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Full text of "Revue des langues romanes"

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REVUE 


DES 


LANGUES    ROMANES 


REVUE 


DES 


LANGUES  ROMANES 


Tome  LUI 


VIe     Série     —     Tome     III 


SOCIÉTÉ  DES  LANGUES  ROMANES 
MONTPELLIER 


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"T. 


CHANSONS  POPULAIRES  DU  MIDI  DE  LA  FRANCE 


IV.  —  CRIS  DES  RUES 

Ce  chapitre  manque  à  tous  les  Recueils  de  chants  popu- 
laires. Les  cris  des  rues  offrent  pourtant  un  très  grand  intérêt 
au  point  de  vue  du  langage  populaire,  des  usages  locaux,  et 
plus  particulièrement  de  l'aptitude  vraiment  merveilleuse 
avec  laquelle  sont  improvisées  ces  formules  chantantes,  dont 
la  tournure  mélodique,  presque  toujours  élégante  et  gracieuse 
dénote  chez  les  méridionaux  un  remarquable  développement 
du  sens  musical. 

Un  des  musiciens  les  plus  érudits,  Georges  Kastniîr,  a  con- 
sacré une  étude  très  développée  à  cette  question;  il  a  fait 
valoir  tout  l'intérêt  qui  s'attache  à  «  ces  manifestations 
»  vocales,  fruit  du  génie  populaire  des  nations  civilisées, 
»  empreintes,  pour  la  plupart,  d'un  caractère  d'originalité 
»  incontestable,  et  où  Ton  remarque  souvent  une  énergie 
»  naïve  digne  d'intéresser  l'artiste,  souvent  aussi  une  fixité 
»  d'allures  non  moins  précieuse  pour  l'historien. 

»  C'est  l'ensemble  de  ces  cris  qui  sont  comme  la  voix  des 
»  peuples,  et  qui  deviennent  des  formules  traditionnelles 
»  affectées  à  certains  groupes,  à  certaines  professions  dis- 
»  tinctes. 

»  Pour  les  marchands  nomades,  il  n'est  pas  de  meilleure 
»  enseigne  que  le  cri  :  aucun  autre  moyen  de  publicité  ne 
»  pourrait  leur  offrir  les  mêmes  avantages  :  comment  par- 
»  viendraient-ils  à  obtenir  l'attention  de  la  ménagère  qui 
»  habite  les  plus  hauts  étages  des  maisons?  Il  est  certain 
»  qu'occup  e  aux  divers  travaux  domestiques,  elle  ignorerait 
»  le  passage  de  la  marchande  dont  elle  aie  plus  besoin,  si  les 
»  sons  aigus  de  la  mélopée  traditionnelle  n'arrivaient  tout  à 
»  coup  jusqu'à  elle,  en  dominant  tous  les  bruits  du  dehors  et 
»   de  l'intérieur  »  ' 

1  Georges  KastneR.  Les  voix  de  Paris.  Essai  d'une  histoire  litté- 
téraire  et  musicale  des  cris  populaires  de  la  Capitale  depuis  le  moyen- 
âge  jusqu'à  nos  jours.   Paris,  1857,  in-4°. 

1 


fi  CRIS    DES    RUES 

Si  lès  colleciionneurs  de  chanta  populaires  se  sont  désin- 
téressés de  cette  question,  un  de  nos  peintres  les  plus  estimés, 

qui  est  aussi  un  fervent  Clapassié,  Edouard  Mars  al  a  publié, 
il  y  a  quelques  années,  un  charmant  petit  volume  ',  entière- 
rement  en  dialecte  de  Montpellier,  dans  lequel  il  fait  revivre, 
par  le  dessin,  la  physionomie  des  types  que  l'on  rencontre  à 
chaque  pas  dans  les  rues. 

Tous  sont  pris  sur  le  vif  et  d'une  ressemblance  parfaite;  on 
croirait  entendre  la  voix  perçante  de  la  marchande  ambu- 
lante, lançant  son  appel  aux  ménagères. 

C'est  cette  mélodie  traditionnelle,  si  caractéristique,  si 
chantante,  ce  sont  ces  cris  des  rues  qui  manquent  aux  per- 
sonnages de  Marsal,  que  je  donne  aujourd'hui,  après  les 
avoir  notés  pendant  de  longues  années. 


I.  —  Las  erbetas 


Très  modéré 


l'an    -    sa    -     la    -     de 
Lent 


fi    -     na. 


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D'an -sa -la   -    deta     e       de  res-pnun  -  chous. 


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Ai   d'er  -  be-tas      e      de      por 


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1    EL  Marsan.  Dime'ku   Carrièra*  dau   Clapas.  (Dans  les  rues  de  Mont- 
pellier.) MuimtlVliè.  1896,  in- 1:2  . 


CRIS    DES    RUES 


Très  vif 


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L"an       — 


—      la    -    de 


fi    -    na. 


Les  herbes  menues.  —  Ce  sont  les  jeunes  pousses  d'une 
grande  quantité  de  plantes  cueillies  dans  les  champs,  les  prés, 
au  bord  des  fossés,  sur  les  taius,  etc.  L'énuruératiou  en  serait 
trop  longue.  Ces  herbes  sont  employées  comme  potages,  ou 
hachées  comme  les  épinards,  mais  c'est  surtout  mandées  crues 
en  salade,  qu'on  en  fait  la  plus  grande  consommation. 

1  à  7.  J'ai  de  fines  herbes  de  campagne,  la  fine  salade,  des, 
poireaux  (sauvages).  Porre.  Ail  des  vignes.  (Azaïs.  Catalogne 
botanique.  Béziers,  1871).  Dans  son  glossaire  botanique, 
Melchior  BaRthès  donne  le  nom  de  23  plantes  qui  com- 
posent généralement  la  saladn  menudo.  —  Respounchous, 
raiponce. 

Modéré  f+s-         ■v 


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Modéré 


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Fen     -     nas 


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CRIS    DES    RUES 


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er    -     bas? 


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Lez,  Au     bon    creis  -  sou,       au      bon    creis   -   sou. 


12 


Modéré 

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ca? 


8  à  10.  Femmes!  Qui  fait  le  sang  nouveau,  j'ai  les  bonnes 
herbes. 

11.  J'ai  le  bon  cresson  de  la  source  du  Lez,  au  bon 
cresson  [bis).  —  Les  fontaines  de  Montpellier  sont  alimentées 
par  la  source  du  Lez. 

12.  La  chicorée  sauvage  (Az.  Chondrille  jonci forme),  qui 
veut  se  rafraîchir  ? 


GRIS    DES    RUES 


II.    —     LÉGUMES 


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Ai      de      por   -    res    pur     la      sou  -  pa     de      vian-da. 
Modéré 


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Ai  un       bon     nia 


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un       bon     plat      de 


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Lent 


10 


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4 — p  1  ri— -M  ^  -  4 


Ai        l'a    -    pe 


tis      das        cou    -    rais. 


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I  a    de        pe    -    ze,    au       pe  -  ze,   au        pe     -    ze. 
Modéré 

^_4_Z=£ u 7—  I  -h U U — tfc±H — t 


t=pz 

L'ar  -  ti  -  chau       fin,     l'ar  -    ti  -  chau     blanc. 


Légumes.  —  13.  J'ai  de  l'endive,  deux  pour  un  sou,  l'endive 
nouvelle. 

14.  J'ai  des  poireaux  pour  la  soupe  de  viande. 

15.  J'ai  un  plat  de  Bette- Poirée. 

16.  J'ai  des  piments  pour  l'appétit. 

17.  Il  y  a  des  pois,  aux  pois  (bis). 

18.  L'artichaut  fin,  l'artichaut  blanc. 


10 


CRIS    DES    RUES 
Modéré 


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ir  r  r  i^i 


Ai  l'ar  -  ti  -  chau      ten  -  dre.  sieis         liars. 


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2o  fl  2    p    r,  -MrfJTT^ 


L'ar  -  ti  -  chau  nou     -     vel,     l'ar   -   ti        -       chau. 


Modère 


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L'ar  -  ti-chau  d'ai     -     ci,    l'ar  -  ti -chau       ten -dre. 


Modéré 


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U-na     pias-tra  l'ar-ti  -  chau,  l'ar-ti-chau    ten-dre. 

Modéré 


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j — p=». 


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=P=P— 


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Ai       un     bon  plat     de       ca      -      ro  tas. 

Chantant 

M  I;êi^i^ïitliïiii=gi2l! 


Ai       un     bon      plat     de       ca      -     ro       -       tas 


Modéré 


•25 


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Quau    tôu        d'à  -  pi        plé,    quau  vôu       d'à  -  pi? 


19.  J'ai  l'artichaut  tendre,  à  six  liards  (un  sou  et  demi). 

20.  L'artichaut  nouveau,  l'artichau'. 

21.  L'artichaut  d'ici,  l'artichaut  tendre. 

22.  I)eux  liards  (un  demi-sou)  l'artichaut  tendre. 
23-24.  J'ai  un  hou  plat  de  carottes. 

25.  Qui  veut  du  céleri  charnu,  qui  veut  du  céleri  ? 


(.RIS    DES    RUES 


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27 


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Ai  un      bon       plat      de      eau  -  lets        flo  -  ris. 


Modéré 


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Un       bon      eau         -        let       pèr       fa'         la 


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Modéré 


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Un      bon    eau       —       let       pèr      fa'        la 

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bon        eau        —        let. 


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j)  4    /     p     p    p  I    ^   P  -  P    -fr-t— '      p    F 

Ai     de     ra    -    be  -  tas,   nou  -  ve    -    le  -  tas. 
Modéré 

Lou       ra  -  be    nou  -  vèl,  quau  vôu    de        ra  -  be? 

Modéré 


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£=£=£ 


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D'au    -   ber 


fi    -     nas,        de 


26.  J'ai  un  bon  plat  de  chou-fleurs. 

27-28.  Un  bon  chou  pour  faire  la  soupe,  un  bon  chou. 

29.  J'ai  des  radis  nouveaux. 

30.  Le  radis  nouveau,  qui  veut  des  radis? 

31.  Des  aubeigines,  des  tomates,  des  aubergines. 


12 


GRIS    DÈS   HUES 


±=^^=Z^ 


rf?=V J- -À I  EEtEEttËtt 


Ëï 


«pou  -  mas     d'à    -    mour,  d'au-ber 


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32  l  a  v  r-rTrtt&ttïWTTr^ 


Quau  fai      la  saussa     rouja.  à     la     pou-ma  d'à  -  mour? 


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33 


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La      ce  -  ba  dous-sa,     Le  ■■  zi 


Lent 


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34 


35 


dous      cinq  sùus. 


Le    •■    zi  gnan. 

Lent  et  chantant 


Ai      de      bn    -    na      be  -   ta 


ba. 


Lent 


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cha,  de  be    -    ta 

Lent  et  traînant 


ba. 


HG 


ïiiisîieœ^ir^il^! 


-IH/-U 

N'a-ven  de    quio  -  cha,  de    be-ta    -    ra 


ba. 


32.  Qui  fait  la  sauce  rouge,  à  la  tomate  ? 

33.  L'oignon  doux   de   Lézignan,    deux    glanes    pour    cinq 
sous. 

34.  J'ai  de  bonnes  betteraves.  — •"..">.  Des  betteraves  cuites. 
3b.   I)es  betteraves  cuites.    Cette  notation,  par   intervalles 

cbrotuatiques  n'est  qu'approximative  ;  ainsi  que  le  fait  remar- 


CRIS     DES     RUES 


13 


quer  Kastner  \  «  il  faut  reconnaître  que  tous  ne  sont  pas  des 
»  virtuoses,  il  y  en  a  qui  ont  l'oreille  dure,  qui  chantent  fort 
»  mal,  avec  toutes  sortes  d'inflexions  étranges,  dont  les  quart 
»  de  tons  ne  font  pas  seuls  les  frais  ».  Marsal  a  reproduit  avec 
une  merveilleuse  exactitude  ce  type  de  marchande  2. 


37 


38 


40 


III. 


Fruits 


Modéré 


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111 


±r 


Quau         vôu  de  fi      -      gas? 


Lent 


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S— £_ZU- 

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Modéré 


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Modéré 


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Bri  -  lha        la        ce  -  riei  -  ra, 


bri  -  lba. 


Bri  -  lha        la        frî 


bri   -  lha. 


37-38.   Qui  veut  des  figues? 

39-40.  J'ai  la  belle  poire,  —  la  belle  pêche. 

41-42.  La  cerise  brille,—  la  fraise  brille. 


1  Kastner.  Les  voix  de  Paris,  p.  83. 

i  Marsal.  Dins  las  carrièras  dau  Clapas,  p.  297. 


CRIS    DES    RUES 


13 


2 


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llior   -   ca. 


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M  fp  c  ï  r'  ;  nshhh  r  H 


Ma     -    lhor  -  ca,  la      bar  -  ha  cou    -    la. 


Modéré 


i5  [E^^l-ë— P1— f=g~ |=^=g=:|:=^=g 


Un       sou       la      mieu    -    grana,    un 


Vif 


16  Fp  JMji  fi  U-M^g~C=QT4l 

Un      sou     la      li  -  mou-na,     pas   que    de      jus 


IV.  —  Fromages  fhais 


Vif 


'.7 


18 


fc 


^  I  iiîilif !miHii?Iil 


A    -    vcn     lou         bur  -  re,         lous  t'rou-ma  -  jous. 


Modéré 


f~{_J,    f[  r  [_i    f;~  M   f  y 


zzé 


M 


Frou  -ma  -  ,jou<      fres,     hur  -  re  t'res. 


19  L^_l — D— i— S — D — D — u  »  r~u_l}-g 


A    -    v.Ti     de    trou -ma  -  jous.  dous  très       sôus. 


13-4  1.   Oranges  de  Majorque  —  la  barbe  coule. 

45.   Un  ^on  la  grenade. 

1  •'«.    In  sou  le  citron  plein  de  jus. 

îtT-ls.  Nous  avons  le  beurre,  les  fromages  frais. 

19.  Nous  avons  les  petits  fromages,  à  deux  pour  trois  sous, 


50  \-A 


15 


SHi^ 


Quau       vôu  croum  -  pa  —        de     trou   -    ma  -  jes. 
Modéré 

Quau    vou     de    frou-ma-jous      fres-ques?  Frou-ma-jous. 
Chantant 


59  ti=E2==s=t=fc=É=±=£z 


Quau    din  -  na,  qu'ai       de  tou-mas? 


Chantant 


S3  ÉgErnzE^H 


_^ — p. 


-|— r 


Quau  din    -    na.      qu'ai        de  ton   -  mas? 


Vif 


54 


^:=^=»=g=  — p       f       E       |j      |      i         f— 


v — U— J =; — i; — 5= 

Ai       lou  bur  -  re        de       las  tou  -  mas. 


Vif 


Ai      lou        bur  -  re     de     las        tou-mas.      — 


•>6  Hg 


Modéré 


Ai       de      tou-mas       que  va-lou  maiquelou       bur  -  re. 


50-51.  Qui  veut  des  fromages  frais  ? 

52-56.  Qui  dîne,  j'ai  du  lait  caillé. 

La  tourna  est  du  lait  caillé  dans  une  petite  écuelle  en  pote- 
rie, percée  de  trous,  qu'on  appelle  la  faissèla.  Les  tournas  se 
vendent  un  sou  pièce. 


16 


CRIS    DES    RUKS 


V.    I.AS    CaGARAULETA: 


Modéré 


■■  <   ^S 


=8^±— ^ztEt 


lllipl- 


N'ai      de         be    -    las         ca     -    <ra    -    rau     -     le 


u-t— F~rrn^^ 


tas,         quau  ven,         que 

Chantant 


fu 


mou? 


58  ig^gii^ii^l 


d=j==^: 


Ai         de 


be     —        las 


.0 #: 


ca  -   ga  -  rau  - 

• iU 


w^m 


?      I  U  -tr-g -tfz 

le     -     tas,         quau       ven,        que 
Chantant 


.1 i_ 


fu 


-#^ — »- 


,=P=£ 


Ai       de         bo 


nas       ca  -  ira  -  rau- 


1=1 


i 


q 


60 


5=— r. 

le        -        tas,       quau       ven,      que  lu    -    mou? 

Chantant 


<=3=i 


gtfi=6=it 


nr  jmp  fi-e 


A    -    ven        de  be    -    las  ca    -    ga    -    rau- 


i=:=R: 


ïfc 


£=H 


le     -      tas, 
Vif 


quau       ven,         que 


tu     -     mou? 


r>         s> 


ig=z*=ip — 0 — »z 


JÊZ1Z0Z 


~-W~~  f — pz=^=p z=^_| 


Ye-nés   que   sou  eau  -  de  -  ta*     las     ca  -  ga-rau  -  le  -tas, 


CIUS    DES    HUES 


17 


Lent 


==£ 


zr 


quau  ven,  que 


fu    -     mou? 


Vif 


»  i;Hiigîii;iiiiiiiïiiii;^^ 


Ai      de  be  -  las  ca  -  ga  -  rau     -     le  -  tas, 


Lent 


lu     -      mou  ? 


63 


ve     -      nés,  que 


Vif 


Jp*-.- 


P      P      P      -p  -    P      P      P      p  — *      1        JZ. 


Ve  -  nés    que      fu-mou    las      ca  -  ga  -  rau  -  le  -   tas, 


Lent 


64 


-4 *- 


quau         ven,  que 

Chantant 


lu      -      mou  ? 


^TTT:iTT"^~n^~ 


Ai       de  bo  -  nas  ca  -  sra  -  rau      -      le- 


-;: 


_#_T ï\ 


m=mmm\ 


tas,        quau 


que 


mou? 


Les  petits  escargots.  —  «  La  Meissounenco,  hélice  des 
«  moissons.  Hélix  cespitum,  ainsi  appelée  parce  qu'après  la 
«  moisson,  on  trouve  cette  hélice  collée  au  chaume .  »  (Azaïs) . 

57-64.  J'ai  de  beaux  petits  escargots,  venez,  ils  fument. 
V.  Marsal,  p.  63. 

2 


18 


CRIS    DES    RUES 


Modéré 


j-j— jC{-^-~r~)  *  p  *^p 


Ve    -    nés,     que       semblou  de  mour  -  gue    -     tas. 


Vif 
7<= 


Ai 


—g pZ_pz=^==I — »       *       »z: 


a 


K 


:tfc 


de        ca    -   ga  -  rau       -      le   -   tas      que 


': 


sera  -  blou        des       mour 
Modéré 


tas. 


:=£=z 


07  ife~H  *  "TT— p  1  r~^^u-i-L— I 


Ve 


nés,   que  fu  -  mou        las    mour   -    true 


z==£:r==qc 


Pili 


=£= 


tas,    quau       ven,      que 


lu 


65-67.  Venez,  on  dirait  des  mourgueltes.  La  mourguela  est 
Y  Hélix  vermiculata,  elle  sert  aussi  d'aliment.  (Ch.  de  Bel- 
levai. .  Nomenclateur  botanique  languedocien,  Montpellier, 
1810). 


VI.  —  Lou  Pei 


Lent 


l:g-^_4—l-—l E=E| b— 7=El_ E.Eb= 

Cou  -  si -nieira  au      pei,   quau  n'en     vôu      de       pei? 
Vif 


69 


^— r-nr~p~r  »  f.  p~fTf~"~rTf"*T^r 


b& 


Ar  -  ri  -  va     lou  loup    de      la   mar,    ar  -  ri     -     va. 


Le  Poisson.  —   68.  Cuisinières,   au   poisson,   qui    veut  du 
poisson. 

00.   Il  arrive  le  loup  de  la  mer,  il  arrive. 


CRIS    DES    RUES 


19 


Modéré 


Ai  d'an  gui-las  gros-sas,  fen-nas  soui  ar  -  ri  -  va-da. 
Vif 

71  no  '  ^^^^v^^t 


L'a-len  -  ca  -  da.     u  -  na     pias-tra,  dos  pur  un    sou. 


Vif 


2  ^=^"=»==f=:=I'r-I=^==:g==^=== 

«^  ./  *■  ç>  y  s 


la  be     -    la 


trou   -  cha. 


70.  J'ai  de  grosses  anguilles,  femmes,  je  suis  arrivée. 

71.  La  sardine  [sèche],  deux  liards,  deux  pour  un  sou, 

72.  Nous  avons  la  belle  truite. 


73 


IL 


/o 


VII.  —  Coquillages 
_ =g=^ f — -p=£=P=|»-      r p 


Vif 


Ai         d'ar 


lis         ben 


bèus. 


Très  vif 


l'ar 


Modéré 


& 


ce    -    li, 


l'ai 


ce    -    li. 


±z 


^ 


: 


Lou        bi  -  chut        ar 


ri    -    va. 


Vif 


LgP  4     U_  l=îr=z:tr==zDz==:D=  bEEEEEEE E= 


Ar   -    ri    -    va       lou        bi  -  chut,      ar     -     ri     -    va. 

Coquillages.  —  73-74.  J'ai  des  clovisses  (Venus  litterata, 
Azaïs). 

75-70.   Le  bichut  arrive  (Bichut  ascidie  brune,  Azaïs). 


20 


CRIS     DES     RUES 


VIII.  —  Gâteaux 


Modéré 


!  :  SI  =53=  I  -1        P  -I — i-H   '      jT-ft— I      I     l-p^B 


A  -  ven   de  pans  au   su-cre,  de  pans  au   lach. 


78  Y-'t 


Modéré 


:4: 


Tas    -   tas        tonl 


-b       U       fc=J 


caud,       de        flau    -   zou- 


ffX-C-JL-C-J^I 


5= 

ne    -    tas        tou    -   tas        eau 
Vif 


de    -    tas. 


79 


l:^r 


:=?=»:=:•: 


-;— ^_^u— ;— v— ?-=2=?=>: 


Fen-ne-tas,   de     mi-lhas-ses  toutcauds,  a  -  ro     l'u-mou. 


Gâteaux.  —  7/.  Nous  avons  des  pains  au  sucre,  des  pains 
au  lait. 

78.  Goûtez  tout  chaud,  des  tartes  à  la  crème  toutes  chaudes. 

79.  Femmes,  j'ai  des  gâteaux  de  mais,  qui  fument. 


IX.  —  Lou  Fruchan 


Modéré 


*m 


-.a=^. 


8.  g   1 


Quau  fai     la         sou  -  pa,      qu'ai  de     ma-  nouls? 

Modéré 

y       §    'FpEEj 


iHS 


Quau      fa    -    cis,     qu'ai        u   -    na       ve    -    bou  -  la  ? 

La  Makciiande  de  Fressure.  —  80.    Qui   fait  la   soupe, 
j'ai  des  paquets  de  tripes. 

81.  Qui  fait  du  hachis,  j'ai  une  caillette. 


CRIS    DES    RtJES 


21 


Modéré 


gq    bfeEft y-fa» 


lil>l^iii 


p:~p: 


Quau     t'ai    l'es -•  tou  -  fat,  qu'ai    de    pou  -  lis     dou-bles? 

Modéré 

Quau  se     re  -  fresca,  ai       la      pou  -  li  -  da        tes  -  ta? 

82.  Qui  fait  l'étuvée,  j'ai  de  beaux  gras-doubles. 

83.  Qui  se  rafraîchit,  j'ai  une  jolie  tête  [d'agneau]. 
80-83.   C'est  la  même  marchande  qui  annonce,  sur  le  même 

air,  les  différentes  parties  de  la  fressure,  les  tripes,  etc., 
qu'elle  vend  au  détail  et  dont  il  était  intéressant  de  conserver 
les  termes.  Marsal,  p.  163. 


85 


8G 


X.    —   Divers 


Très  vit' 


i:  ^:=^=«z:r=p:i=pi=i:z=p=j:=p:i=ii=P^=«=i:=^===i] 

s  '  ^•EÏ=:£lE^EËEE?EEgEfeEEp^EEËEÎEtEHl 

A    -  ven     de     bon     vi    -    na  -  gre,  quau  ne       tôu? 
Chantant 

ili-iE^li^i^IilElill 

Quau  vou        de        bon        bi       -      na    -   cre? 

Modéré 


Quau 
Très  vif 


;ilill^|3i[iii^i 


vou         de         bon         vi 


na     -    gre 2 


:=g  =-=p^==p===p=^=p===p= J  =zg==-zq=: 


As 


ja   -   bels,    quau       ne 


Divers.  —  84-86.   Nous   avons  du   bon    vinaigre,    qui    en 
veut?  Marsal,  p.  139. 

87-90.   Qui  veut  des  sarments  secs. 

3 


22 

88 

89 

yu 

91 

92  \-, 


CRIS    DES    ftUES 


Lent 


fsÈii 


:^==ç 


:=fr=i: 


(Juau       vùu  de 


bels  ? 


Modéré 


IëÉIH 


•  ?    r 


if^SI 


Quau 


vou       de        ga  -  bel 


Vif 


a      < 


?    I    r  n   -f—  I     r    7= 


(Juau 


vôu        de 


bels? 


Modéré 


?=lls=li^iii 


A   -  vcn      lou  té        de      cam    -    pa  -  gna. 

Assez  vif 

—2.    -     -    »~~* 


EEE|?iE3EEE:  I    p     p     p  -HA- 1  EEEEEEEt 

Ai     l'es  -  pi  -  guet,  lou    rou-nia    -    nis. 


Modéré 


93 


l:(gbÉ=t£  I  ^ZU-U-U  I   L   U   [ZI-lfcrKizb— ^~  1    [  \    1 1 

A  -  ven  la  san-to  -  re-ia,  la       fio-lha  de  nou  -  guié. 
Modéré 


*=*=*. 


tt=U 


95 


p=p=»:=p:zzpH  n?2=p: 


C-q — * — * — é-  :=5=p=p=»=p=p=;i 


11 


91. 
92. 
93. 
94. 

95. 


LA   y    y    v    y- 

Au     car-bou     de         boi.  cou  -  si      -    niei 
Modéré 

La    cais   -   se  -  ta    pèr    las     es  -  cou    -    bi  -  lhas. 

Nous  avons  le  thé  de  campagne. 

J'ai  la  lavande,  le  romarin. 

Nous  avons  la  centaurée,  la  feuille  de  noyer. 

Au  charbon  de  bois,  cuisinières. 

La  petite  caisse  pour  les  balayures. 


crus    DES    RUES 


•?:; 


Modéré 


96  BK     :} 


Π     1 


D'à     -     lu 


H 


± L 


me     -     tas,  quau  ne 


vôu?    (Jua    -   tre  pa  -  (juets      pèr         un  sôu. 

Chantant 

D'à  -  lu -me -tas    fan   ple-zi,     da    -  va  -  las,   l'en  -  ne  -  tas  ; 

l^ii'siiH^ilpIi^ilI^i 

pèr    me  — tre    lou     lioe    en    trin   quau  vôu    d'à  -  lu    -    me-tas? 

Très  vif 


98   =#==# 


4    r    bz-. 

Brun    -    la 


^3^1=^1=^1 


de 


Vif 


99  liii^i^iiliïïliillliisi 


Vi  -  tri      vi  -  tri  -    er 


Au         vi   -    tri' 


Modéré 


100  l:|ii^li^llipillll!ii 

Qua-tre    sous  l'estour-nel,    Ai     de    bar-ba  -  jo  -  lets 


90.  Des  allumettes,  qui  en  veut?  Quatre   paquets   pour  un 
sou. 

97.  Les  allumettes  font   plaisir,  descendez  petites  femmes; 
pour  mettre  le  feu  en  train,  qui  veut  des  allumettes? 

98.  Brûleur  de  vin.  Marsal,  p.  183. 

99.  Vitrier,  au  vitrier. 

100.  Quatre  sous  l'étourneau,  j'ai  des  hirondelles  de  rivage. 


•)', 


CRIS    [iF.S    RUES 


XI.   —  Pei.harot 


Lent 


1  liffiTElEË  ^ 


Pe-lha-rot,       pel    de      lu  -  lire,   pel    de     la  -  pin. 


Vif 


10-2 


1       de 

ïlifl 


Pe    -   lha   -   rot,       pe   -    lha    -   rot,       pel        de 
É É m , A 


le     -    bre,        pel  de  la        — 


pin. 


Lent 


03 


04 


05 


00 


a=zz= 


5=é=3= 


e^eï=^=î^ee3=^J 

—9 ' 0 • J L -*-- ° 


Pe     -     lha        —        rot, 


fer". 


r.n: 


Très  vif 


f  P. 


_W V=b- * 


Pe 


lhas,  fer 


viel. 


âliilliÉlÊIllillîilil 


Pe-lha-rot,  pe-lha-rot, 


fer  -  re       viel. 


Lent 


I  :(g    4  _ EEdr— 1 ^B^rz  I  _U p— 1 j_-    1      » 


De 


pe  —  lhas      de 


fer  -  re        viel     — 


Le   Chiffonnier.    —    101-102.   —   Vieux    chiffons,    peaux 
de  lièvres,  peaux  de   lapins. 

103-108.  Vieux  chiffons,  vieux  fer.  V.  Marsal,  p.  187. 


CUIS    DES    HUES 


25 


Vif 


107 


\^=ïimé=âà^MÉM^M 


pe  -  lhas,     fer  -   re 


viel. 


Modéré 


108  |^=fc=i==ip==^=E=iii=?=       ^=F 
I  :  r'^=é=— :==#z£E3b==tz::=fcfc=:  Eï=E=r±: 


Pc  -   lha  -  rot. 


pe    -  lha 


rot. 


(A  suivre.) 


L.   Lamuert. 


NOMS    DE    POISSONS 

NOTES    ÉTYMOLOGIQUES    ET    LEXICOGRÀPHJQUES 


III 

ST.  il.    acciuga 

Il  faudra  rejeter  l'étymologie  proposée  par  Diez  el  déve- 
loppée par  Kôrting,  Latein.-Roman.  Wib.  (3e  éd.  1907)  à 
l'arl  725  a)  aphye  :  selon  leur  hypothèse  l'il.  acciuga  vien- 
drai du  lat.  aphya  (gc.  à»û«)  influencé  dans  sa  transfor- 
mation phonétique  par  le  dial.  'intima  <^  gc.  *àyyjùm* 

Du  radical  ac-  (acus,  etc.)  un  latin  *  aceùca  esl  possi 
ble,  comme  de  ///'///  :  *  mattetica  d'où  le  roum.  mâciucâ, 
le  prov.  massugo,  fr.  massue.  \.  port,  massuca,  massua. 
du  lat.  *  accuca.  viendrai!  lit.  acciuga  (Cf.  it.  fistuga 
<  lat.  festfica),  sard.  </::ua  (I).  l'onr  1<'  sons  primitif, 
lire  dans  Day,  British  Fishes,  n,  206,  la  description  du 
museau  de  Ycia/i 'aulis  encrasicholus  Cuv.  :  «  snout  over- 
lapping  Ihe  mouth,  ver)    prominenl  .-uni  pointed  ». 

88.  anguille  verniaulx 
\  oir  noie  126,  vergne. 

n1.».   lat.  asellus,  asinus 

Kôrting  n'a  pas  d'article  asellus  el  son  article  935  usinas 
esl   beaucoup  Irop  sommaire. 

'  Pour  lat.  *  accuca  >  Sard.  azzua,  il  y  a  difficulté  ;i  cause  du  suffixe: 
m  Sarde,  d'après  les  indications  de  Spano,  I'im//i  Sarda-Italia.no  (I85t), 
lat.  -/"<>  esl  représenté  par  -».y<  dans  berruga,  carruga,  ruga,  tarta- 
ruga.  D'autre  part  un  a  carrucca,  mazzueca,  nicca. 


NOMS  DE  POISSONS  27 

Asellus,  employé  au  sens  d'âne,  ânon,  par  Ciccron, 
indique  dans  Pline  un  poisson  qui  est  sans  doute  le  gadus 
merluccius  L  (Cf.  le  grec  ôvoç.  ôvby.o;  =  gadus  merluccius). 
Rondelel  (De  Piscibus  Marinis,  pp.  272  sq.),  a  donné  le 
nom  d'asellus  à  cinq  poissons  dont  trois  peuvent  être 
identifiés  au  gadus  merluccius  I...  au  gadus  merlangus 
Cuv.  el  an  gadus  aeglefinus  L.  Le  même  auteur  non-. 
fournit  les  noms  populaires  d'asello  pour  la  cote  Ligu- 
rienne, asino,  nasello  ailleurs  en  Italie  =  gadus  merluc- 
cius. Florio  a  inséré  dans  son  Hal.-Engl.  Dict.  asella,  «  cod 
or  haddock  fish  ».  asinella,  «  cod-fish  »,  nasello,  nasetlo, 
nasino,  «  cod-fish  or  whiting-mop  »,  pesce  asinino,  «  lin1 
haddock  fish  ».  Citons  encore  nasello  à  l'île  d'Elbe  (Rol- 
land, Faune  Pop.,  ni.  110)  cl  le  parai,  nasell  (Malas- 
pina)  =  gadus  merluccius. 

Il  faut  sans  doute  ajouter  ici  le  l'r.  ânon,  ânon  de 
mer  =  <j<tdas  aeglefinus  I...  dont  le  plus  ancien  exemple 
que  je  connaisse  se  trouve  au  vers  loi  de  la  Bataille  de 
Karesme  el  de  Chômage  (Fabliaux  el  Contes,  éd.  Méon, 
1808,  iv,  94).  Voir  note  suc  hannon. 

90.   alar/on 

Rolland,  Faune  Pop.,  ht.  0:!.  cite  le  v.  pic.  ulur/on  = 
acipenser  slurio  i..  J'incline  à  voir  dans  ce  mol  un  dérivé 
du  \.  l'r.  (norm.,  pic.)  atargier,  larder,  fait  sans  doute 
sous  l'influence  d'estorion,  esturjon 

Ce  nom  viendrait  des  habitudes  du  poisson.  Day,  Bri- 
tish  Fishes,  u.  282,  dil  Vacipenser  sturio  I..  :  «  Sluggish, 
wandering  fish...  A  Schultz  observes  (Nature,  January, 
1874,  p.  171)  thaï  a  peculiar  phenomenon  observed,  espe- 
cially  among  the  sturgeon,  is  tliat  of  a  kind  of  \ 
sleep.  At  the  approach  of  the  cold  weatherthey  seek  deep 
portions  of  the  river  and  remain  there  in  a  ^-iate  of  tor- 
por...  » 


28  NOM?   DE  POISSONS 

91.   fi.   bonu  ou,  bonite,  bonilon 

Les  Irois  mots  en  tête  <l<"  celte  note  ne  son!  cités  par 
Kôrling  ni  dans  son  Latein-Roman.  Wtb.  (éd.  1907)  ni 
dans  son  Etym.  Wtb.  il.  Franzosischen  Sprache  (1908). 

Le  Dict.  Gén.  ne  donne  que  Inutile,  emprunté,  selon  les 
auteurs  de  cel  ouvrage,  du  bas-latin  bonilon,  d'origine 
inconnue  (élymologie  prise  à  Littré). 

Voici  à   peu  près  l'historique  <  1 1 ■  bonicou,  bonite,  boni 
ton,  qui  ne  son!  pas  antérieurs  au  \\i'  siècle  : 

(a)  bonicou.  Cuvier,  Règne  Animal,  éd.  1829,  n.  H*'.). 
cite  parmi  ses  auxides,  le  bonicou  ou  scombre  La- 
roche de  Risso  ou  scomber  bisus.  Il  s'agil  du  scom- 
ber  tazo  Lac,  auxis  vulgaris  Cm.,  auxis  rochei 
Gûnther,  dil  plain  bonito  en  anglais  (Day,  British 
Fishes,  n,  205). 

(b)  Inutile  Un  exemple  dans  le  Dicf.  Gén.,  tiré  de  la 
Navigation  de  -/.  d  R.  Parmeniier,  avec  la  graphie 
bonniles.  Bonite  esl  masculin  dans  Furetière  el 
rrévoux  d'après  le  Dicf.  Gén.,  mais  certainemenl 
féminin  dans  l'édition  de  1771  du  dictionnaire  de 
Trévoux  el  dans  les  ouvrages  de  Lacépède  el  de 
Cuvier.  On  dil  bonite  des  tropiques,  bonite  h  ventre 
rayé  scomber  pelamys  L.  (angl.  bonito)  :  Inutile  à 
dus  rayé  =  semitUer  sarda  (angl.  belted  bonito  : 
Inutile  —  scomberomorus  Plumierii  Lac,  poisson 
du  genre  cybium  Cuv.  (Lacépède,  f/isf .  Vctf.  des 
/'oi'sw,//n.  m.  193;  Cuvier,  Règne  Animal,  n.  201), 
noie);  petite  Inutile  =  scomberoïdes  sallator  Lac 
1 1  acépède,  o/i.  < •//..  ni.  55). 

(c)  boniton.  Rondelet,  De  Pisc.  Marin,  p.  238,  en  par- 
lait de  son  amia  :  «  ab  aliis  boniton  vocatur  ». 
Cilc  par  Colgravc. 


\o\ls   DJ     POISSONS  29 

Le  New   English  Dicliotiary   admel    que   l'angl.    bonito 

vienl  de  l'esp.  bonito,  et  celle  ei\ logie  esl  appuyée  par 

le  nom  de  spanish  mackerel,  que  portenl  les  bonites.  Les 
formes  françaises,  bonicou,  bonite,  boniton  doivenl  éga- 
lement être  tirées  de  l'esp.  bonico,  bonito  (1)  ;  ces  mois 
soi 1 1  à  l'origine  des  adjectifs  dérivés  du  lui.  bonus  el  qui 
oni  le  -eus  de  «  joli,  agréable  »;  on  comprend  qu'on  ail 
donné  ces  noms  à  divers  scombres,  qui  en  onl  tiré  bien 
d'autres  île  leurs  belles  couleurs.  Le  bonicou,  par  exem- 
ple, a  le  dos  d'un  beau  bleu,  des  lignes  obliques  noirâ- 
tres et  la  chair  d'un  rouge  foncé  (Cuvier,  op.  cit,  n,  199). 

hue/,  a  un  ilal.  bonetto,  traduil  par  le  français  boniton, 
el  Lacépède,  op.  cil-,  n,  14,  cite  encore  bonnet  comme 
nom  du  scomber  pelamys  L.;  il  l'aul  le  rapprocher  de  l'ail. 
bonnet-fisch. 

92.  vénit.   caleghero 

Le  vénit.  scuri>olaro  =  recurvirostra  avoeetta  L.,  est 
dû  à  la  comparaison  du  bec  de  l'oiseau  à  une  alêne,  outil 
de  cordonnier  (Cf.  sicil.  lésina,  prov.  alesna,  fr.  alêne,  bet 
d'alêne,  nom  du  même  oiseau).  Raymond,  Dict.  Gén. 
(1832),  cite  cordonnier,  nom  d'un  espèce  de  goéland  que 
je  n'ai  pas  trouvé  ailleurs,  mais  qui  s'expliquera  peut-être 
de  la  même  façon. 

("esl  encore  parce  que  l'on  a  comparé  les  arêtes  des 
poissons  du  genre  gasterosteus  Cuv.  aux  alênes  des  cor- 
donniers qu'on  leur  a  donné  à  Nice  le  nom  de  sabalié, 
dans  d'autres  provinces  ceux  de  savetier,  cordonnier  (Rol- 
land, Faune  Pop.,  m,  173). 

A  Youghal  en  Irlande,  on  se  serl  de  l'expression  stony 
cobbler  pour  indiquer  le  trachinus  ripera  Cuv.  (Thomp- 
son, d'après  Day,  British  Fishes,  i,  82),  el  c'est  sans  doute 

(H  Voir  Rolland,  Faune  Pop.,  m    1<J4. 


30  NOMS  DE  POISSONS 

pour  s»'-  épines  e1  nolammenl   pour  In   première  dorsale, 
donl  <mi  redoute  tant  ]<•>  piqûres. 

Ce  seronl  les  dorsales  du  spams  chromis  L.  qui  per- 
mcltronl  d'expliquer  ses  noms  vénitiens  de  caleghero, 
scarpolero,  cités  pas  Paolelli,  Dizionario  Venezianô-Ita- 
liano  (1851). 

93.  lat.  *  castaneola 

L'adjectif  instauras  -a,  -um  (attesté  dans  caslanea 
im.r)  reste,  au  sens  de  couleur  de  châtaigne,  dans  l'il. 
casiagno,  -a,  le  prov.  castan,  fr.  châtain,  esp.  cas- 
tano,  -<t  el  port,  caslanho,  -a.  I  u  diminutif  *  castaneôlûs, 
a,  -um  esl  visible  dans  l'it.  caslagnuolo,  -a,  l'esp.  casta- 
nuelo,  -a,  de  couleur  de  châtaigne. 

Dès  1554,  Rondelet  (De  /'im.  Marin.,  p.  L53),  nous  dit, 
'•ii  parlanl  de  >< >i i  chromis  (sparus  chromis  L.)  :  «  ...  vnca- 
turque  a  Liguribus  casiagno  ;i  castanee  colore  ».  L'exten- 
sion qu'a  le  type  *  aastaneola  —  sparus  chromis  L.  fait 
croire  qu'il  remonte  au  latin  :  losc.  castagnola,  gên.  casta- 
gneùa,  nie.  castagnolla,  Var  castagnoro,  B.-du-Rh.  cas- 
tagnolo,  esp.  et  galic.  castanola.  Seul  le  port,  castanheta 
(;i  sort  of  i'ish  »  dit  Vieyra)  -'en  distingue. 

Le  français  s'est  servi  de  diverses  formes  qui  sont  tou- 
tes empruntées  : 

(1)  castagnole,  qui  remonte  à  *  castaneola  el  <|ui  esl 
la  plus  commune.  Exemple  <!<•  L336  dans  Romania, 
xxxi,  369. 

(2)  castagnol,  cité  d'après  du  Pinel,  Pline,  xxxn,  11. 
dans  Godefroy  (éd.  1581,  n,  559). 

(!)  castagnon  dans  Cotgrave,  qui  l'aura  sans  doute 
pris  à  Du  Pinet,  Hisf.  Vaf.  de  Pline  (éd.  1581, 
i.  349). 

Cf.  «  castagnon,  s.  m.,  nom  qu'on  a  donné  à  une 
espèce  de  châtaignier  »  (Raymond). 


NOMS  DE   POISSONS  31 

(4)  castagneau.  Raymond  :  «  s.  m.,  espèce  de  poisson 
qui  forme  le  type  <lu  genre  chromis  ».  C'est  le 
même  mol  que  castagnol.  Vussi  dans  Cuvier,  Règne 
Animal,  n.  263. 

(5)  castagnollo.  Raymond  :  «  s.  m.,  nom  de  doux 
poissons  que  l'on  pêche  sur  les  côtes  de  Nice  ». 
Il  n'y  a  pas  lieu  de  prendre  au  sérieux  l'indication 
sur  le  genre  ;  il  s'agil  Loul  simplement  du  prov. 
castagnolo,  subst.  fém.,  qui  vient  de  *  castanëôla. 

(6)  castagnol,  que  j'ai  lu  dans  le  Dicl.  Grec.-Franç. 
d'Alexandre. 

94.  esp.  chucho,  etc. 

Un  type  latin,  *  suctiare  tiré  du  supin  suctum  de  su- 
gère,  explique,  on  le  suit,  l'it.  succiare,  le  prov.  sussa, 
chucha,  le  v.   t'r.  sucier,  l'r.  sucer,  le  port,  chuchar. 

L'esp.  *  chuchar  n'est  pas  dans  les  dictionnaires  ;  niais 
il  semble  bien  probable  que  l'esp.  chucho,  «  espèce  de 
chouette  ou  de  hibou  »  (Cormon),  se  rapporte  au  même 
radical  que  les  mois  romans  que  nous  avons  cités. 

Le  milan,  sciscioeu,  expliqué  par  Angiolini,  Vocabo- 
lario  Milanese-Italiano  (1897)  :  «  assiolo  chiù  :  uccello 
simile  alla  civetta  »,  à  côté  du  milan,  sciscià  —  il.  suc- 
ciare, appuie  certainement  ce  point  de  vue. 

C'est  au  sens  de  hibou,  chouette,  qu'il  faut  expliquer 
les  noms  suivants  de  la  myliobatis  aquila  Cuv.  :  castillan 
chucho,  valencia  /ui/o,  Marseille  chucho,  Gênes  ciuccio 
(Voir  pour  ces  noms  Carus,  Prodromus  Faunae  Mediler- 
raneae,  n,  519). 

Le  poisson  dont  il  >';iyit  a  l'air  d'un  oiseau  de  proie 
aux  ailes  étendues,  à  cause  de  ses  pectorales,  plus  larges 
transversalement  que  dans  les  autres  raies  (Cf.  ses  noms 
d'aigle,  faucon,  milan,  etc.). 


32  NOMS  Dl     POISSONS 

'.t.').  ir.  civelle,  civette 

Civelle,  susbt.  fém.,  esl  cité  par  <li\ «  rs  dictionnaires 
français  comme  nom  de  poisson;  par  Cotgrave  (qui  af 
firme  que  le  mol  rs!  lyonnais)  cl  par  le  supplémenl  <iu 
dictionnaire  de  Littré  au  sens  de  lamprillon  ;  par  le  dic- 
tionnaire de  Trévoux  (éd.  L771)  avec  la  mention  suivante  : 
«  pelil  poisson,  forl  commun  dans  la  Loire,  el  depuis 
Vngers  jusqu'à  la  mer.  Quelques-uns  croienl  que  c'esl  le 
frai  d'anguilles,  el  non  une  espèce  particulière.  »  MM. 
Verrier  el  Onillon,  dans  leur  Gloss.  Etym.  et  Hist.  des 
Patois  de  l'Anjou  (1908)  confîrmenl  civelle  =  frai  d'an- 
guilles. Raymond,  Dict.  Gén.  (1832)  fournil  un  masculin 
tii  cl.  «  nom  »,  dit-il,  «  d'un  petil  poisson  mince  el  long 
qu'on  pêche  sur  les  côtes  de  Bretagne  ».  Enfin  Saehs- 
Villalte,  Franzôsisch-Deustches  Wôrterbuch  (éd.  1006) 
donne  à  1;!  loi-  civette  el  civelle  comme  indiquant  le  lam- 
prillon. 

On  ;i  proposé  de  voir  dans  civelle,  frai  d'anguilles,  un 
dérivé  ilu  lat.  caecus  (voir  Kôrting,  Lut. -Roman.  Wlb., 
art.  L700),  <-i  Migra  l'avail  rapproché  de  l'it.  ciecolina, 
petite  anguille.  Pour  civelle  lamprillon,  on  peul  citer 
le  nom  d'aveugle  donné  ;i  ce  poisson  (Lacépède,  Hist. 
Xui.  des  Poiss.,  i.  28).  Enfin  on  pourra  comparer  ci- 
vette =  miel,  reptile  dil  ;mssi  aveugle,  borgne,  etc.  (voir 
Kôrting,  Lat.-Roman,  11  lh..  art.  7131,  qui  veut  que  ci- 
vette, orvet,  vienne  «  ans  civette,  von  ciu   <    *  caecvus). 

Tout  cria  semble  assez  sur  cl  il  sérail  intéressanl  de 
voir  dans  les  mots  cités  des  survivants  en  France  du  lai. 
caecus.  Il  n'esl  pas  cependanl  impossible  à  mon  avis,  que 
les  dérivés  de  caepa  (d'où  tire)  aienl  exercé  ici  leur  in- 
fluence. Un  citera  : 


NOMS   DE   POISSONS  •'!■'> 

(1)  il.  dial.  cepoli  (Roll.,  Faune  P<>}>.,  m,  100),  nom 
du  cepola  taenia,  d'où  le  cepola  du  latin  dos  natu- 
ralistes, d'où  le  l'r.  cépole.  Cepola  <C  lat.  caepulla. 

(2)  angev.  cibot  =  lézard  verl  (Verrier  Onillon,  op. 
cit.  :  poit.  cibot  —  «  corde  de  licou  que  l'on  passe 
dans  la  bouche  ou  sur  le  nez  des  chevaux,  etc.,  poui 
s'en  servir  comme  d'une  bride  »  (Lalanne,  Gloss. 
Poil.). 

(:})  v.   l'r.   civelle    =    bande  de  cuir,   sangle  (Ex.   de 
1386  dans  Godefroy)  d'où  v.  l'r.  civeler  =  sangler; 
civelle  se  dit  en    Vnjou  des  personnes  minces  (Vcr- 
rier-Onillon,   op.   cit.).   Cf.   civelle    =    lanière   dans 
Moisj .  Dû  I.  du  Pat.  Norm. 
(4)  civelet   =    bouture  d'osier  (dans  la  Gironde,  d'a- 
près le  Suppl.  de  Littré). 
Tous   ceux   qui    se   sont,   occupés    des   noms   populaires 
d'animaux  savenl  qu'on  a  donné  aux  petits  poissons  longs 
(genre  ophidium,  petromyzon,  cepola,  etc.)  des  noms  équi- 
valanl  à  bande,  sangle,  lanière,  courroie,  jarretière,  etc. 

96.  cornuda 

\  ajouter  au  port,  cornuda  de  ma  noie  52,  le  cornudilla 
cité  connue  castillan  et  le  cornuda  des  Iles  Baléares, 
noms  du  zi/gaena  malleus  (Carus,  Prodromus,  etc..  n, 
510). 

97.  galic.   crabudo 

Crabudo,  nom  en  Galice  du  genre  spinax  Bonaparte, 
veut  dire  cloué  et  remonte  à  *  clavùtus.  Cf.  galic.  raya 
crabuda  —  raia  clavata  ou  clavelade,  dite  aussi  raie  clouée 
(Cotgrave)  ou  raie  bouclée. 

98.  it.  fangro 

Fangro,  «  a  fish  called  in  latin  pagrus  »,  dit  Florio  dans 
son  Ital.-Engl.  Met.,  éd.  1688. 


■  <  i  \o\l-  Di     POISSONS 

Du  lai.  phagrum  on  a  l'it.  fagro,  et  par  métalhèse  frago. 
Fangro  esl  -ans  doute  dû  a  une  métathèse  de  frango,  né 
de  l'influence  du  radical  du  verbe  [rangere  sur  frago. 
Cf.  frangolino  à  côté  de  fragolino,  a  ma  note  L4,  et  voir 
note  20. 

99.  sir.   /<•////</ 
Voir  unte  100,  fiatala. 

100.  it.   /'/V,/o/„ 

Rondelet,  De  /'/se  Marin.,  pp.  157,  257,  a  cité  l'emploi 
à  Rome  du  mol  fiatola,  comme  nom  de  poisson. 

Dans  le  latin  des  naturalistes,  fiatola  a  servi  à  distin- 
guer d'une  façon  spécifique  un  poisson  du  genre  stroma 
tée  ;  c'est  ce  qui  explique  le  fr.  fiatole  de  divers  diction- 
naires. 

Le  sic.  fialulu,  rom.  fiatola  stromateus  fiatola,  re- 
monlenl  tous  deux  à  un  adjectif  latin,  *  flatulus,  -a, 
-mu.  tiré  de  flalus,  souffle,  vent,  flatuosité,  et  qui  a  eu 
le  sens  de  puant.  Qu'on  compare  Fit.  fiatente,  puant,  à 
côté  de  fetente  et  flatore,  fetore,  puanteur,  dan-  Duez. 

Quanl  au  sic.  fetula,  fetula  imperiali  =  stromateus 
fiatola,  il  vient  d'un  adjectif  *  foetulus,  -<t.  -uni  (Cf. 
lai.  foHulentus),  de  même  signification  que  *  flatulus,  cil.' 
plus  haut. 

Cf.  à  Valencia  pudenta  =  stromateus  fiatola,  et  voir 
pour  ces  divers  noms  populaires  Carus,  Prodromus  Van- 
nue  M editerraneae ,  n.  664. 

101.  it.  fico 

<>n  trouve  dans  le  Ital.-Engl.  Dut.  de  Florin  (éd.  1688) 
l'article  suivant    : 

phici,  phiscide,   fui.  fico,   a    lish   thaï    is   sometimes 
white  and  sometimes  mil  of  black  spots,  and  fra- 


NOMS   DE   POISSONS  35 

mes   himself  ;i   nesl    in   Lhe  grass  or   reeds   by   the 

sea  side  and  there  lays  liis  eggs  and  sits  lus  young 

ones,  in  Rome  they  eall  il  fico. 

I  ;i  définition  montre  qu'il  s'agil  du  phycis  de  Rondelet 

(De    Piscibus    Marinis,    éd.    1554,    pp.    186-188),    don!    le 

célèbre  ichthyologisle  a  «lit    : 

Mutai  colorem  phycis,  reliquo  tempore  candidà,  vere 
varia. 
et  plus  loin    : 

Kx   his  ego  colligo   veram   phycidem   hic   expressam 

esse  :    quae    quanquam    ad    faciendam    fidem    salis 

esse   possint,   tamen   multo   magis  sententiam  liane 

meam  confîrmavi,  cum  in  média  alga  nidificantem 

vidi,   id  quod   sola   phycis   facit   testibus    Vristotele 

el    Plinio.    Phycis    piscium   sola   nidifical    ex   alga, 

atque  in  nido  parit,  el   id  certissimum  esse  pisca- 

tores  multi   observarunt.   Quod   autem  solam   nidi- 

ficare  aiunt  in  alga,  id  l'alsum  esse  compérit   Gu- 

iielmus  Pelicerius  Monspcliensis  episcopus,  vir  in 

relais    pervestigandis    diligentissimus    et    perspica- 

cissimus,  qui  gobiones  el  hippocampos  in  alga  ova 

ponere  et  parère  animadvertit. 

C)r,  le  phycis  de  Rondelet,  c'est  le  phycis  mediterraneus 

Laroche,    le   phycis    tinca    Schneider,    le    blennius   phycis 

Linn.,   le  phycis   blennoïdes,   poisson  de  la   division   des 

gadoïdes,  qu'on  a  appelé  en  français  le  merlus  barbu. 

Cuvier,  Règne  Animal,  éd.  1820.  n.  242,  335,  avait  cru 
pouvoir  identifier  le  phycis  de  Pline  et  le  pUxt'c  d'Aristote 
avec  le  genre  gobie,  à  cause  de  l'habitude  qu'ont  ces  p<>is 
sons  de  taire  leur  nid  dans  des  lieux  riches  en  fucus. 
Mais  celle  identification  n'est  rien  moins  que  sûre,  et  l'opi- 
nion de  Rondelel  me  semble  la  meilleure,  si  l'on  tienl 
compte  de  l'emploi,  chez  les  Grecs  modernes,  de  pho- 
cida   =    blennius  phycis  L. 


.30  NOMS  Dl    porssofts 

Il  est  d'ailleurs  probable  que  divers  poissons  onl  porte 
des  noms  tirés  du  radical  de  phycis.  \  côté  de  h<f»'i;,oTi 
trouve  ô  »v»x^v  et  ô  <pûxïj;,  noms  de  poissons.  Rondelet  croyait 
([in'  fj/.i;  et  fvxm  s'appliquait  j  des  poissons  différents 
(op.  cit.,  p.  188). 

Le  radical  de  yr/i;  etc.,  noms  de  poissons,  ne  fait  qu'un 
avec  celui  de  $.ûxo;,  'j-vza,  algue;  c'est  de  pGxoj  que  Pline 
a  tiré  son  phycos  -  fucus.  J'ai  déjà  montré  que  des  noms 
d'algues  onl  été  donnés  à  des  poissons  qui  se  plaisaient 
à  manger  des  plantes  marines  (Cf.  note  i8  cantharus). 
J'appelle  ici  l'attention  sur  des  noms  d'algues  donnés  aux 
poissons  qui  viennenl  déposer  leurs  œufs  sur  ces  plantes. 

Je  rattacherai  donc  au  radical  de  j»ûxo;,  algue,  les  noms 
de  poissons  suivants  : 

(1)  à  Rome  fico  =  phycis  blennioïdes  (1). 

(2)  sic  baca  ficu,  pesce  ficu  =  gadus  minutus,  dans 
Rolland,  Faune  l'nji..  m.  1  13  (2). 

(3)  it.  fico  =  ç/udus  luscus,  dans  Lacépède,  llisl.  Nal. 
des  Poiss.,  h.  409. 

(4)  il.  p^sce  fico,  «  cod  fisli  »  (Florio,  op.  cil.)  (3). 

A  propos  du  gadus  luscus  I...  Lacépède,  op.  cit.,  n. 
114,  nous  dil  :  «  le  tacaud  parvient  à  une  longueur  de 
cinq  ou  six  décimètres  :  il  s'approche  du  rivage  au  moins 
pendanl  la  saison  de  la  ponte  :  il  s'y  tient  dans  le  sable, 
ou  au  milieu  de  très  hauts  fucus,  à  <\c<  profondeurs  quel- 
quefois considérables  au  dessous  de  la  surface  de  la  mer  ». 
El  plus  loin,  pour  le  gadus  minutus  L.  :  «  le  capelan..., 
vers  le  printemps...,  se  rapproche  des  rivages,  pour  dépo- 

(I )  A  Naples  ficu,  à  Venise  //'.</"  ont  la  même  signification  (Carus« 
Prodvomus,  etc.,  n.  575. 

Ci)  A  Rome  figora,  à  Naples  fica,  à  Palerme  pesce  liai,  n  Messine 
}>hci  ficu  —  t//.ih/<  minutas  L.  (Carus,  Prorfromi/s,  de.  n.  471-2. 

(3)  Ajouter  encore  fi</  i<>ttu  —  gadiculu*  hlennioides  Gunther  à  Gènes 
(Carus, op.  cit.  n.573). 


NOMS   DE   POISSONS  37 

ser   ou    féconder   ses   œufs   au    milieu    des   graviers,    des 
galets  ei  <lcs  l'unis  ». 

Le  radical  de  œûzo;  :l  d'ailleurs  servi  à  donner  des 
noms  à  d'autres  poissons  qu'aux  gades  et  à  leurs  proches 
parents,  mais  toujours  à  des  poissons  qui  fréquentent 
les  algues  mi  s'en  nourrissent.  La  sciaena  aquila  Risso, 
par  exemple,  qu'on  a  si  souvent  confondue  avec  Vuinbra 
cirrosa  Cuv.,  porte  divers  noms  qu'on  pourra  rattacher 
a  notre  série  :  en  Provence  figoun,  flgou  (Nice  :  figori), 
à  Gêne9  fin<t<>  (I).  à  I  île  <l  Elbe  figaro,  à  Tunis  fico;  à 
Damiette,  d'après  Carus,  les  Français  lui  donneraient  le 
nom  de  fêgaro  (2).  Lacépède  <lil  de  Yumbra  cirrosa  Cuv. 
(op.  cit.,  m.  'il"),  qu'  »  elle  se  nourrit  d'algues  et  de 
vers  ».  el  <le  la  sciaena  <«jiiil<t  Risso  (op.  cil.,  i\ .  Ml!'). 
qu'  «  on  la  trouve  particulièrement  dans  le  Nil,  et  il  pa- 
raît qu'elle  se  plaît  au  milieu  des  algues  el  d'autres  plan- 
tes aquatiques  ». 

Le  professeur  Schuchardt  a  cité,  dans  la  Zeilschrifi  fur 
Romanische  Philologie,  xxxi,  645,  figa,  figo,  noms  à 
Adria  du  stromateus  fiatola  L.  (dit  aussi  fi</<t  a  Venise. 
figo  à  Trieste,  d'après  Carus),  el  figa  =  labrus  bimacu- 
lalus  L.  à  Spalato.  Le  savant  romaniste  explique  ces  noms 
par  la  couleur  du  poisson  qui  les  porte;  je  suppose 
car  il  n'en  dit  rien  -  qu'il  y  voit  des  dérivés  du  latin 
ficus,  fica,  figue.  Pour  moi,  je  ne  crois  pas  qu'un  pois- 
son (:i)  dont  le  do1-  esl  bleuâtre,  avec  des  lâches  dorées  el  le 
ventre  d'un  blanc  d'argent,  puisse  tirer  son  nom  de  la 
couleur  de  la  figue;  je  préfère  ajouter  ces  noms  aux  déri- 
vés du  radical  de  mû/.o-. 

(1)  C'est  la  forme  que    donna    Gasaccia,  Dizionario  Genovese-ltaliano . 
Bonaparte  donna  fegaro,  Sassi  flgau  d'après  Carus. 

(2)  Voir  Carus,  Prodomits,  Ec,  n,  G5t,  el  Rolland,  Faune  Pop  ,  m  172. 

(3)  Le  stromaleus  fiatola  L. 

4 


;:s 


NOMS   DE   POISSONS 


102.  fr.  gagnola,  gagnole,  Var  gazané 

Gagnole,  s.  T.,  esl  traduit  par  Cotgrave  :  «  a  little, 
long,  small-eyed,  and  lesse-mouthed  Qsh,  covered,  in 
stead  of  scales,  with  a  hard-and  crusty  skin  ;  some  hold 
il  lo  be  a  kiini  of  hornebeake  ».  <>n  [e  trouve  dans  Lacé- 
pède,  Hist.  Mat.  des  Poiss.,  n,  27,  comme  nom  du  syn- 
gnathe trompette  de  ce  naturaliste  :  gagnola  serait,  «l'a ] > i-r*s 
Bouillet,  Dict.  des  Sciences,  des  Lettres  et  des  Arts  (art. 
syngnathe)  un  nom  vulgaire  de  ce  même  poisson.  Gagnola, 
gagnole,  esl  le  même  mot  que  gagnolo  du  Var  et  des 
Bouches-du-Rhône,  qu'on  trouve  dans  Rolland,  Faune 
Pu/).,  m.  94  =  hippocampus  brevirostris  ou  cheval  marin, 
poisson  très  proche  parenl  «les  syngnathes. 

Or,  on  sait  que  lit.  guadagnare,  prov.  gazanha,  gagna, 
fr.  gagner,  vient  d'un  germ.  *waidahian  (Cf.  ail.  tyei- 
den)  =  paître  (Cf.  fr.  gagnage  =  pâturage).  Il  y  a  dos 
indications  qui  font  croire  qu'on  a  tiré  du  radical  de  ce 
verbe  des  substantifs  ayant  la  signification  d'  «  animal 
qu'on  mène  au  pâturage,  taureau,  cheval,  etc.».  Ainsi, 
Monli,  Saggio  <Ii  I  ocabolario  délia  Gallia  Cisalpina,  etc., 
L856,  atteste  pour  la  Valteline  ia  phrase  mena  la  vaca  al 
guadagn  =  il.  «  menare  al  loro  la  vacca  ».  Ainsi  encore 
l'abbé  de  Sauvages,  Dict.  Languedocien-Français,  éd. 
L785,  fournit  gazanhou,  «  un  étalon,  soit  cheval,  soit  âne, 
pour  saillir  les  juments  et   les  ânesses  ». 

Il  sera  maintenant  facile  de  concevoir  que  c'esl  au  sens 
de  «  petite  jumenl  »  qu'on  s'esl  servi  du  prov.  <ja<jii<>hi. 
des  emprunts  français  gagnola,  gagnole  pour  indiquer  le 
cheval  marin  el  les  syngnathes.  De  même,  gazané,  dans 
le  Var  genre  syngnathus  Cuv.  (Rolland,  op.  c//..  ni. 
95)  esl  un  diminutif  du  \ .  prov.  gazanh  et  veut  dire  «  petit 
cheval  ». 


NOMS   DE   POISSONS  39 

L03.   lai.  garus 

<)n  <i\\\  que  garus  est,  dans  Pline,  Le  nom  «l'un  poisson 
avec  lequel  on  faisait  du  garum,  saumure  très  estimée 
chez  les  Romains  (Cf.  à  côté  de  yâ/>o;,  yàçov  le  grec  yupho;, 
•/uoiaxo;,  110ms  de  poissons); 

Déjà  Rondelet,  De  /'/s*  .  \huiu..  éd.  1554,  p.  141,  avait 
souçonné  que  le  lai.  garus  élail  un  nom  de  son  smaris 
(sparus  smaris  L.). 

Dans  la  Romania,  \i  (1877),  266  sq.,  Beauquier  a  expli- 
qué  par  le  lai.  gerres  el  son  diminutif  *  gerrulus  divers 
noms  provençaux  de  sparus  smaris  L.  :  y.  prov.  gerlet, 
prov.  mod.  gerle,  jarlet,  jarre,  jarret.  Pour  les  mois  fran- 
çais qu'il  cite,  jarret,  par  exemple,  ce  ne  sonl  que  des 
emprunts  au   provençal. 

La  forme  même  de  quelques-uns  de  ces  noms  fait  croire 
que  garus,  *  garulus  oui  exercé  sur  gerres,  *  gerrulus 
une  action  troublante.  Très  important,  à  ce  point  de  vue, 
esl  le  garlet  de  la  Vida  de  S.  Honorât,  de  Ramon  Feraut 
(leçon  .lu  MS.  B.  \\.  13.509);  l'abbé  Pellegrini  cite  aussi 
garle  pour  le  niçois  :  il  faut  tenir  compte  encore  de  l'a  de 
jarre,  jarret,  jarlet,  auxquels  il  convient  d'ajouter  le  sard. 
zarettu,  le  jarret  d'Iviça  (Rolland,  Faune  P<>i>..  ni,  Ki!)) 
el  ]"ii.  zarra,  qui  traduit  dans  un  dictionnaire  que  je  pos- 
sède le  maltais  munxara   =   sparus  smaris  L. 

Le  garou  de  Legoarant  et  de  Littré,  nom  d'après  eux 
du  sparus  smaris  L.  sur  les  côtes  de  la  Méditerranée,  ne 
serait,  selon  Beauquier,  qu'une  mauvaise  lecture  du  garon 
d'Antibes,  cité  par  Rondelet,  op.  cit.,  p.  141  ;  c'est  sans 
doute  le  môme  mot,  mais  garou  représente  un  développe- 
ment phonétique  plus  récent  que  garon,  d'un  lat.  *  garo- 
nem,  dans  le  Midi  de  la  France. 

Le  vénit.  garizzo  =  it.  menola  (Paoletti)  doit  aussi  être 
ajouté  à  la  liste  des  dérivés  romans  du  lat.  garus. 


40  NOM--   1)1     POISSONS 

Enfin,  le  niç.  gerlesco,  donné  par  l'abbé  Pellegrini 
comme  synonyme  de  gerle,  me  fait  croire  que  garlesco, 
nom  à  Toulouse  du  cyprinus  amarus  L.  (Rolland,  op.  cit., 
m.  152),  appartient  à  notre  série.  Le  nom  de  picarel  qu'a 
le  sparus  smaris  !..  vienl  de  ce  que  ce  poisson  pique  la 
langue  quand  on  le  mange  salé  :  l'attribution  de  garlesco 
au  cyprinus  muants  L.  viendra  suis  doute  de  l'amertume 
de  sa  chair  (Cf.   son  nom  allemand  biiierling). 

104.  Var  gazané 
Voir  noie  102,  gagnola,  gagnole. 

105.  la  t.   g  erres 
Voir  noie  103,  lat.  garus. 

H  h;,  grelin  (Cf.  note  60) 

Pour  l'élvmologie  par  un  angl.  *  grayling,  cf.  holl. 
graeuken  =  «  asellus  minor  »  et  l'explication  de  asellus, 
nom  de  gade,  «  dictus  a  colore  cinereo,  ut  asinus  »,  dans 
Dufflaeus,   Etymologicum   Teutonicae   Linguae,.  éd.    1605, 

p.  785. 

107.   norm.  guis  eau 

Lacépède,  Hist.  Xal.  des  Poissons,  n,  262,  dit  qu'  «  une 
autre  anguille  de  la  même  rivière  (entendez  la  Seine)  est 
nommée  guiseau.  Elle  a  la  tète  plus  courte  "t  un  peu  plus 
large  que  l'anguille  commune.  Le  guiseau  a  d'ailleurs  le 
corps  plus  court  :  son  oeil  est  plus  gros,  sa  chair  plus 
ferme,  >;i  graisse  plus  délicate.  Sa  couleur  varie  du  noir 
au  brun,  au  gris  sale,  au  roussâtre  ». 

Guiseau,  qui  a  été  enregistré  par  Littré  comme  nom 
d'une  variété  d'anguille,  doit  être,  à  cause  de  sa  forme, 
emprunté  aux  dialectes  germaniques.  On  songe  à  un  type 
wisel  au  sens  de  belette  ;  Cf.  v.  h.  a.  wisala,  moy.  h.  a., 


NOMS  DE   POISSONS  4  1 

wisel  au  sens  de  belette;  cf.  v.  h.  a.  wisala,  moy.  h.  a., 
wisele,   wisel,   ail.   wlesel,   ags.   lues/e  (uuesulne   dans   le 
glossaire    d'Epinal),    angl.     veasel,    holl.     ilam.     //esc/, 
isl.  /  /s/a.  sans  pouvoir  fixer  clairement  dans  quel  dialecte 
particulier  <>n  a  puisé  noire  mot. 

Il  n'y  a  d'ailleurs  rien  que  de  très  ordinaire  dans  celle 
attribution  du  nom  de  la  belette  à  un  poisson  dont  la  lon- 
gueur peul  frapper  l'imagination  populaire.  On  citera  : 

(a)  divers  noms  du  genre  bien/dus  :  moustelo  dans  1'' 
Var. 

(I>)  divers  noms  du  genre  cobitis  (les  loches);  voir, 
pour  ceux  qui  sont  tirés  du  radical  du  lat.  mustela, 
belette,  la  Faune  Populaire  de  Rolland,  ni,  137. 

(c)  divers  noms  du  gadus  loin  \..  (loin  vulgdris  Cuv.), 
poisson  qui  emprunte  aux  anguilles  un  grand  nom- 
bre de  >es  noms  populaires  (Cf.  Rolland,  Faune 
Pop.   m.    109,  el   ma  noie    iô.   bourboche). 

(d)  weasel-fish  (el  par  corruption  whistle-fish,  whist- 
ler).  nom  dans  l'ouesl  de  la  Cornouaille,  du  motella 
tricirrata  <>u  motelle  a  trois  barbillons  (Day,  British 
Fishes,  i.  318)  :  whistle-fish,  whistler,  brown  whist- 
ler  (encore  mie  loi-.  san>  doute  pour  weasel,  weasel 
fish),  nom  en  Cornouaille  du  motella  mustela  (gadus 
mustela  I..)  d'après  Day,  op.  cit..  i.  314;  cf.  sicil. 
mustedda,  mustiddu,  noms  de  ce  dernier  poisson. 

(e)  divers  noms  du  genre  mustela  Cuv. 

On  remarquera  que  Ion-  ces  poissons  portent  aus>i  les 
noms  de  loches  :  pic.  lokelle  =  genre  blennius  ;  loche, 
nom  français  du  genre  cobitis;  loche,  lochette,  nom  du 
gadus  loin  L.  dans  le  Jura  :  /<»,  he  de  met',  nom  du  motella 
mustela  a  \Toirmoutier  ;  loquelte  a  Boulogne-sur-Mer  = 
squale  (pour  ces  indications,  voir  la  Faune  Populaire  de 
Rolland,  m.  82  sq.). 


IV  NOMS  DE   POISSONS 

108.  v.  f.  hannon,  hennon 

Le  dictionnaire  de  Godefro}  ;i  un  seul  article  :  «  hanon, 
hannon,  s.  m.,  sorte  de  poisson,  le  merlan  ou  merlus  »; 
il  cite  cinq  exemples.  Je  n'y  vois  rien  qui  permette  de  dire 
que  hannon  se  soit  jamais  dil  d'un  gade  ;  el  je  soupçonne 
i|ii  il  \  a  eu  dans  l'espril  ilu  compilateur  <lu  Dicl.  <!<■  VAnc. 
Langue  Française,  une  confusion  due  à  la  ressemblance 
superficielle  de  lut/mon,  nom  de  coquille,  avec  ânon,  au- 
ciennemenl  asnon,  nom  du  gadus  aeglefinus  L. 

En  effet,  dans  le  second  exemple  donné  par  Godefroy, 
Littré  ;i  vu  le  plus  ancien  texte  où  se  trouve  .sou  hannon, 
s.  m.,  nom  vulgaire  de  plusieurs  pétoncles  : 

xive  s.,  liannons  au  civé  ou  cuiz  en  eve... 

[Bibl.  de  l'Ec.  des  Chartes,  5e  s.,  i.  223]. 

Le  premier  exemple  de  Godefroj    vienl   de  la   Bataille 
de  Karesme  et  de  Chômage  (voir  Fabliaux  et  Contes,  éd. 
Méon,  iv,  94,  vv.  j-~>  sq.).  Je  copie  le  passage  d'après  l'édi 
lion  de  Méon  en  modifianl  légèremenl   la  ponctuation  : 

...   Raies  y  vindrenl   poignant, 
El   chiens  de   mer  vinrenl   allant, 
Hados  e  oitres  e  hanons, 
lj   congres  qui  sonl   gros  el    Ions, 
Sardines,  bresmes  el  dorées, 
Barbues  grasses,   plaïs  lees, 
El   bon  fiel  au  fenoil  rosti. 
La  genl  <  îharnaige  onl  départi, 
S'onl  fa.il   Karesme  remonter. 
\l;inl  es  vos  asnons  de  mer 
Sur  un  mulel  moll  bien  monté 
Fierl  une  tarte  en  uns  coslé... 

On  voil  que  les  hannons  semblenl  être  distingués  dans 
ce  passage  des  asnons  el  des  mulets,  el  il  est  intéressanl 


NOMS  DE  POISSONS  i3 

de  constater  qu'ils  sonl  mentionnés  immédiatement  après 
les  oitres. 

Dans  le  troisième  exemple  de  Godefroy,  c'esi  avec  les 
moules  que  1rs  hannons  sonl  mentionnés  :  dans  le  qua- 
trième, de  1351,  qui  a  été  pris  dans  le  Glossaire  de  Du 
cange  (art.  hanones),  ils  viennenl  après  «  les  moules  el 
les  oitres  ».  Le  cinquième,  de  1418,  ne  permet  pas  d'affir- 
mer quoi  que  ce  soil  sur  le  sens. 

Je  ne  vois  donc  rien  qui  empêche  «le  voir  dans  fous  les 
exemples  cités  le  mol  hannon,  nom  de  coquillage,  que 
Littré  donne  dans  son  dictionnaire  et  sur  lequel  il  a  ajouté, 
dans  le  Supplémenl  de  1886,  le  renseignement  additionnel 
suivanl    : 

On  écril  aussi  hanon.  C'esl  une  sorte  d'huître  à  tesl 
ire»  mince,  t'orl  léger  et  brillant  narré,  qu'en  his- 
toire naturelle  on  désigne  sous  le  nom  générique 
d'amomie,  el  dans  le  langage  des  pêcheurs  sous  le 
nom  de  hanon.  Besnon,  feuilleton  de  VAvranchin, 
22  nov.   1868. 

Rolland,  Faum  Pop.,  ni,  220,  cite  hénon,  nom,  dans  la 
Somme,  du  genre  cardium  (la  bucarde)  ;  ce  hénon  doil 
être  comparé  a.  hennon,  que  Godefro}'  (voir  son  article 
hadol)  a  trouvé  dans  un  des  ms<.  de  la  Bataille  de  A  / 
resme  ci  de  <  'harnaige. 

Le  mol  doil  être  ancien  dans  le  Nord  de  la  France,  car 
ou  lil  dans  Ducange,  a  l'art,  platesia,  un  passage  :  de 
platesiis,  hanonibus  ac  anguillis  Somnensibus...  ».  qui  est 
lin;  d'une  charte  de  Charles  le  Chauve. 

C'esl  sans  doute  le  même  moi  que  hannon,  coquille  de 
la  charrue,  donl  ou  trouve  un  exemple,  de  lii9,  dans 
Godefroy. 

L7(  persistanl  dans  tous  les  exemples  connus  fait  croire 
a  une  orieine  ffermanique. 


'j4  noms  de  poissons 

109.  fr.  \ozo 

Jozo,  s.  m.,  esl  une  «  espèce  de  poisson  du  genre  des 
gobies  ».  d'après  Raymond,  Dict.  Gén.,  L832. 

I  'esl  le  naturaliste  Bloch  qui  s'esl  servi  de  l'expression 
gobius  ji>:<>  pour  indiquer  une  variété  de  gobie  que  Cuvier 
appelle  le  boulereau  bleu  (Règne  Animal,  n.  243). 

II  s'agil  d1'  iozo,  iozzo,  forme  dialectale  de  l'it.  ghiozzo, 
(|in  se  <hl  du  inliiis  gobio,  du  gobio  fluviatilis  el  de  divers 
I m iissi h i -•  du  genre  gobius  L. 

Ghiozzo  in-  remonte  pas  précisémenl  ;'i  *glûttû$,    comme 
['a    dii    hic/    (Cf.    Kôrtmg,   art.    4285    *  glûttûs ,     mais    à 
*  glùttï'ûs . 

110.  galic.  lorcha 

Un  intéressant  dérivé  du  radical  du  lai.  lorum,  lanière, 
c'esl  le  galic.  lorcha,  nom  de  Yophidium  barbatum  Bloch 
(Cf.  sic.  bandiera,  nom  de  ce  poisson  dans  Rolland,  Faune 
Pop.,  m.  06). 

,1e  suppose  que  de  lora,  pluriel  de  banni.  cl  considéré 
comme  féminin,  viennenl  le  lai.  *lorlcula,  *  lârcula  d'où 
/'(/'<  Ua. 

Pourlôrcula  de  lorîcula,  comparer  mes  noies  sur  l'esp. 
hacho,  cacha  dans  la  lier.  <l.  Lang.  Romanes,  i.i.  268,  cl 
lu,  L00,  d  sur  *  râsculum,  *  râscukt  pour  *  rasîculum, 
*  rasîcula  dans  la  Rev.  de  Philol.  Fr.  cl  de  LUI.,  xxi,  251. 

J  1 1.   fr.    inonat  belle 

Littré  a  :  «  monachelle,  s.  f.,  poisson  du  genre  des 
spares  ».  Raymond,  Dict.  Gén.  (1832),  donne  déjà  :  «  mo- 
nachelle, s.  f.,  espèce  de  poisson  du  genre  des  spares  ». 
i  ela  i  -l  sans  doute  le  sparus  chromis  L.  dit  monachella 
;i  l'île  d  Elbe  (Rolland,  l'aane  Pop.,  m.  170).  Willoughby, 
Hist.  Piscium  (1686),  p.  330,  ;i  propos  du  chromis  Ronde- 


NOMS.  DE   POISSONS  45 

letii  --  sparus  chromis  L.  <lil  :  «  Monachelle  Siculls  (1); 
Castagnole  Tuscis  el  Liguribus  »  :  puis  plus  loin  :  «  circa 
Cataniam  Siciliae  frequens  capitur  el  alibi  etiam  in  mari 
Mediterraneo  ». 

Le  sparus  chromis  L.  <isl  d'un  brun  châtain  (Cuvier, 
Règne  Animal,  n,  263),  d'où  son  nom  de  castagnole  (voir 
note  93);  son  nom  de  monachella  en  Sicile  et  ù  l'île  d'Elbe 
s'explique  sans  doute  aussi  par  sa  couleur.  On  peul  com- 
parer le  parm.  castagnoeula  =  gladiolus  communis  L.. 
plante  qu'on  appelle  eu  italien  monacuccia  (voir  Malas- 
pina,  Dizion.  l'arm. -liai.,  1850-9)  (2). 

112.  moUrneau 

On  lira  ;'i  la  noie  86  crac,  un  extrait  du  Journal  du  sue 
de  Gomberville,  où  l'on  parle  de  l'envoi  d'  «  ung  maque- 
reau, ung  mourneau,  el  ung  gros  vrac  ».  Maquereau  est 
clair  ;  vrac  esl  également  un  nom  de  poisson,  que  ce  soit 
un  hareng  ou.  comme  je  l'ai  cru,  un  labre  (3);  mais 
qu'est-ce  que  mourneau  ? 

11  esl  probable  qu'il  s'agil  d'un  poisson  ;  mais  alors  quel 
sérail  ce  poisson  ?  Ne  faut-il  pas  supposer  une  coquille, 
la  plus  ordinaire  de  loutes,  due  à  la  lecture  de  n  pour  //  ? 
On  lirail  alors  mouruau,  diminutif  de  mourue   =   munie. 

113.   l'r.  persègue,  persèque 

Raymond,  Dict.  Gén.  (1832)  a  un  article  :  <(  persègue 
ou  persèque,  s.  m.,  genre  de  poissons  de  la  division  des 
thorachiques  :  c'est  le  même  que  la  perche  ». 

Persègue  en  français  esl  un  nom  donl  se  sont  servis 
Daubenton,  Ilauy  et  Bonnaterre  dans  Y  Encyclopédie  Mé- 

1)  Traîna,  Vocabolxviplto  délie  Voci  Siciliane,  etc.,  Palermo,  1888 
cite  munacfidda,  «  sorta  di  pesciatello  ■•. 

(2,i  Cf.  aussi  l'adj.  monnehino  qui  traduit  le  parm.  colàr  d' maron 
dans  le  Dizion.  Parmigtano-ltaliano  de  l'eschiari. 

(3)  Voir  les  notes  37  et  80. 


|0  NOMS  DE  POISSONS 

thodique  pour  désigner  toute  une  série  d'espèces  de  pois- 
sons dont  la  perche  fournissait  le  type  :  ils  disaient  persè- 
gue perche,  persègue  loup,  persègue  sandat,  etc.,  pour 
indiquer  ce  qui  étaient,  selon  eux,  des  espèces  de  persè- 
gues.  D'autre  part,  c'esl  Lacépède  (Hist.  Nat.  des  Poiss., 
iv.  o!'.-)).  qui  a  attribué  à  une  famille  beaucoup  moins 
grande  le  nom  de  persèque  (<\'<>\\  persèque  perche,  etc.) 
qui  pourrai!  bien  venir  d'une  mauvaise  lecture,  persèque 
pour  persègue  (Cf.  d'après  Lacépède,  op.  cit.,  îv,  412  : 
«  petite  persèque  dans  Bonnaterre  »). 

D'où  vienl  persègue?  Très  certainement  d'Italie,  el  sans 
doute  de  persega,  cité  comme  nom  italien  de  la  perche 
par  Lacépède,  op.  cit.,  iv,  o99. 

Les  noms  italiens  des  perches  :  --  il.  persico,  pesce 
persico,  bologn.  pésce  perseghin,  parm.  pess  persegh, 
vénit.  persego  ou  persega  (ce  dernier  cité  par  hue/,  Dict. 
itul.-franç.,  éd.  1660),  tessin.  persego,  persigo,  pess  per- 
sigg,  Lac  majeur  persighin  pess  persighin  (perche  du 
deuxième  âge)  pess  persigg  (du  troisième  âge)  présup 
posent  un  type  *  persicus,  -a.  Le  type  antérieur  *  persus 
se  déduit  du  tosc.  perso,  perso  <li  fiume,  pesce  perso, 
nom  de  la  perche.  On  songera  aussitôt  au  grec  népxy  tiré 
de  radj.wéjBxoç,  noirâtre,  moucheté.  Il  devient  alors  clair 
qu'il  faut  identifier  perso  de  pesce  perso  avec  le  prov.  et 
franc,  pers,  adjectif  exprimanl  l'idée  de  foncé,  couleur 
foncée. 

Le  Dict.  Gén.  de  Eiatzfeld  el  Darmesteter,  à  l'art,  pers, 
adjectif  de  couleur,  dil  «pie  pers  esl  d'origine  incertaine 
el  croil  qu'il  l'an!  supposer,  en  latin  vulgaire,  un  adjectif 
*  persus  au  lieu  de  persicus,  de  couleur  de  pèche.  Il  fau- 
dra renoncer  à  cette  hypothèse.  Le  lai.  persicus,  pêcher. 
pers!*  mu,  persicum  malum, pêche, comparé  au  grec nspouri 
pêcher,  nipaio-j,  ffepTiicôv,  nspoixbv  j«Aov, pêche,   ne  laisse  aucun 


NOMS   DE   POISSONS  47 

doute  qu'il  s'agit  de  *  persicus,  persan  (('!'.  mec  nspauéç  per- 
san) ;  autre  esl  l'origine  du  lat.  * persus  el  de  son  dérivé 

*  persicus,  adjectifs  de  couleur;  *  persus  esl  [mur  un 
antérieur   *    /'(/(sus.    du    même   radical   que   perça   (Cf. 

grec  Tréaxo;.  irgoxvoç,    etc.). 

Grimm,  Deutsches  Wôrterbuch,  à  l'art,  bàrsich,  avait 
déjà  comparé  1»'  v.  el  moy.  h.  ail.  bersich  à  lit.  persico  : 
il  semble  fort  probable,  non  seulemenl  que  bersich   ■<  lai. 

*  persicus,  mais  aussi  que  l'ail.  Barsch,  moy.  Ii.  ail.  /eus. 
holl.  baars,  aus.  bears  (voir  nia  note  sur  /"//■  dans  la  //ce. 
des  /^.  Romanes,  xlviii,  193  sq.)  doivenl  être  rapprochés 
du  lai.  *  persus. 

114.   parm.  pess  .'/("// 
!.<■  parm.  /m'.s.s  .7/0//  =  labrus  iulis  L.  (Malaspina). 
Gto£i  esl  la  forme  locale  de  l'it.  ghiotto   <  latin  *  glidtus. 

115.  fr.  potine 

Kôrting,  dans  son  Etym.  U  76.  der  Franz.  Sprache  (Pa- 
derborn    1908).  a  inséré  : 

potine,  i'.  kleine  Sardine;  abgel.  v.  /"»/  ('.'  weil  dièse 
Fischchen  in  irdenen  Bûchsen  aufbewahrl  werden  ?) 

"Mi  voit,  par  les  points  d'interrogation,  que  l'auteur  ne 
tenail  pas  beaucoup  à  l'étymologie  qu'il  proposait  pour 
ce  potine,  qu'il  avail  pris  sans  doute  dans  Sachs-Villatte 
ou  dans  Littré.  <"cst  aussi  à  Littré  que  remonte  potinière, 
lilel   pour  prendre  le?  sardines. 

Je  ne  sais  où  Lit  lié  a  pris  son  potine,  mais  il  faut  évi 
demment  l'identifier  au  prov.  poutino.  Dans  le  vol.  m  de 
la  Faune  Populaire  de  Rolland,  on  trouve  :  Var  poutino 
=  petromyzon  Planai  (p.  07).  B.-du-Rhône  poutino  = 
clupea  sardina  L.  (p.  119  :  à  Nice  poulina  =  sardine 
dans  son  premier  état)  :  Var  poutino  =  cepola  taenia  (p. 
160).  L'abbé  Pellegrini  traduil  le  poutina  de  \ice  par  : 
«  peuple  de  sardines  et  d'anchois,  fretin  ». 


18  NOMS  DE  POISSONS 

Si  l'on  tient  compte  des  noms  qu'on  donne,  sur  la  côte 
méditerranéenne  de  la  France  aux  petits  poissons  du  genre 
ophidium  el  cepola  (Cf.  aussi  fr.  donzelle),  il  devient  clair 
que  poutino  doit  se  prendre  dans  l'acception  de  «  petite 
fille  ».  Cf.  prov.  poutino,  poutouno,  poulouneto,  poulain. 
jolie  petite  fille,  mignonne,  poupée,  etc. 

116.  \ alencia  pudenta 

Pudenla  =  stromateus  fiatola  à  Valencia  (pour  pudente 
<C  lat.  putentem),  ayant  sul>i  l'influence  assimilatrice  des 
tonnes  féminines  en  -a,  présente  un  cas  tout  à  fait  ana- 
logue au  fr.  puante. 

Voir    note  100   fiatola. 

117.  fr.  rotengle 

Le  leuciscus  erythrophtalmus  Cuv.  est  appelé  rotengle 
en  français  (Littré,  etc.).  On  trouve  quelquefois  rotangle. 

Cuvier,  Règne  Animal  (éd.  1829),  n.  276,  dit  /<-  rotengle. 
D'autre  part,  dans  Lacépède,  //(.s/.  \ul.  des  Poissons,  v, 
583,  on  trouve  /a  rotengle.  Lacépède  semble  être  le  pre- 
mier ;i  se  servir  de  l'expression  cyprin  rotengle;  avant 
lui,  pour  désigner  ce  même  poisson,  Daubenton,  Hauy 
et  Bonnaterre  se  sont  servis  de  cyprin  sarve,  où  suite 
est  pris  aux  langues  Scandinaves.  Mais  Lacépède  ne  dit 
pas  où  il  a  pris  rotengle. 

D'après  Rolland,  Faune  Pop.,  m.  141,  Schinz  affirme 
qu'on  se  serl  de  rotengle  à  Neuchâtel.  Bonhôte,  Glossaire 
Vèuchâtélois  (1807)  ne  le  donne  p;is.  Dans  les  dialectes  de 
l'Allemagne  méridionale  on  appelle  notre  poisson  rothauge 
(Cf.  fr.  œil  rouge  dans  Raymond).  Je  n'ai  pas  trouvé 
*  rothengel  :  il  me  semble  cependanl  sûr  que  c'est  la  seule 
façon  d'expliquer  rotengle,  qui  aurait  reçu  ce  nom  à  caus< 
de  ses  nageoires  rouges  comparées  aux  ailes  d'un  ange 
((  ï.  il.  aletta,  nageoire,  etc.). 


NOMS  DE   POISSONS  49 

118.   fr.   sagre 

On  sait  que  c'esl  du  turc  saghri,  zâgrl,  que  viennenl  l'it. 
zigrino,  sagri,  vénit.  sagrin,  fr.  chagrin  (premier  exem- 
ple du  Dict.  Gén.  de  1648),  peau  rugueuse  de  certains 
squales,  de  certaines  raies. 

Cela  explique  le  vénit.  sagrin  =  squatina  laevis  (squa- 
lus  squatina  L.)  dans  Carus,  Prodromus  Faunae  Wediter- 
raneae,  u,  515. 

Cela  explique  aussi  le  fr.  sagre,  nom  du  squalus  spinax 
I...  donné  tantôl  comme  masc.  (Boiste),  tantôl  comme  fémi- 
nin (Raymond),  dans  les  dictionnaires,  masc.  dans  Cuvier, 
Lacépède  el  Broussonnet.  Le  sagre  de  ces  naturalistes 
vient  du  génois  sagree  de  Willoughby,  Hist.  Piscium, 
Oxford,  1686,  p.  57,  où  Vee  final  est  sans  doute  une  gra- 
phie à  l'anglaise  destinée  à  reproduire  la  prononciation 
de  17  de  sagri. 

\  rejeter  dune,  à  mon  avis,  Fétymologie  de  Korting, 
Etym.  Wtb.  der  Franz.  Sprache,  1908,  qui  voudrait  voir 
dans  sàgre,  nom  du  squale,  le  même  mot  que  sacre 
(    <<  arab.  çaqr),  nom  d'oiseau  de  proie. 

119.  fr.  sauclet 

A  la  page  216  de  son  De  Piscihus  Marinis  (éd.  1554), 
Rondelet  a  cité  le  marseillais  sauciez  (au  pluriel)  comme 
nom  des  athérines.  A  côté  de  la  forme  sauclet,  qui  esl  la 
lionne,  un  trouve  enregistré  dans  certains  dictionnaires  : 
soucies  (qui  vient  de  l'index  de  Rondelet  el  qui  esl  dans 
Cotgrave)  el  les  coquilles  sancles  (Dict.  de  Chambaud, 
éd.  1815,  Fleming  et  Tibbins,  éd.  1844,  etc.),  sauciel 
(Bouillet). 

Rolland,  Faune  Pop.,  m,  158,  a  cité  saouclet  (Cette), 
sauciel  (Var)  =  genre  atherina  Cuv.  C'est  encore  le  même 


50  NOMS  DE   POISSONS 

mot  que  ciouclé  (B.-du-Rhône),  ceouclé  (1)  (Var)  —  spams 
zébra  el  sparus  passeroni  (Rolland,  "/>.  cit.,  m.  170). 

I»;uis  son  Dictionnaire  Languedocien-Français,  éd.  1785, 
l'abbé  de  Sauvages  a  inséré  saoucletta  =  serfouette  H 
ceoucha  =  sarcler,  ('couda,  ici.  remonte,  comme  le  v. 
prov.  serclar,  au  Lat.  sarculare.  C'est  de  même  que  le 
saouclei  de  Cette,  nom  d'athérines,  esl  dérivé  du  lai.  cïrcu- 
luin  (Cf.  niç.  sercle,  seucle        cercle). 

L'athérine  a  tiré  ce  nom  de  saouclet  <>u  «  polit  cercle  » 
de  la  bande  <|ui  lui  passe  à  peu  près  toul  autour  du  corps  : 
c'est  celle  même  bande  qui,  comparée  à  l'élole  «lu  prêtre, 
a  valu  les  noms  de  prêtre,  prêtrot  a  Vaiherina  presbyter. 

Pour  terminer,  je  remarque  qu'Avril,  Dict.  Provençal- 
Français,  Api.  L839,  cite  ciouclei  =  1°  melel  (c'est-à-dire 
l'athérine);  2°  caramboou,  c'est-à-dire  crevette. 

120.  fr.  saurel,  sieurel,  suvereau 

Cotgrave  a  mis  dans  son  dictionnaire  ces  trois  noms 
du  caranx  trachurus  Cuv.  et  les  a  traduits  par  Fangl. 
bastard  mackerel  iCf.  fr.  maquereau  bâtard). 

Le  caranx  trachurus  porte  des  noms  qui  se  diviseronl 
en  deux  groupes  : 

(a)  1rs  dérivés  du  lai.  saurus  (Cassiodore),  sauru  en 
Sicile,  sauro  à  Home,  surellu,  suredda  en  Sardai- 
gne,  sorell  à  Iviça,  saurel  dans  la  Narbonnaise, 
d'après  Rondelet  (De  Pisc.  Marin.,  p.  233),  à  qui 
Cotgrave  l'a  pris.  Oe  le  trouve  dans  Cuvier  (Règne 
Animal,  n.  207)  cl  dans  divers  dictionnaires,  par 
exemple  dans  Sachs-Villatle,  comme  nom  français 
<\c  ce  poisson. 


(1)  Le  ceduclet  du  Var  cité  par    Rolland  est  évidemment    une    faute 
de  lecture  pour  ceouclet. 


\o\l^   DE   POISSONS  •>  I 

Saurus   veut   dire   primitivemenl    lézard   (Cf.   le   grec 
craûpoç,   a-aûpa,    lézard;   c'esl    aussi  un    in  un   de   pois- 
son).   Ce   nom   a    été   donné    par   une   analogie   de 
forme,    au    caranx   trachurus.    <mi    peul    comparer 
Fit.  laccrto   -    maquereau. 
(10    les    dérivés    du    latin    sûber ,     *  subcrûs    (cf.    l"il- 
sovero,  port,  sobre),  nom  du  liège;  *  sûber  .    *  sû- 
berus.    Pour  justifier   l'attribution   de  divers   noms 
du  caranx  trachurus  au  radical  de  suber,  je  citerai 
le  vénit.  suro   =   caranx  trachurus  el  suro  (liège); 
l'it.  sugarello  (ei  sugherello  à  l'île  d'Elbe)  =  caranx 
trachurus  el  l'it.  sughero,  sugharo,  noms  à  côté  de 
surern.  suvaro  (Duez,   Dici.   //<(/.-/>..  éd.    1660),  du 
liège  :  suicvcnu  du  Var,  suuereou,  severeou  des  B.- 
du-Rhône  =  caranx  trachurus  el  le  prov.  suue  (  <; 
*  sîtberem)    liège;  enfin   le  prov.  sieurel  =    caranx 
trachurus,  cité  par  Rondelet  (1).  qu'il  faut  comparer 
au  prov.  sioure,  liège,  siure  à  Saint-Pons  (Hérault) 
d'après  Barthès. 
(  )u  peul  expliquer  que  le  nom  du   liège  ail   été  donné 
au  maquereau  bâtard  par  1rs  nuances  jaunâtres  ou  dorées 
qui  distinguenl  ce  poisson  II  faul  lire  les  notes  39  aurion, 
62    horreau  pour  certains  noms  du  maquereau  ordinaire, 
qui  viennent  de  ses  couleurs  dorées;  el  lire  aussi,  sur  les 
couleurs  du  maquereau  bâtard,  le  passage  suivant  tiré  de 
Day,  British  Fishes,  î.  215  : 

«  (  >l'  a  dark  bluish  along  the  back  and  so  low  as  the 
latéral  line,  beneath  whieh  il  becomes  silvery,  glossed 
wilh   purple  and   gold...    Edwards   remarks   thaï   he  once 

(1)  De  Pisciltus  Marinis,  Lyon,  1554,  p.  233  :  où  le  mot  est  mal  im- 
primé ft  où  il  serait  facile  de  lire  Sieurel;  Valmont  de  Bomare  ne 
manque  pas  de  donner  sieurel  à  côté  de  sieurel  et  je  remarque  que 
dans  son  Essai  d'un  Dict.  Niçois  l'abbé  Pellegrini  écrit  deux  fois 
sieurel  (art.  gora,  sciauro). 


.iV  NOMS  DE   POISSONS 

Found  a  rather  strange  variety  <>|'  ihis  species  in  Banffshire. 
Il  w;is  aboul  Ihe  usual  size  bul  of  a  most  beautiful  golden 
colour,  liurl\  striped  and  variegated  with  numerous  lines 
of  the  brightesl  blue,  excepl  Lhe  fins,  which  were  of  the 
fines!  carminc.  » 

Enfin,  on  peul  compare^  pour  l'attribution  du  nom  du 
liège  à  un  poisson  pour  <lcs  raisons  tirées  de  ses  belles 
couleurs,  divers  noms  anglais  des  labres  cl  surtou!  ceux 
du  crenilabrus  melops  el  de  ses  variétés  :  corkling,  cork- 
sinny,  corkwing  dans  Day,  Brilish  Fi*lws.  i.  253,  '-Jnl  (*~J). 

(  )n  a  vu  que  Cotgrave  avail  pris  son  saurel  el  son  sieurel 
à  l'ouvrage  de  Rondelet  :  quanl  à  son  suvereau,  il  le  donne 
lui  même  comme  marseillais  ;  il  faul  donc  n'y  pas  voir 
autre  chose  que  le  sure/cou  des  Bouches-du-Rhône,  que 
j'ai  déjà  cité. 

L21.  vénit.  scarpolero 
Voir  noie  9'J.  vénit.  caleghero. 

122.   l'r.  sieurel 
Voir  note  120,  l'r.  saurel,  etc. 

123.  l'r.  suvereau 
Voir  note   120,  lï.  saurel,  etc. 

124.  lai.  *  taranla,  *  hn 'anlula 

De  Tarentum,  *Tarantum  (grec  répeç,  rapavr»),  d'où  l'ii. 
l'aranto,  nom  de  la  ville  bien  connue  de  l'Italie  méridio 
unie  mi  a  eu  un  type  latin,  *  taranta,  diminutif  *  taran- 
tula,  *  tarantella,  d'où  divers  noms  de  la  tarentule  (lycosa 
tarentula)  : 

Cl)  Cf.  aussi  awiol,  nom  d'un  labre  dam  Rondelet,  De  Fisc.  Marin., 
179. 


NOMS   DE   POISSONS  53 

(a)  prov.  laranta  :  v.  fr.  tarente  (Godefroy  donne  trois 
exemples  tirés  de  G.  de  Coincy,  de  Hélinand,  de 

Marc    Pol)  ;    port,    taranta.    Cf.    tarant   gl.    scorpio 
dans  le  l  ocabularius  Optimus  et  cité  par  Diez. 
(h)  il.  tarantola  (Cf.  fr.  tarantole  dans  Duéz)  taran- 
lella;  esp.  tarantola;  port,  tarantela. 
La  piqûre  de  la  lycosa  larentula  produisant  une  affec- 
tion nerveuse  dite  tarentisme,  on  a  donné  en  Italie  le  nom 
de  tarantella  (d'où  fr.  tarentelle)  à  divers  airs  qu'on  jouait 
aux  malades  atteints  de  cette  affection.  Cf.  dans  Godefroy 
un  ex.  du  v.  fr.  tarente,  au  sens  de  danse,  tiré  du  Ln/c 
de  Matheolus,  de  Jean  Lefebvre. 

On  a  donné  des  noms  tirés  de  notre  radical  à  divers 
autres  animaux,  parce  que  le  peuple  a  cru.  à  tort  ou  à 
raison,  qu'ils  étaient  nuisibles   : 

(a)  au  cousis  ligniperda  L.  :  parm.  tarântla  (Malas- 
pina)  ; 

(b)  à  Yoriolus  galbula  L.   :  it.  taranto,  loriot  (Duez)  : 

(c)  au  genre  gecko  et  notamment  au  gecko  fascicula- 
lis  :  it.  tarantola  ;  prov.  taranto  ;  fr.  tarente  (Sachs- 
Viilatte). 

Celte  attribution  au  gecko  fascicularis  des  noms  de  la 
tarentule  est  importante,  parce  que  c'est  là  ce  qui  explique 
qu'on  a  donné  les  noms  tirés  de  *  taranta  à  divers  pois- 
sons, qu'on  compare  à  des  lézards  : 

(a)  au  salmo  sauras-  L.,  osmerus  saurus  Lac.  (1),  sau- 
rus  griseus  :  à  Rome  tarantola,  pesce  tarantola  ; 
i'r.  tarentole  (Sachs-Villatle.  qui  y  verrait  un  em- 
prunt au  provençal).   Cf.  les  noms  suivants  de  ce 

(1)  Lacépède,  Hùt.  Nat.  das  Poisn.,  V.  235-236  donne  les  indications 
suivantes  sur  ce  poisson  :  *  corps,  dos,  tête  très  allongés,  dos  vert  mêlé 
de  bleu  et  de  noir,  dents  très  fortes  conformées  et  disposées  comme 
celles  de  plusieurs  lézards  ». 

5 


o4  NOMS  DE   POISSONS 

poisson    :  Naples  lacerta  <lc  funnall,  il.   lacertola, 
niç.   lambert  :   ail.   gem.einer  Eidechsenlachs,   See~ 
eidechse,  angl.  sea-lizard. 
(b)  au  callionymus  dracunculus  L.  :  Var  laranto  (Rol- 
land, Faune  Pop.,  m.   156).  Cf.  dans  Rondelet,  /Je 
/'im.   Matin.,   p.  304   son   nom   provençal  de  lacert 
(pour  lazert),  el  niç.  iamber/  =    callionymus  lyra  L. 
Pour  Til.  tarantello,   jeune  thon  (scoidIkt  thynnus  L.), 
tarantello,  tarantella,  ventre  mariné  du  thon  (Duez,  etc.), 
lire  dans  Rondelet,   De  /'/se.   Marin.,   p.  249,   le  passage 
suivant   : 

[Orcynus]  capitur  in  noslro  quoque  mari  et  Thyrreno. 
Membratim  et  in  assulas  disseclus  sale  conditur,  et 
in  eadis  asservatur.  Nostri  tonnine  appellant,  Itali 
tarantella   a   Tarentino,   unde   advehitur,   sinu. 
L'explication   de  Rondelet  est  possible  mais  peu  sûre, 
selon  moi.  11  se  pourrait  qu'ici  encore  il  y  eût  eu  compa- 
raison  à    la   forme  du  lézard  ;   je   rappelle   à   ce   sujet   le 
grec  xosSy/ïî,  jeune  thon,  à  côté  de  zo^âùÀo;,  sorte  de  lézard 
d'eau. 

125.  esp.  torbandalo 

Au  chapitre  xi  (De  Zygaena)  du  livre  xm  du  De  Piscibus 
Marinis  de  Rondelet  (Lyon,  1554,  p.  389),  on  trouve  cer- 
taines indications  sur  les  noms  populaires  du  squale  dit 
marteau,  et  entre  autres  choses  on  lit  :  «  Massilienses  peis 
ïouziou  apellant...  fîispani  peis  limo,  lîmada,  loilan- 
dalo  ». 

Ce  loilandalo  a  eu  une  certaine  fortune  ;  dans  le  Glos- 
sarium  de  Ducange,  un  article  lui  est  consacré  ;  il  se  re- 
trouve dans  le  Vocabularum  Hispanico-latinum  et  Angli- 
cum  (Londres,  1617)  de  John  Minsheu,  qui  doit  l'avoir 
pris  à  une  édition  du  livre  de  Rondelet;  c'est  à  la  même 


NOMS  DE  POISSONS  55 

source  qu'a  évidemment  puisé  Lacépède  (Hist.  Nat.  des 
Poiss.,  i,  257),  quand  il  affirme  que  peis  limu,  lima,  toi- 
landolo,  sont  des  noms  du  marteau  en  Espagne,  seulement 
il  écrit  toilandolo  pour  le  toilandalo  qu'on  trouve  dans 
Rondelet. 

Or,  ce  toilandalo,  les  dictionnaires  espagnols  semblent 
absolument  l'ignorer.  En  revanche  on  trouve  marteau  tra 
duit  dans  le  Dict.  Franc. -Esp.  de  Cormon  (éd.  1803),  par 
«  torbandalo,  pez  grande  de  mar  »,  ce  qui  fait  croire  que 
toilandalo  est  le  résultat  d'une  faute  de  lecture  pour  tor- 
bandalo. 

Quelle  serait  l'origine  de  torbandalo,  qui  remonte,  si 
j'ai  raison,  jusqu'à  1554  ?  Je  crois  que  l'imagination  popu- 
laire a  saisi  un  rapport  de  ressemblance  entre  la  tête  si 
curieuse  du  marteau  et  une  tète  coiffée  d'un  turban.  Lit., 
esp.,  port,  turbante,  le  fr.  tulban,  turban,  l'angl.  turbanl, 
turband,  turban  sont  plus  récents  que  d'autres  formes  du 
mot  où  l'on  a  o  pour  u  ;  le  tolliban  de  Commines  (vin,  5), 
le  tolipan  de  Jean  de  Maumont  (Romania,  xxxv,  411),  le 
tolopan,  loliban,  lourbant  de  Cotgrave,  le  tourban  qui 
traduit  le  flam.  turbant  dans  Mellema,  Den  Schat  der 
Duytscher  Taie  (1030),  Fit.  torbante  (dans  Duez,  Dict. 
ital.-franç.),  etc..  On  peut  supposer  que  l'esp.  torbandalo 
(  =  zygaena  malleus)  se  rattache  à  cette  série  antérieure. 
Pour  le  suffixe,  on  comparera  l'esp.  bonito,  bonitalo,  noms 
du  scomber  pelamys  L. 

126.  auvergnat  vergne 

Les  aunes  ne  prospèrent  que  dans  les  lieux  humides 
ou  même  baignés  d'eau  :  leurs  racines  longues  et  entre- 
lacées sont  propres  à  fixer  le  sol  des  rivages. 

Or,  le  leuciscus  phoxinus  Cuv.  tire  quelques-uns  de  ses 
noms  de  ceux  des  aunes  ;  c'est  sans  doute  qu'il  recherche 


56  NOMS  DE  POISSONS 

les  fonds  pierreux  ou  sablonneux  «les  rivières,  sur  les 
bords  (lesquelles  croissenl  ces  arbres,  riions  l'ail.  Elritze, 
v.h  .  ail.  erlinc,  ellerling  en  basse  Saxe.  Eller,  Ellchen 
dans  le  Luxembourg  allemand. 

Pour  les  dialectes  de  la  France,  on  a  vernhe,  nom  donné 
à  une  variété  de  véron  qui  habite  le<  lacs  de  Bord  et  de 
Saint-Andéol  des  montagnes  d'Aubrac  (Auvergne),  d'après 
Bonnaterre  (Lacépède,  Hisi.  Nat.  des  Poiss.,  \.  579).  Rol- 
land. Faune  P<>i>..  m.  L39,  a  comme  noms  «lu  leuciscus 
phoxinus  Cuv:  bergne,  bergnolo  à  Toulouse,  vernieiro, 
loco  vernieiro  dan-  le  Gard. 

L'anguille  la  plus  commune  de  France,  selon  Cuvier, 
porte  le  nom  d'anguille  verniaux  (Règne  Animal,  n,  349). 
Je  n'ai  pas  retrouvé  ailleurs  celle  désignation,  où  verniaux 
est  évidemment  un  adjectif.  Il  se  pourrait  que  verniaux 
soit  aussi  un  dérivé  de  *  vernium,  aune,  puisque  les  an- 
guilles ont  l'habitude  de  se  cacher  durant  la  journée  sous 
les  racines  des  arbres  croissant  au  bord  des  rivières. 

Il  est.  intéressant  de  comparer  un  nom  anglais  de  truite 
donné  par  Day,  British  Fishes,  u,  103  ;  je  cite  tout  le 
passage  : 

Aller-float,  or  aller-trout,  tlus  refers  to  a  large  one 
frequenting  a  hole  in  a  retirée!  or  shady  portion  of 
a  brook  under  the  roots  of  an  aider  tree.  In  Here- 
fordshire  there  is  a  country  proverb  respecting  the 
«  aul  »  or  «  aider  »    : 

When  the  bud  of  the  aul  is  as  big  as  a  trout's  eye, 
Then  the  fish  is  in  season,  in  the  river  Wye. 

127.  sic.  vopa,  vuopa,  etc. 
Aux  dérivés  du  grecfiôwjra  i  cl[è&  à  la  note  44,  il  con 
vient  d'ajouter  le  néapolitain  vopa,  le  sicil.  vuopa,  vopa 
à    Palerme   boba.    à    Messine  opa,    uoppa),    à»    Tarante 


NOMS  DE  POISSONS  57 

ruopa,  à  Malte  vopa,  à  H i mini  et  ;'i  Chioggia  boba,  à 
Venise,  à  Triesle  bobba,  à  Fiume  buba  (('unis,  Prodro- 
mus  etc.,  ii.  636). 

M.  Merlo,  dans  un  article  «  Sul  trattamento  degli 
sdruccioli  nel  dialetto  di  Molfetta  »  (Memorie  delV  Acca- 
demia  délie  Seieiize  di  Torino,  1908,  p.  159),  mentionne 
vopa  pour  la  Calabre  et  vouepe  pour  Molfetta,  et  tire  de 
ces  tonnes  la  preuve  que  l'o  d'un  bopa  primitif  était 
bref  dans  l'Italie  méridionale. 

C'est  le  traitement  phonétique  de  la  In  labiale  intervo- 
catique  qui  semble  offrir,  dons  les  formes  que  nous  avons 
eitées,  le  plus  de  difficultés.  Il  est  très  possible  que  le 
type  primitif  se  soif  présenté  sous  diverses  formes  pho- 
nétiques. Quoi  qu'il  en  soit.  Carus,  op.  et  loc.  cit.,  cite, 
pour  la  Grèce  moderne,  yôvna,  (fo/rca,  aTiôrx. 

Université  de  Leeds,  31   juillet  1909. 

Paul  Barbier  fils. 
(A  suivre.) 


CONTRIBUTIONS 

A    LA 

BIBLIOGRAPHIE  DES  PLAINTES  DE  LA  VIERGE 


I.  —  Une  cinquième  traduction  française  du 

TUACTATUS     DE       l'LAN'CTU      KEATAb:     MAR1AE      VIRfilNIS 
(Bibl.  nat.  fr.    24.433). 

Le  moment  le  plus  tragique  de  l'histoire  de  la  Passion, 
la  Vierge  pleurant  son  fils  crucifié,  n'a  pas  seulement 
inspire  à  de  nombreux  peintres  des  créations  plus  ou  moins 
artistiques,  mais  il  a  aussi  fourni  le  sujet  d'un  grand  nom- 
bre de  compositions  littéraires.  Des  nombreux  traités  la- 
tins en  prose  sur  ce  sujet,  c'est  celui  dont  on  lit  ci-dessus 
le  titre,  qui  a  été  le  plus  en  vogue,  au  moins  en  France. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  disserter  sur  la  question  de 
savoir  qui  doit  être  considéré  comme  l'auteur  de  cette 
composition,  que  les  manuscrits  attribuent  à  divers  écri- 
vains ecclésiastiques.  Je  me  contente  de  dire  que,  par 
exemple,  les  manuscrits  de  la  Bibliothèque  Nationale 
1768,  1802  du  fonds  français,  et  4510  des  nouvelles  acqui- 
sitions, l'attribuent  à  saint  Bernard,  tandis  que  par  exem- 
ple le  manuscrit  937  de  l'Arsenal  prétend  que  ces  paroles 
sunt  de  saint  Augustin  (1).  Lorsque,  en  1907,  je  publiai 
une  note  sur  ce  Tractatus,  on  en  avait  déjà  signalé  quatre 
traductions    françaises    conservées    dans    dix    manuscrits, 

(1)  Sur  cette  question    on   peut  voir  Alfred   Linder,  Plainte    de  la 
Vierge  en  vieux  vénitien,  Upsala,  1898,  introduction,  p.  clxxvi. 

(2)  Un  nouveau    manuscrit  fiançais    du  Tractatus  de  planctu  beatae 
Mariae  virginU  (Neuphilologische  Mitteitungen,  1907,  p.  33-6). 


RII5T  IOGRAPHIt:   DF.S   PLAINTES   DE    I  \    WF.RGE. 


59 


sans  compter  une  version  rimée  (I).  Au  onzième  manus- 
crit, que  je  signalai,  M.  1'.  Meyer,  dans  son  compte  rendu 
de  mon  article  (2),  ajouta  un  douzième.  Aujourd'hui  je 
voudrais  signaler  un  manuscrit  qui  non  seulement  n'a 
jamais  été  mentionné  à  ce  propos,  mais  donl  le  \r\\r  doit 
être  considéré  comme  une  traduction  indépendante  des 
quatre  autres. 

I.-'  manuscrit  français  24433  de  la  Bibliothèque  Natio- 
nale contient  des  chroniques  et  divers  écrits  pieux  dont 
on  trouvera  la  mention  détaillée  dans  le  <  atalogue  de 
19U"2.  Le  Tractatus,  que  le  Catalogue  désigne  comme  «  ser- 
mon sur  la  Passion  ».  a  été  transcrit  avec  peu  de  soin, 
sur  papier,  par  un  copiste  <\u  XVe  siècle.  Cette  composi- 
tion est  suivie  d'une  Vie  de  saint  Denis  en  forme  de  prière 
(18  quatrains  d'alexandrins)  (•">). 

Comme  on  n'a  jamais  donné  d'échantillons  de  la  qua- 
trième traduction,  je  mets  ci-dessus  quelques  passages 
de  cette  traduction  en  regard  des  passages  tirés  du  manus- 
crit 24  133. 


Bibl.  de  1  Arsenal  937.   fol.  114a. 
Ces  paroles  sunt  de  saint  Augustin. 

QUIS   DABIT  CAPITI   HEO    AQIAM    ET 

OCULIS      MEIS       YMBREM     I.ACRIMAROI 
UT  POSSIM  FLERE,  ETC. 

Ces  paroles  sunt  en  Jeremie  et 
valent  autant  en  franrois  :  Qui  donra 
aiguë  a  mon  chief  et  a  mes  yax  pluie 
de  larmes  que  je  puisse  ploureir  nuit 
et  jour  desque  Jhesucriz  apeire  a  son 
serjant  en  vision  ou  en  songe  por 
m'ame  conforteir  ?  O  a-os.  filles  Jéru- 
salem, chieres  espouses  Dieu,  ploureiz 
avuec  moi  desque  nostre  biaus  sires 
debounaires  se  moustre  a  dos.  So- 
viegne  vos  et  peneeis  entent ivement 
cum  c'est  ameire  chose  de  départir 


B.   nat.   fr.  24433.fol.  181  ro 

Qui  a  mon  chief  donra  eaue  pour 
plorer  et  a  mes  ieux  fontaines  de  larmes 
que  je  puisse  plourer  nuit  et  jour  jus- 
ques  a  tant  que  nostre  sire  s'apparisse 
a  moy  son  sergent  en  \-eillant  ou  en 
dormant  pour  conforter  m'ame  ?  O 
vous  filles  de  Jherusalem  ,  espousees  et 
amees.  plourés  ensemble  avec  moy 
jusquez  a  tant  que  nostre  beaux 
amis  débonnaire  seurA'iensme  entre 
nouz.  Recordez  comment  amere  chose 
est  d'estre  dessevrees  de  celui  a  qui 
vousestes  donneeset  touttes  sainctetés 
de  vous  avez  riens  voué  (sic).  Rendez  a 
Dieu  voz  veuz.  Vous  estes  vouées  a 
Dieu    Jhesuscrist.    Rendez    luv    voz 


(1)  P.  Meyer.  Row.,  XV.  p.  309. 

(2)  Bon,.'.  XXXVII,  p.  623. 

(3)  V.  P.  Meyer,  Hist.  litt.,  XXXIII,  p.  345. 


m 


BIBLIOGRAPHIE   DES   PLAINTES   DE    LA    VIERGE. 


amez.  Aournez  vous  ,  filiez ,  coures 
vierges   saintes,  courts   martyrs   qui 
avez  voué.'chasteé  a  Dieu,  coures  a  la 
vierge  qui  portaJhesucrist.  Elle  porta 
le  roy  de  grâce  pour  pardonner  a  tous 
ceulx  qui  de  bon  cuer  luy  demandent. 
Elle   l'enfanta,   elle   l'alaicta  et   cir- 
consist  a  l'utiesme  jour  et  présenta  au 
temple  au  quarantiesme  jour  et  sy 
ofTri  pour  (pour)  luy  doux  turtereles 
el  deux  paires  de  coulons.  Elle  s'enfui 
.h  Egipte  par  paour  du  roy  Herodee 
(sic)  alaitant  son  filz  et  nourrissant 
et  ot  la  cure  de  luy  et  elle  le  ensiuoit 
par  toux  lez  lieux  ou  il  aloit.  Je  croy 
fermement  qu'elle  fu  entre  lez  dames 
qui  l'ensuivoient  et  qui  lui  adminis- 
traient. Nulzne  ce  doit  merveillier  se 
elle  l'ensui  voit  partoux  lez  lieuz  ou  il 
aloit,  car  il  estoit  ses  douceurs  et  ses 
désirs.  Je  cuit  que  elle  fu  dolente  et 
gemisant  entre  celles  qui  p[l]ouroient 
Nostre    Seigneur   ensurquetout.    Elle 
p.  ut  cstre  entre  les  famés  de  Jhesusa- 
lem    (sic)    ausqueles    Jhesucrist,  qui 
n'estoit   pas   eslevez   par  seignourie, 
mais    estoit    plains    de    reproichez, 
bleciez   d'espinez    et  tourmentez   de 
douleurs,  portant  la  croix,en  l'angoisse 
de  la  mort  s'escria  et  dist  :  iO  vous 
filles  de  Jherusalem,  ne  plourôs  pas 
pour  moy,  mais  pour  vous  et  pour 
voz  enfans  >.  Dont  ne  cuides  tu,  dame 
du   monde   la  moy   (?)  de   la  mère 
Jhesuscrist,  que  ce  soit  voir  que  je 
di  ?  Pour  quoy  je  te  pri,  honneur  de 
paradis,  joie  du  ciel,  di  moy  qui  suis 
t'ancelle,  la  vérité  de  ceste  chose.  Mais 
je  n'oblie   mie   la  douleur  de  quoy  je 
ne  doubt  mie  que  tu  souffrises  (sic) 
lors.  Je  vouldroie  qu'elle  fust  chascun 
jour  en  mon  cuer  si  comme  elle  fu  lors 
en  toy.  Je  vouldroie  que  tu  me  mous- 
traces  lez  douleurs  que  tu  euz  jusquez 
l/.181c°]  aujourquetu... 

Je  cite  encore  un  autre  passage  d'après  les  deux   manus- 
crits : 


de  celui  a  cui  vos  estes  mariées  et 
a   cui  vos   estes   douneies   en   toute 
saintei.  Vos  aveiz  voei,  rendeiz  le,  vos 
estes  voees  a  Dieu,  rendeiz  vos  a  Dieu. 
Coureiz  filles,  coureiz  saintes  virg 
coureiz  meires  qui  aveiz  a  Jhesucrisl 
voei  chastei.  Coureiz  a  la  sainte  virge 
qui  porta  Jhesucrist.  Ele   porta  le  roi 
de  gloire  qu'ele  donra  a  touz  ceusqui 
le  requerront.  Ele  l'engenra  et  alaita 
el  circoncisl  a  l'uitiesme  jour  e1  au 
quarentieme  le  présenta  ou  temple  •  I 
offri  porlui.ij. tourtercles ou. ij. coulons 
en  sacrefice.    Et    por  la  paour  dou 
mi  Herode    l'en  porta  pn  Egypte  el 
alaita  et  nourri  et  si  grant   cure  en 
avoit  qu'ele  le  sivoit  tout  la  ou   il 
aloit.Ce  croi  je  qu'ele  estoit  entre 
lesfenmes  quisivoient  Jhesucrist  et  li 
ministroient.  Nus  ne  se  doit  merveillier 
s'ele  le  sivoit,  car  il  estoit  sa  douçours 
et  ses  desiers    Je  croi  qu'ele  estoit 
avuec    ces    fenmes    qui    plouroient 
Jhesucrist  quant  il  fu  mis  ou  sepucre. 
Ele    estoit   par   aventure    entre    ces 
fenmes  cui  il  apela  filles  Jérusalem 
quant  il   fu  si  vilment  meneiz,   lai 
dengiez  et  batuz  et  il  dist  :   «  Filles 
Jérusalem,  ne  ploureiz  pas  por  moi, 
mais  por  vos  et  pour  vos  enfans  ». 
O  douce  dame,  dame  dou  monde,  meire 
Jhesucrist,  en'est  ce  \jol.  114  fcjvoirs 
que  je  di?  Dame,  je  te  proi  que  tu 
dies  a  ton  serjant  la  joie  dou  ciel  et 
de  paradis  et  la  veritei  de  ceste  chose. 
Oublie  la  dolour  que    tu   soustenis. 
Je  vodroie  que  ceste  dolours  fust 
adès  en  moi  que  tu  adonc  sentis.   Je 
vodroie  que  tu  me  moustrasses   les 
larmes  que  tu  ploras  quant  tu  mon- 
tas es  cials  por  estre  en  joie  avuec  ton 
ami    Jhesucrist... 


BIBLIOGRAPHIE   DES   PLAINTES   DE   LA    VIERGE. 


61 


!/•'.  114  c°6]  Je  plouroie  en  disant 
et.  disoie  en  pleurant  :  «  Mes  fix,  nies 
fix,  lasse  mi,  lasse  mi!  Qui  m<'  donra 
que  je  muire  por  toi?  Lasse  chaitive, 
que  ferai  je?  Li  fix  muert,  et  por  quo1 
ne  muert  avuec  lui  sa  très  dolante 
meire?  Mes  fix,  mes  fix,  amors  entière, 
douz  fix,  ne  me  laisse  pas!  Trai  moi 
après  toi  et  fai  que  je  muire  avuec  toi. 
Tu  morras  mauvaissement  seul,  se 
avuec  toi  ne  muert  ta  meire.  0  mors, 
ne  m'espargne  pas.  Je  te  désir  plus 
que  nule  rien.  Pren  ta  force,  ocis  la 
meire  avuec  l'anfant.  Biaus  fîx,  ma 
douçors  et  ma  joie,  la  vie  de  m'ame 
et  touz  mes  confors,  fai  que  je  muire 
maintenant  qui  te  portai  et  or  te  voi 
morir.  Biaus  fix,  conois  ta  chaitive 
meire  et  fai  ce  que  je  te  proi.  Car  li  li.\ 
doit  bien  faire  la  proiere  sa  meire. 
Fai  ce  que  je  te  requier,  si  me  lai  morir 
avuec  toi,  si  que  nostre  amors  et  nostre 
cors  muirent  ensamble.  O  chalif  Gyu, 
félon  Gyu,  ne  m'espargniez  pas.  Puis 
que  vos  crucefiiez.  mon  enfant,  cru- 
cefiiez  la  meire,  ou  vos  m'ociez  d'autre 
crueuse  mort,  mais  que  je  muire  avuec 
mon  fil.  Lasse,  por  quoi  muert  il  seul? 
O  félon  Gyu,  vos  me  toleiz  mon  enfant 
et  au  monde  sa  clartei  et  sa  joie  et  sa 
douçour.  Ma  vie  muert  (muert)  et  mes 
fix  seus  est  ocis  et  toute  m'esperance 
est  osteie  de  terre.  O  por  quoi  vit 
[/.  115]  la  meire  après  la  mort  son  en- 
fant? O  mors,  tu  ne  m'espargnes  pas 
mon  enfant  :  n'espargne  pas  la  meire, 
mais  soies  crueuse.  Molt  avroie  errant 
joie  se  je  moroie  avuec  mon  enfant. 
La  mors  est  douce  a  chaitive,  mais  ele 
ne  vient  pas  quant  on  la  désire. 
Biaus  fix,  la  mors  te  vient  tost.  Miex 
est  il  que  je  muire  que  ce  que  je  maine 
vie  de  mort.  Mais  la  mors  me  fuit  et 
me  lait  chaitive  et  dolante.  Or  la  desi- 
roie  je  molt.  O  chierz  filz,o  debounaires 
enfes,  reçoi  la  proiere  ta  dolante  meire. 
Ne  li  soies  pas  durs  qui  as  estpi 
debounaires  a  touz.  Reçoi  moi  en  la 


| /■'.  182  -le  le  regardoie  en  plorant 
et  disoie  :  c  He  biau  tresdouls  filz, 
he  biau  tresdouls,  lasse  doulente.  qui 
me  donra  que  je  muire  pour  toy?  O 
vous  faulx  juifs  que  vous  (sic)  a 
mon  enfant  meffait.  Ha  lasse  dou- 
lente, pour  quoy  ne  muir  je  avec  mon 
enfant?  O  faulx  Juifs,  crucifiés  moy 
avec  mon  enfant.  O  Dieu,  chetive, 
que  feray?  Mon  filz  muer!  !  Pour  quoy 
[/.  1S2  i'°]  ne  mur  je  avec  lui  qui  suis 
sa  Iristre  mère?  He  biau  filz,  une  seule 
amour,  he  beau  filz  tresdoulx,  ne  me 
dejette  pas,  tray  moy  après  toy  si  que 
je  puisse  mourir  avec  toy!  Tu  meurs 
seul.  Ta  mère  soit  occise  avec  toy.  O  tu> 
mort,  ne  me  veuilles  pas  espargnier. 
Tu  me  plais  sur  toutes  riens.  Montre  ta 
vertu  vers  moy  et  occis  ta  mère  em- 
samble  (sic)  avec  ton  (sic)  filz,  ma  seule 
douceur,  ma  (ma)  singulière  joie.  Otri, 
filz,  recognois  ma  prière,  la  chetive,  et 
sy  oi  ma  prière.  Il  avient  a  enfant 
que  il  oye  la  prière  de  sa  mère  en  lui 
depriant  qui  est  desconfortee.  Oy  moy 
orendroit  et  me  reçoy  en  ta  croix. 
Car  ceulx  qui  meinnent  {lisez  :  vien- 
nent) d'une  car,  s'entr'aiment  d'une 
amour,  doivent  périr  d'une  mort. 
O  chetifs  Juifs,  o  félons  Jeuifs,  ne 
m'espargniés  pas!  Puisque  vous  cru 
cifiés  mon  filz,  cruxifiés  la  mère,  tant 
que  je  muire  avec  mon  enfant.  Il 
meurt  seul  malement.  O  vous,  gens 
desvoiés,  vous  vuidiés  le  mond  en  (?) 
lumière  et  moy  de  mon  filz, de  ma  joie, 
de  ma  douceur  me  me  (sic)  meurt  et 
toute  ma  joie  et  mon  espérance  est 
ostee  de  terre.  Dieux,  pour  quoy  vit 
la  mère  en  douleurs  après  le  filz? 
Prenés  et  pendez  la  mère  avec  sa 
lignie!  Vous  n'espargniés  mie  mon 
filz,  dont  ne  m'espargniez  pas.  Mort, 
tu  es  trop  crueuse.  Certes  je  aroie 
grant  joie  se  je  pouoie  mourir.  He  lasse 
chetive,  j'ains  mieulx  mourir  de  mort 
que  mener  vie  de  mort.  O,  tu  me  laisses 
tropt  plaine  de  douleurs,  o  tu  filz  très. 


0? 


BNil  IOGRAPHIE  DES   PLAINTES  DE   LA   VIERGE. 


croiz,  qui  as  estei  debounaires,  avuec 
toi  si  que  je  vive  adès  après  la  mort. 
Certes  nule  chose  ne  m'est  plus  douce 
que  toi  enbracier  en  la  croiz  et  morir 
avuec  toi,  et  nule  riens  ne  m'est  plus 
priez  que  vivre  après  ta  mort.  Lasse 
moi,  tu  m'estoies  peires,  tu  m'estoies 
meire,  tu  m'estoies  mariz  et  filx,  tu 
m'estoies  tout.  Or  ai  perdu  mon  peire, 
or  sui  vefve  de  marit,  j'ai  perdu  mon 
enfant.  Biaus  filz,  j'ai  tout  perdu. 
Que  ferai  je  d'or  en  avant'/  liasse  moi, 
lasse  moi,  biaus  filz,  ou  irai  je,  tres- 
chierz  filz?  Tres-douz  fdz,  ou  me  tor- 
nerai  je?  Ou  troverai  je  confort  qui 
m'aidera  ja  mais?  Biaus  filz,  tu  pues 
tout,  et  se  tu  ne  vues  que  je  ne  muire 
avuec  toi,  lai  moi  aucun  conseil.  » 

Et  Jhesuscriz,  ja  angoisseus  por  la 
destrece  de  la  mort,  li  dist  de  saint 
Jehan  :  *  Fenme,  voiz  ci  ton  fil.  »  La 
estoit  sainz  Jehanz  qui  plouroit  et 
faisoit  molt  grant  duel.  Et  nostre  sires 
li  dist  :  «  Douce  meire,  tu  seis  que  por 
ce  ving  je  en  terre  et  pris  char  en  toi 
que  je  par  ma  mort  rachatasse  l'umain 
pueple... 


chier,  tres-debonnaire  roy,  oy  ma 
prière,  oy  la  requeste  de  tres-doulente 
mère!  Filz.  ne  me  soies  pas  durs  qui 
suis  ta  mere.Et  tu  es  débonnaire  a  tous, 
reçoy  ta  mère  avec  toy  en  la  croix  que 
je  vive  a  tous  jours  avec  toy  après  la 
mort  \  paiement  nulle  chose  ne  m'est 
si  doulce  comme  de  toy  embrassier  en 
la  croix,  et  eertes  nulle  chose  ne  m'est 
si  dure  comme  de  vivre.  O  Dieu,  tu 
m'estoies  père,  tu  m'estoies  espous. 
tu  m'estoies  filz,  tu  m'estoies  toutes 
choses.  Or  pers  mon  père,  or  suis 
veuve  de  mon  espous,  je  suis  descon- 
fortée de  ma  [/.  183]  lignie,  or  pers  tout , 
lasse  moy.  Hee  beau  filz,  ou  iray  je? 
Piteux  filz,  piteux  filz,  qui  me  sera 
confors,  qui  me  donra  des  ores  mais 
conseil  et  ayde?  Hee  beau  filz,  tres- 
doulx,  toutes  choses  te  sont  possibles. 
Se  tu  ne  veulz  que  je  muire, laisse  moy 
aucun  confort.  » 

Adont.  mon  doulx  filz  en  la  grant 
tristecede  la  mort  me  regarda  en 
l'arbre  de  la  croix  et  dist  de  saint 
Jehan  :  c  Famé,  vecy  ton  filz  qui  te 
gardera  comme  mère  ».  Lequel  estoit 
presens  et  doulans  et  plourans.  Et 
dist  ainsi  comme  s'il  deist  :  tO  mère 
tres-doulce,  mère  tres-debonnaire,  ne 
te  veuilles  pas  plaindre.  Je  prins 
char  en  toy  pour  sauver  humaine 
lingnie    pour  (lisez  :    par)    la   croix, 


Fin  : 

[F.  116  v"  b]  Jhesu,  Jhesu,  douz 
crieres  de  tout,  de  com  crueuse  mort 
il  t'ont  ocis!  Celui  cui  terre,  rneirs  et 
cials  ne  prent  pas,  tient  or  uns  petiz 
sepuchres.  O,  cum  dotante  vie  mes 
filx  m'a  rendue  qui  gist  mors  ou  se- 
puchre.  Diex  vint  a  terre,  nostre  vie 
parmenable,  et  prist  cors  humain.  Il 
vint  a  terre,  mais  li  sien  ne  le  reçurent 
pas,  ainz  li  ont  adès  mal  porchacié. 
Herodes  li  rois  li  fist  cruautei  a  son 
pooir  et  tuit  cil  de  Jherusalem,  dès 


[F.  186J  Hee  jhesus,  douls  Jhesus, 
faiseur  de  toutes  choses,  hee  Dieux, 
qui  fus  occis  de  cruelle  mort,  tu  qui 
ciel  et  terre  feis,  or  es  en  un  petit 
sépulcre.  Ha  lasse,  com  foie  lingnie 
[sic)  m'a  rendu  l'umaine  lignie!  Mon 
filz  gist  mort  ou  sépulcre  de  la  mort 
chetive.  Mais  Dieux  m'ame  (sic)  par- 
durable  après  le  corps  de  humaine 
fragilité  est  venus  en  terre,  mais  il 
n'y  est  pas  cogneu  des  siens,  mais  ilz 
lui  ont  tous  jours  pourchassié  mal. 


BIBLIOGRAPHIE   DES   PLAINTES   DE    LA   VIERGE. 


63 


qu'il  estoit  enfes  a  la  memele  sa  meirc. 
Et  quant  il  fu  hom  et  il  preeschuit  et 
sanoit  les  malades  de  toutes  maladies, 
resuscitoit  les  mors,  il  souffri  molt  de 
hontes  des  Gyus,des  princes  de  la  loi 
et  des  Pharisiens,  et  a  daarriens  il  li 
ont  mal  porchacié  et  la  mort, si  com  il 
pert.  O  dame  de  gloire,  o  roine  de  joie, 
fontaine  de  pitié,  vaine  de  miséricorde, 
planteiz  de  sainteié,  deliz  de  joie, 
clarteiz  dou  ciel,  douçors  de  paradis, 
gloire  des  angles,  joie  des  sainz, 
genme  précieuse  des  virges,  dame 
boene  eureuse,  dame,  je  met  en  ta 
garde  mon  cors  et  m'ame  et  ma  vie 
et  ma  mort  et  ma  résurrection.  Tu 
soies  bene  f/.  1 17]  oite  parmenablement 
et  Jhesus  tes  filz  qui  vit  et  règne  avuec 
Dieu  son  peire  et  avuec  Dieu  le  saint 
espir,  Diex  beneoiz  par  tout  sanz  fin. 
Amen. 


Premiers  Ilerodes  forcenoit  sur  lui  et 
touls  ceulx  de  Jherusalem,  quant  il 
estoit  petit  (a)  alaitani,  encore. 
Après,  quant  il  fu  fait  homs  et 
donnoit  parolles  de  salut  et  rompoit 
les  liens  de  chascune  maladie,  de 
toutes  langueurs  (langeurs)  et  resu- 
xitoit  les  mors,  et  tousjours  a  souf- 
fert lors  et  villenies  des  félons  Juifs 
et  des  princes,  de  prouvoires,  des 
Pharisiens,  et  en  la  fin  l'ont  mort  et 
occis  si  comme  le  corps  mort  le  tes- 
moingne  et  moustre  appertement  a 
tous.  Haa  dame  glorieuse,  royne  de 
paradis,  fontaine  de  (de)  pitié  et  de 
miséricorde,  vray  deliz  de  sainctes, 
o  replandisseur  (?)  des  cieulx,  dame 
des  angles,  leesce  [/.  186  v°]  des  sains, 
obenoit  doulce  mada  {sic),  je  com- 
ment m'ame  a  vous  (marne  a  vous)  et 
mon  corps,  ma  vie,  ma  mort  et  ma 
resurection  a  toy.  Tu  soies  benoicte 
avec  ton  filz  sans  fin  qui  vit  et  règne 
avec  le  père,  le  filz  et  le  saint  esprit. 
Amen. 


Pour  faciliter  les  recherches  ultérieures  sur  cette  ma- 
tière, qui  n'est  sans  doute  pas  encore  épuisée,  je  donne 
ici  la  liste  de  tous  les  manuscrits  que  l'on  connaît  actuel- 
lement du  Traclatus  de  planctu  Mariae  en  français   : 

Première  traduction  (cinq  manuscrits)   : 

Bibl.  Nat,  fr.,  1768,  f.  64  v°. 

Bibl.  Nat.,  nouv.  acq.  fr.,  4510  (anc.  Ashburnham 
Place,  coll.  Barrois,  n°  305,  f.  113  v°-121  v°  (1). 
Metz,  Bibl.  Municipale,  n°  535. 
Bibl.  Nat.  fr.,  1802,  f.  233  v°-242  v°  b  (2). 
Bibl.  de  l'Arsenal,  2071,  f.  211  (3). 
Deuxième  traduction  (deux  manuscrits)   : 

(i)  Signalés  par  M.  P.   Meyer,  Bull,  de  la  Soc.  des  anc.  textes,  1875, 
p.  63. 

(2)  Le  même,  Bull.,  1886,  p.  48. 

(3)  Le  même,  Romania,  1908,  p.  623  (où,  au  lieu  de  n°  2971,  il  faut 
lire  2071). 


64  BIBLIOGRAPHIE  DES   PLAINTES  DE   LA  VIERGE. 

Bibl.  Nat.  fi\,  818,  f.  17. 

Bibl.  Nat.  Fr.,  123,  f.  50  (1). 
Troisième   traduction  (quatre  manuscrits)    : 

Lyon,  Bibl.  Municipale,  n°  772. 

Bibl.  Nat.  fr.,  i22,  l\   122-125  v°  a  (2). 

Bibl.  de  T  Vrsenal,  5204,  ï.  99-100  c  (3). 

Berlin,     Bibl.    Royale,    ms.    Gall.  Oct.  28,  f.  61 
v°-82  (4). 
Quatrième  traduction  (un  manuscrit)   : 

Bibl.  de  l'Arsenal,  937,  f.  114-117   (5). 
Cinquième  traduction  (un  manuscrit)   : 

Bibl.  Nat.  fr.,  24433.  f.  181-180  v°. 

II.  —  Une  Plainte  inédile  en  douzains 
(Ms.  Cambrai,  812) 

En  1904,  quand  je  préparai  mon  édition  du  Regret  Cas- 
tre Dame,  M.  M.  Roques  attira  mon  attention  sur  une 
Plainte  de  la  Vierge  mentionnée  dans  le  Catalogue  des 
manuscrits  de  la  Bibliothèque  communale  de  Cambrai. 
par  M.  Auguste  Molinier  (6).  Je  me  procurai  (7)  une 
reproduction  photographique  de  cette  pièce  et  je  constatai 
quelle  n'avait  que  la  forme  strophique  de  commun  avec 
le  poème  de  Huon,  le  I loi  de  Cambrai.  Cette  nouvelle 
pièce  s'ajoute  à  relies  qui  <>nl  déjà  été  signalées  antérieu- 
rement, dans  le  livre  de  M.  Eduard  Wechssler  (8),  et 
ailleurs   (9).    Sa    plus  grande   originalité  consiste  dans  la 

(1)  Le  même,  Bull.,  1875,  p.  63  (au  lieu  de  n°  424,  il  faut  lire  423). 

(2)  Le  même.  Bull.,  1875,  p.  64. 

o 

(3)  A.  Langfors,  Neuphilologische  Mitteilungen,  1907,  p.  33. 

(4)  E.  Bechmann,  Zeitsrhr.  f.  rom.  Phil.,  X11I,  p.  38. 

(5)  P.  Meyer,  Rom.,  XV,  p.  309. 

(6)  Tome  XVII   du  Catalogue  général  des  manuscrits  des   bibliothè- 
ques publiques  de  France  (1891). 

(7)  Avec  l'aimable  secours  de  M.  Capelle,  bibliothécaire  de  Cambrai. 

(8)  Die  romani schen  Marienklagen,  Halle  a.  S.  1893,  p.  5  et  64  suiv. 

(9)  Voy.  A.  Jeanroy,  Romania,  XXIII,  p.  576,  et  P.  Meyer,   Bull,  de 
la  Soc.  des  anc.  textes,  1901,  p.  68. 


BIBLIOGRAPHIE  DES   PLAINTES   DE   LA   VIERGE.  65 

disposition  :  dans  les  huit  couplets  de  la  Plainte,  la  Vierge 
s'adresse  tour  à  tour  à  Dieu,  à  Jésus,  au  Saint-Esjprit,  à 
saint  Jean,  à  Gabriel,  à  la  croix,  aux  Juifs,  au  peuple. 
Cette  disposition,  qui  ne  se  rencontre,  à  ma  connaissance, 

dans  aucune  autre  plainte  romane,  s'accorde  pourtant  bien 
avec  le  caractère  des  Plaintes.  Ainsi,  par  exemple  dans  la 
Plainte  provençale  imprimée  par  M.  W.  Mushacke  (1).  qui 
esl  calquée  sur  le  Tractatus  de  plançtuMariae,  on  a  obtenu 
une  disposition  à  peu  près  analogue  par  l'addition  de  ru- 
briques comme  celles-ci  :  Beata  Maria  conqueritur  de 
Judeis  crucifigentibus  Christian.  —  Conqueritur  beata 
Maria  de  moite  interficiente  Christum.  — ■  Beala  M<iri<i 
conqueritur  de  filio  quia  non  moritur  cum  ipso.  --  Quo- 
modo  comendavit  Christus'  matrem  suam  Johanni,  etc. 
Dans  la  présente  Plainte,  d'ailleurs,  la  disposition  primi- 
tive n'est  soin  eut  maintenue  qu'avec  effort.  Ainsi  la  stro- 
phe Y  pourrait  être  adressée  à  n'importe  qui  aussi  bien 
qu'à  Gabriel  :  on  n'y  trouve  aucune  allusion  à  l'Annon- 
ciation, ni  aucune  mention  qui  justifierait  l'adresse  mise 
en  tète  de  cette  strophe. 

Le  manuscrit  n°  812  (anciennement  719)  de  la  Biblio- 
thèque de  Cambrai,  a  été  exécuté  au  début  du  XVe  siècle. 
Il  contient  entre  autres  une  des  six  copies  connues  (B3) 
de  la  Vie  de  saint  Grégoire  en  octosyllabes  (2).  Notre 
poème  occupe  exactement  les  quatre  colonnes  d'un  feuil- 
let (3).  Les  feuillets  de  ce  manuscrit  ne  sont  pas  numé- 
rotés. La  Plainte  se  trouve  entre  un  DU  de  l'abre  et  une 
Vie  de  Griselidis.  Le  poème  que  j'imprime  ci-dessus  a 
évidemment  été  composé  en  pays  picard,  à  une  date  qui 
ne  doit  pas  être  de  beaucoup  antérieure  h  l'exécution  de 
l'unique  manuscrit  qui  nous  l'a  conservé. 


(1,  Aitprovenzatisrhe  Maiienklage,  Halle  a.  S.  1890. 

(2)  Voy.  P.  Meyer,  Hist.  Utt.,  t.  XXXIII,  p.  352. 

(3)  Si  M.  Molinier  (p.  300)  dit  qu'il  occupe  quatre  colonnes  el  demie, 
c'est  parce  que  les  folios  voisins  contiennent  des  vides. 


66  BIBLIOGRAPHIE   DES   PLAINTES  DE   LA   VIERGE. 

('lui  aprez  s'ensieuent  lez  regrès  que  nostre  dame  fist 
quant  nostre  sires  Jhesui  /  isi  rechupl  mort  et  pacion  en 
l'abre  de  le  crois  pour  humaine  lignie,  au  jour  du  ven- 
redy   muet. 

Premiers,  adrechant  a  Dieu  le  père  : 
Pères,  qui  au  ciel  lais  demeure, 
Je  te  pri,   vois  couinent  labeure 
Ton  01  en  paine  et  trel  a  mort. 
Ses  corps  est   plus  noirs  c'une  meure  ; 
5  En  luv  nient  de  sanc  ne  demeure, 
Contreval  queurt  et  descent  fort. 
Ly  Juis  par  commun  acort 
Sans  consel  Font  jugiet  a  mort. 
J'ay  bien  cause  dont  se  je  pleure 
10  Et  moustre   moult  grief  desconfort. 
He  mors,  me  viens  a  reconfort  ! 
Plus  ne  veul  vivre  jour  ne  heure. 

Adrechant  a  Jhesucrist,  son  benoil  fil  : 
Doulx  lieux,  veuilles  a  moy  entendre. 
Tes  tourmens  me  font  le  cuer  fendre  ; 

1")  Ne  puis  parler  a  plus  hault  ton. 
Ta  char  voy  en  crois  fourestendre, 
lez  ners  derompre  et  ta  char  fendre 
Et  ton  sanc  courre  a  grant  randon. 
E  las,  [/°  6]  c'est  povre  gueredon, 

20  

Mais  de  riens  ne  te  puis  deffendre. 


Seulement  te  requier  ung  don    : 
Laisse  me  en  crois  avec  ty   pendre. 

Adrechant  au  saint   esprit   : 
'S>  Sains  esperis,   plains  de  douchour, 
Mon  las  cuer  rempli  de  dolour 


BIBLIOGRAPHIE  \W.<  PLAINTES   1>K   LA   VIERGE.  67 

Par  amours  te  pri,   reconforte. 

Tu  os  chieux  qui  nourris  la  Qour 

Dont  ly  t'ruis  pont  a  deshonnour 
30  lui  crois,  qui  le  soustienl  <i  porte. 

Bien  voy  que  nul/,  ne  le  conforte  : 

A  trois  claux  penl  cl   la  supporte 

Son    povre  corps  mal   sans  coulour. 

C'est  ce  que  trop  me  desconforte. 
3-")  Mes  désirs  est  que  fusse  morte 

Plus  ne  puis  vivre  en  te]  langour. 

Adrechant  a  saint  Jehan   l'evangeliste  : 
Doulx  amis  Jehans  tresloiaulx, 
Mes  tourmens  est  tous  jours  nouviaux 
(tuant  je   voy   et   bien   considère 
40  Mon  fil,  qui  est  plus  doulx  qû'agniaux, 
Ainsy  pener,  pendre  a  trois  claux 
Et  morir  de  mort  tresamere 
Qu'a  ly  paine  ne  se  compère. 
De  cuer  m'en  plains  à  Dieu  le  père. 
45  Sur  luy  a  tant  plaies  et  traux. 
Le  mort  trop  acale  et  compère. 
Bien  me  doy  clamer  lasse  mère, 
v°  a)     Quant  par  plaies  voy  ses  boiaux. 

A  Gabriel  : 

0  Gabriel,   quant  je   remire 
50  Le  tourment   et  le  grief  martire 

Que  je  vois  mon  enfant  souffrir, 

Tant  m'est  grief  que  ne  puis  mot  dire. 

Son  corps  voy  qui  toujours  empire, 

Sa  faiche  voy  taindre  et  pâlir, 
55  Ses  membres  n'ay  de  quoy  couvrir, 

Ses  doulx  yeux  plus  ne  puet  ouvrir  ; 

Dont  a y   bien   cause  se  soupire. 

Nul  jour  que  cestuy  ne  veul  vir, 

Car  vivre  m'est  a  desplaisir. 
60  Mors,  vieng  à  moy,  je  te  désire. 


68  BIBLIOGRAPHIE  DES  PLAINTES  DE  LA  VIERGE 

A  le  crois  : 
0  croix,  veuilliés  ;i  moy  entendre. 
Bien  ay  cause  de  vous  rependre 
Par  dolour,  (|iii  trop  fort  me  nuit. 
Le  cuer  me  fais  partir  et  fendre 

65  Quant  voj   ;i  ty  tenir  et  pendre 
Le   précieux  el  digne  fruit 
Quy  me  dounoit  joye  et  déduit. 
Tu  l'a[s]  prins  sans  mon  sauf  conduit  : 
Par  raison  dont  le  nie  doibz  rendre. 

70  Or  fay  que  l'aye  encore  anuit 
Et  en  fay  vers  moy  bon  acuit, 
Ou  se  non,   mors  me  veulle  prendre. 

Aux  Juis  : 
0  Juis,  grans  est  vos  orghieux, 
v°  h]     Quant  par  vous  trait  a  mort  mon  fieulx, 
75  La  quelle  mort  n'a  deservie. 

Il  est  vrais  hons  mortel  et  Dieux 
Et  en  propre  personne  chieux 
Par  qui  créature  est  en  vie. 
Ma  substance  m'avés  ravie  : 
80  Morir  le  faites  par  envie, 

Combien  qu'il  vous  l'ust  doulx  et  pieux. 
Tant  grief  m'est  que  près  ne  dévie 
Par  dolour  dont  je  suis  remplie, 
S'en  désire  mort  pour  le  mieulx. 

Aux  pécheurs  : 
85  0  pécheurs,  bien  devés  sentir 

Coument  pour  vous  il  faut  morir 

Mon  chier  fil  de  mort  dolereuse. 

Approchiés  vous,  venés  le  vir   : 

Son  sanc  voy  de  tous  lés  yssir 
90  Pour  racater  de  mort  crueuse 

La  créature  ténébreuse. 


BIBLIOGRAPHIE  DES  PLAINTES  DE  LA  VIERGE  69 

Vés  ^«>n  corps,  sa  char  précieuse 
Tretoute  de  son  sanc  couvrir. 
Che  m'est  bien  cose  mervilleuse 
95  Qu'a  créature  tant  piteuse 
On   t'ait   tel  inarlire  souffrir. 

haine,   royne  glorieuse, 
Vo  (il.  qui  fut  si  grief  martir, 
Requerés  par  voix  amoureuse 
100  Qu'a  son  rengne  puissons  partir. 
Amen. 

Artur   Langfors. 


LES   IMITATIONS    DE    R.  GARN1ER 

DANS  SA    TRAGÉDIE   DES    «  JUIVES»  (1) 


L'héritage  de  l'esprit  des  Anciens  Mystères  a  été  re- 
cueilli à  ta  Renaissance  par  les  tragédies  rcligeuses  ; 
mais,  dans  ces  tragédies,  œuvres  d'humanistes,  l'inspira- 
'ion  biblique  n'esl  guère  pure,  les  souvenirs  classiques 
se  mêlent  aux  souvenirs  bibliques.  Parfois  même,  ces 
pièces  n'ont  plus  rien  de  commun  avec  la  Bible  :  elles 
sont  bibliques  par  le  titre,  le  nom  des  personnages,  le 
sujet,  mais  l'imitation  des  auteurs  de  l'antiquité  classique 
s'y  étale  largement. 

<  l'est  le  cas  des  Juives,  «  l'Athalie  du  XVIe  siècle  ».  Le 
sujet  de  la  pièce  :  Xabuchodonosor  punissant  Sédécias, 
roi  de  Jérusalem,  son  vassal  révolté  contre  lui,  en  met- 
tant à  mort  ses  enfants  et  en  lui  crevant  les  yeux  avant 
de  remmener  en  captivité  à  Babylone,  —  est  tiré  de  la 
Bible;  les  personnages  juifs,  Sédécias,  Sarrée,  Amital, 
ont  de  beaux  accents  religieux:  la  reine  elle-même,  femme 
de  Xabucbodonosor,  parle  de  Dieu  avec  une  crainte  res- 
pectueuse, mais  il  n'en  faut  pas  conclure  que  l'inspira- 
lion  biblique  de  la  pièce  soit  bien  profonde.  L'imitation 
îles   Livres   Saints  y  est   à   peine  sensible. 

I 

Les   imitations  de   la   Bible 

Un  peut  retrouver  dans  le  style  de  la  pièce  nu  certain 
nombre  d'expressions  bibliques. 

(1)  Voir  Bernage.  Robert  Garnier.  Thèse,  1880.  —  Kahnt.  Gedankenkreis 
der  Sentenzen  in  Jodell's  und  Garnier's.  Tragodie  und  Seneca's  Einfluss  auf 
demselben.  Inaugural  Dissertation.  Marburg;  1885.— Rigal.  dans  :  Histoire  de  la 
langue  et  de  la  littérature  française,  publiée  sous  la  direction  de  Petit  de 
Julleville.  Paris,  1897.  Tome  III,  ch.  VI. 


LES   IMITATIONS    DE    R.    GARNIER  71 

Dieu  est  1"  «  Eternel  »  (1),  —  le  «  Dieu  du  ciel  »  (2),  — 
le  «  Dieu  vivant  »  (3),  —  le  «  Dieu  vengeur  »  (4),  —  le 
«  Dieu  jaloux  »  (5).  —  C'est  lui  qui  «  a  fait  le  ciel  et  la 
terre  »  (6).  —  Sévère  pour  son  peuple,  il  «  punit  les 
enfants  pour  les  péchés  des  parents  »  (7).  —  Le  crime 
des  Juifs  est  d'avoir  sacrifié  sur  «  les  hauts-lieux  »  (8), 
d'avoir  «  laissé  sa  voie  »  (9);  punis  de  leurs  crimes,  ils 
supplient  Dieu  de  «  retirer  sa  verge  »  (10),  symbole  de 
la  vengeance. 

Mais  toutes  ces  expressions  sont  passées,  dès  le  moyen 
âge,  dans  l'usage  ordinaire  de  la  langue  (11).  Garnier  a  pu 
ne  pas  les  emprunter  directement  à  la  Bible. 

D'autres,  sans  doute,  ne  se  trouvaient  pas  encore  dans 
le  courant  de  la  langue  :  reprenant  quelques-unes  des  ex- 
presions  de  l'anthropomorphisme  biblique,  Garnier  parle 
de  la  dure  main  de  Dieu  »  (12).  -  -  Dieu  «  étend  son 
bras  »  (13)  pour  la  punition;  —  il  «  voit  du  ciel  ce  qui  se 
passe  sur  la  terre  »  (14),  —  il  «  se  souvient  de  son  peu- 
ple »  (15),  qu'il  a  tiré  «  à  main  puissante  »  (16)  de  la 
servitude,  «  arrachant  le  fardeau  de  son  dos  »  (17)  . 

Les  Juifs  ont  abandonné  leur  Dieu  pour  sacrifier  à   la 

(1)  Juives,  v.  857,  991,  1141. 

(2)  Juives,  v.  391,  cf.  323. 

(3)  V.  84. 

(4)  V.  1845. 

(5)  V.  85,  1743. 

(6)  V.  85,  1392. 

(7)  V.  2084. 

(8)  V.  71. 

(9)  V.  1327. 

(10)  V.  531. 

(11)  Voir  :  Trénei..  Ancien  Testament  et  langue  française  du  moyen-âge 
(vme-xve  s.)  Thèse  Paris,  1904. 

(12)  Juives,  v.  6.  Cf.  Quoniam  est  dura  manus  ejus  super  nos.  I  Samuel  V.  7 
(Les  citations  de  la  Bible  sont  faites  d"aprôs  la  Vulgate). 

(13)  Juives,  v.  362.  Cf.  ...extendam  manum  meam  superte,  Jérémie  XV,  4. 

(14)  Juives,  v.  2053.  Cf.  De  coelo  respexit  Dominus.  Psaume  XXXII,  13. 

(15)  Juives,  v.  1207.  Cf.  Dominus  memor  fuit  nostri.  Ps.  CXIII.  12.  Cf.  Ps. 
CXXXV,  23. 

(16)  Juives,  v.  327.  Cf.  Qui  eduxit  Israël  de  medio  eorum...  in  manu  potenti. 
Ps.  CXXXV.  11. 

(17)  Juives,  v.  27.  Divertit  ab  oneribus  dorsum  ejus.  Psaume  LXXX.  7. 


7?  I  ES    IMITATIONS    DE    H.    GARNI1  R 

«  Reine  des  cieux  »  (1):  adoranl  le  veau  d'or,  ils  ont,  à 
leur  sortie  d'Egypte,  sacrifié  des  «  holocaustes  pacifi- 
ques »  (2). 

Amital  reconnaîl  que  le  peuple  juif  a  «  provoqué  la 
colère  de  Dieu  »  (3),  —  elle  supplie  Dieu  tout  puissant 
sur  les  volontés  «les  «  rois  de  la  terre  »  (4),  de  faire 
miséricorde  aux  «  restes  de  Juda  »  (5),  ;'i  la  «  semence 
d'Isaac  »  (6). 

Le  chœur,  abandonnant  sa  patrie,  fait  ses  adieux  à  la 
«  terre  ondoyante  de  miel  »  (7). 

Ces  expressions  donnent  au  style  de  Garnier  une  cou- 
leur biblique,  qui  cependant  ne  doit  pas  faire  illusion  : 
la  liste  de  ces  expressions  n'est  pas  très  longue,  et,  si 
Garnier,  qui  aime  et  recherche  les  allianees  de  mots 
hardies,  les  expressions  poétiques,  avait  eu  un  contact 
direct  et  durable  avec  la  Bible,  il  n'aurait  pas  manqué 
d'en  voir  surgir  bien  davantage  dans  sa  mémoire  et  d'en 
laisser  passer  beaucoup  d'autres  dans  son  style. 

Les  comparaisons  d'origine  biblique  ne  manquent  pas 
non  plus  dans  la  tragédie  des  Juives  :  Sarrée,  voulant 
exprimer  de  façon  saisissante  la  faiblesse  des  rois  en  face 
de  la  puissance  de  Dieu  la  compare  à  la  faiblesse  du 
roseau  qui  plie  sous  le  vent  : 

Ces  royales  grandeurs  dont  on  fait  tant  d'estat. 
Luy  sont  comme  un  roseau  de  qui  le  vent  s1 esbal  (8). 

Dans  la  Bible,  le  coupable  esl  secoué  par  la  main  de 
Dieu  comme  un   roseau  sur  les  eaux    :  «   ...   El  percutiet 

(1)  Juives,  v.  72.  Mulieres  conspergunt  adipem  ut  faciant  placentas  Reginae 
coeli...  Jérémie  VII,  18.  Cf.  Jér.  XLIV,  17. 

(2)  Juives,  v.  353.  Surgentesque  mane  obtulerunt  holocausta  et  hostias  paci- 
ficas...  Exode  XXXII,  r>. 

(3)  Juives,  v.  688.  Quia  me  ad  iracundiam  provoea  vit.  Jérémie  IV,  17. 

(4)  Juives,  v.  1142.  Omnes  reges  Terrae.  I  Rois  X,  23. 

(5)  Juives,  v.  1136.  Cf.  Jérémie  XXXI,  7.  XLI,  2. 

(6)  Juives,  v.  559, 1712.  Semen  Abraham,  servi  ejus...  Ps.  CIV.  G. 

(7)  Juives,  v.  822.  Terram  fluentem  lacté  et  melle.  Exode  XXIII,  3.  Cf.  Nombres 
XIV,  8,  Deutéron.  XI,  9. 

(8)  Juives,  V.  1317. 


LES    IMITATIONS    DE    R.    GARNIER  73 

Doininus     Deus    Israël    sicul    moueri    solet    arundo    in 

ili/WI...   »  (1). 

Le  Prophète  rappelle  à  Dieu  les  bienfaits  <|ii'il  a  déjà 
accordés  à  son  peuple;  il  L'a  conduit  à  travers  les  déserts, 

Prenant  de  son  salut  sollicitude  telle 

Qu'on  a  de  conserver  de  ses  yeux  la  prunelle  Cl). 

C'est  la  comparaison  même  du  récit  de  la  lïiMe  :  «  lin- 
minus...  cuslodivit  l'uni  quasi  pupillam  oculi  siti  »  (3).  La 
pupille  est  devenue  La  prunelle  «les  yeux,  dans  Garnier, 
mais  la  comparaison  esl  appliquée  au  même  événemenl 
de  l'histoire  juive. 

Les  Assyriens  se  sonl  jetés  sur  Jérusalem  avec  la  même 
rage  qui  anime  les  loups  à  la  vue  d'un  troupeau  sans 
défense  : 

Comme  l'on  voit  les  débiles  moulons 
Sans  le  pasteur  courus  des  loups  gloutons  (4). 

Ezéchiel  compare  les  ennemis  à  oies  loups  ravisseurs  : 
«  ...  Quasi  lupi  rapientes  praedam...  »  (5). 

La  principale  promesse  faite  par  Dieu  aux  patriarches, 
à  Abraham,  à  Isaac,  à  Jacob,  est  celle  (Tune  nombreuse 
postérité  : 

...  tu  as  promis  des  terres  étrangères 

Avec  postérité  qui  s'escroitre  devait 

Comme  un  sable  infini  quaux  rivages  on  voit  (6). 

Dieu,  dans  la  Genèse,  promet  à  Abraham  une  postérité 
aussi  grande  que  les  sables  qui  s'étendent  au  bord  de  la 
mer  :  «  Mulliplicabo  semen  tuum  sicul  stellas  cœli  et  velut 
arenam  quae  est  in  littore  maris  >»  (7). 


(1)  III.  Rois  XIV,  15. 

(2)  Juives,  v.  31. 

(3)  Deutéronome  XXXII, 10.  Cf.  Psaume, XVI,  8.  Proverbes  de  Salomon  VII,  2. 

(4)  Juives,  v.  497. 

(5)  Ezéchiel  XXII,  27. 

(6)  Juives,  v.  15. 

(7)  Genèse  XXII,  17.  Cf.  Exode  XXXII,  13. 


74  LES    IMITATIONS    DE    R.    GARNIER 

A  mitai,  voulant  dire  combien  sont  innombrables  les 
maux  qui  «  guerroyent  »,  le  peuple  juif  s'écrie   : 

Celuy  pourrait  nombrer  les  célestes  flambeaux. 

Les  sables  qui  légers  dans  l'Arabie  ondoyent 

Qui  pourrait  raconter  les  maux  qui  nous  guerroyent  (1). 

On  reconnaît  là  une  façon  de  parler  toute  biblique, 
encore  que  Garnier  l'ait  développée  :  «  Sicut  enumerari 
non  possuni  stellae  coeli  et  metiri  menu  maris...  »  (2). 

Mais  ces  comparaisons  ne  prouvent  pas  davantage  une 
influence  directe  de  la  Bible  sur  l'œuvre  de  Garnier;  la 
plupart  étaient  devenues  banales  déjà  à  son  époque  (3), 
emportées  depuis  longtemps  dans  le  torrent  de  la  langue; 
elles  ne  manifestent  pas  des  emprunts  directs  de  l'écrivain 
aux  Livres  Saints. 

On  en  pourrait  dire  autant  de  ce  proverbe  de  Salomon  : 
«  Sicut  divisiones  aquarum,  ita  cor  régis  in  manu  Domini, 
quoeumque  volucril,  inclinabii  illud  »  (4),  ainsi  traduit 
par  Garnier  : 

Supplie  à  l'Eternel  qui  les  courages  meut 

Des  grands  Rois  de  la  Terre  à  faire  ce  qu'il  veut  (5) 

ou  de  cette  comparaison  avec  les  cèdres  du  Liban  : 

Comme  un  mont  élevé  sur  les  petits  cousteaux 
Ou  un  cèdre  au  Liban  sur  les  arbres  moins  hauts  (6). 

Une  seule  fois  Garnier  a  traduit  un  passage  un  peu 
étendu  de  la  Bible;  le  prophète,  dans  son  monologue, 
parlant  du  Dieu  que  le  peuple  juif  a  adoré,  oubliant  le 
vrai  Dieu,  en  fait  cette  description  que  termine  une  véhé- 
mente imprécation  contre  los  adorateurs  d'un  tel  Dieu  : 

(t)  Juives,  v.  45"?  sq. 

(2)  Jérémie,  XXX,  22. 

(3)  Cf.  Trénel,  op.  cit. 

(4)  Prov.  Salomon,  XXI,  i. 

(5)  Juives,  v.  1141. 

(6)  Juives,  v.  1650. 


LES    IMITATIONS    DE    R.    'GARNIF.R  75 

Il  a  des  yeux  toutefois  ne  voit  goût  In. 

Des  oreilles  il  a,  toutefois  il  n'écoute, 

On  lui  voit  une  bouche  et  ne  saurait  parler. 

Il  a  double  narine  et  ne  respire  l'air. 

Ses  mains  sans  maniment  demeurent  inutiles 

Et  ses  pieds  sans  marcher  sont  plantez  immobiles 

Semblables  soyent  ceux-là  qui  tels  Dieux  vont  suivant, 

Au  lieu  de  l'Eternel (1). 

Simulachra  genlium  argentum  et  aurum;  opéra   manuum   hominum  —  os 

habent  et  non  loquentur,  oculos  hahent  et  non  vidébunt;  —  aurrs  hobrnt  ri  non 
audient,  nares  habent  ri  non  odorabunt;  monus  habent  et  non  palpabunt;  pedes 
habent  et  non  ambulahunt ;  non  clamalm ni  in  gutture  suo. —  Similes  Mis  fiant 
qui  faciunt  ra  et  onmes  qui  ronfidunt  ris...  (2) 

Ces  versets  si  connus  du  psaume  ('Mil,  chantés  par 
l'Eglise  catholique  dans  ses  offices,  sont  exactement  re- 
produits. 

La  vigoureuse  apostrophe  du  prophète  à  son  Dieu   : 

Jusqurs  à  quand  Seigneur  rpandras-tu  Ion  ire?  (3) 

est  un  souvenir  des  appels  souvent  jetés  par  le  Psalmiste, 
au  milieu  des  maux  qui  l'accablent    : 

Usque  quo.  Domine,  irascerisin  jinein..?  (\) 

Il  n'y  a  pas.  dans  les  diverses  scènes  de  la  pièces,  d'au- 
tres imitations  nettement  caractérisées  de  la  Bible.  Une 
occasion  cependant  étail  offerte  à  Garnier  quand  il  plaçait 
ta  la  fin  de  sa  pièce  uno  prophétie  annonçant  la  punition 
de  Nabuchodonosor,  la  ruine  de  son  empire,  de  sa  capitale 
Babylone  cl  l'avènement  d'un  roi  (dément.  Cyrus,  qui 
laissera  les  Juifs  reprendre  le  chemin  de  leur  pairie.  Les 
prophéties  sut-  la  ruine  de  Babylone  ne  manquent  pas 
dans  la  Bible;  on  chercherait  en  vain  dans  la  dernière 
scène  des  Juives  les  imitations  de  l'une  d'elles.  Garnier 
n'imite  pas  celle  de  Xahuni,  connue  l'a  cru   \1.   Darmeste- 

(1)  Juives,  v.  76. 

(2)  Psaume  113  bis,  verset  4,  passinr 

(3)  Juives,  v.  1. 

(4)  Psaume  LXXVIII,  v.  5.  Cf.  Ps.  LXXXVIIT,  ','.  Jérémie.  X,  25. 


70  LES    IMITATIONS    DE    R.    GARNIER 

1er  (I),  il  n'a  pas  même  dans  la  mémoire  celle  de  Jéré- 
mie (2),  ilans  laquelle  se  déploie  l'éloquence  si  magnifi- 
que et  si  riche  en  métaphores  du  prophète  :  une  seule 
expression  pittoresque,  désignant  l'endroit  d'où  partira 
l'invasion  devant  s'abattre  sur  la  ville  idolâtre,  appartient 
à  la  langue  de  la  Bible  : 

f  'omrne  foudres  je  voy  les  peuples  <T  Aquilon...  (3) 
Ecce  populus  cenit  ab  Aquilone...  (4) 

L'imitation  de  la  Bible  n'est  guère  plus  sensible  dans 
les  chœurs  de  la  tragédie  :  un  seul  chœur  (acte  III)  doit 
quelque  chose  à  la  Bible;  on  y  retrouve  un  souvenir  des 
versets  du  psaume  GXXXVI  :  «  Super  flumina  Babylo- 
nis...  »  Le  psaume  vante  la  réponse  indignée  que  les 
Juives  prisonnières  à  Babylone  firent  aux  vainqueurs  qui 
leur  avaient  demandé  des  chants.  Gantier,  préoccupé  de 
rattacher  le  chœur  à  la  scène  précédente,  s'inspire  très 
librement  du  psaume.  Confiantes  dans  les  promesses  de 
Nabuchodonosor,  ses  Juives  n'ont  pas  le  ton  enflammé 
des  Juives  de  la  Bible  :  leur  chœur,  sans  vivacité  et  sans 
énergie,  est  une  élégie  un  peu  languissante  et  froide, 
tournant  à  l'amplification  et  au  développement  abstrait  et 
général.  L'imitation  n'est  sensible  que  dans  le  serment 
solennel  : 

\os  enfants  nous  soien*  désormais  Nostre  langue  tienne  au  gosier 

En  oubliance  Et  nostre  dexlre 

Si  de  toy  nous  perdons  jamais  Pour  les  instruments  manier 

La  souvenance.  Ne  soit  adextre  (5) 

«  Si  oblitus  fuero  lui  Jérusalem,  oblivionidetur  dextera 
mea. 

»  Adhaerat  lingua  mea  faucibus  meis,  si  non  meminero 
tui,  si  non  proposuero  Jérusalem,  in  principio  laetitiae 
meae...  »  (6). 

(1)  Darmesteter.  Morceaux  choisis  du  xvic  s.  Lib.  Delagrave,  p.  350,  n.  18. 

(2)  Jérémie,  LI. 

(3)  Juives,  v.  2133. 
(4»  Jérémie,  LI.41. 

(5)  Juiv,  v.  1265  sq. 

(6)  Psaume  CXXXVI,  5  sq. 


LES    IMITATIONS    DE    R.    GARNIER  77 

Ainsi,  trop  peu  nombreuses  et  trop  peu  caractéristiques 
sont  ces  imitations  pour  permettre  de  conclure  à  une  in- 
fluence    réelle    de    la     Bible  sur   la    tragédie   des  Juives 
Sans  doute  Garnier  renvoie  à  la  Bible  pour  le  récit  des 
événements     dont    il     a    composé    >;i   tragédie  (1),    mais 
c'est  dans  Josèphe  qu'il  a  lu  l'histoire  traditionnelle  juive 
dont   sa    tragédie    prouve  une    connaissance    sérieuse.    Il 
n'a  guère  lu  la  Bible,  il  ne  l'a  pas  lue  comme  un  d'Aubigné 
ou  un  Racine;  du  fleuve  si  large  et  si  mêlé  de  la  poésie 
biblique,  un  filet  plus  fort  eût  coulé  dans  ses  vers;  son  style 
si  plein  d'images,  de  métaphores,  de  comparaisons  eût  t'ait 
des   emprunts   beaucoup    plus   considérables   aux    images 
tantôt   familières,   tantôt   grandioses,   aux  métaphores  vi- 
vantes  et    pittoresques   de    la    Bible.    Il    en   eût    reproduit 
d'instinct,   comme   Racine  (2),   le   rythme   si   original    :  le 
parallélisme    De   la   Bible   encore,   on   retrouverait,    dans 
ses  vers,   quelques-unes  des   alliances   de   mots   hardies. 
Aussi,    faut-il   reconnaître   qu'il   «   convient   de   ne    parler 
de    l'inspiration   biblique,    chez   Garnier,    qu'avec    de   très 
grandes  réserves  »   (3). 

II 

Les   imitations   de    Sénèque 

Plus  profonde  et  plus  facile  à  marquer  est  l'influence 
du  théâtre  de  Sénèque  sur  la  tragédie  des  Juives.  Scévole 
de  Sainte-Marthe  nous  a  laissé  le  témoignage  de  l'admira- 
tion de  Garnier  pour  les  pièces  du  tragique  latin  :  «  Com- 
me la  façon  d'écrire  de  Sénèque  semblait  à  Garnier  plus 
juste  et.  plus  réglée  que  celle  des  Grecs,  il  tâcha  d'imiter 
cet  excellent  auteur,  en  quoi  il  réussit  parfaitement  »  (4). 
Même  dans  les  Juives,  où  il  traitait  un  sujet  religieux, 
Garnier  ne  se  détache  pas  de  son  modèle;  il  l'imite  dans 
le  plan,  il  l'imite  dans  les  détails. 

(1)  Voir  Argument  de  la  pièce.  Edit.  Foerster,  p.  481. 

(2)  Voir  Delfour.  I,a  Bible  dans  Racine  Leroux,  1891. 

(3)  Delfour.  Op.  cit.  Introduct.  p.  xix. 

(  i)  Cité  par  Rigal  dans  Histoire  de  la  langue  et  la  littér.  franç.  publiée  sou"?  la 
direction  de  M.  Petit  de  Julleviile,  t.  III,  ch.  VI,  p.  289. 


78  LES    IMITATIONS    DE    R.    GARNIER 

Les   imitations  dans  le  plan 

La  ruine  de  Jérusalem  lui  rappelle  la  triste  chute  de 
Troie,  la  riche  capitale  de  V  Vsie,  «  l'ouvrage  de  la  main 
des  Dieux  »  (1),  mise  sur  la  scène  par  Euripide  dans  les 
Troyennes  et  dans  Hécube,  puis  par  Sénèque  dans  les 
Troyennes.  Garnier,  avait  dons  sa  Troade,  fondu  les  trois 
pièces  (2);  dans  Les  Juives,  il  ne  remonte  plus  à  Euripide, 
il  s'arrête  à  Sénèque.  Au  début  de  la  pièce  latine,  les 
femmes  troyennes,  prisonnières  des  Grecs,  attendent  sur 
le  rivage  de  leur  patrie  que  les  vainqueurs  aient  décidé 
de  leur  sort.  Le  partage  des  captives  terminé,  les  vents 
favorables  au  départ  pour  la  Grèce  refusent  de  souffler  : 
les  mânes  d'Achille  réclament  leur  part  de  butin;  pour 
les  apaiser,  on  sacrifie  Polyxène  sur  la  tombe  du  héros; 
puis,  les  Grecs,  craignant  qu'Astyanax,  le  fils  d'Hector, 
ne  venge  un  jour  son  père  et  sa  patrie,  l'arrachent  à  sa 
mère  pour  le  faire  mourir  :  la  pièce  est  une  succession 
de  tableaux  lamentables  montrant  la  fortune  qui  s'acharne 
contre  des  malheureuses. 

Reblatha,  où  est  placée  la  scène  des  Juives,  se  trouve 
sur  le  chemin  de  l'exil  une  étape  pour  les  survivants  du 
siège  de  Jérusalem,  comme  le  rivage  troyen  pour  les 
femmes  troyennes.  Les  enfants  de  Sédécias  sont  mis  à 
mort  par  Nabuchodonosor,  le  vainqueur,  comme  Astya- 
nax  par  les  Grecs.  Il  n'en  faut  pas  davantage  pour  que 
Garnier  puisse  tirer  parti  du  plan  de  Sénèque. 

Le  chœur  de  la  pièce  de  Garnier  sera  composé  de 
femmes  juives,  de  même  que  chez  Sénèque  il  est  formé 
de  Troyennes;  et,  de  ce  chœur,  la  pièce  prendra  son  nom. 
Amital,  la  mère  de  Sédécias,  la  grand-mère  des  jeunes 
victimes,  à  peine  nommée  dans  la  Bible  et  dans  Josèphe, 
aura  un  rôle  important,  tout  semblable  à  celui  d'Hécube, 
la  grand'mère  d'Astyanax,  survivant  à  son  mari  et  à  ses 
enfants  :  elle  mènera,  elle  aussi,  le  chœur  des  plaintes 
qui  rempliront  la  pièce.  Veuve  de  Josias,  comme  Hécube 
veuve  de  Priam,  elle  pleurera  les  malheurs  qui  sont  venus 

(1)  Sénèque.  Troyennes,  v.  7.  "• 

(2)  Faguet.  La  tragédie  française  au  xvip  siècle.  Thèse,  p.  201. 


LES    IMITATIONS    DE    R.    GARNIF.R  79 

l'accabler  au  cours  de  sa  longue  existence,  et  le  chœur 
des  Juives  mêlera  ses  larmes  à  celles  <le  la  vieille  reine  : 
la  scène  II  de  l'acte  II  des  Juives  reproduit  la  disposition 
même  des  scènes  I  et  il  de  l'acte  II  des  Troyennes. 

Il  y  a  dans  Sénèque  une  scène  où  Ulysse  vient  réclamer 
à  Andromaque  son  fils,  qu'il  doit,  conduire  au  supplice 
(acte  III,  se.  I):  de  même,  dans  les  Juives,  le  Prévost  est 
chargé  d'amener  à  \ahuchodonosor  les  enfants  de  Sédé- 
cias;  il  vient  les  demander  à  leurs  mères  (acte  IV,  se.  III). 

Au  dernier  acte  des  Juives,  le  récit  du  châtiment  de 
Sédécias  et  de  la  mort  de  ses  enfants  est  fait  devant 
Amital  et  les  reines  ses  brus;  la  grand'mère  est  auprès 
des  mères  infortunées  que  la  cruauté  de  Nabuchodonosor 
vient  de  priver  de  leurs  enfants;  elle  joint  ses  plaintes 
aux  leurs  (acte  V.  se.  I):  Hécube,  elle  aussi,  assistait,  à 
l'acte  V  des  Troyennes,  au  récit  de  la  mort  d'Astyanax,  et 
se  lamentait  avec  Andromaque,  sa  bru. 

De  plus,  si  Garnier  imagine  le  personnage  collectif  des 
reines,  sans  analogue  dans  aucune  tragédie  antérieure  aux 
Juives,  c'est  parce  qu'il  veut  donner,  clans  sa  pièce,  un 
rôle  aux  mères  des  victimes,  comme,  dans  les  Troyennes, 
Sénèque  a  donné  un  rôle  à  Andromaque,  la  mère  d'Astya- 
nax. Comme  Josèphe  parle  des  «  femmes  »  de  Sédé- 
cias (1),  Garnier,  voulant  à  la  fois  être  fidèle  à  l'histoire 
et  suivre  la  marche  des  Troyennes,  ne  recule  pas  devant 
la  hardiesse  d'introduire  un  personnage  de  ce  genre,  dont 
il  restreint  d'ailleurs  le  rôle,  semblant  en  sentir  toute  la 
difficulté. 

Il  y  a  donc  bien  des  analogies  entre  les  Troyennes  de 
Sénèque  et  les  Juives  de  Garnier,  et  ce  ne  sont  pas  des 
analogies  fortuites,  amenées  par  la  ressemblance  de  deux 
situations  empruntées  à  des  histoires  différentes;  elles 
sont  voulues  et  pleinement  conscientes.  Garnier,  ne  trou- 
vant dans  ses  sources,  surtout  dans  la  Bible,  l'indication 
d'aucune  scène,  a  calqué  son  plan  sur  celui  de  la  pièce  de 
Sénèque  jalonnant  de  scènes  empruntées  aux  Troyennes  la 

(1)  Josèphe.  Antiquités  judaïques.  «  ...  ô  2>j8>;zt«î  b  &<x<ti\vjç.  napa- 
).a?tôv  ràç  •yvvaîxaç  v.ai  ~x  ts'xvx  y.o.l...  yivyti  ynr  àurwv.  »  Bdit.  Dindorf. 
p.  380. 


80  LES    IMITATIONS    DE    R.    GARNIER 

roule  parcourue  par  l'action  des  Juives  :  elles  sont  comme 
l'armature  de  sa  pièce;  toute  son  originalité  a  consisté  à 
les  transformer  légèrement  el  à  remplir  les  intervalles 
par  des  scènes  de  son  invention,  variantes  parfois  de  ces 
scènes  principales. 

M.  Bernage  (1)  dit  avec  raison  :  «  Dans  cotte  peinture 
de  la  ruine  et  de  la  captivité  d'un  peuple,  les  Troyennes 
n'ont  pas  été  oubliées  »:  mais  M.  Bernage  a  tort  de  ne 
pas  préciser  davantage  ce  que  le  plan  dos  Juives  doit  aux 
Troyennes;  il  semble  n'attribuer  qu'une  influence  tout  à 
l'ail  secondaire  à  cette  pièce  sur  1rs  Juives  :  c'est  colin 
influence  au  contraire  qui  doit  être  mise  au  premier  plan. 
accentuée  qu'elle  est  par  de  nombreuses  imitai  ions  de 
détail  que  nous  aurons  à  relever;  le  cadre  de  la  pièce, 
quelques  scènes  des  plus  importantes,  ce  sont  là  dos 
emprunts  considérables. 

D'ailleurs,  les  Troyennes  sont  à  peu  près  la  seule  pièce 
de  Sénèque  qui  ait  eu  une  réelle  influence  sur  les  Juives. 
11  y  a  bien  encore,  à  la  première  scène  de  l'acte  II  des 
Juives,  un  débat  entre  le  roi  d'Assyrie  et  son  lieutenanl 
Nabuzardan,  débat  à  moitié  politique,  à  moitié  moral  : 
Nabuzardan  essaie  de  détourner  Nabuchodonosor  de  met- 
tre à  mort  son  vassal  rebelle.  M.  Bernage  y  voit  une 
imitation  de  la  scène  d'Octavie  (acte  II,  se.  I),  entre 
Sénèque  et  Aéron,  et  croit  retrouver,  dans  le  langage 
de  Nabuzardan,  des  souvenirs  du  langage  de  Sénèque  (2). 
Rien  n'appelle  ce  rapprochement  :  il  est  plus  exact  de 
dire  que  Garnier  ouvre  le  deuxième  acte  de  sa  tragédie 
de  la  même  façon  que  Sénèque  ouvre  dans  toutes  ses  piè- 
ces son  deuxième  acte.  Il  y  fait  paraître  le  personnage 
principal,  celui  qui  provoque  la  catastrophe;  ce  personna- 
ge, Atrée,  Médée,  Clytcmnestre,  Déjanire  ou  Néron,  ex- 
pose ses  sinistres  projets  que  combat  un  personnage  de 
second  ordre,  qui,  parfois,  après  cette  scène,  ne  reparaît 
pins  dans  la  pièce.  Le  procédé  est  toujours  le  même  : 
son  utilité  esl  de  taire  connaître,  par  un  dialogue,  le 
personnage  principal,  et  ses  projets  dont  le  dénouement 

(1)  Bernage.  Robert  Garnier,  p.  110. 

(2)  Bernage.  Robert  Garnier,  p.  110. 


LES    IMITATIONS    DE    li .    GARNIER  81 

sera  l'exécution.  Garnier  n'a  Lui  que  modifier  un  peu 
l'usage  de  Sénèque  :  dans  celte  scène.  Nabuchodonosor 
n'a  pas  encore  imaginé  le  supplice  qui  sera  le  dénoue- 
ment; ses  dispositions  changeronl  au  cours  de  la  pièce; 
du  moins,  celle  scène  n'esl  pas  une  imitation  d'une  scène 
d'Octavie  plutôl  que  de  telle  autre  scène  correspondante 
des  tragédies  de  Sénèque. 

11  n'esl  pas  exact  non  plus  que,  dans  le  plan,  Thyeste 
ait  élé  «  mis  largement  à  contribution  »  (1)  |>;ir  Garnier. 
Les  rapprochements  entre  les  deux  pièces  ne  s'imposent 
pas  :  aucune  scène  du  Thyeste  n'a  pu  inspirer  une  scène 
des  Juives,  bien  que  les  situations,  dans  l'une  et  l'autre 
pièce,  ne  soient  pas  sans  analogie. 

C'est  aux  Troyennes  de  Sénèque  qu'il  faut  reporter  le 
véritable  modèle  des  Juives:  il  n'y  a  pas,  dans  celte  tra- 
gédie de  Garnier,  contamination  de  l'action  de  plusieurs 
pièces  de  Sénèque;.  il  n'y  a  pas  non  plus  emprunts  de 
toutes  parts  aux  pièces  du  tragique  latin.  Le  plan  esl 
construit  sur  le  plan  des  Troyennes,  et  la  marche  <ïu 
drame  est  à  peu  près  la  même,  d'autant  plus  que,  lorsque 
Garnier  emprunte  une  scène,  il  lui  donne  dans  sa  pièce 
la  place  correspondante  à  celle  qu'elle  avait  dans  les 
Troyennes. 

Imitations  de  détail 

Mais  si  le  plan  des  Troyennes  a  eu  seul  quelque  in- 
fluence sur  le  plan  des  Juives,  dans  le  détail,  nombreux 
sont  les  souvenirs  des  tragédies  de  Sénèque,  prises  clans 
leur  ensemble. 

Ce  qui  frappe  d'abord  Garnier  dans  Sénèque, 
c'est  l'éclat  et  le  pittoresque  des  comparaisons  qui  abon- 
dent chez  le  tragique  latin  :  elles  sont  sans  cesse  pré- 
sentes à  sa  mémoire,  et  il  sait  les  glisser  dans  sa  pièce 
aussitôt  que  l'occasion  s'en  présente  (2). 

(1)  Bernage,  Robert  Garnier,  p.  110. 

(2)  Voir  dans  Bohm.  Beitrâge  zûr  Kenntinniss  des  EinflûssesSeneca'saùf  die 
1552-1562  erschienen  f ranz<  >sischen  Tragédien,  l'histoire  du  texte  de  Sénèque.  Le 
xvie  siècle  n'a  connu  que  la  famille  des  mss.  interpolés  dont  les  leçons  sont  dési- 
gnées par  la  lettre  A  dans  l'édition  Leo(Weidmann.  Berlin  1879)  d'après  laquelle 
je  cite  le  texte  de  Sénèque. 


82  LES   IMITATIONS    DE    R.    GARNIER 

Urée,  à  la  vue  de  son  frère,  qui,  sans  méfiance,  vient 
se  livrer  à  lui  avec  ses  enfants,  peu!  ;i  peine  retenir  sa 
joie  et  dissimuler  la  naine  qu'il  garde  au  fond  de  son 
cœur  contre  le  criminel.  Son  frère  à  sa  merci,  c'est  la 
bête  sauvage  tombée  dans  les  filets  du  chasseur  avec  ses 
petits   : 

Plagis  tenctur  clusa  dispositis  fera, 
Et  ipsum  et  una  generis  invisi  indolem 
Junctam  parenti  cerno.  Jam  tutoin  loco 
Versantur  odia.  Venit  in  nostras  manus 
Tandem  Thyestes,  venit  et  totus  quidem...  (1) 

Avec  la  même  comparaison  empruntée  au  langage  de 
la  chasse,  NabuchodonOsor  peint  sa  joie  de  voir  Sédécias 

et  ses  entants  prisonniers   : 

Je  le  tiens,  le  le  tiens,  je  tiens  la  beste  prise, 
Je  jouis  maintenant  du  plaisir  de  ma  prise, 
J'ay  chassé  de  tel  heur  que  rien  n'est  eschappé. 
J'ay  lesse  et  marquaoins  ensemble  enveloppé...  (2). 

Mais,  l'élan  donné  à  son  imagination,  Garnier  ne  s'ar- 
rête plus;  il  poursuit  sa  comparaison  et  la  complète  :  il 
loue  les  précautions  des  veneurs,  leur  ardeur  a  s'emparer 
de  la  bête,  et  tel  le  chasseur  rentré  d'une  véritable  expé- 
dition, Xabuchodonosor  continue   : 

IjC  cerne  fut  bien  fait,  les  toiles  bien  tendues 
Et  bien  avaient  été  les  bauges  reconnues...  (3). 

Hippolyte,  resté  sourd  aux  sollicitations  de  la  nourrice 
de  Phèdre,  qui  essayait  de  l'attendrir  et  de  le  convertir 
à  l'amour,  est  comparé  par  celle-ci  à  un  roc  défiant  les 
attaques  des  flots  : 

Ut  dura  cautes  undique  intractabilis 

Resistit  undis  et  lacessentes  aquas 

Longe  remittit,  verba  sic  spernit  mea...  (4). 

(1)  Thyeste,  v.  491  sq. 

(2)  Juives,  v.  887  sq. 

(3)  Juives,  v.  891. 

(4)  Phèdres,  v.  580. 


LES    IMITATIONS    DE    R.    GARNIER  83 

Lorsqu'il  veut  exprimer  à  Sédécias  l'inutilité  de  toute 
prière.  Nabuchodonosor  compare  son  cœur,  que  ni  les 
larmes,  ni  les  supplications  ne  peuvent  émouvoir,  a  un 
roc  entouré  par  les  flots  de  la  mer,  battu  sans  trêve,  mais 
jamais  entamé   : 

Je  suis  comme  un  rocher  élevé  sur  la  mer 
Que  les  ilôts  ni  les  vents  ne  peuvent  entamer. 
On  pourrait  escrouler  plustost  la  terre  toute 
Que  de  me  démouvoir  d'une  chose  résoute  (1  ). 

Une  autre  comparaison  empruntée  à  la  mer  est  relie 
d'OEdipe.  pour  qui  les  royautés,  exposées  sans  cesse  aux 
coups  de  la  Fortune,  ressemblent  à  des  rochers  frappés 
sans  arrêt,  par  les  eaux  de  la  mer  : 

Ut  alta  ventos  semper  excipiunt  juga 
Rupemque  saxis  vasta  dirimentem  fréta 
Quamvis  quieti,  verberant  fluctus  maris  : 
Imperia  sic  excelsa  Fortunae  objacent  (2). 

Le  chœur  des  Juives  a  une  comparaison,  à  peine  diffé- 
rente pour  exprimer  la  mobilité  de  la  fortune;  ses  présents 
volages 

...  ne  s'arrestent  non  plus 
Que  l'Océan  qui  mouille  ses  rivages 
De  flus  et  de  reflus  (3). 

Un  combat  terrible  se  livre  dans  le  cœur  de  Médée,  qui 
flotte  irrésolue  entre  son  amour  pour  ses  enfants  et  sa 
haine  pour  son  mari;  son  cœur  est  agité  comme  une  mer 
dont  les  flots  sont  soulevés  par  la  tempête   : 

Ut  saeva  rapidi  bella  quum  venti  gerunt 
Utrinque  fluctus  maria  discordes  agunt 
Dubiumque  pelagus  fervet.  Haudaliter  meum 
Cor  fluctuatur...  (4). 

(1)  Juive,  v.  1473. 

(2)  Œdipe,  v.  8. 

(3)  Juives,  v.  1769. 

(4)  Médée,  v.  940. 


84  LES    IMITATIONS    DF.    R.    GARNIER 

Garnier,  transformani  légèremeni  la  comparaison,  l'ap- 
plique à  la  description  de  la  douleur  de  Sédécias;  ses 
sanglots  se  succèdent  avec  la  même  rapidité  que  les  va- 
gues  d'une  mer  en  furie   : 

Luy  ayant,  le  parler  arresté  de  sanglots 
S'entrepoussant  l'un  l'autre  aussi  dru  que  les  flots 
D'une  mer  courroucée...  (1). 

Les  tyrans,  cruels  dans  Sénèque,  sont  toujours  des  lions 
ou  des  tigres;  ils  dépassenl  même  ces  hèles  sauvages  en 
cruauté   : 

Vincam  saevos 
Ante   leones   tigresque  truces 
Fera  quam  saevi  corda  tyranni  (2). 

De  même.  Sédécias  s'adressant  à  Nabuchodonosor,  que 
rien  ne  peut  fléchir,  s'écrie  : 

Egorge   les  enfans 

développant  ta  rage 

Pire  que  d'un  lion  et  d'un  tygre  sauvage!  (3). 

Les  comparaisons  avec  les  bêtes  sauvages  sont  d'ail- 
leurs des  plus  fréquentes  dans  Sénèque  :  Médée,  possé- 
dée de  fureur,  s'élance  de  tous  côtés,  dans  son  palais, 
telle  une  ligresse  parcourant  les  forêts  à  la  recherche  de 
ses  petits  qu'on  lui  a  dérobés  : 

Hue  fert  pedes  et  illuc 
Ut  tigris  orba  natis 
Cursu    furente    lustrât 
Gangeticum    nemus...     (4). 

Et  Sédécias,  à  la  vue  de  ses  enfants  qui  vont  être  livrés 
au  supplice,  s'élance  vers  eux,  tout  chargé  de  ses  chaînes, 


(1)  Juives,  v.  1925. 

(2)  Octavie,  v.  86. 

(3)  Juives,  v.  1482. 

(4)  Médée,  v.  862. 


LES    IMITATIONS    DE    R.    GARNIER  85 

Hurlant  de  telle  sorte 
Qu'une  Tygre  qui  voit  ses  petits  qu'on  emporte  (1). 

Garnier  est  trappe  par  les  belles  maximes  aussi  bien 
que  par  les  comparaisons  de  Sénèque,  niais  il  ne  traduit 
guère  les  maximes  de  Sénèque  :  il  préfère  les  réflexions 
un  peu  banales  de  ses  personnages,  et  leur  donne  un  tour 
sentencieux  qu'elles  n'ont  pas  toujours  cbez  le  poète  latin: 

Nostre  mal  ne  descroit  pour  nous  en  estre  plains 
Où  le  remède  faut,  rien  ne  sert  de  se  plaindre  (2). 

Phèdre  reçoit,  dans  Sénèque,  de  sa  nourrice,  ces  paro- 
les de  consolation  : 

Sepone  questus  :  non  levât  miseros  dolor  (3). 

La  grandeur  de  la  catastrophe  est  ainsi  annoncée  par 
le  prophète  : 

Les  pleurs  et  les  soupire  sont  pour  moindres  douleurs  (4). 

On  reconnaît  le  mot  d'Andromaque  aux  Troyennes   : 

Levia  perpessae  sumus, 
Si  flenda  patimur.  (5). 

Après  qu'il  a  l'ait  entrevoir  à  Amital  le  sort  brillant 
qui  attend  les  enfants  de  Sédécias  à  la  cour  d'Assyrie, 
le  prévost  conclut  sa  longue  tirade  par  une  maxime   : 

Quand  un  bien  se  présente  il  ne  faut  différer  (6). 

Atrée,  voulant  décider  son  frère  à  accepter  une  part  de 
la  royauté,  exprime  la  même  pensée,  sinon  en  une 
maxime,  du  moins  sous  une  forme  générale   : 

(1)  Juives,  v.  1915. 

(2)  Juives,  v.  1302. 

(3)  Hippolyte,  404. 

(4)  Juives,  1886. 

(5)  Troyennes,  v.  412. 

(6)  Juives,  v.  1658. 


8G  LES    IMITATIONS    DE    I!.    (.ARMER 


Quis  influentis  dona  Fortunae  abnuit?  (H. 

La  maxime  des  reines  :  «  Quiconque  esl  en  malheur  ne 
se  peul  esgayer  »  (2)  n'esl  pas  s'en  rappeler  la  maxime  de 
Thyeste  : 

Proprium  hoc  miseras  sequitur  vitium 
Nunquam  rébus  credere  laefis  (3). 

Par  contre,  une  maxime  de  Sénèquc  perd  quelquefois 
dans  Garnier  son  lour  sentencieux  : 

—  Incertus  animus  scire  quum  cupiat,  timel  (4). 

—  Je  désire  scavoir  ce  que  plus  je  redoute  (5). 

Le  bonheur  souhaité  par  le  prévost,  qui  maudit  la  vie 
des  cours   : 

O  qu'heureuX  est  celuy  qui  vit  tranquillement 
En  son  petit  mesnage  avec  contentement!  (6). 

est  le  bonheur  rêvé  par  le  (lueur  d'Hercule  furieux  : 

Haec,  innocuae  quibus  est  vitae 
Tranquilla  quies  et  laeta  suo 
Parvoque    domus...     (7). 

La  reine  invite  son  mari  à  déposer  son  orgueil  et  à 
craindre  le  sort  : 

Plus  le  sort  nous  caresse  et  plus  craindre  il  nous  faut, 
Car  plus  il  nous  élève  et  plus  cherrons  de  haut  (8). 

(1)  Thyeste,  v.  536. 

(2)  Juives,  v.  1726. 

(3)  Thyeste,  v.  938. 

(4)  Œdipe,  v.  209.  Cf.    Hercule   sur   l'Œta,    754.  Miserias   properant   suas, 
nudire  miseri. 

(5)  Juives,  v.   1956. 

(6)  Juives,  v.  1569. 

(7)  Hemtle  furieux,  V.  159. 

(8)  Juives,  v.  941. 


LF.S    IMITATIONS    DE    R.    GARNIER  87 

Cette  crainte  de  la  Fortune  trop  souriante  à  l'homme 
açite  le  chœur  des  Argiennes  dans  Agamemnon  : 

Quidquid  in  altum  Fortuna  tulit 
Huitura  levât   (1). 

Redoutable  dans  ses  bienfaits,  la  Fortune  vole  incons- 
tante de  l'un  à  l'autre,  incapable  de  se  fixer  quelque  part  : 

—  Volât  ambiguis 
Mobilis  alis  hora,  nec  ulli 
Praestat  velox  Fortuna  fidem  (2). 

[\eprenan1  la  même  image,  damier  l'ail  dire  à  la  reine 
d'Assyrie,  parlant  de  la  Fortune  : 

Ses  instables  faveurs  volent  sur  nostre  chef 

Bien  souvent  en  leur  place  y  laissent  du  meschef  (3). 

Mais,  ce  n'est  pas  seulement  dans  les  maximes,  les 
phrases  sentencieuses,  parfois  dans  les  images  que  Gar- 
nier  se  souvient  de  Sénèque;  il  donne  aussi  à  ses  person- 
nages les  traits  de  personnages  du  tragique  latin;  on  croi- 
rait souvent  entendre1  moins  Nabuchodonosor,  Amital, 
qu'Atrée,   Néron  ou  Hécube. 

Hécuhe  a  prédit  depuis  hien  longtemps,  avant  Cassan- 
dre  elle-même,  les  maux  qui  sont  venus  s'abattre  sur  la 
malheureuse  ville  de  Troie   : 

...  quidquid  adversi  accidit 
Quaecumque  Phoebas  ore  lymphato  furens 
Credi  deo  vêtante,   praedixit  mala, 
Prior  Hecuba  vidi  gravida,  nectacui  metus 
Et  vana  vates  an  te  Cassandram  fui  (4). 

Amital  a  possédé  aussi  ce  don  de  prévision  :  avec  Je  ré- 
mie,  elle  a  montré  à  son  fils  les  souffrances  qui  devaient 
accabler  son  peuple  : 

(1)  Agamemnon,  v.  100. 

(2)  Hippolyte,  v.  1141. 

(3)  Juives,  v.  021. 

(4)  Troyennes,  v.  33. 


O»  LES    IMITATIONS    DE    R.    GARXIER 

Je  prédis  ces  malheurs,  mais  je  ne  fus  point  creue, 

Ny  Jérémie  aussi,  Jérémie  à  qui  Dieu 

Faisait  voir  les  destins  du  pauvre  peuple  Hébrieu  (1). 

