
Sébastien  eut  bientôt  trouvé  moyen  de  travailler  la  nuit  :  il  avait 
toujours  le  précieux  volume  sous  son  oreiller  ;  et  lorsque  venait  une 
t>elle  soirée  d*été,  il  se  levait,  ouvrait  sa  fenêtre,  et  se  mettait  à 
chanter  aux  sereines  fraîcheurs  de  l'air,  à  la  tremblante  et  douce 
lumière  des  étoiles.  Cela  dura  pendant  six  mois;  le  pauvre  enfant  ne 
iormaitpas;  autant  de  belles  nuits,  autant  de  veilles  laborieuses; 
lorsque  pendant  ses  heures  d'études  ses  petits  yeux  voulaient  se 
Fermer,  il  les  mouillait  pour  les  tenir  ouverts;  et  si  par  hasard  la 
douleur  devenait  plus  cuisante,  il  en  cherchait  la  cause  et  finissait 
par  se  dire:  <x  C'est  vrai,  voilà  trois  nuits  que  je  veille;  je  dormirai 
demain,  s'il  pleut,  jd  Le  lendemain  il  ne  pleuvait  pas:  le  firmament 
resplendissait  d'étoiles,  et  la  lune  descendait  du  ciel  pour  le  visiter 
dans  sa  chambre.  Cependant  tant  de  travail  épuisait  cette  nature 
Frêle ,  et ,  faute  de  sommeil,  le  bel  enfant  se  flétrissait.  Ses  yeux  de* 
venaient  faibles,  ses  joues  creuses, ^t  tous,  dans  la  maison,  le 
croyaient  pris  de  quelque  mal  de  langueur.  Christophe  en  fut  d'abord 
inquiet;  mais  ne  Fentendant  se  plaindre  d'aucune  souffrance,  ne  le 
voyant  ni  triste  ni  mélancolique ,  il  commença  bientôt  à  comprendre 
qu'il  y  avait  là-dessous  quelque  passion  en  jeu,  et  que  la  pâleur  de 
Bon  visage  était  moins  celle  d'un  malade  que  celle  d'un  alchimiste 
occupé  aux  mystères  de  son  art.  Seulement  il  fut  six  mois  à  dé- 
couvrir ce  qu'une  mère  aurait  découvert  en  huit  jours. 

Un  soir,  après  la  visite  de  Christophe/ Sébastien  entr'ouvrit  ses 
rideaux,  et^  voyant  sa  lampe  de  travail  suspendue  au  zénith,  se  leva 
et  vint  à  la  croisée.  D  déploya  sur  les  barreaux  son  cahier  mys- 
térieux, et  voulut  se  mettre  à  chanter  selon  son  habitude.  Il  en 
était  à  la  dernière  leçon,  la  plus  longue  et  la  plus  difficile  de  tou- 
tes, et  ces  notes,  qui  la  veille  s'animaient  à  son  premier  regard  et 
devenaient  sonores  comme  la  statue  magique  aux  rayons  du  soleil, 
se  serraient  en  bataillons  épais  comme  pour  empêcher  le  jeune 
artiste  de  pénétrer  jusqu'au  fond  de  l'idée  qu'elles  enveloppaient. 
Sébastien  était  là  depuis  une  heure ,  lisant  les  notes  une  à  une ,  par- 
courant du  doigt  les  lignes  et  les  pages,  et  toujours  arrivant  à  la 
fin  du  morceau  ssms  avoir  pu  en  saisir  l'unité.  Il  faut  dire  que  du 
commencement  à  la  fin  le  morceau  était  d'une  si  ftpre  difficulté, 


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718  UTUE  us  BBCX  IIÛ1CDE8. 

qu'il  n'y  avait  pas  dans  toute  rÂllemagno  ua  makre  de  chapdIecB 
état  de  le  déciiiffrer  à  première  vue.  Le  pauvre  eaEam  s'obli- 
nait;  et  telle  était  sa  donleur  de  ne  pas  réas^,  que  les  notes  » 
diangeaient  pour  lui  en  épines  qui  déchiraient  sa  main  tontes  hi 
fois  qu  elle  retombait  sur  le  papier  en  battant  la  mesure.  Euh, 
après  deux  heures  de  travail  et  de  persëvèranoe  »  la  nuit  devint  pka 
sereine,  les  éunles  brillèrent  d'une  clarté  plus  vive ,  et  la  Itm,  m 
a'inclinantàrborizon,  inonda  de  lumière  rhièroglyphiqne  papec 
Sébastien  profite  de  ce  uMMient,  redouble  de  travail,  et  trouve  dui 
lecoîa  d*nne  page  trots  mesures  qu'il  n*avait  point  encore  apa^nes^tf 
qui,  du  premier  coup,  lui  expliquent  une  transition  dont  fl  cber- 
chait  en  vain  à  se  rendre  compte.  Dès-lors  la  pensée  intime  de» 
morceau  lui  est  révélée;  il  le  possède»  il  le  domine,  il  en  es 
maître;  et  de  peur  qu*ua  nuage  ne  vienne  éteindre  la  lampe  fa 
réclaire,  il  le  répèle  à  baule  voix,  afin  de  rapprendre  par  oobb. 
Tel  est  son  entbonsiasme  qu'il  oublie  et  son  frère,  et  les  vofêiBS(p 
dorment,  et  les  obîeBS  qui  vont  hurler  s'il  les  ëveiDe,  et  se  met  à 
lancer  de  toutes  les  forces  de  sa  poitrine  sa  voix  de  fausset  claire  et 
Hmpide,  qui  fend  les  airs  et  monla  avec  des  sons  aigus  et  méuffi- 
<pies»  notait  encore  dans  tout  le  délire  d'un  enfant  de  cixnnr,  kxf- 
qn'il  se  sentit  étreiodre  par  une  mainosseusa.  H  se  détourne  avee 
^froi,  ec  aper^t  un  grand  £antôme  blanc  qui  le  regarde  aw 
gravite,  ramasse  le  cahier  tombé  à  terre,  et  s'éio^gne  sttas  mi 
dire*  -—  Jean-Sébastien  ne  retrouva  son  livre,  le  trésor  de  ses  wàà 
d'été,  qu'après  la  mort  de  son£rène,  Jean-Christophe,  orgaaisti 
à  Qrdb^uff. 

Dès-Jors,  n'ayant  plus  defamiUe,  Sébastien,  en  c(mipagme<ftf 
doses  condisciples,  Erdman,  qui  ftu  depuis  résident  impérial i 
Dantzîg,  s'en  vînt  à  Liiaebourg'et  se  fit  recevoir  oomme  presMT 
dessus  dans  tes  chœuns  de  l'école  de  Saint-Michel.  Sa  belle  m 
lai  procura  de  grands  succès  dans  cette  ville,  mais  il  laperditirâgi 
de  la  mue.  Cet  accident  ne  fit  qu'accroître  l'ardente  passioD  qi't 
avait  pour  l'orgue.  Ce  fut  alors  qu'il  se  rendid  pour  la  pranèfett 
à  Hambourg,  afin  d*y  assister  aux  improvisations  du  oèlèbre  vffr 
niate  Jean-Adam  fisinken,  et  qa'il  entreprit  le  voyage  de  Celle,  ab 
d'étudier  le  style  de  notre  musique,  la  chapelle  de  cette  ville  êtti 
composée  en  grande  parUe  de  musiciens  firançais.  I  * 

JVonsIfnoronsqueUesiuremlescirconslanoesqairameaèfestà  I  f 


I 


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ISAN^-siBASTIEir.  719 

Lûnebocurg  àWeimar;  maïs  une  chose  certaine,  c^iest  qn^eii  1708 
il  ffj  trouYait  comme  musicien  de  la  conr.  L*annëe  cniiTaiite,  il 
changea  cette  place  contre  celle  d'organiste  à  k  nouvelle  église 
d'Amstadt,  sans  doute  afin  de  se  livrer  tout  entier  à  Fétude  de 
Forgue,  ce  qull  ne  pouvait  foire  à  Weimar ,  oii  il  était  engagé  comoM 
violon.  Grâce  aux  petits  revenus  de  sa  place,  il  fut  dès-lors  ea  état 
de  se  procurer  les  œuvres  des  grands  maîtres  de  ce  temps. 

Ainsi,  parure  entre  les  devoirs  de  sa  charge  et  ses  travaux  par- 
ticuliers, Sébastien  était  hewreux;  le  matin,  il  Feuilletait  ses  volumes 
de  contrepoint,  passait  en  revue  tout  ce  qu'on  avait  écrit  avant  lui 
sur  la  fugue,  ou  lisait  avec  amour  et  recueillement  quelque  befle 
composition  de  Buxtehude;  puis,  il  se  levait,  brossait  avec  grand 
soin  son  habit  vert,  qui  lui  servait  aussi  les  jours  de  fête ,  et  se  tea* 
dait  à  son  orgue  dans  la  nouvelle  église  d'Amstadt  Après  la  thèo* 
rie  rensût  la  pratique;  après  avoir  rempli  sa  tète  de  science,  le 
jeune  maître  venait  exercer  son  esprit  et  ses  doigts  aux  fatigues  de 
Fimprovisation.  Enfermé  dans  son  église,  Sébastien  commençait  h 
séance  par  quelque  fugue  de  Fischer  ou  de  Bôhm ,  et  souvent  après 
cet  âpre  et  sévère  exercice,  il  sentait  le  besoin  de  s'abandonner  à  sa 
fantaisie,  ainsi  qu'un  jeune  aiglon  au  caprice  de  son  aile.  Alors  ses 
doigts  se  posaient  et  couraient  quelque  temps  incertains  sur  le  cla- 
irier;  puis  ib  entamaient  bientôt  unmotif  improvisé,  ou  des  variations 
sur  un  de  ces  airs  francs  et  nàSh  comme  en  chantaient  autrefois 
Frosch  et  Bander  dans  la  taverne  d'Auerbach  à  Leipzig.  Quand 
Fhorloge  sonnait  cinq  heures ,  le  maître  se  levait  et  traversait  feu-* 
tement  la  ville  pour  retourner  à  sa  chambre  d^études.  —  Ahl 
lieux  docteur  Faust,  qu'aurais^tu  dit  si,  après  une  de  ces  nuits  oft 
tes  cheveux  "blanchis  tombaient  de  ton  front  sur  les  parchemins  ca- 
bafistiques,  en  ouvrant  ta  fenêtre  par  un  beau  matin  de  printemps» 
tu  avais  vu  passer  la  figure  calme  et  sereine  d'Albert  Dorer  ou  de 
Jean-Sébastien?  Ohl  comme  tes  yeux  arides  auraient  encore  trouvé 
des  larmes  en  face  d'une  telle  béatitude;  comme  tes  mains  se  seraient 
levées  au  ciel  ;  comme  tu  te  serais  écrié  de  toutes  tes  forces  :  «  Que 
font-ils  donc  ces  hommes  pour  être  si  heureux?  »  Peut-être  une 
voix  Ceût  répondu  :  <r  Ces  hommes  n'ont  pas  lutté  contre  le  fioC 
des  siècles;  ils  se  laissent  aller  au  courant  qui  les  emporte,  tandis 
que  toi  tu  es  monté  sur  un  rocher,  croyant  escalader  le  ciel,  et 
maintenant  voilà  que  le  dernier  échelon  te  manque;  tu  as  voulu  créer 


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720  REYUS  DES  DEUX  MORDES» 

un  monde  pour  toi  seul,  et  voilà  que  tu  viens  d*en  atteindre  les  Ihai- 
tes ,  et  que,  bien  avant  de  mourir,  tu  t'arrêtes  faute  de  chemiD.Ces 
hommes  enveloppés  dans  la  nature  ne  se  sont  pas  efforcés  d*en  sortir 
ou  d'y  pénétrer  plus  profondément  qu  on  ne  le  doit.  9  Alors»  Yieoi 
alchimiste,  tu  te  serais  dit,  en  te  frappant  la  poitrine  :  Il  est  doue 
yrai,  le  bonheur  eiûste  sur  la  terre;  et  si  je  suis  si  malheareoxyb 
faute  en  est  à  moi,  qui  l'ai  voulu  trouver  là  où  Dieu  ne  Ta  pasok 

La  vie  de  Sébastien  s'écoulait  avec  calme  et  sérénité;  aucane  pas- 
sion étrangère  n*était  venue  encore  troubler  la  transparence  de  cette 
ame  vouée  au  culte  de  Fart.  Tous  les  jours  recommençait  avec  l'ao- 
rore  la  double  étude  de  l'orgue  et  du  contrepoint.  Ainsi  croissait  i 
l'ombre  ce  jeune  et  frais  arbuste;  ainsi  grandissait  Sébastien  dâos 
la  quiétude  la  plus  pure,  dans  Tobscurité  la  plus  profonde,  benieax, 
quoique  ignoré  de  tous;  car  on  ne  le  rencontrait  jamais  à  la  pro- 
menade ,  et  le  dimanche,  après  Toffice,  la  foule  s'écoulait  paisible- 
ment par  toutes  les  portes  sans  chercher  à  savoir  quel  était  cet  aoge 
qui  venait  de  répandre  sur  elle  des  torrens  de  céleste  harmonie,  b- 
différence  qui  peut  paraître  étrange  de  nos  jours,  et  qui  poortut 
s'explique  facilement  à  une  époque  où  l'étude  de  Torgue  était  telto- 
ment  répandue,  qu'on  n'aurait  pas  trouvé,  dans  toute  rAUemagoe, 
un  si  petit  village  qui  n'entretint  au  moins  un  organiste  pour  le  ser- 
vice  régulier  de  son  église.  Jamais,  d'ailleurs,  dans  ces  temps  if 
croyances,  Tidëe  ne  venait  au  peuple  de  chercher  des  causes  ma* 
térielles  à  des  effets  puissans  qui  l'émouvaient  jusqu  à  loi  faire  oi- 
blier  ses  travaux  et  sa  misère.  Enveloppé  comme  il  Tétait  daosis 
Uens  du  fatalisme  et  de  la  servitude,  il  tendait  toujours  à  s'éleyer,  et 
toute  chose  qui  l'aidait  en  son  essor,  il  Facceptait  conune  venant  di 
del,  et  rappelait  divine.  Quand  une  peinture  céleste,  qoand  00e 
auguste  et  sainte  mélodie  l'emportait  dans  le  royaume  des  cookirs 
ou  des  sons,  c'est  Dieu  qu'il  remerciait,  sans  s'inquiéter  si  rinstn- 
ment  dont  il  s'était  servi  pour  l'émouvoir  s'appelait  Durer  oa  Se- 
bastien. 

Ainsi ,  depuis  deux  ans  que  le  jeune  organiste  d*Arnstadt  reinpb' 
sait  assidûment  les  devoirs  de  sa  charge,  nul  dans  toute  b\% 
n'avait  encore  songé  à  s'enquérir  de  son  nom.  Sébastien  était  toot-i- 
fait  inconnu;  nuiis  cette  obscurité  avait  bien  ses  charmes;  etsik 
dimanche ,  en  se  promenant  après  TofKce,  il  n'avait  pasenooretf 
la  satisfoction  de  voir  ces  braves  Allemands,  tout  émus  des  fwssi^ 


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JSAN-SÊBASTIEN.  7S1 

mâodies  de  son  orgue»  le  saluer  avec  sérénité^  il  ignorait  quel  ennui 
c'est  pour  un  musicien  d'être  abordé  par  un  sot  importun  qui  vient 
lui  jeter  à  la  face  toute  sorte  de  stupides  louanges  »  et  finit  par 
l'inviter  à  venir  improviser  le  soir  sur  le  clavecin  de  sa  fille.  Du  reste» 
Sébastien  n'avait  pas  eu  grand'peine  à  s*accommoder  de  cette  soli- 
tude :  il  n'ignorait  rien  de  ce  qu'il  avait  à  faire  avant  d*atteindre  son 
but;  il  savait  que  la  graine  ne  fleurirait  pas  si  le  sol  dans  lequel  on 
Fa  semée  ne  s'épuisait  à  la  nourrir  de  sa  sève.  Ce  n'est  pas  Lui  qui 
aurait  accusé  son  siècle  d'ingratitude.  De  nos  jours ,  il  en  est  autre- 
ment :  le  premier  venu  qui  se  met  à  gratter  une  toile  ou  du  papier, 
se  dit  tout  au  moins  Albert  Durer  ou  Mozart,  et  si  le  peuple,  qui  d'ha- 
bitude ne  se  traîne  pas  à  la  suite  d'une  école,  parce  qu'il  les  juge 
toutes  dans  son  vaste  bon  sens,  ne  s  émeut  pas  à  toutes  ces  merveilles 
de  sons  et  de  couleurs,  donnant  pour  raison  qu'il  a  une  ame  et  que 
nul  ne  parait  encore  s'en  être  occupé,  alors  poètes  et  musiciens  se 
retirent,  et  ces  gloires  éplorées  passent  leur  vie  à  se  draper  sur  des 
ruines.  Est-il  rien  de  plus  ridicule  que  ces  hommes  qui  se  font  eux- 
mêmes  une  couronne  avec  les  lauriers  de  leur  jardin,  et  s'irritent  si 
leur  siècle  ne  la  consacre  pas?  Avant  d*accuser  son  siècle  d'ingrati- 
tude, il  convient  d'avoir  fait  pour  lui  des  choses  grandes  et  morales» 
et  le  premier  venu  n'est  pas  en  droit  de  crier  au  passant  :  Va  dire  à 
Rome  que  tu  as  vu  Marius  assis  sur  des  ruines. 

Parmi  tous  les  compositeurs  sacrés  de  son  temps,  celui  que  Jean- 
^bastion  admirait  le  plus,  c'était  Dieterisch  Buxtehude,  organiste 
A  Lubeck.  Sébastien  aimait  surtout  le  style  large  de  ce  maitre» 
et  depuis  long-temps  ressentait  un  bien  vif  désir  de  le  voir  et  de 
l'entendre  travailler  pendant  tout  un  dimanche.  Mais  comment 
faire?  Avec  ses  revenus  il  avait  à  peine  de  quoi  vivre,  et  le  peu 
d'argent  qu'il  tenait  de  sa  famille ,  il  lavait  employé  à  se  procurer 
les  livres  indispensables  à  ses  études.  Ainsi,  faute  d'argent,  le  voyage 
était  impossible;  il  fallait  bien  se  résigner,  et  chaque  fois  que  le 
désir  venait,  il  s'asseyait  devant  son  clavecin  et  commençait  une 
fugue.  Mais,  hélas!  le  remède  ne  faisait  souvent  qu'irriter  la  dou- 
leur, car  le  morceau  qu'il  étudiait  était  ordinairement  de  Buxtehude. 
Toutefois  cette  grande  passion  de  voyage  semblait  s'être  un  peu 
calmée;  Sébastien  paraissait  avoir  pris  son  parti,  lorsqu'un  jour^ 
au  sortir  de  la  messe,  un  amateur,  membre  du  corps  des  musi- 
ciens de  la  ville  d'Amstadt,  lui  remit  une  nouvelle  fugue  avec  pé- 
TOME  viu  46 


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1991  EETUB  IMBB  MITX  MMDB8* 

•flaile  obKgée'deBoxtehade,  snr  laqoéHeil  isenniMeii  «in, 

^'aroir  Iiitîs  d'un  jeune  homme  qui  flomaH  deaigfaitdBtfip>> 

«nées.  Sébastien  iressailKt  de  ifimsrr,  *€ft  covrot'^^nfcnier'dmB 

«chambre  aivec  son  trésor.  Geites,  lorsqaH  entendait  les  iJMhi 

Aranier  les  mmiBiiDes  de  son  laboratoire  et  regaria3t1»G«Krfftltilr, 

le  vieux  Wagner  était  moins  occupé  à  ses  fcumeaiis'qae  aeleitw 

jour'fà  Jean-Sébastien  à  son  davier.  Uarten^ffet^eat  «ae  chnefn 

*méle  enserablepourun  grand  œovre,  au  Heu  de^sucBtByMériea,  ies 

Douleurs  et  des  sons.  Si  vouscraignez  comme troe  maladie  ie^Wr 

«qui  vous€xalte  Tarae  et  remporte  auxrëgions  delorière  oà 

a  vn  Bé^trix,  Pétrarqae  Laure»  Hdfftnan  dona  Amna,  ne 

cfinez  jarmais  sur  les  partitions  *de  Don  Juan  on  de  PregMàiu^fm 

plus  que  sur  les  fourneaux  de  Paracelse ,  car  il  Ven  «xlnlD  dn  ft- 

peurs  dangereuses  qui  pourraient  vtms^nner  lenrenige.  Aàm  ih 

'8ort)é  devant  la  flkgœ  de  Buxtèhude,  Sébasâen  ^en  attirail  A  fai  la 

étincelles  et  les  flammes  mystérieuses.  Deux  faeares  n^amMii  pis 

suffi  à  son  travail  ;  il  venfflt  de  terminer  la  fugue  pour  la  siiàèaie'lifei 

lorsqu'il  la  commeBça  de  nouveau»  et  s*arréta  long-fenps  sor  m 

passage  dont  il  cherchait  sans  doute  à  deviner  le  style ,  car  M  r«Bi- 

cutait  tantôt  avec  impétuoshé,  tantôt  avec  csAme  -et  largear»  aâs 

toujours  en  branlant  h  tète  comme  un  homme  qui  doute  et  8*ap9- 

çoit  qu'une  chose  est  incomplète.  Tout  à  coup  B  selète»  ftmesai 

clavecin ,  prend  son  chapeau  et -sort 

ïean-Sâiastten  traversa  la  ville ,  et  comme  s^l  efttékwdhila  mSr 
tnde  pour  composer  qadque  nouveau  motet»  se  dirigea  «h  cM  k 
la  porte  de  LubedL* 

Buit  jours  après,  à  la  grandHnesse  »  quand  le  prêtre  deana  h 
réplique ,  Torgue  n'éleva  point  la  voix  tx>rame  à  «on  arAwn. 
L'inexactitude  fut  remarquée  »  et  le  bedeau  se%ftta  d*àler  A  h  tiî- 
irnne  afin  d'avertir  l'organiste  de  se  tenir  sur  -ses  gardes  «e  a^e 
fois.  Mais  le  bedeau  trouva  la  porte  fermée»  et  l'organiste  iBtuqaBÏ 
à  son  poste.  Cette  nouvelle  se  répandit  de  bouche  en  boocbe»  <tti 
moins  de  dhi  minutes  elle  avak  fait  le  tour  de  Féglise  et  «nia  ie 
parmi  les  assistons. 

Trois  mois  s'étaient  écoulés  depuis  la  disparition  de 
tien»  et  oes  bons  bourgeois»  qui  tétaient  tant  émus  le 
"avaient  fini  par  se  contenter»  pour  toute  rouâque  rdigieuas»  k 
tfucUquesvatxdebasseetde  feusset»qai 's'accordaient  tant  lasafa^ 


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wmiêL  laeensibhiiieitt  le  peu^  d'Arastadt,  tout  éa  se*  eonsofaiit» 
prit en<  pîtii  les  chantres  et  les  enfin»  de  dioBur;  il  se  mit  à  fairet 
eJEbrt  de  voix,  pour  les  aider  daos  leur  travail^  et  biemte  larnni- 
sique  fat  asses  retealissante  pour  reaplir  dignoiieiit  Téc^ise.  Bfw 
ca  n'était  pas  sans  one  grave  inquiétade  que  les  babituis  itoyaient 
Câifiies  approche! 9  car  Pà^pws  est  la  Mie  deaorfves».  et  ee  jevr-ià^ 
de  toutes  les  campaçHea.  eavûronBaotee,  en  asrWttiS  pomr  les  en^ 
tendre  chanter.  Ce  jeur-là»  dis  le  métis»  Vigliie  ëftait  Eemffe 
de  fiemmes  etd'enfaae»  de  labourears  et  d'oavtiers,  qni  venaient 
célébrer  la  résAirrectioa  da  Seignaui.  Les  popilatiens  voisinea  se 
diuuaient  rendeA-voussur  la  grande  plaee  d'Amstadt»  et  pendant 
Uuile  la  semaine  sainte»  les  rentes  étaient  converies  de  earavanesî 
et.  de  ppocnssinns»  d'bemoiea  à  cheval  et  d'homoM»  i  pied,  de  pé* 
leriaft  qui  se  hàtaiealy.afin  d'amvev  assez  tât  peor  trouver  soi» 
le.  dûme  une  dalle  eà  s*agenouiHer».  et  de*  mendians  qui  Ihisaient 
effort  de  jambes  et  debégailloB»  pour  gagner  nie  henre  et  po»^ 
voir  ainsi  choisir  leurs  places  sous  le  portail. 

Certes»  il  avait  fallu  bien  de  la  persévérance  et  surtout  dm  talent 

pour  attirer  ainsi  la  foule  des  pèlerins.  La  vie  d'un  homme  n  avait 

pae-snfft  à  ce  résnitat,  et  le  vîenx  Johann  BAIm»  après  s'èlre  épuisé 

distant  oinqaante  ans  à  cette  rad»  tàehe  »  avait  ea  mawrant  élo  sont 

svneeasev  et  laissé  le  reyann»  des  ovgnes  à  Jean-Sébastien.  Celoi^ 

ci  araîi  dignenKat  aontenu  la  gloire  du  mntlre  qiai  Tavait  ptèeédd; 

liîentèt  laF  newvclie  église  d' Arnsmdt  était  devenne  eélttNre ,  et  soi 

orgue  nresaift  élever  la  voix  quand  celur  de  Sébastit^annençaitan' 

brait  des  cloches  qu'il  aBait  puier..  Aassi  le  ccmeensucs  des  f  éèite 

awgmeatait  chaque  année»  etil  parainait  impossible  que  le  cttne 

pAt  tous  les  atviter  aone  sa  voèle  aux  fêtes  procbdnes.Qaant  à  criay 

personne  n^avaii  songé  à  s'en  inqniéter»  et  mettre  Wflhdm  FMi». 

le  pins*  joyevK  dee  anbengiates  de  rendroit»  avait  dit  à  ce  sqet  t 

m  Lesdivots  en  seront  qniuas  penr  faire  four  prièoe  soue  le  pert^ 

aaMks  pannrres»  lee  caiienx.  pour  refenir  une  antre  fois»  et  dTait- 

lencff  s'ils  ae  trourent  pas  de  piaocs  de»  l'igtise».  iis:  ea  viendront 

ditrcher  dans  les  anfaerges»  et  cehi  profitera  totijoera  i  ta  vittek  » 

net  à  Dïett  qne  lenbooigeoie  d'Anîstadt  n'euâMit  pas  en  danlre 

flBueil  Hab»  béias!  lee  dinnches  se  swcédaient  rapidemenl  et 

Verganiesmit  nmet  Dès  fe  premier  moment»  on  avafat  écrit  à  loon 

kn  eBgamates.  dn  rAltamagne,  et  abaque  jour  on  Teceirait  «oit 

46. 


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724  REYUE  DES  DEUX  HOlVBBS. 

lettre  dans  laquelle  il  était  dit  que  Froberger,  Gasp.  Keri ,  Pasdid- 
bel,  ou  tout  autre,  se  serait  fait  un  plaisir  de  se  rendre  à  Fiim- 
tation  des  habitans  d*Arnstadt ,  mais  que  le  jour  de  la  Résurrectioi 
était  une  fête  trop  solennelle  pour  abandonner  son  poste  ou  leeoi- 
fier  à  un  élève  inexpérimenté.  Le  soir  du  jour  qui  précédait  k  fi- 
manche  de  Pâques,  les  notables  s'étaient  réunis  et  causaient  tri^ 
tement  des  choses  du  lendemain,  lorsque  le  bedeau  accourut  en 
toute  hâte,  apportant  une  lettre  adressée  au  chapitre.  Un  messager 
de  paix,  la  branche  d'olivier  à  la  main,  n'aurait  pas  exdtëpioi 
d'émotion  dans  le  sénat  d'une  ville  assiégée,  que  ce  brave  Kircb- 
ner,  lorsqu'il  apparut  avec  sa  lettre  au  milieu  du  conseil  des  nota- 
bles. Ils  furent  bientôt  tous  groupés  autour  de  lui,  se  dispotait 
le  précieux  message,  que  le  plus  ancien  et  le  plus  érudit  de  ras- 
semblée fut  chargé  de  lire  à  haute  voix.  D  se  fit  un  profond  sîkooe; 
maître  Sebald  se  leva,  et  avec  l'aide  de  ses  lunettes  et  du  b^ieto, 
qui  lui  tenait  la  lampe,  il  lut  ce  qui  suit  : 

ff  Messieurs  nu  chapitre  de  la  ville  d'ârnstabt,  . 

cr  L'appel  spontané  que  vous  me  faites  est  la  plus  douce  récom- 
pense que  j'aie  encore  tirée  de  mes  graves  études,  et  je  ne  cess^ 
rai  jamais  de  me  glorifier  d'avoir  été  préféré  par  vous  à  tous  mes 
confrères,  les  organistes  d'Allemagne.  Bien  que  je  me  regarde 
comme  indigne  de  tant  d*honneur,  j'aurais  été  heureux  de  me 
rendre  sur-le-champ  auprès  de  vous ,  et  de  célébrer,  au  mflieu  de 
votre  famille,  les  solennités  pascales;  mais,  hélas I  j'ai  des  enga- 
gemens  sacrés  avec  la  ville  de  Lûbeck.  Voyant  qu'il  m'était  impos* 
sible  de  me  rendre  à  votre  invitation ,  aussitôt  après  avoir  reçt 
votre  lettre,  je  courus  chez  un  jeune  organiste  auquel  j'ai  doBsé 
des  conseils  pendant  les  trois  derniers  mois  qui  viennent  de  s'écoa- 
1er,  afin  de  le  prier  d'aller  rempUr  dans  votre  église  la  place 
honorable  que  vous  me  destiniez.  Mais  U  semble  que  le  Seigaetf 
ait  voulu  m'enlever  tout  moyen  de  vous  témoigner  ma  reconnais^ 
sauce.  Le  jeune  homme  venait  de  partir,  et  personne  n'a  su  me  <be 
quel  chemin  il  avait  pris.  Vous  trouverez  cette  conduite  étnnff, 
vous  qui  ne  connaissez  point  le  caractère  mystérieux  de  Yéa&s 
dont  je  vous  parle.  U  est  arrivé  un  jour,  les  pieds  tout  poudreux  et 
le  bâton  de  voyageur  à  la  main.  D  s'est  assîHl  Torgue ,  et  les  soif 


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JEAIV-SÉBASTIEN.  725 

Cil  en  a  tirés  m*0Dt  ravi.  Nous  avons  travaillé  ensemble  pendant 
>is  mois.  Hier  an  soir  il  est  parti  sans  me  rien  dire.  Il  était  ici  la- 
TÎeuXy  chaste»  bienfaisant  »  et  d'une  modestie  évangélique.  Si 
^t  an  ange  y  que  Dieu  vous  Fenvoie  :  je  le  souhaite  de  tonte 
3n  ame. 

a  DiETERISCH  BUXTBHUDE  , 

Organiste  de  Téglise  de  Sainte-Marie  à  Lnbeck.  » 

Alors  il  s'éleva  une  grande  rumeur;  chacun  voulut  s'assurer  par 
t-méme  de  ce  qu'il  venait  d'entendre  »  et  ce  ne  fut  pas  sans  peine 
le  noaltre  Sebald  parvint  à  sortir  du  groupe  qui  l'entourait,  et 
se  soustraire  de  la  sorte  à  toutes  les  discussions  qui  suivirent  la 
[ronde  lecture  de  la  lettre.  Enfin  le  soleil  se  leva,  le  voile  noir  fut 
chiré  y  et  toutes  les  cloches  d'Arnstadt  sonnèrent  à  faire  envi 
leurs  cousines  qui  firent  jadis  tomber  la  coupe  des  mains  du  doc* 
jr  Faust.  On  voyait  dans  les  rues  de  longues  files  de  belles  dames 
d'ouvriers,  de  jeunes  filles  et  de  vieillards,  tous  confondus  sans 
stinction  de  rang  ou  d'âge,  et  le  missel  sous  le  bras,  allant  à  l'office* 
^sept  heures,  toutes  les  églises  étaient  remplies,  deux  surtout, 
]ement  que  la  foule  en  débordait  jusqu'au  milieu  de  la  place, 
étaient  l'église  des  Bonnes-Dames  et  la  nouvelle  église ,  fréquen- 
es  Tune  pour  ses  chÂsses  d'argent,  ses  vitraux  illuminés,  et  ses 
ailles  murailles  couvertes  d'archanges  et  de  saints,  et  l'autre  seule- 
^t  pour  ses  orgues  et  son  Jean-Sébastien. 
Toute  la  vieille  Allemagne  semblait  s'être  éveillée  avec  sa  foi 
t)fonde,  ses  naïves  croyances,  et  revivre  en  ce  moment  dans  la 
trsonne  de  ces  honnêtes  bourgeois  d'Arnstadt,  et  surtout  de  leurs 
les,  créatures  angéliques,  dont  la  chasteté  chrétienne  avait  per- 
due le  type.  C'était  un  sentiment  de  joie  et  d'amour  qui  avait 
mxà  tout  ce  peuple  dans  l'église,  et  cependant  tous  ne  paraissaient 
18  également  heureux.  Auprès  des  visages  les  plus  sereins,  on  en 
)yait  de  tristes ,  comme  s'il  se  fftt  agi  de  choses  de  ce  monde  où  le 
onheur  de  l'un  fait  la  misère  de  l'autre.  A  côté  d'une  belle  fille 
)se  et  fraîche ,  qui  s'épanouissait  aux  apprêts  de  la  fête,  une  autre 
inclinait  tristement  comme  une  fleur  à  l'ombre.  Pourtant  c'était 
)  jour  de  Pâques,  et  ce  jour-là  le  soleil  est  partout  dans  l'église. 
>n  eût  dit  que  le  Christ  n'était  pas  ressuscité  pour  tous,  et  qu'ime 
koitié  de  l'église  conservait  encore  ses  voiles  noirs  de  la  semaine 
ûme,  tandis  que  l'autre  avait  illuminé  toutes  ses  chapelles. 