Hécube  s'accuse  d'avoir  provoqué  le  désastre  en  enfan- 
tant Paris,  la  cause  unique  de  ta  guerre  entre  Grecs  et 
Troyens  : 

Non  cautusignes  Ithacus,  aut  Ithaci  cornes, 
Nocturnus  in  vos  sparsit  aut  fallax  Binon 
Meus  ignis  iste  est,  facibusardetis  meis  (2). 

Amital  trouve  là  un  argumenl  touchant  bien  qu'un  pou 
subtil,  pour  la  défense  de  son  (ils  : 

Punissez  donc  son  crime  en  moy  qui  suis  luy-mesme, 

Aussi  bien  suis-je  assez  punissable,  estant  celle 
Qui,  au  monde,  ay  produit  ce  Roy  vostre  rebelle  (3). 

Hécube  ne  cosse  de  se  plaindre  de  sa  vie  trop  longue 
et  d'invoquer  la  Mort   : 

Mors    votum    meum 
Infantibus  violenta,  virginibus  venis 
Ubieumque  properas,  saeva,  me  solam  times   . 
Vitasque (4). 

Avec  des  accents  non  inoins  païens.   Amital  s'écrie   : 

Vien  Mort,  vien  Mort  heureuse!  et  ne  viendras-tu  pas? 
Tu  cours  à  tant  de  gens  qui  craignent  le  trespas 
Et  tu  me  fuis  dolente  ? (5). 

Non  moins  emphatiques  que  les  paroles  d'Atrée,  appa- 
raissant sur  la  scène  au  Ve  acte  du  Thyeste,  sont  celles 
de  Nabuchodonosor  faisant  son  entrée  au  IIe  acte  des 
Juives  : 

(i)  Juives,  v.  1040. 

(2)  Troyennes,  v.  38. 

(3)  Juives,  v.  1100. 

(4)  Troy-.nnes,  v.  1171. 

(.')  Juives,  v.  2009.  Cf.  V.  384. 


LES    IMITATIONS    DF.    R.    GARNIES  89 

—  Pareil  aux  Dieux  je  marche (1). 

—  Aequalis  astris  gradior  et  cunctos  super 
Altum  superbo  vertice  attingens  polum....  (2). 

Les  hésitations  du  roi  d'Assyrie,  au  [Ve  acte  des  Juives, 
n'ont  rien  d'un  véritable  combal  se  livranl  dans  son  cœur; 
elles  rappellent  les  hésitations  d'Atrée  au  11e  acte  du 
Thyeste  : 

Que  je  fusse  en  mon  cœur  si  lâche  et  si  remis, 
Si  faible  de  courage  envers  mes  ennemis 
Demeurant  sans  vengeance  et  trahissant  la  gloire 
Et  le  fruit  doucereux  d'une  telle  victoire  (3) 
Ignave,  iners,  enervis  et  quod  maximum 

Probrum  tyranno  rébus  in  summis  reor 

Invite,  post  tôt  scelera Ci) 

11  n'est  pas  jusqu'à  Sédécias,  qui,  dans  une  situation 
pareille  à  celle  d'OEdipe,  les  yeux  crevés,  l'âme  pleine 
de  douleurs,  ne  prenne  une  antithèse  aux  plaintes  du 
héros  grec   : 

—  Astres 

Mes  yeux  ne  verront  plus  vostre  lumière  belle 
Et  vous  verrez  toujours  ma  passion  cruelle  (5). 

—  Non  video  noxae  conscium  nostrae  diem, 
Sed    videor (6K 

Les  personnages  des  Juives  ne  craignent  pas  la  mort  : 
nous  axons  vu  Amital,  à  l'exemple  d'Hécube,  l'appeler 
avec  beaucoup  de  vivacité,  de  même  les  Reines,  de  même 
Sédécias,  aspirent  après  la  mort,  comme  après  une  déli- 
vrance; elle  est  le  porl  heureux  où  les  vivants  atteignent 
l'oubli   : 

C'est  mon  port  de  salut  par  qui  sera  ma  vie 
De  tant  d'adversitez  pou'"  iamais  affranchie  ("). 

(1)  Juives,  v.  181. 

(2)  Thyeste,  V.  88."). 

(3)  Juives,  v.  1361. 

(4)  Thyeste,  v.  162. 

(5)  Juives,  v.  2093. 

(6)  Pliéniciennes,  v.  '.). 
'  (7)  Juives,  v.  1307. 


90  LES    IMITATIONS    1)1      R.    GARNIER 

L'image  vient  de  Sénèque   : 

Heu  quam  dulce  malum  mortalibus  additum, 
Vitae  dirus  amor  quum  pateat  malis 
Effugium  et  miseros  libéra  mors  vocei., 
Portus  aeterna  placidus  quiète  { 1  ). 

<  'est  qu'après  la  morl  il  n'y  a  ;>lus  rien  :  elle  esl  la  fin 
de  toute  chose:  qui  arrive  à  ce  terme  dépose  toul  désir  et 
toute  crainte;  telles  sont  les  considérations  par  lesquelles 
\ahuzardan  veut  arr-afeher  Sédécias  à  la  morl  qui  le  me- 
nace : 

La  mort  l'affranchira  de  ses  tourments  cruels 
Qui  lui  seraient  vivant,  trespas  continuels. 
Ce  n'est  rien  de  mourir;  la  mort  tant  soit  amère 
N'est  aux  calamiteux  qu'une  peine  légère  (2). 

Si  ces  réflexions  n'ont  pas  dans  la  bouche  de  Nabu- 
zardan  le  ton  d'une  philosophie  désabusée,  elles  n'en  rap- 
pellent pas  moins  les  vers  du  chœur  des  Troyennes  : 

Post  mortem  nihil  est,  ipsaque  mors  nihil 

Velocis  spatii  meta  novissima 

Spem  ponant  avidi,  solliciti  metum  (3). 

D'après  Nabuzardan  encore,  puis  d'après  Amilal.  nulle 
souffrance,  nul  châtiment  ne  peuvent  égaler  pour  un  roi 
l'esclavage  et  la  perte  de  son  royaume  : 

A  un  Roy,  que  peut-il  endurer  davantage 

Que  de  se  voir  réduit  en  si  honteux  servage? 

Que  de  se  voir  priver  de  son  sceptre  ancien? 

Que  d'avoir  tout  perdu?  Que  de  Roy  n'estre  lien?  (4). 

Pensée  souvent  exprimée  par  les  personnages  de  Séné 
que   : 

—  !n  servitutem  cadere  de  regno,  grave  est  (!  ). 

—  Si  poena  petitur,  quae  peti  gravior  potest? 

(1)  Octavie,  v.  14. 

(2)  Juives,  v.  233. 

(3)  Troyennes-,  v.  397. 

Ci  Juives,  v.  219.  Cf.  1053. 
(1)  Pkùnicienncs,  v.  598. 


LES    IMITATIONS    DE    R.    GARNIER  91 

Famulare  collo  nobili  subeat  jugum 
Servire  liceat  :  aliquis  hoc  régi  negai9  (1) 

Les  personnages  sont  annoncés  de  la  mémo  façon  que 
les  personnages  de  Sénèque.  Sédécias  voit-il  arriver  Na- 
buchodonosor,  il  le  signale  en  le  décrivanl   : 

Mais  voicy  le  Tyran.  O  Pieu  lf  sang  me  glace 
De  voir  son  lier  regard  et  sa  tetrique  face!  (2). 

Et  cette  description  n'esl  pas  différente  de  celle  de 
Pyrrhus  ou  de  Néron  apparaissant  sur  la  scène   : 

—  Sed  incitato  Pyrrhus  accurril  gradu 

Vuituque  torvo...  (3). 

—  Sed  ecce  gressu  fertur  attonito  Nero 

Truoique  vultu  ('•). 

Garnier  se  soucie  peu  de  marquer  les  moments  de  la 
journée  où  se  déroulent  les  divers  actes  de  sa  pièce  :  au 
'2e  acte  cependant,  par  les  premières  paroles  de  la  femme 
de  Nabuchodonosor,  nous  sommes  avertis  que  le  soleil 
n'est  pas  nui  tic  levé  depuis  longtemps:  elle  lui  adresse 
son  premier  salut  de  la  journée  : 

O  heau  soleil  luisant  qui  redores  le  monde 
Aussitôt  que  la  nuit  te  voit  sortir  de  l'onde, 
Rayonnante  lumière,  œil  de  tout  l'univers 
Qui  deschasses  le  somme (5). 

C'est  ainsi  qu'Octavie  indique  l'instant  de  la  journée  où 
s'ouvre  la  pièce   : 

.lam  aga  ccpIo  sidéra  fulgens 
Aurora  Fugat  :  surgit  Titan 
Radiante  coma,  rnundoque  diem 
Reddit  clarum  (6). 

(1)  Troyennes,  v    746. 

(2)  Juives,  v.  1851. 

(3)  Troyenies,  v.  999. 
(î)  Octavie,  v.  i3fi. 

(5)  Juives,  v.  ."» •  i 7 . 

(6)  Octavie.  v.  1. 


95  LES    IMITATIONS    DE    R.    GARMKR 

Le  style  de  Garnier  tourne  souvent  au  procédé;  l'ex- 
pression devient  cliché,  les  termes  en  peuvent  changer,  le 
moule  dans  lequel  est  coulée  la  pensée  se  retrouve  tou- 
jours et  se  laisse  immédiatement  reconnaître;  il  est  loin 
d'être  toujours  une  trouvaille  de  Garnier. 

Thyeste  a  de  ronflantes  hyperboles  pour  exprimer  la 
ténacité  de  la  haine  que  son  frère  nourrit  contre  lui   : 

Amat  Thyesten  frater.'  aetherios  prius 
Perfundet  Arctos  pondis  et  Siculirapa.v 
Consistet  aestus  unda  et  ionio  seges 
Matura  pelago  surget  et  lurem  dabit 
Nos  alra  terris (1). 

\on  moins  ronflantes  sont  les  hyperboles  de  Nabucho- 
donosor;  on  y  retrouve  aussitôt  l'influence  de  Sénèque 
qu'elles  ne  font  que  traduire,  en  ajoutant  parfois  un  élé- 
ment plus  conforme  au  sujet:  on  dirait  Garnier  préoccupé 
de  la  couleur  locale  : 

Pardonner  ?  ha,  plustost  sera  le  ciel  sans  fiâmes, 
La  terre  sans  verdure  et  les  ondes  sans  rames, 
Plustost,  plus  tôt  l'Eufrate  encontre  montira 
Et  plustost  le  soleil  en  ténèbres  luira...  (2) 
Plustost  mille  couteaux  plongent  en  ma  poitrine  (S) 
Plustost  tombe  sur  moy  la  céleste  machine.    ' 

Ailleurs.  Xabuchodonosor,  parlant  des  vains  efforts  de 
Sédécias  pour  faire  échec  à  son  pouvoir,  s'écrie  dans  son 
indignation  : 

Contre  ma  volonté  se  penser  faire  roy9 

C'est  faire  proprement  aux  estoiles  la  guerre 

C'est  vouloir  arracher  de  Jupin  le  tonnerre  (4). 

Souvenir  encore  de  Sénèque  et  ressemblance  de  plus 
entre  Xabuchodonosor  et  Atrée   : 


(1  )  Tkyeste,v.  476.  Cf.  Œdipe,  v.  50».  Iferade  sur  VŒta,  467,  1578,  Ortavie,  222 

(2)  Juives,  v.  899. 

(3)  Juives,  v.  1459. 

(4)  Juives,  v.  214. 


LES   IMITATIONS    DE    R.    GARNIER  93 

kegna  nunc  spcret  mea? 
Hac  spe  niinanti  fulmen  occurret  Jovi, 
Hac  spe  subibit  gurgitis  tumidi  minas 
Dubiumque  libycae  Syrtis  intrabit  f rot  um....  (1). 

Ailleurs,  ce  sont  des  expressions  qui  nécessitent  un 
commentaire  et  ne  sont  claires  que  pour  qui  a  lu  le  tragi- 
que latin,  telle  celle  exclamation  des  reines  à  la  suite  du 
récit  du  prophète  : 

O  Scythiqucs  horreur»!  <2). 

toute  mesure  cruelle  dans  Sénèque  est  digne1  des  «ri- 
mes des  Barbares,  des  Gèles  ou  des  Scythes  : 

Nefas,...  quorl  non  ulla  tellus  barbara 
Commisi*.  unciuam,  non  vagi  campis  Gelae 
Nec  inhospitalis  Taurus  aut  sparsus  Scythes  (3). 

Des  traits  d'un  goût  douteux  même  viennent  de  Sénè- 
que :  Amital  se  représente  en  pleurs  devant  le  cadavre 
de  son  mari,  elle  se  penche  sur  lui, 

à  sa  bouche   collée, 
Les  restes  recueillant  de  son  âme  envolée  (4). 

Alcmène,  devant  son  fils  Hercule  à  l'agonie,  fait  enten- 
dre cette  prière  : 

Membra    complecti    ultima 
O  nate  liceat,  spiritus  fugiens  meo 
Legatur  ore (5). 

Quant  aux  récits,  ils  ne  sont  pas  tributaires  des  récits 
de  Sénèque;  Garnier  préfère  les  imaginer  de  toutes  pièces; 
il   ne   demande   pas   à    sa   mémoire   de   lui   en   fournir  la 


(1)  Tkyeste,v.  2*9. 

(2)  Juives,  v.  2030. 

(3)  Hippolyte,  V.  1G6.  Cf.  Thyeste,  627. 

(4)  Juives,  v.  415. 

(5)  Hercule  sur  VŒtn,  v.  1340. 


94  LES    IMITATIONS    DE    R.    GARNÏER 

matière;  c  est  tout  au  plus  si,  dans  le  récil  du  supplice, 
la  description  de  l'attitude  «les  vainqueurs  a  pu  lui  être 
suggérée  par  deux  vers  du  récil  des  Troyennes;  l'indica- 
tion de  Sénèque  devient,  dans  Garnier,  un  véritable  ta- 
bleau  : 

Uterque  flevit  cœius.  Àttittlidum  PhrygeS 
Mixrrr  gemitum;  clariusvictor  getrtit  (  1  ). 
Ne  peuvent  sans  plorer  regarder  ces  misères', 
Les  uns  se  retiroyent  ou  destournoyrnt  les  yeux, 
l.cs  autres  g.  missans,  detestoyent  terre  el  cieux  (2). 


Enfin,  la  scène  I  de  l'acte  11  mérite  d'être  examinée  à 
part;  la  reine  demande  à  son  nia  ri  la  grâce  des  prison- 
niers; à  la  façon  de  Sénèque,  le  débat  s'ëlève  bien  vite 
au-dessus  du  cas  particulier:  les  maximes,  les  réflexions 
générales  se  heurtent  et  s'opposent  :  une  bonne  partie  de 
la  scène  n'est  qu'une  mosaïque  faite  d'emprunts  à  Sénè- 
que et  surtout  au  Thyeste  et  à  Octavie  : 

N.  Pardonnant  un  outrage  on  en  excite  deux  (3). 

R.  Des  peuples  vos  sujets  l'advis  est  au  contraire. 

N.  Ce  que  le  prince  approuve  à  son  peuple  doit  plaire 

R.  Quelle  gloire  de  n'estre  honoré  que  par  feinte  !  (4). 

N.  Mais  c'est  une  grandeur  de  l'être  par  contreinte. 
La  louange  et  l'amour  sont  communs  à  chascun 
Mais  de  contreindre  un  peuple  à  tous  n'est  pas  commun. 
Il  n'appartient  qu'aux  grans.  Les  Roys  sont  craints  de  force 
Et  les  petits  aimez  par  une  douce  amorce. 

R.  Vous  le  serez  comme  eux  n'aimant  que  la  vertu. 

N.  Cela  sentiroit  trop  son  courage  abatu. 
Celuy  ne  règne  pas  qui  son  vouloir  limite 
Aux  Rois  qui  peuvent  tout,  toute  chose  est  licite 

R.  Un  prince  qui  peut  tout  ne  doit  pas  tout  vouloir. 

N.  Conformez-vous  à  Dieu  dont  la  force  est   suprême. 

N.  Dieu  fait  ce  qu'il  lui  plaist  et  moy  je  fay  de  même, 

Exstinguere  hoslem,  tnaxima  est  virtus  ducis  (5). 
(Satelles)  Fama  te  populi  nihil  (6). 

(1)  Troyennes,  v.  1100. 

(2)  Juives,  v.  1931. 

(3)  Juive*,  v.  90fi  s?. 
( \)  Juives,  v.  (.MÔ. 

(5)  Octavie,  v.  443. 

(6)  Thyeste,  v.  2'»4.  .     , 


LES   IMITATIONS    DE    R.    GARNIE»  95 

Adversa  terret  ? 

(AtreUS)  Maximum  hoc  regni  bonum  est 
Quod  facta  dnmini  cogitur  populussui. 
Tam  ferre  quam  laudare. 
(Satelles)  Quos  cogit  melus. 
Laudare,  eosdem  reddit  inimicos  metus 
Atqui  favoris  gloriam  veri  petit 
Anima  magis  quant  voce  laudarivotet. 
(Atreus)  Laus  vera  et  humili  sœpe  conlingil  viro 
Non  nisi  potenti  falsa.  Quod  nolunt,  velint. 
fte£  velit  honesta,  nerno  non  eadern  volet- 
Inertis  est  nescire  quid  liceat  sibi  (1).. 
(Néron)  Fortuna  nostra  cuncta  permittil  mihi  (2). 
(Senèque)  Id  facere  laus  est  quod  decet,  non  quod  lieet  (3). 
(S)  Ut  facta  Superi  comprobent  semper  tua  (4). 
(N)  Stulte  verebor  ipse  quum  faciatn  Deos  (5). 

Des  maximes  politiques  répandues  dans  cette  scène, 
on  peut  rapprocher  celle  de  Nabuzardan  : 

. . .  Un  roy  qui  peut  tout  n'a  qu'à  se  retenir, 
Si  queliu  un  1  a  fasrhé  de  ne  le  trop  punir  (6). 
—  Quo  plura  possi*,  plura  palienler  feras  ("). 

Dans  le  détail,  comme  dans  le  plan,  ce  sont  les  imita- 
tions des  Troyennes  qui  dominent.  Garnier  écrit  les  Juives 
la  mémoire  bourrée  des  souvenirs  de  cette  tragédie  de 
Sénèque  :  il  songe  si  bien  à  elle  qu'il  reprend  souvent  des 
traits  de  sa  propre  Troade,  largement  copiée  dans  les 
Troyennes  de  Sénèque,  et  ainsi  Juives  et  Troade  invitent 
à  de  curieux  rapprochements  :  l'imitation,  dans  les  Juives. 
n'est  plus  alors  qu'une  imitation  au  deuxième  degré,  une 
variante  sur  un  libretto  bien  connu.  Quoi  d'étonnant, 
puisque  l'une  et  l'autre  pièce  sont  surtout  des  lamenta- 
tions de  pauvres  captives  sur  de  «  moiteuses  rives  ?  »  (8). 


■ 


(1)  ftctavie. 

v.  453. 

12)        - 

v.  45!. 

i3)        - 

v.  454. 

(4)       — 

v.  448 

(5)  Cf.  Hercule  fwieur,  489.  Quod  Jovi,  hoc  régi  îireî.        ,-     7'" 
(•  )  Juives,  v.  277.  ,  , 

(7)  Tro-:enn-s,  v.  254.  k,  ;.  |  ..! 

(S)  fiAENIER,  T  oadi;  v.  282.  Juws,  v.  VY.t. 


-r-. 


96  LES    IMITATIONS    DE    R.    GARNIER 


III 

Les   autres    imitations 

Tandis  que  dans  ses  tragédies  antérieures,  Garnier  a 
su  recourir  aux  tragiques  grecs  et  n'a  pas  dédaigné  de 
1rs  imiter  ou  de  leur  faire  des  emprunts  considérables, 
dans  les  Juives  il  ne  parait  pus  s'être  beaucoup  souvenu 
d'eux.  M.  Hernage  (1)  signale  «  des  imitations  assez,  nom- 
breuses  et  ingénieuses  d'Euripide  et  de  Sophocle  »,  niais 
n'en  relève  aucune.  En  réalité.  Garnier,  dans  sa  dernière 
tragédie,  ne  doit  rien  aux  Grecs. 

La  scène  même  où  Sédéeias,  les  yeux  crevés,  le  visage 
tout  sanglant,  reparaît  pour  entendre  la  prophétie  qui  doit 
terminer  la  pièce  sur  un  grand  espoir,  n'est  pas  une 
copie  de  la  dernière  scène  à'OEdipe.  Dans  le  détail,  une 
seule  imitation  est  à  relever.  Le  chuuir  des  Juives  oppose 
la  situation  misérable  d'Amital  prisonnière,  à  sa  grandeur 
passée  : 

Royne,  mère  des  Rois  de  l'antique  Sion 
Ores  nostre  compagne  en  dure  affliction....  (2). 

comme    Hécube,    dans    Euripide,    opposait    elle-même    sa 
condition  présente  à  sa  puissance  d'autrefois  : 

A'/îT    w  7ràe5cf .  tvjv  ypxûv  nph  5ôp.wv 
TjDwâSs;,  ûptîv,  npôaQs  S'àua<T<rav  (3) 

ce  que  Garnier  avait  déjà  traduit  dans  sa  Troade  : 

Compagnes  oui  naguère  estiez  l'honneur  de  Troye 
Et  maintenant  des  Grecs  estes  la  vile  proye. 
Soustenez  moy  te  corps,  rompu  d'âge  et  d'ennuis; 
hsciaves  maintenant  avec  vous  je  suis 
Oe  Royne  triomphante  et  de  mère  féconde...  (1  ). 

il)  Rernacë.  Rober»  Garnier,  p.  110. 

(2)  Juivs,  v.  393. 

(3i  Hécube,  v.  f>9  (Euripide). 

(1i  Garnier,  Troad»,  III,  I,  ^.  1225. 


LES    IMITATIONS    DE    R.    GARNIER  97 

Ce  rapprochement  n'es!  pas  suffisanl  pour  qu'il  y  ait 
lieu  de  parler  d'une  influence  «les  tragiques  grecs  sur  les 
Juives;  dans  celle  pièce,  Garnier  ne  les  a  eu  aucune  façon 
imités,  il  les  a  complètement   oubliés. 

Il  ne  semble  pas  non  plus  que  d'autres  influences  litté- 
raires aient  pu  s'exercer  sur  les  Juives;  l'influence  de 
Sénèque  domine  toutes  les  autres,  même  colle  de  la  Bible, 
et  cette  influence  est  à   peu   près  exclusive. 


Cette  recherche  des  imitations  de  Garnier  dans  les 
Juives  précise  et  rectifie  sur  quelques  points  les  indica- 
tions de  M.  Bernage.  Dans  la  conception  générale  de  la 
pièce,  le  souvenir  des  Troyennes;  dans  le  détail,  le  souve- 
nir de  tout  le  théâtre  de  Sénèque  sont  très  vivants  dans 
l'esprit  de  Garnier  au  moment  où  il  écrit  les  Juives.  Inca- 
pable de  créer  seul  ses  personnages,  il  en  l'ait  des  répli- 
ques de  personnages  de  Sénèque;  Nabuchodonosor  a  l'or- 
gueil, la  cruauté,  l'impiété  d'un  Néron  ou  d'un  Atrée; 
Amital,  un  des  rôles  les  plus  considérables,  est  une  Hé- 
cube;  l'un  et  l'autre  empruntent  souvent  leurs  pensées, 
leur  langage  aux  personnages  de  Sénèque.  L'imitation  de 
Garnier  dans  sa  dernière  tragédie  n'est  pas  assez  souple 
encore  pour  qu'on  n'y  retrouve  la  trace  bien  nette  impri- 
mée sur  son  esprit  par  l'œuvre  de  Sénèque  :  il  en  aime 
les  maximes,  les  comparaisons,  les  clichés  de  style,  les 
défauts  aussi  bien  que  les  qualités;  il  l'a  si  bien  présente 
à  la  mémoire  qu'à  tout  instant  il  en  apparaît  dans  sa  pièce 
comme  des  lambeaux.  Et,  quand  il  n'imite  plus  Sénèque 
d'une  façon  aussi  littérale,  c'est  encore  Sénèque  qu'on 
retrouve  dans  ces  dialogues  où  le  vers  s'oppose  au  vers, 
dans  la  prolixité  des  récits,  précédés  de  multiples  pré- 
cautions oratoires,  dans  l'exubérance  et  le  coloris  gros- 
sier -les  descriptions. 

Si  l'on  met  à  part  quelques  trouvailles  de  détail,  intéres- 
santes et  parfois  dramatiques,  l'originalité  de  Garnier 
n'apparaît  réelle  que  dans  les  tirades  religieuses,  à  peine 
animées  d'un  souffle  biblique,  dans  les  récits  et  les 
chœurs. 


98  1  ES    IMITATION-    DE    H.    GARNIER 

M.  Bernage  a  donc  eu  raison  de  signaler  l'influence 
considérable  de  Sénèque  sur  les  Juives  :  elle  est  telle  que 
la  formule  pouvant  le  mieux  rendre  compte  de  la  pièce 
serait  assurémenl  celle-ci  :  une  tragédie  très  voisine  des 
Troyennes,  de  Sénèque,  semée  de  soin  cuirs  du  tragique 
latin,  niais  dans  laquelle  l'inspiration  religieuse  se  subs- 
titue généralement  à  l'inspiration  païenne.  S'il  est  curieux 
d?  voir  Garnier,  dans  une  pièce  biblique,  s'inspirer  a 
peine  de  l;i  Bible,  et  se  souvenir  ;ui  contraire  sans  cesse 
tic  l'œuvre  dramatique  de  Sénèque. nul  t'ait  n'est  plus  capa- 
ble de  montrer  combien  cette  œuvre  fut  admirée  par  nos 
premiers  tragiques  et  quelle  influence  considérable  elle 
a  eu  sur  leurs  pièces,  étouffant  trop  leur  originalité. 

B.  Georgin. 


NUOVE  CORREZLONI  AI  TESTl  Dl  BONIFAGIO  GALVO 


I  coraponiraenti  di  Bonifacio  Calvo  sono  stati  editi  da 
M.  Pelaez,  Giorn.  stor,  d.  letl.  ital.,  XXIX,  318  sgg.  — 
Alcune  ottime  correzioni  suggeri  0.  Schultz-Gora  ne\\&  Zeit- 
schrift  del  Grober,  XXI,  571-572.  Adtri  emendamenti  costi- 
tuiscono  l'oggetto  di  questa  brève  nota,  per  la  quale  si  utilizza 
il  ms.  a,  che  raostra  di  riattaccarai  in  tutto  alla  fonte  di  1  e 
K  ». 

II,  vv.  1-4. 

Er  quan  vei  glassatz  los  rius 
el  freitz  es  enics  e  fers, 
que  torz  e  fen,  sech'  e  trencha, 
chant  eu  trop  miels  qu'en  abril. . . 

I  mss.  dànno  totz  (I  Ka),  ma  sul  primo  t  di  a  il  correttore 
(Piero  del  Nero)  ha  posto  un  c,  il  che  significa  che  l'originale 
di  a  leggeva  :  cotz.  Credo  che  cotz  si  debba  conservare  anzi 
tutto  perla  correlazione  dei  verbi  nel  v.  3  (cotz  corrisponde  a 
sech?  e  fen  a  trencha)  e  poi  perché  è  molto  probabile  che 
questo  cotz  sia  un  ricordo  classico  (frigus  urit).  Oltre  a  ciô, 
si  pensi  che  allô  spirito  umano  il  «  freddo  »  e  il  «  caldo  »  si 
presentano  talmente  connessi  fra  loro,  che  in  moltissime 
lingue  la  radiée  ne  è  la  medesima.  Gfr.  Trombetti,  Limita 
d'origine  del  linguaggio,  Bologna,  1905,  164-165  (2). 

XV,  41-43. 

Vai  dir,  sirventes  noveus, 
Celleis,  cui  sut  miels, 
qel  bes  quem  fai,  ecc. 

1  Lo  studio  < I eï  mss.  e  délie  loro  lezioni  conduce  alla  conclusione 
che  Bonifacio  Calvo  e  Lanfranco  Cigala  abbiano,  essi  medesimi,  dato 
l'ultima  mano  al  loro  canzouiere.  In  tutti  i  codici  l'ordine  délie  poésie 
è  lo  stesso,  e  le  vaiianti  dipendono  dalla  maggiore  o  minore  abilità 
dei  copisti. 

(2)  Sul  prov.  coire  (Rayn.  cozer)  si  v.  Levy,  5.  W.,  I,  276. 


100     NUOVE   CORREZIONI  AI   TESTI  DI   DOMFACIO   CALVO. 

Pelaez  non  avverte  che  il  v.  42  raanca  di  una  sillaba. 
Rocliegude  aveva  proposto  :  a  cellei  cui  soi  miels  sieus.  Si 
Iegga  con  a  :  celeis  cui  sui  miels  qe  mieus. 

XVI,  72. 

Qu'il  o  vueill'  en  grat  prendre 

Questo  verso  ha  una  sillaba  di  meno,  corne  hanno  osser- 
vato  Appel  (Chrest.  n°  38)  e  Schultz-Gora,  Ztf.  cit.,  572.  La 
lezione  di  a  lo  corregire,  poichè  prima  di  uueill  si  ha  deinhee, 
cioè  deinhee  vueill'.  Schultz-Gora  ha  giustamente  osservato 
che  B.  Galvo  si  comporta  con  molta  libertà  rispetto  alla 
cesura  (p.  573);  ma  qui  si  potrebbe  anche  sopprimere  Y-e  di 
demke.  Il  verso  in  a  suona  dunque  :  qel  deinhe  e  uueill  en  grat 
prendre. 

XVIII,  8. 

Sobrera  totz  cels  per  cui  mal  en  pren. 

Secondo  il  Pelaez,  I  K  darebbero  questo  verso  cosi  :  sobran 
tolz  cels  per  cui  mal  en  pren  ;  ma  io  dubito  molto  dell' esat- 
tezza  di  questa  lezione,  poichè  d  [c.  271a),  che  è  copia  di  K, 
ha  inveca  :  Sobran  atotz  cels  per  cui  mal  pren,  cioè,  non  ha  en 
e  legge  a  totz.  Non  ho  modo  di  vedere  I  e  K,  ma  fondandosi 
su  d,  si  puô  quasi  essere  sicuri,  corne  dico,  che  la  loro  lezione 
deve  essere  identica  a  quest  'ultima  riportata.  La  correzione  di 
Sobran  in  sobrera  è  già  nella  Crest.  del  Bartsch,  275  l. 

Il  ms.  a  ha  :  sobrari  atotz,  ove  ri  è  di  mano  del  correttore. 
Accettando  questa  lezione  sobraria  totz,  inutile  aggiungero 
dopo  :  en. 

Giulio  Bertoni. 


1  [Nella    nuova   edizione,  curata  dal   Koschwitz    e   dal  Wechssler 
1904,  col.  301  si  legge  infatti  :  Sobran  atotz  I  Kd,  en  manque  I  Kd.] 


NOTES  SI  |{  UAOUL  DK  CAMBHAI 


Après  avoir  reposé  pendanl  un  quarl  de  siècle,  la  ques 
lion  des  origines  de  Raoul  de  Cambrai  a  été  réveillée  par 
la   polémique   retentissante   entre   M.    Bédier  et   M.    Lon- 
gnon  (1).  Dans  son  dernier  article,  M.  Longnon  exprimait 

la  craint»1  que  la  question  ne  fût  peut-être  pas  susceptible 
de  solution  certaine  (2),  el  -i  je  me  permets,  malgré  cela, 

de  reprendre  un  sujet,  dont  je  m'étais  déjà  occupé  il  y  a 
deux  ans.  a  un  point  de  vue  à  la  vérité  très  spécial  (•!)•  c'est 
que  le  désir  de  nie  tonner  une  opinion  motivée  sur  le 
point  débattu  entre  M.  Bédier  et  M.  Longnon  m'a  amené 
à  faire,  pour  mon  compte,  des  recherches  sur  les  origines 
de  Raoul  de  Cambrai  et  (pie  leur  résultat  m'a  paru  assez 
assuré  pour  être  soumis  aux  historiens  de  la  littérature 
française. 

1.  La  question  préalable  des  archaïsmes  iuriditjucs 

Cette  question  ne  préjuge  évidemment  pas  de  la  solu- 
tion   définitive,    je   veux     dire     que     l'absence    d'archaïs 
mes  juridiques  dans  la  chanson  conservée  laisse  entier»1 
la  question  des  origines  de  la  geste.  Mais  il  est  clair  que 

(1)  Les  articles  de  M.  Bédier,  publiés  dans  la  Revue  historique, 
ont  été  réimprimés  dans  ses  Légendes  épiques,  II,  p.  319  sqq.  et  p. 
415  sqq.  Lee  articles  de  M.  Longon  ont  été  insérés  dans  Romania  37, 
p.  193  sqq.  et  491  sqq.  ;  38,  p.  219,  sqq. 

(2)  Rom.    38,    p.   222. 

(3)  Revue,  des  langues  romanes,  1907,  p.  237  sqq.  —  En  me  repro- 
chant d'avoir  tiré  de  mon  étude  des  conclusions  qu'elle  ne  compor- 
tait pas,  M.  Paul  Meyer  (Rom.  37,  p.  470)  a  dû  être  trompé  par 
une  des  phrases  du  début  de  mon  article,  où  je  donnais  mon  adhé- 
sion à  la  théorie  de  M.  Bédier.  Je  croyais  alors,  sans  restriction,  à 
la  thèse  soutenue  dans  les  Légendes  épique.',  mais  je  me  suis  bien 
gardé  de  tirer  de  mes  reoherches  des  conclusions  sur  les  origines  de 
la  chanson.  Je  me  suis  borné  à  constater  que  cette  chanson  ne 
portait   aucune    trace    d'archaïsmes    juridiques. 

9 


L02  Mil  ES   SI  R    RA01  I.   DE   C  \\li:i;  \I. 

-i  les  allusions  juridiques  «lu  poème  reflétaienl  un  étal  «  le 
droil  archaïque,  la  thèse  de  \1.  Longnon  recevrait  un  appui 
considérable.  Les  conclusions  négatives  qui  se  dégageaient 
de  l'étude  que  j'ai  publiée  à  ce  sujel  en  1907  ont  été  ré- 
cemment contestées  par  M.  Jacques  Flach  dans  un  article 
où  il  a  cru  pouvoir  me  traiter  de  béjaune  (1).  Je  ne  crois 
pas  qu'il  faille  être  historien  «lu  droil  pour  apprécier  la 
valeur  «les  objections  de  M.  Flach;  une  connaissance  élé- 
mentaire des  institutions  du  moyeu  âge  y  suffirait  ample- 
ment. Comme  toutefois  certains  de  mes  lecteurs  peuvent 
être  complètemenl  étrangers  à  l'histoire  juridique  du 
moyen  âge,  je  me  mus  obligé,  à  mon  grand  regret,  de 
discuter  1rs  critiques  de  mon  éminent  contradicteur  (2). 

1°  J'ai  dit  que  l'hommage  purement  personnel,  dont  on 
trouve  une  trace  dans  la  chanson,  étant  encore  fréquent 
--mus  Philippe-Auguste,  ainsi  que  le  prouve  la  manière 
dont  ce  souverain  lève  la  dîme  saladine,  il  ne  saurait 
passer  pour  un  trail  archaïque  (p.  245  sqq,  tirage  à  pari 
p.  Il  sqq).  M.  Flach  réplique  qu'au  XIIe  siècle,  cel  hom- 
mage «  se  rencontrait,  mais  à  titre  d'exception,  tandis 
qu'il  est  la  règle  dans  la  chanson  de  Raoul  et  qu'il  était 
la  règle  dan-  la  réalité  historique,  non  seulement  au  Xe 
siècle,  mais  au  XIe  siècle  ».  Comme  parmi  les  nombreux 

(1)  Journal  des  Savants,  1909.  p.  122  sqq.  —  C'est  un  privilège 
des  gens  très  âgés,  que  cle  pouvoir  dire  impunément  des  imperti- 
nences aux  personnes  qui  ne  comptent  que  trente  ans.  Je  vois  d'au- 
tant moins  d'inconvénients  à  ce  que  M.  Flach  jouisse,  par  antici- 
pation, de  cette  prérogative,  que  je  comprends  assez  bien  qu'il  doit 
m'en  vouloir  de  la  campagne  que  j'ai  menée,  dans  la  B(  vin  générale 
du  ilroit,  contre  la  singulière  ignorance  dont  font  preuve,  en  ma- 
tière historique,  ses  confrères,  les  professeurs  cle  droit  dans  les 
Facultés  françaises.  Je  suis  toutefois  un  peu  plus  étonné:  1°  que 
M.  Flach  ait  cru  pouvoir  traiter  [Revue  historique  86,  p.  137)  cle 
la  même  façon  que  moi,  M.  Louis  Halphen,  un  savant  dont  il 
est  très  loin  d'égaler  le  mérite  :  2*  qu'il  oublie  qu'il  y  a  vingt  ans. 
alors  qu'il  avait  à  peine  dépassé  l'âge  que  M.  Halphen  et  moi  nous 
avons  aujourd'hui,  il  a  attaqué,  avec  une  vivacité  extrême,  M.  Her- 
mann  Fitting,  plus  âgé  à  cette  époque  que  n'est  M.  Flach  à 
l'heure   actuelle. 

(2)  J'y  suis  tenu  d'autant  plus  que  M.  Longnon  {Boni.  38,  p.  251, 
n.    1)   semble  faire  état  de  l'opinion  de  M.    Flach. 


\<>ï  ES   SUR    I!  \oi'l.    DE   C  Wllii; AI. 


103 


personnages  de  la  chanson,  Bernier  esl  le  seul  qui  semble 
ne  pas  être  chasé,  je  conclus  que  c'esl  par  antiphrase  que 
\l.  Flach  parle  de  la  règle  de  l'hommage  personnel  dans 
le  poème,  e'I  je  glisse  sans  appuyer  sur  cette  petite  liberté 
de  style  (1). 

2°  .l";ii  dit  que  dès  la  deuxième  moitié  du  Xe  siècle  au 
plus  tard  une  concession  féodale  est  réputée  être  faite,  en 
l'absence  de  stipulations  contraires,  à  titre  héréditaire,  el 
que  par  conséquent,  la  chanson  eût-elle  fail  allusion  au 
principe  de  l'hérédité,  cela  ne  saurail  constituer  une  preuve 
de  l'existence  d'un  poème  contemporain  de  Louis  d'Outre 
mer  (p.  257  s-qq.,  tir.  17  sqq.).  M.  Flach  observe  d'abord 
que  «  c'esl  reprendre  sous  une  forme  nouvelle  la  vieille 
thèse  condamnée  que  l'hérédité  des  fiefs  a  Hé  introduite 
légalement  (2)  au  IXe  siècle  ».  Ce  reproche  me  surprend. 
Commenl  M.  Flach  a-1  il  pu  me  prêter  l'absurde  idée 
d'une  loi  sur  l'hérédité  des  fiefs,  alors  que  p.  259  (tir.  25), 
note  I,  ne  devait  lui  laisser  aucun  doute  qu'il  ne  pouvail 
entrer  dans  mon  esprit  de  commettre  une  telle  monstruo- 
sité? En  me  la  prêtant  gratuitement,  M.  Flach  a-t-il  voulu 
me  rendre  ridicule  ?  Je  me  refuse  à  le  croire,  mais  toul  en 
ne  doutant  pas  de  la  lionne  foi  de  mon  contradicteur,  je 
me  permets  de  protester  très  énergiquement  contre  sa 
désinvolture. 


(1)  En  note,  M.    Flach   (p.   123)   fait  remarquer  à  ses  lecteurs  qu'il 
avait  été  le  premier  à  établir  la   «   règle   »  de   l'hommage  purement 

inel  au  XI  siècle  (dans  le  tome  II  de  ses  Origines  d(  l'an- 
cienne France).  J'ai  cherché  vainement,  d'ans  le  volume,  la  page 
à  laquelle  l'auteur  fait  allusion.  Je  constate,  par  contre,  que  :  1" 
p.  498,  note  2,  il  renvoie  aux  «  exemples  innombrables  de  fiefs  ré- 
partis entre  les  parents  du  suzerain  »  ;  2"  p.  513,  il  considère  la 
tenure  comme  l'élément  principal  de  ce  qu'il  appelle  la  vassalité 
roturière,  dont  il  fait  dériver  le  fief  militaire  (sic)  ;  3°  p.  514,  il 
déclare  ce  fief  «  infiniment  répandu  »  aux  X"  et  XP  siècles.  —  En- 
tre les  «  innombrables  »  fiefs  nobles  et  les  fiefs  roturiers  «  infini- 
ment répandus  »,  il  est  difficile,  d'imaginer  la  «  règle  »  de  l'hom- 
mage purement  personnel.  Mais  M.  Flach  sait-il  lui-même  quelle 
idée  il  se  fait  au  juste  de  la  vassalité  au  XI'  siècle?  Cf.  l'opinion 
de  M.  Heinrich  Brunner  sur  l'ouvrage  de  M.  Flach,  opinion  rap- 
portée  plus   loin,   dans  la   note   finale    de  ce  chapitre. 

(2)  Souligné  par  l'auteur. 


104  NOTES    -I  R    R  \'»i  I     DE   CAMBRAI. 

Cette  singulière  remarque  faite,  M.  Flach  continue  : 
,«  H  faudrait  prouver  el  on  ne  le  prouve  d'aucune 
manière  que  toute  reprise  de  fief  qui  se  rencontre  au 
Xe  siècle  el  au  M"  siècle  était  basée  sur  une  convention 
expresse,  sur  une  stipulation  spéciale  ».  Ce  défi  doit  être 
le  résultat  d'une  illusion  sur  l'étal  de  notre  documentation. 
L'histoire  des  fiefs  aux  V  el  \1"  siècle-  ne  nous  est  connue, 
pour  la  plupart,  que  par  des  sources  narratives,  qui  s'abs- 
tiennenl  de  donner  îles  indications  sur  les  clauses  particu- 
lières des  actes  d'inféodation.  Je  ne  mentionne  que  pour 
mémoire  que  nous  sommes  1res  loin  de  connaître  avec 
précision  les  généalogies  de  toute-  les  familles  féodales  et 
que  nous  ne  sommes  pas  mieux  renseignés  sur  l'étendue 
exacte  des  possessions  de  chaque  vassal.  Comment  peut- 
on  songer,  dans  ces  conditions,  à  établir  la  situation  juri- 
dique de  chaque  possesseur  de  fief  '.'  Pour  retracer  l'his- 
toire juridique  de  chaque  fief,  il  faudrait  d'abord  posséder 
une  suite  ininterrompue  de  chartes.  Combien  de  fiefs  sont- 
ils  dans  ce  cas  ? 

J'ai  prouvé  ce  que  j'avançais  par  le  texte  de  Richer  et 
par  l'allusion  tacite  (p.  259,  tir.  25)  au  capitulaire  de 
Quierzi,  qui,  tout  en  n'ayant  point  introduit  l'hérédité  des 
fiefs,  la  suppose  établie,  de  l'avis  de  ions  les  historiens 
allemands  (I).  Commenl  M.  Flach  ne  s'en  est-il  pas 
aperçu  ?  Est-ce  qu'il  n'aurait  pas  compris  mon  allusion  ? 
[gnorerait-il  la  portée  que  tout  le  monde,  avec  M.  Brun- 
ner,  reconnaît  au  capitulaire  ".'  Je  suis  presque  tenté  de  le 
croire. 

Le  plus  étrange  dans  celle  discussion,  c'est  que  M. 
Flach,  qui  date  la  chanson  du  XIe  siècle  el  la  croit  origi- 
naire de  Cambrai,  m'objecte  l'opinion  de  M.  Parisot,  qui 
dit  qu'en  Lorraine  (c'est-à-dire  aussi  dans  le  Cambrésis) 
les  successeurs  évincés  de  leur-  fiefs  défendaient  «  les 
armes  à  la  main  ce  qu'ils  considéraienl  comme  leurs 
biens  ».  Je  ne  saurais  désirer  une  reconnaissance  plus 
éclatante  de  ma  thèse  Je  n'ai  jamais  nié  —  ai-je  besoin  de 
le  dire  ?  —  ipie  le  XIe  siècle  ail  connu  des  usurpation-. 
Mai-  j'estime     -  et  ce  n'est   pas  une  opinion  qui  nie  soit 

(1)  Il  me  suffira  de  citer  H.  Brunner,  Deutsche  Rechtsgisclnchte, 
II,  p.  256  texte  et  note  69. 


NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI.         105 

personnelle,  qu'une  époque  qui  reconnaîl  dans  le  vol 
une  atteinte  à  l'ordre  établi,  n'ignore  pas  complètement  le 
droit  de  propriété.  M.  Flach  aurait-il  voulu  que  les  barons 
avinées  s'adressassent  aux  tribunaux  ?  Je  n'ose  le  penser. 
11  y  a  huit  ans  que  mon  confrère  eu  béjaunerie,  M.  Louis 
Halphen,  a  prouvé  qu'il  ne  saurait  être  question  de  tribu- 
naux stables  an  XIe  siècle  (1).  Kl  puisque  M.  Flach  parle 
de  Cambrai  --  terre  d'Empire,  —  comment  ;i-t-il  pu  ou- 
blier certaine  politique  de  Conrad  le  Salique,  dont  il  esl 
question  dans  tons  les  manuels  '!  (2). 

3°  M.  Flach  ;i  éprouvé  le  besoin  de  faire  montre  de  m"- 
connaissances  feudistiques,  car  il  se  refuse  très  énergique 
nient  n  admettre  que  la  question  de  l'hérédité  des  fiefs  ne 
soit  pour  rien  dans  la  chanson,  comme  je  l'ai  soutenu.  Il 
me  reproche  une  double  erreur.  Pour  ce  qui  est  de  la  saisie 
de  Cambrai,  il  ne  nie  pas  qu'elle  ne  soit  l'exercice  du  droit 
du  seigneur  d'imposer  le  mariage  à  la  veuve  féodale,  bail- 
listre  de  ses  enfants.  Mais  il  remarque  que  l'exercice  de 
ce  droit  «  n'aurait  pu  avoir  un  caractère  dramatique,  si  le 
principe  de  l'hérédité  avait  été  déjà  pleinement  acquis. 
Pour  que  le  droit  de  garde  soit  odieux,  il  faut  qu'il  se 
combine  avec  le  droit  de  mariage,  en  vue  de  dépouiller  les 
enfants  mineurs,  et  une  telle  spoliation  n'est  réalisable  que  si 
leur  droit  de  succession  au  fief  n'est  pas  encore  assez,  éner- 
gique pour  leur  permettre  de  rentrer  en  possession  de  lej_ir 
bien  ».  Je  ne  doute  point  que  plus  d'une  veuve  verrait 
avec  joie  s'imposer  une  consolation  immédiate  avec  un  nou- 
vel époux,  mais  j'estime  qu'un  poète  ne  fait  pas  preuve 
d'extravagance  en  supposant  que  son  héroïne  se  révolte- 
rait à  la  seule  pensée  de  «  laisser  le  mâtin  prendre  la 
place  du  lévrier  ».  quand  mena1  ses  enfants  ne  devraient 
pas  être  définitivement  spoliés.  Mais  M.  Flach  est,  je 
crois,  poète  ;'i  ses  heuresi,  et  il  doit  s'entendre  mieux  que 
moi  aux  questions  purement  littéraires.  Acceptons  donc 
son  point  de  vue  et  bornons-nous  à  lui  «  partir  un  jeu  ». 

(1)  Revue  historique  77.  pp.  279-307.  Ce  qui  y  a  été  établi  pour 
l'Anjou  vaut  pour  tonte  la  France,  voy.  Rev.  histor.  97.  p.  290. 
note  3. 

(2)  Je    me    L'orne    à    renvoyer   à    Sehroeder.    Deutsche    Recktsges- 

chichte  i  p.   412   (La   cinquième  édition  n'est  pas   à  ma  disposition.) 


106         NOTES  SUP  RAOUL  DE  CAMBRAI. 

<>u  bien  les  enfants  ii'onl  aucun  droil  à  la  succession  de 
leur  père,  el  alors  l'attribution  définitive  des  biens  du 
défunt  à  leur  paràtre,  u'étant  | >as  une  atteinte  à  leurs 
droits,  n'a  aucun  caractère  dramatique.  Ou  bien  ils  y  ont 
un  droil  très  ferme,  cl  alors  celle  attribution,  étanl  une 
spoliation  inqualifiable,  devient  odieuse.  Ou  je  me  trompe 
fort  ou  le  premier  reproche  de  M.  Flach  s'explique  par 
'-ou  goût,  déjà  constaté,  pour  l'antiphrase.  Passons  à  la 
seci unie  objccl mu  de  -M .  Flach. 

i"  J'ai  prouvé  que  la  saisie  du  Vcrmandois  étanl  repré- 
sentée dans  la  chanson  el  dans  la  Chronique  de  Waulsorl 
comme  une  injustice,  cel  épisode  ne  pouvail  pas  être  invo- 
qué à  l'appui  de  l'hypothèse  que,  dans  la  légende  de  Raoul, 
l'hérédité  «les  fiefs  n'était  pas  encore  admise  (p.  253  sqq., 
tir.  19  sqq.).  .1  ai  eu,  paraît-il,  torl  de  m'appuyer  sur  la 
chronique  de  Waul&ort  :  elle  n'a  rien  à  faire  avec  la 
légende.  J'admettais  avec  toul  le  monde  le  contraire,  mais 
M.  Flach  pourrait  se  lâcher,  si  je  prenais  la  liberté  de  le 
prier  de  prendre  connaissance  d'un  texte  avant  de  s'aviser 
d'en  parler.  Je  suppose  donc  qu'en  racontanl  la  biogra- 
phie du  comte  Ibert,  le  chroniqueur  utilise  la  légende  d» 
Tristan  el  d'Iseut  la  Blonde.  11  n'eu  subsiste  pas  moins 
que.  pour  le  jongleur,  les  lils  Herberl  onl  été  dépouillés 
injustement.  Je  l'ai  établi  aux  pp.  254-256  (tir.  19-22)  do 
ino*n  article,  el  si  M.  Flach  m'avait  fait  l'honneur  de  par- 
courir mon  étude  avant  de  lancer  M.  Bédier  de  s'ètro 
laissé  influencer  par  elle  (I).  ce  petit  détail  n'aurait  certai- 
nement  pas  échappé  à  son  attention  vigilante. 

Désiranl  pousser  ma  démonstration  aussi  loin  que  pos- 
sible, je  me  suis  volontairement  placé  dans  les  conditions 
les  plus  défavorables  à  ma  thèse,  en  examinant,  à  titre 
subsidiaire,  l'hypothèse  où  la  chanson  primitive  aurait  fait 
abstraction  du  caractère  injuste  (commun  à  deux  versions) 
de  la  saisie  du  Vermandois.  J'ai  expliqué  que  dans  ce 
cas-là  même,  il  ne  fallait  pas  parler  de  l'hérédité  des  fiefs, 
mais  du  formalisme  juridique,  si  l'on  voulait  absolument 

il)  Bien  à  tort,  soi!  dit  en  passant .  l'étude  rie  M.  Bédier  ayant 
été  rédigée  et  livrée  à  L'impression  deux  ou  trois  mois  avant  que 
j'eusse   commencé    la    mienne. 


NOTES   SUR    RAOUL   DE    CAMBRAI.  107 

y  voir  une  allusion  à  l'état  du  droit  contemporain  (p.  251 
sqq.,  Lit.  'S-\  sqq.).  Wec  sa  désinvolture  ordinaire,  M. 
Flach  me  prête  l'idée  d'avoir  fail  de  cette  hypothèse  suré- 
rogatoire  le  pivol  de  ma  démonstration,  el  croil  ensuite 
réfuter  mon  raisonnemenl  en  observanl  avec  malice  que 
j'admets  que  l'ancien  droil  français  étail  empreinl  «  d'un 
formalisme  aussi  rigoureux  que  celui  des  legis  actiones  ». 
Il  y  ;i  plus  de  quarante  ans  que  M.  Heinrich  Brunner  a 
démontré  que  l'ancien  droil  français  témoignai!  d'un  for- 
malisme "ii  ne  peul  plus  rigoureux  (1).  Il  y  ;i  dix  ans  que 
les  échos  de  sa  découverte  ont  commencé  à  filtrer  dans 
les  manuels  français.  J'ai  le  ferme  espoir  que  M.  Flach 
n'entreprendra  pas  le  volume  IV  des  Origines  de  l'ancienne 
France  avanl  de  s'être  familiarisé  avec  celle  notion  capi- 
tale qu'un  étudiant  de  première  année  sérail  inexcusable 
aujourd'hui  d'ignorer. 

J'ai  terminé  l'examen  des  objections  de  mon  contradic 
leur.  Les  pages  que  \L  Flach  vienl  de  consacrer  à  Raoul 
de  Cambrai  ne  sonl  peut-être  pas  les  meilleures  qu'il  ail 
écrites.  Mais  ce  ne  sont  assurémenl    pas  les   pires.   Cela 
nous  fait  un  devoir  de  1rs  juger  avec  indulgence  (2). 

J.  Raoul  de  Goui   =   Raoul  de  Cambrai? 

[Vous  savons  fort  peu  de  chose  <ïr  Raoul  de  Goui,  le 
prototype  du  Raoul  épique.  La  seule  mention  historique 
le  concernanl  esl  1res  brève.  On  lit  dans  les  Annales  de 
Flodoard,  à  l'année  943,  le  passage  que  voici  : 


(1)  Wort  und  Form   im  altfranzœsischen   Prozesse,  réimprime  dans 
Forschungen    :.    deustch.    und   franz.    Rechtsgeschichte. 

(2)  M.  Flach  ajoute  que  ses  conclusions  dérivent  «  d'un  examen 
approfondi  »  de  la  question,  et  c'est  précisément  cette  affirmation 
qui  semble  avoir  fait  impression  sur  M.  Longnon.  Je  prends  la 
îiLerté  de  faiie  remarquer  à  M.  Longnon  cire  c'est  après  s'être  éga- 
lement livré  à  un  examen  très  approfondi  des  sources  (voy.  la  lettre 
déjà  citée  de  l'auteur  à  la  1U  vue  historique,  concernanl  M.  Hal- 
phen) que  M.  Flach  a  écrit  les  Origines  de  l'ancienne  Fram 
livre  dont  un  maître  très  indulgent.  M.  Heinrich  Brunner  a  dit 
[Deutschi  Rechtsgeschichte  II.  p.  271.  note  82).  qu'il  «  enthaclt 
mehr  Deklamation  als  greifbare  Résulta  te  ». 


108         NOTF.S  SUE  RAOUL  DE  CAMBRAI. 

Beribertus  cornes  obiit,  quem  sepeliernnt  apud  S.-Quintinum  filii 
sui  ;  et  audientes  Rodulfum,  filium  Rodulfi  de  Gaugiaco,  quasi  ad 
inuadendum  terram  patris  eorum  aduenisse  agressi  eundem  intereme- 
runl.  Quo  audito,  rex  Ludouuicus  ualde  tiistis  efticitur.  (Ed.  Lauer, 
p.   87.) 

Sur  h'  père  de  Raoul  IL.  Raoul  lPr  de  Goui,  le  même 
Flodoard  nous  donne  le  renseignement  suivant  qu'il  rap- 
porte ;'i  l'année  925  : 

Hugo,  filins  Rotberti,  pactum  securitatis  accepit  a  Nordmannis, 
terra  filiorum  Balduini,  Rodulfi  quoque  de  Gaugeio  atque  Hilgaudi 
extra  securitatem  relicta.    [Annales,  éd.  cit..  p.  32.) 

\  cette  mention,  on  en  ajoute  généralement  deux  autres 
que  Flodoard  rapporte,  en  ses  Annales,  aux  années  923 
et  926,  et  qui  concernent,  l'une  une  expédition  faite  con- 
jointement avec  le  comte  Ingobran  et  les  fidèles  d'Herbert 
contre  les  Normands,  l'autre  la  mort  du  comte  Raoul,  fils 
d'Héluis,  beau-fils  de  Roger  Ier.  comte  du  Laonnais  (1). 
11  ne  me  semble  pas  toutefois  très  certain  qu'il  faille 
identifier  ce  personnage  avec  Raoul  Ier  de  Goui.  Le  nom 
de  Raoul  est  fort  répandu  au  Xe  siècle,  et  on  observera 
([iic  Flodoard  parle,  aux  années  925  et  943,  <Yu\i  Raoul 
auquel  il  s'abstient  de  donner  le  titre  comtal  et  qu'il  croil 
devoir  désigner  par  la  simple  indication  de  sa  terre,  alors 
qu'il  qualifie  le  fils  d'Héluis  comte  (sans  indiquer  quel 
comté  il  administrait),  en  ajoutant,  sans  cloute  pour  mieux 
le  distinguer  de  ses  homonymes,  l'indication  de  ses  rela- 
tions d'alliance  avec  Roger  Ier  de  Laon.  Cette  différence 
dans  la  désignation  est  d'autant  pins  significative  qu'un 
pagus,  dont  un  Gaugiacus  sérail  lé  chef-lieu,  est  inconnu 
aux  géographes  (2). 

Un  troisième  renseignement  qu'on  a  coutume  de  rap- 
porter à  Raoul  de  Goui  doit  être  égalemenl  écarté.  Les 
obituaires  cambraisiens,  dont  le  pins  ancien  est  du  der- 

(1)  Ed.  cit.,  p.  15  et  p.  36. 

(2)  La  question  de  savoir  si  le  beau-fils  de  Roger  est  le  même 
personnage  que  le  comte  Raoul  qu'on  voit  figurer,  conjointement 
avec  Haganon,  dans  un  diplôme  de  Charles  le  Simple  du  8  septem- 
bre  921  pour  Maroilles,  diplôme  cite  par  M.  Longnon,  Raoul  de 
Cambrai,    Introd.    p.   XVII.   note  1,   peut  rester   indécise. 


NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI.  109 

nier  quarl  du  XIe  siècle  (I).  notent,  à  la  date  du  23  sep- 
tembre, le  décès  d'une  comtesse  Alais,  mère  d'un  Raoul  (2). 
Il  n'y  a  aucune  raison  d'identifier  avec  l'adversaire  des 
fils  Herbert  ce  fils  de  comtesse,  dont  il  n'est  même  pas 
assuré  qu'il  ail  vécu  au  Xe  siècle  (3)  :  comme  je  l'ai  dit, 
il  y  a  un  instant,  rien  n'est  plus  commun  que  le  nom  de 
Raoul.  Si  l'on  a  vu  dans  cette  comtesse  Alais  la  mère  de 
Raoul  de  Goui,  c'est  que  Raoul  de  <  'ambrai  est,  dans  la 
chanson,  le  (ils  d'  Valais,  sœur  du  roi  Louis,  épouse  de 
Raoul  Taillefef.  Mais  interpréter  des  textes  historiques  a 
l'aide  des  textes  poétiques,  dont  ou  cherche  précisément 
a  établir  l'historicité,  c'est  commettre  une  pétition  de  prin- 
cipe (\(^  plus  caractérisées  (4). 

Il  ne  nous  reste,  en  résumé,  sur  Raoul  de  Goui  cl  m  m 
père  que  les  deux  témoignages  transcrits  au  début  de  ce 
chapitre.  Examinons-les  en  tâchant  de  déterminer  en 
quelle  mesure  ils  confirment  ou  infirment  les  données  épi- 
ques. La  première  question  est  naturellement  celle  de 
l'identification  géographique  de  Goui.  On  sait  que  M. 
Longnon  y  voit  Goui-en-Arrouaise,  alors  que  M.  Vander- 
kindere,  suivi  par  M.  Ph.-Aug.  Becker,  se  prononce  en 
faveur  de  Goui-en-Ostrevant  (5).  Cette  dernière  identifica- 
tion vient  d'être  écartée  par  M.  Longnon,  qui  fait  observer 
que  Goui-en-Ostrevant  fait,  depuis  877,  partie  des  posses- 
sions de  l'abbaye  de  Marchiennes  {toc.  cit.).  Pour  ce  qui 
est  de  sa  propre  identification,  M.   Longnon  fait  d'abord 

(1)  Longnon.  Rom.  38,  p.  227. 

(2)  Sur  un  document  baptisé  du  nom  de  «  charte  de  l'évêque 
Liébert  »,   mentionnant   cette  comtesse,   voy.    infra,  chap.    6. 

(3)  Puisque  la  plus  ancienne  mention  le  concernant  est  seule- 
ment de  la  fin  du  XI"  siècle. 

(4)  Il  est  très  caractéristique  pour  l'empire  qu'exercent  les  idées 
longtemps  reçues  même  sur  ceux  qui  les  combattent  avec  acharne- 
ment, que  M.  Bédier,  Léçj.  épiques,  II,  p.  382  sq.,  ne  fait  aucune 
difficulté  d'identifier,  sur  la  foi  de  la  chanson,  cette  Alais  avec  la 
mère  de  Raoul    II  de  Goui. 

(5)  L.  Vandrrkindere,  Formation  territoriale  des  principauté* 
belges.  I,  p.  56;  Ph.  Aug.  Becker,  Zeitschrift  f.  rom.  Ph.  32,  p. 
750  sq.  L'exposé  le  p'us  complet  de  l'opinion  de  M.  Longnon  se 
trouve  Rom.  38,  p.  222  sqq.  ;  c'est  à  ces  pages  que  je  me  réfère 
par   la  suite. 


110  NOTES   SI  R    l;  \<>i  i.   DE   C  \MBRAI. 

valoir  La  situation  stratégique  de  Goui-en-Arrouaise,  per- 
mettant d'y  voir  le  siège  d' forteresse  féodale,  ce  qui 

constitue,  d'après  lui,  la  condition  indispensable  pour 
qu'un  seigneur  médiéval  ail  pu  joindre  la  désignation  de 
Goui  à  son  nom,  et  écrit  ensuite  :  <«  entre  tous  les  Gouy 
de  France  et  de  Belgique,  je  n'ai  point  hésité  un  moment  : 
celui  dont  le  héros  était  originaire  ne  saurait  être  que 
Gouy.  village  situé  à  l'extrémité  du  Cambrésis,  au  milieu 
d'une  vaste  région  forestière,  l'Arrouaise,  dont  les  habi- 
tants sont  présentés  par  le  poète  comme  1rs  vassaux  «lu 
jeune  Raoul  de  Cambrai  »  (p.  222  sq.). 

Si  je  comprends  bien  la  pensée  de  M.  Longnon,  sa  con 
sidération  théorique  veut  dire  que  l'on  désignait  les  gens, 
au  moyen  âge,  par  l'indication  du  lieu  de  leur  résidence 
habituelle,  et  qu'il  est  de  bonne  méthode  de  n'admettre 
comme  résidence  d'un  guerrier  qu'un  château-fort.  Ainsi 
comprise,  La  remarque  me  parait  excellente.  Quoique  la 
vérification  en  soil  malaisée  aujourd'hui  (i).  il  est  certain 
qu'un  guerrier  cherchera  à  établir  son  quartier  général  non 
en  rase  campagne,  mais  clans  un  petit  centre  stratégique 
qu'il  fortifiera,  si  toutefois  il  ne  Le  trouve  pas  déjà  fortifié. 
Ceci  admis,  je  remarque  que  si  Goui-en-Arrouaise  répond 
parfaitement  à  la  condition  qui  vient  d'être  exposée,  cette 
identification  n'en  a  pas  été  moins  inspirée  à  M.  Longnon, 
de  son  propre  aveu,  par  les  indications  contenues  dans  La 
chanson  de  geste.  Il  n'a  pas  hésité,  dit-il,  à  identifier 
Gaugiacum  de  Flodoard  avec  un  village  situé  en  Arrouaise, 
dont  les  habitants  sonl  présentés  par  le  poêle  connue  les 
vassaux  de  Raoul.  Pour  nous,  celle  considération,  qui  se 
ramène  à  une  pétition  de  principe,  est  -ans  valeur.  Un 
Gaugiacum  historique  ne  peut  être  identifié  qu'en  vertu 
de  considérations  historiques.  Tant  mieux  si  L'identifica- 
tion s'accorde  avec  les  données  épiques,  tant  pis  si  elle  Les 

(1)  Il  faudrait,  pour  cela,  pouvoir  identifier  sûrement  tous  les 
noms  de  lieux  qu'on  rencontre  accolés  aux  noms  des  barons  féo- 
daux, chose  difficilement  réalisable,  quand  on  considère  le  nombre 
de  localités  disparues  sans  laisser  de  traces,  et  celui,  également  im- 
posant, de  noms  si  répandus  qu'en  l'absence  d'autres  renseignements 
le  choix  est  rendu    fort   embarrassant. 


XOTFS    SUR    RAOFL    DF    CAMRR.M. 


11 


contredit;  pour  l'interprétation  du  texte  de  Flodoard,  la 
chose  nous  csl  indifférente.  Nous  admettrions  Goui-en- 
Vrrouaise,  si  c'étail  l'unique  Goui  répondanl  à  la  condi- 
tion stratégique  postulée  avec  raison  par  \I.  Longnon. 
M .- 1 i >  ce  n'esl  pas  le  cas.  Ce  nom.  si  commun  dans  le 
Nord,  «'si  attesté  pour  plusieurs  localités  situées  en  bor- 
dure ou  a  peu  de  distance  d'une  grande  voie  de  commu- 
nication. Je  me  borne  pour  l'instant  à  citer  Goui-lès-Piéton 
(cant.  de  Seneffe,  arr.  de  Charleroi,  pro\ .  Hainaut,  Bel- 
gique),  donl  le  territoire  est  traversé  par  une  ancienne 
voie  romaine. 

il  y  a  même  plus,  nous  devons  rejeter  absolument 
Goui-en  Wrouaise,  puisque  celle  identification  heurte  de 
fronl  ce  que  Flodoard  nous  rapporte,  à  l'année  925,  de 
Raoul  l,r  «le  Goui.  Au  témoignage  de  l'annaliste,  la  terre 
de  ce  baron  fut  exceptée,  avec  celles  des  comtes  de  Flan- 
dre, de  Boulogne  et  Thérouanne  et  de  Ponthicu.  du  pac- 
tum  securitatis  conclu  entre  Hugues  le  Grand  et  les  Nor- 
mands. Outre  la  bizarrerie  de  la  mention  du  petil  pays 
d'Arrouaise  à  côté  de  vastes  régions  non  limitrophes  pos- 
sédées par  les  fils  de  Baudouin  II  el  Helgaud,  il  convient 
d'observer  que  Hugues  ne  disposait  d'aucune  autorité  dans 
le  comté  de  Cambrésis,  où  est  située  l'Arrouaise  (1).  M. 
Longnon  est  loin  de  méconnaître  la  gravité  de  celle  objec- 
tion; bien  mieux,  c'est  à  lui  que  revient  le  mérite  de  l'avoir 
signalée  pour  la  première  l'ois  (2).  Il  croit  cependant  pou- 
voir l'écarter  en  qualifiant  cette  mention  de  la  terre  de 
Raoul  de  Goui  parmi  les  pays  exceptés  du  traité  d'inex- 
plicable. Je  crains  que  celte  manière  de  triompher  de  la 
difficulté  n'en  soit  pas  une.  Accepter,  pour  expliquer  un 
lexte  historique,  une  identification  qui  le  rend   inexplica 

(1)  Yanderkindere.    lac.   cit.;   cf.   Bédier.   np.    cit.,   p.    360  sq. 

(2)  On  peut  même  dire  que  le  passage  précité  de  M.  Vanderkindere 
n'est  que  le  développement  de  la  pensée  que  M.  Longnon  exprime, 
avec-  sa  concision  habituelle,  à  la  page  XVII  de  l'Introduction  de 
Raoul  de  Cambrai:  «  Ses  terres  [de  Eaoul  a'e  Goui],  on  ne  sait 
pourquoi,  furent  exceptées  deux  ans  après  (925).  ainsi  que  le  comté 
dî  Ponthieu  et  le  marquisat  de  Flandre,  de  l'armistice  que  le  duc 
de   France,    Hugues  le  Grand,    conclut   alors  avec  les  Normands.   » 


112         NOTES  SUR  RAOIL  DE  CAMBRAI. 

ble,  c'est  avouer  L'insuccès  fie  l'identification.   Est-ce  qu'il 
n'existerail   pas  d'autres  Goui  dans  les  conditions  straté- 
giques requises  qui  s'accordassenl  mieux  avec  le  texte  de 
Flodoard  ?  Je  trouve  une   Butte  de  Goui  (communes  de 
Cahon  et  de  Cambron,  Somme),  sur  la  rive  gauche  de  la 
basse  Somme,  à  proximité  de  la  route  d'Eu  à  Abbevillè,  el 
limitrophe   du   pagus    Ponliuus  administré   par   Helgaud. 
Dans  le  même  département  (arr.  d'Amiens,  cant.  d'IIor- 
Qoi)   es!    située   la   commune   de   Goui-1'Hôpital,    près   de 
laquelle  passe  la  route  d' Abbevillè  a  Beauvais.  M.  Lnngnon, 
(|tii    connaît    mieux    que    personne    la    topographie   de    la 
France,  ne  serait  pas  embarrassé  d'ajouter  à  ces  localités 
plusieurs    autres    que   ma    maladresse,    jointe    ;'i    une    vue 
assez   médiocre,   m'empêchent  de  découvrir   sur   les   car- 
tes (1).  S'il  n'en  a  indiqué  aucune,  c'est  que  son  désir  de 
trouver  un  Goui  s'accordanl  avec  les  données  épiques  lui 
a  t'ait  fixer  d'emblée  son  choix  sur  Goui-en-Arrouaise  el 
perdre  un  peu  de  vue  qu'il  s'agissait  d'interpréter  le  texte 
historique  de  Flodoard  et   non  le  texte  poétique  de  Raoul 
de   Cambrai,   lequel   ignore  d'ailleurs   Goui.    Il   serait    du 
reste   superflu  de  rechercher  tous   les   Goui,   existants  ou 
disparus,   qui   s'accorderaient   avec  le  texte  de  Flodoard. 
Pour  les   besoins  de  celle  ('Inde,  il  suffit   d'observer  que 
lîaoul   de  Goui   in1  saurait   être   cherché  dans   le   Cambré- 
sis  (2). 


(1)  Il  convient  aussi  de  remarquer  que  Goui  étant  un  vocable  très 
commun  dans  la  toponymie  du  nord  de  la  France,  il  a  pu  exister  et 
il  existe  peut-être  encore,  quelques  localités  de  ce  nom.  remplissant 
les  conditions  voulues,  que  les  cartes  n'indiquent  pas. 

(2)  M.  Bédier.  qui  s'abstient  de  prendre  parti  sur  Rodulfus  de 
Gaugiaco,  dit,  p.  361,  que  si  Gaugiacum  ne  pouvait  pas  être  iden- 
tifié avec  une  localité  du  CamL'résis,  il  serait  acquis  que  la  légende 
procède  d'une  fausse  interprétation  du  texte  de  Flodoard.  C'est  al- 
ler un  peu  trop  vite  en  besogne.  On  peut  parfaitement  imaginer, 
et    la   tenative   en    a    été    faite   (Vanderkindere,   loc.    rit.,  cf.   Lauer, 

Innales  de  Flodoard,  p.  87.  n.  2).  que  le  souvenir  de  Raoul  de 
Goui  a  été  confondu  dans  la  légende  populaire,  avec  celui  du  comte 
Raoul,  frère  de  Baudouin  II  de  Flandre,  qui  périt  en  896  sous 
S. -Quentin. 


NOTES   -i  R    R  VOl  I     DE   I   VMBR  VI.  113 

3.  Probabilité  de  l'origine  livresque  de  ht  légende 

La  mort  de  Raoul  II  de  Goui  n'avait  pas  frappé  les  es 
prits  des  contemporains.  Flodoard  la  rapporte  en  ses  An- 
nales, mais  i!  omet  <l<v  la  mentionner  dans  l'Histoire  de  Vé- 
glise  de  Reims,  bien  que  cette  mention  n'y  eût  pas  été  dé- 
placée, un  des  fils  Herbert  étanl  archevêque  de  Reims,  et 
quoique  Flodoard  y  parle  bel  et  bien  de  la  mort  d'Herbert 
(IV  30).  Les  antres  historiographes  ne  parlent  pas  davan- 
tage de  cet  événement  (1).  Herbert  était  pourtanl  un  per- 
sonnage non  seulement  1res  important,mais  encore  laineux 
de  son  temps  :  la  légende  s'est  emparée  de  lui  de  bonne 
heure  (2).  Si  l'incursion  de  Raoul  a  passé  presque  ina- 
perçue, c'est  (pu-  sans  doute  les  contemporains  jugeaient 
cet  incident,  survenu  au  lendemain  de  la  mort  d'Herbert, 
sans  importance,  qu'ils  le  considéraient  comme  un  événe- 
ment banal,  impropre  a  retenir  leur  attention.  Et  cela 
paraît  exclure  l'hypothèse  des  origines  populaires  de  la 
légende  de  Raoul  de  Cambrai,  je  veux  dire  d'une  chanson 
prenant  source  dans  les  événements  mêmes  et  se  trans- 
mettant de  génération  en  génération  jusqu'au  XIIe  siècle, 
date  de  la  plus  ancienne  version  conservée  de  la  légende 
((  !hronique  de  Waulsort)  (3). 

Les  versions  conservées  sont  du  reste  si  peu  d:accord 
avec  l'histoire  qu'on  a  peine  à  s'imaginer  comment  elles 
auraient  pu  procéder  des  événements  de  943.  M.  Bédier 
a  dressé  une  longue  liste  des  contre-sens  historiques  con- 
tenus dans  la  chanson  (4).  Tout  n'y  est  évidemment  pas 
également   décisif    :    les    petites    bévues    comme    celles    que 

(1)  Je  ne  fais  pas,  bien  entendu,  état  d'assez  nombreux  témoigna- 
ges, colligés  dans  l'Introduction  de  Raoul  de  Cambrai,  qui  déri- 
vent tous  de  la  chanson.  Ils  prouvent  la  popularité  du  poème  aux 
XII"  et  XIII*  siècles,  mais  ne  valent  rien  comme  témoignages  ae 
la  connaissance  du  fait  historique.  —  Le  silence  d'un  Richer  est, 
au  contraire,  d'un  grand  poids. 

(2)  Lauer,  Louis  IV  d'Outremer,  p.   292  sq. 

(3)  Cette  remarque  me  dispense  d'examiner  la  théorie  de  la  con- 
tamination de  Raoul  de  Goui,  par  le  comte  Raoul,  frère  de  Bau- 
douin II  de  Flandre  {Supra,  p.  112,  note  2). 

(4)  Légendes  épiques  II,  pp.  364-372. 


L14  NOTES   si  II    RAOUL   DE   CAMBRAI. 

M.  Bédicr  noie  aux  n"s  i  ri  ,s  de  s;i  liste,  son!  anodines. 

\u  cours  dos  siècles,  une  jeune  sœur  de  Louis  IV  pourrai! 
fort  bien  se  transformer  eu  une  vieille  femme,  dont  la 
figure,  ;ui  surplus,  se  prêle  mieux  pour  certaines  scènes 
;i  effet;  les  bourgeois  usurpanl  la  place  des  serfs  se  com- 
prennenl  à  merveille  pour  qui  considère  combien  il  est 
difficile  d':  conserver  fidèlemenl  de  petits  détails  iusiLMii 
fiants  d'un  récit  archaïque.  Il  sérail  puéril  d'exiger  qu'un 
jongleur  du  XIIe  siècle  n'adaptât  pas  le  décor  au  milieu 
ambianl  :  le  roman  '/  Eneas,  avec  ses  chevaliers  el  ses 
vassaux,  aurail  dû  empêcher  M.  Bédier  de  se  formaliser 
dos  bourgeois  de  Raoul  de  Cambrai.  M  ;  i  i  s  en  éliminant 
même  de  la  liste  de  M.  Bédier  tout  ce  qui  s'explique  plus 
ou  moins  bien  par  des  altérations  subies  au  cours  de  deux 
siècles,  il  faul  convenir  que  ce  qui  en  reste  l'autorise  à 
qualifier  le  poème  de  farrago  de  bévues  historiques  (p.  373). 
Ht  cette  liste,  ne  l'oublions  pas,  ne  conlienl  pas  le  contre- 
sens principal,  la  transformation  inexplicable  de  Raoul  de 
Goui  en  un  chimérique  comte  de  Cambrai  ou  de  Cam 
brésis  ! 

En  dépit  de  ces  incohérences,  le  rapprochement  de 
Raoul  de  Cambrai,  fils  de  Raoul  Taillefer  avec  Raoul,  fils 
de  Raoul  de  Goui  s'impose.  Comme  le  dit  fort  bien  M. 
Bédier  (p.  354),  les  quatre  lignes  de  Flodoard  concernant 
Raoul  II  de  Goui' sont  comme  un  sommaire  de  la  chanson 
du  geste.  Pour  expliquer  celle  concordance,  M.  Bédier  a 
supposé  que  la  légende  procédail  du  texte  de  l'annaliste. 
.l'aurai  à  revenir  sur  celle  hypothèse;  pour  le  moment,  je 
me  borne  à  noter  un  fait  qui  semble  corroborer  l'opinion 
de  M.  Bédier. 

Les  fragments  récemmenl  découverts  d'une  version  de 
Raoul  de  Cambrai,  que  M.  A.  Bayol  croit,  pour  des  rai- 
sons valables,  reproduire  avec  plus  de  fidélité  l'original 
commun  que  le  manuscril  de  Paris,  nous  fournissent  le 
renseiernemenl  suivant   : 


125.  Pour   oeste    gueire    passèrent    Sarrasin 
Avuec    Gourmont,    le    riche    barbarin, 
Par  le  conseil   Vsembart  le  meschin 


NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI.         115 

Que  Loeys  en  list   aler   frarin. 

Cis  Ysembars  estoil    germain  cousin 

Raoul    l'enfant,    celui   de   Cambresin    (1). 

Cetle  association  de  la  légende  de  Raoul  de  Cambrai 
avec  celle  de  Gormond  el  Iscmbard  esl  fort  bien  attestée  : 
Gautier  Map.  Giraud  de  Barri  (2)  cl  Philippe  Mousket  ('■'>) 
licnl  ensemble  les  deux  légendes;  I.oher  et  Ualler  contient 
aussi  une  trace  de  celle  union  (4).  Vous  n'avons  pourtant 
aucun  témoignage  que  l'action  de  Gormond  et  Isembard 
ail  jamais  été  liée  à  celle  de  Raoul  de  Cambrai.  Toul 
semble  se  réduire  à  une  explication  de  la  guerre  nor- 
mande par  les  guerres  vermandisiennes;  Raoul  de  Cambrai 
paraît  avoir  été  conçu  comme  le  prologue  de  Gormond  el 
Isembard.  <  >r,  celle  dernière  chanson  esl  très  ancienne  : 
la  Chronique  <le  Centule  l'atteste  pour  le  XIe  siècle,  une 
époque  pour  laquelle  nous  n'avons  aucun  témoignage  de 
l'existence  de  Raoul  de  Cambrai.  Commenl  l'auteur  de 
celle  dernière  chanson  --  car  il  est  infiniment  probable 
que  le  poème  original  associait  déjà  les  deux  légendes  — 
est-il  arrivé  à  mettre  en  rapporl  la  bataille  de  ('aveux 
avec  les  guerres  de  Raoul  '.'  Les  Annales  de  Flodoard  me 
paraissent  en  rendre  assez  bien  cou, pic.  Vprès  avoir  rap- 
porté la  morl  de  Raoul  II  de  Goui,  Flodoard  narre  les 
faits  que  voici   : 

Hugo  du.x  Francorum  erebras  agit  cum  Nordmannis,  qui  pagani 
adueneiant  tiel  ad  paganismum  reuertebantur.  congressiones  ;  a  qui- 
bus  peditum  ipsius  christianorum  multitudo  interimitur.  At  ipse, 
connulis  quoque  Nordmannorum  interfectis  ceterisque  actis  in  fu- 
gam,    castrum    Ebroicas,    fauentibus    sibi    qui    tenebant   illud    Nord- 

(1)  Ed.  A.  Bayot,  Revue  des  bibliothèques  et  archives  de  Belgi- 
que, 1906,  p.  411  sqq.  L'opinion  de  l'éditeur  sur  les  rapports  des 
niss..   p.  416. 

(2)  Raoul  <lt  Cambrai,  Introd.,  p.  XLII  sq.  On  était  enclin  à  voir 
dans  Giraud  un  emprunt  à  Gautier  (Raoul  de  Cambrai,  toc.  cit., 
Zenker.  Das  Epos  von  Isembard  u.  Gormund,  p.  24).  La  décou- 
verte des  fragments  belges  rend,  semble-t-il,  caduque  cette  hypo- 
thèse. 

(3)  Zenker,  op.   cit.,   p.    28. 

(4)  Zenker,    'op.    cit.,   p.    58,    n.    1. 


116  NOM  S    -i  li    RAOl  I.   DE   CAMBRAI. 

mannorum  christianis,  obtinet.  Ludouuicus  Rodomum  repetens  Tur- 
modum  Nordmannum  qui,  ad  id'olatriam  gentilemque  ritum  reuer- 
sus,  ad  haec  etiam  filium  Uuillelmi  aliosque  cogebat  regique  insidia- 
batur,  simul  cum  Setrico  rege  pagano  congressus  cum  eis  interemit, 
et  Erluino  Rodomum  commitens,  reuertitur  ad  Compendium,  ubi 
iiini  expectabat  Hugo  dux  cum  nepotibue  suis,  Heriberti  filiis,  de 
quibus  recipiendia  frequens  agitabatur  intentio.    (Ed.  Lauer,  p.  88.) 

Je  ne  crois  pas  que  M.  Lauer  (I)  ail  réussi  à  prouver 
que  Gormond  et  Isembard  reflète  1rs  événements  de 
943  (2),  mais  j'estime  qu'un  homme  du  XIIe  siècle,  con- 
naissant la  légende  de  Gormond  el  lisant  les  Annales  de 
Flodoard  a  pu  être  lente  d'identifier  le  héros  épique  avec 
Turmodus.  Remarquons  qu'un  manuscrit  (C)  'les  Annales 
contenait  originairement  la  variante  Turmondus,  que  les 
lettres  /  el  c  se  confondent  dans  certaines  écritures  et  sont 
fort  semblables  dans  les  autres  :  un  Turmondus  lu  Cur- 
mondus  peut  être  identifié  aisément  avec  Gormond  (3). 
Certes,  Flodoard  ne  met  pas  en  rapport  la  mort  de  Raoul  et 
la  guerre  contre  les  Normands.  Mais  considérons  le  style 
haché  et  concis  de  l'annaliste.  Il  engendre  une  certaine 
obscurité,  pour  les  gens  peu  familiers  avec  l'histoire  du 
Xe  siècle  surtout  (4).  Un  homme  du  XIIe  siècle,  qui 
évidemment  ne  pouvait  avoir  que  des  connaissances  his- 
toriques pins  ou  moins  vagues,  a  dû  être  assez  tenté  de 
croire  que  des  deux  événements  l'un  est  présenté  par  Flo- 
doard comme  la  suite  ou  plutôt  la  conséquence  de  l'au- 
tre. Il  ne  découvrait  aucun  lien  intime  entre  eux,  mais 
il    les    croyait    liés,    ("est    précisément    l'état   de    rapports 

(1)  Eomania  26,   p.   161  sqq. 

(2)  Je  tiens  les  critiques  de  M.  Ferdinand  Lot  (I?om.  27,  p.  3  sqq.) 
poui  péremptoires,  en  dépit  des  observations  de  M.  Zenker 
[Zeitschr.  f.   rom,   Ph.  23.  p.  280). 

(3)  Je  ne  soutiens  pas  que  l'identification  ait  été  provoquée  par 
une  faute  de  lecture;  au  contraire,  j'estime  que  le  souvenir  du 
Gormond  épique  a  causé  la  faute.  Notons  néanmoins  la  fausse 
lecture  Gornutium  pour  Tornutium,  signalée  par  Blosseville,  Dic- 
tionnaire   topographique  de   l'/ùirp,   p.   219,   article   Toumy. 

(4)  Cf.  Lauer.  Annales  de  F  Indu, ml.  p.  XVI:  «  La  concision  et 
quelquefois  l'obscurité  de  ces  mentions  [=  dont  se  composent  les 
Annales]  laissent  malheureusement,  à  certains  endroits,  une  place 
un  peu  trop  large  aux  conjectures  ». 


NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI.         117 

dans  la  chanson  de  Raoul  de  Cambrai.  Isembard  était  tout 
indiqué  pour  servir  de  joint  cuire  les  deux  événements; 
ses  relations  de  parenté  avec  Raoul,  c'est  tout  ce  que 
Tailleur  de  Raoul  de  Cambrai  se  permet  d'ajouter  de  son 
crû  à  ce  qu'on  lui  racontait  comme  se  trouvant  dans  le 
livre  latin  (I). 

Contre  l'utilisation  du  texte  de  Flodoard  au  XIIe  siècle. 
M.  Longnon  a  opposé  une  lin  de  non-recevoir  à  M.  Dé- 
dier :  les  Annales  étaienl  peu  répandues,  beaucoup  moins 
connues,  au  moyen  âge,  que  ['Histoire  de  l'église  de 
Reims  (2).  M.  Bédier  a  fait  observer,  eu  sa  réplique,  que 
nous  possédons  quatre  manuscrits  des  Annales  antérieurs 
au  Mil"  siècle. alors  qu'on  ne  conserve  que  trois  mss.  anté- 
rieurs au  XVe  siècle  (le  l'Histoire,  et  que  ces  quatre  manus- 
crils  en  supposent  pour  le  moins  cinq  autres  perdus,  et 
qu'enfin  nous  connaissons  au  moins  trois  écrivains,  au 
moyen  âge,  qui  oui  utilisé  ce  livre  (3).  Pour  deux  autres, 
l'utilisation  est  vraisemblable  (4).  11  ne  faut  pas  en  outre 
perdre  de  vue  que  le  nombre  constaté  des  emprunts  a 
Flodoard  n'a  pas  la  portée  que  lui  attribue  M.  Longnon. 
Les  passages  poétiques,  où  l'emprunt  ou  l'influence  du 
roman  de  Partonopeu  de  Blois  peuvent  être  constatés, 
sont  plutôt  rares  :  c'était  pourtant  une  des  œuvres  les  plus 
populaires  au  moyen  âge,  ainsi  que  le  montre  sa  diffusion 
prodigieuse  a  l'étranger,  le  nombre  assez  respectable  de 
manuscrits  français  et  surtout  leurs  rapports  de  filiation 
presque  inextricables  (5). 

(1)  Le  fragment  Lelge  prétend  s'appuyer  sur  un  livre  latin  :  Ensi 
,n/i  dist  li  livres  de  Vauctor.  Cf.  plus  loin,  p.  120.  n.  3. 

(2)  Rom.  37,  p.  196  sqq.  ;  Boni.  38,  p.  219  sq.  n'apporte  aucun 
argument  nouveau. 

(3)  Légendes   épiques   II,  p.    429  sqq. 

(4)  Dudon  de  S. -Quentin  et  l'auteur  des  Annales  Iternenses.  Cf. 
Lauer,  Annales  de  Flodoard,  p.  XXIX.  Du  reste,  les  Annales  et 
l'Histoire  donnant  souvent  le  même  texte,  il  n'est  pas  impossible 
que  certains  emprunts  qu'on  croit  faits  à  l'Histoire  soient  en  réalité 
des  emprunts  aux  Annales. 

(5)  J'en    ai    la    connaissance    directe,   étant   précisément  occupé 
classer  les  mss.  de  ce  roman,  dont  je  prépare  une  édition.  Le  livre 
de  M.    Pfeiffer,   Ueber  die    Hss.    des   afr.    Romans   Partonopeus  de 

q 


118  NOTF.S    SUR    RAOUL    DE    CAMBRAI. 

Assurément,  on  doil  se  défier  de  l'hypothèse  de  l'utili- 
sation «l'un  texte  complètement  inconnu  à  une  époque;  on 
n'admettrail  pas  facilement,  par  exemple,  une  connais- 
sance des  vraies  Institutions  s  de  Gaius  chez  un  écrivain  du 
XII*  siècle  (I).  \lai<  les  Annales  ne  sonl  poinl  un  texte  in- 
connu au  moyen  âge;  leur  tradition  manuscrite,  on  vient 
de  le  voir,  est  assez  importante.  El  cela  suffit  pour  écarter 
l'objection  de  M.   Longnon. 

i.  Bah >lai 

L'origine  livresque  de  la  légende  n'est  encore  qu'une 
probabilité.  Avant  d'essayer  de  la  rendre  plus  vraisembla- 
ble, il  convient  d'examiner  si  elle  ri'esl  pas  contrecarrée 
par  d'autres  probabilités,  qui  nous  amèneraient  à  chercher 
ailleurs  la  solution  du  problème.  Or,  AI.  Longnon  vient 
d'en  mettre  en  avant  une.  qui  lui  esl  fournie  par  le  nom 
du  prétendu  auteur  du  poème,  Bertolai.  «  Le  nom  de 
Bertelai,  écrit-il  (Rom..  38,  p.  ~'i9),  ne  se  rencontre,  à  ma 
connaissance  du  moins,  en  aucun  monument  historique 
postérieurement  au  milieu  du  Xe  siècle.  Il  semble  donc 
que,  s'd  figure  en  quelque  chanson  de  geste  et  surtout  s'il 
y  paraît  sous  une  forme  défectueuse  [Bertolai,  et  non 
Bertelai],  l'on  puisse  admettre  que  l'auteur  ou  le  rema- 
nieur de  cette  œuvre  l'aura  emprunté  à  une  rédaction 
antérieure  du  poème   qu'il  avait   entrepris   de   rajeunir.   » 

La  discussion  qui  s'est   produite  entre  AI.   Longnon  et 

Bîois  (Ausg.  a.  Abh.  XXV),  ne  laisse  presque  pas  apercevoir  ces 
difficultés;  on  les  voit  mieux  dans  A.  van  Berkum,  de  middelne- 
ih'il,  bewerhing  van  den  Partonopeus-Boman,  Groningue  1897.  — 
Quant  aux  emprunts,  je  n'en  connais  qu'un  qui  me  paraisse  assuré: 
Renaud  de  Beaujeu  a  exploité  Partonopeu,  à  côté  du  Chrétien  de 
Troyes,  dans  son  Bel  Desconeù.  Quant  à  l'influence  de  Partonopeu, 
M.  Foerster  a  signalé  les  rapports  de  ce  roman  avec  les  œuvres  de 
Chrétien.  Mais  il  croit  Chrétien  antérieur  à  Partonopeu.  Je  n'ai  pas 
encore  examiné  la  question.  Je  prouverai  prochainement  l'imitation 
de  Renaud   de   Beaujeu. 

(1)  Au  lieu  des  Institutiones  de  Gaius,  j'allais  citer  les  Annales 
Uedastini,  quand  je  me  suis  aperçu  que  M.  Longnon  avait  prouvé 
l'utilisation  de  ces  Annales  quasi-ignorées  au  moyen  âge  par  André 
de   Marchiennes   (P.   de   Cambrai,   Introd.   p.    XIX,   n.   2). 


NOTES  SIR  RAOUL  DE  CAMBRAI.  119 

M.  Bédier  au  sujet  de  Marsenl  (1)  nous  rend  assez  scepti- 
ques à  l'endroil  des  arguments  tirés  de  la  disparition  d'un 
nom  au  bas  moyeu  âge.  Une  circonstance  fortuite,  le  ha- 
sard d'une  recherche  entreprise  «huis  un  but  complète- 
ment différent,  me  confirme  dans  mon  scepticisme.  Il  me 
souvient  d'avoir  rencontré  dans  un  obituaire  de  la  Lépro- 
serie de  Popelin,  établissement  datant  du  XII0  siècle  seu- 
lement, la  mention  que  voici   : 

XI III.  kal.  maii.  Ob.  Hugo  Bertelais  et  uxor  eius,  qui  dederunt 
nobis  decimam   terre  de   Crollepie    (2). 

Hugo  Bertelais  est  un  nom  composé  de  la  même  manière 
que  Guillelmus  Burundi,  Pelrus  Jacobi,  etc.,  où  la  forme 
du  génitif,  commune  encore  au  XIVe  siècle,  prouve  que 
le  second  élément  de  ces  vocables  était  senti,  au  moyen 
âge,  comme  un  nom  individuel,  et  non  comme  un  nom  de 
famille  (3). 

J'ai  cru  inutile  de  me  mettre  en  quête  d'autres  exemples 
de  ce  nom  postérieurs  au  Xe  siècle.  En  effet,  M.  Longnon 
n'a  pas  manqué  d'observer  que  Bertolai  revenait  assez 
souvent  dans  la  bouche  des  jongleurs  cherchant  un  nom  à 
leurs  héros.  Renaud  de  Montauban  en  fournit  un  exemple, 
et  il  en  est  de  même  de  Girari  de  Roussillon,  d'Otinel  et 
d'Oijicr.  On  peut  donc  tenir  pour  assuré  que  ce  vocable, 
porté  ou  non  par  des  personnages  réels  du  bas  moyen 
âge,  n'était  point  inconnu  aux  jongleurs  de  geste.  Et 
comme   l'auteur  de   Raoul  de   Cambrai  avait   une  grande 

(1)  Longnon,  Rom.  37,  p.  204  6q.  ;  Bédier,  Lég.  ép.  II,  p.  432  sqq. 
—  Longnon,  Borne  38,  p.  230,  sqq.  présente,  avec  un  nouvel  exem- 
ple de  Marsent  de  basse  époque,  une  hypotbèse  sur  le  prototype  de 
la  Marsent  épique  que  je  puis  me  dispenser  de  discuter,  car  il  est 
peu  probable  qu'elle  trouve  créance,  même  chez  les  partisans  les  plus 
fanatiques  de  l'historicité  de  la   chanson. 

(2)  Molinier  et  Longnon,  Obituaires  de  la  province  de  Sens,  I,  2" 
partie,  p.  974. 

(3)  Je  n'ai  pas  besoin  de  aire  qu'il  ne  faut  pas  voir  un  nomina- 
tif dans  Bertelais  ;  pour  le  texte  latin  du  milieu  du  XIII'  siècle, 
ce  nom  est  indéclinable,  et  comme  dans  beaucoup  de  noms  propres, 
c'est  la  forme  de  l'ancien  nominatif  qui  l'a  emporté  sur  celle  de 
l'accusatif. 


120  XOTF.S   SUR    RAOUL    DE   CAMBRAI. 

connaissance  de  la  poésie  épique  (1), il  n'y  a  rien  d'étonnant 
à  ce  qu'il  eûl  affublé  de  ce  nom  le  prétendu  auteur  du 
poènie  original.  Ce  n'esl  <lu  reslc  pas  une  hypothèse  que 
l'auteur  du  poènie  conservé  affuble  du  nom  de  Bertolai  des 
personnages  fictifs,  lu  comparse,  un  parenl  de  Bernier, 
tué  par  Raoul,  s'appelle  Bertolai.  On  trouvera  l'indication 
des  trois  vers  mentionnant  ce  personnage  dans  la  table 
onomastique  que  \l.  Longnon  a  jointe  à  l'édition  du 
poème. 

Quant  au  passage  de  la  chanson  qui  contient  la  mention 
(\\\  trouvère  Bertolai,  il  n'a  pas.  par  lui-même,  la  force 
probante  que  M.  Longnon  b'i  attribue.  M.  Bédier  lui  en  a 
opposé  un,  fort  semblable,  emprunté  à  un  roman  de  pure 
imagination  :  Hervis  de  Metz  (op.  cit.,  p.  438),  et  c'est 
sans  doute  par  suite  d'une  petite  confusion  entre  Girberl 
de  Metz  et  Hervis  de  Metz  que  M.  Longnon  a  conclu  à  un 
emprunt  à  Raoul  de  Cambrai  (2),  car  suivanl  la  juste 
remarque  de  M.  Foerster,  Hervis  de  Metz  ne  doit  rien  à 
Raoul  de  Cambrai  (3). 

5.  Examen  de  la  localisation  de  la  légende  à 
S,-Géri-de-(  'ambrai 

Rien  ne  s'oposanl  à  ce  que  la  légende  soit  d'origine 
savante,  nous  pouvons  pousser  plus  avant  l'étude  de  cette 
hypothèse,  ("est  à  l'église  de  S.-Géri-de-Cambrai  que  M. 
Bédier  propose  de  rattacher  la  légende  (p.  375  sqq.)  :  cet 
établissement  en  serait  l'un  des  points  de  formation.  Je 
ne  crois  pas  que  celte  manière  de  voir  s'impose  à  notre 
conviction  :  l'argumentation  de  \I.  Bédier  ne  me  semble 
pas  très  décisive 

La   fréquence  des  invocations  à  s.  * i < '•  r i  qu'on  constate 

(1)  Raoul  de  t'ambrai,  Introd.  p.  LXI. 

(2)  Rom.  37,  p.  491. 

(3)  Idterarisches  Zentralblatt  1908.  ool.  1396.  — J'ajoute  que  rien 
n'est  moins  certain  que  la  mention  de  Bertolai  dans  le  poème  pri- 
mitif. Les  fragments  belges  indiquent  comme  source  du  poème  un 
«  auctor  »  (v.  11),  ce  qui  semble  s'appliquer  mieux  à  un  livre  latin 
qu'au   soldat-trouvère. 


NOTES  SUR  RAOUL  DF.  CAMBRAI.         121 

dans  la  chanson  a'esl  pas  de  grand  poids.  S.  Géri  esl 
invoqué  sepl  fois  par  1rs  divers  personnages  du  poème  (I). 
C'est  un  nombre  respectable.  Il  n'esl  égalé  que  par  celui 
des  invocations  à  s.  Simon  (2).  Mais  il  est  dépassé  par 
neuf  appels  à  s.  Denis  (3)  et  par  douze  à  s.  Riquier  (4). 
Ces  invocations  sont  une  grande  ressource  pour  un  poète 
qui  cheville,  a  l'ail  remarquer  M.  Meyer  (5).  Pourquoi 
l'auteur  de  Raoul,  se  demande  M.  Bédier  (p.  376,  ri.  I). 
n'invoque-t-il  pas  d'autres  saints  que  lui  fournissaient  éga- 
lement des  rimes  faciles  en  i  :  saints  Merri,  Rémi,  Tierri, 
Valéri,  etc.  ?  —  Probablement  parce  qu'ayanl  l'.iil  appel  à 
dix-huil  bienheureux  nommémenl  (6),  sans  compter  quel- 
ques invocations  génériques  (7),  il  a  cru  avoir  donné  des 
gages  suffisants  de  son  mauvais  goûl  el  estimail  superflu 
de  pousser  plus  loin  la  démonstration  de  sa  piété  indis- 
crète. 

.Mais  s.  Géri,  dit  M.  Bédier,  est  invoqué  par  les  trois 
personnages  principaux  du  roman  dans  les  circonstances 
graves  de  leur  vie.  C'esl  en  juranl  s.  Géri  que  Guerri  ré- 
clame au  roi,  au  v.  65-i,  qu'il  rende  à  Raoul  son  héritage. 
Mais  c'est  en  faisant  appel  à  s.  Denis  que  le  même  Guerri 
s'excuse,  quand  Aalais  lui  reproche  de  ne  lui  ramener 
que  le  cadavre  de  sou  fils  (3592).  <  "esl  en  juranl  s.  Géri 
que  Raoul  menace  les  otages  de  la  prison  (869);  niais  c'est 
au  nom  de  s.  Riquier  qu'il  prétend  avoir  revendiqué  la 
terre  des  (ils  Herbert  à  la  cour  du  roi  (1081).  Bernier 
prend  à  témoin  s.  Géri.  quand  il  se  plainl  à  Guerri  du 
meurtre  de  sa  mère  (1528);  mais  c'est  à  saint  Thomas  qu'il 

(1)  V.  654,  869,  1528,  1619,  2187.  2249,  4586-9. 

(2)  V.  629.   923.  1057.   1661.  1973,  3978,  4860. 

(3)  V.  2084,  2643,  2846,  3215,  3222.  3592,  3865,  4727-31.  5201. 

(4)  V.  1081,  1359.  1421,  1847,  1938,  2018,  2284,  2552,  3070.  3788. 
4601.   5117. 

(5)  L'un  ni  de  Cambrai,  Introd.  LVIII. 

(6)  SS.  Arnaud.  Augustin.  Denis.  Firmin,  Gabriel,  Géri,  Ger- 
trude,  Gervais,  Hilaire,  Honoré,  Jacques,  Léonard,  Nicolas,  Paul. 
Pierre,  Riquier,  Simon,  Thomas.  Cette  liste  n'a  pas  la  prétention 
d'être  complète. 

(7)  Saints  de  Bavière,  de  Pavie,  de  Ponthieu  et  sans  doute  d'au- 
tres encore  que  je  n'ai   pas   notés. 


122         NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI. 

a  recours  dans  la  scène  pathétique  de  la  tirade  LXVII,  el 
c'esl  sous  les  auspices  du  bienheureux  évêque  Firmin  qu'il 
conçoit  l'idée  de  se  séparer  du  meurtrier  de  sa  mère  (1605). 
Il  est  inutile  <le  poursuivre  cel  examen.  Saint  rlilaire, 
saint  Jacques,  sainte  Gertrude,  saint  Denis,  ions  les  saints, 
grands  ou  petits,  sont  invoqués,  par  les  principaux  per- 
sonnages connue  par  les  comparses,  dans  toutes  les  cir- 
constances de  leur  vie,  au  gré  de  la  rime  et  même  de  la 
fantaisie  de  l'auteur. 

Le  second  argument  de  M.  Bédier,  tiré  de  ce  que  plu- 
sieurs scènes  importantes  de  iluoitl  de  Cambrai  sont  loca- 
lisées à  s.  Géri,  n'est,  pas  plus  résistant  que  le  premier. 
Car  si  l'on  voulait  chicaner  M.  Bédier,  on  pourrait  lui 
répliquer  que  de  toutes  les  églises  de  Cambrai,  le  jon- 
gleur, étranger  à  la  ville,  n'a  entendu  parler  que  d'une 
des  plus  importantes,  celle  de  s.  Géri.  Sans  aller,  pour  le 
moment,  jusque  là.  j'estime  qu'ayant  placé  une  partie  de 
l'action  à  Cambrai,  le  poète,  ayant  besoin  d'un  moûtier,  a 
choisi  s.  Géri  comme  il  aurait  pu  choisir  l'église  de  Notre- 
Dame  ou  l'abbaye  de  Saint-Sépulcre  (1).  Une  fois  son 
choix  fait,  il  l'a  maintenu.  Le  court  vocable  de  saint  Géri, 
fournissant,  au  surplus,  une  rime,  fréquente  dans  le  poème, 
en  i,  lui  a  paru  peul-èlre  plus  facile  à  manier  que  les 
vocables  des  autres  églises  cambraisiennes.  Mais  il  se  peut 
aussi  que  cette  circonstance  n'y  soit  pour  rien. 

Il  y  avait  une  foire  très  fréquentée,  continue  M.  Bédier, 
au  Monl-Saint-Géri,  et  les  jongleurs  ne  devaient  pas  y 
manquer.  Il  y  avait  bien  d'autres  foires  dans  le  Nord  de 
la  France,  et  même  ailleurs,  et  ce  n'est  pas  M.  Bédier  qui 
me  démentira,  si  j'admets  la  présence  des  jongleurs  à  plus 
d'une  de  ces  fêtes  populaires.  Le  jongleur  qui  a  rimé 
Raoul  de  Cambrai  a  fréquenté  la  foire  du  Mont-Saint-Géri 
et  l'église  elle-même  :  «  Il  sait,  je  cite  textuellement  le 
livre  de  M.  Bédier,  que  le  mostier  de  S. -Géri  n'est  pas  une 
abbaye  proprement  dite,  mais  plutôt  un  chapitre,  une  réu- 
nion de  clercs  séculiers  (H  saige  clerc)  vivant  en  commun, 

(1)  Cf.  une  L'onne  remarque  de  M.  Flach,  Journal  des  Savants, 
1909,  p.  122. 


NOTES  SUR  RAOUL  OF,  CAMBRAI.         123 

un  collège  de  prêtres  prébendes  par  l'évêque  de  Cambrai 
(p.  382).  Je  n'ai  pas  réussi  à  trouver  le  passage  où  le 
poète  aurail  fait  allusion  au  «  collège  prébende  par  l'évê- 
que de  Cambrai  ».  Je  remarque  que  saige  clerc  ne  signifie 
pas  «  clercs  séculiers  »,  mais  «  ecclésiastiques  lettrés, 
savants  »  (réguliers  aussi  bien  que  séculiers),  el  je  conclus 
en  m'étonnant  un  pou  de  la  précision  effrayante  des  ren- 
seignements  que  M.  Bédier  tire  de  trois  vers,  pris  à  trois 
passages  différents  du  poème,  qui  disenl  le  plus  banale- 
îiion I  du  monde  que  II  saige  clerc  Fonl  le  Dieu  mesiier  dans 
un  mostier  et  qu'un  évêque  \  chante  la  messe  hautement. 
Le  poète  (i  -ait  el  s'adresse  à  un  public  qui  sait  que 
Raoul  est  enterré  au  mostier  [S.-Géri]  »  (p.  382).  —  Mais 
nous  l'ignorons,  cl  peut-être  le  public  du  jongleur  n'en 
savait-il  pas  plus  long  que  nous  (1).  Béroul  prétend  que 
cil  qui  Vont  v'eùe  connaissent  une  relique  d'Iseut  à  S.-San- 
son.  dont  nous  ne  saxon-  rien:  l'auteur  de  la  deuxième  partie 
de  Raoul  de  Cambrai  (version  de  Paris)  t'ait  recueillir 
Bernier  dans  un  petit  prieuré  Que  Bernier-Pierre  apellent 
ou  pais  el  qui  semble  n'avoir  existé  que  dans  l'imagination 
du  poète;  une  charte  célèbre  de  Laon  dit,  paraît-il,  des 
merveilles  de  Roland  et  Turpin  :  Ki  tant  ne  set,  ne  lad 
prod  entendut.  M.  Bédier  m'en  voudra-t-il  d|avoir  peu  en- 
tendu à  sa  démonstration  et  de  lui  dire  que  j'admettrai 
l'existence  des  tombeaux  des  <\t'\\x  Raoul,  lorsqu'il  m'aura 
prouvé  que  la  chanson  s'adresse  au  public  hantant  le  Mont- 
Saint-Géri,ou  que  j'accepterai  la  localisation  de  la  légende 
à  s.  Géri,  quand  il  m'aura  démontré  l'existence  des  tom- 
beaux, mais  <[ue  je  me  refuserai  obstinémenl  à  me  laisser 
convaincre  par  une  pétition  de  principe  (2). 

6.  Le  document  connu  nous  le  nom  de  < '.harte 
de  l'évêque  Liébert. 

M.  Bédier  a  produit  encore  un  dernier  el  principal  argu- 
ment en  faveur  de  la  localisation  de  la  légende  à  S.-Géri- 

(1)  M.  Bédier  le  concède  lui-même  p.  385,  n.  1. 

(2)  Je  m'aperçois,  après  coup,  que  M.  Ph.  Aug.  Becker  croit 
également  à  l'existence  du  tombeau  de  Raoul,  voy.  son  excellent 
Grundriss  d.  afrz.  Literatur  I,  p.   81. 


124  NOTES   SUR    RAOl'L   DE    CAMBRAI. 

de-Cambrai  (p.  383).   Ces)   un  documenl  signalé   par  M. 
Longnon,  en  son  introduction  à  l'édition  de  Raoul  de  ('am- 
brai (p.  XXII)  el  qualifié  par  lui  (el  ensuite  par  M.  Bédier) 
de  charte  de  l'évêque  Liéberi  (-J-  ivanl  1070).  Voici  ce  do<  u 
ment  publié  par  Duvivier  d'après  un  manuscrit  perdu  (l)  : 

Notum  sid  omnibus  fidclibus  ecclesiae  Liebertum.  gratia  Dei  Ca- 
meracensem  episcopum,  ea  quae  ad  usus  fratrum  in  ecclesia  beatî 
Gaugerici  quidam  seruientium,  partim  a  reliquis  fidelibus,  post  libe- 
ralem  elemosinae  benignitatem  a  Lothario,  item  a  Lothario  et  Carolo 
regibus  factam,  et  a  Joanne  papa  auctoritate  apostolica  confirmât  a  m, 
tradita  sunt,  huius  cartae  testimonio  ne  a  memoria  excidant  commen- 
dasse  et  episcopalis  priuilegio  dignitatis  ne  ab  aliquo  diripiantur 
légitime  laborasse.  Tradidit  itaque  ad  usus  fratrum  praedictorum 
eomitissa  Adelaidis  pro  sua  filiique  sui  comitis  Radulphi  anima 
uillam  quae  dicitur  Conteham  et  quae  ad  eam  pertinet  arabilcm 
terram  ;  cornes  Ybertus  Torci  ;  Heribertus  dimidiam  culturam  Main- 
sendis...  (suivent  de  nombreux  noms  des  donateurs  avec  indication  de 
ia  donation)... 

Habebant  etiam  praedicti  fratres  in  Iuorio  mansum  unum,  qui  X. 
denarios  soluit,  cum  terra  arabili  ;  in  Uilla  Puerorum  unum  curtil- 
h:m  :  in  Buisniis  et  Morchiis  terram  arabilem  unius  carruce  :  in 
Aldoncurte  et  mansum  unum  cum  terra  et  arabili  terra  ;  in  Fontanas 
et  Raillencourt  et  Geimont  dimidia  carruce  arabilem  terram.  in 
Maneriis  XV.  curtillos  et  terram  arabilem  quod  emerunt  a  quodam 
milite  libras  decem  ;  in  Brachiol  III.  curtillos  et  terram  arabilem. 
Dédit  etiam  Christianus  ecclesiae  sancti  Gaugerici,  cuius  erat  aduo- 
catus,  adhuc  uiuente  et  annuente  uxore  sua  quae  proprio  nomine 
Tressendis,  Beatrix  uero  est  appellata,  ancillam  unam...  quod  sub 
hiis  testibus  f actum  est  :  Wibaldo,  Amulrieo,  Leuiulfo,  Joanne  de 
Rumilli,  Roberto,  Herberto  et  Petro  de  Jiekieres.  Praeterea  epis- 
copi  Cameracenses  haec  altaria  (suit  une  énumération)...  libéra  tra- 
didere.  Ipse  uero  dominus  Liebertus  episcopus  altare  in  jNIeobris 
superaddidit...  (suivent  des  détails)  similiter  et  altare  in  Auesnis... 
(suivent  des  détails  et  indication  d'autres  donations  du  même).  Tem- 
pore  eiusdem  episcopi  tradidit  se  ecclesiae  s.  Gaugerici  Walterus 
cum  uxore  sua  Enghelsena'i  et  filia  eorum  Enghelsendi.  Tradidit 
etiam  idem  episcopus  eisdem  predictis  fratibus  districtum  claustri 
eorumdem  fratrum,  ab  antecessoribus  suis  olim  ablatum,  etiam  et 
cambam  unam  et  de  mathera  decimam  partem,  et  in  omnibus  molen- 
d'inis  quae  sunt  Salis  uel  Talis  decimam  partem  in  duabus  s.  Gau- 
gerici festiuitatibus.  Thelonei  tertiam  partem  antecessores  sui  dede- 
runt  et  ipse  duas  et  secundum  horum  priorem.  Tempore  eiusdem 
episcopi    homo    quidam    nomine    Robertus    ecclesiae    s.    Gaugerici    se 

(1)    Recherches  sur  le  Hainaut  ancien,  p.  425  sqq. 


NOTES  SIR  RAOUL  DE  CAMBRAI.         125 

tradidit  cum  uxore  sua  Heldeuuida  et  filio  suo  Balduino  et  filiabus 
suis  Beloca  uidelicet  et  Iohera  :  feiit  autem  similiter  alius  homo 
qui  Rothardus  uocabatur  ;  idem  quoque  fecerunt  duae  mulieres 
quarum  haec  sunt  nomina  :    Aldiardis,   Fulcuera. 

Si  par  un  acte  au  sens  diplomatique  on  entend  un  écrit 
destiné  à  porter  témoignage  des  faits  de  caractère  juridi- 
que, ce  documenl  en  est  un  très  certainement.  Mais  cel 
acte  au  sens  diplomatique  n'est  pas  un  acte  probatoire  au 
sens  juridique.  Ce  n'esl  pas  une  charte  dispositive,  caria 
au  sens  technique  du  mot,  puisqu'il  ne  contienl  aucune 
disposition;  il  se  borne  à  notifier  l'existence  d'un  privilège 
de  l'évêque  Liéberl  el  à  énumérer  les  possessions  de  l'ab- 
baye. On  remarquera  du  reste  qu'il  ne  contienl  ni  signes 
de  validation  ni  leur  annonce;  il  n'a  pas  d'eschatocole.  Il 
n'émane  pas  de  Liébert,  puisqu'il  est  conçu  en  la  forme 
indirecte,  à  la  troisième  personne,  el  non  en  la  forme 
directe,  à  la  première  personne,  suivant  l'usage  constant 
des  actes  épiscopaux.  La  prétendue  charte  de  Liéberl  n'esl 
même  pas  un  simple  acte  probatoire  (schlichte  Beweisur- 
kundé),  une  notifia  au  sens  diplomatique  du  mot,  puisque 
loiil  en  mentionnant  des  actes  juridiques  elle  mentionne 
aussi  le  simple  l'ail  de  possession  de  certains  biens  par 
S.-Géri.  possession  qui  constitue  bien  un  fait,  mais  non  un 
acte  juridique  :  Habebani  efiam  praedicti  fratres,  etc. 

Qu'est-ce  donc  que  ce  documenl  '.'  Je  crois  que  c'est  une 
manière  d'inventaire  muni  très  maladroitement  d'une  for- 
mule de  notification  à  son  début.  Car  sur  la  foi  de  cette 
formule  nous  devrions  admettre  que  toul  ce  qui  esl  contenu 
dans  l'acte  avail  fait  l'objel  d'une  confirmation  solennelle 
de  Liébert,  el  ce  sérail  une  grosse  erreur.  Il  esl  impossible 
qu'une  autorité  quelconque  confirme  le  simple  fail  de  pos 
session.  Il  est  lianlenieiil  improbable  que  Liéberl  ail  énu- 
méré,  en  sa  charte,  les  témoins  d'un  acte  de  donation  : 
quod  sub  hiis  testibus  factum  est  Wibaldo,  Amulrico, 
Leuiulfo,  Joanne  de  Rumilli,  Roberto,  Herberto  et  Petro 
de  Jiekieres,  comme  s'il  voulait  vidimer  la  carta  donationis 
au  lieu  de  la  confirmer  dans  un  privilège  global.  La  bizar- 
rerie de  ce  passage  est  d'autant  plus  grande  que  la  men- 
tion de  la  donation  dont  on  communique  l'eschatocole  est 


126         NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI. 

précédée  de  très  nombreuses  mentions  se  bornant  à  l'indi- 
cation du  donateur  et  de  l'objet  de  la  donation.  Il  esl  dif- 
ficile d'admettre  que  cette  mention  ail  figuré  dans  l'acte  de 
Liébert,  dont  l'existence  esl  notifée  au  débul  du  document, 
comme  il  esl  difficile  de  ne  pas  suspecter  tout  ce  qui  se 
lii  dans  le  document  à  partir  des  mots  Habebant  etiam 
praedicti  fratres. 

La  prétendue  charte  de  Liébert  n'a,  du  reste,  pas  été 
rédigée  du  vivanl  de  cet  évêque,  car  ce  n'est  qu'après  sa 
mort  qu'on  pouvait  écrire,  en  parlant  de  lui  :  Tempore 
eiusdem  episcopi  tradidit  se  ecclesiae  S.-Gaugerici  Wal- 
lerus,  et  continuer  de  même,  après  avoir  rapporté  une  dis- 
position de  Liébert  :  Tempore  eiusdem  episcopi  homo  qui- 
dam nomine  Robertus.  Mais  si  la  morl  de  Liébert  (avant 
MiTo)  fournil  facilement  un  terminus  a  quo  pour  la  date 
du  document,  il  est  impossible  d'en  déterminer  le  terminus 
ad  (/item,  car  l'âge  de  l'unique  ms.  perdu,  d'après  lequel 
ce  document  a  été  publié,  esl  inconnu  et  il  n>  a  pas  d'au 
Ire  point  de  repère. 

Notre  document  énumère  des  biens  de  l'église  de  S.-Géri 
au  temps  de  l'évêque  Liébert.  Des  chartes  authentiques  ont 
certainement  élé  utilisées  pour  sa  confection.  La  bulle  de 
Jean  \ 'III  que  le  documenl  prétend  être  visée  dans  l'acte 
de  Liébert,  existe  (1).  La  mention  de  la  donation  de 
l'avoué  Chrétien  a  aussi  bien  l'air  d'être  tiré  d'une  charte 
authentique.  Quant  au  reste,  je  n'ai  pas  les  moyens  de  con- 
trôle, les  sources  diplomatiques  de  S.-Géri  étant  encore, 
pour  la  plupart,  inédites.  La  question  est,  d'ailleurs,  de 
minime  importance.  Four  les  besoins  de  celle  étude  il 
suffit  de  constater  que  le  documenl  est  rédigé  très  libre- 
ment. L'évêque  Liébert  devail  certainement  viser,  dan-  sa 
confirmation,  les  chartes  de  ses  prédécesseurs  postérieurs 
à  la  bulle  de  Jean  VIII.  Le  document  les  mentionne  aussi, 
mais  non  dans  la  partie  qui  pourrait  contenir  le  résumé'  de 
l'acte  de  Liébert:  il  s'en  occupe  dans  sa  partie  postiche. 
Après  la  donation  de  l'avoué  Chrétien,  nous  lisons  :  Prae- 
terea  episcospi  Cameracenses  haec  altaria...  libéra  Ira- 
il)    Jatt'é    n°  3188   =    Duvivier,  op.   cit.,  p.  318. 


NOTE?  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI.         127 

didere.  Ipse  uero  episcopus  Liebertus  allure  in  Meobris 
superaddidit. 

Cette  constatation  doil  nous  mettre  en  garde  contre  les 
mentions  qu'on  pourrail  être  tenté  de  prime  abord  <  1  *  - 
croire  empruntées  au  privilège  de  Liébert.  L'étal  des  biens 
décril  dans  notre  pièce  est  dressé  au  moyen  de  plusieurs  do- 
cuments dont  les  mentions  sont  entremêlées.  11  esl  difficile 
de  dire,  dans  ces  conditions,  ce  qui  y  esl  pris  à  la  charte 
de  Liébert,  el  ce  qui  esl  emprunté  à  d'autres  sources.  I  ne 
chose  esl  toutefois  certaine:  la  mention  de  la  donation  du 
cornes  Ybertus  n'a  pu  être  tirée,  sous  celle  l'orme,  du  pri 
vilège  de  Liébert.  11  sera  établi  plus  loin  qu'au  XIe  siècle 
Ibert  dil  de  Ribemonl  n'a  été  qualifié  comte  que  dans  les 
documents  waulsodoriens,  avec  lesquels  un  acte  de  Lié- 
bert pour  s.  Géri  de  Cambrai  n'a  rien  à  faire.  El  quand 
on  aura  remarqué  que  le  documenl  mentionne  une  dona- 
tion de  la  comitissa  Adelaidis  pro  sua  filiique  sui  comitis 
Radulphi  anima,  alors  que  les  documents  cambraisiens  ne 
connaissent  que  des  donations  de  la  comtesse  .Mais  faites 
pour  le  repos  de  l'âme  d'un  Raoul  dépourvu  de  titre  (1),  on 
ne  pourra  se  défendre  de  l'idée  que  ces  intilulations  sont 
dues  à  l'influence  de  la  chanson  de  geste.  M.  Bédier  a  eu 
bien  raison  de  prendre  ses  précautions  contre  ce  qu'il 
croyait,  sur  la  foi  de  M.  Longnon,  être  une  charte  de  l'évê- 
que  Liébert,  mais  il  a  eu  tort  de  s'appuyer  sur  ce  docu- 
ment pour  faire  de  s.  Géri  un  des  points  de  forma  lion  de 
la  légende.  M.  Longnon  a  eu  raison  d'admettre  l'influence 
de  la  chanson  sur  la  mention  du  cornes  Ybertus,  mais  il  a 
eu  tort  de  croire  que  c'était  Liébert  qui  avait  subi  cette  in- 
fluence. En  fait,  il  n'y  a  rien  à  tirer  de  ce  document  de 
date  inconnue,  mais  postérieur  à  la  mort  de  Liébert,  sinon 
que  les  clercs  de  S. -Géri  ont  cru  à  l'historicité  de  la  chan- 


(1)  Je  n'ai  pas  besoin  de  dire  que  ce  n'est  pas  la  même  chose. 
Le  fils  de  la  comtesse  pouvait  être  mort  en  bas  âge,  avoir  em- 
brassé la  carrière  ecclésiastique,  etc.  —  Sur  les  documents  cambrai  - 
siens   cités  dans   le  texte,    voy.    la   note   suivante. 


128         NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI. 

son  de  Raoul  de  Cambrai,  tout  aussi  bien  que  les  nonnes 
d'Origni-Sainte-Bônoîte  (1). 


7.  Elbertus    =   Albert.   Le  fondaient   de 
S.-Michel-en-Tiérache. 

Avant  de  continuer  notre  enquête  cnr  la  formation  de  La 
légende  de  Raoul  de  Cambrai,  il  '-si  indispensable  d'éluci- 
der une  petite  question  d'onomastique  au  sujel  de  laquelle 
une  discussion  s'esl  élevée  entre  M.  Bédier  cl  M.  Lon- 
gnon  (2).  Quelle  esl  la  valeur  de  la  graphie  Elberlus  que 
nous  rencontrerons  dans  quelques  chartes  permettanl  de 
contrôler  les  affirmations  d'une  chronique  très  suspecte  au 
poinl  de  vue  historique,  mais  extrêmemenl  précieuse  pour 
la  critique  de  la  chanson  de  geste,  YHistoria  Uualciodo- 
rensis  monasterii  ? 

Pour  M.  Longnon,  Elbertus  ne  saurait  désigner  qu'Ibert, 
el  il  cité  en  effet  un  personnage,  déjà  signalé  du  reste  par 
Foerstemann,  dont  le  nom  est  écrit  alternativement  Elber- 
lus el  Eilbertus,  colle  dernière  graphie  indiquant  qu'il  >"a- 
git  d'un  Ibert.  Il  esl  certain  que  l'influence  de  /.  contenue 
primitivement  dans  le  premier  élémenl  iln  nom  d'Ibert,  a 
produit  une  hésitation  dans  le  traitemenl  de  la  voyelle 
initiale,  ('es  fluctuations  sonl  bien  connues,  cl  elles  ren- 
dent assez  malaisée  Pétymologie  de  bien  des  noms  propres 
donl   la   première  syllabe  se  termine  ou  se  terminait    par 


(1)  Bédier,  op.  rit.  II,  388  sqq.  Adde  Ph.  Durrieu,  Bill.  Ec.  Char- 
tes 53.  p.  123  (sur  ms.  Berlin,  Cab.  Estampes  H.  S.  47).  —  Je  me 
permets  de  glisser  rapidement  sur  une  mention  d'un  nécrologe  de  S. 
Géri,  dont  M.  Bédier  ne  fait,  du  reste,  pas  état.  Elle  est  conçue 
ainsi:  VIII.  kal.  octobris  Obiit  Aelaidis  comitissa.  [Rom.  38.  227.) 
Alais  est  un  nom  trop  commun  au  M.  A.  pour  qu'on  puisse  en  tirer 
une  conclusion  quelconque  en  faveur  de  la  localisation  de  la  légende 
à  S.  Géri.  Quant  à  la  mention  de  Aelaidis  comitissa,  matei  Uodulfi 
de  deux  autres  obituaires,  il  suffit  de  remarquer  qu'ils  concernent 
l'église  cathédrale  sous  le  vocable  de  Notre-Dame  et  non  S.  Géri 
(Bédier,  p.  385':  Longnon,  Rom.  38.  226  sq.),  La  combinaison  A  lais - 
Raoul  est  au  surplus  banale,  étant  donné  la  grande  diffusion  des 
deux  noms. 

(3)    Bédier.  p.   426;  Longnon,  Rom.  37,  p.   493  sq. 


nu  l  ES    -i  R    R  VOUL    DE   C  Wllti;  M. 


,-_,,, 


une  liquide  (I).  Mais,  c me  l'a  observé  forl  exactement 

M.  Béclier,  l'influence  de  la  liquide  s'exerce  aussi  sur  un 
n  initial.  Je  me  borne  à  citer  ici  quelques  exemples  <lu 
traitement  Al-:  El-: 

Alligni,  Alliniacum     Elinvacus  (Longnon,  Pouillés  de  la 

prov.  de  Sens,  table). 
Auray,    Alraium    Elrayum    (Longnon,    Pouillés    de    ht 

prov.  de  Tours). 
La   Hallotiere     la   Helotiere   (Longnon,   Pouillés  de   la 

prov.  de  Rouen). 
Haudreville     Heudreville  (Longnon,   ibid.). 
Alienor,  etc.  Eleonor,  Elienora,  Helenoria  (Molmicr  et 

Longnon,  Obiluaires  de  lu  prov.  de  Sens). 
Almericus  seu  Elmericus  (Molinier  el  Longnon,  ibid.). 
Allagnon  Ellenionem  (Chassaing  el  Jacotin,  l)ul.  topo- 

(jr.  Haute-Loire). 
Moisu  seu  Heloisa  (Schultz-Gorra,  Toblerabhandlungen 

1895,  p.  185). 
Alsace,  Alsacence,  etc.  (Dip.   Kami.  I)  pagus  Elisatius 

(Flodoard,  Ami.). 

Le  l'ait  que  la  liquide  est   suivie  de  l'explosive  labiale 

s 'e  ne  l'ail  pas  obstacle  à  ce  traitement.  Le  nom  d'Adal- 

béron  est  rendu  dans  un  prétendu  diplôme  de  Lothaire 
par  Helberus,  el  l'éditeur,  M.  L.  Halphen,  remarque  à  ce 
sujet  '.«.Helberus  représente  la  forme  vulgaire  el  parlée  du 
nom  Adalbero  (2)  ».  M.  Longnon  semble  être  du  même 
avis.  I)n  moins  a-t-il  maintenu  la  forme  Helberus  à  l'ar- 
ticle Adalbero  de  la  table  de  M.  Halphen,  qu'il  avait  sou- 
mise à  un  examen  très  minutieux.  AdaLberlus  est,  pour  le 
traitement  de  la  voyelle  initiale,  dans  les  mêmes  conditions 
phonétiques  (\\\' Adalbero,  et  on  ne  saisit  pas  bien  pourquoi 
M.  Longnon  déclare  inadmissible  le  traitement  :  Adalber- 
tus  :  Elbertus.  Se  refuserait-il  aussi  à  reconnaître  dans  S. 

(1)  C'est  aller  pourtant  un  peu  trop  loin,  que  de  voir,  comme  le 
fait  M.  Longnon,  Bom.  29,  p.  497  sq.,  un  dérivé  de  Hildebertus 
dans   Eduardus. 

(2)  Halphen  et  Lot.  Recueil  des  actes  de  Lothaire  et  de  Louis  V, 
p.    148. 


130  NOTl  S    -i  R    RAOl  l     DE   CAMBRAI. 

Elberici  d'une  charte  du  Trésor  de  Rethel  le  signum  d'un 
vulgaire    Vubri  (  I  )  ? 

Je  pourrais  lui  citer  alors  un  Albert  indiscutable  dont  le 
nom  esl  écrit  ailleurs  Elbertus,  et,  par  un  hasard  assez 
plaisant,  c'est  au  siège  même  de  la  seigneurie  de  Ribemont 
que  je  trouve  ce  personnage.  Une  charte  du  cartulaire  de 
-;.  Nicolas  des-Prés  sous  Ribemont,  que  l'éditeur,  M.  Hen- 
ri Stein,  date  des  environs  de  1 190,  mentionne  un  Alberlus 
de  Ribodimonte,  qui,  dans  une  charte  du  même  recueil 
datanl  du  commencement  du  \IIIC  siècle,  est  appelé  El- 
berlus  de  Ribodimonte  (2).  Bien  mieux,  nous  possédons  la 
copie  d'une  charte  pour  S.  Michel  en  Tiérache  <>ù  Albert 
de  Verntandois  -  c'est  précisément  le  personnage  qui 
nous  intéresse,        est  appelé  Elbertus. 

Humane  consuetudinis  est  ut  res  quas  sainte  dei  ecclesie  fidelis 
quisque  tribuit  uel  pro  neceseitate  uendit,  litteris  ad  memoriara  pos- 
terorum  eommendet.  Nouerit  igitur  uniuersa  ecclesia  ,  quod  ego  Uuel- 
trudis  dederim  ecclesie  sancti  Michaelis  archangeli  uillam  nomine 
Boegnis,  sitam  in  comitatu  Laudunensi  super  fluuium  nomine  Auben- 
ton,  pro  salute  anime  Eadulfi  mariti  mei  et  pro  salute  anime  mee  et 
nostrorum  infantium  ;  ita  uidelicet  ux  ex  una  medietate  acceperim  in 
precio  solidos  CXX.,  aliam  uero  medietatem.  sicut  supradictum  est, 
pro  salute  animai  um  nostrarum  gratis  supradicte  ecclesie  tradide- 
îim  :  que  habet  mansum  indominicatum  cum  omni  integritate,  scilicet 
cum  terris  ciiltis  et  incultis,  cum  pratis,  aquis  aquarumue  decursibus, 
et  alia  mansa  ibidem  adiacentia,  ecclesiam  unam  in  honore  sancti 
Bricii,  molendinum  unum  in  supradicto  flumine,  siluam  ubi  possunt 
quingenti  porci  saginari.  Hec  omnia  legaliter  et  sub  scripto  tradidi 
ut  presens  ùonatio  stabilis  et  inuiolata  permaneat.  Si  quis,  quod  fieri 
non  credimus,  hanc  cartam  infringere  tenptauerit,  siue  ex  parentela 
mea  uel  mariti  mei  siue  alius  quippiam,  in  primis  iram  domini 
omnipotentis  et  sancti  Michaelis  incurat  et  fisco  regali  auri  libras 
('.  persoluet,  et  quod  repetit  nequaquam  obtineat.  Huius  rei  testis 
sum  ego  Uueltrudis,  que  hanc  cartam  fieri  iussi.  comesque  Elbertus, 
assensu    cuius    et    permissu    hanc    uenditionem    et    elemosinam    feci, 

(1)  Saige  et  Lacaille,  Trésor  '/'■-•  Chartes  du  comté  de  Bethel  I, 
n°    9. 

(2)  H.  Stein,  Cartulaire  de...  Saint-Nicolas-des-Prés  sous  Ribe- 
mont, S.  Quentin  1884,  n'  LXXX.  p.  134.  et  n°  XXVIII.  p.  64. 
C'est  cette  alternance  qui  fait  mettre  à  M.  Stein  un  autre  Elbertus 
(h  Itibodimonte  de  1104  (n"  XXI,  p.  56)  à  l'article  Albert,  de  la 
table  onomastique. 


NOTES  SUE  RAOUL  DE  CAMBRAI.         131 

quique  hanc  cartam  sigillo  proprio  firmauit.  Signum  etc.  Actum  in 
claustra  Sancti  Quintini  die  VII.  kalend.  Augusti  .Anno  incarna- 
tionis  domini   aongentesimo  LYIII   (1). 

Si  l'on  fail  abstraction  du  mol  sigillum  de  La  formule  fi- 
liale «lu  texte,  cette  charte  esl  excellente.  Le  plus  sceptique 
des  diplomatistes  n'y  trouverai!  rien  à  redire.  La  mention 
du  sceau  esl  évidemment  forl  sujette  à  caution,  el  c'esl  avec 
raison  (|ue  M.  Sackur  y  voit  une  interpolation  (2).  Mais  de 
là  à  conclure  que  l'acte  esl  supposé, il  y  a  un  alunir.  Ou  n'y 
esl  arrivé  qu'en  identifianl  le  cornes  Elbertus  avec  [bert,  dit 
de  Ribemont,  au  sujel  duquel  il  ne  saurait,  en  effet,  y  avoir 
de  doute  qu'il  ne  pouvait  pas  être  qualifié  comte  dans  un 
acte  du  Xe  siècle  (3).  Mais  si  l'on  considère  qu'un  faussai- 
re assez  habile  pour  imiter  à  la  perfection  le  style  des  char- 
tes carolingiennes  n'aurait  pas  la  naïveté  de  mentionner 
le  sceau  dans  un  acte  privé  qu'il  se  proposerait  de  dater 
du  Xe  siècle,  et  qu'au  contraire  il  est  banal  de  rencontrer 
des  interpolations  dans  les  formules  protocolaires  des 
chartes  conservées  par  des  copies  de  cartulaires,  on  con- 
clura (pie  li-  copiste  du  cartulaire  de  S. -Michel  a  remplacé 
la  mention  originale  du  signum  par  celle  de  sigillum,  et 
que  le  cornes  Elbertus  n'esl  autre  que  le  comte  Albert  de 
Vermandois,  fils  d'Herberl  le  Grand. 

Ce  qui  me  confirme  dans  celle  interprétation,  c'est  la 
remarque,  faite  déjà  par  M.  Bédier,  à  savoir  que  notre 
acte  esl  délivré  in  claustro  S.  Quintini,  et  que  le  comte 
Allieil  était  précisément  l'abbé  laïque  de  S.-Quentin.  Il  est 
vrai  que  M.  Longnon  objecte  (Loin.  38,  p.  241)  que  «  à  S.- 
Quentin, Ybert  occupait  évidemment  le  premier  rang  après 
le  comte-abbé  Aubert  I.  Il  était  le  lieutenant  du  comte,  ei 

(1)  Cartulaire  de  S. -Michel  en  Tiérache  (XIII*  siècle),  ms.  lat. 
Fiible.   Nat.  18375,   p.  26  sq. 

(2)  Deutsch.  Zeitsch.  f.  Geschichtswissensch.  II  (1889),  p.  358, 
note  6.  C'est  à  tort  que  M.  Longnon,  Rom.  38.  p.  234,  attribue  la 
paternité  de  cette  observation  à  M.  Rolland.  Cet  érudit  renvoie 
expressément  à  l'article  de  M.   Sackur. 

(3)  Là-dessus,  tout  le  monde  est  d'accord:  Sackur,  op.  cit.,  p.  358, 
Rolland  (Ann.  Soc.  Arch.  Namur  XIX  (1891),  p.  69,  n.  2),  Longnon, 
Rom.   38.   p.  233  sq. 


132  NOTES   SUE    R  \<U  I.   DE   CAMBB  \l. 

comme  tel,  il  dut  porter  le  titre  de  châtelain  ».  mais  je 
crains  que  cctlc  opinion  ne  puisse  s'appuyer  sur  aucun 
document.  Les  descendants  d'Iberl  portèrent  le  I  i  1 1  ■  «  *  de 
châtelain  de  S. -Quentin,  mais  aucun  acte  ne  montre  Ibert 
pourvu  de  ce  titre.  Nous  avons  pourtant  deux  actes  datés 
de  S. -Quentin,  où  [berl  n'aurait  pas  manqué  de  prendre 
la  qualité  que  lui  prête  M.  Longnon,  >'\\  l'avait  possédée. 
Mais  dans  la  charte  datée  in  uico  S.  Quintini.  II.  nouembris 
quinto  anno  regni  Lolharii  gloriosissimi  régis,  il  se  borne 
a  apposer  -<>n  seing  en  ces  termes  :  S.  Eilberti  uassali  (1). 
Dans  l'autre  charte, constatanl  l'échange  d'un  mesnil  dépen- 
ilani  du  monastère  S. -Quentin,  la  souscription  porte  : 
Signum  Eilberti  nobilis  cl  prudentis  uiri  i/ui  hanc  commu- 
talionem  fecii  (?).  Le  l'ait  qu'Ibert  possède  un  lopin  de  terre 
dépendant  du  monastère  S. -Quentin,  lopin  dont  il  s'em- 
presse, du  reste,  de  se  débarrasser,  ne  saurait  évidemment 
faire  présumer  une  situation  éminente  d'Iberl  à  S. -Quen- 
tin (3). 

Puisque  celle  charte  nous  a  amenés  à  S.-Michel-en-Tié- 

(1)  Cœrtulaire  d'Homblières,  ms.  lat.  Bibl.  Nat.  13911,  f°  26. 
La  présence  d'Ibert  se  justifie  par  le  fait  que  la  charte  constate 
un  échange  entre  Homblières  et  S. -Quentin.  Ibert,  qui  avait  ré- 
formé l'abbaye  d'Homblières,  ne  cessa  jamais  de  s'intéresser  à  cet 
établissement,  voy.  p.  ex.  la  charte  de  960,  citée  dans  Raoul  de 
('timbrai,   Introd.    p.    XXVI,    note  3. 

(2)  Rom.  38,  p.  241,  n.   1. 

(3)  .M.  Longnon  constate  encore,  sans,  semble-t-il,  en  tirer  ar- 
gument, la  présence  d'Ibert  parmi  les  témoins  de  la  charte  de  fon- 
dation de  l'abbaye  de  S. -Quentin  (Rom.  38,  p.  239,  n°  3).  Le  texte 
d  •  la  Gallia  christiana  X,  instr.  col.  360,  qui  porte  S.  PhUberti,  est 
considéré  comme  fautif  par  M.  Longnon,  qui  lit  N.  Eilberti  en 
renvoyant  à  la  Coll.  Moreau  XIII,  f '"  123  sq.  Je  remarque  que 
Gallia  uetvs  (éd  .1661)  IV,  770,  source  de  Gallia  christ.,  porte  S. 
PhUberti,  ce  qui  n'a  pas,  à  la  vérité,  grande  importance;  que 
Martene  Ampl.  coll.  I,  327  —  et  cela  est  plus  grave  — ,  qui  pré- 
tend publier  l'acte  d'après  l'original  (ex  autographo),  a  S.  Phili- 
bâti,  et  qu'enfin  la  Coll.  Moreau,  à  l'endroit  indiqué  par  M.  Lon- 
giion,  contient  un  acte  pour  Homblières,  où,  du  reste,  ne  figure 
ni  Eilbertus,  ni  Philibertus.  Supposant  une  de  ces  erreurs  de  cita- 
tion qui  ne  sont  point  rares  d'ans  les  ouvrages  de  M.  Longnon,  j'ai 
cherché,  mais  vainement,  la  charte  aux  tomes  9,  10,  11.  12.  13.  14  et 
15  de  la   Collection  Moreau. 


NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI.         133 

rache,  je  prends  la  liberté  d'élucider  de  suite  la  question 
de  la  fondation  de  cet  établissement  (1).  La  charte  de 
fondation  de  S. -Michel  n'est  pas  parvenue  jusqu'à  nous. 
Mais  un  acte  de  1 123  émananl  de  l'évêque  de  Laon,  Bar- 
thélémi,  nous  apprend  le  nom  du  fondateur;  c'est  Albert 
de  Vermandois  :  sicut  igitur  a  predecessoribus  uostrïs  a 
comiteque  Elberto  ipsius  ecclesie  <i  fundamenlis  precipuo 
adiuiore  institutum  est  (2).  Une  charte  de  l'évêque  de  Laon 
Gautier,  postérieure  de  trente  ans  à  la  précédente,  dit  de 
même  :  ideirco  notum  esse  uolumus  tam  presentium  quam 
futurorum  noticie,  quia  cum  beaii  Michaelis  eeclesia  et 
uilla  ub  episcopis  laudunensibus  per  comitem  Elbertum 
monasterii  et  uille  fondatorem  hoc  priuilegium  obtinuis- 
scl  (3).  11  est  vrai  que  la  Uita  s.  Cadroë,  rédigée  vers  1000 
à  Waulsort,  attribue  la  Fondation  de  S.-Michel-en-Tiérache 
à  une  dame  Hersent,  qu'il  n'est  pas  difficile  d'identifier 
avec  la  femme  du  noble  seigneur  Ibert  (4).  Mais  j'observe 
que  l'auteur  de  la  Uita  est,  de  son  propre  aveu,  mal  ren- 
seigné sur  les  événements  qu'il  raconte  (5).  Tout  ce  qu'il 
sait,  il  le  tient  de  ses  confrères,  les  moines  de  Waulsort. 
Et  ceux-ci  devaient  être  naturellement  tentés  d'exagérer  le 
rôle  d'Hersent,  fondatrice  de  leur  monastère.  Le  témoi- 
gnage  de  la  Uita  ne  saurait  être  appuyé  par  une  charte  de 

(1)  Pour  ce  qui  suit,  j'ai  mis  largement  à  profit  les  précieux  pa- 
piers de  Giry  dont  parle  Bédier,  p.  399,  n.  1,  et  dont  j'ai  eu  com- 
munication à  l'Ecole  des  Hautes-Etudes. 

(2)  C'ait ulaire,  de  S.  Michel  en  Tiérache,  ms.  lat.  Bibl.  Nat., 
18375,  p.  30  sq.  Le  passage  cité  se  trouve  à  la  p.  31.  Le  ms.  porte 
fautivement:  Actum  anno  incarnati  uerbi.  M°.  XX".  111°.  ;  la  correc- 
tion admise  dans  le  texte   n'a   pas   besoin   d'être   justifiée. 

(3)  Cent,  cit,  p.  31  sq.  (passage  cité  p.  32).  On  est  très  étonné  de 
voir  M.  Longnon,  Boni  37,  p.  207,  nier  l'existence  de  cette  charte. 
Elle  existe  bel  et  bien,  et  M.  Longnon  l'utilise  lui-même  ailleurs 
(Boni.  38,  p.   235). 

(4)  Mabillon  A  A.  SS.  Ben.  V,  489  sqq.,  chapp.  19  et  20.  Il  est 
bon  de  remarquer,  d'ores  et  déjà,  que  la  Uita  s.  Cadroë  ignore  l'é- 
poux d'Hersent. 

(5)  Epître  dédicatoire  :  iussisti  enim,  ut  aliquid'  de  actibus  felicis 
Kaddroë  describerem,  quasi  aut  disciplinarum  quippiam  consecutus 
sim  aut  ita  uiro  illi  familiaris  fuerim,  cum  neque  ingenium  suppetat 
neque   gestorum  eius   aliquid   scïam  praeter   audita. 

10 


134         NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI. 

l'évêque  de  Laon  Raoul,  transcrite  dans  le  cartulaire  de 
S.-Michel-en-Tiérache,  el  attribuant  la  fondation  du  mo- 
nastère à  Hersenl  :  c'est  un  faux  grossier  (I).  \<>u^  de 
vons  donc  nous  en  tenir  à  ce  que  nous  apprennenl  les  évo- 
ques Barthélemi  el  Gautier.  Quant  à  l'identification  <lu 
cornes  Elbertus  avec  le  noble  seigneur  Ibert,  il  n'y  t'aul 
pas  songer  (2).  Il  est  difficile  d'admettre  que  deux  évo- 
ques, à  qui  on  ne  pouvait  montrer  que  des  chartes  d'un  no- 
ble seigneur  Ibert,  l'eussent  qualifié,  de  leur  propre  auto- 
rité, corne*.  Nous  avons  bien  supposé  l'influence  de  la 
chanson  sur  un  étal  anonyme  de  date  inconnue,  mais  ici 
l.i  situation  est  tout  autre.  On  conçoit  qu'un  scribe  rédi- 
geant  librement  un  document  sans  importance,  relatif  à 
S.-Géri  de  Cambrai,  ait  été  tenté  d'identifier  les  person- 
nages mentionnés  par  ses  sources  ou  peut-être  même  chi- 

(1)  Giry  apud  Bédier,  p.  402,  note  1.  Voici  les  arguments  d'ordre 
diplomatique  que  fait  valoir  Giry,  et  que  M.  Bédier  s'abstient  de 
communiquer:  1"  «  L'usage  d'une  double  date  dont  une  partie  est 
au  commencement  de  l'acte  et  l'autre,  à  la  fin,  est  tout  à  fait  inso- 
lite »  ;  2°  «  Il  semble  un  peu  étonnant  qu'il  [Louis  IV]  ait  ajouté 
son  monogramme  et  son  sceau  à  une  charte  d'un  évêque  a'e  Laon. 
Ces  additions  confirmatoires  ayant  été  fréquentes  sous  les  Capétiens, 
il  n'est  pas  impossible  qu'il  s'en  rencontre  déjà  au  X'  siècle,  mais 
je  n'en  connais  pas  d'une  authenticité  certaine  »  ;  3"  «  La  suscrip- 
tion  de  l'évêque  Badulphus  Laudunensis  episcopus  m'est  également 
suspecte.  On  disait  encore,  au  Xe  siècle,  Laudunensis  ou  sanctae 
Laudunensis  ecclesiae  episcopus  ou  Laudunensis  ciuitatis  ou  sedis 
ouLaudunensium  »  ;  4°  «  On  ne  voit  pas  bien  non  plus  comment  et 
de  qui  un  archidiacre  de  Laon  pouvait  tenir  en  bénéfice  l'oratoire  de 
s.  Michel  »  ;  5°  «  Enfin,  la  stipulation  que  l'acte  a  été  fait  par  le 
conseil  des  fidèles  :  hoc  ■<<  riptiim  consilio  fiSelium  nostrorum  fieri 
iussimus,  fréquente  dans  les  diplômes  royaux  des  premiers  Capé- 
tiens, semble  extraordinaire  dans  une  charte  d'évêque  ».  Les  argu- 
mente sub  1"  et  2°  ne  sont  peut-être  pas  décisifs,  comme  j'espère 
rétablir  ailleurs.  L'arg.  3°  est  peu  convaincant  à  l'égard  d'une  copie 
du  XIII*  siècle.  Je  me  réserve  d'examiner,  dans  l'étude  à  laquelle 
je  viens  de  faire  allusion,  le  bien-fondé  a'e  l'argument  4\  Mais  la 
dernière  considération  de  Giry,  et  son  observation  communiquée 
par  M.  Bédier  sont  péremptoires.  —  L'acte,  je  crois  que  cela  n'a 
pas  été  signalé,  est  publié  par  Mabillon  AA.SS.  Ben.   V,  p.  909. 

(2)  Cette  identification  est  proposée  par  M.  Longnon,  voy.  Rom. 
38,  p.  217.  Voy.  aussi  la  suite,  le  raisonnement  de  l'auteur  concer- 
nant  Bucilli   devant    s'appliquer     aussi  à   S.-Michel-en-Tiérache. 


NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI.  135 

mériques  avec  ceux  d'une  chanson  de  geste,  dont  l'action 
se  place  à  S.-Géri;  mais  deux  évêques  qui  font  rédiger  des 
actes  de  caractère  juridique,  n'ont  aucune  raison  de  s'écar- 
ter de  la  teneur  des  documents  <|ui  leur  sont  soumis.  Et 
s'il  est  vrai  que  la  chanson  de  Raoul  de  Cambrai  fascina 
les  esprits,  il  serait  téméraire,  pour  ne  pas  dire  plus,  d'ad- 
mettre qu'elle  eût  halluciné  deux  prélats  réglant  des  affai- 
res banales  d'une  maison  avec  laquelle  la  chanson  n'a  au- 
cune relation  (1).  Nous  concluons  donc,  avec  M.  Bédier, 
que  c'est  Albert  de  Vermandois  qui  fonda  S.-Michel-en- 
Tiérache. 

8.   Le  fondateur  de  l'abbaye  de  Bucilli. 

Ce  que  nous  venons  de  dire  de  la  fondation  de  S.  Michel 
nous   permettra    d'être   très   bref   ici. 

Comme  tout  à  l'heure,  nous  nous  séparons  de  M.  Lon- 
gnon  pour  suivre  l'opinion  de  Giry  et  de  M.  Bédier.  Le 
lecteur  n'aura  qu'à  se  reporter  au  livre  de  M.  Bédier  (2), 
à  ajouter  mutatis  mutandis  ce  qui  vient  d'être  exposé  au 
sujet  de  S. -Michel,  et  il  connaîtra  nos  raisons.  J'observe 
seulement  que  l'argument  tiré  par  M.  Bédier  de  la  men- 
tion des  biens  échangés  contre  la  crux  Bucillensis  con- 
serve, après  ce  qui  a  été  dit  plus  haut,  toute  sa  valeur  à 
l'encontre  de  la  remarque  de  M.  Longnon,  Rom.  38,  p. 
244  (3). 

(1)  Nous  ne  pouvons  pas  admettre  que  le  titre  de  cornes  ait  été 
introduit  par  les  moines  de  S. -Michel  dans  les  chartes  produites 
par  eux  aux  évêques  ou  dans  les  modèles  de  chartes  présentés  à  leur 
signature.  Car  il  faudrait  admettre  alors  qu'à  Bucilli,  a'ont  les  char- 
tes parlent  également  d'un  cornes  Elbertus,  on  eût  commis  la  même 
supercherie,   ce   qui   serait  évidemment   absurde. 

(2)  P.   403  et  p.   421  sqq. 

(3)  L'acte  de  Barthélemi  pour  Bucilli,  qui  sert  de  thème  à  cette 
discussion,  vient  d'être  réédité  par  M.  Longnon,  Rom.  38,  p.  252  sq. 
A  corriger  dans  cette  édition:  p.  252,  1.  11:  deperierunt]  lisez  avec 
le  ms.  depiererant ;  ib.  1.  13:  adstantibus]  lisez  avec  le  ms.  astanti- 
bus;  p.  253,  1.  15:  in  perpetuum]  lisez  avec  le  ms.  im  perpetuum  ;  ib. 
1.  18,  supprimez  la  virgule  après  resipuerit,  qui  rend  inintelligible  la 
phrase;  placez-la  à  la  ligne  suivante  après  uenerit  ;  ib.  1.  21:dominï\ 
lisez  avec  le  ms.   domni.  Dans  la  formule  de  date,  le  ms.  porte  très 


136         NOTES  SUR  RAOUL  HF.  CAMBRAI. 

9.  Nobilis  uir  Eilberlus.  Cornes  Eilbertus. 
Abbaye  de  Waulsorl. 

S. -Michel  en-Tiérache  el  Bucilli  ne  nous  intéressent  que 
parce  que  la  fondation  de  ces  établissements  esl  liée  à 
l'histoire  légendaire  d'Iberl  dit  de  Ribemont.  Le  peu  que 
nous  saxons  d'assuré  sur  ce  personnage,  ce  sont  les  ren- 
seignements tirés  des  chartes  qui  nous  le  fournissent.  Nous 
n'avons  pas  de  preuve  qu'Ibert  ail  jamais  possédé  Ribe- 
mont; c'est  la  chanson  de  Raoul  de  Cambrai  qui  en  l'ait  le 
seigneur,  plus  exactement  le  comte.  Mais  il  esl  certain 
que  ce  personnage  n'a  jamais  été  revêtu  de  la  dignité 
comtale;  les  chartes  contemporaines  ne  connaissent  qu'un 
noble  ou  1res  estimable  seigneur  (nobilis,  salis  idoneus  uir) 
Ibert  (1).  ("esl  cet  [bert  qui  fonda,  de  concerl  avec  sa 
femme,  l'abbaye  de  Waulsorl  (2),  donl  l'histoire  est  si  im- 
portante pour  la  critique  de  la  légende  de  Raoul  de  Cambrai. 
Il  s'intéressa  aussi  à  l'abbaye  d'Homblières  où  il  coopéra  à 
la  réforme  de  !>Ï8  (3).  Il  ne  semble  cependant  pas  que  le 
souvenir  de  sa  piété  ait  persisté  longtemps  après  sa  mort, 
survenue    probablement    vers    969    (i).   A   Waulsort.    du 

correctement  M°.C°.XX°,  et  non  M°.CC'.XX°.  comme  le  prétend  à 
tort  M.  Longnon,  p.  253,  n.  5.  L'acte  est  transcrit  au  deuxième 
feuillet  du  cartulaire  comme  l'indique  très  exactement  Bédier,  p. 
403,  n.  3,  et  non  au  premier,  comme  le  soutient  M.  Longnon,  Rom. 
37,  p.  207,  à  l'encontre  de  M.  Bédier.  Le  premier  feuillet  est  oc- 
cupé par  une  table.  Le  ms.  porte  un  double  foliotage,  l'un  en  chif- 
fres romains,  commençant  au  fol.  2,  l'autre  en  chiffres  arabes,  com- 
mençant au  fol.  1.  Ayant  écrit:  fol.  2  et  non  fol.  II.  M.  Bédier 
n'a  commis  aucune  erreur.  —  Je  note  encore  que  dans  une  autre 
charte  de  l'évêque  Barthélemi,  transcrite  dans  le  même  recueil,  on  lit  : 
Et  quia  alodium  de  C'uriex  a  pif  memorie  Elberto  ûiromandensi  co- 
mité predicte  ecclesie  fundatore,  etc.  [fol.  IX  (10)  r°  col.  1,  circa 
fin.]. 

(1)  Voy.  en  dernier  lieu  Rom.  38,  p.  233  sq. 

(2)  Diplôme  d'Otton  I  pour  Waulsort  du  19  septembre  946.  DD. 
Ott.   I,  n°  81. 

(3)  Bédier.  p.  400.  Cf.  supra,  chap.  7.  p.  132,  n.  1. 

(4)  Sacfcur,  Deutsch.  Zeitschr.  j.  Geschichtswiss.  (1889)  II,  p.  345. 
En  sens  contraire,  Longnon,  Rom.  38,  p.  239.  La  question  est  inso- 
luble. Le  principal  argument  a'e  M.  Longnon.  la  prétendue  présence 
d'Ibert  parmi  les  témoins  de  la  charte  de  fondation  pour  Mont- 
Saint- Quentin,  a  été  discuté  plus  haut  (p.  132,  note  3). 


NOTES  SUR  RAOUL  DR  CAMBRAI.         137 

moins,  on  oublia  vite  Iberl  pour  reporter  toute  la  grati 
tiide  sur  sa  femme  Hersent.  El  il  se  peul  fort  bien  que  la 
véritable  fondatrice  du  monastère  nii  été  Hersent^  à  qui 
son  mari  n'eûl  prêté  que  l'assistance  habituelle  de  son 
autorité  maritale.  L'acte,  déjà  cité  (p.  L36,  n.  2),  d'Otton  1 
semble  même  fournir  un  léger  appui  ;'i  cette  hypothèse  :  il 
vise,  à  la  vérité,  en  première  ligne,  le  mari  :  ut  cuidam 
nobili  uiro  Eilberto  nomine  assensum  preberemus  de  rébus 
sui  iuris  monasterium  edificare,  niais  il  continue  :  ubi  mm 
dictus  uir  cl  uxor  sua  Heresuindis  «  in  religione  feruentis- 
sima  »  (I).  Quoi  qu'il  en  soit,  il  esl  certain  que  vers  la  lin 
du  V  siècle  les  moines  de  Waulsorl  oublièrenl  déjà  [bert. 
Il  es!  très  caractéristique  que  la  Uita  S.  Cadroë, rédigée  ;i 
cette  époque  au  monastère,  ne  mentionne  même  pas  [bert, 
alors  qu'elle  exalte  Hersent,  en  lui  attribuant,  outre  la  fon- 
dation de  Waulsort,  relie  de  S.-Micliel-eii-Tiéraehe  el  de 
Bucilli,  fondés,  comme  nous  l'avons  vu,  par  Albert  de  Ver- 
mandois  (2).  La  Uita  s.  Eloquii,  composée  à  Waulsorl  au 
Xe  siècle  ou  au  début  du  XIe  siècle  (3),  ignore  si  bien  Iberl. 
que  quand  elle  démarque,  pour  l'appliquer  à  la  fondatrice 
de  Waulsort,  un  passage  de  l'Histoire  de  l'église  de  Reims 
de  Flodoard,  elle  laisse  subsister  sans  changement  le  nom 
de  l'époux  de  la  Hersenl  mentionnée  par  Flodoard,  eu 
écrivant  naïvemenl  :  Hadericus  religiosus  ac  uenerandus 
cames  umt  cum  Heresinde,  sua  clarissima  coniuge,  etc.  (4). 
Mais  si  le  souvenir  d'Hersenl  lil  oublier  aux  moines  de 
Waulsort  jusqu'au  nom  d'Ibert,  celui-ci  prît,  après  une 
éclipse  de  cent  ans  environ,  une  revanche  éclatante,  lies 
que  les  difficultés  avec  Hastières  font  compulser  aux  clercs 
de  Waulsort  leurs  anciennes  chartes,  dès  la  seconde  moi- 

(1)  L'acte  est  rédigé  à  l'abbaye,  et  non  à  la  chancellerie  royale. 
Il  convient  toutefois  d'observer  que  les  moines  pouvaient  croire 
que  le  mari  se  passerait  très  bien  d'encens,  alors  qu'il  fierait  de 
bonne  politique  de   flatter  la   vanité   féminine   de  la  dame   Hersent. 

(2)  Uita  s.  Cadroe  (Mabillon,  AA.  SS.  Ben.  V,  489  sqq.),  capp. 
19,  21,  23. 

(3)  Sackur,  op.  cit.,  p.  342,  n.  3  Edition:  Analectes  p.  servir  à 
l'hist.  ecclés.  de  Belg.  V.  344  sqq. 

(4)  Ed.  cit.,  p.  350;  Hist.  eccl.  Rem.  IV,  c.  9  (Pertz  XIII,  p. 
574).  Sur  ce  plagiat  voy.  A  A.  SS.,  April  III,  p.  811,  note  k. 


138         NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI. 

lié  du  XIe  siècle,  ils  découvrent  Ibert  (1).  Le  sommeil  sé- 
culaire d'Iberl  lui  a  été  profitable:  il  se  réveille  paré  de 
la  dignité  comtale  dont  il  n'a  jamais  été  revêtu  de  son  vi- 
vant (2).  D'où  lui  vient  ce  titre  ?  Je  crois  qu'on  peut  ré- 
pondre à  cette  question  sans  courir  grand  risque  de  se 
tromper  (3). 

Les  chartes  ont  appris  aux  moines  de  Waulsort  le  nom 
de  l'époux  d'Hersent;  en  lisant  la  Uita  s.  Eloquii,  ils  dur- 
renl  nécessairement  prendre  Hadericus  pour  un  uitium 
scriptoris.  Mais  ils  n'avaient  pas  de  raisons  de  suspec- 
ter son  titre  de  cornes,  car  la  critique  historique  n'est  pas 
le  t'ait  des  clercs  de  la  seconde  moitié  du  XIe  siècle.  Une 


(1)  C'est  à  cette  date  que  les  relations  entre  les  deux  maisons 
s'enveniment.  Sackur,  DeustcJie  Zeistchr.  f.  Oeschichtswissens- 
chaft,  II  (1899),  p.  347  sqq.  Je  ne  saurais  trop  engager  les  lecteurs 
à  se  reporter  à  cet  excellent  article.  La  connaissance  de  l'histoire  de 
ces  contestations  est  indispensable  pour  l'étude  de  la  légende. 

(2)  1)  Uita  s.  Deoderici  (datant  de  1050-1060),  cap.  6  (Pertz  IV, 
p.  467).  Ce  passage,  traitant  de  l'union  entre  Waulsort  et  Hastières, 
repose  évidemment  sur  des  renseignements  venus  de  Waulsort.  — 
2)  Charte  de  Godechau,  abbé  de  Waulsort,  ao.  1080.  (Bormans, 
Cartulaire  de  Dînant,  I,  n°  2,  p.  8  sqq.).  —  3)  Charte  d'Arnoul  de 
Florennes  pour  Waulsort,  ao.  1087,  sur  laquelle  nous  reviendrons 
dans  un  instant.  —  4)  Prétendu  acte  du  comte  Ibert  concernant 
la  translation  des  reliques  de  s.  Eloque,  faux  grossier  forgé  à  Waul- 
sort, dont  nous  aurons  enoore  à  nous  occuper   (Martene,  Ampl.   coll. 

I,  287.  Longnon,  Rom.  38,  p.  235,  note  7,  prend  une  autre  édition 
de   cet  acte,   donné  dans   les   Analectes  p.  serv.   à  l'/iist.    eccl.    Belg. 

II,  p.  266,  pour  un  acte  distinct,  ce  qui  est  assez  surprenant).  — 
5)  Prétendue  bulle  de  Benoît  VII  du  28  octobre  976,  fabriquée  à 
Waulsort,  au  moyen  de  la  bulle  Jaffé  2  3788  (Sackur,  op.  cit.,  p.  357 
sqq.).  —  6)  et  7)  Sur  l&Uita  s.  Forannani,  fabriqvée  à  Waulsort 
et  sur  YHistoria  Uuoïciodorenxis  monastcrii,  voy.  plus  loin.  —  Ces 
documents  sont  les  seuls  où  Ibert  porte  le  titre  de  comte;  ils  nous 
ramènent  tous  à  Waulsort,  et  aucun  n'est  antérieur  à  l'époque  des 
difficultés  avec  Hastières.  La  liste  de  Longnon,  Rom.  38,  p.  234, 
comporte  onze  numéros.  Le  n°  10  vient  d'être  éliminé  ;  les  n°"  5,  6,  8, 
l'ont  été  antérieurement  (chap.  7  et  8)  ;  sur  le  n°  2,  voy.  notre 
chap.    6. 

(3)  Je  n'ai  rien  trouvé  à  ce  sujet  dans  les  papiers  de  Giry.  Mais 
il  n'est  pas  douteux  que  si  Giry  avait  pu  terminer  son  mémoire,  il 
n'eût  trouvé  la  solution.  Elle  est  si  simple,  que  je  m'étonne  que  ni 
M.   Longnon,  ni  M.   Rolland,  ni  M.   Bédier,   ne  l'aient  devinée. 


NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI.         139 

autre  circonstance  les  affermissail  d'ailleurs  dans  leur 
croyance.  Les  seigneurs  de  Florennes,  que  nous  verrons 
tout  ;'i  l'heure  en  relations  avec  l'abbaye,  croyaient^  à  torl 
ou  à  raison,  que  leur  aïeule,  l'authentique  comtesse  Au- 
pais,  femme  de  Godefroi,  comte  de  Hainaut,  avail  épousé 
en  secondes  noces  [bert,  devenu,  pour  sa  part,  veuf  d'Her- 
sent  (I).  On  connaissait  celle  comtesse  A.upais  à  Waul- 
sort  (cl  à  Hastières)  :  on  y  possédait  des  chartes  attestanl 
ses  bienfaits  (2).  N'était-il  pas  naturel  de  considérer  celui 
qu'on  croyait  être  le  mari  de  la  comitissa  Alpaidis,  Ibert, 
comme  un  comte  ?  I.c  comes  Eilbertus  né  de  ce  double 
qui  pro  quo,  l'imagination  intéressée  des  moines  de  Waul- 
sort  se  donna  libre  carrière  (3).  I  ne  légende  se  forme 
bientôt  autour  de  lui,  se  développe  rapidement  el  aboutit 
finalement  à  la  chanson  de  geste  et  au  récit  de  VHistoria 
l 'ualciodorensis  monasterii. 

10.  Le  tombeau  dlbert.  Lu  légende  de  s.  Forannan. 

La  première  étape  de  la  légende  d'Ibert  est  marquée 
par  la  découverte  ou  la  remise  en  honneur  de  son  tom- 
beau. Ces  moines  de  Waulsort,  qui  ignoraient,  au  débul 
du   M'    siècle  jusqu'au  nom  de   leur  fondateur,   s'avisent 

(1)  Sur  Aupais,  voy.  Rolland,   Annales  de  la  Société  archéologique 
dt    Namur   XIX.    p.   66   sqq. 

(2)  Rolland,   op.   cit.,  p.   74. 

(3)  Il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  que  pendant  toute  cette  période 
l'abbaye  de  Waulsort  se  o'ébat  au  milieu  des  difficultés  que  lui 
crée  Hastières.  Cette  dernière  maison  se  glorifie  d'être  a  sancto  Ma- 
terno  episcopo  primum  consecrata  et  postea  a  sancto  Sere.no  episcopo, 
qui  in  eadem  requiescit  ecclesia,  dignissimis  reliquiis  domini  nostri 
Jhesit  Christi  et  mains  eius  insignito  >-t  <ilii<  innumcrabilibus  reli- 
quiis sanctorum  ornata,  quorum  meritis  et  precibus  libertas  ecchtie 
contra  miràbiles  potestates  et  tyibulationes  conseruata  est  usque 
nuiir  et  Deo  meritis  ipsorum  adiuuante  conseruabitur ;  quas  reliquias 
aequisiuit  idem  sanctus  Serenus  episcopus  a  sancto  Johanne  epis- 
copo et  uenerabilii  presbitero  Luciano,  existtns  presens  Iherosolimis 
tempore  reuelationis  sanctorum  reliquiarum  prothomartiris  Stephani 
sociorumque  eius.  foi  eciam  aequisiuit  ossa  colli  eiusdem  sancti  Stt 
phani,  que  sunt  in  eadem  ecclesia  Hasteriensi.  (Pertz,  Script.  XIV, 
p.  541,  Appendix).  L'abbaye  de  Waulsort  n'a  rien  ou  presque  rien 
à  opposer  à  ces  magnificences.  Cf.  Sackur,  op.  cit.,  p.  350. 


140         NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI. 

subitement  qu'Iberl  esl  enseveli  dans  leur  moûticr.  Ce 
tombeau  étail  il  authentique  ?  Il  se  peut,  mais  il  n'importe. 
Toujours  est-il  que  la  découverte  lui  profitable  à  l'abbaye. 
Le  15  juillet  1087,  nous  voyons  un  certain  Isembard  rédi- 
ger et  écrire,  au  nom  d'Arnoul  III  de  Florcnnes,  la  charte 
que  voici   (1)    : 

In  Dei  nomine.  Ego  Arnulphus  cum  uxore  mea  Iuettha...  Qua- 
propter,  ut  animo  concupieram,  in  ecclcsia  Uualeiodorensi  sancte  Dei 
genitricis  .Marie,  in  qua  cornes  nobilissimus  iacet,  qui  multa  bona 
antecessoribus  meis  et  Florinas  gratis  donauit,  et  amicus  et  non 
uitricus  eorum  extitit,  auctoritate  et  licentia  prefati  episcopi  istud 
facere  decreui,  scilicet  ut  ex  fcota  uilla  Morelli  Mansi  de  unaquaque 
domo  dimidium  denarium  uel  dimidia  cere  afferant  per  manus  6ingulis 
quotquot  annis,  et  ego  ipse,  ob  amorem  et  reuerentiam  iam  dicti 
comitis  XII.  denarios,  quadium  uixero,  per  memetipsum  offeram 
singulis  annis,  quos  uolo  ut  ardeant  super  tumulum  uenerabilii  uiri... 

Je  ne  pense  pas  qu'on  rencontre,  au  XIe  siècle,  beau- 
coup de  personnages,  dont  le  tombeau,  un  siècle  après 
l'érection,  ait  été  honoré  d'une  telle  manière.  Il  faut  croire 
que  dès  cette  époque,  Ibert  est  devenu  l'objet  d'une  lé- 
gende; dès  1087,  les  moines  de  Waulsort  durent  savoir  en 
dire  des  merveilles.  Que  racontaient-ils,  quelle  forme  re- 
vêtit la  légende  à  ses  débuts  ?  Nous  ne  savons.  Nous  pou- 
vons toutefois  supposer  que  pendant  le  demi-siècle  sui- 
vant, sur  lequel  nous  ne  possédons  pas  de  documents,  le 
souvenir  et  la  légende  du  comte  Ibert  furent  soigneuse- 
ment entretenus  à  Waulsort.  Car  la  Uita  s.  Forannani,  fa- 
briquée à  Waulsort  aux  environs  de  1140,  nous  montre  ce 
personnage  dans  la  plénitude  de  sa  gloire:  il  y  joue  un 
rôle  des  plus  importants  aux  côtés  du  saint  (2). 

(1)  Analectes  p.  serv.  à  l'hist.  eccl.  Belg.  XVI,  p.  16  (n°  VIII). 
La  charte  porte  :  V  enbardus  dictator  atque  scriptor.  Comme  une 
charte  contemporaine,  déjà  citée,  de  l'abbé  Godechau  porte  la  men- 
tion: Isenbardu*  dictator  atque  scriptor  (Bormans,  Cartul.  de  Dî- 
nant I,  n°  2,  p.  8,  note  1),  je  n'ai  pas  hésité  à  faire  la  correction 
admise  d'ans  le  texte.  Cet  Isembard  appartient  évidemment  à  l'ab- 
baye. 

(2)  Uita  s.  Forannani  AA.  SS.  April  III,  p.  808  sqq.  ;  sur  l'écrit 
lui-même,  voy.  Sackur,  op.  rit.,  p.  349  sqq.,  que  je  suis  d'assez  près 
(j'admets  pourtant  l'utilisation  de  la  Uita  s.  Cadroë,  ce  que  l'au- 
teur ne  fait  pas)  ;  sur  la  date,  Sackur.  p.  351.  note  5. 


NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI.         141 

Ce  s.  Forannan  étail  un  des  premiers,  le  pre- 
mier peut-être,  abbé  de  Waulsort  (1).  Il  eut  une  des- 
tinée assez  semblable  à  celle  d'Ibert.  Yayant  laissé  aucun 
souvenir  à  l'abbaye.  -  la  Uita  s.  Cadroë  l'ignore  — ,  il 
fut  oublié  pendanl  longtemps.  L'abbaye  possédait  pour- 
tant son  tombeau.  Lorsque  la  prospérité  de  cette  maison 
eut  à  souffrir  de  la  concurrence  et  de  l'inimitié  d'Hast  iè- 
res,  eu  s'avisa  de  tirer  parti  de  ce  monument.  On  ne  sa- 
vait  à  la  vérité  rien  de  cet  abbé  Forannan.  mais  on  se 
souvinl  fort  opportunément  de  quelques  miracles  opérés 
sur  le  tombeau.  Les  supérieurs  conventuels  se  réunirent 
et  décidèrent  de  tirer  de  l'obscurité  ce  thaumaturge,  qui 
ne  pouvait  être  qu'un  saint  ('2).  un  grand  saint,  puis- 
qu'Hastières  était  là  avec  ses  reliques  du  Seigneur,  de  No- 
tre-Dame el  de  s.  Etienne.  On  trouva  sans  peine,  confor 
mément  à  l'usage  suivi  en  pareille  occurcnce,  un  moine 
très  âgé  '/'//'  antiquarum  rerum  monimenia  in  suo  prudenti 
pectusculo  prudenter  locauerat.  Il  ne  fit  aucune  difficulté 
de  se  départir  de  sa  longue  réserve  et  d'ouvrir  à  ses  con- 
frères  --on  sein  prudent  (Uita.  prologue).  Le  hasard  ayant 
coutume  de  bien  faire  les  choses  à  Waulsort.  il  se  trouva 
même  un  compatriote  de  Forannan  qui  se  rappelait  les 
liants  laits  accomplis  par  le  thaumaturge  en  sa  patrie,  en 
Ecosse  (cap.  22).  Ce  compatriote  ne  faisant  pas  partie  du 
monastère  et  le  vieux  moine  étant  sans  doute  trop  âgé  pour 
tenir  la  plume,  on  chargea  un  autre  moine,  Robert,  du 
soin  d'écrire  la  vie  du  saint. 

L'œuvre  de  Robert  contient  quelques  coq-à-1'àne  his- 
toriques --  Unsinn,  dit  M.  Sackur  — ,  mais  ce  radotage 
nous  est  précieux,  car  il  nous  montre  que  la  légende  de  s. 
Forannan  s'appuie  sur  celle  d'Ibert.  C'est  le  comte  Ibert 
qui  est  le  bon  génie,  le  protecteur  et  le  guide  de  s.  Foran- 
nan. Quand  le  saint  quitte,  averti  par  une  vision,  son  chi- 
mérique évêché  de  Domnachmor  pour  se  mettre  en  quête 
de  la  Speciosa  Uallis  (Waulsort)  et  quand  il  arrive,  après 
une    traversée    périlleuse,    sur    le    continent    et    se    trouve 

(1)  Sackur,  op.  cit.,  p.  343. 

(2)  Uita  8.  Forannani    prologue. 


142  NOTES  SUR  RAOIL  DE  CAMBRAI. 

presque  au  terme  de  son  voyage,  il  rencontre  le  comte 
[bert.  Celui-ci,  après  s'être  enquis  de  l'objel  du  voyage  du 
saint,  lui  indique  Waulsorl  el  I  \  accueille  magnifique- 
ment (<<i[>i>.  'i  et  5). 

(cite  rencontre  et  cet  accueil  ne  doivent  pas  nous  éton- 
ner. I.a  I  ilu  s.  Cadroë  (c.  10  ci  20),  nous  avail  raconté 
une  rencontre  cl  un  accueil  semblables  faits  aux  Irlandais 
,'i  S.  Michel-en-'Tiérache.  Elle  eu  reportail  1! neur  à  Her- 
sent, cl  il  est  dans  la  destinée  du  comte  [bert  de  dépossé- 
der, dans  la  légende,  sa  femme.  Les  moines  de  Waulsorl 
ont  dû  éprouver  d'autant  moins  de  scrupules  ;'i  adapter 
;i  Waulsorl  une  anecdote  concernanl  originairemenl  S.- 
Michel-en-Tiérache,  que  c'est  un  des  leurs  qui  l'avail  in- 
ventée vers  la  fin  du  X°  siècle,  à  l'époque  de  la  rédaction 
de  la  Uita  s.  Cadroë  (voy,  plus  haut,  chap.  7).  La  dame 
Hersent  avail  envoyé  Maccalan,  au  dire  de  la  Uita  s.  Ca- 
ihiië  (<<tj>.  20),  à  Gorze  :  le  comte  Iberl  ne  pouvait  se  dis- 
penser d'envoyer  Forannan  dans  ce  monastère.  Comme 
toutefois  il  fait  les  choses  avec  plus  d'apparal  que  son 
épouse,  il  se  rend  d'abord  avec  son  protégé,  au  mépris 
de  la  chronologie  (1),  à  Rome,  chez:  le  pape  Benoît  VII  - 
le  même  donl  une  bulle  pour  S.-Panthaléon  fournil  aux 
moines  de  Waulsorl  le  modèle  pour  un  taux  destiné  ;i 
réduire  à  l'obéissance  les  moines  d'Hastières  (2)  ci  c'est 
ce  pontife  qui,  après  avoir  conféré  ;i  l'évêque  Forannan  la 
dignité  abbatiale,  l'envoie  à  Gorze  s'instruire  des  devoirs 
de  la  vie  monacale  (cap.  6). 

L'auteur  de  la  Uita  s.  Eloquii,  qui  ne  connaissait  pas 
[bert  mais  lisait  assidûment  Flodoard,  avail  donné  pour 
mari  à  Hersent,  un  comte  Hadri.  Iberl  ne  pouvait  pas 
manquer  de  rentrer  dans  ses  droits.  La  Uita  s.  Forannani 
met  les  choses  ;ui  point  :  c'est  Iberl  qui  opère  la  transla- 
tion de  s.  Eloque  (c///.  (i).  cl  une  belle  charte,  comme  on 
n'en  voit  qu'à  Waulsort,  contient  le  procès-verbal  de  cette 
cérémonie  (:i).    Hersent   n'y   Bgure   plus,   bien   entendu;   à 

(1)  Sackur,    op.    cit.,    p.    354. 

(2)  Sackur,   op.   rif.,   p.   357  sqq. 

(3)  Indiquée  déjà  plus  haut,  dans  une  note  du  ehap.  9.  Elle  est 
réimprimée  dans  Pertz,  Scriptor.   XIV,   p.   516,  en  note. 


NOTES  SUR  RAOUL  DF.  CAMBRAI. 


143 


côté  de  l'évêque-abbé  Forannan  el  du  comte  [bert,  il  n'y 
a  pas  de  place  pour  elle.  Mais  la  charte  nous  révèle  les 
noms  de  deux  frères  d'Iberl  qui  souscrivent  l'acte  :  Ûuite- 
rus  frater  dus  el  Boso  cornes  (1).  Nous  les  retrouverons 
dans  YHistora  V  ualciodorensis  monasterii  avec  d'autres 
frères  d'Ibert. 

11.  Historia  Ualciodorensis  monasterii. 

On  pourrai!  croire  que  s.  Eloque  el  s.  Forannan,  remis 
en  honneur  avec  tanl  de  soin,  furenl  de  bon  rapport  pour 
l'abbaye  de  Waulsort.  11  n'en  lui  rien  (2).  Le  comte  Iberl 
eul  une  fortune  meilleure.  Il  partagea  la  vogue  de  la  cliau 
son  de  Raoul  de  Cambial.  Nous  l'y  voyons  incorporé  dans 
VHistoria  U  ualciodorensis  monasterii,  écrite  dans  la 
deuxième  moitié  du  XIIe  siècle  (•">).  Cet  écrit  débute  par 
une  biographie  détaillée  du  comte  Ibert,  qu'il  exalte  plus 
que  n'a  fait  aucun  écrit  précédent.  Il  faut  cependant  ren 
dre  celle  justice  à  VHistoria,  qu'à  côté  d'Ibert  elle  fait 
une  place  à  Hersent.  La  Uiia  s.  Cadroë  ne  mentionnait 
que   l'épouse  comme  fondatrice  de  S.-Michel-en-Tiérache 

(1)  Boson  n'y  est  pas  désigné  comme  frère  d'Ibert.  C'est  la 
Chronique  de  Waulsort  qui  établira  ce  lien  de  parenté.  La  sous- 
cription de  ce  Bo<5on  figure  dans  un  diplôme  de  Robert  de  Namur 
du  2  juillet  946,  pour  Waulsort,  Martene,  Ampl.  Coll.  I,  p.  286  sq. 
M.  Sackur,  p.  343.  n.  1  et  p.  380,  n.  2,  tente  de  réhabiliter  ce 
diplôme  suspect  à  plus  d'un  titre.  Je  n'ose  pas  me  déclarer  convaincu 
par  sa  démonstration.  Ce  qu'il  note  p.  380.  n.  2,  s'expliquerait  fort 
bien  si  le  faux  était  antérieur  à  la  Uita  s.  Forannani. 

(2)  Voy.  les  excellentes  remarques  de  M.  Sackur,  op.  cit.,  348-9. 
Ajoutez  que  vers  la  même  époque  les  moines  de  Waulsort  éprou- 
vent le  besoin  de  se  procurer  les  reliques  de  s.  Victor  et  s.  Can- 
dide, et  celles  des  Onze  mille  vierges.  Voy.  les  Translations  de  ces 
reliques  publiées  dans  Analeeta  Bolla.nd.iana  XI,  p.  113,  sqq.  Cf. 
Dom  Berlière,  Rev.  Bénédictine  IX,  380;  Lahaye,  Etude  sur  l'ab- 
baye de  Waulsort,  p.  95.  Nous  aurons  à  revenir  sur  le  premier  de 
ces  textes. 

(3)  Ed.  Waitz  dans  Pertz,  Script.  XIV,  p.  503  sqq.  Sur  la  date, 
voy.  sa  préface.  —  M.  Longnon  a  daté  cet  écrit  du  onzième  siècle 
[Raoul  de  Cambrai,  Introd.  p.  xxxv),  bien  que  Mabillon  et  Brial 
l'eussent  daté  fort  exactement  du  XIF  siècle.  A  en  juger  par 
Rom.  38,  p.  235.  il  a  abandonné  depuis  cette  opinion  insoutenable. 


144         NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI. 

el  de  Bucilli,  fondés  en  réalité  par  Albert  de  Verman- 
dois.  L'Historia  attribue  La  fondation  à  Ibert  agissanl  de 
concerl  avec  s;i  femme  (capp.  9  el  10). 

Il  est  toutefois  indiscutable  que  c'esl  [bert  qui  occupe 
la  première  place  dans  le  récit  du  chroniqueur.  Sous  sa 
plume,  ce  personnage  devient  sinon  un  saint  —  il  le  de- 
viendra plus  lard  (1),  —  du  moins  un  homme  très  véné- 
rable, une  manière  de  réplique  de  Girart  de  Roussillon 
de  la  Uità  Gerardi  comiïis,  suivanl  la  juste  remarque  de 
M.  Bédier.  M.  Bédier  ayant  donné  une  analyse  fort  détail- 
lée de  celle  vie  du  comte  Ibert,  je  puis  me  borner  à  en 
rappeler  brièvement  les  traits  essentiels.  Deseendanl  d'Ai 
meri  de  Narbonne  (2),  le  comte  Iberl  bâtil  sept  châteaux 
el  mène  la  vie  guerrière.  Pour  un  motif  futile  (l'aventure 
du  béryl  de  Waulsort),  il  assiège  la  ville  de  Reims  et  en 
profane  l'église.  Le  roi  Charles,  qui  vienl  venger  cet  ou- 
trage, est  pris  en  922  par  Iberl  el  son  frère  Herbert  et 
mené  en  captivité  à  Péronne.  Il  finit  par  être  relâché 
ensuite  et  une  paix  est  conclue  à  Reims.  Quelque  temps 
après,  le  («unie  Herbert  de  S. -Quentin  meurt.  Le  roi,  se 
souvenanl  de  sa  captivité,  donne  les  terres  du  défunl  à 
Raoul  de  Cambrai,  que  des  liens  de  parenté  unissent  au 
lignage  royal.  La  suite  du  récit  concorde,  à  quelques 
détails  pies,  avec  le  récit  de  la  chanson.  Le  chroniqueur 
mentionne  ensuite  la  mort  de  Bernier  qui  marque  une 
révolution  complète  dans  le  caractère  d'Ibert.  Il  devient 
d'une  piété  extrême  et,  se  remémoranl  son  ancien  sacri- 
lège, bâtit   sept   moûtiers  en   souvenir  des  sept  châteaux 


(1)  Bédier.   p.   390. 

(2)  Voici  sa  généalogie  complète  qui  n'est  pas  sans  intérêt,  et  que 
M.  Bédier  écourte.  Ermenjnrt,  sœur  de  Boniface.  prince  de  Pavie. 
épouse  Namericus,  comte  de  Narbonne.  Leur  fils,  le  comte  Garin 
i/r  Asclouia  [sic),  engendre  le  comte  Boson  Sans  Barbe.  Celui-ci 
engendre  le  comte  Evroïn  qui  épouse  Berte.  fille  du  comte  Guerri 
et  d'Eve.  Ils  ont  sept  fils  :  le  comte  Ibert.  le  comte  Wedon  de  Roie, 
le  comte  Herbert  de  S.  Quentin,  Gérard  d'Audenarde,  le  comte 
Boson,  le  comte  Uuiterus  et  l'évêque  Macuardus.  Le  comte  Herbert 
a  quatre  fils  qu'on  ne  nomme  pas.  Ibert  a,  d'une  femme,  qu'on  ne 
nemme  pas.  un   bâtard   qui  s'appelle  Bernier. 


NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI. 


145 


d'autrefois.  Parmi  ces  moûtiers,  il  convienl  de  aoter  ceux 
de  Florennes,  de  Waulsort,  de  S. -Michel  en-Tiérache,  de 
Bucilli  el  d'Homblières.  Après  avoir  insisté  lônguemenl 
sur  les  relations  d'Iberl  avec  s.  Forannan  el  mentionné  la 
pari  prise  par  lui  à  la  translation  de  s.  Eloque,  le  chroni- 
queur nous  raconte  le  dernier  acte  de  la  vie  d'Iberl  en  ces 
termes  : 

(Cap.  31).  Deinde  regressus  a  rege,  Uualciodorensi  eeclesiae  fre- 
quentando  adhaesil  et  sepulturam  in  ea  suorum  familiarium  et  fide- 
li  uni  amicorum  cum  maximo  studio  preperauit.  Ipse  namque  ab 
ingressu  chori  usque  art  altare  turris  terrain  aperiens  eamque  efto- 
diens,  duos  in  ea  muros  oonstruxit  et  latitudinem  [corr.  altitui/i/i</n\ 
utrorumque  ad  mensuram  duorum  cubitorum  et  latitudinem  in  men- 
sura  unius  et  dimidii  cubiti  composuit.  Ibi  ergo  nobilium  uirorum 
corpora  ex  prosapia  sua  cum  pâtre  et  matre  et  filio  Bernero  et  fratre 
Bosone  iterum  honorifice  sepeliuit,  ea  uidelicet  quae  per  eum  a  locis, 
in  quibua  antea  fuerant  sepulta,  ob  dilertionis  feruorem  et  mutuae 
consanguinatatis  propinquitatem  sua  uirtute  atque  dignitate  trans- 
lata sunt. 

Le  récit  de  la  mort  d'Ibert  occupe  le  chap.  32.  Mort  à 
Fleurus,  lors  d'un  voyage  de  Waulsort  à  Homblières,  il 
esl  enseveli  à  Waulsort  par  les  soins  de  s.  Forannan  : 

Beatus  igifcur  Forannanus  cum  turbis  monachorum,  clericorum  et 
nobilium  uirorum  et  cum  innumerabili  sexu  gentis  utriusque,  uiro- 
rum et  mulierum,  uenerabile  corpus  egregii  comitis  a  loco  illo 
transferens,  quo  defunctus  hominem  exuit,  usque  ad  basilicam 
Uuab  iodorensis  coenobii  deduxit  et  ibi  eum  in  condigno  loco  honori- 
fice sepeliuit,  in  eo  uidelicet  quo  se  disposuerat  sepeliri. 

Ce  qui  a  élé  exposé  dans  les  chapitres  précédents  suffit. 
j'espère,  à  établir  que  le  récit  du  chroniqueur  n'est  qu'un 
développement  naturel  de  la  légende  waulsodorienne  du 
comte  Ibert.   Depuis  la  fin  du  XIe  siècle,  nous  voyons  se 

for r  une  légende  autour  d'Ibert,  dont  le  nom,  retrouvé 

dans  les  chartes,  est  exploité  par  les  moines.  Quelle  que 
soit  l'opinion  qu'on  se  fasse  sur  les  origines  de  la  chan- 
son, on  ne  saurait  se  refuser  à  reconnaître  que  c'est  l'ab- 
baye qui  a  fourni  au  jongleur  le  personnage  du  comte 
Ibert  et  non  l'inverse.  Il  serait  déraisonnable  de  supposer 
qu'à    côté   de    la    légende    waulsodorienne   d'Iberl,    il   s'en 


146  NOTES  SUR  RAOUL  DU  CAMBRAI. 

serait  formé  une  autre,  poétique,  qu'un  hasard  aurait  fait 
connaître  aux  moines,  qui  se  seraient  empressés  «le  la 
recueillir  et  incorporer  au  \i<Mi\  fonds  de  fictions  dont 
leur  imagination  intéressée  avait  entouré  précédemment 
le  même  nom.  Il  serait  absurde  de  croire  qu'un  contre- 
sens historique  ayant  fait  donner  par  les  moines  de  Waul- 
sorl  le  titre  de  comte  à  Ibert,  un  autre  accident  eût  amené 
le  jongleur  à  parler  de  même,  indépendamment  des  moi- 
nes, d'un  comte  [bert. 

Comment  et  où,  du  reste,  aurait  pu  survenir  un  accident 
si  insolite  '.'  On  a  peine  à  l'imaginer.  La  seule  hypothèse 
produite  à  cel  égard,  celle  do  M.  Longnon,  était  si  incon- 
sistante qu'elle  ne  pouvait  rallier  personne,  même  avant 
qu'on  sût  de  quelle  manière  naquit  le  cornes  Eilbertus  mo- 
nastique (1).  Prétendre  que  le  comte  Ibert  a  été  introduit 
dans  la  chanson  au  XIe  siècle,  sous  l'influence  des  sei- 
gneurs de  Ribemont,  c'est  oublier  à  la  fois  qu'il  n'existe 
aucune  preuve  que  le  noble  seigneur  Ibert  ait  jamais  pos- 
sédé Ribemont  et  qu'aucun  texte  ne  nous  autorise  à  croire 
que  les  seigneurs  de  Ribemont  aient  prétendu,  au  XIe  et 
même  au  XIIe  siècle,  descendre  d'un  Ibert,  comte  ou  non. 
Si  le  poète  du  XIIIe  siècle  n'avait  pas  accolé  le  nom  de  la 
seigneurie  de  Ribemont  à  celui  du  comte  Ibert,  jamais 
celte  conjecture  en  l'air  ne  serait  venue  à  l'esprit  de  per- 
sonne. L'origine  du  cornes  Eilbertus  établie,  l'hypothèse 
de  M.  Longnon  s'écroule  définitivement. 

L'origine  waulsodorienne  de  la  légende  du  comte  Ibert 
implique  une  conséquence  importante,  et  c'est  que  la  ver- 
sion conservée  de  la  chanson,  version  qui  connaît  le  comte 
Ibert,  procède  nécessairement  d'une  rédaction  waulsodo- 
rienne. Les  deux  versions  de  Raoul  de  Cambrai  :  la  chan- 
son de  geste  et  Yllistoria  Uualciodorensis  monasterii,  nous 
mènent  également  à  Waulsort. 

12.   Une  chanson  retrouvée. 

En  examinant  la  Chronique  de  Waulsort,  M.  Bédier 
(p.  397)  se  demande  s'il  a  existé  une  chanson  dont  Ibert 

(1)   Yoy.   Bédier,  p.  407  sqq. 


NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI.  147 

était  Le  liéros  principal  et  où  l'aventure  de  Raoul  de  Cam- 
brai ne  formail  qu'un  épisode.  Il  se  borne  à  poser  la  ques- 
tion el  n'ose  \  répondre.  Il  serait  en  effet  malaisé  de  «lire 
si  IImtI  a  jamais  été  le  héros  principal  d'un  poème,  mais 
on  peul  sans  peine  trouver  une  chanson  qui  raconte  la 
geste  du  lils  d'Ibert  el  <>ù  l'aventure  de  Raoul  de  ('ambrai 
ne  l'orme  qu'un  épisode.  C'esl  la  chaïison  publiée  par 
\l\l.  Mever  el  Longnon,  la  même  dont  M.  Bédier  l'ail 
l'objet  di'  son  ('Inde.  Dans  ce  texte,  dont  la  partie  originale 
ne  compte  aujourd'hui  que  5555  vers  (la  tin  du  poème 
manque),  Raoul  disparaît  définitivement  de  la  chanson 
avec  le  vers  3721.  C'est  la  guerre  de  Gautier  contre  Ber- 
nier  el  les  lils  Herbert  qui  est  racontée  dans  la  snite  du 
récit.  Bernier  n'est  pas  seulement  le  personnage  central 
de  la  geste  :  c'esl  aussi,  avec  son  père  et  ses  oncles,  le 
personnage  auquel  vont  les  sympathies  du  jongleur  (1). 
La  chanson  a  pour  but  d'exalter  les  vertus  du  fils  d'Ibert. 
C'est  sa  fidélité,  c'est  sa  prouesse  qu'elle  chante;  c'est  le 
conflit  entre  le  devoir  vassalique  qui  le  lie  à  Raoul  et  les 
sentiments  qui  l'animent  à  l'égard  du  meurtrier  de  sa 
mère,  envahisseur  des  terres  de  son  père  et  de  ses  oncles, 
c'est  ce  conflit  pathétique  qui  est  le  nœud  même  du  drame. 
Tout  ce  qui  précède  dans  le  récit  ne  sert  qu'à  préparer 
celle  scène  grandiose;  tout  ce  qui  la  suit  n'est  que  le  déve- 
loppemenl  des  conséquences  qu'amène  logiquement  l'issue 
fatale  du  conflit  (2).  Quant  à  Raoul,  son  rôle  épisodique 
s'efface  même  devant  celui  de  son  oncle  Guerri. 

Si  malgré  cela  nous  parlons  (comme  du  reste  le  faisaient 
déjà  les  gens  du  XIIIe  siècle)  d'une  chanson  de  Raoul, 
c'est  que,  grâce  au  talent  poétique  de  l'auteur,  la  figure 
tragique  de  cet  adolescent  desmesuré  est  celle  qui  de  tous 
les  personnages  du  roman  produit  sur  nous  l'impression 
la    plus    l'orle.   En  dépit  de   quelques  belles   scènes,   cette 


(1)  Cf.  G.  Paris.  Journal  des  Savants  1887,  p.  623  sq. 

(2)  N'est-il  pas  très  caractéristique  que  M.  Lanson,  qui  n'est  pas 
romaniste,  mais  qui  possède  un  sens  littéraire  très  sûr,  ne  parle 
presque  que  de  Bernier  dans  son  analyse  de  la  chanson  (Hist.  de  la 
littér.  franc..*,  p.  27)  ? 


148  NOUS    SUR    RAOUL    Dl£    CAMBRAI. 

incarnation  vivante  de  toutes  Les  vertus  qu'est  le  bâtard 
Bernier  ne  nous  émeut  guère;  nous  ne  sommes  pas  attirés 
par  ce  héros  de  roman-feuilleton,  alors  que  nous  ne  pou- 
son-  point  ne  pas  être  touchés  par  La  vigueur  avec  laquelle 
Le  poète  a  SU  concevoir  l'émouvant  personnage  de  Raoul. 
Mais  cette  illusion  d'optique  littéraire  ne  doit  pas  nous 
donner  le  change  sur  le  véritable  caractère  de  la  chanson. 
("est  une  geste  de  Bernier  qu'elle  raconte;  tout  ce  que 
nous  y  Lrouvons,  ions  les  personnages,  toutes  les  scènes, 
u'\   son!  conçu-  qu'en  fonction  du  lils  d'Ibert. 

L3.  Rapports  îles  deux  rasions  de  la  geste  entre  elles. 

11  fallait  dégager  ce  caractère  de  la  ueste.  car  il  nous 
aidera  dans  la  critique  de  la  chanson.  Axant  toutefois 
d'entreprendre  celle  critique,  il  convient  de  déterminer  les 
rapports  réciproques  entre  la  chanson  conservée  et  la  ver- 
sion de  YHistoria  Uualciodorensis  monasterii.  Nous  avons 
établi  que  les  deux  textes  nous  ramènent  à  Waulsort,  mais 
il  importe  encore  de  savoir  si  le  texte  latin  dérive  de  la 
chanson  conservée  ou  inversement,  ou  bien  si  les  deux 
versions  ne  remontent  pas,  Tune  indépendamment  de  l'au- 
tre, à  une  rédaction  waulsodorienne  perdue.  Il  est  inutile 
de  s'arrêter  longuement  à  la  première  hypothèse,  qui  se 
heurte  à  la  chronologie  respective  des  deux  textes.  Les 
manuscrits  de  la  chanson  sont  du  XIIIe  siècle,  et  ni  la 
langue  ni  la  versification  du  poème  ne  nous  permettent 
de  le  faire  remonter  au  delà  du  début  du  XIIIe  siècle,  de 
l'extrême  fin  du  XIIe  siècle,  en  mettant  les  choses  au 
mieux.  UHistoria  datant  de  la  seconde  moitié  du  XIIe 
siècle,  se  plaçant  aux  cm  irons  de  1160,  est  antérieure 
pour  le  moins  d'un  quart  de  siècle  à  la  chanson. 

La  deuxième  hypothèse,  celle  qui  ferait  dériver  directe- 
ment la  chanson  du  texte  du  chroniqueur  n'est  pas  plus 
consistante  que  la  première.  Le  récit  du  chroniqueur  fait 
l'impression  d'un  résumé  écourté  d'une  geste  :  l'auteur, 
dont  la  seule  préoccupation  est  d'exalter  Ibert,  supprime 
Aalais,  Guerri,  sans  parler  des  personnages  de  moindre 
importance,  et  réduit  son  récit  à  quelques  traits  saillants. 
Le  maladroit  jongleur  dont  nous  possédons  l'œuvre  était- 


NOTES  SUR  RAOUL  DF.  CAMBRAI.  149 

il  d'autre  part  capable  de  tirer  le  poème  des  maigres  don- 
nées du  chroniqueur  '!  Et  à  supposer,  comme  je  suis  très 
enclin  à  le  faire,  qu'il  se  soit  borné  à  écrire  de  mémoire 
une  chanson  entendue  par  lui  (1),  quel  indice  avons-nous 
que  son  modèle  ait  puisé  dans  YHistoria  ou  dans  une 
source  dérivant  de  YHistoria  ?  Absolument  aucun.  Il  est 
donc  de  bonne  méthode  d'admettre  que  la  chanson  conser- 
vée et  la  version  du  chroniqueur  ne  dérivent  pas  l'une  de 
l'autre,  mais  procèdent  «l'une  rédaction  waulsodorienne 
perdue  (soit  .Y). 

1  î.  Le  motif  de  V attribution  du  Vermandois  à  Raoul. 

La  version  X  devait  nécessairement  comprendre  tous 
les  éléments  communs  aux  deux  versions  conservées.  Pour 
le  surplus,  le  doute  est  permis.  Il  est  certain  pourtant  que 
tout  trait  particulier  à  l'une  ou  à  l'autre  version,  qu'on 
démontrera  être  pris  par  le  jongleur  ou  par  le  chroniqueur 
dans  une  source  non  épique,  n'a  pas  pu  être  emprunté  en 
même  temps  par  eux  à  la  version  X.  Je  n'ai  acquis  cette 
certitude  que  pour  un  trait,  celui  qui  concerne  le  motif 
de  l'attribution  du  Vermandois  à  Raoul  dans  le  texte  du 
chroniqueur. 