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79^  HETUB  U»  »HX  MÛIIUBS. 

Gepettdaqt.  le»  éioclM  oeM^ent  d»  sonoeff  ;  I0  précre  Tint  1*4^ 
nouMler  au  pied  de  l'autel ,  et  tout  à  coup  Pologne  se  nkà  AÊmt 
spont^Mnéaieut.  Si  les  vierges  et  les  sén^hiss,  desceodMa  parai- 
rade  de  leurs  niches  de  pierre,  fussent  venu»  eu  proceaskm proK 
dre  part  aux  célestes  louanges,  les  habitans  d'Arnstadt  n'eoBMft 
pas  été  plus  stupéfaits  qu'ils  ne  le  furent,  lorsque  cet  orgue,  ottet 
depuis  trois  mois  comme  une  tombe,  s*éveilla  en  glorieuses ba- 
far esk  L'élonnement  fut  général.  Le  prêtre  qû  rôctaak  à  rani 
détourna  la  tète  pour  voir  d'où  venait  tout»  œtte  luinMBÎa,  et 
les  eofiaiB  de  chœur  se  trompèrent  deux  fois^dans  lems  iéptfs& 
UcDTgue  continuait  sans  s'émouvo^;  ii  chanÉa  powr  le  padMl,  i 
chanta  pour  Fofifertoire,  il  dianta  pour  l'tiévatioBi.  lamais  titBet 
dilûn  n'avait  été  plus  auguste  et  pks  magnifique.  B  &Bait  lur 
COBSOM  les  grands  crucifix  d'or  et  d'arg^tt,  c<Mnme  les  gcuà 
dasgea  aBumés,  comme  les  yeux  des  jeunes  filks  respfemiisaiat 
à  travers  un  mystique  brouilbird  d'harmonie  et  d'eiucensl 

-^  Quel  musicien  terrestre  pourrait  jamais  atteindie  à  cette  ■§- 
gnificenoe  !  s'écriait  mallre  Sebald^  dans  rextan  oi  le  flkmç^  m 
laifo  triompbalemeftt  exécuté. 

«—  C'est  un  ange  qui  est  là-haut  assis  eu»  la  1 
potite  Gretehen  à  sa  voisine;  la  Vieege  n'a  peu  wda  qw  la  1 
ville  d'Arnstadt  pleurât  ses  orgues  ua  si  grand  jour  de  fimJ 

Mais  les  assistans  étaient  loin  d'être  tou»  d'sfiOQcd  «nr  la  » 
tuite  du  mystérieux  organiste;,  et  yoîci  ce  que  rapports  à  ce  safet 
rUstofien  allemand.  Je  cite  ses  propres  paroles  : 

a  Comme  je  voukis ,  selon  mon  habitHd&^.Baettre  à  proit  MM 
les  suppositîoas  que  cette  musique  inattendiae  allait  fiaiie  aaiM 
p^mi  les  fidèles,  je  me  glissai  dans  la  foula;  je. fis  le  leur  et  fi- 
gliae  en  recueillant  les  paroles  qui  tombaient  de  toutes  les  bis» 
cbes.  Chacun  inventait  sa  légende,  et  toutes  ces  fiauia  eihebiflst  m 
èg^  parfum  de  mysticisme  qui  vous  transportant  an  milîe»  ds  jip- 
dia  d'un  doitre  du  moyen-âge.  L'élévation  sonna;  j&t  brmà  ks 
yeux  pour  écouter  avec  phis  de  recneiUemantun  aélasie  préledi* 
un  dbant  si  frais  et  si  pur,  qu'il  était  eu.  pacfiàke  bamoait  wm 
le  grand  mystère  qui  s'accompliMiitàïranld.  Loi^queto^ 
de  Tealiuit  de  choeuv  et  le  mouvcnenl  de  l'église  entîèns  m\ 
lèsent  de  ce  divin  sonuBeil,  j,'apefçu»à  SMft  edlé 
Wiprecht*.  BMEsideuda  la  ville;,  ili  étaîl  ¥M,m  h 


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rttk  pr^bndëmetft.  -^  Qâ^svez-vdtis  dont,  iimltre  Ifnfdn»  pour 
Annoter  akisMe  jour  de  Pàqms? 

—  El  TOUS ,  mon  cher,  pour  ne  point  vous  émouvoir  à  cette 
otmsiqae  qui  ferait  pleurer  le  marbre?  N'arez-voas  pas  emendu  oe 
i^hant  qui  s^est  edialé  pendant  Félëvationî  J'ai  cru  d*abord ,  ooormie 
tons  mes  voisins,  que  c'étaient  les  anges  qui  chantaient;  mais» 
bélasl 

Le  pauvre  homme  soupira  de  nouveau  »  et  quelques  instans 
gtprès: 

—  Ahl  monsieur»  les  six  dernières  mesures  m'ont  navré  de 
louleur,  car  j*ai  reconnu  en  elles  le  sujet  d*un  morceau  que  j'ai 
prêté ,  il  y  a  six  mois ,  à  ce  pauvre  Sébastien.  Il  sera  mort  de  faim, 
H  ce  ne  peut  être  que  son  ame  qui  fait  vibrer  toute  cette  har- 
(nome. 

—  Pourquoi  pas  son  ame  et  son  corps? 

—  Plaisante  question  I  Groyec->¥Ous  qu'il  safBse  de  poser  ses  doigts 
nir  le  clavier  et  ses  pieds  sur  <la  pédale  pour  atteindre  à  des  ef&ts 
pareils?  D'ailleurs,  iean*Sébastien  n'avait  pas  composé  ce  mor- 
seaii;  malgré  tout  son  ifénie,  il  ne  l'aurait  jamais  exécuté  de  la 
lOTte  sans  le  secours  de  son  bieriieureux  patron  qui  est  dans  le  ciel. 

c  CkMBme  il  ioissait  ces  paroles,  le  Sancti»  commença ,  et  le  di(pie 
amsidien  se  mit  à  se  frapper  k  pokrine. 

«  Un  peu  plus  loin  j'aperçus  on  gros  chantre  appuyé  sur  la  ba- 
lustrade <la  clMBor,  mais  qui  &e  mêlait  pas  sa  voix  au  chœur  des 
Bssàstms.  A  son  attilude  grave  et  pensive,  j'avisai  qu'il  devait  être 
on  travail  de  quelque  grand  poème ,  et  je  m'approchai  de  lui. 

—  Bh  Wenl  frère,  d'où  vient  donc  que  vous  n'aidez  pas  vos  ca- 
marades? A  vous  voir  ainsi  maussade  et  solitaire ,  on  ne  dirait  pas 
que  c'est  aujourd'hui  Pâques.  Est*<e  que,  par  hasard,  votre  beHe 
voix  de  fête  ne  vous  a  pas  été  rendue  hier  au  soir  en  même  temps 
qu'à  toutes  les  cloches  de  la  ville  ? 

•^^  Ma  voix?  ah  I  Dieu  merci,  monsieur,  je  l'avais  tonjours  bien 
conservée.  Hier  au  soir,  eHe  était  plus  beBe  et  plus  fraîche  que 
^maîs,  et  ce  manin,  en  ressayant  à  ma  fenêtre,  j'évefllaîs  tndore 
toM  le  quartier.  £h  bieni  conceven-vous  cela,  monsieur?  tout-4i- 
rbettre,  en  commençant  TofSce,  jenel'ai  plus  entendue,  ma  belle 
voix  I  Le  maudit  orgue ,  ou  plutôt  le  diable ,  me  l'avait  prise. 


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728  HETOB  DBS  DEUX  MONDES. 

or  Là-dessus  le  brave  homme  se  mit  i  me  raconter  me  Mi 
d'histoires  de  magiciens  et  de  sorciers»  tendant  tootes  i  ae 
prouver  qu'il  venait  d*étre  la  victime  d'un  infernal  maléfiee.Die 
posait  cet  offirayant  syllogisme  :  Un  instrument  n  a  de  smxà 
que  parce  qu'il  reçoit  une  action  du  souffle  ou  de  la  main.  Or,  k 
bedeau  n'a  vu  entrer  personne  >  et  pourtant  l'orgue  châote.Doec 
le  diable  s'en  est  mêlé»  et  nous  a  pris  nos  voix  pour  aaiaMr 
tous  ces  tuyaux.  Et  puis ,  il  me  disait  qu'il  avait  daû^ement  recoK 
la  sienne»  et  que  même  elle  avait  fait  sonner  l'ut  dièzedansa 
ensemble,  note  qu'il  n'avait  jamais  pu  obtenir  d'elle  da  teafs 
qu'elle  habitait  dans  sa  poitrine;  il  comparait  la  capricieuse,  qui  se 
parait  ainsi  pour  le  tourmenter,  à  ces  femmes  qui  redoobkot  à 
grâce  et  de  coquetterie,  quand  elles  savent  que  leur  ancieoaDaK 
est  là  qui  les  regarde;  comparaison  assez  profane,  et  qâ  mt- 
tonna  beaucoup  dans  la  bouche  d'un  chantre  de  cet  âge.  » 

Cependant  la  messe  était  finie,  et  tandis  que  les  étrangers  priakii 
encore ,  tons  les  gens  de  la  ville  se  rassemblaient  an  pied  de  resca&r 
qui  conduisait  à  l'orgue,  attendant  avec  impatience  le  ààmstoai 
du  grand  mystère.  Enfin,  long-temps  après  que  les  derniers  sois 
de  Forgue  se  furent  exhalés,  la  porte  s'ouvrit,  un  jeone  bomoiea 
sortit,  tenant  un  cahier  de  musique  sous  le  bras;  il  avait  de  loep 
cheveux  blonds  qui  tombaient  sans  ordre  sur  son  coo;sa  Sgure  «â 
maigre  et  pâle,  mais  belle,  et  par  son  expression  de  seràne  tiiK 
tesse  rappelait  le  type  que  la  tradition  nous  a  conserré  de  bt^ 
du  Christ.  Lorsqu'il  arriva  au  bas  de  l'escalier,  tonte  cette  oiifr 
tude  fut  prise  de  terreur  et  s'entr'ouvrit  sur  son  passage;  ki»  sm 
trop  prendre  garde  à  ce  qui  l'entourait,  traversa  la  foule,  etsertf 
sorti  de  l'église  sans  rien  dire  à  personnne  s'il  n'eût  recoBoodapR» 
du  bénitier  la  face  pleine  et  réjouie  de  maître  Martin  Wiprsdi 
c  Monsieur,  lui  dit  le  jeune  organiste,  c'est  vous  quiniâveit3F' 
trois  mois,  demandé  mon  opinion  sur  un  motet  en  ut  bîb^' 
j'ai  cru  ne  pouvoir  mieux  vous  répondre  qu'en  vous  Veiéa^ 
tout-à-£ait  dans  le  style  du  grand  artiste  qui  Fa  composé,  f^ 
être  avez-vous  trouvé  que  je  pressais  un  peu  le  mouvesest  (b^ 
les  dernières  mesures,  mais  Dieterisch  le  veut  aiosL  Repi^ 
ce  motet,  j'espère  que  vous  ne  me  tiendrez  pas  rancone,  cff  ^ 
je  Fai  gardé  si  long-temps,  c'était  afin  de  vous  le  rendre  tfX* 
de  la  main  du  grand  maître;  et  pour  un  amateur  comme  vous,  c^^ 


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JEAN-SÉBASTIEN.  729 

I  bonheur  qui  ne  peat  être  payé  trop  cher  qae  de  posséder  on  tel 
ésor  dans  sa  bibliothèque,  j» 

Jean-Sébastien  dut  se  souvenir  toute  sa  yie  de  la  fête  de  Pâques» 
ir  le  jour  de  la  résurrection  du  Sauteur  fut  aussi  celui  où  son 
Snie  apparut  à  rAlleniagpDe  dans  tonte  sa  gloire.  Dès  ce  mo- 
lent  le  jeune  artiste  existait  pour  le  monde,  et  les  Tilles  libres  et  les 
rinces  allaient  se  le  disputer.  A  peine  deux  mois  s'étaient  écoulés, 
ti*il  recevait  dé)à  de  toutes  parts  des  brevets  d'organiste;  car  ceux 
ni  Pavaient  entendu  à  Arnstadt  faisaient  sonner  si  haut  son  talent 
:  son  génie,  que  toutes  les  ^lises  étaient  en  émotion  et  désiraient 
ivoir  quel  était  ce  soleil  dont  les  premiers  rayons  jetaient  uuq  si 
»intaine  splendeur. 

En  1707,  la  place  d'organiste  en  l'église  de  Saint-Blasius,  à  Mul- 
ansen ,  lui  fut  offerte;  il  l'accepta.  Les  habitans  d' Arnstadt,  déses- 
érès  de  le  voir  s'éloigner,  vinrent  lui  proposer  de  doubler  ses  ap- 
ointemens,  s'il  voulait  consentir  à  rester  parmi  eux.  Sébastien  leur 
épondit  qu  il  avait  des  goûts  trop  simples  pour  que  l'argent  pût  ja- 
lais  influer  sur  ses  résolutions ,  et  qu'il  sentait  trop  encore  le  besoin 
e  voyager  et  de  s'instruire  pour  songer  déjà  sérieusement  à  s'établir 
ans  une  ville.  —  Mais  je  penserai  toujours  à  celle  qui  m'a  si  bien 
ccueiUi  dans  mon  obscurité ,  et  me  souviendrai  d'dle  toute  ma  vie 
^me  d'une  seconde  mère.  —  Les  adieux  furent  toudians  de  part 
t  d'autre,  et  les  habitans,  voyant  qu'il  était  inutile  d'insister,  se 
réparèrent  à  raccompagner  jusqu'aux  portes. 

Ce  fut  un  beau  jour  pour  l'artiste  de  vingt  ans,  que  celui  où  tous 
»  habitans  d' Arnstadt  vinrent  se  rassembler  sur  son  passage  et 
(ri  témoigner  combien  ils  avaient  d'admiration  pour  son  talent  et 
te  sympathie  pour  sa  personne»  Dès  le  matin,  la  ville  était  en  moll- 
ement, et  telle  était  la  foule  amassée  en  certaines  rues,  qu'un  étran* 
;er,  arrivé  de  la  veille  sans  doute,  fatigué  de  se  mettre  en  sueur  pour 
raverser  les  groupes,  vint  à  demander  quel  était  le  saint  qu'on 
'était  ce  jour-là.  —  Par  Dieu  1  lui  répondit  un  homme  dnpenide, 
;'est  saint  Jean-Sébastien;  vous  ne  le  connaissez  peut-être  pas, 
rous  I  mais  pour  n'être  pas  dans  le  calendrier,  il  n'en  tient  pas  moins 
a  place  dans  nos  cœurs  à  côté  du  patron  de  la  vflle. 

A  moins  de  faire  sonner  les  cloches  et  fumer  l'encensoir,  je  ne  sais 
ifoels  honneurs  phis  grands  on  aurait  pu  lui  rendre.  Les  notables  se 
tenaient  à  ses  côtés;  le  peiqile  se  pressait  vers  lui  comme  s'il  se  fftt 


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TSt"  RBVUl^  BS$  MHHL  MONDES. 

agit  de  BoiMMipe»  ^i  \m  brtteajmpefr  ffltea»  Iwmnt  W 
cendaient  avec  lears  mères,  afin  de  comemplai!  uoe  cl< 
céleste  mMoim  deslttasd»  PA<pifSw  LesuM  rht^iiioBt 
les  aatres(ceux  dooi  la  mënoine  ëaail  ^itt  loMi  à  retaoup  la  bh- 
que)  disaîeolitoiU  haut  oombin  de  famiUdw  fymrteg  il  a^ 
gées»  Lofwqu'jls  fHWitarrMsaox.  portes.de  la  vîUe» 
jusqu'aux  lamea».  rnaouf  ela  ses  adieux  à  oa«&  qui  VemkHmTim/L,  a 
Ist  vieua  Sebald  lai  dil  eu  l'eadirassaat  ::  —  «  VUm  fila»  la  tàda 
^pie  TOUS  STea  entreprise  est  grave  et  dîffioile,  et  sara  le  axai 
de  toute  voire  rie.  Les  aalras  arts  parlMt  ans  hoaunes  :  le  iltre 
parle  à  Dieu;  et  c'est  peurqaoi,  apràs  avoir  étadié  tnoie  aie»  qpi 
que  soit  d'ailleurs  votre  génie,  il  vous  faudra  toq^tona  ooiiri— r,a 
tendre  vers  ua. idéal  que  la  mllede  votre  mon  voos.  n*aara  pas  ai- 
ooia  atteiat.  Hais  lorsque  votre  esprit,  fiatâgué  par  lo  tcaivaS  dac9i- 
tsepoiat,  ania  besoia  de  ealaie  et  de  repos,  somrewa-vMs  qil 
est  ea  AUaiiuigQe  aoa  ville  qui  vous  aime  eatre  laates,  ei  daa 
cette  vilk  une  fiunille  dont  vous  êtes  le  fib  dién.  m  —  Sâiastia 
asrra  la  mata,  du  vieillard  avec  atteodrissemealy  et  lonqM  k 
attture  qui  l'emportait  s'ëloigaa,  des  cris  4lmmmt  et  de  Ua^ 
dktioB  Eacceaapagaèrent  lon^^temps  eoeere*.  et  les  jeaaes  Ha 
hû  pronarent  de  prier  la  Vierge  Marie  pour  lai  et  sas  eabas. 
■eareox  Eartiste  qne  tomua  peuple  attcompagiie  de  la  aana»  eikMi 
avec  de  tais  adieaxav  le  grand  clieaiia.da  k  vie  1 

Lorsque  Sébastien  se  ftn  ëkrigni,.  la  moavaBMaà  ream  daaa  ki 
aoMOBS,  le  brait  daas  les  atdien,  et  toute  cbose  euibienifttraiirifi 
aoQ  cours  habitude  Alaltraâebald  tramiUa  iaeoMaeat  àla  aaai- 
aatkm  dn.aouvd  orgaoistapi  avait  eocove  pr^seaiaa  à  la  méMR 
les  iaquiétndes  des  dernières  fêtes»  et  se  rendit  ea  toate  bêle  dm 
les.  principaux  babilans  pour  les  preaser  de  faire  laar  cbû.  U 
brave  bomme  paarsuivit  soa  entreprise  avec  taat  d'ardaar»  v> 
aeuf  beuias  sa  fille  Grelcbea  Fattendait  enoore  pour  asapr. 
Eafia,  il  rentra  tout  ëpoiaé  des  fiatigaes  du  jour»  et  totsqs'i  sil 
bieo  raeomé  toutes  les  peines  qu'il  s  était  données  aCa  de  tisi* 
ver  oa  successBov  à  Jca»  Séhasliea,  sa  Site,  qai  croya^ancow» 
miracle  des  fétesde  Pàqaas^  hédit:.— Eh  !  moa  père», 
loanaenter  mmnt  ne  savesHPona  pas  que  lésas  ae 
■otra  ville^saas  onjamslo^  etyaiew  même  que  taas  eemt  dah 
jsraJeatflaails^ilysatammitmijoawpmBrelte.dttalacialt 


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Cai^de  JMOhftAMtim,  éonftnio>celtede  presque  tons  Uê  gniribi 
wfûêtB&y'êtéMêe  en  4mtt  fiittieB  :  Tme  de tni?aox  «eeAaMiqves, 
['autnedepwre^orAmion.  Bustepreoiière,  qui  s'étend  depuis 'ses 
phis jenmB  mnées jttsqifà son trienplie d'AmsttKk,  Hest leot ec* 
sopé^e^^qoift  ëtëécott  amDlliri«t  serendinât^^desonsrt;  il 
ewMwe  nttit  et  jour  ses  doigts  et  les  lirise  à  tomes  leedîflieallés;  il 
ipprdfondit  4oiU  A  la  fois  ^les  mystères  du  contrepoint -et  dso^la- 
mr,  Bans  la  seconde,  m  n^étwdie  plus,  H  eofflpeoe;  maïs  il  «est 
tain  enoore  d'atteindre  ^à  k'perfeclîea,  et  samosiqney  origimfle 
par  momeiit ,  appartieM  i  l'anoieMie  éeeie  aHeiMaide.  Vean- 
SâMUPtien,  fonme  le  jeune  SaiAttëly  eoneerfera  long^temps  qnél* 
rpam  ohose  de  P^iriditë  de  ses  «atties,  et  ces  dens  artistes,  ayant 
de  ae  Tévâer  an  monde,  anroot  besoin  de  çvand  air  et  de  sëS- 
taîref  oontempiations';  H  feadm  qu'ils  ferment  pour  q««9que  "^mps 
leurs  livres  de  théorie  «et  ^esthétique  et  viennent  admirer  à  loisir 
cette  ligne^tmmense  de  beauté  qni  serpente ^oomme  un 'tierte  amour 
dé  k  nature,  qu'ils  élèfem  sorte  création  des  vegsria  pteîns  cPa- 
BBonr,  et  s'abattdomiettAlemeBles'ëniotions  4e  l'art,  A  toutes  les 
eactases  de  la  foi, cartafais*qu^  Éksi  pas  de  sAeXh  phis^aidens^ponr 
Eaire  édore  i'hannonie  et  la  eoidear.  Xean-Sébastien,  4piiisë  par 
toute  espèce  d'ëtnies  'SoalasCM|oc^  ee  ait  à  Mre  dans  4e  Ivive  déla 
nature,  ceJivre  qui,  selon  la  bette  eipressiett  de«ifait  Martin,  est 
écrit  parla  main  de  BiesmAmem  tDttjo«radèployë«fai<^pMf  kenmie 
paisse  tom  apprendre  immédiatement  et^ans  le  secours  delà  rè^ 
laftion.  Ott^re  ce  livre,  dans  lequel  tl  pmsaitsans  relâche,  Sébas- 
tien en  avait  den  antres  marqi^  aussi  du  doigt  de  Bien  :  la  Bible 
et  rÊvangfle.  il  aimait  à  ae  plonger  en  ces  fleuves  d'^emeMe  poéiAe; 
il  atflMdt  à  comparer  la  magsifioence  de  ces  oeuvres  augustes,  à 
cbanger  d'inspirations.;  lanite  il  accompagnak  avec  des  oréhesti^ 
iairoenses  et  des  ifoîx  tumultueuses  Tespiît  de  Dien  porté  sur  les 
«aux;  tantôt  il  rêvait  avec  mear  buk  eoncerts  de  knimiges  qui  de- 
vaient edater  dans  la  foule  quand  lésus  paraissait  environné  de  ses 
disciples.  Le  soir,  lorsqu'il  était  sent ,  tt  improvisait  ;  et  si  vous 
aviez  pu  pénétrer  dMs^sa  Ohambre,  vous  auriez  peut-dtre  vu  aussi 
la  Divine  Coméâk  sur  son  davier.  Bu  temps  qu'il  écrivait  son 
adndrable  oratorio  de  la  Passion ,  après  les  heures  de  travail ,  11 
venait  se  flanter  immobile  ea  feee  d'un  lableaa  de  Mrer,  afln 
^'^[aminer  'commofit  «a  grand  ariiste  avait  pemt  aolrelois  ce -que 


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732  RBTVB  hEA  MUX  HOMDBS. 

lui  cbantak  aujourd'hui.  De  même,  durant  sa  longue  Yie»  k  ] 
de  Nuremberg  ne  finissait  jamais  sa  jonruée  sans  entrer  dnsFéi^ 
de  Saint-SebaMy  afin  d'y  retremper  son  ame  en  la  raosiqaeéiSei- 
gnenr.  ^  L'art  est  uo  divin  soleU  dont  les  quatre  rayons  reqte- 
dissent  chacun  d'une  lueur  diverse,  de  sorte  quefeaprU  ne  ooopra- 
dra  jamais  leur  unité»  s'il  ne  s'élève  jusqu'au  foyer  qui  les  afisme: 
c*est  de  là  seulement  qu'il  pourra  voir  dans  toute  sa  splenàsv  ce 
type  de  beauté  dont  l'ensemble  doit  toiqours  demeurer  iaooaià 
la  foule,  puisque  les  moyens  manquentà  Tartiste  pour  lerëafiier.OK 
Mozart  regarde  les  codeurs  de  la  belle  nature»  que  Raphaâëeott 
les  voix  chanter,  que  ces  deux  anges  glorieux  changent  de  mtmk 
pour  s'en  revenir  emportant  sur  leurs  aiiea  une  poussière  Inmineaseet 
aoncure;  et  vous  tous  qui  les  entourez,  ne  les  retenez  jamais;  htaezla 
célestes  abeilles  voler  à  leur  Eden,  et  soyez  sûrs  que  le  miel  qa'eles 
TOUS  feront  au  retour  sera  plus  abondant  et  plus  suave. 

Ainsi  s'écoulait  heureuse  et  pure  la  vie  de  Sébastien;  les  pens 
et  les  soucis  ne  devaient  pas  l'atteindre  encore,  car  3  habittits 
monde  au-dessus  de  la  terre,  et  son  esprit,  grâce  à  lacbandejeaBOK 
du  corps  qui  l'enveloppait,  pouvait  se  maintenir  en  son  élëfati9o,â 
comme  l'aigle,  rester  des  jours  entiers  F  aile  tendue  en  fiiee  du  soki 
La  mélodie  était  la  forme  plastique  dont  il  revêtait  sa  chasle  pensée; 
et  les  deux  choses  qu'il  aimait  le  plus  an  monde ,  l'art  et  le  cniie  k 
Dieu,  confondant  ainsi  pour  lui  leur  double  nature,  il  ne  cessait  k 
les  adorer  Tune  dans  l'autre.  Sérénité  divine  que  nul  veut  de  la  tem 
ne  pouvait  troubler  !  Heureux  Jean-Sébastien ,  qui  seul  as  ànm 
l'inspiration ,  et  l'as  contrainte  à  demeurer  toujours  à  tes  côlës!  te$ 
ces  jours  sombres  et  pluvieux  d'automne,  où  Baphaâ,  fuÊs  à 
soleil,  ne  trouvait  plus  de  teinte  sur  sa  palette,  où  le  ronsicieise 
tait  avec  l'oiseau,  et  demeure  triste  et  dépouillé  comme  si  b  a^ 
lodie  était  tombée  de  son  front  en  même  temps  que  la  foaîBedes 
arbres  ;  dans  ces  jours  où  tout  est  pour  les  honmies  de  k  terre  B^ 
lancolie  et  solitude,  lui  montait  à  ses  orgues.  Alors  les  broaiBvA 
commençaient  à  se  dissiper,  le  soleil  à  resplendir  comme  para 
beau  matin  de  printemps,  la  neige  à  s'évaporer,  à  se  foodfetf 
ne  laisser  d'elle-même  que  tout  juste  ce  qu'il  fallait  pour  treaUff 
en  perles  de  rosée  au  calice  des  fleurs.  Tous  les  oiseaux  chairîaiaL 
et  sous  les  feuillages  spnores  du  jardin  apparaissait  la  bdlejetfe 
fille  que  l'hiver  avait  attristée.  SâMistien  agissait  sur  Tin 


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JBAN^séBASTIBN.  735 

comme  sur  son  dieu  la  sibylle  antique:  Apollon  descendait  de  1*0- 
lympe  et  venait  à  Delos  chaque  fois  que  la  sibylle  mâchait  du  lau~ 
rier  ou  trempait  ses  cheveux  dans  la  fontaine  de  Castalie;  et  sitôt 
que  l'organiste  entonnait  son  cantique  sous  les  arceaux  profonds, 
la  blanche  déesse  laissait  le  royaume  des  esprits  et  venait  s'asseoir 
auprès  de  luL 

D'autres  ont  des  familles  nombreuses,  une  mère  qui  les  élève 
et  les  nourrit  »  de  blondes  sœurs  qui  les  viennent  embrasser  le  ma- 
tin; mais  lui»  tout  seul  sur  la  terre,  il  n'avait  que  son  orgue  et  son 
inspiration,  et  trop  jeune  encore  pour  se  marier,  trop  aimant  poor 
vivre  sans  famille,  il  s'en  était  fait  une,  en  attendant  le  jour  où  sa  vieille 
tige  refleurirait  en  lui.  L'église  était  la  mère  à  laquelle  il  vouait  toute 
son  existence;  il  appartenait  de  droit  à  celle  qui  l'avait  accueilli  dans  la 
misère.  L'église  était  à  la  fois  sa  maison  et  son  univers;  là  s^  études, 
là  ses  rêveuses  promenades  sous  les  grands  arbres  de  granit;  là  ses 
heures  de  repos  pendant  le  salut  du  soir.  Et  plus  il  avançait  dans 
la  vie,  plus  il  se  réjouissait  d'habiter  ce  monde  de  paix  et  de  béati- 
tude. Sur  uiie  ame  chaste  et  pure,  dévorée  du  grand  amour  de  l'art, 
comme  la  sienne,  que  pouvaient  en  effet  la  terre  et  ses  passions 
froides  et  chètives?  a  Le  royaume  des  sens,  disait-il,  est  stérile; 
il  a  bientôt  fini  de  vous  dérouler  ses  plaisirs  et  ses  peines;  lai  comé- 
médie  est  bientôt  au  bout  et  recommence.  Le  royaume  de  l'esprit, 
au  contraire,  est  inépuisable  comme  celui  delà  nature;  et  depuis 
quejerhabite,  il  n'est  pas  de  jour  où  je  ne  trouve  quelque  har- 
monie nouvelle,  quelque  mystique  rayon  qui  se  dérobait  sous  l'herbe 
comme  un  insecte .  invisible.  j> 

Le  maître  de  Handel ,  l'organiste  Zaschau ,  vint  à  mourir  ;  Sé- 
bastien ,  célèbre  dans  toute  l'Allemagne ,  fut  appelé  à  lui  succé- 
der. Il  se  rendit  à  Halle,  exécuta  sa  fugue  de  réception ,  et  partit 
aussitôt  pour  Weimar,  laissant  cette  place  à  l'élève  le  plus  distin- 
gué de  Zaschau.  Il  était  depuis  deux  mois  à  Weimar,  lorsqu'il  reçut 
une  lettre  du  prince  Léopold  de  Gotha,  qui  l'invitait  à  se  rendre 
auprès  de  lui  avec  le  titre  de  maître  de  chapelle.  Sébastien  accepta» 
et  demeura  six  ans  en  cet  emploi. 

Léopold,  amateur  érudit  et  passionné  de  musique,  s'était  pri'sr. 
d'affection  pour  le  génie  de  Sébastien  à  la  simple^  lecture  de  ses 
œuvres;  dès  qu'il  le  vit ,  il  aima  sa  personne,  et  l'organiste  fut  bientôt 
pour  le  prince  un  confident  indispensable.  Le  maître  de  chaporo 


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l 


2SI  RBYUB 

liabitiritle  pdaiSt  et  ?eoriit:cliaqve)Oiir€*«8fleoirlhi4»ljlle^U»' 
poki,  «qui  feioonsuliait  wr  teaffum  ifmcWmmiioii  et  de  pèt 
tique.  Celte  amitié  duode,  toat^esoraUe  ip^'elle  'étÈk  pour  lej^M 
artiste,,  finît  cepeodaiitfNM*  bû  defenir  inipoftime;  et  Irieii  Bmrrm, 
4aDS  les  pveaaieBadei,  tmiia  que  tons  emaiest  rhesreu unaî* 
den  qui  passait  en  si  grand  équipage,  lui  »  rêveur  et  savcieox,  teit 
4eAté  de^dine  à  Lëopold  :  x  Faites  sienier  qa^qifuB  de  ceskiiix 
fiourtisanst,  il  yens  lora  liîea  phs  d'koniieor  q«e  «loi  dan  oe^v 
voBse,  al  je  prefitecaide  vionloisîrpaBr  atter  écrire  uae  soaUM 
Combien  de  lois  il  dot  segreUBt  amèpement  sa  petite  dianfared 
modeste  «t  ai  bien  daoB  d'Acostadt,  et  ses  leiig;iies  jouraëes  ^ 
6-écottiaieBt  da» k  aoGtiide  et  le  tnmill  Ici ,  fA«s<te  ifffm,  ^ 
de  reeoaiBemeBtyplttS  d?iii8pinÉiDn;les£miBier8  dn  piineewtnûeit 
ohez  lui  À  ieale  liêure. 

TousilesaoirsLëopoklTëimissftft  hB  pkis  jolies  feasmeademaM^ 
distriiMMât  aa  .partie  à  icbaoane,  »et  idiargeait  aon  inidtrs  deds- 
.peltede-cMdnire  le  itmem*  Le  oiHioert  se  ppoloDgeait  aowfcai  ^i* 
delà  de  aMMÛt»  et  Séfaasiiea,  *épaisé<de  ifaiigae  »  aHait mMierdM 
le  somaieB  Postes  ces -voiaLdisoeniBiites  qui  tintaient  à  ses  oreSei. 
Dipassait  la  jovnde  à  8*'entMtemr  avec  les  ooaitôans,  etia  seiféi 
  iaire  lohaaîer  leaKS  femmes.  Le  .malhevrem:  !  «il  avait  ik  sabir  lei 
Catuiiés  des  uns  et  les  iftUBmsiiolas  des  autres.  CooHBe  on  le  fsit, 
il  ne  lui  Testait  guère  que  le  aaatia  pom*  son  travail  d'éwfe^  de 
oompesidon.  Aussi ,  >comaie  jH  profitait  lâen  des  presMères  lieureit 
Dèê  iPaube  û  était  à  son  'dawr  et  ehaatait  e»  mèaM  temps  qai 
Falouette;  mais  hélas!  trop  souvent  après  ses  premiers  prddtai 
qupnd  la  mélodie  ^allait  as  ri  véder,  on  frappait  À  sa  porte  i  cT^t 
le  prince  qui  raaait  entendu  et  venait  ea  mbe  de  chambre  sbb»* 
ter  m\  impfomalieBS'maliamIes  de  son  ami.  Pauvre  Sébsstiea,] 
te&Uait  tan  sang-froid  d*Àll<anand  et  ta  patience  d*aiige  poarit 
pas  eavtsjfer  à  ions  les  dialdes  celui  qai  venait  trouMer  lan  panA 
etiaire  renirer  dans'le  calice  toutes  ces  iratches  idées  qai  remsaisi 
déjà  lemrs  ailesl  Grâce  à  Ta^ection  foojonrs  croissante  de  LëopoM, 
Sébastien  ne  pouvait  s*absenter  un  seul  jour  de  Gotha;  et  eeae4is 
qu'après  quatre  ans  qu'il  obtmt,  à  force  de  prières,  un  congé  de 
deux  mois,  pour  se  rendre  à  Hambourg  et  s'y  feire  entendre  atf 
lorgue. 

Là,  comme  partout»  sa  manière  élevée  et  simple  exdta  VUnùn" 


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tiaiLOA  plus  heM  degfL  II  arvak.  choisi  ^our  aujeide  sa  fugpe  lat 
I^M^  laAm  mpeti  fimmina  Babylonih  qf^'à  vacia  pendant  une  heure« 
9doB  ks  Wis  les  plus  séFàres4le  la  saîeiice..Qaand  il  euli  fini  de  jouef^ 
oasiiyaot  la  sueur  de  son  £noftl>  il  defifiendk  de  la  iribnae ,  iacectaia 
4e^  TeCfet  qu^il  avait  produit.  Une  foule  immense  l'attendait  au  baa 
4eresealier»et  devant  la  porte  se  tenait  le  vieux  Reinken,  organiste 
centenaire»  quice  jpur-ià  s'étaitfaitporteràrégliseponc  Fentendre^ 
l^dij^  vieillard»  ému  jusqu'aux  larmes,  s'approcha  de  Sébastien» 
et  lui  serrant  la  main:  «  Mon  fils,,  dîtril,  je  croyais  le  grand  art, 
mort  pour  toujours»  et  je  suis  bien  heureux  de  voir  qu'il  vit  encore 
en  vous,  i»  Reinken  avait»  dans  sa  jeunesse»  travaillé  le  même  su- 
j^t  »,  et  composé  avec  ce  plain-chant  une  œuvre  à  laquelle  U  tenait 
beaucoup  et  qu'il  avait  fait  graver  en  cuivre.  L'ëloge  n'en  était  qne 
plus  glorieux  pour  Jean-Sébastien» 

Après  la  mort  de  Euhnan»  en  l'année  1723»  Sébastien  fut  nommé 
directeur  de  la  musique  de  Leipûg  ;  il  conserva  cet  emploi  jusqu'à 
la  fînde  sa  vie.  La  mort  du  prince  Léopold  suivit  de  prèsle  dt-part 
de  son  maître  de  chapelle;  Sébasiieaen  fut  profondément  affligé.  Il 
écrivit  à  cette  occasion  une  messe  avec  double  plain-cbant»  et,  vint  à 
Gotha  pour  en  diriger  lui-même  l'exécution. 

Le  second  fils  de  Bach».  Charles-PhiL-EmmanHel»  passa  auser-. 
viee  de  Frédéric  en  l'année  ITU).  La  gloire  de  Sébastien  était  parver 
nue  aux  oreilles  du  roi,  qui  manifesta  le  désir  d'entendre  un  si  grand , 
artiste.  Emmanuel»  flatté  de  ce  témoignage  de  bienveillance^  en 
instruisit  son  père  ;  mais  Sébastien»  occupé  comme  il  l'était  par  leSv 
devoirs  de  sa  nouivelle  charge^  ne  pouvait  pas  facilement  se  déran« 
ger»  et,  soit  oubli»  soit  négligence»  il  avait  toujoursdifféré  ce  voyage*^ 
Les  rois  n'aiment  pas  qu'on  leur  résiste.  Frédéric  s'étonna  dece  peUf 
d'empressemeiit  et  s'en. plaignit  avec  amertume.^ Sébastien»  averti 
de  la  disgrâce  qui  menaçait  Emmanuel»  entreprit  le  voyage  de, 
V0\$àmk  en  compagnie  de  Wilbelm  Friedmann»  l'ainé  de  sesenEansw. 

A  celte  époque»  Frédéric  avait  habituellement  de  petiis. concerts, 
dontilifaisaitlui-mémeloshonneurs  en  jouant  delà  flûte.  Un. soir  il 
préparait  son  instrument;  tous  les  musiciensétaient  rangés  autour  de. 
lui»  le. silence  le  plus  profond  régnait  dans  l'assemblée»  lorsqu'un, 
Qf&ien  entra  apportant  la  liste  des  étranger&i  arrivés  dans  la  journée, 
àPotsdauL  Le  roi  lui  foit  signe  de  la  déposer  sur  le  pupitre»  etbw 
pfUKOurit  des  yeux  en  préludant;  tout  a  coup  la  flûte  a!arréte  au  mit» 


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750  REVUE  DES  DEUX  1I01IDE8. 

lieu  d'un  point  d'orgue ,  Frédéric  se  tourne  i^rs  oeox  qui  Fa 
pagnent,  et  tout  ému  de  joie  :  «  Messieurs»  leur  dit-il,  je 
annonce  qne  le  vieux  Bacb  est  arrivé.  »  Ausat6t  deux  pages  seal 
envoyés  à  l'hôtel  où  est  descendu  le  maître  de  chapelle.  Bach,  ùA» 
gué  du  voyage,  s'apprêtait  à  se  mettre  au  lit;  une  servante  vint  iâ 
annoncer  que  des  jeunes  gens  demandaient  à  lui  parler.  «  Yous  vos 
trompez  y  ce  n'est  pas  moi;  je  n'ai  point  eu  le  temps  de  préiqii 
mon  fils,  et  je  ne  connais  personne  dans  la  ville. jd  A  ces  raota,!» 
deux  envoyés  de  la  cour  entrent  dans  la  chambre. 

—  Vous  êtes  maître  Jean-Sébastien  l'organiste? 

—  Sans  doute. 

—  C'est  donc  à  vous  que  nous  avons  à  faire.  Nous  veiKMis  de  h 
part  du  roi,  avec  ordre  de  vous  emmener  sur-le-cbamp  au  palais. 

—  Mais  vous  le  voyez,  je  descends  de  voiture;  il  m'est  ioipossifak 
de  vous  accompagner  ce  soir  à  la  cour.  Dites  au  roi  qœ  c*est  â  sos 
intention  que  j'ai  fait  le  voyage.  Demain ,  je  serai  tout  à  son  senrice. 

—  Le  roi  vous  demande  sur  l'heure.  Si  vous  tardez  encore,  fl 
viendra  lui-même  vous  chercher. 

—  Vous  me  permettrez  du  moins  de  changer  d'habit, 

—  Ce  serait  trop  long.  —  Et  les  deux  chambellans  le  saisissent  au 
bras  et  Ventrainent  de  fbrce.  Le  pauvre  Sébastien ,  couvert  de  fange 
et  de  poussière,  fut  obligé  de  monter  en  carrosse  et  de  s'en  aller  au 
château. 

Pendant  ce  temps  Frédéric,  pour  recevoir  dignement  son  Mie, 
avait  fait  distribuer  aux  musiciens  la  partie  d'un  motet  à  hoit  voix 
de  Jean-Sébastien,  et  c'était  Emmanuel  Bach,  maître  de  chapelle  de 
la  cour,  qui  dirigeait  cette  musique  improvisée  en  Thonneur  des» 
père.  Le  chœur  chantait  h  pleine  voix  lorsque  Bach  entra  dans  le 
premier  salon.  0  s'attendait  à  trouver  le  roi  seul  et  fut  teHeoMtf 
ébloui  par  tout  cet  appareil  d'harmonie  et  de  lumière,  qa*û  m 
s'aperçut  pas  d'abord  qu'on  exécutait  sa  musique.  Cqpeodaat  h 
rumeur  devint  générale,  le  nom  de  Bach  courait  de  bouche  en 
bouche,  les  femmes  se  penchaient  sur  leurs  sièges  pour  le  regtf* 
der;  lui-même,  après  quelques  mesures,  avait  reconnu  l'inteatiOB 
délicate  de  Frédéric.  Sébastien  était  heureux,  de  grosses  larmes 
ruisselaient  sur  sa  joue.  Emmanuel,  de  son  côté,  avait  revu  son 
père,  dont  il  était  séparé  depuis  trois  ans.  Jamais  office  de  Noâ 
lie  parut  aussi  long  aux  clercs  d'une  paroisse,  que  ce  motet  anx 


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JEAN-siBASTIEN.  7^ 

deux  musiciens  pressés  de  courir  Tun  vers  l'autre.  Emmanuel,  pour 
arriver  plus  vite,  hâtait  le  mouvement  d'une  manière  effroyable;  et 
tu  ne  disais  rien,  vieux  Bach,  toi  qui,  dans  les  églises,  pour  une  note 
chantée  à  contre-temps ,  contractais  les  muscles  de  ta  face  et  brisais 
le  pupitre  du  poing  !  En  ce  moment,  le  père  dominait  complètement 
le  maître  de  chapelle.  Il  s*agit  bien  de  ton  et  de  mesure  lorsqu'on 
revoit  son  fils  après  trois  ans  d'absence  1  Quelle  musique»  eût-elle 
été  cent  fois  plus  rapide,  n'eût  semblé  froide  et  lente,  comparée 
aux  battemens  de  son  cœurl  Le  motet  continuait  toujours.  Emma- 
nuel n'y  tenait  plus.  Tout  à  coup  au  milieu  d'un  tutti  général, 
il  jette  là  son  bâton,  et  court  embrasser  son  père.  Les  musiciens, 
épuisés  par  un  si  rude  service,  s'arrêtent  alors  et  profitent  de  l'ab- 
sence du  chef  pour  reprendre  haleine;  mais  le  roi,  qui  voulait  en- 
tendre le  motet  jusqu'au  bout,  leur  fait  signe  de  ne  pas  s'inter- 
rompre, ramasse  le  bâton  du  maître  de  chapelle,  et  vient  se  placer 
à  leur  tête  avec  un  sang-froid  aussi  imperturbable  que  s'il  se  fût 
agi  de  diriger  une  armée.  Le  chœur  une  fois  terminé,  Sébastien 
«'approcha  de  Frédéric,  et  s'inclinant  avec  respect  :  c  Sire,  per- 
mettez-moi d'abord  de  vous  remercier  de  votre  bienveillance  envers 
nous  et  de  vous  féliciter  ensuite  sur  le  talent  nouveau  dont  vous  venez 
de  faire  preuve.  Vous  avez  senti  mieux  que  personne  le  mouvement 
de  ce  morceau.  Emmanuel  Tavait  pris  trop  vite,  il  est  évident  que 
c'est  ainsi  qu'il  doit  être  exécuté.  >  Frédéric,  qui  tenait  beaucoup 
à  son  talent  de  musicien,  fut  extrêmement  flatté  des  éloges  de  Bach. 
—  Le  hasard  m'a  servi,  dit-il  ;  mais  lors  même  que  j'aurais  échoué , 
tous  devaient  ici  me  savoir  gré  de  ma  bonne  intention;  je  n'ai  con- 
duit l'orciiestre  devant  un  si  grand  artiste  que  pour  ne  pas  priver 
les  assistans  du  plaisir  d'entendre  une  des  plus  belles  compositions 
de  notre  époque.  —  On  voit  que  ce  soir-là  Frédéric  répondait  aux 
éloges  par  des  complimens. 

Après  un  entretien  rapide,  pendant  lequel  il  l'interrogea  sur 
divers  points  de  la  science,  le  roi  prit  Sébastien  par  h  main  et  le 
présenta  aux  dames  de  la  cour.  Comme  il  passait,  une  vieille  du- 
chesse qui  se  tenait  assise  au  milieu  de  filles  et  de  nièces ,  le  fit 
asseoir  à  ses  côtés,  et  lui  rappela  son  aventure  d'Arnstadt,  le  mé- 
morable office  du  jour  de  Pâques;  la  digne  femme  aurait  conté 
bien  d'autres  histoires,  si  Frédéric,  qui  était  jaloux  de  son  hôte 
et  le  voulait  pour  lui  seul,  ne  l'eût  entraîné  dans  les  salons  voisins» 
TOME  vu*  &7 


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79Br  RBYCIS  M»  MWX.  MC^IDES. 

pmt  l«i  ftMre  essayer  4«a  piaaos  de  SUlMBraus»  fi« 
dooiz  heutes,  do«z»  piaMs  rhtali^m  aevi  sa  maiii,  M  < 
ks  muaieîeas,  9lmxum  H  découragis»  s'éteaBèreot  de  Vi 
tteondité  de  «et  honaie  qm  passait  aîasi  d'un  iflfitniaieM4rj 
mriaBt  i  rinfini  sapaasée  ec  soa  sl^l^  £a  ethi,  aprèa  lea  | 
prékides»  il  se  posa  pour  thème  un  motif  large  ec  sévère,  «ik 
tiavailie  un  iaataat;  pda,  tout  à  eoup  il  s^inlenoiopt,  m  leva, et 
Ta  s'asseoir  daaa  le  sakm  Yoisia.  Toua  ceux  qui  venûent  de  raaaaa- 
dre  s*atteiidaiaDt.  à  le  voir  coatiDiier  le  chant  et  l'épuiAur.  P^im  ds 
totti^il  en  iofente  un  aatca ,  le  laoee  et  l'arrête  de  oitaie,  laisqifc ileaL 
l^aÎD  de  sÀTO  ait  de  vie  et  pounail  courir  une  heure  encore  8or  le  dK 
vier^  Deuxheures  sonnaisatà  Thorloge  du  château  quand ta^aAawafim 
levée»  et  tons,  les  assistans  seséporàrent  pleins  d'eoihoBsiaMtt  pos 
le  grand  artiste,  et  d*ainilié pour  le  vieillard  qui  vesaît  de  sadà-* 
vouer  à  leurs  plaisirs  avec  tani  de  coo^yaisance.  et  de  ^raœ  mm^ 
le lendeaiain,  dès  neuf  heures,  une  vûHare aux  aroiee  de  Pvasse 
ae  tenait  à  la  porte  de  l'auberge  où  demeurait  le  makre  de  cbapeUa; 
ce  jour-là  Frédéric  visitait  avec  hii  les  orgues  de  la  yille.  Maigm 
les  fintigues  de  la  nuit  précédente»  Bach  s'était  levé  plus  tAt  qaa 
df habitude,  afin  de  donner  tout  le  temps  nécessaire  aux  soins  da 
sa  toilette.  Lorsqu'il  descendit,  tous  les  gens  de  la  maison  fweaii 
émareîRes  de  tant  de  luxe  et  ne  comprenaient  pas  comwont  ca 
Mdile  seigneur,  qui  s'en  allait  à  la  cour  en  si  grand  éqm^pi^,  éiah 
loméme  homme  qu'ils  aMÛait  pris  la  veille  pour  un  pauvre  diable», 
àlachétive  apparence  de  ses  vétemens«  Il  portait  un  habit  de  drap 
neîr»  et  par^dessoua  une  veste  de  satin  de  la  même  couleur  où  sec- 
pantmt  un  édatant  jabot.  AjonlOE  à  o»^  des  baa  de  soie«  des  boudts 
d'or  cisrié,  {»*és6nt  du  grand-duc  Léopold ,.  des  manchettes  de  des- 
tdies  qui  se  rëpandaîeot  avec  profusion,  recouvrant  à  demi  dm 
mains  d'une  blancheur  exquise ,  et  vous  aurez  une  idée  assm  exacM 
dn  costume  de  ftte  de  Jeim-Sébastien  Baah.  U  était  heureux  ci 
tnooiphant;  ses  yeax  éclataieet  d'une  lueur  de  vie  et  de  jeuneaao; 
soa  visage  rayonnait  comme  toutes  les  fois  qu'il  allait  s'asseoir  i  la 
nouveau  davier«  Arrivé  à  hi  prochaine  éf^ise,  il  monta  à  l'oi^e» 
et  s'en  eaipara;  car  c'était  sa  destinée  à  lui  de  trouver  toiqoucik 
patte  ouverte  et  Finstrument  docile ,  et  l'on  dit,  en  Allemagne»  qik 
sonapproehe  l'orgue  rmdait  de  sourds  mucmureSy  de  même  quaii 
jmnmt  henntt  quand  die  aant  venir  son  cavidier.  Ma  lesi] 


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JVâfl  WbUBBWOMm  TUi 

prUmiCÊ,  IrasfoesaHreiitkfiMxliléiMnffittsBM  danMtMjwds 
ce  i|«i  les  oit  dam  la  ttopaar  etie  nmmment,  œ  te  éeM  esé- 
iODitoa  hnff^,  shnple  et  sévère,  cette  magnHiceeee  de  Btyie,  qtti 
se  pMiraitee  ééployer  qoe  mr  le  vasie  obamp  de  rorgiié.  Bn  effet , 
liier  il  était  dans  im  salon  éiratt,  aiqomNl'Irai  dans  eae  cathédrale^ 
Jner  il  n'avait  pu  pr^dre  son  caser,  l'espaoe  lui  nanqtiah  :  «imai 
foiaeaw  royal,  il  £diait  teroir  œ  matin  (rovfler ses  ailes  etnientar  «a 
ploslisatdela  ToAte  et  frapper  de  sa  tête  les  murailles  retentissantes, 
descend»  et  jouer  aar  la  daKe,  et  se  baigner  dans  le  sdeil, 
:  les  ta joes  aHamaient  sar  sa  piooie  las  sept  conleiirs  de  fan^ 
«ea-teiel.  Quant  i  cette  variété  de  mélodie,  à  oeneaboedanoeliearevse 
(qeVEiB  ayait  tant  adasirée  la  «veîtte,  eHe  s'ëiait  aeorve  en  proporfioii 
de  la  nature  de  l'instrument  €ft  de  la  solennité  du  fieu.  C^ttut  Mon 
twjoins  cette  onde  iatarissaUe ,  seulement  elfe  se  répandait  impé- 
i  et  mugissante,  à  la  manière  des  grands  fleaveset  des  torfeas'; 
cet  honutte  qui  savait  se  suffire  tout  un  soir  à  lui-même  et  va- 
jwit  à  rinioi  sa  pmsëe,  sans  jamais  s'épuiser,  démit  néeessairemeflt 
9e  aentir  bien  à  lUiise  et  ne  produim  que 'des  cbosea  sublimes,  au- 
jourd'hui qu'il  avait  un  mcaaent  pour  ae  recneiMir  entre  deuximpr^ 
visations,  et  qu'en  cheminant  d'une  église  vers  l*aatre,  il  Sraverêait 
ide  belles  promenades  et  des  jardins  en  fleurs ,  et  pouvait  retremper 
son  esprit  dans  toutes  les  fraîches  images  de  lanaiure. 

Feadaat  les  trois  premières  heures,  SAastien  avait  tcMemiint 
^prodigué  la  mélodie  et  la  sdenoe,  qu'il  semblait  à  la  fin  qae  lafiomee 
^  son  inspbation  dit  être  tarie.  Pour  terminer  dignenoent  la  jour- 
née, il  se  disposait  à  réoBn*  -dans  ime  vaste  sjmpbonie  les  idées  sans 
«evitbre  qu'il  venait  de  semer  sur  tous  les  ohmers  de  la  ville ,  loie^ 
Tfue,  dans  la  deroièie église  qu'il  visitait,  un  spoetaole  doalmremt 
s'ofFrit  à  lui.  Son  ame  seiltit  ses  cordes  se  détendre  et  s'amoHir  sous 
des  ruisseaux  de  larmes. 

Une  jeune  fille  était  morte,  et  ses  compagnes  en  voiles  blancs, 
ne  tenaient  à  genoux  autour  d'elle.  Sitôt  l'ofifoe  terminé,  ellos  se 
levèrent ,  et  chacune  à  son  tour  vint  faire  ses  adieux  i  son  amie, 
et  secouer  sur  le  Knceul  des  larmes  d'eau  bénite.  Frédéric  fut  énm 
profondément  en  face  de  cet  appareil  de  tristesse  et-  d'alMctioiL 
Quand  tout  le  pâle  cortège  eut  déKlé  devant  ses  yeux,  le  roi,  von-> 
lant  aussi  rendre  hommage  à  la  morte,  prit  des  mains  de  lader* 
fiière  jeune  fille  le  rameau  consacré ,  le  secoua ,  pois  tendit  le  bras  à 

kl. 


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740  BBYVB  DES  DEUX  H0IIDB8. 

Jean-Sébastien,  l'inTÎtant  à  faire  de  même.  Sébastien  avait  dispsni, 
et  tandis  qu'on  le  cherchait  parmi  les  assistans ,  il  s'âeta  tooti 
coup  dans  Téglise  une  musique  étrange ,  un  chant  c^este  et  pur, 
d*une  mélancolie  ideffiable.  On  eût  dit  un  chœar  entre  les  viande 
la  terre  et  les  anges  du  paradis.  Les  unes  déploraient  leur  chaste 
sœur  enlevée  aux  tendresses  de  sa  mère ,  à  Tamonr  de  ses  compa- 
gnes, aux  fraîches  voluptés  de  la  jeunesse;  les  autr^ diaaUieBt 
la  glorieuse  élue  et  toutes  les  joies  qui  1* attendaient  an  del  à  la  dnte 
du  Christ.— C'était  lui,  le  grand  organiste,  qni  répandait  d*e&  but 
ses  larmes  sonores  et  mâodieuses,  lui  qui  versait  son  harmonie  ain 
qu'une  eau  bénite  sur  le  sein  de  la  jeune  morte.  Douce  viei^  (fi^ 
lemagne,  tu  tressaillis  alors  dans  ton  suaire  iumaide  et  ili  nmuiliiii 
ce  n'étaient  point  déjà  les  célestes  rosées. 

Sébastien  demeura  quelques  jours  encore  à  Potsdam,  puis  malgré 
les  instances  de  Frédéric,  qui  voulait  le  retenir  auprès  de  loi,  mai- 
gré  les  prières  de  ses  enfans ,  il  alla  reprendre  son  poste,  et  partit» 
emportant  avec  lui  l'amitié  du  roi  et  de  tous  ceux  qui  l'avaient  comra. 
Ârriyé  à  Leipzig,  il  se  mit  à  travailler  un  thème  qu'il  avait  reçu  de 
Frédéric,  composa  divers  canons  et  fit  graver  Tœuvre  complète,  b 
dédiant  au  royal  musicien. 

Ce  fut  là  le  dernier  voyage  de  Bach.  L'assiduité  constante  arec 
laquelle  il  se  livrait  au  travail  avait  épuisé  les  forces  de  sa  vue.  Sa 
lampe  d'études  avait  brûlé  ses  yeux,  et  maintenanc,  cfaaqoeooit, 
pareille  au  flot  qui  se  retire ,  déposait  sur  sa  paupière  un  voile  de 
graviers.  Douloureuse  pensée  I  il  brisait  le  corps  en  fécondant  Fcs- 
prit,  et  ses  veilles  lui  préparaient  un  mal  triste  et  cuisant  qi 
devait  finir  par  la  plus  déplorable  infirmité.  Sébastien  devenait 
aveugle.  Il  supporta  avec  calme  et  résignation  le  fléau  que  le  Sei- 
gneur lui  envoyait,  et  s'il  consentit  à  s'abandonner  aux  mains  (fin 
oculiste ,  ce  fut  bien  plutôt  pour  céder  aux  sollicitations  de  sei 
amis,  que  pour  trouver  la guérison d'un  mal  qu'il  regardait comoe 
incurable.  L'opération  fut  deux  fois  reprise  et  deux  fois  échom. 
Dès-lors  il  fallut  désespérer  :  une  tristesse  morne  s'empara  di 
lui,  comme  un  pressentiment  de  sa  fin  prochaine;  ses  genoux 
ployèrent,  et  tout  son  corps,  si  robuste  autrefois,  s'inclina  vers  h 
tombe.  Sébastien  Bach  traîna  six  mois  encore  une  débile  existeace, 
et  le  20  juillet  1751 ,  s'endormit  sur  le  soir  dans  les  1»^  de  ses 
nombreux  enfans.  Le  dixième  jour  avant  sa  mort,  Sâ>astic^|i 


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JEAN-SÉBASTIEN.  741 

son  réveil ,  vit  les  premiers  rayons  du  matin  glisser  à  travers  ses 
rideaux.  Ses  yeux»  fermés  hier,  s'ouvraient  à  la  lumière.  Étrange 
phénomène  que  celui  qui  se  passe  chez  Thomme  aux  heures  de  sa 
fin  I  Les  ténèbres  qui,  pendant  la  démence,  emplissaient  son  esprit, 
se  dissipent  alors,  et  Fidée  apparaît  de  nouveau,  fraîche  et  radieuse. 
L*aveugle  voit ,  le  sourd  entend,  le  muet  disserte  à  voix  haute,  et  le 
perclus  se  meut.  Peut-être  la  Mort  rend-elle  à  l'homme  toutes  ses 
facultés,  afin  qu'il  puisse  la  regarder  en  face  et  lutter  dignement 
avec  elle;  peut-être  aussi  tout  cela  n'est-il  qu'une  ironie  affreuse, 
qu'une  démonstration  terrible  de  sa  toute-puissance.  Voilà  ce  que  tu 
étais  hier,  voici  ce  que  je  te  fais  aujourd'hui  :  compare  I 

Après  avoir  remercié  le  Seigneur  de  ce  rayon  de  céleste  lumière 
qui  le  visitait  dans  sa  souffrance ,  Sébastien  se  mit  à  regarder  ses 
.  enfans  l'un  après  l'autre ,  et  bien  souvent  des  larmes  de  joie  obscur- 
cirent sa  vue  à  peine  recouvrée.  Ensuite  il  se  hâta  de  jouir  encore 
une  dernière  fois  de  l'aspect  de  la  belle  nature ,  sentant  bien  que 
le  lendemain  peut-être  il  ne  serait  plus  temps.  Il  se  fit  ouvrir  la 
fenêtre,  et  sur-le-champ  un  fleuve  de  lumière  inonda  sa  couche.  A 
travers  toutes  ces  gerbes  ardentes  dont  l'œil  d'un  aigle  eût  à  peine 
soutenu  l'éclat,  lui,  mourant,  voyait  sur  un  fond  calme  et  bleu 
.les  étoiles  éclore  et  resplendir.  On  eût  dit  que  la  nature,  pres- 
sentant la  fin  de  son  bien-aimé,  lui  donnait  à  la  fois  le  double 
spectacle  de  la  nuit  et  du  jour.  Comme  un  homme  placé  dans  un 
puits,  Sébastien,  les  deux  pieds  dans  la  fosse,  comptait  à  midi 
les  étoiles  du  firmament.  Ikins  sa  naïve  extase,  il  les  nommait 
à  ses  enfans  qui  tiraient  un  funeste  présage  de  cette  perspicacité 
subite,  et  pleuraient  à  ce  triste  penser,  que  leur  père  était  assez 
profondément  tombé  dans  l'abîme  pour  compter  les  étoiles  à  cette 
heure  où  le  regard  terrestre  ne  peut  les  percevoir.  Enfin ,  il  de- 
manda ses  fleurs,  les  belles  fleurs  qu'il  cultivait  avec  tant  d*amour 
pendant  les  dernières  années  de  sa  vie  ;  il  eut  plaisir  à  voir  sur 
chaque  tige  les  boutons  nouvellement  éclos,  respira  leur  parfum, 
détacha  les  feuilles  parasites,  et  leur  dit  adieu,  les  recommandant  à 
la  rosée.  Ensuite  il  causa  quelque  temps  avec  sa  famille ,  et  vers  le 
soir,  se  sentant  fatigué,  il  s'endormit. , Hélas  !  deux  heures  après, 
l'ange  de  la  lumière  était  remonté  à  son  foyer  divin ,  et  le  malheu- 
reux, frappé  d'un  coup  de  sang,  subissait  les  premières  ardeurs  de 
cette  fièvre  qui  devait  bientôt  l'emporter* 


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^fl2  RETR  MB  MOX  MNDB8. 