G.  Paris  avait  supposé  qu'en  rattachant  la  conduite  du 
roi  en  cette  affaire  au  souvenir  de  la  captivité  de  Charles 
le  Simple,  YHistoria  avait  conservé  un  trait  de  la  chanson 
primitive  (2).  M.  Bédier  a  démontré  que  l'argument  posi- 
tif que  G.  Paris  faisait  valoir  en  faveur  de  son  hypothèse 
reposait  sur  une  méprise  sur  le  nom  du  roi  dans  YHisto- 
ria (3).  J'ajoute  que  la  phrase  où  le  chroniqueur  nous  dil 

(1)  Cette  hypothèse  me  semble  expliquer,  d'une  manière  fort  sa- 
tisfaisante, les  obscurités  du  récit  et  les  défauts  littéraires  notés  par 
M.  Paul  Meyer,  Raoul  de  Cambrai,  Introd. ,  p.  lvii  sqq.  Il  est  cer- 
tain, toutefois,  que  le  ms.  de  Paris  n'a  pas  été  écrit  de  mémoire  : 
des  fautes  comme  celles  des  vv.  1904-5,  3495,  prouvent  qu'il  a  été 
copié  sur  un  ms.,  que  rien  n'empêche  d'identifier  avec  la  version 
faite  de  mémoire  que  je  suppose.  Les  fragments  belges  sont  trop  peu 
étendus  pour  que  j'ose  les  invoquer  à  l'appui  de  mon  hypothèse. 

(2)  Journal  des  Savants,  1887,   p.   624  sq. 

(3)  Lég.   ep.    II.  p.   365,   mte  2. 

11 


150         NOTE?  SIR  RAOUL  DV.    CAMBRAI. 

que  Charles  le  Simple  capturé  par  Iberl  el  son  frère,  usque 
ad  «Peronam  deductus»  ab  eisdem  sub  uinculis  «carceralis 
custodiae»  ibidem  diebus  multis  religatur,  esl  un  emprunt 
parfaitemenl  reconnaisable  à  Richer  I.  i7,  qui  s'exprime 
ainsi:  «  (Indus  Peronam  carcerali  custodiae»  deputatur  (1). 
Quant  à  !;i  date  de  922,  où  le  chroniqueur  place  l'événe 
ment,  si  elle  n'a  pu  être  dégagée  par  Lui  du  récit  de  Ri- 
cher, je  serais  porté  à  admettre  avec  \I.  Bédier  (p.  398) 
qu'elle  lui  étail  fournie  «  par  Flodoard  ou  par  l'une  des 
nombreuses  sources  annalistiques  qui  relatenl  la  capture 
du  roi  ».  avec  cette  différence  toutefois  que  je  remplacerais 
dans  la  phrase  de  M.  Bédier  le  nom  de  Flodoard  par 
celui  des  Petites   Vnnales  de  S. -Arnaud  (2). 

15.  Guerri  le  Sor 

On  peut  admettre  avec  1res  grande  vraisemblance  que 
Guerri  le  Sor.  quoique  inconnu  au  chroniqueur,  se  trou- 
vait néanmoins  dans  la  version  X.  Est-ce  un  personnage 
historique  ?  M.  Longnon  l'a  cru  dans  l'Introduction  au 
Raoul  de  Cambrai,  et  il  maintient  son  opinion  à  l' encontre 
des  objections  de  AI.  Bédier  (3).  Guerri  est  appelé  Guerri 
de  Cimai  dans  un  vers  unique,  que  M.  Longnon  croit  ar- 
chaïque. Se  fondant  sur  cette  désignation,  il  identifie  l'on- 
de de  Raoul  avec  un  personnage,  appelé  Guerri  le  Sor, 
seigneur  de  Leuze,  de  qui  un  texte  du  treizième  siècle,  le 
Chronicon  Laetiense,  l'ail  descendre  les  seigneurs  d'Aves- 
nes.  Cette  chronique,  observe  encore  M.  Longnon,  rap- 
porte une  donation  faite  à  Guerri  par  le  comte  de  Hainaut 
de  la  terre  située  entre  les  d^ux  Helpes,  dont  faisait  jus- 
tement partie  <  îhimai. 

Je  crains  que  M.  Longnon  n'ait  été  victime  d'une  petite 
méprise.  Je  ne  parle  pas,  bien  entendu,  de  la  position 
géographique  de  Chimai,  qui,  se  trouvant  à  quelque  dis- 

(1)  Cet  emprunt  rend  très  vraisemblable  que  la  mention  de  la 
paix  conclue  avec  le  roi  à  Reims,  mention  qui  semble  être  une  allu- 
sion à  la  comédie  jouée  par  Herbert  en  928.  a  été  également  prise  à 
Richer  I,  54. 

(2)  Flodoard  assigne  à  la  capture  la  date  de  923. 

(3)  Lég.  épiques  II,  p.  356;  Longnon,  Rom.  38,  p.  245  sq. 


NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI.         151 

tance  à  l'est  de  la  source  de  la  Petite  Helpe,  ne  fait  pas 
précisément  partie  de  la  terre  entre  les  deux  Helpes.  Il 
se  peut  que  le  chroniqueur  se  soit  exprimé  inexactement; 
il  tant  toujours  admettre  dos  imprécisions  dans  les  textes 
historiques,  quand  on  cherche  à  ident i lier  des  personnages 
épiques.  Mais  le  postulai  et  son  application  à  Chimai 
accordés  sans  grande  difficulté,  je  ferai  observer  que  le 
Guerri  gratifié  par  le  comte  de  Ilaiuaut  est  non  Guerri  le 
Sor  de  Leuze,  le  quadrisaïeul  de  Thierri  d'Avesnes,  mais 
le  père  de  celui-ci,  Guerri  à  la  Barbe,  établi  près  delà  terre 
entre  les  deux  Helpes,  puisqu'il  réside apudFagetum  (Fayt) 
super  tumulum  aggeris  qui  ibidem  super  fluuiurn  Helpram 
apparet  in  loco  palustri  (l).  La  preuve  en  est  contenue 
dans  le  récit  du  chroniqueur.  Voici  dans  quelles  conditions 
il  rapporte  la  donation  du  comte  de  Hainaut.  Quand  les 
chanoines  de  Sainte-Hiltrude  ouvrirent  le  tombeau  de  la 
sainte  vierge,  ils  y  trouvèrent  la  charte  d'une  donation 
très  importante;  un  seigneur,  qui  avait  précisément  usurpé 
des  biens  compris  dans  cette  donation  et  qui  se  trouvait 
là,  uiso  predicto  testamento,  totum  quod  possidebat  uidens 
per  illud  sibi  auferri,  ipsum  de  manibus  legentium  rapuit 
et  in  ignem  proiecit  (2).  Ce  seigneur  expéditif  s'appelait 
Guerri  à  la  Barbe.  Le  chroniqueur  rapporte  deux  ou  trois 
détails  sur  ce  Guerri  à  la  Barbe,  dit  qu'il  descendait,  au 
témoignage  des  curiales  hennuyers,  d'un  certain  Guerri  le 
Sor  de  Leuze,  puis,  après  avoir  donné  un.  renseignement 
sur  ce  Guerri  le  Sor  (3),  il  continue  textuellement   : 

Huic  predicto  Guerrieo  cornes  de  Hainau  terram  inter  duas  Hel- 
pras  iacentem  in  feodum  et  hominium  contulit,  sicut  hodie  ipsius 
heredes  possident  ;  in  qua  possessio  sancte  Hiltrudis  defensore 
carens  penitus  est  distracta.  Erat  autem  possessio  eius,  sicut  in 
Uita  eius  inuenitur,  a  Molihanio  usque  ad  uillam  que  Senuescus 
propter  aquam  ibi   currentem  eiusdem   nominis   ita   prius  uoeabatur, 


(1)  Chron.   Laetiense  cap.   2.    (Pertz,   Script.    XIV,   p.   493). 

(2)  Chron.  Laetiense  c.  2.  L'anecdote  est  empruntée,  sauf  les 
noms,  à  la  Uita  s.  Hiltrudis  (AA.  SS.  Sept.  VII,  p.  488),  écrite 
vers  la  fin  du  XIe  siècle,  par  un  moine  de  Waulsort. 

(3)  Uillas  que  in  Brabanti  sunt  stipenciiarias  fecit,  sicut  hodie 
sunt,  domino  Avesnensi. 


152         NOTE?  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI. 

nunc  autem  TJallis  dicitur.  Qui  igituj  infia  boe  termines  aliquid 
possident.  aideant,  quali  ratione  alienis  et  Deo  sanctificatis  utantur, 
min  taiiuii  ta  regali  munificentia  per  manum  Uuitberti  comitis  Deo 
fideliter  constet  fuisse  oblata.  Testaments  igitur  l>eate  uirginis  com- 
busto,  non  multo  post,  diuino  faciente  indicio,  intestatus  et  ipse 
misère  obiit,  et  in  uilla  Letiensi  corpusque  eitia  inter  duas  ecclesias, 
beati  scilicet  Lamberti  et  aliam  que  inxta  erat,  monitu  sanctae 
Hiltrudis  constructas,  sepultum  est,  manenteque  et  permanente  infa- 
tnia  prescripti  farinons  ubique  proclamati. 

Il  est  certain  que  predictus  Guerricus  ost  le  même  per- 
sonnage  que  vise.  ;'i  la  fin  du  passage,  le  pronom  ipse  et 
de  l'infamie  de  qui  I*-  tombeau  perpétue  le  souvenir.  Et 
ce  ne  saurait  être  que  Guerri  à  la  Barbe,  Yinuasor,  comme 
rappelait  le  chroniqueur  au  début  (non  transcrit  ici)  de  son 
récit,  et  non  Guerri  le  Sor,  de  qui  le  texte  ne  rapporte 
rien  de  désobligeant.  Ce  qui  achève  de  le  démontrer,  c'est 
la  mention  que  la  terre  donnée  par  le  comte  de  Hainaut 
comportait  des  terres  distraites  des  possessions  de  S.-Hil- 
trude.  Si  les  biens  de  S.-Hiltrude  avaient  été  donnés  à 
Guerri  le  Sor,  Guerri  à  la  Barbe,  suffisamment  garanti 
par  la  possession  paisible  de  ces  biens  pendant  trois  géné- 
rations, n'aurait  pu  commettre  la  violence  dont  parle  le 
chroniqueur.  Si  fantasques  que  soient  les  personnages 
inventés  par  les  moines  pour  justifier  l'absence  de  chartes, 
ils  ne  s'avisent  jamais  d'encourir  les  foudres  du  ciel  en 
commettant  un  attentat  inqualifiable  pour  la  simple  beauté 
du  geste  !  Mais  si  la  donation  du  comte  de  Hainaut  a  été 
faite  au  profit  de  Guerri  à  la  Barbe,  la  petite  histoire  du 
Chronicon  Laetlense  se  comprend  à  merveille.  M.  Bédier 
a  donc  eu  parfaitement  raison  de  s'amuser  des  curiales 
hennuyers  se  rappelant  à  deux  siècles  et  demi  de  distance 
le  nom  du  quadrisaïeul  de  Thierri  d'Avesnes;  son  seul  tort 
a  été  de  ne  pas  s'apercevoir  de  la  méprise  de  M.  Lon- 
gnon  (1). 


(1)  Voici  ce  qui  semble  avoir  provoqué  cette  méprise.  Dans  l'édi- 
tion du  Chronicon  Laetiense,  Guerri  à  la  Barbe  est  appelé  par  deux 
fois  Wedricu8  (p.  493,  lignes  14  et  18),  Guerri  le  Sor  est  men- 
tionné sous  la  forme  Guerricus  [ib.  ligne  20).  Comme  dans  le  pas- 
sage transi  rit  plus  liant  on  lit   Guerrico,  on  peut  être  tenté  de  croire, 


NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI.         153 

Mais  quelles  sonl  les  origines  de  Guerri  le  Sor  ?  Si 
j'étais  partisan  de  la  méthode  «les  coïncidences  onomas 
tiques  que  M.  Bédier  raille  si  spirituellement,  mais  à  la- 
quelle il  paie  ailleurs  son  tribut,  je  pourrais  me  flatter  de 
les  avoir  découvertes.  Je  connais  un  vieux  Guerri  ayant 
pour  neveu  un  jeune  seigneur  nommé  Raoul,  et  je  suppose 
que  le  nom  d'Aalais  n'était  point  inconnu  chez  eux,  car 
ils  possèdent  une  serve  baptisée  ainsi.  Coïncidence  remar- 
quable, je  les  trouve  non  seulement  à  quelques  lieues  de 
Chimai  et  de  Waulsort,  mais  encore  en  relations  avec 
l'abbaye  où  est  née  la  légende  du  comte  [bert.  Car  c'est 
grâce  à  l'intervention  de  ce  Guerri  que  son  frère  Thierri  II. 
abbé  de  Waulsort,  obtient  de  l'adolescent  Raoul  les  corps 
de  s.  Candide  et  s.  Victor,  donl  la  translation  est  racontée 
dans  un  récit  publié'  récemment  par  les  Bollandistes  (I). 
Mais  quand  je  parcours  ce  document,  où  l'on  ne  trouve 
aucun  trait  pouvant  servir  de  point  de  départ  à  la  légende 
épique,  je  commence  à  douter  que  deux  bienfaiteurs  de 
l'abbaye  y  nient  été  transformés,  au  lendemain  de  leur 
mort  au  plus  tard,  en  personnages  aussi  peu  édifiants  que 
ceux  de  Guerri  le  Sor  et  Raoul  de  Cambrai,  et  je  me 
demande  si  le  nom  providentiel  de  s.  Candide  n'est  pas 
pour  nous  faire  considérer  cette  Translatio  comme  un 
avertissement  discret  à  l'adresse  de  ceux  qui  cherchent  un 
peu  partout,  à  l'aide  des  tables  ou  autrement,  des  proto- 
types réels  aux  personnages  de  fiction. 

Mais  si  la  crainte  révérencieuse  que  nous  inspire  le  nom 
du  saint  martyr  thébain  nous  décourage  de  rechercher 
dans  l'histoire  les  origines  de  Guerri,  elle  ne  nous  empê- 
che point  de  tenter  une  explication  de  la  mention  de  Chi- 
mai. Car  les  noms  de  lieux  se  repèrent  facilement  sur  une 
carte,  et  nous  pouvons  remarquer,  sans  crainte  d'erreur, 
que  Chimai  où  est  établi  Guerri,  qu'Hirson  où  réside  Her- 

sans  y  regarder  de  plus  près,  qu'il  s'agit  là  de  Guerri  le  Sor.  Les 
mss.  et  les  éditions  tendent  quelquefois  de  ces  pièges  aux  cher- 
cheurs, et  c'est  pourquoi  il  convient  toujours  de  poursuivre  jus- 
qu'au bout  la  lecture  d'un  texte    avant  de  l'utiliser. 

(1)    Anale cta  Boïïandiana  XI,   p.    115  sqq. 


154         NOTES  SUR  RAOUL  DF.  CAMBRAI. 

bert,  qu'Origni  où  se  j < » 1 1 < •  le  drame,  que  Ribemonl  <>ù 
Iberl  tienl  étal  sonl  autan!  d'étapes  de  La  route  qui  mène 
de  Waulsorl  à  S.  Quentin.  Ham,  Nesle  el  Roie,  qui  re- 
viennent souvent,  dans  1<-  poème,  dans  un  vers  cliché, 
continuent  très  exactemenl  cette  route  à  l'ouest.  Roie  est 
encore,  dans  la  chanson  el  dans  la  Chronique,  donc  cer- 
tainement dans  La  version  X,  la  résidence  de  Wcdon.  Entre 
Ham  et  S.-Quentin  se  trouve  la  ville  de  S. -Simon,  dont  le 
patron  est  invoqué  dans  la  chanson  aussi  souvent  que  s. 
Géri,  si  cher  à  \l.  Bédier  (I). 

Cette  route  est  une  artère  importante.  Les  gens  habitant 
au  delà  de  Waulsort  devaient  L'emprunter  pour  se  rendre 
•Mi  [le-de-France  par  le  chemin  Sejlentois  (2).  Les  Picards 
allant  en  pèlerinage  à  Saint-Jacques-de-Liège,  ou  au  delà 
de  Liège  à  Aix  la-Chapelle  et  Cologne,  la  prenaient  égale- 
ment (en  sens  inverse).  L'auteur  de  la  version  X,  Localisée 
à  Waulsort,  n'en  pouvait  pas  ignorer  les  étapes  principa- 
les.   Car   il  y   a   toute   apparence   que   c'était    vin  jongleur 

(1)  Je  note  ne  passant  que  s.  Denis,  invoqué  encore  plus  souvent 
que  s.  Simon  ou  s.  Géri,  est  le  patron  de  l'église  de  Louette-Saint- 
Denis,  où  l'abbaye  de  Waulsort  possède  des  biens.  Voy.  le  diplôme 
déjà  cité  d'Otton  I,  de  946:  in  pago  Ardenna  ilirto  ad  Lietros  man- 
sum  indominicatum  ad  quem  aspiciunt  mansi  triginta  ubi  est  ec- 
clesia  in  honore  sancti  Dyonisii  constructa  (Dipl.  Ot.  I,  n"  81).  — 
Pour  apprécier  la  portée  de  l'observation  faite  dans  le  texte,  il 
convient  de  remarquer  les  faits  suivants  :  L'histoire  ne  connaît 
aucun  combat  sous  Origni.  Aucune  charte,  aucune  tradition  monas- 
tique même,  ne  nous  autorisent  à  faire  d'Ibert  un  seigneur  de 
Ribemont.  Nous  ignorons  les  possessions  d'Eudes  (Lauer,  Louis  d'Ou- 
tremer, p.  139).  La  mention  de  Flodoard,  Ann.  ao.  944,  ne  nous 
autorise  pas  à  croire  qu'il  ait  jamais  possédé  l'Amiénois  où  est 
située  la  petite  seigneurie  de  Roie,  car  cette  mention  est  conçue  d'e 
la  manière  que  voici:  Ambianensem  i/noque  u  r  h  e  m,  quam  tenebat 
Odo  filius  Heriberti...  domestici  régis  recipiunt.  Herbert  reçut,  lors 
du  partage  de  la  succession  paternelle,  l'abbaye  de  s.  Médard  de 
Soissons.  et  peut-être  quelques  dépendances  de  l'archevêché  de 
Reims.  Il  n'est  pas  certain  qu'il  ait  succédé  à  son  frère  Albert  de 
Vermandois  (Lauer,  lnr.  rit.).  Tl  est  assuré  qu'il  ne  possédait  pas 
Hirson,  qui  relevait  alors  des  seigneurs  de  Guise  (cf.  Raoul  de 
t'ombrai,   p.    368). 

(2)  .Sur  ce  chemin,  voy.  Longnon,  table  onomastique  de  llaoul  de 
Cn m  h  roi.    art.    Tellentois. 


NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI.         155 

battant  les  routes  el  récréant  les  gens  qui,  après  avoir 
cheminé  de  longues  journées,  s'arrêtaieni  à  l'abbaye  fondée 
par  le  noble  seigneur  Iberl  :  ce  ri'esl  assurémenl  pas  pour 
charmer  les  loisirs  des  moines  que  ce  jongleur  composa 
(ou  recomposa)  la  geste  du  bâtard  donl  on  montrait  le 
tombeau  à  Waulsorl  ! 

16.  Bernard  de  Relhel  cl  Ernaul  de  Douai. 

Les  Annales  de  Flodoard  contiennent,  à  l'année  933,  la 
notice  que  voici  : 

Bicharius,  episoopus  Tungrensis,  quoddam  castellum  Bernard]  co 
rnitis  quod  ipse  Bernardue  apud  Harceias  in  pago  Porcinse  cons- 
truxerat,  euertit,  eo  quod  in  suae  aecclesiae  terra  situm  esset.  (Ed. 
Laner,  p.  55.) 

Ce  château  d'Arches,  actuellement  Charleville  près  Mé- 
zières,  est  situé  dans  un  pays  qui  n'était  pas  ignoré  à 
Waulsort.  La  famille  de  l'abbé  Thierri  II  y  était  établie. 
Vyvelles,  distant  d'une  lieue  à  peine  d'Arches,  relevait  de 
Raoul,  le  neveu  du  frère  de  Thierri  II,  Guerri.  C'est  là 
que  les  moines  de  Waulsort  sont  allés,  en  1143,  chercher 
les  reliques  de  s.  Candide  et  s.  Victor,  à  en  croire  la 
Translatio  citée  dans  le  chapitre  précédent.  Le  même 
texte  nous  montre  Thierri  II  se  rendant  à  Mézières  (c.  12). 
Au  nord  de  Mézières  s'étendent  les  domaines  du  frère  de 
l'abbé,  Guerri  (c.  13).  Louettes-Saint-Denis  d'autre  part, 
où  l'abbaye  de  Waulsorl  possède  des  biens  (cf.  su/ira. 
p.  154,  n°  1).  est  située  a  <i\  lieues  à  peine  du  château 
construit  par  Bernard  de  Rethel.  Il  est  donc  certain  que  le 
passade  qui  vient  d'être  transcrit  devait  éveiller  la  curio- 
sité d'un  moine  de  Waulsort  lisant  les  Annales,  surtout  si 
ce  moine  était  contemporain  de  l'abbé  Thierri.  Notons  que 
la  bibliothèque  de  l'abbaye  est  bien  garnie,  puisque  rien 
qu'au  cours  de  cette  étude  nous  avons  pu  constater,  dans 
les  écrits  waulsodoriens,  des  emprunts  à  Richer  et  à  l'His- 
toire 'le  l'église  de  Heini*  de  Flodoard.  En  racontant  l'a- 
venture du  béryl,  VHistoria  Uualciodorensis  monasterii 
(c.  4)  cite  des  vers  latins,  empruntés  sans  doute  à  une 
vie  de  s.   Eloi.    Le  passade   emprunté    à    Richer    semble 


156         NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI. 

aussi  reposer,  pour  ce  qui  esl  de  la  date,  sur  une  source 
annalistique  que  nous  avons  identifiée  dicis  gratia  avec  les 
Annules  Elnonenses  minores.  On  sait  du  reste  que  Waul- 
sorl  esl  un  centre  littéraire  assez,  important  (1),  et  nous 
avons  pu  constater  de  uisu,  que  les  moines,  exaspérés  par 
l.i  lutte  avec  Hastières,  compulsent  avec  beaucoup  de  zèle 
les  livres  et  les  chartes,  d'où  ils  tirent  des  renseignements 
utiles  pour  leurs  pieux  mensonges. 

L'histoire  ne  sait  rien  de  la  participation  de  Bernard  de 
Rethel  aux  événements  où  Raoul  11  de  Goui  devait  trouver 
la  mort.  Le  rattachement  de  ce  personnage  à  la  famille 
d'Herbert  le  Grand  lui  est  inconnu  également.  Par  contre, 
elle  sait  qu'en  945  Bernard  de  Rethel  se  joignit  au  roi, 
quand  celui-ci,  après  avoir  pillé  consciencieusement  le 
Vcrmandois,  se  dirigea  vers  Reims  (2).  Faut-il  admettre 
que  de  tout  ce  que  pouvait  dire  de  véridique  sur  Bernard 
de  Rethel  un  poète  contemporain,  attaché  à  la  cour  ver- 
mandisienne,  la  chanson  actuelle  n'aurait  conservé  que  les 
renseignements  contredits  par  Flodoard,  ou  croire  que  le 
nom  d'un  comparse  dans  le  poème  a  été  fourni  au  poète 
par  ceux  à  qui  il  devait  déjà  le  comte  Ibert  ?  La  réponse 
ne  saurait  être  douteuse,  quand  on  observe  que  l'identifi- 
cation d'un  comte  du  pagus  Porciensis  avec  le  comte  de 
Rethel,  dont  on  pourrait  d'abord  hésiter  à  croire  capables 
les  clercs  de  Waulsort,  connaissant  Arches,  esl  faite  par 
un  Aubri  de  Trois-Fontaines,  qui  n'avait  aucune  raison  de 
s'intéresser  au  château  construit  par  Bernard  (3). 

(1)  Lahaye,   Etude  xt/r  l'abbaye  de    Waulsort,  p.   88,  sqq. 

(2)  Flodoard,  Annal,  ao.  945;  Hist  eeel.  Bon.  IV,  31;  Richer 
II,  44. 

(3)  Longnon,  Raoul  de,  ''ambrai,  Introd.  xxxi,  note  2.  —  Je  rap- 
pelle le  procédé  que  nous  avons  eu  à  constater  en  étudiant  les  lé- 
gendes monastiques  de  Waulsort.  Charles  le  Simple  et  sa  captivité 
sont  mêlés  à  une  ridicule  histoire  de  béryl.  Un  cornes  Hadericus  de- 
vient l'époux  de  la  femme  d"u  noble  seigneur  Ibert.  Cet  Ibert  lui- 
même  devient  frère  d'Herbert  le  Grand  et  de  Gérard  d'Audenarde, 
personnage  du  milieu  du  XI'  siècle  (Wauters  I,  p.  487).  Le  grand- 
père  d'Ibert  est  pris  à  un  diplôme  de  Charles  le  Simple  (Bédier, 
p.  393,  n.  5).  Les  moines  de  Waulsort  ne  cherchent  que  des  noms 
historiques  pour  leurs  fictions.  Il  leur  importe  peu  comment  ces 
fictions  se  concilient  avac  l'histoire. 


NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI.  157 

Pour  ce  qui  esl  d'Ernaul  de  Douai,  j'estime,  avec  M. 
Bédier,  que  le  plus  prudent   esl   d'y  \oirune  coïncidence 
fortuite.   Je   me   refuse   à   le  croire  emprunté  à   Flodoard 
parce  que  je  ne  vois  pas  ce  qui  aurait  pu  attirer  l'attention 
des  moines  de  Waulsorl  sur  lui.  Quanl   à   admettre  que 
l'Ernaul  épique  se  rattache  à  l'Ernaut  historique  par  une 
tradition  ('pique   ininterrompue,   je   n'y   puis   songer.   Car 
l'Ernaul  historique  est  un  personnage  peu  recommandable. 
Vassal  d'Hugues  le  Grand,  puis  d'Herbert,  il  vienl  enfin 
au  roi  (jiii  esl  obligé  de  le  chasser  peu  de  temps  après  (1). 
Richer  (II,  25)   l'appelle    in    proditione    promptissimus. 
J'aurais  compris  que  la  tradition  épique  en  fît  un  Ganelon, 
mais  j'ai  peine  à  croire  que  cet  homme  versatile  et  félon 
se  soit  transformé  en  l'intrépide  Ernaut  de  la  chanson. 

17.   Dernières  questions 

Après  avoir  étudié  les  principaux  personnages  de  second 
plan,  nous  pouvons  aborder  la  question  du  rattachement 
d'iherl  et  de  Bernier  au  lignage  d'Herbert.  J'accepte  sans 
discussion  la  version  de  la  chanson,  pour  laquelle  Ibert 
est  (ils  et  non  frère  d'Herbert  (2),  car  elle  est  plus  difficile 
à  expliquer  que  la  version  du  chroniqueur,  où  Herbert, 
-es  quatre  fils  et  ses  cinq  frères  sont  de  simples  compar- 
ses, rattachés  tout  à  fait  superficiellement  à  Ibert  et  Ber- 
nier. Si  nous  ne  possédions  que  le  récit  de  YHistoria  Uual- 
ciodorensis  monasterii,  nous  pourrions  nous  borner  à  affir- 
mer que  l'introduction  d'Ibert  dans  la  famille   d'Herbert 


(1)  Ann.  Flod.  930  (p.  45).  941  (p.  81).  Il  est  certain  qu'Ernaut, 
frère  de  Land'ri,  est  le  même  personnage  qu'Ernaut  de  Douai.  Si 
M.  Longnon  (Rom.  38,  p.  247)  s'était  rappelé  la  note  de  M.  Lauer. 
Louis  d'Outremer,  p.  69,  n.  2,  il  n'aurait  eu  aucun  doute  à  ce  sujet. 

(2)  On  pourrait  être  tenté  de  l'appuyer  par  le  témoignage  d'Au- 
bri  de  Trois-Fontaines  :  Sepultus  est  cornes  Heribertus  in  abbatia 
Uualciodorensi  iuxta  Dinantum  quant  ipse  fundauit  (Pertz,  Script. 
XXIII,  p.  763),  puisque  YHistoria  Uualciodorensis  monasterii  nous 
dit  qu' Ibert  avait  enseveli  dans  le  tombeau  son  père,  sa  mère,  son 
frère  Boson  et  Bernier,  mais  non  ses  autres  frères.  Mais  les  mots 
quam  ipse  fundauit  font  difficulté  ;  Aubri  a  pu  confondre  tout  sim- 
plement  Ibert  et  Herl'ert. 


158         NOTES  SUR  KAOl  L  DE  CAMBRAI. 

n'a  pas  d'autre  bul  que  de  rehausser  la  noblesse  du  fonda 
leur  de   Waulsort;    personne  ne  contredirail   cette  décla 
ration.  La  question  esl  de  savoir  si  nous  sommes  autorisés 
;ï   admettre   une  explication  analogue  en   présence  de  la 
version  dé  la  chanson. 

II  esl  indispensable  de  supposer  que  le  poème  primitif 
connaissait  le  personnage  de  Bernier.  On-  pourrait  certes 
imaginer  un  poème  où  Raoul  de  Goui  lutterait  contre  les 
quatre  ou  cinq  fils  authentiques  d'Herbert  el  contre  eux 
seulement,  el  un  aulre  où  seraient  racontées  les  aventures 
du  lils  d'Ibert,  le  rôle  «1rs  fil?  Herbert  et  celui  de  Raoul 
étant  tenus  par  d'autres  personnages.  On  pourrait  ensuite 
concevoir,  en  faisanl  un  effort,  que  ces  deux  légendes, 
complètement  étrangères  l'une  à  l'autre,  se  fussent  fondues 
en  un  poème  unique.  Mais  ce  serait  se  rendre  la  besogne 
trop  facile.  Car  si  l'on  admet,  par  hypothèse,  que  la  lé- 
gende  d'Ibert  et  de  son  fils  a  pu  être  rattachée  -ans  motif 
au  récit  de  la  guerre  de  Raoul  II  de  Goui  contre  les  fils 
d'Herbert,  autant  prendre  d'emblée  ce  récit  dans  Flo- 
doard  sans  recourir  à  l'hypothèse  inutile  d'une  source 
épique. 

Nous  devons  aussi  supposer  que  des  l'origine  Bernier 
étail  lils  d'un  des  frères  combattus  par  Raoul.  Car  c'esl  la 
seule  hypothèse  que  les  partisans  d'une  tradition  épique 
ininterrompue  puissent  nous  opposer  sans  heurter  de  fronl 
les  vraisemblances.  Il  s'agit  uniquement  de  déterminer  si 
le  père  de  Bernier  s'appelait,  dès  l'origine,  Ibert,  ou  bien 
s'il  portail  primitivement  le  nom  d'un  des  fils  authentiques 
d'Herbert  le  Grand,  celui  d'Albert  de  Vermandois  pour 
préciser.  Considérons  d'abord  cette  dernière  hypothèse. 

Le  fait  de  la  substitution,  à  Waulsort,  dû  nom  d'Iberl 
à  celui  d'Albert  pourrait  être  admis  sans  grande  difficulté. 
Il  serait  moins  aisé  de  comprendre  comment  un  témoin 
oculaire  des  événements  de  943  aurait  pu  avoir  l'idée  de 
composer  une  chanson  dont  le  rôle  principal  sérail  joué 
par  un  lils  fictif  d'Albert  (1)  Car  Bernier  n'a  jamais 
existé   :  aucune  source  ne  le  mentionne.  Ce  silence  n'esl 


(3)  Voy.  supra,  chap.  12.  sur  le  rôle  de  Bernier  dans  le  poème. 


NOTES    SIR    RAOIL    DE    (AMBRAI. 


159 


pas  décisif,  dil  M.  Longnon  :  il  n'esl  pas  invraisemblable 
qu'Alberl  ail  eu  un  bâtard  appelé  Bernier  (I).  assurément, 
c'est  possible  :  ce  qui  l'esl  moins,  c'esl  que  ce  person- 
nage ail  eu  des  aventures  analogues  à  celles  qui  sont 
racontées  dans  le  poème  :  vassal  de  Raoul  II  do  Goui,  il 
aurai!  vu  périr  sa  mère  dans  un  incendie  et  ne  se  serait 
décidé  à  quitter  son  seigneur  que  lorsqu'une  sortie  vio- 
lente de  celui-ci  aurait  mis  sa  patience  à  boni.  Dira-t-on 
que  le  poète  de  la  cour  de  Vermandois  ou  les  remanieurs 
successifs  avaient  enjolivé  les  aventures  de  Bernier  ?  Mais 
alors  qu'est  ce  qu'aurai!  chaulé  au  juste  Bertolai  ? 

Les  mêmes  difficultés  surgissent,  si  nous  remplaçons  le 
chant  lyrico  épique  de  Bertolai  par  une  tradition  épique 
(au  -eus  de  M.  Suchier).  Car  celle  théorie  aussi  aboutirait 
dans  l'espèce  à  la  conjecture  en  l'air  de  l'existence  réelle 
de  Bernier,  et  elle  aurait  en  outre  à  expliquer  comment 
ce  personnage  si  peu  remarqué  des  écrivains  contempo- 
rains a  pu  capter  l'attention  populaire  au  point  de  devenir 
le  héros  d'une  légende.  Et  quand  on  se  rappelle  que  les 
deux  théories  sont  déjà  impuissantes  à  rendre  compte  de 
la  transformation  du  Raoul  de  Goui  en  un  Raoul  de  Cam- 
brai, on  n'hésitera  pas  à  rejeter  la  substitution  d'Ibert  à 
Albert  de  Vermandois. 

Si  nous  admettons,  au  contraire,  qu'Ibert  était,  dès 
l'origine,  le  père  de  Bernier,  tout  s'explique.  Dès  la  fin 
du  XIe  siècle,  les  moines  de  Waulsort  prétendent  conser- 
ver son  tombeau.  Authentique  ou  non,  ce  monument  était 
vaste  :  la  Chronique  de  Waulsort  y  loge  la  famille  entière 
de  son  fondateur.  L'idée  de  rattacher  Ibert  à  une  lignée 
illustre  devait  venir  naturellement  aux  artisans  de  la  gloire 
de  l'époux  d'Hersent.  A  deux  siècles  de  distance  l'odieux 
du  caractère  d'Herbert  ne  pesait  peut-être  plus  lourd.  En 
eût-il  été  autrement  que  le  contraste  (Mitre  le  père  félon, 
d'une  part,  cl,  de  l'autre,  le  fils  vertueux  et  le  petit-fils 
mettant  les  devoirs  de  la  fidélité  au-dessus  de  ses  affections 
naturelles,  ne  devait  pas  déplaire  aux  moines.  Herbert  le 
Grand  fait  pendant  à  Guerri  à  la  Rarbe,  le  père  de  Thierri 

(1)   Raoul  de  Cambrai,   Introd.,  p.   xxix. 


160         NOTES  SUR  RAOUL  DE  CAMBRAI. 

d'Avesnes,  le  réformateur  de  Liessies.  La  légende  se  déve- 
loppant, Iberl  devienl  un  pieux  repentanl  ayanl  à  racheter 
par  de  lionnes  œuvres  les  fautes  de  sa  jeunesse  :  ainsi  son! 
créées  l'aventure  <lu  béryl  el  celle  de  Marsenl  séduite. 
Bernier  est  né  cl  on  lui  trouve  une  petite  place  dans  le 
tombeau  de  la  famille.  Un  jour,  un  clerc, lisant  les  Annules 
de  Flodoard,  remarque  la  mention  de  llinvasion  de  Raoul 
II  de  Goui.  Soil  qu'il  identifie  le  Goui  de  l'annaliste  avec 
le  Goui  cambrésien,  situé  sur  la  grande  route  de  S. -Quen- 
tin à  Cambrai,  soil  plutôl  <|ifil  se  rappelle  avoir  lu  ailleurs 
qu'un  authentique  comte  Raoul,  qu'on  croyait,  ;'i  l<>rl  ou  à 
raison,  ai  XII6  siècle,  avoir  administré  le  pagus  Camera- 
censis,  avait  envahi  le  Vermandois  et  avait  été  tué  sou-. 
St-Ouentin  par  Herbert  (1),  il  fail  <!<*  Raoul  «le  Goui 
un  comte  de  Cambrai.  La  «  matière  »,  sinon  le  «  san  »  «le 
la  chanson  se  trouve  ainsi  fournie;  le  jongleur  y  met 
«  sa  painne  et  s'antancion  »,  mais  comme  il  est  doué  d'une 
nature  poétique  autrement  puissante  que  celui  qui  s'avoue 
lige  de  Marie  de  Champagne,  il  transforme  les  ridicules 
histoires  des  moines  en  la  poignante  geste  du  bâtard 
Bernier. 

Jean  A  cher. 


(2)    Voy.    les  témoignages,   assez  nombreux,   colligés   par   Longnon, 
Baoul  de  Cambrai,  Intr.  p.  xix.   Addc  Reginon  ao.  818. 


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XXXV,   1,3.  — E.  Bruggtsr  :  L'enserrement  Merlin    p.  1;  —  O.-AI. 

Jolmslon  :  Use  of  poème  in  the  old  French  références  of  the  forbid- 
den  fruit,  p.  56;  —  C.  Bauer  :  Jenn  de  Sehelandre,  p.  60;  —  Tk . 
RanftxZum  Dictionnaire  général,  p.  129;  —  C.  Salvioni  :  fr.  opi- 
niâtre, pigeon,  p.  147. 

Bulletin  du  parler  français  au  Canada,  vin,  4.  —  W.Meyer- 
Liibke  :  Le  fiançais  au  Canada,  p.  121;  —  Lexique  canadien-fran- 
çais, p.  135. 

Bulletin  archéologique,  historique  et  artistique  de  la 
Société  archéologique  de  Tarn-et-Garonne,  XXXVI.  —  Boé  : 
Coutumes  du  lieu  de   Heaufort,  du  30  septembre  1316,   p.    142. 

Memorie  délia  R.  Accademia  délie  scieoze  dell'  Istituto 
di  Bologna,  in,  1. —  A  .  Tromhetti  ;  Saggi  di  glottoloiria  générale 
compara  ta,   p.   3. 

Mémoires  de  la  Société  néo-philologique  de  Helsingfors, 
V.  —  O.-J.  Tallgren  :  Sur  la  rime  italienne  et  les  Siciliens  du 
XIIIe  siècle.  Observations  sur  les  voyelles  fermées  et  ouvertes, 
p.  233  ;  —  A.  Wallejiskbld  :  La  construction  du  complément  des 
comparatifs  et  des  expressions  comparatives  dans  les  langues  ro- 
manes, p.  375. 

COMPTES-RENDUS 

H.  von  Samsou-Himmelstjerna.  —  Rhythmik-Studien,  Riga, 
N.  Kymmel,   1904  [136  p.]. 

Bien  que  cet  ouvrage  ait  paru,  il  i  a  déjà  six  ans,  il  nous  semble 
encore  aujourdui  bon  à  signaler.  La  plupart  des  étrangers  de  lan- 
gue  germanique   qui    ont  écrit  sur  le  rit  me  des  vers   romans    et  en 


164  ? 


COMPTES    RENDIS. 


particulier  des  vers  français  se  sont  tenus  si  loin  de  la  réalité  que 
l'on  peut  beaucoup  pardonner  à  ceux  qui  s'en  sont  approchés,  même 
lorsqu'il  leur   arrive  parfois  de  s'en  écarter  violemment. 

Notre  auteur  s'est  entouré  de  toutes  les  précautions  imaginables 
pour  éviter  l'influence  de  quelque  idée  préconçue  dans  ses  recher- 
ches sui-  le  ritme.  Doué  d'une  oreille  délicate,  il  a  voulu  s'en  rap- 
porter uniquement  à  elle,  noter  exactement  ce  qu'il  entendait,  puis 
faire  la  statistique  et  voir  s'il  en  résultait  quelque  règle,  quelque 
principe  ou  du  moins  quelque  clarté.  Maleureusement  il  a  cru  voir 
clair  trop  tôt,  il  a  sistématisé  trop  tôt  ;  il  ne  s'est  pas  rendu  compte 
qu'il  avait  eu  un  mauvais  point  de  départ,  en  commençant  son  exa- 
men par  des  poésies  accompagnées  de  musique  ou  de  danse,  qui 
devaient  influer,  sans  qu'il  pût  eu  avoir  conscience,  sur  toutes  ses 
observations  ultérieures 

Tous  ceux  d'ailleurs  qui  ont  quelque  probité  font  comme  lui. 
Leur  oreille  pour  guide,  puis  on  classera  les  notes  et  on  en  tirera  la 
téorie.  Combien  en  voit-on  chaque  année  à  la  Comédie  Française, 
qui  suivent  la  pièce  sur  le  texte,  et,  un  crayon  à  la  main,  notent 
constamment  les  accents  qu'ils  ont  cru  entendre,  les  liaisons  qui 
n'ont  pas  été  faites,  les  e  muets  qui  n'ont  pas  été  dits.  Même 
Lubarsch,  dont  Samson -Himmelstjerna  dit  avec  raison  tant  de  mal, 
a  certainement  fait  ainsi.  Mais  la  plupart  ne  savent  du  français  que 
ce  qu'ils  eu  ont  entrevu  à  travers  le  parler  d'une  gouvernante  ou  d'une 
bonne  originaire  de  la  Suisse  allemande  ;  ils  sont  abitués  à  ce  ritme 
brutal  et  [>our  nous  intolérable  que  notre  auteur  compare  avec  jus- 
tesse au  tic-tac  d'une  pendule  qui  n'est  pas  d'aplomb  ;  ils  ne  pren- 
nent pas  garde  que  l'oreille,  si  elle  est  un  organe  aisément  éduca- 
ble,  est  éminemment  suggestionnable,  et  que  tant  que  son  éducation 
n'est  pas  faite,  elle  confond  la  auteur  ou  la  durée  avec  l'intensité, 
elle  entend  partout  ce  qu'elle  est  accoutumée  à  entendre  ou  ce 
qu'elle  s'attend  à  entendre;  ils  ignorent  enfin  que  nos  acteurs  ne 
reçoivent  plus  uujourdui  aucune  éducation  littéraire,  qu'on  ne  leur 
a  jamais  enseigné  ce  que  c'est  qu'un  vers,  et  qu'ils  ont  pris  pour 
principe  de  dire  les  vers  comme  de  la  prose  moderne,  remplaçant 
tout  l'art  du  poète  par  des  gestes  et  des  grimaces;  ce  sont  leurs 
défauts  que  nos  bons  étrangers  prennent  pour  des  qualités,  et  c'est 
là-dessus  qu'ils  bâtissent  leurs  téories  et  dressent  leur  règles  infail- 
libles. 

Voilà  comment  le  dogme  s'est  répandu  en  Allemagne  et  en  Suède, 
que  le  ritme  du  vers  français  est  iambique.  Nous  avons  déjà  parlé 
de  cette  question"  ici  même  (RLR,  XLIV,  p.  84)  ;  mais  on  ne  sau- 
rait trop  i  revenir.  Quand  j'étais  étudiantàFribourg-en-Brisgau,  où  je 
n'étais  pas  allé  pour  apprendre  l'allemand,  ni  même  le  français,  je  me 


COMPTES    RENDUS.  165 

rencontrais  souvent avecquelques  camarades dontlecommerce  m'était 
agréable,  et  nous  causions  volontiers  des  choses  de  France,  qui  les 
intéressaient  particulièrement,  Un  jour,  un  jeune  Fuchs,  tout  frais 
émoulu  du  gimnase,  me  demanda  comment  nous  pouvions  bien 
trouver  quelque  agrément  aux  vers  français,  qui  étaient  si  monoto- 
nes et  si  peu  naturels.  «  Comment  vous  a-t-on  appris  à  les  lire?  — 
Oui,  c'est  |  Aga  |  memnon  |  c'est  ton  |  roi  qui  |  t'éveille.  » 
Telle  fut  sa  réponse.  I.e  voilà  bien  le  tic-tac  d'une  orloge  mal 
équilibrée.  Je  partis  d'un  éclat  de  rire.  Je  me  levai  alors  et  récitai 
le  Cor  d'Alfred  de  Vigny.  On  m'écouta  religieusement  et  quand 
j'eus  terminé  mes  auditeurs  manifestèrent  un  entousiasme  que  je 
n'avais  jamais  remarqué  en  aucune  circonstance  chez  des  étudiants 
allemands,  et  dont  ils  ne  semblaient  pas  capables.  On  décida  de 
consacrer  la  prochaine  réunion  au  vers  français.  Le  Vortrag  abi- 
tuel  fut  renvoyé  et  à  sa  place  je  lus  quantité  de  poésie  française, 
j'en  récitai,  j'en  expliquai;  la  clôture  de  la  Kneipe  nous  surprit 
avant  que  nous  euss'ons  terminé.  Au  lieu  de  se  séparer,  on  se 
déplaça.  La  nuit  était  claire  et  paisible;  nous  gravîmes  les  auteurs 
de  RossJapf  pour  i  attendre  l'aurore,  puis  nous  redescendîmes  bai'  le 
Hullental,  et  ne  rentrâmes  à  Fribourg  que  tard  dans  la  matinée. 
Jamais  la  Forêt  Noire  et  sa  pittoresque  vallée  n'avaient  entendu  tant 
de  vers  français,  ni  un  lire  si  franc.  Car  le  sujet  s'étendait.  Non 
seulement  je  m'efforçais  de  faire  comprendre  à  mes  camarades  la 
nature  du  vers  français,  mais  ceux  d'entre  eux  qui  étaient  romanis- 
tes m'exposaient  les  téories  de  leurs  maîtres,  et  la  critique,  la 
satire  s'en  mêlaient.  Nous  ridiculisions  l'indécrassable  pédantisme 
des  filologues  et  des  grammairiens  qui  croient  avoir  bien  mérité  de 
l'umanité  lorsqu'ils  ont  enseigné  que  les  pronoms  sont  atones,  que 
les  adverbes  prennent  un  nebenton  et  cent  autres  billevesées  de  même 
valeur. 

Car  il  était  déjà  question  du  nebenlon.  J'en  ai  beaucoup  entendu 
parler  depuis,  de  ce  fameux  nebenton  qui  domine  toute  l'istoire 
du  français  et  des  autres  langues  romanes,  et  qui  joue  un  si  grand 
rôle  dans  les  versifications  romanes.  Je  me  suis  longtemps  demandé 
où  l'on  avait  bien  pu  le  découvrir.  Je  suis  renseigné  maintenant. 
Depuis  quelques  années  j'emploie  une  partie  de  mon  temps  à  recti- 
fier la  prononciation  française  d'étudiants  étranger-,  et  je  remarque 
presque  toujours  que  les  Allemands  et  les  Suédois,  quand  je  leur  fais 
lire  du  français,  mettent  un  nebenton  de  deux  en  deux  sillabes. 
Comme  le  romanisme  est  né  en  Allemagne  et  que  l'Allemagne  et  la 
Suède  produisent  chaque  année  une  légion  de  romanistules  qui 
savent  très  imparfaitement  les  langues  romanes,  il  n'est  pas  éton- 
nant que  ces  langues  aient  à  leurs  ieux  le  nebenton  qu'ils  i  mettent. 

1<8 


166  COMPTES    RENDIS. 

Nous  voilà  bien  loin,  sotnble-t-il,  de  l'ouvrage  de  Samson-Him- 
melstjema.  En  réalité  nous  ne  l'avons  jamais  perdu  de  vue;  mais  il 
fallait  ce  détour  pour  arriver  à  voir  clair  au  milieu  de  bien  des 
obscurités.  Nous  savons  maintenant  pourquoi  les  vers  français  sont 
en  général  si  mal  compris  en  pays  germanique.  Nous  savons  d'où 
vient  le  nebenton.  Nous  connaissons  les  motifs  qui  ont  empêché 
A.  Tobler  de  saisir  pourquoi  l'alexandrin  tipe  serait  plutôt  un  vers  à 
4  temps  marqués  qu'un  vers  à  6  (Archiv.  f.  d.  Studium  d.  neueren 
Sprachen  u.  Lileraluren,  CXIV,  p.  232j  ;  ce  qui  montre  qu'on  peut 
faire  un  livre  utile  sur  la  forme  extérieure  du  vers  français  sans 
avoir  le  sentiment  de  son  ritme.  Nous  comprenons  pourquoi  Sam- 
son-Himmelstjerna  qui  était  parti  du  bon  pied  a  fini  par  tomber  dans 
l'ornière  comme  tant  d'autres.  Nous  voyons  enfin  comment  M.  Saran 
a  pu  exposer  en  un  gros  livre  une  téorie  un  peu  nouvelle  et  diffé- 
rent e  sur  le  ritme  du  vers  français,  et  comment  M.  Stengel,  ne 
sachant  où  se  prendre,  s'est  rallié  à  cette  téorie,  dont  l'ingéniosité 
l'a  séduit  {Zeitschrift  (.  franz'ôs.  Sprache  u.  Litteralur,  XXVIII,  2, 
p.  75). Mon  maître  Johannes  Schmidt  appelait  les  téories  de  ce  genre  de 
la  «  filosofie  »  ;  il  les  caractérisait  par  ces  mots  :  das  schwebt  voll- 
stândig  in  der  Luft,  et  il  ajoutait  :  Quand  vous  aurez  perdu  votre 
temps  à  les  lire,  n'en  perdez  pas  d'autre  à  les  discuter  ;  il  n'i  a 
qu'une  chose  à  leur  opposer,  die  Tatsachen,  les  faits. 

11  i  a  bien  ici  une  petite  difficulté;  c'est  que  Lubarsch,  Saran  et 
autres  sont  partis  de  faits.  Ils  ont  entendu  au  moins  quelques  vers 
de  la  manière  qu'ils  nous  décrivent.  Seulement  tout  Français  ayant 
quelque  abitude  des  vers  leur  déclarerait  sans  ésiter  qu'ils  ont  mal 
entendu.  Mais  les  Allemands  ont  toujours  considéré  que  nous  ne 
savons  pas  entendre  nos  vers  ;  eux  seuls  ont  le  don  de  les  entendre 
juste,  et  quand  nous  en  parlons  ils  considèrent  comme  un  simple 
objet  de  curiosité  «  die  Art  der  Wirkung  franzôsischer  Verse  auf 
f'ranzosisches  Ohr  ».  Eureusement  l'on  possède  aujourdui  une 
oreille  impartiale,  sans  préjugés,  sans  mauvaises  abitudes,  c'est 
«  l'oreille  inscriptrice  ».  La  fonétique  expérimentale  fournit  les 
moyens  d'enregistrer  les  vers  tels  qu'ils  sont  dits  et  avec  une  exac- 
titude absolue.  Les  tracés  se  lisent  sans  difficulté  ni  incertitude. 
Les  différences  de  valeur  des  sillabes  au  point  de  vue  ritmique  sau- 
tent aux  ieux.  J'ai  déjà  donné  quelques  indications  à  ce  sujet  (Petit 
Traité  de  versification  française,  p.  98  sqq.);  j'aurai  sans  doute 
l'occasion  d'i  revenir  prochainement  avec  plus  de  détails.  Qu'il  me 
suffise  pour  le  moment  de  rappeler  que  les  résultats  obtenus  par 
cette  métode  confirment  rigoureusement  ce  qui  est  enseigné  par  les 
Français  sur  le  ritme  de  leurs  vers  et  laisse  toutes  les  autres  téories 
pour  compte  à  leurs  auteurs. 


COMPTES    RENDUS.  167 

Samson-Himmelstjerna  a  eu  le  mérite  de  reconnaître  que  nos 
alexandrins  ont  en  général  4  temps  marqués  principaux  : 

J'ai  retenu  —  le  dieu  —  courroucé  —  dans  mon  sein. 

Il  aurait  dû  s'en  tenir  là  et  rechercher  quels  sont  les  divers 
aspects  que  peut  prendre  ce  tipe  et  les  substituts  qu'il  admet.  Il 
avait  tous  les  éléments  nécessaires  pour  mener  à  bien  cette  étude. 

Il  avait  remarqué  en  effet  qu'outre  les  sillabes  fortes  il  i  en  a 
souvent  d'autres  qui  s'élèvent  au-dessus  des  faibles  par  leur  inten- 
sité, leur  durée  ou  leur  auteur  : 

Un  long  arbre  de  fer  hérissé  de  flambeaux 

Autant  que  d'Arachné  les  pièges  inconnus. 

Ce  sont  ces  sillabes  moyeunes  qui  contribuent  le  plus  à  donner  au 
vers  français  cette  allure  que  j'ai  comparée  ailleurs  à  une  ondula- 
tion {Petit  Traité,  p.  102).  Notre  auteur  a  cherché  à  déterminer  dans 
quelles  conditions  ces  sillabes  apparaissent,  et  il  a  formulé  une 
règle  fort  ingénieuse  :  ces  sillables  seraient  la  première  de  tout 
élément  de  3  sillabes  ne  venant  pas  immédiatement  après  une  sillabe 
forte  dans  un  même  émistiche,  —  ou  la  seconde  de  tout  élément 
de  4  sillabes.  Maleureusement  cette  règle  ne  répond  pas  aux  faits. 
Voici  quelques-uns  de  ses  exemples  (p.  72  et  passim)  : 

Et  surtout  Jupiter,  dieu  d'hospitalité 

Dans  l'élémen^  «  Et  surtout  »  la  sillable  faible  est  la  première,  et 
la  seconde  est  moyenne;  c'est  une  montée  régulière.  La  sillabe 
«  dieu  <>  que  l'auteur  donne  comme  faible  est  la  plus  forte  de  tout  le 
vers  ;  elle  l'emporte  légèrement  sur  la  sillabe  «  -  ter  »  ;  la  sillabe 
«  d'hos  -  »  s'élève  au  dessus  des  faibles,  parce  qu'on  ne  peut  pas 
tomber  brusquement  d'une  sillabe  aussi  forte  que  «  dieu  »  au  niveau 
des  faibles,  les  vers  français  n'admettant  rien  de  violent  ni  de  eurté. 
Quant  aux  trois  sillabes  «  pitali  -  »  elles  sont  toutes  trois  faibles  et 
aussi  faibles  l'une  que  l'autre. 

Je  vous  salue  enfants  venus  de  Jupiter 

Les  sillabes  «  vous  »  et  «  Ju-  »  sont  tout  à  fait  faibles,  comme 
«  Je,  sa  -,  ve  -,  -  pi  -  »  ;  mais  les  sillabes  «  en  »  et  «  de  »  l'empor- 
tent sur  elles. 

Aux    mortels   malheureux    n'apportent   point  d'injures 

Les   sillabes  «  Aux»   et   «  -por-  »    sont  aussi  faibles  que  «  n'a  -* 
et  t  -  tent  »  ;  seule  la  sillabe  «  in  -  »  s'élève  au-dessus  des  faibles. 
Une  autre  faute  de  notre  auteur,  c'est  de  n'avoir  pas  senti  que  les 


168  COMPTES    RENDIS. 

sillabes  moyennes  ne  prennent  une  valeur  ritmique  que  dans  les 
éinistiches  qui  n'ont  qu'une  sillabe  forte,  comme  dans  l'exemple 
que  j'ai  cité  dans  mon  Petit  Traité,  p.  100.  Il  i  en  a  plusieurs  cas 
parmi  les  exemples  qu'il  cite: 

Je  ne  suis  qu'un  mortel,  un  des  plus  malheureux  • 

Dans  le  premier  émistiche  de  ce  vers  les  sillabes  «  suis  >»  et 
4  qu'un  »  sont  moyennes,  tandis  que  l'auteur  fait  la  première  forte 
et  la  seconde  faible.  En  outre  la  sillabe  «  Je  »,  qu'il  donne  comme 
moyenne,  est  faible. 

Ne  me    comparez  point   à  la  troupe   immortelle 

La  sillabe  «  corn  -  »  dans  le  premier  émistiche  est  une  moyenne  à 
valeur  ritmique.  Notre  auteur  i  voit  une  faible  et  trouve  une  forte 
dans  «  -rez  »,  qui  est  faible. 

Ce  dernier  point  donne  à  réfléchir.  Pour  les  erreurs  relatives  à  la 
place  des  sillabes  moyennes,  on  peut  se  demander  s'il  faut  les 
imputer  à  l'oreille  de  notre  auteur  ou  à  la  diction  de  son  lecteur. 
Mais  pour  des  fautes  comme  la  dernière,  qui  sont  de  véritables 
fautes  de  français,  on  ne  peut  guère  en  rendre  responsable  une 
oreille  qui  par  ailleurs  s'est  montrée  délicate  ;  il  i  a  trop  de  différence 
entre  une  sillabe  faible  et  une  forte  pour  qu'on  puisse  les  confondre. 
L'erreur  doit  revenir  au  lecteur  consulté,  «  einem  geborenen  und 
gebildeten  Franzosen,  der  Hochschul-Professor  war  ».  Ils  sont 
nombreux  les  exemples  absolument  fautifs  que  notre  auteur  signale 
comme  accumulations  de  sillabes  ritmiques;  en  voici  quelques-uns  : 

J'ai  vu  Corinthe,  Argos,  et  Crète  et  les  cent  villes. 
Fleuves,  terre  et  uoirs  dieux  des  vengeances  trop  lentes. 
A  peine,  mes  enfants,  vos  mères  étaient  nées. 
Ne  crains  point,  disent-ils,  malheureux  étranger. 
Mortels,  ne  savons  rien  qui  ne  vienne  de  vous. 
Amuse  notre  ennui,  tu  rendras  grâce  aux  dioux. 
Enfants  du  vieil  aveugle,  en  quel  lieu  sommes  nous  ? 
Des  marchands  de  Cymé  m'avaient  pris  avec  eux. 
Si  la  Grèce  pour  moi  n'aurait  point  de  patrie. 

Les  sillabes  «  cent,  trop,  -taient,  crains,  -vons,  -dras  ,  so- , 
-vaient,  -rait  »,  données  comme  fortes  par  Samson-Himmelstjerna, 
sont  faibles. 

Il  a  reconnu  avec  justesse  qu'il  i  a  trois  temps  marqués  dans 
des  émistiches  contenant  une  énumération  on  des  mots  sur  lesquels 
on  veut  insister  : 


COMPTES    RENDUS.  169 

Soleil,  qui  vois,  entends,  connais  tout:  et  toi,  mer. 
Vous  croîtrez  comme  lui,  grands,  féconds,  révérés. 

M;iis  il  a  étendu  ce  fénomène  à  des  émistiches  qui  ne  le  com- 
portent pas  : 

S>'  trouble  et  tend  déjà  les  mains  à  la  prière. 
Mais  il  entend  leurs  pas.  prête  l'oreille,  espère. 
Des  chansons  à  Pbébus  v"ulu  ravir  le  prix. 

Dans  ces   vers,  rendre  fortes  les   sillabes  *<  tend,  prè-,    -lu  »,  c'est 
changer  le  sens  et  le  fausser. 

Faisant  le  total  des  émistiches  de  ce  genre  et  les  additionnant 
avec  ceux  où  il  a  cru  trouver  des  temps  marqués  successifs  et  ceux 
dans  lesquels  il  a  relevé  des  sillabes  moyennes,  vraies  ou  fausses, 
portant  des  temps  marqués,  il  aboutit  au  total  de  334  émistiches  ayant 
trois  temps  marqués  contre  200  sur  lesquels  il  ésite.  11  déclare  que  ces 
derniers  sont  faiblement  rittnés,  mais  que  sûrement  au  sentiment  et 
dans  l'intention  du  poète  ils  avaient  aussi  trois  accents  ritmiques.  Il 
finit  par  les  leur  trouver  grâce  à  l'artifice  du  nebenton.  En  somme 
rien  ne  l'autorise  à  cette  généralisation  et  à  cette  conclusion.  Si  l'on 
défalque  de  sou  premier  chiffre  tous  les  émistiches  pour  lesquels  il  a 
nettement  commis  une  erreur,  la  majorité  en  sens  inverse  va  être 
tellement  écrasante  que  sur  les  540  émistiches  considérés  il  n'en 
restera  que  4  ou  5,  d'un  tipe  intentionnellement  spécial,  qui  auront 
réellement  trois  accents  ritmiques. 

Maurice  Grammont. 

R.  de  Goeij.  —  Le  Rythmique  du  Combat  du  Cid  contre  les  Mores  : 
Le  Cid  de  Pierre  Cor.ieille,  Paris,  Fischbacker  et  Bnij;ell"s, 
Bulens. 

L'auteur  trouve  dans  la  construction  et  le  ritme  du  récit  du  Cid 
une  imitation  très  nette  du  mouvement  des  vagues  dans  le  flux,  puis 
du  calme  de  la  mer  étale,  enfin  du  mouvement  des  vagues  dans  le 
reflux.   Imaginations  et  télépatie. 

On  voit  nettemeut  ce  qui  a  suggéré  à  l'auteur  cette  idée  bizarre 
de  chercher  dans  le  récit  d'un  combat  l'imitation  des  bruits  et  des 
mouvements  de  la  mer.  Ce  sont  au  début  les  deux  vers  suivants  : 

L'onde  s'enfle  dessous  ;  et  d'un  commun  etïort, 
Les  Mores  et  la  mer  montent  jusques  au  port. 

et  vers  la  fin  celui-ci  : 

Le  flus  les  apporta,  le  reflux  les  remporte. 


170  COMPTES    RENDUS. 

Et  ce  qui  lui  a  permis  de  l'imposer  d'un  bout  à  l'autre,  malgré  les 
obstacles  insurmontables  qu'elle  rencontre,  c'est  la  manière  de  com- 
poser de  Corneille,  qui  très  souvent  consacre  quatre  vers  à  chaque 
parcelle  de  son  développement.  L'auteur  n'a  pas  vu  qu'il  i  a  dans  le 
Cid  quantité  d'autres  passages  auxquels  son  idée  de  flux  et  de  reflux 
s'appliquerait  beaucoup  mieux,  mais  sans  plus  de  raison. 

Maurice  Grammont. 

A.   Dorchain.   —  L'art   des  vers,  Paris,   Bibliolh'eqae  des  «  An- 
nales politiques  et  littéraires  ». 

Quelques  pages  assez  bonnes,  mais  insuffisamment  étudiées,  sur 
la  r'une  (p.  148  à  151,  p.  155).  Le  reste  poncif,  superficiel  et  arriéré. 
Veut-on  une  idée  de  la  manière  de  l'auteur  ?  11  répète  d'un  bout  à 
l'autre  de  son  livre  que  les  vers  sont  faits  pour  l'oreille  et  pour  elle 
seule,  qu'on  doit  la  prendre  toujours  pour  guide  et  rien  qu'elle.  Le 
précepte  n'est  certes  pas  nouveau,  mais  comme  il  est  excellent  on  ne 
saurait  le  rappeler  trop  souvent.  Mais  nous  lisons  à  la  p.  2  qu'il 
faut  prendre  garde  aux  points  et  aux  virgules,  à  la  p.  8  qu'une  virgule 
semble  séparer  les  deux  éléments,  la  mer  et  le  ciel,  à  la  page  9 
qu'un  vers  est  parallèle  à  un  autre  par  une  virgule  médiane,  à  la 
p.  62  que  des  hiatus,  avec  des  virgules,  concourent  à  opérer  nette- 
ment les  coupures  d'un  vers,  à  la  p.  74  qu'un  iatus  est  cacofonique 
malgré  la  virgule,  à  la  p.  183  qu'un  mot  «  détaché  par  une  virgule 
des  dix  premières  syllabes  de  l'alesandrin,  s'envole,  comme  un  grand 
albatros  ouvrant  tout  à  coup  ses  ailes  »,  à  la  p.  195  qu'il  n'i  a  plus 
succession  immédiate  lorsqu'un  signe  de  ponctuation  force  la  voix  à 
séparer  nettement  deux  mots,  à  la  p.  108  que  des  césures  sont  déter- 
minées par  la  ponctuation,  à  la  p.  241  que  la  virgule  marque  une 
respiration,  à  la  p.  272  que  Leconte  de  Lisle  a  eu  soin  de  mettre 
une  virgule  après  un  mot  pour  que  nous  en  détachions  les  suivants. 
J'en  passe,  et  point  des  pires.  La  poésie  réside  donc  pour  une  bonne 
part  dans  les  virgules,  simples  signes  ortografiques  dont  Clair 
Tisseur  aurait  dit  sans  doute  qu'ils  ne  sont  pas  plus  faits  pour 
l'oreille  que  la  peinture  pour  le  nez. 

Au  reste  il  est  incontestable  que  M.  Dorchain  a  le  sentiment  des 
vers,  et  c'est  un  mérite  assez  rare  pour  qu'on  doive  le  signaler  ; 
maleureusement  il  les  sent  souvent  à  faux,  parce  qu'il  en  ignore  la 
tecnique  et  sa  valeur. 

Malgré  tout,  cet  ouvrage  est  un  bon  aliment  pour  les  lecteurs 
abituels  des  «  Annales  »,  un  réconfort  pour  les  bas-bleus  de  pro- 
vince,   une    pièce    importante     dans    le    bagage     d'un    candidat    à 

l'Académie. 

Maurice  Grammont. 


COMPTES    RENDUS.  171 

H.  Grein.  —  Die  «  Idylles  Prussiennes  »  von  Théodore  de  Banville- 
Ein  Beitrag  zur  Geschichte  der  Kriegspoosie  von  1870-71,  Neun. 
kirchen,  1906. 

Cette  étude  est  une  sorte  d'appendice  à  l'ouvrage  du  même  auteur 

sur  la  rime  chez  Banville,  dont  nous  avons  rendu  compte  ici  même 

(KLR,    XLVII,    p.  184).   Elle    commence    par    quelques    indications 

istoriques,    continue  par  un   peu    de   statistique,  et  se    termine  par 

l'exposé  des  idées  exprimées  par  le  poète.  C'est   un   travail  de   bien 

peu  de  portée. 

M.  G. 

A.  Cassagne.  —  Versification  et  métrique  «le  Ch.  Baudelaire, 
Paris,  Hachette,  1906. 

«  Il  vous  a  beaucoup  pris  ..,  nie  disait  un  de  mes  amis  à  propos 
de  l'auteur  de  cet  ouvrage.  Point  du  tout,  puisqu'il  ne  s'en  est 
point  caché  ;  utiliser,  en  le  disant,  les  travaux  d'un  prédécesseur, 
n'est  pas  lui  prendre,  mais  lui  rendre  son   bien. 

[1  va  de  soi  que  lorsqu'on  a  pour  des  chapitres  entiers  un  cadre 
tout  tracé,  des  cases  toutes  prêtes  où  l'on  n'a  qu'à  placer  les  faits  à 
mesure  qu'on  les  rencontre,  la  tâche  est  singulièrement  simplifiée, 
et  l'originalité  ne  peut  guère  trouver  l'occasion  de  se  faire  voir.  Le 
soin  esta  peine  un  mérite  quand  le  champ  d'étude  est  limité  à  un 
petit  Tolume  de  vers,  dont  on  n'étudie  que  la  forme.  Mais  la  pré- 
cision, la  finesse,  la  pénétration  sont  des  qualités  personnelles  (pie 
l'on  doit  reconnaître  et  louer   chez  M.  Cassagne. 

L'auteur  a  nettement  montré  que  la  rime  est  la  préoccupation 
principale  de  Baudelaire  dans  la  construction  de  ses  vers,  et  que 
c'est  à  elle  qu'il  faut  attribuer  la  plupart  de  ses  défauts.  Comme  il 
manque  de  souplesse  et  de  richesse  verbale,  il  est  obligé,  pour 
rimer  sans  trop  de  pauvreté,  d'accumuler  les  rimes  de  même  nature, 
adjectifs  avec  adjectifs,  substantifs  avec  substantifs,  ce  qui  produit 
fréquemment  un  effet  de  monotonie  et  de  lourdeur  ;  pour  amener  à 
la  fin  des  vers  le  peu  de  mots  rimant  ensemble  dont  il  dispose,  il  se 
voit  contraint  de  recourir  aux  inversions,  aux  tournures  gauches  et 
pénibles. 

C'est  par  l'étude  sur  la  rime  que  uolre  auteur  ouvre  son  livre  ; 
avec  raison,  comme  on  vient  de  s'en  rendre  compte.  Lorsqu'on  a  lu 
les  autres  chapitres,  les  études  sur  le  ritme  et  sur  les  sons,  on  voit 
avec  netteté  comment  et  dans  quelle  mesure  les  poètes  de  la  période 
suivante,  en  particulier  Rollinat  et  Verlaine,  sont  les  continuateurs 
immédiats  de  Baudelaire. 

Quelques  points  de  détails  à  rectifier  ou  à    discuter  :  il   i   a   tou- 


172  COMPTES    REND! JS. 

jours  profit  à  élucider  des  questions  délicates  de  versification;  c'est 
un  enseignement  pour  beaucoup  de  personnes. 

La  mauvaise  qualité  de  la  rime  hiver,  s'élever  n'est  pas  atténuée, 
comme  le  croit  M.  Cassagne  (p.  9),  par  la  liaison  avec  la  voyelle 
initiale  du  vers  suivant.  D'abord  cette  liaison  n'est  pas  obligatoire, 
et  même  si  on  la  fait  Ye  tonique  de  s'élever  reste  fermé. 

11  n'i  a  deux  sillabes  toniques  de  suite  dans  aucun  des  exemples 
cités  à  la  page  31,  tels  que  : 

Ah!  que  n'ai-je  mis  bas  tout   un  nœud  de  vipères! 

La  sillabe  mis  est  complètement  atone.  L'erreur  de  M.  Cassagne 
est  un  reste  de  l'enseignement  des  grammairiens,  gens  pour  qui 
les  langues  n'existent  que  dans  les  livres,  et  qui  n'ont  jamais  eu 
d'oreilles  que  pour  ne  pas  entendre.  La  même  observation  s'applique 
à  la  plupart  des  exemples  de  la  page  32  comme  : 

Ou  sous  les  gazons  secs  s'accoupler  les  vipères. 
Les  deniers  d'argent  clair  qu'il  rapporte  de  Rome. 

Un  ou  deux  seulement  sont  des  vers  à  effet  destinés  à  mettre  un 
monosillable  en  relief  : 

11  est  despar/?«<rcs  frais  comme  des  chairs  d'enfants. 
Le  siècle  qui  l'a  vu  s'en  est  appelé  grand. 

Il  faut  se  garder  de  confondre   les  précédents  avec  ces   derniers. 

Aucun  des  exemples  cités  à  la  page  33  n'a  un  ritme  binaire;  ils 
sont  tous  quaternaires  : 

La  douleur  |  qui  fascine  |  et  le  plaisir  |  qui  tue. 

M.  Cassagne  ne  retrouve  pas  dans  les  trimètres  de  Baudelaire 
l'accélération  que  j'ai  signalée,  après  Becq  de  Fouquières,  dans  ce 
tipe  de  vers,  ni  par  suite  les  principaux  effets  dus  à  cette  accéléra- 
tion. Notre  désaccord  a  deux  causes.  La  première  c'est  que  M.  Cas- 
sagne voit  souvent  chez  Baudelaire  des  trimètres  où  il  n'i  en  a  pas  : 

Voilà  le  souvenir  enivrant  qui  voltige 

Dans  l'air  troublé;  les  yeux  se  ferment  ;  le  Vertige 

Saisit  l'âme  vaincue... 

C'est  à  cause  de  la  ponctuation  que  M.  C.  voit  dans  ce  vers  un 
trimètre  ;  il  n'a  pas  remarqué  que  le  sens  exige  que  «  se  ferment  » 
soit  détaché  de  «  les  yeux  »  par  un  changement  d'intonation,  et  que 
«  le  Vertige  »,    séparé    de   «  Saisit  »    par    une    coupe,  indique    que 


COMPTES    RENDIS.  173 

parallèlement  «  les  yeux  »  est  aussi  séparé  de  <  se  ferment  »  par 
une  coupe.  Ce  vers  est  un  tétramètre  à  césure  faible  ;  il  rentre  dans 
la  catégorie  que  j'ai  étudiée  ailleurs  en  détail  {Le  vers  français, 
p.  42  à  60,  —  Petit  Trailè  p.  60  à  63).  C'est  d'ailleurs  bien  ainsi 
que  le  lit  noire  auteur,  puisqu'il  dit  :  «  l'élan  du  vers  est  suspendu 
par  l'accent  tonique  de  yeux.  Il  en  résulte  un  effet  de  lenteur  justifié 
d'ailleurs  pai  l'engourdissement  des  paupières  qui  s'abaissent  dou- 
cement; il  ne  s'agit  pas  d'un  clin  d'oeil  ».  Seulement  il  ne  s'est  pas 
rendu  compte  que  sa  lecture  ritmait  le  vers  en  tétramètre.  11  i  a 
dans  la  même  pièce  deux  vrais  trimètres,  que  l'auteur  ne  cite  pas 
ici,  et  qui  rentrent  bien  dans  les  catégories  que  j'ai  reconnues  : 

Parfois  on  trouve  |  un  vieux  flacon  [  qui  se  souvient... 
Teintés  d'azur,  |  glacés  de  ro  |  se,  lamés  d'or. 

De  même  est  un  tétramètre  à  césure  faible  : 

Ma  douleur,  donne-moi  la  main;  viens    par  ici. 

A 
dont    1  auteur  dit   :  «  La  tonique  de  moi  suspend  le  mouvement      j 

vers  ». 

De  même  : 

Me  bercent.  D'autres  fois,    calme  plat  :  grand  miroir. 

De  même  presque  tous  ceux  qui  sont  cités  aux  pages  39,  46,  48. 
On  voit  d'ailleurs  souvent,  par  les  remarques  qu'il  i  ajoute,  qu'en 
général  M  C.  les  lit  bien,  mais  il  ne  sent  pas  que  sa  lecture  ne  les 
ritme  pas  en  trimètres. 

Quant  au  trimètre  : 

Chacun  plantant,  |  comme  un  outil,  |  son  bec  impur 
Dans  tous  les  coins  saignants  de  cette  pourriture, 

c'est  bien  un  trimètre  rapide,  comme  l'exigent  le  ritme  et  l'idée,  quoi 
qu'en  dise  M.  C. 

Enfin  les  deux  trimètres  : 

Quand  tu  vas  |  balayant  l'air  |  de  ta  jupe  large, 

Tu  fais  l'eÛet  |  d'un  beau  vaisseau  |  qui  prend  le  large, 

ils  sont  suivis  d'un  octosillabe  coupé  de  la  même  manière  : 

Chargé   de  toile,  |  va  roulant 

qui  indique  bien  quelle  est  l'allure  de  leur  ritme,  et  il  n'a  jamais  été 
établi,  à  ma  connaissance,  que  le  vers  léger  qu'on  appelle  l'octosil- 
labe  à  deux  mesures  ait  un  ritme  lent. 


174  COMPTES    RENDUS. 

L'aulre  cause  de  notre  désaccord,  c'est  que  la  plupart  des  vers 
de  Baudelaire  qui  n'ont  pas  de  coupe  à  l'émistiche  sont  tout  simple- 
ment des  vers  prosaïques,  comme  le  reconnaît  M.  C.  C'est  donc  un 
abus  de  leur  donner  le  nom  de  ternaires,  et  en  tout  cas  il  va  de  soi 
qu'ils  ne  sauraient  en  rien  être  comparés  aux  ternaires  que  nous 
avons  étudiés  surtout  dans  Victor  Hugo,  où  ils  ne  visent  certes  pas 
à  un  effet  prosaïque,  mais  à  un  effet  autement  poétique. 

Reste  la  question  de  l'armonie,  qui  a  déjà  donné  lieu  à  bien  des 
malentendus.  M.  Cassagne  reconnaît  que  j'ai  émis  sur  l'armonie  du 
vers  français  une  téorie  «  sans  précédent  ».  Puisque  je  faisais  quel- 
que chose  de  neuf,  j'avais  bien  le  droit  de  lui  donner  le  nom  qui  me 
convenait,  du  moment  que  ce  nom  n'avaitpas  déjà  un  emploi  précis, 
et  j'avais  également  le  droit  de  définir  ce  nom  conformément  à  l'em- 
ploi que  j'en  voulais  faire.  J'ai  limité  ce  nom  d'armonie  au  jeu  des 
voyelles,  et  selon  M.  C.  (p.  74-75)  «  il  paraît  exact  que  la  modulation 
des  voyelles  est  une  condition  essentielle  de  l'harmonie.  Même  il 
semble  bien  qu'elle  en  soit  l'élément  principal  ».  Nous  sommes  donc 
bien  près  d'être  d'accord  ;  mais  M.  C.  s'empresse  d'ajouter  que  les 
onsonnes  contribuent  aussi  à  l'effet  agréable  ou  désagréable  qu'un 
vers  produit  sur  notre  oreille.  C'est  bien  mon  avis,  et  même  je  ne 
crois  pas  que  personne  l'ait  dit  avec  plus  d'insistance  ni  montré  avec 
plus  de  précision  que  moi  ;  mais  j'ai  indiqué  qu'il  i  avait  là  deux 
ordres  defènomènes  distincts  et  j'ai  fait  voir  pourquoi  je  limitais  le 
nom  d'armonie  au  jeu  vocalique.  M.  C.  veut  réunir  la  modulation  des 
voyelles  avec  l'effet  produit  par  les  consonnes.  C'est  une  autre 
téorie  ;  qu'il  l'expose  et  nous  la  discuterons. 

Il  ne  parait  d'ailleurs  pas  avoir  saisi  le  détail  de  la  mienne.  D'après 
moi,  dit- il,  un  vers  comme  celui-ci,  qui  a  «  une  harmonie  char- 
mante »,  serait  «  inharmonieux  »  : 

Mais  le  vert  paradis  des  amours  enfantines. 

Je  n'ai  jamais  rien  dit  de  tel.  L'armonie  de  ce  vers  est  tellement 
facile  à  saisir  qu'elle  ne  peut  échapper  à  aucune  oreille  délicate  ; 
seulement  ce  n'est  pas  le  maximum  possible  d'armonie.  C'est  une 
armonie  du  second  degré  ;  j'ai  cité  de  très  nombreux  exemples  sem- 
blables. Continuant  sa  discussion,  l'auteur  déclare  que  si  Baudelaire 
avait  écrit  : 

Donc  le  vert  paradis   des  amours   enfantines, 

ce  vers  aurait  eu,  selon  ma  téorie,  toute  l'armonie  désirable.  En 
introduisant  dans  ce  vers  un  mot  choquant,  il  me  fait  un  prêt  que  je 
n'avais  pas  sollicité.  S'il  avait  dit  simplement  : 


COMPTES    RENDIS.  175 

Dan*  le  vert  paradis   des  amours   enfantines, 

il  aurait  certainement  remarqué    que  l'armonie  de  ce  vers  ne  dimi- 
nuait pas  et  que  même  elle  augmentait  d'un  degré. 

Maurice  Gkammokt. 

R.    de   Souza.    —  Où    nous  en  sommes,    la  victoire    du    silence, 
Parts,  Floury,  1906. 

C'est  un  plaidoyer  en  faveur  des  simbolistes.  On  a  dit  qu'ils  étaient 
enterrés  ;  M.  de  Souza  s'élève  avec  énergie  contre  cette  affirmation. 
Ils  n'ont  jamais  été  si  vivants;  mais  ils  travaillent  en  silence.  Ils 
ne  publient  pas;  mais  leurs  cartons  sont  pleins.  Ce  qu'ils  ont  publié 
en  20  ans  est  plus  considérable  que  tout  ce  qui  a  paru  eu  fait  de 
poésie  pendant  n'importe  quelle  période  égale  du  XIXe  siècle. 
Comme  quantité,  c'est  possible.  Au  surplus,  ajoute-t-il,  ce  que  nous 
connaissons  d'eux,  n'est  qu'un  tâtonnement,  une  fase  préparatoiie  ; 
la  grande  période  va  venir  et  les  grandes  œuvres.  Nous  ne  deman- 
dons pas  mieux.  En  ce  qui  me  concerne,  je  ne  m'occupe  pas  de 
savoir  s'il  i  a  des  écoles;  je  considère  les  œuvres,  sans  demander 
au  préalable  d'où  elles  viennent.  Qu'on  nous  donne  seulement  l'équi- 
valent de  La  Légende  des  slèclrs  ou  des  Nuits,  et  je  me  déclarerai 
largement  satisfait. 

Je  croyais  avoir  rendu  justice  aux  simbolistes  et  autres,  en  disant 
dans  mon  Vers  français  que  ces  écoles  avaient  rempli  une  période 
de  transition,  et  en  consacrant  un  certain  nombre  de  pages  à  étu- 
dier avec  soin  plusieurs  de  leurs  œuvres.  Mais  j'ai  commis  le  crime 
de  les  appeler  parfois  «  décadents  »  ;  je  ne  pensais  pas  que  cette 
étiquette,  que  certains  d'entre  eux  se  sont  appliquée  à  eux-mêmes, 
pût  être  considérée  comme  une  injure,  ni  même  comme  un  jugement. 
Il  est  vrai  que  j'ai  dit  aussi  de  telle  de  leurs  œuvres  qu'elle  est '«  mal 
écrite  »,  ce  qui  soulève  l'indignation  de  M.  de  Souza.  Etait-il  néces- 
saire de  préciser  ?  Dans  son  livre  Où  nous  en  sommes,  l'auteur  ne 
donne  qu'une  de  leurs  pièces  in  extenso  ;  c'est  dans  une  note  où  il 
cite  une  page  de  M,  Dorchain  qui  compare  «  deux  chants  funèbres 
sur  la  mort  d'un  poète  »,  l'un  de  Viélé-Griffin,  l'autre  de  Victor 
Hugo,  pour  faire  sentir  combien  la  comparaison  est  écrasante  pour 
le  premier.  L'épreuve  n'est  pas  favorable  ;i  la  tèse  de  M.  Dorchain, 
car  la  pièce  de  Viélé-Griffin  est  émue  et  renferme  un  sentiment 
vrai  ;  le  fragment  de  V.  Hugo  n'en  contient  aucun  :  ce  ne  sont  que 
des  mots,  et  dont  le  choix  est  loin  d'être  toujours  eureux.  Cet 
ommage  rendu,  je  note,  entre  autres,  le  dernier  vers  de  Viélé- 
Griffin  : 

Et  de  parler  des  mots  —  contre  ta  tombe. 


176  COMPTE?    REND!'?. 

(le  n'est  pas  français.  C'està  des  passages  de  ce  genre  que  je  fai- 
sais allusion.  Faites  dos  siinboles  tant  que  voudrez,  mais  ne  parlez 
pas  des  mots,  parlez  français. 

Depuis  quelque  temps  M.  de  Souza  s'est  mis  à  faire  de  la  foné- 
tiqiie  expérimentale,  étude  éminemment  utile  pour  un  poète.  11  ia 
trouvé  jusqu'à  présent,  à  ma  connaissance,  la  matière  de  deux 
articles  publiés  dans  La  Phalange.  Le  premier,  paru  dans  le  n°  du 
20  août  1900,  est  intitulé  :  La  réforme  de  l'orthographe  :  sa  vanité. 
Comme  je  ne  veux  pas  reprendre  eu  détail  pour  le  moment  cette 
question  sur  laquelle  j'ai  déjà  beaucoup  écrit  (en  dernier  lieu  dans 
cette  Revue,  t.  XLIX,  p.  537),  je  me  borne  à  indiquer  ici  en  quelques 
mots  les  idées  de  M.  de  Souza.  Ayant  reconnu  que  ceux  qui  veulent 
remplacer  l'ortografe  usuelle  par  une  écriture  fonétique  poursuivent 
une  chimère,  comme  c'est,  je  pense,  l'avis  de  toutes  les  personnes 
qui  connaissent  la  question,  il  en  conclut  que  toute  réforme  est 
impossible.  Cette  conclusion  dépasse  les  prémisses.  Si  cette  réforme- 
là  est  insoutenable,  d'autres  sont  peut-être  admissibles.  Il  est  vrai 
qu'il  leur  oppose  d'autres  arguments.  C'est  d'abord  que  les  divers 
réformistes  ne  sont  pas  d'accord  sur  la  nature  ni  sur  l'étendue  de  la 
réforme  à  opérer.  Si  l'on  écartait  ceux  d'entre  eux,  et  ils  sont  aisé- 
ment reconnaissables,  qui  n'ont  vu  dans  la  question  de  l'ortografe 
qu'une  occasion  de  réclame  personnelle  et  une  grosse  caisse  de  plus 
à  battre  en  leur  faveur,  il  serait  sans  doute  bien  facile  aux  autres  de 
s'entendre.  Un  autre  argument,  c'est  que  depuis  un  siècle  notre 
ortografe,  jusqu'alors  instable,  s'est  cristallisée  ;  l'organisation  admi- 
nistrative et  scolaire  du  XIXe  siècle  l'a  rendue  immuable.  Une 
réforme  bouleverserait  tout.  On  a  réformé  l'ortografe  eu  Espagne, 
en  Allemagne  et  dans  d'autres  pays  ;  cela  n'a  rien  bouleversé.  En 
France  on  a  remplacé  en  1878  rhylhme  par  rythme,  dijjldhongue  par 
diphtongue,  etc.  ;  cela  n'a  rien  bouleversé.  Il  suffit  de  ne  pas  faire 
une  réforme  qui  soit  un  bouleversement  ni  qui  soit  facultative.  Pas 
de  dogme,  mais  aussi  pas  d'anarchie. 

Pour  ma  part  je  m'en  tiens  à  ce  que  j'ai  toujours  proposé,  non  pas 
une  réforme,  mais  une  simplification.  J'ai  montré  comment  cette  sim- 
plification devait  être  modérée  et  progressive,  et  qu'elle  devait  être 
non  pas  capricieuse  et  arbitraire,  mais  absolue,  c'est-à-dire  porter 
sur  des  sons  et  leur  représentation,  non  pas  sur  des  mots.  Ce  ne 
serait  pas  un  bouleversement,  mais  un  simple  redressement. 

L'autre  article  est  intitulé  :  Comment  nos  maîtres  connaissent  et 
enseignent  les  sons  du  français  (La  Phalange,  n°  du  20  septembre 
1909).  L'auteur    relève    les  inepties    qui  sont  enseignées  aujourdui 


COMPTES    RENDUS.  177 

dans  nos  grammaires  classiques  sur  les  sons  du  français,  et  s'élève 
avec  indignation  contre  un  pareil  enseignement,  alors  que  celui  de 
la  grammaire  de  Port-Royal  était  infiniment  plus  près  de  la  vérité, 
bien  qu'on  dispose  aujourdui  de  moyens  d'étude  et  de  contrôle,  en 
particulier  la  fonétique  expérimentale,  qui  étaient  inconnus  aupa- 
ravant. 

Ici  j'applaudis  des  deux  mains.  J'ai  un  fils  qui  va  au  licée,  et  je 
dois  déclarer  que  les  livres  dont  il  est  tenu  de  se  servir  pour  l'étude 
des  langues  me  causent  un  véritable  écœurement.  Si  M.  de  Souz  i 
éprouve  quelque  plaisir  à  relever  des  erreurs  et  des  absurdités  dans 
les  livres  de  classes,  je  puis  lui  en  offrir  desmonceaux.  Je  ne  veux  lui 
signaler  pour  cette  fois  que  des  grammaires  et  lexiques  latins.  Les 
grammaires  en  question  sont  signées  :  a  Othon  Riemann,  maître 
de  conférences  à  l'Ecole  normale  supérieure,  et  Henri  Gœlzer,  pro- 
fesseur à  la  Faculté  des  lettres  de  l'Université  de  Paris  ».  Je  dois 
dire  à  M.  de  Souza,  qui  l'ignore  certainement,  que  Riemann  est  mort 
il  i  a  environ  20  ans,  et  qu'il  est  incroyable  combien  de  livres  au- 
dessous  de  toute  valeur  ont  été  faits  depuis  cette  époque  en  collabo- 
ration avec  son  cadavre.  Ces  ouvrages  sont  quelque  chose  d'éton- 
nant pour  quiconque  sait  un  peu  de  latin,  et  Riemann,  qui  en  savait, 
aurait  certainement  refusé  d'en  signer  aucun. 

Le  lexique  est  signé  :  E.  Sommer  ;  il  a  été  «  revu  et  augmenté  par 
Emile  Châtelain,  membre  de  l'Institut,  directeur  adjoint  à  l'Ecole 
pratique  des  hautes  études,  chargé  de  cours  à  la  Faculté  des  lettres 
de  Paris  ».  C'est  un  lexique  «  à  l'usage  des  classes  élémentaires  »  ; 
or  si  vous  i  cherchez  un  verbe,  il  sera  bien  rare  que  vous  ne  trouviez 
pas  d'abord,  sans  que  rien  vous  en  avertisse,  une  demi-douzaine  de 
sens  prétendus  primitifs,  dont  uu  bon  nombre  ne  reposent  que  sui- 
des bévues  ;  quant  aux  sens  usuels,  qui  sont  seuls  utiles  pour  qui 
traduit  un  texte,  et  qui  en  tout  cas  dans  un  lexique  devraient  figurer 
en  tête  de  l'article,  ils  sont  noyés  au  milieu  ou  à  la  lin,  lorsqu'ils  s"i 
trouvent  ;  si  par  asard  il  i  a  des  exemples,  ils  sont  naturellement 
choisis  de  manière  à  ne  fournir  aucune  indication.  Et  on  s'étonne 
que  le  niveau  des  études  baisse  ! 

Maurice  Grammont. 


A.  Spire.  —  Versets  :  Et  vous  riez,  —  Poèmes  juifs.  Paris, 
Mercure  de  France,  19U8  [220  p.] 

Le  31  décembre  1905  paraissait  un  Cahier  de  la  quinzaine  conte- 
nant des  poésies  de  M.  Spire  intitulées  :  «  Et  vous  liez  !  »  et  pré- 
cédées d'un  article  préliminaire  de  M.  Ch.  Péguy.  Quand  j'eus  lu  ce 
dernier,  je    me  mis  à  rire  de  cette  composition    bizarre    qui    mêlait 


178  COMPTES    RENDUS. 

Louis  de  Gonzague  à  des  souaits  de  bonne  année  et  à  la  fonétique 
expérimentale.  Je  répondais  ainsi  au  titre  général  du  Cahier  et 
m'attendais  à  trouver  dans  les  poésies  qui  suivaient  des  œuvres  con- 
çues dans  le  même  goût.  Je  fus  vite  détrompé,  et  j'en  conçus  pres- 
que de  l'irritation  contre  M.  Péguy  ;  franchement  il  ne  devrait  pas 
être  permis  de  placer  une  introduction  aussi  baroque  en  tête  d'une 
œuvre  qui  est  véritablement  sérieuse  et  sincère,  surtout  lorsqu'on  la 
juge  telle. 

Dans  Versets,  nous  retrouvons  les  poésies  de  :  Et  vous  riez  ! 
augmentées  de  quelques  pièces  et  suivies  de  Poèmes  juifs.  Les 
misères  umaines  et  sociales  sont  le  tème  favori  de  l'auteur  ;  il  le 
développe  avec  amour,  ou  plutôt  avec  amertume.  Il  trouve  qu'il  n'i 
a  pas  de  quoi  rire,  et  c'est  apparemment  l'opinion  de  chacun  ;  seu- 
lement la  plupart,  et  je  suis  de  ceux-là,  pensent  que  la  vie  n'est  pas 
déjà  si  gaie  en  général  qu'on  doive  en  assombrir  tous  les 
moments  par  le  spectacle  ou  le  souvenir  constant  des  orreurs  qui 
l'accompagnent  ou  la  suivent. 

Ta  gorge,  noblesse  de  ta  chair, 
Va  s'écrouler  eu  boue  gluante, 

dit-il  à  sa  maîtresse  dans  Chant  funéraire.  Nous  savons  cela,  et 
Baudelaire,  dont  M.  Spire  est  imprégné,  nous  a  abitués  à  ce  genre 
de  développements  putrides  ;  mais  ce  n'est  pas  là  que  nous  trouvons 
sa  poésie  la  plus  sereine  et  la  plus  aute.  D'autre  part  je  dois  avouer 
que  les  idées  filosophiques  et  sociales  mises  en  vers  ont  une  ten- 
dance presque  irrésistible  à  évoquer  en  moi  le  souvenir  de  la  géo- 
métrie mise  en  musique.  11  i  a  pourtant  fréquemment  de  la  poésie 
dans  l'œuvre  de  M.  Spire,  parfois  même  de  la  poésie  gracieuse  : 

J'ai  cueilli  cette  branche  de  saule  fleurie, 
Près  du  fleuve  ivre  encore  des  orages  de  mars. 
Longtemps  je  l'ai  portée  à  travers  la  campagne; 
Et  ses  chatons  de  soie  me  chatouillaient  les  tempe3, 
Comme  les  frisons  fous  de  tes  tempes  dorées  ; 
Et  ses  chatons  poudrés,  me  caressant  la  bouche, 
Remplissaient  l'air  sucré  d'un  parfum  chaud,  pareil 
A   l'odeur  de  ton  corps  lorsque  tu  sors  du  bain. 

Je  signale  aussi  dans  le  même  genre  la  pièce  :  Tu  seras  une 
ride,  qui  figure  à  la  p.  44  du  Cahier,  mais  que  je  ne  retrouve  pas 
dans  Versets.  A  la  poésie  se  joint  de  l'énergie  dans  Au  peuple,  de 
la  vigueur  et  du  mouvement  dans  Ah!  f  aimerais  aimer,  pièce  que 
je  ne  retrouve  pas  non  plus  dans  Versets. 

En  ce  qui  concerne  la  forme,  je   noterai  d'abord   que   nombre  de 


COMPTES    RENDUS.  179 

vers  sont  parfaitement  justes  comme  note    et    tirent    une  expression 
intense  des   sons  qui  les  composent.  Tels  ceux-ci  de  Au  Musée: 

Viens  !  et  dis-moi  quel  chagrin 

Tenait  tes  doigts  crispés  entre  tes  lèvres  tristes? 

Telle   encore  la   première   strofe  de  :   Oh  !  ri  inventons  plus  de  sys- 
tèmes,  qui  peint  la  sollicitude  et  la  légèreté. 

Mais  la  question  la  plus  importante  ici  au  point  de  vue  versifica- 
tion, est  le  ritme.  C'est  en  effet  à  des  vers  ritmés,  non  à  des  vers 
sillabés,  que  nous  avons  affaire.  A  vrai  dire  la  différence  est  sou- 
vent minime  ou  nulle  extérieurement,  comme  on  a  pu  s'en  convain- 
cre par  la  petite  pièce  citée  plus  aut  («  J'ai  cueilli...  »),  où  6  vers 
sur  8  peuvent  être  considérés  comme  des  vers  blancs  du  mode  clas- 
sique. Pour  tirer  des  passages  analogues  du  livre  de  M.  Spire,  on 
n'a  que  l'embarras  du  choix.  Mais  ces  pseudo-alexandrins  n'ont  de 
commun  que  le  ritme  avec  les  alexandrins  classiques.  La  lecture  qui 
leur  convient  les  en  distingue  souvent  d'une  manière  fondamentale. 
Si  bien  que  deux  vers  consécutifs,  dont  l'un  a  deux  ou  plusieurs 
sillables  de  moins  que  l'autre,  peuvent  être  égaux  et  semblables, 
parce  qu'ils  ont  le  même  nombre  d'éléments  ritmiques  et  sont  ritmés 
pareillement.  A  ceux  qui  prétendent  encore  que  le  français  n'est  pas 
capable  de  vers  purement  ritmiques,  le  livre  de  M.  Spire  répond 
trionfalement. 

Ce  n'est  pas  que  j'i  approuve  tout  sans  réserve,  tant  s'en  faut. 
Les  poésies  dt  ce  livre  sont  généralement  bien  ritmées,  telle  par 
exemple  Un  militant;  mais  en  réalité  cette  pièce  est  de  la  prose. 
Sans  doute  ces  petites  lignes  rendent  le  ritme  plus  sensible  aux 
ieux  ;  mais  elles  n'existent  pas  pour  celui  qui  entend  réciter  le  mor- 
ceau, et  pour  celui  qui  sait  lire  il  n'i  avait  aucun  inconvénient  à 
écrire  tout  cela  bout  à  bout.  La  mise  à  la  ligne  a  certainement  en 
maint  endroit  fait  illusion  à  l'auteur.  Ainsi  dans  Au  peuple,  il  n'i 
a  pas  de  différence  entre  : 

Chante*lui  son  travail, 
Et  chante-lui  ses  jeux  ; 
Chante-lui  ses  cortèges  et  ses  foules  mystiques, 

comme  il  écrit,  et  la  même  chose  en  deux  lignes.  Pour  que  les  deux 
petits  vers  soient  distincts,  il  est  nécessaire  qu'ils  soient  assonan- 
ces. C'est  dire  que  le   vers  suivant  : 

Pendant  que  tu  jouais,  pendant  que  tu  dormais, 

présente  le  défaut  tipografique  contraire  ;  il  en  constitue  deux. 


180  COMPTES    REND1 

M.  Spire  a  de  propos  délibéré  renoncé  à  la  rime.  C'est  à  mon 
avis  une  réaction  trop  violente  contre  l'abus  de  la  rime  riche. 
Qu'on  l'abandonne  île  temps  en  temps,  qu'on  la  modère  de  cent 
façons,  je  n'i  vois  rien  à  redire  en  principe  ;  mais  qu'on  se  fasse  une 
loi  de  l'écarter  totalement,  c'est  se  priver  volontairement  de  nombre 
d'effets  qui  peuvent  être  des  plus  délicats  otqui  sont  tout  à  fait  dans 
le  génie  de  notre  langue  On  trouve  quelquefois  dans  son  ouvrage 
des  assonances  isolées,  qui  sont  plutôt  des  rappels  de  sons  que  de 
véritables  assonances.  Mais  il  a  aussi  par  endroits  des  strofes 
assonancées.  dans  Le  Fleuve,  par  exemple,  et  ici  nous  devons  lui 
faire  observer  qu'il  a  eu  tort  de  conserver  l'ancienne  alternance  des 
finales  masculines  et  féminines,  du  moins  en  fondant  cette  distinc- 
tion sur  l'ancien  principe,  qui  est  aujourdui  suranné. 

En  somme  le  livre  de  M.  Spire  est  une  œuvre  louable,  qui  sou- 
lève maintes  questions  importantes  dont  nous  n'avons  pu  ici  qu'ef- 
fleurer quelques-unes. 

Maurice  Grammont. 

E.  Romilly.  —  Vers  l'Effort.   Stances  et  sonnets.   Paris,  Berger- 
Levrmdt,  1909. 

M.  Romilly  est  un  classique.  Son  vers  est  généralement  correct  et 
facile,  et  souvent  même,  ce  qui  dénote  un  ouvrier  déjà  maître  de  son 
instrument,  le  choix  des  expressions  et  des  sons  est  assez  abile  pour 
concourir  artistement  à  l'expression  de  la  pensée.  Tels  sont  ces  vers 
de  Sérénité  : 

Une  plainte  légère,  à  peine  soupirée, 
Comme  un  adieu  d'amour  que  le  cœur  seul  entend, 
Du  monde  langoureux  s'élève  en  tremblotant 
Et  remplit  peu  à  peu  la  montagne  empourprée, 

ou  ceux-ci  de  la  même  pièce  : 

Et  la  terre  et  le  ciel,  dans  un  baiser  suprême... 
A  cette  heure  où  l'on  croit  toucher  la  destinée 
Sur  le  versant  des  nuits  doucement  inclinée, 
Songent  au  lendemain  en  un  doux  abandon. 

Seulement  si  sa  forme  est  d'ordinaire  nette,  ferme,  bien  arrêtée, 
elle  est  trop  régulière,  trop  uniforme,  trop  classique  même.  Pour- 
quoi ne  pas  profiter  au  moins  des  moyens  ritmiques  mis  en  œuvre 
par  les  romantiques  ?  Une  ou  deux  fois  seulement  M  .  Romilly  a 
tenté  de  mettre  la  sintaxe  en  discordance  avec  le  ritme;  le  résultat 
n'a  pas  toujours  été  eureux.  Qu'il  écrive  dans  Pierrot  : 


COMPTES    RENDUS.  181 

Pierrot 

Rentre  dans  sa  mansarde,  et  Madame  la  Lune 
Qui  passait  sur  le  toit,  voyant  sa  tête  à  l'une 
Des  lucarnes,  lui  dit  eu  soufflant  son  falot, 

nous  n'avons  rien  à  i  redire  puisque  la  pièce  est  toute  entière  d'un 
ton  badin-,  mais  le  même  procédé  est  absolument  choquant  dans  un 
sonnet  d'un  ton  élevé  comme  Nessus  : 

Le  Centaure  isolé  ne  sait  au  monde  qu'un 
Héros  prodigieux  qui  de  tous  points  le  vaille. 

Les  rimes  riches  sont  pour  l'auteur  un  souci  trop  constant.  Elles 
deviennent  vite  pour  le  lecteur  une  fatigue,  pour  le  poète  une 
source  de  lourdeur,  de  monotonie  et  de  pauvreté.  La  rime  riche  n'a 
pas  de  raison  d'être  quand  l'idée  ne  la  demande  pas,  et  d'un  autre 
côté  la  recherche  de  la  rime  riche  réduit  singulièrement  le  vocabu- 
laire qui  peut  figurer  en  fin  de  vers  eti  amène  trop  souvent  des  mots 
de  même  catégorie  grammaticale,  surtout  des  adjectifs.  Au  surplus 
il  i  a  trop  d'adjectifs  dans  les  poésies  de  M.  Romilly,  non  seulement 
à  la  rime,  mais  aussi  dans  l'intérieur  des  vers;  une  épitète  de  plus 
n'est  pas  toujours  un  gain  pour  la  pensée.  Qu'il  i  prenne  garde, 
l'abus  de  la  rime  riche  n'est  pas  le  seul  défaut  qu'on  puisse  relever 
dans  ses  rimes;  lui  qui  a  un  sens  assez  juste  de  la  valeur  expressive 
des  sons  doit  faire  attention  aussi  à  la  note  de  ses  rimes,  et  ne  pas 
nous  donner  quand  l'idée  ne  l'exige  pas,  comme  dans  L'au-delà, 
8  vers  de  suite  dont  les  rimes  en  a  éclatent  comme  la  trompette  du 
jugement  dernier. 

Mais  ce  livre  parait  être  un  début,  et  comme  tel  il  donne  des 
espérances;  seulement  nous  voudrions  voir  M.  Romilly  assouplir  et 
varier  sa  versification,  et  renoncer  au  sonnet  et  à  ses  petites  règles 
mécaniques  qui  ne  permettent  pas  à  la  pensée  de  prendre  son  essor 
et  de  se  déployer  librement. 

Maurice  Grammont. 


J.  Rouojat.  —  L'ourtougràfi  prouvençalo.  Pichot  tratat   a  l'usage 
di  prouvençau,  Avlgnoun,  1908  [28  p.,  1  fr.]. 

«  Forço  bràvi  gènt  d'en  Prouvènço,  dit  l'auteur,  amon  sa  lengo  e 
la  parlon  de-longo,  mai  auson  pas  l'escriéure,  crente  de  s'embrounca 
sus  l'ourtougràfi  ».  Tel  est  le  public  qu'a  en  vue  M.  Ronjat,  et 
naturellement  l'ortografe  qu'il  lui  propose  n'a  pas  la  prétention 
d'être  scientifique,  mais  pratique.  Du  reste  ce  n'est  pas  une  ortografe 
nouvelle;  «  lou  sistèmo  d'escrituro  qu'ai  assaja  de  n'en    resumi  cla- 

13 


182 


I  OMPTES    RENDUS. 


ramen  lis  idoîo  endraiarello  es  aqué»  qu'es  segui  despièi  mié-siècle 
dins  tôuti  li  publicacioan  felibrenco  ».  C'est  l'ortografe  des  félibres, 
mais  elle  n'avait  jamais  été  '-xposée  d'une  manière  si  nette,  si  précise, 
si  pratique. 

M.  G. 


J.  RoDjat.  —  Les  noms  de  lieux  dans  les   montagnes  françaises 
(La  Montagne,  1908,  p.  318  et  354). 

Il  i  a  beaucoup  de  personnes  en  France  que  l'origine  et  l'étimo- 
logie  des  noms  de  lieux  intéressent  particulièrement;  il  en  est 
même  un  certain  nombre  qui  consacrent  la  meilleure  partie  de  leurs 
loisirs  à  faire  des  recherches  sur  ce  sujet.  Maleureusement  leurs 
efforts  n'aboutissent  le  plus  souvent  qu'à  des  résultats  sans  valeur, 
faute  d'une  éducation  scientifique  préalable,  faute  d'une  métode  de 
travail  correcte,  faute  de  principes  directeurs. 

C'est  à  tous  ces  amateurs,  à  toutes  ces  bonnes  volontés  que  s'adresse 
M.'-Ronjat  pour  les  empêcher  de  s'égarer  en  des  spéculations  vaines 
ou  de  se  laisser  prendre  à  des  ressemblances  fortuites  et  pour  les 
aiguiller  sur  la  bonne  voie.  C'est-à-dire  qu'il  expose  la  métode  que 
l'on  doit  suivre  dans  les  recherches  d'onomastique,  telle  qu'elle  a  été 
établie  par  les  travaux  scientifiques  des  40  dernières  années.  En 
voici  les  grands  principes  (p.  321-322)  : 

«  1°  Dans  l'explication  d'un  mot  quelconque,  par  conséquent 
»  aussi  d'un  nom  de  lieu,  il  faut  tenir  compte  non-seulement  de  sa 
»  forme  actuelle,  mais  de  toutes  les  formes  attestées  par  les  docu- 
»  ments,  pour  essayer  d'atteindre  la  forme  première  dont  toutes 
»  dérivent  graduellement,  et  remonter  de  la  plus  récente  à  la  plus 
»  ancienne  ; 

»  2°  Comme  tous  les  noms  de  lieux  antérieurs  au  moyen  âge, 
»  qu'ils  viennent  du  celtique  ou  du  germanique,  sont  entrés  dans 
»  le  moule  latin  pour  suivre  l'évolution  qui  amena  le  latin  aux  lan- 
»  gués  néo-latines,  c'est  par  les  règles  du  dialecte  auquel  appartient 
»  le  nom  étudié  qu'il  faut  expliquer,  ses  transformations  phonétiques; 

»  3°  En  ce  qui  concerne  les  noms  d'origine  celtique,  on  n'a  le 
»  droit  de  présumer  leur  base  celtique  qu'autant  que  cette  base  est 
»  authentiquement  connue  comme  celtique.  » 

Mais  M.  Ronjat  n'a  garde  de  s'en  tenir  à  des  formules  générales 
et  abstraites.  Il  passe  bien  vite  à  l'étude  des  faits,  c'est-à-dire  des 
exemples,  et  montre  comment  la  métode  s'i  applique  dans  le  détail. 
Les  exemples  sont  [iris  un  peu  partout,  mais  le  choix  en-  est  tou- 
jours judicieux  ;  quelques-uns  sont  nouveaux  et  reposent  sur  les 
recherches  personnelles  de  l'auteur. 


COMPTES    RENDUS.  183 

Ces  deux  articles  sont  destinés  à  servir  de  guide  à  ceux  qui  ne 
savent  pas,  mais  ils  peuvent  être  lus  avec  fruit  même  par  ceux  qui 
savent. 

Maurice  Grammont. 


E.   Belloc.  —  Déformations  des   noms  de   lieux  pyrénéens,    Paris, 
1907  (Extrait  du  Bulletin  de  giographie  historique  et  descriptive). 

Considérant  combien  l'ortografe  officielle,  celle  des  cartes,  des 
traités  de  géografie,  des  descriptions  topografiques,  a  déformé  les 
noms  de  lieux  pirénéens,  les  rendant  souvent  méconnaissables  et 
parfois  ridicules,  M.  Belloc  s'est  proposé  de  retrouver  la  forme  et 
l'ortografe  correctes  et  d'offrir  ainsi  une  base  sérieuse  aux  publications 
officielles  de  l'avenir.  Le  but  est  louable  et  l'article  fourmille  de 
renseignements  et  de  rectifications  utiles. 

Mais  la  métode  cloche  singulièrement.  Il  faut  «  rechercher,  avant 
tout,  dit  l'auteur,  la  véritable  signification  du  nom  de  lieu  considéré. 
C'est  la  condition  primordiale,  de  laquelle  dépend  exclusivement  le 
résultat  final  ».  Et  si  on  ne  trouve  pas  cette  véritable  signification?  Car 
M.  Ronjat  a  parfaitement  montré  qu'on  ne  peut  pas  toujours  arriver 
à  une  étimologie  certaine  et  que  dans  ces  conditions  un  doute 
motivé  est  la  seule  conclusion  scientifique. 

En  second  lieu  on  doit  «  vérifier  sur  place  avec  grand  soin  si  la 
dénomination  locale  est  justifiée  par  les  faits  ».  Et  si  elle  ne  l'est 
pas  ?  S'il  est  intervenu  quelque  agent  transformateur,  tel  que  étimo- 
logie populaire,  calembour,  antifrase? 

Enfin  il  faut  «comparer  les  différentes  formes  orthographiques  ayant 
pu  affecter  le  nom  primitif  (dans  les  anciens  textes)  afin  de  tâcher 
de  dégager  le  primitif  des  transformations  ou  corrections  qu'il  a  pu 
subir  aux  cours  des  siècles  ».  Et  l'évolution  de  la  langue?  Si  l'on 
remplace  les  noms  actuels  par  la  forme  qu'ils  présentaient  il  i  a  dix 
ou  quinze  siècles,  qui  est-ce  qui  les  reconnaîtra  ? 

La  question  est  beaucoup  plus  simple;  il  s'agit  tout  bonnement 
de  restituer  la  vraie  forme  locale  lorsqu'elle  a  été  déformée  officielle- 
ment C'est  à-dire  que  s'il  i  a  dans  les  Basses-Pirénées  un  col  que 
les  gens  du  pays  appellent  Col  d'arrious  (p.  108),  alors  que  les 
cartes  le  nomment  Col  de  Darius,  il  n'i  a  pas  à  ésiter  une  minute 
pour  substituer  la  première  dénomination  à  la  seconde.  Mais  là  où 
les  indigènes  disent  Moun-Né  (p .  72  et  75),  il  ne  faut  pas  écrire 
Mount-Né,  parce  que  c'est  induire  en  erreur  et  engager  à  faire 
revivre  dans  la  prononciation  le  /  que  le  parler  local  a  depuis  long- 
temps supprimé  ;  il  ne  faut  pas  non  plus  traduire  en  français  (!) 
Mont-Nègre,  parce  que  nègre  n'est  que  l'équivalent  provenço-langue- 


184  COMPTES    RENDUS. 

docien  de  français  noir.  11  ne  faut  pas  simplifier  IV  des  Lacs  cVArrc- 
mouliis  (p.  21),  parce  qu'en  béarnais  le  double?-  se  prononce  tout 
autrement  que  IV  simple,  ni  déclarer  que  «  In  sillabe  initiale  ar  n'est 
qu'un  explétif  que  les  méridionaux  accolent  volontiers  aux  noms 
impliquant  une  idée  de  mouvement,  on,  pour  mieux  dire,  à  ce  qui 
remue  »  ;  en  réalité  le  béarnais  et  une  partie  du  gascon  ne  tolèrent 
pas  d'r  initial  et  l'ont  partout  transformé  fonétiquement  en  double 
r  précédé  d'une  protèse  vocalique,  même  dans  des  mots  qui  ne 
<<  remuent  »  pas  plus  que  arrouy  «  rouge  »,  arrozo  «  rose  »,  arra- 
zoun  «  raison  ».  Il  ne  faut  pas  remplacer  Tramesaigues  par  Estre- 
mas-aïgues  (p.  98),  parce  que  les  lieux  qui  poi  tent  ce  nom  ne  se  sont 
jamais  appelés  Eslmnas-aïgues,  qu'ils  n'ontjamais  signifié  «  à  côté 
des  eaux  »,  que  estremas  n'a  jamais  voulu  dire  «  à  côté  »  et  que  Estre- 
mas-aïgas  n'est  dans  les  Croniques  romanes  des  comtes  de  Foix  qu'une 
traduction  erronée  et  une  interprétation  maladroite.  Pourquoi  vouloir 
remplacer  par  aridenle  nom  d'un  pic  qui  se  nomme  Ardi dent  parce  que 
M.  Belloc  trouve  que  l'idée  d'u  aride  »  convient  mieux  à  l'aspect  de 
ce  pic  que  celle  de  «  brûlé  »  (c'est  sans  doute  le  sens  de  ardiden)  ; 
mais  M.  Belloc  n'a  pas  pour  mission  de  baptiser  ni  de  débaptiser  les 
montagnes.  Quel  est  leur  vrai  nom  local  et  comment  les  indigènes 
le  prononcent-ils?  Voilà  la  seule  chose  à  rechercher.  11  ne  faut 
donc  pas  dire,  pour  le  nom  du  Pic  de  Crabiéoules,  que  les  indigènes 
prononcent  aussi  «  fautivement  »  ou  «  par  corruption  dialectale  » 
Carabiéoules  ou  Carbiéoules;  les  trois  formes  sont  régulières  dans 
les  parlers  locaux  et  par  conséquent  correctes  ;  la  première  est  la 
plus  usitée,  mais  n'a  pas  qualité  pour  éliminer  les  autres  (Cf.  Mémoi- 
res de  la  Société  de  Linguistique,  XIII,  p.  84).  Lé  Massif  de  la 
Maladetta  ou  mieux  Maladela  est  appelé  par  les  Espagnols  Los 
Montes  Malditos,  et  comme  ce  massif  est  situé  en  Espagne  M.  Belioc 
voudrait  que  l'on  substituât  la  seconde  dénomination  à  la  première. 
Mais  on  ne  parle  pas  castillan  dans  le  Aut-Aragon  ;  comment  ce 
massif  et  son  pic  principal  sont-ils  nommés  par  les  gens  du  pays  ? 
Il  n'est  pas  vraisemblable  que  Maladeta  soit,  comme  le  dit  notre 
auteur,  une  corruption  de  Maldtta  ;  si  Maladeta  est  employé  dans 
la  région,  ce  qui  est  probable,  c'est  un  beau  représentant,  qu'il  faut 
conserver,  d'une  forme  maledïcta,  qui  n'est  pas  sans  intérêt  lin- 
guistique. 

M.  Belloc  veut  à  tout  prix  rectifier  la  forme  des  noms  jusqu'à  ce 
que  leur  signification  apparaisse  clairement.  C'est  un  principe  très 
dangereux.  D'abord  il  peut  arriver  à  l'auteur  de  se  tromper  sur  la 
vraie  signification  d'un  mot,  et  alors  sa  rectification  deviendra  la 
pire  des  déformations.  D'autre  part,  quand  il  n'i  a  pas  d'erreur  d'in- 
terprétation, quel  résultat  obtient-on  en  remplaçant  la  forme  moderne 


COMPTES    RENDUS.  185 

et  vivante  par  une  forme  fossile  et  plus  ou  moins  primitive?  Tout 
simplement  que  lorsqu'on  emploiera  cette  forme  dans  le  pays,  on  ne 
sera  pas  compris.  Quand  M.  Belloc  va  au  restaurant,  est-ce  qu'il 
demande  au  garçon  de  lui  servir  une  «  lameletie  »,  sous  prétexte 
que  c'est  vraisemblablement  la  forme  «  primitive  »  de  «  omelette  » 
et  qu'elle  laisse  bien  transparaître  la  signification  du  mot?  Certai- 
nement non;  parce  qu'il  sait  que  l'inintelligible  «  omelette  »  est  très 
clair  pour  le  garçon,  tandis  que  le  translucide  «  lamelette  »  ne 
signifie  rien. 

Il  ia  dans  les  Autes-Pirénées  une  Brèche  Maublc  ou  mieux  Maou- 
Bic,  que  M.  B.  veut  appeler  l'as  d"el  Mâou-Pic,  sous  prétexte 
(pie  la  signification  est  «  brèche  du  mauvais-pic  ».  C'est  torturer  la 
langue  que  de  rétablir  le  P  de  Pic  dans  un  parler  où  il  devient 
régulièrement  B  après  voyelle.  Quanta  l'article,  sa  suppression  est 
toute  naturelle  devant  un  nom  propre  ou  considéré  comme  tel  ;  le 
nom  propre  qualifiant  un  nom  commun  fait  fonction  de  génitif, 
même  dans  les  dénominations  modernes  ;  on  dit  la  rue  Gay-Lussac 
et  non  la  rue  de  Gay-Lussac. 

Le  Vignemale  s'appelait  sans  doute  anciennement  La  Pegna- 
Mala  «  la  mauvaise  montagne  »,  et  c'est  ce  nom  que  M.  Belloc  veut 
restituer.  Mais  on  dit  clans  le  pays  Bigna-Male,  comme  il  nous  le 
rapporte  lui-même,  et  cette  forme  est  régulière  après  l'article  fémi- 
nin; Pegna-Mala  n'existe  plus.  Quant  au  b  de  cette  région,  qui 
n'est  pas  occlusif,  sa  transcription  par  v  esc  aussi  juste  que  par  b, 
et  en  somme  Vignemale  est  irréprochable.  Mais  sous  cette  forme, 
nous  dirait  sans  doute  M.  Belloc,  la  plupart  des  personnes  ne  peu- 
vent pas  comprendre  ce  que  ce  mot  signifie  ;  tant  pis  pour  elles.  Je 
ne  crois  pas  d'ailleurs  que  cela  tourmente  beaucoup  de  monde  ;  je 
connais  pour  ma  part  quantité  de  gens  qui  s'appellent  par  exemple 
Jean  ou  Louis,  et  qui  n'ont  jamais  perdu  le  sommeil  parce  que 
l'ignorance  de  la  forme  ébraïque  ou  germanique  de  leur  prénom  les 
empêchait  d'i  voir  clair. 

M.  Belloc  s'irrite  devoir  qu'on  emploie  les  mots  coume  et  coumo 
tantôt  pour  désigner  une  montagne  tantôt  pour  désigner  une  vallée. 
Il  fait  un  grand  étalage  de  fausse  érudition  ethnologique  (p.  45-51) 
«  puisée  aux  sources  les  plus  sûres  »,  telles  que  l'inepte  et  scan- 
daleux Vocabulaire  de  MM.  Laurent  et  Hartmann  (Cf.  RLR.,  XLV, 
p.  182),  pour  montrer  que  coumo  veut  dire  «  montagne  »  et  que 
pour  désigner  une  vallée  il  faut  employer  coumbo  et  imposer  cette 
forme  «  malgré  les  indigènes  ».  C'est  aller  bien  loin  ;  un  pas  de 
plus  et  nous  courrions  dresser  des  bûchers  dans  les  coumes  pour 
ceux  qui  ne  les  appellent  pas  coumbos.  En  réalité  coume  est  le  repré- 
sentant régulier  de  lat.  culmen,  avec  influence  possible  de  cumula, 


186  COMPTES    RENDUS. 

tout  comme  esp.  cumbre,  que  notre  auteur  ne  veut  pas  permettre 
d'en  rapprocher.  Quant  à  coumo  (couma,  pluriel  coumes,  coumos, 
coumas),  c'est  le  représentant  non  moins  régulier  de  comba  dans 
toutes  ces  régions  ou  mb  intervocalique  est  devenu  fonétiquemeut 
m  et  où  coumbo  est  par  conséquent  un  monstre. 

Si  nous  sommes  entré  dans  tous  ces  détails,  c'est  que  nous  esti- 
mons que  les  travaux  du  genre  de  celui-ci  ne  sauraient  trop  être 
encouragés,  parce  qu'ils  présentent  un  double  intérêt,  à  la  fois  pra- 
tique et  scientifique;  mais  nous  avons  voulu  montrer  en  même 
temps  combien  il  est  indispensable  qu'ils  soient  entrepris  avec  une 
métode  rigoureusement  correcte. 

Maurice  Grammont. 

Abbé  J. -M.  Meunier.  —  De  l'utilité  de  la  linguistique  et  de  son 
application  à  la  géographie.  (Extrait  de  la  Revue  du  Nivernais), 
Nevers,  1908. 

Article  de  vulgarisation.  La  linguistique  en  a  besoin,  comme 
toutes  les  sciences  jeunest  qui  ne  se  sont  encore  guère  étendues  au- 
delà  du  cercle  restreint  des  spécialistes.  L'auteur  montre  comment 
par  l'étude  des  noms  de  lieux  la  linguistique  permet  de  déterminer  à 
quel  peuple  ils  remontent  (en  France,  Ligures,  Celtes  Grecs,  Gallo- 
Romains,  Francs,  Normands,  etc.).  et  par  suite  quelle  est  leur  anti- 
quité; d'autre  part  quelle  a  été  l'extension  de  chaque  peuple  et 
l'intensité  de  sa  population  et  de  sa  civilisation;  enfin  quelle  était  la 
place  exacte  de  telle  localité  dont  le  nom  ancien  nous,  est  parvenu. 
Ce  travail  est  correct  et  bien  présenté. 

M.  G. 

Paul  Meyer.  —  Documents  linguistiques  du  Midi  de  la  France, 
Ain,  Basses-Alpes,  Autes-Alpes,  Alpes-Maritimes,  Paris,  Chatn- 
pion,  1909,  grand  in-8°  de  ix-655  p. 

C'est  le  premier  volume  d'une  série  qui  en  comprendra  au  moins  uil, 
pour  une  trentaine  de  départements.  Le  volume  suivant  comprendra 
l'Ardèche,  l'Ariège,  l'Aude  et  peut-être  PAveiron.  Les  documents 
rassemblés  sont  des  documents  publics  de  toute  nature,  délibéra- 
tions communales,  ordonnances  de  police,  comptes,  etc..  et  aussi 
quelques  extraits  de  livres  de  raison.  Ils  datent  en  général  des  XVe 
et  XVIe  siècles,  période  intermédiaire  entre  l'époque  des  actes 
latins  et  celle  des  actes  français;  on  trouve  cependant  çà  et  là  des 
actes  provençaux  antérieurs  (jusqu'au  XIe  siècle)  et  postérieurs 
(jusqu'au  XVIIe). 


COMPTES    REND!  S.  187 

L'intérêt  linguistique  d'une  telle  publication  est  évident  au.  pre- 
mier abord.  Les  textes  collectionnés  donnent  d'autre  part  une  foule 
de  renseignements  intéressants  de  toute  nature,  spécialement  sur 
l'istoire  économique.  L'auteur  les  a  recueillis  avec  le  plus  grand 
soin,  et  ce  n'est  pas  chose  facile,  étant  donné  le  désordre  qui  règne 
dans  beaucoup  d'archives  communales.  Quand  son  ouvrage  sera  ter- 
miné, il  constituera  un  répertoire  éminemment  précieux  pour  l'étude 
istorique  de  la  langue  provençale  entre  les  derniers  troubadours  et 
les  premiers  écrivains  modernes.  Les  provençalistes  auront  d'abon- 
dants échantillons,  bien  choisis  et  bien  commentés,  des  états  inter- 
médiaires  des  parlers  qu'ils  étudient,  échantillons  qu'ils  sont  actuel- 
lement obligés  de  choisir  eux-  mêmes  dans  une  masse  de  publications 
presque  inabordable  par  son  éuormité  même;  j'en  sais  quelque  chose 
par  mon  expérience  personnelle. 

Le  recueil  est  d'un  usage  très  commode,  grâce  aux  glossaires 
placés  à  la  fin  de  chaque  section  départementale;  en  tête  de  chaque 
section  se  trouve  une  carte,  puis  un  résumé  istorique  delà  formation 
du  département  et  quelques  notes  sur  la  littérature  de  ses  parlers 
populaires. 

Le  département  de  l'Allier  manque  à  sa  place  alfabétique,  par 
défaut  de  documents  concernant  sa  partie  provençale  (p.  167).  Par 
contre,  l'Ain  et  les  Basses-Alpes  ont  donné  lieu  à  des  dévelop- 
pements particulièrement  abondants  et  intéressants.  La  partie  du 
recueil  relative  à  l'Ain  est  l'œuvre  de  M.  Philipon;  on  i  trouve  une 
étude  d'ensemble  sur  les  p  irlers  de  la  Bresse  et  de  la  Dombes  du 
XIIIe  au  XVe  siècles  (p.  105  ss.),  du  Bugei  à  la  même  époque  (p. 
139  ss.),  du  pays  de  Gex  (p.  153  ss.),  avec  de  précieuses  indications 
sur  la  littérature  patoise  de  ces  trois  régions  '.  Pour  les  Basses- 
Alpes,  M.  Paul  Meyer  consacre  au  compte  de  Seine  en  1411  une 
monografie  avec  glossaire  spécial  (p.  195  ss.,  222  ss.). 

11  est  impossible  qu'un  recueil  aussi  étendu  soit  exempt  d'erreurs. 
Je  vais  en  signaler  quelques-unes,  à  titre  de  complément  utile  au 
lecteur  plutôt  qu'à  titre  de  critique  d'une  publication  dont  plus  que 
tout  autre  j'apprécie  les  excellentes  qualités  et  qui  m'a  rendu  des 
services  de  tout  premier  ordre  : 

P.  122,  $  68  :  «  Contrairement  à  ce  qui  est  arrivé  partout  ailleurs 
en  roman,  m  initiale  a  persisté  dans  mespler  <^  mespilus  -J-  arium.» 
Le  fait  n'est  pas  spécial  à  la  Bresse  :  presque  toute    la   Gascogne  et 

1  On  peut  seulement  se  demander  si  ce  travail  est  bien  à  sa  place 
dans  un  recueil  de  documents  méridionaux.  Il  faudrait  alors  que  les 
volumes  suivants  comprissent,  outre  le  Midi  proprement  dit,  le  Dau- 
finé,  la  Savoie,  le  Lionnais  et  le  Forez. 


188  COMPTES    RENDUS. 

presque  toute  la  Guienne  conservent  m  :  meaplè,  mespouliè;  v.  le 
Trésor  dôu  Felibrigc  et  V Atlas  linguistique  de  la  France,  carte 
Néflier, 

P.  225,  glossaire,  v°  truie*.  Le  Trésor  a  un  article  truie,  mais  pas 
d'article  trulo. 

P.  301  :  «  Per  cent  cinquanto  teules  pressos  a  mon  companhon  en 
sa  feniero,  »  et  note  3  :  Feniero  signifie  meule  de  foin,  ce  qui  ne 
donne  pas  un  sens  satisfaisant.  »  Mais  le  sens  serait  satisfaisant 
avec  «  grenier  à  foin,  fenil,  »  qui  est  précisément  la  première  accep- 
tion mentionnée  au  Trésor. 

P.  384,  note  7  :  «  La  g achofuo,  »  etc..  Le  mot  est  masculin  en 
provençal,  comme  les  composés  français  analogues  boute- feu, 
garde- feu. 

P.  567,  «  tochdud.  moulin»  et  note  3  :  «  Touc,  dans  les  Alpes,  a 
le  sens  de  <•  conduit,  aqueduc  »  (Mistral,  Dou);  c'est  l'anc.  prov. 
dotz,  anc.  fr.  doit.  »  Je  ne  serai  pas  seul  à  en  douter  fortement. 

P.  635  (glossaire)  :  aissada —  isado,  «  sorte  de  bêche  ou  de  pelle  >>, 
et  p.  589,  note  7  :  «  Eissado  est  proprement  une  oue  (Mistral),  mais 
il  s'agit  plutôt  d'une  sorte  de  pelle  pour  remuer  la  chaux.  »  On  peut 
appeler  cet  instrument  pelle  an  français,  mais  à  coup  sûr  prov. 
aissado  <^  *asciata  désigne  un  outil  dont  le  fer  fait  un  angle  plus  ou 
moins  aigu  avec  le  manche,  comme  dans  Yascia  romaine,  et  l'outil  à 
remuer  la  chaux  a  bien  cette  forme,  et  non  celle  d'une  pelle  ou  d'une 
bêche,  dont  le  fer  et  le  manche  ont  la  même  direction.  Mon  obser- 
vation s'applique  également  aux  deux  autres  passages  où  ce  mot  se 
présente  (p.  507,  509). 

Donnons  pour  terminer  quelques  spécimens  des  renseignements 
qu'on  peut  puiser  dans  ce  recueil  sur  la  fonétique,  la  morfologie  et 
la  sintaxe  de  ce  qu'on  pourrait  appeler  le  moyen  provençal  : 

ou  pour  au  prétonique,  écrit  dès  le  XVe  siècle,  not.  p.  266,  273. 

uvert  <^  hibemu,  avec  u  <?  i  devant  labiale  et  différenciation 
m  >  rt,  écrit  dès  le  XVe  siècle,  not.  à  Digne,  p.  248,  n°  12;  un  peu 
partout,  nombreux  exemples  de  jort  <^  diurnu,  rart  <  carne,  etc.. 

cha  -  <;  lat.  ca  -  au  XIVe  siècle  à  Forcalquier,  où  aujourd'ui 
on  a  ca  -  (p.  337  ss.);  fénomènes    analogues  à  Digne  (p.  2i5  ss.). 

Chute  de  s  douce  rom.  <^  lat.  et  germ.  dintervoc,  lat.  s  intervoc, 
etc..  à  Vence  dès  1392,  not.  p.  520,  n"  3,  gahans  «  gains  », 
cauhas  «choses»;  ailleurs  insertion  d'un  o  pour  détruire  l'iatus 
(v.  aux  glossaires  pauvar,  cauva). 

Article  féminin  za  <;  ipsa  dans  les  serments  de  fidélité  à  l'abbé 
de  Lérins  (XIe  siècle),  p.  499-501. 

Un  peu  partout  article  masculin  dal  «  du  »  assurant  l'explication  du 


COMPTES    RENDIS.  189 

dôu  actuel  par  une  composition  avec^deux  prépositions,  de  -\-  ad  -\- 
illu  >  dal  ]>  dau,  et  en  proclise  dôu,  comme  avant  l'accent  ou  pour 
au  (v.  plus  aut). 

Nombreux  exemples  en  domaine  provençal  (v.  aux  glossaires 
agut,  aver,estre)  et  en  domaine  franco-provençal  (p.  128)  d'inter- 
versions d'auxiliaires  du  tipe  es  agut  «  il  a  été  »  et  de  périfrastiques 
à  double  auxiliaire  comme  p.  ex.  «  après  que  seran  agus  trobas  tais 
avers  »  (Antibes,  1500,  p.  5!5,  n°  19).  Anar  auxiliaire  du  prétérit, 
comme  en  catalan,  dans  uu  texte  de  Briançon  (1495),  ainsi  «  Nonre- 
nieus,  quant  fossen  aribas  a  Grenoble,  nos  van  retirai1  dever  mesieurs 
lo  gênerai  et  trésorier,  los  advertent  de  la  materia,  los  quais  agueron 
gran  plaser  per  so  que  eran  vengus  a  Grenoble  »  (p.  427,  428);  ou 
voit  ici  clairement  comment  cette  tournure  s'est  introduite  en  partant 
d'un  présent  narratif  où  le  verbe  conserve  encore  son  sens  de  mou- 
vement; je  la  crois  du  reste  inusitée  aujourd'hui  à  Briançon. 

Il  faut  toujours  prendre  garde,  comme  M.  Paul  Meyer  le  fait 
observer  à  plusieurs  reprises,  que  la  plupart  des  scribes  sont  plus  ou 
moins  influencés  par  la  tradition  d'une  langue  littéraire  et  adminis- 
trative commune,  de  sorte  qu'ils  ne  notent  pas  toutes  les  particu- 
larités de  l'idiome  local  (il  faut  en  outre  tenir  compte  du  fait  qu'ils 
peuvent  être  originaires  d'une  autre  localité  que  celles  où  ils  exer- 
cent leurs  fonctions),  et  que  la  notation  d'un  trait  linguistique  dans 
leurs  écrits  peut  être  de  beaucoup  postérieure  à  l'apparition  de  ce 
trait  dans  le  langage  parlé. 

Jules  Ronjat. 


Arsène  Vermenouze.    —  Jous    la    Cluchado     (Sous  le  Chaume), 
Aurillac,  imprimerie  moderne,   19o9,  in-8°  de  504  p. 

Ce  nouveau  recueil  de  vers  contient  force  choses  intéressantes  où 
se  retrouvent  les  qualités  caractéristiques  de  l'auteur  de  Flour  de 
Brousso,  qui  vient  d'être  enlevé  prématurément  à  l'affection  de  ses 
nombreux  amis  et  à  l'estime  de  tous  les  lettrés  :  vif  sentiment  delà 
nature,  art  de  poser,  de  camper  vigoureusement  dès  le  début  un  tipe 
du  pays,  ingéniosité  sincère  de  certains  détails,  généreuse  abondance 
du  développement.  11  est  regrettable  que  l'auteur  n'ait  pas  compris 
dans  son  livre  telle  pièce  d'excellente  venue,  comme  A  ma  cigalo, 
que  les  istoriens  de  la  littérature  félibréenne  devront  pêcher  dans  des 
almanacs  ou  des  journaux  peu  accessibles.  Du  moins  i  a-t-il  fait 
figurer  La  Grando  Obro,  le  plus  beau  salut  en  vers  que  Mistral  aie 
jamais  reçu. 


190 


COMPTES    RENDIS. 


Les  écrivains  eu  langue  d'Oc  publiaient  jusqu'ici  leurs  œuvres 
soit  uniquement  dans  leur  langue,  soit  avec  une  traduction  fran- 
çaise en  regard.  Vermenouze  a  inauguré  une  nouvelle  métode  en 
adjoignant  au  texte  auvergnat  et  à  la  traduction  française  une  trans- 
cription ethnologique  (?)  due  à  un  professeur  de  petit  séminaire 
dont  les  élucubratious  [Introduction,  Transcription  etimologiqua  et 
Notes)  ouvrent  des  vues  vraiment  affligeantes  sur  le  niveau  des  études 
dans  l'établissement  où  enseigne  ce  Pécuchet  ecclésiastique.  Ledit 
professeur  a  notamment  inventé,  après  d'autres  Pécuchels  laïques 
dontj'ai  eu  occasion  de  parler  ici  (1905,  p.  477),  qu'il  fallait  écrire 
les  infinitifs  avec  r;  il  restitue  également  n  dans  médecin,  taben, 
etc..  et  même  dans  ensignadoun,  malgré  le  latin  -loriu  et  l'auver- 
gnat  -don,  fém.  -douiro  ou  -douciro;  il  nous  informe  gravement 
que  auvergnato  est  une  forme  secondaire  pour  la  forme  «  régulière  » 
en  -ado,  que  la  diftongue  auvergnate  au  se  prononce  comme  aiv 
dans  l'anglais  drawing,  etc..  etc..  Si  Vermenouze  avait  songé  à 
consulter  quelqu'un  du  métier  avant  de  confier  à  cet  amateur  un 
travail  quelconque,  son  volume  aurait  considérablement  diminué  de 
poids  sans  rien  perdre  en  valeur  intrinsèque,  tout  au  contraire. 

Jules  Ronjat. 


Armand  Praviel.  —  L'Empire  du  Soleil,  scènes  et  portraits  féli- 
bréens.  Les  Pays  de  France,  collection  des  écrivains  régionaux. 
Nouvelle  librairie  nationale,  85,  rue  de  Rennes,  Paris,  1909. 

Série  d'impressions  de  voyages  assez  confuses,  entremêlées 
d'appréciations  aventureuses  sur  les  idées  félibréennes  et  la  littéra- 
ture provençale.  L'auteur  ignore  à  peu  près  tout  de  ces  idées  et  de 
cette  littérature  et  ne  fait  que  ressasser  dans  un  stile  défectueux  les 
verbalités  qui  traînent  sous  la  plume  de  certains  publicistes  parisiens 
désireux  de  confisquer  au  profit  de  coteries  politiques  ou  autres  le 
Félibrige  qui  par  définition  doit  demeurer  étranger  à  leurs  agitations 
vaines.  Au  lieu  de  lire  et  de  méditer  les  Discourse  dicho  de  Mistral, 
bréviaire  autentique  du  félibre,  il  cherche  à  apercevoir  la  doctrine 
félibréenne  à  travers  certains  commentaires  fumeux  qui  volontai- 
rement ou  non  la  dénaturent.  La  place  que  tient  dans  ses  préoccu- 
pations tel  ou  tel  livre,  tel  ou  tel  écrivain,  est  généralement  ou 
raison  inverse  de  l'importance  véritable  du  livre  ou  de  l'écrivain. 
Il  consacre  des  pages  entières  à  réfuter  les  conceptions  de  Napoléon 
Peyrat  sur  la  crosade  contre  les  Albigeois;  il  cite  comme  chefs- 
d'œuvre  tipiques  delà  littérature  provençale  Mirèio  de  Mistral,  la 
Miôugrano  entre- duberto   d'Aubanel    et Toloza    de  F.    Gras. 


COMPTES    RENDIS.  191 

Inutile  de  multiplier  les  exemples  :  ceux    qui  procèdent  suffisent   à 

mettre  en  garde  contre  ce  travail  d'amateur    dans    le   pire    sens  du 

terme. 

Jules  Ronjat. 


Armand  Praviel  et  J,-R.  Rozès  de  Brousse.  —  Anthologie 
du  Félibrige,  morceaux  choisis  des  grands  poètes  de  la  Renais- 
sance méridionale  au  XIXe  siècle,  avec  avant-propos  et  notices 
bio-bibliographiques.  Paris,  nouvelle  librairie  nationale,  1909, 
xvi-344  p. 

Ce  recueil  contient,  dans  le  texte  original  et  en  traduction  fran- 
çaise, un  assez  bon  choix  d'œuvres  de  F.  Mistral,  Félix  Gras, 
L.  Roumieux,  A.  Fourès,  Paul  Froment,  Filadelfo  de  Gerdo,  l'abbé 
Bessou  et  Arsène  Vermenouze,  un  choix  souvent  assez  maladroit  de 
pièces  de  Roumauille,  Aubanel,  Anselme  Mathieu,  Alfonse  Tavan, 
Paul  Arène,  Clovis  Hugues,  Achille  Mir,  Auguste  Chastanet  et  Michel 
Camelat,  puis  diverses  productions  de  seigneurs  de  moindre  impor- 
tance qu'on  peut  s'étonner  de  voir  représentés  ici  quand  brillent 
parleur  absence  des  poètes  comme  Isidore  Salles,  Charloun  Riéu, 
Fabre  (que  les  auteurs,  à  cause  de  son  pseudonime  Felibre  di  Tavan, 
confondent  p.  109  avec  Alfonse  Tavan)  et  d'autres  contemporains 
que  je  ne  nomme  pas  pour  ne  point  offenser  leur  modestie.  11  don- 
nera donc  au  lecteur  une  idée  assez  inexacte  et  très  incomplète  de 
la  littérature  félibréenne.  Quant  à  relever  toutes  les  erreurs  que 
l'auteur  de  L'Empire  du  Soleil  i  a  libéralement  semées  un  peu  par- 
tout, comme  sa  marque  de  fabrique,  ce  serait  une  tâche  aussi  longue 
qu'ingrate.  11  sait  peu  ou  mal,  et  ne  veut  rien  apprendre,  mais  il 
prétend  enseigner  le  public.  C'est  une  tournure  d'esprit  très  répandue 
dans  le  milieu  Pécuchet  (v.  p.  xi-xiv  les  étranges  spéculations  sur 
la  genèse  d'une  langue  commune  où  se  fondraient  tous  les  dialectes, 
etc..)  11  faut  cependant  donner  quelques  exemples  pour  justifier 
mon  dire.  P.  v,  la  Loire  formerait  limite  entre  les  langues  d'oui  et 
d'oc.  P.  vu,  les  Jeux  Floraux  de  Toulouse  au  XIVe  siècle  sont 
présentés  comme  un  renouveau  fécond  de  poésie.  P.  xi,  détails  sur 
l'organisation  du  Félibrige  :  l'auteur  semble  n'avoir  pas  même  lu 
les  statuts  de  l'association  dont  il  prétend  décrire  le  fonctionne- 
ment. P.  87,  raubatôri,  qui  veut  dire  enlèvement,  est  traduit  par 
séducteur.  Les  auteurs  disent  dans  leur  avant-propos  qn'ils  ont 
demandé  conseil  à  mon  confrère  Bacquié-Fonade.  11  ne  paraît 
guère  qu'ils  aient  suivi  les  excellents  conseils  que    celui-ci    n'a    pas 

manqué  de  leur  donner, 

Jules   Ronjat. 


192  COMPTES    RENDUS. 

Escolo  felibrenco  de  la  Targo.  —  Flourilege  prouvençau 
(Anthologie  provençale),  trobo  lirico  di  Felibre  ohausido  au  det 
pèr  J.  Bourrilly,  A.  Esclangon  e  P.  Fontan.  Au  fougau  de  La 
Targo,  12,  quèidôu  Partit  (Besagno),  Touloun,  1909,  iv-319  p. 

Contient,  dans  le  texte  original  et  en  traduction  française,  un 
bon  choix  d'œuvres  de  F.  Mistral,  V.  Ralaguer,  J.  Boissière, 
P.  Devoluj-,  Ad.  Dumas,  V.  Gélu,  P.  Giéra,  Marius  Girard  et  Félix 
Gras,  un  assez  bon  choix  d'œuvres  de  Charloun  Riéu  et  d'Alfonse 
Tavan,  un  choix  moins  eureux  d'œuvres  de  P.  Arène,  Aubanel, 
Valère  Bernard,  Crousillat,  A.  Fourès,  Clovis  Hugues,  Anselme 
Mathieu  et  Roumanille,  et  une  copieuse  sélection  de  poetae  minores 
ou  même  mintmi.  Les  éditeurs  ont  l'intention  do  publier  un  second 
volume  où  figureront  entre  autres  plusieurs  des  auteurs  cités  p.  m 
et  iv.  Ils  ont  fait  précéder  chaque  série  de  morceaux  choissi 
d'une  courte  notice  sur  leur  auteur.  Ces  notices  sont  en  général 
exactes  ;  on  peut  cependant  i  relever  quelques  erreurs  :  p.  142, 
lierluc-Perussis  signait  .4.  de  Gagnaud,  et  non  .4.  des  Gagnaads  ; 
p.  199,  Clovis  Hugues  n'a  jamais  publié,  que  je  sache,  un  recueil 
ayant  pour  titre  L>s  Oulivado  ;  p.  170,  je  crois  bien  que  Bremoundo 
de  Tarascoun  était  née  en  1858,  et  non  en  1865  :  elle  n'aurait  eu 
que  vingt  ans  quand  elle  reçut  (on  ne  sait  trop  pourquoi)  le  prix  de 
poésie  aux  jeux  floraux  septennaires  du  Félibrige  ?  Dans  la  liste 
des  œuvres  de  F.  Mistral  (p.  1)  on  a  oublié  le  recueil  des  Discours  e 
d'dio;  un  peu  plus  aut,  le  mot  atavisme  est  employé  abusivement 
pour  èrèditê.  Pourquoi  mettre  sur  la  même  ligne,  comme  œuvres  du 
«  maître  prosateur  »  Félix  Gras,  les  Papalino,  où  il  i  a  vraiment  de 
très  jolies  choses,  et  les  Rouge  dôu  Miejour,  qui  sont  un  mauvais 
feuilleton  (p.  160)?  Malgré  ces  taches  de  détail  et  une  sélection  trop 
souvent  critiquable,  le  Flourilege  pourra  rendre  de  bons  services 
aux  curieux  de  poésie  provençale. 

J.  R. 

Emil  Levy.  —  Petit  dictionnaire  provençal-français.  Seidelberg, 
Cari  Winter,  1909,  in-8°  de  vm-388  p.  (n°  2  de  la  série  111, 
Dictionnaires,   de    la    Sammlung    romanischer   Elementar-und 

Handbiicher  publiée  sous  la  direction  de  M.  W.   Meyer-Lùbke.) 

M.  Levy  a  rassemblé  dans  ce  petit  volume  l'essentiel  du  Lexique 
de  Raynouard  et  de  son  Supplément- WôrlerUuch,  i  faisant  même 
ligurer  quelques  mots  qu'il  avait  relevés  trop  tard  pour  pouvoir 
les  insérer  dans  celui-ci,  et  éliminant  les  mots  dont  la  forme  ou  la 
signification  ne    lui  ont   pas  paru    suffisamment   établies,    les   mots 


COMPTES    RENDUS.  193 

savants  dont  le  sens  est  clair  à  première  vue  et  plusieurs  mots  qui 
se  trouvent  avec  la  même  forme  et  le  même  sens  en  français 
moderne.  Il  a  adopté  une  grafie  régulière,  identique,  sauf  quelques 
détails,  à  celle  du  Supplément- Wôrterbuch,  distingué  partout  e  et  o 

ouverts  de  e  et  o  fermés  et  noté   par —  1'    n    caduque.      L'ouvrage 

est  dédié  à  la  mémoire  de  Camille  Chabaneau  et  rédigé  en  fran- 
çais «  pour  rendre  ommage  au  maître  vénéré  dont  le  nom  est 
inscrit  à    la  première  page  ». 

Tous  les  provençalistes  seront  reconnaissants  à  M.  Levv  de  leur 
donuer  ainsi  un  bon  instrument  de  travail,  incomparablement  plus 
facile  à  manier  que  tous  ceux  qui  existaient  précédemment,  et  par- 
faitement suffisant  pour  une  foule  de  vérifications  sommaires  n'exi- 
geant pas  la  consultation  de  grands  dictionnaires  plus  détaillés. 
L'ouvrage  de  M.  Levy  aura  certainement  de  nombreuses  éditions, 
au  cours  desquelles  l'auteur  ne  manquera  pas  de  l'améliorer  encore. 
Voici  quelques  indications  que  je  lui  soumets  dans  cette  intention, 
comme  la  meilleure  marque  du  simpatique  intérêt  que  j'ai  pris  à  la 
lecture  de  son  excellent  ouvrage. 

Il  manque  une  table  des  abréviations  employées.  On  pourrait 
désirer  des  indications  dialectologiques  plus  abondantes  et  plus  pré- 
cises. De  brèves  indications  étimologiques  seraient  bienvenues  et 
n'alourdiraient  peut-être  pas  trop  le  volume, 

Certaines  traductions  demanderaient  à  être  expliquées,  ainsi  p.  ex. 
gaida  t  guède  »,  mot  si  peu  connu  que  sûrement  plus  de  la  moitié 
des  lecteurs  devront  immédiatement  le  chercher  dans  un  diction- 
naire de  la  langue  française.  A  albanel  on  pourrait  ajouter  oiseau 
pour  expliquer  hobereau,  bien  peu  usité  dans  cette  acception. 

Les  parlers  modernes  assurent  assez  le  sens  de  certains  mots  pour 
que  plus  d'un  point  d'interrogation  soit  superflu,  ex.  boza,  greza, 
monjoia,  mod.  boso,  greso,  mount-joio  (v.   Trésor  clou  Felibrige). 

Le  timbre  de  la  voyelle  tonique  est-il  bien  assuré  dans  majofa, 
orne,  poltz  — polse — polzer,  teula,  teule,  savorra(cî.  saorra)  ï 

Coquilles  :  gran  pour  grau  (v°  gra),persuegue  pour  persegue. 

Crafies  peu  conséquentes  avec  les  règles  posées  p.  vu  ou  néces 
sitant  une  adjonction  à  ces  règles  :  endemeg,  rag  et  autres  mots  à 
g  =  ch  ;  reconoissemen,  reconnoisensa  pour  reconoisemen,  reconoi- 
sensa: 

Certains  mots  devraient  être  réunis  dans  un  seul  et  même  article, 
comme  saorra  «  sable  »  et  savorra  «  lest  »(tous  deux  <  saburra), 
ou  il  faudrait  tout  au  moins  un  renvoi  d'un  article  à  l'autre. 

Finis  est  traduit  par  flasque  avec  un  point  d'interrogation.  Ne 
vaudrait-il  pas  mieux  traduire  par  floche  ?  Poussin  ne  traduirait-il 
pas  polzin  plus    exactement  que  poulet?  Pozaraca,  puits   à  roue; 


194  (  OMPTES    RENDIS. 

plutôt* noria,  roue  idraulique,  chaîne  sans  fin  munie  de  godets  servant 
à  tirer  l'eau  d'un  puits  :  chaque  godet  s'emplit,  puise  {pozu),  monte, 
se  vide,  vomit  l'eau  (raca),  et  redescend».  Mecun,  ad],  «  de  Mecque», 
pour  «  de  la  Mecque  ». 

Certaines  variantes  dialectales  fonétiquement  et  morfologiquement 
intéressantes  pourraient  être  indiquées,  p.  ex.  forse,  forsa  à  côté  de 
forfetz,  forfes  ;   fraisne  à  côté  de  fraise,  fraisir(cf.  aze,  aine.) 

Jules  Ronj.vt. 

Vivo  Prouvènço!  porto-paraulo  mesadié  di  recoubranço  mie- 
joarnalo.  —  Dir.  P.  Devoluy,  carr.  de  la  Pousterlo,  9,  Nimes; 
amenhtr.  J.  Renadiéu,  balouard  Siste-Isnard,  29  bis,  Avignoun 
(6  pajo  pèr  mes;  abounamen  pèr  un  an  :  Prouvènço  e  Franco,  4fr.; 
estrangié,  4  fr.  50). 

Proumié  semestre  de  1909. 

Vers  de  C.  Auzière  (Abriéu),  Folcô  de  Baroncelli-Javon  (Janvié), 
dôu  Felibre  di  Tavan  (Febrié),  de  Laforêt  (Febrié,  Mars,Jun),  S. -A. 
Peyre  (Janvié),  L.  Teissier  (Febrié),  Vatton  (Abriéu).  Article  de 
dôutrino  felibrenco,  d'istôr;  miejournalo,  de  critico  literàri,  etc..  : 
letro  de  F.  Mistral  (Febrié);  P.  Devoluy,  La  traducioun  franceso 
en  regard  (Janvié,  Febrié),  coumençanço  d'un  coumpèndi  de  l'is- 
tôri  dôuMiejour,  en  fuietoun  (Mai),  discours  prounouncia  davans  l'es- 
tatuo  de  F.  Mistral  en  Arle  et  à  la  Santo-Estello  de  Sant-Gile  (Jun)  ; 
J.  Rounjat,  noto  sus  li  cant  poupulàri,  emé  recoustitucioun  musicalo 
de  Quand  le  bouiè  ven  de  laura  (Janvié),  article  sus  La  lengo 
prouvençalo  e  li  camin  roumiéu,  sus  l'estiganço  de  l'estùdi  dôu 
proufessour  Morf  au  n°  1  dôu  Bulletin  de  dialectologie  romane 
(Febrié,  Mars),  A  prepaus  d'ourtovgràfi  (Mai)  ;  Jan  Malan,  seguido 
dis  Ausard,  raconte  de  la  guerro  di  Ceveno  à  la  fin  dôu  règne  de 
Louis  XIV  (n°  de  Janvié  à  Mai)  ;  Bousoun  di  Vergno,  La  lengo  lite- 
ràri prouvençalo  (Febrié),  Quatre -vint-nôu  (Abriéu);  L.  Teissier, 
Felibrige  e  religioun  (Jun);  à  la  rubrico  Boulegadisso  e  Nouvelun, 
noto  sus  l'Empire  du  Soleil  d'A.  Praviel  (Mars)  e  sus  l'usage  de  la 
lengo  prouvençalo  davans  li  tribunau  (Mai). 

Segound  semestre  de  1909. 

La  Grando  Obro,  pèr  A.  Vermenouze  (Juliet).  J.  Anglade,  Uensi- 
gnamen  de  la  filoulougïo  roumano  (Avoust)  e  letro  sus  l'estamen 
dis  estùdi  prouvençau  en  Catalougno  (Nouvèmbre).  J.  Daniel,  Lou 
Felibrige  en  Perigord,  noto  sus  li  coundicioun  de  la  veraio  prou- 
pagando  felibrenco  (Nouvèmbre).  Jan  Malan,  Lou  Dangié  d'amour, 
deliciouso   restitucioun    d'uno    cansoun  poupulàri  (Outobre),    e  Lis 


COMPTES    RENDUS.  195 

Aucèn,  cascareleto  un  pan  escabissouso,  mai  bèn  galantamen  coun- 
tado  (Outobre).  Edward  Nicholson,  Pes  e  mesuro  de  Prouvènço 
(Juliet).  Pèire  Devoluy,  Lis  csti'di  prouvençau,  à  prepaus  de  L'ensi- 
gnamen  adès  dubert  à  l'Universita  de  Mount  Relié  (Outobre).  Jùli 
Rounjat,  Li  Prouvençau  dAlemagno,  noto  de  viage  i  coulounio 
vaudeso  de  Souabo  (Nouvèmbre).  Quasi  à  cade  numéro,  seguido  dis 
Ausard  de  Jan  Malan  e  di  Pajo  (Vistôri  miejournalo  de  Pèire 
Devoluy,  article,  letro  e  coumunicacioun  diverso  sus  lis  evenimen 
felibren  que  se  passon  despièi  la  darriero  assemblado  generalo  don 
Felibrige,  à  l'aflat  de  gènt  que  cercon  de  faire  vira  l'istitucioun  feli- 
brenco  en  estrumen  de  poulitico  o  en  passo-tèms  d'eleicloun 
vanitouso. 

J.  R. 

A.  "Wallenskôld.  —  Den  nyprovensaliska  nationalitetsrorelsen. 
Tirage  à  part  de  Finsk  Tidshrif't,  n°  6,  1909,  avec  portrait  de 
F.  Mistral,  d'après  Hébert,  Helsingfors,  Mercalors  tryckeri,  1909, 
in-8°  de  10  p. 

J'aurais  mauvaise  grâce  à  trop  louer  cette  plaquette,  parce  que 
j'i  ai  en  quelque  sorte  collaboré  par  les  nombreux  renseignements 
dont  l'auteur  veut  bien  me  remercier  fort  aimablement  à  la  fin  de 
son  travail.  Du  moins  puis-je  dire  que  c'est  une  oeuvre  de  bonne 
foi  et  de  simpatique  entousiasme  pour  l'action  littéraire  et  sociale 
du  Felibrige  et  de  sou  illustre  initiateur. 

J.  R. 

Ernesto  Monaci.  —  Il  cinquantenario  di  «  Mirèio  ».  Tirage  à 
part  de  la  Nuova  Antologia  du  1er  juin  1909,  Roma,  via  San 
Vitale,  7,  in-8°  de  12  p. 

Le  seul  défaut  de  cet  opuscule  est  de  donner  passim  une  impor- 
tance exagérée  aux  manifestations  de  certains  cercles  parisiens  qui 
ne  voient  dans  l'œuvre  poétique  et  sociale  de  F.  Mistral  qu'un  filon 
à  exploiter  au  profit  de  leur  ignorante  vanité.  Cette  réserve  faite,  il 
n'i  a  qu'à  louer  dans  l'article  de  M.  Monaci,  plein  de  vues  péné- 
trantes et  souvent  neuves;  particulièrement  intéressante,  en  con- 
traste  avec  certaines  excentricités  de   la  presse  parisienne  (1),  est 

(1)  t  Des  Français,  écrivant  un  dialecte  incompréensible  aux  Fran- 
çais, viendraient  diminuer  la  puissance  de  production  de  la  langue 
française  et,  par  conséquent,  sa  puissance  d'action  dans  le  monde  et, 
par  conséquent,  le  rayonnement  de  notre  esprit  national  !  Allons  donc!... 
C'est  ce  qu'a  tenté    Mistral.   C'est  ce  qu'ont  tenté    ses    amis.    Ils   ont 


196  COMPTES    RENDUS. 

cette  conception  de  l'importance  nationale  de  l'œuvre  mistralienne  : 
Mistral  a  cimenté  l'unité  de  la  Gaule  en  donnant  au  peuple  pro- 
vençal une  gloire  littéraire  qui  le  fait  au  moins  l'égal  de  ses  voisins 
du  nord,  et  eu  détruisant  ainsi  les  germes  d'envie  et  de  rancune 
qu'avaient  pu  faire  naître  la  conquête  française  et  les  tentatives 
d'effacement  de  la  langue  provençale. 

J.  R. 


A.  Constantin  et  P.  Gave.  —  Flore  populaire  delà  Savoie  ;  pre- 
mière partie,  dictionnaire  des  noms  populaires  des  plantes  qui 
croissent  naturellement  en  Savoie  ou  qui  y  sont  cultivées  en  pleine 
terre.  Annecy,  impr.  J.  Abry,  1908,  in-8°de  xn-190  p.  (n'est  pas 
mis  en  vente,  mais  offert  aux  romanistes  et  aux  botanistes  par  la 
Société  Florimonlane). 

Les  romanistes  trouveront  dans  ce  volume  plusieurs  dénomina- 
tions intéressantes,  soit  en  parler  de  Savoie,  soit  en  français  local 
(ex.  art.  30,  83;  1073,  vârnïë,  sapin,  le  mot  désigne  en  général 
l'aulne  dans  les  parlers  populaires  d'une  moitié  de  la  France,  on 
connaît  les  substitutions  analogues  de  noms  dans  l'ensemble  du 
domaine  indo-européen,  notamment  celles  que  M.  Niedermann  a 
signalées  dans  les  Mélanges  Meillet),  et  trop  d'étimologies  fantai- 
sistes et  de  détails  oiseux  (ex.  art.  654,  834,  943).  Le  sistème  de 
transcription  des  mots  savoyards  est  donné  p.  IX,  mais  on  a  oublié 
d'indiquer  ce  que  signifie  une  croix  fréquemment  employée  au  cours 
de  l'ouvrage  devant  certaines  dénominations.  On  aurait  pu  suppri- 
mer certaines  traductions  inutiles,  et  par  contre  traduire  certains 
noms  dont  la  signification  est  loin  d'être  transparente  dès  l'abord 
(exemples  caractéristiques  aux  art.  21  et  12). 

J.  R. 


échoué...  Je  célèbre  donc  Mistral  puisqu'il  a  échoué  dans  son  épou- 
vantable entreprise  et  puisqu'il  est  l'auteur  de  Mireille.  Cependant,  si 
un  nouveau  Mistral  surgit  et  s'il  écrit  une  nouvelle  Mireille,  élas  !  je 
n'aurai  peut-être  pas  le  courage  de  dire  :  «  Périsse  ce  chef-d'œuvre 
plutôt  que  le  principe  essentiel  de  la  grandeur  française  I  »  j'admirerai 
sans  doute  et  j'exalterai  l'œuvre  du  poète,  mais,  lui,  je  le  ferai 
fusiller  »  [Gil  Blas  du  23  mai  1909). 


COMPTES   RENDUS.  197 

Jac.  van  Ginneken,  S.  J.  —  Principes  de  linguistique  psicologi- 
que,  essai  siutétique.  Amsterdam,  E.  van  der  Vechl,  Paris, 
Rivière,  Leipzig,  Harrassowilz,  1907,  in-8°  de  vm-552  p. 

La  première  édition  de  ce  livre  est  une  tèse  de  doctorat  rédigée 
en  néerlandais  et  publiée  dans  Leuvensche  Bijdragen,  t.  VI  et  VII, 
1904-1906.  La  présente  traduction  française  a  été  faite  par  un  ami 
de  l'auteur,  mais  celui-ci  l'a  revue  et  augmentée.  (Test  un  ouvrage 
du  plus  aut  intérêt,  plein  de  vues  ardies  et  fécondes,  même  quand 
elles  ne  sont  pas  strictement  justes,  —  quelque  chose  comme  la 
Yulkerpsychologie  de  Wundt  refaite  par  un  psicologue  qui  est  en 
même  temps  linguiste  ou  par  un  linguiste  qui  a  étudié  à  fond  la 
psicologie. 

1-e  livre  Ier  examine  Les  représentations  des  mots  et  des  choses, 
représentations  orale  (de  l'articulation),  auditive,  visuelle  et  grafi- 
que,  l'une  ou  l'autre  dominante  suivant  les  parlers,  les  individus  et 
les  mots  considérés.  Le  livre  II,  L'intelligence  et  son  adèsion, 
établit  que  le  fait  psichique  essentiel,  celui  que  suppose  nécessaire- 
ment tout  mot  grammatical,  est  1'  adèsion  ou  assentiment  (dans 
l'édition  néerlandaise  beaming,  de  beamen,  dire  amen,  dire  oui, 
reconnaître,  avouer  la  vérité,  la  réalité  d'une  communication), 
expressions  que  l'auteur  préfère  à  idée  et  à  aperception  qui  donnent 
lieu  à  de  nombreux  malentendus.  L'adésion  peut  être  associée  à  une 
représentation  de  chose  et  à  une  image  verbale,  ou  à  un  seul  de  ces 
deux  faits  pnchiques,  et  elle  peut  encore  exister  seule;  elle  seule 
suffit  à  expliquer  la  possession  d'un  mot  grammatical.  De  la  nature 
des  adésions,  adèsion  de  réalité  et  adèsion  de  potentialité,  adèsion 
absolue  et  adèsion  relative,  se  déduiseut  toutes  les  catégories  gram- 
maticales :  les  noms,  représentant  les  choses,  exigeant  une  plus 
grande  tension  de  l'énergie  psichique,  éliminant  d'un  fait  donné  un 
nombre  considérable  d'éléments  ;  les  verbes,  représentant  les  faits 
(actions  ou  états)  perçus  à  la  fois  en  un  seul  effort  de  l'attention. 
«  Nous  ne  pouvons  avoir  conscience  que  d'un  seul  fait  à  la  fois, 
mais  nous  pouvons  fort  bien  nous  représenter  sciemment  plusieurs 
choses  à  la  fois.  C'est  pourquoi  le  nom  a  un  pluriel,  et  que  le  verbe 
comme  tel  n'en  a  pas  (p.  76).  »  Ce  passage  suffit  à  caractériser  la 
métode  de  l'auteur.  Il  en  déduit  une  foule  de  considérations  extrê- 
mement ingénieuses  sur  la  nature  et  les  relations  réciproques  des 
parties  du  discours,  des  aspects,  des  temps  et  des  modes  du  verbe, 
etc..  etc.,  choses  aussi  intéressantes  à  lire  que  difficiles  à  résumer. 

Cette  observation  finale  s'applique  également  au  livre  III,  Senti- 
ment et  appréciation  (['assentiment  ou  adèsion  s'applique  au  non- 
moi,  le  sentiment  au  moi;  importance  considérable  et  trop  souvent 

14 


198  COMPTES    RENDI  S. 

méconnue  du  sentiment  dans  la  conception  générale  du  langage; 
lui  seul  explique  p.  ex.  une  foule  d'antinomies  sémantiques  appa- 
rentes) et  au  livre  IV,  Volonté  et  automatisme,  mais  celui-ci 
demande  tout  au  moins  une  analise  sommaire,  car  c'est  ici  que  l'au- 
teur entre  dans  le  vif  du  sujet  au  point  de  vue  spécialement  lin- 
guistique. 

Le  chapitre   Ier  pose    Les    lois    fondamentales   de    l'automatisme 
psicologique  :  1°  toute  représentation    tend  à    se   réaliser;  2°  «  une 
disposition  cérébrale  ne  saurait  changer   elle-même  sa    position  :  si 
(die  est  en   repos,    il  faut  qu'elle  reste  en   repos  jusqu'à    ce   qu'une 
intervention  étrangère  la  mette  en  branle  ;  si  elle  est  en  mouvement, 
il  faut  qu'elle  reste  en   mouvement  jusqu'à  ce  qu'elle    ait  cédé  son 
énergie  à  d'autres  dispositions   qui   l'entourent  (p.  250)  »;  3°   ritme 
différenciatif  auquel  tendent  toutes  les  perceptions  (temps    faibles  et 
temps  forts    sentis   dans  le  métronome,  etc..  )  ;  4°   <(   lorsque   deux 
dispositions  psichiques  ont  fonctionné   une  ou    plusieurs   fois  simul- 
tanément, elles  tendent  à  s'éveiller  l'une  l'autre    (p.  2621    ».  Le  cha- 
pitre II,  La  coopération  pr  i  tique  de   l'automatisme  et  de  la  volonté. 
est  consacré  à  une  pénétrante  analise  des  constructions  :  c'est  ainsi 
(pie  l'auteur  nomme  les  unités  linguistiques  secondaires  en  conciliant 
clans  sa  définition  (p.  283),  conformément  à  ses  vues  sur  les  lois  de 
l'automatisme,  les  idées  de  Sievers.  de  Hirt,    de  Wundt,  de  James, 
de  Monis,  de  Wunderlich,  de  Sweet,  de  Passy  et  les  siennes  propres 
sur  les  groupes  de  souffle,  stress  groups,  Sprechtakte,  l'unité  de  la 
volition  et  de  l'accent,  l'admissibilité  des  actions  à  distance  et  l'unité 
d'assentiment.  Le  chapitre  III,  Principes  généraux  de  fonétique  isto- 
rique,  utilise  les  principes  posés  dans  les  chapitres  précédents    pour 
expliquer  les    changements    fonétiques    essentiels,    commandés  par 
les    fénomènes  généraux   de    l'accent,    dénomination   sous    laquelle 
l'auteur  comprend   l'accent  d'intensité  (accent  expiratoire   des   con- 
sonnes et  accent  glottal  des    voyelles),  l'accent    musical,    l'accent 
temporel,  l'accent  de  timbre,  l'accent  d'articulation  et  de   sonorité; 
il  i  rattache  par  une  analise  fort   intéressante    tous    les   fénomènes 
de  déplacement  d'accent  dans  la  déclinaison,  de    différenciation,   de 
diftongaison,  de  métafonie,  d'alternance,  de  préparation,   de  dissi- 
milation  et  d'actions  réciproques  de  voisinage  entre  voyelles  et  con- 
sonnes.   Suit   un  exposé  des  lois  fonétiques    dominé  par    l'idée    de 
Delbruck  :  au    fond    il  n'i  a  que    des   changements    conditionnés; 
«  toutes  les  lois  fonétiques  trouvent  leur  dernière  et  complète  expli. 
cation  dans  le  jeu  combiné  de  nos  principes  d'automatisme  psicolo- 
gique sur  toutes  les  qualités  des  fonèmes  du  langage,  disons  sur  nos 
cinq  sortes  d'accent  (p.  465)  ». 

11  i  aurait  sans  doute  des  réserves  à  faire  sur  la  fin  du  chapitre  III, 


COMPTES   RENDUS.  199 

explication  de  la  mutation  consonantique  en  celtique  et  en  germa- 
nique qui  n'emporte  pas  de  prime  abord  la  conviction,  et  sur  les  cha- 
pitres IV,  Principes  généraux  de  sémantique  dinamique,  et  V, 
Téorie  générale  de  l'ordre  des  mois,  pierres  d'attente,  l'auteur  le 
reconnaît  lui-même,  plutôt  que  constructions  définitives.  Au  reste 
un  jugement  de  fond  sur  l'ensemble  des  Principes  de  linguistique 
psicologique  excéderait  ma  compétence,  et  une  analise  plus  détaillée 
dépasserait  les  bornes  raisonnables  d'un  compte-rendu  dans  une 
revue  spéciale  de  linguistique  romane  (1).  Mais  je  tiens  à  citer,  en 
terminant,  un  passage  de  la  Conclusion  (p.  532,  533)  où  l'auteur, 
résumant  en  quelques  lignes  ses  immenses  lectures,  déclare  avoir- 
voulu  emprunter  aux  indo-européanisants  positivistes  leur  métode 
sûre,  aux  idéalistes  comme  Vossler  et  Croce  leur  vue  de  l'ensemble 
des  fénomènes,  aux  fonéticiens  et  aux  dialectologues  leur  connais- 
sance du  menu  détail  linguistique,  en  i-  joignant  l'ancienne  psicolo- 
gie  rationnelle  et  la  nouvelle  psicologie  expérimentale,  virlus  in 
medio  qui  donne  plus  de  sécurité  au  positivisme,  assure  une  base  k 
l'idéalisme  et  fournit  une  explication  des  changements  de  détail. 
«  Voilà  ce  que  j'ai  cherché  à  réaliser,  mais  naturellement  le  résul- 
tat présente  des  couleurs  moins  brillantes.  Plus  d'une  fois  je  me 
suis  écarté  du  juste  milieu,  plus  souvent  sans  doute  que  je  n'en  ai 
conscience...  Néanmoins  j'espère  que  la  science  linguistique  du  siè- 
cle prochain  conservera  plus  d'une  trace  de  mon  essai  sintétique.  » 
Tout  lecteur  de  cet  ouvrage  accueillera  certainement  la  frase  finale 
par  une  reconnaissante  beaming. 

Jules  Ronjat. 

Pau  Roman.  —  Lei  Mount-Joio,  voucabulàri  dei  prouvèrbi  et  lou- 
cucien  prouverbialo  de  la  lengo  prouvençalo,  tome  proumié,  A-G. 
Avignoun,  Aubanel  fraire,  1908.  In-8°  de  xl-784  p. 

Muunt-joio  signifie,  d'après  le  Trésor  dôu  Felibrige  :  tas  de 
pierres  sur  lesquels  les  pèlerins  plantaient  une  croix,  sur  la  route 
et  aux  abords  d'un  lieu  de  pèlerinage  ;  pilier  qui  indique  une  route  ; 
tas  de  pierres  élevé  par  les  bergers  pour  servir  de  borne  ;  témoins 
d'une  borne  ;  carrefour  où  est  plantée  une  croix,  en  Gascogne.  Le 
mot  est  joliment  choisi  pour  servir  de  titre  à  un  recueil  de  pro- 
verbes et  de  comparaisons  populaires.  Le  recueil  lui-même  est 
moins  réussi  que   son   titre.  Les   observations   qui    vont  suivre  ont 

(1)  Voir  le  compte-rendu  de  M.  A.  Meillet  dans  Bulletin  de  la 
Société  de  linguistique,  n°  56,  p.  xx. 


200  COMPTES    RENDUS. 

pour  but  essentiel  d'aider  le  lecteur  à  le  consulter  utilement  et 
d'indiquer  à  l'auteur  certaines  améliorations  désirables  pour  le 
second  volume  annoncé. 

Le  recueil  contient  non  seulement  des  proverbes  provençaux  au 
sens  le  plus  général  du  terme  (Gaule  méridionale,  pays  de  langue 
d'oc  ou  provençale  lato  sensu  ;  l'auteur  a  recueilli  même  un  assez 
grand  nombre  de  proverbes  catalans),  mais  des  proverbes  piémon- 
tais,  savoyards  et  daufinois  qui  n'i  sont  guère  mieux  à  leur  place 
que  des  proverbes  picards  ou  portugais.  L'auteur  paraît  du  reste 
peu  préoccupé  des  nuances  linguistiques.  Beaucoup  d'indications 
relatives  à  cet  ordre  d'idées  sont  vagues,  comme  Gavoulino  dési- 
gnant on  ne  sait  au  juste  quelle  partie  des  Alpes,  ou  inexactes, 
comme  rouman  pour  vièi  prouvençau.  La  grafie  appliquée  aux 
dialectes  autres  que  le  dialecte  natal  de  l'auteur  est  trop  souvent 
inconséquente,  et  il  i  a  même  parfois  altération  des  formes  de  la 
langue. 

Exemples  de  la  première  faute  :  v  et  b  au  asard,  dans  les  textes 
de  Languedoc  et  de  Gascogne,  parfois  simultanément  et  contradic- 
toirement  dans  un  seul  et  même  article  (v.  p.  386,  1.  2,  5);  même 
observation  pour  -e  et  -o  en  Béarn,  ainsi,  v°  Baliros,  minyen  la 
carn,  lèchon  lous  os  ;  le  fonème  gascon  kw  est  noté  tantôt  quo1 
tantôt  quou,  tantôt  cou,  sans  qu'on  sache  pourquoi  ;  pour  les  formes 
enclitiques  des  pronoms,  on  les  trouve  ici  unies  au  mot  précédent, 
là  séparées  par  un  trait  :  ses  pago  at  dio  madech  (p.  8),  quel  amo 
pla  quel  hara  ploura  (p.  43),  messidot  (p.  32,  pour  meshido-t):  qui 
-us  s'amigalhe  (p.  50).  L'auteur  a  eu  raison  de  ne  pas  reproduire 
servilement  les  fantaisies  grafiques  des  recueils  où  il  a  puisé  les 
éléments  du  sien,  mais  si  ses  connaissances  dialectologiques  ne 
lui  permettaient  pas  d'établir  une  grafie  uniforme,  il  aurait  dû 
prendre  conseil  de  gens  du  métier. 

Exemples  de  la  seconde  faute  :  omission  indue  de  -s  ou  -i  au 
pluriel  (p.  8,  1.  12,  13  du  bas);  formes  ibrides  comme  qu  rèn  noun 
dis,  tout  acordo  (p.  15,  1.  1)  :  il  faudrait  quau  et  acordo,  ou  <ju 
et  acouerdo  ;  formes  fausses  comme  dambe  le  bec  pour  dambé-l  bec 
(p.  9,  dern.  1.)  ;  les  textes  de  Gap  ont  généralement  une  finale  fém. 
-a  parfaitement  indue  (la  finale  normale  -o  est  donnée  notamment 
p.  451,  548)  ;  des  textes  limousins  présentent  indûment  -os  au  plur. 
fém.,  pour  -as  (not.  p.  638). 

Est-ce  parce  que  les  pèlerins  qui  dressaient  des  mounl-joio  avaient 
coutume  de  revenir  chargés  de  coquilles  que  les  fautes  d'impression 
abondent  dans  ce  recueil  à  un  degré  vraiment  prodigieux?  Il  faut 
absolument  publier  avec  le  second  volume  de  copieux  errata,  sous 
peine  d'induire  maint  lecteur  en  erreur  irrémédiable. 


COMPTES   RENDUS.  201 

Il  faudra  également,  pour  faciliter  les  recherches,  compléter  l'en- 
semble du  livre  par  une  classification  des  proverbes  suivant  les 
ordres  d'idées  qu'ils  mettent  enjeu.  Ils  sont  rangés  alfabétiquement 
par  ynot  màgi,  c'est-à-dire  qu'il  faut  chercher  chaque  proverbe  sous 
le  mot  que  la  mémoire  retient  et  qui,  s'il  se  présente  dans  la  conver- 
sation, peut  évoquer  le  souvenir  du  proverbe  entier  (p.  vu).  Les 
raisons  pratiques  alléguées  p.  xi  à  l'appui  de  cette  disposition  sont 
bonnes,  mais  n'excluent  pas  l'utilité  d'un  index  par  ordre  d'idées 
avec  renvoi  au  mot  màgi.  D'autre  part,  tel  proverbe  peut  comporter 
deux  mot  màgi  ou  davantage,  et  il  faut  en  ce  cas — et  toujours  en  cas 
de  doute  —  insérer  le  proverbe  eu  question  sous  chacun  de  ses  mot 
màgi.  L'auteur  l'a  fait  quelquefois,  mais  pas  assez  souvent,  et  il  i  a 
de  ce  chef  des  lacunes  regrettables,  comme  par  exemple  celles  dont 
on  se  rendra  compte  immédiatement  en  comparant  les  articles 
bandiero  et  capitaux,  cabeslre  et  cireta. 

Il  serait  bon  de  définir  au  moins  brièvement  certains  vocables 
rares,  et  il  serait  indispensable  d'indiquer  la  situation  des  localités  et 
de  donner  quelques  détails  sur  les  personnages  istoriques  ou  légen- 
daires dont  le  nom  sert  de  mot  màgi  ;  quelques  exemples  sont  indi- 
qués au  préambule  (p.  xvm),  mais  il  aurait  fallu  donner  au  moins 
une  brève  explication  à  chaque  article  alfabétique  mettant  en  jeu  des 
noms  de  lieux  ou  de  personnes  non  universellement  connus. 

Une  partie  de  ces  fautes  pourra  être  réparée  au  tome  II;  une 
autre  ne  pourrait  l'être  que  dans  une  deuxième  édition  du  tome  Ier. 

Tel  qu'il  se  présente  actuellement  dans  son  premier  volume,  ce 
recueil  peut  assurément  rendre  des  services,  au  point  de  vue  de  l'ori- 
ginalité et  de  la  saveur  terradourenco  du  stile,  aux  écrivains  méri- 
dionaux qui  le  consulteront  avec  précaution.  11  aurait  pu  en  rendre 
de  plus  grands  encore  s'il  avait  été  élaboré  avec  plus  de  métode. 

Jules  Ronjat. 


Cartabèa  de  Santo-Estello,  adouba  e  publica  pèr  lou  Burèu 
dôu  Cjunsistôri  felibren.  —  N°  6(1908-1909).  —Vers  lou  Baile 
dôu  Counsistôri  emai  en  librarié  Roumanille,  Avignoun. 

Ate  dôu  Felibrige  dins  l'annado  escoulado  ;  discours  dôu  Capoulié 
Devoluy  à  la  Santo-Estello  de  Touloun  ;  nouvelun  dis  assouciacioun 
afihado;  necrouloge  de  Chabaneau,  Plauchud,  Nyblom,  Boheman, 
etc.. 

J.  R. 


202  COMPTES   RENDUS. 

Frederick  Bliss  Luquiens.  —  An  introduction  to  Old  French 
phonology  and  morphology.  New  Haven,  Conn,,  Yale  University 
Press,  London,  Henry  Frowde,  Oxford  University  Press,  1909, 
147  p. 

Le  but  de  ce  livre  est  de  préparer  l'étudiant  à  lire  VA Itfranzo- 
sische  Grammatik  de  Schwan  et  Behrens  (p.  5)  L'auteur  a  souvent 
adopté  une  rédaction  purement  schématique,  et  cela  parfois  au  détri- 
ment de  la  clarté  pourtant  spécialement  désirable  dans  un  guide 
élémentaire  :  estuveir  <^  *  estopére  (p.  135)  sera  sans  doute  pour 
maint  étudiant  un  véritable  rébus  ;  il  aurait  fallu  expliquer  au  moins 
en  note  qu'il  s'agit  d'un  verbe  construit  en  partant  de  opus  est. 
L'exactitude  est  aussi  désirable  que  la  clarté  :  pourquoi  donne-t-on 
p.  19  fr.  tour  comme  exemple  de  u  fermé  opposé  à  u  ouvert  dans 
ang.  book?  p.  27  :  à  lat.  class.  b  intervocalique  répond  lat.  vulg. 
v,  faba  >  fava;  il  n'eût  pas  été  inutile  d'indiquer  qu'il  s'agit  d'un 
v  bilabial  à  l'origine.  Pourquoi,  dans  les  mots  du  vieux  français,  ce 
mélange,  souvent  peu  conséquent  ou  insuffisamment  expliqué,  de 
grafies  traditionnelles  et  de  transcriptions  fon<Hiques  ?  Tout  cela 
semble  fait  pour  troubler  et  égarer  les  étudiants  auxquels  le  livre 
s'adresse.  Ces  réserves  faites,  ils  i  trouveront  en  général  une  infor- 
mation sûre,  un  ordre  commode  (1°  le  vieux  français  jusque  vers 
1 100  ;  2°  son  évolution  ultérieure  jusque  vers  1515)  et  une  disposition 
tipografique  qui  fait  nettement  ressortir  les  divisions  et  facilite 
beaucoup  les  recherches. 

J.    R. 


Novelari  català    dels  segles  XIV  a  XVIII,   publicat  per  R. 
Miquel  y  Planas.  Barcelona,  carrer  do  Mallorca,  207. 

Ont  déjà  paru  dans  cette  série,  chaque  nouvelle  en  une  petite  bro- 
chure indiquant  les  sources  dans  une  courte  notice  placée  à  la  fin  : 
Pierres  de  Provença  (je  ne  l'ai  pas  sous  les  ieux),  La  istoria  de 
Jacob  Xalabin  (ms.  du  XVe  siècle,  à  la  Bibl.  nat.  de  Paris,  déjà 
publié  il  i  a  quelques  années  par  la  Socieiat  catalana  de  bibliàftls), 
La  istoria  de  la  pilla  del  emperador  Contasti  (mèmems.  que  Xala- 
bin, Contasti  a  été  publié  en  1901  par  M.  Suchier  dans  Romania 
et  a  paru  en  1906  dans  le  t.  IV  du  Recull  de  textes  catalans  anlichs), 
Storiadd  amat  Frondino  *■  de  Brisona  (ms  du  XVe  siècle,  à  la  Bibl. 
nat.  de  Paris,  publié  en  1891  par  M.  P.  Meyer  dans  Rowania), 
Istoria  de  la  fiyla  del  rey  d'Unyria  (deux  versions  différentes  d'a- 
près des  ms.  du  XIVe  siècle    conservés  eu  Catalogne),  La  kistoria 


COMPTES   RENDUS.  203 

de  las  amors  e  vida  del  canaller  Paria  e  de  Viana  fllla  del  Dalf  de 
França  (réimpression,  avec  quelques  fac-similé,  donnant  la  compa- 
raison de  deux  incunables  conservés  en  exemplaires  uniques,  l'un  à 
la  bibliotèque  de  Y  Institut  d'esludis  catalans,  l'autre  à  la  bibliotèquo 
royale  de  Copenague,  celui-ci  a  été  publié  par  M.  Kaltenbacher, 
Erlangen,  1904,  avec  quelques  erreurs  que  relève  M.  Miquel  y 
Planas).  L'édition  est  élégante  et  commode  à  consulter;  les  va- 
riantes et  les  restitutions  sont  soigneusement  indiquées,  ainsi  que  la 
pagination  des  originaux;  les  lignes  de  tipografie  sont  numérotées 
de  cinq  en  cinq,  ce  qui  permet  des  citatious  précises  et  des  vérifica- 
tions aisées.  On  suit  dans  ces  nouvelles  plusieurs  féno mènes  inté- 
ressants du  moyen  catalan  :  conservation  des  prétérits  comme  dix 
<;  dixit  (aujourd'ui  digue)  jusque  dans  Parts  e  Viana,  substitution 
de  -u  à  -ts  aux  2«s  pers.  du  plur.  des  verbes  (Xalabin,  1315  :  No 
digats  res,  siuo  vos  sou  morta;  Contasti,  1015  :  Senyor,  vos  sajnals 
que  vos  sou  1>  meu  pare;  ces  exemples  sont  exceptionnels  sauf 
dans  Pan's  e  Viana,  où  -u  est  au  contraire  la  règle),  futur  encore 
coupé  en  deux  par  un  pronom  régime  dans  Contasti  (190,  dirlosels 
avons  leur  direz»),  etc  .. .  Elles  sont  d'autre  part  souvent  d'une  lec- 
ture fort  attachante  :  La  fllla  de  Contasti  et  (la  première  version 
surtout)  La  fila  del  rey  d'Ungria  sont  des  contes  exquis    de   grâce 

naïve  et  de  discrète  émotion. 

J.  R. 

Claude  Peyrot.  —  Poésies  rouergates,  suivies  d'un  choix  de  ses 
poésies  françaises,  édition  critique  avec  introduction  et  glossaire 
par  Léopold  Constans,  majorai  du  Félibrige,  professeur  à  l'Uni- 
versité d'Aix-Marseille,  précédée  d'une  notice  biographique  et 
littéraire  par  Jules  Artières.  Millau,  Articres  et  J.  Maury;  Avi- 
gnon, veuve  Roamanille ,  1909,  in-8°  de  xlviii-308  p. 

J'ai  déjà  eu  l'occasion  de  dire  (Vivo  Prouvènço !  nos  37  et  01)  eu 
quelle  estime  les  félibres  tiennent  le  talent  de  Peyrot,  qui  a  su 
o  rejouveni  la  sabo  de  la  pouësio  terradourenco  en  un  siècle  em- 
bouni  de  literaturo  de  Court  e  d'Acadèmi  ».  Je  me  bornerai  ici  à 
recommander  au  lecteur  pressé  les  Quatre  sosous  et  les  pièces  plus 
courtes  qui  sont  aux  p.  162  et  166  de  l'édition  Constans;  le  reste 
est  moins  intéressant.  Quant  à  l'édition  en  elle-même,  elle  est 
soignée,  mais  elle  l'aurait  pu  l'être  davantage.  C'était  une  bonne 
idée  que  de  nous  donner  un  Peyrot  en  saine  ortografe  félibréenne, 
mais  il  fallait  réaliser  cette  idée  et  laisser  de  côté  des  fantaisies  gra- 
fiques  comme  z  pour  s,  s  pour  ss  (agrémentées  d'inconséquences 
comme  meisou  «  moisson  »  contre  fraisses  «  frais  »,  etc.),  iù  pour 


204  COMPTES   RENDUS. 

in  (pourquoi  noter  d'un  accent  justement  l'élément  faible  de  la  dif- 
tongue?).  Des  choses  de  médiocre  intérêt  sont  longuement  déve- 
loppées :  la  notice  de  SI.  A.  répète  souvent,  pour  des  détails 
biografiques,  l'introduction  de  M.  C;  on  dirait  que  l'un  n'a  pas  lu 
le  travail  do  l'autre.  Far  contre,  des  choses  fort  intéressantes  ne 
sont  pas  expliquées  :  ainsi  p.  xi.v  on  signale  sans  autre  commen- 
taire une  «  rime  de  la  lre  personne  du  singulier  de  l'imparfait,  Goli, 
22  et  39,  avec  la  3e,  25-6,  rime  qui  n'a  rien  que  d'ordinaire  à  cette 
époque».  Un  point,  et  c'est  tout.  Au  passage  cité  je  trouve  en  effet 
\u  te  delorgabo  —  Voiijognal  s'estourrabo  —  moun  bestial  s'opos- 
turgabo  —  )u  m'espotorrabo.  Est-ce  une  licence  poétique  ou  une 
forme  dialectale?  M.  Constans  doit  le  savoir;  il  aurait  pu  le  dire. 

Jules  Ronjat. 


Géraud  Lavergne.  —  Le  parler  bourbonnais  aux  XIIIe  et  XIVe 
siècles,  étude  philologique  de  textes  inédits.  Paris,  Champion, 
Moulins,  Grégoire,  1909,  176  p. 

M.  Géraud  Lavergne  publie  in  extenso  et  commente  les  pièces 
que  M.  Goerlich  avait  déjà  utilisées  dans  son  article  Der  burgun- 
dische  Dialekt  im  XIII.  und  XIV.  Jahrhundert  {Franzosische  Stu- 
dien,  VII.  Band,  1.  Heft,  1889).  Il  est  archiviste  paléografe,  mais  il 
n'est  pas  linguiste  :  son  édition  paraît  irréprochable,  mais  son  com- 
mentaire ne  l'est  point.  Les  textes  publiés,  relatifs  à  différentes 
localités  du  Bourbonnais,  sont  lous  écrits  en  français  bourguignon 
plus  ou  moins  influencé  par  le  français  littéraire  de  l'Ile  de  France 
et  parsemé  çà  et  là  de  quelques  formes  propres  aux  divers  parlers 
locaux  du  Bourbonnais.  On  sait  que  le  Bourbonnais  se  trouve  placé 
au  point  de  rencontre  des  trois  principaux  courants  linguistiques  de 
la  Gaule,  français,  franco-provençal  et  provençal  :  la  plus  grande 
partie  du  pays  use  de  patois  ou  de  français  régionaux  analogues 
aux  patois  ou  aux  français  régionaux  du  Berri  et  de  la  Bourgogne 
ou  présentant  une  transition  entre  ces  deux  groupes  linguistiques; 
dans  la  région  de  Lapalisse  on  rencontre  des  patois  plus  ou  moins 
analogues  à  ceux  du  Forez,  du  Lionnais,  du  Daufiné  septentrional, 
etc  ..;  le  langage  indigène  de  Gannat  est  étroitement  apparenté  à 
celui  de  l'Auvergne  septentrionale,  lequel  se  rattache  indiscuta- 
blement au  groupe  des  parlers  provençaux,  lauguedociens,  etc... 
Dans  ses  grandes  lignes,  cette  répartition  parait  remonter  au  plus 
aut  moyen  âge,  mais  depuis  elle  s'est  compliquée  à  une  époque  et 
dans  des  conditions  que  nos  informations  ne  permettent  pas  de 
déterminer  précisément,  et  les   textes  publiés  par   M.  G.  L.  n'éclai- 


COMPTES    RENDUS.  205 

rent  pas  particulièrement  la  question.  Quant  on  parcourt,  comme  je 
l'ai  fait  après  M.  de  Tourtoulou ',  le  pays  à  l'O.  de  l'Allier,  outre 
Gannat  et  SaintPourçain,  on  entend,  par  exemple  à  Chan  telle,  à 
Charroux,  à  Lscurolles,  àSaint-Remi-en-Rollat,  des  parlera  intermé- 
diaires qu'un  observateur  connaissant  le  français,  le  provençal  et  un 
patois  des  environs  de  Vienne  sur  Rhône  comprend  tantôt  à  l'aide  de 
l'un  de  ces  idiomes,  tantôt  à  l'aide  de  plusieurs  combinés  à  deux  ou  à 
trois.  Classer  plus  exactement  ces  parlera  exigerait,  pour  un  seul 
observateur,  des  années  d'études  sur  place.  Vers  quelle  époque  se 
serait  particulièrement  accentué  le  caractère  composite  ou  transi- 
tionnel  qui  nous  les  fait  apparaître  aujourd'ui  comme  une  île  placée 
à  la  rencontre  des  trois  grands  courants  linguistiques  de  la  Gaule, 
nous  ne  le  saurons  peut-être  jamais. 

Les  documents  publics  par  M.  G.  L.  ne  reflètent  naturellement  la 
situation  linguistique  du  Bourbonnais  au  moyen  âge  que  dans  la 
faible  mesure  où  ils  admettent  des  formes  locales.  L'éditeur  a  relevé 
ces  formes  dans  le  commentaire  filologique  qui  constitue  la  deu- 
xième partie  de  son  livre;  il  les  explique  assez  souvent  d'une  façon 
peu  eurense.  Ou  lit  par  exemple  p.  117  que  lat.  ca  __  devient  che 
__  (traitement  français),  quelquefois  chi  __,  et  qu'  «  à  Lapalisse 
Chasalet  montre  l'influence  provençale  »;  non,  c'est  une  forme  locale, 
naturellement  conservée  telle  quelle,  comme  en  général  dans  les 
noms  propres  :  le  parler  de  Lapalisse  conserve  ici  a,  comme  le  pro- 
vençal, comme  l'italien,  etc.,  mais  il  n'i  a  aucune  influence  étran- 
gère. De  même  p.  120,  __  a  final  après  yod  (expression  trop  peu 
compréensive,  puisque  l'un  des  exemples  cités  est  planclii  <^  planai) 
passe  a  _L  ta  sous  une  influence  forézienne  ».  P.  119  :  «  A  atone 
final  passe  à  e  sourd  comme  en  français.  Ce  son  est  rendu  à  Verneuil 
par  et:  chosseis  59.  Cette  grafie,  qui  est  appliquée  aussi  aux  formes 
atones  ceteis,  leis,  deis,  semble  répondre  à  une  articulation  appuyée. 
Il  est  curieux  de  remarquer  que  le  curé  Farge,  qui  a  traduit  pour  la 
région  d'Ebreuil  la  Parabole  de  l'Enfant  prodigue  en  1808,  lors  de 
l'enquête  sur  le  patois,  applique  à  l'e  sourd  la  grafie  ai  :  que  sont  a 
votrais  gageais.»  La  rédaction  est  souvent  bizarre;  pour  le  fond,  il 
n'est  pas  surprenant  qu'à  Kbreuil,  qui  est,  d'après  M.  de  Tourtoulon, 
à  cheval  sur  la  limite  du  provençal  et  du  français,  on  entende   dans 

1  Je  dois  remercier  ici  M.  de  Tourtoulon  d'avoir  bien  voulu  me  com- 
muniquer les  notes  (restées  manuscrites)  qu'il  avait  prises  sur  place  en 
continuant  seul  l'enquête  commencée  avec  Bringuier  sur  la  Limite 
géograhque  de  la  langue  d'oc  et  de  la  langue  d'oïl  (n'ont  été  publiés 
que  les  résultats  pour  la  région  entre  l'Océan  et  les  environs  de  Guéret, 
Impr.  nationale,  1876). 


206 


COMPTES   RENDUS. 


les  pluriels  masculins  un  e  (ouvert?  fermé?  comment  le  curé  Farge 
prononçait-il  j'ai ,  épais,  etc..  dans  son  français  régional?),  et  il  est 
intéressant  qu'à  Verneuil,  au  N.-O.  de  Saint-Pourçain,  en  plein 
domaine  linguistique  français,  on  ait  eu  au  moyen  âge  chosseis 
<^  causas,  ceteis  <^  ecce  istas  et  leis  <;  illas,  mais  il  ne  faudrait  pas 
confondre  ces  faits  différents.  Ibid.,  note  2  :  «  Il  se  produit  uu  fait 
analogue  d'allongement  dans  les  désinences  verbales  en  e  sourd 
suivi  de  ni;  l'accent  est  reporté  sur  la  posttonique,  comme  l'indiquent 
les  grafies  tegnant  32,  séant  69,  priant  58,  05,  68,  s'enseguant  65, 
s'ensiguant,  devant  99».  Je  me  reporte  aux  pages  citées  et  je  trouve: 
32  tegnant  et  porteint,  «  tiennent  et  portent»,  69  séant,  «  sont  sises, 
sont  situées  »,  58,  65,  68  non  pas  priant,  mais  puant  «  peuvent  »,  65 
s'ensegant  et  s'en  segant  (mais  non  s'enseguant)  «  s'ensuivent  », 
devant  nous  et  davant  nos  «  devant  nous  ».  Il  s'agit  donc  (sauf 
pour  devant,  davant  cité  par  inadvertance)  de  troisièmes  personnes 
en  -tint  répondant  à  lat.  eut  ou  -unt,  dans  des  actes  dressés  non 
seulement  à  Verneuil  (p.  58,  65,  68),  mais  à  Bourbon  (p.  99);  p.  32 
l'acte  est  publié  sans  mention  de  localité.  En  quoi  séant  <^  sedent 
est-il  un  fait  spécifiquement  analogue  à  chosseis  <^  causas  et  à 
votrais  <^*vostros'ï  Qu'est-ce  qui  prouve  qu'on  accentuait  seânt  et 
non  séant?  L'éditeur  aurait  pu  nous  dire  comment  on  accentue  au- 
jourd'ui  :  c'eût  été  un  renseignement  utile  au  lieu  d'une  ipotèse 
oiseuse.  P.  123  on  apprend  non  sans  étonnement  que  d  intervoca- 
lique  (?)  se  conserve  dans  vende  <^vendita,  perdes  <^perdilas, etc.. 
«  d'une  manière  sporadique  qui  atteste  l'influence  provençale  »;  cela 
veut  dire  que,  comme  en  Provence,  lat  -ndït-,  -rdït-  donne  après 
sincope  -nd-,  -rd-,  et  non  -ni,  -rt-  comme  dans  l'Ile  de  France. 
P.  124  :  «  Dans  begstes,  peysche>ies  71,  »  (bêtes  et  pêcheries,  ce 
dernier  mot  n'est  pas  p.  71.  mais  p.  70,  et  est  écrit  peyscheryes) 
o  malgré  lagrafie,  l'allongement  de  e  en  ei  montre  que  la  cbute  de  s 
s'était  déjà  produite  » .  Pourquoi?  s  devant  consonne  peut  devenir 
yod  ou  s'amuïr  par  des  étapes  que  M.  Rousselot  a  minutieusement 
étudiées,  mais  il  n'i  a  rien  d'impossible  à  ce  qu'un  yod  se  développe 
entre  e  et  s  -j-  consonne  comme  il  se  développe  entre  e  et  8  finale 
directe  (Limousin,  Trièves,  etc.);  en  tout  cas  ces  grafies  ne  prou- 
vent rien,  comme  beaucoup  d'autres  grafies. 