Telle  OBt  niîiloire  de  oei  komme  étonnant. Tmjoiiteni  qt^tm 
naria  deux  fois,  li  eul^  sa  première 'feinme'flepl  enfuH,  tniae 
•delaseoendey  en  tout  onae  fils  et  neuf  filles.  Tmn  les  flis  ont  éé 
doués  de  hautes  dîspesîlkHiB  musiedes. 

Haintenant ,  si  ifous  deseenâez  dans  les  dèlrib  de  ^sa  rie  prifét, 
^0118  ne  trovrerez  qoe  saerifiees  envers  sa  famifle  et 
-eontinnds  envers  les  maHienreax.  Comme  presqne  ions  les  ' 
de  conscienoe  et  de  génie ,  SAasIien  vecot ,  sinon  dans  la  nbèie, 
dn  moins  dans  l^boneraUe  mëdioorité  de  h'fortnne.  Les  waoduÊU 
ve?enn8  de  sa  Giiaff»e  suffisaient  à  Tcntreiien  de  iks  nondM'evx  en- 
fens ;  qu*ai!nft^ è'soeonper ^mste? Certes, »u%ea de rirre waâ^ 
flengé  dans  fétnde  -ex  la  eomposMon,  an  liea  de  passer  des  jeors 
entiers  à  jouer  an  peuple  les-caniiqnes  du  ciel,  8*9eèt  voriu  desoen- 
dre  dans  les  sdons  des  financiers  de  l'AUemagne»  et  r^enir  Ma- 
Teté  des  gcands  seigneors ,  4  aarak  pu  amasser  de  For  ( 
Vautres.  Mais  leS'hosBmes  4e1a  trempe  deScbsaiiea  i 
jusqu'au  bout  I-ceuvre  à  laquelle  ils  sont  appelës  sor  la 
meurent  dons  la  sotitude  et  Ikmbli  philftt  «que  d'kmler'eos  nmes 
«lires qui  n«fiqBentde4'afteomnie#irDe'Âo8eqinnefend. 

Sébastien  n'érita  jamais  4'oocasion  de  porter  seeooie  A  sesftites, 
inen  que  cette  occasion  s'efftit  à  lui  plus  soovem-qeni  i 
Son  détouemei^  était  «connu,  -et  de  toas  les  f>oinls  de  Ti 
les  artistes  maflheureux,  ccmme  des  -voyageurs  égarés,  se  i 
yers  cette  lumière  bienfaisante.  Sans  te  noisl>re,  on  «*en 
pas  m  qu'il  n'ait  aoeueili,  €ak  asseoir  A  sa  -table  à  6M  ée  «es 
enfiinSy  et  pour  lequel  il  n*ait  employé  tout  son  cpé^  LeslMmnMS 
léb  que  hii  marchent  an  milieu  des  bënédioiiens  'de  h  mullituâe; 
la  sérénité  de  ienr  mage,  le  ^duH'aie  de  leursdisoeurs,  itapuadsit 
lliarmonie  autour  d'eue  et  préparent  les  Qmes  Aje^fotrlamaBi 
que  divine.  Ils  sèment  dans  le  peuple  la  parole  H)ui 'leur  est  dMMéSy 
et  partout  oà  la  terre  est  bonne,  ce  grain  prend  racine  et  fine- 
tifie.  Heureux  celui  qui  passe  sa  jeunesse  en  leur  intimité;  kan- 
reux  celui  qui  se  souvient  de  l'œuvre  qu'ils  ont  faite,  et  quand  Us 
sont  oubliés  de  tous,  écrit  l'histoire  de  leur  vie.  La  vie  de  ces 
hommes  est  comme  une  racine  dé  bois  de  rose  qui  pwAme  d'agréa- 
bles senteurs  Tatelier  de  rèbémste  qui  la  travaille. 

A  quelques  différences  près,  le  piano  et  l'orgvie  paraissent  ana 
gens  du  monde  des  instrumens  d'une  même  nature.  Tous  les  deuK 


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jiriKèdiUEit  parocUTes  etvi()ODd«ntàraxtouchemeAtdesdoigt9..Ce- 
pendant  le  nmsicieD^  queUe  que  soU  cl*aiUeurs  sa  puissance  sur  Iq 
pipua,  s'il  Teut  ÎQoer  de  Focgue»,  doit  conuna&cer  de  noaveIle&étup> 
des»  car  ces  deox  instruoiens  »  malgré  Iei»r  affinité  apparente,  sMitaa 
fond  dissemblables  l'un  de  rau(re,  tant  par  la  style  que  par  le  but 
^la  destination.  Lepianoa  desdiaats  légers  et  capricieux»  des  mo- 
tifs entratnans ,  des  notes  rapides;  c'est  l'inslrument  de  la  fantaisie,, 
quelquefois  aussi  de  l'inspiration»  témoîos  Mozart  et  Beelhoven» 
l«*OBgae  est  solennel  et  magmficpie  et  cbamiac  à  pas  lenls.  La  mn-* 
Miue  du  piano  ressen]i>le  à  ces  «lenrse&quises  et  voluptueuses  qui 
enivreot  avant  cpi'on  ait  pn  les  nommer»  tant  elles  se  dégagent  par 
eTbalaisons  imperceptibles^  La  inusique  de  l'orgue,  au.  contraire^, 
nonte  par  lai'ges  bouffées  comme  les  màlas  senteurs  de  la  plaine, 
oomma^ks  vapeurs  d(a  l'encensoir* 

Nul  mieux  que  Sébastien  n'a  senti  cetto  différence  j^ofonde  : 
après  a<vair  atteint  sur  le  piano  wie  fioirce  aujourd'hui  encore  saps 
exemple,  se  sentant  appela  {dus  haut  dans  son  art,  et  d'aillearSi 
estimant  la  couronne  de  l'orgMiistei  préférable  à  toutes  cdles  qtte> 
la  musique  donne,  il  ne  recula  poinf  devant  les  aspérités  de  sa  nour. 
yàhè  t4che.  Le  maître  eut  le  courage  de  se  fiûre  écolier*  fiès4or8  il 
passa  s^ift  relâche  do  la  théorie  à  la  pMique,  ecmsnma  ses  nuits  k 
lire  les  oeuvres  deBobm,  de  Casp.  Kerl»  de  Biatehnde>  et  ses  jourst 
à  les  exécuter.  Q  remua  In^gue  dans  ses  entrailles,  prit  à  part  cha* 
que  voix  de  la  grande  harmonie,  afin  d'ai^masurer  l'étendue  et  k 
puissance,  se  rendit  compte  do  toutes  les  ressources  de  la  pédale  et 
dn  registre;  ^[ifin,  s'initia  dans  les  mystères  de  l'instrument  de 
tdle  sorte,  <yi'U  parvint  à  le  ooimaltre  jusque  dans  les  moindres 
d^ttû}&  de  sa  construction  matérielle.  Aussi ,  ce  n'est  pas  lui  qui  ja* 
mais  eût  apporté  dans  le  sanctuaire  de  ces  airs  de  théâtre  et  de 
taverne;  ce  n'est  pas  lui  qui  serait  venu  joyeusement  éparpiller  sur 
l'orgue  de  ces  tristes  motifs  dont  on  amuse  les  salons;  il  savait  trop 
bien  qu'il  lui  feut  un  plain-chant  grave  et  sévère. 

Les  sona  puissans  de  Forgue  ne  peuvent  se  rassembler  sur  des 
motifis  iogénienx  et  rapides;  il  leur  faut  du  tempe  pour  se  dépIofer« 
Lforfue  est  un  vaste  métier,  l'artiste  qui  l'émeut  un  tisserand  su*» 
blime,  et  les  sods^  pareils  i  des  fib  de  soie  et  d'cdr,  en  sortent  fax 
milliera  aux  heures  du  travail,  les  uns  aigus,  les  auties  graves, 
tmtr^  irainans  et  sotannnb,^  eeux-lé  j^f«ia  et  méteffignest  1k 


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744  RETUE  DBS  DEUX  MONDES. 

sortent  et  flottent  quelque  temps  au  hasard  >  et  ce  n'est  que  sons 
la  voftte  immense  du  sanctuaire  qu'ils  peuvent  se  réunir  et  se  for- 
mer en  un  tissu  mélodieux.  La  musique  des  orgues  est  lente  et  so> 
lennelle.  Celui  qui  tient  les  voix  divines  en  sa  puissance»  celai  qà 
s*en  est  rendu  mattre  par  l'étude  et  la  foi,  arrive  au  sanctuaire  som 
rinspiration  de  la  fête  qu'on  y  célèbre.  Il  faut  que  les  voix  de  la  tr«* 
tesse  et  de  la  douleur  chantent  haut  dans  son  ame,  et  ce  n'^t  qu'à 
cette  condition  qu'il  peut  les  transmettre  à  la  foule.  H  monte  à  h 
tribune.  Sa  première  phrase  est  grandiose  et  simple;  la  seconde 
ressemble  à  la  première  par  la  mesure  et  Texpression,  et  cela  doit 
être.  La  cathédrale  est  vaste,  et  roule  son  bruit  long-temps  en  ses 
entrailles  profondes;  or,  bien  souvent  une  phrase  éclate  sur  le  da- 
vier de  Torgue  lorsque  celle  qui  l'a  précédée  ne  s'est  pas  tout-à-iaâ 
exhalée  encore;  et  voilà  pourquoi  la  musique  des  orgues  doit  être 
exempte  de  diffusion,  arrêtée  et  logique. 

L'orgue,  par  ses  préludes  et  ses  ritournelles,  élève  et  maintient 
rame  sur  des  sommets  divins  qu'elle  atteindrait  peut-être  un  jour, 
livrée  à  ses  propres  forces ,  mais  d'où  certes  die  tomberait  bientôt, 
si  les  ailes  de  l'harmonie  ne  s'ouvraient  autour  d'elle.  Cette  musique 
bienheureuse  passe,  emportant  l'afBiction  du  présent  et  les  pensées 
terrestres  qui  sont  comme  la  poussière  qui  ternit  le  spiesdide  mi- 
roir de  l'ame.  Une  phrase  ordinaire  et  commune,  quel  que  soit  le 
vêtement  dont  on  l'entoure,  ne  deviendra  jamais  soleoo^Jè  et  ca- 
pable d'éveiller  des  sentimens  élevés;  il  fout  donc  la  terni  loin  des 
orgues.  Et  qui  jamais  a  mieux  compris  cela  que  Sébastien?  Avant 
lui,  de  grands  musiciens  religieux  avaient  accompli  leur  tâche.  Al- 
legri,  Palestrina,  Buxtehude,  avaient  préparé  sa  venue,  et  l'ég^ 
garda  leur  voix  sous  ses  arceaux,  jusqu'au  jour  où  celle  de  son  fik 
bien-aimé  se  fit  entendre. 

Vraiment  il  est  des  hommes  à  qui  la  divinité  fait  une  part  bien 
belle  en  cette  vie;  ils  viennent  au  temps  des  fruits  et  des  récoltes, 
et  vendangent  avec  la  vigne  que  d'autres  ont  plantée;  ils  entrent 
dans  le  champ  et  fauchent  les  blés  qui  ruissellent  encore  des  gouttes 
de  sueur  et  des  larmes  de  leurs  frères  qui  se  sont  endormis  la  veiQe. 
Leur  gloire  à  eux,  c'est  de  faire  une  bonne  journée  de  travail,  de 
faucher  les  moissons  épaisses  et  de  les  mettre  en  gerbe,  d'en  s^rer 
les  mauvaises  plantes  et  les  petites  fleurs,  de  brûler  les  unes  et  de 
Jeter  les  autres  sur  le  bord  du  chembi  où  les  enfons  qui  passent 


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JEAN-siBASTIElf.  74S 

les  recueinent  pour  s'en  faire  une  couronne;  et  le  soir,  quand  ils 
rentrent  dans  la  ville,  le  peuple,  attiré  par  les  chaudes  senteurs  du 
cliariot,  accourt  en  foule  et  les  salue  avec  des  cris  d*amour,  et 
chante  leurs  louanges ,  oubliant  les  faibles  qui  sont  morts.  On 
«lirait  que  Dieu,  avant  de  donner  à  Tidée  un  cerveau  qui  puisse 
la  contenir  sans  éclater,  l'essaie  en  des  têtes  débiles  qu'elle  brise, 
et  lorsqu'il  a  tenté  les  hommes  et  les  sent  capables  de  supporter 
la  pleine  lumière  de  ce  soleil  dont  ils  n'ont  vu  que  des  rayons 
fuyans,  le  jour  étant  venu.  Dieu  crée  l'ame  prédestinée,  l'entoure 
d'une  argile  puissante  et  généreuse,  et  lui  dit  en  l'envoyant  sur 
la  terre  :  c  Tu  t'ouvriras  à  toutes  les  émptions  de  joie  et  de  dou- 
leur; tu  iras  te  perdre  dans  le  bois;  tu  monteras  sur  la  montagne, 
et  là,  dans  le  recueillement,  tu  rassembleras  dans  une  symphonie 
tous  les  bruits  qui  te  frapperont,  et  tu  t'appelleras  Beethoven;  »  ou 
l>ien  :  a  Tu  visiteras  la  cathédrale,  tu  chercheras  à  surprendre  le  sens 
mystérieux  des  paroles  qui  se  croisent  la  nuit  sous  ses  arceaux,  et 
tu  les  révéleras  aux  hommes,  car  je  te  donne  le  champ  des  orgues 
pour  domaine,  et  pour  nom  Jean-Sébastien.  »  Certes,  c'est  là  une 
part-  qui  semble  assez  belle ,  et  l'on  s'étonne  après  que  les  fléaux 
s'abattent  sur  ces  têtes  sublimes,  et  Ton  déplore  les  misères  d'Âli- 
ghieri,  les  tristesses  de  Beethoven,  les  pâleurs  de  Raphaël  et  de 
Mozart  I  Mais  ceux  qui  se  lamentent  ainsi,  ne  savent  donc  pas  que 
l'inquiétude  est  la  sœur  fatale  du  génie,  que  Dieu  seul  se  complaît 
dans  son  œuvre  éternellement,  et  qu'il  est  aussi  impossible  de  créer 
sans  travail  ni  souci,  que  de  ne  point  mourir.  Et  si  les  fléaux  ne 
frappaient  pas  ces  têtes  augustes,  sur  qui  donc  tomberaient-ils  ici- 
bas?  Serait-ce  sur  le  pauvre  d'esprit  qui  passe  et  cache  son  front 
dans  la  foule?  Mais  il  n%  pourrait  les  supporter;  et  d'ailleurs,  vou- 
lez-vous enfoncer  dans  sa  chair  les  épines  d'une  fleur  qu'il  n'a  pas 
respirée,  et  l'entourer  des  ombres  d'un  soleil  dont  il  ne  verra  jamais 
la  lumière)  Allez,  Dieu  est  juste;  quand  le  tonnerre  tombe,  il  s'at- 
taque au  cèdre  couronné  plutôt  qu'au  brin  d'herbe  qui  tremble  ; 
l'égalité  des  adversaires  fait  la  grandeur  du  combat.  Beethoven  était 
sourd;  mais  croyez-vous  que  Beethoven  n'eût  pas  ouï,  dans  sa  jeu- 
nesse, plus  de  bruits  mille  fois  qu'il  n'en  faut  pour  briser  des  oreilles 
humaines?  croyez-vous  qu'on  puisse  impunément  écouter  chanter  les 
fleuves  et  les  montagnes,  et  que  les  paroles  que  vous  disent  les  fleurs 
en  vous  révélant  leurs  mystères  ne  détruisent  pas  les  organes  simples 


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716  EETinS  0BS  «EUX  «<>ia>E8. 

de  la Tîe, lorsqu'elles  les trayersent pour  arrriver  I^ITaniéTIBflmta 
Batch  est  mort  aveag^';  mais  les  T^[cirds  de  'S^oistien  araientd^ 
passé  les  ihnttes  de  I*horizoa.  ÀTant  de  se  régler  à  Meise-dai»  toole 
lia  gloire,  Jebova  dit  aa  propirèfte  de  se  roMer  la  foce,  car  aotrenieÉt 
il  serait  ébloui  par  b  limiière  dirine  et  perdrait  ht  me.  St  €  est  1, 
croyez-le  bien ,  tm  nmg^oifiqae  symbole. 

Toutes  les  toîx  de  louauge  ^t  d'amour,  tous  les  psaumes  de  doiK 
leuret  de  lamentation  qu'une  urne  religieuse  élève  vers  Dieu  das 
son  extase  ardente,  ou  laisse  s^exhaler  en  ses  momens  de  tristesse^ 
dinquiëtude,  tout  cela  est  dans  l'œavre  de  Sâ»stien.  Sèbtstiea 
Bach  est  le  chantre  de  l'église ,  comme  Albert  Dftrer  ^en  eft  ie 
peintre.  Les  moyens  dont  lean-Sébasâen  Bach  se  serrait  poor  it- 
teindre  dans  l'exécution  à  des  effets  si  grandioses,  consistaient  prâ- 
cipalement  dans  son  harmonie  divisée,  dans  l'usage  de  h  péiUe 
obligée,  dont  si  peu  connaissent  les  ressources  mystérieuses, 
dans  la  manière  de  traher  les  plains-diants  et  de  condbnier  les 
registres.  Il  suffit  d'examiner  les  diorals  de  Sébastien  pour  oom- 
prendre  conArien  la  musique  d*ég!ise ,  grâce  à  la  différence  qui  m 
sépare  les  tons  de  nos  modes  mineurs  et  majeurs ,  prête  i  des  mt- 
dulations  inaccoutumées.  Hais  nul  ne  peut  se  faire  une  idée  juste 
de  l'harmonie  divisée,  sllu^a  plusieurs  fois  entendu  le  jeu  de  l'or- 
Igue.  Cest  un  chœur  de  cinq  voix ,  chantant  tomes  dans  leur  fmrtîe 
et  leur  étendue  naturelles.  Essayez  sur  le  dai^er  un  accord  en  liar* 
monie  divisée,  et  d'après  cette  épreuve,  il  vous  sera  fadle  decoiB- 
prendre^piel  effet  puissant  doit  produire  un  monrceau  exécuté  toit 
entier  de  la  sorte,àtiuatrc  voix  et  plus.  Cest  ainsi  que  Bach  jooait 
totijours  de  Forgue;  et  dans  l'enthousiasme  de  Fexécntion,  il  ne  se 
contentait  pas  de  donner  avec  la  pédde  de  shnples  tons  fondamet- 
taux,  il  jouait  avec  ses  pieds  des  mélodies  de  basse  si  rapides  sonveot, 
que  tout  autre  organiste  que  lui  aurait  eu  peine  à  les  «xécut^  aise 
les  cinq  doigts  delà  matn.  Atout  cela,  il  feutjohidreiencore  le  secret 
merveilleux  quH  avait  de  réunir  les  voix  de  l'orgue ^t  de  rassembkr 
les  registres;  et  telle  était  l'étrangeté  de  sa  foçon  d*agir,  queliieB 
des  oi^fanîstes  s'épourantaient  en  le  regardairt  (aire.  Ils  croy»eflt, 
les  pauvres  gens,  que  de  ces  voix  ainsi  combinées  devait  jaiflir  h 
dissonnance ,  et  s'étonnaient  ensuite  en  voyant  l'org^ue  épanouir  sa 
gerbe  harmonieuse  et  semer  des  sons  éctatans  et  tels  qu*eux  nV 
Taient  jamais  su  en  éveiller. 


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Cette  maniàre  de  Degistpei^  étail  W  fnàï  d'iiae  ooniiAieBaiice  pro* 
fonde  de  la  constroetioa  de  Tos^ue  et  de  lotîtes  ses  toî^l.  Q  s'élftil; 
babilué  de  bonne  heure  à  doDoer  à  chectiBe  la  mëiodie  confonna 
à  sa  nature,  et  ce  fut  ainsi  quil  trouva  mille  combinaisons  non- 
vdles,  auxquelles  autremenl  il  n  aurait  peut--étre  jamais  pense. 
Sebastien  tenait  de  la  nature  et  de  ses  études  sévères  une  facalté 
bien  rare  :  il  découvrait  dans  toute  chose  son  rapport  avec  la  sut- 
sique^  et  quand  le  fil  qui  liait  un  objet  à  son  art  ^  eùl  été  plus  im-> 
perceptible  cent  fois  et  plus  ténu  que  le  moindre  rayon  de  himiére», 
il  neût  pas  échappé  à  son  rc^rd  pénétrant»  qui  s*en  emparait 
aussitôt»  La  persévérance  qu  il  metlail  à  exécuter  les  grandes  coot* 
positions  en  certaines  ^leeio tes  dont  U:  avait  découvert  la  propriété 
sonore,  l'instinct  merveilleux  qui  lui  faisait  surprendre  une  faute 
dans  la  musique  la  plus  laboriensement  écrite»  et  saisir  comme  avec 
le  doigt  une  petite  note  qui  fuyait,  cherchant  à  se  dérober  dans  le  tor^ 
rent  de  l'harmonie^  tout  ceb  peut  servir  de  preuve  à  ce  qoe  j'avance. 
EnFannée  1747,  comme  il  se  trouvait  àBerKn,  on  le  conduisit  dans 
la  nouvelle  salle  de  spectacle.  Dès  le  premier  coup  d'oeâ,  il  découvrit 
tout  ce  qui  pouvait  y  être  avantageux  ou  défoverable  à  la  musique* 
Ensuite,  il  entra  dans  le  foyer,  parcounit  la  galerie  qui  régnait 
tout  autour,  examina  la  vo4te,  et  dit  à  ceux  qui  l'accompagnaient: 
«  Messieurs,  rarckiteete  a  fint  ici  une  œuvre  d'art  sans  le  iK>nloir 
peut-être  et  sana  que  nnl  de  vous  s'en  dbnte.  d  En  effet ,  telle  était 
l'erdonnanoe  de  la  voûte  que  le  son,  parti  cFun  point,  allait  tomber 
de  Fautre  sans  se  répandre  dans  I»  salie.  Il  montait  dTun  seul  jet, 
s'inclinait  ensuite  eemme  uniarc^en^nek  harmonieux,  de  sorte  que 
deux  personnes,  la  lace  tournéedu  eàié  de  la  munîMe,  ponvniem? 
converser  ensemble,  à  l'iosn  de  tous  les  assistans.  Et  que  Ton  ne  sY 
trompe  pas,  la  sagadtë  spéculative  de  Jean-Sâxistten  contribua 
peut-être  plus  que  tout  autre  chose  à  le  eonduive,  par  ms  assemblage: 
inoui  des  différentes  voix  de  l'orgue ,  à  certains  efifets  iaeonnnaavant 
lui,  et  qui  puraisseat  de  nos  jours-impossiUes. 

La  pédale  est  une  partie  essenlielie  de  l'iNrgne;  c'est  net  appft^ 
mil  sdennel^  qnî  donne  à  finstrument  du  sanctuaire  sa  puissance 
et  sa  grandeur,  et  Félèm  aiMkssua  de  tuas  les  antres.  Sans  fat 
pédale,  Forgue  perd  sa  magnificence  et  rentre  dans  la  classe  de 
tous  les  claviers  stériles  qui  font  la  désolation  éternelle  du  maître, 
enr  ttueiiant  cbesbii  oa  embnseiafim^quiilft  snntLensaitftinhaUlesii 


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748  EBTUS  DBS  DEUX  MONDES. 

satisfeire.  Mais  plus  la  pédale  est  une  partie  importante  et  capable 
d*efiets  miracDleux ,  plus  elle  exige ,  de  la  part  de  celui  qui  s'appro- 
che d*elle ,  une  habitude  profonde ,  une  force  rare  de  modératioii. 
L'organiste  doit  connaître  tous  les  points  de  son  vaste  domaine, 
et  lui  demander  tout  ce  qu'il  peut  donner,  car  ce  qu'il  peut  dooner 
est  immense;  et  certes  Bach  le  savait  bien,  et  jamais  paysan  avide 
d'une  double  récolte  ne  laboura  sa  terre  avec  plus  de  constance 
et  de  soin,  que  lui  le  champ  des  orgues,  sous  lequel  il  entendait 
sourdre  d'étranges  bruits  ignorés  des  hommes.  Et  les  effets  qu'il 
obtenait  tous  les  jours,  Sébastien  les  devait  moins  encore  à  son 
harmonie  admirable  qu'à  cet  art  merveilleux,  qu'il  a  possédé  seul, 
de  donner  à  la  pédale  la  voix  qui  lui  est  propre. 

Les  compositions  que  Bach  a  écrites  pour  l'orgue ,  se  divisent 
naturellement  en  trois  classes. 

La  première  contient  les  grands  préludes  et  les  f  u^es  avec  pé- 
dale obligée.  Il  serait  difficile  de  déterminer  précisément  le  nom- 
bre de  ces  compositions  ;  je  pense  cependant  qu  il  ne  doit  pas  s'é- 
lever au-dessus  de  douze. 

La  seconde,  les  préludes  sur  les  mélodies  de  divers  chorals.  Les 
morceaux  dont  il  est  ici  question  exigent  la  pédale  obligée,  dif- 
férons en  cela  des  chorals  que  Sébastien  écrivit  à  Amsrâdt,  et  que 
l'on  peut ,  au  besoin ,  exécuter  avec  les  seules  mains.  Leur  nombre 
monte  bien  à  cent.  Forkel  en  possédait  soixante-dix.  Il  est  imposr 
sible  de  rien  entendre  de  plus  digne  et  de  plus  sacré  que  ces  préludes. 

Six  sonates  en  trios  pour  deux  claviers  avec  pédale  exigée. 
Bach  les  composa  pour  Taîné  de  ses  enfans,  Wilhelm  Friedmaoïi, 
lequel  dut  peut-être  à  l'étude  sérieuse  qu'il  en  fit  le  talent  éleré 
auquel  il  est  parvenu.  Je  dirai,  pour  tout  éloge  de  ces  œuvres, 
qu'elles  furent  écrites  par  Jean-Sébastien  dans  la  force  de  Tàge  et 
la  maturité  du  génie. 

L'harmonie  de  Sébastien  est  le  plus  souvent  un  tissu  de  mélo- 
dies nettes,  limpides  et  chantantes,  et  dont  chacune  peut  devenir 
à  son  tour  partie  principale;  dans  ce  genre  de  composition,  Se* 
bastien  n'a  point  de  rival,  il  n'existe  rien  de  par^  au  monde  (<]. 


(1)  Il  y  a  bien  des  gens  qui  prétendent  que  Bach  n*a  fiilt  que  perfectionner  rharmoaie. 
Pour  tout  homme  qui  a  de  lliarmonie  lue  idée  droite  et  Jatte  et  se  la  repKésente  c 


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JEAN-SÉBÀSTISIf.  749 

Test  une  fécondité  miraculeuse  qui  semble  prendre  à  tâche  de 
atter  constamment  avec  les  règles  delà  plus  austère  science.  C'est 
*aoge  qui  revêt  une  chasuble  pesante  sans  rien  perdre  de  sa  libre 
lémarche  et  de  la  fontaisie  de  ses  ailes,  la  pensée  enin  qui  baisse 
a  tête,  et  de  propos  délibéré  se  soumet  à  la  forme.  Certes,  sous 
e  souffle  de  la  pensée ,  la  forme  se  dilate  et  grandit  d'une  façon 
Hrange,  mais  jamais  au  point  d*èclater;  on  ne  cesse  d'apercevoir 
à  divine  chrysalide  à  travers  les  innombrables  fils  de  soie  et  d*or 
lui  se  croisent  autour  d'elle  et  Tenveloppent.  Elle  chante,  s'agite, 
n  bat  des  ailes.  Tantôt  c'est  l'ange  de  la  mort  tenant  une  pahne 
luprès  d'un  sépulcre ,  tantôt  Marguerite  qui  file  à  son  rouet  ou 
peigne  au  soleil  ses  cheveux  blonds  ;  quelquefois  on  croirait  voir 
une  princesse  enchantée  dans  le  palais  de  cristal  oii  la  retient  cap* 
tive  quelque  vieux  magicien  de  Bohème. 

Dans  les  œuvres  que  Sébastien  a  écrites  à  quatre  parties,  vous 
pouvez  presque  toujours  supprimer  la  partie  supérieure  et  la  par- 
lie  inférieure  sans  que  la  musique  en  devienne  moins  claire  et 
moins  chantante.  Ce  sont  les  voix  intermédiaires  qui  se  chargent 
alors  de  tout  le  travail ,  et  portent  à  elles  seules  le  poids  de  l'har- 
monie. C'est  par  luxe  que  Sébastien  attelle  quatre  chevaux  à  son 
char;  telle  est  leur  race  généreuse  que  deux  suffiraient  pour  le 
conduire  aux  étoiles. 

I^  manière  dont  Bach  traitait  la  modulation  et  l'harmonie  une 
fois  adoptée,  sa  mélodie  devait  nécessairement  prendre  une  forme 
toute  particulière.  Le  musicien,  en  rassemblant  plusieurs  mélo- 
dies dont  la  destinée  est  de  chanter  simultanément  et  de  tendre  au 
même  but,  doit  surtout  bien  se  garder  d'en  affectionner  une  plus 
que  les  autres,  et  de  la  travailler  avec  plus  d'amour,  de  sorte 
qu'elle  attire  sur  elle  toute  l'attention  de  l'homme  qui  écoute.  Il  faut 
que  les  mélodies  se  partagent  l'éclat  entre  elles  :  c'est  tantôt  l'une 
qui  porte  la  couronne,  et  tantôt  l'autre;  et  même  il  n'arrive  jamais 

«n  moyen  d*agrandlr  et  de  développer  les  reiaoïmet  de  Part ,  U  ett  érldent  qu*eUe  ne  pent, 
tons  quelque  prétexte  que  ce  soit,  se  passer  de  mélodie;  et  maintenant,  lorsque Tharmo- 
nie  est ,  comme  chez  Jean-Sébastien ,  nne  mélodie  compliquée ,  Je  ne  conçois  pas  comment 
on  peut  sérieusement  soutenir  cette  opinion.  On  peut  dire  d*un  homme  qu*il  n*a  fklt  que' 
perfectionner  la  mélodie  ;  à  tout  prendre,  la  mélodie  peut  être  telle  par  elle-mdme  et  tans 
le  secours  de  lliarmonle,  tandis  qu'une  harmonie  élevée  et  pure  n*eilste  au  contraire  qu% 
U  condition  de  la  mélodie.  Lliomme  qui  a  perfectionné  lliarmonle  a  perfecUonné  aussi  U 
mélodie  ;  on  n'en  peut  dire  autant  du  mélodiste  simple  qui  n*agit  que  sur  unepartie  du  tout. 