M.  G.  L.  emploie  le  mot  dissimulation  sans  en  connaître  le  sens, 
il  tire  enbes  —  embes  «  avec  »  de  la  «  forme  cardinale  féminine  de 
*ambi  (p.  132),  etc..  etc..  »  Malgré  tout,  son  commentaire  est  uti- 
lisable, à  la  condition  de  contrôler  soigneusement  tous  les  faits  en 
se  reportant  aux  pages  où  les  formes  commentées  apparaissent  dans 
les  textes  publiés.  Quant  au  bref  chapitre  final  intitulé  Les  résul- 
tats et   la  question  des  patois,    il    se    compose   de    considérations 


COMPTES    RENDUS.  -07 

vagues  sur  lo  recul  actuel  des  patois  devant  le  français  combinées 
avec  des  considérations  asardeuses  sur  l'état  de  choses  antérieur. 
J'ai  cherché  plus  aut  à  résumer  ce  que  nous  pouvons  savoir  sur  ce 
dernier  point.  Mais  je  dois  justifier  au  moins  par  une  citation  ma 
critique  du  résumé  que  présente  M.  G.  L.  :  «  A  Peure  actuelle,  il 
est  difficile  de  démentir  preuves  en  main  M.  Dauzat  qui,  très 
informé  de  toutes  les  questions  linguistiques  qui  touchent  à  la  Basse- 
Auvergne,  écrit  :  «  Un  paysan  des  environs  de  Moulins  parle  une 
langue  très  voisine  de  celle  du  cultivateur  des  environs  de  Paris. 
Un  abitant  de  Saint-Pourçain  (Allier)  ne  comprend  pas  le  patois 
d'Aigueperse  ».  On  ne  saurait  indiquer  plus  clairement  que  le  français 
règne  en  maître  en  Bourbonnais  et  qu'il  n'existe  plus,  dans  la  pra- 
tique courante,  entre  langue  française  et  dialectes  d'oc,  cette  con- 
tinuité par  laquelle  s'opérait  autrefois  le  passage  de  l'une  à  l'autre 
signalé  par  Raynouard  ».  C'est  dénaturer  au  moins  pour  partie  la 
pensée  de  M.  Dauzat  et  méconnaître  gravement  les  faits.  J'ai  indi- 
qué plus  aut  qu'entre  Gannat  et  Saint-Pourçain.  soit  sur  un  par- 
cours d'environ  20  kilomètres  (Aigueperse  est  encore  à  10  kilomètres 
environ  au  sud  de  Gannat)  on  rencontre  des  parlers  intermédiaires. 
Mais  rien  ne  prouve  que  cette  nappe  intermédiaire  ait  été  jadis  plus 
large.  Il  paraît  au  contraire  assez  probable  que  les  parlers  indigènes 
de  Gannat  et  de  Saint  Pourçain,  nettement  et  dès  le  moyen  âge,  se 
rattachaient  respectivement  au  sistème  provençal  et  au  sistème  fran- 
çais. Il  est  en  tous  cas  certain  que  M.  Dauzat  a  écrit  [Essai  de  mèto- 
dologie  linguistique  dans  le  domaine  des  langues  et  îles  patois  romans, 
Paris,  Champion,  1906,  p.  127)  :  «  Un  paysan  des  environs  de  Moulins 
parle  une  langue  très  voisine  de  celle  du  cultivateur  des  environs 
de  Paris,  distance  3l3  kilomètres.  Un  abitant  de  Saint-Pourçain 
(Allier)  ne  comprend  pas  le  patois  d'Aigueperse  (Pui-de-Dôme), 
distance  30  kilomètres.  Le  patois  de  Clermont-Ferrand  est  fonéti- 
quementet  morfologiquement  bien  plus  apparenté  à  celui  de  Marseille 
qu'à  celui  de  Lapalisse  ».  Les  premiers  exeaqjles  peuvent  évidem- 
ment s'interpréter  comme  les  interprète  M.  G.  L.  :  paysan  parlant 
français  régional  ne  comprenant  pas  un  patois  provençal.  Mais  le 
dernier  tout  au  moins  a  un  tout  autre  sens  :  il  s'agit  de  la  compa- 
raison de  deux  patois.  Un  tout  autre  sens  et  une  tout  autre  portée. 
On  enseigne  généralement  que  le  latin  vulgaire  de  la  Gaule  a  évolué 
par  dégradation  continue,  et  Gaston  Paris  a  dit  :  «  Un  villageois 
qui  ne  saurait  que  le  patois  de  sa  commune  comprendrait  sûrement 
celui  de  la  commune  voisine,  avec  un  peu  plus  de  difficulté  celui 
de  la  commune  qu'il  rencontrerait  plus  loin  en  marchant  dans  la 
même  direction,  et  ainsi  de  suite  jusqu'à  un  endroit  où  il  n'entendrait 
plus  que  très   péniblement  l'idiome  local  ».   Mes  observations  per- 


"208  COMPTES    RENDUS, 

sonnelles  sur  la  zone  extrême  des  parlers  provençaux  au  N.  infir- 
ment cette  ipotèse,  d'accord  avec  les  observations  de  MM.  de 
Tourtoulon,  Rousselot,  Dauzat,  etc..  A  cette  ipotèse  il  faut  subs- 
tituer une  explication,  (l'est  ce  que  je  tâche  de  faire  dans 
mon  livre  en  préparation,  Istoire  de  la  langue  et  de  la  littérature 
néo-provençales,  en  examinant  de  mon  mieux  les  faits  tels  qu'ils 
se  présentent  eu  réalité  :  des  Pirénées  et  de  la  Méditerranée  à 
la  Manche,  larges  étendues  de  terrain  où  les  gens  se  comprennent 
non  de  commune  à  commune,  mus  souvent  sur  des  centaines  de 
kilomètres;  à  la  rencontre  de  ces  étendues  de  terrain,  soit  zones 
étroites  où  ils  se  comprennent  de  commune  à  commune  ou  entre 
groupes  plus  considérables,  mais  toujours  beaucoup  moindres  q^ie 
dans  les  larges  étendues  relativement  omogènes,  soit  lignes  coupant 
en  deux  un  village  ou  séparant  deux  villages  voisins  qui  ne  se 
comprennent  pas  l'un  l'autre.  Le  détail  est  infiniment  compliqué,  et 
tout  fait  nouveau  peut  être  lumineux.  Je  croyais  trouver  une  louable 
abondance  de  faits  nouveaux  dans  l'ouvrage  de  M.  G.  L.  qui,  se 
trouvant  sur  place,  dans  un  pays  tout  particulièrement  intéressant 
au  point  de  vue  que  j'envisage,  aurait  pu  et  dû  éclairer  l'état  ancien 
par  l'état  actuel  :  un  patois  vivant,  même  à  l'état  de  bribes,  ou  un 
français  régional  conservant  une  partie  de  l'éritage  fonétique  du 
patois  qu'il  a  évincé,  c'est  la  lumière  nécessaire  pour  commenter 
de  vieilles  chartes,  surtout  des  chartes  en  français  plus  ou  moins 
régional  avec  des  bribes  de  patois.  Ni  la  matière  ni  les  ouvriers  ne 
manquent  (voir  p.  140-142)  :  à  M.  G.  L.  de  mettre  la  matière  en 
mouvement  et  les  ouvriers  en  campagne  pour  que,  comme  il  le  dit, 
«  cet  essai  trop  imparfait  serve  un  jour  à  comparer  entre  eux  les 
faits  linguistiques  coustatés  au  xme  siècle  et  ceux  des  derniers  pat>»is 
locaux  ». 

Jules  Ronjat. 

J.-B.  Beck.  —  Die  Melodien  der  Troubadours  nach  dem  gesamten 
handschriftlichen  Material  zum  erstenmal  bearbeitet  uud  heraus- 
gegeben,  nebst  einer  L'ntersuchung  liber  di^  Entwickelung  der 
Notenschiift  (bis  uni  1250)  und  das  rythmisch-metrische  Prinzip 
der  mittelalterlich-lyrischeu  Dicbtungen,  mit  Uebertragung  in 
moderne  Noten  der  Melodien  der  Troubadours  und  Trouvères. 
Slrasburg,  K.J.  Trûbner.  1008;  vi  -j-  202  pages  in-4°. 

Contrairement  à  ce  que  ferait  supposer  le  titre  de  l'ouvrage, 
M,  J.-B.  Beck  donne,  dans  ce  volume,  non  la  transcription  en  nota- 
tion moderne  des  chansons  des  troubadours,  mais  une  étude  théo- 
rique  sur    le   principe   même  d'après   lequel   doivent   être    lues    et 


COMPTES   RENDUS.  209 

interprétées  les  mélodies  du  moyen-âge  '.  C'est  une  démonstration 
du  caractère  modal  du  chant  monodique  aux  XlIc-XlVe  siècles  et 
la  justification  du  principe  de  l'interprétation  modale  des  chansons 
notées  en  écriture  neumatique  (neumes  proprement  dits  et  neumes 
diastématisés  des  écritures  romane  et  messine)  que  l'auteur  tente  ici 
avec  une  méthode  et  une  rigueur  qui  rendent  ses  conclusions  d'ores 
et  déjà  acquises  à  la  science. 

Les  lecteurs  français  connaissaient  les  résultats  des  recherches  de 
M.  J.-B.  Beck  par  les  publications  plagiaires  de  M.  Pierre  Aubry 
(cf.  Annales  dit  Midi,  XXII  p.  1 13  et  suiv.).  Ce  qu'ils  ignoraient,  c'est 
le  nom  de  l'auteur  de  la  découverte  et  le  travail  opiniâtre  qu'elle 
lui  a  coûté  En  rappelant  ici  leur  attention  là-dessus,  je  ne  fais  que 
payer  un  tribut  de  juste  reconnaissance  à  l'auteur  du  plus  important 
livre  sur  la  rythmique  médiévale  qui  ait  paru  depuis  l'étude  de 
M.  Wilhelm  Meyer  (de  Spire)  sur  le  Ludus  de  Anlcchrislo . 

Pour  s'apercevoir  de  l'immense  labeur  que  représentent  Die  Me- 
lodien  der  Troubadours,  il  suffit  d'en  parcourir  la  première  partie 
(pp.  1-82)  où  est  dressé  l'inventaire  détaillé  des  mss.  étudiés  par 
l'auteur.  On  sait  les  controverses  auxquelles  donnait  lieu,  avant 
M.  J.-B.  Beck,  l'interprétation  des  divers  systèmes  de  notation  em- 
ployés au  moyen-âge.  Les  écritures  qui  marquent  graphiquement  la 
valeur  de  durée  de  chaque  note  (notations  mesurées)  emploient  les 
mêmes  signes  que  les  notations  antérieures,  toutes  issues  de  l'écri- 
ture neumatique  du  haut  moyen-âge.  Dans  l'écriture  romane  {nota 
quadrata),  ce  sont  des  carrés  munis  ou  non  d'une  queue  et  leurs 
combinaisons  (ligatures  et  conjonctures);  dans  ces  dernières  on 
rencontre  aussi  des  losanges,  que  les  notations  mesurées  emploie- 
ront également  pour  représenter  les  notes  simples,  non  groupées. 
Ce  qui  distingue  les  notations  mesurées  de  la  notation  antérieure, 
c'est  la  disposition  différente  des  mêmes  signes;  pour  nous  en  tenir 
aux  notes  simples,  les  carrés  munis  de  queue,  les  longe,  y  alternent 
suivant  certaines  règles  avec  des  carrés  qui  en  sont  dépourvus,  les 
breues,  et  des  losanges,  les  semibreues,  quand  il  y  en  a.  Si  l'on 
considère  qu'entre  les  mss.  où  cette  régularité  est  observée  stricte- 
ment et  ceux  où  elle  ne  l'est  point,  se  placent  des  mss.  intermédiaires 
qui  présentent  des  tentatives  plus  ou  moins  heureuses  d'appliquer 
les  principes  de  la  disposition  régulière,  on  concevra  combien  il  est 
malaisé  parfois  de  distinguer  la  notation  mesurée  de  celle  qui  ne 
l'est  pas. 

Cette  difficulté  n'est  pas  la  seule.  Le  caractère  non  mesuré  d'une 
notatiou  dûment  établi,  il  se  pose  la  question  de    son    interprétation. 

1  Ces  transcriptions  seront  publiées  dans  un  volume  ultérieur. 


210  COMPTES    RENDUS. 

Car  si  les  traités  de  musique  des  théoriciens  du  moyen-âge  nous  don- 
nent la  clef  de  la  notation  mesurée,  en  expliquant  par  le  menu  la 
valeur  de  durée  qui  revient  à  chaque  signe  suivant  la  place  qu'il 
occupe  dans  une  période  rythmique,  ils  ne  donnent  aucun  renseigne- 
ment analogue  sur  les  notations  où  la  distribution  des  longe  oubreues 
ne  correspond  à  aucune  formule  rythmique  fixe  (modus).  Les  règles 
des  mensuralistes  sur  la  valeur  des  longe  et  des  breues  (p.  ex. 
longa  ante  longam  ualet  tria  temporà)  s'appliquaient-elles  néan- 
moins à  ces  notations  non  mesurées  ?  Ou  bien  les  chansons  notées 
de  la  sorte  devaient-elles  se  chanter  sur  un  rythme  uniforme  pour 
toutes  ces  compositions  ou  bien  encore  sur  le  rythme  libre  du  débit 
déclamatoire,  comme  dans  le  plain-chant  restauré  par  les  Béné- 
dictins de  Solesmes ?  Depuis  cent  ans  les  musicologues  en  dispu- 
taient sans  pouvoir  se  mettre  d'accord.  Pour  y  voir  clair,  M.  J.-B. 
Beck  a  fait  d'abord  table  rase  de  toutes  les  théories,  puis,  s'inter- 
disant  toute  spéculation  abstraite,  s'est  mis  à  étudier  attentivement 
les  mss.  et  à  les  comparer.  11  a  commencé  par  dresser  le  catalogue 
complet  des  mélodies  provençales;  les  259  compositions  représentées 
par  370  textes  musicaux  ne  lui  ayant  pas  paru  fournir  une  base 
suffisante  à  ses  recherches,  il  a  étudié  un  millier  de  mélodies  fran- 
çaises dans  environ  quatre  mille  copies.  Comparant  ensuite  les 
résultats  de  ce  dépouillement  formidable  avec  ce  que  lui  avaient 
appris  les  mss.  des  motets  et  des  autres  compositions  polypho- 
niques et  les  traités  des  théoriciens  du  moyen-âge,  il  a  abouti  aux 
constatations  suivantes  : 

1°  Contrairement  à  la  croyance  générale,  l'écriture  mesurée  n'est 
pas  réservée  à  la  notation  des  compositions  polyphoniques,  et  l'écri- 
ture non  mesurée  à  celle  des  compositions  monodiques.  Il  existe  des 
motets  dont  la  musique  est  écrite  en  notes  non  mesurées,  comme  il 
y  a  des  chansons  monodiques  dont  la  mélodie  est  notée  d'après  les 
règles  des  mensuralistes.  Bien  mieux,  une  seule  et  même  mélodie, 
employée  à  la  fois  comme  monodie  et  comme  motet,  se  trouve  écrite 
en  notes  non  mesurées  dans  le  texte  polyphonique  et  en  notes 
mesurées  dans  le  texte  monodique  (2  exemples),  sans  parler  des  cas, 
assez  nombreux,  où  le  même  air,  tout  en  conservant  son  caractère 
monodique,  est  transmis  à  la  fois  par  les  copies  mesurées  et  non 
mesurées.  Il  suit  de  là  que  la  notation  mesurée  ou  non  d'une  com- 
position est  indépendante  du  caractère  de  cette  composition,  et  que, 
par  conséquent,  une  différence  de  graphie  n'implique  aucune  diffé- 
rence musicale.  Il  convient  de  distinguer  l'évolution  de  l'écriture 
musicale  de  l'évolution  de  la  rythmique  musicale. 

2°  L'étude  comparative  de  plusieurs  copies  non  mesurées  de  la 
même  mélodie  démontre  que  dans  ce    système   d'écriture  musicale 


COMPTES   RENDUS.  211 

les  notes  n'expriment  pas  la  valeur  de  durée  des  sons  qu'elles  repré- 
sentent. En  effet,  si  le  profil  de  la  mélodie  est  conservé  fidèlement 
dans  les  différentes  copies  du  même  texte  (sauf  l'ornementation  plus 
ou  moins  riche  de  certaines  notes  et  les  transpositions  de  la  mélodie 
dans  une  tonalité  plus  élevée  ou  plus  basse),  la  distribution  des 
notes  simples,  pour  ne  parler  que  d'elles,  en  longe  et  b renés  dépend 
uniquement  de  la  fantaisie  du  scribe.  Il  arrive  même  souvent  qu'un 
seul  et  même  copiste  le  distribue  différemment  dans  les  deux  reprises 
de  la  même  phrase  musicale. 

3°  Tous  les  textes  sans  exception,  dont  le  rythme  est  exprimé 
graphiquement  par  les  notes  mesurées,  qu'il  s'agisse  des  composi- 
tions polyphoniques  ou  monodiques,  nous  montrent  qu'aux  XI Ie- 
XIVe  ss.,  la  musique  n'employait  qu'un  nombre  déterminé  de  for- 
mules rythmiques  fixes,  de  valeur  ternaire,  composées  de  deux  ou 
de  trois  éléments.  Ces  formules,  que  les  théoriciens  du  moyen- âge 
étudient  longuement  dans  leurs  traités  sous  le  nom  des  modes,  se 
combinent  avec  une  liberté  relative  dans  les  compositions  polypho- 
niques, mais  emprisonnent  très  étroitement  le  mouvement  rythmique 
des  monodies.  Des  six  modes  principaux  et  de  toutes  leurs  variétés 
que  nous  font  connaître  les  théoriciens  et  les  polyphonies,  les  textes 
écrits  en  notes  mesurées  des  chansons  des  troubadours  et  trouvères 
n'emploient  que  trois:  Ier  mode  :  longue,  brève;  2e  mode  :  brève, 
longue;  3e  mode  :  longue  parfaite  (=  pointée)  suivie  de  deux  brèves 
dont  la  dernière  vaut  le  double  de  la  première;  soit  dans  la  mesure 
uniforme  de  trois  temps  d'un  quart  de  ronde  :  1er  mode:  blanche, 
noire,  2e  mode  :  noire,  blanche;  3e  mode  :  noire  pointée,  croche, 
noire  simple.  Et  ces  trois  formules  ne  se  combinent  pas  entre  elles. 
Le  mode  adopté  est  suivi,  sauf  rares  exceptions,  (jusqu'au  XIVe  s. 
du  moins),  non  seulement  à  l'intérieur  de  chaque  phrase  musicale, 
mais  encore  dans  la  chanson  entière,  d'un  bout  à  l'autre.  La  seule 
infraction  à  ce  principe  rigide,  si  infraction  il  y  a,  consiste  à  faire 
débuter  une  phrase  d'un  mode  à  deux  éléments  par  une  mesure 
équivalente  de  trois  éléments  (trois  noires  en  gardant  notre  échelle). 

Ces  trois  constatations  sont  capitales  et  suffiraient,  à  elles  seules, 
à  renouveler  entièrement  le  sujet,  en  projetant  une  lumière  défini- 
tive sur  un  des  plus  obscurs  chapitres  de  l'histoire  de  la  musique 
médiévale.  En  établissant  la  distinction  entre  l'évolution  de  la  nota- 
tion et  l'évolution  de  la  musique,  M.  J.-B.  Beck  fait  sortir  enfin  la 
musicologie  de  l'impasse  où  elle  se  débattait  depuis  un  siècle,  et  pose 
un  principe  méthodologique  qui  marquera  une  date  dans  l'histoire  de 
la  science  musicale,  car  ses  applications  fécondes  ne  se  borneront 
assurément  pas  à  l'étude  delà  nota  quadrata.  En  découvrant  le 
caractère  modal  du  chant  monodique  au  moyen-âge,  il  restitue  à  la 


212  COMPTES   RENDUS. 

musique  d'alors  son  unité  et  débarrasse  la  science  du  plus  singulier 
problème  qu'elle  se  soit  jamais  posé.  Au  lieu  de  se  demander  pour- 
quoi les  six  modes,  inventés  pour  les  soi-dis3nt  besoins  de  l'art 
harmonique,  après  avoir  obsédé  l'humanité  pendant  deux  cents  ans, 
disparurent  aussi  mystérieusement  qu'ils  avaient  apparu,  on  étudiera 
comment  la  musique  strictement  modale  du  douzième  siècle,  dont  les 
origines  feront  l'objet  des  recherches  distinctes,  se  désagrégea  pro- 
gressivement sous  l'influence  de  l'art  plus  raffiné  et  rythmiquement 
plus  varié  des  compositions  polyphoniques,  pour  aboutir  à  la  liberté 
absolue  de  la  musique  moderne. 

Mais  M.  J.-B.  Beck  ne  s'en  est  pas  tenu  à  ces  deux  découvertes. 
Romaniste  en  même  temps  que  musicologue,  et  romaniste  de  l'excel- 
lente école  de  M.  Grceber,  il  a  pu  aborder  le  dernier  et  le  plus  ardu 
problème  que  lui  posaient  les  chansonniers  écrits  en  notes  non  me- 
surées. Les  troubadours  et  les  trouvères  ayant  rythmé  leurs  compo- 
sitions dans  trois  modes  différents,  à  quoi  reconnaissait-on  le  mode 
d'une  chanson  notée  dans  une  écriture  qui  n'indiquait  par  aucun 
signe  graphique  le  mouvement  rythmique  de  la  mélodie?  L'emploi 
d'une  notation  spéciale,  de  la  nota  quadrala  Ligala,  qui  sans  être 
mesurée  est  indicative  du  mode,  dans  les  compositions  sine  littera, 
sans  paroles,  livre  à  l'auteur  la  solution  du  problème.  C'est  la 
structure  rythmique  du  vers,  du  texte  poétique,  qui  déterminait  le 
mode  employé.  Cette  rythmique  poétique,  il  fallait  à  M.  J.-B.  Beck 
la  dégager  d'abord,  puisqu'elle  n'était  pas  encore  connue.  Je  ne 
puis  malheureusement,  faute  de  place,  donner  un  résumé,  même 
succinct,  des  belles  recherches  que  l'auteur  a  faites  à  ce  sujet.  Je 
dois  me  borner  à  dire  que  l'étude  de  la  structure  des  paroles  des 
chansons  dont  la  musique  est  écrite  en  notes  mesurées  lui  a  révélé 
qu'en  principe,  le  choix  du  mode  est  déterminé  à  la  fois  par  le  nombre 
des  syllabes  du  vefe  et  la  correspondance  des  accents  toniques  du 
vers  avec  les  temps  forts  ou  faibles  des  mesures  musicales.  M.  J.-B. 
Beck  n'a  étudié  la  rythmique  du  vers  roman  qu'autant  qu'il 
était  nécessaire  pour  établir  les  bases  de  la  théorie  de  l'interprétation 
modale  des  chansons  des  troubadours  et  trouvères.  Il  ne  s'est  donc 
occupé  que  du  vers  provençal  et  du  vers  français,  et  dans  ces  limites 
encore  il  a  dû  laisser  de  côté  tout  ce  qui  ne  se  rapportait  pas  direc- 
tement à  son  sujet. 

Mais  si  fragmentaire  qu'elle  soit,  cette  esquisse  suffit  pour  nous 
faire  apercevoir  que,  faute  de  connaître  le  rythme  du  vers,  nous 
ignorions  à  peu  près  tout  de  la  versification  romane.  C'est  ainsi  p. 
ex.  que  nous  apprenons  qu'il  faut  distinguer  entre  le  vrai  décasyllabe 
formant  des  périodes,  avec  ou  sans  césure,  de  dix  syllabes  du  déca- 
syllabe apparent  composé  de  deux  périodes  de  cinq  syllabes  séparés 


COMPTES    RENDUS.  213 

par  une  pause,  et  qu'en  général,  pour  la  détermination  du  vers 
employé,  il  y  a  à  tenir  compte  non  seulement  des  intervalles  sylla- 
niques  séparant  les  rimes,  mais  encore  de  la  structure  rythmique  des 
périodes  séparées  par  la  rime.  Ailleurs  on  nous  prouve,  à  l'aide  des 
mss.  pourvus  de  notation  mesurée,  qu'entre  la  césure  ordinaire  et  la 
césure  lyrique  la  différence  est  insignifiante,  la  quatrième  syllabe 
étant  toujours  chantée  sur  un  temps  fort,  sans  aucun  égard  pour 
l'accent  étymologique.  La  césure  est  une  césure,  c'est-à-dire  une 
coupe  et  non  une  pause. 

Ces  citations,  cueillies  au  hasard,  me  dispensent  d'insister  sur 
l'intérêt  que  présente  la  théorie  de  l'interprétation  modale,  même 
pour  ceux  des  philologues  qui  ne  se  sentent  aucun  goût  pour  la  mu- 
sique. Il  sera  dorénavant  impossible  d'aborder  l'étude  de  la  versifi- 
cation sans  s'être  préalablement  familiarisé  avec  les  principes  de  la 
musique  modale  du  moyen-âge.  La  musicologie  peut  être  considérée 
d'ores  et  déjà  comme  une  des  principales  sciences  auxiliaires  de  la 
philologie,  et  il  faut  souhaiter  que  son  enseignement  se  développe 
et  répande  partout  où  l'on  enseigne  les  langues  romanes. 

Dans  ce  compte  rendu  sommaire,  je  me  suis  abstenu  de  toute  re- 
marque critique.  C'est  que  je  n'en  ai  à  présenter  aucune,  sérieuse 
du  moins.  Assurément,  on  pourrait  reprocher  à  l'auteur  une  ou  deux 
méprises  matérielles  dans  l'étude  des  traités  théoriques  du  moyen-âge 
et  trouver  à  redire  sur  la  composition  du  livre,  qui  amène  quelques 
redites  tranchant  nettement  avec  la  concision  avec  laquelle  sont 
formulées  certaines  propositions,  qui,  dans  l'intérêt  de  la  clarté, 
demanderaient  à  être  développées  avec  plus  de  détails.  Mais  ce  sont 
là  des  défauts  inévitables  dans  une  étude  aussi  difficile  qu'est  celle 
de  M.  J.-B.  Beck.  Le  seul  reproche  un  peu  grave,  qu'on  soit,  sem- 
ble-t-il,  autorisé  à  lui  faire,  c'est  le  parti-pris  avec  lequel  il  a  négligé 
la  rythmique  latine  du  moyen-âge.  La  théorie  du  vers  français  que 
révèle  l'interprétation  modale  des  chansons  des  troubadours  et  des 
trouvères  concorde,  dans  ses  lignes  générales,  avec  les  principes  de 
la  versification  rythmique  du  moyen-âge,  tels  que  les  a  établis 
M.  Wilhelm  Meyer  (de  Spire).  Quand  on  lit  le  livre  de  M.  J.-B 
Beck  en  ayant  présente  à  l'esprit  l'étude  de  Wilh.  Meyer  sur  le 
Ludus  de  A ntechristo,  on  sent  que  le  fossé  qui  séparait  la  poésie 
savante  des  clercs  de  la  poésie  en  langue  vulgaire  est  comblé.  Cela 
méritait  d'être  noté,  d'autant  plus  que  l'étude  de  la  rythmique  latine 
aurait  permis  à  l'auteur  non  seulement  de  faire  une  brillante  contre- 
épreuve  de  ses  conclusions,  mais  encore  de  les  compléter  par  quel- 
ques précisions  nouvelles.  p]n  s'abstenant  d'utiliser  l'étude  de 
M.  Wdh.  Meyer,  l'auteur  a,  je  le  crains,  payé  un  peu  trop  cher  les 
avantages  que    lui  assurait  sa    méthode  de  n'interroger  que  les  mss. 

15 


214  COMPTES    RENDUS. 

notés  pour  résoudre    les   multiples  problèmes  qui    le  préoccupaient. 
Toute  la  deuxième  partie  du  livre  en  a  pâti. 

N'exagérons  pourtant  pas  la  portée  de  cette  critique.  L'étude  de  la 
rythmique  latine  permettra  de  compléter  les  résultats  obtenus  par 
M.  J.-B.  Beck,  mais  elle  ne  les  modifiera  pas.  Car  la  précaution 
qu'il  a  prise  de  ne  formuler  aucune  conclusion  qui  ne  fût  imposée 
par  les  indications  impératives  de  la  notation  mesurée  des  mss. 
exclut  toute  chance  d'erreur.  On  pourra  perfectionner,  dans  les 
détails,  l'œuvre  de  M.  J.-B.  Beck,  mais  il  est  impossible  de  toucher 
à  ses  parties  essentielles.  On  peut  dire  de  sa  doctrine  ce  que 
M  .  D.  Toustain  et  D.  Tassin  disaient  de  l'œuvre  du  fondateur  de  la 
diplomatique  :  «  Son  système  est  le  vrai;  quiconque  voudra  se  frayer 
des  routes  contraires  à  celles  qu'il  a  tracées  ne  peut  manquer  de 
s'égarer;  quiconque  voudra  bâtir  sur  d'autres  fondements  bâtira  sur 
le  sable.  » 

Jean  Acher. 


José  FranCOS  Rodriguez.  —  ElTeatro  en  Espaûa.  MCMVIII.   — 
Madrid,  Imprenla  de  «  Nuevo  Mundo  ».  1  vol.  in- 16,  248  pages. 

Signalons  ici  brièvement  ce  livre  intéressant  et  aimable.  C'est 
une  chronique  de  théâtre  espagnol  en  1908.  M.  F.  R...,  qui  siège 
à  la  Chambre  des  députés  et  qui  dirige  un  des  plus  grands  journaux 
de  la  péninsule,  n'en  trouve  pas  moins  les  loisirs  nécessaires  pour 
fréquenter  les  théâtres  de  la  capitale,  et  il  consigne  les  impressions 
qu'il  en  rapporte,  dans  d'alertes  feuilletons  que  publie  régulière- 
ment à  Buenos  Aires  El  Dirai  E&panol.  L'idée  de  réunir  en  un 
volume  ces  pages  écrites  au  jour  le  jour  a  été  suggérée  à  M.  F.  R... 
par  les  lecteurs  mêmes  et  par  la  direction  de  El  Diario  Espaîiul. 
C'est  qu'en  effet  aucun  chroniqueur  n'a  x'éussi  à  rendre  avec  plus 
de  fidélité,  de  clarté  et  d'intérêt,  le  mouvement  général  et  l'orien- 
tation du  théâtre  espagnol  contemporain.  Avec  l'aisance  d'un  vrai 
journaliste,  avec  la  décision  d'un  homme  politique,  mais  aussi  avec 
la  finesse  d'un  lettré,  M.  F.  R...  dégage  dans  chaque  pièce  soumise 
à  son  verdict  la  thèse  qu'elle  expose,  les  traits  de  caractère  qu'elle 
renferme,  les  états  de  conscience  qu'elle  analyse.  Il  ne  veut  se  per- 
dre ni  dans  la  minutie  des  détails,  ni  dans  de  vagues  généralisations. 
11  s'interdit  également  la  raideur  de  la  dissertation  magistrale  et 
le  désordre  de  la  conversation  :  son  livre  est  une  suite  de  causeries, 
si  vivantes  et  si  heureusement  venues,  qu'en  lisant  nous  croyons 
discerner,  à  travers  le  livre,  le  fin  sourire  et  l'œil  pétillant  de 
l'homme  d'action  qui  les  a  écrites. 

A  la  fin  de  son  livre  M.  F.  R...  adressé  le  bilan  du  théâtre  espagnol 


COMPTES    RENDUS.  215 

en  décembre  1908.  Des  statistiques  qu'il  a  soigneusement  établies  nous 
apprennent  qu'en  douze  mois  414  œuvres  nouvelles  ont  été  repré- 
sentées sur  les  théâtres  de  Madrid  et  72  sur  les  théâtres  de  pro- 
vince ;  pour  les  écrire,  il  n'a  pas  fallu  moins  de  289  auteurs,  parmi 
lesquels  3  appartiennent  au  beau  sexe.  Hélas  !  la  qualité  n'a  pas 
répondu  à  la  quantité,  et  je  regrette  un  peu  que  M.  F.  R...  n'ait 
pas  ajouté  une  statistique  à  toutes  les  autres,  celle  des  pièoes  dont 
les  sifflets  du  public  n'ont  pas  laissé  achever  la  représentation. 
Souhaitons-lui  du  moins  qu'il  trouve  les  années  prochaines  un  plus 
grand  nombre  de  pièces  dignes  de  sa  critique,  et  souhaitons-nous 
à  nous-mêmes  que  M.  F.  R...  s'emploie  pendant  longtemps  à  écrire 
ces  annales  du  théâtre  espagnol  contemporain.  Nul  ne  saurait  s'ac- 
quitter de  cette  tâche  délicate  avec  plus  de  compétence  et  de 
talent. 

H.    M. 

Eduardo  de  Huidobro.  —  Pobre  lengua!  Catâlogo  en  que  se  in- 
dican  mas  de  cuatrocientas  voces  y  locuciones  incorrectas  hoy 
comunes  en  Espafia.  Segunda  ediciôn  (corregida  y  aumentada). 
—  Santander.  Imp.  de  «  La  Propaganda  Catôlica  ».  1908. 
1   vol.  petit  in-8°,  xv-193  pages. 

.M.  E...  a  déjà  témoigné  de  l'attention  qu'il  prête  à  l'étude  du 
langage,  par  la  publication  d'un  opuscule  intitulé  Palabras,  giros 
y  bellezas  del  lenguaje  popular  de  la  Montana,  elevado  por  Percda 
d  la  dignidad  Je!  languaje  cldsico  espanol.  Nous  regrettons  de  ne 
le  connaître  que  par  référence,  car  le  titre  seul  nous  le  rend  sym- 
pathique. —  Aujourd'hui  M.  H...  nous  donne  la  seconde  édition  du 
petit  livre  auquel  il  a  mis  une  épigraphe  bien  significative.  Pauvre 
langue  !  Il  prétend,  en  effet,  dans  ce  travail,  venger  la  langue  cas- 
tillane des  affronts  que  les  novateurs  et  les  ignorants  (ceux-là  encore 
plus  dangereux  que  ceux-ci)  lui  font  quotidiennement  subir.  Il  ne 
veut  pas  seulement  la  venger,  il  veut  encore  la  préserver,  et  pour 
cela  il  dispose  son  ouvrage  sous  la  forme  d'un  dictionnaire  des 
locutions,  mots  et  tours  vicieux,  qu'il  suffira  aux  puristes  de  feuil- 
leter pour  connaître  aussitôt  les  limites  de  ce  qui  leur  est  permis  et 
do  ce  qui  leur  est  défendu.  M.  H...  a  donné  à  son  recueil  un  tour 
purement  pratique  :  il  ne  s'est  guère  inquiété  des  travaux  de  ses 
devanciers,  car,  s'il  nomme  Baralt  et  le  P.  Mir,  il  paraît  ignorer 
D.  José-Rufini  Cuervo  et  ses  Apuntaciones  criticas  sobre  el  lenguaje 
bogotano  ;  il  ne  s'est  pas  davantage  préoccupé  de  justifier  par  l'his- 
teire  ou  le  raisonnement  les  arrêts  qu'il  rend  sur  la  légitimité  ou 
l'illégitimité  de  certains  mots.    Sa    grande  règle   paraît   être    l'usage 


-'ÎG  COMPTES    RENDUS. 

des  honnêtes  gens,  et  sans  doute  entend-il  par  là  son  usage  par- 
ticulier. Empressons-nouB  de  reconnaître  que  .M.  11...  ne  manque 
ni  de  discernement  ni  de  lecture  :  et  le  zèle  qu'il  met  à  pourchasser 
le  gallicisme,  rend  son  modeste  recueil  particulièrement  utile  aux 
hispanisants  français.  Aussi  bien  vaut-il  mieux  que  M.  H...  se  soit 
gardé  de  la  théorie  pour  s'en  tenir  à  la  pratique  ;  car,  lorsqu'il 
s'essaie  à  des  généralités,  comme  par  exemple  dans  son  Prologue, 
OÙ  il  opine  que  les  Espagnols  écrivent  d'autant  plus  purement  qu'ils 
sont  plus  «  cléricaux  »,  nous  avons  le  regret  de  ne  pouvoir  le  suivre. 

H.  M. 


F,  Vézinet.  —    Molière,    Florian   et    la    littérature    espagnole.    — 
Paris,  Hachetle,  1909.  1  vol.  in-16;  254  pages. 

M.  Vézinet,  après  nous  avoir  donné  sur  le  roman  contemporain 
une  étude  de  littérature  espagnole,  publie  aujourd'hui  sur  les  rap- 
ports de  la  France  et  de  l'Espagne  au  xvme  siècle,  une  étude  de 
littérature  compaiée.  Le  volume  actuel  a  suivi  l'autre  à  bref  inter- 
valle :  de  là,  sans  doute,  dans  la  rédaction  quelques  longueurs  et 
négligences,  qui  auraient  disparu  avec  plus  de  loisir   (1). 

Le  titre  adopté  par  M.  V...  est  un  peu  obscur  et  inexact.  En 
réalité  le  livre  comprend  deux  parties  qui  n'ont  entre  elles  aucun 
lien.  La  première,  qui  est  aussi  la  plus  importante  (p.  11-178). 
t îaite  de  Moratin  et  de  Molière,  c'est-à-dire  des  emprunts  que  le 
dramaturge  Moratin  a  faits  à  notre  Molière  vers  la  fin  du  xvm° 
siècle  ;  l'autre  est  un  examen  des  dettes  que  Florian  le  fabuliste  a 
contractées  envers  l'espagnol  Iriarte  (p.  179-252).  Des  deux  Espa- 
gnols en  cause,  l'un  a  imité,  l'autre  a  été  imité  ;  ils  vivaient  néan- 
moins à  la  même  époque,  ils  appartenaient  au  même  milieu,  tout 
imprégné  de  culture  française.  Cette  double  circonstance  induit 
M.  V...  à  déclarer  que  les  essais  qu'il  publie  sont  à  la  fois  «  diver- 
gents et  convergents  ».  L'unité  de  son  livre  se  réduit  à  la  symétrie 
da  ces  deux  épithètes. 

Que  Moratin  ait  imité  Molière,  que  Florian  ait  imité  Iriarte, 
c'est  ce  que  les  intéressés  ont  été  les  premiers  à  proclamer.  Maie 
encore,  comment  s'y  sont-ils  pris  ?  M.  V...  l'établit  fort  diligem- 
ment. Il  a  dressé  une  liste  très  complète,  très  méthodique,  des 
emprunts  de  Moratin  et  de  Florian.  Il  montre,  par  exemple,  qu'en 
ce  qui   concerne  l'intrigue,   Moratin,   dans   une   seule  de  ses  pièces, 

(1)  Par  exemple,  p.  31,  «  tous  les  agudezas  du  cultisme  ». 
Agudeza  est  incontestablement  du   féminin. 


COMI'I  I  -    Et]  \M  s.  217 

mêle  ou  plus  précisément  contamine  plusieurs  comédies  de  Molière, 
et  que  semblablement,  en  ce  qui  concerne  les  caractères,  il  combine 

en  un  seul  plusieurs  personnages  créés  par  son  modèle.  Toute  cette 
étude  des  sources  moliéresques  de  Moratin  est  la  partie  solide  du 
travail   de  M.    V...   :  elle  m'a  paru  judicieuse  et  riche. 

Mais  il  ne  suffisait  pas  de  disposer  symétriquement  sur  deux 
colonnes  parallèles,  d'un  côté,  le  texte  du  modèle,  de  l'autre,  le 
texte  de  l'imitateur  :  cette  confrontation  ne  présente  d'intérêt  que 
si  elle  nous  éclaire  sur  les  intentions  qui  poussaient  Moratin  à 
imiter  et  sur  son  talent  personnel.  Là-dessus,  il  faut  l'avouer, 
M.  V...  n'est  pas  toujours  un  guide  parfaitement  sûr.  Il  a  bien 
vu  que.  si  Moratin  imite  Molière,  c'est  pour  échapper  par  les  bien- 
faits de  cette  imitation  à  l'anémie  et  aux  désordres  organiques  dont 
souffrait  le  théâtre  espagnol  de  ce  temps  :  mais  sur  cette  anémie. 
sur  ces  désordres,  il  ne  nous  apporte  aucun  renseignement  de  pre- 
mière main,  rien  que  des  assertions  banales  qui  traînent  un  peu 
partout  depuis  que  Sehack  les  a  émises  ;  il  ne  s'est  pas  rendu 
un  compte  exact  des  conditions  dans  lesquelles  Moratin  a  entrepris 
de  réformer  le  théâtre  de  son  temps,  et  à  vrai  dire,  comment  s'en 
serait-il  rendu  compte  ?  M.  V....  qui  consacre  à  Moratin  une  étude 
de  près  de  deux  cents  pages,  paraît  ignorer  les  trois  énormes  volu- 
mes des  Œuvres  posthumes  de  Moratin  (Madrid,  1867-1868):  il 
y  aurait  trouvé,  partiellement  reproduite,  une  correspondance  fort 
instructive,  ainsi  que  des  brouillons,  des  projets,  des  ébauches, 
des  préfaces,  et  généralement  tous  les  fonds  de  tiroir  de  l'hon- 
nête Moratin  ;  il  aurait  pu,  grâce  à  ces  documents,  replacer  l'homme 
dans  son  milieu,  et  il  y  aurait  été  aidé,  s'il  les  avait  connus,  par 
les  articles  si  pittoresques  et  si  documentés  que  M.  Juan  Pérez  de 
Guzmân  a  consacrés  dans  la  Ilustraciôn  espt  »ola  y  americana,  à 
l'histoire  extérieure  des  comédies  de  Moratin  et  qui  nous  font  saisir 
sur  le  vif  les  impressions  des  spectateurs  de  la  première  (janvier- 
février  1906). 

Insuffisamment  renseigné  sur  l'époque,  51.  V...  était  mal  à  l'aise 
pour  apprécier  l'œuvre.  Je  crains  que  le  lecteur  français  ne  prenne 
chez  lui  qu'une  idée  vague  ou  même  inexacte  de  Moratin.  Tantôt, 
en  effet.  51.  V...  déclare  que  Moratin,  comme  Molière,  oblige  «  le 
spectateur  à  réfléchir  et  à  méditer,  parfois  douloureusement  »  (p. 
133)  :  tantôt  il  assure  qu'à  passer  en  revue  les  différents  person- 
nages créés  par  lui  «  on  égrène  une  gamme  d'éclats  de  rire  » 
(p.  135)  :  c'est  éloigner,  en  sens  contraires,  de  ce  qui  paraît  être 
la  vérité,  et  M.  V...  lui-même  semble  en  avoir  eu  conscience  lors- 
que, rectifiant  spontanément,  il  insiste  sur  cette  «  discrétion  » 
(p.    172),   qui   semble   la   caractéristique   principale  de   Moratin.   Rien 


218  COMPTES    RENDUS. 

dî  plus  sage,  rien  de  plus  tempéré  que  le  talent  de  cet  honnête  et 
laborieux  écrivain  :  nul  plus  que  lui  n'a  fui  les  extrêmes  du  pessi- 
misme ou  de  la  grosse  gaieté.  Et  c'est  peut-être  pour  cela,  par  dif- 
férence de  tempérament,  par  incompatibilité  d'humeur,  plus  encore 
que  par  inégalité  de  génie  ou  de  fortune,  qu'il  a  échoué  dans  ce  ma- 
riage de  raison  tenté  par  son  initiative,  entre  le  théâtre  espagnol  de 
son  temps  et  la  muse  moliéresque. 

M.  V...  a  voulu  étendre  ses  deux  études  au  delà  des  écrivains 
qui  en  sont  l'occasion,  et  il  nous  en  a  averti  par  deux  sous-titres  : 
à  propos  de  Moratin,  il  a  prétendu  esquisser  l'histoire  de  Molière  en 
Espagne;  à  propos  d'Iriarte,  il  s'est  appliqué  à  traiter  de  la  fable 
littéraire.  II  prouve  donc  (p.  208  sq.)  que  la  fable  littéraire,  loin 
d'avoir  été  inventée  par  Iriarte,  remonte  à  La  Fontaine,  ou  même 
à  Horace  :  et  quoique  cette  démonstration  témoigne  d'une  compo- 
sition un  peu  lâche  dans  une  étude  consacrée  aux  imitations 
d'Iriarte  par  Florian,  elle  a  du  moins  cet  avantage  de  justifier  le 
sous-titre.  Il  n'en  va  pas  de  même  dans  la  dissertation  sur  Mora- 
tin :  j'y  ai  bien  trouvé  des  renseignements,  d'ailleurs  sommaires, 
sur  la  fortune  des  œuvres  de  Molière  en  Angleterre,  en  Allema- 
gne, en  Danemark,  en  Italie,  dans  les  Flandres,  en  Pologne,  en 
Russie,  mais  rien  ou  presque  rien  sur  ce  qu'il  est  advenu  d'elles 
en  Espagne;  n'était-ce  point  ceci,  cependant,  qu'on  nous  avait  fait 
espérer?  Ce  n'est  pas  que  M.  V...  s'interdise  les  digressions;  il 
y  en  a  plusieurs  dans  son  livre,  et  de  longueur  respectable  ;  toutes 
sont  relatives  à  Molière  ou  à  notre  théâtre  national,  comme  si  sur 
ce  terrain  purement  français  M.  V...  s'avançait  avec  plus  de  plaisir 
(p.  35-42,  l'intrigue  chez  Molière  ;  p.  75-78,  le  personnage  d'Alceste  ; 
p.  111-119,  valeur  morale  du  théâtre  de  Molière  ;  p.  151-153.  un 
procédé  comique  de  Molière  ;  p.  159-171,  le  scatologique  et  le  ster- 
coraire au  temps  de  Molière,  etc.,  etc.). 

M.  V...,  nous  aimons  à  le  supposer,  se  prépare  dans  le  silence  du 
cabinet  à  s'enrôler  dans  le  groupe  dés  hispanisants  français.  Les 
deux  volumes  qu'il  a  publiés,  ce  sont  les  esquisses  et  ébauches  de 
son  initiation,  et  sans  doute  s'il  les  publie,  c'est  pour  qu'on  ne  lui 
reproche  pas  plus  tard  une  préparation  trop  brève.  Cet  entraîne- 
ment persévérant,  les  titres  académiques  de  M.  V...  et  la  bonne 
opinion  qu'ils  inspirent  de  lui,  font  espérer  de  lui  une  œuvre  encore 
plus  approfondie  et  encore  mieux  informée  que  celle  d'aujourd'hui. 

Henri  Mérimée. 


COMPTES    RENDUS.  219 

Camille  Monnet.  —  Projet  de  bibliographie  lamartinienne  fran- 
çaise-italienne. Lettre  Préface  de  Charles  Thuriet.  Turin,  Lattes, 
1909.  Un  vol.  in-8"  de  129  p. 

M.  Monnet  annonce,  dans  son  Avant-Propos,  qu'il  se  propose  de 
faire  une  étude  générale  sur  les  rapporte  de  Lamartine  avec  l'Italie, 
qui  ne  lui  paraissent  pas  encore  bien  définis.  Cette  étude  sera  la 
très  bien  venue.  Car  il  y  a  certainement  encore  beaucoup  de  nouveau 
à  dire  sur  les  rapports  de  Lamartine  avec  l'Italie.  C'est  d'ailleurs 
ce  que  laisse  pressentir  une  curieuse  découverte  dont  M.  Thuriet 
nous  fait  part  dans  sa,  préface  :  le  fameux  Papillon  de  Lamartine 
(Naître  avec  le  printemps,  mourir  avec  les  roses),  pièce  que  nous 
ivone  tous  apprise  par  cœur  dans  notre  jeunesse,  est  à  peu  près  tra- 
duit d'une  odelette  de  Malfei,  l'auteur  de  Mérope  (Nasce  et  muore 
colle  rose).  —  En  attendant  de  nous  donner  l'étude  qu'il  a  entre- 
prise, M.  Monnet  nous  offre  une  bibliographie  lamartinienne  qu'il 
qUalifie  dé  française-italienne.  Le  sens  de  ce  qualificatif  est  un  pen 
obscur.  M.  Monnet  veut-il  dire  qu'il  citera  seulement  les  ouvrages 
écrits  en  France  et  en  Italie  sur  Lamartine?  Non,  puisqu'il  cite 
des  ouvrages  écrits  en  Allemagne.  Veut-il  dire  qu'il  citera  les  ou- 
vrages nécessaires  ou  utiles  pour  étudier  la  question  des  rapports 
de  Lamartine  avec  l'Italie?  Je  le  pense,  mais  bien  des  travaux 
qu'il  cite  ne  me  paraissent  pas  intéresser  cette  question.  C'est 
donc,  en  somme,  une  bibliographie  lamartinienne,  sans  épithète, 
qu'il  nous  offre.  Elle  rendra  des  services.  On  y  trouvera  indiques. 
notamment,  des  travaux  italiens  peu  connus  en  France,  et  des  arti- 
cles italiens  sur  des  livres  français  consacrés  à  Lamartine  :  pour 
savoir  ce  que  l'Italie  pense  du  poète,  on  doit,  en  effet,  connaître 
l'accueil  qu'elle  fait  aux  livres  dont  il  est  l'objet. 

Joseph  Vianey. 


Hugues  Vaganay.  —  Les  Amours  de  P.  de  Ronsard  Vandomois 
commentées  par  Marc  Antoine  de  Muret.  Nouvelle  édition  publiée 
d'après  le  texte  de  1578  et  précédée  d'une  préface  par  Joseph 
Vianey.  Tome  I.  Paris,  Champion,  19 1 0.  Un  vol.  petit  in-4°  de 
liv-515  p. 

Cette  nouvelle  édition  du  livre  I  des  Amours  reproduit  le  texte 
de  l'édition  de  1578.  Avec  les  variantes,  on  pourra  reconstituer  inté- 
gialement  le  texte  de  l'édition  princeps  de  1552;  celui  de  l'éditi  m 
de  1553,  où  parut  le  commentaire  de  Muret  ;  celui  des  éditions  de 
1567   et   de  1571-1572  ;   celui   de   l'édition  de   1587,    publiée   après  la 


220  COMPTES    RENDUS. 

mort  de  Ronsard,  par  ses  exécuteurs  testamentaires;  celui  de  l'édi- 
tion de  1604.  intéressante  par  tout  ce  qu'un  commentateur  inconnu 
ajouta  aux  notes  de  .Muret  sur  les  sources  des  Amours.  Il  est  re- 
grettable que  M.  Vaganay  n'ait  pas  pu  avoir  encore  l'édition  de 
1560,  première  édition  collective  des  Œuvres  de  Ronsard';  mais 
cell«j  de  1567  s'en  rapproche  beaucoup.  Il  est  regrettable  aussi  qu'il 
n'ait  pas  eu  l'édition  de  1584,  dernière  édition  collective  publiée  par 
Ronsard  lui-même  ;  mais  on  a  le  texte  de  celle-ci  dans  Marty-La- 
veaux.  Telle  qu'elle  est,  l'édition  Vaganay  offre  une  base  excellente 
pour  étudier  les  corrections  que  Ronsard  apporta  à  son  texte  et  les 
commentaires  qui  l'illustrèrent.  Or,  cette  étude  est  du  plus  haut 
intérêt  :  elle  en  apprend  long  sur  les  variations  de  la  langue  et  du 
goût  de  Ronsard,  comme  sur  l'étendue  et  les  limites  ue  la  science 
de  Muret,  l'un  des  représentants  les  plus  typiques  de  l'érudition 
au  xvi'  siècle.  —  Le  volume  de  M.  Vaganay  est  magnifique  :  le 
papier,  le  caractère,  le  format,  rappellent  les  belles  impressions 
d'autrefois.  Le  nouvel  éditeur  de  Ronsard  a  fait  preuve  du  goût 
1»  plus  délicat  en  présentant  le  texte  de  son  poète  d'une  façon  qui 
s'harmonise  si  bien  avec  lui.  —  De  grandes  commodités  ont  été 
ménagées  aux  travailleurs  :  les  variantes  du  texte  ont  été  placées 
autant  que  possible  sur  la  page  même  où  le  texte  se  lit  ;  une  ligne 
spéciale  a  été  consacrée  à  chaque  variante,  précédée  du  numéro  du 
vers  ;  chaque  sonnet  a  reçu  un  numéro  d'ordre  placé  entre  [  ]  ;  le 
numéro  du  sonnet  est  reproduit  en  haut  de  la  page,  du  côté  opposé 
au  numéro  de  la  page  ;  il  est  donc  aussi  facile  de  faire  des  recher- 
chées dans  ce  volume  que  d'y  étudier  le  texte. 

Joseph  Vxaney. 


Lage  F.  W.  Staël  von  Holstein.  —  Le  Roman  d'Athis  et  Pro- 
philias,  Etude  littéraire  sur  ses  deux  versions  (thèse  pour  le 
doctorat).  Upsal,  1909. 

L'auteur,  qui  avait  déjà  (Stockolm,  1908)  étudié  le  poème  à  divers 
points  de  vue,  a  repris  son  travail  en  sous-œuvre  et  approfondi  les 
questions  importantes  que  soulève  cette  œuvre  complexe.  D'accord 
avec  M.  A.  Hilka,  qui  prépare  depuis  plusieurs  années  une  édition 
critique  du  texte  pour  la  Geselhchnft  fiir  romanische  Literotur,  il 
a  volontairement  limité  sa  tâche.  A  l'aide  du  manuscrit  de  Stockholm, 
mss.,  et  de  l'édition  de  M.  Borg,  qui  se  limite  à  la  première  partie, 
il  a  fouillé  particulièrement  les  questions  de  sources  et  d'attribution. 
Il  a  voulu  cependant,  pour  une  partie  qui  lui  paraissait,  et  avec 
raison,  plus  digne  d'intérêt,  la  description  de  la  tente  de  Bilas.  don- 


COMPTES    RENDUS.  22  I 

ner.  sinon  une  édition  critique,  ce  qu'il  s'était  interdit,  du  moins 
une  édition  avec  variantes,  dont  la  base  i  si  le  manuscrit  de  Saint 
Pétersbourg.  Ce  manuscrit,  il  est  vrai,  a  subi  quelques  corrections 
indispensables,  mais  on  ne  peut  s'empêcher  de  regretter  que  l'éditeur 
n'ait  pas  donné  de  préférence,  au  lieu  d'un  texte  lorrain  de  graphie 
d'ailleurs  bizarre,  relui,  plus  correct  et  plus  facile  à  lire,  que  lui 
fournissait  le  manuscrit  B.  N.  fr.  794,  dont  le  dialecte  (est  de  l'Ile 
de  France  ou  ouest  de  la  Champagne)  est  très  rapproché  de  celui 
de  l'auteur,  s'il  ne  le  représente  pas  exactement.  Même  sans  l'addi- 
tion  île   variantes,    ce   texte   aurait   été   plus   satisfaisant. 

Cette  réserve  faite,  on  ne  peut  que  louer  l'érudition  'le  M.  von 
Holstein.  le  soin  avec-  lequel  il  scrute  son  texte  dans  les  plus  petits 
détails  et  les  rapprochements  aussi  exacts  que  nombreux  qu'il  fait 
d'Athis  avec  les  romans  imités  de  l'antiquité,  Thèbes,  Troie  et 
VEnéas.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  original  dans  son  travail,  c'est  la 
comparaison  des  deux  rédactions,  ou  plutôt  la  mise  en  relief  du 
manuscrit  de  Tours,  passée  jusqu'ici  à  peu  près  inaperçue,  et  qu'il 
considère  avec  raison,  selon  nous,  comme  primitive,  parce  que  plus 
simple  et  plus  logique  que  la  vulgate,  comme  on  va  le  voir.  Elle 
s'en  différencie  à  partir  du  portrait  de  Gaieté,  peu  après  le  commen- 
cement de  la  deuxième  partie,  et  raconte  désormais  des  événements 
en  grande  partie  différents.  Le  roi  de  Sicile,  Bilas,  vient,  il  est  vrai, 
réclamer  sa  fiancée  Gaieté,  mais  il  n'est  vaincu  par  les  deux  amis, 
Athis  et  Prophilias,  qu'après  qu'Athis  a  été  emmené  prisonnier  par 
lui.  Celui-ci  avait  d'ailleurs  bien  mérité  des  Romains  en  triomphant 
du  roi  d'Egypte  Frolles,  qui  était  venu  attaquer  Romulus,  roi  de 
Rome.  Quand  Athis  a  épousé  Gaieté,  sœur  de  Prophilias,  il  retourne 
à  Athènes  (3'  partie)  et  trouve  son  frère  mort  et  ses  domaines 
usurpés  par  le  duc  Lides,  son  cousin,  à  qui  il  n'a  pas  de  peine  à  les 
reprendre.  Cette  dernière  partie  est,  comme  on  sait,  bien  plus 
compliquée  dans  la  Vulgate,  qui  introduit  de  nouveaux  personnages 
empruntés  à  l'épopée  antique,  Theseus  et  son  fils  Piritheus,  tous 
deux  amoureux  de  Gaieté.  Ce  dernier  déclare  follement  la  guerre  à 
son  voisin  Télamon  et  à  son  fils  Ajas,  uniquement  pour  plaire  à 
celle  qu'il  aime,  et,  chose  étrange,  est  aidé  par  Athis  et  son  ami  : 
c'est  la  courtoisie  poussée  à  l'absurde.  Blessé  à  mort,  il  prie  son 
père  de  donner  sa  sœur  Allemandine  ta  Prophilias.  dont  la  femme, 
Cardyonès,  est  morte  de  saisissement  en  apprenant  la  fausse  nou- 
velle de  la  mort  de  son  époux.  Bilas,  dont  Télamon  avait  sollicité 
et  obtenu  l'appui,  renonce  à  Gaieté  et  épouse  Savine,  sœur  d'Athis. 
dont  le  père,  Savis,  est  encore  vivant.  Comme  on  le  voit,  c'est 
beaucoup  plus  compliqué  et  l'intérêt  n'y  gagne  rien. 
La  Vulgate  peut  donc  être  considérée  comme  un  remaniement  de 


252  COMPTES    RENDUS. 

la  deuxième  et  de  la  troisième  parties  telles  que  les  donne  le  manus- 
crit de  Tours.  Elle  se  distingue  de  la  première  rédaction,  non  seule- 
ment par  le  développement  et  la  complication  de  l'intrigue,  mais 
encore  par  une  imitation  beaucoup  plus  marquée  des  procédés  chers 
à  l'épopée  antique,  description  de  merveilles  artistiques  (1),  psycho- 
logie raffinée  de  l'amour,  etc.  Dans  cette  imitation  systématique  des 
trois  poèmes  qui  depuis  un  demi-siècle  se  partageaient  la  faveur 
publique,  nous  relevons  deux  traits  qui  ont  échappé  à  M.  von  Hols- 
tein.  Quand  Piritheus  blessé  à  mort  est  transporté  à  Athènes  sur 
l'écu  de  Prophilias  par  quatre  chevaliers  qu'accompagne  Athis,  C'ar- 
dyonès,  qui  regarde  la  bataille  du  haut  des  murs,  demande  à  un 
sergent  qui  l'on  emporte  ainsi,  et  celui-ci.  trompé  par  les  armoiries 
du  bouclier,  avant  répondu  que  c'est  Prophilias,  Cardyonès  tombe 
morte.  De  même,  d'ans  le  Roman  de  Thèbes,  Ismène  s'évanouit  en 
voyant  rapporter  ainsi  vers  la  ville  un  blessé  que  son  cœur  lui  dit 
être  Aton  (Ates),  bien  qu'il  n'y  ait  aucune  preuve  positive.  D'autre 
part,  le  même  Piritheus  demande  qu'on  ne  lui  ôte  pas  le  fer  de 
lance,  dont  l'enlèvement  doit  causer  sa  mort,  jusqu'à  ce  que  son 
père  lui  ait  promis  de  marier  sa  sœur  Allemandine  à  Prophilias, 
qui  vient  de  perdre  sa  femme  Cardyonès  :  il  en  est  de  même,  dans 
Troie,  de  Deïphebus,  qu'à  blessé  à  mort  Palamède  et  qui  ne  veut 
mourir  qu'après   avoir  été  vengé  par   Paris. 

M.  von  Holstein,  contrairement  à  l'opinion  commune,  distingue 
l'Alexandre  auteur  d'Athis  et  Prophilias  d'Alexandre  de  Bernay, 
l'auteur  d'une  partie  du  Roman  à" Alexandre  en  vers  de  12  svllab°s. 
Le  vers  9  du  poème,  Ne  fu  pas  sage-?  de  clergie,  lui  semble  confirmé 
par  la  façon  simple  dont  la  matière  est  traitée  dans  la  première 
/edaetion,  et  il  fait  remarquer  que,  dans  l'épilogue  du  manuscrit 
de  Tours,  qui  nous  l'a  conservée,  Alexandre  se  nomme  encore  deux 
fois,  sans  aucune  addition.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  rien, 
dans  le  ton  d'Athis  et  Prophilias,  ne  rappelle  le  Roman  d' Alexandre. 

Terminons  par  quelques  critiques  de  détail  :  P.  30,  le  vers  est- 
mal  corrigé  :  au  lieu  de  Qui  tous  jours  est  aprise  de  guerre  (manus- 
«rit  a  pris  de  g.),  il  faudrait  [a]  apris  de  g.  —  -  P.  51-2.  C'est  sur- 
tout pour  l'identification  des  noms  de  lieux  qui  sont  groupés  ici 
que  l'absence  d'une  édition  critique  est  à  regretter.  —  P.  54-5.  La 
plupart  des  noms  grecs  attribués  à  l'influence  des  Croisades  sont 
simplement  des  emprunts  à  Troie,  comme  Amagoras  (cf.  Herma- 
goras,    l'un   des   Bâtards),    Glaucus.    Menesteiis,    Thoas,    etc.,    ou    à 

(1)  Voyez  en  particulier  la  longue  description  (elle  n'a  pas  moins 
de  480  vers)  de  la  tente  du  roi  Bilas,  donnée  par  la  reine  Candace 
à  Alexandre. 


COMPTES   RENDUS.  223 

Thèbes,  comme  Theseus,  duc  d'Athènes,  et  Dorilas  (un  des  Cinquante 
qui  assaillirent  Tydée).  —  P.  60.  C'est  à  tort  que  Thèbes,  v.  6401 
(D'amer  beivre  le  monde  abeivres),  es!  cité  comme  exemple  de 
l'emploi  de  beivre  au  sens  de  breuvage  amoureux  :  c'est  à  la  Mort 
que  s'adresse  Ismène.  —  P.  93.  M.  von  H...  n'admet  pas  l'opinion 
exprimée  par  m<>>  ;1  v  a  vingt  ans  que  Athis  serait  Y Athes  du 
Roman  de  Thèbes  (l'Atys  de  Stace,  VItis  du  Donnei  des  Amant*), 
t  c,ii.  dit-il,  Alexandre  ne  fait  pas  preuve  d'une  connaissance  un 
peu  poussée  de  ce  roman;  si  l'on  considère,  par  contre,  qu'Athis 
apparaît  dans  plusieurs  noms  de  lieux  anciens  (Athis-sur-Orge,  dont 
on  connaît  le  traité  en  juin  1305,  Athis-Orne,  Athis  ilons,  etc.),  on 
voit  que  ce  nom  fut  un  nom  déjà  connu  de  bonne  heure  en  France  ». 
Outre  que  Athis-sur-Orge  et  Athis  Mons  n'en  font  qu'un,  il  n'y  a 
qu'un  village  de  ce  nom  dans  la  Marne,  et  deux  hameaux,  l'un  dans 
Seine-et-Marne  et  l'autre  dans  le  Calvados:  le  nom  n'est  donc  pus 
tellement  répandu.  D'ailleurs,  quelle  nécessité  y  avait-il  d'aller 
prendre  un  nom  de  lieu  pour  en  affubler  le  héros  du  poème?  L'an 
teur  n'avait  pas  besoin  d'une  connaissance  bien  approfondie  de 
Thèbes  pour  aller  y  prendre  le  nom  d'un  personnage  dont  le  rôlo 
est  des  plus  intéressants.  Et  M.  von  H.  a  montré  lui-même,  par 
de  nombreux  rapprochements,  que  l'auteur  d* Athis  connaissait,  non 
pas  un  résumé  en  prose  du  Roman  de  Thèbes,  mais  le  poème  lui- 
même. 

LÉOPOLD     CONSTANS. 


Philologische  und  Volkskundliche  Arbeiten  Karl  Vollmœller 
zum  16.  Oktober  1908  dargeboten  von  G.  Baist.  K.  Gruber,  etc.. 
hgg.  voq  Karl  Reuschel  und  Karl  Gruber.  Erlanyen,  Fr.  Junge, 
1908.  400  p.  gr.  in-8«. 

Le  nom  de  Karl  Vollmœller  est  bien  connu  de  tous  ceux  qui 
s'occupent  de  philologie  romane  :  c'est  l'éditeur  actif  de  deux  gran- 
des publications:  les  Romanîsche  Forschungen  et  le  Kritischer 
Jahresbericht  iiber  die  Fortsehritte  il"r  romanischen  Philogie  (An- 
nuaire critique  des  progrès  de  la  philologie  romane).  Nous  n'oublions 
pas  non  plus,  dans  cette  revue,  qu'il  prit  à  sa  charge,  dès  le  premier 
moment,  la  publication  des  Mélanges  Chabaneau.  Un  certain  nombre 
de  ses  amis  lui  ont  offert  un  hommage  du  même  genre.  Voici  la  liste 
des  articles  qui  composent  ces  Mélanges,  avec  quelques  observations 
sur  ceux  d'entre  eux  qui  peuvent  intéresser  plus  spécialement  nos 
lecteurs. 

P.    1-37.     Max    Hofler.     der    Wecken.    Recherches    très    curieuses 


224  COMPTES   RENDUS. 

de  folklore  sur  les  formes  du  «  petit  pain  »  en  Allemagne  et  sur 
leur  origine:  quatre  cartes  donnent  84  variétés  de  ces  Wecken: 
plusieurs   ont  une   forme   phallique   très   caractérisée. 

P.  40-49.  A.  Wagner.  Six  lettres  de  Lavater  au  pasteur  Mettent 
à   Osnabriick. 

P.  51-60.  A.  Varnhagen.  Trois  notules  italiennes.  1.  Une  version 
inconnue  de  la  nouvelle  du  mari  confesseur  de  sa  femme:  elle  se 
trouve  dans  un  volume  imprimé  à  Venise  en  1561,  que  M.  Varnhagen 
possède  et  qui  provient  de  lu  bibliothèque  de  Graesse.  2.  Sur  les 
édition  du  Fiore  des  virtù,  3.  La  prise  de  Milan  par  l'armée  impé- 
riale et   papale  le   19   novembre  1521. 

P.  61-74.  J.  Pinson.  «  Quomodo  »  en  latin  vulgaire.  M.  P. 
relève  dans  le  latin  des  premiers  siècles  de  l'ère  chrétienne  de  nom- 
breux exemples  de  quomo  pour  quomodo;  exemples  de  l'emploi  de 
quomodo  et  pour  expliquer  la  forme  corne,  comrru  (ital. -français)  ; 
quomo  ne  pour  expliquer  l'it.  prov.  coma,  me  paraît  plus  vraisem- 
blable que  quomo(do)  et  pour  corne  (e  me  paraît  être  d'origine 
romane  et  non  latine).  L'article  se  termine  par  d'intéressantes  re- 
cherches sur  la  syntaxe  de  quomodo  dans  les  textes  de  latin  vul- 
gaire. 

P.  75-81.  H.  Urtel.  Sur  l'agglutination  de  l'article  dans  les 
dialectes  français.  Exemples  empruntés  principalement  aux  parlers 
de  l'Est. 

P.  83-98.  B.  Schaedel.  Sur  le  développement  de  la  finale  a  dan* 
V Ampurdà.  Observations  très  fines  faites  sur  le  terrain  par  un 
catalaniste  qui  est  en  même  temps  un  habile  phonéticien  ;  le  plus 
intéressant,  dans  cet  article,  est  peut-être  de  retrouver  dans  un 
document  du  XIVe  siècle  les  traits  phonétiques  que  des  oreilles 
exercées   n'observent   aujourd'hui   qu'avec   difficulté. 

P.  99-104.  H.  Suchier.  Chartes  françaises  de  Tournus  (1292).  Le 
plus  ancien  document  des  archives  de  Tournus  ;  malheureusement 
le  texte  offre  peu  de  traits  bourguignons. 

P.  105-111.  A.  Stimming.  L'infinitif  tira-  la  proposition  pour  en 
français.  Classification  des  différents  emplois  et  histoire  de  leur 
développement  ;  on  pourrait  discuter  sur  quelques  exemples  de  la 
langue  moderne,  mais  c'est  en  somme  un  bon  chapitre  de  syntaxo 
historique. 

P.  113-129.  M.  Tavernier.  Sur  un  terminus  ante  quem  de  la 
Chanson  de  Roland.  Pénétrant  article  de  l'auteur  de  la  Vorgeschichte 
de  la  Chanson  de  Roland.  Il  y  établit  que  les  ressemblances  entre 
le  poème  et  YHistoria  lerosolymitana  de  Baudri,  archevêque  de 
Dol,  sont  trop  nombreuses  pour  être  dues  au  hasard  :  Baudri  con- 
naissait la  Chanson  de  Bo/and  en  1108:  tel  est  le  nouveau  terminus 
ante  quem  établi  par  M.   Tavernier. 


COMPTES    RENDU?.  225 

P.  131-139.   Ed.    Wechssler.    Un   catéchisme  de   l'amour  en   ancien 

j  m  lirais:  les  Voulleurs  d'amour.  Texte  intéressant  pour  l'histoire 
littéraire,  peut-être  contemporain  d'André  le  Chapelain;  se  trouve 
dans  un  manuscrit  de  Paris  contenant  le  roman  en  prose  de  Tristan. 

P.  141-155.  E.  Stengel.  Li  mariage  de  Girbert  de  Metz  an*  la 
filh  du  roi  Von  et  le  baptême  des  deux  fils  '/'/■'ruant  (publié  pour 
la  première  t'ois  d'après  14  manuscrits). 

P.  157-185.  W.  von  Zingerle.  Pour  le  roman  de  la  Dame  à  la 
Lycorne  et  du  Biau  Chevalier  (Roman  de  8492  vers,  manuscrit 
du  XIVe  siècle).  M.  v.  Zingerle  donne  une  analyse  détaillée  de  ce 
roman  d'aventures,  étudie  quelques-unes  de  ses  sources  et  publie  le 
texte  des  23  poésies  lyriques  intercalées  dans  le  roman. 

P.  187-204.  R.  Zenker.  Raimbaut  de  Vaquai  ras  et  l'empereur 
Ali  ris  IV  de  Constantinople.  La  plupart  des  provençalistes  admet- 
tent que  l'empereur  auquel  R.  de  Vaqueiras  adresse  sa  pièce  Conseil 
don  à  l'emperador  est  Baudouin  I  :  M.  Z.  est  d'avis  qu'il  s'agit 
d'Alexis  IV.  Les  textes  cités  par  M.  Zenker  prouvent  bien  qu'Alexis 
IV  avait  promis  son  concours  à  la  croisade  et  que  l'on  comptait  sur 
lui  ;  tout  en  avouant  que  le  sirventés  peut  se  rapporter  à  Baudouin, 
M.  Zenker,  après  une  discussion  très  serrée  des  arguments  présentés 
par   M.   Lewent,   maintient  son  point  de  vue. 

P.  205-221.  L.  Jordan.  Antoine  de  la  Sale  et  le  Petit  Jehan  de 
Saintré.  Jordan  insiste  sur  la  valeur  littéraire  du  roman,  surtout 
dans  la  deuxième  partie,  qu'il  appelle  «  ce  que  la  prose  française  a 
produit  de  plus  génial  avant  Rabelais  ». 

P.  223-226  H.  Schneegans.  Henriette  dans  les  Femmes  Savantes. 
Insiste  sur  l'esprit  de  repartie  d'Henriette  et  sur  le  ton  méprisant 
et  sarcastique  de  ses  réponses.  Est-ce  parce  que  le  rôle  était  tenu 
par  la  femme  de  Molière,  ajoute  M.   Schneegans? 

P.   227-249.   H.   Heiss.    Henri  de  Régnier. 

P.  251-265.  G.  Baist.  Vega  et  Nava.  Il  n'est  guère  facile  de 
résumer  cet  article  plein  de  discussions  et  de  faits.  M.  Baist  ne 
partage  pas  l'opinion  de  M.  Schuchardt  sur  l'origine  de  vega,  qui  lui 
paraît  être  d'origine  hispano-celtique  (ibérique),  ni  de  nava,  que 
M.  Schuchardt  veut  dériver  de  navis,  et  que  M.  Baist  considère 
comme  un  mot  celtique,  importé  probablement  en  Ibérie  ;  à  la 
suite,  remarques  sur  les  dérivés  de  nauda,  nauca. 

P.  267-286,  A.-L.  Stiefel.  Lope  de  Vega  et  la  comedia  «  El  nuevo 
Pitàgoras  ».  Schack,  qui  a  été  le  premier  à  parler  de  cette  comedia, 
n'aurait  pas  eu  la  pièce  entre  les  mains,  mais  il  aurait  emprunté 
l'analyse  qu'il  en  donne  à  un  petit  volume  français,  intitulé  Théâtre 
Espagnol,  et  publié  à  Paris  en  1738.  La  démonstration  de  M.  Stiefel 
est  tout  à  fait  concluante.  La  pièce  attribuée  à  Lope  de  Vega  dans 


226  COMPTES   RENDUS. 

le   Théâtre  espagnol  serait  d'ailleurs  l'œuvre  de  l'éditeur  de  ce  der- 
nier recueil   (Duper ion  de  Caôtéra). 

P.  287-294.  G.  Hartmann  (Notes  de  Métrique  rétoromane).  P. 
294:   traduction   rétoromane  de  la  première  strophe  de  Magali. 

P.  295-370.  K.  (ii uber.  Noms  de  lieux  prégermaniques  dans  la 
Bavière  méridionale.  Importante  étude  de  toponomastique,  un  des 
morceaux  de  résistance  du  recueil.  M.  Gruber  étudie  d'abord  les 
noms  préoeltiques  (vénètee,  rétiques,  noriques),  puis  Les  noms  celti- 
ques (neuves  et  villes),  enfin  les  noms  d'origine  romaine  et  romane 
(ces    derniers   très    nombreux). 

P.  371-389.  K.  Reuschel.  La  légende  de  «  l'enchantement  d'a- 
mour »  de  Charlenvagne  dans  la  poésie  moderne.  Revue  critique  des 
poésies  (principalement  allemandes)  qui  ont  pour  sujet  la  légende 
de  l'anneau  de  Fastrade   (jusqu'à   Gerhardt  Hauptmann,   1908). 

F. -S.  Krauss.  «  Les  fleurs  naissent  sous  les  pas  des  plus  jolies 
femmes  ».   Savante  causerie  folkloristique. 

J.  Anglade. 

Franz  Rechnitz.  —  Prolegomena  und  erster  Teil  einer  kritischen 
Ausgabe  der  Chançon  de  Guillelme.  Bonn,  Eisele,  1909.  vm 
-f-   105  p.  in -8°. 

La  partie  la  plus  considérable  de  ce  travail  (qui  est  une  thèse  de 
Bonn)  est  un  essai  de  reconstruction  des  mille  premiers  vers  (1001 
exactement)  de  la  chanson  de  Willame.  Ce  texte,  dont  la  découverte 
a  surpris  agréablement,  il  y  a  quelques  années,  les  romanistes, 
nous  est  parvenu  sous  une  forme  assez  corrompue.  Il  était  tout 
indiqué  pour  servir  d'exercices  de  séminaire,  comme  on  en  fait 
dans  les  Universités  allemandes,  et  les  deux  réimpressions  qu'a  dû 
en  faire  M.  G.  Baist  prouvent  que  ce  texte  a  été  longuement  étudié 
dans  la  plupart  de  ces  Universités.  L'essai  de  reconstruction  qu'on 
nous  donne  ici  paraît  fort  réussi  et  est  accompagné  de  notes  inté- 
ressantes. Il  serait  à  désirer  que  l'auteur,  qui  s'est  déjà  occupé  de 
ce  texte,  en  donnât  une  édition  complète  accompagnée  des  notes  et 
surtout  du  dictionnaire  géographique  nécessaire.  Deux  Anhânge 
terminent  ce  travail  :  le  premier,  qui  est  le  plus  important,  est 
consacré  à  démontrer  que  les  autres  chansons  de  geste  du  groupe 
de  Vivien  renvoient  à  la  chanson  de  Willame  et  que  cette  dernière 
seule  peut  nous  aider  à  retrouver  le  célèbre  champ  de  bataille  de 
Larchamp  (placé  dans  la  Mayenne  par  M.  Suchier  et  non  plus  aux 
Alyscamps)    (1).  J.   Anglade. 

(1)   Cf.   maintenant  Annales  du  Midi,   1910,   I. 


COMPTES    RENDUS.  227 

Frederik  Bliss  Luquiens-  —  The  Reconstruction  of  the  Original 
Chanson  de  Roland.  (Extrait  des  Transactions  of  the  Conneclicut 
Academy  of  Arts  an  l  Sciences,  vol.  XV,  July,  1909,  p,  111-136). 

Nouvelle  contribution  à  l'étude  du  problème  posé  depuis  long- 
bemps.  L'original  de  la  Chanson  de  Roland,  dit  l'auteur,  était  un 
poème  parfaitement  composé  (of  marked  and  consistent  technical 
excellence).  Partant  de  ce  point  de  vue,  qu'il  considère  comme  inat- 
taquable, M.  Luquiens  trouve  que  le  texte  d'Oxford  est  d'une 
cohérence  et  d'une  unité  parfaites,  si  l'on  fait  abstraction  de  l'épi- 
sode de  Baligant  et  des  fautes  dues  aux  copistes.  L'auteur  annonce 
d'autres  articles  sur  le  même  sujet.  Quelle  que  soit  la  valeur  objec- 
tive de  cette  étude,  on  ne  peut  nier  que  l'auteur  conduit  sa  dis- 
cussion avec  beaucoup  de  vigueur. 

J.   Anglade. 


C.  de  Bœr.  —  Philomena...  par  Chrétien  de  Troyes;  publié  d'après 
tous  les  manuscrits  de  l'Ovide  Moralisé.  Paris,  Geuthner,  1909. 
cxx-192  p.  in-8°. 

Le  Philomena  de  Chrestien  de  Troyes  fut  retrouvé  par  Gaston 
Paris  dans  l'immense  compilation  de  l'Ovide  moralisé:  M.  de  Boer 
nous  donne  ici  une  édition  critique  des  1468  vers  dont  se  compose  ce 
poème  narratif.  L'édition  est  précédée  d'une  copieuse  introduction 
où  sont  étudiés  les  divers  problèmes  qui  se  rattachent  à  ce  texte. 
Et  d'abord  est-ce  bien  là  le  conte  auquel  fait  allusion  Chrestien  de 
Troyes,  dans  les  premiers  vers  de  Cligès?  C'est  sur  ce  point  que 
porte  l'étude  de  M.  de  Boer.  Cette  étude  est  fort  claire  et  assez 
concluante.  L'auteur  en  a  résumé  les  principaux  traits  à  la  fin  de 
chaque  chapitre,  et  plus  spécialement  dans  les  pages  cv-cvn. 
L'étude  de  la  phonétique,  de  la  morphologie,  de  la  versification,  de 
la  syntaxe,  du  style,  nous  montre  que  ce  poème  est  tout  à  fait  dans 
la  manière  de  Chrétien.  (Pour  la  syntaxe,  à  vrai  dire,  l'auteur  nous 
paraît  s'être  contenté  trop  facilement,  il  n'a  étudié  à  fond  que 
«  l'infinitif  pur  ou  prépositionnel  après  un  verbe  »  ;  ce  choix  est  un 
peu  «  arbitraire  »,  comme  il  le  reconnaît  p.  lvii  ;  mais  il  plaide 
les  circonstances  atténuantes,  et,  vu  l'état  des  études  de  syntaxe 
historique,  on  aurait  mauvaise  grâce  à  les  lui  refuser.)  Le  dernier 
chapitre  de  l'Introduction  est  consacré  cà  la  discussion  du  nom  de 
Chrestien  li  Goi*.  On  serait  tenté,  avec  M.  de  Boer,  de  lire  de  Oois 
et  d'identifier,  toujours  avec  lui,  ce  mot  avec  Gotiaix,  nom  d'un 
village   champenois.    Chrestien    se   serait   appelé    de    Gois,    au    début 


228  COMPTES    RENDIS. 

de  sa  carrière  poétique,  puis  dé  Troyes,  puis  Chrestien  tout  court. 
La  question  est  d'im portante  et  M.  de  Boer  se  propose  de  la 
reprendre. 

Le  texte  est  suivi  de  notes  abondantes,  et  quelques-unes  ne  man- 
quent pas  d'intérêt,  roinme  celle  de  la  page  101-103  sur  l'emploi 
de  l'adverbe  tT08  en  ancien  français.  Signalons  enfin,  outre  plusieurs 
appendices  (texte  d'Ovide,  fragments  de  l'Ovide  moralisé)  un  Index 
(niiijih-t  de  tantes  les  jointes  très  méritoire:  de  nombreux  indices 
faits  sur  ce  modèle  faciliteraient  grandement  l'histoire  de  la  langue 
française.  Le  livre,  imprimé  à  Groningue,  fait  honneur  à  l'impri- 
meur étranger  ;  cependant  nous  avons  remarqué  plusieurs  fois  eé 
pour  ée  et  une  fâcheuse  coquille  a  donné  comme  titre  à  un  article 
de  Gaston  Paris:  La  dissimulation  dans  les  langues  romanes:  sujet 
intéressant,  sans  doute,  mais  tout  autre  que  celui  que  M.  Grammont 
et  Gaston  Paris  ont  traité  !  J.    Anglade. 

Karl  Thûre.  —  Die  formaleti  Satz.irten  bei  Crestien  von  Troyes 
(Thèse  de  Marbourg).   Marbourg,  1909.  78  p.  petit  in-8°. 

Recherches  syntaxiques  sur  l'emploi  des  phrases  dans  Chrestien 
de  Troyes.  Les  deux  premiers  chapitres  sont  surtout  consacrés  à  des 
définitions,  divisions  et  discussions,  qui  d'ailleurs  ne  manquent  pas 
d'une  certaine  originalité.  Les  résultats  de  ces  recherches  sont 
exposés  dans  le  chapitre  III,  sous  forme  de  tableaux.  D'après  les 
pourcentages  établis  par  l'auteur,  la  Vie  de  Guillaume  se  placerait, 
en  ce  qui  concerne  l'emploi  des  phrases  étudiées,  à  côté  d'Erec  ou 
plutôt  (p.  63,  64)  entre  Erec  et  Cligès.  L'œuvre  serait  donc  de  la 
jeunesse  de  Chrestien  de  Troyes:  Mais  est-elle  bien  de  lui?  M. 
Thùre  penche  pour  la  négative,  et  on  sait  qu'il  n'est  pas  seul  de 
son  avis.  Il  faudra  d'autres  travaux  pour  résoudre  le  problème. 
Mais  si  l'étude  de  la  versification  et  des  rimes  n'a  pas  donné  jus- 
qu'ici de  résultats  bien  positifs,  on  peut  se  demander  si  des  études 
syntaxiques  comme  celle-ci  en  donneront  de  meilleurs.  Il  est  à 
craindre  qu'il  ne  faille  nous  contenter,  en  définitive,  et  malgré  les 
formules   d'arithmétique,   de   probabilités   plu.,   ou   moins   grandes. 

J.  Anglade. 

H.  Suchier.  —  Aucassin  et  Nicoletle,  texte  critique  accompagné 
de  paradigmes  et  d'un  lexique.  Septième  édition.  Paderborn, 
Schœniugh,  1909.  xn-136  p.  in-8°  une  table  contenant  la  notation 
musicale.  Prix  2  m.  60  pf. 

Dox  est  li  cans,  biax  li  dis  —  et  cortois  et  bien  assis:  c'est  en 
ces  termes  que  le  vieux  trouveor,  auteur  de  la  cantefable,  annonce 


COMPTES    RENDUS.  229 

à  ses  auditeurs  les  mérites  de  son  ouvrage.  Il  n'y  a  rien  là  d'exa- 
géré, comme  le  prouveraient,  sans  plus,  les  nombreuses  éditions  de 
ce  petit  chef-d'œuvre  pendant  le  siècle  dernier.  Les  diverses  éditions 
données  par  M.  Suchier  —  c'est  ici  la  septième  —  sont  bientôt 
devenues  classiques.  Elles  offrent  aux  étudiants  en  philologie  ro- 
mane un  texte  excellent  accompagné  de  toutes  les  notes  grammati- 
cales ou  autres  nécessaires,  soit  à  l'intelligence  du  texte,  soit  à 
l'étude  de  la  langue.  C'est  ainsi,  il  nous  semble,  que  doivent  être 
comprises  les  éditions  classiques  —  destinées  aux  classes  ou  cours 
d'Universités  —  des  auteurs  français  du  moyen-âge  :  puissions-nous 
en  avoir  beaucoup  de  semblables  chez  nous  !  Quelques  virgules  me 
paraissent  avoir  été  oubliées  :  p.  10,  15,  après  pers,  p.  14,  76,  après 
a  fies.  P.  55,  bas  de  la  page:  garric  est  le  terme  commun  en  Lan- 
guedoc pour  désigner  le  chêne  ordinaire  (qucrcus  robur),  moins 
abondant  dans  le  pays  que  l'yeuse  (auzino,  quercus  ilex)  ;  garriga, 
garrigo  est  un  nom  commun  désignant,  dans  la  plupart  des  dialectes 
méridionaux,  les  collines  dénudées  et  incultes.  '  Sur  un  point  de  la 
préface  où  E.  Muret  est  mis  en  cause,  Cf.  Suchier  in  Zeitschrift 
f.   rom.   Phil.,   1909,   dernier  cahier. 

J.   Anglade. 

Gustav  George  Laubscher.  —  The  past  tenses  in  French 
(Thèse  de  l'Université  John  Hopkins).  Baltimore,  I.  H.  Farst 
Company,  1909.  61  p.  in-8°. 

Cette  question  des  «  temps  passés  »  (surtout  du  passé  défini  et 
de  l'imparfait)  qui  nous  paraît  assez  simple  est,  pour  la  plupart 
des  étrangers,  une  question  terriblement  compliquée.  Us  ne  s'enten- 
dent guère  sur  la  définition  de  ces  formes,  et  leurs  fautes  les  plus 
grossières,  dans  les  verbes,  portent  sur  l'emploi  de  ces  temps.  La 
brève  monographie  de  M.  L.  n'a  pas  pour  but  de  nous  donner 
l'histoire  de  ces  temps  ni  de  traiter  à  fond  de  leur  emploi,  mais  de 
préparer  des  matériaux  pour  la  «  claire  intelligence  du  passé  défini  », 
en  considérant  la  valeur  inchoative  de  cette  forme  verbale.  La  con- 
clusion du  chapitre  I,  le  plus  important,  est  que  la  valeur  inchoative 
n'est  pas  l'attribut  d'un  temps,  mais  qu'elle  peut  l'être  de  tous  les 
temps  ;  tout  dépend  du  contexte  ;  le  passé  défini,  à  ce  point  de  vue, 
ressemble  aux  autres  temps  du  présent  ou  du  passé.  Le  chapitre  II 
est  consacré  à  diverses  considérations  sur  l'emploi  du  plus-que-par- 
fait et  du  passé  antérieur  :  de  nombreux  exemples,  choisis  dans  des 
auteurs  de  différentes  époques,  depuis  le  moyen-âge,  éclairent  l'his- 
toire de  ces  temps.  Une  abondante  bibliographie,  mise  en  tête  du 
volume,  prouve  que  l'auteur  est  au  courant  de  ce  qui  a  été  écrit. 

16 


230  COMPTES    RENDUS. 

Cependant  je  n'y  vois  pas  l'article  important  de  M.  E.  Rigal  publié 
dane  la  Bevtu  Universitaire  (1899,  II,  125-137).  M.  L.  n'a  sans 
doute  pas  pu  utiliser  l'excellente  Bibliographie  de  la  syntaxe  du 
français,  de  MM.    Horluc  et  Marinet,  Lyon,  1908. 

J.    Anglade. 


Th.  Braga. —  Reeapitulaç.îo  da  Historia  da  litteratura  portugueza. 
1  —  Edade  Média.  Porto,   1909.  in-8°  de  vm-524  p.  1  vol. 

Poète,  philosophe,  historien,  érudit  et  critique.  Theophilo  Braga, 
animé  d'un  amour  ardent  pour  la  science  et  pour  son  pays,  continue 
sans  lassitude  l'œuvre  qu'il  a  entreprise  pour  faire  connaître  le 
patrimoine  glorieux  de  sa  terre  natale.  Après  avoir  étudié,  dans  une 
longue  suite  d'ouvrages,  les  principales  époques  de  la  littérature 
portugaise,  il  annonce  aujourd"hui  un  résumé  de  ses  travaux  anté- 
rieurs, sous  le  titre  de  Récapitulation  et  sous  la  forme  de  trois 
volumes  consacrés  au  Moyen-Age,  à  la  Renaissance,  au  Romantisme. 

Le  premier  volume  a  été  déjà  publié  :  les  deux  autres  ne  tarderont 
pas  à  paraître. 

Dans  quelques  chapitres  préliminaires,  qui  constituent  une  sorte 
de  préface  à  la  Récapitulation  tout  entière,  l'auteur  analyse  le 
caractère  profondément  individuel  de  la  race  lusitanienne,  explique 
la  naissance  et  l'évolution  de  la  nationalité  portugaise,  dessine  à 
grands  traits  l'histoire  de  la  langue  et  de  la  littérature,  depuis  les 
origines  jusqu'aux  temps  modernes  et  dans  le  cadre  des  autres 
littératures  européennes.  Il  aborde  ensuite  l'étude  particulière  du 
Moyen- Age. 

La  première  école  qui  se  présente  est  celle  des  Troubadours  ;  elle 
?e  développe  en  Portugal  pendant  deux  siècles  environ,  de  1185  à 
1357  :  et,  malgré  l'action  des  littératures  étrangères,  elle  conserve 
une  physionomie  propre,  un  caractère  frappant  d'inspiration  popu- 
laire, reconnaissable  surtout  dans  les  Cantigas  de  arnigo.  L'oriui 
nalité  de  la  poésie  portugaise  n'est  pas  essentiellement  altérée  par 
l'influence  qu'ont  exercée  sur  elle,  au  cours  de  son  évolution,  la 
Provence,  avec  les  chansons  amoureuses  et  satiriques  ;  la  France 
proprement  dite  avec  les  pastourelles,  la  Bretagne  avec  les  lais  et 
les  romans  d'aventure,  auxquels  se  rattacherait  l'Amadis  de  Gaule. 

La  discussion  sur  les  origines  de  l'Amadis  forme  la  partie  la  plus 
attrayante  de  ce  volume.  En  aucun  autre  endroit  l'auteur  n'a 
déployé  autant  de  science,  de  finesse,  de  verve  entraînante,  de 
logique  passionnée  pour  défendre  ses  idées.  Il  a  dépensé  le  meilleur 
de  son  talent  et  de  son  cœur  pour  démontrer  que  l'Amadis  est  une 
création  de  l'âme  portugaise,  si  rêveuse,  si  tendre,  si  éprise  de  fan- 


COMPTES    RENDUS.  231 

taisie  et  d'héroïsme.  Ceux-là  même  que  Theophilo  Braga  n'aura  pas 
réussi  <à  convaincre  ne  pourront  échapper  au  charme  peisuasif  de 
ces  pages  éloquentes  et  sincères. 

La  fin  de  l'ouvrage  comprend  la  période  de  transition  qui  termine 
le  Moyen-Age  et  annonce  la  Renaissance.  Cette  première  phase  de 
Y  humanisme  est  caractérisée  en  Portugal,  comme  dans  les  autres 
pays  de  l'Europe,  par  le  culte  et  l'imitation  de  l'antiquité.  Mais 
le  génie  national  lusitanien  ne  fut  pas  étouffé  par  l'érudition  classi- 
que. Les  écrivains  portugais  trouvèrent  à  l'école  des  anciens  de 
nouveaux  et  puissants  moyens  d'investigation  pour  mieux  compren- 
dre l'histoire  de  leur  patrie,  dans  la  race,  les  institutions,  la  langue. 
Le  nombre  des  chroniques  et  des  traités  didactiques  qui  appartien- 
nent à  cette  fin  du  Moyen-Age  est  considérable,  et  constitue  un 
trésor  national  d'une  valeur  singulière.  Les  grandes  découvertes 
maritimes  augmentent  la  richesse  publique  ;  la  vie  de  cour  se  déve- 
loppe et  s'embellit  ;  sous  l'influence  de  l'Italie  s'élabore  l'idéal  du 
parfait  gentilhomme,  et  le  vieux  fidalqo  se  transforme  en  un  cour- 
tisan qui  désire   vivre   vertueusement   (1). 

Nous  touchons  ainsi  au  seuil  de  la  Renaissance  où  Theophilo 
Braga  nous  introduira  dans  le  deuxième  volume  de  cette  Eécapitu- 
lation.  Dès  maintenant  on  peut  dire  qu'il  a  réalisé  le  programme 
qu'il  s'est  tracé  et  qu'il  a  énoncé  dans  la  préfaoe  :  initier  les  étran- 
gers à  la  connaissance  d'une  littérature  trop  oubliée  et  servir  de 
guide  aux  Portugais  eux-mêmes. 

M.   Paoli. 


A.  Joannidès.    —     La    Comédie    française,    1908.    Paris,    Plon- 
Nourrit,  in-8°,  1909. 

L'historiographe  de  la  Comédie-Française  a  montré  dans  ce  nou- 
veau fascicule  la  même  richesse  d'information  et  le  même  scrupule 
d'impartiale  exactitude  que  dans  les  précédents.  Notons-y  d'inté- 
ressants jugements  de  la  critique  parisienne  sur  les  œuvres  nouvelles, 
Jes  Deux  hommes,  Simone,  Amoureuse  (nouvelle  seulement  rue  Ri- 
chelieu),  le   bon  roi  Dagobert,  la  Furie,  le   Foyer;  pour  les  œuvres 

(1)  «  E  tal  tratado  me  parece  que  principalmente  d'eve  pertencer 
para  os  homens  da  côrte,  que  alguma  cousa  saibam  de  semelhante 
sciencia,  e  desejam  viver  virtuosamente,  porque  aos  outros  bem 
penso  que  nâo  muito  lhes  praza  de  o  1er  nem  de  ouvir  »  (D.  Duarte. 
o  Leal  Conselheiro). 


235  COMPTES    RENDUS. 

du   répertoire,  nous  trouvons  avec  intérêt  le  chiffre  total  des  repré- 
sentations dépuis  l'origine. 

En   1908.   comme  en  1907,  pas  de  préface  écrite  par  un  acteur  de 

la     Comédie-Française. 

E.  R. 

A.    Joannidès.     —   La  Comédie  française,    1909.    Paris,    Pion, 
1910,  8°. 

Le  volume  est  aussi  élégant  et  —  sinon  plus  —  aussi  riche  en 
renseignements  que  ceux  qui  l'ont  précédé.  Signalons-y  en  parti- 
culier  les  extraits  de  la  critique,  choisis  avec  impartialité  et  avec 
goût  :  il  y  aurait  peut  être  avantage  à  ce  que  cette  partie  de  l'ou- 
vrage fût  encore  un  peu  étendue  dans  les  fascicules  ultérieurs. 

E.  R. 

Albert  Soubies.  —  Almanach  des  Spectacles.  Auuée  1907.  — 
Paris,  Flammarion,  p.  in-12.  1908. 

Nous  sommes  en  retard  pour  annoncer  ce  nouveau  volume  de 
AI.  Albert  Soubies;  mais  nous  avons  assez  dit  précédemment  les 
mérites  et  l'utilité  de  V  Almanach  des  Spectacles.  Le  tome  37  est 
tout  à  fait  digne  de  ses  devanciers,  et  on  n'y  pourrait  reprendre 
que  des  vétilles  :  pourquoi,  par  exemple,  citer  à  la  bibliographie  la 
thèse  de  M.  Mornet  sous  ce  titre  insuffisant:  Le  sentiment  de  la 
nature  en  France?  Et  que  fait  au  même  endroit  la  sonate  pour 
clavier  avant  Beethoven? 

Nous  attendons  avec   confiance   le   volume   qui   résumera   l'histoire 

théâtrale  de  1908. 

E.  R. 

G.  Desdevises  du  Dezert. —  [/Eglise  et  l'Etat  en  Fiance,  depuis 
le  concordat  jusqu'à  nos  jours  (1801-190G).  Paris,  Société  Fran- 
çaise d'Imprimerie  et  de  Librairie. 

Ce  livre  résume  l'histoire  religieuse  de  la  France  au  XIX"  siècle. 
L'auteur  n'a  pas  voulu  présenter  une  histoire  détaillée  de  toutes  les 
querelles  qui  se  sont  élevées  entre  l'Eglise  et  l'Etat  ;  il  a  cherché  à 
montrer  pourquoi  et  comment  se  sont  peu  à  peu  constituées,  en 
regard'  l'une  de  l'autre,  deux  Fiances  différentes  qui  lui  paraissent 
répondre,  toutes  les  deux,  à  des  tendances  légitimes  de  l'esprit 
français,  et  qui  n'ont  malheureusement  pas  su  se  comprendre.  Il  a 
cherché  à  raconter  sans  passion  les  plus  récents  événements  et  à  en 
tirer  une  leçon  de  tolérance  et  de  liberté. 


COMPTES   RENDUS.  533 

G.  Hue  — Le  petit  Faune,  Paris, Société  française  d'Imprimerie  et 
de  Librairie,  1909. 

Un  drame  mystérieux  éclatant  brusquement  dans  une  famille 
heureuse,  enviée  ;  toute  une  ville  provinciale  éveillée  de  sa  léthargie, 
commentant  l'événement,  anxieuse  de  connaître  le  coupable  et  pour- 
suivant de  sa  haine  celui  que  désigne  à  sa  vengeance  l'enquête 
judiciaire;  un  dénouement  tardif,  imprévu  et  secret,  étouffé  dans 
le  silence  et  dans  l'oubli,  la  petite  ville  étant  depuis  longtemps 
retombée  au  sommeil  ;  tel  est,  en  ses  grandes  lignes,  le  sujet  du 
Petit   Faune,   le  nouveau  roman   de   M.   Gustave   Hue. 

C'est  un  livre  à  la  fois  tendre  et  tragique,  dont  L'intrigue  pas- 
sionnera le  lecteur. 

On  y  trouvera  les  qualités  d'observation,  le  souci  d'exactitude  et 
l'écriture  nette  et  précise  qui  valurent  au  jeune  romancier,  dès  ses 
débuts,   l'estime   des   lettrés. 

L.  Claretie.  —  Sourires  littéraires,  Paris,  Société  Français:  d'Im- 
primerie et  de  Librairie,  1909. 

Sourires  littéraires,  tel  est  le  titre  aimable  de  l'ouvrage  où  l'esprit 
curieux  de  M.  Léo  Claretie  a  su  extraire  une  philosophie  fine  et 
enjouée  de  sujets  fort  neufs  et  imprévus,  soit  qu'il  étudie  des 
littératures  étranges,  celle  de  Gavroche  ou  celle  des  Griots  du 
Soudan,  Napoléon  romancier,  l'ébriété  de  Musset,  les  calembours 
des  gens  sér:eux,  les  rapports  de  la  pharmacie  et  de  l'idéal,  les 
derniers  mots  des  agonisants,  l'aventure  de  Mazoyer,  l'allemand 
tel  qu'on  le  parle,  etc.,  soit  qu'il  tire  de  hautes  leçons  des  thèmes 
qui  les  annoncent  le  moins.  Le  livre  tient  mieux  que  la  parole  du 
titre  :   il   fait  sourire  et  il   fait  penser. 

A.  Gazier.  —  Abrégé  de  l'Histoire  de  Port-Royal,  d'après  un  ma- 
nuscrit préparé  pour  l'impression  par  Jean-Baptiste  Racine.  Paris, 
Société  Française  d'Imprimerie  et  de  Librairie,  1909. 

L' Histoire  de.  Port-Eoyal  de  Racine  n'a  pas  été  réimprimée  ail- 
leurs que  dans  ses  œuvres  complètes  depuis  la  fin  du  XVIII*  siècle, 
et  les  exemplaires  de  1742,  1767  et  1770  sont  de  toute  rareté.  Il 
était  donc  utile,  aujourd'hui  que  la  gloire  de  Racine  brille  d'un  si 
vif  éclat,  de  publier  à  part  cette  œuvre  exquise,  considérée  comme 
un  des  chefs-d'œuvre  de  la  prose  française.  L'édition  qui  vient  de 
paraître  est  donnée  d'après  un  exoellent  manuscrit  préparé  pour 
l'impression  par  le  fils  aîné  de  Racine  ;  elle  est  suivie  d'un  appen- 


234  COMPTES   RENDUS. 

dice  relatant  les  derniers  événements  de  l'Histoire  de  Port-Royal 
(1665-1709),  de  notes  et  d'éclaircissements  classés  par  ordre  alpha- 
bétique et  formant  une  sorte  de  dictionnaire  spécial,  et  enfin  d'un 
Essai  bibliographique  faisant  connaître  les  ouvrages  à  consulter  si 
l'on  veut  étudier  sérieusement  l'Histoire  de  Port-Royal.  Ce  livre 
est  orné  d'un  beau  portrait  de  Racine  et  de  deux  plans.  Il  se  recom- 
mande ainsi  de  lui-même   aux   admirateurs   de   Racine. 


E.  Faguet.  —  Discussions  politiques.  Société  Française    d'Impri- 
merie eld''  Librairie. 

Sous  ce  titre  M.  Faguet  vient  rie  grouper  une  série  d'études  sur 
les  questions  politiques  et  sociales  qui  sollicitent  l'intérêt  passionné 
de  tous  ceux   que  préoccupe   l'évolution   actuelle  des   idées. 

Les  Idées  maîtresses  de  la  Révolution; 

Le  Droit,  à  propos  du  livre  de  Michelet  sur  les  Origines  du  Droit 
français; 

La  Démocratie  devant  la  Science,  à  propos  du  livre  de  M.  Bougie  ; 

Les  Deux  Frances,  à  propos  du  livre  du  professeur  Seippel,  de 
Zurich  ; 

Les  Trois  Anti,  à  propos  du  livre  de  M.  Anatole  Leroy-Beaulieu 
intitulé  les  Doctrines  de  Haine  —  ces  trois  anti  sont  l'antisémitisme, 
l'anticalvinisme,    l'anticatholicisme  ; 

La  Psychologie  du  Socialisme,  à  propos  du  livre  de  M.  Gustave 
Le  Bon  ; 

Une  Histoire  de  la  Révolution  française,  à  propos  du  livre  de 
M.   Aulard  ; 

Un  Catéchisme  démocratique,  à  propos  du  livre  de  M.  Henry 
Michel  sur  la  Doctrine  de  la  Démocratie, 

Tels  sont  les  principaux  chapitres  de  cet  ouvrage  pénétrant  dans 
lequel  la  dialectique  aiguë  de  M.  Faguet  se  meut  à  l'aise  au  milieu 
des  questions  les  plus  élevées.  Ce  sont  des  Discussions  politiques, 
mais  des  discussions  courtoises,  au  cours  desquelles  M.  Faguet, 
juge  impartial  des  idées  et  des  tendances  les  plus  éloignées  des 
siennes,  reste  avant  tout  libéral  et  patriote.  «  Je  ne  sais  pas, 
dit-il,  si  je  suis  libéral  par  patriotisme  ou  patriote  par  libéralisme. 
Je  sais  que  la  liberté  est  conservatrice  de  la  patrie  et  que  la  patrie 
est  conservatrice  de  liberté  par  le  besoin  qu'elle  en  a.  Je  demande 
que  ces  deux  sentiments  soient  considérés  comme  connexes  et  leur 
connexion  comme  indissoluble,  et  qu'ils  forment  à  eux  deux  une 
religion  civile  professée  et  sentie  passionnément  par  tous  les  Fran- 
çais.   » 


COMPTES    RENDUS.  235 

Laura  Schjch.  —    Silvio   Pellico   iu  Mailaad.  1809-1820.    iti-8°, 
p.  136.  Berlin,  1907. 

Je  ne  sais  si  l'auteur  dit  quelque  part  avec  netteté  que  ces 
années  continuèrent  pour  Pellico  le  dur  apprentissage  de  douleur 
et  de  contemplation  de  soi-même  qui  le  préparait  à  écrire  son 
ohef  d'œuvre,  le  mio  Prigioni.  Cela  ressort  de  la  suite  des  faits: 
santé  maladive  des  l'enfance,  pauvreté  irrémédiable,  aspirations 
liantes  et  ambitieuses  toujours  contrariées  par  la  destinée,  retour 
constant  sur  soi-même,  sur  ses  imperfections  et  sur  son  impuis- 
sance ;  puis  l'amitié  d'une  âme  noble  qui  ne  le  gâtait  point  d'éloges, 
n'est-ce  pas  là  une  sorte  d'éducation  toute  particulière?  Chez  un 
jeune  homme,  amoureux  de  la  littérature,  accueilli  affectueusement 
dans  un  milieu  d'écrivains  jeunes  et  actifs,  à  l'époque  où  dans 
l'Italie  romantisme  et  patriotisme  éveillaient  les  plus  audacieuses 
espérances,  elle  ne  pouvait  demeurer  stérile.  Le  dernier  mot  de 
l'auteur  ne  saurait  donc  me  satisfaire  :  «  Ces  mémoires  sans  pré- 
tention, non  littéraires  (unliterarische  Memoirenwerk)  assurent  à 
Pellico  la  réputation  qu'il  ne  sut  pas  conquérir  par  ce  qu'il  esti- 
mait son  œuvre  littéraire.   » 

N'attachons  point  d'importance  à  la  distinction  entre  genres  litté- 
raires. Pour  écrire  «  le  Prigioni  »  il  était  bon  d'avoir  passé  par 
ce  chemin  de  larmes  et  par  le  travail  intense  d'auteur  dont  nous 
avons  ici  un  tableau  très   soigneusement  tracé. 

En  composant  des  tragédies,  Pellico  se  trompait  sur  sa  vocation  ; 
eût-il  posséda  les  dons  de  journaliste  de  génie,  l'oppression  autri- 
chienne en  aurait  étouffé  le  développement.  On  a  reconnu  que  ses 
lyrique.  De  cette  période  d'essais  il  gardait,  sans  en  avoir  le  senti- 
lyrique.  De  cette  période  d'essais  il  gardait,  sans  en  avoir  le  senti- 
ment précis,  une  expérience  bien  personnelle,  et  quand  les  murs  de 
la  prison  le  séparèrent  du  monde,  son  âme  délicate  et  tendre  se 
révéla  dans  le  Journal  où  il  écrivait  pour  lui-même  sa  vie  recluse 
et  silencieuse.  Les  héros  de  ses  tragédies  laissent  le  lecteur  froid 
et  indifférent.  Mais  de  lui-même  il  a  su  parler,  et  c'est  aussi  une 
manière  d'être  poète. 

Le  travail  de  Mme  Schoch  est  un  résumé  très  bien  fait  de  tout 
ce  que  l'on  a  écrit  sur  la  période  de  la  vie  de  Pellico  qu'elle  a 
étudiée.  Rien  de  nécessaire  ne  semble  omis,  et  là  où  une  discussion 
est  utile  elle  est  conduite  avec  la  clarté  et  l'abondance  de  renseigne- 
ments qui  justifient  des  conclusions.  Telle  note  (22,  4)  avertit  avec 
raison  que  Pellico,  devenu  très  dévot,  jugeait  sévèrement  la  liberté 
d'esprit  de  sa  jeunesse.  Ainsi,  il  en  vint  à  demander  que  l'on  ne 
comprît  point  ses  lettres  dans  la  correspondance  de  Foscolo  donnée 
par  Orlandini  en  1855. 


236  COMPTES   RENDUS. 

Le  10  août  1815,  Francesca  d*i  Rimini  fut  représentée  et  attira 
l'attention  publique  sur  le  jeune  auteur.  L'année  suivante,  Byron 
était  heureux  de  connaître  a  le  charmant  poète  »,  se  mit  à  traduire 
la  pièce,  tandis  que  Pellico  traduisait  Manfred.  La  sympathie  de 
l'abbé  de  Brème  fut  très  utile  a  Pellico.  C'est  dans  sa  loge  que 
Beyle  (Stendhal)  le  rencontra  dans  une  société  toute  littéraire,  telle 
que  l'on  n'en  eût  pas  trouvé  à  Paris  :  Monti,  Borsieri,  Confalonieri, 
Berchet,    etc..    Beyle    fut   très    touché    de   la    pauvreté   de    Pellico. 

En  1817,  Sismondi  vint  aussi  à  Milan,  et  sa  laideur,  son  entretien 
discret  et  terne  étonnèrent  le  jeune  Italien.  En  1819,  Lady  Morgan 
s'émeut  aussi  de  la  gêne  où  on  laisse  un  poète  «  aux  sentiments 
brûlants  et  naturels  ».  Le  voici  maintenant  s'éprenant  de  Teresa 
Bartolezzi,  composant  pour  elle.  Mais  viennent  les  jours  de  la 
Carboneria:  Maroncelli  est  arrêté,  puis  c'est  Pellico.  Le  martyre 
du   Spielberg   va  commencer. 

Les  deux  chapitres  suivants  (position  en  face  du  Romantisme, 
œuvres)  forment  l'essentiel  de  ce  petit  ouvrage.  P.  119,  à  propos 
de  la  si  regrettable  altération  que  Pellico  a  faite  de  la  conception  de 
Dante,  je  rencontre  une  citation  d'Isidoro  del  Lungo  :  «  I  dubbiosi 
desii  délie  rea  passione,  torment  osamente  covata,  non  hanno  più 
ragione  di  farsi  dall'  uno  ail'  altro  conoseere,  ne  il  tibro  d'esser 
galeotto,  ne  infine  la  bocca  d'esser  baciata...  »  Sûrement,  Pellico 
a  eu  un  très  grand  tort  en  plaçant  la  scène  admirable  dans  les 
antécédents  du  sujet  :  cela  suffit  à  prouver  qu'il  n'était  pas  doué 
pour  le  théâtre  ;  mai  pourquoi  écrire  galeotto  avec  une  minuscule  ! 
Il  s'agit  de  Galéhaut,  qui  donna  à  la  reine  Genièvre  le  conseil 
d'accorder  un  baiser  à  Lancelot.  Dante  dit  très  bien  :  Le  livre  et 
celui  qui  l'écrivit  remplirent  l'office  de  Galéhaut.  Des  gens  peuvent 
s'y  tromper,  et,  j'ai  vu,  je  ne  dirai  pas  chez  qui:  «  galérien  fut 
le  livre  !  » 

De  même  (p.  107)  dans  «  la  Fedra  di  Racine  tosto  che  Fedeo  ha 
contezza...  »  on  jugera  Teseo  nécessaire.  P.  121,  1.  11:  Benvenuto 
d'Imola  parlant  de  l'amant  de  Francesca  dit:  deditus  magis  ocio 
quant  labore.   Je  propose  labori. 

Nous  finissons  par  savoir  notre  texte  par  casur  et  les  coquilles 
nous   échappent. 

F.    C. 

Ive  (Antonio).  Canti  populari  Velletrani  raccolti  e  annotati.  In-S°, 
I  —  XXXII,  1-325.   Borna,  1907. 

Ce  très  beau  volume,  dont  l'édition  a  été  encouragée  par  le 
ministère    italien,     paraît    fort    à    propos,    car    des    préoccupations 


COMPTES   RENDUS.  237 

nouvelles  peuvent  s'emparer  des  cerveaux  populaires  et  la  centrali- 
sât ion  opérer  en  Italie  comme  chez  nous  son  œuvre  de  dessèchement. 
J'en  juge  ainsi  par  les  derniers  couplets  cités.  Pauvre  chant 
populaire  !  il  était  temps  de  le  transcrire,  car  bientôt  on  le  saura 
mal,  puis  on  ne  le  saura  plus.  Cette  poésie  naturelle,  fruit  du 
terroir,  non  façonnée  sur  des  modèles  classiques,  a  une  valeur  ines- 
timable :  c'est  le  document  humain  par  excellence.  Sainte-Beuve 
semble  féliciter  notre  littérature  d'avoir  fait  sa  rhétorique  avec 
Balzac,  mais  il  n'est  pas  aisé  de  s'aflranchir  de  cette  maîtresse 
d'emphase   et  de  lieux   communs. 

Dans  son  introduction,  M.  Ive,  tout  en  résumant  les  principaux 
travaux  sur  la  lyrique  populaire  italienne,  présente  sa  manière 
d'entendre  la  question,  trace  tout  un  programme  d'étude,  et  bien 
qu'il  rende  justice  à  la  si  haute  compétence  de  M.  D'Ancona,  fait 
ses  réserves  en  quelques  points.  Il  semble  vraiment  que  toute 
affirmation  en  cette  matière  complexe  ait  provoqué  aussitôt  contra- 
diction. Mais  aussi  tous  les  éléments  de  la  question  se  dégagent, 
se  précisent,  et  l'on  entrevoit  le  terme  où  l'on  aura  une  solution 
satisfaisante. 

M.  I.  apporte  un  soin  particulier  à  souligner  que  l'auteur  popu- 
laire dut  être  illettré,  analfabetico.  J'admets  qu'ainsi  il  n'a  pas  le 
moyen  de  lire  la  Tribuna,  il  Secolo  et  les  romans-feuilletons,  qu'en 
tout  cas  il  ne  court  point  le  risque  d'essayer  d'imiter  les  vers  de 
Carducci  ou  de  D'Annunzio,  que  par  conséquent  il  ne  songe  pas  à 
gâter  ses  dons  naturels  par  des  emprunts  maladroits.  Mais  je  ne 
concéderais  point  que  cet  illettré  ne  possède  pas  dans  sa  langue  un 
merveilleux  instrument  capable  de  tout  exprimer.  Il  y  eut  sûrement 
de  beaux  vers  en  Grèce  avant  que  l'on  y  connût  l'alphabet  phénicien 
et  le  papyrus  d'Egypte. 

De  même  que  notre  si  aimé  et  si  regretté  Lambert,  M.  I.  a 
recueilli  lui-même  et  oralement  la  plupart  des  couplets  qu'il  im- 
prime. Ce  sont  des  textes  authentiques  dont  le  linguiste  autant  que 
le  philologue  pourra  faire  état.  Il  a  également  le  droit  de  considérer 
son  œuvre  comme  un  contributo  alla  demopsicologia  italiana. 

Le    commentaire    est    considérable.     Les    comparaisons    avec    les 
chants   populaires   de  la  plupart   des   peuples  européens   pécheraient 
plutôt  par  l'excès  d'abondance.   Les  notes  ne  font-elles  pas   quelque 
tort   au   texte  ? 
Le  tercet  228  dit  : 

O  Ddio,  quanno  me  dôleno  li  denti  ! 
Se  moverien  a  pietà  sina  li   sassi, 
E   ttu,   donna  crudele,   nun  mi   senti  ! 


-38  COMPTES   RENDUS. 

«  0  Dieu,  que  les  dents  me  font  mal  ! 

Les  rocs  eux-mêmes  seraient  émus  de  pitié, 

Et  toi,  femme  cruelle,  tu  ne  m'entends  pas  !  » 

M.  I.  renvoie  à  nombre  d'auteurs  et  cite  neuf  passages  où  la 
dureté  de  l'amante  est  comparée  à  celle  du  rocher  :  Politien, 
Boiardo,  Arioste  en  sont.  L'on  aurait  pu  mentionner  aussi  la  can- 
zone  de  Dante  sur  la  Pietra;...  con  tutto  ch'ella  mi  sia  pietra. 
Dans  aucun  il  n'est  parlé  du  mal  de  dents.  Reste  donc  la  vieille 
comparaison  du  cœur  et  de  la  piene.  Valait-il  la  peine  de  prouver 
que   la  poésie  d'art  en    a  abusé   (1)? 

D'autres  notes  se  justifient  très  bien.  L'amant  dit  que  le  soleil 
à  son  lever  va  faire  la  révérence  devant  la.  belle  et  s'incliner 
(p.  113).  Il  est  intéressant  de  retrouver  cette  image  dans  d'autres 
poésies  populaires.  Mais  souvent  l'on  eût  bien  fait  d'aborder  l'étude 
esthétique  du  texte.  Un  commentaire  historique  ne  suffit  pas  et  le 
lecteur  ne  blâmera  jamais  un  éditeur  de  l'aider  à  sentir  et  appré- 
cier. Je  prends  au  hasard   (p.  63)   et  j'y  vois  la  gradation: 

Fiore  de  riso, 

Boccucia  arisarella,    occio    pietoso, 

Boccucia   arisarella  de   paradiso. 

Du  tercet  précédent  à  celui-ci,  il  y  a  déjà  gradation. 

Cette  langue  poétique  a  sa  valeur  d'oeuvre  d'art,  a  ses  ressources, 
ses  procédés.  Elle  mérite  d'être  examinée  à  ce  point  de  vue,  et  l'on 
eût  pu  faire  de  préférence  le  sacrifice  de  quelques  citations,  fussent- 
elles  d'un   poète  de   Socotora. 

Pourquoi  ces  critiques  ?  pour  avoir  le  droit  de  reconnaître  que 
ce  livre  représente  une  érudition  très  étendue,  qu'il  a  été  établi 
avec  le  plus  grand  soin,  que  les  citations  ajoutent  souvent  à  l'inté- 
rêt de  la  lecture,  que  les  StorneUi  de  Velletri  méritaient  d'être 
ainsi  édités.  Les  deux  mélodies  notées  sont  gracieuses,  mais  me 
paraissent  écrites  trop  haut,  la  seconde  surtout.  M.  I.  répondra 
qu'on  les  chante  ainsi,  que  les  gens  de  Velletri  se  tiennent  sans 
effort  au-dessus  de  la  portée.  Çà  et  là,  je  crains  que  l'on  n'ait  omis 
de  pointer  quelque  noire  ;  mais  la  correction  serait  facile. 

F.   Castets. 


(1)    Le   tercet   407,    entre    citations    et   renvois,   possède    une   note 
de  trente-trois  lignes.   Il   s'agit  de  la  constance  de  l'amant. 


COMPTES   RENDUS.  539 

G.  Bertoni. —  Un  trattatello  di  Medicina  in  volgare  Rolognese. 
In-8°,  13  p.  Modena,  1900  (Extrait  des  Atti  e  Memorie  délia  K. 
Diputazione  di  Storia  patriaper  le  provincie  Modenesi,  série  V,  vol. 
VI). 

Ce  texte,  puisé  dans  le  manuscrit  Ghinassi  (fonds  Campori, 
biblio.  Estense)  est  écrit  dans  le  dialecte  de  Bologne,  ainsi  que  le 
prouve  M.  Bertoni  dans  quelques  pages  préliminaires.  C'est  un 
vrai  traité  d'hygiène.  L'on  donne  d'abord  des  préceptes  généraux 
pour  les  précautions  qu'il  faut  prendre  chaque  jour,  puis  quatre 
séries  de  conseils  répondant  aux  quatre  saisons.  L'auteur  prétend 
puiser  dans  les  livres  de  médecine  pour  un  ami  et  par  affection 
pour  lui  les  préceptes  qui  lui  assureront  de  bien  se  porter  et  d'e 
vivre  longtemps.  Au  saut  du  lit,  il  est  bon  de  détendre  ses  membres, 
puis  on  se  peigne  et  on  se  lave  les  mains  et  la  figure...  «  Revêts  ton 
corps  de  beaux  habits  parce  que  l'esprit  en  est  réconforté,  que  cela 
te  rend  joyeux  ;  puis  mâche  des  grains  de  fenouil,  d'anis  ou  de 
girofle,  qui  parfument  la  bouche  et  éveillent  l'appétit.  »  A  table, 
il  faut  être  sobre. 

Le  soir,  il  faut  dormir  la  tête  bien  couverte,  se  coucher  d'abord 
sur  le  côté  droit,  puis  un  moment  sur  le  côté  gauche,  enfin  se 
retourner  sur  le  côté  droit  et  continuer  ainsi  son  sommeil.  A  cet 
endroit  (p.  11),  j'estime  que  les  deux  lignes  qui  suivent  immédiate- 
ment sont  le  commencement  d'une  nouvelle  phrase,  font  partie  de 
l'alinéa  qui  vient  après.  Je  mettrais  un  point  après:  «  continua  lo  to 
sonno  »,  de  sorte  que  le  texte  prendrait  cet  aspect:  «  Imperzo  che  li 
tempi  de  l'anno  prestano  aiuto,  in  l'ordinamento  di  cibi  de[ve]  si 
regnare  la  sanitade  de  l'omo.  Abii  che  l'anno  se  parte,  etc..  »  Je 
maintiendrais  donc  si,  bien  que  M.  B.  dise  qu'il  est  barré  d'un 
petit  trait.  Il  me  semble  que  ces  quatre  lignes  forment  bien  la  tran- 
sition  aux   conseils   visant   les   quatre    saisons. 

Il  n'y  a  rien  de  très  original  dans  cette  hygiène  ;  du  moins  elle 
est  sage,  sans  recherche  trop  scientifique,  sans  encombrement  de 
drogues  étranges  et  malpropres,  sans  prétention  à  une  origine  roma- 
nesque, sans  foi-mules  magiques.  C'est  là  une  sorte  de  mérite  très 
rare  au   Moyen-Age. 

F.    Castets. 

G.    Bertoni.    —     Un    nuovo    documente    volgare   Modenese    del 
secolo  XIV  (1353).  In-8°,  1-30.  Modena,  1900. 

Ce  document  est  riche  en  noms  de  personnes  et  de  lieux,  contient 
assez  de  traits  linguistiques   pour  être   classé   avec  les  autres   textes 


240  COMPTES    RENDUS. 

en   Modénais   étudiés   par  l'auteur  dans   le   Laudario  dei   Battuti  di 
Modena. 
Le  sujet  est  un  partage  de  biens  entre  frères. 

F.   C, 


Staël  von  HolsteÏD.  —  Le  Roman  d'Athis  et  de  Prophilias,  étude 
littéraire  sur  ses  deux  versions;  thèse  de  doctorat.  ln-8°,  m— 
vu,  1-126.  Upsal,  1909. 

Pendant  que  M.  Hilka  prépare  pour  la  Gesellschaft  fur  romanis- 
chc  Litteratur  une  édition  critique  de  ce  roman  d'aventures,  M. 
Staël  von  Holstein  fait  paraître,  avec  l'assentiment  de  M.  Hilka, 
une  étude  littéraire  au  sujet  d'un  texte  que  l'on  ne  connaissait 
guère  jusqu'ici  que  par  l'analyse  que  Ginguené  en  a  donnée  au  t.  XV 
de  l'Histoire  Littéraire.  Elle  a  pour  but  principal,  nous  dit-on,  de 
servir  de  complément  littéraire  à  l'édition  projetée.  Il  est  fort  heu- 
reux que  l'auteur  par  ses  analyses  et  ses  citations  nous  permette 
de  comprendre  l'intérêt  de  ses  développements,  car  en  matière  d'édi- 
tion il  y  a  parfois  très  loin  du  projet  à  sa  réalisation. 

La  Bibliographie  placée  en  tête  est  aussi  complète  qu'on  peut  le 
souhaiter.  Le  plan  fort  simple  est  rempli  de  manière  intéressante 
Après  une  description  des  manuscrits,  l'on  a  l'analyse  et  la  compa- 
raison de  la  version  commune  et  de  la  version  de  Tours  :  celle-ci, 
mieux  composée  et  plus  courte,  paraît  la  plus  ancienne.  L'on  passe 
à  la  question  des  sources,  traitée  avec  solidité,  aux  emprunts  et 
allusions  littéraires,  aux  questions  d'auteurs.  Puis  l'on  a  un  bon 
chapitre  sur  l'âge,   la  valeur  et  l'influence  du  roman. 

M.  Staël  von  Holstein  n'est  pas  le  premier  à  s'occuper  de  ce 
sujet.  Il  connaît  très  bien  les  travaux  de  ceux  qui  l'ont  précédé,  en 
tire  parti  avec  indépendance  et  jugement.  Avec  M.  di  Francia,  il 
croit  que  pour  la  nouvelle  8  de  la  dixième  journée  de  Décaméron, 
Boccace  a  pour  modèle  principal  le  roman  d'Athis  et  Prophilias, 
«  mais  qu'avec  l'épisode  de  la  caverne  commence  la  contamination 
avec  la  Discipline,  contamination  qui  se  poursuit  jusqu'au  dénoue- 
ment, où  de  nouveau  se  manifeste  l'influence  du  roman  en  tant  que 
Fulvie  est  donnée  à  Gisippe  comme  Gayte  à  Athis.   » 

A  propos  du  caractère  conventionnel  de  la  beauté  féminine  (p. 
109),  on  regrette  que  l'auteur  ignore  le  si  agréable  livre  de  M.  R. 
Renier  Sul  Tipn  estetico  délia  donna  nel  Media  vo  (Ancona,  1885). 
Il  a  tort  d'ailleurs  de  traduire  par  voûtés  l'indication  donnée  au 
vers  : 

Sortis  bien  fais,  auques  votis. 


COMPTES   RENDUS.  24  1 

C'est  arqués   qu'il    faut   entendre. 

Cette  thèse  est  écrite  en  français,  grand  service  rendu  aux  roraa- 
nisants  qui  ne  savent  point  le  Scandinave.  L'on  aurait  donc  mauvais 
gré  à  chicaner  pour  quelques  négligences  le  jeune  philologue  qui 
porte  dignement    un   nom    illustre  dans   notre   littérature. 

F.   Castets. 


Berthold    Fenigstein.    —  Leonardo    Giustiniani.  (1383  ?-1446). 
In-8»,  Hl-vif,  1-150.   Halle,  1909. 

Thèse  de  doctorat  sur  un  Vénitien  qui  fut  homme  d'Etat,  huma- 
niste et  poète.  Comme  humaniste,  il  occupe  une  place  importante 
dans  l'histoire  de  la  Renaissance.  Ses  poésies  en  langue  populaire 
furent  très  répandues,  mais  sans  que  l'on  sût  qui  en  était  l'auteur. 
M.  Fenigstein  ne  croit  pas  qu'il  faille  lui  attribuer  la  Leandreide, 
qu'il  estime  d'ailleurs  un  vrai  chef-d'œuvre.  L'on  trouve  à  l'appen- 
dice un  choix  intéressant  de  pièces  (sonnets,  chansons,  etc.),  qui 
permettent  d'apprécier   le  talent  du   poète. 

F.   C. 


Monaci  (Ernesto).   —  Il  cinquantenario  di  Mireio.    Nuova  Anto- 
logia,  1er  giugno  1909. 

M.  Monaci,  à  l'occasion  des  fêtes  d'Arles,  a  raconte  comment 
s'est  formée  la  vocation  de  Mistral,  quelle  résistance  il  a  rencontrée 
d'abord,  les  défiances  mêmes  qu'il  a  dû  rassurer  :  un  Provençal  se 
pei mettant  d'être  un  grand  poète  tout  en  restant  Provençal  de 
langage  et  d'attitude,  fut  nécessairement  suspect  de  tendances 
séparatistes  !  Puis  Paris  n'a  pas  l'habitude  de  rendre  immédiate  et 
entière  justice  au  talent  ou  au  génie  qui  naissent  et  triomphent  en 
dehoi-s  de  sa  zone  d'influence.  Je  me  rappelle  une  objection  qui  ne 
pouvait  venir  à  la  pensée  de  M.  Monaci  :  «  Si  c'est  un  vrai  poète, 
pourquoi  n'écrit-il  point  en  français  ?  »  En  effet,  de  Montaigne  à 
Gambette,  la  liste  est  longue  des  Français  du  Midi  qui  se  sont  fait 
un  nom  dans  les  lettres  et  à  la  tribune,  mais  nos  grands  poètes 
sont  du  Nord,  ont  parlé  le  français  dès  l'enfance,  en  sentent  mieux 
que  nous  le  timbre  et  les  délicates  nuances  :  Mistral  a  été  poète  et 
Piovençal  parce  que  le  provençal  était  sa  langue  naturelle.  Cela 
nous  a  valu  Mireio  et  d'autres  chefs-d'œuvre. 

M.     M.    a    fait    ressortir    la    part    que    la    Société    des    Langues 


2Î2  COMPTES    RENDUS. 

Bomanes  eut  jadis  dans  le  réveil  de  la  pensée  méridionale.  Il  a  cité 
ces  noms  aimés  de  Cambouliù,  Boucherie,  et  emprunté  à  M.  de 
Berluc-Perussis  des  paroles  intéressantes  sur  le  rôle  qu'eut  nôtre- 
Société  naissante  :  «  On  voyait  dans  l'entreprise  félibréenne  une 
originale  fantaisie  de  rimeurs,  une  attrayante  amusette  littéraire... 
mais  en  même  temps  la  stérile  culture  d'un  patois  indigne  de  vivre. 
Telle  a  été  l'impression  des  burgraves,  des  gens  de  Sorbonne  et 
d'Institut,  sauf  Taillandier  et  quelques  autres,  de  1852  à  1870. 
C'est  seulement  à  la  fondation  de  la  Société  romane  que  la  pers- 
pective  changeant,  l'opinion  s'est  amendée.  Les  romanistes  sont 
soudain  venus  qui  ont  ouvert  une  grande  enquête  sur  les  dialectes 
méridionaux,  qui  en  ont  dressé  la  carte,  écrit  l'histoire,  comparé 
les  formes,  établi  la  grammaire,  colligé  le  lexique,  recueilli  les 
productions  populaires...  Ainsi  Montpellier  venant  au  secours  d'Avi- 
gnon, l'œuvre  des  Félibres  s'est  trouvée  scientifiquement  justifiée, 
grandie,  ennoblie  »  (P.  Mariéton.  L'idée  latine.,  Lyon,  1883,,  p.  13). 
Il  est  certain  qu'un  moment,  la  Bomania,  de  l'Espagne  à  Bucarest, 
eut  les  yeux  tournés  en  même  temps  vers  Montpellier  et  les  Féli- 
bres, que  les  Fêtes  Latines  réunirent  dans  cette  ville  tous  ceux  qui, 
dans  les  peuples  héritiers  de  la  langue  et  de  la  culture  romaines, 
gardent  l'amour  et  la  fierté  de  leur  commune  origine.  Mireio  eut 
pour  écho  le  C liant  du  Latin   (1). 

De  ces  grandes  journées  il  reste  toujours  quelque  chose,  car  l'on 
y  sème  un  grain  qui  lèvera  tôt  ou  tard.  M.  M.  n'a  pas  oublié 
que  l'année  de  Mireille  est  celle  où  la  France  vint  verser  son  sang 
pour  aider  l'Italie  à  reconquérir  son  indépendance:  «  Nous  ne  pou- 
vons, dit-il,  laisser  passer  ce  moment  sans  nous  associer  à  la  joie 
de  la  première  des  nations-sœurs  et  sans  rappeler  la  haute  significa- 
tion du  nom  qui  est  aujourd'hui  consacré  à  l'immortalité  ». 

En  1874,  aux  fêtes  du  cinquième  anniversaire  de  Pétrarque  à 
Vaucluse,  la  France  officielle  et  l'Italie  furent  représentées  par  des 
hommes  tels  que  Wallon,  Mézières,  Augusto,  Conti,  Nigra.  L'union 
latine  fut  ce  jour-là  une  réalité  très  vivante  ;  et  dans  M.  Nigra 
elle  eut  le  plus  éloquent  interprète. 


(1)  L'hymne  d'Alecsandri  fut  mis  en  musique  par  le  maestro 
Marchetti;  il  en  a  paru  plusieurs  traductions  en  diverses  langues,  dont 
une  en  hébreu  et  cinq  en  italien.  La  traduction  italienne  de  M.  Mez- 
zacapo  fut  couronnée  au  concours  de  la  Société  des  Langues  roma- 
nes en  mai  1883,  et  fut  publiée  la  même  année  à  Rome,  avec  une 
introduction  sur  le  mérite  de  l'œuvre  et  sur  la  personne  de  l'au- 
teur. 


COMPTES    RENDUS.  243 

M.  Monaci  montre  comment  les  Cigaliers,  devenus  plus  tard 
l'Association  des  Félibres  de  Paris  sous  la  présidence  de  Tourtou- 
lon,  surent  etïacer  d'anciens  préjugés  et  confirmèrent  l'union  du 
Nord  et  du   Midi   de   notre  patrie. 

La  fin  de  ce  remarquable  article  est  à  citer  en  entier  :  «  Telle  est 
la  signification  du  cinquantième  anniversaire  de  Mireille,  tels  sont 
les  souvenirs  qu'évoque  le  nom  de  Mistral.  La  France  s'enorgueillit 
justement  de  ce  nom.  Par  lui  elle  est  revenue  à  posséder,  comme 
dans  le  passé,  d'eux  littératures  ;  et  si  autrefois  celle  des  trouba- 
dours sonna  à  l'Europe  le  réveil  de  la  civilisation,  de  nos  jours 
celle  des  félibres  a  répandu  parmi  les  races  d'une  même  patrie  la 
réconciliation  et  la  paix,  a  fait  vibrer  entre  les  autres  peuples  le 
sentiment  de  l'amitié,  a  fait  goûter  le  fruit  de  la  concorde.  Jamais 
une  littérature  n'agita  avec  une  intention  commune,  et  j'oserais 
dire  collective,  des  conceptions  plus  hautes,  plus  nobles,  plus  dignes 
de  l'homme  et  du  progrès  social;  jamais  l'art,  avec  des  moyens  aussi 
pauvres  que  ceux  que  Mistral  mit  en  œuvre,  ne  parut  s'élever  à 
une  telle  hauteur,  n'exerça  sur  le  monde  une  fascination  aussi  mer- 
veilleuse. En  pensant  à  l'histoire  de  Mireille,  on  comprend  bien 
comment  Mistral  a  été  le  premier  poète  à  qui  l'on  ait  conféré  le 
prix  Nobel  et  comment  encore  vivant  il  reçoit  aujourd'hui  les 
honneurs  de  l'apothéose.  Salut,  ô  maître  !  et  que  soit  avec  toi  en 
cette  heure  la  pensée  de  tous  ceux  qui  comprennent  quelle  recon- 
naissance t'est  due.   » 

F.   Castets. 


Heinrich  Gelzer.   —     Einleitung    zu   einer    kritischen    Ausgabe 
des  altfrauzœsischen  Yderromans,  in-8°,  90  p.  Halle,  1908. 

M.  Gelzer  nous  donne  ainsi  l'introduction  de  la  publication  qu'il 
piérare  du  roman  du  roi  Yder.  Ce  texte  existe  en  un  manuscrit 
unique  à  la  bibliothèque  de  l'Université  de  Cambridge.  G.  Paris 
l'a  fait  connaître  par  un  bel  article  dans  Histoire  littéraire,  XXX, 
p  213  sq.  M.  G.  étudie  l'orthographe  et  la  langue  du  copiste  qui 
sont  très  défectueuses  l'une  et  l'autre.  L'on  a  affaire  à  un  scribe 
anglo-normand'.  Suivent  un  résumé  du  poème,  des  recherches  sur 
ses  origines,  sur  le  caractère  anticlérical  de  certains  développe- 
ments,  sur  le  stjle  et  la  personnalité  de  l'auteur. 

Cette  étude,  consciencieuse  et  méthodique,  fait  bien  augurer  de 
l'édition   annoncée.  F.    C. 


"244  CHRONIQUE. 

CHRONIQUE  ÉTYMOLOGIQUE  DES  LANGUES  ROMANES 

Depuis  quelques  années  la  science  étymologique  a  fait  de  rapides 
progrès  dans  le  domaine  des  langues  romanes.  Les  résultats  des 
recherches,  faites  par  un  très  grand  nombre  de  savants,  sur  les 
origines  du  vocabulaire  roman,  sont  malheureusement  dispersés  dans 
des  revues,  déjà  nombreuses,  dans  les  glossaires  qui  accompagnent 
les  éditions  critiques  d'anciens  textes,  dans  les  dictionnaires  étymo- 
logiques, dans  d'autres  ouvrages  dont  le  nombre  va  toujours  en  aug- 
mentant. 

D'autre  part,  aucun  ouvrage  de  référence  ne  s'est  proposé  de 
noter,  à  mesure  qu'ils  paraissent,  tant  les  résultats  acquis  en  matière 
d'étymologie  romane  que  les  hypothèses  quelquefois  fructueuses  aux- 
quelles a  donné  lieu  l'étude  du  vocabulaire  roman.  Et  cependant  le 
temps  est  venu,  nous  semble-t-il,  de  créer  pour  le  savant  un  moyen 
de  se  mettre,  le  plus  promptement  possible,  au  courant  de  ce  qui  a 
été  fait  dans  cet  ordre  de  recherches  ;  s'il  s'occupe  d'étymologie 
lui-même,  il  est  évident  qu'il  lui  importe  de  savoir  tout  ce  qui  a 
été  dit  sur  le  problème  spécial  qui,  à  un  moment  donné,  concentre 
son  attention,  s'il  ne  s'en  occupe  pas,  il  veut  pour  le  moins  consta- 
ter les  résultats  auxquels  on  a  abouti. 

La  Société  internationale  de  Dialectologie  Romane  se  propose  d'en- 
registrer dans  sa  Bévue,  d'une  façon  sommaire,  les  résultats  de  tou- 
tes les  recherches  étymologiques  qui  concernent  les  langues  romanes 
et  qui  ne  sont  pas  d'un  intérêt  purement  local  et  de  tenir  le  regis- 
tre au  courant  de  tout  ce  qui  se  publiera  à  l'avenir 

C'est  dans  le  but  de  faciliter  cette  tâche  que  les  soussignés, 
s'adressant  à  tous  les  savants  qui  s'occupent  de  philologie  romane, 
aux  éditeurs  et  rédacteurs  des  revues,  les  prient  instamment  de  bien 
vouloir  contribuer  au  succès  de  cette  entreprise,  en  envoyant,  aus- 
sitôt que  possible  après  la  publication,  un  exemplaire  de  tout  ou- 
vrage d'intérêt  étymologique  (traités  spéciaux,  glossaires,  mélanges), 
ou  s'il  s'agit  d'articles  de  revue,  le  numéro  de  la  revue  ou  un  tirage 
à  part  de  l'article  au  Secrétaire  de  la  Société  Internationale  de 
Dialectologie  Romane,  Kichard  Wagnerstrasse  43,  Halle  a.  S.  (Alle- 
magne) . 

P.  Barbier  fils,  Leeds.  B.  Schaedel,  Halle  a.  S. 


Le  Gérant  :   Paul  Hamelin. 


VIE     DE     SAINT     RICHARD 

ÉVÈQUE    DE    GHICIIESTKU 


L'ai  ii  i  r 


La  littérature  morale  el  didactique  occupe  la  position 
dominante  en  Angleterre  pendanl  les  xme  el  \i\  siècles 
cl  parmi  les  monuments  qui  nous  ont  été  conservés  les 
vies  des  saints  tiennenl  une  place  prépondérante  sinon  la 
première. 

L'auteur  de  la  vie  de  sainj  Richard  s'esl  nommé  à  la 
fin  de  son  œuvre.  Nous  citerons  toul  au  long  l'épilogue, 
car  la  première  partie  du  poème  seule  (1696  vers  sur 
3006)  va  paraître  maintenanl  :  nous  publierons  la  seconde 
partie  quand  nous  aurons  eu  l'occasion  d'étudier  sur  tous 
les  manuscrits  les  autres  œuvres  de  l'auteur  (1). 

Prium  dune  la  duce  Marie, 

la  mère   heu  e  l'en  amie 

e  saint  Richard  le  confesseur 

ko  pur  nus  prienl   nostre  seigneur 

k'i[l]  nus  doinl  grâce  de  bien  faire, 

k'en  lu/  nos  fez  Ii  puissum  plere; 

en   tele  manere,   le  cli  sanz  Table, 

ke  ne  fasuns  nul   Tel   dampnable 

mes   tuz  jurs   le   servium  issi 

ke  venir  possum  a  sa  merci; 

(e)    mei    en    vos    prières    recuilliez, 

pur  Deu  requer,   ne  me  ubliez, 

Pieres  de   Pecham  a   nun   ay 

ki'  cesl   roman/  lui   translatay, 

(1)  Nous  avons  commencé  une  édition  critique  de  la  Lumièrt  ; 
on  comprendra  combien  ce  sera  long  quand  on  réfléchit  qu'il  y  en 
i    au   moins  dix  mss.    et   que  la   composition   a    plus   de   14.000   vers. 

17 


246  \H     DE   SAINT    RICHARD 

I >eu  me  doinl  si  li  plesl  sa  grâce 

e  nus  Iresluz  issi  le  face 

ke  li   puissuns   issi   servir 

l<  ;i  &a  granl  joie   puissum  \  enir.    Vmen. 

Ce  même  Pierre  de  Peckàm  esl  l'auteur  de  l'œuvre 
didactique  La  lumière  as  Lais  el  1res  probablement  aussi 
de  la  version  en  vers  octosyllabiques  du  Secret  des  Se- 
crets Aristote  du  ms.  25407  de  la  Bibliothèque  nationale 
où  il  s'appellerait  Pierre  d'Abernun. 

En  un  livre  que  fez  ai  jad 

De  cesie  matière  traité  ad... 

Le  livre,  en  vérité  sachiez 

La  Lumière  as  lais  esl   nomex  (1) 

Il  vivail  sans  doute  sous  le  règne  de  Henri  III  (1216-72). 
On  peu!  préciser  davantage  la  date  de  ses  œuvres.  Le 
manuscrit  de  La  Limitai-  as  Lais  appartenant  à  la  biblio- 
thèque du  chapitre  de  York  à  l'avantage  de  porter  à 
Vexplicil  la  date  de  ce  poème  (2).  Les  quatres  Unes  de 
cest  romaunz  furent  felz  a  Novel  Lijii  en  Surie  e  les  deux 
dreijns  a  Oxenford,  si  fu  comencè  a  la  Pasche  al  Novel 
/.//u  (•'!)  e  terminé  a  la  chaundelure  après  a  Oxeneford 
I"  an  nostre  seyngnur,  mil  e  drus  senz  e  seisaunte  setyme. 
Il  en  résulte  que  la  composition  date  de  L207  8  (4). 

Le  manuscrit  offre  un  intérêl  de  plus  :  c'est  qu'il  est 
très  probablement  autographe,  s'il  faut  en  juger  par  le 
premier  feuillet;  on  y  voit  une  figure  de  scribe,  assis  à 
un  pupitre  avec  ses  plumes  et  son  grattoir,  le  tout  sur- 
monté de  la  rubrique  «  prolog  :  autor  ». 

Quant  à  saint  Richard  dont  la  vie  est  publiée  ci-des- 
sous, nous  savons  qu'il  mourut  en  1253  el  qu'il  fui  cano- 
nisé en    1262  el  que  sa  vie,  écrite  en  latin   par  sou  con- 

11)    J/o  mania  XV,  p.  288. 

(2)  Voir  facsûnilés  de  l'Ecole  des  Chartes  (n"  320).  el  Suchier, 
Geschichte   dei    franzôsischen  Litteratur,   p.    173. 

(3)  On  a  proposé   Newetead  dans  le  comté  de  Surrey. 

(4)  Nous  supposons  que,  pour  Pierre,  l'année  1268  commençait 
à  Pâques. 


VIE   DE  SAINT    i:i<  il  \l:i> 


•yû 


fesseur  (I)  Radolfe  de  Bocking  date  d'environ  L270. 
D'après  l'épîlre  dédicatoire,  l'auteur  de  la  vie  latine  offre 
son  ouvrage  à  Isabelle,  comtesse  d'Artandel,  devenue 
veuve  en  L270.  Le  «  chanoine  de  Cycestre  »  du  vers  54 
pourrai!  être  Bocking  lui-même  el  il  est  très  probable 
que  peu  après  la  date  précitée  le  mestre  du  vers  55 
apporta  l'ouvrage  de  Bocking  à  Pierre,  déjà  célèbre, 
pour  que  celle  composition  pieuse  devinl  «  ans  luis  enten- 
dable  »..  (Y.  53.) 

Le  manuscril  où  se  trouve  l'œuvre  de  Pierre  appar- 
lienl  au  duc  de  Porlland.  C'esl  le  seul  manuscrit  français 
que  possède  la  bibliothèque  de  Welbeck.  Il  ;i  été  suffi 
sammen!  déeril  par  nous  clans  Romania  xxxvm,  p.  118. 
Les  Bollandistes  onl  publié  dans  les  Acia  Sanctorum 
I  Aprilis  ni.  pp.  276  el  suivantes,  deux  vies  de  sainl  Ri- 
chard :  la  première  (p.  278a-281b),  1res  courte  el  1res 
précise,  est  celle  que  Jean  Capgrave  a  insérée  dans  la 
Nova  legenda  Anglisc,  laquelle  est,  d'après  les  éditeurs. 
le  résonné  d*'>  actes  qui  furent  rédigés  pour  la  canoni- 
sation (\\\  sainl  el  la  seconde,  beaucoup  plus,  longue 
(282a  316b),  renferme  non  seulement  la  vie  du  pieux 
évêque  de  Chichester  (lre  partie),  mais  aussi  les  miracles 
laits  sur  sa  tombe  (2e  partie).  Le  manuscrit  latin  qui  a  été 
mis  à  contribution  pour  le  texte  île  Bocking  est  le  codex 
Lovaniensis  Monasterii  S.  Martini.  Les  éditeurs  (2)  des 
Acta  dans  leur  introduction  nous  fonl  savoir  comment  ils 
en  ont  eu  copie. 

Hoc  porro  cum  MS.  Lovanii  ad  Martinenses  exlare. 
Molano  indicante,  cognovissemus  :  cjus  ibi  quœ- 
rendi  transcribendiquie  curam  in  se  sumpsil  P. 
Laurentius  Papebrochius,  transmisitque  propria 
manu  exceptum  a  vetustissimo  exemplari,  adno- 
tatis  eiiani  varianlibus  ad  marginem  lectionibus, 
quias  eisdeni  meiubranis  antiqua  eiiam  et  'pêne 
evanida  scriptura  adnotaral  ex  alio  MS.  quœ  nobis 
usui  eiiam  fuere  (p.  277  a). 


(1)  Comparer  les  w.  97-101  et   la  note  des  éditeurs  «les  Acta,  loc. 
cit.,    277    a. 

(2)  On   aurait    mieux   dit    «    l'éditeur    ».    puisque    Daniel    Papebro- 
■  in  us   est   censé  avoir   rédigé   seul  les   volumes   pour   avril. 


248 


VIE   DE   SAINT    RICHARD 


Le  latin  esl  si  obscur  que  nous  nous  hasardons  ?ï  en 
offrir  une  traduction  : 

Quand  nous  eûmes  appris,  sur  l'indication  <lr  Mola- 
||,ls  (I).  que  ce  manuscrit  existait  à  Louvain  au 
monastère  de  S.  Martin,  le  Père  Laurentius  Pape- 
brochius  se  chargea  du  soin  d'y  aller  et  de  le 
transcrire.  J!  nous  en  envoya  la  copie  faite  de  sa 
main,  sur  un  très  ancien  exemplaire  (ras.),  y  ajou- 
tant les  variantes  marginales  d'une  écriture  an- 
cienne et  presque  illisible  qu'il  avait  trouvées 
dans  ce  même  ms,  et  qui  avaient  été  tirées  d'un 
autre  ms..  Celles-ci  ont  été  pour  nous  de  quelque 
utilité. 

Ces  miles  marginales,  sauf  les  deux  premières  qui 
avaient  trait  peut-être  au  prologue,  sont  citées,  pour  ce 
qui  concerne  la  première  partie,  en  note  à  la  lin  du  pro- 
logue actuel  (p.  283  1»). 

In  altero  MS.  ad  quod  Martinianum  collatum  dixi- 
nius,  totum  Opus  distinguebatur  titulis,  in  margine 
infimo  annotatis,  quos  oonsequenter  describimus, 
ipsum  more  nostro  in  longïora  capita  divisuri  ;  cl 
liic  quidem  damus  eosi  qui  ad  librum  priimrni 
spectant  libri  secundo  titulos  in  margine  ipso 
exhibituri  invariatos. 

m    Incipit    Vita  Version  française. 

De      patria      et      parentela  De   sa   enfaunce    (vv.    65-312?). 
sua. 

iv   Quod    in    artibus    rexit.  Rubrique    manque    (313?-402). 

v   Quomodo   salvatus   a    ruina  C'ument  Seint   Richart  fust    sau- 
maceriœ.  vé    de     la     ruine     d'une     piere 

(403-482). 

vi    Qualiter   in   Jure  Cument  sei.it  Richard    lut  de  de- 

Oanonico  rexit.  créez   (483  584). 

vu    Quod    Cancellariu8   fuit    S  Cument  il    fut   chauncelier   seint 

Edmundi.  Edmund  l'ercevesque   (585-742). 

vin   Quod  post  mortem  Ji.    f'd-  Ko  il  ala  a  divinité  apree  la  mort 

mundi     audivit     Theolo-         seint-Edmund   L'ercevesque   (vv. 

giam.  743  816). 

(1)  C'est-à-dire  Meulen  qui  a  publié  en  14  volumes  des  Annales 
Lovanit  uses. 


VIE    DE    -  \l\  I     RU  II  Mil»  ?/(!) 

ix     Qualiter     factus     Saeardos     Cumenl    il     Eu    IVt    prisfcre     (vv. 
i  amern   maoeravit.  817-898). 

x   De  provision*  do  eo    !\u-ta     De    la    provision*    Eete    a    ly    de! 
in    Prœsulatum    Cicestren.         evesque   de    Cycestre   (vv.    899- 

946...). 


xn    De    febricante   per   capparn 

ejus    sanato. 
xiii  De  quodam  sanato  per  bo- 
•    tas    suas. 

xiiii    De  infirmo  per  lectum  sanc- 

ti    sa  nain. 
miv  Quod  spiritu  prophetiœ  cla- 

ruit,    et     de     révélation* 

quadam   mirabili. 

xiv   De    judseo    ad    fidem    con- 

verso. 

xixi  De   sua    praedicatione    Cru- 
ci  s. 
xlviii-viii  Desunt   tituli   numeri. 

xnx  Qaod  corpus  ejus  delatum 
est  Cicestriae  et  sepultum 
ibidem. 


Rubrique  manque   (vv,  947?-978). 

De  un  homme  que  l'eu  garri  par 

les     Imtcs     seint     Richard      (vv. 

979-1000). 
De    un    home    que    feu    garri    par 

sun   Ht   (vv.    1001-1032). 
Kr   seint  Richard   av.il    de   espe 

rit  de  prophecie  et  de  une  mer- 

veilluse    revelaciun    (vv.     1033- 

1164). 
De    un    guif    converti    a    la     fey 

(vv.    1165-1186). 
De    la    pi^edicacium    de    la    Croiz 

(vv.    1187-1323?). 

De  sun  corps  ke  fu  porté  a  Cy- 
cestre et  la  enterrée  (vv.  1593- 
1696). 


La  rubrique  xlvii  manque  aussi  dans  le  texte  français; 
elle  résumai!  probablement  la  scène  auprès  du  lil  de 
morl  (V.  Î324-1508.)  La  traduction  française  du  numéro 
xl \  m  cependant  existe  :  Des  merveilles  k'avindrent  a 
Vhure  ke  seint  Richard  murut.   (1509-1592.) 

Les  rubriques  citées  en  marge  dans  la  seconde  partie 
correspondent  textuellement  aux  rubriques  du  texte  fran- 
çais. Notre  auteur  fail  remarquer  (V.  61)  qu'il  n'épar- 
gnera pas  ses  peines  pour  bien  traduire  la  vie  latine  et  il 
faut  admettre  qu'il  l'a  très  fidèlement  mise  en  français, 
quelque  réserve  qu'on  lasse  sur  le  mérite  littéraire  de  sa 
traduction.  Souvent  même  le  souci  de  ne  rien  omettre  lui 
fait  surcharger  un   style  déjà  très  lourd. 

Etant  donnée  la  fidélité  de  sa  traduction,  il  faut  con- 
clure que  de  Pierre  de  Peckham  connaissait  un  texte 
qui  n'esl  pas  celui  qui  figure  dans  les  Acla  sous  le  nom 
de  Bocking,  car  là  où  le  texle  de  Capgrave  ne  s'accorde 
pas    à    celui    de    Bocking,    c'est    le   premier    que    préfère 


250  mi;  de  saint  richard 

notre  auteur  (Voyez  V.  227-262,  817-874.  1363-1382,  1 163- 
1481).  Quelquefois  il  ne  suil  ni  l'un  ni  l'autre  (voyez  V. 
635-660,  1507-1592).  L'endroil  où  les  deux  versions  s'écar- 
tenl  le  plus,  c'esl  lorsqu'il  s'agil  de  la  jeune  Bile  qu'on 
avail  proposée  comme  femme  à  Richard  et  qu'il  cède 
à  son  Frère.  Le  changemenl  (indiqué  dans  les  notes  aux 
vers  227-262)  a  dû  s'effectuer  dans  un  ms.  qui  a  servi 
de  base  à  celui  qu'a  copié  le  Père  Laurentius  l'upe- 
brochius. 

A  part  les  exceptions  relevées  ci-dessus  et  dans  les 
notes,  la  vie  française  suit  de  très  près  le  texte  de 
Bocking  jusqu'à  la  fin  Au  19e  paragraphe  (d'après  le  sys- 
tème de  paragraphes  dos  Actà).  Le  vers  943  commence 
la  traduction  du  20°  paragraphe,  puis  le  récit  s'arrête 
brusquement  trois  Mrs  plus  bas  pour  être  suivi  d'autres 
vers  qui  correspondent  au  commencement  du  85e  para- 
graphe !  Il  y  a  donc  une  immense  lacune  dans  notre  ver- 
sion. Nous  avons  vu  aussi  que,  d'après  1rs  rubriques,  il 
y  a  omission  de  trente  chapitres.  Cette  omission  ne  pro- 
vient pas  d'une  simple  perte  de  feuilles  dans  le  lus. 
français  que  nous  avons  copié,  ces  vers  (942-3)  se  trou- 
vant en  pleine  colonne,  mais  bien  d'une  perte  de  plu- 
sieurs cahiers  dans  le  ms.,  sur  lequel  le'  uis.  de  Welbeck 
a  été  copié.  La  première  partie  de  la  version  française 
telle  que  nous  l'axons  (V.  1696)  contient  la  traduction  de 
dix-sept  chapitres  sur  quarante-neuf,  on  peut  donc  suppo- 
ser que  la  lacune  représente  une  omission  beaucoup 
plus  considérable  que  ce  qui  nous  reste. 

L'œuvre 

Peu  de  textes  angli  »  nom  ta  nds  étant  accessibles  dans 
de  lionnes  conditions,  nous  avons  cru  devoir  suivre  la 
méthode,  autant  qu'il  nous  a  été  possible,  de  l'une  des 
meilleures  d'entre  celles-ci,  le  Boeve  de  Haumtone  de 
Stimming,  et  de  présenter  à  nos  lecteurs  une  étude  de 
la  langue  et  de  la  versification  dans  le  même  ordre  que 
le  savant  professeur  de  Gottingue.  Il  non-  a  paru  con- 
venable de  renvoyer  à  la  fin  de  chaque  paragraphe,  à  La 


VIE    DE   S  M\  I     i;i«  Il  VRD  -•')' 

page  de  son  édition  où  il  Lraite  des  mêmes  phénomènes. 
(>u  y  trouvera  de  précieux  renvois  à  d'autres  licxles 
anglo-normands,  ce  que  le  cadre  restreinl  de  notre  arti- 
cle ne  nous  permet  pas  de  faire.  Mous  ne  relèverons  que 
des  exemples  trouvés  dans  des  textes  qui  <>nl  été  publiés 
depuis  --"ii  Boeve  de  Haumlone.  Nous  indiquerons  son 
édition  par  (St.)  et  l'excellente  étude  des  voyelles  toni- 
(|ik  s  de  Suchier  par  (S.). 


Langi  l 

Voyelles  simples 
§   1.  A  français. 

L'a  tonique  donne  lieu  à  peu  de  remarques  ;  ai  pour  a 
ne  se  rencontre  pas  dans  la  première  partie  ;  dans  la 
seconde  on  trouve   : 

«  Un  prodome  ke  oui  ai  nun  Symun  » 
(l'°  236,  v°  a). 

A  se  maintient  dans  les  mots  savants  estai  (264)  et 
luminares  (715)  et  dans  achate  (1054).  Cette  dernière 
forme  se  trouve  aussi  dans  La  lumière  as  Lais  (comp. 
Roni.  vin,  p.  329,  et  dans  Orson  de  Beauvais,  v.  296)  : 
pour  notre  texte,  il  faut  peut-être  l'expliquer  par  le  para- 
graphe 5.    \iicun  d^s.  mots  îfcsl  à  la  rime. 

L'a  protonique  esl  représenté  par  n  dans  aurné  (1055, 
1077,  etc.)  (cet  a  ne  compte  pas  pour  une  syllabe  el  aussi 
il  peut  être  omis  comme  dans  urnemenz  (1638)  comp. 
paragraphe  92).  Il  peut  rire  remplacé  par  e:  chescun 
208-0,  etc.;  ercevesque,  585,  etc.,  seule  forme  connue  : 
cherité,  827  ;  le  (article)  pour  la  1053  Note. 

A  noter  esl  paumeisun,  1307  ;  où  au  pour  a  n'est  peut- 
être  autre  chose  que  le  changement  de  un  en  nun;  car  il 
faut  faire  observer  que  blaumer  et  paumer  ne  se  ren- 
contrent pas.  senl  blâmer  (  p.  ex.  :  Blâme,  dame,  2e  par- 
lie,  f"  235,  \°  h.  comp.  auss  le  paragraphe  37)  (St.,  p. 
173). 


252  VIE   DE   SAINT    RICHAl'Ji 

§  2.  3  français. 

Slûrzinger  rail  remarquer  dans  VOrthographica  yal- 
lica  (p.  xxxix)  que  La  graphie  aun  pour  an  entravé  se 
rencontre  pour  la  première  fois  dans  un  acte  de  l'année 
1266,  tandis  que  Suchier  (op.  cit.,  p.  126)  la  relève  <!éj;'i 
vers  1200.  On  la  trouve  deux  lois  dans  Vexplicit  de  la 
Lumière,  cité  plus  haut,  lequel  es!  de  1268  el  elle  se 
rencontre  assez  souvenl  dan-  le  texte  (par  ex.  :  avaunl 
deux  fois  dan-  les  huil  premiers  vers  du  prologue  du 
ins.  de  York)  :  on  peul  donc  supposer  que  la  graphie  esl 
déjà  Fréquente  par  le  milieu  «lu  xma  siècle.  Dans  notre 
texte,  on  trouve  plus  souvenl  "//  que  aun  :  p.  ex.  :  fe- 
saunce,  ï  î  :  enfaunce,  63  rubrique  .*  blaundissement,  101  : 
espaundeu,  1244;  demaunda,  il8;  queraunt,  141;  chaunce- 
lier,  583  rubrique  :  auns,  ion  ;  m/nr.  805  :  niais  seulemenl 
essample,  336,    1 185. 

t. a  graphie  en  pour  an  esl  rare,  on  n'a  ici  que  mende- 
menz,  520,  à  côté  de  mandé  :  comandez,  530,  etc.  On  ne 
trouve  que  anreis,  306,  etc.,  à  côté  de  einz,  314  :  peîn,  365 
(comp.,  paragraphe  14).  11  i'aul  enregistrer  aussi  pe- 
inture. L487  (Comparer  penance  :  (initiante.  Bulletin  de 
la  S.  d.  a.  T.  fr.,  1880,  p.  67  el  Suchier  Reimprcdigt, 
p  69-71).  Notre  texte  préfère  la  graphie  uncore,  181, 
915,  etc.,  qui  esl  la  forme  habituelle  dans  le  français 
d'Angleterre.  Voy.  Bozon.  Contes,  vocabulaire  el  les  ren- 
vois aux  glossaires  de  la  Vie  de  saint  Gilles  cl  de  ['Evan- 
gile de  Nicodème.  (St.,  p.  173-45.) 

s;  3.  e  ouvert  fiançais. 

Nous  ne  citons  que  des  mois  à  la  rime  :  après  :  ades 
(comp.  S.,  p.  34),  115,  1333;  terre:  guerre,  1109  (la  pureté 
des  rimes  n'esl  que  fortuite),  les  rimes  en  -ert  sont  pures: 
apert  (apertus)  :  suffert,  1471  (comp.  Simund  de  Freine, 
xxn,  S.  a.  t.  fr.)  :  celles  en  -el  el  -ele  le  sont  aussi  :  pu- 
cele  :  bêle,  113;  bêle:  delele,  llSo;  bêle:  révèle,  nuvele  : 
révèle,  1157  (Comp.  S.,  p.  15);  Bellus  el  bellos  donnent 
beus,  303,  etc.,  castettos,  chasteus,  512.  Le  son  tend  à 
devenir  fermé;  est:  plest,  685,  1479;  estre  :  Cycestre,  53, 
65,  619,  899,  etc.  Une  fois  est,  rime  avec  lui-même,  L  435. 
(St.,  p.  174.) 


Ml     DE   SAIN!     RU  I!  MM)  253 

§    i.  c  fermé  français. 

\.  e  latin  populaire  e  fermé. 

l/esse  :  desiresce,  1363;  crestre:  (festré),  619;  On  a  la 
graphie  ei  dans  dette,  L348,  el  aussi  dans  aperceivér,  1153. 

I'..  c  latin  '/. 

I.Y  rermé  long  qui  en  résulte    esl  représenté  par  : 

a)  ee:  née,  66.  I  16;  esgaree,  236;  lessée,  I  i59;  désirée, 
1460  el  dans  le  mol  savanl  decreez,  182  el  rubrique,  ïnn. 
;i  côté  <l<'  décret,  935. 

h)  <■/.  p.  ex.  :  m'/7  (sapil),  13  (mais  '  <7  >  vadil  107); 
Ireienl,  726;  //ici  ci:  (:  /V/r)  1008;  engendreie  :  consoli- 
deie,   137;  espeie,   1053;  roseie,   1243. 

c)  /V.  p.  ex.  :  fie/,  940,  à  côté  de  M.  939;  //Vn:.  396. 

La  graphie  e  esl  naturellemenl  la  plus  commune,  p.  ex: 
e/es,  681,  etc.  Vprès  palatale,  on  ;i  e,  p.  ex  :  chéri,  743, 
à  la  syllabe  protonique,  autrement  a,  /;.  ex.  :  uniaumenl, 
078  (Si.,  p.  175). 

|  5.  e  a/o/ic  français. 

A.)   proloniqne. 

A  côté  <Ir  l'e  régulier,  connue  dans  bénéfice,  149; 
ueez,  307,  137,  etc.  :  esleescée,  8L  :  signefie,  1105;  seinte- 
fie,  1219,  d'autres  graphies  se  rencontrent. 

a)  L'anglo-normand  écril  volontiers  a  connue  voyelle 
protonique  atone  ;  cet  a  est  souvent  l'a  latin  devenu  e 
en  français  du  centre,  |>.  ex.  :  chanus  214;  amarement, 
146;  on  a  aussi  amonasteient,  856;  asaia,  1233  (comp. 
esaié,  526)  :  saence,  359  :  presaence,  105  (science  807) 
el  surtoul  devant  r,  p.  ex.  :  parceit,  1241  ;  aparcever. 
1153  :  aparceit,  1083  ;  aparceu,  1141  ;  aparailia,  121. 
Peut-être  faut-il  insérer  ici  caroles,  186  <<  corolla,  on 
de    *choraula. 

Le  même  phénomène  se  présente  dans  les  mss.  de 
Chardri,  Josaphaz,  718,  067,  p.  ex.  :  asaia.  assai. 

h)  La  Graphie  i  est  surtout  savante,  p.  ex.  :  artifice. 
136;  consolideie,  138;  cristienté,  1185;  crucifie,  1103: 
rn/rn/c,  816  ;  esperiment,  033  :  //<•/-.  662  :  f/(MÏ.  1013  : 
tnalritnninc,  511  :  medicinable,  153;  ministra,  1194;  or- 
dme> .  817.  1130;  partirai,  1405;  promisteit,  802;  sa- 
pience,  165  ;  uniaumenl,  978. 


254  \  il    DE  SAINT   i;k  h  \un 

c)  A  I  orthographe  lalinc  ou  à  ['assimilation  esl  due  la 
graphie  o  (")  pour  e,  |».  ex.  :  sotum  cl  sulum  passim  (;'i 
côlé  de  selum,  217)  :  bosoin,  63]  ci  bosoigne,  :'.<iii  (à  côlé 
île  besoigne,  '~'i~). 

'/)  Cel  c  atone  disparaît  souvent,  p.  ex.  :  ver,  7<X  :  tem- 
/'/<•/■.  131  :  engendrure,  143;  «;/c  210;  veslure  343,  839 
(comp.  Rom.,  \.  L61)  :  fusi,  (iî'i  :  veraiment,  677,  J  1 T-* ï  ; 
de/c/e  (I)  183;  penance,  L487  ;  prêcher;  délivré,  (.»'."i.  à 
côté  île  delivere,  666  et  surtoul  au  futur  de  /V/r  (voir  aux 
verbes  paragraphe  64  et  à  la  scansion.  Il  faut  noter  aussi 
aunleriné  (comp.  entrin,   B.  de  II..  366). 

<■)  Cet  c  protonique  peut  être  inséré  là  où  il  n'est  pas 
autorisé  par  l'étymologie,  p.  ex.  :  teneu,  383,  i93  ;  enlen- 
deu,  518  :  veneu,  554  ;  feu,  1000,  rubrique  ;  tendeu  (ten- 
du,  1094). 

15.)   posttonique. 

L'e  est  de  bonne  heure  muet  en  anglo-normand  :  il  y  a 
dans  lotre  poème  bien  plus  de  vers  où  il  n'esl  pas  scandé 
que  de  vers  où  il  reçoit  la  valeur  syllabique  qu'il  a  encore 
aujourd'hui  sur  le  continent.  Il  y  a  «les  mois  où  cel  e 
manque,  surtout  à  l'adjectif  au  féminin,  p.  ex.  :  lui  sa 
famé,  877  cl  veis  (:  curteis),  652. 

tue  l'ois  il  est  représenté  par  un  u  :  ici  uni.   110.  où  du 
reste  nous  l'avons  corrigé  en  e.  (SI.,  pp.   L76-184.) 
S   0.  è  fronçais. 

Les  rimes  en  ê  cl  à  sont  pures,  ou  ne  trouve  confu- 
sion que  lorsque  la  voyelle  nasale  est  suivie  d'un  groupe, 
j).  ex.  :  aprendre  :  répandre,  563.  Le  son  ë  est  soin  eut 
représenté  par  ein  :  p.  'i.  leinz,  166.  424,  568,  etc.  Comme 
ailleurs  on  a  sanz.  77(1,  cl  essample,  336. 

§  7.  i  français. 

L'i  se  maintient  ici  dans  la  plupart  des  cas,  comme 
>\iv\s  riï.  76  :  la  graphie  ?/  est  assez  rare,  le  scribe  s'en 
sort  cependant  dans  les  terminaisons  des  verbes,  p.  ex.   : 

(1)  lele  et  leale  (prononcez  lele)  sont  les  formes  ordinaires  en 
anglo- normand  ;  comp.  Bozon.  Bonté  des  femmes,  139  (Ed.  XXXIX) 
et  Bulletin  de  In  Snr.  des  nne.   Textes.  1881,  p.  39. 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  555 

a»;,  1301  ;  say,  62;  translaterai/,  61,  el  dans  /">//.  207  el 
oy  (-=  oï),  570.  On  Irouve  //  à  La  syllabe  initiale  dans 
ymage  1463,  1465  ,  synagogue,  IlS.î,  i  i/im/erie,  el  quel 
quefois  comme  seconde  partie  de  la  diphtongue;  p.  ex.  : 
/(•//.  903;  heyre,  1596.  A  côté  de  dimeine,  1355,  un  ;i  de- 
meine,  367.  (St.,  p.  186.) 

£  S.  î  français. 

\olrc  texte  a  -in,  p.  ex.  :  arm/,  12  ;  cinkante,  150:5.  On 
n  ici  aussi  le  mot.  mi-<&avanl  senglement,  351,  el  au  vers 
496,  coveint,  où  cependanl  le  sens  exige  le  passé  défini. 
(St..  p.  188.) 

§  9.  o  ouvert  fiançais. 

a)  latin  populaire  au. 

On  n'a  que  la  graphie  o  pont-  le  son  ouvert  à  la  toni- 
que, p.  ex.  :  chose  :  parclose,  27-8  :  purpos  :  repos  623- 
i;  ore,  24,  27,  28,  etc.  ;  povres,  645;  overe,  688;  paroles, 
69  :  o.s/r,  842,  et  le  verbe  on-  (comp.  paragraphe  62),  ail- 
leurs aussi  on  préfère  o  à  on  (u),  p.  ex.  :  locr,  44  ;  dis- 
posé, 226;  /'ost;,  1639;  notiniers,  1229.  A  noter  est  /nu- 
/)<■;•< -,   1596  comp.   Rom.  xvn,   p.    1 25  et   paragraphe    16). 

b)  Latin  classique  o  entravé  et  atone. 

Ici  on  a  presque  exclusivement  o  :  par  ex.:  fors,  351; 
Inu  e:,  197;  demora,  1004;  demorast,  888;  escolc,  405;  no- 
Me,  1326;  noblement,  284;  cors:  dehors,  79  et  aussi  695, 
797,  833,  1269;  /or:,  000.  On  trouve  u  à  la  protonique 
//urc,  1601  ;  /rue/,  1546.  A  noter  sont  les  graphies  apres- 
reii.   1409;  acheise,  391.  (St.,   p.  189.) 

S  10.  o  fermé  français. 

Des  deux  graphies  u  et  o,  u  est  de  beaucoup  la  plus 
commune;  on  a  presque  exclusivement  -us  et  -ur,  pro- 
venant de  -osum  et  -oreui.  A  la  Ionique  u  est  très  fré- 
quent :  murs,  812,  elc.  ;  sul,  453  :  plusurs,  51  ;  curent, 
1653  :  plurent.  1669.  Pour  o  on  a  mo:,  1021.  A  la  proto- 
nique  on  a  :  suvent,  427  ;  mustrance,  80  ;  recuvereient, 
172:  cuvint,  i96;  espusez,  119:  purpos,  623;  prudesho- 
mes,    1076.   Pour   o    viennent    se  ranger   plorant,    1654  : 


256 


VIE   Dl     SAINT    l;l(  IIMil) 


oailles,  867;  dévotement,  205;  porpenseit,   1015  ;  le  pré 
fixe  pro    se  maintient,  p.  ex.  :  procuré,  157.  A  noter  aussi 
est  la  graphie  m  :  /n//<\  720,  809.  (St.,  p.   190.) 

§  II.  i'i  français. 

Ce  son  esl  représenté  par  un  el  on;  pour  le  préfixe 
provenanl  du  latin  cum-  on  préfère  com-  (écril  dans  le 
ms.  en  toutes  lettres),  p.  ex.  :  commence,  17-4;  conscience; 
conseille}  :  compaigmins,  349  :  (comp.  347)  :  conquist, 
I7S.  mais  cummença,  1211.  i.;i  graphie  me  m'  trouve  dans 
<  milic.  193  ;  //(////c.  296,  1471;  huntuse,  (i'.tT  :  Punteni, 
750  cl  régulièremenl  cum.  On  ;i  comme  graphie  unique 
/<"//.  25,  112,  635,  etc.  Pour  les  verbes  on  écril  de  préfé- 
rence '//;  ;'i  la  Ionique  ri  on  à  la  protonique  :  p.  ex.  : 
titnlc,  2,  7.  15;  dune,  3  :  doner,  241  :  doneil,  ÏNI  :  ro»- 
/<•//,  997  :  pardoner,  639,  mais  acumplir,  197,  540  :  <//// 
runez,  j.681  :  dunkes  revienl  1res  souvent,  une  fois  seu 
lement  on /.•<•.  596.  (Si.,  p.  101.) 

>;'  12.  L  français,  el  u  suiuî  de  consonne:   nasale. 

Ce  son  esl  décril  par  (Jeux  graphies  u  cl  ui  ;  la  seconde 
esl  rare  :  puur,  127  :  pureiure,  127  :  enclume,  703  :  cs/r//. 
1363;  sus,  1565.  Pour  m  :  muiver,  31  :  statuit,  010:  /m'.s- 
sr;.  1347.  Les  rimes  en  u  (Mr..  213,  289,  313,  383,  133, 
elc.)  :  celles  «mi  -ue  (215.  231.  247,  1119-1595);  en  -me 
(127.  I!»:',.  343,  839,  867),  «mi  -us  (827);  en  -ust  (445,  811. 
847,  935),  sont  toutes  pures.  La  rime  fust:  sont  du  vers 
137'.)  n'est  qu'une  exception  apparente,  voyez  la  note. 
U  esl  remplacé  par  e  dans  dekes  et  \ekes,  1390,  comme 
■■iii^-si  femer  (=  fumier).  \  ie  de  saint  Gilles,  105.  D'au- 
tres textes  anglo-normands  offrent  des  exemples  à  l'appui 
de  la  graphie  ui,  p.  ex.  :  Haveloc,  hâter,  153  :  puist, 
161.  (St.,  p.  193.) 

DlPHTONGl  ES 

.5    13.  ai  français. 

(  V  son  esl  représenté  dans  notre  texte   : 
n)  par  ai  (nie.  ay),  p.  ex.   :  relrnire.  7  ;  Jais,  53  ;  rais, 
venu    (:    fei),    1338,    718,    elc.    :    ternie    (:    meie).    1473    ; 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  25  î 

plaies,  1 165  :  el  à  la  désinence  des  verbes  :  say,  Ol'  : 
translateray ,  (il  :  murai,  1312;  verrai  :  averrai,  1389-90; 
irai,  1403;  serai  :  initierai,  1404  :  userai,  1439. 

h)  par  ci  :  p.  ex.  :  erses.  354  :  repeire,  868  :  /V//.  7.*!'i  : 
meisun,  1069;  reisun,  L068  ;  creisun,  835;  treita,  I  i67  : 
pleisir,  L478;  greignurs,  616,  où  la  graphie  pourrai!  bien 
indiquer  //  mouilMe,  el  aussi  au  subjonctif  el  à  l'impératif 
du  verbe  avoir  :  cil.  '.*7I.  974  ;  c/cr.   L480. 

c)  par  c  p.  ex.  :  f///v/  (:  /<■/).  108  :  heser,  312  :  en- 
mesgrit,  553  :  /V.s  (=fascem)  (:  les,  pronom),  595;  /V/ 
(comp.  afaite,  947),  2,  34,  .'!7.  etc.  :  /V:.  581  :  flereit,  583: 
hetement,  372  (comp.  huile.  93)  :  lessa,  318  :  lesseit,  319; 
mes.  7,  23,  etc.  :  meslre,  passim.  :  plest,  309,  686;  resun, 
294;  /es//.-  (:  crestre);  619;  esfre,   L313. 

'(/(/c  (:  terre),  123,  753  :  (requerre,  199)  :  (plere,  536, 
lui;::)  :  fere,  28. 

Les  rimes  relevées  ci  dessus  montrent  que  le  son  est  un 
e  fermé,  sauf  devanl  /■  où  il  hésite  entre  e  ouvert  et  e 
fermé,  La  désinence  ai  des  verbes  ne  rime  qu'avec  elle- 
même,  il  faul  donc  conclure  qu'elle  demeure  diphthon- 
guée. 

</)  On  a  une  fois  la  graphie  ie  :  pies  (paa^  264.  (St.. 
pp.   193-0). 

§  14.  aï  français. 

Pour  notre  poème  la  confusion  fit1  «in  et  ein  est  com- 
plète :  la  graphie  -e£n  esl  même  préférée,  p.  ex.  :  seint, 
34  el  freq.,  mais  sainteté,  607;  t'/'/ir,  31  4  :  meins,  473  : 
meintenant,  i30  ;  prochein,  230,  rime  avec  demein,  1437; 
mais  lendemain,  1355  :  pleinte,  L473  et  même  /«-in 
(/M//;e?//). 

A  la  rime  on  trouve  une  fois  aîné  pure  :  muntdine  : 
suveraine,  829,  niais  muntaine:  pleine,  819.  \  noter  est  la 
graphie  r^ne.  229. 

§  L5.  ei  (oi)  français. 

I.  La  graphie  ei  (ey)  esl  de  beaucoup  la  plus  commune 
pour  représenter  : 
î.  ci  <  latin  populaire  e  fermé  tonique  :  cm,  197  ; 


"258  VIE   DE   >\l\ï     RICHARD 

//(•//.  510;  meie,  I'iT'i:  peil,  185;  quel,  241;  receivre, 
223,  cl  clans  les  désinences  -eîe.  -eîl. 

m.  r/  -  ;.   r  hifod,  tonique  ou  protonique  : 

aveir  passim  ;  dreit  passim  ;  franceis,  52,  58,  62  : 
Ici.  343,  822;  rey,  903,  909;  coveitant,  809;  /><•/- 
/////c  486;  incise  506. 

m.  c  étymologique   : 

l>cis<t.  285;  veiage,  1207. 

II.  La  graphie  aï  est  assez  rare  : 

courlaisie,  538  (à  côté  de  curteis,  305,  651,  deux  fois 
à  la  rime),  à  moins  qu'il  ne  faille  admettre  ici  /»/- 
millier  et  ses  composés  :  aparailla,  L21;  aparail- 
last,   L378  (comp.,   paragraphe  5  A  (a). 

III.  Très  souvent   la  graphie  <•  se  rencontre   : 

</•('  (credo),   L583  :  cressant,  228  :  decevre,  528  :  /'/es- 
che  128;  leaus,   104;  /<w//:.    166,  etc.,  et  le  mol   sa 
vanl  descret,  ~>8(.». 

IV.  <  )n  a  aussi  la  graphie  i'  : 

demisele,  520;  envillie,  219;  liaument,  :!.">,  38,  629; 
viigla  1 17. 

V.  A  côté  de  enfeibli,  1429,  on  a  fieblement,  1430; 
/'/>/,/</•,    1365  et  fkblesse,   1288. 

VI.  Dans  la  syllabe  protonique  où  on  a  ei  en  français, 
on  trouve  ici  e  connue  ^<n.s  enveeil  :  seez,  303  :  ree;7, 
1076.  Cet  e  est  tantôt  scandé  et  tantôt  muet  (voir  para- 
graphes 73  seq.).  L'i  analogique  français  esl  représen- 
té aussi  par  ;.  p.  ex.  :  profiier,  394  :  profitable, 
276  :  delitable,  374. 

VII.  On   a  une   fois   o/,   p.   ex.    :   mois,    1325. 

Y III.  Il  faut  aussi  noter  les  rimes  curieuses  />rc/7  (im- 
parfait du  subj.)  :  enticeit,  519-20;  comandeit  :  deil, 
1493-4;  peut-être  avons-nous  affaire  à  un  change- 
ment de  conjugaison  :  comp.  360  ;  et  les  formes 
avec  n  inorganique  :  ensemenl  (très  souvent)  et  ensi. 
(St.,   pp.   197-S00.) 

§   16.  et  français. 

Ce  -on  est  représenté  par  ein,  p.  ex.:  feint,  030;  pei- 
nes,  1471.  Puisque  c'esl  aussi   la  graphie  préférée  même 


VIE   DE   SAINT    RICH  MU)  259 

pour  ain,  on  ne  s'attend  pas  à  Irouver  ain  pour  ein  ;  rlo- 
tre  texte  n'en  offre  pas  d'exemple. 

\  la  prolonique  on   a   <•  :  demeine  (dominicum),   1582. 

Suivie  de  //   mouillée,  <>n   écril   ci,    p.   ex.    :  enseigner, 

1  171  :  deignez.  (Si.,   p.  201.) 

Jj  I 7.  ie  français. 

I.a  réduction  de  ie  en  e,  caractéristique  pour  l'anglo- 
normand,  esl  ici  attestée  par  «le  nombreuses  rimes,  p. 
ex.  :  baillié  :  usé,  621-2;  celles  on  ié  pures  ne  sonl  que 
fortuites,  p.  ex.  :  pié  :  l>les<-ic,  475-6;  ateillé:  aparail- 
//c.  L637-8.  I.a  graphie  e  esl  de  beaucoup  la  plus  usitée, 
voir  les  rimes  93,  615,  665,  681,    1171,  etc. 

I  a  graphie  ie  n'est  pas  inconnue,  p.  ex.  :  ciel,  1140, 
de  :  fiers,  7(i"J  :  mieux  (à  côté  de  meuz,  62,  1224  ;  pie, 
174  :  piez,  913;  piere,  137  (comp.  Reimpredigi  xm  (M 
Haveloc,  v.  L90);  mV.  902;  veschie,  1161.  Après  pala- 
tale on  a  tantôt  ie  et  tantôt  e,  p.  ex.  ;  chiers,  1311;  <7n<7, 
708;  <7j;V/,  10,  699,  mais  chef,  d'il.  La  graphie  ec  ne  se 
Irouve  qu'une  seule  fois  :  esleescée,  81.  On  a  manere  à 
la  rime  (:  père),  073  et  aussi  141,  249.  i  se  trouve  aussi  : 
matire  (:  dire),  133  ;  lumire,  <x:io  ;  les  mêmes  mois  en 
rime  paraissent  dans  les  fragments  d'une  vie  de  saint 
Thomas,   III,  91-2  (Soc.  d.  aric.  Textes,  Ed.  P.  Meyer). 

A  la  prptonique  on  a  régulièrement  e  :  levaient,  1448  ; 
salereit,  282;  mais  une  fois  seulement,  fièrement,  1460. 
(SI.,  pp.  201-2). 

§  18.  iè  français. 

hans    noire    texte    nous    avons    presque    exclusivement 
ien,  p.  ex.   :  bien,  20,  i7,  O'i,  111,  etc.  ;  vient,  4,  16,  24, 
etc.;  avient,  633  :  mien,   L165  :  mais  /><•/(  291   :  cristienté, 
1184.  Votez  aussi  seens,  i39,  156.  (St.  p.  203). 
S  19.  ieu  français. 

Provenanl  du  latin  Deus,  Deum,  notre  texte  offre  les 
graphies  : 

/>(-(/.  31,  00,  64.  77.  84,   etc.  :  une  seule  fois  Deus,  822. 

Judseus    donne  guis,   1168;  iuis,  1169;  guif,  1171. 

Focum     donne  feu,   130:  /u.    L589,    1591  :   fus,    1422. 

Locum    donne  /i'u,   122,  947  ;  lius,   1214. 


260  \ll     Dl     SAINI     RI<  Il  UîD 

Le  verbe  sequor  présente  dans  notre  lexte  les   formes 
suivantes   : 
siwent,  LOT  :  m/m//.  786.  (St.  p.  204.) 

§  20.  .»i  français. 

(  '<•  son  esl  représenté  dans  notre  texte  par  oi,  p.  ex.   : 

poi,  508  ;  poij,  207  :  joie,  609,  etc.  ;  uo/nc,  666   oi  (habui), 

1388;    l'.i'dr,  902;   voiderai,  1404;    roi///V.    l  ',:•:>:    i  ■«,/</, 
159.  (St.,  p.  205.) 

§  'Jl .  oi  français. 

Nîolre  texte  offre  oi  dans  cro/r  (:  oir  <C  oru/o.s).  1463; 
/(</./•,  998  :  matrimoine^  521  :  tesmoine,  97  :  et  souvent 
aussi  u£,  p.  ex  :  muiste,  133  ;  anguisses,  093  ;  anguis- 
susses,  698  ;  el  devant  /  mouillée,  orguil,  162,  232  :  de- 
vant n  mouillée  la  même  graphie  se  présente,  p.  ex.  : 
enuignt,  460  :  Pimparfail  de  connaître  est  toujours  en 
is(s)cit:  coniseit,  573;  eoraisseienfl,  588;  recunisseii,  988. 
La  forme  du  présenl  ro;//.s.sc:.  L475,  empêche  de  penser 
à  un  changement  de  conjugaison.  Cet  oi  se  réduit  à  o 
dans  parose,  809  (comp.  paroche,  9ô9).  Pour  la  réduction 
de  oi  à  i,  comparer  aprismer  Gaimar,  v.  185.  (St.,  p. 
205.) 

§  22.    oî  français. 

On  trouve  ici  a  graphie  -o//;,  dans  bosoin,  631  ;  hnsoi 
gne,  242,  300  :  /o;'///,  1240,  el  aussi  um  :  luinteine,  561. 
Il  faut  noter  aussi  queinte,  504,  à  côté  de  cointement,  532. 
(St.,  p.  205.) 

§  23.  ou    français. 

Ce  son  ne  se  rencontre  dans  notre  texte  que  dans  des 
formes  verbales.  Pour  les  verbes  de  la  première  conju- 
gaison il  n'est  employé  qu'à  la  rime,  p.  ex.:  a/ou/  (:oul), 
1287;  conformoul  (:  tou/),  1258;  désirout  (:  oui),  1089  ; 
grevout  (:  sou/),  988;  mustroui  (:  ou/).  610. 

On  l'emploie  surtout  dans  le  passé  défini  des  verbes  : 
aveir  -ou/,  240,  389,  009.  1088,  1288,  etc.;  saveir  -sou/, 
249,  393,  395,  977.  Pour  deveir  on  a  dut,  393,  et  au  subj. 
dasse,  1304  ;  '/us/.  33,  où  la  voyelle  atone  manque,  '/eus/, 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  261 

206,  L352;  dusent,  565;  de  poeir  :  pot,  105;  subj.  pusl, 

242,  1341;  poust,  32;  pot,  53;  de  uoîeir:  nmi.  390,  392, 

865,  1257;  i:ousf,  757;  volt,    122  ;   n//    1286;  de  /</<v,>  : 

/i/s/  (comp.   paragraphe  •  '»:!).  296.   St.,   p.  206.) 

§  24.  ou  français. 

* 'c  son  est  représenté  |>;ir  peu  de  mois.  Ici  on  a  dons. 
349,  360  :  douz,  715  :  une  lois  deu.s.  ti7r>,  pour  e  atin 
duos  ;  ubi,  donne  u  :  la  graphie  ou  est  réservée  à  ou 
<  apud,  sauf  au  vers  1543.)  Dans  le  composé  ou  trouve 
andeus,  589,  590,  593,  691  :  amsdouz,  682.  Aucun  de  ces 
mots  n'est  à  la  rime.  (St..  p.  206.) 

>i  25.  ue  français. 

La  graphie  ue  esl  tare  ;  on  a  luec,  563  ;  <7uec.  1215, 
1370  :  </ur/'.  :!  :  quoique  ce  mol  soit  écrit  en  toutes  lettres, 
il  faut  comprendre  <iua\  puisque  il  rime  avec  chanceler, 
7.">7  (comparer  Boeve  de  Haumlone,  106-7  ;  quer  :  honu- 
rer  cl  Deu  c  omnipotent,  quers  :  pervers,  89  a  b).  On 
trouve  la  réduction  à  ë  dans  (efnes,  10  (à  coté  de  lufnes, 
9,   1572)  (I  dans  le  nom  propre  Neville,  901. 

(Cite  diphtongue  sie  réduit  aussi  ;'i  u.  ce  qui  est  assez  fré- 
quent :  junes,  830  ;  avuglent,  034  ;  iluc,  534  ;  nu:,  1097  ; 
crus  (erosus),  160;  put  (présent  de  poeir),  46,  78  ;  de- 
vant /  moulléc  on  a  o  :  voil,  188  ;  voillie,  1435  ;  oi/s,  634; 
et  aussi  u  dans  cu/7///.  260;  c,/,7//.  388;  quilli,  380.  La 
graphie  oe  se  trouve  dans  doc/.  700,  à  côté  de  dol,  123'i. 
On  a  aussi  o  et  u  dans  /<n/>/c.  398,  753,  1292,  et  pup/c. 
1592.  (Comp.  S.,  p.  78.) 

Le  pronom  ceo  a  eo  comme  seule  graphie.  Ou  se  ren- 
contre dans  le  seul  iloukes,  489,  qui  est  peut-être  impu- 
table au  scribe.  (St.,  p.  207.) 

S  20.  uê  français. 
La  graphie  uen  est  encore  plus  rare  que  ue  pour  o  ou- 
vert latin  tonique;  on  n*a  que  le  seul  mot  suens,  Yod,  1369, 
à  coté  de  seens,  450,  et  sen  259.  On  préfère  o/i,  p.  ex.  : 
bon.  son.  229,  243,  253  ;  sun,  385.  Pour  homo  on  a  home 
et  comme  pronom  l'en,  33,  1163,  1650,  1758;  Vem,  113, 
713  :  et  aussi  hum,  077.  (St..  p.  209.) 

18 


262  VIE    DE    -\1VI     KM  H\ltl> 

§   27.    ni  français. 

Pour  ce  son  on  trouve  dans  notre  texte  les  graphies 
suivantes  : 

à)  ui.  p.  ex.  :  hui.  1  135  :  luisauz,  7K>  ;  nuil,  1000  : 
L519,  1557,  !559  :  /uu.s  très  souvent  :  puisse,  30  ;  />u/.s- 
senf,   1075. 

6)  u,  p.  ex.  :  //(//,  226  :  />u/:.  68  :  us  (?),  L540  ;  nutéc, 
1658;  prusme,  87:  amenuser,    11G8. 

e)  i,  p.  ex.  :  ce///,  1 452,  el  /(.  passim.  aufri,  592. 

d)  Pour  le  latin  oleum,  on  trouve  o£îe,  822  (comp.  angl., 
oil). 

CONSONNES 

§  28.   L. 

Celte  consonne  est  depuis  longtemps  vocalisée  devant 
d'autres  consonnes,  p.  ex.  :  asout,  L249  ;  aulcr,  1693  ; 
beus  ;  beu,  303  ;  cliasteus,  512  ;  eus,  37,  etc.  ;  iléus,  573  ; 
lesqueus,  410  ;  maus,  694  ;  mieux,  27  ;  sauveur,  164  ; 
sauveté,  165  :  s/iu*e,  134  :  //Vu:.  396  :  *'uu/,  27.  La  con- 
sonne  se  conserve  dans  les  mots  ecclésiastiques  culpe, 
1021;  sépulture,  1627;  on  la  trouve  insérée  dans  aime, 
255.  257.  clf..  à  côté  de  aine.  L392.  Après  e  on  trouve 
développé  ici  comme  sur  le  continent  un  a:  beaux,  93,  etc. 
Dans  plusieurs  mots  /  a  disparu  sans  laisser  de  trace-  : 
acune,  1445;  as  (article),  201;  mut.  532,  etc.;  pucelle,  300; 
savacium,  6  (comp.  angl.  vue  cl  Modwenna  maivi*.  17  d); 
cur//z  (:  repleniz),  1528;  /'(':  (:  c//r).  007;  vuderez,  1346; 
cops,  702. 

L  mouillée  intervocalique  s'écrit   : 

a)  -i/i-,  p.  ex.  :  alcillé,  1637  ;  entrailles,  1619  :  meillure, 
626  ;  veillescc,   216. 

6)  -/t-,  p.   ex.    :  aliurs,   550  ;  <lcspuliée,  232. 

c)  -iZï£-  (ou  -illi-),  veill'ics,  500,  à  côté  de  veilles,  836; 
aparaiUié,  129;  aparailia,  121:  travaillia,  250."  Il  est  possi- 
ble que  cette  graphie  représente  non  seulement  /  mouillée , 
mais  un  i  qui  s'est  diphtongue  avec  la  voyelle  précédente; 
les  mots  anglais  qui  en  proviennent  semblent  prouver  qu'il 
y  avait  diphtongue  :  apparel  et  travail  (  =  tourment),  à 
côté  de  travel  (voyager)  et  despoii. 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  263 

A  noter  sont  les  graphies  fille,  510,  el  fillie,  515,  el 
evangelie.  I.  mouillée  finale  devient  -//:  vermeil  el  perd 
le  mouillemenl  en  se  vocalisant  :  Éraucms,  c>9i. 

La  consonne  î,  qui  sera  plus  tard  p,  se  trouve  ici  clans 
le  mot  apostle,  el  se  maintient,  en  anglais,  apostle.  (St., 
P.  211.) 

§  29.  R. 

La  métathèse  de  r  est  rare  dans  notre  texte  :  nous  ne 
trouvons  que  aperneit,  209;  le  mot,  qui  sera  plus  tard 
brebis,  est  ici  correctement  berbiz,  850. 

La  confusion  de  rr  avec  r,  et  de  r  avec  /v.  si  fréquente 
dan-  les  textes  anglo-normands,  se  trouve  ici  aussi  (comp., 
paragraphe  47). 

a)  P.  ex.  verrai  (veraeuni),  1389;  murreil  (impart-.), 
1519;  à  côté  de  mureity  1055;  guerre  (adv.),  1011;  hrrum, 
1422;  serrai,  1res  fréquent. 

h)  murai  (lui.),  L312;  pureit,  L184;  uerai  (fut.),  1328: 
quere,  1074. 

La  prononciation  de  /■  en  anglo-normand  est  très  fai- 
ble ;  on  trouve  à  la  rime,  dans  une  traduction  de  l'Ancien 
Testament  (voir  la  Dissertation  citer  en  note  au  vers 
1217),  reis:  aveirs;  vois:  os;  désires:  bestes;  tertres:  per- 
les; irascuz:  murs,  etc.  Ici  on  a  le  mot  fierté  pour  fiertre, 
1639,1645.  Purpine  colur  <!u  vers  1604  doit  être  pour 
pourprine.  Godefroy  ;i  relevé  celle  t'urine  deux  fois  (voir 
porprin). 

Celle  faibesse  de  r  est  connue  aussi  sur  le  continent 
voir  La  Prise  de  Cordres,  Inlrod.  cxviii-cxix).  (St., 
P.  213.) 

§  30.  M. 

Notre  texte  ne  distingue  pas  entre  m  et  n  finales.  A 
l'intérieur  du  vers,  le  mol  num  s'écrit  le  plus  souvent  avec 
ni,  p.  ex.  il'.».  70,  73.  74,  etc;  une  fuis  non,  881;  el  aussi 
uun  (coinp.  le  vers  cité  au  paragraphe  1).  A  la  rime  on 
a  uun  (:  Edmun),  772:  (:  reisun),  927:  une  fois  num  (:  Sy- 
mun),  1407.  I.a  graphie  sulum,  72,  70,  234,  etc.;  selum, 
217.  est  beaucoup  plus  commune  que  sulun.   Le  pronom 


264  VIE   DE   SAINT    RICH  VRD 

indéfini  s'écrit  indifféremment  l'en  et  Vem;  celui-là  devant 
devant  /.  113  :  devant  />,  713,  et  hum  devant  v,  077  (comp. 
devant  /.  I  L3  :  devant  ;>,  713,  el  hum  devant  r.  (177  (comp.. 
paragraphe   26). 

W  s'écrit  quelquefois  là  où  on  s'attend  à  trouver  mm  : 
l'hune.  L575  (comp.  angl.,  flame),  L575,  à  côté  de  flamme 
(voir  paragraphe  i7)  :  numer,  713,  816;  nomé,  913;  <o 
mun,  1254,  à  coté  de  commune,  303,  etc.  .1/  se  rencon- 
trent pour  /i  devant  labiale  :  emflure,  161.  La  première 
personne  du  pluriel  est  rare  dans  noire  texte,  on  l'a  une 
fois  à  la  rime  savum  :  irrum,  1421-2,  el  aussi  averurn,  6. 
(St.,  p.  215.) 

§  31.  N. 

La  substitution  de  m  pour  n  devant  labiale  ne  se  trouve 
dans  noire  texte  que  dans  emflure,  101,  cité  au  paragra- 
phe précédent.  Celle  de  /  pour  /;  ne  se  trouve  que  dans 
aime,  225,  257,  etc.  (voir  paragraphe  28).  .Y  tombe  régu- 
lièrement dans  le  verbe  covenir,  p.  ex.  cuveint,  190;  on 
a  une  fois  recureit  pour  reçurent.  702  :  et  elle  se  trouve 
insérée  dans  vint,  1009  :  ici  aussi,  comme  dans  d'autres 
dialectes,  dans  ensement,  45,  77.  200  (comp.  Roencli  : 
Itala  und  Vulgata,  p.  458);  n  est  restée  dans  lanterne 
<    la(n)lerna. 

N  mouillée  est  représentée  dans  notre  poème   : 

(i)  par  n   :  Punteni,  750. 

(n)  par  in:  gainer,  1257;  Boloine,  188;  vergoine,  098,  el 
peut-être  aussi  flans  moine  cl  chanoine,  52,  908. 

(ni)  par  m  ;  pleniant,  1507. 

(iv)  par  <jn  :  signefie,  fréquent. 

(v)  par  gni  :  seigniur,  1282. 

(vi)  par  ign  :  gaigneit,   182. 

Pour  d'autres  graphies  trouvées  dans  le  Domesday 
Book,  voir  Hildebrand,  Zeitschrifl  fur.  rom.-Phil.,  VIII, 
321.   (St.,   pp.   210-9.) 

§  32.  P.  B. 

Ces  consonnes  donnent  lieu  à  peu  de  remarques.  Entre 
m  et  n,  un  p  peut  se  développer  :  solempnè,  308  ;  solemp- 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  265 

nement,  L289  ;  columpne,  L591,  où  on  n'a  peut-être  affaire 
qu'à  un  reste  de  l'orthographe  bas-latine.  Un  j>  étymologi- 
que esl  inséré  et  se  maintient  dans  baptême,  1173.  Au 
vers  217,   on   a  puplie   pour  public. 

§  33.  V. 

La  confusion  de  /  avec  u  ne  se  trouve  que  dans  jufnes, 
9  :  jcfnes,  lu.  et  jufnc.  1572.  La  graphie  u;  i  ~l  assez 
rare,  on  a  ewes,  168,  et  siwent,  107,  et  siweit,  786.  Pour 
deswarokée,  233.  voir  paragraphe  43.  (St..  p.  219.) 

§  34.  F. 

Devant  l's  de  la  flexion.  /  disparaît  dans  le  seul  mot 
que  nous  ayons  où  se  trouve  cette  consonne  :  savoir,  guis, 
juis.  1108-9.  à  côté  de  guif  (cas  résime).  1104  rubrique. 
(St.,   p.   220.) 

§  35.  T. 

Le  /  donne  lieu  à  peu  de  remarques  :  provenant  des 
verbes  à  racine  dentale,  on  a  renl  (première  personne). 
1 169  ;  fiabet  donne  al,  600  (voir  paragraphe  30)  ;  t  a  dis- 
paru dan-  quan  que,  102,  101,  cl  souvent  à  la  troisième 
personne  du  passé  défini.  On  trouve  à  la  rime  :  1°  avec 
la  (ou  delà,  724),  ala,  431.  489,  555:  baptiza,  1175:  dédia. 
L623  :  demora,  1013  :  parla,  1133  :  respeira,  543.  Autre- 
ment les  rimes  en  a  sont  toutes  fournies  par  des  troisiè- 
mes personnes  des  verbes  de  la  première  conjugaison  ; 
p.  ex.  261,  275,  317,  355,  371,  etc..  36  en  tout);  2°  avec 
li  celi  ou  aussi  :  départi,  L555  :  dormi  1023  :  cnlendi, 
I'iL'T.  (D'autres  formes  sans  /  sont  cuveri,  839;  endormi. 
1068  :  senti,  1348  :  suffri,  278,  1227.  3°  On  a  aussi,  à  la 
rime  :  senti  :  garri,  1000,  mais  garit  :  dit  (part,  passé), 
L029  :  dit  :  respundït,   1 131. 

La  seule  forme  provenant  de  apud  esl  au  (comp.  para- 
graphe 24). 

L'emploi  de  fu  ou  de  fui  est  très  inconséquent  :  la  pro- 
nonciation, sauf  à  la  liaison,  est  /(/.  ce  que  démontrent 
assez  les  rime?  :  c.s/eu.  1007  :  tendeu,  1131  ;  receu,  1270; 
notre    texte    préfère   la   graphie   fu   devant    consonne   (66. 


"266  VIE    01".    SAINT    HICHARD 

83,  84,  L22,  etc.),  avec  trois  exceptions  seulement  (257, 
670,  889),  lesquelles  peuvent  être  portées  sur  1»'  compte 
du  copiste  :  autrement  on  a  fut  :  246,  598,  642,  911,  quand 
il  v  a  liaison,  et  fu,  quand  il  y  a  pause  :  le  vers  1071 
semble   taire   exception. 

§36.  I). 

Le  (I  s'écril  quelquefois  dans  ad  (habet)  6i,  68,  518, 
616,  ei  même  devant  voyelle,  622.  Dans  entermedleienl, 
718.  un  a  un  exemple  de  la  substitution  de  <l  pour  s  devant 
/.  phénomène  qui  est  resté,  en  anglais,  mcrfrfle. 