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Tm^  RETU&' ms  ms  «qrdes. 

qà*nmt  iiétodie règne  tMle seule,  caries  antres  qfsi  ckantem 
pMPaisseBlMiQÎiidrir  Véàaà  de  kt  mélodie  prâiieîpale  en  dimafttfi^ 
teetîoa;  je  dis  puraissent,  car  ponr  rhooMne  qui  voit  de  hem,  e 
drul  eoe^  dœil  embrasse  le  traTail  de  la  sysiphone^  an  te  di- 
rMMudrîroet  édat,  dies  raagmemeal.  Ea  outre*,  on  tel  assriabhp 
^TOULfiorce  la  omapesitear  k  se  serw  de  cenabies  fornaksdnl 
le  prooèdé  Iiomephemq»e  le  cfisf>eose  oomplètemeiit*  Cest  mue 
<A0se  de  diriger  une  seule  voix  qui  se- meut  sans  okwtacle  sar  ni 
roBte  unie,  eu  dfen  conduire  plusîears  qai,  parties  ds  différai 
paÎBli 9  doireni se  joindre  tôt  ou  tard,  et  de  leur  ménager  des  !«» 
contMs  benrsuses  de  peur  qu'elles  ne  se  heurtent  de  front  an  toi 
deia*enlaorr,  et  ne  laissent  dans  lea  ténèbres^  en  expirant,  le  royann 
senere  qu'elfes  animent.  Tout  homme,  pourvu  qa'il  ait  fait  desémb 
sérieuses ,  est  capable  d*accom^  b  première  de  ces  xAAes;  poor 
la  seconde,  AfaHaillean-Sdbastien  Bach.  En  vérité,  je  ne  puis  voir 
lenaux  cotttrepoimîste  se  prannner  à  pas  lens  dans  lescampa([M» 
dnia  Thuringe,  rèfanl  aux  harflunâensescombinaisens  deseifoiiy 
san»  penser  à  Tarehirote  Lindherst  vasseasblant  en  groupes  m* 
giqnss  les^  petits  serpaas  de  son  jardin. 

Cette  oompication  des  toix  oeeasioae  des  formules  de  mdoii 
nmifeUee,  étranges,  inouïes,  et  devienc  une  des  eause»  qui  fini 
que  la  mélodie  de  Sébastien  a  si  peu  de  parenté  stwee  ceile  du 
antres  cempesileufs.  lorsque  cette  forme  ortgînalc  ne  dégénère 
pan  en  pédantiisme  sceiastîque,  et  doane conrs  i  des  diantsAnidn  1 


et  naiureb,  ele  a  d»  ressources  immenses  pour  le  musiciea^  1 
remploie,  sms  jamais  entraîner  d'antres  imtonréniens  que  eeliià 
dèpbîre  i  tai  partie  ignorance  ém  pnUic. 

Cependant  tentes  les  mélodies  de  Bnah  ne  sent  pas  dé  eetun* 
tare.  Lesméindies  de  ses  ceaqioeilians^Mhres  sont  teUemeatdars 
et  faciles,  qu'elles  peu^^ent  élre  comprises  par  les  inteffigeaces  ia 
moins  enercées;  Td  sont  les-pcdhides  et  les  suites  où  la  ment  oit* 
ginalité  de  pensée  règne  pourtant  toujours.  Un  des  caractères  prit- 
ripann  ds)  In  nmeiiine  dn  Bacbesade  ne  point  Weiliir.  Je  sais  hn 
de  nier,  cependant ,  qu^on  ne  trouve  çà  et  là,  dans  ses  prensèrt' 
compositions,  certains  passages  oubliés  maintenant»  eertna* 
fermutashoBs  d*nn«e,  qnt  appostienncnt  phnôt  à  répefn« 
Sebastien  écrivait  qu*^  Sébastren  hi{-m£tae.  Séhasuen  Bach,  coni^ 
^qi^cès  lui  Mosact^  a  iaiti  phis  d*una  concessîûa  aa  maafaisf' 


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âonâiittt.  G*€8C  UHdassiB  ^pie  le  leinps  ti  fî>cppë,  devenu  ^V 
smis  était  ré9M«v^  à  nmis,  veMS^»Bt aasphislard,  'de  mien  jouir 
ée  son  enivra  que  ses  eonteniporaiMy  tenle  chose  paérile  et  vtàÊe 
s'en^éuoÊi  •effacée.  Il  eei  des  eetin*e8  boaaefl  et  waoes  que  le  imnps 
m'actaqve  pas  dans  leurs  radaes ,  -caril  sait  biea  qœsa  Cnix  s'énaiDua- 
BctAît  sans  4es  détruire.  Vœinre  de  Jean-Sébastien 'est  tte^eenenh- 
bre?  i^*est  là  on  arbre  généreux  eti^ert  que  le  temps  n'essaie  lias 
d'abattre,  mais  qu'3  émeode  prudemment.  Toute  la  mâodie  que 
Sébastien  a  tirée  des  sources  profoncks  de  son  ame,  et  répandue^ 
"lots  sans  égard  pour  les  caprices  de  h  foule;  tome  cette  mékxiie 
«st  «ncoreanjourd*liui  aussi  fraldie,  aussi  limpide^  aussi  pore  que  le 
jonr  où  eBe  est  venue  à  la  lannère.  Il  est  bien  pen  de  compositions 
de  cette  époque  dent-on  puisse  drre  la  même  diose.  Les  œuTres  de 
Kaiser  et  de  Handel,  maîtres  rèligteux  et  vénérés»  ont  vieflK  plus  tAt 
qa'on  n'aurait  dé  le  croire ,  et  ce  phénomène  a  sa  loi  dans  le  genre 
éesHisiqne  qu'ils  avaient  ohoisi  tous  les  deux.  Kaiser  et  &ndei» 
compositeurs  populaires  »  devaient  nécessairement  mêler  à  leur 
langue  divine  quelques^nes  des^  pareles  ayam  cours  dans  la  ferie 
à  laquelle  ils  s'adressaient,  cft  céder  par  force  an  mauvais  goàt  du 
temps.  Or,  la  mode  dans  Fart  ^t  une  diose  pernicieuse  et  ftriatle. 
Handel  en  offre  un  exemple  éclatant;  ses  fogues  de  chant  sent 
toutes  aujourd'hui  encore  dans  la  fealebeur  de  la  jeunesse  et  de  la 
beauté,  tandis  que  ses  airs^mt  vieilH,  et  qu'à  peine  dans  le  nom* 
bre  vous  en  compteriez  six  que  Ton  puisse  entendre  désormais  anse 
Sont  le  respect  dû  à  ce  nom  giorienx. 

Quelle-que  soit  la  forme  que  SdMotien  adopte,  il  hdomine  :nsle 
part  les  moindres  vestiges  d'embarras  ou  de  travaM  pénBde.  H  ne 
manque  jamais  le  but  auquel  il  tend;  chez  loi,  tonte  chose  asaloi 
d*existence,  toute  diose  est  inieet  complète  en  soi.  Seriez-vons  Ho- 
zart  ou  Beethoven,  il  ne  vous  viendrait  pas  à  l'esprit  de  vouloir,  dans 
tel  passage  de  ses  œuvres,  une  note  quelconque  plutôt  que  eèBe 
qa'Uy  a  douée. 

En  divers  genres  de  composittOBB,pluâeursnialtres  ont  créé  des 
cheft-d'œuvre  qui  peuvent,  avec  honneur,  être  placés  à  c6lé  des 
siens;  il  existe  des  allemandes  de  Haadei  et  de  certains  autres,  qiu^ 
moins  riches  peut-être  que.  celles  de  Bach ,  leur  tiennent  tète  cepen» 
dant.  Mats  dans  le  domaine  de  la  fugue ,  de  tous  les  arts  du  contre- 
point et  du  canon,  S<a)asiien  est  seul ,  tdiement  sed ,  que  biea  Ma 


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768  RBYIJB  DES  DBDX  llOin>BS« 

autour  de  lui  le  champ  est  vide  et  désert.  Jamais»  on  peat  h  en 
hardiment,  une  fugue  n*a  été  écrite  qui  puisse  élre  comparée  à  h 
moindre  des  siennes.  Qui  ne  connaît  point  les  fugues  de  Jean-Sébu- 
tien  Bach  ignore  parfaitement  ce  qu'est  ou  doit  être  une  fugue. 

La  fugue»  telle  qu'on  la  comprend  d'ordinaire  dans  les  écoles^  ot 
une  sorte  de  travail  insignifiant  et  puéril.  On  prend  on  ihèoie,  « 
lui  donne  un  compagnon ,  on  les  transpose  tous  les  deux  ,  Tua  après 
I*autre  en  des  tons  relatifs,  en  ayant  soin,  dans  toutes  ces  cranpo- 
sitions,  de  les  soutenir  par  les  autres  tons,  au  moyen  d'une  eapèotk 
basse  fDndamentale.  Voilà  ce  que  Ton  est  convenu  d'appeler  aiiiotf- 
d*hui  une  fugue.  Vous  devez  bien  penser  qu'il  en  est  autrement  de 
la  fugue  de  Sébastien  ;  celle-là  satisfait  à  toutes  les  exigoices  d'âne 
composition  libre.  Un  thème  caractéristique,  un  chant  <pii  en  dé- 
rive et  se  répand  comme  un  ruisseau  dans  les  moindres  sentiers  di 
labyrinthe  harmonieux  ;  chez  toutes  les  autres  voix ,  un  motif  indé- 
pendant, une  parfadte  intelligence  de  FensemUe,  et,  du  comoiah 
cernent  à  la  fin,  une  allure  franche  et  libre,  une  fusion  nùraculette 
des  élémensles  plus  divers,  une  inépuisable  richesse  de  modulaiiotf» 
unité  et  variété  dans  le  style,  dans  le  système,  dans  les  carrures,  et 
.  enfin,  une  telle  animation ,  une  telle  vie  répandue  sur  le  tout,  qa'i 
chaque  instant  il  semble  à  Thomme  qui  se  tient  au  davî^  que  ks 
notes  se  transfigurent  et  resplendissent  sur  les  lignes  des  pages. 
Voilà  les  quaUtés  de  la  fugue  de  Bach,  qualités  merveiUeuses  a 
qui  doivent  exciter  Télonnement  et  l'admiration  de  tout  bommeo 
pable  de  comprendre  quelle  puissance  d'esprit  surnaturelle  il  £i£ 
pour  satisfaire  aux  innombrables  conditions  d*un  tel  ceuvre.  Toaiei 
les  fugues  de  Bach  réunissent  les  mêmes  avantages  ;  toutes  se  re- 
commandent par  des  qualités  sans  nombre,  et  cependant  chacoss 
.  est  belle  à  sa  manière;  chacune  a  son  caractère  déterminé^  et  dvs 
la  mélodie  et  l'harmonie,  ses  formules  qui  en  dépendent,  de  icle 
sorte  que  lorsqu'on  connaît  une  fugue  de  Jean-Sébastien,  et  qm 
l'on  est  parvenu  à  l'exécuter,  on  nen  connaît  véritaUement  et  le 
peut  en  exécuter  qu'une  seule,  tandis  que  pour  savoir  par  eœtf 
toutes  les  fugues  des  maîtres  dorson  temps,  il  suffit  d*aToir  décoir 
vert  les  mystères  de  l'une  d'elles. 

Ce  fut  à  Weimar  que  Sébastien  eut  pour  la  première  fois  I'ooch 
sion  de  s'occuper  de  musique  vocale,  ici,  comme  toujours»  soi 
style  est  solennel,  religieux,  et  tel  qu'il  conviel(^  au  soget  Cas 


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lEAIV-SÉBÀSTIEN.  753 

chose  qui  frappe  dans  ses  motets  et  témoigne  de  son  bon  goût, 
c'est  son  ëIoig:nement  ponr  les  concetti  si  journellement  usités  dans 
la  musique  d'église.  En  effet,  il  ne  lui  est  jamnis  arrivé  de  cher- 
cher à  rendre  Texpression  de  certaines  paroles.  Il  voyait  de  plus 
haut,  et  se  contentait  d'exprimer  le  sentiment  général  sans  s'in- 
quiéter de  la  lettre.  Ses  chœurs  sont  pleins  de  majesté,  ses  récitatifs 
bien  déclamés,  et  pourvus  de  basses  imposantes.  Dans  ses  airs,  où 
n  se  trouve  tant  de  mélodie  heureuse,  il  semble  s*étre  conformé 
aux  forces  de  ses  chanteurs,  qui  poussaient  néanmoins  de  longues 
plaintes  sur  la  difficulté  qu'ils  avaient  à  les  exécuter;  et  si  sa  musique 
d'église  est  moins  admirée  de  notre  temps  que  ses  autres  œuvres, 
c'est  à  leur  médiocrité. qu'il  faut  s'en  prendre. 

L'œuvre  de  Jean-Sébastien  est  immense  et  telle  qu'au  premier 
aspect  il  semble  impossible  qu'un  homme  ait  pu  élever  un  monu- 
ment pareil.  C'est  une  fécondité  sans  exemple.  A  quoi  donc,  s'il 
vous  platt,  comparer  cette  ame  d'où  s'est  échappé  assez  de  mélo- 
die pour  remplir  toutes  les  églises,  tant  que  les  églises  seront 
debout  sur  la  terre?  A  quoi  la  comparer,  cette  ame,  si  ce  n*est 
à  la  nature,  sa  mère,  qui  tous  les  ans  jette  hors  de  son  sein  les 
fleurs,  les  moissons  et  les  sources  d'eaux  vives?  Si  l'on  vous  di- 
sait :  Un  homme  s'est  trouvé  qui  a  écrit  des  chorals  sans  nombre, 
des  préludes,  des  morceaux  d'orgue  et  de  clavier,  des  fugues,  des 
livres  de  théorie  sur  son  art,  des  solos  pour  tous  les  instrumens, 
des  oratorios,  des  messes,  des  magnificat ,  des  sanctus,  des  motets 
à  deux  chœurs,  des  musiques  de  baptême ,  de  fiançailles  et  de  mort; 
et  tout  cela  est  beau,  tout  cela  est  épique,  tout  cela  est  grandiose 
et  marqué  de  génie;  auriez-vous  assez  d'admiration  pour  cet  homme? 
Eh  bienl  tout  cela  n'est  qu'une  faible  partie  de  l'œuvre  de  Jean-Sé- 
bastien Bach  ;  tout  cela  pourrait  disparaître  sans  que  sa  gloire  en 
fût  altérée,  car  il  a  fait,  en  outre,  de  quoi  suffire  pendant  cinq  ans 
à  tous  les  offices  de  l'église ,  et  mis  cinq  fois  en  musique  la  passion 
de  Jésus-Christ. 

Pour  rinconcevable  hardiesse  de  la  conception,  le  travail  minu- 
tieux des  parties,  l'exécution  exquise  et  délicate  des  moindres  dé- 
tails, l'œuvre  de  Sébastien  ressemble  à  une  cathédrale  gothique. 
Arrêtez- vous  sur  la  place  d'Amiens,  de  Strasbourg  ou  de  Cologne, 
à  l'heure  du  crépuscule  matinal  :  le  ciel  se  teint  des  premières  lueurs 
de  l'aube,  l'alouette  s'éveille  à  peine,  cette  masse  de  granit  vous 
TOME  vn.  48 


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754  RETUB  mis  DEUX  MÛSDE8. 

étonne;  vous  admirez  ces  dimensions  ipgantesques,  et  le  cerrai 
puissant  qui  a  donné  une  telle  forme  à  sa  pensée.  Vous  sentes  ré* 
mouvoir  en  vous  le  sentiment  de  Fimmensiié,  oomme  œbfoot 
est  arrivé  jadis  en  &Lce  de  Fooéan.  Tant  d'harmonie  et  de  gtao- 
deur  vous  absorbe;  vous  croiriez  faire  un  «acrilége  en  demandiat 
à  cette  merveille  des  conditions  d'étendue  et  de  hantewc  Cepa»- 
dant  le  maiin  se  fait,  les  hirondelles  et  les  ranûeis  quoentleon 
nids  de  pierre,  le  soleil  darde  en  plein  ses  cay«ns  &ar  les  rosam 
du  portail  9  et  votre  rêverie  disparait  avec  le  dernier  voile  du  brouil- 
lard qui  tombe.  Alors  la  cathédrale  se  réirèle  à  vous  dans  tootrédil 
de  sa  variété  naturelle;  alors  vous  découvrez  des  richesses  am 
nombre  auxquelles  vous  n'avez  pas  pris  garde  en  votre  étonnemesL 
C'est  Marie  à  genoux  recevant  la  visite  de  l'archange,  c^est  LazaiB 
sortant  du  sépulcre  sous  Timposilion  des  mains  ;  et  vous  êtes  étàaà 
par  la  céleste  et  naïve  expression  de  ces  figvres  dont  KHUM'iiaiiie 
vous  ne  supposiez  pas  seulement  l'existence.  Que  serait-ce  donc  â 
vous  alliez  plus  avant  sous  la  nef  et  dans  le  chœur,  là-bas,  oàie 
tiennent  assis  au  milieu  de  leurs  peintures  Albert  Durer  et  Jean  ëa 
Bruges?  Telle  est  l'œuvre  de  Jean-Sébastien  Bach;  à  mesure  qaa 
TOUS  entrez  plus  profondément  en  elle,  vous  y  trouvez  des  trësoff 
de  mélodie  et  de  science,  des  combinaisons  nouvelles  et  curieoaea, 
et  mille  choses  enfin  que  Tintelligence  la  plus  vaste  ne  peut  embra»- 
ser  qu'à  la  condition  d'une  étude  persévérante.  Que  ce/si  dont  les 
chagrins  ont  flétri  l'ame  jeune  se  voue  à  Tétude  de  ces  œuvres, 
il  y  trouvera  des  consolations  sévères  et  durables,  et  des  phûsiis 
calmes  et  renaissans.  Il  pourra  vivre  heureux  sur  la  terre,  et  ii- 
motion  ea  émotion  s'acheminer  jusqu  à  la  tombe,  cooune  un  oiseaa 
blessé  gagne  de  branche  en  branche  le  nid  dans  les  bruyères^  I 
verra  chaque  jour  de  nouvelles  étoiles  resplendir  à  ce  firsianBit 
sonore,  et  fermera  sa  paupière  avant  de  les  avoir  toutes  oompiiei. 

HenhiBlazl 


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DE  L'ESPAGNE 


A  PKOPOS 


DU  NOUVEAU   MINISTERE.  • 


S*fl  est  yrai  que  le  précédent  cabinet  soit  tombé  devant  Tinsur- 
Tection  des  provinces  espagnoles  proclamant  la  constitution  de 
1812,  et  devant  Tinlpossibilité  de  faire  adopter  à  la  couronne  son 
système  de  fidélité  au  traité  de  la  quadruple  aUiance,  qui,  depuis 
long-temps,  n'était  guère  qu'une  neutralité  entre  Isabelle  et  don 
Carlos,  l'avènement  du  ministère  doctrinaire  annonce  mie  politique 
nouvelle.  Imposition  et  le  r61e  du  nouveau  ministère  lui  sont  com- 
mandés par  la  circonstance  qui  Va  fait  naître.  Son  vouloir,  contraire 
à  la  révolution  espagnole,  et  les  concessions  auxquelles  il  peut  être 
poussé,  le  mettent  en  face  de  cette  révolution  dans  une  situation 
nécessairement  hostile,  et  qui,  si  elle  ne  va  pas,  comme  sous 
Louis  XYin,  à  une  intervention  déclarée,  ne  se  fera  pas  faute  des 
intrigues,  délations  et  mauvais  conseils,  en  un  mot,  de  toutes  les 
Ikiachinations  ténébreuses  qui  sont  à  Tusage  de  la  diplomatie.  T^iTous 
aurons  aussi  notre  cordon  sanitaire  pour  nous  défendre  de  la  con- 

48. 


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756  REVUE  DES  DEUX  MONDES. 

tagion  morale  y  heureux  si  les  difficultés  intérieures,  la  peur  d'il 
surcroît  de  dépenses  et  de  tout  mouvement  extraordinaire ,  «npé- 
chent  ce  cordon  sanitaire  de  se  changer  en  intervention  offensre. 

Éclairée  par  l'expérience,  la  révolution  espagnole  doit  se  tenir 
sur  ses  gardes.  Qu'elle  n'oublie  rien  de  la  première  phase  de  sot 
histoire,  du  premier  acte  de  son  drame.  Les  évènemens  de  la  pré- 
cédente époque  consUtutionnelle ,  comprise  entre  1820  et  189, 
sont  connus  et  appréciés.  D  est  inutile  d'y  revenir,  si  ce  n'est  pov 
conseiller  de  ne  point  les  perdre  de  vue.  Mais,  pour  que  Texpé^ 
rience  soit  complète ,  il  faut  remettre  en  mémoire  une  autre  époque, 
moins  connue,  quoique  plus  rapprochée,  et  dont  les  enseignemess 
doivent  être  encore  plus  instructifs  et  plus  éclatans;  je  yeux  dire, 
le  temps  écoulé  depuis  la  révolution  de  juillet,  et  qui  a  vu  l'Espagne 
s'avancer  peu  à  peu  de  l'absolutisme  à  la  constitution  quasi-répa- 
blicaine  de  1812.  Cette  époque,  je  vais  essayer  de  la  retracer  som- 
mairement. Acteur  dans  les  évènemens  qui  signalèrent  les  premièret 
agitations  de  l'Espagne,  lié  d'amitié  personnelle  avecla  plupart  des 
hommes  que  l'on  y  a  vus  successivement  à  la  tête  des  afiEsires  et 
des  armées,  ayant  assez  la  connaissance  de  ce  pays  et  de  son  Uf* 
toire  pour  avoir  pu,  dans  quelques  écrits,  rappeler  des  choses 
oubliées  de  ses  voisins  et  presque  de  lui-même;  peut-être  m'est- 
il  permis  de  me  présenter,  en  fidèle  allié  des  patriotes  espagnols, 
dans  la  lutte  qu'ils  peuvent  avoir  à  soutenir  contre  b  poUtûpie 
doctrinaire. 

La  révolution  de  juillet  fut  saluée  par  tous  les  peuples  o{^ri- 
mes  comme  une  aurore  de  délivrance.  Les  réfugiés  espagnob 
surtout  durent  croire  qu'après  l'attentat  politique  de  1^^,  qà 
les  avait  chassés  de  leur  pays ,  la  France,  libre  à  son  tour,  devait, 
par  justice  et  par  intérêt,  rendre  à  l'Espagne  la  liberté  qa'ei» 
lui  avait  ôtée.  Aux  premières  nouvelles  de  la  victoire  des  trois 
jours,  ils  accoururent  à  Paris  de  tous  les  points  de  l'Europe, et 
bientôt  une  réunion  s'y  forma,  une  espèce  de  junte,  composée 
de  toutes  les  sommités  de  l'émigration  libérale,  anciens  minis- 
tres, députés  auxcortès,  généraux,  conseillers  d'état,  etc.;  je 
citerai  seulement  ceux  qui,  depuis  lors,  ont  joué  des  rfties  impo^ 
tans  dans  les  affaires  de  leur  pays,  le  comte  de  Toreno,  MIL  Mea- 
dizabal,  Isturiz,  Galiano,  Angel  Saavedra  (duc  de  Rivas),  Ct- 
latrava,  Gil  de  la  Cuadra,  Torrès,  San-Miguel,  Seoane,  etc.  Celle 


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DE  l'espagne.  757 

rëmûon  se  mit  aussitôt  à  l'œuvre.  Elle  avait  »  dès  Fabord,  à  rem- 
>lir  deux  tâches  principales  :  rétablir  des  relations  avec  les  pa- 
;riotes  espagnols  de  Tintérieur,  et  se  mettre  en  communication 
ivec  le  nouveau  gouvernement  français.  Admis  dans  Fintimité  de 
a  plupart  de  ses  membres  et  jusque  dans  leurs  assemblées,  je 
Pus  chargé  de  cette  dernière  mission ,  qui  avait  elle-même  un  dou- 
ble  objet.  La  première  partie  du  rôle  qui  m*était  confié  s'adres- 
sait directement  au  Palais-Royal,  devenu  le  siège  du  gouvernement 
k  la  place  des  Tuileries  désertes.  L'émigration  espagnole  deman- 
lait  qu'on  l'aidât  à  soulever  son  pays,  à  repousser  Ferdinand  YII 
3t  sa  iamille  jusqu'à  quelque  autre  Cherbourg.  Elle  offrait,  en 
échange,  sous  la  promesse  d'une  ratification  solennelle  des  cortès 
lationales,  la  couronne  d'Espagne  au  duc  de  Nemours.  Ce  nou- 
veau Philippe  y,  en  épousant  dona  Maria,  l'héritière  de  don 
Pedro,  alors  à  Paris,  réunissait  par  un  mariage  le  Portugal  à 
'Espagne,  comme,  au  temps  des  rois  catholiques  Isabelle  et 
Ferdinand,  s'étaient  réunis  la  Castille  et  F  Aragon;  la  Péninsule 
mtière  devenait  ainsi  une  annexe  de  la  France,  ou  du  moins 
es  deux  nations  se  trouvaient  si  étroitement  liées  par  la  commu- 
lauté  des  intérêts,  des  institutions  et  des  dynasties,  qu'on  réali- 
sait enfin  le  mot  fameux  de  Louis  XIV  :  Il  n'y  a  plus  de  Pyrénées. 

La  proposition  fut  reçue  comme  elle  devait  Fétre,  avec  empres- 
iement,  je  dirais  presque  avec  enthousiasme.  On  encouragea  les 
réfugiés  espagnols  ;  on  leur  laissa  toute  liberté  d'agir  ;  on  leur  pro- 
mit des  secours  efficaces.  100,000  francs  furent  tirés  de  la  cassette 
royale  pour  aider  aux  premiers  besoins.  C'est  M.  Mole,  alors  mi- 
nistre des  affaires  étrangères,  aujourd'hui  chef  du  cabinet,  c'est 
M.  Mole  qui  remit  cette  somme,  de  la  main  à  la  main,  au  général 
Lafayette,  et  qui  en  détermina  l'usage,  d'accord  avec  lui.  70,000 
Francs  furent  portés  à  Bayonne  par  M.  Chevallon,  pour  être  dis- 
tribués aux  réfugiés  qui  se  rendaient  à  la  frontière,  et  30,000  firancs 
à  Marseille,  par  M.  Dupont,  pour  être  envoyés  au  général  Torrijos, 
qui  préparait  à  Gibraltar  une  expédition  sur  l'Andalousie. 

La  seconde  partie  de  ma  mission  s'adressait  aux  ministres,  agens 
officiels  du  gouvernement.  Je  me  présentai  chez  M.  Guizot  au  mo- 
ment où  il  prenait  possession  du  ministère  de  Fintérieur.  Je  lui 
exposai  Fobjet  de  ma  visite,  les  intentions  des  réfugiés  espagnols, 
et  lui  demandai  la  réponse  catégorique  qu'ils  attendaient,  soit 


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758  REVUE  -BBS  mxm  mordes* 

pour  agir,  soit  poar  se  désister.  M.  Oinsot  me  répmMlil  i 
tation  :  a  Dites  à  ceux  qui  tous  enroient  qse  la  Tnuioe  a 
un  crime  politique  en  1823  ;  qu'elle  doit  à  l'Espagne  une  i 
complète,  éclatante,  et  que  cette  réparation  sera  donnée.  •  Cneié* 
poose  si  explicite,  qui  combla  de  joie  les  réfugiés  espagnols^  et  les 
engagea  sans  retour  dans  leur  entreprise,  ne  pourait  ^re  wm 
vaine  parole  ;  Tefiet,  comme  on  va  le  voir,  ne  s'en  fit  pas  afffdre, 
La  société  Aide-toi,  te  ciel  fmdera,  venait  de  former,  so«sb 
nom  de  Comité  espagnol,  xme  réunion  de  membres  pris  dans  set 
sein,  cdiargée  d'employer,  pour  rérolutionner  l'Espagne,  to«s  ki 
moyens  dont  elle  disposait.  Ce  comité  se  composait  de  MM.  Gar* 
nier-Pagès,  Loève-Teimars,  Marchais,  Gauja,  E.  Arago ,  Y.  ScM- 
cher,  et  quelques  autres.  J'y  fus  adjoint.  Notre  principale  ooeapt- 
tion  était  de  rassembler,  au  pied  des  Pyrénées,  une  petite  armés 
d'enrôlés  volontaires,  qui  aurait  pénétré  en  Espagne  aoas  la  €oa- 
duite  des  généraux  réfugiés,  et  dont  l'apparition  aurait  deafté  b 
signal  aux  patriotes  de  l'intérieur.  Nous  adressAmes  dans  les  pia- 
vinces,  aux  correspondans  de  la  société,  des  eomaiissions  pmr 
recueillir  des  seeours,  et  nous  reçûmes,  i  Paris,  des  scHiscripcîoaB 
nombreuses.  Bots  M.  Laffitte  qui  refusa,  tous  les  miniscres,  y 
compris  M.  Sébastiani,  nous  remirent  leurs  offrandes  persoBBéHes; 
j'ai  encore  entre  les  mains  des  signatures  qu'on  peut  être  étoaii 
de  trouver  aujourd'hui  sur  une  liste  de  souscription  st  rènda- 
tionnaire  :  MM.  Bertin  de  Taux,  Bafflet,  Crautier,  Jaaqaes  Leisb- 
vre,  Rambuteau,  Bérenger,  Gunin-Gridaine,  etc.,  etc.  M.  Casmar 
Périer,  alors  ministre  sans  portefeuille,  autorisa  son  fis  aîné  â 
faire  partie  du  comité  espagnol ,  donnant  ainsi  à  mis  opératisas 
une  couleur  presque  officielle.  Mais  M.  Guizoc,  plus  que  tout  an- 
tre, nous'foumit  les  moyens  de  rassembler  à  la  fipontière  les  petiM 
troupes  recrutées  à  Paris.  Chaque  jour,  les  voitures  paMîqMi 
avaient  un  certain  nombre  de  places  réservées  poar  le  eaaûié,  il 
destinées  à  transporter  i  Bayonne  ou  à  Perpignan  les  émigfés  fâ 
prenaient  du  serrice.  Des  caisses  d'armes  et-d'équipemeasétaieil 
expédiées  par  la  même  voie.  Enfin,  d'après  rordredeM.Gansl, 
on  délivrait  i  la  préfecture  de  poliee,  sur  la  «impie  signatofeéi 
quelques  membres  du  comité,  des  femBes  de  (route  .cottaotMi 
pattr  les  volontaires  finançais,  italiens,  aOenands,  qui  se  \ 
à  la  frontière,  et  des  troupes  de  cinqaaaie,  eeni. 