Il  n'est  guère  surprenant  «le  trouver  norih,  1692,  pour 
nord    (enmp.  Wace,  /.'ou..   I.    129).  (St.  223.) 

§  37.   S. 

Pour  représenter  le  son   sourd,   notre  texte  écrit   : 

a)  s  :  ausi,  271.  345,  347,  509,  etc.  :  usez  483,  etc.  : 
asaia,  1233,  el  esaié,  526  ;  asemblée,  908;  asis,  413:  s'nsisi. 
i52  :  asigné,  907  :  coniseit,  573,  588  :  récusent,  1354  : 
usent,  1351,  1381,  et  aussi  parose,  869  (a  côté  de  paro- 
die 959). 

b)  sr.  :  blescerez,  174:  blescié,  176-82. 

c)  D'autres  variantes  graphiques  sonl  c  et  :  :  ces 
(  =  ses).  1349,  à  côté  de  ses  (=  ces),  843  :  enceveli,  1614, 
à  côté  de  enseveli,  1628  :  mueer.  389.  398;  et  pour  :  : 
sanz  forme  unique,  et  vessiez,  1598. 

d)  //i  :  desuth,  1484. 

La  s  devanl  consonne  était  déjà  muette  ce  que  prouvent: 
a)  l'omission  de  .s  :  b)  l'insertion  de  s  là  où  elle  n'esl 
pas  autorisée  par  l'étymologie,  et  c)  les  rimes  en  -it  :  ist, 
etc. 

a)  s  omise  :  andeus,  à  côté  de  amsdotiz,  682  ;  baptême. 
1173;  blâme,  218  (comp.  paragraphe  1):  blemure,  104,  à 
côté  de  blesmée,  116;  eschar,  852  (:  char):  for,  17.  21.  à 
côté  de  /'ors.  1209:  même,  210.  243,  à  côté  de  meimes, 
■  \'i'2.  519.  997,  rie.;  pcchui\s  (piscaÛores),  1557  :  />/vi7 
(imparf.  du  subj.),  867:  quareme,  1322;  sou/  (imparf.  du 
subj),  1380;  ucr,  1649,  à  côté  de  /ers.  15  b/s  ;  riche*. 
1390. 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  267 

b)  s  insérée  :  descrez,  032  ;  enlremestrai,  60  ;  freles- 
tez,  672  ;  gesta,  836  ;  mestre,  708  ;  mestez,  1484  ;  meste, 
L256;  nr.s/r.  704;  nestement,  311;  nesfefé,  158,  273,  278, 
280;  preslast,  1605;  fuis*,  200. 

e)  Rimes  :  profil:  eslist,  945;  rcnisl:  spirit,  1541,  etc. 
Les  rimes  en  -a*/  et  en  -usf  sont,  sans  exception,  des 
rimes  verbales. 

Il  faut  faire  observer  que  les  graphies  avec  s  sonl  de 
beaucoup  les  plus  fréquentes. 

S  impure  peut  étire  précédée  ou  non  par  e,  voir  052, 
1270  ;  souvent  aussi,  là  où  les  consonnes  se  trouvent 
écrites,  il  faut  scander  sans  e.  (Voir  les  paragraphes  73 
seq.) 

L'abverbe  ici  s'écrit  tantôt  issi.  (première  rubrique),  tan- 
tôt ici  (dernière  rubrique).  (St.,  p.  225-8.) 

§  38.  Z. 

La  graphie  z  (<  t  +  s,  d  +  s)  est  presque  la  seule 
usitée  dans  notre  texte  ;  il  y  a  plus  de  soixante  mots  à 
la  rime  en  -ez  ou  -iez  :  des  participes,  des  deuxièmes 
personnes  des  verbes  et  quelques  substantifs  provenant 
de  la  troisième  déclinaison  latine.  Les  rimes  en  -iz,  73, 
607,  1527,  sont  pures,  et  aussi  celles  en  is  :  il  semble 
donc  que  l'auteur  dislingue  entre  les  deux  sons  ;  nous 
n'avons  relevé  qu'une  fois  s  pour  z,  p.  ex.  auns,  100,  à 
côté  de  anz,  490  ;  une  fois  mots,  1413,  et  une  fois  mox, 
730,  a  côté  de  moz,  740,  1046.  On  a  ici  comme  ailleurs 
sanz,  315,  etc.  (comp.  paragraphe  37);  dedenz,  83,  etc.  ; 
roi:.  008;  duz,  17,  etc.;  romanz,  15,  28  ;  so/as,  726,  à  côté 
de  solaz,  760  :  laz,  526  ;  fiz:  diz,  607-8  ;  fiz:  Wiz  (73) 
(nom  propre  qui  figure  en  anglais  moderne  sous  la  forme 
de  wich  :  p.  ex.  Droitwich  ;  Nantwich,  etc.);  mieuz,  27, 
etc.;  tuz  iurs,  401,  aussi  tuz  jurz,  721  et  724  ;  seinz,  84, 
etc.  :  <uz  :  parz,  370-80  ;  piez,  005. 

Quant  aux  autres  rimes  en  s  ou  en  z,  on  trouve  : 

a)  -ors  :  celles-ci  ne  sont  fournies  que  par  les  mots  : 
hors  :  cors  (70,  605,  707,  833,  1260). 

b)  -anz  :  celles-ci  (715,  1249)  sont  pures. 

c)  -urs  (1233). 


268  \  II.   DE   SAINT    RICHARD 

d)  -arz,  379. 

e)  oiz,    \'ii')-',.  (Camp.   Suchier,   paragraphe  (>".). 
I)  us,  827. 

g)  -uses,  697  ;  celles-ci  sont  toutes  pures.  (Si.,  pp. 
229-30.) 

§  39.  C  (K). 

Ce  son  est 'représenté  dans  notre  texte   : 

a)  par  k-  dan-  kar,  la  seule  forme  usitée  :  cinkanle, 
L505  :  kalende,  1507  :  logike,  329  :  vikerie,  960,  el  aussi 
unkes,  12  :  unke,  :i75  :  dunke,  175  :  dekes  el  /c/.t.s  sou- 
vent. 

b)  par  qru-  dans  le  soûl  mol  r/ue/-  (coirip.  paragra- 
phe 25). 

c)  Par  c/f-  une  fois  dans  oncke,  596. 

c/)  Par  c  à  la  fin  des  mol?  :  (7/ur.  551  :  /uee.  563  : 
r'Huec,   1278. 

c)  /,•  correspond  à  ch  dan-  le  mol  deswaroké,  223.  (St., 
p.  231.) 

§    10.  Ou. 

Si  Slûrzinger  (Orthographia  gqllica,  \i-\ii)  a  raison  de 
dire  que  les  graphies  qruî,  q»ue  commentaient  à  l'emporter 
sur  /,i.  ke,  vers  la  fin  du  xine  siècle,  notre  loxtc  offre  des 
difficultés  considérables.  Les  graphies  pour  le  pronom 
sont  dans  la  proportion  d'un  que  sur  douze  ke  ;  tandis 
que  pour  quando,  quantum  et  qualis,  on  préfère  quant  el 
qruef.  Oue  se  représente  donc   : 

a)  Par  /.".  liés  souvent  dans  le  pronom  relatif  <»u  inter- 
rogatif  :  que  se  rencontre  vingt-cinq  fois  :  qui  (HT),  une 
seule  fois  :  quei,  aux  vers  241,  Gii. 

b)  Par  qu-  dans  (/ne/.  163,  195.  etc.  :  queus,  991,  et 
dans  les  composées  lesqueus,  410,  566,  etc.  ;:  quant,  vingt 
et  une  lois,  une  seule  luis  /,'</(/.  I  K>7  ;  nequedent,  593, 
713,  à  côté  de  nekedent,  1099  :  quinte,  1437  :  quareme, 
1342  :  reliques,  965  :  équité,  187  :  el  aussi  dans  requite, 
1340,  cl  quassée,  942,  mots  que  se  maintiennent,  en  an- 
glais, requite  el  quash. 

Dans  la  phrase  quash  a  sentence  —  casser  un  arrêt. 
(St.,  p.  234.) 


vil:  dk  saint  richard  569 

§41.  C  (ts). 

Ce  son.  provenanl  de  c  +  e  ou  +/,  ou  de  c\  ou  de  //' 
précédé  de  consonne  autre  que  s,  s,-  maintient  ici  :  cel, 
ciel,  Il  in  :  face:  Boniface,  881,  913;  commence.  1211, 
1213;  chancun,  \\\~:  chaucure,  248;  chaîner'.  990;  chauce, 
994;  chauca,  991;  descreciun,  664;  naciun,  71;  propice, 
684,  elc;  une  fois  on  trouve  un  e  inséré;  purchacea,  L334. 

Le  pronom  neutre  s'écrit  toujours  ceo  et  /ïeo.  371  (comp. 
paragraphe  37,  c). 

La  graphie  -m-  se  rencontre  ici  comme  ailleurs  (comp., 
St.,  p.  224,  et  Simun  de  Freine,  voir  à  l'Introd.,  ouvrage 
cité,  lxvi),  drescer,  600  ;  blescé,  82,  176,  et  aussi  dans 
la  terminaison  des  substantifs  abstraits  :  pruesce,  20  ; 
hautesce,  1130.  A  comparer  sont  prescein  el  apresceit, 
1409,  1374,  avec  prochein,  1438.  (St..  p.  232^3.) 

§  42.  Ch. 

Ce  son  provient  régulièrement  de  c-f  a  et  de  p/;  la  pre- 
mière de  ces  deux  sources  est  représentée  par  char,  1604: 
chiet,  708  :  c/uzisf,  431  :  charité,  681  ;  cheval,  434  ;  eno- 
se,  28  :  péchiez,  086  :  tuehié,  1122  ;  et  la  seconde  par 
sache,  1583  :  sac/iez,  087.  1048.  1057  :  prochein,  230.  1438. 
."Vous  avons  ici,  comme  ailleurs,  le  mot  d'emprunt  cas. 
ii.'ï.  et  comme  dans  d'autres  dialectes  :  caruine,  1483. 

La  graphie  -cche  se  rencontre  aussi:  iecche,  978,  1111, 
et  aussi  -se-  (comp.  paragraphe  41).  p.  ex.  apresceit, 
1409.  A  noter  est.  la  l'orme  mi-sa\anle  parochc  qui  se 
maintient    en  anglais    parish.  (St.,  pp.  235-6.) 

§  13.  G  (=  g). 

Gu,  qui  provient  du  w  germanique,  s'écrit  g  devant  a, 
p.  ex.  :  gardent,  078:  gardeit,  ï~~:  gardèrent,  472;  re- 
garde, 1008  :  regardèrent.  070  :  garit,  078  ;  devant  e  (ou 
i)  on  trouve  yuc,  p.  ex.  guerre,  1044  :  On  a  deux  fois  u;  : 
ueimentant,  1507  :  deswarokée,  233. 

G  (=  g  latin +  o,  u)  se  maintient  :  p.  ex.  gusta,  820  ; 
synagoge,  1183.  (St.,  p.  236.) 

S  44.   G  et,  J   (dj). 
On  écrit  g  devanl  e  el  r",  et  /  devant  o,  u  et  a  :  p.  ex. 


270  VIE   DE   SAINT    RICHARD 

geu,    1568;  gelèrent,    719:  gisir,   1013;    grisé,    751;    ajusta, 

724. 

§  45.  Y,  .1  (=  y). 

L'emploi  de  i,  /  ou  ;/.  inséré  devanl  la  syllabe  tonique, 
pour  empêcher  l'hiatus,  ne  semble  pas  se  rencontrer  clans 
notre  texte.  On  trouvera  sous  ei,  au  paragraphe  'i  B.  (b), 
des  exemples  d'un  emploi  analogue  que  nous  avons  ex- 
pliqué autrement.  (St.,   p.  238.) 

§  46.  H. 

1.7i  du  latin  se  maintien!  ici  quelquefois  comme  en 
français  moderne  :  on  trouve  :  hospital,  1273,  1275;  hoste, 
1009;  humilité.  5,  25,  160,  et  aussi  Jmnt,  35.  où  du 
moins  l'orthographe  latine  excuse  la  présence  de  h,  et 
halegres,  1252.  forme  qui  peul  être  justifiée  par  l'emploi 
fréquent  de  Ji  dans  la  basse  latinité. 

L'h  se  trouve  intercalée  dans  ahurnez,  656  :  ahurne- 
ment,  382  ;  tandis  que  l'origine  germanique  ou  l'analogie 
expliquent  sa  présence  dans  haité,  94  :  hautesee,  1130  ; 
haucié,  005  :  hunte,  200  ;  hunluses,  007  :  huiberc,  1500  : 
heure,  1596  :  hidur,  848  ;  herbergé,  1274.  11  est  à  noter, 
cependant,  qu'au  vers  1596,  devant  17)  de  heure,  Ye  de  de. 
est  éliclé. 

Col  emploi  de  /(  est  surtout  très  fréquent,  dans  les  œu- 
vres de  Bozon  :  p.  ex.  Contes  :  (S.  a.l.fr.)  alouhe  :  Vie  de 
saint  Pol  (publiée  par  nous  dans  la  Modem  Langage  Re- 
rieir.  10i)0).  couhe,  121  :  poulie.  285.  Vie  de  saint  Pa- 
nuce  (publiée  par  nous  clans  Rnmania.  1909)  :  houhel,  12 
(anc.  fr.  ivel  <  equalis);  louher,  102. 

§  47.  Lettres  doubles. 

L'orthographe  avec  lettres  doubles  sans  que  le  soi- 
change  de  valeur  phonétique,  se  rencontre  souvent  dans 
notre  texte    : 

//  :  p.  ex.  apellé,  1261  ;  appella,  1331  :  rapella,  275  : 
illuee.  1278  :  celli,  1186  ;  tolleit,  759  (ville  à  côté  de  vite). 

rr  :  p.  ex.  terre  et  serrai,  graphies  uniques  ;  purreit. 
240   ;    verrai    (veraeum).    1389   ;     menai.     1390    :  guerre 


VIE  DE   SAINT    RICHARD  27  I 

(subs.),    1044;  guerre  (adv.),    1011;  garri,  999:  accurre- 
rcnt.    1641   (comp.     paragraphe  29). 

Il  est  à  noter  qu'on  trouve  //  et  rr  plutôt  à  la  syllabe 
protonique  qu'ailleurs. 

mm  :  p.   ex.  femme,  graphie  unique  :  flamme   ;  com- 
mencé,  174  :  commença,   1213  :  commanda,    1379  :  «"m 
mune,  363  (comp.    paragraphe  30). 

haï  :  graphie  rare  :  on  trouve  bonnes.  171   :  on  peut  no 
1er  aussi   ennui.  '■'>■'>'  (comp.     paragraphe  •!!). 

PP  :  p.  ex.  appella,  1331,  à  côté  de  rapella  (comp.  pa- 
ragraphe 32). 

/>h  :  p.  ex.  abbeie,  1022  (comp.    paragraphe  32). 

//  :  p.  ex.  offert,   113  (rornp.    paragraphe  34). 

//  :  p.  ex.  mettre,  1.  17.  20.  12,  «'te.  (comp.  paragra- 
phe 35). 

ss  :  p.  ex.  issi,  souvent  :  çressance,  219  :  vessel,  156 
(comp.    paragraphe  37). 

rr  ;  p.  ex.  noces,  970,  976  ;  accurrerent,  1(3 4 1  (voy.  rr), 
à  côté  de  acorder,   176. 

Morphologie 

l.e  manuscrit  n'est  pas  beaucoup  plus  jeune  que  la 
i îomposition  dû  poème  :  nous  n'essayerons  donc  pas  de 
distinguer  les  formes  à  la  rime  de  celles  qui  se  trou- 
vent à   l'intérieur  du  vers. 

§  48.  Article. 

L'article  défini  du  cas  sujet  est  trois  fois  H  (90.  966, 
1155)  :  [dus  souvent,  le  cas  régime  le  remplace,  p.  ex. 
73.  110,  122.  149,  270,  271,  146,  etc.  :  le  est  la  seule 
graphie   sauf,    naturellement,   devant   voyelle. 

En  combinaison  avec  les  prépositions  de,  a.  en.  les  for- 
mes suivantes  :  a)  del  :  seule  graphie  ;  b)  al  :  p.  ex.  105, 
398.  etc.  ;  c)  le  ms.  porte  cinq  fois  en  le,  173,  670,  671, 
672,  1283.  graphie  qui  peut  bien  provenir  du  scribe,  car 
la  mesure  exige  el. 

Au  pluriel,  on  ne  trouve  que  les. 

Combiné  avec  les  préposition,  on  a  :  a)  des:  passim; 
b)  as,  34,  201.  et  aussi  a  les.  1230.  (Voy.  ce  vers.) 


272  VIE   DE   SAINT    RICHARD 

Au  féminin,  on  trouve  /'/  au  singulier  et  les  au  pluriel; 
une  fois  (1440),  on  trouve  le  pour  la,  cl  nu  vers  1090  : 
en  le  honurance,  où  il  faul  peut-être  corriger  en  /'. 

L'article  indéfini  paraîl  régulièrement  comme  un  et  une; 
la  forme  du  féminin  ne  compte,  presque  sans  exception 
(p.  ex.  1007),  que  pour  une  seule  syllabe,  et,  par  consé- 
quent   e  peut  manquer  (p.  ex.    L002). 

On  trouve  aussi  une  fois  :  une^  botes,  080. 

L'article  peut  être  omis  (comp.,  vv.  1142,  1154).  Nous 
avons  souvent  cru  devoir  le  supprimer  pour  rétablir  la 
mesure. 

Emploi  de  l'article 

L'article  défini  peul  paraître  devant  un  substantif  pour 
être  omis  devanl  un  second  (comp.    753.  1307-8),  p.  ex. 

I)  l'onur  e  digneté  avelt.   1  L60.  (St..  p.  xi-xm.) 

§    40.    Substantif. 

La  déclinaison  de  l'ancien  français  à  deux  cas  a  com- 
plètement disparu  :  si  l'on  trouve  correctement  le  nom 
propre  Oies  (741),  il  n'en  est  pas  moins  en  apposi- 
tion avec  le  légat.  La  forme  rare  du  nominatif  :  festre 
(  =  faitre  <  factor)  se  rencontre  trois  fois  (019,  899, 
1313),  mais  toujours  employée  comme  cas  régime.  Et  si 
la  forme  archaïque  de  l'article  li  se  présente,  elle  ne  paraît 
pas  moins  en  combinaison  avec  seint  (996).  Evesques 
(346,  142),  sert  également  pour  l'accusatif  que  pour  le 
nominatif  (voy.  aussi  586)  :  tondis  que  /;':  (comp.  607, 
d'un  côté,  et  quer,  de  l'autre,  sont  les  seules  formes  con- 
nues. 

Même  pour  rendre  le  nominatif  et  le  vocatif  de  Dieu, 
on  n'a  que  la  seule  forme  Deu  (comp.    paragraphe  19). 

A  l'accusatif,  la  forme  qui  provient  régulièrement  du 
latin  est  la  seule  usitée   :  p.  ex.  oil,  679  ;  guif,  1171. 

Au  pluriel,  on  trouve  anz  (1388)  au  nominatif,  et  à  l'ac- 
cusalif   :  guis,   1108  :  (uis,   1109,  etc. 

Au  féminin,  on  n'a  naturellement  que  la  seule  forme 
avec  s  •"  p.  ex.  botes.  989. 

Le  sens  du  génitif  peut  •-'exprimer  par  la  simple  appo- 


VIE    DE   SAINT    RICHARD  273 

si  lion  quand  la  seconde  partie  indique  une  personne  :  p. 
ex.  de  la  pruesce  un  chevalier,  20  ;  eir...  son  père,  230  ; 
essemple  son  mestre,  336  ;  les  lescuns  son  mestre,  502  ; 
parla  volontez  si  fillie,  515  :  la  seintelé  son  seignur. 
G08  ;  le  mandement  Vaposldile,  L204  :  voy.  aussi  1200, 
1209,  1238. 

El  surtout  quand  il  s'agit  de  noms  propres  :  p.  ex.  Yaïe 
seint  Richard,  59  :  en  la  Deu  pari,  00  :  le  d'il  Salamon, 
396  ;  lu  reisun...  lu  seintelé  seint  Richard,  537,  974  ;  la 
croiz  Jhesu  Crist,  1195:  le  travail  Marthe,  1459;  voy. 
aussi  1242,  1389. 

Autrement  le  génitif  s'exprime  par  une  préposition  : 
a)  de  :  de  pasturel  office  le  fes,  505  :  de  la  croiz  glorius 
prechur,  1202  ;  b)  à  :  p.  <jx.  le  lil  al  malade  apresceit, 
1409.  (St.,  xiv-xvii.) 

§  49  a.  Noms  propres 

A.  Noms  de  lieu. 

Les  auteurs  anglo-normands  usent  d'une  grande  licence 
quand  ils  prennent  à  tâche  de  faire  entrer  des  noms  pro- 
pres dans  leurs  vers.  F/auteur  de  l'Epilogue  de  Lestorie 
<les  Engleis  -"«mi  tire  tant  Lien  que  mal,  mais  là  il  ne 
s'agit  que  de  dresser  une  liste  des  comtés  et  des  évèchés  ; 
notre  auteur  s'en  lire  plutôt  mal  que  bien  :  ainsi  au  vers 
1003,  il  faut  lire  Begeham  comme  Beim  ;  Boloine  semble 
devoir  être  scandé  B'loine,  à  moins  qu'on  ne  supprime 
nier.  Canterbire,  sauf  au  vers  710,  où  nous  avons  proposé 
une  correction,  compte  pour  trois  syllabes.  Devant  Cyces- 
tre,  aux  vers  54  et  05,  il  parait  nécessaire  de  supprimer 
de  (comp.  paragraphe  49)  ;  ailleurs  le  nom  (et  aussi 
\\ireeeslé<\  v.  66)  compte  pour  deux  syllabes.  Pou;iJ 
Jérusalem,  voy.  paragraphe  104,  Oxeneford,  vv.  332,  .".55, 
s'écrit  ailleurs  Oxcnford  et  Oxneford  (Lestorie,  1,  c.  V. 
15ii)  ;  Westminster  s'écrit  Wemusler  dans  le  Fragment  de 
la  Vie  de  saint  Thomas. 

B.  Noms  bibliques. 

Bans  une  version  anonyme  de  la  Bible,  en  vers  décasyl- 
labiques,  les  noms  propres,  tant  pour  la  forme  que  pour 


274  VIE   DE   SAINT    RICHARD 

la  scansion,  sont  traités  d'une  façon  très  arbitraire.  Nous 
v  avons  cherché  les  noms  qui  nous  intéressent,  et  nous 
trouvons,  dans  des  leçons,  appuyées  par  plusieurs  mss., 
que  David  (écrit  de  préférence  Davi)  compte  pour  deux 
syllabes,  Eliseu  (écrit  Ilelyseu)  pour  trois,  tandis  que 
Samuel  peut  avoir  tantôt  2  et  tantôt  3  syllabes.  Quoique 
ces  recherches  n'autorisent  guère  la  l'orme  Liseu,  que 
nous  axions  proposée  (paragraphe  102),  elles  soutien- 
nent la  scansion  de  Samuel  que  nous  avions  proposée  au 
paragraphe  98. 

§  50.  Adjectif. 

Il  en  est  de  l'adjectif  comme  du  substantif  :  à  quelques 
exceptions  près  la  déclinaison  n'existe  plus.  Pour  notre 
auteur,  cet  état  de  désordre  est  avantageux  :  il  lui  per- 
met  des   rimes   autrement  impossibles    : 

e   demaunda   u   cel   hacheler   fu 
que  esteit  a  cheval  la  venu  ;  433-i. 

et  aussi  les  vers,  135-6,  551-2,  883-4,  889-90,  1219-20, 
1545-6,  etc.  Dans  d'autres  vers,  un  retour  à  l'ancienne  cor- 
rection ne  nuirait  pas  à  la  rime  :  p.  ex. 

puis  à  Dovere  s'en  est  venu[z] 

en  une  meisun   est   desicendufz]     (1271-2). 

et  aussi  les  vers  :  551-2,  1261-2,  1273-4,  1317-8,  1505-6, 
1637-8,  1639-4(1,  1677-8,  1681-2,  etc.  :  ou  dans  le  sens 
inverse  :  1077-8,  1099-1100,  1143-4.  Nous  aurions  proposé 
ces  changements  dans  un  texte  uni  renient  correct;  on  ne 
saurait  défendre  ce  procédé  vu  les  rimes  :  -è  (=  ace.  pour 
nom.)  :  -é  (=  substantif  abstrait),  p.  ex.  1035,  1179,  1185, 
etc.  On  trouve  aussi  le  nominatif  pour  raccusatif  assuré 
par  la  rime,  484,  863. 

Au  singulier,  le  masculin  de  l'adjectif  a  rarement  la  s 
organique  ;  notre  texte  n'offre  que  les  exemples  suivants  : 
munies,  287;  simples,  654;  Jiumbles,  654.  Plus  souvent, 
l'accusatif  s'emploie  pour  le  nominatif  :  net,  93  ;  afailé, 
94  :  lut  endurci,  90;  veilant,  204  (R);  pensant.  287  (R); 
mendiant  285  (R)  :  quassé,  454  ;  preisé,  506  ;  sein  et  heité, 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  275 

fi'ii  :  enseveli,  749  (II).  756,  etc.  On  peut  y  adjoindre  les 
participes  suivants  à  la  rime  :  renumez  (masc.  nom.  sing.): 
asez,  111-2  :  grevez  :  pez,  548-7  ;  voy.  aussi  529-30,  961-2. 
Ici  aussi  raccord  ne  se  fait  pas.  p.  ex.  84,  93,  94,  L46, 
156,    166,   etc. 

Au  féminin,  à  côté  d'une  forme  correcte  :  tel  (940,1636). 
on  a  telc,  28,  1292  :  le  fait  que  IV  féminin  de  tute  ne 
compte  si  souvent  pas  pour  une  syllabe  explique  tut  au 
féminin  dan-  les  vv.  154,  877  et  ailleurs;  (tute  n'est  pas 
inconnue,  p.  ex.  298  (tuile  720),  et  au  paragraphe  73). 
On  a  correctement  grant,  238,  et  veraie,  1473.  Dans  les 
participes  passés,  l'accord  se  l'ait  assez  fréquemment, 
p.  ex.  81,  221-2,  231-2,  233-4,  329,  etc.,  niais  plus  souvenl 
il  ne  se  l'ait  pas  :  145,  189,  213,  454,  789,  842,  866,  1132, 
134 8.    1584. 

Au  pluriel  du  masculin  on  a  correctement  :  nest,  704  : 
estramé,  1529,  et  mari,  1382.  Pour  les  adjectifs  prove- 
nant du  latin  unies,  -eintes,  on  n'a  que  la  forme  en  z, 
p.  ex.  mananz,  72  :  dolenz,  1382.  Pour  ce  qui  concerne 
les  participes,  on  ;i  quelquefois  correctement  des  formes 
sans  s  (r).  p.  ex.  ami  :  garni,  369-70  ;  asigné  :  asemblé, 
907-8  ;  truie  :  glorifé,  1601-2  ;  mais  au  contraire  :  furent 
liez  :  péchez,  151-2,  etc.,  etc.  Au  vers  12U.  il  faut  corriger 
semblables  en   semblable   pour  rétablir  la  mesure. 

Au  féminin,  les  formes  donnent  lieu  à  peu  de  remar- 
ques, quelquefois  l's  du  pluriel  manque  :  tuite,  809  ;  bone, 
1 12.  (St.,  p.  xvin-xx.) 

§  51.  Adjectif  possessif. 
Notre  texte  ne  montre  que  très  peu  de  formes    : 

Au   singulier    : 
mon,  738,  et  plus  souvent  mun,  737,  1303,  1308,   1610. 
son,  78,  79,  99,   etc.,  etc.,  et  beaucoup  moins  souvent 
sun,  87,  090,  1012,. etc. 
ma,  1390,  et  m',  1308. 
sa,  36.   44,   1380.   etc. 

s',  213,  255,  614,  et  sa  suivie  de  voyelle,  1341. 
nostre  447,  628. 
noslre,  447,  628. 


27P)  VIE   DE   SAINT    RICHARD 

lur,  536,   1009  :  devant  un  substantif  féminin.  154,  458, 
750,  750. 

Au   pluriel    : 
tes,  1490. 

ses,  48,  777.   1088,  etc. 
voz,  1314. 

lur.   805-4    :   cette    forme    est    invariable    jusqu'au    seul 
exemple  :  lurs  quers,  590.  (St..  p.  xxm.) 
Notez  aussi    :  un  sera  frère,  259. 

§  52.  Pronom  a)  personnel. 

Toutes   les   formes   ne    se    rencontrent    pas   clans   notre 
texte  ;  on  a   : 

Au  nominatif   : 
ïeo,  58,  62,  1583  (le  pronom  est  souvent  omis). 
il  (conjonctif),  105.  241,  etc.;  (disjonctif),  349,  520.  etc. 
ele,  1502. 

lus,  306;   vos,    1134  (pour  l'omission,   voy.    1421-2  et 
1336). 

il,   1270,  1381  ;  (il  neutre,  367). 

A  l'accusatif    : 
me,  54,  57. 

le,  240,  781,  etc.  ;  le   =   la,  1406,  139. 
nus,   38,   42. 
vus,  305,  1027. 
les,  57. 

Au   datif    : 
me,  55,  293,  1385. 
li,  113,  156,  239,  (le  =  li,  267). 
nus,  635. 

rus,   1323;  ro.s,  1481. 
lur,  365,  456,   1236. 

Formes  fortes   : 
/eo,  59,  349. 

il,  520,  1080,  1192,  1285,  1504. 
rnei,  306,  311,  312,  1348. 
le  (forme  forte  élidée),  206. 
lui,  842. 


VIE   Dr:   SAINT    RICHARD 


•>-■ 


li  (l'orme  préférée),  38,  47,  172,  350,  etc.  ;  assurée  par 
les  rimes  suivantes  :  merci  (438),  ausi  (924,  932),  senti 
(1348).  (Cette  l'orme  peut  être  élidée  :  239,  270,  578,  621, 
760,  920,  953.) 

li  (fém.),  301. 

sei,   1253,    L331. 

les  (:  tes),  596. 

eus,  37,  88,  351 . 

§  53.   Pronom  possessif  (voy.  adjectif  possessif, 
paragraphe  51). 

(  'omme  pronom  possessif,  nous  comprenons  la  forme 
forte  précédée  de  l'article.  Il  n'y  en  que  très  peu  d'exem- 
ples dans  notre  poème. 

Au  singulier,  nous  ne  trouvons  que  la  meie  (l'i7'i)  (se. 
pleinte)  dont  la  forme  est  assurée  par  la  rime  veraie. 

Au  pluriel,  notre  texte  n'offre  que  :  les  seens,  139,  i56; 
et  les  suens,  1369. 

§  54.   Pronom     c)   démonstratif. 

Les  formes  dans  lesquelles  la  première  syllabe  se  main- 
tient ne  sont  pas  rares  dans  notre  texte  :  p.  ex.  : 

Au  singulier  : 

Cas  sujet  du  masculin  :  icil,  475,  et  iceli,  477  et  employé 
comme  adjectif  :  icel,  23  ;  icest,  883. 

Cas  régime  du  masculin  :  icel,  1455  ;  icest,  109;  et  du 
neutre,  icest,  467  ;  iceo,  371  ;  itqnt,  1674. 

Au  pluriel   : 

Cas  sujet  du  masculin  :  iléus,  573,  et  comme  adjectif, 
iléus,  1046. 

Les  formes  sans  syllabe  initiale  sont  plus  fréquentes  : 
p.   ex.    : 

Au  singulier  : 
Cas  sujet  du  masculin   :  cil,  115  ;  cel,  455  ;  celi,  397, 
464,  685,  795,  815  ;  celli,  1452,  et  comme  adjectif  cel,  433  ; 
eesli,  980. 

Cas  sujet  du  féminin  :  tuite,  720. 

19 


278  VIE    DE   SAINT    RICHARD 

Cas  régime  du  masculin  :  i<-li.  684;  cesli,  280,  982, 
900,  cl  comme  adjectif  :  cest,  L312  :  veo,  74,  1404,  el  fiel, 
li  ;.-).-). 

Cas  régime  du  féminin  :  comme  adjectif  seulement,  <cl. 
304  :  celé,   125  :  /<■/.    157  :  ceste,  34,  etc. 

Cas  régime  du  neutre  :  <  eo,  217,  593. 

Au  pluriel   : 

Cas  sujet  du  masculin  :  ces,  792  (m-n.  843)  :  //eu:.  390  : 
/(/i7.  1647  (tut,  1161)  :  «m/.-u.s.  589,  590,  593,  691. 

Cas  régime  du  masculin  :  ces,  i39  ;  amsdouz,  682  :  /u:. 
648,  052.  (St.,  p.  xxiv.) 

§  55.  Pronom  d)  relatif  et  interrogatif. 

Comme  ailleurs  dans  les  textes  anglo-normands,  on  ne 
distingue  pas  entre  ki  et  ke: 

Comme  nominatif,  ke  se  rencontre  très  fréquemment, 
|i.  ex.  16,  50.  07.  etc.;  la  forme  ki  se  trouve  cependant, 
1».  ex.  139,  440,  1030.   1191. 

Ke  peut  avoir  la  signification  de  cco  ke,  p.  ex.  290,  et 
aussi  de  celui  qui. 

Pour  l'orthographe.  /."-  ou  </;/-,  voy,  paragraphe  40. 

On  a  les  formes  accentuées  :  quel,  644  (=  ki,  bomp'. 
Boeve  de  Haumtone,  1777),  et  quel  (neutre),  241-. 

Comme  adjectif,  on  a  quel  (ina^r.).  163  ;  et  comme  pro- 
nom :  queus  (fém.),  991  :  lequel,  215  :  lesqueus,  -Ho.  566  : 
laquele,  11551.  cl  en  le  quel—  elquel,  loin.  (St..  p,  xxvi.) 

^  50.  Pronom  e)  indéfini. 

Les  formes  suivantes  se  rencontrent  dans  notre  texte   : 

'0  Ici  on  préfère  la  tonne  affaiblie  en.  p.  ex.  l'an.  I  13. 
130  ;  l'en,  33;  cl  en  sans  article,  703. 

I))  Chescun  (suivi  de  ke,  208,  209,  etc.),  el  sans  ke,  352. 
358,  etc..  et  comme  adjectif  501.  620,  653,  etc.:  on  a  aussi 
la  combinaison  chescan,  722.  Il  y  a  des  vers  où  la  locu- 
tion en  chescun  endreit  (comp.  paragraphe  102)  semble 
former  un  groupe  de  quatre  syllabes  comme  s'il- fallait 
lire  chaque. 

c)  le  pronom  neutre  quantum  figure  ici  comme  quan  ke 
(comp.,  paragraphe  35),   102,  101.  1501. 


VIE  i>r  SAINT   i;i<  h  m;i>  279 

(1)  Nul  sembla  déjà  en  train  de  se  restreindre  à  son 
emploi  actuel  comme  sujet  du  masculin  singulier  :  on  a 
c  pendant  en  nul  endreit  645. 

e)  autrui,  592. 

I)  mull  (+   de),   1222. 

>;  07.  Adverbe. 

L'adverbe  donne  lieu  à  peu  de  remarques  ici;  il  en  sera 
question  plus  lard  quand  on  traitera  de  la  versification  du 
poème.  Il  faut  noter  l'emploi  très  fréquent  de  drelt  (ou 
de  /(//  dreit,  121,  584,  ou  de  <t  dreit,  650,  860)  lequel  se 
trouve  dans  le  corps  du  vers,  p.  ex.  624,  7o.'_î,  ou  qui  arrive 
souvent  si  à  propos  [tour  fournir  une  des  nombreuses 
rimes  en  -cil.  \>.  ex.  336,  361,  574,   1195,  1600. 

L'adverbe  se  compose  ici  comme  ailleurs:  seulement  IV 
de  la  désinence  féminine  de  l'adjectif  ne  compte  pour  une 
syllabe  que  si  rarement  dans  le  corps  du  vers  (p.  ex.  pro- 
fondement 1091;  dévotement,  1106;  sulement,  265,  785; 
la  forme  moderne  du  premier  est  intéressante)  qu'il  est 
presque  possible  de  poser  comme  règle  que  l'e  qui  peut 
ne  pas  compter  à  l'adjectif  est  également  muet  à  l'ad- 
verbe. Cet  e  peut  aussi  manquer  dans  l'orthographe,  p. 
ex.  chevillent,  958. 

lue  l'ois  dans  notre  texte,  le  -ment  de  l'adverbe  est 
exprimé  après  le  second  de  deux  adjectifs  :  du:  e  dure- 
ment. 084  (comp.  «  Si  cruel  e  si  longement  ».  «  Histoire 
de  Guillaume  le  Maréchal  ».  Romania,  XI,  p.  49,  vers 
loi),  et  au  vers  1375  il  faut  peut-être  corriger  humble 
e  curleiseinetd... 

L'adverbe  meimes  n'a  souvent  qu'une  syllable  (comp. 
paragraphe  78)  ;  ou  trouve  aussi  la  graphie  même,  210, 
laquelle  s'accorde  avec  la  prononciation. 

Notre  texte  présente  souvent  lute  veies  (jamais  tûtes), 
199,  204,  etc.,  et  sous  la  forme  lute  veis  (652,  à  la  rime 
avec  curleis)  l'adverbe  est  peut-être  déjà  en  route  pour 
devenir  toutefois,  (comparer  toutefois  dans  un  fragment 
de  Mystère.  Zeit.  }'.  r.  Ph..  xxvi,  pp.  93,   100). 

Dans  les  locutions  composées  d'un  adjectif  +feiz,  l'an- 
glo-normand    semble    préférer   feiz    au    singulier,    p.    ex. 


280  \  M     DE   PAINT    RU  II  VRD 

Chardri,  I'.  P.  20,  suvente  feiz  :  Simund  de  Freine,  Saint 
Georges,  L570  :  Tante  feiz  cum...  Modvenna  sovente  feys, 
83  (I  (ms.  Welbeck).  Dans  ses  Vermischte  Beitrœge,  zweile 
Reihe,  paragraphe  6,  M.  le  professeur  Tobler  l'ait  obser- 
ver que  les  locutions  maintes  fois  el  mainte  fois  existenl 
l'une  à  côté  de  l'autre!  comme  en  latin  omnes  homines  el 
omnis  homo  :  ailleurs,  si  nous  ne  nous  trompons  pas, 
le  sa\ant  philologue  allemand  a  expliqué  toutefois  comme 
provenant  <le  huiles  voies  par  -confusion  avec  fois, 
et  a  comparé  cette  expression  à  l'anglais  ail  ways  > 
always.  Nous  nous  demandons  si  la  préférence  pour  le 
singulier,  en  anglo-normand,  n'est  pas  due  à  l'influence 
anglaise.  En  anglo-saxon,  man'uj  (anglais,  many)  s'em- 
ployait avec  le  singulier  et  avec  le  pluriel,  mais  de  préfé- 
rence avec  le  singulier.  En  anglais  moderne  on  peut  dire 
many  a  lime  et  aussi  many  limes,  locutions  qui  corres- 
pondent au  français  moderne  mainies(s)  [Ois  et  bien  des 
fois. 

D'autres  adverbes  qu'il  importe  de  noter  sont  :  nient, 
426,  etc.,  qui  est  monosyllabe  (comp.  Zeitschrift  fur  rom. 
Philologie,  XXVI,  p.  97),  anceis.  306  (:  eurteis)  :  nenil, 
303  (comp.  l'anglais  familier  nenni  et  le  nenni  de  Molière 
(Bourgeois,  ni,  2)  et  de  La  Fontaine  (I,  3). 

Pour  une  négation  tautologique,  comparer  v.  463  et 
Boeve  de  Haunitome,  p.  132.  vers  283  (voy.  aussi  Tobler, 
op.   eit  :   Liste    Reihe,    p.   77. 

§   58.   Préposition. 

A  noter  est  l'emploi  fréquent  de  ou  (=  avec),  106,  209, 
etc.  (comp.  paragraphe  24)  :  pour  sulum  (selum),  comp. 
paragraphe  5  A  (c). 

§  59.  Conjonction. 

La  conjonction  si  (  =  et)  ne  paraît  que  trois  fois  dans 
notre  texte  (v.  4,  1U69,   1362). 

Conjugaison 
>;.  60.  Changement  de  conjugaison* 

Ce  phénomène  se  rencontre  souvent  en  anglo-normand  ; 
grâce  à  l'identité  de-  sons  ci  el  <■  la  première  conjugaison 


VIE    DK    SAINT    RICHARD  581 

s'accroil    facilement    par  l'addition   d'infinitifs  de  la   troi 
sième  :  p.  ex.  uvcf  (:  beser),  311  :  (:  juger,  325  :  (:  lier), 
525  :  (:  cucher),    1018  :  saver  (:  travaillier),   559  ;   teer 
(:  lirisfi),    I  165. 

Vu  que  les  rimes  chez  notre  auteur  sont  du  moins  tou- 
jours suffisantes,  il  faul  croire  que  les  rimes  :  enticeii  : 
preit,  519-20,  el  comandeii  :  deit,  1493  i.  indiquent  des 
formes  enticit  el  comandit.  L'influence  de  la  palatale  n 
pu  amener  la  première,  comp.  exercir  ;  tandis  que  le 
substantif  commandie  el  l'emploi  fréquenl  de  la  locution 
A  Dieu  command  el  d'autres  où  entrail  cette  forme  du 
subjonctif,  a  pu  rendre  incertain  à  quelle  conjugaison 
appartenait  comander. 

La  rime  lechisseni  :  garissent  indique  enfin,  lechir, 
forme  qui  a  été  relevée  par  Godefroy,  vol.  iv. 

§  61.  Première  conjugaison. 

Présent  de  l'indicatif  :  première  personne  :  pri  1313  ; 
afi  (en  rime),  1583  ;  bail,  1481,  1490. 

Troisième  personne  :  va  (:  la),  Vil    ;  vet,  107. 

Imparfait  :  La  terminaison  -oui  se  rencontre  assez  sou- 
vent,  mais  seulement  à  la  rime  :  alout,  1287  ;  conformout, 
1258  :  desirout,  1089  ;  grevout,  988  ;  mustrout,  610  (comp. 
paragraphe  23)  :  au I renient  on  a  -cil,  pas  moins  de  148 
fois  à  la  rime. 

Passé  défini    :  estut  1363  :  eslurerit,   1482. 

Futur  :  il  n'y  a  rien  à  noter  ici  :  blescerez,  474  ;  trans- 
laterai), 01   ;  esposerunt,  119  ;  irai,  1403  ;  irrum,  1422. 

Au  subjonctif  :  troisième  personne  du  singulier.,  en 
-ast,  p.  ex.  enirast,  123.  (Voy.  aussi  vv.  887,  888,  893, 
894  :  au  pluriel,  cessassent,   1496. 

Participe  passé  :  Rien  à  noter.  (Si.  xxvi-xxix.) 

§  62.  Deuxième  conjugaison. 

Indicatif  présent  :  avient,  633  ;  oui  (audit),  1248  ;  oient, 
797. 

Imparfait   :  murreit  (comp.    paragraphe  29).   loi!). 

Passé  défini  :  à  la  troisième  personne,  le  /  de  la  ter- 
minaison manque  plus  souvent  qu'il  n'est  retenu   :  p.  ex. 


28'2  \  II.   l»l     SAIN  I     Kl<  HARD 

ausi,  ITH  :  cuv(e)ri,  839  :  dormi,  1024  :  endormi,  1068  : 
sri/li.  999,  1000,  1348  :  suffri,  273,  1221  :  .'/um.  999,  à 
côlé  «le  garil,   LQ30. 

Comme  formes  du  passé  défini  des  verbes  forts  on  a 
revint,  357,  ;i  côté  <l<i  conveinl,  896  :  ///»/.  358  :  tindrent, 
1649  :  chaisl,  151  :  conquist,  IT<S  :  o/.s/  .-  (misl).  792  :  oêZ 
(:  //.s/).  796  :  o(7  (:  entendit),  799  :  oi'/t/j/.  1578. 

Futur  conditionnel  :  "/<•:.  I  16  :  murai  (comp.  29),  1312; 
vendreient,  1 139. 

Subjonctif  présent    :  acumplie  ('.').  5.40. 

Imparfait  :  lechissent,  garissent  (comp.  paragraphe 
60),   139-40  :  oissent,   1577  :  uem'sf,   128. 

Participe  présenl  :  oiant,  338.  Nous  croyons  que  mu- 
;////.   I  1 19,   L51  I.  est  plutôt  substantif. 

Participe  passé  :  cuilli,  388  :  quilli,  '-\80  ;  r/eu  (monosyl- 
labe),  1570  :  teneu,  383,   'i(.K5.  etc. 

L'infinitif  <///•  est  souvent  monosyllabe  :  3,  16,  21,  359, 
188,  790, 

.^   63.    Troisième  conlugaison. 

Indicatif  présenl  :  ay,  1031  :  as,  864  :  ad,  SU  :  ai,  606, 
H  aussi  souvenl  a  :  averum,  <»  :  ront,  1693  :  oV/7  (:  esteit), 
12  :  estent,  (.»0(.)  :  />r/7  (parescit),  ^56  :  pu/,  10.  78  :  //ne:. 
1336  :  />;rn/.  970  :  sat,  17.  196,  1311  :  savum,  1421. 

[mparfail   :  ureil.  86,  etc.  :  soleil.  109. 

Passé  défini  :  oï,  1388  :  ou/.  240,  389,  etc.  :  urenf,  1276; 
s'asis/,  152  :  dut,  393  :  /»o/  105  :  /u/.s/  (:  fusl),  812  :  sou/ 
(surc/r).  249,  :!(.>:!  :  sou/  (soleir),  389,  107;  .sjn/.  337;  cou/, 
390,  392,  865,  1257  :  voustj  757;  1286  :  uoi,  122. 

Futur  :  avérai,  1388  :  averrai,  L390  :  faudra.  1386  ;  r</- 
derez,  1346  :  verai,  1338  :  verrez,  1345. 

Conditionne]   :  purreit,  240  :  porrevt,   1191. 

Subjonctif  présent  :  eif,  971,  (.»7'i  :  puisse.  30,  1456  : 
voillie,  1 155. 

[mparfail  :  u.s/.  153  ï  ;  eus/,  765  :  dusse.  1304  :  o7;/*/. 
33  :  deus/,  206,  602,  1352  :  soûl  1380  :  seussenl  1381  : 
dussent,  565  :  /u/.x/.  242,    1341   :  poust,  32  :  /»"/.  .").",. 

Impératif   :  r/V:.    1 180. 

Infinitif  :  Pour  les  infinitifs  qui  ont  changé  de  conjugai- 
son, \  (i\.  paragraphe  60. 


VIE    DE    SAINT    RICHARD  283 

§  64.  Quatrième  conjugaison. 

Indicatif  présenl  :  sut,  1420  :  estes,  126  :  pest,  310, 
686  :  siwent,  107  :  rent  (première  personne),  L308,  I  169; 
(•/•(•.  tifi  (première  personne),  297,   L583. 

[mparfail  :  promisteii,  842  :  recunisseit,  998  :  siweit, 
786. 

Passé  défini  :  asoui  (absoudre),  L248  :  conust.  566  :  /'/'. 
1244  :  /(/>/.  811  :  /»//  (/ire),  i82  a  :  ni/.s/.  243  ;  mcist,  L92  : 
entremirent,  1395  :  //ris/.  239  :  regutf,  L340;  /;/s/.  ^96,  644; 
el  une  forme  sans  /  (comp.  paragraphe  35)  ;  enlaidi, 
1428. 

Futur  :  serrai,  305  :  serrez,  173  :  serrunt,  120  ;  ierunt, 
110  :  />r/.  815  :  /><•:.   L343  :  entremestrai,  60. 

Conditionne]  :  serreit,  160  :  rendreit,  L349. 

Impératif  :  secr,  303. 

Subjonctif  présent   :  /are,  882.  914. 

imparfait  :  d*e£f,  1494  (:  comandeit,  comp. 
paragraphe  60)  ;  /us/.  52  :  fuissez,  1347  :  feisse,  58  ;  cn- 
Iremeisse,  57  :  preist,  867  :  />/tj7  (:  enliceit,  comp.  para- 
graphe 60),  520. 

Participe  passé   :  dit,  75  :  tolleit  (:  esteit),  759. 

Anglicismes  (1) 

L'étude  scientifique  des  dialectes,  en  ce  qui  concerne 
leur  syntaxe  caractéristique,  n'en  est  encore  qu'à  ses 
débuts,  et  les  phénomènes  que  nous  classons  sous  cette 
rubrique  sont  offerts  sous  toutes  réserves. 

Le  fait  que  le  moyen  anglais  présente  une  expression 
analogue  à  une  expression  anglo-normande  ne  saurait 
non?  suffire  pour  la  qualifier  d'anglicisme.  Il  nous  fau- 
drait, eu  effet,  prouver,  d'un  côté,  qu'une  telle  locution 
est  inconnue  aux  dialectes  continentaux,  et,  de  l'autre,  que 
celle  qui  lui  est   parallèle  en  moyen  anglais  dérive  nor- 


(1)  Cette  question  a  été  traitée  par  Burghardt  dans  un  mono- 
graphe spécial.  Ueber  <lcn  Einfluss  des  Englisrhen  auf  das  An- 
gïonormannische.  --  Dans  la  série  des  Studien  zut  englischen  Phi- 
lologie, Halle  1906. 


284 


VII.    1)1.    SAINT    ItICHAHI) 


maternent  de  L'anglo-saxon,  lVnt-ètre  un  polit  nombre  des 
locutions  qui  seront  relevées  dans  les  paragraphes  sui- 
vant subiraient-elles  avec  succès  l'épreuve  des  restrictions 
proposées  ci-dessus. 

§  65.  Orthographe. 

L'éditeur  des  œuvres  de  Simund  de  Freine  (1)  a  l'ait 
observer  (Introd.  xxxm)  que  les  noms  propres  comme 
celui  de  son  auteur  s'écrivent  de  préférence,  avec  un  <l 
final.  Notre  auteur  préfère,  en  effet,  la  graphie  Edmund, 

1061,  etc.,  sauf  à  la  rime  :  p.  ex.  689.  772,  1281  ;  par 
contre,  Symun,  1407,  1  Î27.  1436,  est  la  seule  graphie 
que  connaisse   notre   poème. 

i;  66.  Genre  du  substitutif. 

La  confusion  des  genres,  si  fréquente  dans  les  siècles 
subséquents,  est  rare  chez  notre  auteur.  Nous  hésitons 
même  à  enregistrer  ici  âge  enoilliè  (v.  218),  bien  que  nous 
ne  connaissions  pas  d'exemple  cVage,  au  féminin  sur  le 
continent  avant  Rabelais  :  et  encore  hésitons-nous  davan- 
tage à  attribuer  ce  genre  à  l'influence  anglaise  :  la  cause 
déterminante  peut  bien  être  fournie  par  le  mot  eê  (aelate) 
qui  est  des  deux  genres.  Nous  balançons  également  pour 
ce  qui  concerne  le  honurance  (1690.  comp.  paragraphe 
48),  car  la  bonne  leçon  est  peut-être  Vhonurance  et  encore 
honur,  lequel  est  tantôt  du  masculin  et  tantôt  du  féminin, 
a  pu  amener  le  genre  que  l'auteur  ou  bien  le  copiste  sem- 
ble avoir  donné  à  ce  mot. 

>;  67.  Infinitif  précédé  de  comencer  (on  de  pren- 
dre) avec  ou  sans  à    : 

Noire  texte  offre  cinq  exemples  de  celte  construction   : 

1 .  seint   Richard  lores  par  son  festre 

en  bien  chescun  jour  comença  crcslre,  619  20. 

2.  e  puis  quant  i  entré  esteit 

si  meimes  a  chanter  coinenceit,   1361-2. 


(1)    Les    œuvres    de    Simund    de    Freine,    pub.    John    E.    Matzke, 
(S.   a.  t.   fr.),  1909. 


VIE   DE   SAINT    KICHARD  "285 

Les  exemples  ci-dessus  traduisent  cœpii...  crescere  et 
psallere  cœpit. 

3.   Un  prestre... 

Vil  en  S'iinge  1res  bel  meisun 

(dune)  cumenee  ;i  penser  par  reisun 

(e)  pense 1060-71. 

i.   puis  commença  après  passer 

les  lius  ke  sunt  près  de  la  mer,  1213-4. 
5.   ces  (—  ses)  membres  comencerent  à  (ieblir  1305. 

Les  numéros  3  et  i  traduisent  des  participes  présents, 
cogitons  et  transiens,  landis  que  dans  le  numéro  5,  l'au- 
teur cherche  à  exprimer  l'idée  progressive  du  participe 
-morbo  ingravescente  :  peut-être  aussi  le  texte  latin  qu'il 
avait  sous  les  yeux    était-il  autrement  couru. 

L'auteur  de  l'étude  citée  au  paragraphe  précédent  relève 
des  centaines  d'exemples  de  cette  construction,  tirés 
de  textes  anglo-normands  des  xn°,  xme  et  xivB  siècles, 
et  affirme  (pie  c'est  là  une  périphrase  pour  le  temps  sim- 
ple, et  aussi  que  ce  phénomène  est  dû  à  l'influence  an- 
glaise. 

D'abord  si  celte  construction  est  une  simple  périphrase, 
ce  dont  nous  doutons  pour  bien  des  cas,  il  faut  admettre 
que  son  emploi  est  très  commun  dans  les  textes  français 
de  France  Nous  avons  trouvé,  dans  des  textes  français 
que  nous  avions  sous  la  main,  des  exemples  qui  ressem- 
blent, jusqu'à  l'infinitif,  à  ceux  qu'a  relevés  Burghardt. 

Nous  choisirons  dans  la  masse  d'exemples  que  celui-ci 
a  relevés,  les  suivants,  tous  tirés  de  textes  du  xne  siècle: 

1.    Si  tost.  cum  ele   le  vit  mener 

Le  començal  a  apeler,  (Adgar). 
',\    E  li  prodom  e  sa  muller 

L'unt  pris  mult  bel  a  resuner  (Lestorie  des  En- 

[gles). 
3.   Donc  prist  un  jor  sovent  a  dire 

K'aler  voleit  à  Deu  servir.  (Ibid.) 
i.   Quant  ne  pot  eschaper 

Dune  cumenee  a  crier  (Bestiaire). 
5.   Mcis    des    que    il    ou)    tant    espruvee    sa    vie 


286  Ml.   DE   SAINT    RICHARD 

Cummençal  li  prophètes  ;i  faire  ses  sermuns 

\(\)r  sainl  Jean). 
6.    Par  le  bois  comence  a  fuir  (se.  la  hisse)  (S.  Gil- 

[les). 
» .    I  mue  cumen.ee  a  Grier 

Forment  a  guaimentèr  (Bestiaire). 

8.  Li  abes  prent  a  merveiller.  (Brandan.) 

9.  Prist   lui  en  .-un   visage   la   culur  a   muer.   (Fan- 

|  tosme.) 

10.  E  cumença  dune 

A  veillire  a  Deu  orer.  (Adgar.) 

11.  Si  se  comcncc  a  purpenser  (S.  Gilles). 
1*2.   E  si  començat  a  plurer.  (Adgar.) 

13.  Mais  de  une  ren   li   prist  lalent 

hunt  Deu  prier  prent  plus  suvent.  (Brandan.)  (1). 

14.  Quant  ennuie  sunt  de  plurer 

Sil  comencent  a  regrater.  (S.  Gilles.) 

15.  Li  reis  se  comence  a  seigner  (ibid.). 

Nous  carderons  les  mêmes   numéros   d'ordre  pour  nos 
exemples  tirés  de  textes  français  : 

1.  Li  uns  por  toz  'an  prist  a  apeler  : 
«  Aynieris  sire  fêtes  nos  escoutèr  ! 

De  vos  meimes  venom  a  vos  clamer    (Les  Nar- 

.    [bonnais.) 

2.  Ses  ines   Bertrans  l'en   prist   a  araisnier.   (Cour. 

[de  Louis.). 

3.  Erec  le  vavasor  apele 

Si  li  a  comancié  a  dire    (Ereic.)  (2) 

4.  l-]t  voit  Huôn  a  escrier  li  prisl  ;  (Huon  de  Ror- 

[deaux) 

5.  11  fisl  que  l'rans  et  de  bon  eire 
Que  il  H  comança  a  feire 

Sanblanl  que  a  lui  se  randoit    (Yvain.) 

6.  Coinenl   l'eda  a   enfoïr 

Et  puis  si  s'en  prisl  a  fuir.  (Rustebuef.) 

(1)  Burghardt   a   omis  cet   exemple. 

(2)  Cité    par    Burghardt. 


VIE   DE   SAINT    LUCHARD  287 

T.    I  anl    doucemenl    ;i    guaimenteir   se    prist.    (Ro- 
[mance  dans   Barlsch,    Langue  el    Litt.    112,  6.) 

8.  Forment   s'en   prisl   a   merveillier.   (Sainte   Marie 

[l'Egyptienne,  ms.   B.  M..  Add.s  36614.) 

Autre  version   : 

Mull  s'en  comence  à  merveillier.  (Ibi-d.  ms.  Ai-. 
[3516.  Ces  mss.  sonl  du   Nord  Est.) 

9.  Quant  Garsire  l'entent  prist  colour  a  muer.  (Flo- 

[rence  de  Rome.) 

10.     Derechiëf  comence  a 

aorer  (Rusiebuef). 

il.    l.i  Emperere 

Baisse!  sont  chief  si  comencet  a  penser.  (Roland.) 

12.  Derechiëf  comence   a   plorer (Rustebuef.) 

13.  Li   plusor   prirent    Damedieu   à    priier.    (Adenet, 

[Enf.  Ogier.) 
li.   Eus  en  son  cuer  la  (la  ville)  a  regreter.  (Prise  de 

[Cordres.) 
L5.    De  tant  de  reis  se  comence  a  seignier.  (Cour  de 

[Louis.) 

Même  Stimming,  dans  une  note  au  vers  148  de  Boeve 
de  Haumtome  (p.  L30),  fait  observer  (jue,  «  par  analogie 
du  moyen  anglais,  les  auteurs  anglo-normands  emploient 
volontiers  prendre  el  comencier  suivis  de  a  et  d'un  infini- 
tif dans  le  sens  de  l'infinitif  simple  ».  On  peut  opposer 
aux  exemples  que  celui-ci  a  relevés  dans  Boeve,  des  ex- 
pressions parallèles  tirées  de  poèmes  français. 

16.  La  dame  li  veit,  si  prenl  a  repeirer   (Boeve,  228.) 

17.  El  la  file  le  rei  le  prent  a  regarder.  (Ibid.,  430.) 

18.  Quant  Bradamund  veit  que  ne  poeit  plus  durer 
Far  une  valeie   prist   a   retiirner    (Ibid.,   621-2   ; 

[même  verbe,  v.  739.) 

19.  Li  cnl'es  vint  devaunt  le  emperur  a  vis  fer 
Ilardiemenl  comença  a  parler.  (Ibid.,  vv.  289-90, 

[même  verbe,  688  et  1040.) 

20.  Trestol  en  chauntanl  comence  a  chivacher.  (Ibid.. 

[865.) 


288  Ml.   DE   SAINT    RICHARD 

21.   Kaunt  Bradamund  le  oi,  si  comence  a  trembler. 

[Ibid.,  901.) 

Les  exemples  suivants  correspondent  à  ceux  que  nous 
venons  de  relever  dans  Boeve  : 

16.  Yespres  ert,   n'i   voll   faire   plus 

A  l'osl  s'en  prist  a  repairier.  (Eneas,  1868.) 

17.  L'espee  fors  dcl  fuerre  trel 

Si  la  comence  a  regarder.  (Erec,  i671.) 

18.  Vers  Salerie  prenenl  a  reslorner    (Prise  de  Cor- 

[dres,   1232.) 

19.  Mais  li  cuens  Guenes  se  fui   bien  porpensez 
Par   grant   savoir   comencel    a   parler.     (Roland, 

. .         [425.) 

20.  Ouanl  li  baron   pensenl  à  deslogier 

Vers   Origni    prisenl    a    chevauchier.    (Raoul   de 

[Cambrai,  2095-6.) 

21.  Lonbarl     l'entendent,     h    pristrent     a    trembler. 

[Aym.  de  X..  3960.) 

Pour  ce  qui  concerne  l'influence  anglaise,  la  question 
est  rendue  forl  compliquée  par  le  l'ait  que  non  seulement 
gan  (suivi  de  l'infinitif  et  la  préposlion  la)  mais  aus-i 
can  (1)  (suivi  de  l'infinitif  sans  préposition)  sert  à  former 
îles  périphrases  Dans  les  plus  anciens  mss.  du  Cursor 
Mundi.  gan  ei  can  sont  employés  indifféremment  :  au 
commencement  du  xive  siècle,  can  est  d'un  usage  établi 
dans  les  dialectes  du  Nord  et  le  commencement  de  la 
confusion  date  de  la  période  avant  1300  pour  laquelle  les 
documents  font  défaut,  Can  s'appropria  bientôt  le  sens 
d'un  simple  auxiliaire  du  passé  comme  did  en  anglais  mo- 
derne. Le  plus  ancien  exemple  (tiré  du  Çursor  Mundi) 
date  d'environ   1300    : 

Moyses on  (lie  roche  kan  stand  (2). 

Les  plus  anciens  exemples  de  gan  datent  d'environ  1200. 

(1)  Cette  confusion  est  due  uniquement  à  la  phonétique,  mais  à 
can  ont  été  substituées  des  formes  du  passé,  coulrfp,  etr.,  quand  une 
fois  le  changement  de  t/rrn   à  can  ne   fut   plus  compris. 

(2)  M.   commença  à   se  tenir   (=se  tint)   sur  le   rocher. 


vir.  Di.  ?aint  richard  289 

a)  Tho  thë  gunnen  hère  guites  beter  and  betere  lit' 
leden  (1).    (Ode   morale,   circa,    1200.) 

b)  Ile  gan  thennken  olï  himmsellf.  (Ormin,  3274, 
circa,    L200.) 

Il  résulte  donc  de  nos  recherches  que  le  moyen  anglais 
ne  présente  pas  d'exemples  de  cette  construction  avant 
1200(2),  tandis  que  l'anglo-normand,  d'accord  avec  l'usage 
français,  en  offre  des  centaines  dans  les  textes  "du  xn" 
siècle.  Burghardt  n'en  a  pas  relevé  moins  de  cent  dans  le 
Bestiaire,  Brandan,  Gaimar,  le  Jeu  d'Adam,  Adgar,  S. 
Gilles,  etc. 

Nous  avons  d'antres  raisons  pour  douter  que  cette 
construction  soit  due  à  l'analogie  du  moyen  anglais.  Une 
vie  de  sainte  Mari»1  l'Egyptienne,  que  nous  allons  publier 
sous  peu,  existe  dans  six  mss.  complets  :  l'original  est 
l'œuvre  d'un  poète  anglo-normand,  et  l'un  des  mss.  est 
apparenté  de  très  près  à  cette  œuvre,  tandis  que  les  au- 
tre- sont  îles  versions  continentales.  Dans  ceux-ci  les  so- 
lécismes  et  les  anglicismes  de  celui-là  sont  corrigés,  mais 
pas  une  seule  fois  une  phrase  avec  commencer  et  pren- 
dre n'a  été  changée,   p.  ex.    : 

1.  A.  (3)  près  de  lui  vit  un  homme  ester 

comença  lui  a  demander  (vv.  237-8). 
B.  (4)    comence  li   a   demander 

2.  A.  premer  les  prent  a  tastuner 

après  les  comence  acoler  (vv.  303-5). 
B.  premier  les  prent  a  tastoner 
e  en  après  a  acoler 

3.  A.  de  la  rive  lost  s'esloignerent 

deskant  a  nager  comencerent  (vv.  295-6). 
B.  de  le  rive  font  eslongier 

(1)  Alors  ils  commencèrent  à  se  détourner  de  leur  méchanceté  et 
à   mener   une    meilleure   vi&. 

(2)  On  pourrait  nous  objecter  que  cette  tournure  n'est  pas  in- 
connue à  l'anglo-saxon  ;  si  des  constructions  analogues  &e  rencon- 
trent comme  p.  ex.  dans  la  traduction  du  roi  Alfred  de  la  Conso- 
lation de  Boèce,   il   n'en  s'agit  pas  moins  d'une  imitation  du   latin. 

(3)  =    A.    Ms   anglo-normand,   Oxford,    Corpue    Christi. 

(4)  B.    =   Texte   critique  des   mss.    continentaux. 


290  VIE   DE   SAINT    RICH  MM) 

o  les  rains  prirent  ;i  nagier 
i .    \.  de  quor  comence  a  suspirer 

c  des  euls  forment  a  plorer  (vv.  -î'JT-8). 
lî.  de]  cuer  comence  a  souspirer 
e  des  iex  forment  a  plorer 
5.    \.     1rs  piez  començad  leschier  (\\.   1447). 
I>.  lo  pies  li  comence  a  lecier. 

D'après  ces  citations,  il  es1  clair  que  cette  construction 
est  connue,  en  anglo-normand  et  en  français,  de  cent  ans 
plus  tôt  qu'en  anglais,  et,  par  conséquent,  nous  nous 
croyons  autorisés  à  nier  absolument  l'influence  anglaise. 
Nous  hésitons  cependant  à  affirmer  la  converse. 

Il  semble  résulter,  des  recherches  que  nous  avons  déjà 
laites  el  que  nous  espérons  poursuivre  el  publier  ailleurs. 
que  celle  périphrase  est  un  pur  latinisme.  i\ous  avons 
relevé  dans  des  ailleurs  latins  de  la  période  même  de 
la  bonne  latinité  (1),  des  exemples  fini  semblent  offrir  des 
modèles  à  la  construction  française  : 

1.  Cicéron  :  Ep.  l'am.,  08,  Ex  Asia  rediens,  cuni  ah 
Aegina  Megarum  versus  navigarem,  cœpi,  regiones  cir- 
cumeirca    prospicere. 

2.  Ibid.  Cœpi  egomet  mecuin  sic  eogitare. 

3.  Sénèque  (2)  :  Epîtres  (ô.-!)  Nondum  oral  tempestas, 
sed  jani  inclinatio  maris  ac  subinde  crebiror  l'luctus.  Cœpi 
gubernatorem  rogare,  ni  me  in  aliquo  litore  exponeret. 

i.  Ibid.  (.V)).  Ex  consuetudine  lamen  mea  circjimspiçere 
cœpi,  an  aliquid  illic  invenirem,  quod  mihi  posset  bono 
esse,  et  derexi  oculos  in  villam,  (pue  aliquando  Vatias  fuit. 

5.  Ibid.  (9n).  Ne  illa  quidem  lam  suptilis  mihi  quaestio 
videtur  quam  Posidonio,  utrum  maliens  in  usu  esse  prius 
an  forcipes  coeperint. 

G.  Ibid.  (90).  Primo  supervacua  coepii  (se.  luxuria),  con- 
cupiscere,  inde  contraria,  novissime  animum  corpori  ad- 
dixil  et  ilius  deservire  libidini  jussit. 

(1)  Nous  regrettons  que  le  fascicule  du  Thésaurus  —  >',,  n'ait  pas 
encore  paru. 

(2)  Nous  suivons  l'édition  Teubner  :  nous  y  avons  relevé  plus 
de  quarante  exemples. 


VIE  m    SAINT   i;k  il  \i;i>  29  I 

7.  [bid.  (11 1).  !..  Arruntius,  vir  rarae  frugalitatis,  qui 
liistorias  belli  Punici  scripsit,  luit  Sallustianus  et  in  illud 
genus  nitens.  Est  apud  Sallustium  :  'exercitum  argento 
fecit',  id  est,  pecunia  paravit.  Hoc  Arruntius  amare  coe- 
l>it  :  posuit  illud  omnibus  paginis. 

s.  Pétrone  :  Satyrae  (■>)•  Perturbatus  ego  habit-u  fratris, 
quid  accidisset,  quaesivi.  Et  ille  larde  quidera  et  Lnvitus 
sed  postquam  precibus  etiam  iracundiani  iniscui,  'tuus' 
inquit  'iste  frater  seu  cornes  paulo  aide  in  conductam  ac- 
cucurrit  coepitque  mihi  velle  pudoreni  extorquere. 

!».  lbid.  (37).  Mou  potui  amplius  quicquam  gustare,  sed 
conversus  ad  eum,  ul  quam  purima  exciperem,  longe  ac- 
cersere  tabulas  coepi  scisitarique,  quœ  esset  inulier  il  la. 
([uai  hue  et  illue  discurreret. 

tO.  Ibid.  ('il).  Ibi,  quomodo  dii  volunt,  amare  coepi 
uxorem  Terentii   coponis,. 

La  construction  esl  eonuue  aussi  des  écrivains  de  In 
basse  latinité  et.  dans  la  Vulgate   : 

11.  Paulus  Diaconus  :  Vita  Maria'  Aegyptiacae,  cap.  xn: 
Scio  autem  quia  si  cœperp  narrare  ea  quae  siint  de  nie. 
fugies  a  nie,  quasi  quis  fugiat  a  facie  serpentis... 

12.  I.  Reg.  xiv,  35.  Aedit'icavil  auteni  Saul  allare  Do- 
mino   :   tuneque   primura    cœpit  aedificare    allare     Domi 
no  (1).  (Comp.  aussi  iv.   Reg.  x,  32.) 

L3.  Marci  xiv,  72.  Prius  quaml  gallus  canlet  bis,  ter  me 
negabis  (2).  Et  cœpil  fïere.  Comparer  aussi  Lucas  xm,  26, 
et  xiv,  29. 

li.  Notre  auteur  traduit  cœpît  contristari  par  devint 
mûmes,  v.  287,  et  Ante...  xgrotare  cœpissetj  par  avant 
k'amaladist  (v.  1325). 

(1)  Il  est  intéressant  de  comparer  les  versions  anglaise  et  fran- 
çaise: And  Sauf  built  an  ultar  unto  the  Lord:  the  sanu  the  «</. 
the  jir*t  altar  that  lie  built  unto  the  Lord  (version,  1611).  Et 
Saùl  bâtit  un  autel  à  l'Eternel  ;  ce  fut  le  premier  autel  qu'il 
bâtit  à  l'Eternel    (version   Ostervald). 

(2)  La  version  d'Ostervald  emploie  chaque  fois  un  temps  simple, 
par  exemple  :  «  Avant  que  le  coq  ait  chanté  deux  fois,  tu  m'au- 
ras renié  trois  fois.  Et  étant  sorti  promptement,  il  pleura  »  (Luc, 
XIII,  26).  Tune,  inripipfis  direre  :  alors  vous  direz  (Luc,  XIV, 
29).   etc. 


292  VU.   DF.   SAINT    RICHARD 

L'emploi  que  fait  Rustebuef  de  comencier  et  de  j>ren- 
dre  mène  à  des  conclusions  pareilles.  Dans  sa  Vie  de 
sainte  Marie  l'Egyptienne  nous  trouvons  six  exemples 
(vv.  731,  871,  885,  890.  983,  1272)  et  dans  celle  de  sainte 
Elizabeth  deux  seulement,  tandis  que  dans  les  chansons, 
le^  complaintes  et  les  dits,  nous  n'en  trouvons  qu'un  seul 
(Nouvelle  Complainte  d'outre-mer,  171).  11  paraîtrait  donc 
(pie  là  où  il  puise  dans  des  sources  latines  cette  cons- 
truction lui  vienne  sous  la  plume,  tandis  que  quand  il 
compose  des  œuvres  originales,   la  périphrase  est  rare. 

L'emploi  de  comencier  (ou  prendre),  suivi  de  l'infinitif, 
esl  souvent  légitime',  surtout  là  où  le  verbe  indique  que 
l'action  est  répétée.  Tel  esl  l'emploi  le  plus  fréquent  dans 
les  plus  anciennes  chansons  de  geste  de  France,  p.  ex. 
dans  le  Couronnement  de  Louis  nous  trouvons  comencier 
suivi  de  seignier,  335  ;  reoillier  (rouler  les  yeux),  511  ; 
brochier,  671,  1885;  mener  guerres,  2672,  et  prendre  suivi 
de  chasteier,  13 'i  :  ùraisnier,  101,  350  ;  conseillier,  546  ; 
relever,   1653. 

L'emploi  esl  surtout  fréquent  avec  les  verbes  araisnier, 
brochier,  huchier  (1)  et  l'usage  légitime  s'est  peu  à  peu 
étendu  à  n'importe  quel  verbe.  On  peut  juger  de  la  fré- 
quence de  la  tournure  par  le  passage  suivant  : 

Tant  chevachierenl  a  force  et  a  barné 
Qu'il  virent  ('ordres,  la  mirable  cité, 
Les  hautes  tors  et  le  palais  listé. 
Li  aumaçors  la  prist  a  regarder 
Ens  en  son  cuer  la  prist  a  rerater, 
De  ses  vers  oilz  comença  a  plorer. 
Voit  Aymeri,  so  prist  a  apeler  : 
«  Sire  Aymeris,  envers  moi  entandés  ; 
»  Veïsles  honques  si  mirable  cité  ?  »  (Prise  de 

[Cordres,  2161-9.) 

La  construction  n'est  pas  inconnue  aux  autres  langues 
romanes  ;  p.  ex.  Ivl  iris  Felips...  comenza  far  apelar  los 

(1)  A  haute  voix  comença  a  huchier  revient  huit  fois  dans 
Raoul  de  Cambrai  ;  c'est  presque   une  cheville. 


VIE   DF.   SAINT    RICHARD  w293 

arcivesques  e.ls  evesques  et  homes  de  religio.  (Bertrand 
de  Born  (Ed.  Stimming,  L892)  razo  17.)  Cominciarsi  a 
dir.  (Dante,  Purg.,  xxvi,  ll.)(l).  Dante  emploie  cominciai 
avec  un  infinitif  sous-entendu  un  grand  nombre  de  t'<  »  i  -^ . 
et   là,  les  traducteurs  préfèrent   un  temps  simple. 

§  68.  Infinitif  précédé  de  volelr  ('2)  =angl.  will, 
would. 

Cette  construction  ne  se  rencontre  pas  souvent  dans 
nuire    texte    : 

I.  mes  en  autres  le  vout  profiter,  390. 
S,  "ii  joie   voul    lur  douer  asent,    1-86. 

Elle  est  rare  dans  1rs  textes  de  France  (conip.  Rur- 
ghardt,  p.  51).  mais  très  fréquente  en  anglo-normand  : 
nous  doutons  qu'il  faille  y  voir  l'influence  anglaise.  L'em- 
ploi est  plus  commun  quand  il  \  a  négation  :  p.  ex.  ne 
voul   pas  celer  sa  clergie,  392. 

§  69.  Le  verbe  et  son  complément. 

comencer  sans  a,  voy.  le  paragraphe  précédent  et  Bur 
ghardt,   p.  28,  note 

covoiter  sans  a.  vv.  809,  1167  (comparez  Simund  de 
Freine,  Rom.  de  Pli..  1 186).  Tant  coveite  <rf  l><>is  tenir: 
variantes:  vodreit  a  et  désire  a. 

enginier  de,  1310.  Autrement  nous  ne  trouvons  que  le 
verbe  réfléchi  suivi  de  de.  Dans  noire  texte,  enginier  a 
subi  peut-être  l'influence  de  deceveir,  avec  lequel  il  est  lié 
dans  la  phrase. 

eslire  a,  576.  Construction  qui  provient  de  la  confu 
sion  entre  eslire  a  eslre  et  eslire  régime. 

joindre  ou.  1240.  Comparez  Simund  de  Freine.  Rom. 
de  Phil.,  1045  :  Amertume  od  duzur  ioint  (variante  a). 

plere  sans  a,  536.  La  leçon  est  peut-être  fautive. 

(1)  Blanc,  Vocabolario  dantesco,  cite  une  vingtaine  d'exemples 
et   ajoute  «  e  spessissimo  ». 

(2)  Tobler.  Vermischte  Beitrnye  Erste  Reïlhe,  p.  166.  Zweite 
Reihe,   p.    37. 

20 


W 


VII.    DE    SAINT    HKTIAHD 


Peut-être  faut-il  ajouter  :  avoir  talent  sans  de,  p.  ex.: 
Idh-nl  lui  vint  pour  équité  saver,  i86-7.  (Nous  avons  pro- 
posé on  note  une  autre  leçon.) 

$  70.  I.e  verbe  et  un  CQmplément  adverbial. 

Nous  enregistrons  ici  quelques  expressions  verbales  qui 

sont  ducs  peut-être  à  l'usage  germanique  (1).  de  changer 
le  sens  de  l'infinitif  simple  par  des  préfixes    séparables 

ou   lixes,  j).  ex  : 

ail  :  stehen,  beistehen,  Beisteher,  er  stand  bei 
angl  :  stand,  stand  by,  bystander,  lie  stood  by. 

Il  est  possible  aussi  que  le  préfixe  eût  perdu  <n  signi- 
fication étymologique  (conip.  paragraphe  73).  Notre  lexte 
offre  les  exemples  suivants   : 

expira  tut  hors.  1271 . 
haucer  dehors  de  cure,  665. 
Iribla  hors,  834. 

§71.  Différences  de  mois  et  de  phrases. 

a)  estre  —  deveir. 

1.  sui   a   venir,    1426. 

2.  e  pur  ceo  k'avenir  esteil 

par  Deu  tpie  evesque  serreit.  323  1. 

3.  ke   pas  sulement  a  bons  n'esteil 
a  loenge  e  a  grâce  doner 

mes  as  envius  turmenter,  656-60. 
\ .   mais  en  celé  (ferie)  ke  est  a  venir  prochein.  1438. 
5.   Puisque  le  seinl   cors   Richard  dreit 
a  laver  e  (a)  vestir  esteil,  1593-4. 
h)  demorer= continuer  à  être. 

Boniface...   voudreit...  que  sot  chanceler  demo- 

[rasl,  888  (comp.  604). 
c)  devenir-  venir. 

mes  ne  saveinl  u  lu  devenu,   436. 


(1)  Il  paraît  que  dans  plusieurs  dialectes  a  voisinant  des  idiomes 
germaniques,  on  se  sert  de  ces  compléments  encore  aujourd'hui, 
p.    ex.     :    couper   bas    (=    allemand   abschneiden),   en    wallon. 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  295 

(Comparez  Boeve  de  Haumtone,  2721:  Ha,  Josian  ou  de- 
venir purreis  el  la  aote  et  si  devient= peut-être  dans  Si- 
inund  de  Freine  roui,  de  Pli.,  567.  Comparez  aussi  Bur- 
ghardt,   |>.  80.) 

d)  enseuremeni     arec  <  ertitude  (Godefroy). 

le  L'eist  par  lui  enseurement,  til8. 

Les  deux  exemples  relevés  par  Godefroy,  111,  236,  sont 
tirés  du  Secret  des  Secrez,  voy.  [ntrod.  p.  246. 

e)  cum  (l)  =  que,  p.  ex.  angl.  as  dans  les  phrases  :  such 

as,   so   inany   as    : 
L'ercevesque  (mut)  se  joi>seii 
de  fiel  chanceler  cum  il  aveit,  601-2. 
!')  tant  de=tel:  vv.  1364,  1599. 
g)   1.  aveir  le  grant,  604;  voy.  ce  vers. 

2.  veer  son  (  <dl  —  avoir  son  voil,   188. 

3.  ne  pas  prendre  force,  342  =  ne  pas  faire,  force. 
h)  a  retelée,   1053;   voy.  ce  vers. 

j)  ceo,  souvent  inséré  ;  voy.  vv.  703,  700. 
k)  Quelques  adverbes  et  prépositions  : 

1.  En  combinaison  avec  ceo  : 

de  ceo  après    1000;   derechef  de  ceo,  557;   estre 
ceo  (en   normand  aussi). 

2.  /<-/  manere  -  angl.  in  such  wise,  457. 

3.  ou  /u/  =  augl.  withall,  373.   1290,   1354,   1451. 

4.  a  la  feiz,  571,  047-9,  1001  ;  une  feiz,  1007. 

5.  en  uîi   endreit  =  d'un  côté,    141,   1665. 
(i.   endreit  =  angl..    straightway,    200. 

§  72.  Perte  de  préfixe. 

Les  mois  d'emprunt  en  moyen  anglais  témoignent  sou- 
vent d'une  perle  de  préfixe,  p.  ex.  fender  (garde-feu) 
<  de  fender.  On  trouve  des  exemples  de  celte  perte  en 
anglo-normand,  el  il  faut  supposer  que  le  préfixe  est 
muet  dans  beaucoup  de  cas,  si  on  tient  à  rétabir  la  me- 
sure des  vers. 

(1)  Nous  croyons  que  sur  le  continent  l'emploi  de  comme  pour 
que  est  restreint  aux  locutions  adverbiales.    Oomp.    vv.   498  9. 


296  VIT.    1)1     SAINT    RICHARD 

Le  préfixe  est  perdu  dans  :  pres  =  apres,  812,  1269  : 
cueillit.  260  (•comp.  le  texte  latin);  seigna  enseigna,  388, 
1226  :  seignit,  1242  :  seignant,  179  :  veschié.  1003  : 
drescer=adrescier,  600  :  spécialité.  952.  Dans  une  foule 
de  vers,  il  faut  omettre  le  préfixe  :  acumplie,  .ViO  :  acum- 
plir,  497;  afubler,  954;  amené,  1614;  aperceut,  1651  ; 
apparaillast,  1378  ;  aparaille,  129,  1638  ;  apendeit,  412  : 
apendent,  434,  930  ;  après,  358,  1233  :  aprestez,  1476  ; 
nsignè,  907  ;  asemblé.  908  ;  avancer,  250  ;  aventure,  765  ; 
uns,  1608  ;  avision,  1101;  dans  Gaimar,  3'i8.  avendreit  = 
rendreit. 

On  a  déjà  noté  devenir  pour  rr/ur  (paragraphe  71  c), 
dans  les  mots  suivants,  il  faut  supposer  la  perte  du  pré- 
fixe :  deces,  99  ;  dehors,  1072,  1105  (notez  dedenz  et 
dehors  forment  un  groupe  de  quatre  syllabes,  1072)  ; 
r/e/i/,  21  ;  demanda,  418.  471,  433  ;  endemein,  1355  : 
demeine,  367,  1138  (comp.  1582)  :  demeneil,  96,  604  : 
demureit,  1012;  demura,  604,  1014,  1657;  demurast,  278; 
demustreit,  48  ;  derechef,  641,  1391  ;  dereine,  733  : 
desuth,  1484  ;  désirèrent,  589  ;  despit,  646  :  despuillié. 
1656  ;  f/euan/,  1388,  1464  :  deuine,  1102  ;  c/erisa,  1548. 
Même  la  préposition  suivie  d'un  infinitif  semble  avoir 
subi  la  même  synérèse  :  p.  ex.  de  turner,  1185,  et  peut- 
être  Je  sugez,  896  (oemp.  Suehier  :  S.  Auban.  p.  34)  et 
de  p/us  tard,  w.  155,  1036.  Les  locutions  ./>m-  '//•<■/•.  330, 
et  /<«/'  amur.  368.  comptent  aussi  pour  deux  syllabes  cha- 
cune. 

ensemple,  1182  ;  especial  1327.  1410  :  espira,  1270  : 
espirit  (1),  148  (comp.  angl.  spirit);  esparplie,  657  :  es- 
pusast,  268. 

D'après  Koch  (Chardri,  Introd.,  xi.n).  le  préfixe  re- 
peut aussi  tomber  :  Mat/.ke  (Simund  de  Freine,  fnlrod.. 
xi. ix)  doute  que  ce  procède'1  soit  légitime.  Mous  axons  pu 
proposer  des  corrections  pour  les  vers  367,  revint  :  re- 
fréné, 766  ;  repentante.  1234  :  renumé.  1260  ;  mais  pour 
rebuta,  179  ;  regardez.   1079  :  remembrer,  102  :  resplen- 

(1)  Vu  la  graphie  esperit  1038  et  esprit  745,  1405,  il  faut  scander 
peut-Être  comme  le  mot  se  prononce   en   fiançais   moderne. 


VLE    DE    SAINT    RICHARD  297 

dvsseit3  1197  :  réassembla,  1008  :  retenu,  i04,  il  faul  avoir 
recours  à  la  synérèse. 

Dans  Gaimar,  Lestorie,  200,  un  ms.  porte  regehil  et 
deux  autres  gehit  .  la  mesure  exige  gehit. 

§  72  à).  Changement  de  préfixe. 

A  la  perte  de  préfixe  se  rattache  le  changement  de  pré- 
fixe :  p.  ex.  enverrez =averrez,  1050  ;  envittie  =  eveiltier, 
218,  837,  1155,  1543;  ensample,  1182. 

Versification 

§  72  (b). 

Les  poètes  anglo-normands  du  xiue  siècle  se  servent 
presque  exclusivement  de  l'octosyllabe  pour  leurs  œuvres 
morales  el  didactiques.  Ces  ouvrages  sont  écrits  en  vue 
de  la  lecture  à  haute  voix,  et  cela,  à  un  moment  où,  sur 
le  continent,  les  poèmes  du  même  genre  en  vers  octosyl- 
labiques  sont  le  plus  souvent  destinés  à  être  lus  en  par- 
ticulier. Ceux-ci  son!  composés  par  des  poètes  de  profes- 
sion qui,  ayant  la  langue  bien  en  main,  la  manient  à 
souhait,  et  ils  appartiennent  à  une  langue  en  plein  déve- 
loppement. Ceux-là  sont  des  élucubrations  de  clercs  dont 
le  français  n'est  point  la  langue  maternelle  :  ce  sont  les 
produits  d'une  littérature  à  son  déclin. 

Aussi  bien,  dans  les  premiers,  comme  la  langue  se  meut 
;'i  l'aise,  le  vers  est  d'une  facture  preste  et  fort  souple 
d'allure.  Dans  les  autres,  un  nombre  considérable  de 
vers  où  l'ordre  grammatical  est  sans  cesse  interverti 
prouve  l'embarras  où  est  le  poète  pour  amener  la  rime  : 
la  marche  du  vers  est,  en  conséquence,  boiteuse,  et  su- 
jette aux  à-coups. 

Dans  le  poème  qui  nous  occupe,  des  centaines  de  vers 
se  distinguent  de  la  prose  par  cet.  ordre  poétique  des 
mots.  D'aussi  nombreuses  ruptures  dans  l'enchaînement 
des  idées  amènent  de  fréquents  repos  dans  le  corps  du 
vers  et  impriment  au  débit  les  saccades  et  les  heurts  de 
la  conversation. 


298  Ml     1)1     SAINT    RICHARD 

D'ailleurs,  à  la  fin  du  \m'  siècle,  la  prononciation  an- 
glo-normande ne  ressemble  plus,  tanl  s'en  faut,  à  celle 
de  France,  el  on  voit  paraître  dans  les  vers  un  nombre 
variable  de  syllabes.  Il  y  a,  dans  bien  des  vers  de  notre 
poème,  un  efforl  manifeste  à  couper  le  vers  en  doux,  pour 
en  former  pour  ainsi  dire,  deux  groupes  de  souffle. 

Dans  ces  groupes,  el  dans  le  premier  surtout,  on  peut 
avoir  plus  de  quatre  syllabes,  el  à  la  fin  du  premier  on 
a  souvent,  an  moins  une  fois  sur  dix  nu  e  muet  (-c  es 
ou  cul .  (comp.  paragraphes  \  el  105).  Nous  hésitons  à 
comparer  cette  syllabe  hypermétrique  à  la  césure  épique, 
puisque  >a  présence  n'est  guère  à  signaler  dans  les  poèmes 
anglo-normands  avanl  la  période  <>ù  la  langue  commence 
à  s'écarter  sensiblemenl  de  celle  de  France.  Aussi  faut-il 
noter  que  dans  notre  poème  une  espèce  de  césure  se  pro- 
dml  presque  toujours  aux  vers  où  l'ordre  grammatical  est. 
changé  pour  des  raisons  poétiques. 

Mous  avons  examiné,  en  ce  qui  concerne  l'e  muet  après 
la  quatrième  syllabe,  deux  poèmes  anglo-normands  com- 
posés  à  une  trentaine  d'années  de  distance  l'un  de  l'au- 
tre, pour  les  comparer  au  poème  qui  nous  occupe  : 

1°  ha  Vie  de  sainte  Modwenne,  nis.  de  Welbeck  (1),  les 
cent  premiers  quatrains. 


(1)  Nous  citerons  les  exemples  tirés  de  la  vie  die  Modwenne  et 
nous   renverrons  à   l'édition  de  Koch   pour  ceux  pris  dans   Chardri. 

a)  Ke  Deu   servirez*/   a  granz   dolurs  10  d 

b)  E  des  pm-eles   ke  purrirm  dire  11  a 

c)  Par    un    eveske    de    bonne    vie  30  b 

d)  De   la    no  vêle    quant   Tout  oïe  35  d 

e)  Une  pucele  li  ad  liveree  45  b 
/)  A  un  prodome  k'il  mut  ama  46  b 
g)  En  ouverture  n'en  ublie  mise  53  d 
ïi)  Ne  pour  la  dame  ses  biens  celer  55  a 
i)  Beu  fiz  ele,  ça  entendez  59  a 
j)  Cez  merveille  de  beste  mue  68  b 
k)  Cul  vert,  fet.  ele,  par  ta  folie  69  c 
/)  La  gent  paene  ke  ert  maumiee  81  a 
m)  Nobles  pucele*  i  fet  vêler  85  c 
n)   Pur  Deu  requérez  ke  l'em  les  guie  98  c 

(Chardri.  —  Edition  Koch.  —  Les  vers:  61,  64,  65.  76,  83, 
101,  118,  124,  151,  200,  205.  237,  243,  249,  264,  269,  272,  274, 
288,  300,  301,  305,  334,  343,  348,  357,  379,  398.) 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  299 

2°  Chardri  :  Le  Petit  Plet,  vers  1-100. 

Dans  le  premier,  nous  en  trouvons  15  exemples;  dans 
Chardri,  28,  et  dans  un  même  nombre  de  vers  de  notre 
poème,  43. 

Cet  écart  du  système  métrique  du  continenl  semble 
donc  correspondre  à  la  détonation  plus  ou  moins  avancée 
de  la  langue  (1). 

Détermination  du  nombre  de  syllabes 

Pour  faciliter  la  comparaison  avec  d'autres  textes  an- 
glo-normands, nous  suivons  ici,  pour  les  différents  phé- 
nomènes, l'ordre  adopté  (d'après  Gnerlich)  par  Matzke, 
dans  son  édition  des  œuvres  de  Simund  de  Freine 

8  73.  L'e  atone  final,  non  suivi  d'une  voyelle,  peut 
s'élider  après  une  voyelle   : 

a)  Voyelle  e  :  nulcc,  1058.  (Pour  née,  66,  etc.,  coinp. 
paragraphe  4  B  a.) 

b)  Voyelle  i  :  abbeïe,  1002  ;  aie,  59  ;  crucifie,  1193  ; 
curteisie,  438  ;  ferie,  1425  ;  folie,  18  ;  ioie,  728,  749,  etc  : 
mie,  729,  1366  :  maladie,  154,  494,  etc.  ;  Marie,  625  ;  par- 
tie, 1105,  1107,  etc.  ;  russeie,  1243  ;  signifie,  76,  1104, 
etc.  ;  veie,  26  ;  vie,  13,  48,  49,  95,  etc. 

Notez  surtout  l'adverbe  veraiemeni,  211,  537,  806,  etc., 
el  la  graphie  veraiment,  677,  1173. 

L'élision  se  fait  au  pluriel  également  et  dans  les  mêmes 
conditions   :  maladies,  140;  plaies,  1206;  vies,  13. 

c)  Voyelle  u  :  rues,   1662. 

§  7i.   L'e  atone   peut  être  aussi  sonore  quand  le 
vers  est  sans  césure  : 

esleie,  548  ;  ioie,  609  ;  veraiemeni,  1135. 


(1)  Nous  ne  voulons  plus  grever  cette  introduction  déjà  trop 
longue  par  les  résultats  d'un  long  examen  de  textes  anglo-normands 
que  nous  avons  dans  nos  cartons  ;  nous  remettrons  à  un  article 
ad  hoc   la  question  de   l'e   muet  dans   la  poésie  anglo-normande. 


300  VIF.   DE    SAINT    KM  HARD 

§  74.  L'e  aftone  après  une  liquide  peut  s'élider  : 

a)  Au  féminin  des  adjectifs  :  bêle,  1093,  1103  ;  maie, 
234  ;  nuit,  1112  ;  mie,  860  :  vile,  839. 

b)  Aux  pronoms  :  celé,  362,  375,  1 439  (graphie  cet, 
970)  ;  quele,  289. 

c)  \ux  substantifs  :  /  :  espusaille,  277  ;  /iWe,  510  ; 
M,7r.  822  :  parole,  1242,  L306  :  nuce/e,  200,  509  ;  ville, 
67,   'i93. 

El  au  pluriel  aussi,  cl  dans  les  mêmes  conditions  :  ca- 
vales, 186  ;  eles,  681  ;  entrailles,  1619,  1623  ;  paroles, 
697,  1468. 

/•  :  aventure.  763  :  blemure,  1  < > i  :  offre,  1191  :  f//r/ 
/ure.  636  :  enflure,  161,  622  ;  /e/v,  206,  304,  636  ;  /rere, 
271,  283.  295,  303  ;  hure,  1512  ;  /uniere  640,  891  ;  ma- 
nere,  249  :  meihire,  626  ;  père,  607,  762  ;  piere,  137,  153, 
476,  olc.  :  prière,  603  ;  sépulture,  1627  ;  /e/re.  181,  263, 
299,  307,  etc.  :  vesture,  846  ;  uncorc,  181,  1091. 

Et  au  pluriel  :  frères,  792. 

L'omission  est  surtout  fréquente  aux  adverbes  :  fière- 
ment, 962,  1461;  folement,  10.  18  :  sulement,  265,  352, 
658.  1461  ;  quelquefois,  l'adverbe  s'écrit  aussi  sans  e  : 
charment,  958. 

§   76.   Cet   e   peut  être  scandé  dans  les  vers  sans 
césure  : 

bêle,  llli  ;  celé,  362.  988  :  demisele,  520  :  fere,  781  ; 
encore,  189  ;  quele,  195  ;  terre,  231,  et  même  l'adverbe 
sulement,  265,  785.  Et  aussi  au  pluriel  :  prières,  1314  ; 
bêles,  1486  ;  ve illies,  560  (comp.  836). 

Il  y  a  exception  apparente  au  vers  788.  où  cure  compte 
pour  deux  syllabes  :  ici  le  texte  latin  n'esi  pas  très-  fidèle- 
ment mis  en  français,  et  il  est  probable  que  la  leçon  est 
fautive. 

§  77.  Le  mot  sjfc  compte  généralement  pour  une 
syllabe,  surtout  quand  il  est  suivi  d'un 
nom   propre    : 

P.  ex.  1413,  1436  (au  vers  1427,  il  est  écrit  sir  Symun, 


VIE   DE  SAINT    RICHARD  301 

graphie  que  conserve  l'anglais  moderne)  et  aussi  à  un 
repos,  1475.  \n\  \ers  1107,  la  scansion  est  douteuse 
(comp.  paragraphe  100).  et  pour  le  vers  1431,  nous  avons 
proposé  une  autre  leçon. 

§  78.  Après  nue  labiale  les  exemples  ne  sont  pas 
probants. 

I  .Y  semble  muet  dans  satire,  439  ;  chape,  951,  966  ; 
vive,  998,  tandis  qu'au  vers  956  chape  compte  pour  deux 
syllabes.  La  leçon  n'est  pas  certaine  pour  uisive,  866. 
Dans  pavement,  1368,  et  hastivement,  421,  428,  dans  des 
vers  sans  césure.  IV  féminin  esl  sonore,  tandis  que  pour 
entivement,  1020,  nous  avons  proposé  une  autre  leçon. 

Dans  un  vers  sans  césure,  on  a  aubes  (=2  syll.). 

§  79.   L Y  esl  souvenl  muet  après  une  dentale  : 

chose,  289;  1301,  etc.  :  dite,  1513  ;  estude,  70,  789  : 
église,  906.  1118,  1305,  1356,  1624,  etc.  ;  face,  821  ;  grâce 
117,  175,  377,  52  i,  659  ;  gute,  982,  002  ;  haute,  891  ;  ma- 
lade, 969,  991  :  malice,  180  ;  mte,  127  ;  parose,  869  ; 
propice,  084,  685  ;  place  {placeai),  1208  ;  rose,  1007  : 
teste,  458,  et  les  adverbes  ducement,  1467  ;  heiement,  372. 

Tule  est  souvent  monosyllabe  :  p.  ex.  174,  249,  261, 
298,  507,  627,  796,  etc. 

Quand  il  s'agit  de  composer  une  unité  grammaticale, 
Iule  peut  avoir  deux  syllabes  :  p.  ex.  de  iule  part,  91  ; 
de  lu  te  gent,  506,  647  ;  tuite  l'église,  720  ;  taie  manere, 
842,  et  aussi  comme  pronom  tute  vus  renl,  307. 

§  79  a.  Ici  comme  ailleurs,  l'e  est  sonore  dans  le 
vers  sans  césure  : 

dévotement,  1466;  dusse,  1304;  multitude,  1531;  puisse, 
1456  ;  sause,  134.  Dans  les  locutions  espuse  bêle,  114  ; 
gloriuse  dame,  1196,  la  chute  d'un  e  final  fait  maintenir 
l'e  de  espuse  et  gloriuse. 

Et  aussi  au  pluriel,  estes,  126  :  fêtes,  292  ;  fustes,  306; 
angoisses,  693  ;  cotes,  1032  ;  grâces,  1308. 


302  VIi:    DE    SAINT    RICHARD 

§  80.  Après  palatale  IV  peut  cire  muet  : 

curage,  1090  :  fresche,  128  :  logike,  329,  334  ;  potage, 
365  :  tecche,  1111  :  et  ['adverbe  sagement,  503:  El  au  plu- 
riel :  reliques,  905  :  sages,  932  :  riches,  1005. 

Lorsque  evesque  esl  suivi  d'un  complément,  IV  final 
i'-l  muet,  65,  925  :  el  dans  un  croupe  de  quatre  syllabes, 
l'e  esl  égalemenl  muel  :  142,  346,  1005.  Dans  les  vers 
sans  césure,  IV  est  sonore,  1040,  1062,  1449. 

S  81.  Après  nasale  la  mesure  exige  souvent  l'o- 
mission de  l'e  : 

bone,  71  :  caruine,  1483  :  dame,  L326,  L491  ;  demeine, 
1582  :  dimeine,  1355  :  disime,  1259  :  femme  108  :  /Van; 
me,  1580,  etc.  :  diurne,  90,  110,  883,  1017  ;  prodome,  1116, 
1319.  1535  :  /uw.  985  :  persone,  1530,  1586,  1589  ;  si- 
grne,  80,  1230  :  mine.  1401  :  vergoine,  698  ;  Oxenefnrrl. 
322  (du  reste  la  graphie  Oxenford  esl  connue  d'ailleurs 
ms.  Egerton,  Mus.  brit.,  N°  2710). 

Et  aussi  au  pluriel  :  chanoine,  1)08  :  /unes,  830  :  peines* 
1 471  ;  primes,  1212  ;  sûmes,  1300. 

§  82.  Après  nasale,  Ve  féminin  est  rarement  so- 
nore.  Il  est  sonore    : 

1°  Quand  le  vers  est  sans  césure  :  p.  ex.  aime,  1516  ; 
dereine,  733  (comp.  paragraphe  72)  ;  enclume,  703  ;  pei- 
santime,  833. 

2°  Quand  il  s'agil  de  former  des  croupes  :  d(e)  hume 
chanu,  21'i  ;  eum  lune  bêle,   1118. 

:!"  Quand  il  y  a  enjambemenl  ou  pause  :  certaine,  972  ; 
prodome,  1148.  Pour  meimes  (écrit  même,  243),  la  pro- 
nonciation est  flottante.  Ce  mot  semble  compter  pour  une 
syllabe  quand  il  est  lié  avec  :  1.  un  pronom  :  se  même. 
243  ;  mesmes,  345,  997  :  meimes  cesti,  980  ;  2.  une 
cou  jonction  :  si  meimes.  1362  :  3.  un  subtantif  dont  tou- 
tes les  syllabes  soient  sonores  :  /'(  place  meimes,  451  : 
meimes  le  temptur,  519  :  ke  meimes  la  nuit,  1561  ;  sauf 
quand  le  substantif  est  lui-même  à  la  césure  :  meimes  la 
manere,  141,  279,  1099.  L'e  final  de  meimes  peut  comp- 
ter dans  un  vers  sans  césure,  p.  ex.  1175. 


VIF.    DE   SAINT    RICHARD  303 

§  83.  Après  un  groupe  de  consonnes,  e  el  es  (pour 
ent,  voir  plus  loin)  ne  comptent  pas  dans 
les  cas  suivants  : 

a)  Quand  le  vers  a  une  césure  ou  un  changement  brus- 
que de  l'ordre  normal  :  apostles,  1140  :  halegres,  1252  ; 
iuvente,  184;  membres,  1485  :  podagre,  983;  purveançe  (?) 
1017  :  préséance,  1351  :  recevre,  1552  :  seinte,  1226. 

b)  Quand  les  mots  se  trouvent  à  la  césure  :  chambres, 
360  :  endementres,  'i'iI  :  essample,  705  ;  humble,  504  ; 
hunte,  1471  :  membres,  1008  ;  portes,  1402  ;  pourrie, 
:>7r>  :  profitable,  598  :  uvres,  171  :  abstinence,  834  :  en- 
fance, 213  ;  onurance,    1024. 

c)  Quand  il  y  a  un  effort  manifeste  pour  former  un 
groupe  de  quatre  syllabes  :  espérance,  314  ;  pople,  753  ; 
porte,  417  :  povres,  1627. 

rf)  Dans  les  mois  suivants  qui  se  trouvent  dans  les  vers 
où  la  Leçon  est  peut-être  fautive  :  entente,  192  ;  fierté, 
1639  ;  /turc,  55  ;  membres,  1365. 

§  84.  Après  un  groupe  e  et  es  ont  leur  valeur 
syllabique   : 

a)  Surtout  dans  des  vers  qui  n'ont  ni  repos,  ni  césure  : 
bible,  793,  796  :  conscience,  82  ;  cunle,  2,  7,  15  ;  en- 
cuntre,  193;  enlendable,  53;  eschivre,  640  ;  essample,  336; 
medicinable,  153  ;  muiste,  133  ;  muslre,  533  ;  seinte,  216; 
semble,  848  ;  semence,  145  ;  triste,  288  ;  iufnes,  9,  10  ; 
molestes,  697  ;  mûmes,  287  ;  pertes,  696  :  povres,  645  ; 
princes,  1137  ;  semblables,  876  ;  simples.  871. 

6)  Pour  former  un  groupe  de  quatre  sylabes  :  eftset- 
/>/<•,  276  ;  mettre,  17  ;  mustrance,  80  ;  ordres,  1268. 

c)  Après  enjambement  devant  une  pause  :  chambre, 
350. 

$  85.  Il  y  a  des  mots  qui  contiennent  e  féminin 
après  un  groupe  de  consonnes  qu'il  faut 
considérer  à   part. 

a)  meslre  :  si  ce  mot  est  suivi  d'un  nom  propre  on  a 
élision   :  p.  ex.  m.  Ilamscole,  406  ;  ah.  Richard,  429,  452, 


3(14  Ml     1>I     SAINT    RICHARD 

166  :  -i  Le  iii"i  '"-i  seul,  il  compte  pour  deux  syllabes  : 
336>  106,  120,  192,  sauf  dans  le  cas  où  se  forme  un 
groupe,  'i  1 1  (aux  vers  55,  119,  les  leçons  sont  douteu- 
ses). 

b)  cesle  :  dans  l'expression  en  ceste  vie,  12,  34,  etc., 
IV  est  sonore. 

c)  autres  :  est  monosyllabe  :  a)  dans  un  sens  général  : 
22,  131,  390,  394,  1224,  1654  (sauf  au  vers  1588  qui  est 
sans  césure)  :  b)  comme  adjectif  :  322,  367,  420,  423,  513, 
690,  1109,  1222,  1535. 

Autre  est  aussi  de  deux  syllabes  quand  il  se  joint  à  un 
autre  mot  pour  former  un  groupe  de  quatre  syllabes  : 
106,  893. 

Nostre,  rostre  :  peuvent  être  monosyllabes  ou  dissyl- 
labes quand  il  s"agil  de  former  un  groupe  de  quatre  syl- 
labes :  302,  308  :  ils  sont  dissyllabes  quand  ils  se  trou- 
vent en  combinaison  avec  un  mol  qui  perd  un  e  féminin: 
i37.  ou  quand  ils  sont  dans  un  vers  sans  césure   :  294. 

S    86.    Adverbes    qu    contiennent   groupe  +  e    fé- 
minin. 

(  les  adverbes  forment  souvent  à  eux  seuls  un  groupe 
de  quatre  syllabes  :  p.  ex.  apertement,  1566,  1672  ;  so- 
lempnerneni,  1177  (comp.  hastwement,  paragr.  78);  d'au- 
tres comptent  leur  e  dans  un  vers  sans  césure  :  noblement, 
556  ;  seut/h'iucul,  351  ;  tendrement,  1654  ;  d'autres  en- 
core aspremeni,  258  ;  noblement,  284,  el  surtout  ensement, 
lequel  est  tantôt  de  deux  syllables  :  45,  206,  212,  308, 
320,  505.  531,  538,  1071,  1394,  1618,  et  tantôt  de  trois  : 
77,  381,  404,  512,  805,  837,  1092,  1468,  1642,  1651,  1662, 
semblent   se  soustraire  à   toute   règle. 

§   87.      La   terminaison   -ent  {-eient,   -erent)     esl 
muette  dans  les  cas  suivants  : 

a)  Après  labiale   :  surent,  107  ;  aveieni,  755,  995. 

b)  Après  liquide  :  ierent,  119  :  furent,  151,  688,  1500  : 
prièrent.  121  :  esirent,  576  ;  iugerent,  602  ;  ellurent,  810  ; 
commencèrent,  1365  ;  accurent,  1641. 

c)  Après  dentale  :  fusent,  370  ;  élisent,  946  ;  cessas- 
sent, 1496. 


VIF.   DE   SAINT    RICHARD  305 

d)  A  la  césuTe  :  saveient,  597  :  avuglent,  634  :  gardent, 
678  :  estèrent,  704;  travaillent,  691  ;  recurent,  70:?  :  entre- 
mirent, L395  :  i ■»><•/!/,  1562,  1566. 

e)  \pres  un  repos  :  avindrent,  1510. 

£  88.    La   terminaison  -en/  (-eient,  -ereht)  reçoit 
valeur  syllabique  : 

o)  Quand  le  vers  n'a  pas  de  césure  :  aveini,  547  ;  /u- 
/•.'///,  549,  L529,  1629.  1681  ;  dussent,  565  ;  oient,  797  : 
/ï/rn/.  1228,  1680  :  urcnl,  1276  :  acurent,  1661  ;  alerent, 
1568  ;  chantèrent,  1684. 

b)  Pour  former  un  groupe  :  furent,  197  ;  loerent,  267  ; 
s'entreclinent,  674  :  entrejuent,  717. 

§  89.  E  féminin  entre  consonnes   : 

Cet  c  est  souvent  niuel,  surtout  dans  la  combinaison 
mu(a  c(i//i  liquida  :  p.  ex.  appella,  1331  :  aunteriné,  149 
(voy.  ce  vers)  ;  averti,  1507  :  avérai.  1388.  1446  ;  averum, 
6  :  bacheler,  433  :  blescerez,  474  ;  chanceler  667  :  chan- 
celerie,  635  :  chapelein,  955.  1328,  1495  ;  chevalerie,  1 1  : 
rurrn.  839  :  déférence,  1663  ;  délivrera,  666,  97 i  (écrit 
r/^/iVre.  996)  :  dolerus,  444  :  enseveli,  (614,  1638.  1687  : 
espérance,  968  ;  espuserunt,  119  ;  livere,  78.  235  :  oye- 
raine,  2'»4  :  overe,  688  :  passereit,  1550  :  pèlerinage,  534, 
540,  542  (comp.  fielrimage  Chardri,  Pe/if  P/W.  362,  et 
angl.  mod.  pilgrimage)  :  persévérez,  1100  :  povere,  235  : 
révérence.  1664  :  sauveté,  165  ;  severer,  1154  :  suverain, 
252  ;  Iranslateray,  61  ;  vivere,  364  ;  Pour  /'/<:,  etc.,  voy. 
paragraphe  64  :  digneté,  L660  ;  endemein,  1355  :  ordené, 
124  (comp.  paragraphe  91)  :  parereit,  158  :  pafteners, 
1415  (comp.  angl.  mod.  partner)  :  petite,  1278  ;  venir,  32; 
veneit,  1659  ;  suvenir,   1676. 

§  90.  La  même  voyelle  est  souvent  comptée  : 
h)  Dans  des  vers  sans  césure  :  apellé,   1327  :  chanceler. 

576,  662,  714.  888  :  /Jore/c  (?),   1261   ;  entrecuché,  682  ; 

esbaudissement,   23,  141    :   pureture,   840   ;   recuvereient, 

172  ;  supereit,  1485  ;  sainement.  32.   166  ;  sauveté,  26  ; 
truvereit,  1129. 


306  \  Il     DE   SAINT    RICHARD 

li)  Pour  former  un  groupe  :  angelin,  llo  :  chapelein, 
L373  :  pureture,   127  :  userai.   L480. 

c)  Dans  1rs  substantifs  en  //(<•/»/  :  adresement,  808  ; 
canonizement,  1333  :  consentement,  515  ;  desirement,  ~>I0; 
finement,  807  :  jugement,  L401,  1403  ;  mandement,  1198, 
1203  :  martirement,  1221  :  pavement,  1368  :  preschement, 
1197  :  xtislciicinciit.  1670  ;  vestemenl,  1643. 

<$  91.   La  synérèse  d'autres  voyelles  se  rencontre 

aussi    : 

«  :  firmament,  715  :  maladie,  L357. 

i  :  cherité,  827  :  divinité,  790  ;  humilité,  5,  25,  160,  112, 
1230  :  o/Y/mé  (comp.  817),  845,  918. 

o  :  pardoner,  686. 

u  :  boiiui-é.  1643  :  dretiurel,  580,  649  :  dreiiureument, 
600  ;  honuré,  159,  1186  :  su/um,  919.  945  :  turturele,  1686. 

Hiatus  et  synérèse 

§  92.  a. 

L'hiatus  pour  a  ne  se  rencontre  que  dans  les  mois  : 
prescience,  195  :  mence,  190.  .".28,  376  (comp.  paragra- 
phe ")  A.  a). 

On  a  synérèse  dans  aptai,  770  (comp,  706),  el  aurné, 
1035,  1077. 

§  93.  e. 

On  a  hiatus  dans  les  cas  suivants  :  dehors,  79  (comp. 
paragraphe  72)  ;  sec/,  613  ;  numeemeni,  707  :  creul,  828; 
leaument,  85. 

On  insérera  ici  les  cas  de  L'hiatus  de  l'article  avec  une 
voyelle  suivante  :  le  erceves^ue,  585. 

La  synérèse  esrt  fréquente  dans  les  verbes  :  aparceut, 
289  :  //rus/.  602,  940,  1352  ;  cfeu,  1080  ;  eu,  314,  493, 
'i9i  :  feisse,  58  ;  feisf,  018  :  meisse,  .">7  :  peust,  10'i'i  :  /u/r- 
rueu.  270  :  ueer,  L38,  1465  (écril  uer,  78)  ;  ueu,  270,  2SI, 
889,  et  aussi  dans  les  mois  suivants  :  abbeîe,  1002  : 
beneiçon,  1243,  1354  :  enseurement,  018  :  meule.  1307  : 
/i'uks  (ce  que  rend   pins  certain   la  graphie  delele,   1183, 


VIE   DE   &AINT    RICHARD  307 

el  les  adverbes  leaument,  38,  629  :  leement,  1448,  el  aussi 
leinz,  166,  124,  425,  568,  1005,  L076  (William  de  Wad- 
dington  écrira  plus  tard  lenz). 

§  94.  i. 

Il  y  ;i  hiatus  dans  :  aliance,  1145  :  amiable,  651  :  cons- 
cience, To'i  :  dédier,  L305  :  envius,  000,  872  ;  especiau- 
nwiil,  :îl  (mais  non  pas  au  vers  i2)  :  fiance,  071  ;  fructe- 
fier,  224  ;  glorefier,  1205  ;  /ici:,  151,  246  ;  mendiant,  235; 
obedient,  648  :  patience,  703  ;  pria,  54,  427  :  prières, 
1314  :  science,  379,  559,  7:i'i  ;  signefiek,  1108  ;  ublier, 
L509. 

Il  y  a  synérèse  dans  les  mots  suivants  :  compatient, 
257,  963  :  conscience,  82  ;  cristienté,  1185  :  escient,  1105: 
especial,  300,  I0i5,  1410,  1327,  1330  ;  fisieiens,  1394  ; 
gloriu.se,  1491  ;  gracius,  82,  91  ;  nient,  426  (comp.  Zeits- 
chrifi  fur  rom.  Piiilotogie ,  xxvi,  97)  ;  prières,  1020  : 
sapience,  165  ;  spécialité,  952  ;  viande,  128. 

§  9ô.  Quant  à  la  terminaison  -iun,  on  paraît  avoir 
l'hiatus  quand  le  mot  est  en  rime  avec 
un  autre  mot  en  -un  et  aussi  quand  la 
rime  se  compose  de  deux  mots  en  -/nu  : 
p.  ex.  5,  179,  561,  725,  933,  Mil  :  et 
71,  679.  730,  920. 

Dans  le  corps  du  vers,  on  a  synérèse  :  92,  17o.  694, 
<J '.2.    1101,    1150,   1159.    L414. 

§  96.  o  (u)   : 

Il  y  a  hiatus  dans  :  aluast,  1590  :  joisseit,  661  ;  locngc, 
059  ;  où\  14,  16,  359  :  pruesce,  20. 

La  synérèse  csl  la  règle  dans  :  poust,  32  :  purvueu,  270; 
sou[s]f,  1380. 

u  :  Il  y  a  hiatus  dans  :  coniinueil,  i95,  501  :  /'(/ut.  127. 
130  ;  remuer.  I(»I4  :  vertuus,  502  :  et  synérèse  dans  >'<<- 
muel,  2()3,  el  peut-être  dans  assiduel,  i79  (comp.  para- 
graphe 72). 

§  97.  Il  y  a  hiatus  de  /■<•  dans  les  vers  suivants  : 
41,  230,  231.  207.  324.  329.  520,  557  :  el 
synérèse  dans  67,  266,  346,  etc. 


308  \  tE    DE   SAINT    RICHARD 

>;  98.  La  contraction  de  deux  syllabes  dans  deux 
mol-  qui  -'■  suivent  est  assez  raie  dans 
notre  poème  : 

poi  en,  M  :  le  ensement,  206  :  ke  ne,  i95  ;  fu  en,  504  : 
U  esleit,  621,  760,  953,  1040  :  //'  apendeit,  930  (comp.  v. 
270);  si  /<•,  672;  .s/'  a,  443;  que  le,  904  ;  e  allégement,  1025; 
//«//•  /<-,  1059  ;  //  aure,  1644  :  ça  endreit,  i42. 

La  contraction  paraîl  avoir|  lieu  daais  beaucoup  de 
vers  où  le  premier  mot  est  e  (<'/)  :  p.  ex.  e  £/,  1019,  1087, 
1192.  etc.  ;  e  en,  249,  1188  ;  e  a,  531,  1423  ;  e  a/,  1360  : 
e  le,  271,  1168,  1505  ;  e  de,  896,  1133  ;  e  aussi,  1266-7  : 
e  /<u/,   1  1 15  ;  e  par,  1683. 

Le  même  phéanomène  semble  se  présenter  pour  :  ou 
(ctpud),  ou  le,  1240,  1533,  et  aussi  pour  :  ke  :  ke  le,  122; 
ke  les,    190  ;  ke  la,  1549  :  /,-<-  de,  ir,~>r>  :  /,«-  ces,  1114. 

Nous  avons  relevé  ailleurs  (paragraphe  72)  les  cas  de 
mutation  de  la  syllabe  initiale  de  :  il  paraît  nécessaire  de 
scander  :  d'  turner,  d'  Voir,  16  ;  d  cors,  93. 

Ceo  ^e  contracte  avec  une  voyelle  suivante  :  p.  ex.  a 
ceo  aide,  i95  :  a  ceo  acumplir,  496  ;  ceo  est  :  passim. 

$  99.  Non-élision. 

Dans  l'étude  immense  qu'a  consacrée  M.  Rydberg  (1) 
à  l'histoire  de  l'e  féminin  en  français,  il  a  classé  les  cas 
d'hiatus  en  hiatus  logique,  métrique  et  grammatical.  Quoi- 
que ces  divisions  laissent  souvent  à  désirer,  une  phrase 
peut  rentrer  soin  eut  dans  l'une  mi  dans  l'autre  catégorie: 
nous  tâcherons  de  profiter  de  ses  conclusions  pour  ce 
paragraphe. 

a)  Hiatus  logique  :  pour  mettre  en  relief  un  mot  ou 
une  phrase  (comp.  Rydberg,  p.  59). 

A)  (\c^  noms  ou  des  pronoms   : 

1.  ke   mes  ke  enfanz  de  son  âge,   190 

2.  le  loerent  ke  il  amasl.  207. 

:i.   par  heu  ke  evesque  serreit,  321. 

(1)  Gustaf  Rydberg  :  Zur  Cleschichte  des  f ranzo  sischen  e.  L»*ip_ 
zig  et   Upsala   1896-1907,    pp.    1096. 


VIE  DE  SAINT    RICHARD  309 

î .   que  il  une  demisele  preit,  520. 

5.  ne  lu  sa  vie  êàclasie,  1037. 

B)  pause  dans  le  sens  :  Ici  ce  phénomène  se 
rencontre  surtout  après  enjambement  (comp.  Rydberg, 
p.  94). 

6.  maudit   celi  « | li e  sun  furmenl 
ruine  al  pople  e  a  la  gent,  397-8 

7.  li  offrit  par  la  volontez 

sa  fillie  c  consentement,  51  L-5 

8.  la  chief  de  pieté  de  sou  pais 

propre,  esteit   en  exil   mis.    199-700  (  1). 
Voyez  aussi  les  vers  143,  695,  981,  1092. 

C)  a)  avec  ne,  79  ;  b)  se,  724,  1037.  113,  1381  : 
e)  le,  liio  :  si  :  si  espleita  en  sa  saence  (Rydberg,  p.  867). 

b)  Hiatus  métrique  (Rydberg,  p.  123). 

9.  ore  a  herce  ore  a  chariie,  247 

10.  plein  de  grâce  e  de  pitié,   1208 

11.  kc  par  bûche  e  par  escrit,  1035. 

c)  Hiatus  après  un  groupe  de  consonnes  : 

12.  Bon  est  de  mettre  en  escrit,  1 

13.  net  de  vie  cum  angle  esteit,  05. 

Les  numéros  9  et  11  sont  métriques  en  tant  que  le 
vers  se  divise  volontiers  en  deux  groupes  de  quatre  syl- 
labes ;  ils  sont  aussi  logiques  selon  la  définition  de 
M.   Rydberg. 

§   100.    Scansions   douteuses. 

Nous  rangeons  sous  cette  rubrique  les  vers  qui  ont  deux 
e  féminins  :  on  hésite  souvent  ;i  décider  lequel  des  deux 
doit  être  muet.  Pour  nous  prononcer,  nous  avons  été 
guidé  par  les  mêmes  principes  que  nous  avons  suivis 
dans  les  paragraphes  73-91. 

7.   Retranchez  l'e  final  de  retraire. 

80.  Après  l'enjambement  on  préférerait  de  garder  l'e 
final  de  mustrance  et  on    pourrait  corriger  seing.    Il    est 

(1)    Ces  vers  pourraient  être  classés  également  sous   (c) 

21 


310  VIE   DE   SAINT    RU  II  Mil) 

possible  que  en   muslranct   provienne  «lu    scribe,   el   que 
l'auteur  ait  écril  a  mustre. 

101.  Nous  proposons  de  lire  i  /".  l'e  étanl  très  souvent 
supprimé  après  voyelle  (voy.  paragraphe  73  b),  et  aussi 
esl  il   plus   logique  d'appuyer  ireslute. 

120.  Corr.  semblable  (comp.  paragraphe  50). 

145.  Lis.  lui  ,  l'article  au  féminin  compte  rarement 
pour  deux  syllabes  (oomg.  paragraphe  81). 

197.  Lis.    fur'. 

342.  Nous  prenons  dautre  chose  comme  une  unité  de 
trois  syllabes. 

352.  Lis.  un'  cote  surment  ;  voy.  ci-dessus  au  vers 
145  et  paragraphe  75. 

358.  Lis.  près  pour  après  (comp.  paragraphe  72). 

382.  Lis.  urnement  (comp.  paragraphe  14  et  v.  652  ci- 
dessous). 

418.  Pour  rétablir  ce  vers  il  faut  lire  bach'ler  (para- 
graphe 89),  et  d'manda  ou  manda,  d'après  paragraphe  72. 

442.  Comp.  418  ci-dessus  ;  ici  nous  préférons  de  lire 
bacheler  (trois  syllabes.)  vu  l'enjambement,  et  de  contrac- 
ter ça   endroit   en   çandreit   (comp.    landreit,    contraction 
commune  dans  les  mss.  de  Simund  de  Freine,  voy.  Ed 
Matzke,  Introd.,  p.  lui). 

444.  Lis.  leinz  comme  au  paragraphe  93,  et  venu  pour 
avenu  (comp.  paragraphe  72). 

445.  Lis.  veraiment  (comp.  paragraphe  74) 
450.   Lis.  un",  comp.  au  vers  145  ci-dessus. 
465.  Lis.  d'mandeit,  d'après  paragraphe  72. 
511.  Lis.  plein'ment,  paragraphe  82. 
513.  Lis.  rent'. 

540.  Lis.  pelrimage,  paragraphe  89. 

552.  Lis.  deliv'ré,  paragraphe  89. 
576.  Pron.    eslir'    (comp.    paragraphe   87),    c'est   cet   e 

qu'il  faut  supprimer  plutôt  que  l'e  médial  de  chanceler, 
mot  qu'il  s'agit  de  mettre  en  relief. 

654.  Supprimez  l's  de  humbles. 

656.  Comparez  v.  382. 

662,  667,  737.  Lis.  chanc'ler  (comp.  paragraphe  89). 

807.  Lis.  fîn'ment  (comp.  Godefroy,  s.  v.,  citation  de 

Ilorn). 

1 


VIE   DE  SAINT    RICHARD  3  I  I 

825.  Pour  (Mi.-eiiicnl  (comp.  paragraphe  80). 

830.   Lis.  suv'raine  (comp.  paragraphe  89). 

888.  Puisque  chancelier  est  Le  mot  important,  il  faut 
lire  chanceler  el  d'morast,  paragraphe  72. 

898.  On  peut  lire  vesque  comme  veschié,  paragraphe 
72.  ou  bien  ord'nez,   paragraphe  91. 

910.   Lis.  ellur'. 

1019.  Pour  e  il  (comp.  paragraphe  08). 

L077.  Lis.  fur',  paragraphe  87,  et  urnez  (comp.  \.  656 
ci-dessus). 

1123.  Lis.  parti'  (comp.  v.   101  ci-dessus). 

1180.  Considéré  la  coupe  si  fréquente  de  i+i,  nous 
préférons  'près  li. 

1191.  Corr.  par  ki  en  dunl  et  lis.  dir*  (comp.  paragra- 
phe 75). 

13'jO.  Lis.  rend'reit,  paragraphe  89,  comme  aussi  pas- 
s'reit  au,  vers  suivant. 

1390.  Pour  la  raison  indiquée  au  vers  1180,  nous  lisons 
desk'a. 

J  i04.   Lis.  void'rai. 

1 107.  Lis.  sir'  (comp.   paragraphe  77). 

1423.  Voy.  le  vers  précédent. 

l 'i  i7.  Lis.  sul'inent  (comp.  paragraphe  75). 

1476,  1180.  La  contraction  de  si  vus  en  s'us  est  assez 
fréquente  (voy.  S.  de  Freine,  S.  George,  365,  835). 

1562.  Lis.  un'  (voy.  ci-dessus  vv.  145,  450). 

1500.  Lis.  vir'  et  comp.  72  b. 

1651 A  Lia.  viles  ei  eglis»'  ens'ment  (comp.  paraglrsy 
phe  86). 

Vers  fautifs 

Les  poèmes  anglo-normands  incorrects  du  xne  siècle 
le  sont  le  plus  souvent  par  des  vers  trop  courts;  aux  xme 
et  xive  siècles,  au  contraire,  les  vers  fautifs  sont  généra- 
lement des  vers  hvpermétriques. 

§   101  a).  Les   vers  de  sept  syllabes. 
9.  La  leçon  est  probablement  fautive,  jufnes  aurait  été 


312  \ll    ni.  SAINT    i;l(  Il  Mil) 

écrit  par  erreur  ou  peut-être  faudrait-il  corriger  les  deux 
vers  : 

pur  1rs  jefnes  genz  enticer 
e  les  vies  folement  amer. 
103.  La  correction  proposé  au  vers  entre  crochets  n'est 
pas  satisfaisante j  mais  il  paraîl   possible  de  faire  précé- 
der le  mot  nature  de  l'article  quand  il  a  un  complément. 
1037.  Voy.    paragraphe  99  a),   5. 
1232.  Voy.   la  correction  proposée. 

§  102  b).  Les  vers  de  neuf  syllabes. 

16i.  Lis.  le  v'rai  'Liseu  (comp.  paragraphe  49  a)  et 
aussi  au  vers  157). 

369.  Lis.  compaignun  u'  spécial  ami. 

468.  Nous  avons  déjà  fait  remarquer  (paragraphe  49  a) 
combien  il  est  difficile  de  savoir  scander  les  noms  pro- 
pres ;  peut-être  la  copie  originale  portait-elle  :  dunt  le 
saumiste  a  saumeiez  avec  David  en  sauter  comme  glose. 

479.  Lis.  siduel  (comp.  paragraphe  72). 

507.  Lis.  d'ieur  (comp.  72  et  Suchier  (Auban),  p.  39). 

620.  Comme  nous  avons  fait  remarquer  ailleurs  (pa- 
ragraphe 56  b),  il  y  a  des  locutions  dans  lesquelles  ches- 
cun  (et  aukun)  paraît  avoir  une  seule  syllabe,  peut-être 
est-ce  que  endreit  perd  la  première  syllabe. 

672.  Lis.  1'  disciple  et  Suchier,   1   c. 

716.  Ce  vers  est  probablement  corrompu  par  le  scribe 
(comp.  paragraphe  49  a). 

774.  Voy.   ci-dessus,  620. 

904.  Lis.  l'quart,  voy.  567. 

1190.  Supprimez  de  (comp.  paragraphe  49). 

1240.  Lis.  ou  1'  soc  (comp.  567  ci-dessus). 

1217.  La  syntaxe  est  si  confuse  ici  que  nous  ne  nous 
hasardons  pas  à  corriger  ce  vers. 

1339.  Pour  esire  ceo,  voy.  paragraphe  71  k)  ;  suppri- 
mez  euni. 

1614.  Voy.   paragraphe  49  a. 

§    103  c).    Les   vers  de   dix  syllabes. 
Pour  les  vers  48,  51,  5'.,  55,  56,  57,  58,  121,  223,  331, 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  313 

765,  859,  860,  898,  915,  115,  L523,  L547,  qui  auraient 
lous,  tels  qu'ils  sonl  (huis  le  m<.,  deux  syllabes  de  trop, 
nous  avons  proposé  des  corrections  en  note. 

168.  Scandez  les  ewes  d'Ierico  de  saner. 

469.  Nous  proposons  de  lire  «  a  ki  Meus  dreil  défeis  pro- 
misl  »  :  cette  graphie  se  trouve  dans  le  Brut  el  peut  bien 
être  la  bonne. 

916.  Au  paragraphe  19  a)  nous  avons  noté  l'embarras 
où  se  trouve  notre  auteur  pour  scander  les  noms  pro- 
pres. Pour  rétablir  la  mesure,  nous  proposons  de  sup- 
prime de,  inutile  devant  un  nom  propre  (conip.  para- 
graphe  19)  et  de  corriger  n'est  pas  ;jas  en  .sa;):  gas. 

111T>.   Lis.  de  l'une  e  l'autre  descul'rée. 

I  124.  Supprimez  seini,  que  du  reste  le  texte  latin  n'au- 
torise pas.  et.  corr.  s'ameient. 

1192.   Lis.  Vmunde  et  supprimez  e. 

1194.   Lis.  sur  et  substituez  servit  a  ministra  (comp.  v. 

1509-92.  Pour  ce  pnssage  le  texte  latin  manque  (comp. 
Introd.  et  tout  critérium  pour  la  correction  taisant  dé- 
faut, nous  renonçons  à  critiquer  ces  vers. 

1611.  Voy.  paragraphe  49  à). 

s   104  d).  Les  vers  de  onze  syllabes. 

Nous  avons  proposé  en  note  ou  dans  les  paragraphes 
qui  ont  trait  à  la  versification  des  corrections  pour  les 
vers  suivants  :  43,  132,  149,  152,  694,  742,  908,  1389, 
1594,   1630. 

284.  Le  texte  latin  qui  a  Irait  aux  relations  de  Richard 
avec  son  frère  est.  différent  dans  les  deux  sources  et  dans 
la  bulle  de  canonisation.  Celle-ci  porte  le  texte  suivant  : 
«  Invitatus  ad  conjugale  cujusdam  puellse  nobilis  consor- 
tium, mundi  hujus  corde  mundo  immundis  illccebris,  ut 
in  sortem  Domini  cederet,  cessit  hujusmodi  cessioni  :  et 
animam  suam  firme  proposito  eojesti  sponso  desponsans, 
sponsœ  terreme  sponsalia  sponte  sprevit...   » 

1217.  Quelquefois  on  est  porté  à  croire  que  l'auteur 
a  omis  de  polir  ses  vers  et  que  ceux-ci  ne  nous  sont  pas 
arrivés  tels  qu'il  aurait  voulu  ;  ce  vers  se  serait  passé 
du  coup  de  lime. 

1549.  Peut-être   faut-il   lire  foule  au   lieu  de  multitude. 


31  i  VIE   DE   SAINT    RICHARD 

§  105.  /.'/  coupe  du  vers. 

Le  vers  de  notre  auteur,  comme  nous  l'avons  déjà  fait 
observer  au  paragraphe  7','  I».  s'écarte  beaucoup  «lu  sys- 
tème métrique  du  continent.  Il  s'évertue  à  bâtir  son  vers 
de  deux  hémistiches  de  chacun  quatre  syllabes  :  dans 
notre  poème,  nous  avons  compté  623  vers  (I)  qui  ont  la 
coupe  i  +  'i.  entre  lesquels  ceux  qui  onl  du  moins  une  syl- 
labe hypermétrique  au  premier  hémistiche  ne  remontent 
pas  à  inoins  de  132  (2).  Ce  chiffre  est  trop  considérable 
[tour  (pie  nous  n'y  voyions  pas  l'effet  d'un  système.  Une 
Vie  de  sainl  Edmond,  roi  dEslanglie,  dont  M.  Paul  Meycr 
a  publié  23  quatrains  (Romania,  xxxvi,  p.  533)  et  qui  date 
do  la  fin  du  \ne  siècle  contient  trois  (3)  exemples  de  celle 
coupe,  et  quoique  ces  vers  se  laissent  facilement  corri- 
ger, on  comprend  que  déjà  le  sentiment  de  la  mesure  est 
ébranlé.  Cette  coupe  peut  se  voir  déjà  dans  Gaimar,  dans 
le  Haveloc,  dans  le  fragment  de  la  vie  de  saint  Tho- 
mas (4)  et  ailleurs  (5).  La  conception  du  vers  oclosylla- 
bique  composé  de  (\eu\  groupes  de  quatre  syllabes  n'a 
certes  rien  de  nouveau  :  déjà,  dans  le  premier  volume  de 
la  Romania,  Gaston  Paris  a  reconnu  (6>  que  la  forme 
normale  du  vers  est  un  vers  où  les  quatrième  et  huitième 
syllabes  portent  l'accent  Ionique.  Il  admettait  aussi  une 
syllabe  hypermétrique  après  la  quatrième.  Ce  qui  semble 
ressortir  de  l'étude  des  poèmes  anglo-normands,  c'est 
que  les  ailleurs  onl  suivi  les  mômes  principes  que  les 
poètes  de  France,  mais  se  sont  laissés  guider  pour  la 
facture   de   chaque    hémistiche    par    la    prononciation    vi- 


(1)  P.  ex.   vv.   3,  8.  16,  22,  26.  27,  etc. 

(2)  Vv.  30,  39,  94,  108,  128,  139,  etc. 

(3)  fa)  En  sun  servise   ki  mis  a   cher   (v.   11). 

(b)  La   nus   enveiet,   sibi   en   volun    (v.    37). 

(c)  En  tûtes  choses  a  lui  obéit   (v.   46). 

(4)  Fragments  d'une  vie  de  saint  Thomas  de  Cantorbéri  ;  Société 
des  anciens  texte*  français. 

(o)    Voy.    la   note  au   §   72   b. 

(6)   Voy.   aussi  Suchier.   S.   Auban,   j.   26. 


VIE   Dr.   SAINT    RICHARD  315 

cieuse  et  la  syntaxe  hétéroclite  dont  les  Français  se  sont 
si  souvenl  moqués  ei  dont  ils  se  soûl  si  souvent 
plaints  (1). 

A.- T.  Baker. 


(1)  Voy.  Les  Political  Songs  publiés  par  Wright  et  le  prologue 
de  la  vie  de  sainte  Catherine,  par  la  sœur  Clémence.  Notices  et 
Extraite  xxxin,  l'e  partie  p.  59,  et  le  fragment  de  prologue  d'une 
vie  de  saint  Edward  le  confesseur  que  nous  avons  publié  dans  la 
M  ad iin   Language   Revient)   1908,   p.   374. 


ISSI  COMENCE  LA  VIE  SEINT  HICHAHH 

KVESQTES    DE    CYCESTRE 


222,  r°  a     Bon  est  de  mettre  en  escril, 
verai  cunte  de  tel  e  dit  : 
ke  d'oir  dune  en   quer  de] il, 
r°  I)     i  si  après  en  vient  le  profil 
d'humilité  e  (de)  devoeiun. 
par  nul  averum  savaciun  ; 
mes  retraire  cunte  de  folie, 

8  de  fol  amant  e  tôle  amie, 
pur    les    jufnes    enticer, 
e  les  jefnes  folemenl   amer  ; 
(e)  cunter  ausi  de  chevalerie, 

12  que  unkes  n'avint   en   ceste   vie, 
e  vies  ke  d'aucun  seit  veir  (le)  dit, 
del  oïr  poi  en  vendra  profit: 
si  l'un  cunte  romanz  d'aniur, 

10  k'en  vient  del  oïr  a  chic f  de  lur  ? 
ne  sai,   l'or  mettre  le  penser 
en  folie,  folement  amer  : 
e  quel  profit  (en)  vient  de  cunter 

20  de   la   pruesec   un   chevalier. 


1-64.  Prologue.  Ce  prologue  ressemble  pour  le  fond  à  celui  du 
Comput  de  Raùf  de  Lenham  (comp.  Romania,  XV,  286)  et,  d'une 
façon  générale,  à  celui  du  Cutsot  Mundi.  Il  est  relativement  court 
puisque  le  prologue  de  la  Lumière  as  Lais  dans  le  ms.  du  chapitre 
d'York  a  700  vers  environ.  Il  n'est  pas  moins  long  dans  les  autres 
mss.    (Voy.    Rom.   VIII,  325;  XV,  287.) 

1.  comp.  §  99  ;  7.  comp.  §  100.  9.  comp.  §  101  ;  14.  comp.  §  98  : 
16.  comp.   §  98. 


VIE   Dl     SAINT    RICHARD  •>!  ' 

for  sulemenl    le   delil   del   oïr, 

ke  suvenl  (1rs)  nulles  Fe1  esbaudir  V 

mes   icel   esbaudissement, 
24  de  orguil  vient   veraiement 

que  contraire  est  a  tiumilité 

ke  veie  nus  <lunc  a   sauvetë   : 

pur  ceo  mieuz  vaut,  c'est  la  parclose, 
;?8  de  Eere  romariz  de  tel(e)  chose, 

de  mettre  hume  en  tel  penser 

dunl    il   s'en   puisse   bien   enformer 

d'amer   Deu   especiaument, 
32  par  uni  venir  poust  a  sainement  : 

l'en   dust   penser  la   curteisie 

que  fet  as  seinz  en  ceste  vie. 

ke  leaumenl   ci  servi   luinl. 
222  v°  a     par  uni  en  sa  joie  en  ciel  sunt: 

37  les  miracles  ke  fet  pur  eus  miner 

nus  dust  de  li  leaument  amer, 

cume   fel   oie   veraiement 
iO  ce    seinl    Richard   apertement. 

que  evesques  a  Cycestre  esteit 

ke  especiaument   miner  nus  deit 

a  mettre  (les)  miracles  en  (re)membrance 
4-i  a  Deu  loer  pur  sa  i'esaunce, 

e  de  la  seinte  vie  ensement 

ke   mul   put  enformer  la   geni, 

pur  ceo  fet  bien  de  li  muter 
48  sa  vie  e  (ses)  miracles  demustrer. 

sa  vie  e  (ses)  miracles  d'enfance 

en   latin   -mit   mi-   en   (re)membrance, 

mes  (por  ceo)  de  plusurs  est  désiré 

21.  Délit,   eomp.    §    72. 

22.  Lis.  aut  comp.  §  75.  vu  qu'on  a  verte  et  vérité,  faut-il  supposer 
humilité  avec  trois   syllabes?   Cf.    vers  5. 

32.    Venir,  comp.    §  72. 

33-38.   Ms.   dust;    =    il  convient... 

39.   Corr.   or.  ou  bien  voy.   §   73. 

42.  Ms.    muiver. 

43.  Comp.    §   72. 

48.  Lis.  demustrer,  contracté  eu  deux  syllabes,  comp.   §  72. 


318  VIE   DE   SAINT    RICHARD 

52  que  fust  en  franceis  translaté, 
ke  lais  entendable  pol  estre, 
m'en  pria  un  chanoine  de  I  îycestre 
par  un  mestre  l\<'  un   livre  me  porteit, 

56  kf  de  sa  vie  e  (ses)  miracles  esteit, 
ke  de  translater  les  m'entrenieisse, 
e  (kf  jeo)  le  latin  en  franceis  feisse  ; 
e  jeo  par  l'aïe   Seinl   Richard 

60  me  entremeslrai  en  la  Deu  part, 
e  de  latin  le  translateray 
en  franceis  au  meuz  ke  jeo  say. 
ore   i    met[e]    entendement 

64   que  bien  amer  Deu  ad  talent. 

De   sa   enfaunce. 

Seinl  Richard  l'evesque  de  Cyceslre 

en  l'evesche  fu  née  de  Wirecestre, 

en  une  ville  ke  est  Wiz  apelez 
68  u  putz  a  sel  ad  desposez. 

Richard   aveit  a   num  son   pere> 

Ealiz  aveit  a  num  sa   mère, 

boue  gent  de  vie  e  (de)  naciun, 
72  mananz  a&ez  sulum  resun   ; 

après  le  père  out  num  le  fiz 

e  pur  ceo  num  Richard  de  Wiz. 

cest  num  Richard,   dit  en  latin, 
76  signifie  ris  sulum  devin 

54.  Cycestre,  §  50  a. 

56.  Voy.  introd.,  p. 

57.  Coït.    Ke   d'cls    tranlater. 

63.    La  leçon  est  obscure  dans   le   ms. 

La   rubrique   correspond   à   celle   qu'ont   fait   imprimer   les   éditeurs 
dœ  AA.  SS.,  page  284   :  De  patria  et  parentela  sua. 

66.    Vers  trop  long.    Faut-il   corriger  el   vesché  (oomp.    v.    1003)  ? 

66.  Wigorniensis  ctiœcesis,  villa  quœ  secundum  proprietatem  Angli- 
can;? linguae  a  puteo  salis  qui  aquis  putealibus  ibidem  componitur, 
Wyche  appellatur  (aujourd'hui  Droitwich). 

76.  Ricard  us  igitur  etymologice  potest  dici  quasi,  Ridens.  Canifl 
et  Dulcis.  Et  Ridens  quidem  per  gratiam  conscientia?,  et  hoc  quoad 
seipsum  ;  nam  risum  integrum  exterioris  hominis  ra.ro  vel  non  om- 
nino  admitt-ebat. 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  319 

e  cher  a  Don.  duz  ensement  ; 

ceo  put  ver  ke  son  livere  entent. 

son  ris  ne  esleil   pas  dehors 
80  cm  mustrance  par  signe  de  cors  ; 

(nies)  sa   pensée  dedanz  lu   esleescée, 

(kar)  n'oul  pas  sa  concience  blescée, 

dedenz  lu  plein  de  charité, 
Si   pur  ceo  fu  de  Deu  bien  amé 

e  dunl  a   Deu  très  cher  esteil 

pur  la  dueur  k'en   li  aveit. 

du/,  esteil  a  suu  prusme  parler, 
88  duz  esteil  a  eus  conseillier  ; 

si  cum  par  bon  conseil  d'ami 

est  li  quer  de  hume  tut  enduci. 

ho  tute   part   esteit   gracius 
92  de  condiciun,  en  murs  vertous, 

de  cors,  esteit  beaux  de  tut  bailé, 

de  tûtes  tetches  bien  afaité. 

net  de  vie  cum  angle  esteit. 
96  kar  vie  cum  d'angle  demeneit 

tesmoine  (d')un  frère  bon  devin 

que  sa  vie   escrit  en   latin. 

79.  comp.  §  99  a  (C). 

80.  Comp.   §  100. 

81-90.  Et  cum  médium  nominis  ejus  imo  verius  cordis  média,  ca- 
ntate sternantur.  Car  us  potest  dioi  quoad  Deum  :  quia  ipse  qui  con- 
tulit  mundie  conscientit?  meritum,  rependit  ei  sua?  dilectionis  pre- 
mium.  Dulcis  vero  fuit  quoad  proximum,  par  suavis  affabilitatis 
eloquia  et  salubria  vitse  eonsilia  :  quia  juxta  Sapientis  vocem, 
Unguento  et  variis  odoribus  delectatur  cor,  et  bonis  amici  consiliis 
anima   dulcoratur.    [Prov.   27.   9.) 

91-6.  Et  quidem  corporis  venustate  et  gratia  vultusque  hilantate. 
Angelicum  schéma  quodammodo  pra?ferebat  in  terris,  et  Angelorum 
vitam  per  munditia?  sic  agere  studebat  in  carne,  ut  potius  An- 
gclicam   quam   humanam  duceret   conversationem. 

93.   Vers  trop  long,  corr.  fu? 

97  107.  Testis  enim  est...  sacrse  Religionis  prof  essor  et  Sacerdos, 
qui  haec  soipsit  :  quod  cum,  ante  annos  paucos  transitus  sui  ex  hoc 
mundi  ad  Patrem  placeret  ipsi  Sancto  predicto  Fratri  vitam  suam 
et  eommissa  den-udare;  ipsum  sic  carnis  florem  r^erit  custovisse 
ut  in  eorera  numéro...  qui...  novum  canticum  cantantes  sequuntur 
Agnum    quo;umque    ierit 


320  \  Il     DE   SAINT    RICHARD 

ke  cunte  la  k'avanl   son  deces 
100  poi  d'auns  esteil  de  li  confes 

e  sa  vie  trestute  cunteit 

(c  li)  quan  ke  remembrer  purreit; 
223  i"  a     (mes)  la   flur  de   sa   char  si  gardeit 
104  k<"  blemure  n'uni  en  nul  endreil   : 

(is)  si  ke  il  |m»i  chanter  ;il  aignel, 

ou  les  autres  le  chanl  nouvel, 

ke  siwenl  l'aignel  quel  pari  qu'il  vet, 
108  ko  de  femme  uni  tetche  ne  mal  alrel: 

(lunl    par   le   cunte   icesl    devin 

esteil  le  home  lui  angelin  : 

ceo  mustra   bien  en  un  endreit 
112  ke  vie  d'angle  aver  voleit, 

quant   l'en   li  offrit   une  pucele 

pur  aver  cume   espuse   bcle. 

cil   refusa   trestut   ades, 
116  cume  plus  pleinement  orez  après  : 

mes  (si)  cum  en  l'evangèlie  est   dil 

ke  les  sein/.,  cum  la  es1   escrit, 

nierait   ospusez   ne   n'espusôruntj 
120  mes    semblables    as    angles    (trestut)    serrunl. 

sa  vie  (a)paraiha  a  ceo  (lut)  drert 

ke  le  lin  u  fu  née  singnefieit  ; 

par  le  sel   Christ,  ke  singnefie 
124  atrempé  e  bien  ordené  vie. 

99.    On   pourrait  corriger  avant  en  ebiz. 

101.  Comp.   §   100. 

102.  Corr.    quanke    li    remembrer... 

105-6.  Ces  vers  paraissent  être  une  fusion  de  deux  versets  bibli- 
ques :  Apocalyse  5,  9  :  «  Et  cantabant  canticum  novum  »,  et  Apor. 
15.  3    :  «  Et  cantantes  canticum  Moysi  servi  Dei  et  canticum  Agnd». 

116.   Voir  les  vers  268  et  514. 

119.  Matt,  22,  30,  le  ms.  ierunt,  cf.   §  5  b. 

120.  Comp.  §  100. 

122.  Ke  le,  oomp.   §  98. 

123.  Le  ms.  porte  ».  criât,  nous  suppoeona  «pie  le  scribe  allait  écrire 
«  Jliesu  Crist  »  en  toutes  lettres,  mais  qu'il  s'est  repris  à  temps  sans 
biffer  le  ». 

124.  Comp.    §  91. 


VII.  DE   SAINT    RICHARD  3^1 

(huit  apostles  pur  celé  afere, 

dit    Don,   mis  estes  sel  de  terre  ; 

sel  oste  pu  11 1"  e  pureture, 
[28  e  viande  trop  fresche  met  en  tompmre, 

ausi   lu   aparaillié  tut   jur 

de  osier  de  pechie  la  puur 

e  les  antres  enni  en  vertu  temprer, 
132  e  de  mus,  e  de  vie  dreite  enformer  : 

issi  cum  de  muiste  matire 

de  sause  de  mer,  c'est  a  dire, 

par   la  chaline  e  bénéfice 
136  de  l'eu  k'em  fel  par  artifice. 

une  piere  de  sel  est  engendreie 

e   en   grant   cors  consolideïe, 

dunt  bestes  malades  le  leehissent, 
140  e  de  lur  maladies  (en)  garissent 

(en)  meiines  la  manere  en  un  endroit 

ce  saint  Richard  l'evesques  esteit 

de   muisture   par  ongenclrure, 
144  en  i'et  de  humaine  nature, 

quant  de  une  semence  corrumpu, 

lu  née  de  more  e  fu  conceu, 

ko  par  la  grâce  de  vertu  divine 
148  e  de  seint  espirit  la  chaline, 

e  le  bénéfice  fu  aunteriné 

126  ...Dominus  ait:  Vos  estis  sal  terra  :  cujus  sermo  secundum 
Apostolum  in  gratia  fuit  semper  sale  conditus,  paratus  vitioium 
fœtorem    reprimere   et  morum    ornamenta    eondere. 

129.   Aparaillié,  comp.  §  5.  A  a). 

131.   "Voyez  la  note. 

133-155.  Et  sk-ut  ex  fluida  materia  ignis  benefkio  sal  in  solidam 
Petra  materiam,  animalium  infirmorum  lambitioni  profuturum  ver- 
titur  :  sic  et  noster  Ricardus,  ex  fluida  humani  generis  natura  et 
seir-ine  corruptibili  coneeptus  et  natus,  igné  spiritus  Sancti  ejusdem- 
que  gratiœ  beneficio  confirmatus,  peceatoribus  peccati  infirmitate 
•languentibus  petra  medicinalis  antidotum  seipsum  exhibuit.  AA. 
SS.,    p.    285. 

139.   Leehissent,  comp.  §  60. 

145.    Comp.    §   100. 

149.  Aunteriné,  lisez  auntriné  ;  conf.  eut) in,  Beuve  de  Haumtone, 
366. 


322  VIE   DE   SAINT    RICHARD 

e  en   vertuz  consolidé. 

issi  k'a  pechurs  ke  furent  liez 

152  en  langur  ë  mal(adie)  de  péchez 
medicinable   piere  se  fist 
de   lur  maladie   les  gari&t   ; 
c  ja  le  plus  lard  en  vérité 

156  un  vessel  li  esteil  porté. 

qne  pur  Eliseu  li  lu  procuré, 
lut  nuvel  <i  pur  par  nesteté  : 
void   par  despil   de  vie  honurée, 

160  crus  par  humilité  de  pensée   : 

(e)  sachez  ke  l'emflure  quan  que(s)  esleil 

d'orguil  espaundeu  rebuteit, 

en  quel  vessel  par  lYuseiuement 

loi  le  verai  Eliseu,  sauveur  de  gent, 
par  le  sel  de  sapience  de  sauvefë 
ke  sauvement  esteil  leinz  versé? 
par  uni  avêit  [il]  le  poer 

168  les  ewes  de  Jerico  de   saner, 
223  v°  a     (la)  vie  de  pécheur  c'est  a  saver, 

de  corrupciun   purreil   (lut)  saner; 


161.   Lisez  si  h'...    comp.    §   103. 

155-172.  Ecoe  nihilominus  vas.  Elisteo  procurante  sjbi  allatum. 
peritatis  munditia  novum,  terranœ  feheitatis  contemptu  vaeuum, 
mentis  humilitate  concavum  (tumor  enim  infusa  repellit)  in  quo 
sale  sapientirc'  salubrité  c  infuso,  vari  Elissei  inciustria,  aquas  Hie- 
richontinas  a  sterilitate  laudabilis  exercitii  et  pestifera  mortalitate 
j  eccati  efficacités  sanavit,   AA.    SS.,   p.    285. 

155.  Lis.  de  tomme  au  vers  1036. 

157.  Comp.   §§  49  a  et   102. 

160.  Comp.    §  91. 

161.  Notre  auteur  a  très  bien  saisi  le  jeu  de  mot  du  texte  latin  ; 
tumor  signifie  ce  qui  est  convexe  et  l'orgueil  ;  enflure  de  même. 
(Cf.    vers    622.) 

163.  Nous  croyens  avoir  lu  ce  mot  correctement,  il  traduit  indus- 
tria  du  texte  des  AA.  SS.  ;  Godefroy  relève  une  exemple  du  mot 
«    enseignement   »   dans  le  sens  de    «   sagesse   ». 

164.  Vers  trop   long,   comp.    §   102. 
166.  Corr.   fu;  pour  leinz,  comp   §  93. 
168.  Comp.  §  49  a  et  §  104. 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  3*23 

ki  ke  lionne  livres  avant  n'aveient, 
l T'J  par  ceo   ]>;ir  li    recuvereint. 

El  nuvel  âge  ke  Seint  Richard 

ot  commencé,  de  bute  part 

a  la  grâce  de  la  nu  vêle  Leneicun 
170  acorder  e  ausi  en  sun  ; 

de  la  malice  del  enemi 

conquis!  la  mestri©  issi, 

ke  rebuta  cum  fort  champiun 
180  la  malice  de  (sa)  temptaciun, 

dunl  uncore  quant  esteit  enfant 

de  set  ainz  u  moins,  ne  mie  avant 

restreint  les  talenz  e  (les)  pensées 
184  k'en  juvente  sunt  acustumées 

de  muver,  issi  k'en  clespit 

aveit  caroles  e  vein  délit  : 

des  t roches  e  de  tel  folie 
188  ke  veer  son  voil  ne  (le)  voleit  mie, 

e  encore  i'u  [il]  si  sage 

ke  mes  ke  (les)  enfanz  de  son  âge 

par  prière  e  blaundissement 
192  entente  meissenl  k'il  i  alast  suvenl, 

lut  droit  encuntre  [la]  nature 

de  ago,  d'aler  il  n'aveit  cure  ; 

ne  sai  par  quele  persaence 
190  u  de  quel  mestre  aveit  saencc, 

171.   Peut-être  la  leçon  doit-elle  être   bonnes  ewts. 

173.  Le  ms.   porte  en  le.   Voy.  la  note. 

174.  Ms.    aveit. 

181-06.  Qui  juvenis  ehoreas,  tripudia,  et  vana  consmilium  spec- 
taculorum  gênera  sic  detestando  fugiebat,  ut  nec  blantritiis  nec 
coœtaneorum  suasione,  contra  naturam  œtatis,  ad  ea  flecti  poterat 
vel    induci. 

182.    La   leçon  est  obscure. 

186.    Le  ms.    porte  d'estraches. 

188.   Cotnp.    §    668,    b.    h. 

190.   Comp.   §  99  a   (A). 

192.  Le  sens  de  cette  fin  de  vers  nous  échappe. 

193.  Comp.    §    101. 

194.  La    leçon    .est    obscure. 


324  VIE   DF.   SAINT    RICHARD 

que  teles  choses  furenl   trovez 
a  cas  de  humeine  frelestez, 

entendant  lute  veies  esteil 

2<»o  a  sa  prise  ke  et  il  apernit; 

e  as  diz  son  mestre  dévotement 
223  v°  b     atendil  attentivement   : 

issi  cum  fisl  Samuel  l'enfant 

204  ke  tute  veies  presl  fu  e  veillant 
a  oïr  tut  dévotement 
ke  fere  deust  e  fere  le  ensemenl 
issi  ke  en  poy  de  Ions  passeit 

208  chescun  ke  de  son  âge  esteit, 
c  chescun  k'ou  li  aperneit 
ke  de  même  âge  u  plus  esteit, 
si  passa  très tut  veraiement 

212  e  d'aprise  e  de  murs  ensement  ; 
Deu,  cum  s'enfance  benure  fu 
que  sen  aveit  de  home  chanu 
lequel  sanz  custume  aveit  veue 

216  ou  seint[e]  veillesce  reecue  : 
selum  le  sage  ke  ceo  puplie 
vie  sanz  blâme,  âge  envillie. 
(i)cesti  des  anz  de  sa  cressance 

220  a  l'estudêe  aveit  tele  aliance, 


197.  Ccmp.    §   100. 

198.  A  ras  de,  locution  non  relevée  par  Godefroy,  elle  paraît 
signifier  à  rencontre  de. 

203.  Ni  l'une  ni  l'autre  des  versions  publiées  dans  les  A  A.  SS., 
ne    font    mention    de    l'enfant    Samuel. 

207-12.  Omnes  quoque  coaetaneos  et  condiseipulos  suos  brevi  tam 
ei-uditionis  quam  eonvereationis  et  morum  mafcuritate  praecessit. 
(Car.grave,  p.  278.) 

218.  Nous  comprenons  éveillée,  quoique  âge  ne  semble  pas  se 
rencontrer  au  féminin  avant  le  xvi*  siècle.  Dans  le  Haveloc  (ms. 
P.),  on  lit  :  tele  aye,  v.  221,  mais  la  leçon  du  texte  laisse  à  dési- 
rer.  Comp.  vv.  837,  1155.  1543,  pour  enveillie.r 

219-228.  Hic  igitur  ab  annis  adclescentise  litterarum  studiis  appli- 
cation velut  terra  supernre  benedictioni  proxima,  imbrem  doctrine? 
suscipiens,  jucundi  germinis  fnutum  pariter  et  vigorem  suo  tem- 
pore  cœpit  germir.are.  (AA.  SS.,  p.  289.) 


VIE   DE   SAINT    l;K  11  \i:i> 


::•>: 


(is)si  cum  terre  bien  cultivée 

c  en  bunte  lut  aparailliée 

;i  recen  re  semence  e  germiner 

224  e  par  verdur  fruclefier  : 
ausi  esteil  par  tel  devise, 
dispose  al  frut  de  la  prise, 
dunl  tant  cum  en  Lel  âge  esteit 

228  e  cressanl  en  anz  flurisseit, 
de  garde  issil  son  esne  frère 
ke  eir  esteil  prochein  son  père, 
que  outra  en  sa  terre  nue 

232  despuliee  e  despurveue, 
deswarokee  (e)  mal  atirée 
su  In  n  i  la   maie  cuslume  usée, 


Dum  adhuc  igitur  adolescen- 
tise  floreret  in  annis.  in  frater 
ipsius  senior,  ad  quem  succes- 
sîone  hereditaria  patrimonii  ju- 
ra spectabant,  Ricardum,  licet 
a- ta te  minorem  hereditatis  pos- 
sessione  digniorem  judicam  quid- 
quid  juris  sibi  oorapetebat  ultro 
donavit  eidem  (AA.  SS.,  p.  285). 


223.   Vers  trop  long;  peut-être  faut-il  corrige]   germer,  cf.   tjtimt 

v.    1246.    Voyez    iu  te. 

227-262.  Frater  ipsius  senior, 
in  custodja  infra  œtatem  exis- 
tons, ad  plenam  œtatem  suam 
de  custodia  exiens.  nudus  et 
pauper  munis  terrain  suam  in- 
greditur,  Videra  igitur  Richar- 
dus  fratria  pauperitatem.  cum 
nihil  haberet  unde  ei  posset 
subvenire.seipsum  in  servientem 
sibi  tradidit  :  ubi  par  tempera 
non  modica  in  oinni  patientia. 
paupertate  et  dejectione,  magna 
ad  aratrum,  mine  ad  bigam. 
mine  ad  alia  hujusmodi  opéra 
manus  mittens,  humiliter  et  mo- 
deste servivit  :  unde  frater 
eum  in  tanta  affeotione  re- 
collegit,  quod  totam  hereditatem 
suam    sibi   sua    ebarta    eonfirma- 

vit. 

(Capûrave,   p.    278.) 

On  verra  d'après  les  deux  versions  citées  ci-dessus  que  notre  au- 
teur a  connu  la  version  qui  a  servi  de  source  à  Capgrave  plutôt 
que  celle  que  publient  les  Bollandistes  sous  le   nom  de  Bocking. 

234.  «  En  cas  de  minorité  le  roi  peroevait  les  revenus  du  fief 
pour  prix  de  sa  tutelle  ».  Rambaud.  Civilisation,  I,  p.  172.  Un 
ministre  du  roi  Henri  I  se  vantait  d'avoir  fait  le  roi  héritier  du 
rovaume   entier  ». 


326  VIE   DE   SAINT    1:1(11  \KD 

diiiil   esteil    povere  e   mendiant 

236  e  iiuil  esgaree  paritant. 

Richard  son  Frère  l'ennui  de  li 
vil  et  s;i  granl  | >< >\  erte  ausi, 
diiiil  pite  l'en  prisl  e  li  peiseil 

240  que  n'oul  dunl  aider  le  purreit, 
(lunl  il  puis  n'aveil  quei  doner 
ke  (li)  pusl  n  sa  besoigne  aider 
e  son  servager  se  même  mist, 

244  e  de  vil  overaine  s'entremist, 
en  meseise  e  en  poverté, 
tut  ne  tut  il  a  ceo  lié, 
ore  n  herce,  ore  a  charue, 

248  ore  eu  haie,  livrant  ore  en  rue, 
(e)  eu  lute  m an ère  ke  soûl  penser 
Iravaillia  pur  son  frère  avancer, 
lieu,  cum  de  char(i)té  plein  esteit  ! 

252  ke  del  suverain  mestre  (ben)  entendeil 
la  sentence  ke  dit  de  char(i)lé  ! 
nul  n'ad  griegnur  en  vérité, 
cum  cil  ke  s'aime  pur  ses  amis 

256  dune  ;  pert  ke  bien  Tout  apris. 
en  aime  li  fut  compatient, 
(dunt)  Iravaillia  son  cors  asprement 
pur  un  sen  frère  en  tant  amur 

260  le   cuillit   pur  son  grant   labur 
que  trestute  sa  terre  li  duna 
e  par  sa  eliarte  li  conferma. 


239.  Vers  trop  long  ;  on  se  demande  pourtant  si  pite  n'est  pas 
un  cas  régime  vis-à-vis  de  pitié;  comme  l'est  poverte  (:  aperte 
dans  Dieu  le  omnipotent  xi)  à  povreté,  cit  à  cité,  etc.. 

247.    Comp.   §   99    b. 

250.    Comp.    §   72. 

252  256.  Majorerai  hac  dilectionem  nemo  habet,  ut  animam  suam 
ponat  quis  pro  amicis  euis.  (Vulgate,  Joh.,  xv-13).  Nul  n'a  un 
plus  grand  amour  que  celui  qui  donne  sa  vie  pour  ses  amis  (Oster- 
vald). 

256.   pert  de  pnroir. 


VII.  DE   SAINT    RICHARD  3*27 

Richard   puiske  sa  terre  aveit, 
264  en  pies  e  (en)  bon  estât  esteit; 

ses  charneus  amis  sulement 

pensent  de  eeo  ke  a  char  apent, 

le  loerenl   ke  il  amasil 
268  une  gentile  pucele  e  espusast. 

mes  nostre  seigniur  que  bien  :-oul 

[que]  le  office  que   purvueu   l'ouï 

e  le  liu  de  son  recel  ausi, 
272  (que)  plus  profitable  esteit  a  li  ; 

ne  suffri  (pas)  que  sa  nesteté 

de  (son)  corps  de  rien  li  fusl  hlemé; 

mes  si  cum  Johan  rapella, 
',.'70  son  disciple  que  plus  ama, 

263-312.  Postea  cum  Richardus  totam  hereditatem  a  fratre  paci- 
fiée obtinuiseet,  amici  ejus  carnales  de  quadam  nobili  et  generosa 
puella  ei  matrimonialiter  oopulanda  traetare  cœperunt.  Quod  cum 
frater  ejus  intellexisset  et  jam  Ricardum  dictam  nobilem  puellam 
cum  multis  bonis  recepturum  ;  de  collatione  terrse  sure  pœnituit,  et 
cœpit  contristari  :  Richardus  autem  hoc  intelligens,  dixit  fratri 
suo  :  Non,  carissime  frater,  non  propter  hoc  turbetur  cor  tuum  : 
nam  adeo  curialis,  ut  fuisti  erga  me,  ero  ,et  erga  te.  Ecce  restituo 
tibi  et  terrain  et  chartam  :  sed  et  puellam,  si  sibi  et  amicis  suis 
placuerit  nunquam  enin  os  ipsius  deosculatus  sum.  (Capgrave,  p. 
278.) 

Les  Bollandistes  ont  ajouté  la  note  suivante  :  In  sequenti  vita  (celle 
de  Boeking)  conformiter  bullœ,  dicitur  ipse  frater  oblata  heredi- 
tatis  c-essione,  voluisse  Richamum  ad  has  nuptias  pellicere.  Cre- 
diderim  ad  tantam  minoris  humanitatem  vei^ecundatum  majorem  di- 
simulas.se  invidise  sensum,  et  saltem  verbis  ursisse  fratrem  ut  fun- 
dum  sponsamque  retineret. 

On  voit  de  nouveau  que  la  version  de  Capgrave  représente  mieux 
celle  qu'a  connue  notre  auteur  que  le  texte  des  Acta. 

267.  Comp.  hiatus,  §  99  a). 

268.  Peut-être  faut-il  corriger  yente  et  lire  spusast  (comp.   §  72)  ? 
270.  Comp.  §  94. 

275.  D'après  la  légende,  le  premier  miracle  de  Jésus  se  fit  aux 
noces  de  Jean,  frère  de  Marie.  On  raconte  que  Jean,  profondément 
touché  par  la  sainteté  de  Jésus  quitta  son  épouse  et  suivit  le  divin 
maître.  Depuis  lors.  Jean  devint  le  bien-aimé  du  Seigneur  parce 
que  celui-ci  l'avait  sauvé  des  convoitises  de  la  chair.  Le  même 
sujet  est  traité  dans  une  homélie  d'Aelfric.  Aucun  de  nos  textes 
latins  n'en  fait  mention. 


328  VIE   DE   SAINT    RICHARD 

de]  lii  d'espusaille  que  n'alast, 
mes  en  sa  chasteté  demurast, 
meimes  La  grâce  aveit  doné 

280  (a)  cesti  de  garder  chasteté  ; 
kar  Deu  i>si  purveu  V aveit 
qu'en  amur  lut  s'ale[e]reit. 
iluiil   quant  son  frère  bien  entendeil 

284   ke  marier  si  noblement  se  purreit, 
li  peisa  mut  pur  celé  afere 
k'il  li  aveit  done  sa  terre, 
c  devint  munies  e  pensant 

288  e  i'ist  lurd  e  triste  semblant  : 

laquele  chose  Richard  aparceut, 

e  soûl   bien  (on  un)  endroit  ke  ceo  fut 

e  li  diseit   :  «  tres-ben  duz  frère, 

292  »  purquei   fêtes   vus   tiel   hère, 

»  kar  nie  mustrez  par  [vostre]  amur 
»  la  resun  de  vostre  dolur  ». 
son  frère  de  ceo  que  li  desplust 

296  pur  hunte  ne  dit  rien,  mes  se  tust  ; 

< I ii ii t  dit  seint  Richard  :  «  jeo  crei  bien 
»  ke  vus  repentez  sur  lute  rien 
»  de  la  terre  que  de  vus  aveie 

300  »  (e)  de  la  pucele  ke  aveir  poeie 

»  (e)  de]  bien  ke  poie  ou  li  aver, 
»  c'est  tut  l'ennui  de  vostre  penser  ; 
»  nenil,   lieu  frère,   pas  ne  seez 
•°>0î  »  pur  celfe]  afere  de  rien  grevez, 
»  (car  jeo)  serrai  a  vus  ausi  curteis 
»  cum  vus  fustes  a  mei  anceis  ; 


277.  Note. 

278.  Comp.    §   72. 
284.  Comp.    §   104. 

290.  Nous  croyons  que  «  endroit  »  est  la  bonne  leçon  ;  endreit 
semble  bien  pouvoir  signifier  «  tout  de  suite  »  ;  ee  qui  correspon- 
drait à  l' anglais  «  directly  »,   «  straightway  »   (comp.   §  71). 

292.  ~Sls.  tiel,  la  forme  tiel  peut  bien  être  la  bonne,  cf.,  vv.  396, 
940.    302,    vers    trop    long. 

304.    Pour  l'adjectif   démonstratif,   comp.    v.    125. 


Vil.    DE    SAINT    RICHARD  329 

»  veez  ci  la  terre,  tute  vus  renl 
308  »  o  votre  charte  ou  tut  ensement, 

»   e    la    pueele   s'il    plest    a    li. 

»  (e)  s'il  plest  a  ses  amis  ansi  : 

»  (kar)  [lestement   (par  mei)  la   poez  aver 
312  »  kar  unk(es)  par  mei  n'oul  un  beser.  » 

Richard  dunkes  es*!   revenu 

en  l'espérance  k'aveit  einz  eu, 

e  atente  d'aA  er  cum  sagej 
310  en  ciel  pardurable  eritage, 

ki'  plus  terre  ne  désira  ; 

la   terre  pur  ceo  tantost  lessa 

e  la  pueele  ausi  lesseit 
320  e  ses  amis  ensement  k'aveit; 

c  a  l'estodie  lantost  s'est  mis 

a   Oxenet'ord,   puis   a   Paris. 

e   pur  ceo  k'avenir   esteit 
32-i  par   heu   que   evesque   serreit, 

307.  comp.  §  93.  Pour  la  scansion  du  premier  hémistiche.  Comp. 
Veez  (i)ri  la  /ri  que  Moises  fist :  Résurrection  dans  Monmerqué: 
Théâtre  fr.  du  m-â.   v.   335,   page  19. 

308.  ensement,  comp.   §  86. 

311.  Kar  et  par  met  sont  supprimés  à  cause  de  la  répétition  du 
vers  suivant. 

313.    La   rubrique   4  semble   manquer,    cf.    Introduction. 

313. -322.  Ici  notre  auteur  ne  suit  ni  Capgrave  ni  Bocking.  D'après 
celui-ci  on  lit  :  At  Richardus  regeneratus  in  spem  vivam  par  Chris- 
tum,  hereditatem  incorruptibilem  et  immarcessibilem  conservatam 
in  cœlis,   cujus  participatio  ejus  in  id   ipsum,   et  ideo   fratrum   mul- 

titudino  non    minoratam,    potius   elegit  quam   terranam ad   scho- 

las...  revertitur...   AA.  SS. ,  p.  285. 

Capgrave  a  résumé  ce  passage  comme  suit  :  Confestim  igitur  reli- 
quit  Richaraus  ta  m  terrain  quam  puellam  et  omnes  amicos  et  ad 
studium  Universitatis  primo  Oxonise,  deinde  Parisiis  se  transtulit. 
ubi  Logicam  addidicit   (p.   278). 

315.   Voyez  notre  note. 

322.    Ris.    e   puis  a  prix. 

323-332.  Ad  scholas  ergo  Richardus  revertitur.  litterarurn  studio 
diligenter  insistons  :  et  ut  pectori  summi  Sacerdotis  futuri  non  irra- 
tionabiliter  Rationale  judici  necteretur  ;  post  humiliorb  litteratu- 
rae  scientiam  sufficienter  adeptam,  rationalem  scientiam,  id  est,  Lo- 
gicam, ut  ad  intelligenda  cetera  aptior  redderetur  et  acutior,  arbi- 
tratus  est  aggrediendam. 


330  VIE   DE    SAINT    RÏCHXRD 

(ke)  sen  e  raisun  deveil  aver 

;i  dreil  entendre  e  dreil  juger, 

pur  ceo  ini-i  i]  par  I  >eu  sanz  fable 
328  a   La   saence  dreil    resunable, 

kc  es!   logike  de  clers  numée, 

pur  aver  en  (autre)  clergie  outrée 

e  (par)agu  aver  l'entendement 
332  en  autre  clergie  quant  les  aprent   ; 

Richard   puisk'a   Paris  esteit 
223  y"  b     en  logike  feseil  bon  espleit, 

(e)  diligent  e  veillianl  esteil 
336  par  essample  son  mestre  dreit 

.Ihesu  Crist  ki  entre  les  mestres  sist 

niant  <•  demandant  aprisl  ; 

ausi  se  pena  de  bien  l'ère 
3-iO  pur  sutive  de  clergie  enquere, 

dunt  tant  entente  a  sa  prise  niisl 

ke  force  de  autre  chose  ne  prist  ; 

dunt  de  mangers  e  de  vesture 

325.  Ms.   eirisun; 

332.   Coœt.   V aprent?  voy.   v.   332. 

333-342.  Et  factum  est,  post  triduum  invenerunt  illnm  in  templo 
sedentem  in  medio  doctorum.  audientem  illos  et  interrogantem  eos 
(Ltjca,  2,  57).  Capgrave  et  le  Bocking  des  Acta  omettent  cette  com- 
paraison. 

337.    Voy.   la  note. 

340.    Ms.    sutivete. 

342.  Clodefroy  a  relevé  (iv,  p.  65  a)  ne  pas  faire  force  d'une 
chose  dans  le  sens  de  «  n'en  être  pas  effrayé,  n'en  pas  faire  diffi- 
culté »  ;  cette  locution-ci  doit  avoir  la  même  signification,  comp. 
§   100. 

343.-374.  Tantaque  fuit  discendi  affectio,  quod'  de  victi  aut  ves- 
titu  parum  aut  nihil  curavit.  Nain,  sicut  narrare  eonsueverat,  ipse 
et  duo  socii  ejus  existentes  in  caméra,  non  nisi  unicain  habebant 
cappam,  et  tunicam  tantum  ;  et  quilibet  eoum  lectum  infimum. 
Exeunte  ergo  uno  cum  cappa  ad  lectionem  audiendam,  i-eliqui  in 
caméra  residebant  :  et  sic  alternatim  exierunt:  panisque  et  parum 
de  vino  cum  potagio  eis  pro  cibo  sufficiebat.  Non  enim  carnes  aut 
pisces,  nisi  in  die  Dominica,  vel  die  solemni,  vel  sociorum  seu  ami- 
corum  piicscntia  ;  eorum  paupertas  ipsos  comedere  permisit  :  et 
tamen  saepe  retulit,  quod  numquam  in  vita  sua  tam  jucundam, 
tam  delectabilem  duxerat   vitam.    (CArr;RAVE,   278.) 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  331 

344  esteil  nuit  petite  tute  sa  cure, 

kar  ausi  cum  il  meimes  cunteil 

avanl  e  après  ke  evesques  esteit 

entre  .unis  e  cumpaign(un)s  ausi, 
348  ke  tant  desufferl  lores  suffri 

ke  il  e  dons  compaignuns  esteienl 

ou  li  eu  chambre,  si  n'aveienl 

fors  une  chape  entre  eus  senglement 
352  e  chescun  une  cote  sulement   ; 

e  un  !il  Ke  esteil  bas  asez 

sulun   lur  eises  e   privele/., 

diiiil  quant  l'un  ou  la  chape  a  escole  ala, 
356  l'autre  ou  sun  compaignun  demura 

en  lur  chambre  (jeke)  taunt  ke  revint, 

puis  elieseun  après  cel  ordre  tint, 

quanl  en  la  chape  va  oir  saence 
360  les  dous  en  chambre  funt  résidence  ; 

(is)si  ke  elieseun  par  ordre  dreit 

en  celé  chape  fet  sun  espleit  ; 

sachez  ke  lur  commune  esteit 
364  mut  petite  e  lur  vivere  estreit  ; 

pein  e  potage  lur  fu  asez 

kar  char  ne  peissun  n'uni  mangez 
225  r°  a     s'il   ne  t'ust   demeine  u  autre  jur 
368  solempne  u  si  rie  fust  par  amur 

de  compaignun  u  d'especial  ami 

ke  pur  eus  fussent  de  mieux  garni. 

quant   seint    Richard   icco   cunta 
372  e  1res  bêtement  reliera 


344.   Corr.  fu? 
352.   Comp.   §   100. 

355.  Voy.    la    note. 

356.  Comp.    §   72. 

358.  Comp.   §   100. 

359.  Supprimez   la. 

360.  Ms.    à   la. 

367.  demeine,   cf.    §   72. 

372.    Le   ms.    porte   deretirita,    le   verbe,    quel    qu'il    soit,    traduit 

retulit  ». 


332  VIE   DE   SAINT    RICHARD 

h  ilit  ou  lui  k'unke  en  sa  vie 
n'aveil  plus  delilablc  vie  ; 
en  celé  poverte,  par  diligence 

376  si  espleita  e-n  sa  saence 

e  par  grâce  ke  de  I  >en  aveit 
k'entre  les  parfiz  granl  sen  parlait 
c  plein  de  science  des  arz 

380  fu.  k'oul  quilli  de  tute  parz, 
a  l'escole  en  quer  ensemenl 
d'éloquence  aveit  ahurnement  : 
issi  [ke]  Irestuz  fu  teneu 

384  digne  a  mestre  d'estre  receu. 
a  sun  païs  puis  repeira, 
(c)  a  Oxeneiord  tost  s'en  ala, 
dos  arz  tosl  après  comença 

388  cco  k'oul  cuilli  axant  seigna, 

ne  n'oul  pas  eo  k'il  soûl  mucer, 
mes  en  autres  le  \<>nt  profiter, 
(kar)  ne  par  achesce  ne  par  en\  ie 

392  ne  vont  pas  celer  sa  clergie, 

car  bien  sont  (ke)  ne  dut   pas  mucer 
ceo  que  poul  a  autres  profiter, 
kar  bien  sont  sulum  le  dil 

396  Salomon  ke  tieuz  sunt  maudit  : 


373.   nu  tut;  comp.  §  71   (k). 

375-392.  Et  cum  Richardus  scientiae  et  eloquentia?  donis  ador 
natus,  magistralem  rathedram  ibidem  ascendere  ab  omnibus  accla- 
mabatur  dignus  ;  rediit  ad  patriam  suam  et  ad  Universitatem  Oxo- 
niensem  se  deolinavit  :  et  ibidem  post  modicum  t-empus  cathedrom 
magistralem  ascendit  :  aliis.  quae  antea  collegerat.  liberaliter  studens 
erogare.    (Capgravk,  p.   278.) 

382.  Comp.   §   100. 

388.    Comp.   §    72. 

395.  On  pourrait  corriger  saveit. 

396.  Les  textes  latins  omettent  ce  proverbe  de  Salomon:  Qui  abs- 
condit  frumenta,  maledicitur  in  populis  :  benedictio  autem  super  ca- 
put  vendentium  (Vulgate,  Prov.,  11,  26).  et  selon  la  version  d'Os- 
tervald  :  Celui  qui  retient  le  blé  est  maudit  du  peuple  ;  mais  la  bé- 
nédiction  est  sur   la  tête  de  celui  qui  le  vend. 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  333 

«  maudil  celi  que  sun  furménl 
»  Mince  al  pople  e  a  la  genl  ». 
(Seiht)  Richard  par  le  suverairi  rectur 
500  en  l'escole  esteit  guvernur3 
tuzjurz  en  suautime  charité 
en  (lueur  e  humilité. 

Cument  Seini   Richard  fust  sauvé 
de  la  ruine  d'une  piere. 

Par  testemoine  de  bone  gent, 
ïoi   leatis  e  religi.us  ensemont, 

laul  curn  Richard  fu  a  l'escole 

un  meslre  k'out  nom  mestre  Ranscole, 

la  feste  seiulfe]  sont  célébrer 
408  che&cun  an  e  grant  feste  aver 

u  compaignuns  (e  amis)  aver  soleit 

entre  lesqueus  a  une  feste  esteit 

me&tre  llichard  bien  renumez 
412  de  boue  murs  e  (de)  science  asez  ; 

cuire  les  meillurs  asis  esleil 

l'uni  a  sa  personc  mieuz  apendeit  ; 


398.  Con.n.    §   99. 

399.  Regens  igitur  Richardus,  non  sine  superni  Rectoris  regi- 
inine,  directus  et  custoditus  est.   AA.   SS.,  p.  285. 

401.  Suautime,  Godefroy  n'a  relevé  ce  mot  que  comme  substan- 
tif. 

Cette  rubrique  correspond  exactement  à  celle  du  ms,  sur  lequel 
Papebroch  a  fait  sa  collation  (voy.  Introduction);  elle  était  ainsi 
conçue  :    Quomoda   salvatus   n   ruina   maceriœ. 

403  414.  Notre  auteur  suit  de  très  près  la  version  du  Bocking  des 
Acta.  Nempe,  ut  fidelium  et  religiosorum  compertum  est  attesta 
tione,  cum  quidam  scholaris,  Oxoniœ  cathedram  magistralem  asoen- 
surus,  celebri  convivio  sui  magistratus  initia  solennizare  decrevis- 
set,  Magistrum  Richardum  de  Wycïo  scientia  tune  et  moribus  fa- 
mosum,  ad  suas  epulas  et  mensœ  snse  decorem  .studuit  invitare 
(p.   285). 

406.  Le  nom  du  maître  qui  donnait  la  fête  ne  figure  dans  aucune 
des  deux  versions  latines. 

414.   Apendeit    (comp.    §    72),    on    pourrait    supprimer   mieuz. 


334  VIF.   DE   SAINT    RICHARD 

tost  après  ceo  ke  asis  esteienl 
416  au  manger,  en  la  sale  entreienl 
genl  qui  diseienl  qu'a  la  porto  viigla 
un  très  hou  bacheler  ki  demaunda 
si  mestre  Richard  leinz  esleii 
420  c  ou  les  autre?  mestres  i  mangeit, 
c  dit  du  tut  hastivement 
volt  ke  la  li  l'ust  en  présent  : 

les  autres  li  prièrent  k 'il  entrast, 
424  e  ou  le  mestre  (leinz)  asez  parlast 

e  mangasf  leinz  tut  a  leisir  ; 

(mes)  eeo  ne  i'ust  nient,  mes  son  désir 

tuz  jurz  fu  e  pria  suvent 
428  ke  venist  a  li  hastivement. 

Quant  mestre  Richard  oui  oi  tant. 

s'en  leva  tant  tost  mcinlenant 

e  a  la  porte  (tantost)  s'en  ala, 
432  reiiarda(st)  partui  sa  e  la, 

e  demanda  u  col  bacheler  fu 


415  436.  Cum  subito  inter  prandendum  intrant  aeditui,  qui  dicunt 
quemdam  egregiœ  forma?  juvenem  pro  foribus  equo  residentem 
assistere,  qui  sciscitatus  an  Magister  Richardus  de  Wycio  intror- 
sus  cum  ceteris  recumberet,  ejus  se  dixit  ardenter  et  festinanter 
velle  frui  pra?sentia  :  et  quamvis  diligenter  et  amicabiliter,  ut  in- 
traret,  ab  eis  obnixe  rogaretur,  quatenus  cum  dicto  Magistro  habe- 
ret  colloquium...  nullo  modo  acquievit,  sed  hoc  solum  iterum  atque 
iterum  replicans  rogavit,  ut  dictus  Magistcr  sine  morœ  dispendio 
ad  se  venire  festinaret.  Alagister  igitur  Richardus  ha?c  audiens, 
concito  surrexit  et  ad  fores  usque  perrexit.  Cumque  hue  illucque 
circumspicei^et,  et  sollicite  ab  iis  qui  aderant  inquireret,  intellexit 
hujusmodi  ibidem  adfuisse  ;  sed  cjua  diverterit  vel  quando,  non  est 
inventus  qui  scire  edicere   (p.   286). 

417.  Le  ms.  porte  que  la  porte,  rugla ;  nous  ne  savons  si  notre 
auteur  a  voulu  traduire  œditui  (gardien  d'un  temple)  par  «  ceux 
qui  veillaient  à  la  porte  »,  ou  s'il  veut  dire  qu'un  jeune  bacheler 
attendait  à  la  porte. 

418.  Comp.    §   100. 

419.  Comp.   §  85. 
422.  Ms.   voit. 

428.   Coït,    vinst;  comp.   §  63  et   le  vers  1260. 
433.  demanda,    comp.    §    72. 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  335 

que  esteit  a  cheval  la  venu. 

Les  autres  diseienl  ke  la  ïu, 
436  mes  ne  saveient  u  lu  devenu. 

veez  (de)  nôstre  sire  la  merci 

e  La  curteisde  que  est  en  li, 

ki  si  sauve  ces  que  les  seens  sunl, 
440  ki  en  li  boue  espérance  unt  ; 

car  endementres  ke  queraunl  va 

le  bacheler  ça  endreit  e  la 

merveillus  cas  si  a  Deu  ne  plust 
i  1 1  e  dolerus   leinz   avenu  fust, 

dunt  de  la  leste  veraiement 

le  liait  ust  lurné  amarement  ; 

mes  nostre  sire  par  sa  duçur 
418  deslurba  del  cas  la  dolur 

kar  (tant)  cum  le  mestre  dehors  esteit, 

une  grant  piere  del  mur  rueit, 

e  en  Ja  place,  meimes  chaist 
452  u  mestre  Richard  avant  s'assist; 

issi  sul  ust  [il]  demuré, 

sa  teste  ust  este  tut  quassé. 


436.  df  venu,    cf.    §    72   xi. 

437  448.  0  immerifa  Dei  pietas,  qui  sic  suas  mirificare  novit  mi- 
sericordias,  ut  salvos  faciat  sperantes  in  se  !  Dum  enim  Magister 
Richardus,  a  prandio  surgens,  hue  illucque  juvenem  inquirendo  mo- 
ra-s  necteret  ;  ecce  casua  inopinabilis,  et  qui  totam  convivii  jocun- 
ditatem,  nisi  Deus  aliter  providisset,  verteiet  in  luctum.  (AA.  SS., 
p.    286.) 

439.    Ms.    ices. 

442.  Comp.    §    100. 

443.  Ms.   en  merveillus...,  §  98. 

444.  Comp.   §   100. 

445.  Comp.    §    100. 

449-462.  A  lapidea  enim  macerise,  desuper  eminente,  intérim  lapis 
tant;p  molis  decidit,  ubi  prisu  Magister  Richardus  sederat,  quod  du- 
bium  esse  non  potuit,  si  sessionem  continuasset,  quin  caput  ejus 
conquassasset.  Sed  ille  qui  de  futura  resurrectione  spem  suis  tri- 
bî-endo  promisit,  dicens.  Capillus  (Luc,  21-18)  de  capite  vestro  non 
peribit  ;  sui  Richardi  caput.  oleo  lœtitiae  in  Pontificalem  dignita- 
tem  perungendum,  ab  exitali  lapiciis  casu  voluit  observare,  p.   286). 

451.  Comp.    §   82,   3*. 


336 


VIE   DE   SAINT    HICHAUn 


Mes  ce]  k'en  espérance  mist 

156  les  seens  k'en  disanl  lur  promist, 
quant   tel  manere  il  on  diseit, 
ke  poil  de  lur  teste  ne  perereil  ; 
le  chief  suri  Richard  defendeil 

460  k'enuignt,  cum  oui  purveu,  serrcit 
a  l'evesche  la  digneté, 
de]  cas  dé  la  piere  a  sauvé  : 
dunl  no  pas  dit  n'estre  ne  deil 
225  v°  !»     ke  celi  k'en  la  Forme  pareil 

d'un  bachelier  ke  lanl  demandeil 
nioslre  Richard  ke  son  angle  n'esteil 
o  fu  dol  îiumbrc,  ioost  sachez, 

468  dunl   David  on  sauter  ad  parle/.. 

ko  a  dreiturel  défense  a  Deu  promisl, 

quant  en  prometanl  issi  le  dit, 

a  ses  angles  (de)manda  ke  bons  sunt 

ÎT'J  de  loi  ke  partut  gardérurit, 
e  on  lur  moins  serrez  portez 
ke  vostre  pie  pas  ne  blescerez. 
ieil  (dunike)  ko  s'en  promet  dol  pic 

jTG  ko  de  piere  no  serra  (pas)  blescié, 
iceli   lo  chief  Richard  gardeit 
ke  do  la  piere  (pas)  blescé  n'esteil. 


463-482.  Unde  dubium  esse  non  débet,  illum  qui  in  forma  juve- 
nis  Magistrum  Rirhardum  requirebat  de  numéro  eorum  extitisse, 
de  quibus  Psalmista  (Ps.  91,12),  viro  justo  promittene  Deo  protec- 
tionem,  dicit:  Angelis  suis  mandavit  ae  te,  ut  oustodiant  te  in 
omnibus  viis  tuis  :  in  manibus  portabuunt  te,  ne  forte  offendas  pd 
lapidem  pedem  tuum.  Qui  ergo  sanctorum  pedes,  ne  offendant  ad 
lapidem,  per  Angelos  custodive  piomisit,  ipse  Rlcardi  caput,  ne  a 
lapide  Iœderetur,  custodivit.  Perst-at  igitur  docendo  pariter  et  dis- 
cendo  assiduus  B.  Ricardus  ;  ex  discipulorum  doctrina  sibi  meri- 
tum,    discipulis    profeetum    cupiens    amy.liare    (p.    286). 

La  rubrique  latine  est  conçue  comme  suit  :  Qualiter  in  Jure  Ca- 
vonico    rexit. 

465.  Oomp.  §  100. 
468.  Comp.  §  102. 
469-481.   Ces  vers  sont  évidemment  fautifs.  Voy.  §  103,  et  la  note. 


VIE   DE   SAINT    ItlUI  \i:i>  337 

Richard  assidue]  l'u  en  seignianl 
480  e  ausi  fu  en  estudjanl  : 

iluiil  par  la  doctrine  kc  disciples  doneit, 
granl  mérite  de  Deu  gaigneit. 

(  'muent  seini  Richard 
lui  de  decreez. 

Seinl   Richard  quant  avril  asez 
484  en  ail  travailliez  e  enseignez, 

par  la  disposiciun  divine, 

talent  li  vint  en  la  peitrine 

pur  équité  saver  ou  ver(i)tez 
488  a  Roloine  aler  oir  decreez  : 

puis  après  iloukes  s"en  ala 

e  set   an/,  u    plus   esteit  la, 

e  en  s'aprise  fist  tel  espleil 
492  que  son  mestre  que  dunkes  esteit, 

le  meillur  de  la  vile  teneu, 

en  maladie  fu  si  reteneu 

ke  ne  pot  (les)  leçuns  continuer 
226  i"  a     ilunl  (li)  cuveint  a  ceo  aide  aver: 

a  ceo  acuniplir  l'u  en  pensant  ; 

479.  Vers  trop  long,  comp.   §  102. 

483  496.  Postea  B.  Richardus  Bononiam  proficiscens,  per  septen- 
nium  et  amplius  mellea  Canonum  fluenta  hausit,  quod  Magister 
suus,  infirmitate  detentus,  ad  lectiones  suas  vioe  sua  continuandas, 
prae  omnibus  discipulis  suis  dictum  Richardum  elegit. 

484.  Lis.  geignez,  comp.   §  72. 

487.  On   pourrait   corriger  pur   équité    en  d'équité. 

488.  oir,  comp.    §  98  et  50  a. 

493  4.  Il  est  à  noter  que  l'e  muet  a  déjà  si  peu  de  valeur  sylla- 
bique  qu'il  peut  être  inséré  là  où  il  n'est  pas  autorisé  par  l'éty- 
mologie  comme  dans  t<  ncu  et   reteneu. 

Pou.  ce  chapitre,  notre  auteur  a  suivi  un  texte  qui  ressemble  à 
celui  de  Capgrave. 

497.  Comp.    §   98. 

497  516.  Qui  per  dimidium  annum  et  amplius  se  prudenter  et 
humiliter  in  illo  officio  babebat,  quod  a  tota  Universitate  laudem 
et  honorem  meruit  obtinere  singularem  :  nec  non  a  Magistro  suo 
tantam  gratiam  invenit.  quod  uni  .uni  i'iliam  heredem  cum  omnibus 
terris   et    bonis    suis,    ex    voluntate   filiae    obtulit    affectuose. 


338  \ll     m     SAINT    RICHARD 

mes  nul  de  ses  escolers  ne  li  plut  tant 

cum  seinl  Richard  a  cet  afere, 
500  k'enprisl  la  bosoigne  par  son  (re)quere, 

(lunt  demi  an  continueit 

les  lesçuns  sou  mestre  a  (grant)  espleit 

e  sagemenl  se  aveit  en  li^-.int , 
504  e  queinte  e  humble  fu  en  desputant, 

en  cunseil  e  parole  ensement, 

dunl  fu  preise  de  tule  gent 

ke  de  tute  l'université 
508  loenge  e  amur  arc/7  gaigné. 

E  de  son  mestre  Lant  gre  aveit 

que  sa  fille  ke  son  heir  esteit, 

ou  tûtes  ses  terres  pleinement 
512  e  chasteus  e  vignies  ensement 

ou  rentes  e  autres  biens  asez 

li  offrit  par  la  volent ez 

sa  fillie  e  consentement, 
516  e  ceo  par  grant  desirement. 

Seint  Richard  ki  espiré  fu 

del  seint  espirit  ad  entendeu 

ke  meimes  le  temptur  (ke)  l'enticcit 
520  que  il  une  demisele  preit  ; 

par  son  matrimoine  k'il  aveit 

[is]si  cum  dit  avant  esteit, 

decevre  ki  dune  fu  en  penser, 
524  si  grâce  n'ust  de  Deu  a  rester. 

hore  par  ceste  e  par  a  ver 

498.  Vers  trop  long,  on  pourrait  lire:  nul  escol&r  ne  li  -plut  tant. 

508.   Vers    trop   long,    corrigez   ot    gaigné 

511.  Comp.  §  100. 

513.  Comp.  §  100. 

515.   Pour  ce  vers,  comp.  §  99. 

517-36.  Sed  B.  Richardus  alia  cogitans  a  Spiritu  sancto  inspi- 
ratus,  humiliter  gratias  ei  ref  erebat  ;  et  exponens  quasdam  curia- 
les  cautelas  et  peregiïnationis  caussam,  promisit  se  voluntatem  ipso- 
rum   in   suo   reditu   perfioere.    (Capgravk,   p.    278.) 

520.  Comp.    §    99. 

524.  Pour  rester  =  résister,  cf.  «  ^lais  vus  doinst  vertu  a  rester  a 
la  temptacion   ».    Ms.    B.    N.,   19525    (cité   par  'Godefroy). 


\ll     1)1     SAINT    RICHARD  339 

a  esaie  ses  laz  lier. 

himi   seinl   Richard  oui   desirance 
528  de  cest  laz  aver  deli\  erance  : 
226  r"  li     ke  fusl  a  mendemenz  liez 

que  nostre  sire  ad  comandez. 

ni  meslre,  e  ;i  la  pucele  ensement, 
532     iinii    de   grez   e   grâce   ur   rent 

e  lur  mustre  cointement  com  sage, 

al  repeirer  de  pèlerinage, 

ke  lur  disl  k*| il |  aveil  a  fere, 
"».",('.  lur  promisl   lur  curage  plere 

La  raisun  seinl  Richard  veraiement 

a  la  pucele  c  (a  son)  père  ensement 

plest  ke  [celi]  face  cum  >;i^f 
540  e  acumplie  son  pèlerinage  ; 

Seinl  Richard  dunkes  si  perneit 

cel  pèlerinage  k'en  quer  aveit 

e  a  son  païs  repaira 
544   c  sein  e  heité  s'en  vinl   la. 

(lunt  ou  le  prophète  en  ver(i)lé 

dire  poeil   k'apparaillié 

lien  aveient  a  nies  pez, 
548  dunt  jeo  esteie  tant  grevez, 

ke  mal  nie  turent  par  itant 

par  ennui  [tresjtut  crupissant, 

mes  le  lien  esl  despescé 

526.  Ce  vers  se  rapporte  peut-être  au  verset  110  du  psaume  119  : 
Fostterunt  peccatores  hiqueum  mihi:et  de  mandatis  tuis  non  errnri. 

534.    Le    ms.    porte    k' après    h    lepeirer. 

537-84.  Ac  sir  Richardus  in  terram  suam  reversus,  statim  post 
adventum  suum  in  Angliam  ad  Universitatem  Oxoniensem  remeans, 
in  laboribus,  vigiliis  et  multi  moda  afflictione  corporali  vivens,  una- 
nimi  c„:isensu  ibidem    Cancellarius  est  effectus.    (Capgrave,  p.   278.) 

Quoique  le  passage  qui  se  rapporte  à  ce  chapitre,  dans  le  Bocking 
des  A'  ta.  suit  de  beaucoup  plus  long,  il  ressemble  moins  au  texte 
français  que  cet   abrégé  de  Capgrave. 

540-2.    pelerinagi  ;  comp.   §   100  et  §  89. 

546.    Ce    vers    ressemble    au    vers    526. 

651-2.  Comparer  Ps.  124.7.  Anima  nostra  sieut  passer  irepta  est 
de  laqueo    venantium :  Laqueus  contritus  est  et  nos  liberati  sumus. 


340  VIE   I»l     SAINT    RI(  Il  \IU) 

552  e   par  grâce   sui   deliveré. 

Seinl   Richard  après  ceo  ke  lu 

dilue  en   Engletere  veneu 

;i  I  Ixeneford  losl  s'en  ala, 
r>.— »* *»  e  en  decrez  noblement  lui  la. 

Derechef  de  ceo  ke  avedl 

par  granl   travail  fel  son  expleil 

alliurs  en  science  e  saver 
5G0  par  veillies  e  uiul  travaillier 

c  en  luinteine  regiun, 
226  v"  ;i     ou  corporele  affliciun  ; 

luec   par  science  e  enseignement, 
564  par  grâce  ke  espanl  Largement, 

e  de  ceo  ke  dussenl  aprendre, 

conusl  lesqueus  sunl  a  répandre  ; 

ke  de  l'ur  veissel  verser  voleint 
f>(iS  de  ceo  ke  leïnz  trop  poi  aveient, 

e  avenl  en  éscrivre  e  lire, 

que  ussent  oy  de  bien  dire. 

e  plus  sages  a  la  feiz  se  l'uni 
572  de  ceo  ke  riule  rien  apris  n'en  uni  ; 

iléus  Ires  bien  en  coniseit  ; 

par  uni  l'université  dreil 

par  un  consent  e  un  curage 
576  l'eslirent  a  chanceler  cum  sage. 

ke    en    cel    office   mustreit 

le  iresor  de  sen  qu'en  li  esleit. 

552.  Comp.    §   89   et   §    100. 

667.  Vers  trop  long,   comp.    §   102. 

567-73.  Le  sens  de  ce  passage  nous  échappe. 

576.   Comp.    §   100. 

578  7.  La  fin  du  quinzième  paragraphe  du  IVcking  ressemble 
assez  au  texte  français:  In  quo  nimirum  of'ficio  detexit  effectu 
operis  thesaurem  sapientiac  et  scientiœ,  quem  armariolo  reconai- 
derat  mentis.  Fuit  c-nim  in  oaussaruin  discussionibus  prudens  inves- 
tigator  ac  diligentissimus,  în  pronuntiando  verax,  in  juciicio  justus, 
in  sententiis   proferendis   discretus,   in  omni   actione   compositrt>-. 

La  rubrique  latine  est  conçue  comme  suit:  Quod  Cancellarivs 
lui/   11.    Edmuitdi. 

578.   Pour  ce  vers,   voir   §  98. 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  341 

en  ses  diz  esteit  véritable, 
580  (e)  en  jugement  dreiturel  e  stable, 
descret  en  tuz  ses  fez  esteit 
(e)  veriuus  en  chescun  endreit, 

(is)si  ke  sa  faîne  a   tuz  llereit 
58'i  cum  duz  o  durement  fut  lu  dreit. 

Cument   il  fut   chauncelier   seint   Edmund 
Vercevcsque. 

Dunl   seint   Edmund  le  ercevesque 

e  ilr  Nicole  Robert  l'evesque, 

ke  les  vertuz  k'en  li  esteient 
588  e  murs  île  grant  tens  coniseient  ; 

en  un  tens  andeus  le  désirèrent, 

(e)  lurs  quers  andeus  en  li  fichèrent  ; 

dunt   mes   ke  chescun   volonté 
592  e  entent  (a)  autri  fust  celé, 
226  v°  h     andeus  nequedent  ceo  pensèrent 

e  en  lur  penser  désirèrent 

ke  de  pasturel  office  le  fes 
596  portast  oncke  seus  entre  les  ; 


584.  Comp.   §   57. 

585-618.  Beatus  vero  Edmundus,  tune  Archiepiscopus  Cantua- 
riensis,  qui  conversationem  ejus  et  dicretam  scientiam  diu  ante 
cognoverat,  ac  etiam  Robertus  Lincoln iensis  Episcopus,  dictus  Gros- 
sumeaput,  vir  venerabilis  sanetitatis,  uno  eodemque  tempore,  licet 
utriusque  intentio  utrumque  lateret,  Magistrum  Richardum  in  Con- 
cellarium  suum  adoptare  magna  cum  instantia  Laborarunt  Tandem 
voto  disti  Patris  Cantunriensis,  cujus  preces  et  mandata  praevene- 
rant,  gratias  obsequitur,  et  reventer  obtempérât  voluntati.  Beatus 
igitur  Edmundus  prepriam  sui  nominis  inscriptionem  et  dignitatis 
imaginem,  titulum  scilicet  et  sibilum,  et  totius  Archiepisoopatus 
majora  quœque  ei  commisit.    (Cai-gravk,  p.    278-9.) 

E86.  Pour  ce  vers,  voir  Haveloc,  192,  et  Estorie  des  Engleis- 
Epilogue,  144. 

Seul,  Capgrave  fait  mention  du  célèbre  Robert  Grossetête,  évêque 
de  Lincoln. 

589.    Pour  ce  vers,  voir  §  72. 

592.  Cf.   §  89. 

595.  Lis.    d'office    pasturel. 

?3 


3  i2  \  Il     ni     5AIN1     RICHARD 

kar  bien  saveienl  lui  ;i  devise 
ausi  bien  a  endocli  iner 
ke  profitable  lut  ;i  l'église, 

600  cum  dreitureumenl  le-  torz  drescer  : 
i.'iui  cum  i-si  [l'u]  lur  penser, 
jugèrent  lequel  le  deust  aver  : 
seinl   Edmund  par  sa  prière  devant 

(hi'i  ou  li  demurer  aveil  le  grant. 
Al  père  vient  i^si  apelé, 
le  fiz  k'at  chier  e  mut  amé  ; 
le  père  conisseil  bien  le  fiz 

608  par  mérite  de  i'ez  e  de  diz, 
dunt  joie  de  quer  de  li  ont 
k'en  fel.  e  (en)  semblant  li  muslrout 
le  secund  le  feseit  après  li 

612  en  lionur  e  en  charge  ausi, 
pur  ceo  son  seel  li  baillieit 
u  sun  num  e  s'vmage  esteit, 
dunt  de  lute  Tercevesché 

616  1rs  greignurs  choses  li  ad  baillié, 
par  son  acost  ajustement 
le  feist  par   lut   enseurement. 
Seint  Richard  lores  par  son  festre 


600.  dresrrr  =  adrpcie> ,  i.  e.  régler,  faire  droit,  cf.  Ainceis  h' 
(le  povre  ome)  deis  entendre  et  conseillier,  Par  l'amor  Diu  de  son 
dreit  adrecier.  [Couronnement  de  Louis,  184  5],  et  Boeve  de  Haum- 
tome,   v.    1015  (U.)  et  §  91. 

603-4.  Nous  comprenons  :  Saint  Edmond,  pour  lui  avoir,  le  pre- 
mier,  offert  le  poste,   a  pu  se  l'adjoindre. 

604.  Les  locutions  connues  sont   nmetre,   finir  ou   e&tre   »  h   <jni>itù. 

617.  acost    —    habile? 

618.  Cf.  §  72  (d). 

619.  Pour  festre,  comp.   v.   899. 

619.  Notre  auteur  se  rappelle  peut-être  le  verset  :  Puer  (Chris- 
tas)  autem  cresc&bat  et  confortabatur,  plenus  sœpienta  et  gratia 
Dei  erat  in  illo   (Lijca,  2.40). 

619-634.  Cœpit  igitur  Ricardus  quotidie  in  bonis  crescere,  minis- 
terium  sibi  creditum  fastu  dempto  superbiae  prudenter  excarcere, 
Domini  sui  Archiepiscopi  studiens  j.er  omnia  providere  quieti,  quem 
sciebat  optimum  partent  cum  Maria  (S.  Luc  x,  42),  eligere  pariter  et 


\ll    DE   SAINT    RICHARD  343 

620  en  biens  chescun  jur  commença  crestre, 

e  l'office  ke  li  esteil  baillié 

san/  enflure  d'orguil  ad  usé  ; 

par  lui   purveil   en  son  purpos 
624  ke  l'ercevesque  fusl   (dreit)  en  repos; 

kar  bien  soûl  ke  ou  la  Marie  dreil 
227  r°  a     la  meillure  vie  eslu  aveit  ; 

pur  ceo  s'entenle  ©  Iule  s'amur 
G'JS  esteit   pur  servir  nostre  seignur. 

seinl  Richard  leaumenl  s'entremist, 

des  conseils  e  bosoins  entreprisi 

e  en  que]  cause  u  bosoin  esteit  ; 
632  des  dons  tuz  jurz  ses  mains  gardeit, 

kar  bien  sont  k'il  avient  suvent 

ke  dons  avuglent  les  oils  de  gent   : 

lanl  eiiui  lu  en  la  chancelerie 
636  de  fere  dreiture  ne  se  Feint  mie, 

nies  a  lu/  fenestres  e  ouverture 

i'et  [il]  pur  aver  lur  dreiture, 

e  uiustre  a  tuz  dreil   en  ver(i)té 
640  (e)   lumere  d'eschivre   fauseté. 

Derechef  ver(i)te  ne  lessa   mie 

pur  grosur  divine  ke  lui  en  vie, 

diligere,  et  proximorum  pro  caussis  diversis  ad  Archiprœsulis  cu- 
riam  adventantium  considère  utilitati  :  in  omni  caussa  vel  negotio 
manus  excutiens  penitus  a  munerutm  aôceptione,  quae  oeulos  excœ- 
care  soient   (Caporave,  solvt)   etiam  sapientum.    A  A.   SS.,   286-7. 

620.  Comp.    §§   67,   102. 

628.  Coït.   fu. 

630.  Le  ms.  porte  s'entremist. 

635-660.  Ni  le  Bocking  des  Acta  ni  Capgrave  n'offrent  de  texte 
qui  corresponde  à  ces  vers.  Capgrave  semble  donner  le  résumé  d'un 
paragraphe  qui   aurait   pu   servir  de   source    (comp.    la   note). 

Inerant  siquidem  ei  inerabilis  sequitas,  affabilis  ben'gnitas,  mo- 
desta  simplicités,  simplex  humilitas,  ceterique  tranquilli  mores  et 
actus,   p.   279. 

637.  Voyez   note. 

639.  Comp.  §  72. 

641.  Comp.    § 

642  et  646.  Comp.    §   72. 

642.  Ce   vers   est   certainement   fautif. 


3  i  '»  \I!     Dl     SAINT    RICHARD 

ne  tanl   riche  home  se  liant   ke  i'ust 

64  'i   pur  quei  sa  dreite  ver(i)le  lusi 
ne  les  povres  en  nul  endreil 
pur  lur  défaut  en  despil  n'aveit, 
mes  en  l'oreile  de  tute  gent, 

6-;i8  a  lu/,  esteil  obedient, 

sur  tute  rien  dreiturel  esteit 
e  affable  e  bénigne  a  dreit, 
amiable  esteil   e  curteis 

652  e  Large  a  lu/,  e  tute  veis, 

en  murs,  en  fez,  en  c-hecun  endreil 

simples,   humbles   et    peisible  esteit. 

de  ers  (luises  (e  semblables)  entre  privez 

656  entre  ses  compaignuns  ahurnez 
sa  mérite  esparplie  tant  flereit, 
ke  pas  sulemenl  a  bons  n'esteit 
a  loênge  e  a  grâce  doner 

660  mes  as  envius  turmenter. 

L'ercevesque   (mut)  se  joisseit 
de  fiel  chancelier  cum  il  aveit 
ke  par  (son)  travail  e  diligence 

664  e  par  (sa)  descreciun  c  science 
de  cure  ke  esteit  dehors  haucé, 
e  de  noise  l'aveit  (si)  deliveré. 


643.  Ms.  ne  h.  ne  fut 
649.  Comp.    §  91. 

652.  Comp.   §  5  B  et  §  -57. 

653.  Comp.   §   102. 

654.  Comp.   §  92  et  §   100. 

656.  Comp.   §  100. 

657.  Comp.    §    72. 

661-678.  Gratulabatur  Archiepiscopus  se  Caneelarii  sui  sollicita 
discrétions  ac  discreta  sollicitione  ab  exteriorum  tumultibus  libe- 
rari  :  gaudebat  Cancellarius  Domini  sui  sanctitaté  ac  cœlesti  conver- 
sations informai  i  :  declinabantur  in  alterutrum,  sanctus  in  sanctum  ; 
magister  in  discipulum,  discipulus  in  magistrum  ;  pater  in  filium, 
filins  in  patrem  ;  ita  ut  vivaci  inspector,  spiritualiter  conversanti, 
videre  asset  duo  Cherubim  glorise,  Arcam  Domini,  id  est,  Eccle- 
siam  Cantuarienisem  protegentia. 

662-667.  Comp.   §  100. 


VIE   DE   SAINT    Iil(  Il  VRD  345 

Le  chanceler  de  la  sainteté 
668  son  seigniur  s'esjoil  en  ver(i)té, 

chescun  en  autre  se  declineit, 

le  seinl  el  seinl  ceo  l'ut  tut  dreil 

le  meslre  el  disciple  reclineil 
672  (e)  le  disciple  el  mestre  h  le  feseit, 

le  père  en  ûz,  le  fi/  en  père, 

s'entreclinent   «mi   tele   manere, 

si  iiim  deus  chérubins  esteient 
676  ke   l'arche   aostre   seigniur   regardeient   ; 

ausi  poel  hum  vereimenl  dire 

ke  l'église  gardenl   de  Canterbire; 

par  l'oil  de  seinte  intenciun 
680  chescun   autre   regarde  en  son, 

e  par  les  eles  de  charité 

si  ont  amsdouz  entrecuché  : 

[vis]  uni   lu/,  jurz  de  volunté 
684  a  celi  ke  est   propice  (unt)  turné 

ce  est  celi  (pie  propice  nus  est 

(e)  a  pardoner  pèche/,  quant  li  plest  ; 

estre  ceo  ces  chérubins  sache/ 
688  de  overe  de  martel  furent  forgez  ; 

l'un,  c'est  a  saver,  seint  Edmun, 


670-2.  Le  ms.   porte  trois  fois  en  le. 

672.  Comp.  §  102. 

679-688.  Sanctfe  intentionis  oculo  invicem  se  inspicientia,  et  alis 
gemiric-p  sanctitatis  se  mutuo  contingentia,  versis  semper  vultibus 
voluntatum  in  propitiatorem  in  ipsum  videlicet  qui  est  propitiatio 
pro  peccatis  nostris.  Fuerunt  nihilominus  piaîdicta-  duo  Cherubim 
opère-  productili,  id  est  malleorum  tunsione  producta  et  fabre- 
facta. 

683.  Nous  ne  pouvons  lire  le  premier  mot  de  ce  vers  ;  le  ms. 
semble    porter   e/ec  :   le   vers   correspond   à    versis   semper   vultibus... 

689-704.  Quia  uterque  Sanctus  iste,  Edmundus  videlicet  et  Ri- 
cardus.  unus  quidem,  id  est  Archispiscopus,  patiendo  ;  alter  vero, 
id  est  discipulus,  compatiendo  et  collaborando  pro  libertate  Ec- 
clesiœ  et  justitia.  tribulr.tiones  innumeras  et  angustias,  damna  re- 
rum  et  rapinas,  corporum  laTjores  et  molestîas,  opprobria  verbo- 
rum  et  contumelias.  provinciae  denique  suœ  proscriptionem  et  exi- 
lium,  tanquam  malleorum  duros  ictus  et  fréquentes,  super  patientiœ 
incudem,  velut  auri  dignissima  materia,  absque  tinnitu  murmuris 
perpessus  est.    (AA.    SS.,   p.   286.) 


3  i6  VIE   DE   SAINT    RICHARD 

l'autre,  (seint)  Richard  sun  compaignun, 

and  eus  travaillenl  pur  La  franchise 
227  v°  a     e  la  dreiture  de  seinte  église  : 
693  (liini  niiilt  anguisses  e  travaus, 

c  innl  (di-)  tribulatiuns  e  (de)  maus 

de  aneme  e  travail  de  cors, 
696  pertes  de  choses  dedenz  e  dehors, 

molestes  e  paroles  huntuses3 

e  par  vergoine  très  anguissuses, 

la  chief  <l<i  piele  de  son  pais 
700  propre,  esteil  en  exil  mis  ; 

i>si  [dreit]  cum  de  martilliers 

dur  cops  recurent  suvenl  <•  fiers 

sur  l'enclume  (dreit)  de  pacience 
704  kar  nest(e)  esteient  de  conscience. 

autres  ensamples  poet  en  asez 

[ajapter  de  lur  granl  buntez, 

e  en  Latin  numeement, 
708  kar  la  chiet  il  plus  proprement  : 

car  de  divinité  en  (la)  clergie 

proprement  chiet  l'alegorie, 

e  en  Latin  plus  proprement 
712  kc  ne  fe!  en  franceis  veraiement  ; 

nequedent  loin  poet  bien  numer 

695.  Voy.  la  note. 

700.  Comp.   §   99. 

701.  On  pourrait  insérer  dreit:  deux  ver?  plu?  bas.  ce  mot  peut 
être   supprimé,   comp.    le  texte  latin. 

702.  Le  ms.  porte  recureit. 

705-12.  Le  poète  ne  se  hasarde  pas  à  traduire  le  passage  suivant: 
Fuerunt  quoque  duae  virga?  a  Zacharia  assumpta»,  quarum  unam 
vnravit  Decorem,  Archipraesulem  scilicet  propter  vitae  contemplative^ 
pulschritudinem  ipsum  decoranteni.  per  quam  :n  suis  deliciis  spe- 
ciosa  fit  anima  et  suavis  ;  alterum  vero,  id  est,  Cancellarium,  vo- 
cavit  Funiculum,  propter  activœ  vitae  multiplieem  occupationem, 
qua  in  singulis  negotiis  unieuique  metiebatur  juste,  tanquam  in 
funiculo  distributionis.    (Cf.    Zacharie  xi,  7  et  AA.   SS.,  p.   287.) 

710.  chiet  =  cheoir  dans  le  sens  de  tenir  n  paraît  être  rare,  voy. 
Godefroy  rx,   p.   69  a. 

713-20.  Sed  nec  istos  duos  magna  luminaria  appellare  formidem, 
qua?  in  Ecclesiœ  Cantuariensis  firmamento  conjuncta,  ex  sua  pro- 
pinquinate  non  eclipsim  generarent,  sed  radiosa?  lucis  fulgore  to 
tam    Ecclesiam    perdustrarent     (AA.    SS.,    p.    287.) 


M!     m.    -\1M     RICHARD  34*7 

l'ercevesque  e  son  chanceler 

don/  luminares  en  firmamenl  granz 
Tlii  de  l'église  de  Canlerbire  cler  luisanz 

k'entrejuent,  issî  csteienl, 

(e)  lur  rais  issî  s'enlremedleienl 

ke  par  les  rais  ke  de  eus  getereni 
720  luile  l'église  enluminèrent. 

(Seinl)  Richard  Luz  jurz  m  seinl  Edmun 

(en)  chescan  de  sa  Iribulaciun 

c  deçà  la  mer  e  delà 
72  i   a   li   lu/  jurz  se  ajusta 

(kar)  bien  sout  cum  eu  -a  passiun 

en  solas  se  Ireienl  cunpaigniun, 

c  ces  k'en&emble  sufferunl 
728  peines,  ensemble  en  joie  serrunt  ; 

c  h  ne  Ici  mie  par  reisun 

tesir  les  mox  d'affectiun 

ke  seinl  Edmund  ver  li  aveil 
732  quanl  en  son  lil  mortel  esteitj 

que  en  sa  dereine  volenté 

le  feil  d'amur  li  acl  mustré, 

quanl  il  son  testament  feseil 
736  de  seinl   Richard  issi  diseit   : 

«  ico  devis  a  niuii  chanceler, 

715.  Aère  trop  long,  oomp.   §  91. 

716.  Vers  trop  long,  supprimer  cler,  et  voy.   §  102. 

721.  11  faut  supprimer  seint,  comme  au  vers  787,  et  passim,  voy. 
la  note. 

721-42.  Constanter  igitur  et  perseveranter  B.  Edmundo  in  suis 
tribulationibus.  tam  in  provincia  qnam  in  exilio,  Sanctus  adhœsit 
Rica  i  dus  ;  non  ignai'us,  quod  qui  fuennt  socii  passionum,  simul 
erunt  et  consolationis  :  et  qui  oompatiuritur,  conregabunt.  Nec  si- 
lentio  arbitrer  praetereunduin  illa  mine  alïectionis  verba,  qu;e  idem 
Edmundus  in  ultima  voluntate  de  Beato  expressit  Ricardo  :  Legamus 
dilecto,  inquit,  Cancellario  nostro,  quem  jam  diu  nobis  invisceravi- 
mus,  euppam  nostram.  Qua3  quidem  verba  sant;e  recordationis  Otto, 
tune  in  Anglia  Sedis  Apostolicse  Legatus,  non  parum  admirans. 
iterum    atque   iterum    coram   se    fecit   recita  ri.    (AA.    SS. ,    p.    287.) 

722.  en   paraît  avoir  été  ajouté   par   le  scribe. 

737.  divisrr  —  attribuer  par  testament,  voir  Bozon,  12,  113,  comp. 
§  100. 


348  Ml     M     SAINT    RICHARD 

»  ma  cupe  »  ;  n'esteit  j  »  ;  i  «^  enfance, 
740  kar  ces  moz  mis!  en   remembrance 
le  légal  Otes  ki  dune  esteil 
ke  rechercer  (devanl  li)  suveni  feseit. 

Ke  il  ala  a  divinité  après  ht  mort 
se////  Edmund  l'ercevesque. 

Quanl   seint  Edmund  aveit  chevi 

7ii  sa  bataille  e  estrifs  (k'aveit)  ici, 
e  l'esprit   ilcl  cor;,  parli  esteit, 
pur  son  exil  le  ciel  changeil 
e  a   Deu  en   sa  joie  ala, 

748  a    ses   angles  s'acompaignia 
son  cors  esteil  enseveli 
en  lur  église  de  Punteni, 
ke  gist  [la]  sanz  corruptiun 

752  ke  apparut  a  sa  translaciun; 

(la)  clergie  e  (le)  puple  d'Engleterre 
sen  doleit  mut  pur  cel  afere 
ke  il  aveient  tel  trésor  perdu, 
228  r°  a     k'en    lur    terre    enseveli    ne    t'u: 

757  mes  cum  Deu  voust  l'u  droit  issi 
»  ke  tuz  jurz  ai  eu  en  mon  quer, 


738.  Ms.   ad. 

741.  D'après  la  note  des  éditeurs  des  Acta,  ce  légat  vint  en  An- 
gleterre en  1257  et  y  resta  jusqu'en  1241.  Il  a  pu  recevoir  les  der- 
nières volontés  d'Edmond  qui  est  mort  à  Pontigny  dans  la  même 
année. 

La  rubrique  latine  est  ainsi  conçue  :  Quod  post  mortem  E.  Ed.- 
mundi   audivit    Thcologiam. 

743-56.  Cum  autem,  expleto  sui  certaminis  eursu,  felix  ille  B. 
Edmundi  spiritus,  corpore  exiitus  et  patriam  pro  exilio  eommu- 
tans  ad  Deum  a  quo  illum  recepit,  remeasset,  laetantium  socianaus 
consortio  Angelorum,  sepultaqiie  apud  Pontiniacum  sacra  sui  cor- 
porîs  gleba,  per  inconuptionem  vernante  non  immerito,  tanti  pi- 
gnoris  thesauro  destitutus,  clerus  et  populus  Iuxit  Angiorum 
(p.  287). 

757-66.  Quoata  nem  divino  nutu  justissime  videtur  eil'eetum,  ut 
et  corpus  ejus  in  pace  sepeliretur,  et  suis  per?ecutoribus  tanti  sola- 
men  muneris  auferretur.   Orbatus  igitur  B.   Ricardus  tanti  Parvis  et 


VIE   DE   SAINT    RICH  \RD  349 

ke  le  cors  fu  la  enseveli 

e  a  ses  enemis  fusl   tolleit 
760  le  don  de  solaz  k'en   li  esteit. 

Seinl  Richard  dune  mut  s'en  doleit 

ke  tant  (de)  père  prive  esteit, 

e  si  ne  t'usi  (ceo)  ke  bien  saveit 
764  ke   Deu  en  sa  grant  joie  esteit   : 

par  aventure  trop  Trust,  dolusé, 

nies  (ceo)  de  son  doel  l'ad  refréné. 

Seinl   Ëdmund  après  li  lesseit 
768  un  fîz  ke  semblable  li  esteil   : 

lut  ne  li   fusl  del  tut   semblable 

tant  cum  poeil  si  fu  sanz  fable. 

Deu  cum  fusl  très  duz  [i]cest  nun 
772  a  numer  suvent  Seint  Edmun, 

dunl  (au)si  suveiit  cum  l'en  soleit 

prêcher  u  dire  en  aukun  endreit, 

de  bienfez  des  seinz  tantost  tucha 


tam  dilecti  corporali  praesentia,  doloris  forsitan  metas  excessisset, 
nisi  divina?  dispositioni  remurmurando  contraire  timuisset  et  ipsum 
Patrem  venerandum  praesentis  vitae  miseriam  beatœ  vitae  immorta- 
litate   commutasse    certissime    credidisset. 

765.  Lis.    venture,    comp.    §   72. 

766.  Vers    fautif   supprimer   ceo. 

767-86.  Mortuus  est  igitur  Pater,  et  quasi  non  est  mortuus  :  reli 
qnit  enim  post  se  ,etsi  non  pt  omnia  similem  (quod  tamen  divina? 
scientia?  aestimo  relinquiedum)  audenter  tamen  asserere  me  posse 
confido.  ad  ejus  simititudinem.  quantum  permisit  humana  fragili- 
tas,  ferventer  anhelantem.  0  quam  frequene,  quam  familiare,  quam 
votia  pariter  et  vooe  recitabile  sibi  fuit  illud  B.  Edmundi  nomen 
venerabile  !  Quotiescumque  enim  dioeretur,  fieret,  seu  predicaretur 
quidquam  ad  sanctos  B.  Edmundi  mores  attinens,  subjungere  sole- 
bat  :  Sic  agere,  sic  loqui,  sic  se  gerere,  sic  praeaicare,  Dominus 
meus  E.  Edmundus  solebat:  aetuum  enim  suorum,  virtutum,  seu 
verborum  sedulus  et  sollieitus  erat  recitator  sed  multo  sollicitor 
imitator  (p.   287). 

773-5.   Vers  trop  long,  oomp.   §  102. 

775.  Ce  vers  est  visiblement  corrompu,  nous  ne  tâchons  pas  de  le 
corriger,  puisque  le  texte  latin  n'y  correspond  qu'à  peu  près  ;  la 
version  que  notre  auteur  avait  sous  les  yeux  était  sans  doute  autre- 
ment conçue. 


350  VIE   DE   S  VINT    RICHARD 

776  de  seinl  Edmund  e  si  apte 

ses  fez,  -<vs  diz  el  murs  ausi 

ke  oui  en  quer  lêneu  de  li, 

e  dit   :  «  issi  soleil  parler 
780  »  seinl   Edmund  e  issi   prêcher, 

»  e  issi  fere  le  soleil 

»  iiMiii  seignur  seinl  Edmund  lut  dreit  », 

issi  rehers[e]ur  esteil 
784  de  verluz  ke  seinl   Edmun  aveil  : 

e  ne  mie  iceo  sulement, 

mes  en  (ses)  fez  le  siweil  ensement. 

Seinl  Richard  dune  delivere  estedt 
788  de  la  cuit  k'avanl  aveil  ; 

a  l'estude  k'out  avant  lessé 

se  mist  a  oir  dii  mité, 

e  a  Orliens  tantosl  se  misl 
792  as  frères  prechurs  et  la  oist 

d'un  frère  ke  la  bible  liseit, 

ke  bon  clerc  e  de\  in  esteit, 

e  celi   tant   espleil   la   fîst 
796  que  Iule  la  bible  près  oit, 

ne  mie  cum  ces  ke  oient  dehors, 

mes  el  quer  mestre  dedenz  le  cors, 

mes  seinl  Richard  dehors  oit 
800  e  pleinement  dedenz  l'entendit. 


787-805.  Solutus  igitur  tam  a  curise  qiiam  cura?  sollicitudine  B. 
Ricardus,  studium  litterarum.  quod  ad  tempus  intermiserat,  fine 
debito  cupiens  terminale,  ad  Theologiam  se  contulit,  et  Aurelianis 
in  domo  Fratrum  Predicatorum  a  quodam  Fratre  ejusdem  ordinis, 
laudabilis  ■scientia?,  auctiendo,  in  ea  tantum  profecit,  quod  pro  ma- 
jori  patte  tntius  sacrae  bibliotheca?  textum  andivit  et  dedicit  :  non  ut 
plerique,  qui  auribus  audïunt  et  non  intelligent;  sed  audiens  exterius, 
audivit  interius  ;  ut  efficacius  postmodum  impleret.  quod  dicitur  in 
Apocalypsi  (xxxvi,  17),  Qui  audit,  dicat,  Veni  ;  et  ut  dignius  ap- 
prehenderet  prie-mi  uni  perferte  nudientium.  quod  in  Job  repromit- 
fcitur,  si  audierint  et  observaverint,  complebunt  dies  suos  in  bono 
et  annos  suos  in  gloria.    (Job,  xxxvi,  11.) 

790.   Pour  rfivinfé,  comp.   v.  54. 

797.  dehors,   comp.    §   72. 

798.  Ms.  en  le. 


\  II.   DE   SAINT    RICHARD  351 

issi  que  après  aver  purreit 

le  guerdon  ke  Job  promisteitj 

(ke  dit)  ke  ces  ke  oient  e  i  etendruni 
Soi  lui-  jurs  en  bien  parempleruht 

e  lur  aunz  en  joie  ensement. 

c"osi  la  fin  d'estudie  vereiemenl  ; 

ceo  lu  de  sa  science  finement 
808  e  de  sa  \  ie  l'adresemenl    : 

on  tuite  choses  (e)  partut  coveitanl 

I feu  retenir  k'il  ama  laul  ; 

issi  ke  ceo  ke  oil  k'a  fore  fust, 
812  près  en  fel  parfere  le  pusl  ; 

dunt  (l*1  li  dreil  esteil  escril 

ceo  que  <'sl  en  l'evangelie  <lil   : 

«  celi  que  enseignera  e  Ira 
816  »  grant  en  [le]  ciel  mime  serra.  » 

Cumenl  il  fit  jel  prestre. 

Puis  a  prestre  ordiner  se  fîst, 

que  le  li/.  au  père  eu  offris! 


806.  estudie  se  trouve  en  rime  avec  vie,  voy.  Vie  de  S.  Thomas 
I.   83.   Soc.  des  a.  t.   fr. 

806-816.  Hoc  quoque  studii  finem,  hoc  scientise  su<e  terminum 
hoc  etiam  vit»  suae  directionem  in  omnibus  et  per  omnio  cupiens 
retinere,  post  ipsum  ad  quem'  omnia  referebat  Deum  ;  ut  quœ  au 
diendo  facieuda  didieerat,  operum  veritate  compleret.  Unde  non 
immerito  in  ipso  oompletum  est  quod  scribitur  in  Evangelio,  Qui 
feoerit  et  docuerit  hic  magnus  vocabitur  in  regno  cœlerum.  (Matt 
v.    p.    19;    A  A.    SS.) 

807.  Comp.    §    100. 

817.  Le  chapitre  qui  avait  pour  rubrique  :  Qualiter  fqctus  Sa- 
c<r<l<>.<  carnem  maceravit  est  très  abrégé  dans  Capgrave  et  aussi 
dans    le    Bocking    des    Alla. 

817-74.     Caphraye    :  Bockin<;    : 

Et.   ut   pro   grege  Domini    Pa-  Cum  igiturAurelianlis  in  Theo- 

tri  Filium  immolaret.  ad  sacrum        logia  studeret,  a  loci  Diœcesano 
Presbyteratus    Ordinem    se   fecit        cui  jam  mores  et  scientia  B.  Ri- 
inibi   promoveri.    A  suscepti   au-        cardi  non  latebant,  ordinem  6us- 
tem  Ordinis   Sacerdotalis  tempo-        cepit  Sacei'dotii    :   et  ex  tune  in 
re,   ornatus  vestium   plus   habuit       tantum   carnem  maceravit,   quod 


352  Ml     DE    -VINT    RICHARD 

pur  le  pnple  11  vin  de  inontaine 

820  gusta  de  seinte  doctrine  pleine, 
e  la  l'ace  de  hume  ke  de  heu  esleit 
de]  oile  de  Ici  Deus  en  uigneit  ; 
(issi)  ke  par  la  parole  Deu  l'oie 

824  e  le  guster  del  pein  de  vie, 
e  le  beivre  angelin  cnsemenl, 
e  de  grâces  ou  l'enoitemenl 
en  son  quer  cher(i)lé  plus  c  plus 

828  de  Deu  cre[e]ut  et  fust  diffus; 

pur  laquele  chose  e[n]  la  muntaine 
munta  de  luinire  suveraine, 
assez  de  plus  légèrement 

832  d'aviser  Deu  omnipotent; 
e  la  peisantime  del  cors 
par  abstinence  tribla  tut  hors, 
e  l'umne  par  pèche  enveilli 


humiliores.    Et    cura   ibidem    sa-        nisi    de    consilio    amicorum    pru- 

crae   Scripturae  pocula  suavia   lu-        dentium  secum  indulgentius egis- 

culenter    hausisset,    ad    ageiidam       set,  ipsam  Buam  carnem  deficere 

curam   proximorum  et  oves  pro-        toegisset   (p.    287). 

prias  pascendas  accedit   :  ad  uni- 

oam     siquidem,      solam,      quam 

habebat  (voir  v.869),  parochiam 

revertitur,    ut   illa    pusillanimes 

consoletur  et   corripiat  inquietos 

(p.  279). 

819-32.  Le  sens  de  ce  passage  et  très  obscur  et  le  texte  est  pro- 
bablement  fautif:   comp.    les   notes. 

820.   Peut-être  faut-il   supprimer  de. 

825.  Comp.    §    100. 

826.  Le  ms.  porte  le  voitement ,  nous  croyons  avoir  donné  la 
bonne  leçon  ;  enoi(Ptne?\t  paraît  du  moins  trois  fois  dans  la  Lumière 
as  Lais  et  aussi  le  verbe  enoitier  dans  le  Secret  ries  Secrets  (v.  Go- 
defroy  s.  v.),  comp.  aussi  vv,  1167,  1169  de  ce  poème.  Dans  les 
Contes  moralises  de  Bozon,  le  mot  signifie  augmenter  (voy.  vocab. 
p.    305). 

830.    Comp.   §  100. 

835.  Le  ms.  porte  e  lunUne  ;  notre  auteur  traduit-il  exspolicmtex 
vos  velerem  hominem  nun  actibvs  suis  (Col.  3-9)?  On  ne  trouve 
pas   ailleurs  umme  pour  home. 


\  h     DE   SAINT    RICH  Mil)  353 

830  par  veilles  e  junes  gesta  de  li, 

e  par  oreisuns  ensemenl 

ke   feseit   suvenl    longement, 

sa  char  cuveri  de  v  île  vesture 
8'i0  plein  de  vermine  e  (de)  pureture, 

e   si    ad   superfluité 

tute  manere  de  lui  osté; 

o  si  l'uni  ses  k'ou   li  esteient 
844  plus  prive/,  de  veir  [ceo]  cunteient 

ke  puis  le  tens  ke  online  esteit 

a  prestre,   orriemenl   despiseit 

de   vesture   mes   tant   lî   desplust 
848  ke  semble  ke  hidur  en  eust; 

ne  autre  vesture  ne  voleil 

fors  cum  la  berbiz  la  porteit, 

cest  [aveit]  plus  près  de  la  char, 
852  dunt  se  pena,  n'est  pas  eschar, 

e  pu  ceo  sa  char  enmesgrit 

sa  face  de  colure  en  pâlit, 

pur  ceo  ses  amis  ke  l'ameient 
856  ke   repeirast    l'amonasleient, 

puis  k'aveit  par  nul  tens  issi 

se  meimes  par  peines  emmegri, 

e  quant  le  frut  de  repentance  aveit 
861    c  le  guerdon  de  seinz  apris  a  dreit; 

e  la  parole  avait  divine 

cuilli  e  eslue  en  (sa)  peitrine, 

sulum  le  sage  k'ad  ceo  loez, 
864  miel   as    truve,    manger   assez. 

Dunt  ne  vout  (pas)  ke  sa  charité 


852.  Pour  cette  expression,  comp.  Lumière  as  Lais,  vers  86,  Rom. 
vin,  Z'1,  xv,   289. 

852.    Par    tint. 

857.    Aïs.    aucun. 

859  60.  Vers  trop  long.  On  pourrait  corriger  quant  frut  de...  e 
guerdon  (h  seinz  apris  dreit;  «  dreit  »  porte  si  souvent  dans  ce 
texte  le  même  sens  que  «  a  dreit   ».   Cf.  704  et  passim. 

864.  Ce  vers  semble  rappeler  le  verset  des  Proverbes,  cap.  xxiv, 
13:    C'omede.    fifi   mi,   me],    quia   bonum    est. 


354 


VIE   DE   SAINT    i;l<  H  \l;l> 


-.in/  "\ ère,  uisive  fusl  1 1 n \ é, 
ko  de  se-;  oailes  ne  preisl  cure. 

808  pur  ceo  repeire  a  lur  pasture; 
(c'est)  a  une  suie  parose  k'il  aveil 
pur  la  demurer  returneit, 
pur   les   simples    reconforter, 

812  e  les  envius  pur  amender, 
e  les  pécheurs  endoctriner, 
e  de  vertus  eus  enformer. 
De  ces  choses  e  autres  bontez 

870  semblables  que  feseit  asez 
e  tut  sa  famé  lui  envirun 
e  de  sa  \  Le  e  (de)  religiun; 
(is)si  ke  l'élit  que  dune  ested 

880  de  Cantebire  l'odur  flereit, 
ke  oui  a  non  le  bon  Boniface, 
que  Deu  verai  merci  li  face, 
icesl    noble   borne  décrus   fu, 

884  que  fusl   ou  li  quant  lu  eslu    : 
l'estre  de  li  tint  delitus, 
pur  ceo  fu  de  li  desirus. 
229  r°  a     E  voudreit  ke  ou  li  habitast, 

888  e  que  son  chanceler  demorast; 

(mes)  cumenl  ke  fut  de  ceo  purveu, 
(ne)  porquant  encontre  sa   volente  fu; 
mes  la  lumere  de  si  haute  vie 

892  ne  se  pot  lungement  celer  mie 


866.    La  leçon  n'est  pas  certaine. 

875-898.  Cupiens  post  haee  venerabilis  Pater  Bonifacius,  Cantua- 
riensis  Ecclesiœ  tune  Electus,  successor  B.  Edmundi,  ad  commodum 
disciplinée,  jucundam  cohabitationem  tam  gratiosj  bominis  experiri  ; 
ipsum  ad  offkium  pristinum,  videlicet  Cancellarise  Ecclesiœ  Can- 
tuariensis    vocavit    invitum.    Capgravk,    p.    279. 

881.  Nous  citerons  en  entier  la  note  des  éditeurs  des  Acta  :  Fuit 
Bonifacius  Archiepjscopus  Cantuariensis,  Reginse  Aleonorœ  avun- 
mhis,  post  mortem  S.  Edmundi  indignis  modis  oommendatus,  et 
tandem  ab  Innocent io  IV  exeunte  anno  Christi  1245  in  Gallia  con- 
seciatus    :   quas    autem    hic   narrantur    praecedenti   anno    contigei  unt. 

888.   Comp.   §   100. 


vit    ni    -w\  i    iiit  11  vrd  355 

que  le<  autres  n'enluminast, 
e  pai   essample  (en)  bien  enformast, 
pur  ceo  en   l'onur(ance)  Jhe&u  Christ 
896  e  de  sugez  ausi  le  profil 
purveu  li  fu  cum  vos  orez 
par  heu  a  evesque  estre  ordinez. 

De  la  provision  fête  u  ///  del  evesque 
de  Cycestre. 

Puiske  par  la  volente  del  festre, 
900  mort  lu  le  evesque  de  Cycestre, 

ke  Rauf  de  Nevile  fu  mimé, 

par  unt  le  sie  esteit  voidé; 

de]  rey  Henri  ke  dune  regneit 
90î  cpie  le  quart  Henri  des  reis  esteit 

aveil  le  chapitre  cuin  fu  raisun 

de  celle  église  lur  electiun 

puis  quant  esteient  a  jur  asigné 


896.  La  leçon  n'est  pas  très  claire  :  on  trouve  «  sugez  seies  » 
dans  le  Psautier  d'Oxford,  et  «  Suis  soubgiz  a  nostre  Signour  » 
dans  le  Psautier  de  Metz  XXXVI,  6  (Godefroy)  et  aussi  Li  autre 
(rets)  e.<t  aver  endreit  li  FA  endreit  de  ces  sugez  ausi  dans  le  Secret 
(/i  <  Secrets.   Voir  à  l'introduction,  et  pour  la  scansion  §  72. 

898.  Coiup.    §   93   et   §    100. 

La  rubrique  latine  est  ainsi  conçue  :  De  provisione  de  eo  farta  in 
Pia  iulatum    cicestrensem. 

899.  Le  cas  sujet  provenant  de  fàctor  semble  être  assez  rare;  on 
en  trouve  quelques  exemples  cités  par  Godefroy  sous  faitor,  tous 
tiiés  île  Wace  ou  de  Benoit.  Il  y  en  a  d'autres  exemples  aux  vers 
619  et  1313. 

904.  Les  éditeurs  des  Aeta  ont  corrigé  quarto  en  tertio;  il  est 
curieux  cependant  que  notre  auteur,  qui  vivait  sous  Henri  III, 
ait    pu    continuer  cette   erreur.    Comp.    §   102. 

900-10.  Cum  per  mortem  ...Radulfi,  cognomento  de  Nevile  ...prœ- 
fata  Ecclesia  viauata  esset  Pastore  et  Capitulo  pra?dictae  Ecclesia' 
a  Rege  Angliœ  Henrico  Tertio,  concessa  esset ,  prout  mons  est, 
electionis  libéra  facultas  ;  convenientes  statuto  die  Canonici  prœdic- 
t?e  Ecclesia?,  quemdam  aulicum  in  hoc  forsan  régis  favorem  se 
cicdentes  habituros,  Ecdesiœ  tamen  Archidiaconum,  in  Pastorem 
et  Episcopum   sibi  elegerunt.    (AA.   SS.   §   19.) 


356  VIE   DE   SAINT    RU  HARD 

908  les  chanoines  a  (ce)le  église  asemblé 
pur  aver  de]  rey  plus  fa\  ur 

diluent   un  chanoine  curteûr. 
E  puis  cum  reisun  fu  e  dreit 

912  a  l'ercevesque  présente  csteit 

ke  (dune)   esteit  nome    Boniface, 

(pie  Deu  veray  merci  li  face, 

ke  (uncore)  encevesque  n'esteil  pas 

910  de  Canterbire  mes  eslit,  n'est  pas  gas, 
ke  sulum  eunseil  jur  establit 
229  r°  (*>     par  reisun  ordiner  (de)  lur  eslit; 
ke  sulum  statuit  de  dreit  canun 

920  a  deit  fu  i'et  l(ur)'electinu; 
a  lin  e  (au)  jur  ke  mis  esteit, 
l'eldst  de  Cantebire  veneit 
ou  ses  sufragans  ke  ont  ausi 

924  ke  la  esteicnl  venu  ou  li, 

entre  eus  l'evesque  Robert  esteit, 
(ke  pas)  n'esteit  petit  en  son  endreit, 
ke  Robert  Grosseteste  out  a  nun; 

928  lequel  non  out  dreit  par  reisun, 


911-32.  Cum  vero  electionem  de  eo  factam  Metropolitanœ  Sedis 
tune  ele-cto,  Bonifacio  nomine,  présentassent  ;  deliberato  con- 
silio  diem  statuit.  qua  de  eleeti  electkmisque  meiïtis  secundum 
Citnonum  statuta  cognosoeret.  Adveniente  itaque  statuto  die,  loco 
pra.fi ni to  adest  Electus  Cantuariye,  cum  qv,ibusdam  suis  suffraga- 
neis,  viris  utique  vitaî  et  scientiœ  eminentis  :  inter  quos  ille  fa- 
mosissimus  quondam  Lincolniensis  venerabilis  Pater  Robertus  in 
Ecclesiœ  corpore  membrum  non  modieum  (quod  et  cognomen  suum, 
id  est,  Grandecaput,  quod  vulgariter,  Grosseteste,  dicitur,  satis 
prœtenait)  adsunt  et  cum  eisdem  Magistri  et  Clerici  utriusque  Juris 
periti.    (AA.    RS.    §   19.) 

912.  Peut-être  faut-il  corriger  escevesque  en  eslit;  comp.  le  texte 
latin. 

Le  procédé  n'a  guère  changé  en  Angleterre  où  on  emploie  encore 
aujourd'hui  le  terme  congé  d'élire  pour  indiquer  le  permis  donné, 
non  plus  par  le  roi,  mais  par  le  premier  ministre,  d'élire  un  évê- 
que  ;  le  chapitre  encourt  le  risque  de  prœmunire,  c'est-à-dire  de 
confiscation  de  biens,  s'il  refuse  d'élire  la  personne  nommée  dans 
l'acte. 

916.   Vers  trop  long,   comp.    §   103. 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  357 

ke  par  (son)  son  e  reisun  k'aveit, 

le  îuiii  asez  bien  li  apendeit; 

e  si  oui  mestres  e  clers  ausi, 
932  sages  de  lei  e  descrez  ou  li; 

en  m ein tenant  sur  l'electiun 

(e)dcl  eslist  fisl  inquisiciun, 

de   <  îycestre   si   digne   fust 
93G  la  persone  k'evesque  estre  dust. 

(mes)  de  sa  persone  tant  quis  esteit, 

kant  a  science  e  murs  k'aveit 

que  n'est  pas  del  tut  tel  trové 
9i0  que  deust  aver  tiel  digneté  : 

(pur    ceo)    par    cunseil    e    reisun    musfcréje], 

a  l'electiun  de  li   quassée; 

l'elist  de  Cantebire  meintenant 
94i  a  (Ires)  tuz  les  sages  k'aveit  la  tant 

ou  vin  I  ke  sulnm  l)eu  e  profit 

a  l'église  élisent  un  elist; 


une  feiz  sana  par  sa  vesture, 
9i8  une  feiz  par  son  lit  e  chaucure 
une  feiz  le  liu  u  reposeit 
vertu  de  saner  gent  aveit. 


933-42.  Fanta  igitur  super  eleetione  et  Electi  Cicestriensis  per- 
&  lia  diligenti  discussione,  meritisque  dinumeratis,  et  appensis 
pisedicti  Electi  scientia  et  moribus,  inventus  est  minus  habens  : 
et  idéeo  de  eonsilio  prudentum,  qui  afl'uerunt,  palam  sua  cassata 
est   electio   (AA.    SS.    p.   287). 

943-6.  Pour  l'élection  de  S.  Richard,  Capgrave  n'a  que  la  courte 
mention  :  dictusque  Sicardus  ex  communi  consensu  omnium  Eqiis- 
copus  &8t  electus;  tandis  que  tout  un  chapitre  y  a  trait  dans  les 
Ailn. 

946.  Pour  la  lacune  qui  se  trouve  entre  ce  vers  et  celui  qui  est 
numéroté    974,    voir    à   l'introduction. 

947-9.  Le  ma.  porte  chaque  fois  a  fa  feiz,  la  locution  une  feiz  se 
trouve  aux  vers  984-1007.  .1  la  feiz  a  plutôt  la  signification  de  par- 
fois, tandis  que  une  feiz  se  trouve  en  anglo-normand  dans  le  sens 
qui  semblent  demander  le  contexte  et  la  mesure.  Cf.  S.  Gilles,  vers 
111.    Simunu   de  Freine,    R.    Ph.    152. 

24 


358  VIE   ni"   SAINT    RICHARD 

229  v°  a     Car  une  chape  k'out  a  tens  usé 
95'^  a  un  chapelein  par  speciauté, 

ke  familiers  e  cher  li  esteit, 

pur  a  fut»  1er  e  porter  doneit; 

le  chapelein  ke  sa  seintete  s<ml 
956  de  la  chape  granl   deinté  oui   ; 

la  chape  prisl  ne  pas  (sul)  a  user, 

mes  com  relique  chermeni  garder. 

avint  puis  en  la  paroche  dreil 
960  cesl  prestre  ke  vikerie  Deu  esteit, 

ke  d'une  quarteine  lu  travaillez 

e  travaillant  1res  ierement  grevez; 

cest  prodome  compacient  esteit 
9(Vi  hiliI   a  l'enfermeté  k'il  aveit, 

e  ses  reliques  pas  n'oblia, 

la  chape  ke  li  seint  li  dona, 

mes  la   prent  en  ferme  créance 
968  e  si  fet  en  certeine  espérance, 

954.    Afubler,  comp.   §   72. 

947-62.  Le  dernier  passage  de  la  source  latine  que  nous  avons 
cité  (voir  plus  haut,  vv.  933-42)  est  tiré  du  19e  paragraphe  de  la 
vie  des  Ad  a,  celui-ci  du  85'.  La  rubrique  latine  est  conçue  comme 
suit  :  De  febricitante  per  cappam  ejus  sanato.  Voici  le  texte  des 
Ai  ta  :  Nec  solummodo  sacrarum  manuum  suarum  contactu  (le 
saint  avait  guéri  un  aveugle  par  l'imposition  des  mains)  sanitatum 
signa  et  virtutes  operari  dignatus  est  Deus,  sed  etiam  de  vestibus 
quibus  aliquando  utebatur,  seu  calceamentis  quibus  calceatus  in,- 
cessit,  seu  de  lecto  vcl  loco  in  quo  quievit,  infirmantes  sensere 
sanitatis  efïeetu  oxisse  virtutem.  Nam  cum  aliquando  cappam  quam 
dam,  qua  usus  fuerat  ad  tempus.  cuidam  Capellano  sibi  dilecto  fa- 
miliaritatis  giatia  contulisset  ;  iciem  Capellanus,  Pontificis  sanc- 
titatem  intelligent,  cappam  ipsam,  non  tam  ad  utendum  quam 
looc  Reliquiarum  recondendum,  reverenter  suscepit.  Contigit  igitur 
in  ]  arocbia  illa.  cui  prsefatus  Sacerdos  praeerat  (Vicarius  quippe  erat 
et  Decanus)   quod  quidam   quartanse  fcypo  graviter  laboraret. 

962.    Vers   corrompu. 

963-78.  Cujus  infirmati  compatiens  Saoerdbs,  ac  suarum  non  im 
memor  Reliquiai uni.  cappam  sibi  a  Sancto  datam,  cum  spe  certa 
et  fide  non  ficta,  in  ipsa  aeoessionis  hora  infirmo  Buperposuit; 
mcnena  ut  oertam  haberet  fiduciam,  meritis  se  B.  Ricardi  poste 
liberari.  Statim  igitus  ut  infirmus  cappam  semsit  et  tettigït,  acces- 
sionem  evasit,   et    ad    plénum   convaluit.    AA.    SS.    §    85. 


\ll     m     SAINT    RICHARD  359 

(e)  sur  le  malade  la  chape  estent 

a  ce)  houre  ke  l'accès  le  prent, 

e  l'amoneste  Ici  1  eit  fiance 
97'J  certeine,  de  seinte  espérance; 

e  par  le  mérite  de  seinteté 

(seint)  Richard  de  mal  L'eit  deliveré, 

le  malade  puiske  senti  aveit 
970  la  chape  de  l'accès  eschapeit, 

e  de  la  maladie  pleinement 

garit  sanz  tecche  uniaument 

De  un  homme  (/ne  feu  garri  par  les  botes 
seint   Richard. 

Un  miracle  ansi  de  un  aveneit, 
98U  meimes  cesti  un  haillif  esteit 

a  l'eve&que  e  bien  serveit; 

a  cesti  une  gute  mut  greveit 

en  piez  ke  podagre  nun  aveit, 
984  is&i  k'une  feiz  tant  le  greveit 

k'a  peine  les  piez  muver  poeit, 

e  puis  ke  seint  Richard  ceo  soûl 
988  ke  celé  gonte  tant  le  grevout 

unes   botes  k'ime  feiz  user  soleit 

cesti  a  chaucer  enveeit, 

de  queus  le  malade  se  chauça 
992  par  unt  la  goule  lantost  passa, 

i-si  bien   c-periment  ont 

ke  par  les  botes  ke  chauce  ont, 

978.  L'emploi  métaphorique  de  sans  tache  (en  latin  :  absque,  sine 
macula)  est  très  fréquent  dans  la  Bible.  Cf.  I  Timothée  VI,  13-4  : 
Prcecipio  tibi...  ut  serves  mandatum  sine  macula  usque  ad  adven- 
tum  Domini.  Le  verbe  enlachier  sert  aussi  à  exprimer  :  affecté 
d?.  quelque  maladie  (voir  Codefroy,  les  nombreux  exemples  eous 
ma.'  et  s.    v.). 

985.  Il  n'est  nullement  certain  qu'un  vers  ait  été  omis  ici  ;  on 
verra  plus  loin  (1347-9)  que  notre  auteur  ne  se  gêne  pas  de  rimer 
trois  vers  sur  la  même  voyelle  :  à  la   rigueur   il  y  en  a  sept   i.  i. 

989.  Ms.  à  la  feiz.  Cf.  947.  Comp.  §  72. 


300  Ml     DE   SAINT    RH  HARD 

les  piez  (seint)  Richard  aveienl  tuché, 
990  de  la  gute  lu  tut  délivré, 

kar  (ausi)  cum  il  meimes  puis  1»'  conteit, 
c  par  vive  voiz  recunisseit 

que  il  lu  si  parfit  garri 
lUÛÛ  k'apres  tlcl  ma]   rien   n'en  senti. 

De  un  home  que  feu  garri  pur  son  lit. 

Seint  Richard  une  feiz  s'en  ala 
a  un  abheie  ke  mut  ama, 
a  Begeham  ke  i'u  en  sa  vesché 
1004  ke  esleit  del  ordre  de  premustré, 
lequel  les  moines  ke  leinz  furent 
cum  angle  Deu  a  joie  [rejçurent. 
avint  ke  un  chanoine  une  feiz 


997.    Le  latin  semble  autoriser  cette  correction. 

La  rubrique  latine  est  fidèlement  traduite  :  De  infirmo  per  lectum 
sancti  sanabo. 

979-1000.  Quidam  etiam,  Ricardus  de  Catham  nomine,  officium 
villici  seu  ballivi,  ut  vulgu  dieitur,  in  B.  Ricardi  gerebat  obsequio. 
Hic  cum  gutta,  quam  podagram  vel  arteticam  vocant,  fréquenter 
vexaretur,  vice  quadam  in  tantum  ea  torquebatur,  quod  vix  pedes 
movere  poterat.  Quod  postdam  Sancto  viro  innotuit,  botas,  quosdam, 
quibus  uti  solebat,  transmisit  eidem,  quibus  infimius  calceatus,  cito 
p«sr  morbi  sui  plenam  curationem  experimemto  probavit,  quia  vir- 
tutis,  ex  contractu  sacrorum  pedum  beati  Ricardi,  etiam  pellibus 
mortui  animalis  potuit  inesse  :  nam  sicut  ipse  postea  viva  vooe 
t'atebatur,  adeo  perfecte  curatus  est,  ut  nec  morbi  reliquias  post- 
modum   sentiret.    AA.    SS.    §   86. 

1001.    Ms.    A    la  feiz. 

1003  D'après  la  note  des  éditeurs  des  Arta,  Begeham  (6iV/  =  grand, 
Ar/w  =  hameau)  serait  une  abbaye,  fondée  en  1200,  près  de  Lewes 
dans  le  comté  de  Sussex,  L'abbaye  n'existe  plus,  mais  l'église  de 
Hamsey,  entourée  de  vieux  bâtiments,  derniers  restes  peut-être  de 
l'abbaye,  est  une  des  promenades  favorites  des  habitants  de  cette 
ville.  Il  est  plus  probable  qu'il  s'agit  de  Bayham  dans  le  même 
comté.  Il  y  avait  là  un  couvent  de  Prémontrés.  Comp.  Sussex  Ar- 
cheological  Society's   Collections,   vols,    iv,   ix  et  xxi,   p.    24. 

Pour   la  scansion,    comr-.    §    50  a. 

1005.  Ms.  a   la    bone. 

1006.  Ms.  curent. 


\  Il     DE   SAINT    RICHARD  361 

100S  en  lu/  ses  membres  fn  tanl  greviez; 

de  lur  hosle  nekedenl  ke  la  vint 

c  de  sa  sainteté  li  suvint, 

ca  guerre  ne  lu  ke  la  n'esleit 
1012  diuii  suii  lil  entier  i  demureit, 

u  soleil  gisir  quant  esteit  la 

sanz  remuer  entier  i  demora; 

dunl   le  chanoine  se  porpenseit 
1016  e  cunseil  ausi  ceo  loeil 

se  en  cel  lil  se  (misl  e)  alasl  rucher 

(ke)  pot  de  sou   mal  saule  aver; 

e  il  sur  le  lil  après  s'estend 
1020  e  -es  prières  dil  ententivement 

e  bat  sa  culpe  e  ces  moz  «lil  : 

«  sire  heu  veray  Jhesu  Crisl, 

»  (jco)  vus  pri  ke  pur  l'amur  eeh 
1024  »  ke  procheinement  issi  dormi, 

»  me  donez  saute  e  allégement 

»  de  m'anguisse  si  veraiement, 

»  cum  jeo  crei  que  pleisant  vus  seil 
1028  »  e  seint  en  vostre  face  sei  », 

u'aveil  la  parole  plus  tos't  dit 

ke  de  sa  maladie  ne  garit, 


1001-8.  Divertit  aliquando  S.  Ricardus  ad  Abbatiam  de  Begeham 
Ordinis  Praemonstratensis  in  diœcesi  Cioestrensi,  quem  tanr|iiam 
Angelum  Domini  gratanter  pariter  et  gaudenter  susceperunt.  Fac- 
tum  est  igitur,  poet  Sancfci  recessum  de  monasterio  praefato,  ut 
quidam  Canonicus  gravi  doloris  angustia  in  omnibus  membris  vexa- 
retur,   in   tantum   ut   vix   praB   dolore    sciret  quid   ageret. 

1012-14.    Voir    §   72. 

1017.   Ms.   K'en. 

1019.  Voir  §   100  et  §   98. 

1020.  Corr.  ententifment;  comp.  Continuation  du  Brut  de  Wace 
ot  IV  Rois  iv.  Au  vers  1277  comme  dans  une  vie  de  sainte  Osith, 
contenu©  dans  ce  ms.,  on  trouve  la  même  forme;  sainte  Osith  e.nten- 
tivement  [ f  138,  v°  a];  mais  ici  le  mot  compte  pour  cinq  syllabes. 
Dans   ce  poème   la    versification   est   presque    correcte. 

1025.   Comp.    §  102. 

1030.  Maladie.  Nous  ne  savons  pas  s'il  faut  laisser  oe  mot  ou 
bien  le  corriger  en   malaise   ou  mfseine   ou   bien  en  maladie. 


362  Ml     DE   SAINT    RICHARD 

e  pleinement  sa  sanfe  recul, 
1032  par  vertu  del  lit  ou  il  jut. 

Ke  Seint  Richard  aveii  de  esprit  de  pro- 
phecie  et  de  une  rrierveilluse  revelaciun. 

Par  tels  miracles  ke  Deu  Feseît, 

(e)  santc  a  gent  par  li  doneit, 

(Seint)  Richard  de  mérite  i'u  aorné, 
1036  e  ja  (de)  plus  lard  en  vérité, 

ne  lu  sa  vie  esclarsie 

d'esperit  k'aveit  de  prophecie, 

k'avant  l'enterrement  bien  saverl 
1040  l'evesque  que  devant  li  esteit, 

ke  evesque  après  li  scrreil 

de  Cyceslre  c  le  liu  tendreit; 

(e)  les  cuntes  k'avfn|ren]t  en  Engleterre 


1009-32.  Hospiti»  tamen,  quem  apud  se  nuper  récupérant,  sano- 
titatis  non  immerr.or  ;  cum  lectus  Sancti,  in  quo  quieverat,  immo- 
tu.-  adhuc  permaneret  ;  incidit  ei  consilium  bonum,  ut  in  lecto  ipso 
spe  sanitatis  recuperanda'  se  oollocaret.  Super  lectum  itaque  Sancti 
se  extendens,  pectus  suum  manibus  tundendo,  sub  his  verbis  orare 
cccpit  :  Domine  Deus,  peto  ut  per  aniorem  illius,  qui  hic  proxime 
doi  miens  requievit,  mihi  tribuas  sanitatem  ;  sicut  credo  veraciter, 
quod  ipse  sib  Sanctus  in  conspectu  tuo.  Quo  dicto,  omni  doloris 
infirmitate  sublata,  continuo  plenae  restitutus  est  sanitati.  (AA. 
SS.   §  87.) 

1C32.  Ms.     Par  la  vertu  <hl  seint  en  hel  Vit  il  jut. 

Rubrique  :  Quod  spiritu  prophetiœ  claruit,  et  de  revelatione  qua- 
dam  mirabih. 

1036.  Voir  au    vers  155-1040  devant;   comp.   §   72. 

1037.  Comp.  §  99  a. 

1033-42.  Talibus  igitur  Pontifex  insignis  Pichardus  sanitatem  et 
prodigiorum  pollens  insigniis,  et  meritorum  titulis  adornatus,  spi- 
ritu nihilominus  phrophetia?  claruisse  dignoscitur  :  nam  et  seipsum 
ad  Pontificatus  apicem  cathedra?  Cicestrensis,  ante  sui  praecleces- 
scris  sepulturam,  assumendum  cognovit  ;  et  obitus  sui  tempus  spiritu 
révélante  pra^dixil  ;  §  88. 

1043.  Le  sens  de  ce  vers  est  obscur  et  rien  dans  les  textes  latins 
ne  vient  trancher  la  question.  A  plusieurs  reprises  une  foule  d'étran- 
gers, venant  de  Poitou,  de  Provence  et  de  Gascogne,  étaient  des- 
cendus en  Angleterre.   Les  barons  depui?   longtemps  établis  dans   le 


Ml     DE   SAINT    lil(  HARD  363 

104  i  diseil  [il]  bien  avanl  La  guerre. 

\  son  prestre  ke  especial  aveit, 

a  li  par  iteus  moz  diseîl  : 

«  joo  ne  verrai  mes  vous  le  verrez 
ln'iS  »  [e]  en  bref  tens  bien  le  sachez 

»  quant  les  paroles  Jhesu  Grist 

»  serrunt  enverrez  ke  sunl   escrit 

»  (e)  en  evangelie,  c'est  a  saver  : 
1052  »  k\  ad  deux  cotes  a  user 

ii  vende  La  une  a   recelée 

»  e  li  achate  en  une  espeie  ». 

e,  le  tens  avanl  ke  il  mureit 
1056  par  le  seinl  esperil  demustreit  : 

«.  i'  ceo  sachez  »,  dit   tnul  suvent, 

«  eu  m   orez  après  apertement  ». 

e  d'autres  de  li  par  le  seint  esperil 
1060  île  ceo  après  de  li  (avant)  avant  fit  dit 

kar  seint  Edmunrl  ou  li  esteit, 

avant  dil  ke  evesque  serreit; 

e  a  un  prestre  de  lion  afere, 
1064  dovoul,  (e)  ententif  a  Deu  plere 

avinl    en   sunge  k'evesque   serreit, 

(kar)  la  nuit  procheine  avant  esteit 

pays  résolurent  de  chasser  1rs  intrus.  A  la  tête  des  barons  anglais 
était  Simon  <li>  Montfort,  lui -ménie,  Provençal  il' origine  ;  vain- 
queurs à  la  bataille  de  Lewos,  ils  furent  complètement  battus  par 
le  parti  royal  à  Evesbam,  on  1265.  On  est  tenté  de  suggérer  comme 
leçon  possible   L'estrts   (ou  estrifs)   k'avint  en  Engleterre. 

La  «  guerre  des  barons  »   sévit  pendant  la  période  1258-65. 

1050.  Il  faut  peut-être  corriger  serrunt  en  ierent  (cf.  vers  19). 
Ci<  >dof  roy  n'enregistre  pas  enverrer  qui  doit  être  un  synonyme  de 
avérer.   §  72  a. 

1052.  Notre  auteur  semble  avoir  mélangé  deux  versets  bibliques  : 
Qui  habet  duos  tunicas,  clef  non  habenti  (Luca?  in,  11)  et  Qui  non 
habet,   vendat   tunicam   suam  et   emat   gladium   (Lucse  xxu,   36). 

1053.  Ms.  vende  le  une  a  retelée.  Nous  ne  connaissons  pas  d'ail- 
leurs n  retp/re  quoique  a  retaille  se  trouve  dans  Godefroy  ;  la  locu- 
tion existe  encore  aujourd'hui  en  anglais  :  to  sett  refait  =  vendre  en 
détail.  Le  sens  me  paraît,  trop  obscur  pour  que  nous  nous  décidions 
pour    l'une  ou    pour    l'autre   expression. 

1065.   Ms.   avisiun. 


364  Ml     DE   SAINT    RICHARD 

le  jur  ke  fu  après  <'slu 
1068  quant  endormi  en  son  lil  lu 

si  vi(n)l  en  smige  très  bel  tneisun 

(lune  comence  (a)  penser  par  reisun, 

(e)  pense  si  la  meisun  fu  ensement 
1072  dedenz  si  bêle  cum  dehors  resplent 

(e)  ala  plus  près,  si  li  (re)sembleit 

si  la  vérité  en  quere  purreil 
k       1075  e  en  celé  meisun  regardeit 
230  v°  a     e  dous  prudeshomes  leinz  \<veif 

ke  de  pontifeaua  furent  aurnez, 

e  il  attentivement   ad   regardez 

e  par  lur  faces  apareeveit 
1080  ke  l'un  scint  Edmund  ki  jadis  esteit 

rercevesqiue    de    Canterbirc 

e  l'autre  après  dnnkc  mire 

c  la   face  seinl    Richard   aparceit 
1084  k  avant  ou  l'ercevesque  esteit, 

lequel,  cum  avis  li  esteit, 

un  mitre  sur  son  chief  poseit 

e  il  après  mut  se  merveilliet 
1088  ke  de  pontificaus  vestu  esteit 

kar  unkes  evesque  ne  desirout, 

1069.    M  s.    vint,  comp.    §   31. 

1063-85.  Et  cuidam  Sacerdoti,  honeste  viro  ac  Deo  devoto,  visio 
digna  relatu  de  ejus  apparuit  Pontifioio.  Nocte  siquidem  proxima 
diem  prseoedente,  qua  ad  Episcopatum  fuerat  assumendus,  vidit  in 
so'mnis  domum  exterins  admodum  pulchram.  Cogitans  autem  pênes 
se  et  mente  pertractans,  an  pulchritudine  tMDnsimili  intrinsecus  nite- 
rel,  qua  î^efulgere  videbatur  extrinserus,  propius  ad  explorandum, 
ut  sibi  videbatur,  accessit  :  et  introspiciens  vidit  duos  viros,  Pon- 
tifiralibus  insignibus  redemitof=,  quos  diligentius  intuens,  agnovit 
pe'-  faciès  unum  eorum  esse  B.  Edniundum....  alium  vero  Magis- 
trum  Richardura...  cujus  capiti  B.  Edmundns  mitram  videbatur 
imponere.    (AA.    SS.    §    88.) 

1077.  Comp.    §  100. 

1078.  On  pourrait  supprimer  re  ;  comp.    §  72. 

1080.  On  rétablirait  la  mesure  en  supprimant  seint,  comme  aussi 
au  vers  1083,  et  en  corrigeant  jadis  en  <inz. 

1089.  Le  mot  evesqve  est  probablement  une  mauvaise  leçon;  il 
faudrait  un   mot  qui   traduise    inftiJa,   ce  que    paraît  indiquer   suffi- 


vie  de  saint  richard  365 

n'en  curage  d'aver  avant  nën  out, 

cil  uroeore  plus  profondement 
1092  regarde  e  veit  ensemenl 

nue  bêle  persone  de  blanc  vestu 

ke  la  main  ver  eus  oui  tendu 

(e)  ceo  de  (seint)  Père  e  (de  seint)  Pol  dit  esleit 
109G  en  seinte  église  si  diseit. 

les  glorius  princes  k'en  terre  esteient 

si  euni  en  lnr  vie  s'entreameient 

(en)  meimes  la  manere  en  veritez 
1100  en   la   mort   ne  furent    persévérez   : 

de  cesle  (a)visiun  le  frère  ke  escrit 

eesi  livre  en  latin  devine  e  dit   : 

par  la  bêle  meisun  seinte  église 
1104  seignefie    sulum   ma    devise, 

c  la  partie  dehors  signefie 

seinte  église  k"ore   est   en   ceste  vie, 

e  (de)  la   partie  ke  dedenz  esteit 
1108  seinte  église   signefieit, 
230  v°  I»     bêle  est  en  l'une  e  l'autre  partie, 

(mes)  celé  en  ciel  plus  bêle  k'en  ceste  vie, 

(car)  tecche  n'i  ad  de  tribulaciun, 
1112  ne  nule  manere  de  templaciun, 

somment  le  verbe  aver  du  vers  luisant.  Peut-être  faut-il  corriger 
aube,  vêtement  que  portait  la  personne  k'aveit  la  main  vers  ru.* 
tendent   (v.    1132).    Voir  aussi    1094. 

1092.   Comp   §  99. 

1086  1100.  Admirans  autem  cur  Ponfcificalibus  induebatur,  qui 
necdum  Praesulatns  infulam  fuerat  assecutus.  diligentique  contem 
platus  intuitn  :  videt  quamdam  elegantis  formœ  personam,  albis 
indutam,  manu  versus  ipsos  protensa  dieentem  illud.  quod  in  Apos- 
tolorum  Pétri  et  Pauli  Lande  piommtiat  Eeelesia.  Gloriosi  prin- 
cipes terne,  quomodo  in  vita  sua  dilexerunt  se,  ita  et  in  morte  non 
sunt  separati.   §  88. 

1097.  Ce  vers  du  Benedictus  est  imité  du  23e  verset  du  Tr  chapitre 
du  second  livre  des  Rois:  San!  et  Jonathan  amabUts  et  decori  in 
vita   sua,    in    mnrfr    qunque   non    sunt    divisi. 

1102.    Comp.   §  72. 

1105-8.  Ces  vers  ne  traduisent  pas  le  texte  latin.  La  leçon  est 
probablement   coi  rompue. 

1112.  Ms.  de. 


366  VII.   DE   -  MM     RICHARD 

seinte   fj-rlise  en   ceste   vie 

bêle  est,  mes  lanl  bêle  n'es!  mie, 

(kar)  de  l'une  e  de  l'autre  desculuréc 
1 1 16  esl  en  ceste  \  ie  e  blesmée, 

(hml  i  n  l 'hançuns  ke  I  >eu  révèle 

esl  ceste  église  cum  lune  bêle, 

(mes)  l'église  <lc  cel  ke  n'est  pas  veue 
1120  endreij  cum  le  soleil  esleue, 

ke  la  partie  dedenz  sign(ef)ieil 

cum  la  |li|  fus  luchie  esteit, 

en  quele  partie  veu  esteienl 
1124  seint  Edmun  e  Richard  ke  s'enlrameient, 

de  ceo  ke  (seint)  Edmun  sur  le  chief  mist 

seinl   Richard  une  nuire  cum  il  ilist. 

ceo  par  aventure  signefie 
11*28  la  joie  k'oul  ja  deservie, 

quanl  [le]  ciel  après  truvereil 

sulum  ke  heu  ordine  aveil  ; 

e  le   prodome  k'en  aubes  fu 
1132  k'aveil   la   main  vers  eus  tend  eu 

e  de  glorius  princes  de  terre  parla 

1115.    Vers   trop   long  ;   camp.    §   103. 

1101-16.  LTt  ergo  de  visione  prsefata  dicam  quod  mihi  videatur 
|  ci  tender  ;  per  domum  pulchram,  Ecclesiam  luiiversalem  possmus 
ateipere  figiuatam  :  cujus  par  exterior  est  ista  quse  militât,  par 
vero  interior  illa  quae  triumphat  :  in  utraque  vero  pulchra  est  et 
décora  :  sed  pars  interior  pulchrior,  quia  caret  macula  tentationis 
et  tribulationis  ;  exterior  vero  et  si  pulchra,  minus  tamen,  quia  utra- 
que  prsedicta  macula   decoloratur. 

1120.  Esl  rue.  traduit  littéralement  le  latin  electa  :  le  mot  est  tra- 
duit dans  la  version  d'Osterwald  —  pure  comme  le  soleil. 

1121-2.  Nous  comprenons  :  car  la  partie  intérieure  brillait  comme 
si  on  y  avait  mis  le  feu.   Voir  la  note. 

1123.   Comp.   §  100. 

1?24.   Vers  trop  long;  comp.   §  103. 

1118-30.  Unde  et  in  Canticis  (cap.  vi,  9)  dicitur  :  Pulchra  est 
luna,  quoad  partem  exteriorem  :  Electa  ut  sol,  quecad  partem  in- 
teiiorem  :  in  qua  ainbo  visi  sunt.  quia  ante  tempora  secularh 
in  sorte  Sanctorum  ibidem  praedestinati.  Quod  autem  capiti  B.  Ri- 
chardi  mitram  Pontificalem  B.  Edmundus  videbatur  imponere,  hoc 
frrsan  datur  intelligi,  quod  ope  soi  meriti  destinatum  gloripe  bra- 
vium   Deo  ordinante   fuerat  obtenturus.    §  89. 


VIF   DE   SAINT    lil(  HARD  367 

cum  en  l'avisiun  escrit  esl  la, 

ceo   signefie   veraiement 
1 L36  demustrance  de  l'angle  enseinement, 

kanf  dous  princes  de  terre  esteient 

car  lur  char  demeine  bien  guverneiént, 

issi  k'a   la  hautesce  vendreient 
1 1 10  de!  ciel  u  les  apostles  esteient; 

d'autre  pari  tant  amur  entre  eus  ouf 
321  r°  a     ke  morl  départir  mort  ne  pout; 

si  cum  de  Jérôme  esl  demustrez 
1 1  -i  i   ke  ces  k'en  amur  sunl  dreit  liez, 

(l')aliance  entre  eus  ne  (le)  désir, 

distance  de  liu  ne  poet  partir; 

iluul  ceste  chose  mul  muveit 
1148  cest  prodome  ceo  ke  diseit, 

seiul  Edmun  en  sun  muriant 

a  seinl   Richard  k'il  ama  tant 

ke  lungement  l'ont  en  vérité 
I  152  dedenz  son   quer  finement   enté, 

dunt  en  poet  bien  aparceiver 

ke  mort  n'en  poet  pas  severer  ; 

li  prodome  puis  k'il  enveillia 
1156  mul  de  ceste  avisiun  pensa, 

1134.  On  rétablirait  la  mesure  en  corrigeant  en  le  sunge,  comme 
an    vers    1065. 

1136.   D'mustrcmce;  comp.   §   72. 

1138.  Lis.   d'meinej  voy.   §  72. 

1141.   Cf.   §  85. 

1131-42.  Vir  quoque  qui  albis  inctutus  protensa  manu  dixit  :  Glu 
riosi  principes  et  cetera,  et  Angelica?  revelationis  insinuât  docu- 
mcntum,  et  hoc  dat  intelligi  quod  Sanctus  uterque.  Edmundus 
scilicet  et  Richardus.  proprife  camis  tanquam  terrae  principatu,  et 
Apostolici  culminis  primatu  insignes  extitere  ;  et  nihilominus  cari- 
tatis  vincxdo  ita  indivisibles,  quod  ipsa  quoque  mors  nexum  uni- 
tatis   inter  eos  rumpere  non  potuit.   §  89. 

1144.   Cf.   §  98. 

1147.  Peut-être  faut-il  restituer  esmoveit  :  le  préfixe  es-  étant 
d'une  prononciation  si  flottante  a  pu  tomber  :  comp.   §  72  et  §  72  a. 

1149.  Muriant.  Cette  forme  se  trouve  aussi  aux  vers  1511-1636. 
Le  mot  a.  trois  syllabes  dans  Cbardri.  P.  P.  172.  420.  Voir  aussi 
Godefroy. 


368  VII     DE    SAINT    RICHARD 

mes  l'endcinain  \  inl  la  auvele 
ke  mu!  ceste  avisiun  révèle 
car  la  auvele  tele  fu 

1160  ke  (mestre)  Richard  de  Wiz  fu  eslcu 
a   la  veschie  de  Cycestre; 
(e)  ce]  prodome,  le  devant  di  preslre 
après  Te  Deum  ke  l'en  chanta, 

1164  sa  (a)visiuri  loant  Deu  cunta. 

De  un  guif  converti  en  lu  feu. 

A  lasser  ne  i'et  (pas)  mien  escient 
cum  en  la  fei  esteit   fervent, 
cncite  seinte  église  enoiter, 

1168  e  le  synagôge  (des  guis)  amenuser; 
dunt  des  jnis  fere  enoitement 
e  dreite   fei   coveite  ensement, 
dunl  un  guif  par  li  enseignié 

1172  de  la  fei  baptême  ad  demandé. 
e  grâce  de  baptême  oui  veraimenl 
a  Westminster  u  ont  mut(e)  genl, 
e  le  rei  meimes  esteil  la, 

1176  lequel  de  ses  (propres)  mains  baptiza, 


1143-64.  Quippe  cum  dicat  Hieronymus  ;  quos  conjuxit  vineulum 
caritatis,  distantia  loci  non  poses  disjungi.  Ad  qnem  intellectum 
hoc  quoque  me  provocat,  quod  S.  Edmundus  hora  transi  tus  eui 
dixit,  se  B.  Richardum  a  diu  sibi  inviscerasse,  ut  merito  dicantur 
in  morte  non  esse  separati.  Cum  autem  Sat'erdos,  cui  revelata  fuerat 
visio,  de  ipsa  solicitas  cogitaret.  in  crastino  rumor  increbut,  ma- 
gistrum  Richardum  de  Wicio  ad  Episcopatum  Cioestrensem  assump- 
tum  :  et  cum  propter  hoc  Te  Deum  laudamus,  audiret  de  cantan  : 
ipse  quoque  ciun  oeteris  Deum  laudans,  visionem  enarravit.   §  89. 

La   rubrique   est    :   De  Judrta  ad   fidom  converse 

1167.  Coveite;   comp.    §    69.   —   enoiter;   comp.    v.   826. 

1168.  Nous  croyons  que  (des  guis)  n'est  autre  qu'une  glose,  à 
moins  que  ce  n©  soit  un©  anticipation  du  vers  suivant. 

1169.  Comp.    §  826. 
1172.    Demandé,    cf.    §    72. 

116-76.  Tllud  demum  praetermittendum  non  arbitrer,  quam  fervens 
fidei  Christian»  extiti  pemulator,  cupiens  et  merito  ©t  numéro  ipsius 
cultum  augeri,  et  ad  hoc  totis  viribus  penitus  elaborans.  Unde  sicut 


Ml     DE   SAIN  I     RICH  VHl)  369 

c  ceo  sachiez  solempnement 

kar  le  rei  inclines  In  présent, 

e  par  gre  de  li  fu  numé 
1 180  après  li   Henri  en   vérité, 

dunl  seinte  église  enoitement 

de  IVi  recul  ensample  ensement, 

le  synagoge  ou  fey  delelé 
1184  i  pureil  prendre  si  voleit  bêle 

essample    de   turner   a   cristienté 

puiske  tant  celli  fu  honuré. 

De  la  predicaciun  de  la  croiz. 

Seint  Richard  en  fey  resplendisseit 
1188  e  en  miracles  ke  (por  li)  Deu  feseit; 

(e)  en  ses  feiz  tuz  jurs  Deu  siweit, 

ou  li  de  la  croiz  pernance  porteit, 

par  ki  ou  l'apostle  dire  porreit, 
1102  le  munde  a  li  et  il  al  munde  esteit 

crucifie,  si  k'al  deservise 


pro  impediendo  perfidiœ  Judaicœ  incremento,  ut  prœfati  sumus, 
novae  synagogœ  non  patiebatur  œdificium,  sic  .  verre  fidei  venientes 
sacramentum  Judeos  réopère  voluit,  in  Ecclesiœ  matris  augmentum. 
IJnde  e'  quendam  Judœum  per  ipsum  in  fiden  instructum  et  bap- 
tismi  gratiam  postulantem,  apud  Westmonasterium  pressente  Rege 
ac   procerum  multitudine,   propriis  manibus  solenniter  baptizavit. 

1180.  Comp.  §§  72  et  100.  La  rubrique  latine  est  ainsi  conçue  : 
De    sua   prœdica/ione    Ciucis. 

1185.    Cf.    §  72;   essample  ;   comp.   §    72. 

1177-86.  Régis  nomen  ipso  Rege  favente  sibi  imponens,  et  bap- 
tizatum  gratanter  in  filium  adoptans  :  ob  hoc  nimirum  Ecclesia 
matiis,  ex  novae  régénérât ionis  proie,  augmentans  gaudium;  et  pei- 
ndre Synagogre,  non  parvum  prrebens  incentivum,  acl  veram  fidem 
se    con.  .rtendi. 

1187.   Resplendisseit;  comp.   §  72. 

1190.  Comp.    §  102. 

1191.  Comp    §    100. 

1192.  Epître  aux  Galates  vi,  14.  «  Mihi  autem  absit  gloriari, 
nisi  in  cruoe  Domini  nostri  Jesu  Christi  :  per  quem  mihi  mundus 
erneifixus   est,    et  ego  mundo.    » 

1192.     Comp.     §    103. 


370  VIE   DE   SAINT    RICHARD 

desuz  la  croiz  ministra  seinte  église 
ke  par  la  croiz  (e)  Jhesu  Ciist  dreit 

1196  gloriuse  fin  de  vie  prendreit; 
diiiii  de  l'apostoile  prechement 
de  la  croiz  recul  (le)  mandement 
;i  aider  a  la  seinte  terre 

1200  ke  fu  dune  en  péril  de  guerre. 

Seinl   Richard  dunkes  cum  bon  cloctur, 
e  de  la  croiz  (le)  glorius  prechur, 
ne  mie  sul  pur  le  mandement 

1204  l'apostoile,  mes  pur  le  talent 
k'aveit  en  la  croiz  glorifier 
e  de  plaies  nostre  seignur  prêcher; 
dont  l'apostle  seint  Pol  pust  crier  : 

1208  ja  Deu  me  place  mei  déliter 
fors  en  la  croiz  nostre  seignur 
qu'est  Jhesu  Crist  nostre  sauveur  ; 
pur  eeo  sein!  Richard  cumença 

1194.  Corap.    §    103. 

1195.  Le  scribe  n'a  pas  compris  que  Jesv  Crist  est  au  génitf,  je 
ci  ois  devoir   supprimer    le    «   e    ». 

1200.  Il  s'agit  de  la  septième  croisade;  l'apostoile  (v.  1204)  est 
le   pape  Innocent  IV. 

1187-1206.  Post  vitam  igitur  mira-culorum  gloria  fulgidam  et 
mcium  honestate  praeclaram,  qua  Christum  secutus  Crucem  suam 
jugiter  ferre  didicerat,  per  quam  sibi  mundus  ipseque-  mundo  fue- 
rat  ( rucifixus  ;  tandem  ut  sub  Crucis  mysterio  pariter  et  ministerio. 
in  Christo  et  cum  Cbristo  vitae  finem  sumeret  gloriosum,  Crucis 
prsedicationem  a  Sede  Apastolica  pro  Terrse  sanctœ  subsidio  acoe- 
pit  delegatam.  Prbcedit  ergo  Crucis  Christi  minister  et  prœdicator 
gluiiosus,  non  in  Romame  commissionis  pegmate  (d'après  la  note 
des  éditeurs  des  Acta,  ce  mot  veut  dire  «  exaltation  »)  sed  in  Cru- 
(  i>   stigmate  qurerens   gloriari.   §   91. 

1205.    Corr.    ot. 

1207-10.  Cum  Apostolo  damans  :  Mihi  autem  absit  gloriari  nisi 
in  cruce  Domini  nostri  Jesu  Christi...  Notre  auteur  ne  traduit  pas 
les  versets  bibliques,  Ezéchiel  ix,  4,  et  Ps.  cxviii,  14,  cités  dans 
le   texte  des    Acta. 

1211-21.  Igitur  a  Cicestrensi  sanctuario  inripiens  per  loca 
maritima  transiens,  ac  per  Metropolitanîe  Sedis  diœcesim, 
et  civitatem,  Cantuariam  loquor.  nostram  quodammodo  Jérusalem, 
propter  gloriosom  Martyrum...    Thomae.    §    91. 


VIE   i>r   SAINT    l;l(  Il  \l;|)  371 

1212  primes  a  <  îycestre  e  la  prêcha, 

puis  commença  après  passer 

les  luis  ke  sunl  près  de  la  mer 

e  par  iluec  l'(erc)eveske  passeil 
1210  jekes  a  (sie  de)  Canterbire  veneit 

ke  esl  cum  a  une  Jherusalem  le  veiage 

e  lin  de  devociun  de  pèlerinage, 

car  le  lin  est  mul  seintefié 
1220  par  le  glorius  martir  amé 

(-fini)  Thomas  ke  suffri  martirement, 

(e)  nui/,  d'autres  cors  sein/,  ensement 

snnl  en  ce]  lin  cum  seint  Ephé 
1224  e  autres  dunt  est  le  meuz  amé. 

(Innl  la  e  par  tute  la  marine 

la  seinte   parole  seigna  divine 

e  de  la  croiz  numeêment 
1228  dunt  firent  croise  meinte  gent, 

e   des  notiners  la   fierté 

pensa  mettre  en  humilité 

e  par  lur  pèche  l'abundance 
1232  e  des  peines  la  vengance, 

après  asaia  ses  auditurs 

mettre  en  repentance  par  dol  e  plurs 

e  par  le  prechement  k'il  prêcha 
1236  le  signe  de  la  croiz  lur  dona. 


1217-8.  Vers  fautifs  :  Le  nom  de  cette  ville  est  souvent  abrégé 
dans  les  mss.  Jhrln  et  semble  avoir  eu  une  prononciation  flottante, 
on  le  trouve  tantôt  avec  trois,  tantôt  avec  quatre  syllabes.  Dans 
une  traduction  anglo-normande  de  la  bible  on  a  :  En  Jérusalem, 
pur- garder  sun  paleis  et  aussi  II  esgarda,  Jérusalem  l'antive  ;  le- 
çons qui  sont  appuyées  par  quatre  mss.  Voy.  notre  étude  :  Die  ver- 
sifizierte  CJbersetzung  der  franznsischen  Bibcl  (Dissertation  d'Hei- 
delberg,  1897).  Dans  la  vie  de  S.  Gille.--.  on  a  deux  fois  Jérusalem 
avec   quatre   syllabes. 

1223.   S.  Elphège.  mort  en  1012. 

1232.  Corr.    de   lur. 

1233.  Apres  ;   comp.    §   72. 

1234.  Repentance,   lis.   pentonce,;  oomp.  §  72  et   le  vers  1487. 
1222-36.   Nec   non   Epbelgi  aliorumque  pretiosa  pignora  Sanctorum. 

ferali a    nautarum   colla    jugo    Crucia    studuit    submittere    ostensisque 


372  VIE   DE   SAINT    ltl<  Il  \il. 

travailla  le  bon  cullivur 
i->i  c/  champ  Qostre  seigniur, 
231   v°  b     e  par  la  charue  de  la  croiz  k'aveil 

1240  ou  le  soc  de  lange  ke  joint  esteit 
le*-  quers  terriens  de  lui   parceit, 
la  parole  .Thesu  I  Irisl  seigneit 
e  la  ruseie  de  (la)  beneiçpn 

12  iî  dcl  ciel  espandeu  lu  en  sun; 
dunl  cuiii  il  aveit  en  désir, 
plusurs  en  veil  bien  germir. 
Les  contriz  conforte  e  nuriseil 

1248  les  confes  out  e  enseigneit 
e  si  asout  les  repentanz 
e  respunt  a  les  conseillianz, 
les  desesperanz  reformeit 

1252  les  halegres  (bien)  amonesteit 
les  pourus  en  sei  aforceit, 
a  trestuz  comun  se  feseit, 
que  nul  [en]  conter  ne  pureit 

1256  la  meste  de  bunte  k'il  aveit; 

pur  ceo  k'a  Deu  tuz  gainer  vout 


peccatorum  abominationibus,  pœnisque  in  eorum  vindictam  inse 
quentibus,  dolorem  et  luctum  incutere  satagabat  auditoribus,  et 
sic  pœnse  crucem  tamquam...  signum  ipsis  salubriter  impressit. 
§  91. 

1237.   Ms  en  le. 

1240.    Comp.    §   102. 

1243.  Nous  lisons  benisson,  comme   encore  dans   Cotgrave,    1611 

1246.  Un  mot  semble  manquer  dans  le  corps  du  vers,  omission 
d'autant  plus  fâcheuse  qu'on  aurait  peut-être  pu  relever  un  dérivé 
de  sulcus;  germir  paraît  être  rare,  Godefroy  n'en  a  relevé  que 
deux  exemples,  tous  deux  tirés  d'auteurs  anglais,  et  dont  l'un  se 
trouve  dans  le  prologue  de  La  lumière  as  lais;  il  est  à  remarquer 
que  l'un  des  mss.  de  ce  texte  a  remplacé  germir  par  germiner.  Cf. 
Ramaraa  vm,   328. 

1247.  Comp.    §    102. 

1250.    Peut-être   faut-il    lire    :    respunde.it   as. 

1256.  Le  ms.  semble  porter  kameste;  nous  croyons  avoir  donné 
la  bonne  leçon  ;  nous  comprenons  meste  dans  le  sens  de  mete  : 
étendue,  mesure.   L'->-  peut  être  insérée.   Comp.   §  37. 


\ll.   DE   SAINT    RICHARD  373 

pur  Deu  a  luz  se  conformout. 

Entrecus  le  dis.ime  jur  avanl 
L2G0  ke  venisl  al  port  renumé  tant 

eu  liu  ke  Dovere  esl  apellé 

si  l'u  de  maladie  grevé; 

mes  ces  jurnees  ne  lessa  mie 
L264  de  prêcher  pur  la  maladie, 

mes  chescun  jur  c  en  prêchant 

e  ausi  en  confessiuns  oiant 

e  ausi  pur  ©nfanz  confermer 
12GS  o  pur  ordres  eus  célébrer 

ke  près  la  vertu  de  sou  cors 

par  travail  espira  il  lui  hors; 
1271   puis  a   Dovere  s'en  est  venu 

1237-58.  Laborat  igitur  in  agro  Domenieo  cultor  indeffessus,  et 
Crucis  aratro  cum  vomere  lingurc  conjuncto  terrena  corda  proscin- 
<iit  .  et  seniiniverbius  Christi  rore  cœlestis  benedictionis  adhibito, 
sulcos  justitiae  gaudenter  vidit  germinare.  Quam  gratanter  enim  eon- 
tritos  refovit,  confidentes  audit  et  instruit,  pœnitentes  absolvit, 
consultantibus  respondet,  desperantes  reformat,  alacres  adhortatur, 
trementes  roborat,  denique  qualiter  omnibus  omnia  factus  est,  quis 
sufficiet  enarrare'.'  Xam  quia  omnes  Christo  lucrifacere  voluit,  om- 
nibus  propter  Christum  se   studuit   conformare.    §    91. 

1269.  Près;  comp.   §  72. 

1260.  Corr.  uinst  [vint,  >'!/nf:  se  trouve  déjà  dans  Bœve  de  Ham- 
U  ne),  ou  comp.   §  72. 

1259-70.  Le  texte  du  Bocking  des  Actn  omet  toute  mention  de 
si  maladie  ;  ce  sera  donc  le  texte  de  Capgrave  que  nous  suivrons  : 
Et  décima  die,  antequam  ad  illum  famosum  poiium,  qui  Dovera 
dit  itur.  pervenisset,  cœpit  a-grotare.  Nec  tamen  in  agro  Domenieo 
laborare  omisit  ;  sed  singulis  diebus  praedicando  confessiones  audien- 
do,  pueros  confirmando,  et  etiam  Ordines  celebrando,  usque  ad 
exinanitionem  virtitus  corporis  sui  indesinentei  laboravit  (Capgrave. 
§  16). 

1270.  Comp.    §    69. 

1271-6.  Les  deux  textes  sont  presque  identiques  ;  notre  auteur 
semble  suivre  d'abord  celui  de  Capgrave  et  puis,  à  partir  du  mot 
dediast   (1285),   celui   de   Bocking. 

Ad    Doveriam    igitur      pervo-  Rogatus  quoque  a  magistro  et 

niens,  in  quadam  domo,  quœ  vo-  Fratribus  dicti  hospitalis,  ut  ec- 

catur  Hospitale-Dei.  hospitavit    :  clesiolam    quamdam    cum    cœme- 

rogatusque  a  Magistro  dicti  bos-  terio    pauperum    sépulture   cons- 

pitalis,   ecclesiam  quamdam   cum  tructam.      in     honore      quondam 

0>K 


374 

232  r°  n 


\ll     Ml     -\IM    RICHARD 


on  une  meisun  est  descendeu 

ke  hospital  Deu  esteil   numé 

c  on  colo  vilo  csl  herbergé. 

le  meslre  de]  hostel  ke  la  fn, 
1276  e  ses  frères  ke  furent  receu, 

ententivement  1<'  prieienl 

k'une   j »r l i te  église  qu'illuec  aveient 

on  un  cymiterie  ensement 
1280  fol    pur  ensevelir  la  genl 

en  l'onurance  seinl  Edmun 

ke  sun  seigniur  (ja)  l'n  e  patrun, 

l'ercevesque   de   Canterbire 
L284  I  )n  ki  esteil  granl  mestre  e  sire, 

dediast  e  il  haitemenl 

ou  joie  vut  lur  doner  asenl. 

Apres  a  cel  lin  s'en  alout 
1288  ou  granl  fieblesce  de  cors  k'il  out 

o  solempnement  la  dédia, 

(o)  ensemblemenl  ou  lui  prêcha, 

o  ceste  parole  avant  inisl 
1292  al  pople  o  on  lole  manere  olist  : 

»  seigniur,  je  vus  pri  pur  l'amur 

»  k'ensemblement  ou  moi  nostre  segnur 

»  benesquiez  o  ?i  looz 
129G  »  k'a  nus  de  sa  grâce  ad  donéz, 

»  on  l'onur  de  li  en  vérité 

»  plein  de  grâce  e  <lo  pitié 


raiiH'terio  paupereum  sepulturse 
constructam,  in  honore  quon- 
dam  Domini  sui.  ,Beati  Ed- 
mundi,,  patroni  sui,  solenniter 
censecravit. 

Cap'jrwf.,   §   17. 


Domini  et  patroni  sui  B.  Ed- 
mundi  Cantuariensis  Episcopi 
edicarefc  :  animo  pariter  et  vultu 
audenti  favorem  praeetitit  et  as- 
sensuru. 

A  A.    SS.    §   92. 


1275.    Ms.    hospital;   au   vois   1273  peut-être  faut-il  dire  également 
ke    hostel  Dell. 

1286.   M«.  joissant. 

1289.  Solempnement.   Cf.    §  86 

1294.  On  pourrait   corriger  k'ensembh    ou   //ici... 

1295  96.    Ms.   loee    :   donée   à   la  rime. 

1298.   Comp.    §  99   b. 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  375 

»  c   noslre   pastur  seinl    Edmun 
1300  »  sûmes  ;i  cesle  dedicasiun; 

»  kar  c'est  la  chose  k'ay  désiré 

»  [de]puis  le  lens  ke  esl  sacré, 

»  e  ceo  lu  lu/,  jurs  mun  désir 
1304   »  k'avanl   ceo  ke  dusse  mûrir, 
232  i"  b     »  une  église  suveranz  dédier 

»  en  son  onur  puisse  e  (con)sacrer; 

»  (liinl  de  tute  là  meule  veraiemenl 
1308  »  de  mun  quer  a  Deu  grâces  renl 

»  ke  du  désir  ke  m'aime  ad  eu 

»  n'esl   pas  enginie  ne  deceu. 

»  Mrs  ores  (très)  chiers  amis  bien  le  soi 
1312  »  ke  tosl  après  cisl  jur  murai, 

»  (luiii  jeo  vus  pri  pur  Deu  le  festre 

»  ke  puisse  eu  vu/  prières  eslre.  » 

Apres  la  messe  dune  célébrée 
1316  (sa)  beneiçun  a  la  genl  donée. 

a  cel  hoHel  s'en  esl  aie 

u  avant  esteil  herbergé. 

Icesl   prodome  cum  (avant)  dit  esteit 
1320  longement  avant  sa  mort  saveit, 

1287-1300.  Locum  igitur  dedicandœ  basilic??  adiens,  ipsam  solen- 
niter  consecravii  et  dévote.  Inter  prredicandum  au  te  m  (nam  sermo- 
tien  ipso  die  populo  exhibuit)  hujusmodi  verba  proposuit  :  Caris- 
snni.  rogo  una  mecum  benedicite  Dominum  et  laudate,  qui  nobis 
do  sua  gratia  conibulit,  in  honore  suo  Sanctique  Patris  Eclmundi, 
pi  a  senti  dedicationi  inteiesse.   AA.   SS.  §  92. 

1307.    Ce    mot    meole     se   trouve    dans    Marie    de    France.    Voy. 
O.odefroy     x,   p.    162. 

1313.    Festre.    Voy.    aux    vers   619,  899. 

1301-18.  Hoc  enim  fuit  quod  semper,  a  tempore  quo  munus  oon- 
seerationis  assecutus  sum,  optavi  :  hoc  quod  votis  omnibus  expe- 
tivi.  ut  antequam  diem  clauderem  extremum,  unam  saltem  basilicam 
in  honore  ipsius  possim  conseerare.  Unde  et  totis  medullis  cordis 
mei  Deo  gratia -5  refeio,  cjui  animas  me;e  desiderio  me  non  defrauda- 
vit  Et  nui!"  caiissimi,  scio  quia  velox  est  depositio  tabernaculi 
mei,  quam  vestraruin  orationum  suftragiis  peto  communiri.  Missa 
itaque  cum  débita  celebritate  finita,  et  sacra  benedictione  firmata 
p'ebe,   Pontife <  ad  supradictum  hospitale  revertitur.   AA.  SS.    §  92. 

1317.  Mb.  hospital. 


376  VIE   DE   SAINT    RICHARD 

cum  par  divers  tens  (avant)  le  diseit 

cuni   Id.-l   vus  serrai  demustrez 
1324  si  cum  en  cest  escrit  oiez 

Un  mois  avant  k'amaladist 

une  noble  dame  k'en  Deu  amail 

especiale  en  l)eu  mut  il  esleit 
1320  entur  salu  mut  travaillieit; 

puis  quant  de  li  parti  csteit 

son  chapelein  k'especial  aveit, 

prive[e]ment  a  sei  appella 
1332  ke   puis  après   mut   travailla, 

e  son  canonizement  après 

purchacea  a  grant  joie  ades; 

e  ces  paroles  a  li  diseit, 
1330  cum  oïr  poez  orcndreit   : 

«  sachez  le  voir  en  bone  fei 

»  en  ceste  vie  plus  ne  verai.  » 
232  v°  a     estre  ceo  cum  le  chapelein  avantdit 
13i0  de  l'evesque  cungé  requit 

ke  pust  sa  église  \  isiter 

en  quareme  e  la  sujurner; 

l'evesque  respunt  :  ne  le  frez  mie, 
1344  de  mei  ne  départez  vus  mie, 

kar  sachez   k'en    bref   lenz   verrez 

ke  pur  Iule  sclesie  ne  vuderez 

1322.  Il  n'est  nullement  certain  qu'un  vers  ait  été  omis;  notre 
autrui  a  souvent  plus  de  deux  vers  rimes  sur  la  même  voyelle. 
Voyez   l'introduction   et   aux    vers  985,    1387. 

1325.  Un  nouveau  chapitre  commençait  probablement  ici;  voy. 
à  l'introduction. 

1327.    Faut-il   corriger   il  en  li?  comp.   le  v.    1410. 

1326.  Le  ms.  porte  amait  :  faut  il  corriger  datie.it  et  supposer  qu'il 
manque  deux  vers,  dont  l'un  aurait  ist  à  la  rime  et  l'autre  -eit? 
Nous  avons  déjà   vu   enticeit   en    rime   avec-  prcif,   519-20. 

1325-34.    Voyez    la    note. 

1319  38.  Rien  dans  les  deux  textes  latin  ne  correspond  à  ces  vers. 

1339.    Vers   trop  long;   comp   §   102. 

1346.  Sclesie,  telle  est  la  leçon  du  ms.  ;  le  mot  ne  nous  est  pas 
connu  d'ailleurs  ;  nous  nous  demandons  s'il  représente  une  pronon- 
ciation clerquoise.  du  latin  ecclesia. 


Vil     !H     SAINT    RICHARD  377 

ko  fuissez  do  mei  départi  : 
1348  car  le   prodome  la  mort  senti 

e  ces  amis  voul  aver  près  do  li. 

e  soûl  ke  la  deite  rendercit 

de  nature  e  ke  tosl   passerait, 

e  prière  e  présence  voul  aver 
]'.u)^  de  ses  amis  quant  deusl  aler, 

(c)  k'en  lur  quer  de  mieuz  tu/,  jurs  eusenl 

(c)  sa  beneicun  ou  lut  récusent. 

Le  dimeine  ke  L'endemain  esleit 
1356  ke  l'église  devanl  dite  dedieit, 

lui  fui  travaillie  de  maladie, 

pur  ceo  lesser  ne  [ceo]  voul  mie 

ke  le  malin  ne  s'en  levast, 
1360  e  al  oralorîe  no  s'en  alasl 

e  puis  quant  [i]  entré  esteit 

si   meimes  a  chanter  comenceit, 

mes  quant  estut  d'oïr  sa  messe, 
KiCï  de  sa  maladie  fu  en  tant  de  destresce, 

(e)  ces  membres  commencèrent  a  fieblir 

ke  ne  pout  mie  sustenir, 


1339-47.  Ecce  autem  anus  de  sibi  familiariter  caria  accedens  ad 
eiim.  ante  scilioet  quam  œgrofcare  cœpisset,  visitandi  quamdam 
e<  i  li  siarri  sibi  commissam  lioentiam  petivit.  Pontifex  autem  petenti 
non  acquiescens,  respondit  :  Si  mme  recedis  videbis  horam.  ante- 
quam  pevertaris,  qua  fcota  ecclesia  nolles  a  me  separari.  AA.  SS. 
§  93.   (Ce   paragraphe   est   entre  crochets  dans   le  texte  des  Acta.) 

1349.    Vers   trop    long.    Ce    vers    est    peut-être   une    glose. 

1349.   Comp   §   100. 

1357.    Scansion  ;    voir   §    59. 

1348-62.  Jam  quidem  prsesensit  horam  instare,  qua  nebitum  ma- 
(mrse  persolvens  ex  hoc  mundo  fuerat  migraturus  :  in  qua  nimirurn 
sibi  caros  adesse  voluit,  exitum  suum  eorum  prece  pariter  et  prse- 
sentia  felicius  sperans  consummare  :  dicturusque  vale  ultimum. 
su:'  înemoriam  eorum  cordibus  fortius  voluit  infigi  et  ipsos  paterna 
benedictione  potiri.  Feria  igitur  secunda,  in  crastino  scilicet  il  lins 
D<  minicœ  qua  prsedictam  basilicam  dedicaverat,  licet  jam  febrici- 
tare  cœpisset. hora  tamen  surgendi  nesciens  se  tricare.mane  oratorium 
mgressus,   psallere   cœpit.    §  93. 

1364.  On  pourrait   corriger  de  son   mal-  fu  en   tant. 

1365.  Voy.  §  67. 


378  VII.   DE   SAINT    RICHARD 

mes  (dreil)  eum  en  paumeisun  esteit 
1368  sur  le  dur  pavemenl   i  ueil; 

les  suens  [ajdonkes  le  levèrent 

e  a   -"ii  lil   le  ramenèrent, 

e  iluec[ques]  -'en   est  cucfaé. 
137?  e  lantost  si  ad  apelré 

-ire  Williame  sun  chapelein 

ke  tant  aveil  en  quer  prescein, 

humble(ment)  e  curteisemenl  diseit 
1376  k'eschaper  de  ce!  mal  ne  purreit 

e  commanda  ke  cointement 

apparaillast  a  son  enterrement 

trestut  cco  ke  mester  fi]  fusl 
1380  issi  ke  sa  mené  nel  sont; 

kar  ben  sou!  se  il  le  s[e]ussent, 

ke  trop  dolenz  e  mari  fussent  ; 

i  ajusta  e  dit  aussi   : 
L384   «   sache/,  le,   1res  duz  beaus  ami, 

»  k'avant   la  mort  kc  me  vendra, 

»  ma  parole  une  partie  (de)faudra, 

»  mes  nekedenl  ma  memone  e  sen  autant 
13S8  »  axerai  eum  oi  sel  anz  devant, 

»  e  par  le  num  noslre  sire  Deu  verrai 

1373.  Comp.    §    77. 

1378.  Voir   §   70. 

1375.  Comp.    §    57. 

1376.  Corr.  de/. 
1378.  Comp.    §   70. 

1380.  Sout  est  peut  être  une  simple  erreur  pour  t-ou.sl  ;  comp.  Le 
ver-5  suivant,    sevssent. 

1363-82.  Dum  autem  ad  Missam  audiendam  stetisset,  et  morbo 
ingravescente  membra  imbecilla  sustentare  non  valeret.  quasi  syn- 
cepen  passus  pavimento  prosternitur.  Suorum  igitur  manibus  su- 
blevatus,  ad  leetum  reducitur  ibidemque  reclinatnr.  Cuiaam  deinde 
V.  illelmo,  Capellano  suo,  eo  valde  familiari,  dixit,  quod  ab  illa 
infiimitate  evadere  non  pot  ni  t  :  jussitque  eum  funeri  necessaria 
CcMïfce  preparare,  ne  familia  sua  percipiens  turbaretur.  (Capgrave, 
§<S  H,   18.) 

Dans  le  texte  de  Bocking,  il  n'est  question  ni  de  la  Messe  ni  du 
chapelain   Guillaume. 

1387.   On  rétablirait   la   mesure  en   supprimant  nekedent. 


Ml     Dl     SAINT    IiK  H\I(D  :î7(.l 

)>  dekes  a  ma  fin  bien  averrai  »; 

l'evesque  derechief  plus  penseit 
1392  de  salu  de  l'ame  ke  ne  feseit 

d    santé  de  cors,  nies  nekedenl 

asez  i)  oui  fisiciens  ensemenl 

ke   s'enlremirenl   a   lur   poer 
1390  la  maladie  (de)  son  cors  osier 

ki  la  qualité  de]  malade  esperimenterent 

o  signes  e  urines  de  li  jugèrent; 

devant  h  unes  (il)  lur  dit   :  sachez, 
1400  ne  covint  (pas)  ke  vos  travailliez 

de  nia  urine  pur  jugement, 

kar  (la)  morl  en  portes  sachez  m'aient; 

par  kel  jugement  m'en  irai, 
233  r"  .i     e   ceo   tabernacle   voiderai, 
1  105  r   l'esprit  s'en  départira. 

e  a(ce)li  ke  le  doua   (-Vu)  ira. 

quant  le  prodome  sire  Symun 
1408  k''  d»'  Terreinges  porta  le  niim, 

le  lit  al  malade  apresceit, 

car  mut  especial  a  li  esteil, 

(tant)  cum  de  sa  maladie  treterent 
1412  e  trestuz  entur  en   parlèrent, 

li  <li"-eil  ces  mots,  sire  Symun  : 

«  sire  ore  est  (le)  tens  de  la  passiun, 


1383  90.  Le  contenu  de  ces  vers  manque  dans  les  textes  latins, 
au  lieu  de  quoi,  il  y  est  question  d'une  dernière  confession  géné- 
îaio. 

1391-98.  Anim;e  quippe  saluti  potius  quam  corporis  considère 
gestions  (Sacramentorum  medkamenta  salutaria  principaliter  adhi- 
bere  curavit).  §  93.  Affufirunt  tamen  nihilominus  et  medici  corpo- 
rales,  diligenti  suorum  industria  accersiti  :  cumque  de  morbi  qua- 
lît-ate,  consideratis  aegrotantis  symptomatibus,  urina?  nihilominus 
hypostasi   et   colore,    coram  ipso   judicarent.    §  94. 

1397-8.  Le  texte  est  visiblement  corrompu,  ces  d'eux  vers  repré- 
sentent une   fusion   de   trois   ou   peut-être   de    quatre    vers. 

1399.  Le  sens  est  obscur  et  il  est  peu  probable  que  nous  avons 
donné  la  bonne  leçon.  Le  ms.  porte  nies,  le  scribe  aurait  écrit  une 
barre   en  moins  ;   comp.    Godefroy   sous  mège. 

1404.    Comp.    §    100. 


380  VIE    DE   SAIN!     RICHARD 

»  c  pur  ceo  ke  parteners  estes  ou  li. 
1416  »  si  serrez  par  sa  grâce  en  joie  ausi.  » 

desqueus  paroles  le  scint  en  hel 

est  reformé  e  lui  refet, 

si  ke  i  »o l  dire  ceo  k'esl  escril  : 
1420  «  hetie  sui  de  ceo  ke  m'est  dit, 

»  ke  amunte,  tanl   I >i<  n  le  savum, 

n  en  la  meisun  nostre  seignur  irrum  »: 

e  turne  le  chief  e  a  li  parleit 
1424  e  reste  parole  dune  li  diseil    : 

«  la  quinte  ferie  lut  a  pleisir, 

»  a  une  grant  feste  sui  a  venir.  » 

Sir  Symun  pas  bien  n'entendi 
1428  les  paroles  ke  parla  a  li, 

car  l'espire  enfeibli  aveil 

(e)  pur  ceo  mut  fieblement  parleit: 

dunt  sire  Symun  rien  ne  dit, 
1432  mes  (si)  tule  rien  ne  respundit; 

a  ki   l'evesque  après  (li)  diseil: 

«  n'attendez  vos  pas  orendreit 

1399  1416.  Ait  Sanctus  :  Non  oportet  jam  de  urinse  meae  judi 
cio  fore  solicites,  mors  enim  jam  in  januis  existit  :  eu  jus  judicio 
n  nstat  mo  cito  hujus  corporis  tabernaculum  egressnrnm.  et  spi- 
ritum  dirigi  ad  eura  qui  dédit  illum.  um  autem  ille  vir  vita?  vouera  - 
bilis,  Domnus  Simon  de  Teringe.ad  lectum  aegratautis  ausu  familiari 
propinquius  accedsret.  et  de  morbi  gravedine  verbà  contexerent  ; 
Donrinus  Simon  subintulit.  Domine,  inquit,  jam  instant  Dominicse 
Passionie  tempora  :  et  quia  tribulationis  particeps  estis,  eritis 
ipso   largiente  et  consolationis  §  94. 

1416.    On    pourrait    corriger    serrez    par    grâce... 

1421.  Peut-être  faut-il  lire  ke  [  =  kar)  amunt  (comp.  Psaumes 
cyxn,    1). 

1425.   Quinte  :  comp.   le  texte  latin   et  aussi  1435. 

1429.    M  s.    les   esperiz. 

1431.   Voy.   §  77  et  la  note. 

1417-32.  Ex  quibus  verbis  Sanctus  factus  est  hilarior,  tamquam 
in  seipsium  transformans  illud  Psalmitse,  Lsetatue  siini  in  bis  quœ 
dicta  sunt  mihi,  in  domum  Domini  ibimus.  Et  convertens  caput 
ad  secura  loquentem,  dixit,  Feria  sexta  in  magno  festo  futurus  sum. 
Ei  quoniam  attenuato  spiritu  verba  sua  jam  quasi  sibilus  aura 
tennis  effexta  sunt.  Dominus  Simon,  prima  verba  non  intelligens, 
conticuit.   §  94. 


\  i!    m    SAINT    RU  il  \i;i>  381 

»  là  quarte  ferie,  hui  cesl  jur  n'en  esl  ?  » 
1 136  sire  Symun  respunl  :  «  sire  si  est.  » 

«  ne  mie  la  quinte  ferie  (fit  il)  demein, 

»  lin'--  en  celé  ke  est  a  venir  prochein, 

»  dunkes  a  <  •  t  - 1  *  »  grant  feste  serrai 
1 140  »  c   a  grant  joie   le   userai.    » 

après  aparceu  bien  esteit 

le  jur  il»'  sa  mort  ceo  k'en  diseit. 

un  jur  quant  [mut]  pire  esteit 
1  i  ii   pur  fieblesce  del  cors  ke  il  aveit, 

ke  acune  chose  supereit, 

e  un  (li)  ilil  ke  un  mes  en  avereil 

en  sa  cène  trestut  sulement 
1 148  e  li  dit   :  «  en  mangez  leement  ». 

E  l'evesque  puis  (li)  respundit   : 

«  un  sul  mes  a  super  (bien)  suffit  »: 

cl  dit  ou  lut  tantost  a  li   : 
1452  «  savez  bien  quel  mes  est  celli  ? 

»  c'est  le  nies  dunt  scint  Phelipe  dist, 

»  (sire),  niustre  nus  le  père  e  nos  suffit  ; 

»  icel  nies  Deu  me  voillie  cloner, 
I  156  »  dunt  en  ciel  en  puisse  super  »  ; 

kar  [ja]  trestute  sa  pensée 

a  Deu  aler  ont  aturnée  ; 

kar  le  travail  Marthe  oui  (tut)  lessée 
1460  e  un  sul  fièrement  désirée 

ke  Marie  sulement  desireit 


1447.   Comp.   §   100. 

1433-48.  Tura  Episcopus,  Nonne  bene  me  intelligis?  nonne  hodie 
est  quarta  feria?  Cui  ille,  Imo,  Domine.  Et  Sanctus,  Non.  inquit. 
)  i  s  ;  proxima  quinta  feria  ;  sed  in  proxima  sequente  magno  illo  per- 
fruar.  Quod  ex  mortis  sua?  die  et  hora  postmodum  fidem  faoere 
videbatur  eveutus.   §   94. 

Cum  autem  prae  nimia  oorporis  debilitate  in  cœna  aliquid  sumere 
lui-.  e4  diceret  quispiam,  Domine,  unicum  solum  ferculum 
habebitis    in    cœna,    comedatis    libenter  ; 

14-57.   Le    texte    latin    suggère   la   correction  proposée. 
1459-60.    Pour   ces    participes,    voir  §  50. 


382  VIE  DE  sain  i    i;m  11  V.RD 

ke  lui''  la  meillurc  chose  esteit. 

L'ymage  dunkes  de  la  nui/, 
1464  laquelle  lisl  porter  devanl  -es  oiz 

ke  les  ymages  des  plaies  put  veer 

dévotement  le  liu  beiser, 

lesicfueus  Lreita  mut  ducement 
1  168  e  ces  paroles  disl  ensemenl   : 

«  Grâces  renl  vos  Jhesu  Crist  e  grez 
233  \°  a     »  de  luz  les  biens  l<e  Ici  m'avez, 

x  pur  peines  e  hunte  ke  lui  apert 
1  172  »  (k')avez    pur    mes    péchez    sulïcrt; 

»  dunt  de  ceste  pleinte  de  vos  fu  veraie, 

»  ne  pas  dolur  cum  est  la  nieie, 

»  e  vos(lrc),  sire,  1res  bien  conissez, 
1476  »  si  vus  plcst  k'ai  est(r)é  apreslez, 

»  îaorl  c  turmenz  pur  mis  suffrir, 

»  si  il  vus  venist  sire  a  pleisir; 

»  e  si  cum  savez  que  vérité  est, 
1480  »  de  mei  eiez  merci  si  vus  plest, 

1449-62.  Respondit,  sufficit,  et  iinum  sufïioere  débet  in  cœna  : 
et  adjunxit.  Seitis  quod  est  illud'.'  Hoe  est  illud,  de  quo  B.  Philip- 
pus  dixit  ad  Christum,  Domine,  ostende  nobis  Patrem  et  sufficit 
nul ii:;  :  et  illud  ferculum  clet  ille  mihi  Dominus  in  meam  cœnam. 
Jam  quippe  mentis  directione  pergeret  cœpi  in  Ueum.  ac  piœgus- 
tando  videie  quam  suavis  et  Dominus  :  Marthœque  solicitudine  chea 
plu  rima  sequestrata.  illus  unum  ferventer  esuiiit,  quod  Maria  prœ 
ceteris  eligens  veritatis  judicio  necessarium  prœdicatur.   §  95. 

1464.   Voy.   §  72. 

1467.    Voy.    la    note. 

1476.    §   100. 

1463  81.Amplexatus  que  imaginem  Crucifixi.quam  sibi  afferri  aevote 
f.ostulaveiat  ;  loca  vulnemm  pise  devotionis  osculis.  ac  si  recentet 
morientem  Salvatcxrem  videret.  cœpit  dulciter  demukere.  in  haec 
veiba  dicens  :  Châtias  tibi  ago,  Domine  Jesu  Cbiiste,  de  omnibue 
benefieiis  qua?  mihi  prsestitisti,  pro  pœnis  et  opprobiie  quse  pro 
me  pertulisti,  propter  qure  planctus  ille  lamentabilis  tibi  vere  c<>m- 
ptlrb.tt.  Non  est  dolor  similis  sicut  dolor  meus.  Et  tu  nosti.  Do- 
mine, quod  si  tibi  placeret  omnia  opprobria  et  tormenta  atque 
mortem  pro  te  paiatus  essem  sustinere  :  et  sicut  tu  scis  hoc  veium 
esse,    miserere   mei     quia    tibi    commendo   anima  m  meain.    Capgrave, 

§   18. 

1479.  Voy.    la   note. 

1480.  Comp.    §   100. 


\  h     hl     SAINT    liK  H  Mil)  383 

»  kar  m'aime  vos  bai]  orendreil   ». 

:i  cens  ke  i  esturent  si  diseil   : 

«  ceste  caruine  puante  prenez, 
1484  «  e  eu  la  terre  desuth  la  mestez.  » 

les  membres  ke  par  nature  aveit 

bêles  k'e[n]  vie  turmenteit, 

par   penance  d'austérité 
1  iSS  en  la  mort  despil  par  humilité, 

(e)  celé  voiz  del  sauter  suvent  dit  : 

«  en  les  mains  sire,  bail  mun  esperit  »; 

e  a  gloriuse  dame  veraiement, 
1492  eu  quer  e  en  voiz  dist  ensement  : 

Maria   mater  graliœ, 
Mater   misericordiœ, 
Tu  nos  ab  hoste  protège, 
Et  hora  mortis  suscipe. 

e  a  ses  chapeleins  coniaiuleil 

ke  chescun  eu  1  oreille  li  deil 

e  ceo  tant  cum  il  lu  si  en  \  ic 
1496  de  dire  ceo  ne  ccssasscn!  mie; 

entre  sa  seinlc  devociun, 

e  les  (scintes)  paroles  de  s'oreisun, 

u  frères  e  preslres  en  présent 
1500  e  clers  e  lais  firent  ensement, 
223  \°  b     père  seint  Richard  s'aime  rendist 

;i  sun  creatur  que  ele  fis!; 

c  des  auz  cinkante  sis  aveil 


1184.    Comp.    §    72. 

1489.    Psaumes  xxxi,  5. 

1482-92.  Et  eircumstantibus  ait  :  Cadaver  istud  putiidum  deorsum 
i>i  berram  deponite.  Membra  nimirum  corporis,  quœ  dono  naturse  ha- 
buit  elegantia,  sicut  noverat  subjugare,  ea  vivens  affligendo  per 
pœnitentiae  austeritatem  ;  sic  moriens  quoque  contemnere  noverat 
per  humilitatem.  Illam  autem  Psalmist?c  vocem,  qua  dicit,  In  ma- 
lins tuas.  Domine,  commendo  spiiitum  meum.  frequentius  iterans 
et  ad  gloriosam  Virginem  vicissim  oorde  simul  et  oie  se  convertens 
ait    :  Maria  mater,   etc.   §   96. 

1493-1508.  Et  prseœpit  Capellanis  suis  quod  illa  verba  in  auri- 
bus  dicere  non  cessarent.    Inter  suspiria  igitur  pise  devotionis   atque 


384  VIE   Dl     SAINT    RH  HARD 

1504  quanl  il  de  ces!  munde  passeit, 
e  le  novirae  an  ke  esteit  sacré 
s  en  esl  au  ciel  ;i  I  leu  aie  : 
le  liers  kalende  d'averil  esteit 
1508  en  ciel  a  la  feste  s'en  aleit. 

Des  merveiîlies  k'avindrent  a  l'hure 
/."c  sein!  Richard  murul. 

Ni  ne  fel  pas  a  ublier 

des  miracles  k'avindrent  de  ounter, 

quant  en  ,r>;uii]  muriant  esteit, 
1512  en  celé  hure  de  mort  ke  passeit, 

kar  en  la  («lavant)  dite  meisun  aveit 

un  (frère)  religius  ke  prestre  esteit 
que   mut    désira 
1  r>  1 G  de   ver   cornent   l'aime   passa, 

[que]  quant  de]  cors  deveit  passer 

(que)  pust  la  manere  ver  e  saver. 

avint  celé  nuit  quant  il  murreit 
1520  ke  cest  prodome  en  (sun)  lit  dormeit, 

en  [sun]  dormant  [is]si  sungeit 

ke  dehors  en  la  curt  esteit, 

e  aparut  le  jur  resplendissant 
1524  plus  ke  n' esteit  nul  jur  avant, 

verba  sacrae  orationis,  adstantibus  Presbyteris  ac  Olericis  pariter 
el  laicis  fidelibus,  beatus  Pater  Richaxdus  animam....  reddidit 
Creatori.  Transiit  autem  ex  lioc  mundo,  aetatis  suas  anno  circiter 
quinquagesimo  sexto.  Pontificatus  autem  anno  nono,  tertio  Nonas 
Aprilis...    §  96. 

Ce  chapitre  ne  se  trouve  ni  dans  le  Bocking  des  Acta,  ni  dans  la 
version  de  Oapgrave.  Il  paraît  que  le  scribe  du  ms.  dont  se  sont 
servis  les  Rollandistes  l'a  tout  simplement  omis.  Dans  la  liste  des 
rubriques,  citée  pp.  284-85  des  Acta,  et  que  notre  auteur  traduit 
tx  ujours  textuellement  .on  lit  :  «  Desunt  tituli  numeri  »  xlvit, 
\i.viii.  Ce  chapitre  a  dû  être  ce  dernier.  Les  vers  de  ce  chapitre 
sont   si   incorrecte   que  nous   doutons   de   son   authenticité. 

1511.  Muriant;  comp.  1149. 

1515.  Le  ms.  semble  porter  <  nevs,  faut-il  lire  p[tj]u{m.s? 

1521.   Pour  la  correction,  comp.  Gaimar,  195. 

1523.    On    rétablirait    la    mesure    en   corrigeant   lusant. 


VIE   l>i;   SAIN!     RU  11  Mil)  385 

plus  k'a  nul  tens  unkes  veu  n'aveil; 

(e  ausi)  li  lu  ke  chescun  arbre  esteit 

rie  bries  flurs  trestut  repleniz, 
1528  c  curt  e  meisuns  e  curtiz 

furent   estramé  tut  entur 

de  diverse  manere  de  llur; 
1531   e  granl  multitude  de  geut 
r°  a     en  la  cuit  agarda  ensemenl; 

e  sur  la  chambre  u  le  scinl  giseit 

enfanz  de  blanc  vestuz  gardeit; 

le  prodome  mut  se  merveillieit 
153G  ke  (le)  tous  de  flurs  lores  pas  n'esteit, 

e  de  la  multitude  ausi  feseil 

des  prodomes  e  (des)  enfanz  k'il  veit. 

Estes  vos  que  vint  une  huslheit, 
îrViO  lus  de  la  chambre  la  u  giseit, 

e  li  dist  Lantost  [ke]  venist 

ver  del  seint  passer  le  sperit; 

il   tantost  u   ceo  enveillia 
1544  (e)  hastivement  ou  autrefs]  (frères)  ala; 

en  la  chambre  del  seint  est  entré 

c  truva  Talme  del  cors  severé; 

(e)  il  dune  (de)  la  visiun  purpensa 
IMS  devant  dite  e  espunt  e  devisa 

ke  la  multitude  de  bers  (e  enfanz)  que  vit 

la  mené  fu  de  Jhesu  Crist, 

laquele  vint  ou  très  grant  clarté 
1552  ensamblement  ou  diversité 

des   flurs   illukes  esteient  cuilli 

a  recevre  la  seinte  aime  de  li. 

Un  autre  merveillie  avint  ausi 


1529.  Ms.  estrainè,  graphie  qui  est  connue  d'ailleurs  ;  Jhmi.  xv,  p. 
303.   vers  328. 

lf'39.  Huslheit:  telle  est  la  leçon  du  ms.  Ce  mot  et  Vus  du  vers 
suivant   et   le  sens  du  passage  sont   obscurs  ;  comp.    la   note. 

1539.     Vint   pourrait   être    vi(n)t,    comme   au    vers    1069. 

1545.    Vers   trop  long.    §   102. 

1548.  Briement  la  matère  espondre  'I  deviser,  Roman  ae  B-erte, 
cité  par  Raynouard.  iv,  612   (22)  ;   comp.   §   72. 


386  VII     DE   SAINT    RICHARD 

]~)7)G  c  en  même  l'ure  ke  il  départi, 

kar  pechurs  celé  nuit  ne  sai  quant 

c  autres  de]  port  de  Witsant 

ke  en  la  mer  la  nuil  \  eillierent 
1560  e  le  port  de  celé  mer  gardèrent, 

ke  meimes  la  nuit  quanque  la  lurent 

une  flamme  \  irenl  e  aparcurent, 

ke  1res  clerc  resplendisseit, 
1564  ke  de  la  meisun  (avant)  dite  munteit 

vers  le  ciel  sus  al  Grmament, 

ke  trestuz  virent   apertement, 

les  muntaines  environ  ensement: 

dunl  en  pleniant  e  weimentant 
1568  entre  eus   alerent  juganl 

de    celé    meisun    dunl    la    flamme    munteit 

e  mut  de  la  vile  alumée  esteit. 

L'endenaein  a  ce]  port  veneit 
1572  le  noble  ke  le  jufnc  nomé  csleit 

Williame  de  lunge  espée  a  ki  demandeient, 

(l)a  sa  gent  ausi  le  feseient, 

de  celé  l'Iame  u  arsun  k'aveient  veu 
1576  kar  a  Dovere  aveit  celé  nuit  geu, 

si  rien  en  dissent  u  virent 

e  il  diseienl  que  riens  ne  oïrent; 

le-  autres  quant  ceo  afermeienl 
1580  ke  la  flamme  virent  e  le  diseienl. 

le  noble  Williame  se  convertit 

a  sa  gent  demeine  h  lur  dit   : 

«  Sache,  ke  jeo  le  ère  e  nfi 
1584  »  que  l'aime  de]  cors  est  départi 

»  saint  Richard  (mun  seignur)  ke  en  ciel  esteit, 

»  s'aime  portée  par  la  flamme  dreit; 

»  ceo  n'est  pas  mut  a  merveillier, 


1549.  Comp.    §    104. 

1557.  M  s    'prêcheurs. 

1558.  Witsnnd    (9)     (Pas-de-Calais);    comp.    Roland.    1429. 
1562.  Comp.    §    ICO. 

1569,  1570,    1572,    1573.    1575.    1575;   comp.   §   103. 


VIE   Dl     SAINT    RICHARD  387 

1588  »  mes  ke   Deus  eusl  bien  Le!  poer 

»  ke  l'aime  par  la  flamme  (de  fu)  portasl 

»  c  en  joie  de!  ciel   I  aluast, 

»  ke  par  une  columpne  de  lu  amena 

1592  »  Sun  puple  quant  en  Egypte  ala.  » 

De  sun  corps  ke  fu  porté  <i  Cycestre 
cl  la  enterrée 

Puisque  le  seint  cors  Richard  dreit 

a  laver  e  (a)  ve&tir  (porté)  esteit, 

e  lu  sa  char  trestute  une. 
1596  ko  <!o  heyre  e  huiberc  corrumpue, 

e  par  divers  nuz  (ke)  fu  penée, 

dunl   plein  <lc  vissiez  fu  truvee 

de  tant  de  blandisur  resplendiseit, 
1000  cum  home  fut  d'un  cors  relevé  droit 

cum  a  la  resurreciun  serrunt  truvé 

après  ceo  ke  serrunt  glorifié; 

e  esteit  entre  la  blanchisur 
1604  de  sa  char  purpine  eolur 

ke  fu  do  peines  ke  suffert  aveit, 

kant  en  cesl  siècle  avant  esteit; 

culur  de  rose,  culur  de  lis 
1608  mêle   resembla,   oeo   lur  fu   avis, 

La  rubrique  latine  est  ainsi  conçue  :  Qund  corpus  ejus  delatum  est 
Cyee.stria    et  sepultum   ibidem. 

1594.  Le  texte  latin  n'autorise  pas  porté  lequel  paraît  être  pris  à 
1 1    rubrique. 

1598.    Ms.   ju   turnee. 

lf-93.   Corr.   resplendissait  en  luiseit. 

1601.    Vers    trop   long. 

L593-1606.  Cum...  corpus  Ricardi  ad  tavandum  et  Pontificalibus... 
induendum  esset  nudatum  ;  caro.  qua?  cilicii  asperitate  exarata. 
qua>  loriese  pondère  prsegravata,  et  cingulorum  diversorum  nodosa 
poenalitate  fuerat  uloerata  :  tanti  candoris  nitore  resplenduit,  ut 
quoddam  fufcurse  ressurectionnis  insigne  etiam  mortua  videretur 
praoferre  ;  eratque  videre  lilium  candoris  inter  spinas  livoris  :  et. 
dum  pœnse  stigmata,  quse  vivendo  pertulit,  colore  purpureo  crucis 
alborem   distinguèrent.    §    97. 

1608.    Comp.   §  102. 


388  VII.   Dl     SAINT    RI(  1IAUI) 

dunl  seinte  église  put  chanter  île  li 
blanc  est   e  vermeil  mun  ami, 
kar  aperl  signe  asez  aveit 

1612  seinl    Richard  ke  ou  les  seinz  esteit. 
Pur  ceo  ke  ^un  (seinl)  cors  deveit  cstre 
i  nceveli  e  amené  a  Cycestre, 
si  cum  avant  le  deviseit, 

1616  ke  bien  grant  chemin  d'iluec  esteit, 

ou  purveance  d'home  ne  (pas)  sulemenl 
mes  ou  purveance  Deu  ensement, 
puis  ke  les  entrailes  leles  aveit 

1620  k'unkes  as  povres  clore  ne  soleit. 
ses  enlrailes  quant  mort  esteit 
k'a  povres  donez  fussent  voleit; 
(huit  les  entrailes  (de)  sun  cors  doua 

1624  a  l'église  ke  devant  dédia 

en  l'onurance  seint  Edmun  dreil 
ke  sun  seignur  jadis  esteit 
que  sépulture  des  povres  dédia 

1628  e  vout  ke  fussent  enseveli  la; 
(si)  cum  lurent  honorablement 
cum  a  prodome  e  a  evesque  apent, 
dunt  meint  home  pas  ne  s'aperceveit 

1032  cum  amenablement  ceo  fet  esteit 
en  remenbrance  seint  Edmun  dreit 


1610.  Canttqm  des  Cantiques,  v.  10  :  «  Mon  bien-aimé  est  blanc 
et    vciniêil    ». 

1607-12.  Rosse  speciem,  liliis  admitxtae,  representare  videbantur. 
Sic  perdileetus  ille  candidus  et  rubicundus...  de  quorum  numéro 
B.  Ricardum  fore  censensum  praefati  notitia  decc-ris  voluit  decla 
rare.   §   97. 

1614.   Cf.   §  72,  §  89  et   §  102. 

1620.   Ms.  close,    voleit;  oomp.   le  texte  latin:  corr.  k'unk'as... 

1613-22.  Cum  vero  corpus  suum  aj-ud  Gyceetriam,  in  ecclesia  sua 
cathodrali,  ante  obitus  sui  diem  sepeliendum  delegaverat,  quœ  in 
loco  sua?  migrationis  non  modici  itinerie  intervalle  distabat,  non 
tam  humana  quam  divina  actum  aastimo  providentia,  ul  qui  num- 
quam  sua'  viscera  misericortliae  indigentibus  claudere  oonsuevifc, 
mortuus    quoque   etiam    corporie    sui    viscera    pauperibua    largiretur. 

1630.   Vers   trop  Long]  cum  a  prou   et   evesque  api  ut. 


VIF,   DE   SAINT    RICH  VRD  389 

ses  entrailes  en  ce]  lin  retendreit, 

ke  par  bûche  e  par  cscrit 
1636  en   murianl  tel  chose  dit. 

l'ui^  quant   le  cors  tu  ateillé 

c  d'urnemenz  d'evesque  aparaillié 

e  dignement  en  sun  fierté  posé. 
IC'iO  on  lequel  esteil  d'iluec  porté, 

de  tule  parz  i  acurrerenl  gent, 

des  homes  el  de  femmes  ensement; 

desqueus  chescun  se  tinl  bonuré 
1644  k'en  peust  rien  de  li  aver  tuché 

u  de  Qerle  n  de  vestement 

u  quele  chose  que  fust  ensement, 

luil  tindrent  ke  seintefie  esteient 
1648  de  ceo  que  li  tucher  poeient. 

Le  cors  vers  Cycestre  porte  esteil, 

endementres  ke   l'en  le   porteit 

par  viles  e  églises  ensement 
1652  on  siinez  k  il  ot  solempnement, 


1634.  Corr.  illuec  pour  en  cel  liu. 

1635.  Comp.    §  99   6. 

1636.  Muriant.    Cf.    1149.    1511. 

1623-36.  Unde  et  viscera  ejusdem  a  corpore  separata,  in  basili- 
ca  quam  ad  pauperum  sepulturam  in  honore  S.  Édmundi  Confes- 
sons, quondam  Domini  sui,  paulo  ante  dedicaverat  venerabiliter 
recondita.  Quod  quidem  quam  convenienter  actum  sit,  quis  non 
autumafc?  ut  ipsius  viscera  B.  Edmundi  memoria  contineret,  quem 
sil>i  invisoerasse  verbis  pariter  et  scripto  ultimse  voluntatis  fuerat 
attestatus.    §  98. 

1639.  On   écrit   généralement    fiertre;    comp.    Note, 

1640.  Corr.    fu. 
1644.   Comp.   §   72. 
1646.    Comp.    §   86. 

1637-48.  Corpore  autem  aptato,  et  schemate  Pontifice  digno  in 
feretro  collocato,  fit  undique  concursus  populi  ;  ad  ta  m  venerahiles 
exequias  eatervatim  convenitur,  felicem  se  quisque  reputat,  si  vel 
feietrum  fcangat  vel  vestimentorum  sanctorum  fimbriam  contectet... 
quae  contacta  sancti  corporis  sanctificata  reputabant.   §  98. 

1649.  Comp.  §  102. 

1650.  Corr.   dementres;  comp   §  72. 

1651.  Comp.    §    100. 

26 


390  vil;  de  saint  richard 

la  rmvni  gant,  les  uns  chantant 

les  autres  mul   tendrement   plorant 

ke  de  (ici  prelast  ciim  ouï  esté 
L656  se  vciriii  lores  estre  despuillié; 

benuré  se  lindrent  u  demura 

une  nutée  quanl  l'en  le  porta. 

quanl  a  la  cité  dcl  sié  vcncit 
1660  u  l'onur  c  dignete  aveit, 
235  r°  a       lui  i  acurenl  pleinemenl 

par  rues  e  vendes  ensemenl 

de  povere  ne  de  riche  n'ol  déférence, 
1664   nul  n'aporla  autre  révérence; 

les  riches  le  pleinenl  en  un  endreit 

des  granz  honurs  ke  (suvent)  lur  fe&eil 

dunt    pleinemenl    aveienl    failli 
1008  quanl   issi  d'eus  esteit  départi; 

e  les  povres  le  plurent  ensement 

])ur  défaut  de  lur  sustenement 

k' avant  aveient  de  li  suvent 
1G72  ke  lores  perdirent  apertement. 

Aies  les  uns  e  (les)  autres  neporquant 

reconfortez  sun-1  par  itant 

ke  ciel  plus  puissant  ICI  esteit 
1676  diinl  suvenir  d'eus  en  bien  purreit. 

1649-54.  Defertur  itaque  corpus  versus  Cicestriam  :  et  dum  per 
monasteria,e  cclesias  seu  villas  et  municipia  deportatur,  pulsatis  cam- 
panis  oecurunt  solenniter   psallentes   pariter   et  plorantes.    §   99. 

1656  et   1657.    D&spuillié   et   demura;  comp.   §   72. 

1659.    Faut-il   prononcer   v'neit. 

1663.  Déférence.   Cf.  §  72. 

1668.   Corr.  fu  ou   comp.    §   72. 

1670.  Dans  le  §  74  du  texte  des  Acta,  il  est  question  d'un  mi- 
r;icle    :   fabas  pauperibus   distibuendas  multiplient. 

1653-70.  Quia  etsi  tanti  pastoiïs  se  vident  prsesentia  corporali 
destitutos,  patrocinio  tamen  et  interventu  in  cœlestibus  &e  sperant 
l>i(.tegendos,  beatos  quoque  se  reputant  apud  quos  tantus  thésaurus 
v-jI  peruniuis  noctis  spatium  contigit  reservari.  Cum  ergo  ad  civi- 
tatem.  sua?  Sedis  honore  decoratam,  pervenissent  :  accurunt  oerbatim 
do  vicis  et  plateis  simul  in  unum  dives  et  pauper  ;  et  dives  quidem 
de  honorificentiœ  tiulo,  pauper  vero  de  eleemosynœ  cumulo.  in 
prsesenti    sublato,    flebiliter   conqueruntur. 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  391 

le  cors  en  L'église  esteil  porté 

ou  cliant  e  plurs  entremêlé, 

e  en  lur  chanl  mêle  ou  plur 
1680  dur  père   firent  deu   honur; 

tant  cum  furent  envirunez 

de  dolur  e  de  ceo  mut  grevez 

e  par  en  travail  faillit  lur  chant 
1684   pur  ceo  chantèrent   sanglutant, 

le  chant  de  russinol  e  suspire  esteit 

de  la  turturele  mêle  tut  dreit. 

oesl   sein)  cors  enseveli  esteit 
10SS  devant  l'auter  ko  dedieit 

en  sa  vie  par  devociun 

en   le  honurance  seint   Edmun, 

en  umble  lin  si  cuin  voleit 
1002  (ke)  ver  h1  north  en  L'église  esteit, 

on  grand  miracle  u  merveille  ront 

sicum  le  livere  après  respunt; 

en  l'onur(ance)  Deu  omnipotent 
1090  ke  vit.  e  règne  sanz  finement.   Amen. 

Ici  finist  le  primer  livere  et  comence 
le  prologue  del  secund  livre. 


1677.    Corr.    /;/. 

1685.    Le   traducteur  l'emporte   sur  le   poète. 

1671-86.  Utrosi|ue  tamen  refovet  et  consolatur,  quod  in  eœlo 
quam  in  terra  potentior  effectus.  utrisque  poterit  competenti  bene- 
ficio  subvenire.  §  99.  Delato  igitur  in  ecclesiam  Pontificis  corpore. 
eerneres  musicam  in  luctu  non  importune  misceri  :  et  dum  cantando 
modulatius  tantôt  Patri  déferre  cupiunt  devoti  filiii  debitum  honoris 
obsequium,  orbitatis  dolore  cogente,  cantique  singultu  interruputi, 
modulamina   plnlomela?  et  turturis  suspiria  conjunguntur. 

1693.  Ront;  comp.   §  63. 

1694.  Comp.   introduction. 

1689-96.  Corpus  autem  ejus  venerabile  in  ipsa  ecclesia,  coram 
altari  B.  Edmundi  Confessons,  quod  ipsemet  ibidem  ad  Aquilona- 
rem  ecclesiœ  partem  erexerat,  in  humili  loco  sepultum  est  •  ubi  magna 
et  miranda  ad  Dei  laudem  fiunt  miracula,  quae  sequentis  libelli 
pagina,  Christo  largiente,  declarabit  :  ipso  prœstante,  qui  cum 
Pâtre  et  Spiiitu  sancto  vivit  Deus.  per  omnia  secula  seculorum. 
Amen.    §   100. 


392  VIE   DE   SAINT    RICHARD 


NOTES 


131.  aube*:  La  copie  originale  portait  vraisemblable- 
ment autri  que  le  scribe  aurait  changé  en  les  autres. 

17.'i-r>.  Nous  comprenons  :  «  Richard,  encore  mineur, 
s'était  mis  à  se  conformer  à  la  (nouvelle)  bénédiction  et 
croissait  en  grâce  »  (comp.  S.  Luc  II.  52).  Par  bénédic- 
tion nous  comprenons  la  grâce  qui  lui  avait  été  donnée 
de  -!•  préparer  pour  son  saint  office. 

223.  Apareillier  :  ce  verbe  est  généralement  suivi  d'une 
préposition  avant  l'infinitif,  niais  la  préposition  peut  man- 
quer, yoy.  Godefroy  smis  aparailliér. 

-70-2.  On  peut  transposer  le  que  du  vers  272  et  le  pla- 
cer au  commencement  du  ",'7<>. 

"J77.  del  se  rapporte  à  rapella,  il  aurait  fallu  ajouter 
qu'il  ni  alasi  (comp.  v.  192). 

305.  Les  mots  (pie  les  scribes  insèrent  volontiers  sont  : 
et,  car.  (pie,  les  pronoms,  etc.,  on  est  autorisé  donc  à 
supprimer  car  \eet. 

31.").  Nous  prenons  atente  comme  un  verbe,  quoique 
nous  n'en  connaissions  pas  d'expemple  avec  le  complé- 
ment de  :  ce  n'est  peut-être  pas  trop  hardi,  vu  que  le 
verbe  tenter  se  construit   avec  de. 

330.  duhe  paraît  avoir  élé  pris  au  vers  332. 

337.  Jhesu  (Crist)  est  vraisemblablement  mie  glose  in- 
troduite dans  le  corps  du  vers. 

355-8.  Les  quatre  vers  sont  probablement  une  addition 
du  copiste. 

'ilS.  très  l>eu  :  On  pourrait  supprimer  très  beu,  mais  vu 
la  fidélité  de  lu  traduction  ihmis  préférons  garder  ces  mots 
et  de  scander  comme  nous  l'avons  proposé  au  paragra- 
phe 100. 

181.  Comme  au  vers  1685,  la  traduction  est  exacte, 
mais  le  vers  est  fautif  :  nous  ne  savons  quelle  correction 
proposer. 

635-60.  La  bulle  de  canonisation  du  Pape  Urbain  IV  of- 
fre un  texte  qui  correspond  assez  à  ces  vers  :  «  Cumque 
datam  illi  a  Domino  gratiam  pleniorem  exolveret  familia- 


VIE   DE   SAINT    RICHARD  393 

ris  experientia,  quam  vulgaris  fama  promrserat;  circa  to- 
tius  Vrchiepiscopatus  administra  tionem  ipsius  ministerio 
utebalur;  ipsum  suam  dexteram  repulabat,  liduni  sui  pec- 
lus  consilii,  fidelem  ministrum  justitiae,  ac  eruditam  lin- 
g'iiam  fructuosœ  doctrinae.  lu  lus  autera  el  aliis  inferio- 
ribus  administrationibus  suœ  curae  commissis,  veri  Dei 
divina  ipsum  prosequente  gratia,  taliter  niinislravit,  quod 
in  veracitate  sermonis,  censura  justitiae,  mansuetudinis  le- 
nitate,  humilitatis  cultu,  omnibus  se  amabilem  exhibuit, 
omnibus  utilem;  pauperes  auxilio,  divites  consilio  refo- 
vendo  ;  in  his  qua>i  slc^lla  matutina  resplendens,  suis  cres- 
cenlibus  meritis  in  plenœ  lunae  claritatem  excrevit.  » 

695.  aneme  :  ce  mot  n'est  pas  très  lisible  dans  le  nis., 
la  locution  mous  d'aneme  traduit  assez  bien  angustias. 

721.  Le  récit  de  Capgrave  omet  le  mol  sanctus  ou  Dea- 
ius,  il  esl  donc  permissible  de  supprimer  seint  ici. 

817-32.  Ce  passage  esl  1res  obscur  el  malheureusement 
le  texte  latin  manque.  Richard  esl  envisagé  d'abord  comme 
prêtre  officiant,  puis  comme  prophète,  el  il  esl  comparé 
;i  Moïse.  Nous  entendons  :  le  fiz  ou  père  en  offrisi  (v.  818) 
-desservir  la  messe  ;  par  ht  parole  Deu  l'oie  (v.  822) 
=  en  entendant  la  parole  de  heu  (la  syntaxe  esl  curieuse; 
[oie:  vie  dan-  le  Brandan]  enoitément  (v.  826)  =  aecroisse- 
nn'iil  (an  vers  1167  enoiter  esl  opposé  à  amenuser)  :  avi- 
ser (v.  832)  ^regarder.  .Nous  traduisons  le  passage  «  Puis 
il  se  lil  ordonner  prêtre  pour  qu'il  pût  faire  le  sacrifice  du 
Fils  au  Père  au  nom  du  peuple.  Avec  le  vin  il  goûta  plei- 
nement la  sainte  doctrine  et  la  face  de  l'homme  de  Dieu 
l'ut  ointe  avec  l'huile  de  la  Loi.  Par  la  parole  de  Dieu 
qu'il  avait  entendue,  par  le  pain  du  ciel  dont  il  avait 
goûté,  par  le  breuvage  des  aimes  qu'il  avait  bu  et  par 
l'accrois&emenl  de  grâce  en  lui,  la  charité  croissait  el  se 
répandait  de  plus  en  plus  en  son  cœur,  de  sorte  qu'il  put 
monter  plus  aisément  sur  la  montagne  de  lumière  divine 
pour  regarder  l'Omnipotent.  » 

1121-2.  11  nous  semble  que  le  scribe  a  écrit  signefieit  par 
erreur  pour  signieit,  el  (pie  notre  auteur  se  rappelle* le 
verset  <\r>.  Psaumes  :  signalum  est  super  nos  lumen  vul- 
lus  lui  (Ps.   iv,  0).   (Je  passage  est  traduit  dans  le  Psau- 


394  VII.    DE    SAJJM     RI<  Il  Mil) 

lier  d'Oxford    :  Seignel  est  sur  mis  la  lumière  del  tuen 
ruli  el  encore  :  I  liens,  la  lumière  de  ton  vis 

Ksi  signiee  a  les  amis  (Lib.  Psal.  Michel). 

La  Iraduclion  des  Quatre  livres  des  Rois  ;i  l'expression 
E  li  feus  leri  luchiez...  pour  traduire  :  Hazael  ait  :  Civita- 
Ics  connu  igné  succendes  (i\-  Reg.  vm,  IV). 

1328-36.  L'explication  du  texte  français  esl  rendue  plus 
difficile  par  le  manque  de  deux  vers  après  amaladist.  Il 
s'agit  fie  démontrer  que  sainl  Richard  avait,  par  plusieurs 
fois,  prédil  sa  mort.  Nous  supposons  mie  noire  auteur 
veul  «lin1  que  Richard  s'était  beaucoup  occupé  du  salut 
(v.  1328)  de  colle  dame  noble,  cl  qu'il  était  allé  lui  ren- 
dre visite  et  que,  sa  visite  terminée,  il  s'élait  exprimé  à 
-nu  chapelain  (à  Radolphe,  voy.  l'Introd.,  p.  246)  en  ces 
termes:  «  Sache/,  que  je  ne  la  reverrai  plus  en  ce  monde  » 
(vv.  1337-8).  Un  passage  lire  de  l'Epilogue  de  la  vie  de 
Bocking  —  Epilogus  Episcopo  cl  Capitulo  Cicestrensi  di~ 
reclus  —  jette  du  jour  sur  ces  vers.  La  comtesse  d'Arun 
del,  pour  ne  pas  paraître  ingrate  des  bienfaits  de  Richard, 
avail  chargé  Bocking  d'écrire  la  vie  du  pieux  évoque  de 
Chichesler.  Radolphe  loue  les  aumônes  de  la  comtesse 
el  la  compare  à  la  veuve  de  Sarepla  (ni  (i)  Rois  xvn)  qui 
avait  fourni  au  prophète  Elie  sa  nourriture  pendant  la  fa 
mine. 

Ad  illam  (se.  viduam  Sareplanani)  pascendus  mittitur 
Elias,  ad  islam  vero  pascendus  in  suis  membris  quotidie 
venit  Christus.  Illius  augmentavit  Dominus  olei  in  lecyto 
parliculam,  nec  non  et  hydriae  farinulam  istius  vero,  inler 
toi  expensarum  et  eleemosynarum  profusioncm,  in  tant  uni 
auget  Dominus  promptuaria,  ut  non  solum  advenlantibus 
extraneis,  verum  etiam  ipsfs  rerum  et  possessionum  pro- 
curatoribus  et  dispensatoribus  novum  quotidie  infera!  slu- 
porcm;  mirantibus  nimirum  et  super  hoc  mirando  confe 
rentibus,  quomodb  respecfu  possessionum  suse  facultatis 
sufficiat  tam  inexhaustae  profusio  largitatis.  Illa  veteris 
legis  vidua  coniniendabilis;  haec  novae  gratiœ,  vita  génère 
el  opinione  laudabilis...  Ad  hœc  quis  novit,  si  Dominus 
ipsius  vilain  per  mulieris  soliciludinem  conscribi  voluit  qui 
quoad  vixit  muïierum  vilain  et  maxime  hujus  de  qua  lo- 


VIE   Dl     9ÂINT    RICHARD  395 

quimur,  ad  virtutum  profectum  tam  solicite  informare  -lu- 
duil  ?  Rependil  ipsa  quod  potuit,  el  Sancti  benefîciis  in 
grata  nolens  apperere,  quod  per  semel  ipsam  nequivil, 
alieno  labore  perficere  procuravîl.  Quem  quidem  laborem 
ego,  licel  indignus,  tam  propter  tanti  Patris  impetranda 
suffragia,  quam  pro  prsedictae  viduœ,  sciMcel  Comitissœ 
de  Vrundel,  Ysabellae  videlicel  de  Albaniaco,  devota  ins- 
tantia  duxi  subeundum,  examinatam  vitae  et  miraculorum 
prsedicti  Sancti  a  Romana  Sede  veritatem  et  fidedium  rc- 
lationem  secutu"s 

1365.  Le  texte  latin  sur  lequel  notre  auteur  a  fait  sa 
traduction  était  .-ans  doute  différent  (voy.  paragraphe  07). 

1467.  Le  verbe  traitier  dans  les  sens  de  toucher  semble 
«'•ire  assez  rare;  Godefroy  en  cite  un  exemple  (Vol.  VIII, 
l>.  7)  lire  de  la  Règle  de  Cîteaux  :  «  l.i  priestres  doit  tenir 
juin-  ses  dois  dont  il  doil  huilier  corpus  domini  ».  Notre 
auteur  traduit  tirs  bien  le  rriot  rare  demulcere  par  ireiter 
mal  ducemenl. 

1479.  Un  pourrail  corriger  lerilé  eu  veir,  le  texte  latin 
semble  autoriser  une  telle  correction. 

1539.  Nous  avons  examiné  le  ms.  à  plusieurs  reprises, 
niais  nos  efforts  à  trouver  une  meilleur  leçon  sont  restés 
infructueux  :  la  leçon  est  bien  telle  que  nous  Taxons  im- 
primée. Si  on  prend  huslheii  dans  le  sens  de  huisselet, 
ce  qui  esd  appuyé  par  Vus  du  vers  suivant,  il  est  curieux 
même  dan-  un  songe  de  voir  venir  une  petite  porte  qui 
vous  dise  d'aller  voir  «  passer  l'esprit  du  saint  homme  ». 
Nous  avons  songé  que  peut-être  avons-nous  affaire  à  un 
mol  anglais  comme  on  en  trouve  clans  Lestorie  de  Gaimar, 
p.  ex. 

Et  un  des  chevalers  le  rei 

Ke  Syward  oui  mené  od  sei 

El  ses  hùscherles  (  =  fr  maisniee)  k'il  menât 

En  Escoce  morz  les  laissât  [Ms.  D.  vv.  '507-00] 

On  aurait  donc  ici  /iu.smei/  =  une  domestique  (Ih  cl  m 
pourraient  facilement  se  confondre  dans  le  ms.)  et  on 
changerait  Vus  en  hors;  ce  qui  donnerai!  le  sens  suivant: 
Voici  qu'une  domestique  sortit  de  la  chambre  où  gisait  le 


396  VIE   Dl     SAINT    RI<  HARD 

saml  horru i  vini  lui  duc  de  venir  voir  passer  l'espril 

du  saint... 

1639.  Le  texte  latin  semble  autoriser  la  correction  «  di- 
gnement  en  ûertre  posé  ». 

166-71.  \u  paragraphe  23  de  la  bulle,  allusion  es!  faite 
;ï  ses  aumônes  :  [pse  namque  vocatus  ad  regimen  Cices- 
Irensis  Ecclesiae,  factus  esl  solilo  magis  vigil  ad  curam, 
iidii  segnis  ad  opus,  suavis  ad  mores...  Ex  lune  ille  in  per- 
secutionum  perpessione  fortior;  in  liberatis  ecclesiasticse 
defensione  constantior...  in  ©leemosynarum  largitione  pro- 
Fusior... 

L695.  Nous  croyons  devoir  corriger  en  l'onurance  en  en 
Vonur.  Notre  scribe  a  plusieurs  fois  déjà  commis  la  faille 
connue  sous  le  nom  de  homoioteleuton;  cinq  vers  plus 
haut    la  phrase  esl   bien  à  sa  place. 

Sheffield,  avril  1910. 


[NTORNO  A   PEIRE  DE  LA  CARAVANA 

O    LA    CAVARANA 


\cll;i  Malricola  dei  notai  bologuesi,  ail'  anno  L223,  il 
rorraca  lia  trovalo  un  Arnaldonus  filius  domini  Peronilti 
de  Lagaravana  e  si  è  chiesto  a  ragione  :  «  Che  questo 
»  Pcronitlus  sia  Pcire,  l'autore  del  servenlese  d'esorta- 
o  zione  ai   Lombardi  ?  (1)  ». 

Ouesta  demanda  è  rimasta  sinora  senza  risposta,  e  si 
capisce  Eacilmente  perché.  Il  fatto  che  i  codiçi,  che  oon- 
lengono  il  famoso  componimento  D'un  serventes  faire  (e 
cioè  i  mss.  I».  1,  K  :  \  -  lia  il  solo  nome  del  trovatorc 
senza  la  poesia,  \.  Crescini,  Manualello',  p.  27G)  dànno 
tutti  l'riic.  sarebbe  già  une  ragione  per  dubitare  dcll' 
identifLcazione  del  Torraca,  per  non  parlare  poi  délia  nian- 
canza  assoluta  di  dati,  nella  quale  ci  si  trova  dinanzi  al 
padre  di  questo  «  Arnaldonus  ».  La  cronologia  pertanto 
non  si  oppone  ail'  iden'tijficazione  proposta;  e  neppure  \'i 
si  oppone  la  forma  Lagaravana  cou  un  g  spiegabilissimo 
solto  L'aspetto  fonetico.  Anche  la  metatesi  reciproca  v-r  o 
/-[■  non  l'a  diffîcoltà.  De]  resto,  rieordo  che  mentre  I'  lia 
Cauarana,  1.  K  e  N*   hanno  concordemente  Carauana. 

|o  posso  aggiungere  che  questo  «  Peronillus  ».  padre  di 
Arnaldo,  era  chiamato  anche  semplicemente  «  Pétrus  »,  il 
che  cosiituisce  un  piccolo  passo  avanti  verso  l'identifica- 
zione  cou  l'autore  dell'  esortazione  ai  Lombardi.  Infatti, 
in  un  documenta  dell'  anno  1233,  ricordato  per  altra  ra- 
gione da  \.  Solmi  (2),  troviamo  il  nostro  Arnaldonus 
quondam   Pétri  de  <'<tvnninn  domini  Federici  imperatoris 

(1)  F.  Torraca.  Per  la  storia  lettararia   <l'l   secolo  XI If.    in    Ras 
seyna  critica  délia  letterat.   italiana,  X    (1905).  p.  97.  sgg.  n"  IV. 

(2)  A.  Solmi,  Sulla  storia  délia  Sardegna  nel  medio  Evo,  in  Arch. 
stor.  Sardo,  IV  (1908),  p.  90,  na  2. 


398  [NTORNO    A    PEIRE    DE    !   \    (   \li\\\W. 

notarius.  K  da  notarsi  altrcsi  che  menlrc  la  matricola  dà 
Garavana,  il  nuovo  atto  lia  Cavarana,  ma  non  si 
puô  ragionevolmente  sollevar  dubbio  alcuno  sulla  identitâ 
délia  persona  qui  nominala.  <  i  Iroviamo  nei  documenti  a 
quell'  alternative  v-r  o  r-v,  di  cui  dànno  eseinpio  i  ma- 
noscrilti. 

I'.  dunque  assai  probabile  che  siasi  scovato  finalmente 
il  célèbre  trovatore.  E  se  ciô  fosse,  com'  i'»  propendo  a 
credere,  sapremmo  anche  cou  relativa  precisione  la  data 
délia  sua  morte,  che  sarebbe  awenuta  ne!  decennio  1223 
1233.  Tuitto  queslo  non  è  senza  importanza  per  la  data  fiel 
serventese.  E  noto  che  il  Canello  propose  di  riferire  l'e- 
sortazione  di  Peire  ail'  anno  1196,  quando  Arrigo  VI  cer- 
cava  di  raffermare  il  partito  impériale  contro  la  léga 
guélfa  dell'  Ilalia  Superiore  (1);  montre  il  Torraca  vorrebbe 
d'iscendere  sino  al  1236.  perché  meglio  in  laie  anno  si  sa- 
rebbe  potuto  dire  che  l'imperatore  (che  sarebbe  allora  Fe- 
derico II)  aiosia  grans  genz  (v.  6)  (2).  Ora,  se  l'identifi- 
cazione  col  padre  di  ArnaJdo  coglic  nel  vero,  l'opinione  del 
Torraca  dovrà  essere  abbandonata,  perché  il  trovatore 
nel  1236  era  morto  da  Ire  anni  per  lo  meno;  mentre  sem- 
bla acquistare  maggior  verosimiglianza  quclla  del  Ca- 
nello.  Confesso  che  è  assai  significativa  per  me  la  con- 
cordanza  awertita  dal  Canello  Ira  la  slrofc  3  di  Peire 
(De  Pulla.  us  sovegna,  Dels  valenz  baros)  e  i  versi  se- 
guenti  di  Peire  Vidal  (Bon'  aventura)  : 

Lombart,  membrens  cura  Polba  fo  conquiza, 

de  ltis  doumas  e  dels  valens  baros 

scrittitra  il  ll!)i  e  il  1195,  quando  Arrigo  \'I  infieri  in 
Puglia  et  in  Sicilia  contro  i  baroni  che  spogliô  e  mandô 
a  morte  o  in  esilio.  Il  Torraca  molto  aculamente  si  in- 
dustria  di  diminuire  l'impressione  che  produce  l'accordo 
fra  Peire  Vidal  e  il  trovatore  italiano;  ma  io  credo  diffi- 
cile non  annuel  1ère  che  l'un  dei  due  abbia  qui  imitalo  l'al- 


(1)  Cankij,o,  Giornale  di  filol.  romanza,  vol.  III  (1880).  n*  7.  p.  3. 

(2)  Torraca,  Eassegna  critica  de/lu  hit.  ital.  cit.,  IV  (1899),  p.  11. 


[NTORNO     \    IMllil.    1)1.    LA    CARAVANA.  399 

tro  e  che  le  allusioni  si  riferiscano  entrambe  ai  medesimi 
l'ail  i. 

Anche  l'aficrmazione  de]  Torraca  (p.  12),  che  un  canin 
in  lingua  provenzale,  composto  ne]  1  196  da  un  italiano, 
che  non  fosse  dei  marchesi  Lancia  o  «Ici  marchesi  Mala- 
spina,  s-arebbe  un  miracôlo,  non  mi  par  giusta.  E  forse  il 
chiaro  erudito  sarà  ora  disposto  ad  annetterle  minor  va- 
lore,  dopo  le  prove  di  antichità  fornite  per  Rambertino 
Buvalelli  (I).  L'indice  cronologico  dell'  attività  dei  pri 
un  trovatori  ilaliani  puô  oggidi  spostarsi  di  quasi  un 
quarto  di  secolo,  senza  gran  Icina  di  errare.  Il  Buvalelli, 
morto  ne!  1221,  dovè  appunto  poetare  sul  finire  de!  sec. 
\ll  o  nei  primissimi  anni  dei  sec  XIII. 

Gillio  Bertoni. 


(1)  .Si  veda  la  mia  edizione  ni  Rambertino  Buvalelli  e  h  *ur  rime 
provenzali,  vol.  17  délia  Gesel/sr/iaft  f.  romanische  Literatur ,Dres 
den,    1908. 


CORRESPONDANCE   DE  LA  VILLE  DE  PERPIGNAN. 

i  Su  iie 


LXXXV 


Entente  économique  entre  Barcelone  et  Perpignan 

Al  X    (  ÎORTES    DE    MoNÇO 

1537,  30  août  (1) 

Magnifichs  y  honorables  senyors.  -  Fêla  inslruccio  a 
nostres  sindichs  tramesos  a  les  L'orls  ques  célébrer)  de 
présent  sobre  lo  dret  que  l'an  pagar  als  draps  de  Perpinyaj 
ques  portavèn  de  la  presenl  terra  en  Castella,  y  ]><•!•  lo 
que  séria  interes  de  aqueixa  eiuta  (2)  y  dels  mercaders 
d'ella,  lia  paregut  fervos  la  présent,  gregant  a  V.  M.  vul- 
len  scriure  y  fei  mémorial  a  llur  (3)  sindicbs  que  axi  be 
en  dit  cars  tinguen  conformitat  ab  nostres  sindichs,  assi 
ques  pugue  impotrar  nos  fassa  abus  de  qui  al  devant  de 
pagar  lai  dret,  que,  en  cert,  podentse  impetrar,  sera  gran 
utilital  de  toi  la  Principal  de  Cathalunya  y  Comtats  de 
Bossello  y  Cerdanya.  E  axi  mateix,  los  tenim  fêtes  ins 
truccions  sobre  que  don  Fiances  de  Beumont,  Capita  ge 
neral,  ha  fêta  parar  taula  de  carniceria  y  fa  tallar  carn  en 
aquella,  francha  «le  impositions,  contra  privilegis  y  actes 
de  Cort.  E  per  lu  que  es  interes  de  tôt  1<>  Principat  de 
Cathalunya  per  lo  rompimen!  de  dits  privilegis  y  actes 
de  Cort,  [ici'  ço  supplicam  ;i  Vostres  Merces  vullen  axi  be 
scriure    a   dits    Huis    sindichs    fassen    lot    aquell    favor   y 

(1)  Cette  lettre  est   la  première  que  nous  ayons  rencontrée  en  dé- 
pouillant  les  volumes  du  xvi'  siècle. 

(2)  Sic. 

(3)  Sic. 


CORRESPONDANCE   DE   f.\   VILLE   DE   PERPIGNAN.      401 

pari  que  eonvindra  acerca  dil  negoci  a  dits  nostres  sin- 
dichs,  e  sera  ajustar  ;i  les  tantes  obligacions  nosaltres  \ 
tota  aquesta  universitiat  tenim  a  tota  la  universitat  de 
aqueixa  ciutat.  E  la  Sanctissima  Trinitat  las  \i<lns  y  casas 
de  vostres  magnifîchs  y  honorables  persones  guarde,  con- 
serve y  prospère.  De  Perpinya  ;i  xxx  de  &gost  mvxxxvii. 
Al  manar  de  V.  M.  prests.  Los  Consols  de  Perpinya. 


LXXXV1 

Noi  VEl  LES     DE     LA    Pr.STE.     MESURES     PRISES     A     El  M 

1561,   3  novembre. 

Moll  magnifîchs  y  de  molla  providencia  senyors.  — 
I)cls  Consols  de  Narbona  liaveni  cobra!  resposta  de  una 
nostra,  quels  teniem  scrit,  fahentnos  asaber  coin  e?  ver 
([ne,  a  Imii  Hoc  qui  s  diu  Mossan  (1).  que  es  a  una  llegua 
de  Narbona,  île  non  nioreii  de  pesta,  y  que  ells  se  guar- 
den  de  aqueix  Une.  y  que  ya  som  nosaltres  prou  informats 
del  mal  contigios  es  en  Carcassona  y  en  Toloza,  per  hont 
estam  posais  de  fer  moll  bona  guarda  de  las  dites  paris. 
Ans  paregut  Terne  aquest  avïo  a  Y.  M.  per  que  puguen 
inirar  per  la  salut  de  aqueixa  Ciutat.  Lu  li>  de  Cerel,  no 
si  ha  mogul  res  mes  de]  passai.  Es  ver  lois  han  buydal 
lo  lloch,  y  de  nmi  -es  seguit  que  dos  mestres  de  cases  se 
(M'en  ixil  de  Yilaniiilaca  (2)  y  se  eren  enclosos  en  hun  nioli 
ccrea  de  la  ciutal  d'EIna,  y  lo  lui  es  mort,  l'altro  resta  en- 
contrat.  Los  de  la  ciulat  han  fcla  moll  bona  provisio,  que 
han  trel  lois  los  ((iic. 'des  ([ii"  lo-,  dits  mestres  cran  arri- 
bats  (Mi  lo  nioli.  hi  eren  anats  a  moire,  \  estan  vuy  en  dita 
ciutat  ah  moll  bona  sanilat  y  bona  porta  y  guarda.  Placia 
a  la  Sanctissima  Trinitat  conserve  la  salut  a  qui  la  le  y 
la  smillore  a  <iuiu  ha  nienesler.  y  a  Vostres  Magnificen- 


(1)  Moussan,    arrondissement  et  canton   de    Narbonne   (Aude). 

(2)  Villemolaque,    arrondissement  de  Perpignan,    canton  de  Thuir 
(Pyi  énées-Orientales). 


402      CORRESPONDANCE   DE   LA   VILLE   DE   PERPIGNAN. 

cies  y  ;i   llurs  cases  guarde  y  prospère  coin  desijen.   I»e 
Perpinya,  a  ni  de  nohembre  mdlxi. 

Senyors,  al  manar  de  vostras  merces  prests.  Los  Con- 
sols  de  la  vila  de  Perpinya. 


LXXXVII 
Situation   sanitaire.    Liberté   des   communications 

1564;    20   février. 

Molt  magnifichs  y  de  molta  providencia  senyors.  — 
Molis  dies  fan  que  Nostre  Senyor  Deu  es  estiat  servir  re- 
mediar  lo  mal  de  pesta  es  stada  en  esta  vila  y  tornar 
bona  sanital  als  particulars  d'ella,  de  lai  manera  que  ha 
molls  anys  no  havem  tinguda  millor  sanitat  de  toi  genero 
de  mal  que  vu  y.  E  axi,  après  de  haver  i'eles  gracies  a 
Deu  Omnipotent,  ab  solempne  professo  y  ab  lo  cantich 
de  Te  Dcum  laudamus,  nos  lia  paregut  fer  aquesl  avis  a 
V.  M.  perque  som  certs  sen  alegraran,  y  pregarlo  sien 
contents  douar  communicatio  als  négociants  y  altres  a  qui 
occorrera  anar  en  aqueixa  ciulat.  ab  certifficatio  nostra 
expedida  en  la  forma  acostumada.  E  confiant  V.  M.  ho 
faran,  corn  be  tenen  acostumat,  y  manaran  admelre  nos- 
tres  cerliffications,  no  insistiren  mes  de  que  la  Sancli^- 
sima  Trinitat  las  molt  magnificas  personas  de  V.  M.  guar- 
de,  conserve  y  prospère  com  desigen.  De  Perpinya.  a  xx 
de  febrer  mdlxiiii.  —  Senyors,  a  la  ordinacio  de  \  .  M. 
prests.  Los  Consols  de  la  vila  de  Perpinya. 

LXXXVIII 

Même  sujet.  Nouvelles  instances 

1564,    12  avril. 

Molt  magnifions  y  de  molla  providencia  senyors.  — 
Entes  tenim  que  V.  M.  fan  alguna  difficultat  en  dexer 
intrar  roba  o  altres  mercaderies  y  persones  qui  vagen  de 


CORRESPONDANCE   1)11   LA   VU. 11.  DE   PERPIGNAN.       i03 

la  présent  vila  aqui,  posanl  dubte  en  lo  quels  tenim  scrit 
de  la  bona  sanitat  tenim  en  esta  vila,  de  que  fem  molta 
maravella  de  V.  M.,  per  que,  haventse  seguida  novedat 
alguna  en  la  presenl  vila  del  mal  de  pesta,  prou  poden 
estar  certs  los  haguerem  avisais  de  la  novedat,  y  hague 
rem  dexal  de  fer  certifficatoris  de  sanitat;  pero,  merce  a 
Deu,  esia  vila  y  1ns  poblats  d'ella  han  estât  y  estan,  del 
tlia  que  ferem  lo  Te  Deum  laudamus,  que  ère  lo  diumenge 
de  Carnastoltes,  y  ja  molt  abans  estavem  ensa,  tant  bons 
y  tant  sans  de  tota  specia  de  mal,  quant  trenta  anys  lia 
hagen  stat,  per  laquai  sanitat  lo  senyor  Governador  y 
tots  l«>s  doctors  y  allies  persones,  qui  estaven  fora  per 
lo  mal,  son  vuy  dins  esta  vila,  y  lo  exercici  de  les  coses 
de  justicia  va  avant  com  de  abans  de  la  [testa  anava,  y 
axiu  certiffîcam  ;i  Y.  M.,  pregantlo  quant  podem  de  la 
sanitat  de  aqueixa  ciiit.il  y  partioulars  d'ella  los  placia 
avisarnos,  per  lo  que  assi  se  ha  douai  alguna  cosa  de  no 
estar  sana  aquexa  ciutat,  lo  que  no  crehem,  fins  tinguam 
llur  avis  y  vejam  cessen  les  certifficatories  de  la  sani- 
tat,  que  quiscun  dia  vehem  per  assi  se  expedeixen  per 
no  impedir  les  robes,  persones  y  mercaderies  van  aqui 
de  la  presenl  vila,  per  que  com  altre  cosa  fos,  lo  que 
Deu  no  vulla,  nosaltrcs  los  avisarem.  E  la  Sanctissima 
Trinilal  las  iiioll  magnificas  personas  de  V.  M.  guarde, 
conserve  y  agumente  coin  desijen.  De  Perpinya,  a  xn 
de  abril  mdi  xiiii.  —  Senyors,  a  la  ordinacio  de  Y.  M. 
prests  los  Consols  de  la  vila  de  Perpinya. 


LXXXIX 
Mission  de  Jo.w  Puig.  abus  nr;  Vf.txk  nT)\)s 

1568,   4   septembre. 

Molt  magnifîchs  y  de  molta  provideneia  senyors.  — 
Trametem  aqui  lo  exhibidor  de  la  présent  qui  es  mossen 
Joan  Puig,  burges  de  la  présent  vila,  per  informar  a  Sa 


MM       CORRESPONDANCE   M     LA    Ml.  1.1.   I>i:   PERPIGNAN. 

Excellencia  île  una  novedal  fêta  per  don  Pedro  d'Oms  y 
de  Cardona,  lloctinenl  de  Governador  d'estos  Comtats  en 
menyspreu  de  nostre  offici  cônsular  y  d'esta  universitat, 
com  (Ici  dil  mossen  Puig  Y.  M.  enlendran,  ;il  quai  nos 
Faran  merce  donar  fe  y  crehença,  y,  en  lo  que  tocara  a 
favorirnos,  seran  ^<'i\ i I ^  fer  Lanl  en  afavorir  aquest  nc- 
goci  com  de  Y.  M.  confiam  y  tenen  de  bona  costuma.  Las 
vidas  y  casas  <\<~\<  quais  guarde,  conserve  y  augmente 
la  Sanctissima  Trinital  com  desigen.  De  Perpinya,  ;i  nu 
île  setembre  mdlxviii.  —  Senyors,  ;i  la  ordinacio  de  V.  M. 
presls.   Los  Consols  île  la  vila  de  Perpinya. 


XC 


LIBÉRATION     DR     MlOUEL     CaSQUER     ET     DR     SON 
CHARGEMENT    DE    BLÉ 

1571,    27  août. 

Moll  magnifîchs  y  do  molta  providencia  sefiors.  - 
Per  mossen  Miquel  Casquer  tenim  rehebuda  la  de  Vostres 
Magnificencies,  de  vu  del  présent,  a  xi  de  dil,  y  ah 
aquella  tenim  entes  com  dil  Casquer,  com  a  comprador 
de  Vostres  Magnificencies  havia  compral  cerl  numéro  de 
forment  per  provisio  de  aqueixa  ciutat,  lo  quai  havia 
deixat  en  poder  d'En  Limos,  de  Santa  Maria  la  Mar,  y  que 
dil  Limos  nol  havia  pogut  carregar,  per  que  li  era  estât 
fet  embarch.  Nosaltres  per  lo  que  desijam  complaure  a 
Vostres  Magnificencies  y  en  aqueixa  a  ciutat.  per  esser 
tanl  principal,  havem  volgut  entendre  dil  negoci  y  fem 
maravella  que  dil  Limos  âge  dil  lai.  per  que  per  lo 
senyor  Governador,  a  suipp-licacio  del  sindic  d'esla  vila. 
a  causa  que  lo  Mal  sen  era  moll  montai  de  preu  en  la 
plassa  publica  y  no  sen  trobava,  forem  fêtes  prohibicions 
y  crides  que  ningu  lio^.-i^  Iraure  blal  per  mar  ni  per 
terra,  \  après  se  entengue  que  una  barcha  carregava  de 
forment  hora  de  nil.  y  nos  dix  de  qui  era.  y  aixi  lo 
nostre  veguer,  per  virtul   de  dites  prohibicions,  a  inslan- 


CORRESPONDANCE   DE    LA    VILLE    DE    PERPIGNAN.       i05 

ria  de]  sindich,  ana  y  troba  una  barcha  havia  corregada 
de  forment,  y  no  trobaren  ningu  digues  de  qui  era  dil  for- 
ment, per  'i1"'  '"ls  fugiren,  y  vehent  asso  se  vehe  dit 
formenl  era  caygul  en  frau,  y  per  ço  1"  apporlaren  dins 
la  presenl  vila,  y  per  dila  corl  de]  Governador  se  vene  en 
la  plassa  publica,  ;il  prcu  ques  valia,  ab  notari  y  allres 
persones  abonades,  y  l<>  procehil  fonc  déposai  ;i  la  taula 
de  la  vila,  y  lins  dil  Casqucr  es  arribat,  no  ses  cuir-  de 
qui  era  nii  forment,  per  que  dil  Limos  no  lin  may  dit  tal 
cosa;  \  vehenl  la  Ielra  de  Vostras  Magnificencies,  \  -a 
bent  era  dil  formenl  de  aqueixa  ciutat,  havem  déterminât 
de  un  fer  contrari  aigu  al  dil  Casquer  de  cobrar  si»s 
dinés,  per  que,  -i  de  altre  fos  estai,  haguerem  instanl  \ 
fet  confiscar  dil  forment,  es  In  procehil  per  quanl  era 
estai  carregal  hora  captada  contra  les  prohibicions  fêtes 
per  dil  Governador,  pero,  per  esser  de  aqueixa  ciutat, 
se  ha  tingut  toi  respecte  se  deu  en  aqueixa  ciutat,  com 
per  dil  Casquer  V.  M.  Iu>  entendran,  que  no  estava  eu 
nostra  nia  fer  altre  e<><a  nies  de  callar  la  instancia.  E 
Nostre  Senyor  las  magnifîcas  personas  de  Y.  M.  guarde, 
prospère  y  augmente  com  design.  De  Perpinya,  a  xxvn 
de  agosl  mdlxxi. 

\   la  ordinacio  y  complacentia  de  Vostras  Magnifîcen 
cies  promptes.   Los  Consols  de  la  vila  de  Perpinya. 


XCI 
Mission   de    FraNcès   Masdemont.    Commerce   du   blé 

1572,.    7    mai. 

Mol!  magnifions  y  de  molta  providentia  senyors. 

A  causa  de  esser  stada  la  presenl  anyada  en  esta  terra 
moll  sterill  de  forment,  per  haverse  évacuai  y  trel  en  lo 
any  abans  moll  forment,  lani  per  aqueixa  ciutal  mm 
allres  parts  de  Cathalunya,  som  restats  molt  buyts  y 
nous  aliasla  pera  la  provisio  necessaria.  ^  .  per  dit  ef- 
fecte,   havem   fel    portar  certa   quantital    île   blat  de  Cer- 

27 


406      CORRESPONDANCE   DE    LA    VILLE   DE   PERPIGNAN. 

danya,  la  quai  no  abasta;  y  entenent  que,  en  Roses,  y  ha 
una  ii.iii  de  forment  de  aqueixa  ciutat,  vehent  que  estam 
prop  de  La  culeta,  y  que,  gracies  ;i  Nostre  Senyor,  se 
spere  bona  anyada,  havem  tramesa  una  letra  pera  Vos- 
tres  Magnifîcencies,  per  al  magnifich  micer  Forl.  de  fe 
y  crehensa,  pera  que  tractas  ab  Vostres  Magnificencies, 
sobre  lo  dit  blal  de  dita  nau,  y  fins  vuy  no  tenim  resolu- 
cio  de  dil  negoci.  Per  ço,  lia  paregul  en  aquest  Conseil 
trametre  La  persona  de]  honorable  en  Frances  Masde- 
mont,  burges,  h»  quai  va  aqui  ah  poder  bastant  per  trac- 
tai- di  negoci,  coin  podran  veure,  al  quai  V.  M.  donaran 
fe  y  crehensa  en  tôt  lo  que,  per  part  noslre  y  de  esta  uni- 
versitat,  explicara  y  dira,  demanantlos  de  merce  Lo  ma- 
nen  acomodar  en  loi  lo  que  sia  posible,  y  spedirlo,  per 
que  lo  temps  passa,  coin  de  Voslres  Magnificencies  con- 
fiam.  Offerintnos  que.  en  semblants  casos,  farem  lo  ma- 
teix.  E  i\ostre  Senyor  las  vidas  y  personas  de  Vostres 
Magnificencies  guarde  y  prospère  coin  clesijen.  De  Per- 
pinya,  a  vu  de  maig  mdlxxii. 

Al    que   Vostres   Magnificencies    manaran     prests,     los 
Consols  de  l;i   \il;i  de  Perpinya. 


XCll 
Etat  sanitaire  de  Nar  bonne 

1580,   7    avril. 

Ilustres  Senyors. 

Una  dels  magnifichs  Consols  de  la  ciutat  de  Narbona 
havem  rebuda  lo  die  présent,  ah  la  quai  tenim  entes 
estan  admirats  y  quasi  queixosos  que  :,o  permeten  Vos- 
tres Magnificencies  intren  aqui,  en  Barcelona,  persom^s 
de  dila  ciutat  de  Marbona,  y  ah  dita  lur  carta,  narren 
que,  pochs  dies  l'a.  hun  mercader  frances,  habitant  en 
dita  ciutat,  ana  en  Barcelona  ah  cerlificatoria  de  alli  y 
de  Perpinya,  y  no  permeteren  intras  en  Barcelona,  del 
que   fan    molla    maravella,    haventhy    en   dita   ciutat   tant 


CORRESPONDANCE     DE    LA    VILLE   M     PERPIGNAN.       'j'17 

bona  sanital  com  publicamenl  se  diu  hy  lia,  y  fenl  tant 
bona  guarda  coin  fan.  Cerlificam,  per  ço,  a  Vostres  Ma- 
gnifîcencies, com  la  fama  publica  es.  y  a  nosaltres  Los 
Consols  de  \arbona  diverses  vegades  han  scrit,  com  en 
dita  ciutal  tenen  bona  sanital,  y  per  lestimoni  de  moites 
y  diverses  persones  dignes  de  fe  tenim  entes  com  alli  se 

fa,  per  causa  de)  morbo  contagios  de  pesta,  de  les  I ;s 

guardes  se  fassen  y  pugan  fer  en  altres  parts,  y  suppli- 
cam  a  Vostres  Magnifîcencies  sien  servits  en  no  permetre 
sels  fassa  impedimenl  en  la  entrada,  pus  tenen  bona  sani- 
lal  y  aporlen  certifîcatoria  de  assi,  que  essenl  altra  cosa, 
lo  que  \Tostrc  Senyor  per  sa  infînita  clementia  no  per 
mêla,  serien  Vostres  Magnifîcencies  per  nosaltres  llarga- 
menl  n\  isals.  cujes  illustres  persones  Moslre  Senyor  guar- 
de,  \  ab  salul  conserve,  com  desijen.  De  Perpinya  ;ils  vu 
de  abri]  mdlxxx. 

A    la    ordinatio    de    Vostres    Magnifîcencies    promptes. 
Los   <  kmsols   de   la   vila   de   Perpinya. 


XCIII 

La  peste  en   Languedoc 

1580,  26  octobra 

Illustres  y  de  moll  gran  providencia  senyors.  —  Dels 
Consols  de  Narbona  de  xvi  dcl  correnl,  havem  rebuda 
carta,  lo  die  présent,  ab  la  quai  nos  donen  avis  (\<>  com 
en  Beziers  >  en  Pesanas  (!)  se  ha  innovai  lo  morbo  de 
la  pesta,  de!  que  Deu  Omnipotent,  }>*'i  la  sua  clementia, 
nos  vulla  preservar,  y  ab  la  mateixa  carta  nos  certi 
fiquen  que,  en  dila  ciutat,  tenen  bona  sanitat,  y  fan  moll 
bona  guarda.  Nosaltres  assi  aixi  be  fem  moll  bona  guar- 
da y  no  admetem  certifîcatoria  de  bona  sanitat,  sino  es 
de  dita  ciutal  de  Narbona  y  de  Lleucata  (2),  y,   per  que 

(1  )   Pézenas. 
(2)  Leucafce. 


408      CORRESPONDANCE   Dl     1  \   VILLE  DE  PERPIGNAN. 

es  justa  raho  que  lingam  ab  Vostras  Magnificencies  tota 
bona  correspondentiai,  fem  lo  presenfl  avis.  E  Nostre 
Senyor  1rs  illustres  persones  do  Voslres  Magnificencies 
guarde  \  conserve  com  desijen.  De  Perpinya,  als  xxvi 
de  octubre  mdlxxx. 

A    la    ordinacio    do   Vostres    Magnificencies    promptes. 
I  os  Consols  de  la  vila  de  Perpinya. 


XCIV 
La  peste  en  Provence,  l'épidémie  de  Millas 

1587..   5    avril. 

Illuslrcs   Senyors. 

Lo  die  passât,  reberem  una  letra  dois  consols  de  Nar- 
bona,  los  quais,  com  a  bons  vehins  y  desijosos  de  la 
conservacio  de  la  salul  publica  d'esta  terra,  nos  lian 
avisât  com.  en  Marsella,  os  lo  morbo  de  poste,  y  on 
moites  viles  y  llochs  de  la  costa  do  Provença.  Per  ço.  y 
per  correspondre  a  la  obligacio  tenim,  se  fa  la  présent 
a  Vostres  Magnificencies,  supplicantlos  pus  restaran  avi- 
sats,  manen  se  tingua  bona  y  diligent  guarda  per  tota 
aqueixa  cosla  de  la  marina  de  Cathalunya,  com  saben 
Vostras  Magnificencias  importa  per  a  guardarse  y  preser- 
varse  do  sémillant  mal.  Y  aixi  be,  nos  avisen  que  un  mer- 
cader,  nomenat  Pierris  Langier,  havia  carregat  un  vexell 
de  baies  de  canem  y  do  altres  mercaderies,  les  quais  ha- 
via ti-oles  de  Marsella,  honl  es  a  peste,  com  es  dit,  y 
que  hauria  Tel  venda  \  desayxida  do  dit  canem  y  mer- 
caderies  en  algun  Uoch  o  vila  de  aqueixa  costa  de  Catha- 
lunya :  importava  sien  servits  Vostres  Magnificencies 
manar  l'or  diligentia  ahonl  hauria  fêta  venda  dit  merca- 
der,  at'li  y  effecte  se  possassen  en  tal  cobro  dites  mer 
caderies,  si  y  sclmuis  la  qualitat  del  dit  mal  de  peste  re- 
quer.  Y  no  obstant  que  dits  <<msols  do  Narbona  nos  hajen 
donat    dit   avis,    tambe   nos    lenon    scril   que   dit   meroader 


CORRESPONDANCE   DE    LA    VILLE   DE   PERPIGNAN.       i09 

Pierris  Langier  havia  fêta  vcnda  a  una  vila  nomenada 
La  Cadiere  y  a  allra  vila  nomenda  La  Ciutal  de  algunes 
baies  de  les  que  aportava  en  dit  vexe'll  de  canem,  y  de 
aixo  résulta  la  peste  en  dits  llochs,  3  per  ço  Vostres  Ma- 
gnificencies  manaran  fer  diligencia  la  que  saben  conve  : 
que  nosaltres  per  esta  costa  de   Rossello  fera  In  mateix. 

Per  que  som  cerls  Vostres  Magnificencies  s'en  alegra- 
ran,  I"-  avisam  corn  la  morbo  de  Millas  esta  molt  remé- 
diât, llahos  ;i  Deu,  y  que  ha  molts  dies  no  ses  incontrat 
de  peste  sino  nu  home;  verital  es  que  t « >l s  han  desam- 
parada  In  dita  vila  de  Millas  ys  son  aposentats  per  lo  ter 
me  de  Millas,  per  barracas  y  xosses,  \  proven  en  elles 
moll  l>e,  y  procuren  ;il»  loin  diligencia  per  lies  o  quatre 
liomens  natejar  y  desenfaçir  les  cases  de  dita  «le  Millas. 
A  Nostre  Senyor  Deu  placia  donarlos  complida  salut  y  a 
Vostres  Magnifîcencies  y  als  lots  guardar  y  conservar 
com  desijam.   De  Perpinya,  als  v  de  abril  1587. 

[lduslres   Senyors,   a  la   ordinacio  de   Vostres   Magnifî- 
cencies promptes.  Los  Consols  de  La  vila  de  Perpinya. 


XCV 
Extension  de  la  Peste  en  Provence 

1587,    17   juillet. 

Illustrissim  y  Exm  Senor. 

Per  relacions  de  persones  dignes  de  le,  tenim  entes 
com  en  quarante  quatre  llochs  o  viles  de  la  Provença, 
Règne  de  França,  es  lo  mal  contagios  de  pestilencia,  y 
aixi  he  (mi  Avinyo  y  Sorbies  (1)  y  allées  llochs  comar- 
cans  de!  mateix  Règne  de  França,  y  que  en  ells  lo  dil 
morbo  pestilenl  va  grassanl  de  quiscun  die  y  l'en!  stra- 
go  de  persones  eu  gran   manera,   senyaladamenl   en  una 


(1)    Sorgues,    arrondissement    d'Avignon,     oanton    de    Bédarridc 
(\  axi cluse). 


ilO      CORRESPONDANCE  DE    LA    Ml  II     ni     PERPIGNAN. 

vila   diuen   es   en   les   ultimes   paris  de    la    Provcnça    no 
menada    Dreguinyan    (1)    en    la    quaJ    (segons     nos     han 
referit)  son  morts  tosl  los  poblats  en  ella.  [ncontinenl  lia- 
gul   esl   avis  y   relacio,   havem  scril   als  consols  de   \ar 
bona,  vehyns  d'esta  frontera  (2)  (en  la  quai  ha  bona  sa 
nilal  ys  l'a  moll  bona  y  diligenl  guarda),  pregantlos  nos 
scriguen  de!  que  passa  acerca  de  eixos  particulars,  y  de 
quincs  paris  per  raho  de!  dil  morbo  se  guarden.   En  lia 
ver  rebuda  llur  carta,  seriurem  largamenl  a  V.  Ex  a,  sup- 
plicant   a   V.    Ex    sic   servi!    manar  fer   bona   y   diligenl 
guarda  per  la  costa  de  aqueixes  mars,  ailes  la  Provença 
es  terra  maritima  y  per  mai-  a  costa  de  Cathalunya   po- 
dria   rebre  notables  danys,   en   deservey  de   Sa   Magestat 
del  Rcy  nostron    seftor    y  en  ruyna  dels  poblats  en  Ca- 
thalunya.  \osaltres  eslam  y  estarem  sempre  desvelles  en 
saber   y   entendre   si    per   esles   mars   nrriben   vexells   de 
paris  infectes,  per  a  dbnarne  a  V.  Exa  prompte  avis,  y 
altrament  fer  lo  que  nostre  offîci  consular  nos  obligue. 

Aixi  be  tenirn  enles,  estos  dics  proxim  passats,  que  de 
les  paris  de  Provença  es  arribada  en  les  niais  de  Top 
lliure  una  barca  carregada  de  species  y  altrcs  mercade 
ries,  laquai  los  de  Coplliure  expelliren,  no  permetenl 
aquella  de&carregas  dites  mercaderies,  y  aixi  baixant  y 
veninlsen  envers  estes  nostres  mars,  se  posa  dita  barca 
en  lo  Cap  de  les  Couilleres  son  en  lo  Vezeomtat  de  Canet, 
que  es  lloch  agrest  y  solitari  y  no  iioch  de  descarrega- 
dor.  y,  liora  captada  de  nil,  ha  descarregat  en  la  sorra 
del  mar  les  baies  de  dites  mercaderies,  y  a  fugit  promp- 
tament  a  la  volta  de  Cathalunya,  y  avisais  nosaltres  per 
les  canonges  de  Elna  del  fet,  encontinenl  luueni  despat- 
xada  genl  per  a  guardar  dites  mercaderies,  affî  ningu 
toque  aqueles,  sino  sols  très  o  quatre  persones  que  ana- 
ven  en  dita  barca.  lesquals  son  y  estan  en  dita  marina,  de 
lesquals  lenim  relacio  es  dita  mercaderia,  y  en 
dita  sorra  estaran,  fins  a  tant  hajen  niolt  be  y  exac- 
tamen   purgat.  \;.   Ex  a  sera  servit   manar  per  diligencies 

(1)  Draguignan. 

(2)  C'est-à-dire    de    la    frontière    franco-espagnole. 


CORRESPONDANCE   DE   1  \   VILLE   DE   PERPIGNAN.       '1  1  1 

si  la  dita  barca  y  os  per  eixa  costa  per  que  se  ha  entes 
que  aquella  va  pera  descarregar  mes  roba  aporta  per 
dita  costa  de  Cathalunya,  y  aixi  be  sera  servil  nianar 
scriure  al-  consols  de  Copïliure  tinguen  ab  nosaltres  y 
ah  esta  universital  de  Perpinya  tota  la  corresp'ondencia 
que  acerca  de  asso  y  altrameni  conve  \  son  tengul  y 
obligats  tenir  y  manar  fer  bona  guarda  per  los  llochs 
maritims  y  altres  de]  Principat,  en  los  finals,  segons  se 
enlen,  se  l'a  va  moll  poca  o  ninguna  guarda,  y  al  Vez- 
comte  de  Canel  que  scrigua  y  mane  a  sus  vassalls  de! 
seu  Vezcoratal  que  no  sien  tanl  pocli  diligents  en  lo  fet 
de  la  guarda  corn  son.  E  Nostro  Senyor  la  IIIma  y  Exm;i 
persona  de  V.  Exa  guarde,  conserve  y  en  majores  car- 
rcchs  augmente,  ab  niolta  salut  y  vida,  com  desijam. 
De  Perpinya.   a  xvn  de  juliol  lo87. 

Illm  y  Ex"1  Senor:  De  V.  Exa  inolt  affectais  y  dévots 
scrvidors  qui  les  mans  li  besen.  Los  Consols  de  la  vila 
de  Perpinya. 


XCVI 
Même    sujei 

1587,    17   juillet. 
lllm  y  Exm  Senor. 

Apres  de  haver  scrila  y  closa  la  charta  per  a  V.  Exa 
havem  rebuda  leli-a  dels  consols  del  lloch  de  Tuyxa  (1), 
vehi  d'esta  nostra  frontera,  ab  la  quai  restam  avisats  coin 
lo  mal  contagios  de  peste  es  en  dos  llochs  comarcans  de 
la  ciutal  <\<-  Carcassona,  lo  hu  dels  quais  se  nomena  Mon- 
lirach  y  l'allro  Mila  Petit  (2).  Xoslre  Senyor  Deu,  per 
la  sua  immensa  boudai  y  misericordia,  s'en  vulla  apiedar 
y  los  pobles  qui  estan  ab  salut  y  sanital  conservarlos  en 
ella. 

(1)  Tuchan.   arrondissement  de  Carcassonne   (Aude). 

(2)  Montirat,  canton  de  Capendu  ;  ilillepetit,  même  canton,  com- 
mune de  Trèbes  (Aude). 


112      CORRESPONDANCE     l'I     LA  VILLE  Dl     PERPIGNAN. 

En  haver  rebul  lo  avis  dels  de  Narbona  sobre  del  ina- 
leix  particular  eK>  poste,  oom  \;i  ab  la  altra  tenim  scrit 
a  V.  Exa,del  que  entendrem  donarem  Uarch  avis  à  V. 
Ex"  ,  cuja  Il!"'a  y  Exm*  persona  la  Sanctissima  Trinitai 
guarde,  conserve  y  en  majors  carrech[&]  augmente  ab 
molta  salut  y  vida,  con  desijam.  De  Perpinya,  a  xvu  de 
juliol    L587. 

Illm  y  Exm  Sefior.  Do  Y.  Ex  molt  affectats  y  dévots 
servidors  qui  les  mans  H  besen.  —  Los  Consols  de  la 
vila  île  Perpinya. 


X(\  Il 


MEME    SUJE1 


1587,  31  juillet. 


Illcs  Senors. 


La  de  Vostres  Magnifîcencies,  de  xvm  del  corrent  mes 
de  juliol,  havem  rebuda  lo  (lie  presenl  per  mans  d'En 
Bosch,  correu  de  peu  de  eixa  ciutat,  ab  la  quai  tenim 
entes  com  a  noticia  de  V.  M.  os  pervengut  que,  en  al 
guns  llochs  maritims  île  aquesl  Comtat  de  Rossello,  no 
deixen  «le  donar  contratacio  y  pratica  a  quants  vexells 
y  mercaderies  arriben  do  parts  infectes  del  Règne  de 
França.  Nosatrs,  lins  a&si,  nu  havem  sabut  ni  entes  sie 
fet  tal,  o  si  cosa  alguna  es  arribada  a  nostra  noticia,  es 
que  on  1<>  principi  del  dit  correni  mes  <lo  juliol  arriba 
un  vexell  on  les  mars  de  Coplliure,  carregal  do  species 
y  altres  mercaderies,  In  quai  incontinent  coin  a  venint 
de  parts  infectes  repulsaren  y  expelliren  lois  dr  Coplliu- 
re, y  aquell,  a  hores  captades  >\<'  nit,  descarrega  on  lo 
cap  de  les  Couilleres,  pari  agresta  y  moll  solitaria,  pari 
di-  les  dites  mercaderies  eu  la  sorra,  y  sen  ana,  que  no 
se  ha  sabuda  nova  de  aquell,  Icsquals  mercaderies  havem 
manal  despegar  per  la  sorra  del  mar,  y  ad  aquelles  havem 
certa  guarda,  affi  ningu  toque  aquelles,  lins  a  tanl  hajen 
moll    exactamenl    purgat,    y,    ;ils    llochs    maritims    d'estes 


CORRESPONDANCE     DE    LA    VILLE    DE    PERPIGNAN.       413 

mars,  havem  exhortai  y  encarregal  no  permeten  en  ma- 
riera alguna  communicalio  ni  pratica  a  tais  vexells.  Sup- 
plicam  a  V.  \1.  sien  servits  manar  lo  mateix  per  eixcs 
marines,  y  ques  Fassa  moll  bona  y  diligent  guarda,  tant 
en  elles  coin  en  les  viles  \  llochs  del  Principal  apartades 
del  mar,  per  estar  ençesa  la  Provença  y  altres  parts  de 
França  del  foch  de  pestilenlia,  lo  quai  avis  havem  rebut 
per  charta  dels  consols  de  Narbona,  als  quais  haviem 
scril  nos  avisassen  de  les  parts  en  les  quais  es  dil  mal  de 
pestilentia,  les  quais  passen  numéro  de  quaranta,  en  1rs 
quais  dil  mal  va  a  tall  de  spasa.  Nostro  Senor  per  sa 
infinita  clementia,  sie  servi!  remediarlos  e  als  pobles  qui 
tenim  salul  conservarla.  E  Nostro  Senor  les  illustres  per- 
sones <l«'  V.  \l.  guarde  y  conserve  com  desijen.  De  Per- 
pinya,  als  xxxi  y  ultim  de  juliol  mdlxxxvii. 

A  la  honôr  de  V.   M.   apparellats.   Los  Consols  de  la 
vila  do  Perpinva. 


XCVIII 

La  peste  a  Elne 

IUCS  Senors. 

Apres  de  haver  scril  a  Vostres  Magnificencies  la  ul- 
tima  nostra  de  xxxi  del  corrent,  en  resposta  de  la  de 
Y.  M.  de  x 1 1 [ i°  del  mateix  a  nosaltres  tramesa  per  home 
propri,  se  lia  succehit  que  en  Elna,  se  son  encontrades 
del  morbo  de  peste  quatre  persones,  les  quais  son  mor- 
tes, y  en  una  (!<>  les  dues  cases  de  Nidoleres  un  minyô,  lo 
quai  diuhen  esta  ya  bo.  Mosen  Antoni  ïoli  nostro  syn- 
dieli  qui  es  arribat  de  eixa  eiulal  de  Barçelona,  nos  lia 
referit  que  V8.  M8,  tenien  Ietra  de  algun  particular  ab  la 
quai  donava  ;i\i»  com  de  Elna  eren  fugides  mes  de 
quarante  persones  e  aqueixes  infectos  del  dit  morbo,  y 
que  anaven  divnganl  per  In  terra  a  régna  solta,  del  que 
havem  fêta  no  poca  maravella,  «pie  aqueixa  tal  persona 
haja  scril   I"  que  no  p;:>sa  aixi,  perque  les  persones  que 


i  l'i       C0RRESP0NDANC1     DE    LA   VILLE   DE    PERPIGNAN. 

son  ixdes  il*'  Elna  s<m  personcs  de  ses  cases  \  tenen  que 
gastar,  les  quais  estan  disperses  per  I"  terme  de  dita 
ciulal  ab  barraques  se  han  fêtes  y  estan  purgant,  per 
raho  de  la  conlagio,  sols  se  enten  de  hun  mosso  de 
rnossen  Rollan,  notari  de  dita  ciutat,  1<>  quai  sen  es  anat, 

nos  sab  ;il I.  Del  Volo  ny  de  Banyuls,  gracies  al  Scnor, 

no  sen  diu  lins  assi  cosa  alguna.  Nostro  Senor  sie  ser 
vil  apiedarse  dels  l<>K  Si  altra  [cosa]  se  innovarn,  scran 
V8.  M8,  avisais,  cujes  Ills  persones  Nostro  Senyor  guarde 
y  conserve    com  desijen.  De  Perpinya,  als  .xxini0.  de  de- 
zembre    L587. 

Illustres  Senyors,  a  la  ordinacio  de  V8.  M8,  promptes. 
Los  ('<»iis(ds  de  la  vila  de  Perpinya. 

[A  suivre.)  .1.  Calmette  el  E.-G.  HurtebIse. 