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BE  I.*SSPACEK»  7SB 

\,  leurs  offiôers  eu  tête,  partaient,  tambour  battant,  en*» 
trignes  déployée»)  recevant  rar  toute  la  rovte  les  prestations  mi- 
litaires comme  des  soldats  de  notre  propre  armée.  Je  puis  citer, 
9Btre  antres,  et  pour  donner  toujours  la  preuve  de  ce  que  j'avancOt 
les  détacbemens  commandés  par  MH.  Borso  di  Carminati,.  Char- 
rier, Barraoo,  Rouy»  Faquinetto,  Gdante,  Gesarini,  Legris,  Yvejr 
tag,etc. 

Cette  fièvre  rérohitionnaire,  dont  le  gouvernement  semblait  at- 
teint,  Im  dura  peu.  La  diplomatie  étrangère  intervint  au  Palais* 
Royal,  alertant  des  pr^>ositions  de  paix  et  d'alliance.  On  fit  re- 
marq«er  que  les  iameux  traiiéa  du  30  novembre  1815,  conclus 
pour  vingt  ans,  étaient  encore  la  loi  politique  de  TEurope;  que  les 
souverains  contractans  s'y  étaient  engagés  à  maintenir  sur  le  trftne 
de  France  la  famille  des  Bourbons,  et  à  se  garantir  mutuellemenC 
contre  le  r^our  de  toute  révolution  dans  ce  pays;  que  LouisrPhi- 
lippe  étant  Bourbon  lui-même,  on  pouvait,  à  la  rigueur,  ne  pas 
roir  dans  son  avènement  une  violation  des  traités,  un  cwut  belli^ 
BEiais  que  ce  serait  sous  la  condition  qu'il  comprimerait  lui-même 
['esprit  démocratique,  et  donnerait  à  l'Europe  cosdisée  les  mêmes 
{âges  de  sécurité  contre  la  révolution  que  donnaient  les  Bour* 
^ns  de  la  branche  atoée.  L'envoi  de  H.  de  Talleyrand  pour  plé- 
lipotentiaire  aux  coi^rencea  de  Londres  fut  la  réponse  aux  in- 
jinuations  de  la  dipkwiatie. 

Dés-lors  fut  oublié  le  beau  rêve  de  la  couronne  péninsulaire; 
l'Espagne,  l'Italie,  la  Pologne,  qu'on  avait,  sinon  soulevées,  au 
moins  encouragées  sousmain,  furent  abandonnées  à  elles-mêmes* 
Cependant  il  fallait,  quelque  temps  encore,  cacher  ce  jeu  nou- 
veau. On  rusa  d'abord,  avant  de  jeter  le  masque,  et  je  vais  citer 
un  fait  qui  suffira  seul  à  caractériser  cette  politique  de  transition* 
Dans  l'émigration  espagnole,  un  homme  se  trouvait  désigné,  par 
la  juste  popularité  de  son  nom ,  pour  diriger  le  mouvement  révo- 
lutionnaire de  l'Espagne  ;  c'était  le  général  Mina.  Accouru ,  comme 
les  autres,  de  Londres  à  Paris,  il  alla  voir,  à  son  arrivée,  ce* 
lui  des  ministres  français  près  duquel  l'appelait  de  préférence  la 
irimilitude  de  leur  profession ,  M.  le  maréchal  Gérard^  Il  recul 
l'accueil  le  plus  cordial  et  les  assurances  les  plus  positives  dé 
sympathie  et  de  protection.  Ibis  M.  le  maréchsd  Gérard  (et  certes 
ce  n'est  pas  saloyauté  que  j'accuse  en  ceci)  lui  fit  jurer  sur  l'hoft* 


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760  RBYUB  BBS  DEUX  MONDES. 

near  qu'il  se  rendrait  immédiatement  à  Bayonne ,  sans  voir  per- 
sonne à  Paris  y  pas  même  le  général  Lafoyette  »  qa*il  cacherait  soi- 
gneusement ses  projets»  son  voyage,  son  nom  ménie,  et  qil 
suspendrait  toute  entreprise  pendant  six  à  sept  semaines,  afede 
donner  à  la  France  le  temps  de  prendre  position  vis-à— via  de  r&- 
rope,  et  de  se  trouver  plus  libre  de  ses  actions.  Mina  proaDt,«( 
tint  parole.  Mais  que  cette  parole  devint  funeste  !  D'abord  od  per- 
dit »  sans  agir»  le  temps  le  plus  précieux ,  celui  où  le  catûwtde 
Madrid,  plongé  dans  la  stupeur,  était  incapable  d'adopter  avone 
mesure  de  salut.  Mais  un  mal  plus  grand  arriva.  D'une  part,  ii 
réserve  de  Mina  et  le  secret  inexplicable  dont  il  s'enveloppait,  je- 
tèrent ses  amis  de  France  dans  la  surprise ,  puis  dans  le  refroi- 
dissement et  la  défiance;  d'autre  part,  son  inaction  forcée,  sesef 
forts  pour  ajourner  le  mouvement ,  le  compromirent  plus  gnre- 
ment  encore  parmi  ses  compatriotes  :  les  mots  de  faiblesse,  de 
trahison  même,  furent  prononcés.  On  l'accusa  d'être  vendu  aex 
intérêts  de  l'Angleterre,  et  d'empêcher  le  mouvement  qui  devaà 
donner  à  la  France  une  suprématie  décidée  sur  la  Péninsule.  Oèà 
qui  devait  être  le  drapeau  commun  vit  d'autres  chefs  arborer  ao- 
tour  de  lui  des  drapeaux  indépendans.  Une  affligeante  désumonie 
mit  dans  des  rangs  peu  nombreux  qu'aurait  dû  serrer  un  malheir 
commun ,  un  égal  dévouement  à  la  patrie ,  et  leurs  amis  de  France 
se  refroidirent  pour  des  hommes  qui  semblaient  œmmenceT  k 
guerre  civile  sur  la  terre  étrangère.  Les  secours  d'hommes ,  d'ar- 
mes et  d'argent,  destinés  à  Mina,  furent  remis  à  d'autres,  et 
l'entreprise  n'eut  plus  de  chef,  plus  de  lien ,  pfais  d'unité. 

Cependant  le  gouvernement  français  tournait  de  plus  en  phs 
à  la  politique  nouvelle.  Désireux  d'ajouter  la  reconnaissance  de 
cabinet  de  Madrid  à  celle  des  autres  cours  de  l'Europe,  fl  sacri- 
fia décidément  la  cause  espagnole  à  ses  convenances.  Les  secoirs 
de  route  furent  retirés ,  les  départs  défendus ,  et  des  mesoref 
rigoureuses  furent  prises  contre  les  réfugiés.  Par  une  contradic- 
tion inique,  on  parut  indigné  de  l'inaction  qu'on  leur  avait  cob- 
mandée  ;  on  leur  fit  également  un  crime  d'avoir  conçu  des  pro- 
jets de  révolution,  et  de  ne  les  avoir  pas  accomplis.  Des  ordres 
sévères  furent  adressés  aux  autorités  locales,  et,  les  effets  s»- 
vaut  la  menace,  des  infortunés  qui  s'étaient  dépouillés  de  ktn 
vêtemenspour  acheter  des  armes,  se  virent  arracher  cette  ■•- 


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DE  l'espagne.  761 

pie  et  dernière  propriété.  Sans  entrer  dans  le  détail  de  ces  af* 
ligeantes  persécutions ,  je  vais  encore  dter  un  fait  pour  appren- 
Ire  quel  coup  mortel  en  reçut  la  cause  espagnole.  Lorsqu'après 
a  résolution  désespérée  du  colonel  Yaldès,  qui  franchit  la  Bi* 
lassoa  plutôt  que  de  rendre  les  armes ,  Mina  se  vit  forcé  d'aller 
ui  tendre  la  main»  un  plan  de  campagne  fut  arrêté  par  lui,  un 
)laa  sage ,  habile,  décisif  peut-être.  Entré  le  20  octobre  en  Es* 
)agne ,  avec  une  faible  troupe,  il  devait  se  borner,  pendant  quel- 
Iuesjours,à  d'insignifiantes  manœuvres  non  loin  de  la  frontière 
le  Navarre,  bien  certain  d'attirer  sur  ce  point,  et  par  la  seule 
)uis8ance  de  son  nom ,  toutes  les  forces  royales  dispersées  dans 
es  provinces  basques,  la  Navarre  et  F  Aragon.  Huit  jours  après, 
e  général  Plasencia,  qui  rassemblait  dans  l'intervalle  les  pelotons 
le  réfugiés  disséminés  sur  les  bords  de  T  Adour,  devait  pénétrer 
ians  r Aragon,  alors  dépourvu  de  troupes,  et  marcher  sans  coup 
%rir  jusqu'à  Saragosse,  où  l'attendaient  les  libéraux  de  la  pro- 
rince ,  avec  qui  cette  opération  était  combinée.  En  effet ,  le  géné- 
ral Llauder  réunit  toutes  les  troupes  de  l'Aragon  à  celles  de  Pam- 
)elune  pour  venir  attaquer  les  réfugiés  à  Yera.  Mais,  tandis  que 
dina,  résigné  d'avance  au  revers  qui  l'attendait,  après  avoir 
»assé  trente  heures  dans  une  fente  de  rocher  pour  échapper  aux 
lattues  dirigées  contre  lui  avec  des  hommes  et  des  chiens,  ren- 
rait  comme  par  miracle  en  France,  où  il  croyait  apprendre  le 
luccès  de  son  lieutenant,  un  sous-préfet ,  en  saisissant  les  caisses 
l'armes  destinées  à  la  troupe  de  Plasencia,  avait  rendu  stériles 
e  dévouement  et  la  mort  de  tant  de  braves ,  avait  fait  échouer  la 
)lus  habile  manœuvre,  et  retardé  peut-être  l'affranchissement 
l'un  peuple. 

Tous  ces  faits  sont  consignés  dans  un  mémoire  que  le  général 
Lafayette  mit  sous  les  yeux  du  roi  et  des  ministres ,  au  commen- 
^ment  du  mois  de  novembre.  Ce  mémoire,  signé  par  M.  Mcndi- 
uibal ,  qui  avait  généreusement  sacrifié  sa  fortune  entière  dans 
'entreprise,  au  point  que  ce  fut  de  la  Tour  de  Londres,  où  il  était 
irrêté  pour  dettes,  qu'il  conçut  et  commença  d'exécuter  l'expédi- 
tion de  don  Pedro  sur  le  Portugal;  ce  mémoire,  dont  la  minute 
m'est  restée,  avait  pour  objet  de  proposer  au  gouvernement  une 
3spèçe  de  mezzo  termine,  alors  qu'on  ordonnait  Yinternaiion  des 
réfugiés  en  France. 


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T82  UTUB  VEê  raux  «okdes. 

«r Cependant,  y  disaiNm,  pour  oonsenrer,  par  «■  dmm 

Itacrifice,  la  bonne  harmonie  entre  denx  peoplea  qve  la 
Toisinsy  et  qne  la Hbené  doit  rendre  frères,  peu^-étre 
nous  consentir  à  donner  an  monde  cet  exemple  definUesse  «< 
de  notre  caractère  opiniâtre  et  fier...  Mais  une  eoasidéF^îaaplv 
puissante  ne  nous  laisse  pas  même  le  droit  de  peser  ces  qwsÉM. 
"Nous  avons  compromis  nos  frères  de  rintirieur,  som  les  ïïmm 
désignés  aux  vengeances  d'un  gouvememem  înpicoyttUe.  Afi 
les  instructions  sont  commencées,  les  prisons  ouvertes,  les  éclH 
fonds  dressés.  Des  milliers  de  généreuses  vielinies  vont  pajwér 
leur  sang  le  crime  irrémissible  d'avoir  répondu  à  notre  eri  de  li- 
berté. Mon  général,  mettez  la  main  sur  votre  noble  eœnr  :  fm- 

vons-nous  les  laisser  périr? Pourquoi  nous  obfiger  à  h  ?£»- 

stance,  disait^n  en  terminant,  nous  qui  ne  votdonsqneh  concerne: 
au  ressentiment  et  à  la  haine,  nous  qui  ne  voulons  qne  la  iieeoi- 
nâissance  et  Tamitié?  N'est-il  aucun  moyen  de  satkiûre  àkfw 
aux  vœux  de  notre  nation  et  aux  besoins  politiqnes  de  la  ftee! 
Ce  n'est  pas  notre  dessein  que  vous  désapprouvei;  la 
d'Espagne  est  aussi  juste,  aussi  nécessaire  que  celle  que 
glorifiez  d'avoir  accomplie.  Ce  n'est  pas  l'affection  pour  nn 
vernementinfome,  et  qui  vous  traite  en  ennemi,  qm  pentvMi 
décider  à  retenir  nos  bras.  Mais,  dans  ce  moment,  nosprcjetm  ven 
embarrassent  ;  vous  ne  savez  comment  vous  condmra ,  en  prisesa 
des  étrangers  qui  mesurent  tous  vos  pas ,  ni  comment  respeciEf 
ce  principe  de  non-intervention  dont  vous  imposez  le  respect  mi 
autres.  En  un  mot,  vous  craignez  les  regards  et  les  reproch»* 
la  diplomatie  européenne....  Nous  ne  demandons  au  gonverneBeit 
français  ni  argent,  ni  troupes,  ni  secours  d'aucune  espèce.  Qneses, 
hospitalité  ne  lui  coûte  rien,  mais  qu'il  n'emprisonne  pas  seth6« 

tes Nous  ferons  plus  :  toutes  ces  armes,  toutes  ces 

qui  nous  ont  été  prises,  qu'il  les  garde;  il  peut  les  montrerez 
triomphe  aux  diplomates  étrangers.  Nous  ferons  plus  encore 
que  semaine,  nous  lui  livrerons  d'autres  armes  et  d'autres 
tiens  ;  chaque  semaine,  ses  agens  pourront  dresser  des  m venlairel 
de  saisies,  qui  lui  serviront  de  réponses  aux  notes  diplonuiâi|Be9; 
Dans  ce  moment,  où  FEurope  entière  est  en  agitation,  où  les  tm* 
blés  d'Angleterre  appellent  Tattention  du  monde  sur  des 
mens  plus  grands  que  ceux  des  Pyrénées^  et  vont  peut-être  dé& 


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inpep  to  CftbHM  fraogftifl  du  seul  obatade  sérieux  ^*il  trouvai  à 
fi0ti9  I6iidr6f  1»  nuM^derMllM  aMwes*  prises  avec  sageMe^  eié* 
estées  atet  bwfte  M»  doivent  sauver  toates  les  ai^renoes, doî- 
▼eut  laisser»  à  voua  le  respect  du  principe  que  vous  avez  posé  ^à 
tenta ledmofemadefeau^iérir par aosseula effort» «ue  patrie  et 
fet  literté.  » 

MaisFècHs  déoMHTchesv  malgré  les  remontrances  de  Lafeyette, 
aifeuMiiiclles  ua  jeune  priaee  s^assodait  noblement  et  chaude- 
«tont;  l'ordre  drimerner  ftitngnifié  aux  libéraux  espagnols  réunis 
^  la  frontièrey  el  l'on  donna  Vodieuxspeetacle  d'hommes  estima- 
Méa,  réHted'aa  pei^de»  ramenés  par  leagendarmes  à  travers  la 
Sraii06^  oOBune  A  Eevdinandr  VU  les  eût  envoyés  aux  présides 
d^Afiriqua» 

Ic»€Miinence  UBe-seQoade  ére,r  et  la  révolution  espagnole,  en- 
rkmtnàat  ew  Franoa  et  par  la  France,  apparirft,  so'  développe  et 
Icrtndit  dans  VEspagna  eUe-néme.  On  sait  la  mort  de  Ferdî- 
AaiidVn>i|mdtsail<de  kMnéme:  a  Je  suis  le  bouchon  de  la  bou- 
ille de  bière;  qpvMid  je  sauterai,!  tout  sautera.  »  On  sait  les 
èrènemens  de  Saint  Bdefoose»>  l'avènement  de  Christine  à  la 
aiégenee,  les  essais^  de  tUspotiêtne-  ielairé  tentés  par  M.  Zea,  sa 
diiite,  et  l'apparition  aux*  affaires  du  premier  ministre  sorti  de 
r  émigration  espagnole.  MLHartmez  de  la  Rosa^  appelé  à  diriger 
l'administration  nouvdle,  et  passant  ainsi  sans  intervalle  de  la 
proscription  au  gouvernement ,  disait  à  ses  amis  :-  <r  Ma  mission 
sera  courte;  je  dois  conduire  l'Espagne  du  despotisme  soi<-disant 
éclairé  de  mon*  prédécesseur  à  la  réunion  des  représentans  du 
faya.  Les  certes  assemblées,  je  leur  remets  le  soin  des  affaires,  et 
iaon  rôle  est  fini,  i^  M.  Martinex  de  la  Rosa  comprenait  alors  la  si- 
tuation de  l'Espagne,  et  se  rendait  justice.  Il  était,  en  effet ,  l'homme 
df  unetransition.  Bon^tattu  royal,  loin-d'étre  une  constitution,  comme 
en- parait  le  croire^  n'est  ^'un  décret  pour  la  convocation  des  cartes 
générales  du  royaume.  Mais  M.  Martinez  de  la  Rosa,  et  son  succes- 
seur, M.  de  Toreno,  tous  deux  hommes  de  tète,  de  savoir  et  de  mé- 
•  rite ,  FuB  d'une  droiture  inaltérable,  mais  un  peu  obstinée,  l'autre 
d'une  habileté  plus  souple  et  plus  réelle,  se  sont  laissé  abuser  par 
les  conseils  et  les  promesses  de  la  politique  française.  Les  notes 
âi()loiaatiquesr.comme  les  autographes  de  famille,  disaient  tous  in- 
variablement :  <r  Restez  oi»  vous  êtes,  ne  cédez  plus  rien;  si  les  ré- 


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764  REYUE  DES  BEUX  MONDES. 

Toltés  de  la  Navarre  font  des  progrès  au  nom  de  don  Cailos,dk 
révolution  irritée  vous  pousse  et  vous  déborde ,  appefes-noos,  rb- 
tervention  est  prête,  d  Cette  promesse ,  M.  Martifies  de  la  Boa  k 
rappela  avant  sa  chute ,  et  M.  de  Toreno  établit  sur  die  to«ae  n 
politique.  S'il  tint  tète  aux  juntes  insnrrecUonneUes ,  c*est  qi! 
croyait  Tarmée  française  Tarme  au  bras  sur  les  rives  de  la  Kdai- 
soa  et  dû  Ter.  Poussée  à  bout ,  la  reine  réclama  rinterwetfioi 
année  promise  par  la  France;  elle  essuya  un  refus ,  et,  dassUs 
emporteroens  de  son  dépit»  laissa  connaître  qu*dle  Toyait  TMm 
où  Tavait  jetée  sa  confiance  aveugle.  G^te  politique  de  firax  ooa- 
seilsy  appuyés  de  promesses  mensongères,  était  née  à  Paris»  da» 
les  tètes  qui  s'appellent  gouvernementales,  sans  que  rien  fibt  Tcaa 
d'Espagne  aider  à  son  enfantement.  L'ambassadeur  qni  a  repré- 
senté la  France  dans  ce  pays  depuis  la  révolution  de  juiBet  ■*« 
est  pas  complice.  M.  de  Rayneval,  à  coup  sûr,  n'était  pas  un  boouM 
à  passions  démocratiques  ;  mais  il  avait  du  sens,  de  l'esprit,  de  k 
sagacité;  il  voyait  bien  les  choses,  et  voulait  les  voir  avamde 
donner  son  avis  ;  fl  sentait  bien  qu'on  s'arrét»t  toujours  mal  i 
propos,  dans  des  positions  faciles  à  emporter;  qu'il  faOait,  noi 
point  céder  pas  à  pas  et  devant  une  force  toujours  croissante,  mais 
&ire  une  large  concession,  puis  essayer  de  s'y  retrancher.  Oa  ne 
le  croyait  pas.  Tandis  que  le  cabinet  anglais  avait  le  bon  esprit  de 
s'en  rapporter  à  la  raison  élevée,- aux  lumières  supër/eores,  u 
caractère  noble  et  droit  de  son  jeune  représentant  à  Madrid,  h 
fatuité  doctrinaire,  loin  de  consulter  les  faitspour  établir  son  opi- 
nion, établissait  son  opinion  en  dépit  des  fiiits.  Tai  vu ,  en  i93kt 
M.  de  Rayneval  se  plaindre  avec  amertume  de  ce  qu'il  n'élaii  n 
cru  ni  consulté ,  de  ce  qu'il  jouait  un  rôle  contraire  à  ses  opi- 
nions ,  forcé  de  blâmer  au  fond  du  cœur  ce  qu'on  le  diargeait  de 
soutenir  officiellement.  C'était  à  ce  point  qu'A  m'engageait  i  écrire 
sur  tel  ou  tel  sujet,  m'assurant  qu'un  article  de  journal  d'opposi- 
tion avait  plus  d'effet  que  toutes  ses  dépêches  diplomatiques.  D  est 
mort  avec  la  conviction,  soutenue  par  l'expérience,  qu'il  avait  biea 
vu  les  choses,  et  le  regret  de  n'avoir  pu  faire  prévaloir  cette  con- 
viciion. 

Le  refus  d'intervention  amena  un  changement  radical  dans  k 
politique  intérieure  de  l'Espagne.  Avec  M.  de  Toreno  tondra  l'i»-  i 
fluence  française,  et  l'influence  anglaise  entra  au  ccmseO  vtc  ' 


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DE  L*ESPAGNE.  763 

H.  Mendizabal.  Cest  de  Londres  qu'était  parti  ce  dernier  pour 
occuper  d*abord  le  ministère  des  finances ,  puis  la  présidence  du 
conseil.  Il  emportait  des  instructions  du  ministère  anglais,  mais 
bien  différentes  de  celles  qu'avait  données  notre  gouvernement  »  le- 
quel se  bornait  à  recommander  qu'on  ne  cédât  rien  à  la  révolution. 
<r  Nous  vous  connaissons  y  nous  avons  confiance  en  vous,  avaient 
dit  les  ministres  anglais  à  M.  Mendizabal  ;  vous  avez  prouvé  en 
Portugal  ce  que  vous  savez  foire.  Allez  à  Madrid ,  laissez  la  révo- 
lution suivre  son  cours ,  détruisez  à  tout  prix  le  carlisme,  cédez 
aux  nécessités  pour  atteindre  ce  but ,  et  ys'il  le  faut,  prenez  le  bon-' 
net  rouge.  »  M.  Mendizabal  put  calmer  les  juntes  et  préparer,  par 
quelques  décrets  révolutionnaires ,  comme  la  destruction  totale 
des  couvens  et  l'appel  de  cortès  réman/es,  la  victoire  que  .vient 
de  remporter  son  parti.  Une  intrigue  de  cour  le  renversa,  et  la 
politique  française  reprit  un  moment  le  dessus.  Isturiz,  Galiano, 
ces  mêmes  hommes  qui  avaient  été  les  coryphées  des  opinions 
extrêmes,  qui  s'étaient  fiiit  mettre  hors  la  loi  par  M.  de  Toreno 
pour  avoir  soulevé  les  juntes,  qui  avaient  dirigé  dans  les  cortès, 
contre  Mendizabal  lui-même,  l'opposition  ultra-libérale,  consen- 
tirent, par  je  ne  sais  cpielle  misérable  ambition  ou  quelle  petite 
rancune  personnelle,  à  se  faire  les  soutiens  et  les  avocats  d'un  ré- 
gime qu'ils  avaient  combattu,  les  instrumens  éphémères  d'un 
parti  qui  se  servait  d'eux  sans  les  adopter.  L'Espagne  enfin ,  lasse 
de  tant  de  foutes,  irritée  de  tant  de  méfaits,  a  renversé,  par  un 
mouvement  spontané ,  unanime ,  les  derniers  champions  du  parti 
de  la  cour  et  de  l'étranger.  Elle  a  relevé  la  pierre  de  sa  constitu- 
tion. Nul  ne  sait,  nul  ne  peut  prévoir  quel  sera  l'effet  de  ce  grand 
mouvement  national;  peut-être  est-il  tardif,  comme  il  est  déses- 
péré; mais  ses  causes  du  moins  sont  manifestes,  sont  flagrantes , 
et  il  ne  me  reste  qu'à  parler  des  raisons  qu'ont  eues  les  Espa- 
gdbls  en  rétablissant  ce  code  politique,  deux  fois  librement  pro- 
mulgué, deux  fois  aboli  violemment. 

Quiconque  a  la  plus  légère  teinte  de  l'histoire  de  l'Espagne  n'a  pu 
manquer  de  reconnaître  un  fait  évident:  c'est  l'empire  qu'exercent 
en  ce  pays  les  souvenirs  historiques  ;  c'est  la  puissance  des  choses 
traditionnelles.  Aucune  institution  exotique  ne  prend  racine  dana 
la  terre  d'Espagne  ;  si  vous  voulez  l'y  faire  fleurir,  entez-la  sur 
quelque  vieux  tronc.  Les  Bourbons  y  ont  apporté  la  loi  sali- 


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766  UT1JB  DES  DEUX  MORDES. 

loi  saliqae  ii!a  pu  s'y  mainteiiir,  et  le  swyenir  d!Isabdle  a  été  pha 
fort  que  la  pragmatique  de  Phflippe  Y..  Quand  CEspagne  de  1811 
donna  Tétrange  et  magnifique  spectacle  d'un  peuple  yaincii  »  ea- 
yahiy  à  moitié  conquis ,  sans  gouvernement^  sans  autorité  d'ail- 
cune  espèce  ^procédant,  sous  l'occupation  étrangère,  aacbcÂxde 
ses  représentans ,  à  la  formation  d'une  assemblée  qui  devait  iSt 
fois  délivrer  et  constituer  la  patrie;  (piand  les  cortès  de  Ca£x, 
emprisonnées  sur  un  banc  de  sable ,.  mais  délibérant  avec  calme  ai 
milieu  du  fracas  des  armes ,  entreprirent  et  terminèrent  le  graad 
œuvre  d'une  loi  fondamentale  qui  reconstituait  la  société  depnu 
ses  bases»  ni  le  peuple,,  ni  l'assemblée  ne  faisaient  chose  nouvdk. 
L'un  suivait  ses  anciens  souvenirs ,  ses  habitudes  immémoriales; 
l'autre  rétablissait,, en  les  coordonnant ,;.  en  les  mettant  d'acoorl 
avec  les  progrès  du  temps,  des  mœurs,  de  h,  raison  pub^qœ. 
en  leur  imprimant  de  nouveau  la  sanction  nationale ,  les  anti^ieg 
dispositions  du  Fuero-Juzgor  des  Pariidas  et  autres,  vieîlte  loti 
de  Castille  et  d'Aragon.  H  n'j  a  pas  ^dana  la  constitution  àp  l&tlt 
qu'on  prétend  copiée  des  constitutions  démocratiques  firançaisei 
de  1791,  de  1793  et  de  Tan  in,,  il  n'y  a.pas  une  seule  clause  im- 
portante, qui  ne  soit  empruntée  aux  vieux  codes  et  aux  andeoi 
fueros  de  l*Espagne.  Cest  ce  que  j'ai  démontré  ailleurs  (1)  par 
l'analyse  de  cette  œuvre  des  législateurs  de  1812;.  c'est  ce  qu'ils 
déclarent  eux-mêmes  formellement  dans  son  préambule  :  9  Les 
cortès  générales  de  la  nation  espagnole,  y  est-il  dît,  Uencou^ 
vaincues,  après  le  plus  long  examen  et  la  plus  mûre  déUbéra- 
tion ,  que  Tes  anciennes  bi$  fondamentales  de  cette,  monarchie,  ac- 
compagnées des  mesures  et  précautions  qui  garantissent  duae 
manière  stable  et  permanente  leur  entier  accomplissement,  pen- 
vent  duement  remplir  le  grand  objet  d'assurer  la  gloire  et  h 
prospérité  de  la  nation,  décrètent  la  constitution  suivante....  s 

Au  contraire,  Fembryon  de  charte  appelé  statut  royal,  que  la 
constitution  de  1812  vient  de  renverser,  n'était  qu'un  second  ei 
malheureux  plagiat  de  la  loi  anglaise.  Pour  la  première  fois,  l'Es- 
pagne abandonnait  ses  antiques  formes  représentatives  pour  re- 
courir à  des  modèles  étrangers.  Dans  le  statut  royal,  tout  était 


(1)  Étwdei,^S¥rrMâtoireéeêimSUuthn$, detaUitértaufetdutkéàtreei^mkenw  mm 
en  Espagne,  pag.  81  et  suir. 


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DE  L*ESPAGKE.  7CT 

Bonmeaiiy  lés  noms  et  les  choses,  la  composition  de  rassemblée 
et  le  mode  électoral.  H  avait  fallu  d*abord  loi  troayer  un  titre  qui 
indiquât  que  ce  n'était  qu'un  simple  octroi  de  la  royauté ,  octroi 
ttuable,  sujet  à  retour  et  à  révision.  Les  anciennes  cortès,  où  les 
trois  ordres  s'étaient  toujours  trouvés  réunis ,  comme  dans  nos 
états-généraux  y  étaient  divisées  en  deux  chambres,  et  l'on  avait 
^dû  créer  aussi  le  nom  de  procerès  (magnats  du  royaume),  pour 
baptiser  cette  chambre  des  pairs;  innovation  malheureuse  dans 
vn  pays  de  parfaite  égalité,  où,  sauf  la  grandesse,  qui  maudit  les 
diatnes  de  ses  prétendus  privilèges,  les  élémens  d'une  aristo- 
cratie manquent  aussi  complètement  que  chez  nous. 

L'Espagne  étant  arrivée  à  la  nécessité  de  réviser  5on  code  po- 
litique et  d'appeler  des  cortès  constituantes ,  ne  valait-il  pas  mieux 
que  cette  révision  portât  sur  la  constitution  de  1812  que  sur  le 
statut  royal?  L'expérience  a  foit  également  connaître  aux  Espa- 
gnols les  défauts  de  Tune  et  de  Tautre.  Us  savent  que  le  statut 
royal  est  incomplet,  informe ,  antipathique  à  leurs  mœurs ,  à  leurs 
habitudes  constantes,  fls  savent  que  la  constitution  se  ressent  de 
son  origine,  qu'elle  pèche  par  un  excès  de  qualités,  qu'on  y  recon- 
naît trop  l'exaltation  des  sentimens  généreux,  l'enthousiasme  da 
bien  qui  a  aussi  son  aveu^ement,  et  qu'elle  est  presque  tou- 
jours d'une  application  embarrassée  dans  la  pratique,  peut-être 
impossible.  Hais,  en  révisant  le  statut  royal,  ils  auraient  eu  un 
point  de  départ  tout  étranger,  tout  nouveau;  en  révisant  la  consti- 
tution, ils  partiront  d'une  base  tout  espagnole,  et  leur  œuvre 
aura  ses  racines  dans  les  plus  antiques  traditions  nationales. 
Toilà  le  vrai  point  de  la  question. 

n  reste  à  cette  question  deux  autres  faces  que  je  vais  successi- 
vement envisager. 

Quand  la  monarchie  d'Isabelle  et  de  Christine  appelait  à  son 
aide  quelques-uns  des  hommes  proscrits  naguère  par  Ferdi- 
nand Vn,  elle  se  trouvait  attaquée  de  deux  graves  maladies  :  une 
minorité  et  une  guerre  de  succession.  M.  Hartinez  de  la  Rosa  et 
8B8  premiers  collègues  voulurent  sauver  cette  monarchie  infirme 
et  languissante  en  la  greffant,  si  l'on  peut  ainsi  dire,  de  consti- 
tutionnalité,  en  transportant  ses  racines  du  parti  apostolique  au 
parti  libéral.  Os  révèrent  aussi  l'alliance  du  trône  et  de  la  liberté. 
Pour  atteindre  leur  chimère ,  ils  inventèrent  d'abord  le  statut 


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768  UYDE  DES  DEUX  MONDES. 

roijalj  vieille  théorie  fripée  qu'il  croyaient  pouvoir  rajuster  i  k 
taille  de  TEspagne.  Mais  si  ce  ministère  de  transition  avait  frit 
une  loi  représentative  d'imitation  anglaise  »  ce  fut  à  la  France 
qu'il  emprunta  son  système  de  gouvernement.  Partant  de  la  m»- 
narchie^  n'ayant  point  la  liberté  pour  but,  et  n'appelant  oeile^ 
que  pour  donner  à  l'autre  aide  et  assistance»  Q  a  d&  imiter  k 
politique  dont  il  recevait  l'exemple  et  les  conseils,  celle  du  juste- 
milieu.  Ici  son  erreur  a  été  grande,  et  sa  faute  impardonnaUc 
En  Espagne,  tout  répugne  au  juste-milieu.  Non-seulement  il  ae 
peut  s'accommoder  au  caractère  passionné  des  habitans,  qui  ne 
connaissent  aucune  transaction  entre  les  idées  extrêmes^  mais  il 
n'est  ni  dans  la  division  des  classes,  ni  dans  la  nature  des  ia- 
téréts  matériels,  ni  enfin  dans  les  souvenirs  et  les  habitudes  di 
pays. 

La  classe  moyenne,  succédant  en  richesses,  en  importance  ei  en 
prétentions  aux  anciennes  classes  privilégiées,  n'existe  pas  «icore 
^en  Espagne.  A  peine  commence-t-elle  à  se  fDrmer  dans  les  grandes 
villes,  non  point  dans  un  état  intermédiaire  et  tenant  la  balance 
entre  les  autres,  mais  guidant  la  masse  dont  elle  fait  toujours 
partie.  UEspagne  en  1834,  comme  la  France  en  1789,  ne  se 
divisait  qu'en  deux  parties  :  d'un  côté,  les  classes  à  privilèges, 
à  savoir,  le  clergé,  qui  ne  vivait  que  de  ceux  qu'il  s'était  succès^ 
sivcment  arrogés ,  et  la  noblesse  prête  à  faire  bon  marché  des 
siens;  de  l'autre,  le  peuple  encore  immobile,  encore  inaperçi^ 
ayant  partout  à  sa  tète  la  bourgeoisie  instruite  et  indépendante 
qu'il  laissait  agir  en  son  nom. 

Les  intérêts  ne  sont  pas  moins  que  les  classes  antipathiques 
à  tout  accommodement.  Si  le  clergé,  emporté  déjà  aux  premiers 
coups  de  Vorage  populaire,  s'obstinait  encore  à  garder  ses  lùeBs 
de  main-morte,  ses  dîmes,  ses  exemptions  des  charges  de  l'état, 
la  noblesse,  au  contraire,  consentait  volontiers  à  rentrer  dans  le 
droit  commun  pour  affranchir  ses  biens-fonds  des  ^traves  féo- 
dales qui  la  gênent,  qui  la  ruinent,  et  partout  le  peuple,  ainsi  que 
la  bourgeoisie,  voulait  la  division  des  terres  et  l'égale  réparti- 
tion des  charges  publiques.  D'ailleurs,  l'Espagne,  pays  de  pro- 
duction et  de  consommation  intérieures,  peu  industriel,  peu 
commerçant,  ne  connaît  pas  tous  ces  intérêts  de  richesse  fictive, 
^ui,  chez  des  nations  comme  la  France  ou  l'Angleterre,  ont  be- 


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DE  L*ESPAGNE.  769 

fioia  de  l'immobilité,  s'effraient  de  toute  agitation,  et  consacrent 
sans  relâche  lenr  influence  au  maintien  de  Tordre  existant.  Pour- 
quoi l'Espagne  aurait-elle  redouté  une  révolution?  Les  blés  des 
Castilles,  les  vignes  de  la  Manche,  les  oliviers  de  rAndalousie, 
les  troupeaux  de  FEstramadure,  n'en  fourniront  pas  momsaux 
minces  nécessités  de  ses  habitans  :  c'est  là  leur  dernier  souci.  A 
côté  des  besoins  matériels,  il  n'est  qu'un  seul  intérêt  qui  puisse 
peser  de  quelque  poids  dans  les  affaires  publiques,  et  celui-là , 
précisément,  tend  aussi  fort  au  changement  et  à  l'instabilité  que 
d'autres  intérêts,  dans  d'autres  pays,  tendent  à  la  conservation. 
En  Espagne,  par  des  raisons  qu'il  serait  trop  long  de  développer 
ici,  les  professions  indépendantes  sont  rares  et  peu  recherchées; 
au  contraire,  tout  le  monde  veut  des  places.  Au  lieu  d'attendre 
son  existence  et  sa  fortune  des  chances  qu'offre  le  talent  ou  l'in- 
dustrie, on  préfère  la  vie  commode  que  donnent  des  émolumens 
fixes.  Le  nombre  des  employés  est  immense,  celui  des  solliciteurs 
égal,  et  l'on  peut  dire  de  l'Espagne,  plus  que  d'aucun  autre 
pays,  qu'il  y  a  deux  nations ,  l'une  payée,  l'autre  payante.  Dans 
ce  conflit  de  gens  qui  occupent  les  emplois ,  ou  qui  en  ont  été 
chassés,  ou  qui  veulent  y  parvenir,  dans  cette  guerre  que  se  li- 
vrent les  intérêts  personnels  sous  le  masque  des  opinions,  il  n'y 
a  point  de  place  pour  l'indécision  et  la  tiédeur.  On  ne  parvient 
que  par  le  dévouement  vrai  ou  simulé  à  un  parti  ;  on  ne  se  sou- 
tient qu'aux  mêmes  conditions,  et  bientôt,  soit  pour  conserver  un 
emploi,  soit  pour  en  déposséder  autrui,  on  se  trouve  engagé 
dans  les  rangs  extrêmes  de  l'opinion  qu'on  a  choisie.  Ceux  qui 
connaissent  un  peu  l'Espagne  ne  nieront  point  l'exactitude  de 
cette  situation  spéciale. 

Enfin,  le  système  modérateur,  imité  du  juste-milieu  français, 
n'était  pas  plus  conforme  aux  habitudes  et  aux  souvenirs  histo- 
riques d'un  pays,  où  toute  institution,  lente  à  s'établir,  jette  d'in- 
destructibles racines,  où  il  faut  chercher  l'origine  de  tout  usage 
politique  dans  les  municipalités  romaines  et  les  conciles  des  Goths. 
On  conçoit,  à  la  rigueur,  qu'après  les  quinze  années  de  la  res- 
tauration, la  France  de  1830  ait  de  nouveau  tenté  l'essai  d'une 
charte  qu'on  n'appelait  plus  octroyée,  mais  consentie,  et  que  ses 
législateurs  prétendaient  avoir,  en  une  séance,  sufGsamment 
améliorée.  Mais  la  masse  des  Espagnols,  qui  n'ont  pas  étudié  les 
TOMB  vu.  49 


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770  RKTUB  DBS  DEUX  MONDES. 

Aéories  anglaises,  qui,  d*aillears,  n'ont  encore  ea  de  lears  prim 
ni  octroi  ni  consentement,  ne  se  rappeOent  et  ne  conçoîr^it  fi 
deux  systèmes  possibles  de  gouvernement  :  ou  le  despodai 
pur,  tel  qne  Font  foit  les  princes  de  ta  maison  d* Autriche,  td  ^ 
Pont  perfectionné  ceux  de  la  maison  de  Bourbon,  et  dont  Fr 
dinandVn  a  joui  seize  années  durant;  ou  le  pouvoir  popidani, 
exeroé  par  une  assemblée  gouvernante,  tel  que  Font  possédé  h 
anciennes  cortés  jusqu'à  Charles-Quint,  et  les  cortès  modenei 
de  1812  et  de  1820.  Toutes  ces  subtiles  distinctions  sur  le  jeo  i 
la  pondération  des  pouvoirs  sociaux  ne  sont  pas  à  lear  porllc 
ce  qu'ils  ont  vu  et  voient  clairement,  c'est  qu'entre  les  dm 
principes  contraires,  il  n'est  point  d'accord  possible,  et  qoe  Tm 
doit  triompher  de  l'autre.  Pas  de  milieu  :  l'Espagne  doit  avoir  « 
Tabsolutisme  avec  don  Carlos,  ou  l'antique  liberté  avec  la  cooni- 
tution  rajeunie.  Son  choix  est  à  faire. 

Jusqu'à  présent  j'ai  raisonné  en  quelque  sorte  par  abatractiafl, 
comme  si  l'Espagne  n'avait  qu'à  choisir,  dans  le  repos  et  la  paix, 
le  meilleur  moyen  de  se  constituer.  Mais  une  guerre  dvile  acbff- 
née,  impitoyable,  atroce,  la  désole  depuis  bientôt  trois  ans.  D  fait 
que  cette  guerre  ait  un  terme.  C'est  la  troisième  &ce  de  k 
question. 

Qu'on  envisage  cette  lutte  sanglante  comme  une  guerre  de  sae- 
cession,  ce  qui  est  faux,  ou  comme  une  guerre  d'indépendaaa 
soutenue  par  les  provinces  soulevées  pour  la  conservation  de  kan 
franchises,  ce  qui  est  vrai  ;  toujours  est-il  que  le  juste-miliea  cêffÊ- 
gnol  n'a  pu  ni  la  terminer,  ni  même  en  promettre  la  fin.  Malgré  k 
traité  de  quadruple  alliance,  malgré  la  coopération  plus  on  moiu 
utile  et  sincère  de  ses  trois  alliés,  il  a  vainement  usé ,  devant  ks 
montagnes  de  la  Navarre,  ses  trésors  et  ses  armées,  ses  négocia- 
teurs et  ses  généraux.  N'est-il  pas  juste  d'espérer  que  Félin  » 
primé  par  les  juntes  provinciales,  par  la  proclamation  instantanée 
de  la  constitution ,  ira  se  communiquer  à  l'armée,  doublera  sa  torct 
numérique  et  sa  force  morale?  N'est-il  pas  juste  d'espérer  que  ds 
rangs  de  cette  armée  sortira,  comme  des  bataillons  vokmt 
de  la  république  française,  quelque  nouveau  Hoche  ponr  ^ 
et  pacifler  cette  nouvelle  Vendée?  Le  général  San-Mignd 
raison,  lorsqu'en  se  soulevant,  le  premier  des  chefs 
disait  aux  Âragonais  :  a  Jusqu'à  ce  jour  nous  étions  sans  i 


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DE  L*ESPAGN£.  TH 

la  constitution  sera  la  bannière  qui  réunira  tout  le  parti  de  la  1h 
iierté.  A 

Mais  peut^tre  n'est-il  pas  besoia.de  cea  efforts  et  de  cette  yic- 
foire.  Peut-être  une  transaction  devient-elle  possible  aujourd'hui» 
et  le  plus  beau  triomphe  de  la  révolution  serait  de  ikiir  la  gnerra 
de  Navarre  sans  massacres,  sans  combat»  sans  effusion  de  sang» 
On  sait  maintenant  les  vraies  causes  et  le  vrai  caractère  de  la  r6- 
Tolte  des  provinces  basques.  On  sait  que  ces  provinces  ».  unies^ 
mais  non  incoi:porées  à  l'Espagne,  simple  annexe,  mais  non  partie 
mtégranie  de  la  monarchie,  reconnaissant  dans  le  roi  un  suzerain^ 
mais  non  un  maître,  ne  lui  devant  auoun  impôt  d'hommes  ou  d^ai» 
gent,  administrant  elles-méme»  leurs  revenus,  disposante  de  leurs 
milices,  nommant  leurs  chefis  et  leurs  magistrats,,  ajant  leur  langna 
propre,  comme  leurs  constitutions  particulières;  on  sait,  dis^je^ 
qu'elles  ont  pris  les  armes  pour  la  conservation  de  ces  franchises 
précieuses;  qu'elles  soutiennent,  non  une  guerre  d'opinion^  mais 
une  guerre  d'intérêt  ;  non  une  guerre  civile,  mais  une  guerre  d'io^ 
dépendance;  que  le  prétendant  n'est  pour  ellescpi'un  drapeau  qui 
leur  assure  les  secours  des  absolutistes  des  autres  provinces,,  des 
souverains  et  des  autocraties  de  l'Europe;  qii'enfin,  si  elles  veulent 
que  l'Espagne  soit  esclave  sous  un  roi  absolu,  c'est  pour  restée 
libres  sous  leurs  constitutions  républicaines.  Ailleursaussi($),  il  y  a 
plus  de  deux  ans,  j'ai  développé  cette  opinion,  qur'un  fait  confirma 
d'une  manière  irréfragable  :  c'est  que  les  Navarrais  et  les  Bis^ 
cay  eus  ont  fait ,  comme  on  dît ,  leurs  affaires,  mais  non  celles  du  pré* 
tendant;  qu'ils  soutiennent  une  guerre  de  défense,  non/ d'attaque^ 
et  que,  même  après  leurs  plus  grands  succès  et  malgré  les  exhorta- 
tions des  protecteurs  qu'ils  ont  à  l'étranger,  leur  chef  s'appelàt»-il 
Tillareal  ou  Zumalacarregui,  jamais  ils  n'ont  permis  à  don  Carlos, 
je  ne  dirai  pas  de  marcher  sur  Madrid,  mais  seulement  de  s'ap- 
procher de  l'Ebre.  Aujourd'hui,  ces  provinces  sont  fatiguées 
d'une  lutte  sans  rel&che,  épuisées  par  une  guerre  de  dévastation, 
-qui  se  fait  sur  leur  territoire.  Elles  désirent  une  trêve,  un  arran- 
gement, plus  encore  peut-être  que  TEspagne  assaillante.  Elles 
cherchent,  comme  l'avouait  naguère  le  généralissime  Yillareal 
^ans  une  entrevue,  un  moyen  de  rendre  les  armes  sans  bassesse 

(i)  Voir  roavrage  précédemment  cité,  pag.  97  et  soir. 

49. 


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772  RKYUB  DES  DEUX  MONDES. 

[un  medio  de  entregar  las  armas  sin  vileza  ].  Ce  moyen ,  la  oonsli- 
tution  peut  Tofl^r.  Déjà  la  Navarre  et  les  provinces  basques  hd 
ont  été  soumises  de  1820  à  1823;  elles  j  trouveraient  peutrëtre  de 
suffisantes  compensations  à  la  perte  de  leurs  franchises,  surtout 
si  leurs  représentans  assistaient  au  travail  de  révision.  D*ail]eiiii| 
rien  n'empêche  le  gouvernement  constitutionnel ,  en  considérant  la 
véritable  situation  de  ces  provinces  et  leur  indépendance  immé- 
moriale de  TEspagne,  de  faire  à  son  tour  des  concessions,  et  do 
leur  laisser  les  fueros  les  moins  incompatibles  avec  Tétat  général 
du  pays.  Une  déclaration  faite  en  ce  sens,  à  la  fin  de  1833,  aonft 
étouffé,  dés  sa  naissance,  l'insurrection  des  provinces  basqoes; 
aujourd'hui,  une  transaction  peut  la  terminer  honorablement,  et, 
plus  qu'une  victoire  à  force  ouverte,  elle  prouverait,  aux  yeux  du 
monde ,  la  puissance  de  la  révolution  qui  vient  de  s*accomplir. 

Âpres  l'historique  des  faits  qui  devait  précéder  toute  disserta- 
tion ,  j'espère,  si  je  ne  m'abuse,  avoir  fait  comprendre  trois  choses  : 
1*  que  la  nation  espagnole  devant  se  donner,  par  voie  de  réTision, 
on  code  politique,  il  vaut  mieux  que  les  cortès  prochaines  rériseï^ 
la  constitution  de  1812  que  le  statut  royal.  Tune  étant  d'origine 
espagnole,  l'autre  d'importation  étrangère;  2*  que  le  système  in- 
termédiaire et  modérateur  ne  convenant  point  à  la  nature  du  pays 
et  aux  nécessités  de  sa  situation,  il  est  heureux,  quoi  qu'il  arrire, 
que  l'Espagne  en  soit  sortie  pour  se  placer  franchemenc  dans  k 
régime  de  la  liberté  contre  celui  de  Tabsolutisme  ;  3*  que  le  gou- 
vernement constitutionnel  aura  plus  de  moyens  que  Fautre  pour 
soumettre  les  provinces  révoltées,  soit  par  la  guerre,  soit  par  h 
paix. 

Maintenant,  que  le  ministère  doctrinaire  prenne  un  parti. 

Louis  YiAmDOT. 


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CHRONIQUE  DE  LA  QUINZAINE. 


14  leptembn  1888. 


d  Poar  se  faire  pardonner  le  ponvoir,  écriTait  M.  Gaizot  en  1821 ,  il 
faut  le  garder  long-temps,  et  non  pas  y  revenir  sans  cesse.  De  petites 
et  fréquentes  vicissitudes  dans  une  grande  situation  ont  pour  la  masse 
des  spectateurs  quelque  chose  de  déplaisant  et  presque  d*ennuyeux.  Elles 
diminuent  celui  qui  les  accepte,  quand  elles  ne  le  décrient  pas.  d  Nous 
sommes  de  l'avis  de  M.  Guizot,  et  nous  le  trouvons  lui-même  fort  dimi- 
nué depuis  sa  rentrée  au  pouvoir  :  minor  reéiU,  Quelle  raison  vraiment 
politique  peut-il  assignera  son  retour  ?  Est-il  rappelé  par  la  majorité 
parlementaire?  Les  chambres  sont  absentes,  et,  convoquées,  elles  Tout 
abandonné  et  l'abandonneront  probablement  encore.  A-t-il  quelque  grand 
dessein  à  exécuter  à  Tintérieur?  Point.  Pour  les  relations  de  la  France 
avec  l'Europe,  il  n'en  faut  pas  parler;  on  y  connaît  la  pâle  incertitude  de 
M.  Gnizot. 

Nous  avions  eu  plus  d'estime  pour  la  valeur  politique  de  M.  Guizot 
qu'il  n'en  a  lui-même  :  nous  n'aurions  pas  attendu  de  lui  un  retour  aux 
affaires  sans  cause  et  sans  avenir ,  ni  une  convoitise  du  ministère  si  dé- 
pourvue de  patience  et  de  véritable  ambition.  Aussi  que  de  fautes  lui  a 
fait  faire  en  quelques  jours  cette  monomanie  d'existence  ministérielle  !  Il 
était  parti  de  Lisieux  dans  la  pensée  de  la  présidence  ;  mais,  sur  le  théâtre 
même  des  affaires,  il  a  dû  se  désister  de  ses  plus  hautes  espérances: 
alors  on  l'a  vu ,  passant  d'un  extrême  à  l'autre ,  se  réfugier  dans  l'affec- 
tation d'un  r6le  modeste ,  et  chercher  à  primer  la  présidence  nominale 
par  l'humble  spécialité  d'un  petit  département.  On  a  offert  à  M.  Guizot 
le  ministère  de  l'intérieur,  il  n'a  pas  voulu  le  prendre;  peut-être  a-t-il 
craint  les  souvenirs  de  1830, et  lesrapprocheinen3aççablansque  les  lieux 


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70^ 

et  les  mars  mêmes  lui  rappelleraient  à  toute  heure;  il  aurait  r^rooré  k 
cabinet  dans  lequel  il  donnait  audience  aux  réfugiés  espagnols,  et  ac- 
ceptait rentière  complicité  de  la  propagande  rérolotionDaire  ;  peut-^tre 
n*a-t-il  pas  voulu  prendre  sur  lui  la  responsabilité  éclatante  et  directo 
des  affaires  intérieures.  Il  a  mis  à  ce  département  M.  Gasparin,  dootil 
avait,  il  j  a  quelques  années ,  exigé  la  présence  auprès  de  M.  Thien  pour 
surveiller  ce  dernier;  mais  voicii  qu'aujourd'hui  M.  Gaizot  ne  se  croit 
plus  assez  sûr  de  M.  Gasparin  lui-même,  et  il  lui  donne,  à  lui  aussi,  v 
surveillant  I  et  quel  surveillant?  M.  de  Rémusat! 

M.  Guizot  est  loin  de  lire  aussi  bien  dans  les  hommes  que  dans  kl 
livres;  il  se  trompe  souvent  sur  le  caractère  et  l'aptitude  de  ses  amis,  flor 
la  valeur  et  la  mise  en  œuvre  de  ses  instrumens.  M.  de  Rémusat,  nooten 
sous-secrétaire  d'état,  doit,  d'après  les  vues  de  M.  Guizot ,  sarreilkr 
tant  M.  Gasparin. que  l'esprit  public,  imprimer  une  sorte  d'onitéiib 
presse  ministérielle ,  aviser  aux  réponses  qu'il  faudra  faire  à  Toppositiaii 
correspondre  avec  les  préfets  pour  ce  qui  concerne  les  élections;  eafia, 
en  cas  de  dissoliition,.  ntiBoer  ai»>oombat  la  phalange  ministtfneie  sur 
tous  les  points  y  exoicer,  Carassen»  intimider.  Pour  cette  besofpae»  lUnt  de 
Factivilé>  du  ftmaliBaiey.uttizèlfr  à  tonta  épreuve,  el:  personne  nasHk 
vait»  mon»  f  cdnvenir  quelle  ^niMM^eiie  ssos^seorétahie  d*étac  Jf .  do  Bé- 
musat  a  trop  de  panssè  erd<iaidépsiiâanoe>dansresprît,.tropd'élé8aDeact 
de  liberté  danyses  moMiiUfel  son  lan^m^V  poov  desnadrean  sernoM 
qu'on  attend  de  lui.  H  y  a-étourderie  desa  part  à  aeeeptar  de  pareiUci 
fonctions*  AT.  de  Bémusatett.homme  à  deviser  agréablement  sur  lésan- 
tes et  les  bévues' de  soa administration;  on  pourim  le  sarpnodre^àt^ 
moquer,  au  lieu  de  la  défendre*  H^u'y  a  pas  en  lui  l*étola^<  wii  d'aa 
censeur,  soit  d'un  commissaire  de  police;  c'est  un  Ubre  et  îngéoieBi 
causeur,  et  sescoUègues  doivent  s'estimer  heureux  s'il  n'est  dans  IcotU^ 
net  qu'un  élégant  hors-d'œuvre,  et  s'ils  échappent  à  ses  sareasmeset4 
ses  épigrammesi  Qu-a^dûipènseiv  par  exemple,  IL  de  Rémasaldelapr^ 
tention  de  M:  Guisot^  d'être  un  hemmede  juillety.ini  qui  r<a  vu,  aisa 
queltf.  deBroglle,  protester  dans*  les  bureaux  du  Globe  contre  la  pre^ 
mière  apparition  du  di^peau  tricolore?  Quelle  maladresse  de  rèvnlkr 
de  pareils  souvenirs! 

Les  fautes  n'ont  pas  manqué  à  AT.  GHizot  depuis  son  retour  de  liiiesz; 
lui  qui  se  vante  d'être,  par  excellenoe,  Thomme  de  la  majorité  ptrie- 
mentaire,  non-seulement  est  retenu  au  pouvoir  en  l'absence  des  cban- 
bres,  mais  il  a  montré  une  défiance  imprudente  envers  la  majorité  en  de- 
mandant au  roi  la  faculté  de  prononcer  à  son  gré  la  dissolution.  Sur  oe 
point,  il  a  essuyé  un  refus  formel;  il  parait  qu'il  lut  aété  répondu  qn'os 
ne  voulait ,  en  aucune  façon,  engager  l'aVenir  et  la  liberté  de  la  courosaç 


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.  —  CHaMiiQ0i.  775 

fM  s'il  croyait  pouvoir  marcher  avec  les  éiémens  codbqs,  U  entrât  av 
mmûstère,  sinon,  non.  À  moins  d'un  grand  déliut  de  réflexion  et  d'une 
inconcevable  légèreté,  M.  Guizot  doit  être  convaincu  aujourd'hui  qu'à  la 
«noiiidfe  hésitation  dies  chambres,  il  sera  abandonné  sur-le-champ  par 
la  couronne.  Voilà  qui  peut  expliquer  l'indécision  du  nouveau  cabinet. 

Repoussé  dans  sa  prétention  de  dissoudre  à  son  gré  la  chambre, 
M.  Gttiaot  a  reporté  toute  sa  raideur  sur  le  personnel  du  ministère  de 
l'intérieur.  Il  faut  dire  que  les  nouveaux  ministres  désiraient  tous  le 
maintien  de  M.  de  MonUlivet ,  et  la  couronne  a  reitisé  pendant  treize 
jours  de  l'abandonner.  Mais, M.  Guizot  a  une  antipathie  particulière  pour 
M. de  Montalivet;  la  position  de  celui-ci  auprès  du  roi  lui  porte  ombrage; 
ces  seotimeos  l'ont  emporté  sur  son  désir  bien  connu  de  plaire  au  maître. 
|t  Tout  est  fâcheux  dans  l'avènement  du  nouveau  ministère;  tout  y 
décèle  une  profonde  inintelligence  des  hautes  convenances  politiques. 
Si  quelque  chose  prétait  quelque  crédit  à  l'étranger  au  parti  doctrinaire, 
tétait  l'alliance  anglaise;  et  voilà  M.  Guizot  qui  entre  aux  affaires  dans 
le  but  patent  d'en  arrêter  les  effets  salutaires  pour  la  liberté  constitu- 
iionmelledu  midi  de  l'Europe;  mais  qu'importe  à  M.  Guizot  7  La  politique 
pour  lui 9  c'est  une  résistance  systématique,  qui  confond  tout,  les  réfor- 
mes nécessaires  et  les  utopies  chimériques;  c'est  la  compression  intérieure 
et  la  méconnaissance  des  affaires  du  dehors.  M,  Guizot  n'a  aucun  souci 
de  l'Europe  ,  du  monde;  il  n'a  jamais  cherché  à  faire  prévaloir,  dans  le 
conseil,  une  seule  idée  en  politique  étrangère;  il  sera  tour  à  tour  An- 
glais, Russe,  Autrichien,  pourvu  qu'on  lui  abandonne  l'intérieur. 

Il  est  ceruin  que  Taocien  ministère,  quelles  qu'aient  été  d'ailleurs  ses 
incertitudes  et  ses  demi-mesures,  s'est  retiré  sur  une  question  de  liberté 
et  de  dignité  extérieure;  il  voulait,  dans  les  limites  de  la  quadruple  al- 
liance, prêter  à  l'Espagne  constitutionnelle  un  secours  puissant  et  réel, 
abattre  don  Carlos,  ôter  par  cet  avantage  décisif  tout  prétexte  aux  excès 
ultra-révolutionnaires,  et  pacifier  l'Espagne.  Enfin,  quels  qu'eussent  été 
les  évènemens,  l'ancien  ministère  voulait  la  révolution  espagnole  quand 
même.  L'Europe  du  nord  l'a  bien  compris,  et  n'a  pas  permis  à  la  France 
une  coopération  aussi  puissante;  elle  a  demandé,  et,  nous  le  disons  avec 
douleur,  elle  a  obtenu  l'abandon  de  toutes  les  résolutions  et  de  tous  les 
préparatifs  du  cabinet  du  22  février,  qui ,  depuis  le  5  août,  n'a  plus  été 
libre,  et  a  vu  défaire  son  ouvrage  et  ses  combinaisons. 

Don  Carlos  à  Madrid  sera  un  échec  pour  tout  ce  qui  en  Europe  ne 
trempe  pas  dans  l'absolutisme  pur,  pour  tout  ce  qui  participe,  dans 
quelque  degré  que  ce  soit,  à  l'esprit  progressif  et  conslitutionneL  Don 
Carlos  à  Madrid  relève  la  cause  et  l'étendard  des  dynasties  déchues;  il 
offre  un  refuge,  une  armée,  des  frontières  limitrophes  au  carlisme  fran- 


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776  REYUB  DBS  DEUX  MONDES. 

çais;  don  Carlos  à  Madrid  détrait  tout  les  résultats  qa'on  s'était  \ 
de  conquérir  au  profit  des  monarchies  eonstitutionnelles  par  le  système 
de  paix  suivi  depuis  six  ans. 

Dans  le  nouveau  cabinet,  la  direction  delà  politique  étrangèreestcoo- 
Bée  à] M.  Mole.  Nous  ne  ferons  pas  un  crime  au  nouveau  président  da 
conseil  d'un  ouvrage  de  jeunesse,  où  il  exaltait  l'empereur  et  les  mer- 
veilles qu'enfantait  une  volonté  souveraine  et  forte.  Le  spectacle  était 
assez  beau  pour  arracher  des  cris  d'enthousiasme;  aussi ,  nous  ne  re- 
procherons pas  à  un  des  noms  de  l'ancienne  France  d'avoir  salué  dtos 
Napoléon  le  successeur  de  Louis  XIV,  et  d'avoir  reconnu  la  légitimité 
de  la  gloire.  N*oublions  pas  non  plus  qu'en  1830,  M.  Mole  prononça  le 
mot  de  non-intervention  dans  un  sens  libéral.  C'était  dire  à  l'Europe  :  La 
France  ne  cherchera  pas  à  propager  au  dehors  les  sentimens  et  les  pria- 
cipes  révolutionnaires;  mais  elle  ne  permettra  pas  qu'uo  peuple  qui  vou- 
dra sincèrement  réformer  ses  institutions  et  conquérir  sa  liberté,  soit 
troublé  dans  l'exercice  de  son  droit  inaliénable.  M.  Mole  quitta  ie  pou- 
voir sitôt  que  le  principe  de  la  non-intervention  ne  fut  plus  mûntena 
avec  fermeté.  Il  rentre  aujourd'hui  aux  affaires.  Pourquoi?  On  a  pensé 
qu'il  avait  surtout  été  décidé  à  l'acceptation  de  la  présidence  par  la  crainte 
de  paraître  abdiquer  toute  importance  et  toute  prétention  politique,  en  se 
réduisant  toujours  au  rôle  de  médecin  consultant  dans  les  crises  ministé- 
rielles. Mais  enfin ,  quel  qu'ait  été  le  motif,  que  fera  M.  MoIé  du  pouvoir 
qu'il  s'est  déterminé  à  reprendre?  Nous  ne  pouvons  croire  qu'il  accepte 
une  présidence  purement  nominale,  et  qu'il  se  résigne  à  coavrir  de  son 
nom  et  de  son  seing  les  prescriptions  de  M.  Guizot .  L'alliance  de  ces  deux 
personnages  ne  saurait  être  durable  :  M.  Mole  est  toujours,  aux  feux  de 
M.  Guizot,  un  honapariiste  entièrement  étranger  aux  vrais  principes 
du  gouvernement  anglais  et  doctrinaire.  D'un  autre  côté,  le  dogmatisme 
de  M.  Guizot  a  toujours  pesé  àM.  Mole.  On  assure  qu'il  est  dans  Fintentioa 
de  prouver  que  sa  présidence  est  réelle  et  non  pas  nominale,  et  qu'il  est 
véritablement  chef  du  cabinet.  La  volonté  de  M.  Guizot  n'est  pas  la  seule 
contre  laquelle  le  président  du  conseil  pourrait  avoir  à  lutter.  H  en  est 
une  autre  plus  élevée  et  plus  puissante  ;  nous  verrons  s'il  aura  sur  ce  point 
une  fermeté  difficile  sans  doute,  mais  nécessaire. 