BIBLIOGRAPHIE 


K  E  V  U  E     L)  ES     »  E  VU  ES 

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chardt:  Sachwortgeschichtliches  ùber  den  Dreschflegel,  p.  257;  — 
/-.  Karl:  Vie  de  sainte  Elisabeth  de  Hongrie,  par  Nicolas  Bozon, 
p.  295;  —  A.  Jve:  Le  Santé  Parole  tratte  da  un  codiee  fiorentino 
del  sec.  XV 3  p.  315;  —  //.  Schuchardt:  Span.  ladilla,  sard.  gin- 
tilla.  surzaga,  p.  331  ;  —  H.  Suchier:  Nochmals  die  Vivienschlacht, 
p.  343;  —  E.  Langlois:  Une  mélodie  de  chanson  de  geste,  p.  349; 
—  E.  Lommatzsch:  Eine  Episode  des  «  Baudouin  de  Sebourg  »  und 
ihre  Quelle,  p.  352;  —  K.  Christ:  Bruchstûcke  der  «  Estoire  de 
Troie  »  von  Beneeit  de  Ste  More.  p.  358;  —  L.  Karl:  Die  Episode 
ans  der  Vie  de  Madeleine,  p.  362:  —  Vermischtes,  p.  368;  —  C. 
Salvioni:  Appunti  vari  sui  dialetti  ladini,  p.  385;  —  G.  Ziccardi: 
Il  dialetto  di  Agone,  p.  405;  —  M.  Morgana:  Frammenti  di  canti 
popolari  negli  scrttori  napoletani  dei  secoli  XVII  e  XVIII,  p. 
437;  —  Schultz-Gora:  Ueber  einige  Stellen  bei  Rambaut  de  Va- 
queiras,   p.   458;  —  Vermischtes,   p.   474. 

Archiv  fur  das  Studium  der  neueren  Sprachen  und  Litera 
turen,  CXXIV,  1  u.  2.  —  •/.  /;/(/.•  Sprachgeographische  Untersu- 
chungen,  p.   83. 

Revue  de  dialectologie  romane.  II.  1.2.  —  .1/.  Niepage:  Laut- 
nnd  Formenlehre  der  mallorkinischen  Urkundensprache,  p.  1  ;  — 
G.    Pascu:    Dm    Sufixele    romîneisti.    p.    56;    —    G.    Millardet:    Un 

exemple    de    sélection    morphologique:    l'indicatif    présent    de    facere 
dans  le  gascon  des  Landes,   p.   84:  —   Mélanges,   p.   91. 

Bulletin  de  dialectologie  romane,  II,  1.2.  —  B.  Schàdel  : 
Ueber  Schwankungen  und  Fehlergrenz-en  beim  phonetischen  No- 
tieren,  p.  1  ;  —  G.  Panconcelli-Calzia:  Le  applicazioni  degli  appa- 
recchi    fonautoglifici   nella    Linguistioa,    p.    30. 


416  (  OMl'l  ES    RENDUS. 


COM  PII.  s- 1;  EN  DUS 

Pio  Rajaa   — ]«  Perla    Storia  del  Tenuis,   dans  le   Marzocco,    13 
février  1910. 

L'on  a  joué  au  Tennis  à  Florence  en  1325,  et  ce  jeu  y  était 
importé  pai  'les  Français.  .M.  Pio  Rajna  nous  L'apprend.  Il  a  décou- 
vert dans  la  Chronique  de  Donato  Yelluti  le  passage  suivant: 
a  Tommaso  di  Lipaccio  était  un  clerc  possédant  un  bénéfice  au  delà 
des  monte.  C'était  un  homme  beau  et  grand,  hardi  comme  un  lion. 
Il  vendit  le  bénéfice  et  rentra  dans  son  pays  quand  nous  vinrent 
cinq  cents  cavaliers  français.  Jamais  je  ne  vis  plus  belle  ni  meil- 
leure  troupe.  Ils  recevaient  une  i'orte  solde,  et  l'un  d'entre  eux 
dépassait  du  col  et  de  la  tête  les  hommes  les  plus  grands:  il  avait 
le  pied  plus  long  que  la  moitié  d'un  bras.  Presque  tous  périrent 
dans  la  défaite  d'Altopascio.  Tommaso  jouait  chaque  jour  à  la 
balle  avec  eux  et  c'est  de  ee  temps  que  l'on  a  commencé  dans  notre 
pays  à  jouer  au  Tenes...  (Cronica  di  Firenze  di  I)<>n<it<>  Velluti  dall' 
anno  1300  in  cirai  fino  al  1370.  Firenze,  1731,  p.  34.  Texte  revu  et 
corrigé  par  M.   P.  R.  sur  l'autographe.) 

Ces  Français,  enrôlés,  avec  l'autorisation  de  leur  roi  Charles  IV, 
pour  la  guerre  contre  Castruccio,  arrivèrent  à  Florence  vers  la  fin 
de  1324,  et  les  opérations  militaires,  qui  devaient  aboutir  à  la 
défaite  d'Altopascio,  commencèrent  seulement  en  mai.  Nos  compa- 
triotes  eurent  le   temps  de  lier   connaissance   avec   les   Florentins. 

M.  Rajna  se  demande  si  ce  Tenes  n'est  pas  le  Tennis,  puisqu'il 
s'agit  d'un  jeu  de  balle.  Il  examine  ee  que  les  Anglais  pensent  eux- 
mêmes  d'un  mot  si  populaire  chez  eux.  Johnson  donne  le  français 
/<//<:  en  s 'appuyant  sur  l'autorité  de  Skinner,  qui,  dans  Etymolo- 
gicon  /i/t</uae  Anglicanae,  Londini,  1671.  paraît,  entre  autres  éty- 
mnl-igies,  préférer  celle-ci:  «  ...ni  a  F[runco]G[al!iro],  Tenez 
Accipe,  quod  Celtae.  omnium  in  hac  arte  peritissimi,  dicere  soient 
cum  pilam  percutiunt  ». 

La  question  serait  donc  réglée,  car  l'altération  de  tenes  en  tennis 
est  tout  à  fait  conforme  au  génie  de  la  langue  anglaise.  Mais 
M.  P.  R,  juge  impossible  que  tenes,  avec  l'accent  sur  la  dernière, 
ait  pu  devenir  sur  les  rives  de  l'Arno  autre  chose  que  tenesse, 
«  comme  l'on  disait  Palamide&se,  Meliadusse,  Breusse,  comme  de 
nos  jours  l'on  dit  gasse,  omnibusse  ».  Je  reproduis  ses  termes: 
«  ...  teniamo  sicuri  che  in  una  città  di  linguaggio  affine  al  franoese 
r  dove  anche  proprio  il  franoese,  per  ragione  sopratutto  de'  oom- 
merci,  era  familiare  a  moltissimi,  il  Tenez  sarebbe  stato,  caso  mai, 


COMPTES    RENDUS.  i  17 

ripetuto  a   sensu,   non  già   ad  orecchio  ;  e  perô  il   giuoco  si   sarebbe 
chiamato  < ï * •  I    Prendi,   o   in   qualche   modo   simile  ». 

Les  préférences  de  M.  P.  R...  seraient  plutôl  pour  une  origine 
allemande.  Terme,  aire  à  battre  les  grains,  s'est  dit  Tenni  ou  Denni 
dans  le  vieux  haut-allemand.  En  l'unissant  à  spieî,  spil,  l'on  aurait 
Ti  nnispil  qui,  en  changeant  de  pays,  serait  devenu  Tennis  par 
simple  abréviation.  Ce  qu'il  faut  pour  ec  jeu,  c'est  un  sol  où  la 
balle  puisse  rebondir  :  à  «et  égard  l'aire  est  un  lieu  très  convenable, 
et  l'expression  anglaise  lawntennis  comprend  tout  au  moins  l'indi- 
cation   d'un    champ    uni. 

M.  P.  R.  prévoit  une  objection.  Comment  les  Français,  s'ils 
ont  emprunté  le  mot  aux  Allemands,  ne  l'ont-ils  pas  modifié  confor 
mément  aux  habitudes  de  leur  prononciation?  Ainsi  il  en  vient  à 
essayer  une  autre  étymologie  française:  tenes  dérivant  de  tencier, 
mais  au  sens  de  barrière.  Dans  le  tennis  actuel,  le  filet  qui  divise 
le  camp  est  une  pièce  essentielle.  Il  a  pu  être  jadis  une  cloison, 
une  claie.  .Mais  tens  avec  cette  acception  est  contestable  et  Yi  de 
tennis  n'est  pas  expliqué.  M.  P.  R.  se  fait  à  lui-même  toutes  les 
objections  et  constate  avec  une  bonne  humeur  souriante  qu'ainsi  il 
est  démontré  une  fois  de  plus  que  la  science  de  la  parole  est  matière 
à   controverse,  litigiosa. 

Pour  mon  humble  part,  j'hésite  à  abandonner  tenes  au  sens 
français  du  mot.  Il  a  d'abord  pour  lui  la  vieille  tradition  anglaise. 
ce  qui  a  son  importance.  Y-elluti  avait  vécu  en  France,  savait  le 
français,  connaissait  l'orthographe  du  mot.  Il  la  conserve,  sans 
penser  à  se  conformer  à  l'usage  de  ses  compatriotes  d'ajouter  se 
pour  faire  ressortir  la  place  de  l'acoent.  Le  fait  ne  me  paraît  pas 
tellement  invraisemblable.  Puis  l'analogie  du  tenes  latin  pour  l'as- 
pect du  mot  écrit. 

M;iis  pour  l'essentiel,  on  se  rallie  à  la  conclusion  de  M.  P.  R. 
«  toutes  les  obscurités  qui  subsistent  à  cet  égard  et  les  incertitudes 
encore  moins  susceptibles  d'être  écartées  en  ce  qui  concerne  les 
lois  qui  réglaient  ce  jeu  à  l'époque  archaïque  à  laquelle  nous  sommes 
remontés,  n'empêchent  point  que  la  mention  laconique  laissée  par 
Velluti  ne  donne  à  l'improviste  un  fondement  solide  à  l'histoire  du 
Tennis  et  qu'elle  ne  la  renouvelle...  A  Florence  revient  le  droit 
de  réclamer  comme  sien  le  premier  joueur  de  Tennis  dont  le  nom 
nous   soit  parvenu.    » 

M.  Rajna  achève  son  agréable  et  savant  article  en  proposant  au 
Lawn-Tennis  Club  de  Florence  d'élever  un  monument  en  l'honneur 
de  Tommaso  di  Lippacio  et  donne  en  pur  et  spirituel  style  lapidaire 
le   texte  de  l'inscription. 

Il    ne   me   restait   d'autre   souvenir   de   Donato  di    Mico   Vellutelli 


ilS  COMPTES   RENDUS. 

que  celui  de  l'émotion  avec  laquelle  .M.  Isidoro  de]  Lungo  racontait 
jadis  comment  lis  tiens  Franoesi  coupèrent  la  queue  d'un  beau 
palefroi  qu'il  leur  avait  vendu  et  le  lui  renvoyèrent  dans  cet  étal. 
«  senza  alcuno  apparente  motivo  ».  ajoutait  M.  del  Lungo,  qui 
voyait  dans  cet  acte  la  marque  des  «  rancori  brutali  contadineschi 
contro  la  vecchia  cittadinanza  ».  Velluti  se  vengea  d'ailleurs  de 
Façon  aussi  brutale,  plus  cruelle  sûrement  à  nos  yeux:  il  tua  le 
garçon  qui  lui  avait  ramené  sa  marchandise  ainsi  détériorée.  Tout 
cela  se  passait  en  France.  Les  Franzesi  étaient  bien  en  cour,  et  la 
vie  de  Velluti  fut  menacée,  ce  qui  nous  semble  assez  naturel.  Il 
eut  même  contre  lui  l'influence  de  Giano  délia  Bella  :  «  Duole  lo 
impararlo  !  »  s'écriait  M.  del  Lungo  qui  ressent  pour  ces  Franzesi, 
protégés  et  agents  de  Philippe  le  Bel.   une  extrême   antipathie   (1). 

M.  del  Lungo  prépare  une  réédition  de  la  Chronique  de  Velluti  (2) 
en  se  servant  du  manuscrit  autographe  qui  a  été  conservé  par  la 
famille,  aujourd'hui  représentée  par  les  Velluti-Zati.  dues  de  Saint- 
Clément.  Nul  autant  que  lui  n'est  qualifié  pour  donner  de  ce  texte 
l'édition  la  plus  instructive,  nul  ne  le  commenterait  avec  une  science 
aussi  complète  et  aussi  sûre  du  Moyen- Age  florentin. 

L'un  des  articles  les  plus  intéressants  du  livre  de  M.  del  Lungo 
où  il  est  traité  incidemment  de  la  Chronique  de  Velluti,  est  celui 
où  il  est  question  du  compagnon  d'Aymeri  de  Xarbonne,  le  vieux 
Cluillaume  de  Durfort,  qui  mourut  à  Campaldino  (1289)  et  dont  l'on 
a  le  tombeau  à  l'Annunziata  de  Florence  (Op.  1.  pp.  135-188). 

L'on  a  vu  plus  haut  que  les  Français  qui  apportèrent  le  Tennis 
en  Toscane  ressemblaient  fort  à  des  mercenaires.  A  une  date  bien 
plus  ancienne,  les  seigneurs  de  Xarbonne  paraissent  avoir  loué 
volontiers  à  leurs  amis  ou  alliés  les  troupes  qu'ils  entretenaient. 
L'on  trouve  à  ce  sujet,  dans  l'inventaire  de  Loijvet,  publié  pal 
M.    Bei  thelé.   le  résumé  de   documents   précieux  : 

«  4290.  L'an  1254.  le  24  novembre,  Amalric,  par  la  grâce  de  Dieu 
vicomte  et  seigneur  de  Xarbonne.  promet  et  jure  sur  les  Saints 
Evangiles  aux  Consuls  de  Montpellier  de  faire  la  guerre  à  tous 
ceux  qui  s'opposeront  à  eux,  hormis  le  roi  de  France  et  ses  frères 
et  le  roy  de  Castille,  et  de  les  défendre  et  protéger  eux  et  toute 
leur   ville   et    communauté    —   et    eux   promettent    audit    Vicomte   de 


(1)  Del  Lungo  Ne'  tempi  di  Dante,  p.  66.  —  Velluti  «  traf- 
ficava  oltralpe  di  cavalli  ».  qui  nous  dira  qu'il  n'avait  pas  maqui- 
ynonné   la  bête? 

(2)  Je  prends  ce  renseignement  dans  une  note  de  l'article  de 
M.   Rajna. 


(  OMPïES    REND1  S.  i  19 

paier,  par  jour,  à  toux  qu'il  amènera,  six  sous  melgorois  pour 
chaque  soldai  qui  mènera  un  cheval  armé  et  4  sous  melgorois  pour 
chaque  arbalesl  i  ter  à  cheval. 

4221.  Quittance  du  dit  Amalric  de  Vu  bonne  de  5.000  sous  mel- 
gorois des  30.000  que  les  Consuls  nul  promis  de  luy  paier;  l'an 
1254,   le  19  décembre.   »    (1). 

F.   Castets. 

G.  Bertoni.  —  La  Versione  francese  délie  prediche  di  S.  Gregorio 
su  Ezechiele  (revisione  del  ms.  di  Berna,  79).  Gr.  in-8°,  28  p., 
avec  fîie-similés.  Modena,  1908. 

K.  Hofmann  avait  donné  en  1881-1882  une  édition  diplomatique 
de  la  traduction  française  des  homélies  du  pape  Grégoire  sur  Ezé- 
ehiel.  d'après  l'unique  manuscrit  qui  nous  ait  conservé  ce  texte, 
le  79  de  Berne.  M.  B.  a  revu  cette  édition  sur  le  manuscrit  et  a 
relevé  de  nombreuses  divergences  qui  proviennent  soit  de  mauvaises 
lectures,  soit  de  distractions,  soit  d'oublis.  Ainsi  l'on  rencontre 
parfois  ce  que  l'on  appelle  un  «  bourdon  »,  qui  s'explique  le  plus 
souvent  parce  que  trompé  par  la  répétition  à  distance  d'un  même 
mot,  le  copiste  ou  le  typographe  franchit  et  omet  les  mots  ou  les 
lignes  intermédiaires.  Dans  les  manuscrits  anciens  l'on  en  rencontre 
des  exemples  (2)  et  nos  livres  imprimés  n'en  sont  pas  exempts 
M.  B.  en  a  relevé  ici  une  douzaine,  dont  certains  comprennent 
plusieurs    lignes. 

Cette  révision  a  été  faite  avec  un  soin  si  évident  et  si  scrupuleux 
qu'il  est  bien  difficile  que  les  moindres  fautes  ou  divergences  aient 
échappé  à  l'attention  du  critique. 

Quand  il  s'agit  d'un  texte  te]  que  celui-ci,  dont  l'original  a  dû 
être  écrit  vers  le  milieu  du  douzième  siècle,  une  édition  diplomati- 
que est  toute  indiquée  ;  mais  elle  ne  vaut  que  par  une  extrême 
fidélité  qu'il  est  très  malaisé  d'obtenir,  et  l'on  ne  saurait  faire  trop 
de  vœux  pour  que  les  manuscrits  qui  ont  un  intérêt  pour  l'histoire 
de   la   langue  soient   tous   reproduits   par   la   photographie. 

(1)  Archives  <!>■  ht  Ville  de,  Montpellier:  inventaires  et  documents. 
Tome  I,  p.  384.  Cf.  H.  générale  du  Languedoc,  VI,  p.  853,  et 
Anglade,  Le    Troubadour  Guiraui   Biquier,  p.  37. 

(2)  V.  dans  la  Chanson  des  Quatre  Fils  Aymon  deux  exemples, 
l'un  probable,  d'environ  80  vers  (Y.  4815,  note),  l'autre  certain 
(V.  12030-12066).  Dans  les  éditions  modernes,  l'omission  parfois 
semble  voulue.  J'en  ai  constaté  une  de  cette  nature  dans  une  des 
lettres   les   plus   importantes  de    Torquato    Tasso. 


120  COMPTES    RENDUS. 

Le  manuscrit  présente  la  marque  de  corrections  on  d'altérations 
provenant  <lu  fait  du  copiste;  et  de  son  côté  Hofmann  a  parfois 
corrigé  sans  en  avertir  ou  sans  y  penser.  L'exemple  d'un  homme 
e  mérite  doit  rendre  indulgent,  et  M.  lî.  a  eu  le  soin  de  termi- 
ner ses  pages  d'introduction  en  pendant  hommage  à  la  science  et  à 
la   sagacité  de   Hofmann. 

Dans  ces  premières  panes,  l'on  a  une  rapide  étude  de  la  langue 
du  texte.  C'est  du  plus  ancien  Lorrain,  et  pour  ne  citer  qu'un  des 
traits  caractéristiques  de  ce  dialecte,  l'on  y  rencontre  souvent  le 
futur  archaïque  en  it,  si  rare  dans  les  autres  documents  lorrains. 
Les  manuscrits  lorrains  de  .Montpellier,  particulièrement  le  H.  43 
et   le    H    164,    sont    d'aspect    un    peu    moins    ancien. 

F.    C. 

E.  Levi-Malvano.  —    L'EIegia   amorosa    nel   Settecento.    In-8°, 
212  p.  Torino,  1908. 

L'auteur  dit:  «  Le  dix-huitième  siècle,  qui  n'eut  pas  de  très 
grands  poètes,  eut  en  revanche  de  grands  peintres  :  ce  furent  les 
peintres  français.  Les  vrais  poètes  de  ce  siècle  furent  Watteau, 
Fragonard,  Boucher,  La  Tour  (p.  18)  ». 

«  Ils  ont  chanté  la  grande  élégie  amoureuse  du  XVIII*  siècle 
sur  les  toiles  exquises  où  se  reflète  toute  la  mollesse  de  leur  temps, 
la  légèreté  des  âmes,  la  grâce  des  manières,  le  bon  goût  des  esprits, 
la  volupté  des  mœurs,  où  un  mince  voile  de  mélancolie  jeté  çà  et  là 
sans  pédantisme  tient  lieu  de  la  grande  passion  et  du  sentiment 
intense  ».  Les  poètes  aimables  dont  nous  entretient  agréablement 
M.  Levi-Malvano,  peignent  fidèlement,  avec  talent,  ces  mœurs 
raffinées  d'un  temps  dont  la  mièvrerie  nous  devient  aussi  étrangère 
que  le  devint  pour  les  Romains  cette  urbanité  dont  Pline  le  Jeune 
fut  le  dernier  représentant.  Rolli,  Savioli,  à  certains  égards  Monti 
lui-même,  nous  laissent  absolument*  froids.  Elèves  des  élégiaques 
latins,  ils  n'en  ont  point  la  passion  ardente.  Mais  ils  peuvent  être 
l'objet  d'une  étude  intéressante,  car  ce  sont  des  stylistes,  et  à  ce 
titre  ils  ont  leur  place  dans  l'histoire  de  l'art.  M.  L.  les  fait  con- 
naître sans  exagérer  leur  mérite,  et  l'on  comprend,  grâce  à  lui.  l'ad 
miration  et  les  éloges  que  leurs  contemporains  leur  prodiguaient. 
En  parcourant  ce  volume,  on  pense  au  tableau  que  Stendhal  a 
présenté  des  mœurs  italiennes  dans  la  Chartreuse  de  Parme:  l'époque 
des  Rolli  et  des  Savioli  se  continuait  dans  le  monde  aristocratique 
dont  ils  avaient  amusé  les  loisirs.  Peut-être  aurait-on  pu  rechercher 
si  le  très  long  séjour  que  Rolli  a  fait  en  Angleterre,  où  il  a  composé 
la  majeure  partie  de  ses  écrits,  si   le  contact  avec  une  poésie  étran- 


COMPTES   RENDUS.  42  1 

.  n'ont  pas  eu  quelque  influence  sur  le  développement  de  son 
talent.  M.  L.  a  grand'raison  d'insister  sur  l'art,  avec-  lequel  ces 
poètes  ont  employé  les  ressources  oV  la  métrique  italienne,  et 
surtout  de  montrer  coininent  Parmi,  Foseolo,  bien  d'autres  se 
sont,  formés  en  quelque  mesure  à  leur  école.  Cette  seconde  par- 
tie du  volume  est  instructive.  Il  n'y  a  que  du  bien  à 
dire  du  soin  avec  lequel  la  publication  nous  est  offerte:  le  frontis- 
pice représente  une  de  ces  scènes  d'amours  champêtres  où  de  belles 
dames  déguisées  en  bergères  reçoivent  l'hommage  d'un  joli  garçon: 
les  pieds  sont  nus,  concession  faite  au  genre  rustique.  Sur  le  monu- 
ment qui  est  derrière  eux,  on  lit:  Fontaine  de  l'Amour.  C'est  bien 
en  effet  l'amour  fiançais  que  décrivent  nos  élégiaques  italiens,  trop 
français  peut-être,  car  malgré  tout,  malgré  tous  les  déguisements 
et  tous  les  raffinements,  j'ai  peine  à  croire  que  le  tempérament 
passionné  de  l'Italie  ait  pu  tellement  s'endormir  qu'aucun  éclat 
violent  ne  le  révèle.  Papier,  impression,  le  format  lui-même,  tout 
est  plaisant. 

Cependant  je  risque  une  critique.  Lorsque  le  bon  Flaecus  en 
vient  au  vers  élégiaque,  il  avoue  ignorer  qui  en  est  l'inventeur,  et 
dit  que  les  grammairiens  ne  l'éclairent  pas:  Grammatici  évitant  et 
adhuc  sub  judice  lis  est.  M.  L..  ne  mentionne  pas  l'avis  d'Horace, 
et  juge  nécessaire  de  consulter  la  science  moderne.  Il  cite  donc 
M.  Croiset  et  nous  apprend  que  sl^^  est  de  même  racine  que 
l'arménien  elegn,  elegneay,  roseau,  flûte  de  roseau.  Mais  il  croit 
devoir  faire  plus,  désigner  les  plus  anciens  poètes  élégiaques.  M. 
Croiset  ayant  mentionné  que  d'après  Plutarque  Clonas  et  Sakadas 
sont  les  deux  noms  à  citer,  bien  qu'il  ne  reste  rien  ni  de  l'un  ni  de 
l'autre,  M.  L.  résume  le  tout  en  une  ligne:  «  L'elegia  greca  fu  da 
principio  religiosa  con  Clonas  e  Jakad'as  ».  Je  sais  bien  que  l'on 
est  obligé  de  prendre  ainsi  la  science  toute  faite,  mais  quand  cela 
est  indispensable,  et.  franchement,  je  ne  vois  aucun  lien  entre 
l'élégie  primitive  et  l'élégie  italienne  du  XVIIIe  siècle.  On  eût  mieux 
fait  de  s'en  tenir  aux  vers  d'Horace;  l'on  eût  ainsi  évité  de  créer 
ce   Jakadas,   lequel   n'est   sans   doute   qu'une   faute  d'impression. 

A  propos  des  peintres  fiançais  :  Basta  rammentare  le  tele  de! 
dolce  Frago  :  «  l'inspiration  favorable,  le  serment  d'amour,  la  fon- 
taine d'amour,  le  songe  d'amour,  la  résistance  inutile,  le  baiser  à 
la  dérobée,  l'instant  désiré  »  e  moite  altre  anoora.  Le  dolce  Frago 
est  sans  cloute  Fragonard.  Nous  ne  relirons  jamais  assez  nos  épreu 
ves. 

A  la  page  32,  il  est  parlé  des  hexamètres  d'Euripide.   Ce  sont  des 
iambiques   trimètres.    Y.    Horat,   Ad  Pisones,   251-257. 

F.    Castets. 
28 


i22  COMI'I  I  -    RENDUS. 

E.    Faral.    —    Les    jongleurs     en     France    au    Moyen     Age.    In-8" 
I  XII.  1339.   Paria,  Champion,  1910. 

(,111c  sont  [es  jongleurs  ':  se  demande  d'abord  M.  Faral.  Et.  ré- 
sumant en  fait  son  ouvrage,  il  donne  pour  définition,  à  titra  pro- 
visoire: «  tous  «lux  qui  faisaient  profession  de  divertir  les  hom- 
mes. »  Il  montrera  en  effet  que  le  mot  valait  pour  les  acrobates  et 
faiseurs  de  tours  aussi  bien  que  pour  Les  chanteurs  de  «  geste  » 
et  les  conteurs.  Le  mot  lui-même,  dans  sa  forme  romane,  date 
du  VIIIe  ou  du  IX'  siècle.  Le  sujet  est  extrêmement  étendu,  car 
il  comprend  une  variété  infinie  de  manifestations  de  la  vie  durant 
une  longue  période. 

La  première  partie  (1-60)  donne  les  origines.  La  seconde  (61- 
221)  présente  l'époque  florissante,  le  «  règne  »,  des  jongleurs. 
La  troisième  a  pour  objet  leur  décadence  (222-251).  La  conclusion 
(253-262)  rassemble  les  résultats  obtenus.  Suivent  quatre  appen- 
dices  et   un  index. 

La  seconde  partie,  de  beaucoup  la  plus  longue,  est  fort  intéres- 
sante. Après  avoir  classé  les  jongleurs  en  raison  de  la  multiplicité 
d'emplois  auxquels  s'applique  le  nom,  M.  P.  leî  montre  dans  les 
fêtes  privées  ou  publiques,  clans  les  foires,  puis  se  transformant  en 
ménestrels,  s 'organisant  en  corporations  et  confréries  (la  confré- 
rie des  Ardents  d'Arras,  p.  133-138;  le  Puy  d'Arras,  p.  138-141). 
Après  l'examen  des  vices  attribués  aux  jongleurs,  l'on  en  vient  à 
Rutebeuf  considéré  tomme  le  type  supérieur  du  jongleur,  avec  des 
caractères  particuliers  d'originalité  et  de  réflexion.  N'a-t-il  pas 
pris  la  défense  de  Guillaume  de  Saint-Amour?  Le  chapitre  IX 
(167  221),  Les  jongleurs  et  les  genres  littéraire*,  malgré  tout 
le  soin  que  l'auteur  y  a  mis,  ne  pouvait  être  qu'une  vue  rapide 
d'éléments  très  nombreux.  M.  P.  y  prouve  tout  au  moins  une  con- 
naissance complète  de  la  poésie  du  Moyen  Age  et  l'art  de  l'in- 
terpréter au  point  de  vue  où  il  se  place.  Il  dit  d'ailleurs  lui- 
même:  «  Aussi  bien  ne  viserons-nous,  ici,  à  acquérir  qu'une 
notion  approximative  de  l'œuvre  accomplie  par  les  jongleurs,  et 
si  nous  nous  permettons  quelques  conclusions,  nous  garderons  ton 
jours  le  sentiment  qu'elles  sont  nécessairement  un  peu  vagues  et 
peut-être    insuffisamment    fondées    »    (p.    167). 

.Mais  «  l'industrie  complexe  qui  avait  fleuri  au  XIIe  et  au 
XIIF  siècle,  se  résolvait  en  une  série  de  spécialités  distinctes  et 
isolées.  On  ne  rangeait  plus  dans  une  classe  unique  les  chanteurs, 
les  acteurs,  les  montreurs  et  les  poètes...  La  poésie  et  l'art,  sous 
leurs   formes   les   plus   belles,   ont   cessé  d'être    populaires ».    Et 


COMPTES    RENDUS.  423 

ainsi  La  condition  des  auteurs  change;  ils  deviennent  de  plus  en 
plus  hommes  de  Lettres  au  sons  moderne  du  mot    (1). 

Le  jongleur,  néanmoins,  ne  disparaît  pas  encore  de  l'histoire 
des   Lettres.    Le   théâtre   comique    lui   appartient.    «   Il   faudra    Long 

temps  pour  qu'il  lui  échappe.  »  Ainsi  commence  la  troisième 
partie,  où  M.  F.  maintient  qu'il  faut  d'abord  écarter  les  souvenirs 
classiques,  et  L'influence  supposée  des  mystères  religieux.  Il  place 
«  L'origine  du  théâtre  comique  dans  L'antique  tradition  mimi- 
que dont  les  jongleurs  étaient  les  dépositaires  »   (p.   228). 

Cette  tradition  se  réduit,  à  «  L'esprit  mimique,  esprit  fort  riche, 
qui  s'exprime  de  manières  très  diverses  par  des  danses,  des  scè- 
nes muettes,  îles  dialogues  ou  autrement...  Le  mime  littéraire 
n'est  qu'une  variété  du  mime  en  général,  aussi  voisine  des  bas- 
fonds   que  des  sommets  de  l'art  »    (p.    229). 

Puis    l'on    étudie:    1"    la    danse    mimique;    2"    le    caractère    minii 
que    de    la    littérature    du     Moyen     Age  ;    3"    le     monologue    drama- 
tique ;    4"    le    mime    dialogué,    et    l'on    arrive    ainsi    au    drame    pro- 
prement  dit.    L'auteur    est    convaincu    que    «    les    comédiens    du    XV 
siècle    sont    les    descendants    directs    des    jongleurs    »     (1). 

Dans  sa  conclusion,  M.  Faral  reconnaît  que  les  jongleurs,  en 
qui  il  voit  les  continuateurs  des  mimes  de  L'antiquité  gréco-ro- 
maine, se  sont  comme  «  tapis  et  terrés  pendant  la  tourmente  qui, 
trois  siècles  pleins,  balaie  l'Europe.  C'est  seulement  au  IX'  siècle 
que,  par  bandes,  ils  commencent  à  émerger  d'un  passé  obscur  » 
(]).    253). 


(1)    P.    225  et   G.    Paris,    Esquisse   de   lu   littérature   française   nu 
Moyen    Age,    p.    210. 

(1)  Sous  le  titre  de  l'un  rivoluzione  negli  studi  irttorno  aile 
«  Chansons  de  geste  ».  M.  Pio  Eajna  vient  d'étudier  dans  les  Studi 
Medievali  (1910,  t.  III,  fasc.  3,  p.  331-391),  le  premier  volume 
de  M.  Bédier:  Le  Cycle  de  Guillaume  d'Orange.  La  conclusion  est 
défavorable  aux  idées  présentées  par  M.  Bédier:  «  Conchiudo  che, 
per  il  pubblico  a  eui  s'indirizza  il  volume  del  Bédier,  nonostante 
le  doti  d'ingegno  sfavillanti  del  suo  autore,  e  forse  fino  ad  un 
certo  segno,  per  ragion  loro,  è  stato  detto,  scritto  e  publicato  pres- 
soehè  inutilmente.  Cose  buone  e  non  belle  soltanto,  neoessaria- 
mente  vi  abbondano  ;  ma  disseminate  eome  sono  in  un  insieme  che 
non  posso  chiomar  buono,  perché,  seeondo  me  non  vero,  giovano 
poco  e  eontribuiscono  a  far  accogliere  simultaneamente  dagl'  incauti 
il  non  vero  ».  De  telles  paroles  sont  graves,  émanant  d'un  homme 
qui  possède  si   merveilleusement   notre  épopée  en  son   histoire. 


'f!'\  COMPTES    lilNDi  S. 

«    ...    Quant    à    la    littérature,    c'esi    aux   jongleurs   qu'elle  doit  le 
meilleur    de    sa    substance,    ...ils    créaient,    amplifiaient    et    répan- 
daient   une    tradition    légendaire    nationale    où    l'imagination    popu 
laire  s'abreuvait.   »    (P.   259.) 

Ainsi.  .M.  Parai  attribue  définitivement  aux  jongleurs  une  part 
de  création,  part  non  limitée,  dans  la  tradition  légendaire.  C'est 
leur  accorder  beaucoup  quand  on  me  t'ait  pas  d'autre  réserve.  L'on 
est  donc  tenté  de  revenir  à  une  distinction  entre  ce  personnel  si 
mêlé  et  très  peu  respecté  et  les  auteurs  des  premiers  chants  de 
notre  épopée  ;  on  lui  imputerait  volontiers  le  tort  de  les  avoir 
si  facilement  altérés.  On  se  résignerait  même  à  admettre  que  dans 
la  Gaule  du  Nord  les  scôps  germains  firent  naître  par  leur  exem- 
ple des  imitateurs  romans.  Il  y  avait  chez  les  Grecs  des  mimes 
et  des  acrobates,  mais  les  aèdes  en  paraissent  très  différents,  à  en 
juger  par  Démodokos  et  Phémios,  les  chantres  divins,  en  qui 
l'on  a  bien  quelque  excuse  à  entrevoir  une  relation,  une  parenté 
originelle  avec  l'auteur  de  notre  héroïque  Roland.  Affaire  de  senti- 
ment, soit,  mais  en  littérature  le  sentiment  a  sa  valeur  et  peut 
éclairer  là  où  les  documents  font  défaut. 

Tout  au  commencement  de  son  livre.  M.  F.  avait  rencontré 
l'opinion  que  les  jongleurs  sont  des  héritiers  des  skôps  germains 
en  tant  qu'ils  sont  des  poètes  et  des  chanteurs  épiques.  Plus  loin, 
p.  55,  traitant  des  jongleurs  et  des  chansons  de  geste,  il  retrouve 
Gaston  Paris  et  M.  Rajna  dont  il  écarte  la  doctrine,  s 'appuyant 
sur  l'opinion  de  M.  Bédier  «  qui  a  montré  le  rapport  étroit  de 
ces  chansons,  sous  leur  forme  la  plus  ancienne,  avec  certains 
centres  de  pèlerinage. ..  Ces  histoires  pleines  du  tumulte  des  ai 
nies,  c'est  pour  les  dévots  curieux  et  inoffensifs  qu'ils  les  au- 
raient souvent  imaginées  ».  Sou  nul  ne  veut  pas  dire  toujours,  et 
la  thèse,  ainsi  formulé,  offre  une  voie  à  la  conciliation  entre  des 
vues   qui,   de   prime   abord,   semblent    contradictoires. 

Mais  ce  n'est  pas  le  lieu  d'examiner  les  travaux,  d'ailleurs  très 
remarquables,  de  M.  Bédier;  M.  Faral  n'y  fait  en  somme  qu'al- 
lusion, incidemment,  et  l'essentiel  de  son  ouvrage  subsisterait,  alors 
même  que  l'on  se  refuserait  à  nier  avec  lui  tout  lien  entre  le 
skôps    germain   et    le    jongleur    français. 

Je  n'ai  présenté  qu'un  cadre  écourté  d'un  ouvrage  plein  de  cho- 
ses et  d'idées.  L'auteur  a  peut  être  trop  cédé  h  la  tentation  si 
naturelle- d'agrandir  le  rôle  du  jongleur:  le  caractère  d'une  thèse 
de  doctorat  me  paraît  se  déceler  en  ce  que  l'on  se  préoccupe  de 
formuler  des  conclusions  aux  endroits  eux-mêmes  où  l'on  sent 
qu'elles  ne  sont  qu'a  demi- convaincantes.  Mais  le  soin  apporté 
à  la   composition  de  l'ensemble  et  à   la  distribution  des  parties,   la 


COMPTES    RENDUS.  125 

clarté  6t  l'agrément  de  L'exposition,  et  la  documentation  très  com- 
plète, sont  des  mérites  de  premier  ordre,  surtout  en  un  pareil 
sujet,  dont  il  convient  de  reconnaître  la  difficulté.  Si  M.  Faral 
a  suivi,  comme  il  semble,  Les  cours  de  M.  Bédier,  Le  maître  peut 
être   fier  du   disciple. 

Parmi  ceux  >jui  uni  combattu  vivement  L'engouement  que  L'on 
avait'  pour  Les  «liants  et  récits  profanes,  je  crois  que  l'on  aurait 
pu  citer  Gautier  de  Ooinci.  11  prédit  «  maie  honte  »  à  ceux 
qui  ne  noient  point  aux  mirai  les  et  leui  préfèrent  le  roman  de 
Renaît  : 

Si   coin    Tardius    li    Limeçons 
Lut  et  chanta   les  .ni.   liçons 
Sur  la   bièi  e  dame  Coupée 
Que  Renaît  a  voit  esoroupée. 

(Roquet,    p.    271.) 

Ailleurs    il    soutient    que,    malgré    tout. 

Plus    délitant    sont,    fcuit    li    conte 
A  bonnes  genz.  par  saint   Orner, 
Que  de   Renart   ne  de   Romer 
Ne  ue  Tardiu  le  limeçon 

(Poquet,    p.    375). 

Les  contes  dont   il   s'agit   ici,   sont  les   siens. 

Pour  le  si  joli  fabliau  de  Merlin  Mellot,  il  eût  été  bon  de  ren- 
voyer aussi  à  la  version  que  Méon  a  donnée  sous  le  titre  du 
Vilain  Asnier  {Nouveau  recueil,  II,  p.  236).  &e  texte,  pris  de  la  Vie 
(/(.s  Pères,  est  plus  complet  que  la  version  en  quatrains  mono- 
rimes  que  Jubinal  a  imprimée  (Nouveau  recueil,  I,  p.  128);  il 
avertit  que  le  fabliau  a  déjà  été  publié  par  iléon  sous  un  autre 
titre:  mais  il  parle  à  tort  d'une  conformité  des  deux  éditions. 
Les  deux  textes  diffèrent  par  l'étendue  et  par  le  mètre  employé 
(  V.  t.  I,  Préface,  vr).  A  la  fin  de  son  second  volume,  Jubinal 
décrit  un  manuscrit  (Nationale  1132,  suppl.  français),  où  il  a 
rencontré  aussi  le  Dit  <J<  Mellin  Mellot.  Il  cite  les  huit  premiers 
vers  de  l'introduction,  qui  n'ont  rien  de  commun  avec  le  texte  de 
la  Vie  des  Pères.  L'auteur  dit  qu'il  ignore  qui  a  écrit  cette  narra- 
tion. Les  vers  sont   octosyllabes  comme  ceux  de  la   version  de  Méon. 

Ferdinand   Castets. 


i26  <  ompi  i  -  m  mm  s. 

J.  Beck.  —  La    Musique  des  Troubadoure,   Paris,   II.    Laurens   (Col- 
lection des  Musiciens  célèbres).   128  pages,  petit  in-8°.    (2  fr.   50.) 

l'eu  <ir  temps  après  la  publication  de  Bon  grand  ouvrage  sur  les 
Melodien  der  Troubadours  (cf.  Rev.  lang.  rom.,  t.  LUI,  p.  208), 
M.  Jean  I!.  Beck  t'ait  paraître  un  livre  de  vulgarisation  sur  le 
même  sujet.  I  ta  ne  saurait  trop  le  remercier  d'avoir  mis  ainsi  à  la 
portée  «le  toul  le  monde  les  résultats  de  ses  recherches.  Les  Melo- 
dien der  Troubadours  n'étaient  pas,  à  la  vérité,  destinées  exclu- 
sivement aux  musicologues  de  profession  :  l'auteur,  qui  écrivait 
autant  pour  les  romanistes  que  pour  les  musicologues,  ne  sup- 
posait  à  ses  lecteurs  presque  aucune  instruction  musicale  ou  mu 
sicologique.  .Mais  la  musicologie  a  malheureusement  l'inconvénient 
d'inspirer  un  respect  par  trop  mêlé  de  crainte  aux  profanes  pour 
que  les  Melodien  der  Troubadours  aient  pu  compter  sur  la  diffu- 
sion qu'elles  auraient  dû,  en  bonne  justice,  avoir  parmi  les  phi 
lologues. 

Vn  petit  livre  do  popularisation  n'a  pas  à  se  heurter  à  ces  pré- 
ventions, et  aidera  sans  doute  les  romanistes  à  aborder  l'étude  des 
Melodien  der  Troubadours,  dont  la  connaissance  leur  est  indispen- 
sable. Il  rendra  aussi  de  grands  services  aux  étudiants,  qui  ne  sau- 
raient se  désintéresser  complètement  d'un  sujet  qui  domine  à  la 
fois  la  théorie  du  vers  roman  et  l'histoire  de  la  poésie  lyrique  au 
moyen  âge.  Le  grand  public,  enfin,  saura  gré  à  l'auteur  de  lui  avoir 
donné  un  livre  de  lecture  agréable  autant  qu'instructive,  qui  le 
renseignera  de  première  main  sur  l'œuvre  de  nos  anciens  chanson- 
niers (1). 

M.  Beck  ne  semble  pas  avoir  eu  en  vue  d'autres  catégories  de  lec- 
teurs que  celles  que  je  viens  d'énumérer.  On  se  tromperait  pour- 
tant, si  l'on  croyait  que  Lu  Musique  des  Troubadours  n'est  qu'un 
résumé  populaire  des  Melodien  der  Troubadours.  Assurément,  l'ex- 
posé de  la  théorie  de  l'interprétation  modale  des  chansons  notées 
en  caractères  non  mesurés  y  tient  une  grande  place,  puisque  c'est 
cette  théorie  qui  nous  permet  de  reconstituer  les  mélodies  mé- 
diévales dans  leur  rythme  original.  Mais  M.  Beck  ne  s'en  est  pas 
tenu  là.  Avec  juste  raison,  il  a  pensé  qu'un  livre  comme  le  sien 
ne  pouvait  pas  se  borner  à  l'exposé  d'un  seul  problème,  si  impor- 
tant  qu'il   fût,    mais   qu'il   devait   offrir   aux   lecteurs   tous   les   ren- 


(1)  Le  livre  s'occupe  autant  de  la  musique  des  troubadours  que 
de  celle  des  trouvères.  «  Troubadour  »  est  pris,  dans  le  titre 
de  l'ouvrage,   au  sens   large  du  mot. 


COMPTES    RENDUS.  12*7 

seignements  et  toutes  les  explications  qui  sonl  nécessaires  pour 
apprécier  et  comprendre  la  musique  des  troubadours  et  des  trouvères. 
De  la  sorte,  il  nous  a  donné  une  esquisse  d'ensemble,  qui  cons 
bîtue  un  manuel,  élémentaire  mais  très  nourri,  de  musicologie 
appliquée  à  la  philologie  romane.  On  en  jugera  quand  j'aurai 
donné  un  résumé  succinct  du  livre. 

Après  un  court  avant  propos,  où  M.  Beck  justifie  la  disposi 
tion  (m  livre  et  sa  méthode  d'exposition,  il  aborde,  dans  la  pre- 
mière partie  de  l'ouvrage,  le  côté  théorique  du  problème.  P.  8  à 
24  contiennent  une  esquisse  <\u  développement  de  la  musique  anté 
rieurement  aux  troubadours.  P.  24  à  46  sont  consacrées  à  l'es 
posé  de  l'évolution  de  la  notation  musicale,  depuis  les  neumes  primi- 
tifs jusqu'au  système  proportionne]  de  la  notation  Eranconienne.  Le 
chapitre  suivant  (p.  47  à  61)  traite  du  rythme,  de  la  mesure  et  de 
l'interprétation  modale.  Après  avoir  ainsi  préparé  le  lecteur  a  com 
prendre  l'œuvre  musicale  des  troubadours  et  des  trouvères,  M.  Beck 
étudie,  dans  la  seconde  partie  du  livre,  les  principaux  genres  lyri- 
ques. Cette  étude  est  combinée  avec  l'analyse  musicale  d'une  ving- 
taine de  mélodies  que  M,  Beck  transe  lit  en  notation  moderne.  De 
courtes  mais  très  suffisantes  remarques  sur  la  théorie  médiévale 
de  la  tonalité,  intercalées  dans  les  analyses,  complètent  cette  partie 
du  livre.  Une  bibliographie  raisonnée,  un  répertoire  des  définitions 
et  trois  tables  terminent  le  volume. 

Quand  on  considère  que  le  livre  n'a  que  128  pages,  dont  huit 
sont  occupées  par  la  bibliographie  et  les  différentes  tables,  vingt- 
quatre  par  les  douze  planches  hors  texte,  une  quinzaine  par  les 
transcriptions  des  chansons  et  quatre  à  cinq  par  les  treize  figures 
(fac-similés  pour  la-  plupart)  insérées  dans  le  texte,  on  est  vrai- 
ment surpris  de  l'art  avec  lequel  M.  Beck  a  su  faire  tenir  en  si 
peu  de  place  tant  de  matières.  Dans  l'avant-propos,  M.  Beck  nous 
explique  qu'il  n'a  réalisé  ce  tour  de  force  qu'en  s'astreignant  à  une 
concision  extrême,  et  exprime  la  crainte  que  la  clarté  de  l'expo- 
sition n'en  ait  pâti.  Cette  crainte  semble  un  peu  chimérique  :  l'ou- 
vrage est  parfaitement  clair,  d'un  bout  à  l'autre  Quant  à  la  con- 
cision, il  est  certain  qu'il  serait  difficile  de  retrancher  quoi  que 
ce  soit  du  livre.  Mais  je  n'ai  pas  remarqué  que  le  style  en  soit 
particulièrement  condensé.  A  deux  ou  trois  phrases  près,  qui  sem- 
blent  en   effet   un   peu    trop    ramassés    (1).    La    Musiqut    des    Trou- 


(1)  P.  51  (après  la  citation)  ;  p.  95  (début).  On  remarque  aussi 
que  M.  Beck.  qui  semble  avoir  voulu  d'abord  accompagner  ses 
transcriptions   du    texte    poétique   intégral,    a   dû    y   opérer   au    der- 


WN  COMPTES    RENDUS. 

badours  se  lit  non  seulement  facilement,  mais  enoore  trèa  agréable- 
ment. La  langue,  en  est,  à  la  vérité,  sobre.  .Mais  est-ce  vraiment  un 
défaut  y  Pour  ma  part,  j'estime  qu'on  exagère  singulièrement  le. 
■  du  o  grand  public  »  pour  le  vain  verbiage  et  j'ai  bien  peur 
que  les  soi-disant  élégances  de  style  dont  <>n  a  loutume  (remail- 
ler les  livres  de  vulgarisation  ne  constituent  une  injure  gratuite  à 
l'égard  des  gens,  qui,  pour  n'être  pas  des  spécialistes,  ne  sont 
pas    nécessairement    des    gens    sans    goût. 

L'abseme  de  toute  rhétorique  est  du  reste  conforme  au  but  que 
s'est  proposé  M.  Beck  en  écrivant  son  livre.  Il  n'a  pas  voulu  amuser 
ses  lecteurs,  mais  les  instruire,  et  la  rigueur  avec  laquelle  il  con- 
çoit ses  devoirs  d'initiateur  scientifique  est  extrême  (voy.  p.  ex.  la 
sévérité  avec  laquelle  il  juge  lui  même  la  méthode  d'exposition  par 
lui  employée  dans  la  seconde  partie  de  l'ouvrage,  méthode  que  je 
(  pois  d'ailleurs  excellente).  Je  crains  même  (pie  sous  ce  rapport-là, 
M.  Beck  n'ait  commis  un  petit  excès  en  s'interdisant  d'harmoniser 
ses  transcriptions,  son  livre  «  devant  rester  strictement  documen- 
taire ».  Je  ne  saisis  pas  bien  en  quoi  ce  caractère  documentaire 
serait  altéré,  si  M.  Beck  avait  fait  suivre  le  texte  original  des 
accords  consommante,  dont  la  substance  mélodique  est  au  surplus 
renfermée,  de  l'aveu  de  l'auteur,  dans  la  suite  tonale  des  phrases  ou 
les  ornements  de  l'original.  En  invitant  les  lecteurs  à  faire  sacri- 
fice des  habitudes  esthétiques  modernes,  M.  Beck  parle  bien  à  son 
aise,  puisqu'il  ne  lui  coûte  rien  à  lui,  qui  vit  depuis  des  années 
dans  l'intimité  des  mélodies  pures  du  moyen  âge,  de  renoncer 
à  l'accompagnement  harmonique.  Mais  ne  fait  sacrifice  qui  veut. 
et  la  plupart  dt^  lecteurs  de  M.  Beck  lui  sauront  mauvais  gré  de 
leur  avoir  offert  des  textes  en  leur  interdisant  de  les  goûter.  En 
faisant,  l'année  dernière,  à  l'Académie  des  Inscriptions  et  (U^  Bel- 
les-Lettres, une  communication  sur  son  système  de  l'interprétation 
modale,  M.  Beck  n'a  pas  craint  de  s'accompagner  sur  le  piano,  et 
personne  ne  l'en  a  blâmé,   que  je  sache   (1).   Ce  qui  était  de  mise  à 

nier  moment  des  amputations.  Voy.  notamment  p.  104,  où  l'on 
suppose  la  connaissance  des  couplets  finaux  de  la  chanson  de  la 
11' Ile  Doëtc,  alors  que,  p.  103,  on  n'en  a  communiqué  (pie  le 
premier.  Il  en  est  de  même  de  la  chanson  Voir:  vos  que  je  vos 
chant,  p.   107. 

(1)  La  seule  critique  que  M.  Beck  se  soit  vu  adresser  au  sujet 
de  cette  communication  a  été  présentée,  à  une  séance  subséquente 
de  l'Académie  des  Inscriptions,  par  M.  Pieire  Aubry.  .Mais  elle 
portait    sur    tout    autre    chose.    Comme    M.    Pierre    Aubry    l'a    dé- 


COMPTES    REND1  S.  129 

l'Institut  de  France  n'aurait  certainement  pas  été  déplacé  dans 
un  livre  de  vulgarisation.  M.  Beck  semble  s'en  rendre  compte  lui- 
même  puisqu'il  promet  de  publier  prochainement  un  Choix  dt  chan- 
sons '/' s  troubadoursi  transcrites  avec  accompagnement  de  piano 
ou  de  harpe. 

Cette  petite  réserve  fait»)  je  n'ai  qu'à  louer  la  méthode  de  l'au 
teur.  Sun  trait  distinctif,  c'est  de  ne  dire  rien  qui  ne  puisse  être 
compris  par  le  lecteur.  .M.  Beck  prend  à  cœur  d'expliquer  chaque 
proposition  qu'il  formule.  Rien  n'avait  plus  besoin  d'être  traité  de 
cette  manière-là  qu'un  ouvrage  de  musicologie,  Car,  si  les  ouvrages 
de  vulgarisation  qui  s'adressent  à  l'intelligence  et  non  à  la  mé 
moire  des  licteurs  ne  sont  pas  très  communs  en  général,  ils  sem- 
blent faire  complètement  défaut  en  matière  musicale,  Si  l'exemj  le 
de  M.  Beck  était  suivi  par  ses  confrères,  la  musique  cesserait 
bientôt  d'être,  pour  la  plupart  des  mortels,  un  livre  fermé  de 
sept  sceaux.  Ce  qu'on  peut  affirmer  d'ores  et  déjà,  c'est  que  la 
musique  des  troubadours  ne  saurait  plus  passer  pour  en  être  un, 
au    plus    grand    avantage    des    romanistes. 

Jo  viens  de  dire  que  malgré  l'exiguïté  de  la  place  disponible, 
les  explications  de  M.  Beck  sont  claires.  J'ajouterai  que,  grâce 
à  l'emploi  judicieux  de  l'illustration,  elles  sont  très  vivantes.  Les 
cbjap^tres  les  pins  techndqu|e6|,  comme  par  exemple  ceux  con- 
sacrés à  la  paléographie  musicale,  n'ont,  eux  mêmes,  rien  de  sec 
ni  d'aride.  On  suit  partout  l'auteur  avec  intérêt  parce  qu'on 
n'est  jamais  avec  lui  dans  le  domaine  <h-  la  spéculation  abstraite. 
Son  procédé  habituel,  c'est  de  partir  d'un  exemple  concret  — 
fac-similé,  chanson,  phrase  mélodique  ou  expérience  acoustique,  — 
et  de  présenter  ses  explications  sous  la  forme  du  commentaire  d'où 
se  déduit  la  règle  générale. 
Les  chansons  transcrites  dans   la   seconde  partie  de  l'ouvrage  sont 


claré  lui-même,  avec  une  délicatesse  charmante,  «  il  était  venu  à 
l'Académie  simplement  pour  combler  une  lacune  bibliographique  de 
la  communication  de  M.  Beck,  et  rappeler  qu'au  mois  de  juin 
1907  il  avait  publié  dans  la  Revue  musicale  et  ensuite  en  tirage  à 
part,  c'est-à-dire  quelques  mois  avant  le  livre  de  M.  Beck,  une 
longue  étude  à  ce  sujet  ».  (Académie  des  Inscr.  et  Belles-Lettres, 
comptes  rendus  des  séances.  1S09,  p.  231.)  On  sait  que  depuis, 
une  sentence  arbitrale,  rendue  à  l'unanimité  des  voix,  a  constaté 
que  l'étude  dont  M.  Aubry  avait  r\u  pouvoir  entretenir  l'Académie 
constituait  un  plagiat  au  préjudice  de  M.  Beck.  Voy.  Annales  du 
Midi,   XXII,  p.   113  sqq. 


130  COMI'Ï  ES    RI  MHS. 

accompagnées   d'une    traduction    en    vers   quand    elles    sont    proven- 
çales,   en    prose    quand    elles    sont     françaises.    Cette    différence 
me   semble   pas   très   justifiée.   Je  doute   que   les  chansons  des   trou- 
vères   puissent,    «    à    la    rigueur,    être    exécutées    dans    leur    textes 
originaux  »  par  des  Lecteurs  non  romanistes. 

J'insiste  tant  sur  la  manière  dont  M.  Beck  traite  son  Bujet, 
parce  que  ce  point  me  paraît  capital  pour  juger  de  la  valeur  d'un 
ouvrage  de  vulgarisation.  11  convient  pourtant  de  dire  aussi  quel- 
ques mots  du  sujet  lui-même.  L'idée  principale  du  livre,  celle 
qui  la  domine  d'un  bout  à  l'autre  et  en  fait  l'originalité  scienti- 
fique, c'est  le  caractère  savant  de  la  lyrique  médiévale,  ses  ori- 
gines religieuses  et  l'influence  profonde  que  la  musique  pieuse 
des  clercs  ne  cesse  jamais  d'exercer  sur  l'art  >\i^  troubadours  et 
dis  trouvères.  La  théorie  des  origines  populaires  de  la  poésie  ly- 
rique  ne  résiste  pas  à  l'examen  musical.  La  preuve  la  plus  topique 
peut  en  être  fournie  précisément  poux  les  chansons  narratives  et 
dramatiques,  qui  passaient  jusqu'à  présent  pour  avoir  conservé  le 
mieux  le  caractère  populaire.  La  musique  dés  aubes  et  des  chan- 
sons d'histoire  est  artificielle  et  compliquée,  et  est  «  peut-être 
la  plus  savante  que  des  troubadours  aient  composée  »  :  dans  les 
romances  et  les  pastourelles,  on  surprend  aussi  de  réminiscences  de 
mélodies  pieuses;  plusieurs  d'entre  elles  «  se  chantent  même,  note 
pour  note,  sur  des  airs  des  compositions  religieuses  ».  Dans  ses 
analyses  musicales,  M.  Beck  insiste  sur  les  modulations  raffinées 
de  toutes  ces  mélodies  qui  exigeaient,  pour  être  exécutées,  des 
chanteurs  rompus  à  toutes  les  difficultés  du  métier.  Quant  aux 
rapports  des  chansons  à  personnages  avec  la  musique  de  danse, 
M.  Beck  les  constate  surtout  clans  les  pastourelles.  L'apparition 
soudaine  de  la  lyrique  provençale  dans  la  deuxième  moitié  du  on- 
zième siècle  est  mise  en  relation  avec  le  développement  de  la 
musique  religieuse  à  la  même  époque  en  Limousin,  particulière- 
ment   à    Sainu-Martiai-de-Lknoges. 

Ce  bref  aperçu  suffit,  j'espère,  pour  montrer  l'intérêt  du  livre 
non  seulement  pour  les  musicologues,  mais  aussi  et  surtout  pour  les 
romanistes.  La  plupart  des  questions  qui  concernent  l'histoire  de 
la  vérification  et  l'histoire  de  la  poésie  au  moyen  âge  ne  peuvent 
être  résolues  que  par  une  étude  minutieuse  de  l'histoire  de  la 
musique.  Cette  thèse,  dont  le  bien-fondé  ne  fait  pas  de  doute  pour 
ceux  qui  s'occupent  de  la  poésie  latine  au  moyen  âge  depuis 
la  publication  de  la  belle  étude  de  M.  Wilhelm  Meyer  (de  Spire) 
sur  les  Fragmenta  Burana,  devrait  aussi  être  admise  par  les  ro- 
manistes. Mieux  que  tous  les  raisonnements,  le  livre  de  M.  Beck 
les   convaincra    de    la    nécessité'   d'étudier   de    très    près    l'histoire   de 


COMI'I  I  S    RENDUS.  131 

la  musique.    Et,  grâce  à  la   simplicité  et   à   la   clarté  avec  lesquelles 
M.    Beck    expose    lis    problèmes    1rs    plus    ardus    de    la    musicogra 
phie,    ils  n'éprouveront    aucune  difficulté  à  s'initier  à  cette  science, 
qui   est   moins   impénétrable   qu'on    ne    pense   communément. 

En  s'astreignant  à  écrire  an  petit  livre  de  vulgarisation  et  en 
trouvant  un  éditeur  assez  généreux  pour  le  donner  au  public 
pour  un  prix  infime,  M.  Beck,  aidé  par  son  éditeur,  a  fait  tout 
ce  qu'il  était  en  son  pouvoir  de  Eaire  pour  faciliter  aux  roma- 
nistes de  se  familiariser  avec  un  ordre  de  recherches  qui  passait, 
bien  à  tort,  pour  être  étranger  à  leurs  études.  C'est  à  eux  do 
profiter  de  cette  occasion  et  de  combler  au  plus  tôt  cette  fâcheuse 
lacune  de   leur  éducation   professionnelle. 

Je  termine  cette  notice  par  quelques  observations  de  détail  ; 
chemin  faisant,  je  note  et  corrige  les  fautes  d'impression  quand 
elles   ont    quelque   importance. 

P.  29.  «  forme  dite  liquescente  qui  se  place  le  plus  souvint  à 
la  rencontre  de  deux  consonnes  ou  de  deux  demi  voyelles  ».  On 
enseigne  généralement  que  cette  forme  se  place  soit  au-dessus  du 
groupe  iniitn  cum  liquida,  soit  au-dessus  d'une  diphtongue.  Si  la 
formule  de  M.  Beck  n'implique  aucune  différence  de  doctrine,  il 
aurait  été  préférable  de  garder  les  termes  traditionnels,  quitte  à 
les  expliquer  au  glossaire-index.  La  phrase  aurait  gagné  à  la  fois 
en  clarté  et  en  précision.  —  P.  83.  Il  ne  fallait  pas  parler  de 
la  «  chanson  couronnée  »  sans  expliquer  ce  que  Jean  de  Grouchi 
entend  par  contins  coronatus.  Le  lecteur,  non  prévenu,  y  verra 
à  coup  sûr  une  chanson  distinguée  dans  un  concours  par  un  prix 
au  lieu  d'y  voir  le  nom  d'un  genre  lyrique  J'ignore  aussi  sur 
quoi  l'auteur  fonde  l'hypothèse  qu'il  formule  dans  ce  passage.  — 
P.  86,  1.  4  d'en  bas.  Lisez:  de  Saint-Cire.  —  P.  87.  1.  19.  Sup- 
primez: qui  (après  la  virgule).  —  P.  91,  1.  8.  Lisez:  chant  XXVIII. 
- —  P.  94.  au  début  de  l'alinéa,  lisez  :  jocs  partitz.  —  Planche 
YIII.  La  légende  qui  l'accompagne  porte  seulement  :  «  Une  page 
d'un  chansonnier  fiançais  du  début  du  XIVe  siècle.  Notation  me- 
surée. Bibl.  Nat.  f.  fr.  846.  »  M.  Beck,  cédant  sans  doute  à  un 
scrupule  de  fausse  modestie,  n'a  pas  cru  devoir  y  ajouter  un  renvoi 
aux  Melodien  rfrr  Troubadours,  p.  122.  n.  1  et  a,  où  sont  expli 
quées  les  irrégularités  de  la  notation  de  ce  ms.  C'était  pourtant 
indispensable,    puisque    ces    irrégularités    sont    assez    nombreuses. 

Jean    Acher. 

P. -S.  —  Le  compte  rendu  que  j'avais  publié  ici  (LUI,  p.  208  sqq.) 
des   Melodien  der    Troubadours   de    M.    Beck    provoqua-   une   protes- 


43*2  COMPTES    RI  M»i:S. 

bation  de  la  pari  d'un  privat-dooent  de  musicologie  à  Strasbourg, 
M.  Ludwig  Friedrich),  qui  m'écrivit,  au  mois  de  juin  dernier,  pour 
réclamer  pour  lui  l'honneur  d'avoir  établi  le  premier  l'interpréta- 
tion modale  dee  chansons  dee  troubadours  et  des  trouvères  que  M. 
Beck  se  serait  ensuite  appropriée.  A  ma  demande  de  vouloir  bien 
m'indiquer  l'ouvrage  où  il  avait  exposé  la  théorie  de  l'interpréta- 
tion modale.  M.  Ludwig  répondit  qu'il  n'avait  encore  rien  publié  à 
io  sujet,  mais  qu'il  avait  communiqué  oralement  cette  théorie  à 
M.  Beck;  qu'un  livre  en  coure  d'impression  de  M.  Ludwig  devait 
saisir  l'opinion  publique  de  cet  incident,  et  que  la  feuille  conte- 
nant l'exposé  de  ses  griefs  était  tirée  depuis  de  longs  mois.  Avant 
de  faire  droit  à  la  réclamation  de  M.  Ludwig  je  crus  devoir  pren- 
dre quelques  renseignements  à  Strasbourg.  Ils  furent  nettement 
défavorables  à  M.  Ludwig.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  M.  G. 
(Jroeber.  que  M.  Ludwig  prétendait  avoir  entretenu  en  temps  utile 
de  ses  prétentions  à  la  priorité,  opposa  un  démenti  formel  à  cette 
affirmation  et  qu'il  se  déclara-  prêt  à  certifier  que  M.  Beck  était  en 
possession  de  sa  méthode  comparative  dès  avant  l'arrivée  de  M. 
Ludwig  à  Strasbourg.  Et  comme  M.  Ludwig  se  refusa,  an  surplus. 
à  me  communiquer  la  feuille  de  son  livre  dont  il  vient  d'être  parlé, 
on  ne  peut  garder  aucun  doute  sur  le  caractère  de  .*cs  prétentions. 
■  le  n'en  parle  ici  que  pour  mettre  en  garde  contre  M.  Ludwig  ceux 
des  romanistes  qui  peuvent  avoir  l'occasion  de  s'occuper  des  mélo- 
dies des  trouvères  et  des  troubadours  et  qui  sont,  par  conséquent, 
exposés  à  subir  des  réclamations  de  ce  personnage.  La  découverte 
de  M.  Beck  excite  des  convoitises,  c'est  la  seule  moralité  de  cette 
histoire.  J.    A. 

C.  Frati.  —  Re  Enzo  e  un'  antica  versione  francese  di  due  trattati 

di    i'alooneria    [Estratto   dalla    Miscettanea    Tassoniana,    p.    61-81]. 
Modcne,  G.   Ferraguti.   1908. 

Il  s'agit  de  deux  traités  de  fauconnerie  contenus  dans  un  ma- 
nuscrit du  XIVe  siècle,  qui,  après  avoir  appartenu  a  la  Bibliothè- 
que de  l'Université  de  Padoue,  se  trouvent  maintenant  à  la  Biblio- 
thèque Saint-Marc,  de  Venise.  La  traduction  fut  faite  sur  l'ordre 
du  roi  de  Sardaigne,  Henri,  second  fils  de  l'empereur  Frédé- 
ric H.  et  passionné,  comme  son  père,  pour  l'art  de  la  faucon- 
nerie. Elle  paraît  être  du  milieu  du  XIII"  siècle,  et  cette  date 
reculée  donne  une  grande  valeui  à  cette  traduction  française  exé- 
cutée par   un   italien. 

M.  C.  Frati  étudie  sommairement  les  diverses  copies  de  l'ori- 
ginal    latin     (traduit     lui-même     de     l'arabe)  ;     il     décrit    ensuite     le 


COMPTES    RENDUS.  i33 

tnanuserii  et  publie  —  en  outre  des  prologues  —  la  lin  de  cha- 
cun des  livres  àbnl  se  compose  le  premier  traité  de  faucon- 
nerie. Le  second,  qui  est  moins  important,  est  décrit  suivant  la 
même    méthode. 

.1.      ÂNGLADE. 

W.  Kùchler.  —  Dis  Cent  Nouvelles  Nouvelles.  Chemnitz.  W. 
Gronau,    1906.    Gr.    in  8,    1-68   p. 

L'auteur  de  cette  Habitationsschrift  de  l'Université  de  Gies 
sen  s'est  attache  surtout  a  rechercher  les  sources  des  Cent  Nou- 
velles Nouvelles.  La  question  de  savoir  quel  est  l'auteur  du  recueil 
le  laisse  indifférent,  ou  plutôt  ce  n'est  pas  là  l'objet  de  son  tra 
vail  ;  mais  l'étude  des  sonnes  est  faite  avec  un  grand  soin  et  une 
grande  minutie,  'l'ont  ce  qui  appartient  aux  recueils  antérieurs, 
français  ou  étrangers,  tout  ce  qui  se  retrouve  dans  le  folklore  est 
rapproché  de  chaque  récit  :  un  petit  nombre  de  nouvelles  ont 
résisté  à  ces  consciencieuses  recherches.  Les  conclusions  les  plus 
importantes  cte  l'auteur  sont  les  suivantes:  l'influence  italienne  est 
à  peu  près  nulle,  car  ce  qui  est  —  ou  paraît  —  imité  du  Pogge 
était  déjà  connu  par  le  folklore  et  l'auteur  des  Cent  Nouvelles 
Nouvelles   n'a    rien   emprunté   de   spécifiquement   italien. 

Cette  recherche  des  sources  n'est  d'ailleurs  qu'un  chapitre  d'un 
travail  plus  général  dont  la  suite  a  paru  dans  la  Zeitschrift  fiir 
franzôsische  Spraclte  und  Litteratur  de  Behrens.  Cette  suite  se 
compose  do  deux  chapitres:  l'un  sur  la  technique  des  Cent  Nou- 
velles Nouvelles  (style,  composition,  caractères;)  et  l'autre  sur 
l'esprit  du  recueil  et  ses  rapports  avec  l'esprit  de  son  époque*.  Mais 
tout  ceci  est  subjectif;  c'est  surtout  la  première  partie,  avec  les 
résultats  objectifs  qu'elle  nous  offre,  qui  nous  paraît  importante 
pour   l'histoire   de    la    nouvelle   en    France. 

J.    Anp.lade. 

R.    Menéndez-Pida!.     —    L'Epopée     Castillane    à    travers    la    Litté- 
rature  espagnole.    Traduction   de   Henri    Mérimée,  avec   une   pré- 
face de  Ernkst   Mérimée,   Paris,   Colin.    Prix:  3  fr.    50. 
Voici    un    ouvrage    qui    vient    à    son    heure    pour    rectifier    la,    con- 
naissance   incomplète  et   même    erronée   que    nous   avons   de    l'épopée 
espagnole. 

L'auteur,  M.  Ramén  Menéndez  Pidal,  doit  être  placé  au  pre- 
mier rang  des  érudits  qui  étudient  l'évolution  historique  et  phi- 
lologique des  légendes  épiques  de  l'Espagne.  Depuis  1898,  date  à 
laquelle   il   publia   La   Légende   des    Infants   de   Lara   qui    fit    sensa- 


134  COMPTES    li INDUS. 

tioii    dans    le    i ide    des    romanistes,    il    a,    dans    de    nombreuses 

monographies,  élm-idé  certains  points  obscurs  de  la  question  si 
délicate  et  si  controversée  de  l'épopée  espagnole.  Il  restait  à  ex- 
poser cette  question  dans  un  ouvrage  d'ensemble,  accessible  au 
public   cultivé. 

L'occasion  a  été  fournie  à  M.  Pidal  par  l'Université  améri- 
caine .lohns  Uopkins,  qui  lui  avait  demandé  d'occuper,  en  1909. 
une  chaire  où  se  firent  entendre  des  maîtres  comme  M.  Bru- 
netiére.  Les  conférences  qu'il  a  données  là-bas  ont  été  prononcées 
en  français  d'après  une  traduction  préparée  par  M.  Henri  .Méri- 
mée, maître  de  conférences  à  l'Université  de  Montpellier.  C'est 
cette  traduction  retouchée  et  mise  à  jour  sur  les  indications  de 
l 'auteur  lui-même  qui   forme   le  présent  ouvrage 

En  sept  chapitres,  où  l'exposition  alerte,  vivante  et  colorée  e6t 
soutenue  par  une  documentation  extrêmement  précise,  M.  Pidal 
suit  à  travers  les  siècles  les  transformations  qu'a  subies  l'épopée 
castillane,  dans  les  chansons  de  geste  du  haut  moyen-âge  dans  les 
«  romaines  »  de  la  pré  Renaissance,  dans  les  «  comédies  »  du 
théâtre  classique,  et  jusque  dans  les  œuvres  lyriques  des  poètes 
modernes.  L'ouvrage  est  magistralement  présenté  aux  lecteurs  fian- 
çais par  une  préface  de  M.  Ernest  Mérimée,  qui  est  en  Fiance, 
l'un  des  restaurateurs  et  l'un  ries  représentants  les  plus  autorises 
des  études  hispaniques. 

M.     Cagnac.     —    Fénelon,     études    critiques.     Pari*,    Société    Fran~ 
çaise    d'Imprimerie    et    do  Librairie.  Prix:    3   fr.    50. 

M.  Moïse  Cagnac  donne  enfin  au  public  lettré  ses  Etudes  criti- 
ques sur  Fénelon.  Depuis  sa  remarquable  thèse  de  doctorat:  Fé- 
nelon, directeur  de  conscience,  1901,  les  hommes  de  lettres  avaient 
convié  le  jeune  docteur  à  une  étude  complète  des  ouvrages  du 
grand    archevêque   de    Cambrai.    C'est    chose    faite   aujourd'hui. 

Sans  doute  un  volume  ne  serait  pas  trop  pour  chaque  partie 
de  cette  œuvre  immense:  Pédagogie,  Littérature,  Politique,  As 
cétisme,  Controverses  sur  le  Jansénisme.  Mysticisme;  mais  le 
temps  n'est  pas  aux  ouvrages  trop  longs,  et  M.  Cagnac  a  dû 
mettre  en  dix  chapitres  la  matière  de  plusieurse  volumes.  Syn- 
thèse difficile,  qu'avait  jadis  tentée  M.  Lanson  pour  Bosquet  (So- 
ciété française  d'Imprimerie  et  de.  Librairie).  Moïse  Cagnac  a  sui/i 
le  même  plan  que  M.  Lanson  ;  il  a  élevé  à  Fénelon  un  monu- 
ment   remarquable. 

Les   deux    grands    évêques    du    XVII'    siècle    ont    trouvé    en    MM 
Lanson    et    Cagnac    des    critiques    clairvoyants.     Les    jugements    ne 


COMPTES    RENDUS.  135 

sont    pas   tout    admiraiifs.    La    critique   es!    Eranche,    Loyale.    Les   dé 
faute  îles  grands  hommes   ne  sauraient    nous  étonner.    (  ela    I' 
proche  de   nous.    Nous  entendons   mieux   les   Leçons  qu'ils  nous  don- 
nent. 

E.  Montier.  —  De  L'Amitié,  suite  des  «  Propos  du  Véghel  ». 
Paris,  Sociéti  Française  d' Im/primerù  il  <!<  Librairie.  Prix: 
1   franc. 

Cette  nouvelle,  étude  de  M.  Edward  Montier  fait  suite  aux 
propos  du  Véghel:  ['Education  du  sentiment  et  Au  seuil  des 
noces,  qui  ont  remporté  auprès  des  jeunes  gens  et  de  leurs  édu- 
cateurs  eux-mêmes    an    si    encourageanl    succès. 

De  l'Amitié  est  un  dialogue  encore,  facile  et  poétique,  une  an 
thologie  psychologique  pourrait-on  dire,  de  ce  sentiment  précurseur 
de  l'amour  à  travers  les  âges,  depuis  Achille  ei  Patrocle  jusqu'à 
Laoordaire  et   Montalembert. 

L'auteur,  avec  une  singulière  acuité,  a  creusé  Le  problème  de 
l'amitié;  il  en  a  suivi  l'évolution  païenne  jusqu'au  Christ,  et  après 
lui,  et  à  son  modèle  s 'élevant  aux  sublimités  de  l'apostolat  en 
mun. 

Cette  nouvelle  causerie,  au  bord  de  la  mer,  à  la  manière  anti- 
que, a  le  charme  attendri  et  pénétrant  de  ses  devancières.  Elle 
constitue  le  bréviaire  des  amis  chrétiens.  La  grâce  abandonnée  du 
style,  la  multiplicité  des  images,  l'accent  de  sincérité  des  pensées, 
t'ont  très  vivante  cette  dissertation  dans  laquelle  semble  Ri  con- 
courir  la    psychologie   et   La   littérature. 

J.-H.  Rosi:y.  —  Les  Audacieux.  Paris,  Société  Françaisi  d'Impri- 
merie et  de  Librairie. 

Ce    recueil   de    nouvelles    vivantes    et    vibrantes,    aventures    et    dra- 
mes,   qui    presque    toutes    nous    montrent    l'effort    de    l'homme    aux 
prises  avec  tous  les  dangers,  est  une  forte  et  nouvelle  leçon  d'éner 
gie    et   d'initiative    donnée    par    les    deux    maîtres    écrivains    à    nos 

jeunes    générations. 

E.  Faguet.  —  La  démission  de  la  morale.  Pari*,  Société  Française 
d'Imprimerie   et   de   Librairie. 

«  J'aurais  peut-être  dû.  dit  M.  Faguet  en  terminant  son  livre 
sur  la  Démission  de  la  morale,  ne  pas  écrire  ce  volume  et  me 
contenter  de  transcrire  cette  ligne  d'Alfred  de  Vigny  :  L'honneur. 
c'est,   la    poésie  du  devoir.    » 

Tous   ceux   qui   connaissent    les    qualités   d'analyse   et   de   synthèse 


436  comptes  ni  ndus. 

que  possède  M.  Faguel  ne  regretteront  pas,  après  l'avoir  lu,  qu'il 
ail  écrit  oe  nouvel  ouvrage.  I!  y  étudie  successivement  la  morale 
avant  Fiant,  la  morale  de  riant,  le  Néo-Kantisme,  puis  en  réaction 
contre  Haut  la  morale  sans  obligation  ni  sanction.  11  analyse  en- 
suite la  moral<  de  Nietzsche  qui  n'est,  dit-il.  «  qu'un  stoïcisme 
dépassé  ».  11  indique  enfin  certains  moralistes  qui  ont  voulu  faire 
rentrer  la  morale  dans  la  sociologie  et  ont  imaginé  la  morale  Bcience 
des  mœurs. 

Il  arrive  a  cette  conclusion  que  toutes  ces  conceptions  ont  abouti 
a    une   sorte   île   démission   de   la    moi  aie. 

Dans  un  dernier  chapitre.  M.  Faguet  détermine  comment  il  en- 
tend la  position  du  problème  et  il  montre  la  morale  <l<  l'honneur 
rejoignant  toutes  les  autres  avec  lesquelles  elle  semble  être  en 
contradiction,  les  absorbant  toutes  parée  qu'elle  les  contient  et 
les    faisant    renaître   plus    pleines,    plus    consistantes    et    plus    vivantes. 

J.-H.  Rosny.  —  Les  Œuvres  de  Shakespeare,  nouvelle  traduction. 
Tome  I:  Hamlet.  Macbeth.  Beaucoup  de  bruit  pour  lien.  Paris, 
Société   Française   d'Imprimerie    et   <!<•    Librairie. 

Il  est  curieux  de  voir  des  maîtres  écrivains  comme  .1.-11. 
Rosny  entreprendre  la.  tâche  ardue  et  délicate  de  traduire  à  nou- 
veau les  œuvres  de  Shakespeare.  La  connaissance  approfondie  qu'ils 
ont  de  la  langue  et  de  la  pensée  anglaises,  leur  sens  très  net 
de  l'art  dramatique  devait  mieux  qu'à  tous  autres  faciliter  une  telle 
entreprise. 

Ils  ont  voulu  faire  cette  œuvre  en  maîtres  consciencieux,  dési- 
reux surtout  de  n'altérer  en  rien,  par  une  traduction  approchée, 
la  pensée  de  Shakespeare.  C'est  pourquoi,  gardant  les  tournures 
savantes,  sans  briser  les  moules,  avec  une  sévérité  de  méthode  qui 
aurait  eltrayé  d'autres  traducteurs,  ils  ont  réussi  à  nous  donner  une 
transposition  véritable  de  Shakespeare  en  français  qu'apprécieront 
tout  particulièrement  les  lettrés  qui  liront  dans  ce  premier  volume: 
Hamlet,  Macbeth   et  Beaucoup  <l<    bruit  pour  rien. 

A.  Soubies.  —  Almanach  des  spectacles.    Année  1908.    Paris,  L'ihini- 
rit    i/i  .-   Bibliophiles. 

Entre  autres  documents  intéressants,  nous  trouvons  dans  ce  vo- 
lume, si  élégant  et  si  recherché  des  amateurs,  la  liste,  aussi  com- 
plète que  possible,  des  pièces  représentées  en  France  pour  la  pre- 
mière fois  pendant  le  dernier  exercice.  Cette  liste  se  décompose 
ainsi:  Comédie- Française,  7:  Opéra-Comique,  3;  Odéon,  18;  Gym- 
nase,  7;   Vaudeville,    5;   Palais-Royal,   5;   Variétés,   3;   Porte-Saint- 


COMPTES    RI  ND1  S.  137 

M  ;  i ,  i  i  1 1 .   2:   Ambigu,   6;   Châtelet,   1:    l:  e,   3;   Théâtre   An- 

toine, 6:  Théâtre  Sarah-Bernhardt,  5:  Théâtre  Réjane,  7:  Nou- 
veautés, 2;  Athénée,  7:  Bouffes-Parisiens,  4:  Folies-Dramati- 
ques, 6:  Dejazet,  3;  Cluny,  10:  théâtres  divers  et  cafés-conoerts, 
539;  province,  228;  soit  un  total  de  975  pièces  (104  de  plus  qu'en 
1907)  !  La  production  théâtrale,  on  le  voit,  est  extrêmement  abon- 
dante. 

E.  Bourciez.  —  Eléments  de  linguistique  romane.  Paris,  L'.  hîmck- 
sieck,  1910  (nouvelle  collection  à  l'usage  des  classes,  secvjnie  sé- 
rie,   VI),    XXII-698  p. 

Ce  livre  s'adresse  «  avant  tout  aux  étudiants  proprement  dits, 
mais  aussi  à  ceux  qui.  même  sans  éducation  linguistique  préa- 
lable, désireraient  acquérir  sur  ce  vaste  sujet  quelques  notions 
précises  »  (préface,  p.  i).  On  comprend  doue  qu'il  soit  court: 
il  s'agissait  de  permettre  au  public  ainsi,  défini  «  d'embrasser 
d'une  vue  plus  rapide  l'ensemble  des  faits:  donner  une  orienta- 
tion générale  à  ceux  qui  veulent  entreprendre  une  étude,  c'est 
souvent  leur  en  inspirer  le  goût  (ibid.).  De  là  le  plan  suivi  : 
première  partie.  Le  latin  (p.  25-140)  ;  deuxième.  Fase  romane  primi- 
tive (p.  141-310)  ;  troisième.  Les  langues  romanes  (p.  311-670).  La 
première  partie  (jusque  vers  le  V  siècle  ap.  J.-C.)  comprend 
un  chap.  I"  sur  les  conditions  istoriques.  un  chap.  II  sur  les 
sons  du  latin,  un  chap.  III  sur  la  formation  du  vocabulaire,  les 
emprunts,  les  créations  de  mots  par  dérivation  et  composition,  les 
changements  de  sens,  un  chap.  IV  sur  les  formes  latines,  et  un 
chap.  V  sur  la  frase  latine.  A  ces  chapitres  correspondent  ceux 
de  la  deuxième  partie  (jusqu'à  la  constitution  définitive  des  dif- 
férentes langues  romanes)  :  I,  conditions  istoriques  nouvelles;  II, 
différenciation  des  sons  ;  III,  répartition  des  mots  ;  IV,  évolu- 
tion des  formes;  V,  évolution  de  la  frase.  Au  contraire,  la  troi- 
sième partie  est  divisée  par  groupes  linguistiques,  avec  deux  cha 
pitres  pour  la  Gaule,  en  raison  de  l'importance  des  innovations 
modernes  :  I,  l'ancien  français  et  le  provençal  :  II.  l'espagnol  et  le 
portugais;  III,  l'italien:  IV,  le  roumain:  V,  les  idiomes  réti- 
ques; VI,  le  français  moderne  (avec  quelques  détails,  à  titre  com- 
paratif, sur  les  parlera  modernes  du  Midi  et  de  la  moyenne  vallée 
du  Rône). 

Ce  plan  intéressant  a  été  suivi  avec  beaucoup  de  métode  et  un 
soin  louable  d'éviter  les  redites.  L'auteur  a  mis  à  profit  les 
idées  de  F.-G.  Mohl  et  de  tous  ceux  qui,  réagissant  contre  l'abus 
des  reconstitutions  arbitraires  ou  inutiles,  ont  cherché,  par  l'étude 
comparative  des   langues   italiques   et   par  l'examen   attentif   des   do- 

29 


138  (  oui'i  ES    RENDUS. 

c  nments  d<n  latin  tardif,  à  préciser  ce  qu'on  a  pu  apprendre  du 
latin  vulgaire  depuis  Le  traité  magistral  de  M.  Schuchardt;  place 
due  est  faite  (et  peul  être  parfois  un  peu  largement)  à  l'osque  et 
à  l'ombrien,  el  abondantes  sont  les  références  au  Corpus  inscrip- 
tionum  et  an  Corpus  glossariorum.  Cela  marque  un  véritable 
progrès.  C'est  également  une  chose  excellente  que  de  mettre  en 
tête  de  chaque  chapitre  un  exposé  istorique  des  conditions  sociales 
et  politiques  «lu  peuple  dont  il  s'agit  d'étudier  la  langue.  L'ex- 
position est  généralement  très  claire:  ainsi  les  §§  60  et  76,  sur 
la  formation  du  vocabulaire  latin,  me  semblent  des  modèles  du 
genre. 

Je  ne  vois  à  ce  livre  —  outre  quelques  erreurs  de  détail  pres- 
que inévitables  dans  une  telle  œuvre  de  généralisation  —  d'autre 
défaut  que  sa  brièveté  même:  elle  a  parfois  amené  l'auteur  soit 
à  négliger  des  faits  d'une  certaine  importance  (p.  ex.  au  chap.  VI 
de  la  troisième  partie  on  attendrait  au  moins  un  bref  résumé 
de  l'évolution  du  provençal  comparée  à  celle  du  français),  soit  à 
présenter  ou  à  paraître  présenter  comme  généraux  à  tout  un  grand 
domaine  linguistique  des  faits  en  réalité  beaucoup  plus  limités 
(assez  nombreux  exemples  plus  loin).  Cela  est  dangereux  surtout 
pour  le  public  novice  auquel  le  livre  s'adresse.  De  même,  quand 
les  meilleurs  bacheliers  arrivent  à  l'Université  ignorant  qu'il  faut 
étudier  les  zona  avant  de  s'occuper  des  lettres  qui  les  représen- 
tent imparfaitement,  on  ne  saurait  trop  prendre  garde  de  ne  don- 
ner que  des  éclaircissements  fonétiques  rigoureusement  exacts  et 
pi  Tris.  Pourquoi  choisir,  comme  tipe  de  o  fermé,  fr.  pot  (p.  ix), 
dont  la  prononciation  varie  tant  de  Paris  à  Lion?  §  5  b:  «  l'a  est 
la  voyelle  fondamentale  (  ?),  celle  qui  se  prononce  la  bouche 
grande  ouverte,  et  avec  un  point  d'articulation  aussi  éloigné  que 
possible  »  (de  quoi?)  Pourquoi  appeler  (§  57  a)  c  latin  devant 
e  et  /'   «   vélaire  »    au   lieu  de   «  occlusif  »  ? 

Voici  maintenant  diverses  notes  prises,  en  vue  de  suggérer  des 
améliorations  pour  une  nouvelle  édition,  au  cours  de  la  lecture  de 
cet  ouvrage  excellent,  commode  <à  consulter,  et  que  je  voudrais 
seulement  encore  plus   commode   et   encore   meilleur  : 

P.  xviii  :  la  Bévue  des  langues  romanes  n'est  pas  citée  à  côté 
de    Bomania,    Romanische    Forschungen,    etc.. 

Il  i  a  à  la  fin  de  l'ouvrage  un  bon  index  analitique  des  faits 
linguistiques  principaux,  mais  un  index  par  mots  le  compléte- 
rait eureusement.  P.  ex.,  si  l'on  veut  savoir  dans  quelles  condi- 
tions, et  à  quelle  époque  les  substantifs  neutres  en  latin  clas- 
sique  ont  emprunté  la  flexion  des  masculins,  on  peut  longtemps 
lier    à    Accusatif,    à    Cas    obliques,    à    Déclinaisons,    à    Genre,    à 


COMPTES    i: i:\M  S.  5t39 

Neutrt .  à  Pluriels,  alors  qu'on  trouverait  Immédiatement  le  §  re- 
latif à  la  question  au  moyen  d'un  article  marmorem  ■■'  L'index. 
Dans  le  même  ordre  d'idées,  l'abréviation  Mulom.  Chir.,  employée 
§  216  b,  n'est  pas  expliquée  à  la  liste  des  abréviations  ;  la  table 
des  notations  fonétiqims  (p.  ix,  x)  n'explique  pas  la  valeur 
de  ).  cité  dans  im  ex.  albanais  §  185  c,  ni  celle  de  c  clans  un 
ex.  slave  cité  §  246  b  (le  lecteur  pourra  croire  qu'il  s'agit  d'un 
e  ouvert,  comme  dans  les  ex.  romans),  ni  (elle  des  signes  employés 
§§   345  et  393   a  pour  transcrire  des   sons   arabes. 

§  105  c:  «  ni/il/  sort  tout  à  fait  d'usage  »  ;  vil  est  conservé  dans 
niéu  (Comtat  Venaissin),  mu —  niou  (Daufiné  S.-O.)  :  n'en  sias 
pas    niéu    l'encauso    «    vous    n'en   êtes    nullement    la    cause    ». 

§§  153,  266  a.  La  fermeture  de  e  et  de  o  devant  nasale  et  la 
chute  de  n  finale  romane  ne  sont  pas  des  faits  généraux  pour  tout 
lo  Midi  de  la  Gaule,  mais  seulement  (en  gros)  pour  les  pays  à  l'O.  du 
Rône.  La  fermeture  De  se  produit  au  reste  (ors  des  cas  d'analogie 
comme  bona  suivant  bonu,  so'nat  suivant  sonu,  etc...)  que  quand 
la  nasale  est  implosive  en  roman:  lang.  bengut  subj.,  mais  béni 
indic.  Dans  la  Provence  proprement  dite  on  dit  bon,  et  non  boun 
ou  hou,  et  il  en  a  toujours  été  ainsi.  Si  les  troubadours  de  ce  pays 
font  rimer  p.  ex.  dons  <^  dumnvs  avec  preons  <^  profundus,  c'est 
par  observation  des  règles  de  la  y.otvîî,  ;le  même  qu'ils  écrivent 
bo  et  non  bon,  bien  que  Vn  finale  de  bonu  ait  persisté  jusqu'à  nos 
jours  dans  le  langage  de  leurs  compatriotes.  Qui  nous  donnera  ja- 
mais une  grammaire  istorique  du  vieux  provençal  tenant  compte 
des    influences    réciproques    zowj —   -dialectes? 

§  156  (1.  Le  passage  de  e  à  i  devant  l  et  n  mouillées  n'est  pas 
limité  en  Gaule  au  lionnais  (avilli  <^  apic(u)la)  ;  il  i  a  de  nombreux 
exemples   provençaux  dès  le   aut  moyen  âge. 

§  158:  «  dans  le  Xord  de  l'ancienne  Gaule...  n  s'est  obscurci  en 
c  ».  Fermé  jusqu'à  serait,  je  crois,  plus  juste  que  obscurci  en.  — 
V radre  et  salvar  du  Serment  de  Strasbourg  ne  prouvent  rien  pour 
la  date  de  a  ^>  e  en  français  ;  Eulalie,  si  proche  dans  le  temps,  a 
partout  c;  au  lieu  d'admettre  un  arcaïsme  de  grafie,  il  est  bien 
plus  naturel  de  considérer  le  Serment  comme  rédigé  en  franco-pro- 
vençal, ce  pour  quoi  il  i  a  d'ailleurs  d'excellents  arguments  lin- 
guistiques et  istoriques. 

§  179  c.  Pourquoi  donner,  sans  autre  explication,  manicare 
<;  manducare  tomme  forme  usitée  dans  l'Italie  du  centre  (où  je 
n'ai    jamais   entendu    que    mangiare)  ? 

§§  180  d  et  273  c.  Lat.  ps  ne  devient  pas  toujours  ni  partout 
ys  dans  le  S.   de  la  Gaule:   v.   prov.    eps,   eus,   eis    <^  ipsu,   prov. 


i  H)  COMPTES    RENDUS. 

mod.    nus     <^  hapsu,    gasc.    tous  <^  lupxu    (v.    A''  uue    de    dialectolo- 
gie   mm mu  .    1909.    p.    150). 

§  183  <v.  Odo;  a  été  adopté  non  dans  «  les  pays  méditer- 
ranéens ».  maie  en  Ibérie  et  en  Italie  ;  la  Gaule  a   conservé  (av)tm- 

ml  us,    même    sur    la    côte    méditerranéenne. 

§  197  b  :  «  C'est  seulement  en  Ibérie  qu'apparaît  -unus  (lut.  apru- 
nus,  esp.  asnuno,  cabruno,  le-bruno,  ptg.  ovelhum)  ».  En  prov. 
-un,  -uno  est  très  usité  comme  collectif  (subst.)  :  lou  retint 
«  les  rats  »,  Vamœrun  «  L'amertume  »,  la  cabruno  «  l'espèce  ca- 
prine »,  etc.;  r"est  une  substantivation  d'adj.  d'appartenance 
comme  de  tota  bestia  chabruna  (leide  d"Embrun,  antérieure  au 
X  Y"  siècle,  dans  P.  Meyer,  Documents  linguistiques  du  Midi  de 
la  France,   t.    I,   p.    443). 

§  204  r  :  (désinence  de  la  3.  p.  pi.)  «  -en(t)  est  resté  seul  de 
bonne  eure...  en  Gascogne  r.  ;  formule  trop  absolue:  on  a  de  nom- 
breux ex.   de  -07i  <^  -uni  dans  les  textes  gascons  du  moyen  âge. 

§  208  e.  L'inf.  *fare  pour  facere  n'a  pas  été  adopté  dans  tout 
le  S.  de  la  Gaule,  tant  s'en  faut.  Poser  */ere  lat.  me  semble  inu- 
tile: cat.  fer,  gasc.  Jiè  s'expliquent  facilement  par  des  analogies 
romanes  partant  d'autres  fuîmes  à  -e-  .•  le  verbe  «  faire  »  a  fré- 
quemment plusieurs  tèmes  :  it.  feci,  facesti ;  Bigorre  inf.  hè,  fut. 
harèi;   vaudois  inf.   fa,  imparf.   subj.   fesèssou,  etc.. 

§  210  b.  Le  paradigme  probable  des  parfaits  lat.  vulg.  en  -dëdi 
généralisés  est  attribué  à  l'influence  de  «  certaines  dissimilations 
fonétiques  »  sur  lesquelles  il  serait  bon  de  s'expliquer  plus  avant. 
Il   serait,    d'autre   part,    utile    de    marquer    l'accent    sur   Y  e. 

§  263  b.  «  Dans  la  zone  provençale,  uo  reste  au  nord  et  au 
centre,  d'où  ensuite  ilo,  io  (langued.  mod.  fioc,  lim,  auvgn.  fio  = 
fôcum);  il  passe  à  lce  écrit  oc  au  sud-ouest  (béarn.  Iioec),  à  gg  à 
l'est  (prov.  fuec)...  tearro,  puai,-,  muait  sont  modernes  sur  la 
côte  de  Provence  et  dans  d'autres  parties  du  domaine  ».  La  rédac- 
tion pourrait  faire  croire  que  fio  — fioc  ne  se  dit  qu'en  Languedoc, 
Limousin  et  Auvergne  et  se  dit  partout  dans  ces  pays,  mais  fioc 
est  assez  général  en  Guienne,  et  Toulouse  et  Foix  disent  foc.  On 
a,  d'autre,  part,  fuoe  en  Rouergue  et  juô  dans  la  vallée  de  la 
Drôme.  Prov.  fuec  est  aujourd'ui  fue  (avec  e  fermé,  et  non 
ouvert)  à  Marseille,  Toulon,  etc.,  mais  Arles,  Avignon,  Nimes, 
etc.,  fiù.  Tearro  <^  ferra  est  inconnu  sur  la  côte  de 
Provence:  on  a  tcarra,  avec  un  a  de  glissement,  dans 
les  Alpes  (notamment  à  Barcelonette),  tiarro,  liai  ra  dans  L'Au- 
vergne septentrionale  (notamment  Ambert,  Tiers,  Clermont-Fer- 
rand  ;  Vinzelles  taira).  Les  grafies  puarc,  muart  ne  sont  ni  Lit- 
téraires ni  fonétiques:  on  écrit  poiiarc,  mouart,  et  on  prononce  pirar, 


COMPTES    RENDUS.  441 

i/iii-m.  La  diftongaison  'spontanée  de  o  lat.  (en  boute  position, 
et  non  pas  seulement  au  cas  d'entrave,  comme  La  rédaction  pourrait 
le  faire  nuire)  se  produit  dans  beaucoup  de  parlera  méridionaux 
(Provence  orientale,  Daufiné  occidental,  Auvergne,  Rouergue,  etc...); 

on  ii.  suivant  les  parlera  et  suivant  les  séquences,  ouo,  "in1,  ouaj 
le  fait  c:-î  peui  être  assez  ancien,  et  h  s  rédacteurs  d'actes  pouvaient 
fort  bien  écrire  encore  <<  quand  ils  prononçaient  déjà  ouo  ou  même 
oua. 

§  264  a:  «  zone  dite  «  franco  provençale  »,  dont  le  centre  est 
Lyon,  et  qui  s'étend  approximativement  jusqu'à  Bourg  et  Ge- 
nève, au  sud  jusqu'auprès  de  Grenoble,  à  l'ouest  jusqu'à  Saint 
Etienne  ».  Ainsi  cette  zone  ne  comprendrait  ni  la  Suisse  romande, 
ni  la  Savoie,  ni  la  vallée  d'Aoste,  ni  Grenoble.  Au  §  262  la  déli- 
mitation est  moins  précise,  mais  plus  exacte:  «  bassin  moyen  du 
Rhône  (Lyonnais.  Savoie,  Suisse  romande)  »  ;  mais  il  faudrait  ajou- 
ter le  Forez,  le  nord  du  Daufiné,  les  autes  vallées  de  Piémont. 
la  Bresse,  le  Bugei,  etc..  et  le  sud  de  la   Franche-Comté. 

§  264  b  :  «  au  Midi,  leit  se  trouve  surtout  en  Auvergne,  en  Gas- 
cogne, et  à  l'Est  de  la  Provence:  ailleurs  lait  ou  lach  ».  11  fau- 
drait distinguer.  Là  où  et  ~>  eh,  a  reste  ;  là  où  et  ^>  it,  lait  reste 
ou  devient  lèit;  lèit  est  limité,  à  ma  connaissance,  à  l'agenais  et 
à  la  plupart  des  parlera  de  Gascogne  ;  à  l'Est  de  la  Provence,  les 
parlera   vaudois   ont  soit  lait,   soit   la(ch). 

§  267  b.  e  j_  ne  passe  pas  à  a  _i  en  catalan,  mais  à  un  son 
de  la  série  a;  a  _•_  et  j_  a  passent  à  des  sons  voisins  ;  de  là 
les  grafies  nabot,  sagur  <^nepote,  securu,  qui  pour  cela  ne  repré 
sentent  nullement  l'a  de  fr.  chapeau  ou  de  prov.  nuulur;  cf.  le 
Manual  de  fonètica  catalana  de  M.  Schadel  et  ses  études  sur  les 
dialectes  pirénéens  dans  la  Revue  di  dialectologie  romani,  et  ibid. 
celles  de  M.    Niepage  sur  les  anciens  textes  majorquins. 

§  268  a:  __  a  lat.  serait  devenu  _  o  dans  le  Midi  «  sauf  en 
Bas-Languedoc,  et  çà  et  là  le  long  des  Alpes  et  des  Pirénées  ». 
_^  a  est  limité  en  Bas-Languedoc  à  Montpellier,  Cette,  Lodève  et 
environs,  et  occupe  d'autre  part  beaucoup  de  autes  vallées  alpi- 
nes, Nice  et  Menton,  quelques  coins  des  Pirénées  et  de  très  no- 
tables parties  de  l'Auvergne,  du  Vêlai  et  du  Vivarais.  Ailleurs 
(Limousin,  parties  de  l'Auvergne,  Diois,  Trêves)  on  a  _^_  o  <^_j_  a, 
_ii"et_a  <^_^  as. 

§  268  b.  Je  ne  vois  pas  en  quoi  j_  e  provençal  est  «  faible  »  plus 
qu'une    autre    voyelle    posttonique    quelconque. 

§  269  b,  sur  la  perte  de  l'élément  labial  (ou  plutôt  Labiovélaire) 
de  kw,  i/ir  en  domaine  provençal:  «  ancien  béarnais  goerre,  encore 
devant    a    aujourd'hui    quoate,    goarda    ».    Ce    sont    des    faits    diffé- 


i  15  COMPTl  -    REND1  S. 

Kiits.  et  d'ailleurs  continuée  jusqu'à  nos  jours.  On  <lil  aujourd'hui 
en  Béarn  i  en  Gascogne  gouerre,  quate,  guarda  (grafies  plus  net- 
tes "ii  plus  élégantes  que  go-,  ijuo-).  c'est-à-dire  que  lat.  qu,  gu 
soni  restés  kw,  <jir  devant  a,  et  que  germ.  w  est  devenu  gie 
devant  toute  voyelle;  certaine  parlers  ont  réduit  gw,  d'origine 
latine  ou  gei  tnanique,  à  w. 

§  272  c:  «  au  lat.  mpïam,  rubëum  répondent  prov.  sapcha,  rage, 
comme  a.  fr.  sache,  roge;  mais  d'autre  part  lat.  cavëa,  simlutti 
«ont  devenus  au  Nord  cage,  singe,  au  Sud  gabia,  simi  ».  Les  mots 
cités  ne  prouvent  rien  ou  prouvent  peu*  Comme  le  singe  ne  vit 
pas  à  l'état  de  nature  en  Gaule,  le  nom  qui  le  désigne  est,  a 
priori,  suspect  de  traitement  savant.  Je  connais  deux  mots  con- 
tenant lat.  vulg.  -my-  continuée  en  formation  populaire  :  vindt 
min  ">  v.  prov.  vendemia,  vendenha,  verenha,  correspondant  res- 
pectivement à  prov.  lang.  mod.  vendémi,  véndémio,  dauf.  nn- 
dèimo,  Vaucluse  vendenjo,  Alpes  et  Périgord  vendegno,  rouerg. 
bendegno,  gasc.  beregno,  bregnoj  eximiu  ">  gasc.  eichinge  (chez 
P.  de  Garros),  verbe  dérivé  escinja  à  Toulouse  (chez  Gouaelin). 
Gabia,  avec  ses  deux  frappantes  anomalies,  g  <^  c  et  h  <^  v,  ne 
peut  pas  être  un  tipe  convenable  de  traitement  régulier  (on  a 
«railleurs  caujo  et  cauye  en  Gascogne):  Heviariu  ^>  v.  prov.  leu- 
giet;  "leviu  \,  lèuge  un  peu  partout  dans  les  parlers  méridio- 
naux actuels;  *  pluvia  ^>  prov.  auv.  lim.  ptucio,  lang.  en  général 
plèjo;  phi  via  ^>  gasc.   ploujo,  plouye,   plugt   et   pluye. 

§  273  c  :  et  ^>  yt  «  au  Nord  et  dans  une  partie  du  Sud  (fr. 
prov.  fait  =  f(irtum)  ».  On  en  déduirait  que  tout  le  v.  prov.  disait 
fait,  ce  qui  est  inexact.  «  Toutefois,  au  centre  de  la  zone  méri 
dionale  (Limousin,  Languedoc,  partie  de  la  Provence),  yt  par  t' 
est  passé  à  (s ,  d'où  fach  ».  La  délimitation  géografique  (déjà 
donnée  au  §  180  b)  est  inexacte:  en  gros,  on  a  yt  au  N.  et  au 
S.-O.  du  domaine  provençal,  ch  à  l'E.  et  entre  le  N.  et  le  S.-O.  ; 
plus  précisément:  yt  toujours  en  Oisans,  au  Monestier  de  Cler- 
mont,  à  Valence,  en  Vivarais,  en  Vêlai,  dans  l'Auvergne  sauf 
Aurillac,  à  Agen,  en  Gascogne,  à  Toulouse,  Foix,  Carcassonne  : 
ailleurs  toujours  ch,  sauf  un  partage  entre  yt  et  ch  extrême- 
ment enchevêtrés  dans  les  vallées  vaudoises  et  quelques  mots  à 
yt  en  Limousin  et  à  Albi. 

§  276  a:  s  de  flexion  généralement  conservée  dans  le  Midi,  sauf 
en  Limousin  et  en  Provence;  il  faudrait  ajouter:  et  dans  une 
bande  au  X.  du  domaine  (Auvergne  septentrionale.  Vêlai  septen- 
trional et  la  plus  grande  partie  <lu  Vivarais).  Il  serait  bon  d'in- 
diquer que  plusieurs  parlers  traitent  -s  différemment  aux  noms 
et  aux   verbes. 


COMPTES    REND1  S.  44,5 

§  288  h,  impératif.  «  Pour  2  pi.  les  langues  de  la  Gaule  em- 
ploient lis  formée  de  l'indicatif.  »  Il  faudrait  dire  «  en  gêné 
rai  »,  car  il  i  a  dos  parlera  méridionaux  qui  distinguent  cantat . 
cantate  de  cantats,  resp.  contas  -  ^  cantatis  (ex.  Aurillac,  Ustoa 
on  pays  de  Foix)j  e<  il  a'esl  pas  impossible  que  les  2.  p.  pi.  prés, 
iml.  à  -/  au  lieu  de  -t.--  ou  --  (lîéarn.  lîi^orre.  (lévaudan)  soient 
empruntées  à  l'impératif,  où  -t  <  lat.  -<e  esi  oormal:  il  i  aurait 
donc  là.  au  contraire,  emploi  à  l'indicatif  des  Formes  de  l'impé- 
ratif. J'ignore  si  ces  faits  son!  anciens:  les  poètes  écrivent  plus 
ou  moins  une  xoiv/j ,  et  les  impératifs  sont  raies  dans  les 
«haïtes,    (railleurs    aussi    plus    ou    moins    influencées    pal   la  -/.otv/j- 

§  320  d:  que  énonciatif  «  est  devenu  de  règle  en  ga«con  ino 
derne  ».  La  proposition  est  trop  générale;  voir  R.L.B.,  1908,  p. 
509. 

§  335:  «  Il  i  a  dans  la  prononciation  espagnole  quelque  chose 
de  l'âpreté  qu'ont  les  plateaux  de  L'Ibérie  centrale,  quelque  chose 
aussi  de  la  fierté  autaine  des  hidalgos;  sous  l'influence  d'un  climat 
délicieux,  le  portugais  semble  au  contraire  avoir  subi  une  sorte 
d'amollissement  progressif.  »  Etait-il  bien  utile  de  dire  cela  dans 
un  livre  OÙ  des  notions  plus  essentielles  sont  exposées  avec  un 
resserrement  qui  rend  inévitable  des  inexactitudes  assez  fâcheu- 
ses? 

§  337  a  :  «  en  espagnol  le  d  secondaire  aussi  de  amado  ne  se 
fait  plus  entendre  dans  la  prononciation  ».  Est-ce  bien  sûr?  j'ai 
entendu  amau  (deux  sillabes)  en  Navarre;  je  ne  doute  pas  qu'ail- 
leurs on  ne  puisse  entendre  amao  (soit  en  trois  sillabes,  soit  en 
deux),  mais  je  crois  bien  qu'en  Castille  on  entend  amado  (avec 
un  o  plus  ou  moins  faible).  Le  §  365  a  me  paraît  plus  exact, 
mais  peu  clair:  «  en  Espagne  le  d  s'efface  aujourd'hui  dans  la 
prononciation  vulgaire,  seulement  -ao  dans  la  prononciation  soi- 
gnée ».  Cela  veut  dire  évidemment  que  le  d  n'est  pas  complè- 
tement tombé  ;  cela  veut-il  dire  que  la  prononciation  soignée  est  -ao, 
et  la  prononciation  vulgaire  aào  ?  le  contraire  semblerait  plus  na- 
turel. 

§  340  d:  «  Vers  le  XIV  siècle  homne  devint,  par  une  sorte  de 
dissimilatiiin.  homre,  puis  hombre...  »  Il  vaudrait  mieux  dire 
par  différenciation  (v.   M.S.L.,  t.   XII,   p.   14  et  se.). 

§  341  h  :  «  //  final  (dans  pan,  ladrôn)  a  un  son  vélaire  ».  Est-ce 
bien  sur?  X'i  a-t-il  pas  plutôt  une  voyele  segmentée,  première  par- 
tie orale,  deuxième  nasale,   et   ensuite  une   ?;  dentale? 

§  342  a.  *Bvscare  «  chercher  »  n'est  pas  spécial  à  l'Ibérie  : 
bousca    est    très    usité    en    provençal    moderne. 


COMI'I  ES    IM  NDUS. 


§  348  h.  «  Cf.  le  béarn.  cassourre  «  chêne  »  à  La  Bn  de  l'alinéa 
suffit  à  indiquer  que  le  suffixe  -urro  n'est  pas  «  Bpécial  à  la 
Péninsule   ».    comme   il   est    dit    quelques   lignes   plus   aut. 

§  349   II    Pourquoi  esp.    -ote   serait-il    emprunté  au    français,   qui 
peu    du    suffixe    -ot,    -otte,   alors    que    le   suffixe    correspondant 
est   extrêmement   répandu   en   Gascogne? 

§  361  a:  «  80  a  été  usité  longtemps,  et  reste  encore  popu- 
laire; on  avait  aussi  a.  esp.  seo  (sedeo)  d'où  semble  sorti  par 
métatèse  soe  (Alexandre)  devenu  soy  au  XIV  siècle  ».  de  ne  vois 
pas  bien  la  raison  de  cette  métatèse:  oe  est  insolite  en  esp.,  alors 
une  eo  est  courant  [veo,  crco,  etc.).  Pourquoi  ne  pas  admettre, 
comme  pour  la  Gaule  (J$  208  a),  *8oyo  refait  sur  kayo?  Sue  peut 
être   une  simple  grafie  signifiant   soy. 

§  368  c,    port,    maaes,   sans  doute   coquille   pour   maes. 
§  370  a,    lat.    vulg.    quatro,    coquille    pour    quattro. 
§  371  a  :  «  En  esp...    vos  atone  s'est  réduit  fonétiquement  à  os  ». 
C'est,    je    crois,    un    fait    de    fonétique    sintaetique    plutôt    qu'une 
réduction   fonétique  proprement   dite. 
§  384  a:   «  lejos   (laxus)   »  ;  il  faut   sans  doute   lire:    (laxoB). 
§  388  a:    «    estoy    comiendo,    je   suis   en    train    de    déjeuner   ».    Le 
sens   de    déjeuner   étant   mal    fixé    (a    Paris    «repas   de    midi    »,    dans 
beaucoup    d'autres    pays    «    repas    du    matin    »),    il    vaudrait    mieux 
traduire    par    manger,    cpii    est    une    acception    très    usuelle    de    co- 
rne r. 

%  393  (/.  «  Es  tan  hermosa  que  todos  la  miran  »  n'est  pas  le 
même  cas  que  «  tanto  vales  cuanto  tienes  »  ;  il  vaudrait  mieux 
séparer  ces  deux  exemples,  et  rapprocher  le  premier  des  construc- 
tions analogues  citées  après  le  second,  «  no  es  tan  rico  como 
erecn.  nào  e  tâo    rico   como   crêem   ». 

§  399.  Les  Français  des  vallées  vaudoises  sont  linguistiquement 
des  Provençaux,  et  il  n'i  a  pas  des  populations  de  langue  non 
italienne  seulement  dans  les  vallées  vaudoises,  mais  dans  tontes 
les  autes  vallées  des  Alpes  à  l'O.  et  au  N.-O.  du  Piémont.  Plus 
loin,  la  statistique  mentionne  «  quelques  Allemands  dans  le  ïirol  ». 
lapsus  pour  «  en  Lombardie  ».  et  ne  tient  pas  compte  des  abi- 
tants  de  langue  italienne  dans  le  Tirol  méridional. 
§  400.  A  italien  est-il  vraiment  si  «  voisin  de  n  »  ? 
§  403  a,  réduction  de  boutade,  virtude,  etc..  à  bontà,  virtù 
«  par  une  sorte  de  dissimulation  qui  s'est  produite  dans  des  grou- 
pes comme  citta(de)  di  Borna  ».  Ce  n'est  pas  une  sorte  de  dissi- 
milation.   mais    la   résolution   d'une   superposition    sillabique. 

§   404  a,   sur  i   et    g    latins  devenus   en   it.    d%    «   Ce    riz   est  passé 


COMPTES    RI  M'I  S.  i  10 

à  (h  dans  l'Italie  du    Nord   ».   Je  crois  dans  /' I tulii    du   Nord  trop 
général. 

«  La  prononciation  ;   pour  s  est   propre  à   Rome  et   aux  environs: 
zale    (^it.    sale)    ».    Les    faits    romains    ne    sont    pas    particuli 
s — :  ;    il    s'agit    d'un    trouble    général    de    la    qualité    sourde    ou    bo 
aux   faits   sardes   rites  à   la   fin  de  l'alinéa. 

§  404  c,   «  élément   labial  »   de  l;n-  et   ;/»•,•  plutôt   labiovélaire. 

§    405    d,    sur    s    intervoc.    en    Toscane.    Les    Italiens    eus  i 

ne  peuvent  s'entendre  Là-dessus;  j'ai  lu  je  ne  sais  combien  de  cen- 
taines de  pages  de  VArchivio  glottologico  sans  i  trouver  une  con- 
clusion nette  et  sûre;  en  un  mois  de  séjour  en  Toscane  y 
bien  n'avoir  jamais  entendu  d'  s  sonore  d'un  Toscan  parlant 
toscan:  il  en  est  autrement  avec  la  lingua  toscana  in  bocca  ro 
maria  qui  passe,  à  tort  ou  à  raison,  pour  le  standard  Italian;  je 
crois  que  1  «  ésitation  »  signalée  est  moins  le  fait  de  la  langue 
en  elle-même  que  d'observateurs  pas  toujours  scrupuleux  dans  le 
choix  de   leurs   témoins. 

§  408:  «  L'italien...  n'admet  aucune  consonne  à  la  finale  ».  La 
proposition    est    trop    absolue:    les    dialectes    du    nord    en    admettent 

mp;    pour    les    autres,    la  vraie    d'une    manière    g< 

nérale   à    la    panse,    mais    on    a    en    proclise    per,    del,    sul,    etc.,    en 
liaison  étroite   h<  n   ti  voglio,   etc... 

§  410   6:   «   Un   argot  spécial   appelé  ici   «   furbesco   »...     a   fourni 
aussi    certains    ternies    à    la    langue    littéraire:    ...lôffia    «    vei 
Ce    vocable    fait-il    vraiment,    à    proprement     parler,    partie    de    la 
langue    littéraire'. 

§  414  a,  lavamane,  coquille  pour  lavamani;  lavamara  serait  une 
forme  vulgaire  (cf.  §  428).  déplacée  ici  au  milieu  de  formes  de  La 
langue    littéraire. 

.M.  Bourriez  écrit  respectivement  è,  ê  les  <  toniques  ouverts  et 
fermés  (il  faudrait  indiquer  que  ce  n'est  pas  L'ortografe  d'usage);  il 
«rit  à  tort,  je  crois,  mènto  (§  421  a),  trê  (§  431  a)  ché  (§  436  a), 
mé,  té  se  (§  432  or),  allorchê,  prima  ché,  finché,  perché,  etc.. 
(§  451).  benché  (§  256  6);  j'ai  toujours  entendu  e  fermé  entre 
m  et  n,  ouvert  dans  les  monosillabes  et  les  oxitons  (les  Italien; 
écrivent  du  reste  se,   allorchê,   etc...). 

§    423   a:    «   Dante    use    aussi    au    parfait    3    pi.    d'une    forme    can 
tônno ,    qui    est    restée   d'un    emploi    courant   à   Lueques    (cf.    cantôrno 
dans  l'Ombrie  et  à   Rome)   ».    Il  serait   bon  de   noter  que  Benvenuto 
Cellini   employait    constamment    -nrno. 

§  434.  It.  ste.sso  fait  tellement  concurrence  à  un  <l<  simo  qu'on 
peut   dire   qu'il    l'a   presque   expulsé   de   l'usage   courant. 

§   442  a:   la   tournure  dimandar  <l<l   pane    «   ne   paraît    pas   avoir 


i  16  COMPTES    RI  NDl  S. 

progressé  dans  la  langue  moderne  ».  C'est  au  contraire  la  seule 
tournure    usuelle, 

§  465:  «  groupes  etnografiques  »;  j'aimerais  mieux  «  etni- 
ques  ». 

§  511  :  la  mention  du  seul  Fogl  (coquille  pour  Fôgl)  d'Engiadina 
pourrait  faire  nuire  au  lecteur  qu'il  ne  se  publie  qu'un  seul  pé- 
riodique en   réto-roman. 

§  512  il  :  le  passage  où  est  cité  engad.  flukr  <^  florem  est  vrai- 
ment trop  bref  pour  que  le  lecteur  ait  une  idée  utile  de  ce  trai- 
tement   si    curieux. 

§  522.  Dans  un  résumé  de  l'évolution  sémantique  des  idiomes 
réto-romans  en  15  lignes  et  avec  6  exemples  ne  devraient  figu- 
rer que  des  faits  sûrs.  Or  il  est  très  douteux  que  ce  soit  «  par 
une  meta  fore  bien  naturelle  que  vadrtt  (dérivé  de  vitrum)  a  dé- 
signé le  «  glacier  »  éblouissant  ».  Le  métafore  inverse  est  na- 
turelle, cf.  fr.  glace  «  verre  coulé  en  plaque  :  miroir  ».  Je  ne 
sais  ce  que  devient  fit  ru  en  reto-rom.  ;  on  se  sert  eu  général  de 
glas,  emprunté  à  l'ail.  Mais  fratre  ûonnant  frar,  vitru  ne  pour- 
rait guère  donner  que  * n  r  (ou  diftongué  *veir,  etc..)  J'aimerais 
mieux  partir  de  oetere,  qui  donne  en  romanche  veder,  fém.  vedra: 
le  glacier  (probablement  aussi  le  névé,  et  encore  l'avalanche  an- 
cienne, le  RœtoroTrurnischex  I)  ùrkrbucli,  Sursélvisch-Deutsch,  de 
Carigietj  Bonn  et  Chur,  1882.  traduit  vadretg  par  «  Sturz- 
schneemasse,  die  einen  Fluss  ùberbrùekt  »)  serait  «  la  vieille  nei- 
ge   »,    cf.    ail.     Firn,    Ferner. 

J'avoue  ne  pas  voir  très  nettement  ce  que  représente  le  suf- 
fixe. Je  ne  sais  où  on  dit  vadret;  en  sursilvain  on  a  vadretg,  et 
etg  peut  être  soit  -eticu,  variante  de  -atieu  (cf.  temeletg  «  crain- 
tif »),  soit  le  suffixe  postverbal  tiré  de  *-idiare  [lèghigiar  «  viser, 
faire  attention,  tendre  en  secret  à...  »  ,  legetg  «  intention  cachée. 
but  secret  »  ;  ughigiar  «  oser,  risquer  ».  ugetg  «  entreprise  témé- 
raire, risque  »)  :  *vetereticu  ^>  *vedretg  «  vieillissant,  d'aspect 
ancien,  de  date  ancienne  ».  ensuite  substantivé  (cf.  voyage  à  côté 
de  sauvage),  ou  "vedrigiar  «  vieillir  »,  d'où  *vedretg  «  chose  an- 
cienne ».  La  sincope  est  normale  au  fém.  analogique  vedra  et 
devant  suffixe  accentué;  l'étape  *vedr-  est  attestée  par  l'ital. 
oedretta,  probablement  emprunté,  avec  substitution  de  suffixe,  sur 
les  correspondances  detga  — detta  <'  dicta,  vendetga  — vendetta  <^ 
vindicte,  etc..  ;  le  passage  à  vadr-  n'est  pas  plus  étonnant  que 
cusarin  ■_-  consobrinu  (Gartner,  Handbuch  der  ràtorom  .  Spr.  ?/. 
/./'/.,  Halle  a.  S.  1910,  p.  106)  ou  que  laghigiar,  lagetg  à  côté  de 
lèghigiar,   legetg   (Carigiet). 

§  525.   imparfait   subj.  des  conjugaisons  correspondant  aux  lat.   en 


COMPTES    RENDUS.  i  i  7 

■ère  et  en  -ire  refait  t-n  adaptant  les  désinences  dn  présent  subj. 
à  ev-  caractéristique  de  l'imparfait  ind.  Cette  forme  «  remplace 
l'imparfait  dans  le  discours  indirect  où  le  roman  met  l'indicatif, 
mais  où  l'allemand  emploie  toujours  le  subjonctif:  //  bàb  a  detg 
élu  igls  affons  durmevien  «  le  pèr<  a  dit  que  les  enfants  dor- 
maient ».  En  réalité  l'allemand  aurait  ici  le  présent  indicatif, 
comme  dans  le  discours  direct,  der  Vater  hai  y*"!//,  dass  der 
Kleine  scUàft,  comme  der  Vater  hat  gesagt:  der  Kleine  schlâft, 
tandis  que  le  fr.  aurait  dormait  en  stile  indirect  et  dort  en  stile 
direct.  Je  mets  le  verbe  au  singulier  pour  distinguer  nettement 
temps  et  modes  (prés.  ind.  schlâft,  subj.  schlafe,  imparf.  ind. 
schlief,  subj.  schliefe,  tandis  qu'au  plur.  schlafen  est  commun  au 
prés.  ind.  et  subj.,  schliefen  à  l'imp.  ind.  et  subj.).  On  peut 
trouver  schlafe  ou  schliefe  dans  des  manuels  scolaires  allemands 
aussi  imaginatifs  que  nos  manuels  français,  mais  les  auteurs  mêmes 
de  ees  manuels,    quand  ils  parlent   naturellement,  disent  schlâft. 

§  527  c:  article  dans  les  Grisons  il,  /'.  lits;  oubli  de  igl,  igls, 
cependant    cité   dans   l'exemple    final   du    §    525    b. 

§  529  :  «  engad.  un,  romoh.  ins  sa  bucca  «  on  ne  sait  pas  »  (cf. 
uno  en  esp.  §  380)  ».  Il  serait  intéressant  d'indiquer  que  Nice  et 
le  Limousin  emploient  de  même   un,  l'un. 

§  530:  «  romanche...  in  prau  vert  «  un  pré  vert  ».  mais  huei 
/min  ri  verts  «  ce  pré  est  vert  ».  De  même  el  ri  vinius  (cf.  a.  fr. 
il  est  raii/z),  mais  avec  un  sujet  neutre  fut  ri  fatg  [totum  est  fac- 
tura) ».  Il  serait,  je  crois,  plus  simple  et  plus  exact  a  la  fuis 
d'exposer  les  choses  ainsi:  certains  parlers  rom.  conservent  -.-■  de 
flexion  dans  les  adjectifs  et  part.  pass.  employés  au  mas- 
culin comme  prédicats  (ou  attribut*,  si  on  préfère  cette 
expression),  mais  non  quand  l'adj.  ou  le  part.  pass.  est 
employé  comme  prédicat  (ou  attribut)  correspondant  à  un  pronom 
sujet,  ou  comme  épitète  d'un  subst.  masculin.  «  C'est,  en 
somme,  un  état  de  choses  qui  semble  attester  ici  pour  le  moyen 
âge  la  persistance  d'une  déclinaison,  mais  qui  a  pu  se  fixer  ensuite 
sous  une  influence  germanique  en  quelque  sorte  indirecte  :  on  a 
maintenu,  quoique  par  un  procédé  di  fièrent,  la  distinction  qui 
existe  pour  l'adjectif  allemand  entre  der  gute  Vater  et  ih  r  Vater 
ist  gut  ».  Je  ne  vois  pas  l'utilité  de  cette  ipotèse.  Les  faits  ne 
concordent  pas:  on  dit  en  ail.  1.  ein  guter  Vater,  2.  der  gute  Vater, 
5.  der  Voter  ist  au/,  4.  er  ist  gtlconvmen,  5.  ailes  ist  getan;  pour 
correspondre  à  peu  près  à  l'ail,  il  faudrait  que  le  rom.  eût  1.  in 
*l)ii)i.<  bàb,  2.  il  *biens  bob,  3.  il  bah  ri  *bien,  4.  el  ei  *viniu, 
5.  fut  ri  fatg;  or  il  n'i  a  correspondance  qu'au  cinquième  ternie, 
puisque   le  rom.  dit  1.   2.    bien,   3.    biens,  4.    vinius,  5.   fatg,   et  que 


1  («S  COMPTES    RENDIS. 

l'iill.    dit     5.    getan,    mais    non     1.    2.    ';/»//,    3.    *guter,   4.    *;/</,'<//( 
mener.    Les   formes    ;rom.    zéro  ou   -ey   ail.    zéro,   -t    ou     </)    ut    leur 
emploi    (voir    le    tableau    qui    précède)    diffèrent    trop    pour    qu'où 
puisse  songer  a   une  influence  comparable  à  celle  qui  fait  dire  aux 
descendants    des    Vaudois    réfugiés    en    Souabe    ///</    vendua    vacha 

•  nu  verkaufte  Kuh.  D'autre  part,  l'emploi  des  prédicats  à  -a  a 
perdu  île  si >n  extension  géografique  et  morfologique  dans  les  temps 
modernes  (Gartner,  p.  203).  c'est-à-dire  juste  au  moment  où  l'al- 
lemand se  répandait  en  pays  romanche,  tandis  que  dans  le  vieux 
texte  d'Einsiedeln  "perdutus  et  'perduli  sont  respectivement  re- 
présentés par  yerdudus  et  perdudi,  comme  M.  Bourciess  le  note 
lui-même  à   la   fin  du   §  530. 

Observation  anlogue  sur  «  venit  amatus...  qui  s'accorde  bien 
d'ailleurs  avec  l'allemand  <*  .■;■/'/</  geliebt  ».  L'adoption  de  venir 
comme  auxiliaire  lu  passif  est  bien  antérieure  a  toute  infiltration 
allemande  importante;  elle  s'étend,  dans  d'autres  parties  de  la 
Romania,  à  des  langues  pour  lesquelles  toute  influence  allemande 
est   ici   ors  de   cause. 

§  531,  autre  abus  de  comparaisons  avec  l'allemand:  dans  les  vei'o  .- 
réfléchis  «  le  pronom  se  place  devant  le  participe  comme  en  alle- 
mand :  romch.  cl  ci  se  cdtsaus  «  il  s'est  levé  »  (cf.  ail.  er  hat 
sich  (/ifrcut)  ».  Le  fénomène  est  autre  et  îapellcrait  plutôt,  si 
l'on  devait  nécessairement  comparer,  les  faits  Scandinaves  et  sla- 
ves :  le  réfléchi  se  est  généralisé  non  seulement  à  toutes  les  per- 
sonnes, mais  à  toutes  les  formes  du  verbe,  agglutiné  comme  un 
préfixe  inséparable  (scand.  et  si.,  comme  un  suffixe),  et  l'usage 
est  d'écrire  en  un  seul  mot,  ex.  selegrar  «  me,  te,  se,  nous,  vous 
réjouir  »,  part.  pass.  selegrau(s),  prés.  ind.  jeu  sedegrél  «  je  me 
réjouis  ».  etc..  Or  sich  frcucn  signifie  en  ail.  «  se  réjouir  »,  mais 
non  «  me,  te.  nous,  vous  réjouir  »,  et  on  dit  ich  freue  mich,  i>~/i 
liabi    mich    gefreut,   et  non   ich    *s%chfreue,    ich    habe   *sichgrefreut. 

§  537.  Je  ne  comprenais  pas  bien  cette  statistique  des  personnes 
qui  parlent  français.  La  Fiance  a  environ  39  millions  d'abitants. 
Défalquons  1  million  d'étrangers,  150.000  Flamands,  1  million  de 
Bretons,  150.000  Basques  et  300.000  Corses,  reste  36.400.000,  plus 
les  Belges,  Suisses  romands,  etc —  total  pour  l'Europe  «  un 
groupe  compact  de  40  à  41  millions  d'ommes.  Toutefois,  il  con- 
vient d'ajouter  que  souvent  ces  ommes,  suitout  au  Midi,  n'em- 
ploie journellement  que  des  dialectes  plus  ou  moins  ap- 
parentée à  la  langue  nationale  ».  Bon,  mais  je  ne  vois  pas  en 
quoi  la  situation  «les  Provençaux  diffère  de  celle  des  Corses.  Pour 
donner  uni'  Idée  exacte  «les  choses,  il  faudrait  dire  à  peu  près  ceci  : 
39   millions    d'abitants,    dont   1    million    d'étrangers    ressortissant   à 


COMPTES    REND!  S.  i  4  0 

diverses  nationalités,  150.000  Flamands,  1  million  de  Bretons,  150.000 
Basques,  300.000  Corses  et  environ  (.l  millions  de  Provençaux,  Lan- 
guedociens et  Gascons  et  2  millions  de  Savoyards,  Bressans, 
Foréziens,  etc.,  soit  environ  13.600.000  personnes  qui  savenl  en 
général  le  français,  mais  se  serveni  abituellement  d'une  autre  Lan 
guej  reste  environ  25.400.000,  parmi  lesquelles  il  sera.it  intéres 
saut  de  distinguer  celles  qui  ne  se  servent  que  du  français  (lit- 
téraire ou  régional)  et  celles  qui,  toul  en  sachant  le  français  (lit- 
téraire ou  régional),  parlent  le  plus  souvent  un  patois  français 
(picard,  normand,  etc...). 

§  541.  Les  conséquences  du  traitement  de  l'e  caduc  en  français 
moderne  sont  exposées  d'une  façon  qui  n'est  pas  toujours  exacte 
et  claire.  Une  distinction  peroeptible  à  l'oreille  entre  ami  et  amie 
me  semble  être  un  mirage  dans  le  genre  de  celui  dont  je  signale 
la  possibilité  sous  le  §  554  d.  La  distinction  entre  cheval  et  ache- 
ter (fin  de  l'alinéa  a)  me  paraît  arbitraire  ;  ce  passage,  ainsi  que 
la  fin  de  l'alinéa  b  et  l'alinéa  c,  serait  à  modifier  complètement 
en  résumant  l'exposé  de  La  loi  des  trois  consonnes  que  M.  Gram- 
mont  a   donné  dans   les   M.S.L.,  t.   YIII.   p.   53  et  ss. 

§  550  c:  «  Le  gérondif  et  le  participe  présent...  sont  restés  plus 
distincts  en  français  qu'ailleurs  ».  Moins  à  coup  sûr  qu'en  italien  : 
stiamo  leggendo  contre  società  aventt  sede  in  Italia;  fr.  vous  al- 
lions  toujours  chantant  et  sociétés  ayant  (et  non  ayantes)  leur 
siègt    i  h   Frana  . 

§  554  (/:  les  mots  finissant  au  singulier  sur  une  voyelle  tonique 
brève  allongeaient  cette  voyelle  au  pluriel  par  compensation  de 
l'amuïssement  de  s.  «  Depuis  la  Révolution,  cette  distinction  est 
à  peu  près  abolie  ».  A-t-elle  jamais  existé?  nous  ne  pouvons  guère 
avoir  là-dessus  que  le  témoignage  suspe<  t  de  grammairiens  qui,  do 
très  bonne  foi,  voulant  qu'il  subsistât  quelque  chose  de  l'an- 
cienne -s,  ont  pu  croire  entendre  â  plus  long  dans  enfant*  que 
dans   enfant. 

§  555  a,  à  propos  des  adjectifs  français  qui  ont  la  même  forme 
au  masc.  et  au  f érn. ,  ex.  rouge,  a  Les  patois  méridionaux  ont  au 
contraire  établi  une  différence  pour  ces  adjectifs:  prov.  mod. 
rudze  «  rouge  »,  fém.  rudzo  ».  Ces  grafies  feraient  croire  qu'on 
prononce  partout  dz  ;  il  vaudrait  mieux  écrire,  comme  on  le  fait 
en  provençal,  rouge,  roujo,  où  g,  j  représentent  les  spirantes  va- 
riées des  différents  parlers,  S  dz,  dy,  ~  etc.,  et  même  §.  D'au- 
tre part,  le  fait  n'est  pas  moderne  :  le  vieux  prov.  avait  déjà 
ror/e  <^  rubeu,  et  bien  certainement  roja  <^  rubea,  bien  que  je  ne 
le  trouve   pas   attesté   dans   les   lexiques   que   j'ai    à   ma   disposition. 

§    562    h.    On    dit    en    français    régional    en    Arles,    en    Avignon 


150  COMPTES    RENDUS. 

d'après  Le  prov.  en  .!//<,  en  Avignoun,  mais  on  ne  dit  pas  <n 
Aix,  paroe  qu'en  prov.  on  dit  à-z-Ais,  où  -:-  représente  le  »/  de 
lat.  ad.  en  liaison  étroite  devant  voyelle.  En  est  remplacé  par  sur 
«  jour  marquer  l'extériorité  (seules  se  sont  conservées  des  ex- 
pressions mourir  in  croix,  îtn  en  selle)  ».  La  tournure  aller, 
monter  en  biciclette,  restée  populaire  malgré  les  journalistes  et  les 
académiciens,  montre  que  l'ancien  emploi  de  in  est  resté  familier 
au    langage    parlé. 

§  567  (/:  «  Le  tour  pour  grands  i/m  soient  les  rois  n'a  duré  que 
jusqu'à  l'époque  de  Corneille  ».  Il  me  semble  bien  l'entendre 
encore  aujourd'ui;  en  tout  cas  il  est  aisément  compris  et  ne 
choque  pas. 

Jules  Ron.tat. 

F.    Mistral.    —   La    Genèsi   traducho    en    prouvençau,    l'nri.<,    Cham- 
pion,  1910,   xi-303  p. 

Lou  chapitre  proumié  de  la  Genèsi  a  pareigu  dins  VArmana  prou- 
vençau de  1878,  e  despièi  F.  Mistral  n'en  largué  au  mens  un  cado 
annado,  enjusqu'au  chap.  XXXIII,  publica  dins  lou  tome  de 
1908.  Lou  voulume  qu'aro  recebèn  caup  lou  teste  de  la  Vulgato 
à  man  drecho,  la  traducioun  prouvençalo  à  man  gaucho  e  uno  traou- 
cioun  franceso  pèr  J.-J.  Brousson  en  dessouto.  Acô  permet  de  vèire 
quant  fidelamen  F.  Mistral  a  segui  Fôuriginau  latin,  tau  qu'eu  lou 
dis  en  soun  avans-prepaus  : 

«  La  grand  coumparitudo  de  la  vido  biblico  e  cte  sa  lengo  pas- 
touralo  em'  aquelo  di  pastre  e  gardian  de  Prouvènço,  i'a  long- 
tèms  que  nous  avien  donna  idèio  e  goust  de  traduire  en  prouven- 
çau lou  libre  de  la  Genèsi 

»  La  parladuro  simplo  de  l'Escrituro  Santo,  retipado  au  lengage 
de  nosti  païsan,  mostro,  miés  que  rèn  autre,  la  drecho  parentèlo 
don  latin  poupulàri  emé  lou  parla  famihié  de  la  Provincia  Bo- 
mana,   encaro   viéu   à    traves   cie   champ   ». 

Aquelo  Genèsi  es  la  proumiero  versioun  que  s'es  facho  en 
prouvençau  mouderne.  En  vièi  prouvençau,  nous  dis  C.  Chabaneau 
dins  uno  letro  ta  F.  Mistral  qu'eu  enseris  en  soun  avans-pre- 
paus, se  couneis  que  la  traducioun  counservado  à  la  Biblioutèco 
naciounalo  de  Paris  (ms.  2426)  e  publicado  en  apoundoun  i  Bio- 
graphies des  Troubadours,  p.  193;  d'àutri  versioun  (B  N  6261. 
Genèsi  ih  Scriptura,  Récits  d'histoire  suinte  en  béarnais  p.  p. 
Lespy  e  Raymond)  soun  incoumplèto  o  mesclado  d'elemen  estrangié 
à  la  Biblo ;  la  Genèsi  manco  dins  tôuti  H  Biblo  vaudeso,  que  nous 
soun   vengudo   mai  o   mens   incoumplèto. 


COMPTES    RENDUS.  451 

Es  ciounc,  la  Genèsi  mistralenco,  un  evenimen  majeur  de  la  r-es- 
pelido  di  letro  prouvençalo,  e  nàutri  Eelibre  saludan,  esmougu,  La 
nouvelle  mount-joio  que  aoste  Mèsti  aubouro  à  l'ounour  de  sa 
fôngo,  n'acreissèni  lou  trésor  literàri  emé  lou  proumié  Libre  sant  <li 
crestian  de  tout  terraire. 

Lis  escrivan  prouvençau  ié  pescaran  d'àuti  Leiçoun  pèr  bèn  es- 
eriére,  e  li  Lenguisto  de  bèus  eisèmple  de  Bintàssi,  ansin  i  ch.  III, 
v.  11,  ch.  XIII,  \.  3,  ch.  XV,  v.  10,  ch.  XXXI,  v.  32,  ch. 
XXXVII,  v.  21,  ch.  XXXVIII,  v.  15..  ch.  XLVIII,  v.  10,  e  un 
pau  de-pertout,  moustrant  lis  acord  de  paraulo  e  li  biais  de  dire 
que  se  pratieon  en  Prouvènço,  tau  que  soun,  et  noim  tau  (|iie  trop 
souvent  li  depinton  uni  boni  gènt  couplant  sènso  èime  li  coum- 
pèndi  escoulàri  de  gramatico   franceso. 

Uno  causo  m'a  un  pau  estouna  dins  un  libre  édita  pèr  lou 
libraire  de  la  Société  de  linguistique,  adounc  aprouvesi  de  touto 
ineiio  de  caratère:  li  mot  tau  que  patrto  soun  de-longo  es.  ri  patrio, 
noun  pas  que  lis  6  e  ô  de  l'ourtougràfi  prouvençalo  soun  drechamen 
emplega  en  tout  resoontre. 

Jùli    PnOUNJAT. 

Joseph  François  Baptistan  Denis  Julien.  —  Julienno  provençalo,  s. 
1.   n.   d.,   39  p.,   avec  quelques  jolies   illustrations. 

Alexandrins  de  la  plus  extrême  platitude  (l'auteur  en  convient 
lui  même  passim,  notamment  p.  11)  écrits  en  provençal  (c'est-à- 
dire  pensés  en  français,  puis  l'auteur  a  mis  des  -o  à  la  place 
des  -<  £ém.  et  inséré  çà  et  là  quelque  vocable  du  terroir  qu'il 
n'avait  pas  oublié)  par  un  brave  omme  de  Lourmarin  établi  en 
Amérique,  mort  sans  avoir  jamais  revu  son  village  natal  et  lais 
sant  à  ses  éritiers  un  manuscrit  où  il  avait  entrepris  d'en  célé- 
brer les  attraits.  Intention  touchante  et  publication  pieuse.  Sujet 
de  tèse  pour  romanistules  allemands  ou  suédois:  Ueber  das  werden 
einer  misch-  (julienne,  mélange  de  légumes  variés)  :u  einei  lehn- 
sprache.  Unicum  pour  bibliomanes  (cf.  p.  5)  :  le  seul  livre  pro- 
vençal  (?)   écrit  et  publié  en  Amérique.  J.    R. 

Vivo  Pouvènço  !  porto-paraulo  mesadié  di  recoubranço  miejour- 
nalo.  ■ —  Dir.  P.  Devoluy,  carr.  de  la  Pousterlo,  9.  Nimes;  ame- 
7ii*tr.    J.    Renadiêu,    balouard   Siste-Isnard,   29   bis,    Avitfnoun    (6 

pajo  pèr  mes  ;  abounamen  pèr  un  an  :  Prouvènço  e  Franco,  4  fr.  ; 
estrangié,   4   fr.    50). 
Proumié  semestre  de  1910. 

Vers  de  Jan  de  la  Vau-Longo  (Janvié.  Jun),  F.  de  Baroncelli- 
Javon  (Mars),  R.  Michalias  (Mars),  Laforêt  (Janvié,  Mars,  Abriéu)  ; 


Ï52  COMPTES    RI  NDUS. 

Lou  Poutoun,  restitucioun  eequisto  d'une  cansoun  poupulàri,  pèr 
Jan  .Malan  (.Mais);  traducioun,  dira  lou  mètre  ôuriginau,  dVni  Ge- 
8tmg  der  Geister  iiber  den  Wassem  de  Goethe,  pèr  3.  Rounjat 
(Mai).  Article  de  dôutrino  felibrenco,  d'istùii  miejournalo,  de  cri- 
tioo  literàri,  etc.:  Laforêt  e  Jan  Patarin  (Janvié),  Jùli  Veran 
Mars),  sus  l'eraignamen  dmi  prouvençau  e  li  teourio  mougudo 
pèr  aquéli  que  F.  Mistral  noumo  ciraire  de  boto  on  un  article  do 
VAiôli  reproudu  au  n"  de  Febrié  (vèire  tambèn  aqui-sus  la  Boule- 
gadisso  d'Abriéu)  ;  P.  Devoluy.  seguido  di  Pajo  d'istôri  miejour- 
nalo (Feb.,  Abr.,  .Mai,  Jun,  l'autour  arribo  aqui  en  pleno  Crou- 
sado  albigesu)  ;  Jan  Malan,  seguido  dis  Ausord  (Feb.,  Mars,  .Mai;  à 
la  Boulegadisso  de  Mai,  noto  intéressante-  sus  Jan  Cavalié,  d'après 
un  libre  de  M.  F.  Puaux)  ;  J.  Rounjat,  Paraulo  vuejo  e  fa  ri 
ri nt  (.Mars),  eomto-rendu  de  l'edicioun  nouvello  de  Peyrot  (Jan- 
vié) ;  à  la  Boulegadisso  de  Janvié,  critioo  di  Mount-joio  de  P. 
Roman;  bel  article  sus  l'obro  scientifico  dôu  Felibre  di  Tavan 
(Jun)  ;  poulemico  contro  li  tendènci  di  nouvèu  felibre  qu'ignoron 
au  cop  li  lèi  de  sa  lengo  e  lis  endraiado  de  la  dùutrino  mistra 
lenoo  (Feb.,  Abr.,  Mai,  Jun,  ma  j  amen  à  la  Boulegadisso;  vèire  tam- 
bèn lis  article  amusant  e  venjatiéu  de  Matablat,  Abr..  Mai.  Jun). 

J.    R. 

Henri  Schoen,  docteur  es  lettres,  piofesseur  agrégé  de  l'Univer- 
sité. —  Frédéric  Mistral  et  la  littérature  provençale.  Paris, 
Fischbacher,  1910,  in-8"  de  46  p.  (tiré  à  part  de  la  Revue  dt 
Belgique). 

Un  communiqué  de  l'auteur  nous  apprend  : 

«  La  faveur  avec  laquelle  le  grand  publie  et  la  presse  française 
et  étrangère  ont  accueilli  les  travaux  de  M.  Schoen  sur  Coppée  et 
Sardou  a  décidé  l'éditeur  à  continuel'  la  même  collection  par  une 
étude  sur  Mistral  et  Ut  littérature  provençale.  L'enthousiasme  que 
l'auteur  de  «  Mireille  »  et  la  poésie  provençale  ont  soulevé  réoera 
ment,  non  seulement  dans  tout  le  Midi,  mais  aussi  dan6  la  France 
entière  et  à  l'étranger,  donnent  à  ce  livre  une  actualité  particu- 
lière. Grâce  au  vaillant  poète  de  Maillane,  on  peut  dire  que  la 
cause    de    la    littérature    méridionale    est    gagnée.    » 

Une  collection  comprenant  Coppée,  Sardou  et  Mistral,  cela  donne 
une  idée  de  la  manière  de  M.  Schoen.  Il  étudie  le  «vaillant  poète  de 
Maillane  »  très  sommairement  et  ne  dit  rien  de  bien  neuf  ni  de 
bien  profond  sur  son  œuvre  littéraire  ou  sur  son  action  sociale. 
Les  faits  sont  du  moins  présentés  en  général  exactement,  et  c'est 
déjà    quelque    chose,     quand    on     pense    aux    élucubrations     fantai- 


CORRESPONDANCE  453 

sistes  'li1  ceux  qui  veulent  exploiter  la  gloire  australienne  au  profit 
de  leur  conceptions  politiques,  d'ailleurs  contraires  à  l'enseigne- 
ment de  Mistral,  ou  simplement  au  profit  de  leur  réclame  person- 
nelle. 

Jules    Ronjat. 


CORRESPONDANCE 

Je  prie  la  direction  de  la  ff<  vue  de  vouloir  bien  insérer  dans  son 
plus  prochain  numéro  les  quelques  explications  qui  suivent,  et  par 
lesquelles  je  réponds  aux  peu  bienveillantes  appréciations  de  M. 
Ronjat. 

Confraternelle-mont  à   vous 

Raymond    Four,   à   Saint-Saury    (Cantal). 

Dans  son  compte  rendu  cte  Jous  là.  Cluchàdo,  la  dernière  œuvre 
de  V-ermenouze,  M.  Ronjat,  qui  a  quelques  prétentions  à  l'infail- 
libilité philologique,  .ne  pardonne  pas  au  traducteur  du  majorai  au- 
vergnat d'avoir  établi  un  système  orthographique  en  opposition 
avec  ses  idées  à  lui. 

Il  lui  reproche  en  particulier  d'avoir  restitué  IV  des  infinitifs. 
I'îi  de  médecin,  taben,  etc..  et  surtout  d'avoir  audacieusement  écrit 
<  nsignadoun,  malgré  le  latin  -torium  et  l'auvergnat  -doit,  fém. 
-douiro. 

Pour  ce  qui  est  du  premier  grief,  je  n'essayerai  pas  de  lui 
répondre:  d'autres  Pécuchets  /niques  l'ont  fait  avant  moi  sans  ar- 
river à  le  convaincre,  tant  il  est  vrai  qu'il  n'y  a  pas  pire  sourd 

Mais,  tout  ecclésiastique  et  Pécvc/ief  que  je  suis,  je  me  permet- 
trai de  dire  à  M.  Ronjat  :  vous  ne  savez  pas  distinguer  un  subs- 
tantif d'un  adjectif...  Vous  confondez  mouchoir,  râcloir,  ensei- 
gnoir  (passez-moi  ce  barbarisme)  avec  moucheur,  râcleur,  ensei- 
gneur  (eî  de  deux). 

Mouchadoun,  rascladoun,  ensignadoun  étaient  tout  d'abord,  — 
j'en  conviens  et  ce  n'est  pas  M.  Ronjat-La  Mirandole  qui  me 
l'apprit,  —  les  adjectifs  mouchadour-ouiro,  rascladour-ouiro  et  en- 
signadour-ouiro  employés  substantivement;  il  m'avouera  toutefois 
que  ces  mots  étant  devenus  de  vrais  substantifs,  il  importe  abso- 
lument de  les  distinguer  de  leur  forme  première,  de  l'adjectif  dont 
ils  ont  perdu  le  sens.  On  ne  peut  raisonnablement  écrire  ensignadoun 
(lieu   où  l'on   enseigne)    comme  ensignadour-ouiro   (qui   enseigne). 

Bascladour,    mouchadour,    escupidour  et  autres   ne   peuvent   signi- 

30 


i.Vi  I  I  IRRESPONDANCE. 

fier  que  râcleur,  moucheur,  cracheur,  et  la  forme  en  oun  [rascla- 
doun,  mouchadoun,  escupidoun,  etc.)  peut  seule  répondre  sans 
confusion  possible  aux  formes  substantives  du  français  en  oir  [râ~ 
cloir,  mouchoir,  crachoir). 

Ma  thèse  est  d'ailleurs  confirmée  par  le  seul  fait  que  nous  cons- 
tatons l'existenci  d  s  dérivés:  rascladounot.  moucJtadounèl,  arru- 
cadounàt   et   autres. 

.Mais  peut  être  n'est-ce  là  qu'une  élucubration  de  professeur  de 
petit  séminaire?... 

La  transcription  étymologique  des  poèmes  de  Jous  la  Cluchàdo 
n'est  pas  irréprochable  sans  doute  de  tous  points;  elle  le  serait  si 
M.  Ronjat  l'avait  faite:  il  suffit  pour  s'en  convaincre  —  mon  Dieu, 
que  je  suis  donc  méchant  !  —  de  relire  la  Grando  Obro  de  Verme- 
il, iiizi'  telle  que  mon  Aristarque  l'orthographiait  naguère  dans  Vivo 
Prouvi  nçot 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  lecteurs  de  la  Rt  vue  des  langues  romanes 
jugeront  que,  pour  être  huguenot,  on  n'est  pas  dispensé  d'être 
poli,  et  qu'une  critique  où  la  malveillance  tient  lieu  d'arguments 
n'est  pas  précisément  une  critique  impartiale. 

Qu'ils  lisent  le  beau  livre  de  Vermenouze,  ci  cette  lecture  leur 
sera  beaucoup  plus  profitable  que  les  récriminations  hargneuses  du 
super-philologue   Ronjat. 

Raymond  Four. 

M.  Four  me  fait  savoir,  d'autre  part,  en  une  lettre  personnelle. 
qu'il  est  maintenant  curé  de  campagne,  et  non  plus  professeur  r)e 
petit  séminaire.  Je  m'en  réjouis  doublement:  il  n'enseignera  plus 
le  latin  à  sa  manière,  et  il  pourra,  dans  son  commerce  avec  les 
paysans,    améliorer  ses   connaissances   en   langue   d'Oc.' 

En  me  qualifiant  de  «  huguenot  ».  il  veut  sans  doute  insinuer 
que  je  critique  de  parti  pris  tout  ce  que  peut  faire  un  «  cura  ». 
Erreur:  v.  mon  compte  rendu  des  Principes  de  Jac.  van  Ginneken. 
-5.  /.,  ici-même,  p.  197.  Si  j'ai  noté  que  M.  Four  était  professeur 
de  petit  séminaire,  c'est  :  1°  pour  expliquer  comment  il  peut  pos- 
séder quelques  rudiments  de  latin  ;  2°  pour  le  rapprocher  de  laï- 
ques présentant  un  état  mental  analogue,  et  mnitier  ainsi  que  la 
tournure  d'esprit  que  je  caractérise  par  le  souvenir  de  «  Péouchst  » 
n'est   l'apanage   exclusif   d'aucun   abit. 

Le  fond'  de  sa  lettre  est  instructif  au  même  titre  que  certaines 
coni  eptions  sur  l'onomastique  :  c'est  toujours  le  sistème  de  la 
charrue  avant  les  bœufs:  «  11  faut  rechercher  avant  tout  la  véri- 
table signification  du  nom  de  lieu  considéré  »  (ici-même,  p.  183)  ; 
de  même  M.  Four  dit:  «  Il  importt    absolument  de  distinguer  »  les 


CORRESPOND  \NC.E.  155 

substantifs  continuant  lat.  -torvu,  -toria  «  de  l'adjectif  dont  ils 
ont  perdu  le  sens.  On  ne  peut  raisonnablement  écrire  ensignadoun 
(lieu  où  l'on  enseigne)  comme  ensignadour,  -ouiro  (qui  enseigne)  ». 
Pourquoi?  on  ne  le  saura  jamais;  en  attendant,  tout  le  monde, 
sauf  M.  Four  t  une  demi-douzaine  d'autres  esprits  ingénieux, 
écrit  -doit  conformément  à  ta  prononciation.  L'existence  de  dimi- 
nutifs avec  -7i-  n'i  fait  rien.  En  vpr.  on  écrivait  canso  et  canso- 
neta.  A  Montpelliei  on  dit  mUJiou,  fém.  milhouna  fe*  non  iitlhoury) 
refait  sur  les  nombreux  adj.  et  subst.  en  -ou  <  lat.  -onc,  fém. 
-ouno;  ee  n'est  pas  une  raison  pour  écrire  milhoun  au  m 

M  Four  écrit  ironiquement  que  la  «  transcription  ethnologique  m 
des  poèmes  de  Vermenouze  serait  irréprochable  si  je  l'avais  faite. 
Non,  et  poin  une  bonne  raison,  c'esl  que  je  n'aurais  jamais  fait 
rien  de  pareil.  Je  me  serais  contenté  de  publier  le  livre  dans  son 
texte  original  grafié  suivant  les  règles  félibréennes  (voir  mon 
Ourtougràfi  prouvençalo  et  mon  article  -I  prepaus  d' ourtougràfi 
dans    Vira   Prouvènço!  de  mai  1909). 

.M.  Four  déclare  que  dans  ma  critique  «  !a  nnlvciltanea  tient 
lieu  d'arguments  ».  Or,  j'ai  cité  ici  même,  p.  190,  à  titre  d'échan- 
tillon. (\viis.  autres  méprises  assez  fortes.  J'aurais  pu  accumuler  ce 
genre  d'arguments,  mais  ma  bienveillance  pour  M.  Four  et  pour 
nos  lecteurs  m'en  a  détourné.  Une  autre  fois  je  tâcherai  de  faire 
mieux. 

Jules  Ronjat. 


Toulouse,   le  9  août   1910. 
Monsieur   le   Dikectkur, 

Par  votre  lettre  datée  du  29  juillet,  vous  me  déclarez  que  vous 
ne  pouvez  insérer  la  réponse  que  je  vous  ai  adressée  relativement 
aux  comptes  rendus  de  mes  ouvrages,  l'Empire  <ln  Soleil  et  l'Antho- 
logù  il  h  Félibrigt  .  comptes  rendus  publiés  clans  la  Eevin  des  Lan 
gués  Romanes  par  M.  J.  Ronjat.  Vous  assurez  que  M.  Ronjat  ne 
m'a  pas  attaqué  personnellement,  alors  que  ses  deux  articles  sont 
pleins  de  critiques  les  plus  enfiellées  ;  vous  en  tirez  argument  pour 
me  refuser  de  répondre  dans  le  même  ton.au  nom  de  la  jurisprudence  :  ' 
avocat  et  docteur  en  droit,  je  n'ai  pas  la  même  confiance  que  vous 
dans  l'invariabilité  de  la  jurisprudence.  .Mais  je  ne  veux  pas  irri- 
ter le  débat,  et  puisque  vous  voulez  bien  me  promettre  de  publier 
dans  votre  Revue  les  rectifications  détaillées  que  je  croirai  devoir 
apporter   aux   assertions   de    M.    Ronjat,    je    leur    répondrai    ceci: 


156  CORRESPONDANCE. 

I.    Au  sujet  de  l'Empire  du  Soleil. 

■  Ii    ferai  remarquer  que  toute  la  notice  est  pleine  d'injures  absolu- 
ment gratuites    :   ignorance,    «   stile  défectueux  »,   appréciations  en 
me  qu«  .M.  Ronjat  relève  d'autres  faits  précis  que  les  deux 
suivants    : 

1'  «  L'Empin  ,/ti  Soleil  consacre  des  pages  entières  à  réfuter  les 
eptions  «le  Napoléon  Peyrat  sur  la  Croisade  contre  les  Albi- 
geois ».  —  Rien  de  plus  naturel  quand  on  songe  que  cette  étude 
se  place  au  moment  où  j'étudie  le  mouvement  de  la  Louscto  en 
1876-1877.  Fourès  et  ses  dis.iples  n'ont-ils  pas  été  directement  ins- 
pirés  de  Peyrat'.'  Fourès  lui-même  ne  lui  a-t-il  pas  dédié,  «  au  grand 
historien  de  la  Croisade  ».  ses  plus  fougueuses  inspirations?  Tout 
dernièrement  encore,  Prosper  Estieu.  dans  la  Canson  Occitana,  lui 
consacrait  tout  un  poème.  Je  demande  que  l'on  montre  l'erreur 
énorme  que  j'ai  commise  en  donnant  à  Napoléon  Peyrat  une  grande 
importance   dans    le    mouvement    albigéiste    languedocien. 

2°  «  L'Empin  </u  Soh  il  cite  T<>I<'za  de  Félix  Gras  comme  «  l'un 
des  chefs-d'œuvre  tipiques  »  de  la  littérature  provençale  ».  —  Je 
croyais  jusqu'à  présent  que  Félix  Gras  venait  apès  Mistral  et 
Aubanel,  comme  le  chef  de  la  seconde  génération  félibréenne,  et 
1,11.-  ses  grands  poèmes  comme  Toloza  méritaient  une  particulière 
estime.  On  peut  discuter  sur  ce  point;  on  peut  me  reprocher  d'avoir 
oublié  Li  Carbounié  ou  le  Roumancero  Prouvençau.  Mais  je  de- 
mande cà  tous  les  lecteurs  de  bonne  foi  si  deux  opinion*  personnelles 
de  cette  espèce  peuvent  suffire  «  à  mettre  en  garde  »  contre  mon 
livre  et  à  le  faire  traiter  de  «  traçai!  â'amateur  dans  le  pire  sens 
du    terme   ». 

Franchement,  si  l'Empin  du  Soleil  est  un  livre  si  mauvais,  M. 
Ronjat  aurait  mieux  fait  de  choisir  des  exemples  plus  concluants, 
surtout  en  présenoe  <\'-u\  ouvrage  auquel  Imitr  In  presse  (sauf  le 
Vivo  Prouvençof  de  MM.  Dévoluy  et  Ronjat)  a  bien  voulu  recon- 
naître des  qualités,  et  au  sujet  duquel  Frédéric  Mistral  s'est  donné 
li  peine  de  m'écrire  une  longue  lettre,  dont  je  vous  ferai  grâce, 
mais  qui  commence  ainsi    : 

«  Mon  cher  Ami, 
»    ïuEnvpire    du    Soleil    me   révèle    une   fois    de    plus   une   de   ces 
d'or    dont   la    sympathie    spontanée    réalise    le    rêve   de    Fonl 
Ségugne.    Vous    avez    deviné    d'instinct   tout    ce    que    notre    indépen- 
e    et    notre    rêve   de    jeunesse    entrevirent   dans   l'azur  de   notre 
ciel    provençal,   et    des   compréhensions  et    des   adhésions    comme 
vôtres   suffisent    à    démontrer   que    les    voix    du    Félibrige  n'ont  pas 
crié  dans  le  désert,  etc...  » 


CORRESPONDANCE.  i .',  / 

II.    L'Anthologie   du   Félibrige, 

Ici,   M.    Ronjat    est    plus   précis    : 

1  11  nous  reproche  de  mauvais  choix  dans  l'œuvre  de  Roumanille, 
Aubanel,  Anselme  Mathieu,  Tavan,  Arène,  Clovis  Hugues,  Mir, 
Chastanel  et  CaméLat.  Il  est  vrai  que  nous  avons  omis  la  Vénus 
d'Arles  :  mais  La  Eaute  en  est  tout  entière  à  M.  Aubanel  fils  qui 
h ',.   pas  cru  devoir  nous  autoriser  à   cette  reproduction. 

En  oe  qui  concerne  Roumanille,  nous  avons  représenté  chacun 
dee  genres  où  il  excellait:  évidemment,  il  y  manque  l'un  des  contes 
qui   firent    sa  gloire;   mais  notre  anthologie  était    fermée  à   la    prose. 

Foui-  Tavan.  nous  avons  les  Frisons  de  Mariette  que  l'on  cite 
partout  et  qui  nous  ont  paru  bien  surfaits. 

Pour  Mir  et  Chastanet,  leurs  contes  et  récits  en  vers  s'impo- 
saient, il  est  vrai,  plus  que  les  petits  morceaux  que  nous  avons 
cités  :  niais  La  place  nous  était  mesurée.  Qu'aurait  il  fallu  alors 
donner    aux   ai. très  ? 

Quant  à  Mathieu,  Arène,  Clovis  Hugues,  nous  serions  curieux 
que  M.  Ronjat  nous  indiquât  la  pièce  célèbre  <le  ces  auteurs  que 
nous  avons  laissée  de  côté.  Toutes  ces  critiques  sont  des  affirma- 
taons   purement  gratuites. 

Cela  est  si  vrai  que.    pour   Camélat,   notre   choix,   critiqué  par   M. 
Ronjat,    coïncide   exactement  avec    celui    que    M.    de    Cardaillac,    tra 
ducteur  et  préfacier  de  Bêline-,  indique  dans  sa  préface,  par  ses  cita 
tiens.    11   reproduit   ces  passages  comme  les  plus  admirables.  Si  nous 
nous    trompons,    c'est  donc    en   bonne,    compagnie. 

2'  M.  Ronjat  nous  reproche  ri'avoir  donné  place  en  notre  livre 
à  des  «  seigneurs  de  moindre  importance  ».  Or,  ces  félibres  qui, 
à  son  gré,  ne  devraient  pas  figurer  dans  notre  anthologie  sont  : 
Jean  Monné,  les  félibresses  Antoinette  de  Reaueaire  et  Brémonde, 
Albert  Arnavielle,  Prosper  Estieu,  Antonin  Perbosc,  Sarrau  et 
l'abbé  Roux.  Passe  pour  Sarrau,  dont  l'œuvre  n'est  pas  encore  suf- 
fisamment connue.  Quant  aux  autres,  nous  n'avons  rien  à  ajouter. 
M.  Ronjat  peut  les  dédaigner    :  c'est  une  opinion. 

3U  Nous  avons  omis  Salles  et  Charloun  :  il  y  a  là,  en  effet,  une 
omission  regrettable  ;  mais  où  nous  pouvons  répondre,  c'est  lorsque 
M.  Ronjat  nous  reproche  d'avoir  omis  Fabre  et  de  l'avoir  confondu 
avec    Tavan. 

Quand  nous  avons  dit  (p.  109)  que  Tavan  avait  pris  le  pseudo- 
nyme de  Felibre  di  Tavan,  nous  n'avons  nullement  confondu  celui- 
ci  avec  Fabre  :  ce  pseudonyme,  nous  l'avons  trouvé  signalé  dans 
l'Histoire  du  Félibrige  de  Gaston  Jourdanne,  ainsi  que  nous  vous 
l'avons   indiqué    dans    notre    lettre   précédente. 

Quant  à   Fabre,    comment   aurions-nous   pu    publier  un   extrait   de 


i58  CORRESPONDANCE. 

œuvres  dans   ootre  anthologie,    puisqu    les  deux   livrée  ont   paru 
en  même  temps,  en  1909'    I.  de  l'illustre  entomologiste  ont 

Roumanille  l'année  dernière  ! 

4     Votre    collaborateur,    m'attaquant    personnellement,    me    repro 
ensuite   toutes    sortes   d'opinions   qui    ne    cadrent    pas    avec    les 
mes,  et  n'en  demeurent  pas  moins  controversées.  L'unification  des 
dialectes,  à  laquelle    travaillent   certains  félibres,  est  elle  a  priori  un 
absurde?   La    limite   des    «    langues   d'oui   et  d'oc    »   est-elle   si 
nettement   ti:.<  ■  !  i  ;    Qu  •    l'on    discute,    mais    pourquoi    inju- 

rier '.' 

5"  «  Les  Jeux  Floraux  de  Toulouse  sont  présentés  comme  un 
renouveau  fécond  de  poésie,  au  xn"  siècle  ».  — ■  Nous  n'avons  nul- 
lement dit  cela.  .Nous  avons  simplement  signalé  que  le  collège  'I  s 
Sept- Troubadours  avait  étc  la  seule  organisation  qui,  pendant  plu- 
sieurs siècles,  avait  réagi  contre  l 'envahissement  du  français 
qui  est  la  pure  vérité.  Jl  n'a  pas  suscité  de  grands  poètes:  il  n'en 
a    pas  moins  fait  oeuvre   utile   et   importante. 

G    «  L'auteur  —   pourquoi    pas   les   auteurs?   nous  étions   deux   — 
semble    n'avoir    pas    même    lu    les    statuts   de    l'association    dont    il 
nd    décrire    le    fonctionnement,    » 

Ceci  veut  dire  qu'en  étudiant  le  Félibrige,  nous  nous  sommes 
fondés  sur  les  statuts  de  1876,  qui  sont  la  charte  fondamentale  du 
Félibrige,  tel  que  Mistral  l'a  voulu,  et  que  nous  avons  délib 
ment  laissé'  de  côté  les  modifications  apportées  à  ces  statuts  en 
1905,  modifications  dont  on  demande  l'annulation  aujourd'hui,  d'ac- 
cord avec  Mistral  et  la  majorité  du  Consistoire.  Nous  avons  le 
droit  de  nous  attacher  à  ce  qui  est  essentiel  dans  l'organisation 
félihréenne.    et  de    négliger    ce    qui   est  heureusement    provisoire. 

7"  Noue  avons  traduit  Raubalàri  par  Séducteur.  Il  est  exact 
que  c'est  Rapt  ou  Enlèvement  qu'il  faut  dire  :  mais  la  menu-  er- 
reur est  commise  dans  le  meilleur  livre  écrit  jusqu'à  présent  sur 
Aubanel,  par  M.  Nicolas  Welter,  traduction  de  F.  Charpin,  Avi- 
gnon,   Aubanel,    p.    239. 

Puisque   vus   m'assurez,   Monsieur,   que  «   vous  êtes   tout  disposés 

à    insérer    une    réponse   aux    comptes    rendus    de    M.    Roniat    »,    je 

compte  sur   votre   loyauté'   pour    publier   celle- cj,   -l'y   tiens   essentiel- 

it    pour    établir  la    \érité    aux   yeux    de   votre    public    qui    a    vu 

avec  quelle  acrimonie  j'avais   été  pris   à    partie. 

Veuillez  agréer.  Monsieur,  l'assurance  de  ma  considération  très 
distinguée.  Armand    Prayikt.. 

Je    n'ai    pas    a    refaire    l'éducation   linguistique,    istorique    et    lit- 
ire  de  .M.   Praviel,  encore  moins  à  discuter  avec  lui.   Les  cho 


I  ORRESPOND  \  M  i  .  i59 

qu'il    i      ,!  cidées    depuis    longtemps    et    ne    s.-    <h 

mf  entre  Bouvard  el  Pécuchet.  La  Loire  limite  du  français 
l'f  du  provençal,  Peyrai  pris  au  sérieux  comme  istorien,  les  poètes 
i  '    l<  '         ugés  non  d'après  leur  valeur,  mais  d'après  leur  célé- 

brité, etc.;  décidément,  nous  ne  parlons  pas  la  même  langue. 

Je  n'ai  pas  avancé  dans  nus  comptes  pendus  un  seul  l'ait  inexact, 
et  tout  omme  de  goûl  el  de  s, mis  qui  voudra  s'imposer  la  lecture 
'les  deux  volumes  en  question  verra  que  mes  critiques  ne  sont  «pie 
trop    fondées. 

M.   Pravie]    se  charge  lui-même  de  corroborer  mes  dires   en  indi- 
quant  qu'il    a    puise    lui-même   quelques    bévues    dans  des    ouvrages 
antérieurs,     [mpossible    d'avouer    plus    nettement    qu'il    travail]     de 
nie   main. 

.M.  Praviel  aurai!  très  facilement  trouvé  des  pièces  de  Fabre 
dans  ['Armana  prouvençau,  où  elles  eut  paru  longtemps  avant  la 
publication  de  VAntologie  du  Félibrige.  Mais  il  ignore  peut-être 
l'existence  de  ce  recueil.  11  aurait  trouvé  une  liste  autentique  de 
pseudonimes  félibréens  dans  Mann  Espelido,  livre  paru  en  1906. 
11    aurait    trouvé   des    pièces    de   Clovis    Hugues   et    de   Paul    Arène 

dans    1'Armana    prouvençau,    VAiàli,     Prouvènço!    Mais    il     n'ai 

pas   les  documents  de  première  main. 

11  ne  me  convient  pas  d'examiner  en  détail  les  mérites  des  dames 
on  des  messieurs  substitués  à  des  poètes  comme  Salles  ou  Char 
loun  Riéu.  ni  d'une  façon  générale  de  faire  intervenir  des  tiers 
an  déliât,  -le  tiens  cependant  à  noter  que  la  bévue  raubatàri  n'est 
pas  du  t'ait  de  mon  ami  Welter  :  dans  son  excellent  livre,  Theodoi 
Aubanel,  ein  provenzalischer  Sànger  der  Schônheit,  raubatàri  est 
brè  exactement  traduit  par  Entfuhrung  (p.  216).  Les  aveux  de 
M.  Praviel  montrent  qu'ici  ce  n'est  pas  même  de  seconde  main  qu'il 
travaille,  mais  de  troisième,  puisqu'il  cite  Welter  d'après  mie  Ira 
dvetion  française.  S'il  ne  sait  pas  l'allemand,  il  pouvait  du  moins 
chercher  raubatàri  dans  un  dictionnaire.  Il  demeure  néanmoins  sur- 
prenant  qu'un  omme  qui  ignore  un  vocable  aussi  usuel  .se;  mêle 
d'écrire    sur    la    littérature    provençale. 

Ji  passe  condamnation  sur  les  aménités  de  M.  Praviel,  compre- 
nant l'accès  de  mauvaise  humeur  qui  a  pu  le  saisir  quand  il  a  lu, 
au  lieu  du  commumqué  d'auteur  inséré  tel  quel,  un  compte  rendu 
élaboré  en  connaissance  de  caase  par  quelqu'un  qui  s'est  donné 
li   peine  (c'est   bien  le  mot)   de  lire  ses   livres. 

Un  mot  pour  éclaircir  un  détail  auquel  M.  Praviel  l'ail  une  allu- 
sion aussi  obscure  que  tendancieuse.  Fidèle  a  sa  coutume  de  me- 
surer ses  développements  en  raison  inverse  de  l'importance 
du     sujet,     il     insiste     particulièrement     dans     son     livre,     en     par- 


160  I  CORRESPONDANCE'. 

lant     de     l'organisation     félibn  m      une     prétendue     Reine 

du     Félibrig:      qui,     conti  à     son     dire     actuel,     n'exis- 

tait pae  plus  (l.in,  le  statul  de  1876  (v.  art.  46)  que  dans  celui  de 
1905  (v.  règlement  intérieur,  art.  20)  :  il  n'a  probablement  jamais 
lu  ni  l'un  ni  l'autre,  et  ici  comme  ailleurs  ses  prétendues  rectifica- 
tions n'aboutissent  qu'à  déceler  son  Impuissance  radicale  à  arti- 
culer  un    fait  exact. 

Jules    Ronmat. 


ERRATA 

P.   188,  1.   21.   au  lieu  de  aissado,  lire  eissado. 

P.    193,    1.    5,    supprimer   la    barre   sous    l'n    et   lire    simplement  n 
avec   un    point    en   dessous. 


\ 


ETUDE 
Sur  les  sources  de   .1.  M.  de  Heredia 

DANS   LES     CINQUANTE -SEPT    PREMIERS  SONNETS    DES        Troph   <         (1) 


S'il  me  fallait  illustrer  par  un  exemple  ce  dicton  que 
la  Fortune  se  plaîl  à  combler  ceux  qui  la  dédaignent, 
Heredia  me  le  fournirail  plutôt  que  toul  autre.  Il  esl  peu 
de  poètes  qui  aient,  autanl  que  lui,  affecté  le  mépris  de 
la  gloire;  il  n'en  esl  pas  qu'elle  ail  aussi  rapidement  élevés 
aussi  haut.  Ses  sonnets  datent,  en  somme,  de  1893,  el 
seize  ans  leur  ont  suffi  pour  se  ménager  une  place  que 
Leconte  de  Lisle  a  mis  près  d'un  demi  siècle  à  conquérir, 
que  Musset  peut-être  n'obtiendra  jamais.  J'entends  «pie 
les  Trophées  sonl  devenus  «  classiques  ».  Déjà  diverses 
Facultés  des  Lettres  les  onl  inscrits  à  leur  programme 
île  licence  pour  1910-1911,  et.  sans  aucun  doute,  cet 
exemple  ne  tardera  guère  à  être  suivi. 

Nous  sommes  donc  autorisés  à  penser  que  l'œuvre  de 
Heredia  entre  dans  une  ère  nouvelle,  qui  est  celle  de  la 
critique.  Les  jalousies  et  les  malveillances  se  sont  effa 
cées  ;  les  louanges  hyperboliques  el  vaines  se  sonl  étein 
tes  avec  le  poète.  Je  suis  presque  assuré  que  M.  Raoul 
Rosières  remette  l'article  injuste  dont  la  Revue  Bleue 
salua  l'apparition  des  Trophées,  el  il  me  semble  que 
M.  Gaston  Deschamps  ou  M.  Doumic  auraient  aujour- 
d'hui l'éloge  moins  facile  ;  car,  désormais,  il  nous  importe 


(1)  D'après  un  mémoire  proposé  par  l'auteur  à  la  Faculté  des 
Lettrée  de  Montpellier  pour  les  épreuves  du  diplôme  d'Etudes  supé- 
rieures   (Session    de    juin    1909). 

31 


t62  III  DE    SI  i;    LES    SOI  li(  l  & 

peu  que  tel  ou  le]  écrivain,  si  éminenl  soil  il,  aime  ou 
n'aime  pas  les  Trophées.  Nous  voulons  savoir  avanl  tout 
ce  qu'esl  le  livre  par  lui  même. 

<  >r.  l'on  ne  peut  juger  une  œuvre  donl  on  ne  connaîl 
pas  les  sources.  Que  dirail  on  des  Bucoliques  de  Virgile, 
si  l'on  ne  connaissait  pas  rhéoorite  ".'  Que  n'en  dirait-on 
pas  si  l'on  possédait  les  élégies  de  Gallus?  Il  n'étail 
pas  dix  personnes  au  monde  pour  apprécier  ;'i  leur 
valeur  les  poèmes  Scandinaves  de  Leconte  de  Lisle  avanl 
l'ouvrage  de  M.  Vianej  (I).  Bien  plus  encore  Heredia,  par 
~,-i  recherche  du  détail  précis,  exige  du  lecteur  une  étude 
approfondie  de  ses  modèles  el  des  documents  qu'il  a  mis 
m  œuvre.  Et  c'est  pourquoi  ou  l'a  tant  loué  et  critiqué 
a  tort  et  à  travers,  .l'ai  mi  tel  écrivain  que  je  ne  nommerai 
pas  lui  reprocher  comme  un  anachronisme  énorme  son 
Priape  grognon,  pourtant  exactement  copié  sur  une  épi- 
gramme  du  pseudo-Catulle.  Ceux-là  mêmes  qui  recon- 
naissent chez  lui  telle  ou  telle  influence  hésitent  et  restent 
prudemment  dans  le  vague  dès  qu'il  s'agit  de  la  définir. 
M.  Lanson  trouve  qu'il  procède  de  Gautier  plus  que  de 
Leconte  de  Lisle  :  selon  M.  Lemaître,  c'est  dans  des 
catalogues  '\r  collections,  selon  VI.  Gaston  Deschamps, 
c'est  dans  des  monographies  que  Heredia  aurait  puisé 
la  matière  de  ses  sonnets.  11  est  impossible  qu'ils  n'aient 
pas  raison  :  le  toul  esl  de  savoir  jusqu'à  quel  point. 

Le  temps  m'a  fait  défaut  pour  étudier  l'œuvre  entière 
de  Heredia  :  j'ai  dû  ne  m'occuper  que  des  cinquante-sept 
premiers  sonnets.  l)u  moins  ai  je  voulu  être  aussi  complet 
que  possible.  Obligé  de  lire  attentivement  des  centaines 
de  livres  el  n'ayant  eu  aucune  peine  à  retenir  par  cœur 
800  vers  sonores,  j'ai  minutieusement  relevé  tous  les 
passages  qui  me  semblaient  avoir  fourni  à  Heredia.  non 
pas  seulement  l'idée  générale  d'un  sonnet,  mais  encore 
l'idée  particulière  de  tel  ou  tel  vers.  Je  n'ai  point  la 
prétention  d'avoir  épuisé  mon  sujet  :  tous  les  jours,  je 
m'aperçois  du  contraire.    Vussi  liens  je  beaucoup  à  remer 

il)    Les   Sources   <h    Loconte   de   Vlsle,    par  -I    .Vianey    (Montpel- 
lu-i.    1910). 


DE   J.    M.    DE    HEKED1A  i63 

cier  ici  MM.  les  professeurs  Coulet,  Maury  el  Vianey  de 
la  bienveillance  extrême  avec  laquelle  ils  onl  jugé  mon 
travail  et  des  nombreux  conseils  qu'ils  m'ont  donnés. 

Je    prif    <lc    même    mes    lecteurs    de    m'accorder    toute 
leur    indulgence.    Je    sais    bien    qu'ils    ne    me    garderont 
point    rigueur    d'une    aridité    qui    lient,    en    partie,    à    la 
nature  même  tic  mes  recherches  :  j'espère  qu'ils  me  par 
donneront    aussi   «le   n'avoir   ]>;is   osé   apprécier   l'origina 
lité   si    fameuse   de    Heredia;   j'ai   craint,    n'ayanl    étudié 
qu'une  moitié  des  Trophées,  de  formuler  des  conclusions 
qu'aurait   démenties  un   bon   tiers  <lu   recueil.    Vussi   sou- 
haité je  qu'il  n'y  ail  à  ecl  égard  aucune  équivoque  possi 
ble.  Tout  Ce  que  je  vais  dire  ne  doit  être  entendu  que  tics 
Sonnets  antiques1.  Je  tâcherai  cependant  de  ne  rien  avan 
cer  qui  ne  puisse  s'entendre  de  toul  le  recueil. 

L'Ol  BL1 

l)c  même  qu'il  y  ;i  deux  parties  dans  son  livre,  il  y 
;i  deux  hommes  dans  Heredia.  Il  ;i  eu.  comme  tant  d'au- 
tres, une  première  el  une  seconde  manière,  qui  se 
révéla  vers  1880  cl  que  ce  sonnel  peut  caractériser. 
Il  ne  serait  pas  difficile  de  montrer  que,  pur  ses  ori- 
gines, il  explique  les  deux  tiers  des  Trophées.  Nous 
devons  y  voir  sans  doute  l'une  tics  dernières  productions 
'l'un  poète  qui,  plus  que  ne  l'a  cru  M.  Jules  Lemaître, 
est  allé  rêver  au  chemin  d'Ardiège.  L'Oubli  n'a  point  «le 
sources  à  proprement  parler  :  c'est  au  cœur  mémo  de 
l'artiste  qu'il  a  jailli  et  il  en  traduit  fidèlement  les 
désirs  et  les  aspirations.  Il  n'est  pas  jusqu'aux  maîtres 
habituels  de  Heredia  dont  nous  ne  retrouvions  l'influence 
dans  ces  quatorze  vers  :  Banville.,  Leconte  de  Lisle  cl 
Chénier  ont  développé  en  lui  le  <_:<>ùl  de  l'antique,  mais 
c'est  Louis  Ménard  qui  le  lui  a  inspiré.  J'aurai  bien 
d'autres  noms  à  citer  au  cours  de  celle  étude,  ceux  de 
Gautier,  et  de  Hugo,  el  de  Paul  de  Saint-Victor  :  mais 
ils  ne  sont  point  les  ancêtres  directs  tic  Heredia  :  je  tiens 
à  le  dire  hardiment  toul  au  début  :  si  l'on  n'a  pas 
lu   de   fort    près   les    Rêveries   d'un   Païen   Mystique,    les 


il)  i  •   i  i  Ml     SUR    LES   SOU RC US 

Poèmes  et  le  Polythéisme  Hellénique  (I).  l'on  ne  compren 
dra  jamais  les  Trophées  el  particulièrement  VOubli,  qui  en 
esl  la  pièce  liminaire.  Il  convient,  en  effet,  d'attacher 
une  grande  importance  au  plan  même  <lu  recueil,  préci 
sémenl  parce  qu'il  esl  un  peu  factice  et  que  Heredia  ;i 
mis  quarante  ans  à  le  trouver.  Ce  n'esl  poinl  par  hasard 
que  Sur  VOrlhrys  esl  le  dernier  des  sonnets  grecs;  que 
/Vu/  /c  l  aisseau  de  I  irgile  esl  le  premier  <l<-s  sonnets 
latins  :  que  ceux  ci  se  terminent  à  leur  lour  par  ['Exilée, 
el  que  le  recueil  se  ferme  s-ur  un  Marbre  brisé.  Il  faut, 
n\;tnt  toutes  choses,  lire  ces  quatre  sonnets,  el  peut-être 
aussi  Médaille  Antique,  Les  Funérailles,  Vendange,  Lu 
Vie  des  Morts,  pour  comprendre  toul  ce  que  veul  dire 
el  tout  ce  que  dil  VOubli. 

Mais  Heredia  ne  sérail  poinl  Heredia  s'il  n'avait  em- 
prunté çà  el  là  quelques  images  ou  quelques  détails,  \insi 
le  premier  \  ers  des  Trophées  : 

Le  temple  esl   en  ruine  au  haut  du  promontoire, 

;i  été  suggéré  par  les  premières  lignes  de  Pausanias   : 

Dans  cette  partie  du  continent  de  ta  Grèce  qui  regarde  les 
Cyclades  et  la  nier  Egée,  s'élève,  à  l'entrée  de  l'Attique,  le  pro- 
montoire de  Sunium;  au  bas  est  une  rade,  et  au  haut  un 
temple  dédié  à  .Minerve  Suniade.  (Pausianas,  l,  1,  1,  traduc- 
tion Gédoyn.) 

Je  ne  sache  pas  que  personne  ail  fourni  à  Heredia  le 
beau  tableau  du  second  quatrain,  mais  les  vers  2  à  .">  vien- 
nenl  de  Louis  Ménard.  Il  suffit,  pour  le  voir,  de  comparer 
les  deux  passages  : 

Et  la  mort  a  mêlé,  dans  ce  fauve  terrain, 
Les  Déesses  de  marbre  et  les  héros  d'airain 
Dont    l'herbe  solitaire  ensevelit   la  gloire. 

(1)  La  Préface  notamment  est  d'un©  importance  capitale,  non 
seulement  pour  l'étude  des  Trophées,  mais  encore  pour  l'histoire 
du  Néo-Hellénisme.  Malheureusement  ces  ouvrages  sont  devenus 
fort  rares.  Cependant  le  troisième  est  à  la  Sorbonne  et  le  second  à  la 
Bibliothèque  universitaire  île  Besançon.  Quant  au  premier,  on  l'a 
réédité    récemment. 


DE    J.    M.    DE    HEREDIA  i<(.) 

Un  jour  pourtant,  pleurant  leur  force  e1  leur  jeunesse, 
Les  Dieux  de  Phidias,  les  grands  Dieux  de  la  Grèce, 
Joncheront  de  débris  le  temple  délaissé. 

Pot  nu  s.    EDuphorion,    11.) 

Il   esl    possible   aussi    que    Heredia    se   soi!    inspiré   de 
Leconle  de  Lisle,  qui  avait,  avanl  lui,  imité  ces  trois  vers  : 

L'harmonieuse    rlellas,    vierge   aux   tresses   dorées, 

A   qui   l'amour  d'un   monde   a   dressé   des   autels, 
Gît,    muette    à    jamais,    au    bord    des    mers    sacrées 
Près  des  membres  divins  de  ses  blancs   [mmortels. 

i  Poi  mes  antiques.  Dies  I  ne.  | 

Plus    parliculièremenl    le    vers    'i    rappelle    un    passade 

du   Chant   alterne   : 

Volupté,    volupté 

Ta    belle    bien-aimée,    errante    et    solitaire. 
Voit    l'herbe   de   l'oubli    croître   sur   ses    autels. 

Ce  sonnel  nous  révèle  d'ailleurs  un  des  procédés  d'uni 
tation  chers  à   Heredia,  qui  se  borne  souvent   à   prendre 
à  son  modèle  un  tour  de  phrase,  un  mot,  une  construc- 
tion hardie.    Unsi   lorsqu'il  écril    : 

La    Terre    maternelle    et    douce    aux    anciens    Dieux 

il  se  souvienl  évidemment  que  Leconte  de  Lisle  a  dil   : 

()  terri'  du   repos,  doute  aux  hommes  pieux, 
Revêts-les   de   silence,    ô   Terre    maternelle. 

(P.   A.   Prière  Védique  pour  les  morts.) 

De  même  le  dernier  tercel    : 

Mais  l'Homme,  indifférent    au   rêve  des  aïeux, 
Ecoute    sans    frémir,    du    fond    des    nuit  s    sereines, 
La    mer   qui   se   lamente  en    pleurant    les   sirènes 

esl  en  grande  partie  tiré  de  Banville,  donl  Heredia  «  con 
lamine  »  deux  passages   : 

O    Dieux,    pendant    les    nuits   sereines,    anxieux, 

J'ai    longtemps    écouté    le    bruit    qui    vient    des   cieux. 

|  H.rili  s.    La    Cithare,  i 


l66  il  !  ni     SUP    u-    SOI  la  ES 

Ainsi   la   mer.   songeant    par   les   nuits   lumineuses, 
Me  faisait   tressaillir  de  tendresse  et   d'effroi... 
...Ces   yeux   où    les   chansons   <les    Sirènes    soupirent... 
(Exilés.   L'attrait  du  Gouffre. ) 


Mémée 

Ce  sonnet  (1)  a  deux  sources  principales  :  l'une,  peu 
importante,  esl  le  poème  de  Banville  de  même  nom,  l'au 
tre  esl  l'idylle  XXV  de  Théocrite,  Héraklès  Léontophone. 

Chez  Théocrite,  le  héros  raconte  lui-même  son  exploit 
avec  une  simplicité  affectée,  mais  avec  complaisance, 
puisque  son  récil  occupe  115  vers  dune  pièce  qui  en  ;i 
275.  Il  raconte  que,  résolu  à  tuer  le  monstre,  il  chercha 
longtemps  ses  traces  (212  215),  sans  que  personne  - 
présentai  pour  les  lui  indiquer,  car  «  lu  pâle  crainte 
retenait  chacun  dans  les  étables  ».  Il  aperçoil  enfin  l'ani- 
mal, le  guette  au  passage  ei  lui  décoche  une  flèche,  qui 
retombe  san<  entamer  son  cuir  épais  :  «  Etonné,  le  lion 
leru  brusquement  sa  tête  fauve,  promena  ses  regards 
île  tous  entes,  cl.  ouvrant  lu  gueule,  laissa  voir  ses  dents 
m  ides  <le  meurtre  »  (230-233).  Ils  s'étreignenl  alors,  et 
Théocrite  nous  décrit  minutieusement  toutes  les  péripé- 
ties de  la  lutte.  Vainqueur,  Héraklès  écorche  la  bêle  en 
m'  servant  des  propres  griffes  de  l'animal  et  se  revêt  de 
sa  dépouille  :  «  Telle  fui.  mon  ami,  la  mort  de  lu  bêle 
de  Némée,  qui  avait  fait  laid  de  mal  aux  brebis  cl  aux 
hommes  ». 

On  voit  que  Heredia  a  pris  fort  peu  de  chose  à  Théo- 
crite :  il  ne  nous  raconte  pas  le  combal  :  du  milieu  c\\\ 
joiii-.  il  transporte  la  scène  an  crépuscule.  La  raison  de 
ces  modifications  resterail  obscure  si  le  ton  même  des 
deux  morceaux  ne  non-,  la  révélait.  Le  poète  grec,  fidèle 
à  la  coutume  alexandrine,  lente  de  rajeunir  nu  sujet 
vieilli  en  multiplianl  les  anachronismes.  Son  Héraklès 
esl  nn  homme  plus  fort  que  les  autres,  mais  n'en  différant 

il)  Publié  avec  les  cinq  suivants  dane  la  Bévue  des  Deux-Mondes 
de?   15  janvier   1888. 


DE    J.    Al.     DE    Ul  .III  IU  \  107 

pas  essentiellemenl  :  il  a  le  parler  simple  des  bergers  de 
Sicile  ou  des  chevricrs  de  Cos  :  il  narre  sa  chasse  comme 
on  raconle  la  morl  d'un  sanglier.  Heredia  au  contraire 
revienl  au  style  épique,  crée  un  décor  grandiose,  agran 
dil  à  l'infini  l'ombre  crépusculaire  du  demi  dieu,  donne 
enfin  a  tout  le  morceau  la  profondeur  un  peu  obscure 
d'un  poème  orphique  ou  d'un  hymne  sacré  (1). 

.1''  m"  crois  pas  qu'il  se  soil  le  moins  du  monde  inspiré 
d'Apollodore  (II.  5,  I).  non  plus  que  de  Pausaniàs  (I. 
27  +   III.  IN    •    \.   10,   II.  25,  '•!(■.).  ni  même  qu'à  propos 

du   sec I   quatrain,  il  faille  rappeler  un    passage   de   !a 

Légende  de-  Siècles  ('-!).  mais  le  vers  2  : 

En  suivant  sur  le  sol  la   formidable  empreinte 

vieil!  peut  être  de   I  .econle  de  Lislc   : 

Et    des    laines    lions    suivant    le-    pas    empreints 

(P.  A.  Khirôn.) 

et  le  vers  M  est  une  i,    irei  -     adaptation  de  Banville   : 

Ils   étaient    à    la    fais   deux   héros   et   deux    bêtes. 

(Exilés.    Némée.) 

Il   es!   éviileni   qu'une  !'<>i<   la    lutte   terminée,   et    Eïéra- 
klès  revêtu  de  la  peau  du  lion,  il  n'y  a  plus  qu'un  person 
nage,   qui   esl   a   la   fois  le   monstre  el    I"   héros.   Ce  sera 
donc  un  monstrueux  héros  :  niai-   peut-être,  dan--  I. 

mation  de  ce  mut  final,  l'influence  de  Banville  s'est  c 

binée  avec  celle  de  \  iclor  Hugo,  à  qui  celle  même  épi- 
thète  e-i   chère. 

S  l  YMPHAl  I 

Nombreux  sont  le-  auteurs  de  l'antiquité  qui  cul  raconté 
la  légende  des  Stymphalides.  Cependanl  ce  n'est  ni  Dio 

(1)  Preller,  Griech.  M  y  th.  IT.  190.  et  Schwartz,  Ursprung  der  My- 
thol.,   page  215. 

(2)  Le    Mariagi    dt     Roland    . 

Le.-    liai  ai    les    ont    amènes 

Ont   raison   d'avoir   peui  I      fuir   dans   la   plaine 

Et  d'oser  de  très  loin  les  regarder  à  peine. 


468  El  DDE    -V  I,    I  ES    SOI  R<  I  - 

dore  de  Sicile  (IV,  31,  5),  ni  Pausanias  (III.  22),  m  Apol 
lodore  (II.  •'>.  6,),  m  Scrvius  (Ad  Virg.  /En.  VIII,  300), 
<[ni  <>ii!  fourni  son  sujel  ;i  Heredia.  Il  l'a  trouvé  avec 
bien  d'autres  dans  le  Polythéisme  Hellénique  de  Louis 
Vlénard.  Non  seulement  l'exploit  d'Hercule  y  est  raconté 
tout  au  long  d'après  les  sources  les  plus  certaines,  mais 
encore  il  y  est  interprété  selon  la  mythographie  con- 
temporaine.  Est  il  besoin  de  rappeler  que  les  oiseaux 
abattus  par  le  héros  sonl  les  nuages  orageux  < I i ^ s i | »« '•  s  par 
les  rayons  solaires?  Leurs  plumes  homicides  sonl  les 
éclairs.  Heredia  adopte  celle  interprétation,  cl  reprenant 
avec  un  arl  plus  patienl  la  méthode  de  Leconte  de  Lisle 
(Héraklès  Solaire),  il  s'attache  a  laisser  deviner  le  sens 
profond  du  mythe  par  le  choix  des  expressions  et  une 
perpétuelle  amphibologie.  Mais  Leconte  de  Lisle  l'étalé; 
I  [eredia  se  borne  a  le  suggérer. 

Stymphale,  qui  no  doit  rien  aux  auteurs  de  l'Antiquité, 
doil  fort  peu  aux  poètes  modernes.  Le  geste  de  l'Archer, 
«  ajustant  au  nerf  la  flèche  triomphale   »   rappelle   peut 
être  deux  vers  de  Victor  Hugo  : 

Le   Soleil,    dans   les   monts   où   sa    clarté   s'étale. 
Ajuste  à  son   nerf  d'or   sa   flèche  horizontale. 

(Contemplations.   Joies   du   Soir.) 

et  l'expression   :  «  plut  une  pluie  horrible  »  doit  être  une 
réminiscence  de  Leconte  de  Lisle  : 

et    par    nappes    compactes 

Et  par  torrents,  la  Pluie  horrible  commença. 

(P.    B.    Qaïn,    XCII.) 

Enfin  le  dernier  vers    : 

Hercule    tout    sanglant    sourire    au    grand    ciel    bleu 

a  été  suggéré  d'abord  par  la  lin  d'un  poème  de  Banville 

consacre'  à   Hercule   : 

Ils   regardaient    blanchir   le  grand   ciel   étoile 

(Exilés.    Tueur    de    Monstres.) 

el  par  un  mol  de  Victor  Hugo  : 


DE    J.    M.    DE    HEUEDIA  169 

Mais  tout  le  grand  ciel  bleu  n'emplirait   pas  mon  cœur. 
(Léyendi    des  Siècles.   Aymerillot.  ) 


Nessl-s 

Il  n  \  ;i  aucun  doute  possible  sous  les  sources  de 
Vessus  :  Les  Centaures  onl  été  introduits  dans  la  poésie 
moderne  par  Maurice  de  Guérin.  I  .a  nouvelle  que  celui  ci 
publia,  le  I")  mai  1840,  dans  la  Revue  des  Deux-Mondes, 
cl  (|iu  a  suffi  à  immortaliser  son  nom,  a  créé  le  type 
étrange  que  Leconte  de  Lisle  devail  reprendre  dans  Khi- 
rôn,  donl  Heredia  devail  l'aire  Nessus.  1res  certaine 
ment,  Nessus  esl  lils  de  Khirôn  el  petit-fils  de  Macarée. 
J'ajouterai  même  qu'il  esl  père  du  Polyphème  de  M. 
Albert  Samain,  donl  le  Cyclope  esl  un  véritable  Cen- 
taure (1).  11  esl  toul  à  l'ail  inutile  d'invoquer  à  propos 
de  ce  sonnet  les  récits  d'Hygin  (XXXIIJ  -el  XXXIV)  el  de 
Diodore  de  Sicile  (IV.  36,  M)  :  niais  le  vers  1   : 

Et    leurs    torrents    glacés    lavaient    mon    poil    vermeil 

nie  remel  eu  mémoire  un  passage  de   Banville   : 

Moi  qui...  (Achille  chez  Khirôn.) 
Baignais   mon   large  front  dans   les   lieuves  glacés 

i  Déïdamia,    I,    2.) 

et  le  vers  5   : 

Tel   j'ai   grandi,    beau,    libre,    heureux   sous   le   soleil 

esl  formé  de  deux  hémistiches  de  Leconte  de  Lisle  : 

(1)  J'étais  alors  le  fils  bien-aimé  de  la  terre, 

...   Et  quand  je  m'étendais  sur  elle  quelquefois, 
Baigné   du    vent    du   large    et    de   l'odeur    des    bois, 
Il   me    .semblait   sentir    une    vague    caresse... 
J'étais   aillent    el    fort   et    libre   en   mes   ébats.... 
Debout,    en   plein   soleil,    je    buvais   la    lumière. 
A  l'aurore,   en   piaffant  j'entrais  dans  In   rivière. 
Et  j'avais,   bondissant  </<'  la  plaine  <m  vallon, 
Des   besoins  <l<    lu  unir  corn/nu    un  jeune  étalon. 
Ne  nous  y   trompons   pas    :    c'est    Polyphème,  ô  xvxt.tu^  ô  notp  xpfot 
ùpxaîos  no>yy«fxo;,  'lui   l)arl('  :,insi- 


470  ÉTUDE    SI  R    LES    SOI  H<  l  - 

...J'avais   erré,    sauvage    <t   lïbn    sous   les   "irs... 
...Tel   je    vivais   heureux   sur   la    terre   sublime 

i  Kliimn.    ll.i 

Quanl  à  la  cheville  du  douzième  vers   : 

Car  un  Dieu,  maudit  soit  le  nom  dont  on  U    nomme 

commune  chez  de  Laprade,  fréquente  chez  Hugo,  elle  esl 
habituelle  à  Leconte  <le  Lisle  (1). 

La  (  Ientai  resse 

J'ai  lr<»p  de  doutes  sur  le  sens  que  Heredia  a  voulu 
donner  au  symbole  de  la  Centauresse  pour  en  parler  ici. 
Quant  aux  sources  du  sonnet,  qu'il  me  suffise,  pour  les 
indiquer,  de  reproduire  quelques  lignes  de  la  préface 
des  Pages  choisies  de  Louis  Ménard  (2),  par  M.  Berthe 
lot    : 

Louis  Ménard  portait  dans  la  peinture  son  ingénieux  esprit 
et  créa  (3)  le  type  de  la  Centauresse,  négligé  jusqu'à  lui... 
Ce  tableau....  refusé  au  Salon...  fut  exposé  au  Salon  des 
Refusés...  il  devint  la  propriété  du  philosophe  Renouvier,  qui 
l'emporta  dans  son  ermitage  métaphysique  d'Avignon,  où  il 
doit  être  encore. 

Signalons  seulement  que  le  vers  : 

Des   fils   prodigieux  qu'engendra   la   Nuée 

rappelle  Chénier    : 

Le    peuple   monstrueux    des   enfants    de    la    Nue 

(L' Aveugle.) 


(1)  P.  B.    I.i   Corbeau.   D.  P.  Parfum  d'Aphrodite,  etc. 

(2)  Berthelot,  Etude  sur  la  vit  <t  les  œuvrer  de  Louis  Ménard, 
Parie,    riiez    Y.   Juven,   1909. 

(3)  Expression  inexacte.  Le  type  de  la  Centauresse  «'tait  parfai- 
tement connu  des  Anciens,  comme  en  témoignent  un  grand  nombre 
de    vases    peinte  et   des   bas-reliefs. 


Di:    J.    M.    DE    III  l!ll»[\ 


(  'km  ai  res  i:  i    Lapiïhi 


C'esl    encore   ['Aveugle  <|iii   ;i   inspiré   .1    Heredia   Cen- 
taures  cl   Lapilhes. 

Les  ailleurs  anciens  ne  |'<>nl  pas  mention  île  l;i  présence 
d'Hercule  aux  noces  de  Pirothoos  el  d'Hippodamia  (I), 
Chénier  le  premier  le  place  à  côté  de  Thésée,  supprimé 
par  Heredia,  qui  dispose  toute  la  scène  autour  d'Her 
eule,  ;i>M7  connu  d'ailleurs  comme  Tueur  de  Centaures 
(xsvTauorj'i/ovoî ).  La  description  du  second  quatrain  vienl 
d'un  autre  passade  de  Chénier,  le  meurtre  des  Préten 
dants  : 

La  coupe  de  sa  main  fuit.    Il  expire.    Il  bombe. 

...Sous  ses  pieds   agités  et    mourants 
Table,   vases,    banquet,  tout  tombe  et    tout    s'écroule, 
Tout   est    souillé   de   sang.    De    leurs   sièges   en    foule 
Us    s'élancent    soudain.    Confus,    tumulteux, 
Us  errent... 

et  le  gesle  d'Hercule   rappelle  celui  de    Roland,   dans   le 
Petit   Uni  de   Calice,    IV    : 

Le  chevalier   leva    lentement   sa    visière  : 

—  ((  Je  m'appelle  Roland,   pair  de   France  »,  dit-il. 