M.  Mole  a  été  appelé  au  conseil  pour  faire  un  point  d'arrêt  dans  les  af- 
faires espagnoles  à  toute  participation  française.  C'est  la  non-interveotico 
retournée  contre  l'intérêtqui  en  avait  fait  prononcer  le  mot.  Cette  abdi- 
cation subite  de  toute  influence  française  est  un  fait  contre-révolution* 
naire;  elle  paralyse  tous  les  effets  mqraux  de  la  quadruple  alliance;  dé- 
sormais l'Europe  semble  d'accord  pour  assister  avec  une  curiosité  égoïste 
aux  déchiremens  de  l'Espagne,  à  ses  douleurs  et  peut-être  à  ses  excès. 


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REVUE.  —  CRROlfIQUE.  7Tf 

L'Espagne  est  un  bien  malheureux  pays;  elle  expie  chèrement  ses 
splendeurs  du  moyen-âge  et  son  dernier  éclat  au  xyi«  siècle  ;  elle  n'a  plus 
la  vie  du  passé,  l'énergie  des  anciens  jours,  le  génie  catholique.  Elle  n'a 
pas  encore  été  suffisamment  pénétrée  par  l'esprit  moderne  et  philosophique; 
elle  ne  peut  s'enfanter  à  elle-même  des  institutions  qui  la  satisfassent  et 
l'expriment.  Elle  ne  peut  trouver  d'hommes  d'état  qui  sachent  la  com- 
prendre et  la  servir.  M.  Martinez  de  la  Rosa,  avec  son  statut  royal,  n'a  fait 
qu'une  malencontreuse  imitation  des  constitutions  anglaise  et  française. 
Or,  sans  partager  sur  l'Espagne  toutes  les  appréciations  historiques  que 
l'amiral  Grlvel  vient  d'adresser,  il  y  a  quelques  jours,  au  Journal  des 
Débats,  il  est  certain  qu'il  y  a  là  un  esprit  local  et  fédéral  qu'il  faut  satis- 
faire, avant  tout,  même  dans  l'intérêt  d'une  unité  centrale  et  forte  dont 
un  pays  comme  l'Espagne  ne  saurait  guère  se  passer.  M.  Martinez  de  la 
Bosa  a  manqué  une  de  ces  grandes  occasions  dont  la  perte  est  toujours 
féconde  en  calamités;  il  n'a  rien  eu  d'espagnol,  de  national,  d'intelli- 
gent. Si  aujourd'hui  l'Espagne  se  rallie  à  la  constitution  de  1812,  c*est 
que  cette  esquisse  improvisée  au  milieu  d'une  résistance  héroïque,  re- 
présente à  la  fois  pour  elle  la  cause  de  l'indépendance  et  des  franchises 
provinciales.  Puissent  les  nouvelles  certes  qui  s'assembleront  dans  quel- 
ques mois  donner  enfin  une  expression  aux  sentimens  et  aux  droits  du  peu- 
ple espagnol  ! 

L'ancien  ministère  doctrinaire  du  11  octobre  a  constamment  travaillé 
à  imprimer  une  direction  rétrograde  aux  affaires  de  la  Péninsule;  en 
vain  M.  de  Rayneval  cherchait-il  à  l'éclairer  et  à  lui  faire  changer  de 
vues;  le  courrier  de  Paris  lui  apportait  toujours  pour  réponse  des  instruc- 
tions de  plus  en  plus  apti-libérales  :  aussi  notre  représentant  à  Madrid, 
se  sentant  humilié  du  rôle  qui  lui  était  imposé ,  cherchait  k'  circonscrire 
sa  sphère  d'action  au  lieu  de  l'étendre,  et  abandonnait  à  la  diplomatie  de 
l'Angleterre  et  de  M.  de  YilUers  l'honneur  d'une  influence  active  et 
démocratique.  Cette  situation  fausse  n'a  pas  peu  contribué  à  jeter  dans  le 
cœur  et  sur  les  derniers  jours  de  M.  de  Rayneval  une  amertume  mortelle. 

L'Angleterre  n'a  pu  voir  sans  le  plus  vif  mécontentement  l'abandon 
qu'a  fait  notre  politique  officielle  de  la  cause  de  la  révolution  espagnole , 
c'est  de  toutes  parts  une  haute  clameur  contre  le  cabinet  du  6  sep- 
tembre. Singulière  position  que  celle  du  parti  doctrinaire!  Il  s'était  vanté 
d'amitiés  honorables  et  d'une  noble  solidarité  dans  le  parti  whig.  L'an- 
née dernière  les  lois  de  septembre  ont  fait  perdre  à  MM.  de  Broglie  et 
Guizot  toute  alliance  politique  de  l'autre  côté  du  détroit.  Aux  yeux  d'un 
Anglais,  whig  ou  tory,  toucher  au  jury,  à  la  liberté  individuelle ,  à  la 
liberté  de  la  presse,  est  une  forfaiture  qui  ne  se  pardonne  pas.  Aujour- 
d'hui les  doctrinaires  rompent  encore  avec  les  hommes  dont  ils  se  disent 


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178  RETUB  ns  0BVX  Momws. 

les  él&VM  et  ks  «mis»  et  ce  toet  eai  qaî  «mmlenCla  ^adrople  idUace. 
AHMÎ  nous  éerh-on  de  Londres  qa'ihii  M  coaçeit  rien  à  me  fiareiHèeM- 
doite  de  la  pirl  de  gei»  qui  eUeeUient  les  «pperenees  d^me  palUifH 
frofbnde  et  tyBténiBtiqae.  Dans  rardetfr  des  celKaions  rkAentai  kl 
kommes  da  11  octobre  araleet  pu  fSiire  <p]eli|tte  iHumOy  à  fbree  de  lé* 
péter  leurs  protestations  d'attachement  à  la  eaose  coostitiitkmndie;  bmIi 
anjoord'hul  les  déceptions  ne  sont  plus  possibles  :  on  les  connaît  à  Fia- 
térieor  parles  lois  de  septembre;  on  les  connaH  à  l'éUviger  psroi 
politique  qui  peut  amener  l'entrée  de  don  Carlos  à  Madrid. 

Sauf  la  malbenreuse  affeire  de  Jadraqoe,  on  Goœez  a  lemportéon  aiM» 
tage  sur  les  constitutionnels ,  il  ne  s'est  rien  passé  de  fort  reraarqoablssi 
Bspagne.  Le  ministère  n'est  pas  encore  complet,  et  en  supposant  ^'ii  reato 
composé  comme  il  Test  à  présent»  et  sons  la  présidence  de  M,  Calatrafii 
il  ne  le  sera  peut-être  pas  de  long-temps ,  et  c'est  assurénoenl  ladMseèi 
monde  la  moins  importante.  Il  n'y  a  pour  le  moment  que  deox^oitti 
ùAre  en  Espagne»  remplir  le  trésor»  ce  qui  rat  trèsdilBeile ,  réoifuiier 
l'armée,  ce  qoi  nel'est  pas  moins.  Le  reste  neoiginfie  rieo;  certes»  dècreU^ 
liberté  de  la  presse  »  épuration  de  foncCionnaires»  Sont  cela»  ans  doatai 
pourra  être  un  jour  fort  bon»  à  son  temps»  à  son  beure;  maisactaettemsnt, 
rien  de  tout  cela  n'ayance  d'une  minute  l'accomplissement  du  grand  ol^ 
qu'on  doit  se  proposer  »  la  fin  do  la  guerre  cîrilef  carToilà  le  bot»  et  les 
deuK  cboses  à  faire  que  nous  avons  indiquées  n'en  sont  que  les  moyam. 
Iklbeureusement  »  la  situation  est  telle»  et»  en  dépit  des  efforts  du  minis- 
tère »  s'aggrave  tellement  de  jour  en  jour  »  que  malgré  soi  el  malgré  fon- 
tes ses  sympathies  »  on  se  surprend  à  la  croire  désespérée. 

Quelque  bonnes  intentions  que  l'on  suppose  à  iin  miniatèFe  »  quels  qns 
soient  les  talons»  l'intelligenoe»  le  dévouement  »  la  supériorilé  d'esprit  ds 
sept  on  huit  hommes  appelés  à  sauver  un  pays»  seubibne  penventriee» 
et  nous  ne  ferions  pas  cette  réflexion  »  presque  triviale  à  force  d'être  vrMei 
si  nous  ne  voulions  pas  en  venir  à  exprimer  une  opinion  basée  sur  la  ooa- 
naissanoe  parfaite  de  ce  qui  se  passe  en  Espagne»  l'opinion  que  M.  Ob* 
trava  et  ses  collègues  sont  pour  le  moment  tout  seuls  à  la  tAcbe.  Nooias 
croyons  pas  du  tout  que  l'Espagne  soit  indifférente  an  triomphe  de  ta 
ou  de  raotre  dea  trois  partis  qui  se  la  disputent;  cela  n*est  pas  posâUs» 
Mais  plus  la  crise  devient  menaçante»  plus  la  nation  s'alMindonne;  plu 
l'ensemble  du  pays  se  divise»  pins  les  individoalilès  se  retirent;  pisf 
chacun  se  plonge  dans  l'obscurité  de  son  exisfenee  domestique»  et  ptsf 
dans  l'incertitude  de  l'avenir  on  arrange»  Fun  sa  défection,  l'antre  « 
faite»  tous  avec  le  désir,  d'échapper  à  la  tempête  des  réadiotts»  ea  it 
fusant  oublier. 


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REVUE*  "—CREOIfIQinK*  ^nP9 

'Fmàïïùi  que  le  mmigtère  promulgue  des  décrets  pour  renforcer  let 
années  d'opération ,  celles  qui  existaient  se  dissolvent  de  toutes  parts. 
On  très  grand  nombre  d*oflBciers  ont  quitté  leurs  corps ,  ou  chassés  par 
leurs  soldats,  ou  parce  qu'ils  ne  veulent  plus  servir;  les  soldats  em« 
iBêmes,  qui  depuis  long-temps  ne  sont  pas  payés,  retournent  dans  lenrs 
foyers,  et  c'est  l'histoire  du  tonneau  des  Danaldes.  On  a  vu  des  armées 
M  battre  et  gagner  des  batailles,  sans  habits,  sans  souliers,  sans  solde; 
mais  ces  armées-là  étaient  soutenues  par  une  grande  passion ,  par  un  sen« 
tknent  très  fort,  par  une  exaltation  profonde  et  vraie.  Don  Carlos  ne  se- 
rait plus  en  Espagne,  et  ses  lieutenans  ne  paraîtraient  pas  à  la  fois  aux 
portes  de  Valence,  de  Saragosse  et  de  Madrid,  s'il  y  avait  eu  dans  les 
armées  espagnoles  quelque  chose  de  pareil  pour  les  faire  marcher  «n 
avant,  à  défaut  de  solde  régulière,  d'habits  et  de  munitions. 

M.  Egea ,  qui  occupe  par  intérim  le  ministère  des  finances ,  a  troavé  les 
caisses  publiques  absolument  vides ,  et  l'un  de  ses  premiers  soins  a  dû  être 
de  songer  à  les  remplir.  On  a  décrété  à  cet  effet  un  emprunt  forcé  ou 
oeniribotion  extraordinaire  de  200,060,000  de  réaux  (50,000,000  de  fr.)^ 
qui  sera  r^artie  sur  toutes  les  propriétés  par  les  administrations  locales» 
et  qui  ne  peut  manquer  de  conduire  bientôt  à  un  système  d'assignats  ou 
papier  quelconque,  représentant  la  valeur  des  biens  nationaux  à  la  dis- 
position du  gouvernement.  Mais  comme  le  travail  de  répartition  ne  sera 
terminé  que  dans  un  mois  au  plus  tôt ,  et  qu'il  faut  de  l'argent  pour  sub- 
Tenir  à  des  besoins  d'une  urgence  extrême ,  le  ministère  s'est  adressé  aux 
citoyens,  et  leur  a  demandé  des  avances  sur  la  contribution  extraordi- 
naire. Nous  ne  sayons  trop  quelles  ressources  produira  l'emprunt  forcé  » 
parce  qu'il  y  aura  souvent  impossibilité  absolue  de  recouvrement;  mais 
Umi  le  poids  en  tombera  nécessairement  sur  quelques  grandes  villes,  déjà 
écrasées,  où  le  commerce  est  anéanti,  comme  Barceionne,  Cadix,  Va- 
lence, Séville,  Malaga,  et  plusieurs  autres,  et  il  fera  au  gouvernement 
beaucoup  d'ennemn,  ce  qui,  pour  être  un  mal  inévitable,  n'en  est  pas 
moins  un  grand  mal.  Quant  à  la  vente  des  biens  du  clergé ,  elle  ne  pourra 
salaire  qu'à  des  conditions  de  perte  énorme  peur  le  trésor,  et  elle  est 
impossible  dans  toutes  les  provinces  qui  sont  sillonnées  de  partis  carlistes. 

Ce  décret ,  celui  d*ttn  appel  de  cinquante  mlUe  hommes  sous  les  armes» 
celui  qui  mobilise  une  partie  de  la  garde  nationale  et  la  réunit  au  dief- 
liea  de  la  province,  un  décret  qui  porte  que  les  lois  des  deux  époques  con- 
stitutionnelles auront  besoin ,  pour  être  remises  en  vigueur,  d'une  ordon- 
nance spéciale  à  chacune  d'elles,  ont  mécontenté  ht  presse  et  donné  lieu 
de  reprocher  au  ministère  sa  moHesse  et  sa  timidité. 

Cependant  plusieurs  juntes  insurreetionnetles,  et  decenes  qui  foisaient 
le  plus  de  bruit,  se  sont  dissoutes ,  les  unes  de  fort  Inmne  grâce ,  à  la  pre- 


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1^80  EETUE  DES  DEUX  MONDES, 

mière  nouvelle  des  évènemens  qui  avaient  décidé  la  reine  à  recomultit 
et  faire  proclamer  la  constitution ,  les  {autres  après  avoir  opposé  une  cer- 
taine résistance,  et  non  sans  avoir  provoqué  de  la  part  des  populalioM 
quelques  démonstrations  assez  hostiles.  Il  en  reste  encore ,  et  quelques- 
unes  n'ont  fait  que  se  transformer  en  municipalités  constitutionDeUesoo 
juntes  d'armement  et  de  défense.  Mais  toutes  auront  consommé  en  pore 
perte  des  ressources  précieuses,  et  il  y  aura  eu  cette  fois,  comme  Tan- 
née dernière ,  bien  des  concussions  sur  lesquelles  il  faudra  que  le  gau¥e^ 
nement  ferme  les  yeux ,  quoiqu'il  ait  demandé  compte  à  ces  autorités, 
dans  le  délai  de  soixante  jours ,  de  leur  administration  et  des  fonds  pa- 
blics  qui  leur  ont  passé  par  les  mains.  Elles  ont  toutes  réussi ,  par  diven 
moyens ,  à  se  procurer  des  sommes  relativement  assez  fortes;  la  junte  de 
Grenade  a  frappé  d'une  contribution  énorme  et  payable  en  deux  heures 
les  propriétés  des  individus  carlistes,  absens  ou  présens  :  celles  da  doc 
de  Wellington ,  par  exemple,  ont  été  taxées  à  75,000  francs,  c'est-à-dire, 
assure-t-on,  au  revenu  de  toute  une  année;  M.  Martluez  de  h  Hosa 
s'est  vu  aussi  ranger  au  nombre  des  carlistes ,  et  imposer  comme  tel 
à  une  somme  considérable.  Il  est  vrai  que  ces  extravagances,  relevées  par 
toutes  les  injustices  qui  accompagnent  nécessairement  le  triomphe  pas- 
sager d'une  minorité,  ont  Gui  par  soulever  la  garde  nationale,  quia 
chassé  la  junte.  Cette  corporation  avait  été  installée  par  une  colonne  pro- 
pagandiste sortie  de  Malaga,et  qui  s'est  avancée  en  faisant  la  révolutioB 
partout,  jusqu'aux  déûlés  de  Despegnaperros ,  où   devait  se  réunir 
l'armée  d'Andalousie  pour  marcher  ensuite  sur  Madrid. 

Les  juntes  de  Malaga  et  de  Cadix  ont  battu  monnaie  en  prenant  cer- 
taines mesures  douanières  dont  le  commerce  anglais  a  proûiè.  Celle  de 
Malaga,  qui ,  aussitôt  après  la  révolution  du  26  juillet,  eut  besoin  d'ar- 
gent pour  l'expédition  que  nous  venons  de  rappeler,  fit  d'abord  vendre, 
à  50  pour  100  de  rabais,  une  forte  partie  de  sel  qui  était  dans  les  ma^ 
sins  de  la  ville,  opération  dont  quelques  spéculateurs  seulement  ont  réa- 
lisé le  bénéfice;  ensuite,  cette  première  ressource  étant  épuisée,  elle 
imagina  de  permettre ,  pour  quinze  jours  seulement ,  rintroductioo  de 
marchandises  anglaises  prohibées ,  sauf  acquittement  d'un  dnnt  asses 
léger.  Il  arriva  aussitôt  de  Gibraltar  une  masse  prodigieuse  d'étoffes  an- 
glaises et  autres  produits,  qui  ont  inondé,  par  Malaga,  tout  le  midi  de 
l'Espagne,  et  resserré  d'autant,  pour  quelques  mois,  le  débouché dâ 
manufactures  de  la  Catalogne.  Jamais  l'Angleterre  n'a  oublié,  dans  les 
troubles  de  la  Péninsule ,  les  intérêts  de  son  industrie ,  et  elle  poursuivait 
sous  M.  Mendizabal  un  traité  de  commerce  dont  il  est  fort  possible  qu'efle 
songe  maintenant  à  reprendre  la  négociation,  à  la  faveur  de  la  positioo 
que  lui  ont  faite  les  derniers  évènemens. 


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RETUE.  —  CHRONIQUE.  781 

Dès  les  premiers  jours  qui  ont  suivi  le  rétablissement  de  la  constitu- 
tion y  ses  partisans  avaient  eu  à  se  féliciter  de  quelques  succès  militaires, 
auxquels  on  a  donné  d'autant  plus  d'importance  qu*ils  sont  plus  rares. 
Mais  depuis  »  les  armes  de  la  reine  ont  éprouvé  plusieurs  échecs  ou  n*ont 
pu  empêcher  les  carlistes  de  faire  à  peu  près  ce  qu'ils  voulaient.  Ainsi,  le 
général  Basilio  Garcia,  qui  s'était  jeté  dans  la  province  de  Soria  et  in- 
terceptait, au  commencement  du  mois  d'août,  les  communications  entre 
Madrid  et  la  France  par  la  route  de  l'Aragon,  a  repassé  l'Èbre  et  rega- 
gné la  Navarre  sans  être  entamé,  malgré  tous  les  efforts  de  plusieurs  gé- 
néraux envoyés  à  sa  poursuite ,  malgré  une  crue  extraordinaire  qui  l'a- 
vait retenu  quelques  jours  sur  la  rive  droite,  malgré  les  milices  de  Sar- 
ragosse  et  le  capitaine-général  Evaristo  San-Miguel.  Au  moins  il  ne 
menaçait  plus  Madrid ,  et  c'était  toujours  un  avantage  qu'il  eût  évacué  le 
pays,  bien  qu'il  emmenât  des  recrues,  des  chevaux,  des  munitions ^  de 
l'argent;  mais  au  moment  où  l'on  s'y  attendait  le  moins,  voilà  Gomez  qui 
arrive  encore  plus  près  de  la  capitale,  sur  cette  même  route  de  Madrid 
à  Sarragosscy  et  qui  bat  les  troupes  constitutionnelles  dirigées  contre 
lui.  C'étaient  les  mêmes  régimens  qui  avaient  été  pendant  quelque  temps 
maîtres  absolus  de  Madrid,  et  qu'on  avait  eu  tant  de  mal  à  en  faire  sortir. 
Le  général  Espar tero,  le  meilleur  de  l'armée  espagnole,  qui  poursuivait 
Gomez  depuis  près  de  deux  mois  sans  jamais  atteindre  le  gros  de  ses 
forces,  a  fini  par  tomber  malade  de  fatigue ,  et  sa  division,  fort  affaiblie 
sans  doute,  n'était  plus  commandée  par  lui  quand  le  chef  carliste  est  venu 
braver  la  révolution  à  quelques  heures  de  Madrid.  Il  parait  que  le  grand 
talent  de  Gomez  consiste  à  dérober  ses  mouvemens,  et  qu'il  a  des  soldats 
infatigables.  Entouré  d'ennemis  après  son  entrée  en  Galice ,  il  a  su  leur 
échapper  et  conserver  toujours  sur  Espartero,  le  plus  redoutable  de  tous, 
plus  de  vingt-quatre  heures  d'avance ,  quoiqu'il  traînât  avec  lui  un  butin 
considérable.  Cela  tient  sans  doute  aussi  à  ce  que  les  paysans  le  servaient 
bien  et  servaient  mal  ceux  qui  étaient  à  sa  poursuite.  Après  l'affaire  de 
Jadraque,  ou  ne  sait  au  juste  quelle  direction  il  a  prise,  et  on  suppose 
qu'il  veut  opérer  sa  jonction  avec  quelques  bandes  avancées  de  la  faction 
de  Valence. 

Cependant  l'inaction  de  don  Carlos  depuis  les  évènemens  de  Salnt-Il- 
defonse  a  causé  une  grande  surprise  à  tous  les  partis;  on  s'attendait  géné- 
ralement à  lui  voir  essayer  un  mouvement  hardi  contre  cette  armée  sans 
discipline  et  sans  chef  qui  fait  face  à  l'insurrection  carliste  sur  l'Èbre.  Mais 
rien  n'a  indiqué  même  que  ses  généraux  en  aient  eu  la  moindre  pensée. 
mous  ne  hasarderons  pas  des  conjectures  sur  un  fait  dont  les  causes  sont 
Brt  bien  connues  sans  doute  de  ceux  qui  reçoivent  à  Paris  en  épreuve,  oa 
mû  dictent  les  proclamations  du  prétendant.  Mais  ce  que  nous  savons 


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T82  RSTUB  DBS  DEUX  MOHDBS. 

bien>  C*e8t  que  bon  nombre  de  ses  amis  en  Europe  ont  cni  qn*!!  ne  ps- 
drait  pas  nn  instant  pour  s*élancer  sur  la  route  de  Madrid ,  et  que  ta 
nombre  de  ses  ennemis  l'ont  craint. 

Quoi  qu'il  en  soit,  jamais  une  victoire^  nous  ne  disons  pas  une  Tictoire 
déeisivey  car  il  en  faudra  plus  d'une,  n*a  été  plus  nécessaire  aux  CnM|io 
de  la  reine.  Si  elles  peuvent  se  réorganiser,  elles  le  feraient  sous  ceoe 
heureuse  influence ,  et  si  elles  ne  reçoivent  pas  une  impulsion  énergkpe, 
A  la  confusion  actuelle  se  prolonge  encore  quelque  temps,  ce  sera  une  ane 
compromise.  Un  coup  de  main  hardi  rendra  maître  de  la  capitale  (pd- 
qu'un  des  lieutenans  de  don  Carlos ,  et  alors  modérés  et  révolu  tionnairesy 
tons  ceux  qui  ont  fait  acte  d'adhésion  au  gouvernement  de  la  reine  et  àb 
succession  féminine,  seront  enveloppés  dans  une  réactUm  eCTroyable  dot 
les  instrumens  sont  tout  prêts  et  attendent  patiemment  leur  jour;  suis 
la  Intte  ne  sera  pas  terminée  et  coûtera  encore  bien  du  sang. 

On  assure  que  le  ministère  espagnol  ne  doit  pas  remplacer  i  Parii 
M.  le  général  Alava,  qui  a  refusé  de  prêter  serment  à  la  constitmion  de 
18iS.  M.  Alava  conservera  ses  fonctions  d'ambassadeur.  Cestw  gatan- 
tarie  dont  on  Tout  se  faire  un  mérite  auprès  du  gouveraeiDeot  français, 
pour  en  obtenir  les  secours  promis  par  M.  de  Bois-le-Gomte  à  M.  Ista- 
ritz;  et  tel  est  probablement  l'objet  de  la  mission  de  M.  Marliani,  q  1 
est  arriré  ces  jours  derniers. 

On  s'attendait  généralement  à  voir  M.  Mendizabal  revenir  aux  allata; 
mais  il  n'en  est  pas  question ,  ce  qui  ne  doit  s'entendre  que  d*im  porte- 
fbnine  et  d'une  place  dans  le  conseil;  car  M.  Mendizabal  reste  dans  kl 
coulisses  et  conserve  son  attitude  de  protecteur  du  mimslëie  Calatraii. 
Il  travaille  ostensiblement  avec  les  membres  du  cabinet ,  et  l'opinion  pu- 
blique de  Madrid  attribue  à  son  inspiration  toute^uissante  leurs  actes  ks 
plus  importans.  Il  a  ou  du  moins  il  affecte  une  confiance  impertorbtbie, 
qn'il  fait  partager  jusqu'à  un  certain  point  à  la  légation  anglaise^  tel 
les  relations  avec  lui  sont  bien  connues.  Le  chef  de  ses  adversaires  àMA 
la  dernière  assemblée  des  cortès  et  son  successeur  à  la  présidence  da 
conseil,  M.  Isturltz,  a  eu  le  bonheur  de  gagner  le  territoire  porUigtis,stf 
être  reconnu,  ce  qui  luiaurait  valu  le  sort  de  Quesada,  eta'est  embae^ 
ft  t^intra,  pour  Falmouth,  où  il  est  arrivé.  M.  Isturitz  ne  restera  prtite- 
blement  pas  long-temps  eu  Angleterre,  et  viendra  sans  doute  à  Parik 


T.  BcLOz. 


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TABLE 

DES  MATIÈRES  DU  SEPTIÈME  VOLUME. 


(  QUATRIÈME  SÉRIB.  ) 

r 
LORD  FEEUNG.  —  Les  ExhibîtioiM  de  Peinture  et  de  Scalp- 

tnre  à  Londres  en  1836.  5 

ALFRED  DE  MUSSET.  —  II  ne  faut  jurer  de  rien,  prareite.  36 

»  •  ^  .  —  Les  Républiques  mexicaines.  S2 
SAiTNTËrBEUVE.  —  Ecrivaioa  crttiipiea  et  raonlistes  de  fat 

France.  —  IV.  —  La  Bruyère.  Ifl 

LERMINIER.  —  De  l' ABsaastnat  polkiqœ.  lit 

ufiBONIQOB  DB  Là  QUIIOAIIIK.  185 

[»OR GE  SÂND.  —  Les  Morts.  129 

5DG  AR  QUINET.  —  Voyages  d'un  solitaire.  —  L  —  Hdte.  137 

F.  DE  CHAMPAGNY.  —  Les  Césars.  —  L  —  Auguste.  173 

DUJARDIN.  -^  Les  Hiéroglyphes  et  la  langue  égyptienne.  199 

L  DE  CARNÉ.  —  De  l'Espagne  et  de  son  histoire.  214 

[hlRONlQUE  OB  LÀ  QUINZAINE.  239 

::H.  DIDIER.  —  Le  Maroc.  —  I.  —  Tanger.  257 
L.  REYB AUD. — Socialistes  modernes.  -—  L  —  Les  Saint«-SiiiMH 

niens.  288 

s:.  M ARMIER.  —  Lettres  sur  Tblande.  -- 1.  —  Reyiiavîk.  342 

AUGUSTE  BARBIER.  —  Morfis  Jwor.  332 

...  —  Diplomates  européens. — Ifi.  —  Nesselrode.  356 

[iHRONfQUB  DB  LA  QUINZAINE.  378 

[^RMINIER.  —  Six  ana.  38& 
^  W.  SCHLEGEL.  —Sur  Daate,  Pétrai^qse  et  Boeo&ee.  400 
r.-J«  AMPERE.  -^  Des  Bardes  chez  les  Gaulois  et  chez  les  an- 
tres Nations  celtiques.  4lft 


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784  TABLE  DES  MATIÈRES. 

GH.  LABITTE.  —*  Ecrivains  précurseurs  du  siècle  de  Loais  XIY. 

—  L  —  Gabriel  Naudé.  417 

ALFRED  DE  MUSSET.  —  La  Nuit  d'Août.  178 
EDGAR  QUINET.  —  Des  Poètes  épiques.  —  II.  ;-—  L'Epopée 

latine.  483 

Chronique  de  la  quinzaine.  506 

SAINTE  -  BEUVE.  —  Romanciers  de  la  France.  —  M»«  de  La- 

fayette.  513 
PH.  LEBAS.  —  Sur  la  Découverte  d'un  manuscrit  contenant  la 

traduction  de  Sanchuniaton ,  sur  Pbilon  de  Bybtos.  SIS 

....  —  Revue  littéraire  du  premier  semestre  de  1836.  565 

GUSTAVE  PLANCHE.  —  Les  Amitiés  littéraires.  6îl 

Chronique  de  la  quinzaine.  613 

Revue  musicale.  ^ 

....  —  De  l'Abus  qu'on  fait  des  Adjectifs.  —  Lettre  de  deux 
Habitans  de  La-Ferté-sous-Jouarre  à  M.  le  Directeur  de  la  Re^ 
vue  des  deux  Mondes,  ^ 

LÉON  FAUCHER.  —  La  Presse  en  Angleterre.  —  I.  —  La  Presse 
politique.  ^ 

X.MARMIER.  —  Lettres  sur  llslande.  —  II.  —  Le  Geyser  el 
l'Hécla.  &n 

HENRI  BLAZE.  —  Jean-Sébastien  l'Organiste.  7ii 

LOUIS  YIARDOT.  —De  l'Espagne  à  propos  da  nouveau  BC- 
nistère.  75j 

Ch&onique  de  la  quinza/ne.  ^ 


ERRATA. 

Dans  l'article  de  M.  de  Camé,  De  V Espagne  et  de  son  histoire: 

Page  il7,  ligne  S6,  an  lien  de  :  Bard ,  VLaei  :  Haro. 

SIS,  8»  an  Ueu  de  :  800,000,000,  lisez  :  8,000,000. 

Dans  l'article  de  M.  Edgar  Quinet,  sur  VÉpopée  IoUm: 
Page  480,  ligne  S7,  an  lien  de  :  attribués,  Usez  :  attribuées. 
40S,         33,  an  lieu  de  :  hyrcanierme,  Usez  :  hercynienne. 
40S,  I,  au  lien  de  :  scribsére ,  User  :  scripsere, 

409,  6,  au  lien  de  :  de  Varient  et  de  tEst,  lisez  :  de  V Orient  et  du  Snf. 

801,  31.  an  lien  de  :  Bysance,  lisez  :  Byzance, 

Dans  TarUcIe  de  M.  Sainte-Beuve  sur  Mme  de  La  Fayette,  de  notre  précédoite  ttrraistff 
on  a  laissé  subsister  sur  une  parUe  du  tirage  une  transposiUcm  fautive,  page  srJ 
ravant-demière  ligne  de  la  note.  La  phrase  doit  être  rétabUe  ainsi;  U  s^tdfeSénF 
.....  et  Je  crains  même  qn*elle  n*ait  songé  à  lui  entre  autres,  le  Jour  où  elle^diuf^^ 

était  rare  de  trouver  de  la  probité  parmi  les  savans.  » 


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