Fuite  de  <  i:\t\i  res 

J'ignore  les  sources  de  ce  sonnet,  mais  1res  certaine 
ment  les  Centaures  poursuivis  par  Hercule  ne  sont  pas 
le-  hôtes  grossiers  de  Pirothoos.  L'on  sait  eu  effet  que  le 
Centaure  l'Indu-.,  recevanl  Hercule  dans  son  antre,  ou- 
vrir en  son  liumieur  un  tonneau  de  vin  précieux  (2)  ; 
l'odeur  attira  d'autres  Centaures,  qui  attaquèrenl  le  héros. 
Celui-ci,  vainqueur,  les  poursuivil  1  < > m u t ( ■  1 1 1 j .^  dans  la 
nuit,  el  les  aurail  l<>us  exterminés,  si  leur  mère  Néphélé 
n'eût   versé   pour   protéger   leur   retraite   une   pluie   abou 

(1)  Hésiode,  Bouclier,  177-190.  —  Homère,  Iliade,  1.263  et  2.743; 
Odyssés,  21.295.  —  Apollodore  II.  —  Hygin,  XXX11II.  —  Diodore 
.!.•  Sicile,  IV.  70.  -  Ovide,  Métanu,  XII.  210-535. 

(2)  Cf.   Théoorite»,    Vil.  in  fine. 


'l7"?  ÉTUDE    SUR    LES    SOI  RCES 

dante  (I).  Ce  sonl  là  les  Cenlaurcs  que  représente  Hère 
dia,  sans  se  préoccuper  de  la  valeur  de  ce  mythe  solaire, 
voire  même  s;m>  respecter  la  tradition. 

J'hésite  à   signaler  quelques   rapprochements   sans   im 
portance.  Disons  pourtant  que  le  vers  : 

Ravins,   torrents,   halliers,   sans  que   rien    les  arrête, 
mille  beaucoup  à  un  vers  de   Leconte  de  Lisle   : 

Arbres,   buissons,   enclos,    rocs,    rien   ne  les   arrête 

(P.  B.  La   Vigne  de  Naboth.) 

el   rappelle  Némée  : 

A   travers  le  hallier,    la    ronce   et    le   guéret. 
De  même,  en  lisant   : 

Ils  flairent  dans  la   nuit  une  odeur  de  lion 

on  se  souvient  du   mol   de   Roland    : 

...Je   sens    une    odeur    de    panthère, 
Comme   si   je   passais   dans    les   monts   de    Tunis. 

(Le   Petit  Iîui   de   Galice,   VI.) 

La  poursuite  elle-même  fait  souvenir  d'Angus  el  de 
Tiphaine  : 

Rien,  ni  le  roc  debout,  ni  l'étang  insalubre, 

Ni  le  houx  épineux,  ni  le  torrent  profond. 

Rien  n'arrête  leur  course:  ils  vont;  ils  vont;   ils  vont! 

Clairs  de  lune,  halliers,  bruyères,  crépuscule... 

...etc.,   etc. 

(L'Aigle  du  Casque.). . . . 

La  Naissance  d'Aphrodite 

Louis  Ménard  nous  axertit  qu'il  existait,  touchant  la 
naissance  de  la  déesse  de  Paphos,  deux  traditions  très 
inégalement  répandues.  La  première,  malgré  l'autorité 
d'Homère  (Iliade,  Y,  370)  n'eul  jamais  beaucoup  de  pogu 

(1)  Ddodore  de  Sicile.  IV.  12.  6.  —  Paiisanias.  V.  19.  —  Apol- 
lodore,  II.  5,  4. 


Iil       I.     M.     Dl       !lllill)l\  W.'< 

larité.  A  la  fille  de  Zeus  el  de  Dioné,  les  Grecs  préférè- 
rent l'Aphrodite    Vnadyamène  de  l;i   Théogonie  (173-206). 
Les    Orphiques    en    firenl    le    symbole    d'une    idée    assez 
vague  pour  (pic  les  Modernes  aienl  \<\\  voir  dans  la  déesse 
naissant  de  la  mer  la   Vie  sortanl  des  profondeurs  océa 
niennes  ci   dans  le  sang  d'Ouranos   fécondant    les  vagues 
la    semence    vitale    parvenant    à    notre    planète   à    travers 
les  espaces  interstellaires.  Mais  ce  sonl  des  rêveries.  Les 
Vnciens  mil   cru   simplement   que  celle   légende   symboli 
sail  l'apparition  de  l'élémenl  féminin  cl  sa  puissance  civi 
lisatrice. 

Ji'  n'aurais   su   reconnaître   l'intention   de   Heredia   sans 
un  petit  poème  de  Lecomte  de  Lislc,  qui  esl  nue  des  sour 
ces   principales  de  ce  sonnet    :   la    fille   d'Océan,   c'est    la 

Beauté  sous  ses  deux  aspects  les  plus  purs,  la  Femi i 

la  Fleur. 

Heureuse   In    coupe    où    nage   ta    feuille! 
Ruisselante  encor  du   flot   paternel, 
Quand    de   la    mer   bleue    Aphrodite   éclose 
Etinoela   nue   aux   clartés  du   ciel, 
La    Terre    jalouse    enfanta    la    Rose; 
El    l'Olympe    entier,    d'amour   transporté, 
Salua    la    Fleur   avec   la   Beauté. 

(P.    A.    Odes   Anaeréontiques,    IX.) 

Sans  citer  ici  de  Banville  Le  Jugement  de  Paris  et  le 
Forgeron,  qu'il  sera  bon  de  relire  après  le  sonnet,  je 
me  borne  a  reproduire  un  passage  de  la  Cithare,  qui  a 
quelque  analogie  avec  !<•  premier  tercet   : 

Aphrodite 

Qui   par   le  doux   désir  prit  les  Olympiens... 
Et  qui,   vivante   fleur  que  sa   beauté  parfume, 
Apparut  sur  la  mer  dans  la   sanglante  écume. 


Un    mont    parut où 

Les  Immortels  vêtus  de  pourpre  étaient  debout. 

deux    strophes   de    Louis    Ménard,    qui    traitenl    le   même 
sujet    : 

Quand   la   faux  de  Kranos  rendit   le  ciel  stérile, 


474  i.  il  DE    -i  l;    LES    SOI  EU  i  S 

Le  sang  du  grand  ancêtre  et  sa  fécondité 
Répandirent    dans    l'onde    nue   écume  subtile 
D'où   sorti!    comme   un   lys   la    blanche    Aphrodite. 

Alors  le  ciel  sourit,  et;  dans   l'éther   immense, 
Des    Dieux    et    des    Titans    monta    l'hymne    joyeux; 
Et   l'univers  charmé  salua    ta    naissance, 

O  mère,  ô  Volupté  des  hommes  et  des  Dieux! 

et  trois  vers  de  Leconte  de  Lisle,  que  rappelle  le  premier 
quatrain   : 

Dans   les    lianes    maternels   de    la    Terre     couchés 
Sur    le    jeune    avenir,    leurs    yeux    (des    Titans)    sont 

j  ai  tachés. 
(P.   A.   Niobé.) 

Hésiode  n'a  fourni  à  Heredia  que  les  deux  premiers 
vers,  surtoul  le  premier  :  «  Avanl  toutes  choses  fui  Khaos, 
cl  puis  Gaia  au  large  sein  »  (I).  (Traduction  Leconte  de 
Lisle.) 

(Le  lecteur  désireux  d'étudier  plus  à  fond  ce  sonnet  un 
peu  obscur  aura  peut-être  intérêl  à  consulter  ['Hymne 
Homérique,  VI,  vers  5  à  18.  Cf.  aussi  l'Anthologie  Grec- 
que (traduction  Hachette,  tome  11.  pas^e  10: 5.  épioramiiies 
177  à  183.) 

Jason  et  Médée 

Apollonius  de  Rhodes,  que  Heredia  a  certainement  lu. 
ne  l'a  que  peu  inspiré  : 

Médée  referma  la  boîte  qui  contenait  ses  nombreux  poi- 
sons... Elle  s'avance  vers  la  Toison,  semblable  à  un  nuage 
f|iie  les  rayons  du  soleil  levant  font  paraître  tout  en  feu... 
Jason   la  suit,  non  sans  effroi. 

(La  Toison  ravie,   ils  reviennent  au   rivage.) 

Semblable  à  une  jeune  fille  qui,  retirée  dans  son  apparte- 
ment,   reçoit    sur    sa    robe    les    rayons    de    la    lune    et    s'amuse 

(1)   Cf.  Aussi  Leconte  de  Lisle.   P.    A.    Hélène. 

O  Terre  au  large   flanc,   mère  antique  des  choses, 
Toi   qu'embrasse   Océan   de  ses   flots  amoureux... 


im     .1.     M.    Dl      HERED1  \  i/o 

à  considérer  leur  aimable  clarté,  Jason  contemple  aveu  plai- 
sir la  Toison  qu'il  tient  dans  ses  mains  et  dont  l'éclat  s<  ré- 
hit  et  répand  un  tmi<!<  ./<  feu  mr  son  visage...  et  les 
précieux  flocons  dont  ell<  est  chargée  éclairent  les  pas  du 
héros.   (Argonautiques,    IV.  traduction  Caussin.) 

Villeurs,  au  chanl   I.  le  poète  l'ail   la  description  inévi 
table  des  armes  de  Jason,  don  d'Athéné,  insistanl  surtout 
sur  leur  éclal  qui  l'ail  ressembler  le  guerrier  «  à  un  aslre 
brillant  ». 

(  )u  voil  que  Heredia  a  pris  peu  de  chose  a  \pollonius, 
et  n'a  pas  craint  de  transporter  la  scène  au  milieu  du  joui'. 
Mais  les  tercets  mais  révèlent  des  imitations  plus  précise®. 
i  'esl  ainsi  que  le-  vers  : 

Illuminant  les  bois  d'un  vol  de   pierreries, 

De    grands   oiseaux    passaient    sous    les    voûtes    fleuries 

sont  une  réminiscence  de  Banville  : 

dans   les   rameaux   échevelés 

Volent   de   grands   oiseaux   peints  d'azur   et   de   soufre. 
(Exilés.    L'Education   d'Eros.) 

que  les  mots  :  un  vol  de  pierreries  mais  rappelleront 
les  flots  de  pierreries  des  Poèmes  Barbares  (un  Couchei 
de  Soleil)  ou  bien  le  brouillard  de  pierreries  de  {'Illusion 
Suprême.  Mais  la  métaphore  de  lien. lia  esl,  comme  tou- 
jours, plus  hardie.  J'insiste  particulièrement  sur  le  vers 
Il    : 

Et  dans  les  lacs  d'argent  pleuvait  l'azur  des  eieux 

qui  esl  nue  heureuse  adaptation  du  célèbre  début  de 
Midi  : 

Midi,   roi  des  étés,  épandu  sur  les  plaines. 

Tombe   en    nappes  d'argent   des   hauteurs  du   ciel    bleu. 

Quant  aux  autres  auteurs  qui  onl  parlé  de  Jason  et  de 
Médée,   je    ne   crois    pas   que    Heredia    les   ail    seulement 

lus  (1). 

(1)    Hygin,   3  et  188.    Apollodore,    I,   9,    1   et    1.30.   —   Diodore   de 
Sicile,  IV,  48,  1  à  4,  etc.. 


176  ÉTUD]     SUR    LES    SOI  EU  ES 


Le  Thermodon 

Sujel  célèbre  s  il  en  fut,  immortalisé  par  le  pinceau  de 
Rubens  (1).  la  défaite  des  Vmazones  devail  tenter  le  burin 
de  Heredia.  Peul  rire  avanl  de  le  traiter,  a  i  il  lu  ['His- 
toire îles  Amazones,  de  l'abbé  Guyon  :  il  m'a  été  impossi 
ble  de  me  procurer  l'ouvrage;  je  me  borne  à  le  signa 
1er  (2).  (  he  même,  voir  Bergmann,  Les  Amazones  dans 
l'Histoire  et  dans  ht  Fable.  Colmar,   1848.) 

La  première  source  du  Thermodon  est  le  poème  de 
Gautier,  qui  porte  le  même  titre  et  qui  est  inspiré  par  le 
tableau  de  Rubens.  Le  vers  5  du  sonnet   : 

Cadavres,    armes,    chars   que   la   mort   y   roula 

nous    prouve    que    Heredia    ;i    lu    le    morceau    bizarre    de 
Gautier,  trop  long  pour  rire  cité  en  entier  : 

Les   flots,   toujours   béants,   de  leurs  gueules  voraces 
Dévorent  cavaliers,  chevaux,  casques,  cuirasses, 
Tout  ce  que  le  combat  jette   à   leur   appétit. 

et  plus  loin   : 

Les  bras  abandonnés  trempent,  les  mains  ouvertes, 
Dans  la  vase  du   fleuve,   entre  les  algues  vertes, 
Où  l'eau   les  soulève   en   passant. 

Mais  Gautier  termine  par  des  conseils  prudhommesques 
aux  Amazones  :  elles  auraienl  vaincu  i>;ir  l'amour  !  que 
n'ont  elles  vaqué  en  paix  aux  soins  de  leur  ménage?  Cette 
fin  gâte  ce  beau  poème,  donl  le  dernier  vers,  magnifi- 
que, esl  curieux  à  rapprocher  de  celui  de  Heredia  : 

Et    dans    l'eau,    jusqu'au    soir,    il    plut    des    corps    de 

[femmes  ! 


1)    Bataiih    de&   Amazones,   à    la   galerie  de    Munich.    (En   voir   ta 
reproduction  dans   le   Dictionnaire   Larousse.) 

(2)  Cf.  Pausanias,  1,  2,  1  et  1,  15.  17.  25.  et  IV,  25.  —  Apollodore, 
II,  5,  9.  —  Euripide,  Hercule  furieux,  408.  sqq. 


DE   J.    M.    DE   HEREDIA  177 

Banville  (I)  (toujours   Banville!)  a   servi,   lui  aussi,  de 
modèle  à  Hcrcdia.  Je  uc  lui  rendrai  pas  le  mauvais  ser 
vice    de    citer    son    Anliope   en    entier.    Si    le    lecteur    l'a 
oubliée,    puisse-t-il   croire   que   les   tercets   sonl    meilleurs 
que  les  quatrains   : 

Près  tin  clair  Ilissos  au  rivage  fleuri, 
L'indomptable   Thésée   a    vaincu    les   guerrières; 
Mourantes,  leurs  chevaux  les  t  rainent  clans  les  pierres: 

Pas    un   de   ces    beaux   corps   qui    ne    râle,    meurtri. 

Le  silence  est   affreux,  et    parfois  un  grand  cri 
L'interrompt.    Sous   l'effort    îles   lances   meurtrières, 
On   voit    des   yeux,    éteints  déjà,    sous   les   paupières 
S'entr'ouvrir.   Tout    ce   peuple   adorable  a    péri. 

On  peul  voir  que  ses  modèles  n'onl  pas  fourni  à  Heredin 
les  noms  de  ses  Vmazones.  S'il  ne  les  a  pas  trouvés  chez 
l'abbé  Guyon  ou  chez  Bergmann,  il  n  dû  les  emprunter 
a  Diodore  de  Sicile  (2),  qui  raconte  tout  au  long  la  victoire 
du  héros   : 

Aaella  attaqua  Philippis,  Prothoé,  Euribœa,  Celœna,  Eu- 
ribia,  Pliobé,  Déjanine,  Astérie.  Marpé,  Termessa,  Alcippé. 
(Edition  latine  de  Weneling,  chez  1.  Westenius,  Amsterdam, 
1746,    livre    II.    15.) 

11  est  possible  que  le  tour  qui  lui  permet  d'énumérei 
>i\  noms  propres  lui  ;iii  été  suggéré  par  un  passage  de 
Victor  Hugo  : 

Où  donc  est    Mars?  où  donc   Eros?  où  donc   Psyché? 
Où  donc   le  doux   oiseau   bonheur,   effarouché? 

i  (  'nu  templations.   Cérigo.) 


Artémis 

Exagérée  par  les  uns.  négligée  par  les  autres,  l'influence 
de  Paul  de  Saint-Victor  sur  Heredia  n'est  point  essentielle. 

(1)  Cf.   aussi   Penthésilêe  et    Thalestris. 

(2)  Et  non  à  Hygin.  qui  en  cite  quine,  dont   pas  un  seul,  sauf  un. 
celui  d'Hippolytr.   n,-   -     i  etrouve  che   Heredia. 

32 


I/O  Ml  DE    SUR    LES    SOI  RCES 

Les  Deux  Masques  sonl  l'œuvre  brillante  d'un  rhéteur, 
mais  ils  sonl  vides,  H  sous  l'orbe  des  paupières,  on  ne 
voil  palpiter  aucune  prunelle.  Heredia  leur  ;i  emprunté 
çà  el  là  quelques  images  étincelanles,  il  ne  leur  doil  point 
--oii  tempérament  poétique. 

<>n  comprend  toutefois  qu'un  lecteur  bénévole  se  laisse 
prendre  à  certaines  ressemblances  partielles  el  appli 
que  ;'(  l'ensemble  des  Trophées  ce  qui  ne  convienl  qu'à 
deux  ou  trois  sonnets.  Lorsque  M.  L'abbé  Delfour  (1)  a  lu 
Artémis,  il  se  souvenail  sans  doute  de  certaine  page 
(I  Hommes  et  Dieux  ;  il  s'esl  empressé  de  s'y  reporter, 
el.  comme  il  ignorail  l'existence  de  Louis  Ménard,  il  a  pu 
croire  le  personnage  s'y  prêtail  --  que  Paul  de  Saint- 
Victor  lui  l'hiérophante  qui  initia  solennellement  Heredia 
aux  mystères  <le  La  poésie  hellénique.  Cette  page,  la 
voici  : 

C'est  ainsi  que  l'adorait  la  Grèce.  (Artémis.)...  Grande, 
svelte,  dépassant  de  la  tête  le  cortège  errant  de  ses  Nym- 
phes... —  Sa  figure  est  telle  d'Apollon  à  peine  adoucie;  au- 
cune mollesse  n'alanguit  sa  beauté  hautaine.  Sa  bouche  en- 
tr'ouverte  aspire  le  souffle  des  bois;  ses  narines  palpitent  com- 
me à  l'odeur  de  la  proie;  ses  yeux  fixes  lancent  des  regards 
rapides  et  droits  comme  des  flèches;  ses  hanches  étroites 
sont  celles  d'un  éphèbe  plutôt  que  d'une  femme;  son  sein,  ré- 
tréci par  l'exercice  des  jeux  héroïques,  a  la  verdeur  de  la 
puberté.  L'idée  de  la  course  s'attache  à  ses  jambes,  comme 
l'idée  du  vol  aux  ailes  de  l'oiseau.  La  bottine  crétoise  chausse 
sou  pied  agile;  le  court  chiton  d'Orient  étreint  de  ses  plis 
sa  taille  élancée  et  se  retrousse  à  son  genou  sous  la  morsure 
de  l'agrafe.  Souvent  encore,  avec  une  grâce  hâtive,  elle  noue 
son  manteau  en  guise  de  ceinture  au  tour  de  ses  flancs.  Le 
premier  souffle  dénouera  ses  cheveux  relevés  en  onde  sur  son 
front,  ou  noués  derrière  sa  nuque  en  une  simple  touffe.  Tou- 
jours en  marche,  toujours  en  mouvement,  retournant  la  tête 
comme  à  l'appel  d'une  fanfare,  tirant  une  flèche  du  carquois 
qui  bat  -es  épaules  ou  domptant  une  biche  cabrée  sous  sa 
main,   ses   statues  offrent   l'image  de   l'activité  éternelle. 

("est     ainsi    qu'au    son    des    cors    et    aux    aboiements    de    sa 

(1)   La   Religion  des  Contemporains.    Paris,    1895. 


1)1     .!.    Al.     Dl.    III  lilDlA  iT'.l 

meute,  elle  parcourt  les  bois  et  les  monts,  suivie  du  chœur 
de  ses  Nymphes,  farouches  et  vierges  comme  elle.  La  troupe 
indomptée  Franchi!  les  précipices  et  passe  les  fleuves  à  la 
nage,  lançant  ses  traits  aux  aigles,  perçant  de  ses  javelots 
les  sangliers  et  les  oins.  A  midi,  les  guerrières  agrestes  s'en- 
dorment  sous  les  vastes  chênes,  parmi  les  molosses-;  au  cré- 
puscule, à  l'heure  où  les  lionnes  vont  boire,  elles  lavent  dans 
les  sources  froides  leurs  mains  sanglantes  et  Leurs  bras  pou- 
dreux    (1). 

L'imitation  esl  visible  dans  l'ensemble.  Mais  repor 
tons  Huns  encore  à  un  passage  do  Leconte  do  Lisle  ;  elle 
no  le  soin  pas  moins  : 

Et   toi,  sœur  d'Apollon,  ô  mâle  chasseresse, 
()   vierge   aux   flèches  d'or!    Intrépide  Déesse, 
Tu  ban  tes  les  sommets  battus  des  sombres  vents; 

Sous   In    pluie   et    la    neige,   et   de  sang   altérée. 

Tu   poursuis   sans    repos   de   ta    flèche   acérée 

Les   grands    lions   couchés    au    fond    des    bois    mouvants. 

Nul   n'échappe  à  tes  coups,  ô   Heine  d'Ortygie! 
La  source  des  forêts  lave  ta    main    rougie 
Et  quand   Apollon   passe  en  dardant   ses  éclairs 
Tu    livres   ton    beau   corps   aux    baisers  des    Mots   clairs. 

(P.    A.    Niobé.) 

Voyez  encore,  dans  Khirôn  : 

...O    Déesse    intrépide   des    bois, 
Qui   te  plais  aux   soupirs  des  cerfs,    aux   longs   abois 
Des   lévriers    lancés   sur    la    trace   odorante; 
Vierge   au   cœur   implacable,   et    qui,    toujours   errante. 
Tantôt   pousses  des  cris   féroces,   l'arc  en    main. 
L'œil    brillant,    et    tantôt,    au    détour    du    chemin, 
Entrelaces  de  chœur  de  les  nymphes  chéries. 
Art  émis!... 

Esl-il   nécessaire  do  supposer  que   Heredia   a  consulté 
onooro  l'Hymne  Homérique  ;'i  Arlémis  '.'  S;m^  aucun  doute, 


(1)    Ne    pas    oublier   que    Homme*    <t    Dieux    sont    de    1867;    les 
Poi  mes    Antiques    sont    de    1853. 


480  l'.ïi  Dl.    SI  li    LES    SOI  lit  ES 

il  le  connaissait  :  mais  comme  loul  ce  qu'il  aurait  pu  y 
trouver  avail  déjà  été  pris  par  Leconte  de  Lisle,  nous 
n'avons  plus  le  droil  d'affirmer  qu'il  s'esl  reporté  aux 
sources  mêmes. 

I  h  mot,  lu  ronce,  rend  plus  probable  l'imitation  de 
Bion,  qui  écrit  (1.  21  el  22)  :  «  Aphrodite  erre  par  1rs 
Lois  el  les  ronces  la  blessenl  el  fonl  jaillir  le  sang  sacré  ». 
(Traduction  Leconte  «le  Lisle.)  Il  es!  de  même  possible 
que  l'idée  du  vers  : 

Tes   bras  glorieux   que   le    1er   a    vengés, 

ail  été  suggérée  à  Heredia  par  l'ensemble  du  poème  de 
Niobé,  dont  il  imitail   une  partie. 

Signalons  encore  le  poème  de  Banville  —  (Le  Sang  de 
ta  Coupe  -  -  «  Artèmis  parlant  pour  la  chasse  »),  dont 
Heredia  a  sans  aucun  doute  reproduit  quelques  traits. 
Nous  terminerons  par  un  rapprochement  étrange  :  qu'on 
lise  attentivement,  très  attentivement,  ces  trois  vers   : 

Et  bien  plus  il  te  plaît,  Déesse,  cpie  la   ronce 
Te  morde,  et  que  la   dent   ou  la   griffe  s'enfonce 
Dans  tes  bras  glorieux  que  le  fer  a  vengés. 

el  qu'on  se  rappelle  un  poème  de  Leconte  de  Lisle,  qui 
n'a  aucune  espèce  de  rapports  avec  Artèmis,  YEpée 
d'Angantyr.  On  y  trouve  : 

Au  faite  du  cap  noir  sous  la  mer  qui  s'enfonce, 
La   fille  d'Angantyr  que   nul   bras  n'a   vengé, 
Hervor,  le  sein   meurtri  par  la  pierre  et  la   rbhce, 
Trouble    de    ses    clameurs    le    héros    égorgé. 

Coïncidence?  ou  plutôt  ne  touchons-nous  pas  du  doigt 
nu  de  ces  procédés  déconcertants  qui  caractérisent  les 
imitations  de  Heredia  ?  (I  ). 


(1)  Cf.  encore,  à  propos  de  ce  sonnet,,  Callimaque,  Hymne  à 
Artèmis.  —  Pindare,  Pyih.,  IV,  90.  —  Apollodore  (I,  4,  1).  — 
Leconte  de  Lisle,  D.  P.,  Parfum  d' Artèmis  et  P.  A,  Thyoné,  II, 
l    à   6. 


DE    J.    Al.    Kl      HEREDÏA  'i S 1 

La  Chassi 

Je  n'ai  pas  à  reproduire  les  sources  principales  de  ce 
sonnet.  On  ne  saurai!  le  séparer  du  précédent,  non  plus 
que  du  sui\;iul  :  Artémis,  La  ('liasse  el  Nymphée  formenl 
comme  un  tryplique  (I)  qui  pourrati  s'intituler  /-'/  Journée 
d'Arlémis.  Leurs  sources  sont  les  mêmes  el  I»1  lecteur 
voudra  l'ion  se  reporter  aux  passages  cités  plus  haut. 

Mais  le  <lél>ul  de  ce  sonnel  esl  1 1 irectemen !  inspiré  'I'' 
Leconte  'le  I .isle  : 

Le   quadrige   hennit;    l'éclair   sort    de   l'essieu; 
Et    tout    flamboie  cl   ton!    s'illumine  d'un  Dieu, 
Les   monts,    la    nier   joyeuse   et    sonore,    les    plaines, 
Les   fleuves  et  les   bois  et   les  cités   hellènes. 

(D.   P.   Apollonide.) 

Les  vers  3  el  i  sonl  ;i  rapprocher  de  Victor  Hugo, 
Orientale*,  Le  Feu  du  Ciel,  IV. 

L'Egypte!    elle    étalait,    toute    blonde    d'épis, 

Les  champs  bariolés   comme   un   riche  tapis, 

Plaines   (pie  des  plaines   prolongent. 

et  d'Hésiode  (Théogonie,  861-862).  «  Et  la  Terre  immense 
brûlait  comme  une  vapeur  ardente.  »  (Trad.  Leconte  de 
Lisle.) 

Eniiii  le  vers  : 

Et  l'ombre  où  rit  le  timbre  argentin  des   Fontaines 
esl  une  réminiscence  de  Leconte  de  Lisle  : 

Sons   le   faîte   mouillé  des   bois   et  incelants. 
Sonne   le  timbre  clair  et  joyeux    des   fontaines. 

(P.  B.   Le  Barde  de  Tcmrah.) 

Nymphée 

Très  probablemenl  ce  sonnel  esl  un  des  derniers  qu'ail 
écrits  le  poète  ;  il  n'est  donc  pas  étonnanl  qu'il  y  reprenne 

(1)  Habitude  d'Heredia:  Cf.  Andromède,  Antoine  <i  Cléopâtre 
Lu  Vision  de  Khem. 


182  ÉTUDE    SI  R    LES    501  RC1  S 

quelques  expressions  et  quelques  Images  qui  lui  avaient 
déjà  servi.  Les  mots  :  «  Le  Char  plonge  »  rappellent  le 
vers  de  Sur  VOthrys  : 

Le   soleil   plonge   au   couchant    radieux. 

tandis  que  ['Oubli  a  trop  «le  rapports  avec  l<is  vers  sui 
vants  pour  qu'il  n'y  ;iil  entre  eux  qu'une  analogie  fortuite  : 

La  mer,  de  son  soupir  puissant  La  mer  qui  se  lamente...  où 
Emplit    le   ciel    sonore...  [soupire    un    refrain... 

...En    l'azur    noir...  Emplissait    le    ciel    calme 

La    nuit  sereine...  Sur  l'azur  infini 

Du  fond  des  nuits  sereines 

Le  second  hémistiche  : 

...où  la  pourpre  se  traîne. 

rappelle  Leconte  de  Lisle  : 

Sa  pourpre  flotte  encor  sur  la  cime  des  monts 

(P.   A.   Khi  ru  i>.) 
et  le  \  ers  : 

Silencieusement    s' argenté    le    croissant 
doit  être  rapproché  de  Gautier  :  (Lu  Basilique.) 

Aux   vitraux   diaprés   des   sombres   basiliques 

Les   flammes  du   couchant 

(tandis  que  s'argente) 
Silencieusement    l'aiguille    de    la    tour. 

Le  premier  tercet  esl  imité  de  Chénier  : 

Tel,  lorsque  n'ayant  plus  de  traits  dans  son  carquois, 
Diane   se   repose  et  dort   au   sein   d'un   bois. 

(Le  Sommeil   de  Diane,   éd.   Dimoff,   p.   20.) 

mais  le  vers  li,  dont  les  trois  premiers  mots  sont  repris 
du  vers  4  de  Némée,  a  été  suggéré  à  la  fois  par  Leconte 
de  Lisle,  Louis  Ménard  et  Paul  de  Saint- Victor  : 

Dans  le  cortège  effréné  de  Bacchus  galope  la  cavalerie  mons- 
trueuse des  Centaures,  qui  hennissent  au  fumet  du  vin,  comme 
1rs  cerfs  brament  après  la  fraîcheur  <les  eaux  vives.  (Les 
Deux  Masques,   I,  page  14.) 


DE    J.    fA.    DE    HEREDIA  483 

Les  cerfs  brament  aux  pieds  des  chênes  radieux 

(P.  B.  /.'■  Barde  <l<   Temrah.) 

Dans  La  mer  d'Hespérie  aux  vagues  empourprées 

Hélios    éteint    afee    flammes    sacrées. 
Pan,    le   divin   pasteur,   do   sa    ilûte   aux   sept   voix 

Apaise  Lentement  l'harmonieuse  plainte, 
Et  sous  Les  dômes  verts  des  antres  d'Aracynthe 

S'endorment   en    paix   les   grands  cerfs  des   bois. 

(Endymion,  I,  1.) 

Bien  enlendu,  ces  vers  sonl  égalemenl  la  source  du 
second   lercet,   mais   Le  quatorzième  vers  est   directement 

inspiré   (le    I. écoule    de    l.isle    (1)    : 

Pan 

Emplit   les   verts   roseaux   d'une   amoureuse    haleine. 

(P.  A.  Pan.) 

Pan 

Le  l'an  île  Leconte  de  l.isle.  donl  avail  été  imité  le 
dernier  vers  du  sonnet  précédent,  esl  la  source  principale 
de  celui-ci  : 

...Et  d'un  rire  sonore,  il  éveille  les  bois. 

...Dans  les  grottes  de  pampre,  au  creux  des  antres  liais, 

Le    long   des   cours   d'eau    vive    échappés    des    forêts, 

Sous   le   dôme   touffu    des   épaisses   yeuses, 

Le   Dieu    fuit   de    midi    les    ardeurs    radieuses; 

Il  s'endort;   et   les   bois  respectant  son   sommeil, 

Gardent   le  divin   Pan  des  flèches  du   Soleil 

Pan,  d'amour  enflammé,  dans   les  bois  familiers. 
Poursuit   la   vierge  errante   à   l'ombre   des   halliers, 
La   saisit   au   passage;   et,   transporté   de   joie, 
Aux  clartés  de  la  lune,  il  emporte  si(   proie. 

Ilei'cdia  a  pourtanl  rapproché  encore  de  ces  vers  un 
passage    de    Chénier,    qu'il    avail    étudié    minutieusement 

(1)  Au  lecteur  désireux  d'étudier  à  fond  oe  sonnet,  je  conseille 
la  lecture  de  l'Hymne  homérique  à  Hélios  (notamment  les  vers 
15-16)  et  de  l'Anthologie  grecque  (Trad.  Hachette),,  I,  nage  316, 
épip.  433  +  p.  371.  ép.  823  +  p.  372.  ép.  826  +  II.  p.  171,  ép. 
226,  etc. 


,,x'« 


I  -i  i;    i  ES    SOI  R<  i  - 


dans   l'appendice  critique  de  sou   édition   des   Bucoliques 
(pages  250  251)  : 

Je  sais,   quand  le  midi   leur   tait   désirer   l'ombre, 

Entrer  à   pas  muets  sous  le  roc  trais  et   sombre 

D'où,   parmi   le   cresson   et    L'humide  gravier, 

La   Naïade   se  fraye  un   oblique   sentier. 

Là,   j'épie  à   loisir  la   Nymphe  blanche  et  nue, 

Sur    un    banc    de    gazon    mollement    étendue, 

Qui   doit,   et   sur   sa    main,    au   murmure   des   eaux, 

Laisse   tomber   son   front   couronné  de   roseaux 

i  Ed.  Dimoff,  p.  32.) 

Plus   spécialement,   <>n    peul    établir   quelques   rapports 
partiels  entre  les  passages  sni\ nuls  : 

Divin     chasseur     de     Nymphes     Faune,       Nympharum    fugien- 
[nues  [tium    amator.. 

(Hor.   Carm.  III,  13.) 

Il  est  doux  d'écouter  les  —  11  est  doux,  ô  Chevrier, 
soupirs,  les  bruits  frais,  Qui  le  bruissement  de  ce  pin,  au- 
près des  sources...  (Théocrite, 
I,  1,  Trad.  Leconte  de  Lisle.) 
1 1  est  doux  de  reposer, 
l'été,  en  plein  air,  auprès 
d'une  eau  courante  (Théocrite, 
VIII,  77.  Trad.  Leconte  de 
Lisle.) 

—  Qu'il  est  doux,  qu'il  est 
doux  d'écouter  des  histoires... 
(Vigny.    La    Neige.) 

Quand      le      Soleil,      vainqueur     A    travers   les   massifs   des    pâ- 

[étineelant    des    nues  [les   oliviers. 

Dans   la    mouvante   nuit   darde     L'Archer    resplendissant   darde 

[l'or  de  ses  traits  [ses  belle  flèches, 

Qui,    par    endroits,    plongeant 

[au  fond  des  sources  fraîches. 

Brisent  leurs  pointes  d'or  con- 

[tre    les    durs    graviers. 

(Lee.  de  L.  P.  A.  Paysatjc.) 


montent  à  midi  des  sources  in- 
connues. 


Dans  la   mouvante  nuit 


Au    fond    des   bois   mouvants 
(Lee.  de  L.  P.   A.   A'iobc.) 


Di    j.    M.    ni     ni  i;i  m  \  tob 

Enfin,  il  convienl  de  rapprocher  du  sonnel   loul  entier 
quelques  strophes  de  Leconte  de  Lisle  dans  la  Source  (I)  : 

Nul  d'il   étincelant    d'un    amoureux   désir 

N'a   vu   sous  ces   voiles   limpides 
La  Nymphe  au  corps  do  neige,  aux  longs  cheveux  tlui- 

[des, 

Sur   le   sable   arpenté   dormir. 


Mais  l'Aigipan  lascif,  sur  le  prochain  rameau 

Entr'ouvre  la  touillée  épaisse 
l'A     voit,    tout    enlace    d'une    humide    caresse. 

Ce   corps   souple   briller  sur   l'eau. 

Aussitôt  il  rit  d'aise  en   sa   joie  inhumaine; 

Son    rire    émeut    le    trais    réduit; 
Et   la   vierge  s'éveille,  et.  pâlissant  au   bruit. 

Disparait   comme   une   ombre   vaine. 

Le    Bain   dls   Ny.mphes 

Ce  sonnel  lui  publié  pour  la  première  loi-  dans  la 
Revue  <lcs  Deux-Mondes  du  1~>  mai  1890,  sous  le  litre 
de  \ymphée,  réservé  plus  lard  au  treizième  morceau  du 
recueil.    Il   portail   une  épigramme  supprimée  depuis    : 

9    ■    niger   in   ripis   errât   cum    forte   Caystri 
Inter  Ledaeos  ridetur  corvus  olores 

Martial  (2). 

Le  Bain  de*  Nymphes  n'est  pas  sans  analogie  avec 
l'Eglogue  YI  dos  Œuvres  Latines  do  Sannazar.  Mais 
chez  celui-ci,  ce  sonl  «les  Satyres  ([ni.  du  rivage,  appellent 
le-  Nymphes  par  do  trompeuses  promesses.  Elles  se  lais- 


(1)  Voir  aussi  Banville.  La  Source,  et  Leconte  de  Lisle.  //</«  m  . 
VI,  le  Chœur  des  Femmes,  strophe  VI.  Pour  comprendre  comment 
le  Pan  du  Ménale  (ou  le  Pan  Orphique)  a  pu  devenir  le  Satyre  de 
ce  sonnet,  voir  Hugo,  Pan  et  l.<  Satyre  —  Hymne  homérique  à 
Pan.  —  Mûller,  Essais  de  Myth.  convp.  (Trad.  Perrot,  p.  205-206). 
—  Cox.   Myth.   of  th<-  Aryan  nations,  II.  248. 

(2)  Epigr.  lib.  I.  54.  7  et  8. 


186  i  1 1  in    -i  r  i  es  501  m  i  - 

scnl  lenler,  mais,  près  d'être  saisies,  elles  invoquenl  le 
Dieu  du  Fleuve,  qui  les  métamorphose  en  saules.  11  esl 
impossible  de  savoir  s>i  Heredia  ;i  connu  cette  églogue  et 
\  ,-i  songé.  Chénier  ;i  traité  aussi,  dans  divers  fragments, 
des  sujets  Loul  semblables  (I).  s;ms  que  l'on  puisse  décou 
vrir  aucun  rappor]  précis  entre  ses  vers  el  ceux  <lc  Here- 
dia. 

Il  esl  probable  que  les  sources  principales  de  ce  sonnet 
son!  le  passage  de  Lu  Source,  de  Leconte  de  Lisle,  repro 
duil  plus  haut,  el  son  Hylas  : 

L'eau    faisait    ruisseler    sur    leurs   blanches    épaules 
Le  trésor  abondant  de  leurs  cheveux  dorés, 
Comme   au   déclin  du  jour   le   feuillage  des  saules 
S'épanche    en    rameaux    épais. 

Parfois  dans   les   roseaux,   jeunes   enchanteresses, 
Sous    l'avide    regard    des    amouteux    Sylvains, 
De  nacre  et  de  corail  enchâssés  dans   leurs   tresses. 
Elles  ornaient  leur   front   divin. 

Tantôt    se    défiant    et    d'un    e.ssor    rapide, 
Troublant  le  flot  marbré  d'une  écume  d'argent, 

Elles    ridaient   l'azur   de   leur   palais   limpide. 
De   leur  corps   souple   et  diligent. 

Sous  l'onde  étincelante  un  sentait  leur  cœur  battre; 
De   leurs   yeux   jaillissait    un   humide   clarté; 
Le  plaisir  rougissait  leur  jeune  sein  d'albâtre 
Et   caressait   leur   nudité. 

Victor  Hugo  a  également  inspiré  le  poète;  entre  ce 
sonnel  el  Sara  In  Baigneuse,  il  j  a  de  telles  ressemblances 
qu'on  ne  saurait  nier  une  imitation  consciente.  Ainsi  : 

Frôle  d'un   pied   craintif   l'eau   froide  du   bassin 

vienl  «le   : 

Elle   bat  d'un   pied  timide 
l'onde    humide. 

cl    les  vers    : 

(1)   Edition  Dimoff,  pages  31-33. 


DE   J.    M.    ni:    ni  1: idi  \  i87 

Une  gaîté  divine  emplit   le  grand   bois  sombre. 

Mais   deux   yeux,    brusquement,    ont    illuminé    l'ombre. 

ne  foui  que  reprendre  ceux  ci   : 

Sans  craindre  de  voir  dans   l'ombre 

Du    bois    sombre 
Deux  yeux  s'allumer  soudain. 

Ouanl  mu  débul  : 

C'est    un    vallon    sauvage   abrité   de   l'Euxin. 

il  esl  peul  être  imité  de  Théocrite,  Mil.  39-40  :  «  Bienlôl 
Hylas  découvril  une  source  au  fond  d'un  vallon  élroil  ». 
ou  de  Banville,  L'Education  d'Eros  (I).  ;'i  moins,  ce  qui 
est  plus  probable  encore,  qu'il  ne  soil  original. 

Le  Vase 

Je  n'ai  presque  rien  ;'i  dire  de  ce  sonnet.  Soil  qu'Here- 
dia  ail  eu  sous  les  yeux  le  Vase  antique  donl  il  l'ail  la 
description,  soil  qu'il  ail  imaginé  son  sujel  de  toutes  piè 
ces.  ,i  l'imitation  de  Virgile  (Bue.  III)  cl  Théocrite  (I).  ou 
de  Leconte  de  Lisle  (l\  A.  Le  Vase),  il  esl  très  probable 
qu'il  a  l'orl  peu  emprunté  aux  écrivains  antérieurs.  J'a- 
voue ne  pas  comprendre  comment  le  Nil  peul  être  la 
«  source  immortelle  des  fleuves  ».  malgré  deux  passages 
de  Diodore  de  Sicile.  1.  12,  0  et  I.  19,  i,  cl  un  troisième 
de  P.  de  Saint-Victor  (Les  Deux  Masques,  I.  pages  346 
à  350). 

Le  premier  quatrain  rappelle  le  sonnel  de  Jason  </ 
Médée,  niais  le  détail  des  yeux  magiques  esl  visiblemenl 
emprunté  ;'i  l'Anthologie  Grecque,  traduction  Hochettc, 
II,  p.  157.  de  L38  à  144,  tandis  que  le  vers  : 

Et  posant  aux  deux  bords  leurs  seins  fermes  et  blancs 

paraîl  une  réminiscence  de  Leconte  de  Lisle. 


(1)    Il  arriva  d'abord   pics   d'un  lac...  etc..    Cf.  aussi    :  Th.   Gau- 
tier,  Le  Nue. 


188  II  l  M     SUR    II-    SOURCES 

...El    posanl    tour   à    tour   sur   ta    ronce   cl    sur   l'herbe 

Leurs   pieds   fermes   et    blancs 

(P.    B.    Qaïn.) 

el   que  I  idée  «lu  vers  8  csl   reprise  dans  le  sonnel    l  en 
dange  (I). 


ARIANE 

On  peul  soutenir  cjue  la  source  principale  de  ce  sonnet 
csl  le  laineux  épisode  des  Noces  de  Thélys  el  de  Pelée 
(LXIV,  53-267).  Il  esl  plus  probable  Loutefois  que  l'idée 
,i  été  suggérée  à  Heredia,  soit  par  Ménard  (Ihi  Polylh. 
Ilcll..  p.  181),  soil  plutôt  par  Chénier  (éd.  Dimoff,  p.  13); 
A  Catulle,  en  cil VI .  il  n'a  presque  rien  pris  :  il  csl  même 
curieux  de  constater  que  ce  qu'il  en  ;>  innlé  se  rapproche 
beaucoup  moins  du  texte  latin  que  de  sa  traduction  en 
vers  par  M.  E.   Rostand.  Ainsi  le  vers  : 

Au    choc    clair    et    vibrant    des    cymbales    d'airain 
esl  plus  près  de  : 

La    cymbale   d'airain    jette    des    sons    perçants 
(juc  de  : 

A  ut    tereti   tenues   tinuitus   aère   ciebant. 

Mais  les  mois  :  son  large  sein  décèlenl  le  spuvenir  de 
Chénier  et  des  larges  flancs  de  son  tigre. 

<  csl  sans  doute  à  Banville  que  Heredia  a  pris  l'idée 
de  représenter  Ariane,  étendue  au  dos  du  monstre  royal 
(L'Education  de  l'Amour).  Mais  ['Ariane  des  Exilés,  1res 
inférieure,  mérite  à  peine  d'être  mentionnée.  Enfin,  Non- 
nos  el  ses  Dionysiaques  ne  sonl  pour  rien  dans  ce  sonnet. 

Le  lecteur  aura  l'ail  de  lui-même  un  rapprochemenl  qui 
s'impose.  Sans  parler  de  Vendange,  le  fameux  Samouraï 
esl  composé  sur  le  même  plan  qu'Ariane,  11  convient  sur 
tout  de  remarquer  les  deux  premiers  quatrains  : 

(1)   Cf.    Mùller-Wieseler,   Denkmûler  der  alten    Kùnst. 


189 


m    j.  »\i.   DE   m  ni  i»i\ 

D'un   doigt   distrait    Frôlant   la    sonore   bîva, 
A    travers    Les    bambous   tressés    en    fine    latte, 
Elle   a    vu,    par   la    berge   éblouissante   ef    plate. 
S'avancer    le    vainqueur   que    son    amour    rêva. 

An   choc-   clair   et   vibrant   des   cymbales  d'airain, 
Nue,  allongée  au  dos  d'un  grand  tigré,  la   Heine 
Regarde,    avec    L'Orgie    immense   qu'il   entraîne, 
Jacchos  s'avancer  sur  1<    sable  marin. 


Bacchanale 

Si  tanl  esl  que  ce  sonnel  ;til  une  source  précise,  elle 
doit  être  le  passage  de  Khirôn,  dans  lequel  le  Centaure 
annonce  sa  morl  prochaine  à  Orphée  : 

Iakkhos,    lakkhos!   Dieu  bienveillant,   traîné 

Par   la    fauve   panthère!    Iakkhos,    couronné 

De   pampres   et  de   lierre  et   île   vendanges  mûres! 

Dien    jeune,    qui   te   plais   aux    furieux    murmures 

Des  femmes  de  l'Edôn   et   du   Mimas!   ô   toi 

Qui  déchaînes,   la    nuit,   sur   les   monts   pleins  d'effroi. 

Comme    un    torrent    de    feu    l'ardente    Sabasie... 

Il  sera  intéressant  de  comparer  Le  tableau  peinl  par 
Heredia  à  celui  que  trace  de  la  même  scène  Ménard  dans 
son  Polythéisme  Hellénique  (p.  181  182),  el  surtoul  de 
Saint-Viclor,  Les  licit.i-  Masques,  (I,  p.  6  sqq.)  Banville 
n'a  probablement  rien  fourni.  (Cf.  pourtant  dans  les  Sta- 
lactites, Le  Triomphe  de  Bacchos),  non  plus  qu'Euripide. 
Mais  l'idée  de  placer  le  thiase  sur  les  bords  du  Gange  a 
peut  être  élè  suggérée  au  poète  par  nue  noie  de  Chénier, 
sur  Denys  le  Géographe,  que  l'on  trouvera  à  la  page  15 
de  l'édition  DimofF.  lue  seule  imitation  est  manifeste; 
le  vers  : 

Où   près  des   seins   rayés   luisent   des   ventres   blancs 

est  une  reprise  de  celui-ci   : 

Le  tigre  au   ventre  blanc,   au  souple  dos   rayé. 

(Leconte  de  Lisle,  P.  A.  Bhagavat.) 


90  I   I  I  l»l.    SUR    LES    SOI  IU  l  - 

Le    Réveii    d'un    h  ni 

Le  Réveil  il  un  Pieu  a  l.iui  de  sources  qu'il  csl  délical 


de 


aire  un  choix.  Le  lecteur  voudra  bien  se  reporter 
.1  I'.  de  Sainl  Victor  (Les  Deux  Masques,  I.  Introduction, 
pages  •l'.i  15).  Toul  le  sonnet  est  peul  être  tiré  de  ces  cinq 
on  six  pages.  Mais,  comme  elles-mêmes  ne  font  que  re- 
produire des  passages  d'auteurs  anciens  <>u  modernes,  il 
est  difficile  de  dur  si  Heredia  ;i  ou  n'a  pas  consulté  Bion, 
I.  cl  Théocrite,  XV,  cS'i  sqq.,  el  Lucien,  De  Dea  Syria, 
VI,  et  les  Hymnes  Orphiques,  Parfum  d'Adonis,  cl  Ovide, 
Métamorphoses,  X,  708  à  736.  Citons  cependant,  puisque 
l'ouvrage  est  rare,  quelques  lignes  de  Ménard   : 

\    Alexandrie,   les   femmes  venaient   contempler   Adonis  sni 

sa  couche  funèbre...  le  bel  adolescent  aux  bras  roses,  le  jeune 
époux  de  dix-neuf  ans...  On  les  étendait  l'un  près  de  l'autre, 
sur  des  tapis...  parmi  les  plantes  hâtives  aux  Heurs  éphémè- 
res... Qu'il  est  charmant  sur  son  lit  d'argent...  le  cher  Ado- 
nis!... Le  siège  principal  de  son  culte  était  Byblos...  c'était 
un  grand  deuil  dans  tout  le  pays;  on  se  frappait  la  poitrine, 
on  se  lamentait  sur  la  mort  du  Dieu...  le  lendemain,  il  mon- 
tait au  ciel  et  l'on  célébrait  sa  résurrection...  ("était  un  cu- 
rieux   mélange    d'ascétisme    et    de    sensualité... 

Je  mo  borne  à  citer  pour  mémoire,  non  que  Heredia 
s'y  soil  reporté,  niais  précisément  parce  qu'il  ne  l'a  pas 
l'ail,  le  scholiaste  de  Théocrite,  an  vers  112  des  Syracu- 
saines,  Hésivchius  cl  Suidas  au  mol  tôûviHoç  axvinot ,  cl  M. 
Rochette,  Mémoire  sur  les  Jardins  d 'Adonis.  Il  csl  bien 
entendu  que  le  lecteur  connaîl  de  Leconte  de  Lisle,  dans 
les  Poèmes  Antiques,  Le  Retour  d  Adonis  :  dans  les  Poè- 
mes  Tragiques,  La  Résurrection  d Adonis  ;  dans  les  Pet 
niers  Poèmes.  Le  Parfum  d  Adonis.  Ce  dernier  morceau 
liés  courl   : 

O   jeune  dieu   pleuré  des   vierges   de   Syrie 

...Et.    Kypris,    les   cheveux   épais,    les   yeux   en   pleurs... 

Je  puis  faire  du  moins,   triste  et  doux  souvenir. 

Croître    et    s'épanouir,    au    sol    où    tu    reposes, 

Sous  mes  pleurs  l'anémone  et  dans  ton  sang  les  roses. 


ni      l.    M.    Dl      lil  REDIA  i'.II 

serail  peul  èlre  une  des  sources  du  sonnet,  si  l'on  u'avail 
plusieurs  raisons  de  croire  qu'il  lui  esl  postérieur.  Il  y 
aurail  quelque  intérêt  à  rapprocher  du  dernier  vers  le 
rragmenl  de  Chénier,  que  l'on  trouve  à  la  page  243-244  de 
l'édition   Dimoff. 

I  .\  Magicienm 

Existe-t-il  un  rapport  entre  ce  s iet  et   le  précédent? 

Il  ne  le  semble  guère,  el  cependant  cela  est.  Souvenez 
vous  que  les  Eumolpicles  dévouèrent  Alcibiade  aux  dieux 
infernaux  pour  avoir  mutilé  les  Hermès;  que  c'esl  seule 
ment  par  les  historiens  d'Alcibiade  que  nous  connaissons 
les  rites  de  cette  malédiction  sacrée  :  que  le  crime  fut 
commis  lors  <lu  départ  de  la  flotte  pour  la  Sicile,  et  que 
le  même  jour  les  femmes  d'Athènes  célébraient,  comme 
celles  de  Byblos,  la  mort  d'Adonis.  Le  rapport  pour  être 
fortuit  n'en  est  pas  moins  presque  certain. 

Mais  qu'est  cette  Magicienne  '."'  qu'esl  sa  victime  ".' 
Je  crois  que  Heredia  a  voulu  peindre  les  sentiments  d'un 
Delphis  quelconque  «  envoûte  »  par  une  Simaitha.  Ses 
sources  seraient  donc  la  deuxième  idylle  de  Théocrite,  la 
huitième  Bucolique  de  Virgile,  les  épodes  V  et  \\  Il  d'Ho- 
race.  Qu'on   lise   plutôt    : 

«  ...  Il  n'y  a  plus  de  trêve  à  mon  mal  :  la  nuil  chasse  le 
jour  et  le  jour  chasse  la  nuit,  el  rien  ne  peul  apaiser  le 
souille  de  ma  poitrine...  Je  crois  que  les  incantations 
Sabines  brisent  la  tête...  »  (Horace,  XVII,  passim)  (Trad. 
Lee.  de  Lisle),  et  plus  loin  Canidia  répondra  au  poète 
qu'il  sera  torturé  connue  Tantale,  Prométhée  ou  Sisyphe, 
el  qu'il  aura  vainement  la  hantise  du  suicide. 

M.  le  Professeur  Viancy  voit  dans  ce  sonnet  une  imita 
tion  de  quelques  vers  de   Racine  (Phèdre,  249,  286,  308, 
etc.)  et   de   La  Jeune    Malade   de   Chénier;   et   c'est    une 
explication  séduisante.  Le  vers  : 

O   haine  do  Vénus!   ô   fatale   colèrel 

serait  In  source  de  celui-ci  : 

Dont    m'enveloppe    encore    la    colère    des    Dieux 


i'.)-J  1. 1 1  di.   >i  i!    LES    SOI  i;(  i  - 

Si  l'on  compare  de  même  : 

Quand  tua  bouche  implorait  le  nom  de  la  Déesse 
J'adorais    Hippolyte;   et   le   voyant   sans  cesse, 
Même   au   pied   des  autels  que  je   faisais   fumer. 
J'offrais  tout  à  ce  dieu  que  je  n'osais  nommer. 

avec  : 

En    tous    lieux,    même    au    pied    des    autels    que    j'em- 

I  brasse, 
Je   la    vois  qui   m'appelle  et   m'ouvre   ses   bras   blancs. 

ou  bien   : 

J'ai   pris   la   vie  en  haine  et   ma    flamme  en   horreur 

avec  : 

Partout   je   sens,   j'aspire,    à   moi-même   odieux 

on  comprend  toul  ce  qu'a  de  tentanl  une  pareille  hypothèse; 
él  je  m-  me  dissimule  pas  que  peu  de  lecteurs  croiront 
avec  moi  que  ces  vers  «le  Phèdre  u'onl  avec  ceux  de 
Heredia  qu'un  rapporl  lointain.  Ils  chantaienl  sans  doute 
dans  sa  mémoire  comme  dans  la  nôtre.  Est-il  un  poète, 
surtout  un  poète  «  hellénique  ».  qui  puisse  représenter 
un  amour  funeste  sans  songer  au  chef-d'œuvre  de  Ha 
cine  '!  Ouanl  à  l'influence  de  Chénier,  elle  esl  plus  don 
Leuse.  M  semble  qu'il  soil  possible  encore  d'invoquer 
une  troisième  source,  le  passage  où  Flaubert. fail  raconter 
à  Spendius  par  Mathô  sa  passion  pour  la  Bile  d'Hamilcar  . 

Enfin     Mathô    leva     vers    lui    de    grands    yeux    troubles.     -- 
Ecoute,  fit-il,  c'est  une  colère  des  Dieux!  la  fille  d'Hamilcar 
me    poursuit!    J'en    ai    peur,    Spendius!    » 

Il  se  serrait  contre  sa  poitrine,  comme  un  enfant  épouvanté 
par  un  fantôme.  —  «  Parle-moi!  je  suis  malade!  je  veux 
guérir!  j'ai  tout  essayé!  Mais  toi  tu  sais  peut-être  des  Dieux 
plus  forts  ou  quelque  invocation  irrésistible?...  Les  yeux  me 
brûlent,  j'entends  sa  mis.  Elle  m'environne,  elle  me  pénètre... 
As-tu  vu  ses  grands  yeux...?  » 

Un  moyen  de  tout  concilier  sérail  d'admettre  comme 
sources  à  la   fois   Virgile,   Horace,    Racine  et   Flauberl  ; 


Di     i.    M.    ni     lil  i;ll»l\  i'. 13 

mais  il  semble  bien  que  le  rapprochement  avec  Salammbô 
soil  décisif. 

Esl  il  nécessaire  de  supposer  que  les  mots  à  moi-même 
odieux  £onl  imités.,  non  de  Racine,  mais  de  I. réunie  de 
Lisle. 

Le  Tueur  de  sa  mère  à  lui-même  odieux? 

(Les   Erinnyt  s.  i 

l  ne  pareille  rencontre  esl   sans  doute  1res  fortuite. 
Ou  me  pardonnera  de  m'arrêter  aux  deux  vers  : 

L'Eumolpide  vengeur   n'a    poinl    dans   Samothrace 
Secoué  vers  le  seuil  les  longs  niant  eaux  sanglants. 

C'est  qu'il  n"\  avail  poinl  d'Eumolpides  à  Samothrace; 
que  les  prêtres  de  Samolhrace  n'avaient  poinl  de  robes 
rouges;  que,  -'il-  les  avaient  secouées,  c'eûl  été,  non  pas 
vers  le  seuil,  mais  vers  l'Occident,  c'est-à-dire  du  côté 
opposé  à  l'entrée,  s'il  faul  en  croire  les  Antiquités  Grec- 
ques de  Schoemann. 

Ces  deux  vers  sont  tirés  d'un  passage  de  Ménard  et 
d'un  passage  de  Henri  Houssaye,  un  des  familiers  du 
cénacle  où  fréquentail  I  leredia. 

Ménard  raconte,  à  propos  des  mystères  d'Eleusis,  donl 
le  sacerdoce  étail  une  propriété  des  Eumolpides,  qu'à  lo 
suite  du  procès  sur  la  mutilation  des  Hermès  el  la  parodie 
des  Mystères,  «  les  Eumolpides,  secouant  vers  le  Cou 
chant  leurs  robes  de  pourpre,  prononcèrenl  leurs  terri 
Mes  imprécations  ».  Ailleurs  il  rapporte  la  tradition  qui 
fail  descendre  les  Eumolpides  d'un  ancêtre  ihrace  du 
nom  d'Eumolpe...  el  l'on  voit  la  genèse  de  l'erreur  de 
I  leredia. 

1. écoute  de  Lisle  s'était  inspiré  de  ce  passage  en  écri 
varil  : 

Nul  n'écartera   plus   vois   les   louchants   mystiques 
La    pourpre   suspendue   au-devant   de    l'autel. 

(P. -A.    Vies    Ira.) 

Henri  Houssaye,  dans  son  Histoire  d'Alcibiade  (Paris, 

33 


19  i  III  M     -I  R     I  ES    SOUR<  ES 

Didier  el  Cie,   1874,  lomc  11.  page  95),  répèle  à  peu  près 
la  même  chose   : 

Pour  donner  à  la  sentence  (de  mort  prononcée  par  défaut 
ccintrc  Alcibiade)  un  caractère  sacré,  les  prêtres  de  Démeter  et 
des  autres  divinités  vénérées  en  Attique  reçurent  l'ordre  de 
prononcer  contre  Alcibiade  les  sacramentelles  imprécations. 
Au  soleil  couchant,  les  prêtres  et  les  prêtresses,  se  tenant 
debout,  le  maudirent  en  secouant  leurs  longues  robes  de  pour- 
pre,  selon    l'antique   coutume   d'Athènes. 

Ménard  el  Houssaye  uni  Irouvé  ces  renseignements 
dans  Plutarque,  Alcibiade,  XXII;  C.  Nepos,  Alcibiade. 
IV  :  Lysias,  De  Imp.  And.,  XLII,  cl  dans  Andocidc.  Le 
Lecteur  désireux  d'avoir  en  mains  tous  les  éléments  du 
problème,  pourra  consulter  encore  :  Plutarque,  Numa, 
XIV;  Porphyre,  De  Antris  Nympharum,  p.  251;  Lucien. 
De  Domo,  VI,  De  Syria  Dea,  XV,  Démonax,  XXXIV, 
Alexander,  XXXIX. 


Ï5PHINX 

Autre  sonnet,  qui  sérail  parfaitemenl  obscur,  si  nous 
ne  savions  qu'il  a  été  inspiré  a  Heredia  par  un  groupe 
du  sculpteur  E.  Christophe  (1).  Nous  possédons  dans  les 
Derniers  Poèmes  quelques  vers  de  Leconte  de  Lisle  qui 
ont  la  même  source  indiquée  dans  une  épigramme   : 

Le  Baiser  suprême 

Heureux    qui,    possédant    la    Chimère    Eternelle, 
Livre   au   monstre   divin    un    cœur   ensanglanté, 
Et   savoure,   pour  mieux   s'anéantir   en   elle, 
L'Extase   de   la    mort   et   de   la    Volupté. 
Dans    l'éclair    d'un    baiser    qui    vaut    l'éternité. 

Il  y  a  peut-être  quelque  intérêt  a  rapprocher  de  ce 
sonnel  quelques  autres  poèmes,  particulièrement  YEkhidna 
de-  Poèmes  Barbares,  le  S/;/////./'  de  Gautier,  la  Chimère 
et  le  Tueur  de  Monslres  de  Banville.  Il  n'y  a  sans  doute 


(1)    Musé-s   du   Luxembourg. 


DE    J.    M.    DE    HEREDIA  ill.i 

aucun   rapport  d'inspiration  entre  ces  quatre  strophes  et 

une  vingtaine  de  vers  de  Ménard,  Poèmes,  Endymion,  I. 

où    esl    célébrée    l'étreinte    meurtrière    el    féconde    de  la 
Volupté  (I). 

\1 VRSYAS 

Marsyas  esl  le  premier  exemple  de  ce  que  nous  appel- 
lerons, pour  plus  d(^  brièveté,  les  sonnets  anthologiques. 
Ce   sont    ceux   qui    sonl    plus   ou    moins   directement    des 
paraphrases   d'épigrammes    tirées    de    ^Anthologie    Grec 
</uc.  Je  renverrai  le  lecteur  à  la  traduction  en  deux  volu 
mes.    signée    F.    I)..    et    publiée   chez    Hachette   en    1863. 
C'est  certainement   l'ouvrage  que  Heredia  ;i  eu  entre  les 
mains  ;  il  l'a  lu,  relu,  et   médité.    Von  seulement   il  «m  a 
tiré  douze  ou  treize  sonnets,  mais  on  peut  bien  dire  que 
ce  sont  les  Antipater  (ou,  tout  aussi,  justement,  les  Anli 
paters),  les  Vrchia®,  les  Méléagre,  les  Philippe  tic  Thesea 
Ionique  qui  ont   donné  aux  sonnets  grecs  des   Trophées 
cette  fraîcheur,  cette  délicatesse,  ce  fini,  en  un  mot,  que 
ne  saurai!  expliquer  tout  à  l'ait  l'influence  do  Ménard  cl 
de  Leconte  de  Lisle.  ("est  sans  doute  Chénier  qui  a  amené 
Heredia  à  l'Anthologie  Grecque;  la  meilleure  preuve  en 
esl  que  ce  sont  surtout  les  épigrammes  préférées  de  l'an 
leur  des    Bucoliques   qui    sont    imitées   dans   les   sonnets, 
non    seulemenl    celles    qu'il    avait     reprises,     mais    encore 
celles    qu'il    se    proposait    de    reprendre.    Toutefois    il    ne 
semble   pas,   ceci   dit.   que   Heredia   se  soit   astreint   à   ne 
voir  dans  l'Anthologie  que  ce  qu'y  a  vu  Chénier.  Celui  ci 
se  plaisait  aux  épigrammes  erotiques  dont  elle  fourmille; 
on   sait    assez    les    habitudes   de    Heredia  en   pareille    ma- 
tière. 

Les  sonnets  anthologiques  sonl  composés  selon  trois 
procédés  différents.  Tantôl  le  poète  se  borne  è  imiter  de 
très  près  une  seule  épigramme  grecque  (Regilla,  Le 
Coureur):  tantôl  il  eu  réunit  deux  ou  trois  (Marsyas,  Le 
Laboureur,   Epigramme    Votive,    Epigramme   Funéraire), 

(1)    Volupté!    Volupté!   Source  <lr   boute   vie...   etc.. 


i'.Mi  l   l  i  lu     -II;    Il  -    SOI  R<  I  - 

tanlôl  enfin,  avec  des  bribes  glanées  çà  el  là,  il  arrive  à 
composer  de  véritables  épigrammes,  qui  ne  décèlenl  pas 
son  travail  personnel,  tanl  elles  semblenl  coulées  sur  le 
modèle  des  autres.  La  pâte  n'esl  |>;is  la  même,  cl  c'esl  tout. 
Marsyas  est  donc  imité  de  plusieurs  poètes  grecs,  d'Ar- 
chias,  'I  Ucée  el  de  deux  des  Antipaters.  Qu'on  nous  par- 
donne  de  citer  loul  au  long  certaines  «  poésies  ».  donl 
Heredia  n'a  imité  qu'une  partie.  Il  peul  rire  intéressanl 
de  savoir  ce  qu'il  a  laissé  de  GÔté.  Nous  soulignerons 
seulement   les  passages  directement   repris  par  lui   : 

Archias.  'fi  voilà  pendu,  malheureux,  à  oc  pin  épais  où 
ta  dépouille  veine  est  le  jouet  des  vents.  Pendu!  aussi  pour- 
quoi as-tu  provoqué  Apollon  à  une  lutte  inégale,  o  Satyre,  toi 
qui  habite  [mm  le  ciel,  mais]  les  rochers  de  Célènes?  Et  nous, 
Nymphes,  nous  n'entendrons  plus  sur  les  monts  phrygiens, 
comme  autrefois,  les  doux  sons  de  ta  flûte.  (Volume  I,  page 
234,   épigramme  696.) 

Ai. cée.  --  Dans  les  forêts  de  pins  de  Phrygie,  tu  ne  chan- 
teras plus  comme  autrefois,  en  tirant  des  sons  d'harmonieux 
roseaux;  dans  tes  mains  l'instrument  de  la  Tritonide  Minerve 
ne  brillera  plus  comme  autrefois,  o  Satyre,  fils  d'une  Nym- 
phe; car  des  liens  indissolubles  étreignent  tes  mains,  parce 
que,  simple  mortel,  tu  as  provoqué  au  combat  un  dieu,  Apol- 
lon. Tes  roseaux,  qui  rendaient  des  sons  aussi  doux  que  la 
lyre,  t'ont  donné  pour  prix  de  la  lutte,  non  une  couronne, 
mais  la  mort.   (II,  p.  136,  ép.  8.) 

Antipatek.  -  Aux  doux  sons  que  tirait  de  ses  belles  fixités 
l'harmonieux  Glaphyrus,  Apollon  charmé,  s'écria:  «  Marsyas, 
tu  as  menti:  tu  n'avais  rien  trouvé...  et  si  autrefois  tu  avais 
soufflé  dans  de  telles  flûtes,  ton  père  Hyagnis  n'aurait  pas 
pleuré  la  triste  issue  de  ta  lutte  musicale  sur  le~s  bonis  du 
Méandre.  (Le  traducteur  ajoute  en  note:  «  Maflsyae  fut 
i  voulu'  vif.  »)  (I,  p.  285,  ép.  266.) 

\  celle  dernière  épigramme,  Heredia  a  emprunté  aussi 
les  quelques  mois  qu'il  mil  en  tête  du  sonnet,  lorsqu'il  le 
publia  pour  la  première  fois,  le  15  mai  1890,  dans  la 
Revue  des  Deux-Mondes;  c'esl  exactement  :  «  Ton  père 
Hyagnis  ne  t'aurail   pas  pleuré.   »  (Antipater.) 


DE    I.    M.    DE    III  RED1  \  197 

C'csl    probablement    Leconte  <li*   Lisle  qui   lui   a   fourni 
le  vers  : 

Les  pins  <lu  bois  natal  que  charmait  ton  baleine 
Vont    pas   brûlé   ta    chair... 

en  mettanl  'Lins  la  bouche  d'Orestès  parlanl  à  l'ombre  de 
son  père,  les  mots  : 

l'n   bûcher  glorieux  de  grands   pins  et  d'érables 
N'a    point    brûlé  ta   chair  ei    tes  os  vénérables. 

(Les  Erinnyes,  II,  3.) 

Mais  Heredia  n'a  rien  emprunté  à  Chénier,  qui  a  traité 
le  même  sujel  (éd.  Dimoff,  page  Ni  85).  Le  vers  7  vienl 
peul  être  d'Antipater  de  Sidon  (I,  128,  8).  En  somme,  le 
poète  h  ;i  rien  imaginé  par  lui-même,  mais  il  essaie  de 
rappeler  au  lecteur  le  sens  du  mythe  de  Marsyas,  en  op 
posanl  les  mots  de  Phrygiè  au  ciel  hellène,  el  le  plectre 
aux  roseaux  (I)  el  nous  laisse  deviner  que  le  Satyre  de 
Célène  fui  une  divinité  fluviale,  ce  qu'il  snil  pour  l'avoir 
In  soil  dans  quelque  ouvrage  de  mythologie  (2),  soil  chez 
llyuin  (3)  el  Pauaanias  (3) 

Andromède  (au  Monstre) 

Ce  sonne!  parul  le  15  mai  1885,  dans  la  Revue  des 
Deux-Mondes.  Il  portail  les  deux  épigrammes  suivantes, 
supprimées  en   1893   : 

«  Elle  fut  exposée  au  monstre  ><■  (Apollodore.) 
Et  le   cavaliei    Versées.   {Hésiode.) 

Le  premier  vers  étail   : 

La    Vierge   inanimée,   hélas!  encor     vivante. 

(1)  A  noter  que  les  mots  :  sous  un  doigt  trop  savant,  semblent 
contredire   cette   interprétation. 

(2)  Dechaiimk.    Myth.,   p.   146-447. 

(3)  Hygin.  CLX.  [taque  Apollo  victum  Marsyan  ad  arborem  re- 
ligatum  Scythae  fcradidrl  qui  eum  membratim  separavit.  Reliquum 
corpus  discipulo  Olympo  sepulturae  tradidit,  e  eu  jus  sanguine  flu- 
nieii    Marsya    esi    appellatum.    (Cf.    Pausanias,    X.    30,    9.) 


498  El  l  DE    SI  li    LES    SOI  la  ES 

Heredia  l'a  heureusemenl  corrigé  : 

La    Vierge   Céphéenne,   hélas!   encor     vivante. 

En   outre,   le   vers  6,   au   lieu   de   crache  portail   (elle, 
moins  expressif. 

Malgré  les  citations  d'Apollodore  el  d'Hésiode,  la  source 
principale  de  ce  sonnel  esl  le  sonnet  de  Banville,  intitulé 
indromède,  infinimenl  plat,  malgré  d'heureuses  trouvail- 
les, dont  Heredia  a  l'ail  son  profil  (1)  : 

Andromède    gémit    dans    le   désert    sans    voile, 
N  ne  et  pâle,  tordant  ses  bras  sur  le  rocher. 

Rien   sur   le  sable 

pas  même  un  chasseur  dans   un   abri   de  toile, 


Le  soleil  la  déchire,  impitoyable  archer, 

Et  le  monstre  bondit  comme  pour  s'approcher 

De  la   vierge   qui   meurt,   plus   blanche  qu'une   étoile. 

Ame  enfantine  et  douce,  elle  agonise,  hélas! 

Mais   Persée   aux   beaux  yeux,    le   meurtrier  d'Atlas. 

Vient   et    fend   l'air,    monté   sur    le   divin    Pégase. 

Il  vient,  échevelé,  tenant  son  glaive  d'or, 
Et  la  jeune  princesse,  immobile  d'extase, 
Suit  des  yeux  dans  l'azur  son  formidable  essor. 

(Les  Exilés.) 

Apollodore  dit   simplement    : 

«  Cépheus  eut  réponse  de  l'oracle  d'Ammon  que  cette  cala- 
mité cesserait  lorsque  Androméda,  fille  de*  Cassiopea,  serait 
exposée  au  monstre  marin.  Ce  qu'il  fut  contraint  de  faire  par 
les  Ethiopiens,  et  lia  sa  fille  à  un  rocher.  Persée  qui  la  vit, 
fort  belle,  en  devint  amoureux  et  promit  à  Céphée  de  tuer  le 
monstre,  s'il  voulait  lui  donner  à  femme.  Les  serments  donnés- 
sur  cela,  Persée  assaillit  le  monstre  et  le  tua,  puis  délia  An- 
dromède... (suit  le  récit  des  infortunes  de  Persée).  (Traduc- 
tion Passerat,  page  88.) 

Hésiode    appelle    quelque    pari    Persée    (Bouclier.    216J 

(1)  Je  regrotte  qu'il   ne  me  soit  pas  permis  de  reproduire  le  son- 
net   en   entier. 


DE    J.    M.    DE    HEREDIA  'l 99 

' inné™  ïlepoeùç, ce  que  Leconte  de  Lisle  Iraduil  '  «El  là  étail 
le  cavalier  Persée  ».  Mais  il  n'y  a  aucun  rapport  entre 
ce  passage  el  le  ravissement  d'Andromède.  C'est  peut- 
être  des  vers  228  231  que  Heredia  a  tiré  son  dernier 
vers  :  «  El  lui-même,  Persée,  semblait  se  hâter  en  s'al- 
longeant,  el  derrière  lui,  les  Gorgones  couraient  pour  le 
saisir  ». 

Ovide,  au  livre  IV,  de  ses  Métamorphoses  (vers  604 
sqq.)  a  longuement  traité  le  même  sujet  :  Heredia  a  lu  le 
poète  latin  et  l'a  imité  parfois.  \msi  des  vers  672  et 
suivants   : 

Quam   siniul   ad   duras   religatam    brachhia   fautes 
l'iTlit   Abantiades,  nisi  quod  leuis  aura   capillos 
Mouerat,  et  fcepido  manabant  lumiua  iletu. 
Marmoreuin    ratus    esset    opus... 

il  a  tiré  son  premier  quatrain,  s;ms  qu'il  soij  besoin 
d'invoquer  le  passage  de  Maintins  (1.  351)   : 

Juxtacpie  relictam 

Andromedan   uastos   metuentem   piscis   hiatus, 
Exjjositam    ponto   deflet,    scopulisque    reuinctam... 

on  perce  cependant  l'intention  de  révéler  l'identité  de  la 
mer  déchaînée   par  les  venls  d'équinoxe  el  du   monstre. 

El  des  vers  71 1  sqq.   : 

Cum   subito   iuvenis  pedibus   tellure   repuisa 
Arduus  in  nubes  abiit  ;  ut  in  aequore  sunimo 
CTmbra    uiri    uisa   est,    uisam   fera    saeuit   umbram. 

vient  s;nis  doute  la  belle  image  de  la  lin   : 

Allonger   sur   la   mer  sa   grande  ombre  d'azur 

Ajoutons  encore  que  l'ensemble  de  ce  dernier  tercet  est 
imité,  non  seulemenl  de  celui  de  Banville,  mais  encore 
d'un  autre  passage  des  Exilés,  dans  Lu  Cithare  : 

Penchés   sur  des  chevaux   à   l'ardente  crinière 
Coursiers  de   neige    ailés    au    vol    terrible   et    sûr. 
D'autres    livrent    bataille    à    des    hydres    d'azur. 


500  i   i  i  ni     SUR   LES    -"i  EU  !  - 

Enfin  (I).  il  cs(  intéressanl  (2)  de  rapprocher  de  ce 
sonnel  quelques  vers  de  Victor  1 1  n^< »  : 

Et   le  hennissement  du  cheval  blanc  Aurore 

le  flot   monstrueux  qui   sourit 

L'horizon  semble  un  rêve  éblouissant  où  nage 
L'écaillé  de  la   mer,    la    plume  du   nuage, 
Car  l'Océan  est  hydre,  ei    le  nuage  oiseau. 

(Contemplations.   Eclaircie.) 

Persée   e i     Vndromî  m 

Lorque  (•>)  Heredia  mil  en  lête  de  ce  sonnel  l'épi- 
gramme  :  «  El  Persée  s'envola  »  (Hésiode),  il  devail 
citer  de  mémoire,  c;ir  le  seul  passage  du  poète  grec  où 
il  soil  parlé  de  Persée,  esi  le  suivanl  :  (Gf.  le  sonnel  pré- 
cédent). 

«  Et  Persée.  s'envolanl  loin  de  la  terre  féconde  en 
troupeaux,  parvinl  jusqu'aux  dieux.   »  (Théog.,  284  285.) 

Encore  n'y  a-t-il  aucun  rapporl  entre  ces  deux  vers  el 
le  ravissemenl  d'Andromède,  qu'Hésiode  semble  ignorer. 
Aussi  c'esl  probablemenl  dans  le  dictionnaire  de  Bouilhel 
que  Heredia  a  trouvé  que  Persée  moula  sur  Pégase  pour 
délivrer  la  vierge.  Chez  tous  les  auteurs,  sur  tous  les 
vases  peints,  le  héros  est,  dans  ce  cas  particulier,  repré 
sente  comme  volanl  avec  les  ailes  qu'il  s'attache  aux 
talons.  (Cf.  Fedde.  De  Perseo  el  Andromeda,  1860.) 

11  est  possible  que  l'attitude  de  Pégase, 

Qui  piaffe  dans  la  mer,  et  hennit,  et  refuse 
ait  été  inspirée  à  Heredia  par  le  vers  d'Horace  : 

(1)  Les  sources  principales  de  nos  connaissances  sur  la  légende 
d'Andromède  sont,  outre  les  auteurs  déjà  cités  :  Germanicus  et 
Aiatus,  Hérodote.  VII,  61.  —  Euripide,  fragments  d'Andromède» 
Hygin.  Tort.  Astr.  II,  10  et  Fab.  LXI V  +  Phérécyde  (Ap.  Sch. 
Ap.  Rhod.  IV,  1091).  Voir  particulièrement  Clermont-Ganneau, 
Horus  et   Saint-Georges    [Revm    Archéol.    1876). 

(2)  Il  serait  intéressanl  de  voir  le  parti  qu'a  tiré  le  poète  du  mar- 
in i  de  Puget  et  du  tableau  du  Titien,  qu'il  a  pu  admirer  an  Louvre. 
(Cf.  aussi,  au  Palais   Farnèse,  une  toile  de  Véronèse.) 

(3)  Revue   des   Deux-Mondes,  du  15  mai   1885. 


ni  ;    j.    M.    ni     HEREDIA  50d 

Pegasus   terrenum   equitem   gravatus 

(Carm.   IV,  27.) 

Les  deux  versions  de  ['Enlèvement  d'Europe,  dans  Ché 
nier  (éd.  Dimoiï,  pages  18  el  252)  onl  peul  être  servi  à 
I  [eredia.  l 'ar  exemple,  les  vers  : 

Bile,   d'un    faible   effort,    ramène   sur   la    croupe 

Ses  licaux  pieds  qu'en  fuyant  baise  un  flot  vagabond. 

\  iendraienl   de  ceux  ci    : 

Ki   redoutant  la  vague  et  Ses  assauts  humides 
Retire  et  veut  sous  soi  cacher  ses  pieds  timides. 

Mais,  dans  Ovide,  nous  trouvons  aussi  un  tableau  ana 
logue,  source  du  précédent    : 

...Lactumque    uereri 
Assilientis  aquae   timidesque   reducere   plantas 

(VI,  105-106.) 
En  toul  cas,  le  dernier  vers  : 

Bat    le   ciel   ébloui    de   ses   ailes   de    flamme 
paraîl  bien  tiré  de  (  lermanicus   : 

Sed    Pegasus    aetlieie    summo 

Ueloces    agitât    pennas 

Lu   Ravissement  d'Andromède  (I) 

L'"csl  bien  le  passage  d'Ovide  cité  plus  haut  qui  esl  la 
source  principale  de  ce  sonnet.  II  esl  trop  long  pour  être 
reproduil  en  entier.  Disons  seulement  que  le  Persée  du 
poète  latin,  s'il  voyagea  bien  comme  celui  de  Heredia,  à 
travers  l'espace,  le  fait  avant  de  rencontrer  Andromède  : 

Et    liquidum    motis    talaribus    aéra    findit. 
Gentibus  innumeris  circumque  infraque  relictis 
Aethiopum  populos  Cepheaque  conspicil    arua. 

(668-671.) 

el   un  pou  plus  haul    : 

(1)  Publié  pour  la  première  fois  avec  les  deux  précédents,  dans 
la    Revue  des   Deux-Mondes,  du   15  mai   1885.   La    première   version 


502  I   i  UDE    SI  R    LES    SOI  R(  I  - 

tenerum 

Aéra  carpebal    stridentibus  alis... 
Cumque  super   Libycas  uictor  pendent   barenas... 
Inde  per  immensum   uentis  discordibus  actus, 
Nunc  hue.  nunc  illuc  exemplo  nul)is  aquosao, 
Fertur,   et  ex   alto   seductas   aethere   longe 
Despectat  terras  totumque  superuolat   orbeni. 
Ter  gelidas  Arctos,  ter  Cancri  bracchia  uidit... 

(604    sq.) 

Les  deux  cilations  de  la  première  version  sonl  un  peu 
fantaisistes.  Vratus  (188-256),  décrivant  les  constellations 
d'Andromède,  Pégase  et  Persée,  ne  dil  pas  un  mot 
d'Athéné.  Heredia  a  dû  confondre  avec  Erotosthène,  t|iii 
écril  :  Athéné  la  plaça  parmi  les  étoiles  ».  De  même 
Hygin  n'a  pas  une  ligne  que  Heredia  puisse  traduire 
comme  il  le  fait. 


est  si  différente  de  la  seconde  que  l'on  permettra  de  les  reproduire 
l'une  à  côté  de  l'autre.  (Autorisation  spéciale  de  la  Maison  Le- 
nitrre.) 

Texte  de  1885  Texte  de   1893 

Athéné  la  plaça  parmi  les  astres 

[(Aratus). 

Elle  fut,  dit-on,  mise  au  nombre 

[des  étoiles  (Hygin). 

D'un  vol  silencieux  le  grand  che-  D'un   vol     silencieux,     le    grand 

[val   ailé  [cheval  ailé. 

Soufflant  de  ses  naseaux  des  jets  Soufflant  de  ses  naseaux  élargis 

[d'ardente  brume,  [l'air  qui  fume. 

Les    emporte    dam    un   frémisse-  Les    emporte   avec   un    frémisse- 

[ment  de  plume  [ment  de  plume 

A  travers  la  nuit  bleue  et  l'éther  A  travers  la  nuit  bleue  et  l'éther 

[étoile.  [étoile. 

Ils    vont.    L'Afrique    plonge    au  Ils    vont.    L'Afrique    plonge    au 

[gouffre   flagellé.  [gouffre  flagellé. 

Puis  le  désert,  F  Asie  et  Je  Liban  Puis  l'Asie...   un  désert...   le  Li- 

[qui   fume,  [ban  ceint  de  brume... 

Et  voici  qu'apparaît  toute  blan-  Et  voici   qu'apparaît  toute  blan- 

[che   d'écume  [che  d'écume. 

La  moi'  mystérieuse  où  vint  som-  La  mer  mystérieuse  où  vint  som- 

[brer  Hellé.  [brer  Hellé. 


DE    J.    M.    DE    HEREDIA  503 

Mais  il  est  probable  que  ce  presligieux  tableau  a  été 
d'Athéné.  Heredia  a  «lu  confondre  avec  Eratosthène,  qui 
de  Xlouça-al-Kèbur  (Leconte  de  Lisle,  Poèmes  Tragiques), 
par  ///  Excelsis  (Poèmes  Barbares)  et  par  Hugo,  qui  ter- 
mine ainsi  la  XII'  pièce  des  Feuilles  d'Automne  : 

Mais  la    unit    rend  aux   cieux   leurs  étoiles,   leurs  gloi- 
res,... 
L'œil,    dans    Unis    profondeurs,    découvre   à    chaque   pas 
Mille  inondes  nouveaux  qu'il  ne  soupçonnait    pas, 
Soleils   plus   flamboyants,    plus  chevelus  dans   l'ombre, 
Qu'en    L'abîme  sans   fin    il   voit    luire   sans   nombre. 

Le  <  m:\  hier  (1) 

I  il  paire  invite  un  autre  pâtre  à  passer  la  nuit  sous 
son  toit,  c'est  le  thème  de  Sur  l'Othrys  ;  c'est  aussi  le 
sujet  traité  par  Virgile  dans  les  cinq  derniers  vers  de  la 
première  Bucolique.  M;iis  Heredia  ne  doil  rien  à  Virgile, 
el  le  débul  semble  imité  de  Leconte  de  Lisle  : 

Bélier,   pais  l'herbe  en  fleur;   et  toi,  chèvre   indocile, 
Broute    l'amer    cytise   aux    pentes   du   coteau 

(P.  A.  Les  Bucoliastes.) 

II  est   inutile  d'invoquer  Pausanias  (VIII,  '■>('),  8)  pour 

Texte  de  1885  Texte  de  1893 

Et  le  vent  gonfle  ainsi  que  deux  Et  le  vent  gonfle  ainsi  que  deux 

[immenses  voiles  [immenses  voiles 

Les  ailes  qui,  volant  d'étoiles  en  Les  ailes  qui,  volant  d'étoiles  en 

[étoiles,  [étoiles, 

Aux  amante  enivrés  font  un  tiède  Aux  amants  enlacés  font  un  tiède 

[berceau  ;  [berceau  ; 

Tandis  que  l'œil  au  ciel  et  s'étrei-  Tandis  que  l'œil  au  ciel  où  pal- 

[gnant    dans    l'ombre,  [pite  leur  ombre. 

Ils    voient,    étincelant    du   Bélier  Ils    voient,    irradiant    du    Bélier 

[au   Verseau,  [au  Verseau, 

Leurs  constellations  poindre  dans  Leurs  constellations  poindre  dans 

[l'azur   sombre.  [l'azur   sombre 

(1)  Publié  dans  la  Revue  des  Deux-Mondes  du  1"  janvier  1888. 
Deux  variantes  :  le  vers  3,  au  lieu  de  pentes  porte  gorges;  au 
vers  10,   démon    est  écrit  avec    un  majuscule. 


504  ÉTl  DE    SUR    l  ES    SOI  R<  ES 

expliquer  la  superstition  des  paysans  de  Menai.'.   Volons 
toutefois  que  les  vers  d'Horace  : 

Uelox  amoenum  saepe  Lucretilem 
.Mutai    Lycaeo   Faunus  ei    igneam 
Défendit   aestatem  capellis 
(Jsque  meis  pluuiosque  uentos. 

(Cann.    I,    XVII.) 

combinés  avec  ceux  de  <  Ihénier  : 

(Les    Nymphes   dansent    au    clair    de    lune.) 

lie   Satyre    joyeux   au    regard   enflammé 

Crie,  en  des  bonds  légers  les  lance,  les  entraine... 

(Ed.    Dimoff,    p.    32.) 

et  de    rhéocrite   : 

Dametas  et  Daphnis  jouèrent  de  la  syrinx  «  et  les  génisses 
dansèrent  sur  l'épais  gazon  ».  ràpprsyvr'Ê'v  pxtaxa  rai  vôpnsc  y.vrixu 
7roîa(VI,  4.->). 

donnent  Ions  les  détails  du  vers: 

Et,  vois,  au  clair  de  lune  il  fait  danser  nus  chèvres. 

Néanmoins  Heredia  a  peut-être  imité  seulement  les 
quatre  derniers  vers  d'un  poème  célèbre  de  Victor  Hugo  : 

Et   l'oreille  tendue   à  leurs  vagues   chansons, 

Dans  l'ombre,  au  clair  de  lune,  à  travers  les  buissons, 

Avides,    nous  pourrons  voir  à   la  dérobée 

Les   satyres   dansants    qu'imite    Alphésibée. 

(Voix  Intérieures.  A  Virgile.) 


Les   Bergers  (1  ) 

«  Glaucon  ei  Corydon  onl  immolé  à  Pan,  gardien  du 
monl  Cyllène,  la  génisse  aux  belles  cornet;  el  ses  cornes 
«le  douze  palmes,   ils  les  onl   attachées  en   son   honneur, 


(1)  Publié  en  même  temps  que  le  précédent  clans  la  même  Revue. 
Au  vn.*  9.  Chèvre-pied  es1  écrit  avec  un  C  minuscule;  au  vos  1 
on  lit  :  mi  vallon  de  Cyllène.  Comme  la  correction  faite  à  la  pièce 
précédente  avait    biffé  le  mot  gorge,    Heredia   l'a   repris  ici. 


DE    J.    M.    I»l      III  Kl  l»l  \  •)!).) 

avec   un    long   clou,   au   Ironc   d'un    platane   loufl'u,    belle 
offrande  au  dieu  des  Bergers.  » 

(Anthologie.  Erycius,  I.  84,  96.) 

relie  esl  probablemenl  la  source  principale  de  ce  son 
nel  :  c'esl  peu.   \ussi  le  poète  a  i  il  glané  çà  el  là  quelques 
détails.   Le  vers   i  rappelle  la  légende  de  Pan  amoureux 
de  Pit.ys  el  son  interprétation  par  Max  Mûller  (Op.  laud., 

Irad.  Perrot,  p.  205  206)  el  par  Dechar (p.  157).  Le  don 

fait  au  dieu   esl   un   souvenir  des   festins  d'Hécate  '  Kotvoç 
v.ûuy,:  !  —     Hermès  n'est-il  pas  le  père  de  Pan,  et  !<•  vrai 
démon  «lu  Cyllène  ?        Enfin  la  dernière  strophe,  suggé 
rée    peut-être    par    une    épigramme    de    l'Anthologie    (II. 
172,  235),  esl  imitée  de  Leconte  de  Lisle  : 

Unis  au  romarin  le  myrte  pour  les  Lares. 

Offerts  d'une   main    pure   aux    angles   de    l'autel. 
Souvent,  ô   Philydé,   mieux   que  les  dons  plus   rares 
!..  -   Dieux   aiment    l'orge  et    le   sel. 

(P.    A.    Etudes  latines,    X.) 

ou  d'Horace  (donl  la  strophe  précédente  n'esl  qu'une  Ira 
duction.  Cf.  <  .uni..   111.  23,   13  sqq.) 

Epigramme   Votive   (I) 

L'Anthologie  contienl  un  nombre  considérable  d'épi- 
grammes  votives;  Heredia  en  a  imité  une  demi-dou- 
zaine, niais  ne  s'esl  astreinl  à  en  suivre  aucune.  Le  mou- 
vemenl  du  vers  1.  «  Au  unir  Ares  ».  rappelle  celui  d'une 
dédicade  de  l'uni  le  Silentiaire  (I.  82,  84),  donl  esl  tirée 
aussi  l'idée  première  des  urines  ébréchées.  On  trouvera, 
ù  la  page  "J<.,.'">.  une  poésie  de  Léonidas  el  une  autre  d'Anti 
pater,  qui  décrivenl  des  offrandes  analogues,  tuiles  ù 
Mur-.  (Cf.  I.  94,  165.)  Enfin  les  sources  des  tercets  sonl 
trois  épigrammes,  l'une  de  Simonide  : 

Ces    flèches    qui    se    reposent    ici    des    sanglants   combats,    ap- 
penduee   aux   voûtes   du    temple3    sonl    une   consécration    à    Mi- 

(1)    Publié  avec  les  deux   sonnets  précédents.    Même   texte,   à   part 
deux  ou  trous  différences  dans  la  ponctuation. 


506  i:i l  DE   SI  I!    LES   soi  eu  ES 

aerve.  Que  de  fois,  dans  le  tumulte  de  la   mêlée,  elles  se  sont 
teintes  du  mii^  des  cavaliers  Perses.  (I,  69,2.) 

l'autre  de  Mnasalque  : 

Apollon,  Promachus  te  consacre  ce  carquois  vide  et  cet  arc 
recourbé  :  ses  flèches  ailées  sont  au  cœur  d'ennemis  qui  les 
ont  reçues  dans  la  mêlée   ;  à  eux  de  t'en   faire  l'hommage. 

(I,    70-9.) 

In  dernière  de  l 'allimaque  : 

Ménœtas  de  Lyctos  a  consacré  cet  arc  en  disant:  <<  Prends, 
Sérapis.  Je  te  donne  l'arc  et  le  carquois.  Quant  aux  flèches, 
les  Hespérites  les  ont.  »  (II,  36,7.) 

Esl-il  besoin  de  rappeler  un  passage  l>i<Mi  connu  où 
Pausanias,  |>;ir  l'exemple  d'Eschyle,  nous  montre  quel 
titre  de  gloire  ce  lui  ;'i  Athènes  que  d'avoir  combattu  à 
Marathon  ?  (I.  14). 


Epigr  wimi:  Funéraire  (1  ) 

Chénier  avail  ou  l'intention  (!<•  traiter  ce  même  sujet, 
connue  le  prouve  le  canevas  de  Pannychis  el  sa  traduction 
en  six  vers  de  l'épigramme  d'Anyté.  Peut-être  Heredia 
a-t-il  voulu  faire  ce  que  n'avail  pas  fail  Chénier,  peul  être 
avait-il  remarqué  de  lui-même  les  gracieuses  poésies 
grecques  qui  devaient  inspirer  «  Pannychis  ».  Je  voi- 
les citer,  en  reproduisant  en  regard  les  vers  de  Heredia 
qui  en  sont  directement   imités   : 

—  Passant,  quoique  la  pier-  Ici  gît.  Etranger...  Sa  pier- 
re sépulcrale  qui  me  couvre  [re  funéraire... 
soit  petite,  n'en  loue  pas 
moins  Pliilénis;  car  la  saute- 
relle, qui,  naguère,  chantait 
dans  les  buissons  et  dans  les 
chaumes,  elle  l'a  aimée  deux 
ans,    elle    l'a    nourrie,    s'endor- 

(1)  Publié  avec  le.s  précédents.  Pas  de  variantes. 


IU       I.     M.     I»l       lll.l!l.|)|\ 


50" 


tuant  avec  plaisir  ii  ses  chan- 
sons. Même  après  ma  mort, 
elle  ne  m'a  pas  négligée  ;  ce 
pii  ii  monument,  c'esl  elle  qui 
me  l'a  élevé  en  souvenir  de 
mes  \  ocalises. 

{Lêonidas,    l,    156-198.) 

Naguère,  posée  sur  un  ra- 
meau vert  de  picéa  ou  suc  la 
cime  ombreuse  d'un  pin,  har- 
monieuse   cigale,    tu    chantais 

ton  air  au  berger,  sur  tes 
flancs,  avec  tes  pattes,  plus 
agréablement  que  sur  une  ly- 
re... Si  tu  as  succombé,  il  ne 
faut  pas  trop  t'en  indigner: 
Homère,  le  prince  des  poètes, 
n'a-t-il  pas  été  tué  par  des 
énigmes   de   pêcheurs  F 

{Archias,  I,  158,  213.) 

Sauterelle,  charme  de  mes 
amours,  consolation  de  mes  in- 


(,uie      pendant      deux      saisons 
[nourrit     la    jeune     Sellé 


Et  dont    l'aile,    vibrant   sous  le 
j  pied... 
Bruissait    dans   le   pin... 


Que  d'hommes  n'on  pas  eu  ce 

[suprême    destin! 


La    muse   des  guérets,   des  sil- 
[lons  et  du  blé  ; 


sommes,  muse  des  guérets  aux     la    lyre    naturelle. 


Et   l'Aurore  pieuse  y  fait  cha- 

[que    matin 

Une  libation  de  gouttes  de  ro- 

!  see. 


Et   dont    l'aile   vibrant   sous   le 
[pied  dentelé... 


ailes  harmonieuses,  naturel 
écho  de  la  lyre...  je  te  pro- 
mets un  présent  matinal,  une 
ciboule  fleurie  et  des  gouttelet- 
tes de  la  rosée  des  champs. 
(Méléagre,    I,    155,    195.), 

Sauterelle tu    imites. 

avec   des   pattes   dentelées,    lés 
accords  de   la    lyre. 

(Méléagre,    I.    155-196.) 

Myro  a  construit  pour  une 
sauterelle...  et  pour  une  ci- 
gale... ce  tombeau  qu'elle  a 
baigné   de   ses    larmes. 

(Anyté  (?)  I,  155,190.) 

Je  ne  peux  pas  me  résoudre  à  ne  poinl  rappeler  deux 
vers  de  Victor  Hugo  qui  ont  dû  graver  une  image  précise 


Des 


larmes      d'un 
[tombe   est 


enfant    sa 
arrosée 


508  I   I  I  DE    SI  l:    LES    SOI  lu  EU 

dans    le   souvenir   de    Heredia,    image    qui    s'esl    évoquée 
d'elle-même,  lorsque  le  su  j<M  s'y  esl  prêté.   Les  vers   : 

...Blanche,  ;ui  milieu  d'une  touffe  de  thym, 
Ra    pierre   funéraire  est    fraîchement   posée. 

ne  paraissenl  ils  pas  calqués  sur  ceux-ci,  lires  des  Con 
templnlions  {Lu  <  'larlé  <lu  dehors)  : 

...J'aurai   ma   tombe  aussi  dans  l'herbe, 
Blanche  au  milieu  du  frais  gazon...? 


Le   Naufragé 

Les  épigrammes  funéraires  de  naufragés  abondenl  dans 
l'Anthologie,  el  1rs  Grecs  furenl  un  peuple  de  marins. 
Ces!  pourquoi  les  choses  de  la  mer  tiennent  une  si  grande 
place  dans  l'œuvre  de  Chénier.  Heredia  devail  donc  don 
blemenl  écrire  Le  Naufragé.  D'autre  part,  il  esl  difficile 
d'admettre  qu'il  ait  pu  aborder  un  pareil  sujel  sans  se 
souvenir  de  la  magnifique  page  de  Victor  Hugo,  ce  lugu- 
bre Oceano  Nox,  qui  esl  resté  dans  huiles  los  mémoires. 
N'essayons  pus  toutefois  de  chercher  des  emprunts  précis 
faits  pur  le  sonnel  au,  poème.  A  peine  le  vers  : 

-  En  la   nuit   sans   aurore  et   sans  astre  et   sans   lune 

rappelle  I  il  celui-ci   : 

-  Dans  une  mer  sans  tond,  par  une  nuit  sans  lune. 

Encore  n'est-il  pas  certain  qu'il  y  ail  là  une  imitation 
réfléchie,  car  Leconte  de  Lisle  parle  aussi  dans  Qaïn 
d'une  nuit  sans  aurore  el  il  dil  dans  ['Illusion  Suprême  : 

-  Celui   qui   va   goûter   le  sommeil  sans  aurore 
Et  les  morts 

C'esl  donc  par  une  ('Inde  d'ensemble,  el  non  de  détails, 
qu'il  esl  possible  de  sentir  ce  que  la  pensée  de  Heredia 
doil  à  celle  de  Victor  Hugo. 

Il  esl  ;'i  noter  que  les  épigrammes  grecques  donl  esl  tiré 
ce   s, el    onl    fourni    égalemenl    la    matière   du    suivant. 


ni  :  j.  m.   Di    m  n  i.di  \  509 

Si  même  l'on  adaptait  les  tl<iu\  tercets  «lu  Naufragé  aux 
quatrains  de  la  Prière  du  Mort,  on  obtiendrait  un  morceau 
très  analogue  à  ceux  de  I  anthologie. 

Les  quatre  premiers  vers  sont  imités  principalement 
dune  épigranunc  du  Thébain  Perses  : 

Sans  te  préoccuper  du  funeste  coucher  de  l'Arcture  pluvieux, 
tu  t'es  embarqué,  Théotime,  <t  ton  navire  bien  équipé  t'a  con- 
duit, toi  et  tes  compagnons,  à  travers  la  mer  Egée,  jusque  chez 
Pluton.  Hélas!  Hélas!  Eupolis  et  Aristodice,  qui  t'ont  donné 
le  jour,  embrassenl    un  tombeau   vide  ei    l'inondent   de  pleurs. 

(I,  210,  539.) 

Virgile  (Géorgiques,  I.  204,  sqq.),  Alcée  de  Messénie 
(I,  203,  195)  el  Héraclide  de  Sinopc  (I.  185,  392),  attestent 
aussi  les  terribles  dangers  que  l'Arcture  fail  courir  aux 
n;i\  igateurs. 

Il  sérail  hasardeux  de  supposer  les  vers  6  el  7  : 

Dans  le  sable  où  pas  même  un  chevreau  no  pâture 
La  tempête  a  creusé  sa   triste  sépulture; 

imités  d'Homère  (ce  sérail  l'unique  imitation  que  j'aurais 
relevée)  : 

Ses  os  ont  été  jetés  sur  le  rivage  et  ils  y  sont  enfouis  sous 
un  grand  amoncellement  de  sable  (Odyssée,  XIV,  130.) 

De  même  nous  hésiterons  à  voir  autre  chose  qu'un  rap 
port  entre  le  vers  : 

Au  pli  le  plus  profond  de   la    mouvante  dune, 
el  le  mot  d'Horace   : 

Toi,  matelot,  ne  manque  pas  de  donner  un  peu  de  sable 
mouvant  à  mes  os.   (Trad.   Leconte  dv   Lisle,  Carm.,   I,  28,23.) 

M;iis  le  dernier  tercet,  cl   loul   particulièremenl  le  der 
nier  vers  : 

Soyez-lui,   toi,   légère,   et   toi,   silencieuse. 

est  imité  de  l'une  quelconque  de  ces  trois  épigrammes  : 

Posidippe  (I,  166-267).  —  Matelots,  pourquoi  m'enterrez-vous 
près  du  rivage?...  j'ai  peur  des  vagues,  cause  de  mon  tré- 
pas. 

34 


Ô  II)  i   SU  H    LES    SOI  i;<  ES 

A.BOHIAS  il.  L67-278).  Moi,  Théris,  naufragé  que  les  Bote 
ont  jeté  ;i  la  côte,  je  n'oublierai  pas.  même  après  ma  mort, 
les  rivages  où  l'on  ne  peu!  dormir.  Toujours...  j'entends  le 
bruit   odieux  de  la  mer  frémissante. 

Antipateb    (1.    168,    287).  Moi,    Lysis,    enterré   sous   cette 

roche  solitaire,  je  ne  cesserai  pas,  même  mort,  d'être  tour- 
menté par  l'impitoyable  mer,  grondant  à  mes  oreilles  et  près 
de  mon  tombeau  qui  en  est  assourdi. 


La  Prière  m    Muni    (  I  ) 

Ce  sonnel  esl  lire  entièremenl  de  l'Anthologie.  La  sou 
daineté  du  débul  esl  à  la  fois  habituelle  aux  poètes  de  la 
Couronne  de   Méléagre  el   chère  à   Heredia   :   il  esl   donc 
inutile  d'en  parler.  Mais  une  épigramme  anonyme  a  fourni 

le  schéma  de  la  première  phrase  : 

Si  jamais  tu  vas  en  Phthie...  et  dans  la  eité  de  Thaumnsie, 
dis,  étranger,  qu'en  passant  par  la  forêt  déserte  de  Malée,  tu 
as  vu  ce  tombeau  érigé  à  Derxias  que  des  brigands  ont  sur- 
pris seul  et  traîtreusement  dans  l'ombre...   (I,   210,  ôii.) 

Damagète  a  inspiré  l'idée  d'adresser  l'étranger  aux 
parents  du  défunl  : 

Au  nom  de  Zens  hospitalier,  nous  t'en  conjurons,  étranger, 
va  dire  à  notre  père  Casinus,  dans  la  Thèbes  d'Eolie,  que  Méris 
et  Polynice  sont  morts:  ajoute  ceci:  que  nous  ne  pleurons  pas 
sur  notre  sort,  bien  que  tués  par  la  main  perfide  des  Thraces, 
mais  sur  sa  vieillesse  attristée' par  la  privation  de  ses  enfants. 
(I,    210,540.)    (2). 

I.a  chair  assassinée  ;i  été  dévorée  par  les  loups  parce 
qu'Antipater  de  Macédoine  el  Léonidas  d'Alexandrie  font 
subir  le  même  sort   ;i   un   naufragé  (I.    t69-289)  (I.  211, 

(1)  Bévue  </<«  Deux-Mondes,  15  mai  1890.  Une  épigr.  supprimée 
en  1893  :  «  Au  nom  de  Zeus  hospitalier  »  (Damagète),  et  le  vers 
12    très    différent  : 

Approche-toi     sans     peuq,     parle  lui    sans    alarmes. 

(2)  Cf.  aussi  I,  204,  499  et  500  et  502  ;  +  I,  210,  540  et  568. 
Mais'-   'est    Beredia   qui    cite    Damogète. 


i»i    J.    M.    m     m  i;i:l>i\  51  1 

550).  La  victime  n'a  pas  été  pleuréc,  parce  qu'on  trouve 
dans  l'Anthologie  l'épigrammc  anonyme   : 

()  trois  fois  malheureux,  ici  j'ai  péri  mui^  le  tri-  d'un  bri- 
gand ut   je  ui-  sans  que  personne  me  pleure,  il.  241,737.) 

Enfin  les  Irréels  sonl  imités  Je  Phalécus  : 

Phocus  a  péri  loin  de  -a  patrie.  Son  vaisseau  n'a  pu  sou- 
tenir, n'a  pu  repousser  {leçon  douteuse)  la  furie  des  vagues,  et 

il  a  disparu  dans  la  traversée  de  la  mer  Kgée,  sous  les  ilôts  vio- 
lemment soulevés  par  le  Notus.  Mai-  dan-  la  terre  de  ses 
pères,  il  a  obtenu  un  cénotaphe,  autour  duquel  Prométhis,  s;i 
mère,  semblable  à  un  oiseau  plaintif,  pleure  tous  les  jours  son 
(ils,  en  disant  avec  des  cris  de  douleur  comment  il  est  mort 
avant   l'Age.    (Il,   39,27.)  (1) 

Les  imitations  partielles  d'auteurs  modernes  sonl  insi 

gnifiantes.    De   même  que  dans   le   s el    précédent,   un 

mol  :  une  femme  au  front  blanc  esl  emprunté  à  Oceann 
Mox  : 

Vos  veuves  un  front  blanc,  la--e<  de  vous  attendre. 

el  l'urne  vide  qu'embrasse  la  mère  nous  rappelle  nu  vers 
de  Chénier   : 

Vois;  j'embrasse  ton   urne  et  je  te  parle  en  vain. 

Ajoutons  encore  qu'il   \    aurail   quelque   intérêl   ù    rap 
procher  de-  vers  7  el  S  le  débul  de  In  scène   II  de  l'acte 
1 1  des  Erinnyes. 

L'Esclave  (2) 

Dans  le  poème  inachevé  de  L'Esclave,  el  donl  nous 
avons  plusieurs  reprises,  Chénier,  faisanl  le  canevas  d'une 
œuvre  qui  aurail  été  probablemenl  définitive,  écril    : 

Boux.   ■ —  Voici   comme   il    faut    arranger  cela. 

Dire  en  quatre  vers  que  sur  le  rivage  de  telle  île  (la  plus 
près  do  Délos)  un  jeune  esclave  Délien  venait  dire  ceci  cha- 
que j(our)...   (Ed.   Dimoff,   p.   197.) 

(1)  Cf.   I,  82,  374. 

(2)  Nouvelle  Revue,  15  février  1893.   (l'as  de  variantee.) 


512  ÉTUDE   SUR    LES    SOURCES 

Chénier  se  proposai!  de  placer  Là  un  couplel  analogue 
.-ni  sonnel  de  Heredia  :  mais  l'esclave,  entendu  par  la  fille 
de  son  maître,  aurail  été,  sur  la  prière  de  celle  ci,  affran- 
chi par  le  prie. 

Toile  esl  la  source  certaine  de  ces  quatorze  vers; 
néanmoins  il-  ne  doivenl  rien  dan-  le  détail  à  ceux  que 
Ohénier  avail  ébauchés.  Le  tableau  du  premier  quatrain 
esl  repris  de  Médaille  Antique.  Mais  la  Cléariste  d'Heredia 
est  la  même  évidearmienl  que  celle  des  Poèmes  Antiques  : 

Kléarista  s'en  vient  par  les  blés  onduleux 

Avec  ses   noirs  sourcils  arqués  sur  ses  yeux  bleus... 

Ses  tresses  où,  parmi  les  roses  de  Milet, 

Ou  voit    fleurir   les    violettes 

Du  faîte  où  ses  béliers  touffus  sont  assemblés 
Le  berger  de  l'Hybla  voit  venir  par  les  blés, 
Dans  le  rose  brouillard,  la  forme  de  son  rêve. 

Citerons-nous  encore,  à  propos  du  vers  : 

Reverrai-je  ses  yeux  de  sombre    violette ? 

celui  du    Manchu  ? 

Tes  beaux  yeux  de   soutint    améthyste. 

ou.  à  propos  du  débul  : 

Tel,   nu.   sordide,   affreux,   nourri   des  plus  vils  mets, 
Esclave,   vois,   mon  corps  en   a   gardé  les  signes... 

la  strophe  VI,  de  la  Mort  de  Sigurd? 

Moi-même  un   chef  m'a   prise,   et   j'ai,   durant   six  ans. 
Sou1-  sa   tente  de  peau   nettoyé  sa   chaussure. 
Vois!   n'ai-je  point   gardé   l'immonde   flétrissure 
Du  fouet  de  l'esclavage  et    des  liens  cuisants? 

Raoul  Thauziès. 
(A  suivre.) 


GORREZION]   Al.  TESTO  DELLA  «  PASSIONE  » 
EDITA   DAL  BOl'CIIERIE. 


Si  Iralta  di  un  testo  Franco-italiano,  da  non  confondersi 
cou  quello  ili  Niccolô  da  Verona  che  porta  il  medesimo 
lilol<>  ©d  è  di  gran  lunga  superiore  (  I  ).  Il  nostro  testo  è  ano- 
îiiino.  conservato  ne]  cod.  marciano  franc.  \1  (inembr. 
-ce.  XIV),  e  lu  pubblicato  per  intero  dal  Boucherie  in 
questa  lin  ne  il.  lang.  romanes,  I.  1870,  estr.  di  pagg.  39. 

L'edizione  de]  Boucherie  mm  è  cattiva  :  ma  in  parecchi 
punli  si   puô  mig'liorare  sia   per  congettura,   sia  cil  con- 
l'i'oiiid  tlcl  prezioso  ms.  di  \  enezia.  Ecco  qui  parecchie  cor 
rezioni   : 

v.  33.  nuits.  Il  ms.  ha  uns. 

v.  57.   Il  ms.  ha  realmente  notri. 

v.  07.  camin.   Leggi  co]   ms.  çamin. 

v.   103.   Il  ms.  lia   :  des  munis  (I.  moins)  de  ces  tapin 

y.    105.  Se  pur  setas.  Il  ms.  reca   :  Se  pur  ietas. 

x.   175.  marbrine.  Il  ms.  ha  veramente  mâbrine. 

\ .   198.  aute.  Ms.  aut,  cioè  autre. 

\.  210.  passablement.  Ne]  cod.  si  legge  :  passiblemenl. 

v.  255.  ht  sable.   Corréggi,   col   ms.,   salle. 

v.  291 .  prence.  Ne]  ms.  /»/  m<  e. 

x.  294.  '/'////'  se  slonia.  Il  ms.  ha  :  £uy/  se  stoia. 

x.  310.  Quem  vultis  vos  Johannem  vel  Baraba.  ]l   Hou 
chérir   dice  in   nota;  il   faudrail   Jesum.   -\(vl 
ms.  abbiamo  infatti  :  ih'm,  cioè  Jhesum. 

(1)  La.  Passione  di   Niccolô  (la  Verona  è  cons©rvata   ne!   ood.   mai 
ciano  App.    franc.    .XXXIX.   e    fu   public ata,  nel  1893.  da  ('.  Castel- 
lani  negli  Atli  <l<i  /'.  Istit.   Veneto  di  Scienze,   /.>//.  e  Arti,  T.  V. 
S.  VII.  Ho  pubblicato  parecchie  oorrezioni  alla   sibampa  de!   ( 
lani  in  Zeitschr.  j.  mm.  Phil.,  1910.  n"  I.   Il  nostro  testo  è  alquanto 
più    brève  di    quello  del    Da   Verona. 


514  CORHEZIOM    AL    TESTO    DELLA  «  PASSIONS  » 

v.  313.  Johannem.  Ne]  cod.  ih  in.  e  vedi  il  v.  310. 

\ .  348.  <  rOrr.,   col   ms.,   vignirent. 

v.  349.   Ms.  En  tiel. 

\.  353.  servians.  Ne]  cod.  abbiamo  serions  con  abbrc 

viazione  di  er. 
\.  359.  rens  avoir.   Leggere  naturalmente   :  / c/*  savoir. 
v.  365.   Il  m-,  non  ha  sum  esprixe,  ma  suni  esprixe. 
\.  396.  >'//■   //   minislrenl   li   noble   crucifix.    Il  nis.    ha 

rnisf;  c;//. 
Vi    110.   Il  ras.   legge    :  .1    c/7  <7</7  (//V/;/   Deus  (/  ïuî  le 

beneiç. 
\.    155.   /a.   in  o/7  /r/.  r  espunto  ni'l   dis. 
\.    180.  A  c  non  le  pois  lacer  mon  file  joios.  Boucherie 

propose  tancer  (ant.   fr.   tenser,   tençer,  di- 

fendere),  ma  la  proposta  è  inutile,  perché  il 

nis.  ha  toçer,  con  o  e  c  addossati,  cioè  «  toc- 

care  ».  Si  veda,  al  v.  02.  boçe  =  bocca. 
v.  501.  condançe.    Nel    ms.    abbiamo    correttamente    : 

condaneç. 
v.  505.   Ms.   noire. 
v.  512.  grattent  siarà  un  errore  <li  stampa  per  grabent, 

come  lia  il  ms.,  il  quale  lia  anche  mescrean- 

ce,  non  yïà  mescreace. 
v.  515.  treble.  Bene  il  ms.  tremble. 
\.  522.  Non  Ellye,  nia  E//y  nel  ms. 
v.  535.  pasine.  Ne]  ms.  pasmé. 
\.  549.   Leggi   :  /io/i  /n.s  sconfit. 
y.  550.  celus.  E  un  errore  di  stampa  per  ceuls. 
\.  567.  £/n  chrestion  chi  itjiler  en  fu  centurions.   Non 

h    l'Ogga   chrestian,    ma   chevalier,    perché   il 

ms.  ha  c/i'r. 

Giulio  Bertoni. 


r.ir.LKMiUAIMIIK 


REVUE  DES  REVUES 

Romania.  avril-juillet  1910.  —  D.-S.  Blondheim :  Contribution  à 
la  lexicographie  française  d'après  des  sources  rabbiniques,  p.  129;  — 
.1.  Thomas:  Notes  étymologiques  et  lexicographiques,  p.  184;  — 
/'.  Meyer:  Le  Salut  Notre-Dame;  —  La  lettre  de  prêtre  Jean, 
p.  268;  —  G.  Schoepperle:  The  love-potion  in  Tristan  and  Isolt. 
p.  277;  —  C.  Brunel:  Randon,  protecteur  des  troubadours,  p.  297; 
—  G.  Bertoni:  Note  e  correzioni  ail'  antico  testo  picinontese  dei 
Parlamenti  ed  epistole,  p.  305:  — ■  .1/.  Jackson:  Antonio  Pucci's 
poems  in  the  Codice  kirkupiano.  p.  315;  —  .1.  l'ingi-l  :  Ballades  de 
Gruillebert  de  Lannoy  et  de  Jean  de  Werchin,  p.  324;  —  Mélanges, 
p.  369. 

Archiv  fur  das  Studium  der  neueren  Sprachen  und  Literaturen. 
t'XXIY.  3.  u.  4.  —  0.  NobUing:  Berichtigungen  und  Zusâtze  zuirî 
portugiesischen  Teil  von  Kôrtings  Lateinisch-romanischem  Worter- 
buch,  p.  332. 

Zeitschrift  fur  romanische  Philologie.  XXXIV,  5.  —  W.  Meyer- 
Lubke:  Aucassin  und  Nicolette,  p.  513;  ■ —  Th.  Kalepky:  Zur 
franzôsischen  Syntax,  p.  523;  —  E.  Sicardi:  Per  due  luoghi  délia 
\'ita  Nuova,  p.  530;  —  E.  Quaresima:  Zu  Carlo  Battisti's  Die 
Nonsberger  Mundart,  p.  538;  —  A.  Fokkert:  Quelques  mots  espa- 
gnols et  portugais  d'origine  orientale,  p.  560;  —  Yertnischtes.  p. 
569. 

Zeitschrift  fur  franzôsische  Sprache  und  Litteratur.  XXXVI, 
5  u.  7.  —  A'.  Morgenroth:  Sprachpsychologische  Untersuchungen, 
p.  173;  —  II".  v.  Zingerle:  Zum  altfranzôsischen  Artusromane  Li 
Atre  Perillos.  p.  274;  —  F.  Rechnitz:  Bermerkungen  zum  Texte 
der  Tristan  von  Thomas  und  der  beiden  Folies  Tristan,  p.  294;  — 
//.  Haberl:  Lautgeschichtliches,  p.  300;  —  G.  Manz:  Nachtràge  zu 
Thurot,  De  la  prononciation    française,   p.  310. 


516  COMPTES  REND1  S. 


COMPTES  RENDUS 

A.   Kolsen.   —  Sàmtliche  Lieder  des  Trobadors  Giraul    de   Boraelh, 
mit  Uebersetzung,   Commentai  and  Glossar.  Halle  a.  >'..  M.  Nie- 

meyer,  1910,  in-8  ,  pp.  xi-496. 

11  Monaco  alvergnate  Bernart  Amoros  lasciô  scritto,  com'è  noto, 
in  testa  al  suo  canzoniere.  que  trop  volgra  esser  prims  e  sotils 
nui  qui  a  pogues  lut  entendre,  specialmen  <li  lus  chansos  d'en  Gfiraui 
de  Bornelh  (1).  E  infatti  le  poésie  di  Giraut  (e  non  Guiraut.  cf. 
A.  Thomas.  Romania,  1906.  p.  106)  presentano  numerosi  problemi  e 
numerose  difficoltà  d'interpretazione.  .V  risolvere  quelli  e  queste,  s'è 
accinto  il  Kolsen  con  piena  coscienza  dell'  arduo  cômpito  assunto  e 
ton  soda  preparazione.  In  questo  primo  volume,  a  cui  i'aranno  sèguito 
le  note  e  il  glossario,  egli  ci  dà,  criticamente  ricostruiti,  i  testi 
ilcl  fecondo  trovatore,  accompagnât]  ognnno  d'una  traduzione  lette- 
rale  o  quasi  letterale. 

Molti  scogli  il  Kolsen  ha  superati  ;  ma  molti  altri  lo  studioso 
incontrerà  nel  suo  cammino.  sol  che  si  faccia  a  percoriere  le  pagine 
di  quest'  utile  e  bella  opéra.  Qui  faccio  seguire  alcune  osservazioni 
che  m'è  accaduto  di  tare  durante  la  lettura  délia  faticata  ricostru- 
zione  critica  dell'  erudito  tedesco.  Numéro  i  testi  seguendo  l'ordine 
del  Kolsen. 

X.   6.   w.   25-28: 

Per  qu'eu  conose  e  sai  qu'es  vers 
Que    viure -m    val    menhs    que    morirs? 
Pos  que  -lh  sofranh  jois  et  jauzirs 
E  -m   falh  amors  e  sos  poders  ! 

Anzi  tutto.  punteggierei  in  modo  diverso.  ^Ietterei.  cioè,  punto  e 
virgola  dopo  morirs  e  punto  fermo  dopo  poders.  E  poi  la  traduzione 
dei  w.  27-28  non  mi  convince  :  «  Da  ihm  [dem  Leben]  doch  Freude 
»  und  Genuss  abgeht  und  die  Liebe  und  ihre  Macht  mich  im  Stiche 
»  làsst.  »  Perche  mai  nel  v.  27  si  alluderebbe  alla  vita  (viure),  e  nel 
verso  seguente  al  poeta  stesso  ?  Si  legga  con  C:  Qar  mi  sofranh 
(ovvero,   pos   '/m:  -m   s.). 

X.  7.  v.  47.  Con  plus  languisc.  Si  puô  conservare  con. 

X.  7.  w.  18-19:  MaS  ela  ///'"  <"fii.--  —  Vas  cui  serai  aclis.  Non  è 
del  tutto  certo  che  ela  sia  la  donna  amata.  Protebbe  essere  Amors 
délia  strofe  précédente. 

(1)  E.  Stengel.  in  Revue  des  tong.   roni.,  XL1   (1898).  p.  350. 


COMF1  ES   REND1  S.  51  7 

V.  45.  Tan  sui  sobrajazenz  «  l»in  ich  so  aufgerechl  ».  Il  verso 
manca  in  (':  trovasi  soltanto  in  II  e  Sg.  Temo  proprio  che  sobre- 
jazenz   vada  canoellato  e  che  si  tratti  unicamente  di  sobrejauzenz. 

Vv.   75-76: 

Car  sus  parlais  cortes 
En  so  servir  m'amt  s. 

«  «la  ihr  artiges  Reden  mich  in  ihren  Diensl  gebrachl  luit  ».  La 
traduzione  è  giusta,  sicchè  m'ames,  inveoe  de!  corretto  m'a  mes,  sarà 
uiKi  svista   (1). 

N"  8.  v.  37.  Sos  corn  sarà  questa  volta  «  il  suo  cuore  ».  piuttosto 
che  il  «  suo  corpo  ». 

Str.  VI.  Strofe  corrotta.  Certo  l'infcerpretazione  del  R.  non  regg<  : 
ma  non  saprei  che  cosa  sostituirvi.  Forée:  qui  si  fossatz  —  de  leis 
privatz.   Punto  dopo  ardimens. 

\     22,  vv.   9-11: 

E  si  "m  dolh  —  Dinz  e  defurs  chan. 
Per  que  "m  paregra   virars  vils 
*»i  t'in   tenu   no  -m   lies  Aniors ? 

«  Und  im  limer  bin  ich  betrùbl  and  àusserlich  singe  ich.  Warum 
»  sollte  niir,  abgeselien  davon.  dass  die  Minne  mich  gebunden  hat, 
»  das  Aufgeben  der  i^iebe  gemein  erscheinen  ?  »  Non  mi  pare.  Pro- 
pongo  :   «  e  io  mi  dolgo  dentro.   e  di   fuori   canto  :   chè   mi   parrebbe 

»  riprovevole  questo  contrasto   (quesl utare  di   sentiment!),   qua- 

»  lora  non  fossi  in  potere  d'amore  (non  fossi  legato  da  amore).  » 
Bisogna  accettare  vils  per  vil;  ma  ciô  non  costituirà  una  grande 
difficoltà. 

X"  25.  v.  58:  Pero  ben  ai  lo  tenus  agut.  Kols.  traduce:  «  Jedoch 
»  bat  es  wohl  fur  mich  eine  Zeit  gegebeiu  »  Per  fcogliere  ogni  dubbio 
circa  il  significato  di  ai,  bisogna  traduire:  o  Jedoch  habe  ich  wohl 
die  Zeit  gehabt.  etc.  » 

X.    40.    vv.    1-3: 

Xo  pose   sofrir   c'a    la   dolor 

De  la  den  la   Lenga  no  vir. 

E  -\  cor  ab  la  novela  flor.   ec<  . 


(1)  In  Ramb.  Btjv.  m  VIIj  33  délia  mia  edizione)  :  el  sett  servi) 
sut  mes.  Non  vedo  perché  lo  Stinuniiig.  Zeitschr.  /.  roman.  Philol., 
XXXIV,  288  scriva,  a  proposito  délia  mia  traduzione  di  questo 
passo  :  «  nicht:  son  messo  al  suo  servire,  sondera  ich  habe  mich  in 
ihren  Dienst  gestéllt  ».    lo  dico  appunto  ciô  che  dice  lo  Sti dng. 


5  18  COMl'l  I  -    lil  M)i  s. 

ii  traduce:  «  Mi  kann  nichi  umhin  beim  Zahnechmerz  die 
»  Zunge  liin  (nul  her  zu  wenden  und  den  Sinn  /u  àndern  beim  Deuen 
»  Blumenflor.  «  I<>  credo  che  vir  vada  con  a  la  dolot  (che  la  lingua 
Nun  si   volga    verso  il   dolore  de!   dente)   e  credo  pure  che  si  debba 

leggere   l CMSgVa)   a  la  novela  flor.   Y.   il   «  cor  »   che  si   vo 

i]  Bon    i  lie  appare. 
N*  42..  vv.   37-39: 

C'ab  plus  d'ardimen 
Mo  fat  cor  no  -s  vira 
Tan   no   m'espaven  ! 

Il  K.  traduce:  «  Denn  grosserer  Kiilinlicil  unie  ineiti  torichtes 
»  lier/,  nich  fàhig  »  e  spiega  in  nota:  «  Denn  mit  melir  Kuhnheit 
»  wûrde  inan  mein  torichtes  Herz  nicht  sehen  ».  Ritengo  errata 
questa  traduzione,  come  ritengo  errata  la  costituzione  del  testo. 
Tutti  i  codici,  salvo  uno,  hanno  Mos  e  tutti  quanti  hanno  fatz 
(focs).  E  poi  tutti  hanno  cors,  salvo  Sg  che  ha  cor.  la  quale  forma  è 
anche  di  nominative  Insomma.  Mu.<  futz  cors  deve  essere  soggetto 
di  vira,  che  a  sua  volta  è  3 «près.  sing.  di  virar.  Il  poeta  vuol  dire: 
«  Non  è  da  credersi  che  il  mio  stolto  cuore  si  inardisca  banto,  che 
»  io  non  abbia  alcuno  spavento  (non  abbia,  cioè.  alcun  pensiero).  Tutt' 
»  altro  !  Egli  mi  diee  sovente  che  avrô  danno  {Anz  me  <litz  sovem  — 
»  C'a  mon  dan  serai)  ecc.  » 
Si  noti  che  i  tre  versi  37-39  mancano  de!  tutto  in  V  (1). 

N°  44.   vv.   22-25: 

Ara  tan  pretz  e  bobans 
Qu'entr'    altres    chantadors 
M'abat  ma  m  ci'   amors 
E  :m  reten  a  solatz. 

K.  traduce  ma  mei'  amors  per  «  meine  einseitige  Liebe  »  :  ma  si 
badi  che  U  dà  men,  S  me  e  en:  mer.  credo  che  n,  anche  qui. 
abbia  conservato  la  buona  lezione.  È  noto  che  moite  volte  a  coglie 
nel  segno.  staccandosi  dagli  altri  canzonieri.  Leggerei  dunque  ma 
mer'  amors  e  intenderei  :  «  il  mio  fino  amore  ».  Pârtendo  da  una 
forma    come    mer,    si    spiegano,    soto    il   rispetto    paleografico.    assai 


(1)  Nello  stesso  componimento.  al  v.  36.  il  K.  legge  Si  :us  me  prec 
milan,  certo  per  la  ragione  délia  «  lectio  difficilior  ».  perché  BIKQ 
S  hanno  en  prec  (LCR//  sbagliano.  leggendo  repren).  In  rruesto  caso, 
non  so  se  non  sia  forse  meglio  preferire  en  prec  per  la  chiarezza  de! 
passo.   Vedasi  anche  il  v.   56  dello  stesso  componimento. 


«  OMPTES   R]  \l'l  S.  5  19 

facilmente  men  e  mei,  corne  erronée  trascrizioni  dei  copisti,  a  cui  il 
dotto  mers  non  era    Familiare. 

\'v.  40-41  :  '/'///(  £e«i  <•'"'  chap  del  cors  —  Remanlia  7  pros  e  :l  gratz. 
Qui  temer  deve  avère  il  senso  di  «  esitare,  dubitare  ».  Cioè:  «  tanto 
»  dubito  che  alla  fine  (alla  fine  délia  corsa)  si  abbia  L'utile  e  La 
»  ricoinpensa.    » 

X°  45.  v.  52.  Leverei  il  punto  d'interrogazione  dopo  lonhatz  c 
prenderei  combat  come  soggiuntivo,  scrivendo:   s<    combat'   e  'l  sens. 

Il  h  58  è  la  famosa  fcenzone  di  Giraui  con  Linhaure  sul  trobar 
dus.  È  una  poesia  preziosissima  per  La  storia  di  questo  génère  e 
mérita  che  noi  <i  arrestiamo  ad  esaminarla,  anche  perché  contiene 
un  passo  (str.  VI).  <.ho  è  uno  scoglio,  contro  cui  molli  tianno  invano 
lottato  (1).  Linhaure  (secondo  una  congettura  de!  Kolsen  stesso, 
Raimbaul  d'Aurenga)  domanda  (str.  1)  a  G.  de  B.  perché  mai  egli 
vada  biasimando  il  «  trovar  chiuso  »  e  Giraut  risponde  che,  in 
Eondo,  ritiene  clie  ognuno  debba  poetare  secondo  la  propria  voglia 
[guecs  se  troV  a  so  talan),  ma  che,  a  suo  parère, 

..   es  mais  amatz 
Chans  et  prèzatz, 
Qui  -l   t'ai  Ievet  e  venansal. 

(Str.    [I,   11-13.) 

Linhaure  risponde  (str.  III)  che  il  «  trovar  chiuso  »  non  è  lodato 
dagli  stolti  e  si  capisce  perché:  essi  non  distinguono  il  grano  dal 
loglio  ne  sanno  «  so  que  plus  char  es  ni  mais  val  (v.  21)  »  ;  Giraut 
insiste,  affermando  che  bisogna  poetare  in  modo  de  farsi  capire  (str. 
IV);  al  che  Linhaure  obbietta  che  non  si  deve  troppo  pensare  alla 
propria  rominanza  e  alla  fortuna  délia  proprie  rime.  Meglio  che 
queste  siano  auree  e  poco  diffuse,  piuttosto  che  cattive  e  intelligibili 
a  tutti  (str.  V).  E  qui  Giraut  detta  questa  strofe,  che  ha  dato  c 
darà   ancora   molto  filo  da   torcere: 

Linhaure.     fort     de    bon    conselh 

Es  fis  amans  contrarian  : 

E    pero.    si -m    val    mais    d'à  l'an 

Mos  sos  levatz. 

C'us  enrauniatz 
Lo  m  dezagenz  ni -m   dia    mal 
A    cui   om   no  -n   deia   censal  ! 


(1)  Cfr.  Lr.vv.  Swpp!.-W.,  II.  56:  Appel.  Archiv.  f.  dat  Studium 
der  neueren  Sptachen  u.  I.ii..  XCVII,  187;  Jeanroy,  Annale*  du 
Midi,  XXI.  367. 


520  OMF1  I  -   RENDUS. 

Inutile  ch'  io  passi  in  rassegna  le  dichiarazioni  date  sin  qui. 
[ngegnosa  e  bella,  tra  le  altre.  mi  pare  quella  dello  Jeanroy,  ma 
anch'essa  non  mi  accontenta  de]  tutto.  Tuttavia,  mi  fornisce  qualche 
elemento  per  la  seguente  mia  tnterpretazione.  Io  credo  che  Giraut 
voglia  qui  chiudere  la  controversia.  Si  noti  che  egli  non  si  oppoii- 
volentieri  a  Linhaure,  che  ohiama  «  senhei  ».  e  gli  mostra  sempre 
molto  riguardo.  Nella  str.  11.  v.  14.  dopo  aver  difeso  il  «  trovar 
chiuso  ».  sente  il  bisoguo  di  scusarsi  e  dice:  E  vos  no  m'  <>  tornétz 
n  mal.  lnsonima.  Giraut  non  vuol  contendere  a  lungo  con  un  suo 
protettore  e  chiude  o  meglio  intona  la  strofe  in  modo,  che  la 
chiusa  (Ici  componimento  non  possa  essere  lontana.  Dice.  secondo 
me:  «  [Signer]  Linhaure!  io  ?o  hene  che  un  amico  fedele  è  pieno 
»  di  buone  intenzioni  quando  redarguisce.  Taie  voi  siete  :  siete  molto 
»  benevolo  a  mio  riguardo,  benchè  mi  contradiciate  su!  trovar 
»  chiuso.  Epperô.  mi  t'a  maie  levare  la  voce  contro  cl i  voi. 
»  Yedete  ?  Questo  mio  canto.  levàtovi  contro.  mi  cagiona  più  d'af- 
»  fanno  di  quello  che  mi  casïionerebbe  un  giullare  arrochito  (rauco) 
»  che  me  lo  guastasse.  disabbellendolo  e  dicendolo  maie,  uno  di  quei 
»  giullari,  a  cui  non  occorre  dare  paga  o  ricompensa.  »  Questo 
mi  pare  il  senso  délia  strofe.  confermato  da  ciô  che  segue.  Infatti, 
Linhaure  sente  quasi  il   dovere  di   scusarsi  e  dice  : 

Xo  sai  de  que  "ns  anem  parlan 

Xi   don    fui   natz; 

Si  sui  torbatz, 
Tan   près    d'un    fi    joi    natural  ! 
Can  d'als  consir.   no  m'es  coral. 

Qualche  altro  appunto  su  questo  componimento.  Al  v.  13  venansal 
(*  vern-act  ,-alt  m .  Appel.  An  //..  cit.  187)  è  tradotto  per  «  einfach  ». 
11  senso  è  «  comune.  volgare  ».  Cfr.  E.  Levy,  Petit  Dictionn.,  s.  v. 
Al  v.  15  bisognerà  interpretare  corne  indica  Jeanroy.  Ann.,  cit., 
p.  367.  Trepelh  lia  una  radiée  germanica  penetrata  anche  nei  dial. 
ital.  del  Nord  (p.  es.,  intraplar,  inciampare;  trapèl,  inciampo). 
Ain  lu-  per  mir.tiit  (v.  24)  si  tengano  présenta  le  osservazioni  dell' 
Appel  187  e  dello  Jeanroy  367:  i  quali  dicono.  su  per  giù.  la  stessa 
cosa.  Quanto  al  v.  42.  accetto,  come  più  prohabile,  la  lezione  del 
Kolsen.  Jeanroy  vorrebbe  leggere  con  1)X  Que  nol  deing  (l)  <l<i<j') 
a  homt  sesal;  ma  confessa  che  il  testo  e  il  senso  gli  sono  molto  dubbi 
(limii  sesal  equivarrebbe  a  mercenario). 

N°  59.   Tenzone   fra  G.  de  B.   e  il  re  d'Aragona.    I  vv.   6-7: 

E  iKi  m'  en  tenhatz  per  guerrer, 
An/,  me  respondetz  franchamen 

sono  cosi  tradotti  dal    Kolsen:   «   und  haltet   mich  deshalb  nicht    fur 


(  OMPÏES   REND1  S.  52  I 

»  einen  Feind,  sondera  antwartet  mir  freimiitig.  »  Siccome  franc 
h;i  anche  il  senso  di  «  dolce,  affabile  ».  bisognerà  bradurre  «  dolce- 
mente,  affabilmente  ».  piuttosto  che  -  francamente  ».  <Mà  l'Appel, 
Arch.,   cit.    188.   aveva    notato  il  contraste  Era    tener  per  guerrer   e 

respondre    franchamen   e    aveva    proposto    «    wohlgesonnen    ...    

migliore  «.IL  «  Freimùl  ig  ». 

Per  la  strofe  II  tli  questa  poesia,  debbo  Eare  un  osse-rvazione, 
che  mi  obbliga  a  riprodurre  6  versi: 

Guiraut  de    Bornelh,    s'en    mezeis 
No  in   défendes    ab    mo   saber,   — 
Be  sai   vas  on   voletz   tener. 
Pero  lie  vos  tenh   a    Eolor, 
Si  us  cudatz  que  per  ma    ri<  or 
Valha  mens  a  dru!  \  ertader  ! 

K.  interpréta  per  ma  ricor  «  wegen  meines  hohen  Standes  >»  ;  ma 
a  me  pare  che  si  debba  tradurre  letteralmente  ricchezza,  danaro, 
perché  tutta  la  forza  délia  risposta  sta  qui.  11  Re  u'Aragona,  rivol- 
gendosi  a  Giraldo.  che  gli  chiede  se  una  donna  en  la  vostr'  amor 
...  n  tant  d'onor  Corn  d'un  altri  pro  chevaler,  dice:  «  ben  so  a  che 
COSa  voleté  alludeie  (cioè  ai  min  (ieiiaro.  e  non  già  ail'  alta 
posizione,  che,  in  ogni  caso,  onorerebbe  tanto  più  la  donna  amata 
o  amante)  ».  Sicchè  ricor  va  proprio  tradotto  per  »  danaro  ».  Vedasi 
anche  il  tenore  délie  strofe  seguenti.  Tutta  la  tenzone  riposa  su 
ricor,  per  cosi  esprimermi. 

V   61,   vv.   52-56: 

(''amies  ni   parens 
Ni  larga   possessios 

Ni  conquist   ni   dos 
No  valran  dos  aguilens 
.1  J'estrenher  de  las  dens. 

«  denn  ein  Freund,  ein  Werwandter,  ausgedehnter  Uesitx.  Eroberung 
»  und  Freigebigkeit  werden  beim  Weltgericht  ganz  und  gar  nicbts 
»  wert  soin.  »  La  frase  estrenher  dt  las  dens  deve  significare  l'ago- 
nia.  cioè:  «  amioo,  parente  ecc.  nulla  varranno  su!  punto  di  morire, 
»  di  chiudere  la  bocca  (stringere  i  denti)  per  sempre  » 
N*  63,   vv.   66-68: 

Reis  n'   Anfos  cel  c'tis  je 

Volha     e'ades     siatz 

Plus  pros  e   mais  prezatz. 

K.   traduce  :    «    welche  Trene   ùbt    ».    Ma   allora    occorrerebbe   usa. 


,.)-) 


(  (i\ll'l  I  >   i:i  ND1 


non  us,  i  lu  è  soggiuntivo.  Si  legga:  c.el  qui  us  fe,  •  colui  che  vi 
Eece  ».  /'.  per  fetz,  è  usato  spesso  accanto  a  /e».  Abbiamo  un' 
allusion*  a  Di  ».  Cfr.  I"  stesso  Giraut,  n  7.  v.  81  :  E  deus,  que:l 
formi  t   (h    n'i<  a. 

68,  w.  16-17  :  S'en  cudes  encontrar  —  Bêlas  mans  mm  pgj 
gans.  «  Wenn  ich  erwarten  kônnte,  iïeundliches  Kntgegenkoiiunen 
»  zu  finden  >.  E  in  nota  «  liebe  Eîànde,  die  sicb  mir  nichl  behand 
g  schuhf  antgegeuistrecken.  »  Nom  credo  che  questo  sia  il  senso  del 
passo.  II  poeta  vuol  dire:  «  se  \<>  mi  pensassi  <li  trovaré,  tese  verso 
»  di  me.  délie  tnani  belle  (degli  amii  i  veri),  ma  belle  non  già  in 
causa  dei  guaiui.  ma  per  loro  natura  (degli  amici,  eioè.  intima- 
«   mente  fedeli).  » 

Moltissimi  dubbi  restano  poi  allô  studioso  circa  numerosi  passi. 
quali  sono  stati  ricostruiti  dal  Kolsen.  Le  note,  ehe  formeranno  il 
setondo  volume,  daràn  conto,  senza  fallo,  <li  codeste  ricostruzioni  e 
spiegheranno  le  ragioni,  che  hanno  indotto  l'autore  a  certe  sue 
preferenze  in  fatto  di  lezioni  e  d'interpret'azioni.  In  ogni  modo, 
anche  cosî  com'  è.  quest'  opéra  è  degna  di  molta  considerazione. 

G.    Bertoni. 


E.  Faral.  —  Les  jongleurs  en  France  au  moyen  âge.  (BibliotJièqut 
dt  l'Ecole  des  Hautes-Etudes,  fasc.  187.)  Paris,  II.  Champion, 
1910.   x-339  pages  in-8 

Ce  livre,  qui  est  une  thèse  pour  le  doctorat  es  lettres  (1).  provoqua, 
lors  de  la  soutenance  en  Sorbonne.  des  critiques  aussi  justes  que 
sévères  de  la  part  du  jury,  ce  qui  causa  une  vive  mais  légitime 
émotion  parmi  le  public  assez  nombreux  qui  assistait  à  cette  céré- 
monie. On  remarquait  en  effet  parmi  ce  jury  trois  membres  Je 
l'Ecole  Pratique  des  Hautes-Etudes,  et  l'on  savait  que  la  thèse  de 
M.  Faral  avait  obtenu  l'honneur  d'être  publiée  dans  la  Bibliothèqut 
ili  l'Ecole  des  Hautes-Etudes.  L'Ecole  des  Hautes-Etudes  n'accor- 
dant d'habitude  cette  faveur  qu'aux  ouvrages  dont  la  valeur  scienti- 
fique est  incontestable,  le  public  était  très  déconcerté  d'apprendre 
de  la  bouche  du  jury,   composé  en   majorité  de  membres  de  l'Ecole, 


(1)  Doctorat  régulier,  et  non  doctorat  in  partibus  infidelium  qui, 
sous  le  vocable  officiel  de  «  doctorat  de  l'Université  ».  a  été  institué 
pour  permettre  aux  étrangers  d'obtenir,  en  Sorbonne.  le  titre  de 
du.  leur  avec  plus  de  Facilité  qu'ils  n'en  trouvent  dans  leur  pays 
d'origine. 


comptj  ?  iii;.\Di  s.  523 

que  le  livre  de  M.  Faral  était  une  publication  complètement  man 
quée.  Son  étonnement  était  d'autant  plus  grand  qu'une  mention 
imprimée  au  verso  du  faux-titre  du  livre  lui  apprenait  que  le  «  vo 
lume  était  publié  avec  l'aide  du  Fonds  spécial  mis  à  la  disposition 
de  l'Ecole  »  par  un  bienfaiteur,  qui  évidemment  avait  fait  ce  don 
dans  la  supposition  que  l'Ecole  mettrait  pour  le  moins  autant  de 
discernement  à  gérer  l'argent  dû  à  la  générosité  privée  qu'elle  en 
met  dans  la  gest  ion  de  ses  tonds  ordinaires.  Les  personnes  ignorant 
avec  quelle  légèreté  impardonnable  esl  gaspillé,  par  des  gens  par 
ailleurs  très  consciencieux,  l'argent  mis  à  la  disposition  des  savants 
par  des  particuliers  généreux,  s'imaginaient  que,  dans  les  critiques 
du  jury,  l'expression  dépassait  la  pensée  et  que  le  livre  de  M.  Faral 
était  moins  mauvais  qu'on  ne  lui  faisait  croire.  Une  lecture  atten 
tive  du  livre  ne  continue'  malheureusement  pas  cette  manière  de 
voir.  Toutes  les  critiques  du  jury  étaient  fondées,  et  elles  étaient 
loin  d'épuiser  le  sujet. 

Ce  qui  trappe  d'abord  dans  cet  ouvrage,  c'est  son  étendue  hors 
de  propos  avec  le  sujet  traité.  M.  Freymond  avait  jadis  écrit  une 
plaquette  de  cinquante-sept  pages  sur  les  jongleurs  (1)  ;  M.  Faral 
n'ajoute  pas  grand' chose  aux  recherches  de  son  prédécesseur,  mais 
il  délaie  les  matériaux  réunis  par  M.  Freymond  dans  trois  cenl 
trente-neuf  pages  de  verbiage  dont  la  composition  a  dû  être  fort 
laborieuse  à  en  juger  par  la  part  qu'y  tient  l'artifice  rhétorique. 
L'effort  que  M.  Faral  a  dû  déployer  pour  porter  le  poids  de  sa 
thèse  a  quatre-vingt-seize  décagrammes,  exigés  par  l'usage  de  toute 
thèse  présentée  en  Sorbonne.  semble  l'avoir  absorbé  si  complètement 
qu'il  ne  lui  est  plus  resté  de  courage  ou  de  temps  pour  vérifier  les 
textes  c  Ltés  par  ses  prédécesseurs,  pour  les  corriger  au  besoin  ou 
pour  les  mettre  en  concordance  avec  les  éditions  nouvelles  qu'on  en 
a  faites  depuis.  Comme  il  a  été  relevé  lors  de  la  soutenance, 
l'ouvrage  de  M.  Faral  témoigne  sous  ce  rapport  d'une  rare  insou- 
ciance. 

On  peut  aussi  reprocher  à  l'auteur  d'être  souvent  mal  renseigné 
sur  l'état  actuel  de  la  science  dans  les  questions  qu'il  se  propose 
d'élucider.  Il  parle,  par  exemple,  assez  longuement  des  vagants,  leur 
consacre  même  la  moitié  d'un  chapitre  et  un  appendice,  mais  il  est 
évident  qu'il  ne  s'est  nullement  préoccupé  de  s'informer  d'abord  de 
ce  qu'on  sait  actuellement  à  ce  sujet.  11  trace  un  portrait  de  Golias 
et  des  auteurs  des  poésies  dites  des  vagants  dont  son  imagination   a 


(1)   HabilitationpscJirift  de   Heidelberg   (1883).   et   non   dissertation 
de  Halle,   comme   le  dit    M.    Faral  clans   sa    Bibliographie. 


524  <  o\ii'i  liS  i;i  mm  s. 

fait  presque  tous  les  trais,  sans  même  soupçonner  que  des  gens 
aussi  compétents  dans  la  matière  que  .M.  Wilhelm  Meyer  (de  Sj  i 
se  sont  inscrits  en  faux  contre  L'idée  romantique  que  les  poésies 
dites  goliardesques,  qui  révèlenl  si  souvent  une  mande  maîtrise  de 
li  forme  et  une  finesse  de  sentiments  non  moins  grande,  aienl  été 
composées  par  des  truands.  (Voy.  aujourd'hui  à  ce  sujet  Jacob 
Werner,  Neues  Archiv.,  XXXV,  p.  707  sqq.).  De  la  poésie  lyrique 
latine  au  moyen  âge,  .M.  Faral  a  d'ailleurs  une  connaissance  singu- 
lièrement  imparfaite,  puisqu'au  sujet  de  Primat  il  écrit,  trois  ans 
après  la  retentissante  publication  de  .M.  Wilh.  Meyer  (de  Spire),  ce 
qui  suit  :  «  On  sait  peu  de  choses  de  Primat...  Quant  à  savoir  ce  que 
lut  sa  vie.  ce  que  fut  son  œuvre,  il  faut  y  renoncer.  Il  est  impossL 
ble  de  dire  ce  qui  lui  revient  vraiment  des  exploits,  des  mots  et  des 
vers  qu'on  lui  attribue.   »    (P.  264.  note.) 

11  serait  pourtant  injuste  d'insister  sur  les  lacunes  de  l'information 
de  M.  Faral.  La  recherche  historique  le  préoccupe  visiblement 
moins  que  l'art  d'arranger  des  phrases.  Le  chapitre  Y 1 1 1  de  la 
deuxième  partie  de  son  livre  est  particulièrement  caractéristique  à 
(  tt  égard.  11  est  intitulé:  «  Un  type  de  jongleur.  Rutebeuf  ».  11 
débute  par  l'aveu  de  M.  Faral  que  nous  savons  fort  peu  de  choses 
sur  Rutebeul.  C'est  évidemment  une  condition  assez  mauvaise  pour 
un  historien  cherchant  un  exemple  concret  du  type  abstrait  qu'il 
vient  de  dégager  par  l'analyse  critique,  mais  c'en  est  une  excellente 
pour  qui  veut  accumuler  de  belles  périodes  sans  être  gêné  par 
L'obligation  de  dire  des  choses  précises.  Le  portrait,  forcément 
imaginaire,  de  Rutebeuf  se  prêtait  d'autant  mieux  aux  développe- 
ments rhétoriques  sur  «  le  type  de  jongleur  »  qu'il  ne  paraissait 
nullement  a  M.  Faral  être  représentatif  de  ce  type.  «  Si  nous 
l'avons  choisi  comme  type,  nous  confesse-t-il,  c'est  moins  parce 
qu'il  nous  a  paru  représenter  l'espèce  la  plus  commune  des  jongleurs, 
que  parce  que.  haussant  son  art  à  un  degré  aussi  élevé  que  n'importe 
lequel  de  ses  contemporains,  il  compte  parmi  les  plus  brillants  et 
les  plus  dignes  d'estime.  »  (P.  162.)  On  conçoit  tous  les  effets  de 
style  que  M.  Faral  a  tirés  de  ce  sujet  curieux  d'un  fantôme  tran 
chant  si  heureusement  sur  l'espèce  commune  des  gens  dont  il  incarne 
le  type.  Le  plus  remarquable  est  celui  qui  est  obtenu  par  le  contraste 
de  deux  passages  juxtaposés  aux  pp.  161-162.  Le  premier  débute 
ainsi:  «  Comme  les  jongleurs,  il  [Rutebeuf]  fut  médisant  et  joueur: 
c'est  encore  lui  qui  le  confesse.  S'il  avoue  qu'il  a  fait  métier  de 
dauber  les  uns  pour  amuser  les  autres...,  il  faut  le  croire.  »  Le 
second  se  termine  ainsi  :  «  Rutebeuf  n'a  pas  parlé  pour  le  plaisir  de 
médire.  En  blâmant  tel  ou  tel.  il  a  défendu  tel  autre.  »  Il  serait 
difficile   de    donnei'    par   de*    procédés    plus   simples   une    vision    plus 


(  oMl'i  l  -   [ŒND1  S.  Olb 

parfaite  de  l'art  de  jongleur.   (  'est  de  l'impressionisme  évidemment, 
mais  de  cet  impressionisme  vigoureux  qui  \otis  ébahit   par  La 
tion  de  vérité  qu'il  donne  ! 

M.  Faral  connaît  sa  Eorce  et  il  en  abuse  parfois,  comme  par 
exemple  dans  cette  phrase,  qui  est  destinée  à  prouver  que  mimes, 
histrions  et  jongleurs,  «  des  pins  vieux  aux  plus  jeunes,  des  carre- 
fours de  l'antique  Syracuse  a  ceux  des  villages  de  France,  ils  for- 
meront   une  chaîne   ininterrom] il    qu'on   suit   du   regard   jusqu'au 

bout  ))  (p.  11):  «  Ainsi,  pendanl  la  période  qui  précède  l'âge  caro 
lingien,  tous  lis  auteurs,  poètes,  musiciens,  qu'on  désigne  du  nom 
de  mimes,  nous  sont,  il  faut  en  convenir,  mal  connus  (1)  :  du  moins 
peut  "ii  affirmer  avei  certitude  qu'ils  ont  existé  et  qu'Us  ont  main 
tenu  toujours  tirante  la  tradition  romaine  »  (p.  L6).  Dans  son 
avant-propos,  M.  Faral  écrivait:  «  C'est  une  grande  ambition  de 
vouloir  apporter  la  lumière  en  une  question  si  complexe:  le  reproche 

de  témérité  qu'e urent   ceux  qui  s'y  risquent  suffirait  à  les  rendre 

s'ils  ne  croyaient    pas  qu  rite   porte  en  elle-mêmi 

son    excuse.    »    Un   ne   saura    jamais  tout    le   mal    qu'engendrent    les 
croj  ances  erronées  ! 

Le  livre  se  termine  par  une  liste  chronologique  des  témoignages 
relatifs  aux  jongleurs  du  IX'  au  XIII'  siècle.  Ce  serait  là  la  seule 
partie  utile  de  l'ouvrage,  si  malheureusement  M.  Faral  n'avait  pas 
colligé  sa  liste  avec  toute  la  négligence  dont  il  est  capable.  Vous 
/..  par  exemple,  l'indication  du  passage  célèbre  de  Guillaume 
di  Dole,  qui  nous  renseigne  sur  l'exécution  partielle  de  chansons  de 
geste  par  les  jongleurs;  il  manque  (n°  154).  La  supplique  de  Guiraui 
Riquier  au  roi  Alphonse  au  sujet  des  jongleurs  avec  la  rép< 
figure  pas  toutefois  aux  années  1274-75.  où  tout  le  monde  la  cher- 
chera, mais  entre  les  années  1288  et  1296  (n°  289).  L'ordonnance 
chronologique  de  la  liste  est  d'ailleurs  bien  trouble:  les  ti°"  224-232. 
qui  sont  tous  antérieurs,  de  l'aveu  de  l'auteur,  à  1250,  ne  viennent, 
par  exemple,  que  bien  apies  le  n'  211.  en  regard  duquel  est  mise  la 
mention:  «  deuxième  moitié  du  XII!  siècle  ».  Cela  rend  la  liste 
temeht  inutilisable.  Les  textes,  les  textes  latins  et  provençaux 
surtout,  sont  fréquemment  cités  d'après  les  éditions  vieillies  et 
caduques.  D'autres  fois,  il  arrive  à  M.  Faral  de  dédoubler  un  per- 
sonnage:   Gosbert    de    Puicibot     figi l'abord    au    n"   245    sous    le 

nom  de  Gaubert  de  Puycibbt  et   ensuite  au  ji"   262  sous  le   vocable 
d'Aubert    de    Puycibot.     11    n'y    a    pas    jvsqu'à    la    numération    des 


(1)   Euphémisme,   voy.   p.   15:   «  pour  se  persuader  de  la   difficulté 
de  rien  savoir  sur  ce  point,  on  peut...    ». 


35 


526  COMPTES   RENDUS. 

articles  de  la  liste  qui  ne  se  lessente  de  l'incurie  de  M.    Parai.    Les 
numéros  se  suivent    comme  ils  peuvent  :  on   passe  «lu  29  au  31,   du 

39  au  41.  du  44  au  46.  etc.  ('ne  note  mise  a  la  fin  de  la  liste 
contient  cet  avis:  «  On  aura  remarqué  des  lacunes  dans  la  série  des 
numéros  du  précédent  appendice.  Nous  nous  réservons  de  les  i 
Mit  dans  une  liste  plus  complète.  »  si  cette  liste  voit  jamais  ir 
jour,  il  faut  souhaiter  qu'elle  soit  non  seulement  plus  complète, 
mais   enroie.    mais   surtout    moins   désordonnée   que   le    fatras  actuel. 

Jean    Achkk. 


P.    Reiche.    —   Beitraege    zu    Artur    Lângfors'    Ausgabe   des    R< 

\ostre    Dame.    Berlin,    Mayei    //.     Wiïller,    1909.    63    pages    in-8 ". 
I  liss.   inaug.  de  Berlin.) 

Les  chapitres  11  et  .111.  qui  contiennent  une  analyse  détaillée  du 
poème  et  un  tableau  indiquant  la  répartition  des  strophes  du  Regret 
dans  les  différents  manuscrits  qui  nous  l'ont  conservé,  sont  utiles. 
M.  Lângfors  ayant  omis  de  munir  son  édition  de  ces  deux  accessoires. 
Le  chapitre  premier  (introduction  littéraire)  et  le  chapitre  IV 
larques  sui  le  texte),  sont  .^ans  valeur:  les  remarques  de  M. 
Reiche  sont  vraiment  par  trop  triviales  et  sa  critique  littéraire  est 
bien  superficielle.  Une  bonne  observation  pointant  à  signaler  à  la 
32  suiv.  :  M.  Reiche  constate,  dans  la  Passion  dite  de  Semur. 
un  emprunt  littéral  fait  à  la  strophe  XI  du  Regret 

J.    A. 


W.  Fœrster.  —  Kristian  von  Troyes.  Cligès.  Dritte  umgearbeitete 
u.  vermehrte  Ausgabe  (Romanische  BibHothek  1).  Halle  s.  S.  1910. 
xc-288  pages. 

La  succession  rapide  des  «  petites  éditions  »  de  Chrétien  de  Troies 
est  la  meilleure  preuve  de  la  faveur  dont  elles  jouissent.  En  1906. 
M.  Fœrster  nous  donnait  la  troisième  petite  édition  d'Ivain.  en 
1909  la  deuxième  d'Erec;  aujourd'hui  il  nous  offre  la  troisième  de 
Cligès.  Si  considérable  que  puisse  être  le  talent  de  Chrétien,  il  ne 
saurait  suffire  pour  expliquer  ce  succès  qui  dépasse  même  celui  de 
la  cantefàble.  Ni  Erec,  ni  Cligès.  ni  Ivain  lui-même  n'eussent 
trouvé  tant  de  lecteurs,  s'ils  n'avaient  eu  la  bonne  fortune  d'être 
publiés  par  M.   Fœrster. 

Malgré  cet  accueil  favorable,  M.  Fœrster  n'est  jamais  satisfait 
de   lui-même.    Il   n'y   a    pas   une   seule   des    «    petites  éditions   »    qui 


(  n\l|-  [  I  -    |;|  \DI 


:.->■ 


reproduise    purement    et     simplemenl     l'édition    précédente.     Toutes 
.mi    des   éditions    «    n  augmenté*  i      cette    révision    va 

parfois  jusqu'à  la  refonte  complète.  Les  deux  derniers  volumes 
notamment,  Ereca  b1  Cligèe*,  constituent  des  oeuvres  presque 
entièrement  nouvelles.  N'ayant  pas  ici  à  rendre  compte  d'Erec*, 
ji    n     i  arlerai  d  réalisés  par  cette  édition  sur  la  précédente 

qu'autant    qi  ont    communs   au    volume  qui    fait    l'objet    de   la 

présente  notice. 

Les    quarante-cinq    pages   d'introduction   du    petit    Cligès*  oi 
doublées   dans    i  liges  ''  (1).    1  innovation    très    heureuse,    qui 

urée  dans    Erec*,    les    o    Exkurse    »   dont    se   compo 

les  anciennes   introductions  ont   été  transformés  en  chapitres   munis 

de  litres,   ce  qui  contribue  ndre   plus   clair   l'exposé  et    facilite 

ièrement    les   rei  remier  chapitre  traite  de   la    \  ie 

œuvres    de    Cl  On    j    trouve    un    exposé    complet    et 

de   toutes   les   questions   que   soulèvenl    ces  deux    prob 

L'intérêt  capital  de  ce  morceau  réside  dans  la  longue  note  (p.  Y  i  I 
sqq.)  où  M.  Fœrster  examine  l'attribution  de  Philomena  à  Chré 
tien.  Que  les  objections  que  M.  V.  fait  valoir  contre  cette  attribution 
soient  très  graves,  c'est  certain.  De  même,  il  est  incontestable  que 
hi  démonstration  de  Ai.  de  Boer  dans  l'introduction  à  son  édition 
de  Philomena  est  bien  faible,  quand  on  la  compare  à  relie  que  M.  F. 
a  présentée  pour  attribuer  à  (  hrétien  Guillaume  d'Angleterre.  Mais 
bien  que  je  considère  l'essai  de  M.  de  Boer  comme  peu  heureux, 
j'aimerais  réserver  mon  jugement  sur  le  fond  du  débat.  La  tradi- 
tion manuscrite  de  Philomena  renionl  b,  toui  eriti  re,  à  une 
seule  <  opie,  celle  que  l'auteur  d'Ovide  moralisé  a  insérée  dans  son 
ouvrage.  Nous  ne  possédons  don<  de  Philomena  qu'un  texte  tardif, 
copié  par  un  vei  de  profession)  ce  qui  est  une  assez  mau 
vaise  garantie  de  la  fidélité  du  texte  11  se  peut  que  Philomena  soit 
de  Chrétien,  encore  qu'il  i  de  doute  que  la  version  recons- 
truite par  M.  de  Boer  ne  l'autori  p  i  lui  attribue]  dt  piano  cette 
œuvre. 

Au  sujet  de  Guillaume  d'Angleterre,  M.  F.  n'apporte  évidemment 
aucun  argument  nouveau  (voy.  pourtant  la  remarque  p.  XII  sur  la 
difficulté  d'admettre  trois  Chrétien):  cette  question  a  été  étudiée 
par  lui  maintes  fois  (en  dernier  lieu  Literaturblatt,  1908.  p.  107 
sqq.;  adde  l'observation  de  M.  Groeber  dans  p    Erei   J.   p.   XI),  et 


(1)    Le    volume    entier    accuse    une    augmentation    de    six    feuilles 
d'impression  par  rapport  à  l'édition  précédente.  Le  prix  est   re 
même. 


528  COMPTES  RENDUS. 

comme  1rs  adversaires  de  ['attribution  de  ce  poème  à  Chrétien  n'onl 
donné,  somme  toute,   que  des  raisons  bien    Fragiles  de  leur  opinion, 
il   suffisait    parfaitement    de    résumer   la    discussion    Bans   cherchei 
]  ,    reprendre. 

.1.  glisse  rapidement,  malgré  leur  intérêt,  sur  les  p.  XIV  X.W'lll. 
qui  sont  consacrées  à  la  chronologie  des  œuvres  de  Chrétien  et  .1 
l'esquisse  de  l'évolution  littéraire  du  poète,  de  même  que  sur  le 
chapitre  suivant  (analyse  de  C'Iigès  et  étude  sur  la  source  du  poi 
pour  arriver  aux  chapitres  3-5  qui  traitent  des  rapports  des  œuvres 
de  Chrétien  avec  la  légende  de  Tristan.  Les  idées  que  M.  F.  expri- 
mait à  ce  sujet  dans  l'édition  antérieure  n'ont  pas  subi  de  modifica- 
tions sensibles.  Que  Cligès  soit  une  contre-partie  de  Tristan,  un 
Antitristan,  cela  ne  faisait  doute  pour  personne  depuis  la  démons 
tration  que  M.  F.  en  a  donnée  en  1901.  Les  différences  qui  séparaient, 
a  cet  égard  G.  Paris  de  M.  Fœrster  étaient,  on  peut  le  diie.  pure- 
ment verbales.  Je  crois  du  reste  que  la  formule  de  M.  F.  est  plus 
lieureuse  que  celle  à  laquelle  s'est  arrêté  G.  Paris.  La  tendance  de 
CHgès  est  bel  et  bien  d'opposeï  à  la  conception  dominante  de  la 
légende  de  Tristan  une  conception  différente,  et  le  caractère  polémi- 
que de  Cligès  n'est  pas  niable.  Je  crois  aussi  que  cette  opposition 
est  de  caractère  moral,  mais  je  me  demande  si  l'idéal  moral  de 
étien  esl  bien  celui  (pie  M.  F.  nous  propose  de  dégager  de  son 
œuvre.  Sous  ce  rapport  je  suivrais  plutôt  G.  Paris  (1)  que  M. 
ITœrster.  Chrétien  n'oppose  pas.  dans  Cligès,  l'amour  conjugal  de  ses 
héros  à  l'amour  coupable  de  Tristan  et  Iseut,  mais  il  réagit  contre 
(e  qu'il  considère  comme  la  vilenie  (5252)  d'Iseut,  contre  le  fait  que 
ses  cors  fn  a  deus  rantiers,  alors  que  ses  cuers  fit  a  l'un  antiers. 
L'histoire  d'Iseut  choque  Chrétien  non  parce  qu'elle  est  l'histoire 
de  l'amour  adultère,  mais  parce  qu'elle  est  l'histoire  d'un  amour 
qui  lui  semble  malpropre.  L'amour  de  Fenice  est  aussi  coupable  que 
relui  d'Iseut.  Le  fait  que  son  mariage  avec  Alis  n'est  pas  consommé 
n'y  change  rien.  11  est  vrai  «pie  Cligès  finit  par  épouser  Fenice, 
alors  que  Tristan  et  Iseut  meurent  adultères.  Mais  je  ne  vois  pas 
m'  que  la  morale  y  gagne.  Que  les  coupables  survivent  ou  non  à 
l'époux  outragé,  cela  est  moralement  indifférent,  puisque  c'est  le 
hasard  seul  qui  en  décide.  Dira-ton  (pie  Fenice  et  Cligès  ont.  dès 
le  début  de  leurs  relations,  l'intention  de  s'unir  par  les  liens  du 
mariage  des  qu'ils  seront  débarrassés  d'Alis,  alors  que  Tristan  ut 
fseut   n'ont   pas  de  ces  préoccupations?  (2).  On  ne  ferait  qu'aggraver 


(1)  Journal  des  Savants,  1902.  p.  443  sqq. 

(2)  Telle  semble' être  l'opinion  de  M.   Fœrster,  p.  XLVIT  :  «  wâh- 


t  oMi'l  l  -   REND1  S.  529 

leur  ras.  du  moins  au  point  de  vue  de  la  morale  L'] 

n'a  jamais  vu  de  bon  œil  le  mariage  entre  les  personnes  ayant 
perpétré  ensemble  le  crime  d'adultère.  Quand  un  mariage  pareil 
était  prémédité,  c'est  à-dire  promis  du  vivant  de  L'époux  outragé,  'I 
devenait  particulièrement  odieux,  Un  synode  de  895  (concilium 
Triburianum)    Frappe    d'anathème    une    union    contractée    dans    ce 

conditions.    Dès    le    XII'    siècle,    i promesse   semblable   liait    con 

sidérée,  aux  termes  du  Décret  'le  Gratien,  comme  un  empêchement 
dirimanl  au  mariage,  c'est  adiré  qu'elle  empêchait  a  la  t'ois  la 
célébration  'lu   mariage  et    rendait    le  mariage  célébré  nul   et    de  nui 

effet.    Ce    n'est     du    leste    pas    la    seule    critique    qu'on    puisse    taire     i 

l'union  de  Fenice  avec  ('li^es:  ce  mariage  vicié  par  ce  qu'on  appell 

en     ternies     de     droit      i  m  j><  tli  nu  ni  u  m      <■  ri  m  i  n  i.< .      l'est      elleore     par     Ull 

autre   empêchement    dirimant    résultant    de   ce   que    Fenice   est    veuve 
de  l'oncle  de  Cligès  :  à  ce  degré,  L'alliance  forme  obstacle  au  maris 
et   le  rend  nul   {impedimentum   affinitatis)    (1). 

Chrétien  se  soucie  bien  peu  de  la  morale  catholique  et  La  sainte',-' 
du  sacrement  de  mariage  ne  Le  préoccupe  nullement.  Fenice  foule 
aux  pieds  ce  sacrement  par  trois  fois,  d'abord  en  se  mariant  ave-j 
Alis  dans  l'intention  bien  arrêtée  de  ne  pas  consommer  ce  ma- 
riage (2).  puis  en  perpétrant  l'adultère  avei  Cligès,  et  enfin  en  épou- 
sant son  complice.  Et  Chrétien  est  de  cœur  avec  son  héroïne.  11  se 
rend  pourtant  assez  bien  compte  que  la  ((induite  de  Fenice  n'a  rien 
d'édifiant:   il  tire  une  conclusion    fort   juste  de  son   roman:  -lu  n'iert 


rend  im  zw-eiten...  ein  Mittel  gesucht  und  gefunden  wird,  um  die 
BÛndi  ;e  Liebe  zu  einem  moraliechen  Sohlusse,  zur  Ehe,  zu  brin 
gen  ».  —  La  promesse  de  mariage  pointait  s'induire  de  l'étrang 
explication  des  paroles  de  s.  Paul:  meiius  est  matrimonium  contra- 
lien  quam  uri  que  Chrétien  met  dans  La  bouche  de  Fenice  au  \. 
5324  sqq.,  combinée  avec  les  vers  Nt  ja  mes  ne  serai  d'anpin  Dame, 
se    vos  n'nn   estes  sire,  5353  sq. 

(1)  Le  mariage  entre  la  tante  et  Le  oeveu  est  aujourd'hui  admis 
par    la    plupart   des  législations   civiles   et    ne   nous   choque   pas    (en 

France    | rtant,    il    est    prohibé   en    principe.    Le    Président   de    la 

République  peut  néanmoins  accorder  une  «  dispense  »  aux  inté- 
ressés, mais  seulement  «  pour  des  causes  graves  »).  Mais  il  convient 
de  remarquer  que  cette  conception  est  toute  moderne:  le  moyen  âge 
l'ignorait  complètement. 

(2)  La  non  consommation  du  mariage  n'est  louable  que  quand  elle 
se  produit  pour  un  motif  pieux.  Dans  le  cas  contraire,  elle  est 
réprouvée  par  L'Eglise. 


530  <  ompi  i  -  m  mm  s. 

tant  ricin   m    tant  noble,   Uanpererriz,  ques  qu'ele  soit;  Que  Vanpe- 

n<    lu   croit    Tant    con   de   cesti   li   ramanbre.    ("est    une   triste 

lufiion,  si  l'on  Be  place  au  poinl  de  vue  <lo  la  morale  chrétienne, 

pour  laquelle  le  mariage  est  une  chose  sainte  et  l'adultère  un  péché 
mortel.  .Mais  Chrétien  n  •  ee  place  pas  à  ce  poinl  de  vue;  la  morale 
chrétienne  lui  importe  peu.  du  moins  dans  ce  roman  courtois,  qui, 
destiné  à  la  belle  société  de  son  temps,  n'envisage  les  choses  qu'au 
point  de  vue  de  la  morale  mondaine  de  la  seconde  moitié  du  dou- 
zième siècle.  Si  Chrétien  proteste  si  vivement  contre  les  amours  de 
Tristan  et  d'Iseut,  si  son  héroïne,  adultère  comme  Iseut,  mais  plus 
fourbe  et  par  conséquent  pins  coupable  qu'Iseut  (1),  accable  la 
malheureuse  amante  de  Tristan  des  épithètes  les  plus  désobligeantes, 
c'est  que  la  passion  tragique  d'Iseut  choque  la  morale  mondaine  .le 
la  société  courtoise:  Amors  en  li  trop  lUena.  Cette  morale  mondaine 
ne  réprouve  ni  l'adultère  ni  le  mensonge,  mais  elle  est  scandalisée 
qu'un  cœur  qui  est  //  l'un  antiers  puisse  être  logé  dans  un  corps  où 
il  y  aurait  deux  parceniers.  L'amant  doit  avoir  pleine  possession  de 
sa  maîtresse,  autrement  l'amour  n'est  pas  resnable,  n'est  pas  preuz. 
Vostres  est  mes  eue/*,  vostre  est  mes  cors,  Ne  ja  nus  pur  mon  essan- 
pleire  N'aprandra  vilenie  a  feire;  Car  quant  mes  cuers  an  vo 
mist,  Le  cors  vos  dona  et  promist  Si  que  autre  part  n'i  avra...  S 
jt  vos  aim  et  vos  m'ornez.  Ja  n'an  seroiz  Tristcmz  clamez,  Ne  je  n'an 
serai  ja  Iseuz;  Car  puis  m    seroit  l'amors  preuz   (5250  sqq.). 

Ce  postulat  mondain  est  l'opposé  même  de  la  morale  chrétienne. 
L'Eglise  enseigne:  Non  moechabéris,  en  entendant  par  là  défendre 
toute  infraction,  même  celle  commise  en  pensée,  à  la  fidélité  conju- 
gale; la  morale  mondaine  dit:  X>-  tir  mon  cors  ne  de  mon  cuer 
N'iert  feite  partir  a  nul  fuer  (3159  sqq.).  en  entendant  par  là 
réprouver  toute  infraction,   même  celle  commandée  par  In'  situation 


(1)  L'artifice  de  la  mort  feinte  est  vraiment  d'une  cruauté  par 
trop  révoltante.  Faire  pleurer  sa  mort  par  le  mari  et  lui  faire 
vénérer  sa  mémoire  pour  pouvoir  s'unir  à  l'amant,  cela  passe  toute 
mesure.  L'autre  artifice  (le  philtre  servi  à  Alis),  dont  les  effets  sont 
décrite  avec  tant  de  complaisance  par  Chrétien  (vo;, .  surtout  3366 
n'est  que  répugnant.  Un  catholique  doit  être  en  outre  choqué 
par  ce  détail,  relevé  déjà  par  G.  Paris,  que  le  lit  nuptial  venait 
d'être  béni  (3330  sq.).  —  A  cette  occasion  il  est  bon  de  remarquer 
«pie  Chrétien  se  permet  assez  souvent,  dans  Cliçès,  d'étranges  pri- 
vautés avec  des  choses  qui  n'en  comportent  pas.  V.  5324  sqq.  a  été' 
talé  plus  haut:  v.  5711-18  n'est  pas.  non  plus,  d'un  goût  excel- 
lent ;  v.  6090  96  est  le  pire  de  tous. 


(  OMl'i  l  -   l;l  \Dl  S. 


531 


elle-même,  à   la   fidélité  due  par  la   femme  adultère  .1   son  complice. 

C'est   pour  n'avoir   pas   - gé    1   observer  ce   précepte  de   la    morale 

oise  qu  [seul    esl  de  garce  par    Fenice   (3161).    Chrétien 

et  la  belle  société  dont  il  esl  le  porte-parole  ne  se  doutent   même  pas 
qu'une    passion    coupable    est     une    chose    suffisamment     grave     tal 
elle-même  pour  que  la  femme  qui  trompe  son  mari  n'éprouve 
besoin  de  se  jouer  de  lui  par  dessus  le  marchi 

fatalement  la  morale  courtoise.  Pour  Chrétien  el  pour  la  société 
mondaine  de  sou  temps,  l'amour  prime  tout,  ei  le  mari  ne  compte 
pour  rien.  J'hésite  donc  à  <lin'  avec  M.  Fœrster  que,  dans  Cligès, 
nous  avons  le  spectacle  d'une  arg  verwickeîte,  mit  Pflichtenlcolli 
sionen  belastett  ZAebe,  die,  schnurgerade  -.mu  Ehebruch  :</  fuehren 
scheint,  daim...  zut  gewuenschten  streng  moralischen  Loesung  durcit 
die  Ehe  fuehrt  (p.  XL).  Il  n'y  a  pas  de  conflits  des  devoirs  parce 
nice  m-  croit  avoir  de  devoirs  qu'envers  Cligès;  elle  ne  se 
soucie  ni  île  ce  qu'elle  doit  a  son  mari  ni  de  ce  qu'elle  doit  à  Dieu. 
Sa  conscience  est    tranqui]  elle  est   toujours  en  règle  avec 

les  préceptes  de  la  morale  mondaine,  la  seule  qui  existe  pour  elle. 
Son  anioin-  pour  Cligès  n'est  ontrarié  par  aucun  autre  sentiment  et 
ses  relations  adultères  avec  lui  m-  deviennent  point  meilleures  au 
point  de  vue  catholique  par  le  t'ait  que,  devenue  veuve,  elle  s'unit  a 
son  amant  pai-  nu  mariage  que  l'Eglise  réprouve  et  considère  comme 
nul. 

La  première  partie  du  roman  ne  contredit  nullement  cette  inter- 
prétation. L'histoire  d'Alexandre  et  Soredamor  ne  choque  pas  la 
morale  chrétienne,  c'est  certain,  mais  elle  ne  choque  pas  non  plus 
la  morale  mondaine.  Elle  heurte,  à  la  vérité,  une  doctrine  courtoise, 
celle  •  ;ui  croit  l'amour  inconciliable  avec  le  mariage,  mais  c'est 
précisément  la  doctrine  'pie  Chrétien  répudie  formellement  de 
deuxième  partit  du  roman  (6753  sqq.).  Il  faut  aller  même,  je  crois. 
plus  loin,  et  admettre  que  les  deux  parties  du  poème  se  complètent 
l'une  l'autre,  qu'elles  sont  lues  organiquement  ensemble,  en  visant 
les  deux  la  conception  de  l'amour  qui  domine  dans  la  légende 
de  Tristan.  I.-  sens  de  Cligès  est  celui-ci:  quand  les  deux  êtres 
s'aiment,  ils  doivent  s'appartenir  entièrement.  Iseut,  si  elle  ('tait 
courtoise,  aurait  dû  ou  bien  se  marier  avec  Tristan  (Soredamor)  ou 
bien  épouser  Marc,  mais  en  trouvant  le  moyen  de  ne  pas  devenir, 
par  ce  mariage,  infidèle  à  son  amant  (Fenice).  Qu'elle  se  marie  avec 
l'un  ou  l'autre,  cela  est  indifférent;  la  seule  chose  qui  importe. 
c'est  de  ne  jamais  cesser  d'appartenir  intégralement  a  Tristan.  Le 
mariage  n'est  rien,  l'amour  est   tout.   L'amour  est   un  sentiment  à  la 

fois   trop   profond   et    trop    intime   | supporter    le    partage,    par   trop 

profond     et     intime     aussi,     ajoute     Chrétien     à     cette     occasion,     pour 


i  n\ii'l  ES  RI  \l»l  S. 

eindre  ave<    la   bénédiction   nuptiale,   une  cérémonie  à  laquelle  il 
singulier  de   vouloir  attribuer   une  influence,   quelle  qu'elle  soit, 
sur  les  sentiments  qui  naissent  et  existent  en  dehors  de  toute  inter- 
vention extérieure,    [ntervention  du  prêtre,  mais  aussi,  mais  surtort 
intervenu  mnes.  Car,  et  c'est  le  deuxième  grief  de  Chré- 

tien contre  Tristan,  ce  ne  sont  pas  des  philtres  bus  sur  la  haute  mer 
qui  puis.--. ut  Faire  naître  l'amour  dans  le  cœur  des  hommes  et  des 
femmes.  Alexandre  et  Soredamor  n'ont  rien  bu,  et  ils  s'aiment  (la 
reine  seule  a  pu  avoir  la  pensée  d'attribuer  le  trouble  des  amants 
a  l'action  de  l'élément  liquide.  541.  sqq.).  Cligès  et  Fenîce  n'ont 
rien  bu.  et  ils  s'aiment,  d'un  amour,  bien  entendu,  plus  profond 
que  le  couple  avant  vidé  le  hanap,  qui,  tout  en  prétendant  y  avoir 
Uu  l'amour  indissoluble,  s'accommode  d'une  petite  combinaison  à 
trois  <>u  chacun  trouve  son  compte.  Les  philtres  n'inspirent  que  des 
simulacres:  simulacres  d'amour  (Alis)  et  de  mort  (Fenice),  ils  n'ins 
pilent  pas  l'amour  et  la  mort  que  Tristan  et  Iseut  croient  y  avoir 
t  îouvés. 

Ne  nous  attardons  pourtant  pas  outre  mesure  sur  cette  contro- 
verse. Quelle  que  soit  l'interprétation  de  l'idée  maîtresse  de  Cligès, 
il  est  incontestable  que  ce  roman  est  dirigé  contiv  Tristan,  et  cela 
amène  M.  Fœrster  à  examine]'  les  formes  littéraires  de  cette  dernière 
légende.  Et  tout  d'abord  Chrétien  a-t-il  écrit  lui-même  un  Tristan?  La 
question  ne  taisait  pas  de  doute  jusqu'à  la  publication  de  l'article 
de  G.  Paris  sur  Cligès,  qui,  s'autorisant  de  ce  que.  dans  le  v.  5  de 
Cligès,  Chrétien  dit  avoir  écrit  Del  mi  Marc  et  d'Iseut  la  blonde 
et  non  Dp  Tristan  et  d'Iseut  la  blonde,  a  proposé  de  n'y  voir  qu'une 
allusion  à  un  petit  poème  épisodique  où  aurait  été  traité  quelque 
incident  de  la  légende  dans  lequel  Marc  aurait  eu  une  part  prépon- 
dérante. M.  F.  combat  cette  opinion  en  réfutant  un  à  un  tous  les 
arguments  de  G.  Paris  et  •  eux  que  ~S\.  Golther  y  a  ajoutés. 
L'objection  principale  de  M.  Golther  contre  un  Tristan  de  Chrétien, 
la  difficulté  d'attribuer  au  poète,  qui  devaiu  alors  être  nécessairement 
assez  jeune  encore,  l'invention  du  chef-d'œuvre  que  devait  être  le 
Tri<hin  primitif,  disparaît  si  l'on  admet  que  ce  Tristan  primitif 
était  antérieur  à  Chrétien,  ce  que  M.  Fœrster  essaie  d'établir  dans 
le  chapitre  suivant.  A  pi  es  quelques  pages  consacrées  encore  a  la 
discussion  de  la  chronologie  relative  des  poèmes  de  Chrétien  et  de 
Thomas  sur  Tristan.  M.  F.  revient  à  t 'fiais  en  étudiant  la  diffusion 
et    le  succès  de  ce  roman  au  moyen  âge. 

Cette  belle  introduit  ion  littéraire  est  suivie  d'une  introduit  ion 
philologique  non  moins  précieuse,  ha  tradition  manuscrite  de  Cligès, 
la  langue  de  Chrétien,  l'unification  orthographique  du  texte  y  sont 
traitées  avec  la,  maîtrise  habituelle  de   M.    Fœrster.   En  ce  qui  con 


comi'i  es  i;i  \im  s.  533 

cerne  les  rapports  <l«  ^  manuscrits  entre  eux,  M.   F.,  en  comparant  de 
nouveau  les  deux  Eamillesa         -.       si  affermi  dans  la  conviction  que 

hétypes  «le  tes  deux  familles  ne  pouvaient  pas  repn 
deux  copies  plus  ou  moins  fidèles  d  un  original  unique,  mais  d< 
dériver  de  deux  rédactions  ou  éditions  différentes  de  l'ouvrage. 
.M.  F.  est  tenté  d'attribuer  ces  deux  éditions  à  Chrétien  lui-même, 
qui,  après  avoir  publié  une  première  fois  son  ouvrage,  en  aurait 
ensuite  donné  une  seconde  édition  revue  el  corrigée.  Cette  hypo- 
séduisante,  mais  elle  se  heurte  à  une  petite  difficulté: 
entre  le  v.  3475  et  le  v.  3480  se  place  une  corruption  commune  aux 
deux  versions  v  et  a  corruption  trop  grave  pour  qu'elle  ait  pu 
échapper  à  Chrétien  revoyant  et  corrigeant  un  exemplaire  de  son 
ouvrage.  Il  est  vrai  que  cette  objection  s'évanouit,  si  l'on  admet 
que  l.i  tradition  manuscrite  de  l'une  (lr.<  deux  éditions  a  été  conta- 
minée par  la  tradition  de  l'autie.  Ce  qui  .-'est  produit,  au  témoignage 
du  tableau  de  filiation,  au  degré  B.  a  pu  parfaitement  se  produire 
aussi  an  degré  antérieur  à  la  division  des  deux  familles  en  groupes 
S,   AMP,   B  et   CTR. 

Les  incertitudes  de  la  tradition  son!  la  cause  "pie  le  texte  de 
Cligès  n'a  jamais  pu  être  établi  d'une  façon  définitive  et  que  les 
éditions  successives  de  M.  F.  y  apportent  des  changements  conti- 
nuels. On  sait  que  M.  F.,  qui  passe,  avec  juste  raison,  pont-  lé 
maître  de  la  critique  des  textes,  n'a  nullement  la  superstition  du 
tableau  de  filiation  et  de  la  reconstruction  mécanique  du  texte 
critique,  c'est  même  dans  ses  éditions  des  œuvres  de  Chrétien  que 
nous  axons  appris  tous  à  nous  méfier  des  conclusions  qu'uni 
ception  trop  étroite  de  la  valeur  du  tableau  de  filiation  suggère  aux 
éditeurs.  La  nouvelle  édition  de  Cligès  ne  difïèie  pas  à  cet  - 
de  ses  aînées.  Au  contraire,  il  me  semble  que  l'idée  qui  a  ton  joui. s 
guidé  M.  F.  dans  sa  besogne  d'éditeur  y  apparaît  avec  pins  de 
force  et  de  relief  encore  qu'ailleurs.  Rien  n'est  plus  typique  sous  ce 
rapport  que  le  mot  dont  M.  F.  se  sert  pour  désigner  l'opération 
délicate  de  l'établissement  du  texte  :  il  l'appelle  non  Textherstellung, 
mais  Textmacherei  (p.  LXXIII),  en  marquant  par  ce  mot  a  nuance 
péjorative  la  vanité'  de  tout  effort  vers  la  certitude  en  cette  matière. 
La  plupart  des  «  notes  »  sont  consacrées  a  illustrer  cette  pensée: 
celles  qui  concluent  par  un  imu  liquet  dépouillé'  de  tout  artifice  ne 
sont   pas  les  moins  précieuses  (1). 


(1)  Dans  un  article  publie  dans  la  /.  /.  frz.  S/u.  n.  Lit., 
XXXVI-,  p.  114  sqq.,  qui  constitue  une  manière  d'Addendum  à 
Cligès,    M.    Fœrster   revient  encore  sur  cette  idée. 


53  i  I  OMPl  ES    RI  ND1  S. 

Parmi    ce    qu'on    pourrait    appeler    des    modifications   de    principe 
apportées  au  texte  de  Cligès,  je  ne  vois  guère  à  signaler  que  l'intro- 
duction plus  rigoureuse  de  la   forme  iere  3.  sg.  impf.  au  lieu  -1 
des  éditions  précédentes   (voy.   note  sur   v.    72).   des   Formes   Eingli 
terre,   çainglent,  leingue   au    lieu   des    lui  mes   non    iotacisées    [langue 
815  doil    être   corrigé   conformément    à    la    p.    LXXVII),    fanto 
iiDiii.    sg.   au   lieu  de  fantosme   el    une   part    plus  large    faite  à    nëi* 
aux  dépens  de  nés  des  éditions  antérieures.    Il   me  semble  aussi  que 
M.    F.  s'est  efforcé  cette  fois  de  tenir  compte  encore  davantage  des 
protestations    qu'avait     soulevées    le    maintien    fréquent    des    hiatus 
dans   les   premières   éditions,   et  l'on   peut  se  demander   à   ce   propos 
si  cette  concession  faite  à  l'horreur  qu'éprouvent  certaines  personnes 
à    voir    s'entrechoquer    la    terminaison    vocalique   d'un    mot    avec    la 
voyelle  initiale  du  mot   voisin  ne  va  pas  un  peu  loin.   Somme  toute 
M.    F.   ne  maintient   aujourd'hui  que  (/i/rui(/in:  il,  4613.  6319.  6668.   et 
il    ('prouve    des    scrupules   ou   des   hésitations    pour   des    hiatus    aussi 
Lnoffensifs  que  prendre  et  3637.  juerr'è  et  4060.  Tl  n'y  a  pas  jusqu'à 
que    U    6476    qu'il    ne    croie    devoir    justifier    expressément     par    la 
remarque:   «  hiatus  assuré!  » 

TTne  innovation,  qu'on  trouve  déjà  dans  Erec*  .  est  le  choix  de 
variantes  dont  M.  F.  accompagne  le  texte  de  cette  petite  édition 
Sortie  de  l'enseignement  de  M.  F.  à  Bonn  et  destinée  aux  besoins 
de  renseignement,  cette  innovation  est  des  plus  heureuses  et  ne 
contribuera  pas  peu  à  faire  des  «petites  éditions»  de  Chrétien  les  plus 
parfaits  des  livres  d'exercices  scolaires  qu'on  puisse  souhaiter.  Le 
choix  donne  satisfaction  à  tout  le  monde:  la  phonétique,  la  morpho- 
logie, la  syntaxe,  la  stylistique  et  la  versification  y  sont  prises  en 
égale  considération.  Une  explication  de  Chrétien  peut  se  joindre  à. 
n'importe  quel  de  ces  enseignements. 

Le  plus  grand  soin  a  été  apporté  à  la  confection  du  glossaire 
auquel  a  collaboré  M.  H.  Breuer.  Comme  celui  d' I rains  etd'Erec  * 
il  est  complet   cette   fois-ci  (1). 

Je  termine  cette  notice  par  quelques  observations    le  détail. 

P.    LXXIX.    Au    sujet   du    traitement    de   l'article   défini    masc.    sg. 
nom.  devant    un  mot   commençant  par  une  voyelle,  il  convient   d'ob 
.    r   que    Chrétien    emploie,    dans   Cligès,    la    forme   Varfperere   de 
préférence  à   U  anperere..    L'anpererc:   51.   93.   122.    170.   368:  2390. 


(1)    M.    Fœrster   annonce    la    publication    prochaine,    toujours   ave< 

le  dévoué  concours  de   .M.    Breuer,  d'un  glossaire  c plel    de  toutes 

les    œuvres    de    Chrétien,    y    compris    le    G'raal,    accompagné    'l'une 
<    ude  sur  la  vie,  les  ouvres  et  la  langue  du  poète. 


comi'i  es  ri  mm  s.  535 

447.  4o7.  526.  632.  657.  661.  677.  681.  686,  700,  713.  976;  3043.  138. 
239.  314.  329.  333.  388.  391.  470.  571.  952,  979:  4002.  020.  026,  096; 
5121.  674.  701.  741.  759.  765.  787.  907;  6097.  587.  631.  776.  —  TA 
anperere:  240.  405;  2670:  4207.  212.  216,  281.  338.  619;  5124,  676: 
6081. 

V.  17.  D'après  la  note  but  v.  5.  la  construction  syntaxique 
vers  ferait  difficulté.  Il  me  semble  pourtant  que  fist  d'Erec  et 
d'Enide,  del  roi  Marc  et  d'Iseut  la  blonde  à  côté  de  Et  le  Mors  de 
l'Espaule  fist  Et  de  In  Hupe-  et  de  V Aronde  et  </<  I  Rossignol  In 
Alliance  est  parfaitement  justifié.  Quand  on  dit  feirè  le  Mors,  ou 
indique  que  l'aventure  du  Mors,  prise  dans  sa  totalité,  forme  le 
sujet  (lu  récit,  tandis  que  par  feire  d'Erec  et  d'Enide  ou  exprime 
l'idée  qui  ai   pas  les  personnages  d'Erei    e1  d'Enide  considé 

rés  dans  la  totalité  de  leur  existence,  mais  seulement  certaines 
aventures  de  leur  vie  qu'on  raconte. 

626  sqq.  -le  crois  qu'en  ponctuant  :  «  /'<</■  fol  ».  fet  il  «  m<  puis 
finir.  —  l'ur  fol/  Voiremant  sui  /<  fosj  Quant  et  <i>t<  ji  pans  dire 
n'os,  {(''h  tost  un  tomeroit  a  pis),  An  /"lie  ni  mon  panser  mis. 
/>"n  iip  me  rient  V  miauz  panser  Que  fui  me  feïsse  apeler?  ou 
supprimerait  toutes  les  difficultés  de  ce  passage.  Alexandre  dit  :  «  .Me 
tenir  pour  fou?  Mais  je  le  suis  bien.  Eu  effet,  quand  je  fais  de 
<  e   que    i  sprimei    tout    haul    (et    cela,    je   ne   puis   le    faire 

parce  qu'il  pourrait  facilement  m'en  cuire)  le  sujet  de  mes  réflexions, 
il  est  bien  évidenrt  que  ma  pensée  es!  tournée  vers  des  choses  folles. 
Mais  alors,  puisqu'il  est  que  le  sujet  de  nés  préoccupations 

est  déraisonnable,  ne  vaut-il  pas  mieux  que  je  m'y  abanbonne  en 
pensée  plutôt  .pie  de  me  faire  traiter  publiquement  de  fou  en  disant 
lue;,  ce  qui  me  tient  au  cœur?  »  V.  634-636.  la  décision 
prise  dans  le  v.  633  conformément  au  raisonnement  qui  vient  d'être 
rapporté  ici.  lui  inspire  des  doutes.  V.  637  sqq..  l'objection  est 
précisée,  et  .  .ite  discussion  se  poursuit  ensuite  en  oscillant  toujours 
entre  les  deux  solutions. 

860.    Vilainement,   lisez    vilainnemant. 

1121.  La  note  sur  i  <■  vers  serait  mieux  placée  un  peu  plus  haut 
v.  995.  où  le  mot  desirriei   ><■  rencontre  pour  la   première  fois. 

1347  sq.  Je  ne  connais  que  deux  exemples  ^\r  la  construction  assez 
île  dans  Chrétien:  De  buens  mires  assez  i  ot,  Clig.  5871.  Ceh  i  ot. 
ht   por  son    repeiri     I   ?ez  de   bêles   chat  e,  R.    Charr.     983. 

déterminés  peut  être  par  la  présence  <i'j  l'adjectif  attributif.  Il  serait 
donc  préférable  de  ne  pas  faire  suivre  ici  l'adverbe  de  la  préposition 
■I'.  mais  d'employer  la  construction:  assez  (adverbe  au  verbe)  + 
l'expression  partitive  des  decohz,  des  plaiiez,  des  nfolez,  qui  se 
rencontre  naturellement    de  tout   temps:    Eollanz    i   lm   et   Oliver  II 


536  COMPTES  REND1  S. 

bcr.  Neimea  li  dux  <  des  cdtres  osez,  Roi.  Oxf.  672.  Quasez  i  a  de 
la  cent  paienùr,  ib.  2427  (au  v.  2694  il  faut  lire  aussi  dt  la  au  lien 
de  il'  celé  [  +  1]).  Asez  i  moerent  et  des  uns  et  des  autres,  ib. 
3477  (1). 

1703.  note.  Ainz  dans  ce  vers  esl  adverbe  au  verbe  h  va:  «  se  leva 
plus  tôt  que  de  coutume  »  :  la  construction  ainz  qui  +  impf.  eubj. 
aurait  le  sens:  «  se  leva  avant  qu'elle  eût  pris  l'habitude  de  se 
lever,  c'est-à  dire  se  Leva,  par  exemple,  pour  la  première  fois  depuis 
qu'elle  existe  ».  Le  renvoi  à  flfr  est  taux  (faute  d'impression,  le 
vers  1312  ne  contenant  pas  à' ainz).  Dans  Rigomer  10771.  la  correc- 
tion admise  dans  le  texte  est  excellente.  Au  v.  10773  vint  est 
embarrassant.  J'hésite  à  le  corriger  en  vigne,  parce  que  Tobler 
V.  15..  1.  28  signale,  dans  un  texte  provenant  de  la  même  région 
que  Rigomer.  un  exemple  certain  de  L'indicatif  précédé  à' ainz  qui  : 
Prenez  en  droit,  ainz  qe   riens  lot  mesfai  RCambr.   939. 

2045-8.   Répétition  textuelle  de  1775  sqq. 

2843  sqq.  Voy.  G.  Paris.  Jour.  Sai\,  1902.  p.  440  (note),  qui 
observe  avec  raison  qu'ici  nous  sommes  en  présence  d'un  chant 
exécuté,  a  l'unisson,  en  chœur  par  plusieurs  personnes  et  non  en 
présence  d'un  vrai  chant  polyphonique  (motet)  comme  dans  le 
passage  bien  connu  d'Inzin. 

2897.  Tous  les  manuscrits,  saut  Li.  portant  qui  son  cm  r  a  repost, 
je  propose  de  lire  Celui,  eut  son  cuer  a  repost,  Ne  n'a  taJant  qu  ele 
l'an  ost.  Celui  à  qui  elle  a  réservé  (gardé  en  secret)  son  cœur  et  à 
qui  elle  ne  le  veut  pas  enlever:  a»    =    Cligès.  V    =    cuer. 

2935.  Ses,  lisez  Sel 

3637.  Le  texte  primitif  (prendre  et  mener  quite)  semble  avoir 
subi,  par  anticipation,  l'influence  de  la  note  sur  ce  vers.  La  uaria 
lectio  est  devenue,    par   suite  de   cet    accident,    peu   claire. 

3709,  note.  Lisez  l'ire  au  lieu  de  H  ire,  ce  mot  étant  du  féminin 
chez   Chrétien. 

3966.  Cette  note  n'est  pas  à  sa  place.  C'est  sans  doute  au  v.  4139 
qu'elle  se  rapporte.  Je  crois  du  reste  que  la  contradiction  signalée 
par  M.  F.  n'est  qu'apparente.  Car  abstraction  faite  de  ce  que  rien 
ne  nous  empêche  d'admettre  que  ce  soit  le  Saxon  qui  parle  le  grec 
et  non  Cligès  qui  entend  le  saxon,  il  convient  l'observer  que  le 
truchement  du  v.  3959  sqq.  était  nécessaire  pour  faire  connaître  !e 
message  du  Saxon  non  seulement  à  deux  empereurs,  dont  l'un.  Alis. 
pouvait   ignorer   l'idiome   germanique,    mais   aussi   aux   deux   armées. 


(1)  C'est   M.  Roques  qui  a   attiré,   il  y  a  deux   ans.   mon  attention 
sur  le  caractère  tardif  des  constructions  assez  de  et  /nu/1  de. 


compi  es  i;i  ndi  s.  r>;>7 

dont  l'une,  celle  d  'A lis.  n'entendait  sûrement  que  le  grec.  L'inter- 
vention de  l'ost,  ou  du  moins  des  hauts  barons  qui  s'j  trouvaient, 
dans  toutes  les  décisions  concernant  la  guerre  étant  usuelle,  il  y 
avait  intérêt  à  Faire  la  proposition  (verbale)  devant  les  armées 
assemblées   (3965). 

5231.  note,  ligne  6.  Lisez  5228  sq.,  ce  qui  donne  encore  plus  de 
force  à   l'explication  de  M.    F. 

5679.  Lisez  li  au  lieu  <le  ï'i.  Soi  tnetrt  an  grant  péril  sans  d'autre 
complément  est  une  locution  des  plus  usuelles;  je  ne  crois  pas 
d'autre  part  qu'on  rencontre  cette  locution  accompagnée  d'une 
détermination  supplémentaire  de  la  direction  dans  laquelle  s'effectue 
la  «  mise  en  péril  ».  chez  Chrétien  du  moins. 

5806-7.  Je  lirais  Or  s<  dëust  Des  correcier  Et  giter  fors  de  ta 
baittie,  en  entendant  :  Dieu  aurait  dû  se  courroucer  et  se  mettre 
hors  de  ton  pouvoir  [de  nuire].  Le  prénom  réfléchi  se,  qui  est  le 
complément  au  verbe  dëust,  lequel  commande  les  deux  verbes  corre 
cier  et  giter,  indique  que  les  deux  actions  exprimées  par  les  infinitifs 
ont  le  sens  réfléchi.  Dieu  est  représente  comme  subissant,  par  l'effet 
de  sa  patience  inépuisable  (5803 1.  la  puissance  de  La  mort  (5804)  qui 
l'atteint  dans  ses  œuvres  (5805).  On  exprime  le  souhait  qu'il  se 
départisse  de  cette  attitude  qu'on  croit  être  dictée  par  son  indul- 
gence exagérée  envers  un  pouvoir  considéré  comme  malfaisant  a 
son   égard. 

6213.   note  adde  Clig.,  5995. 

6328.  Le  nouveau  texte  est  préférable  à  celui  de  l'édition  précé 
dente,  puisqu'on  ne  trouve  pas  chez  Chrétien  d'exemple  assuré  de 
fiin    -+-   inf.    =    uerb.  fini/mu. 

6378.  note.  Jehan,  qui  croit  son  souterrain,  pourvu  de  tout 
«  confort  moderne  »  (5629  sqq.),  bien  aesié,  5632.  et  très  delitabh, 
5635.  ignorait  sans  doute  que  Fenice  finirait  par  s'y  ennuyer.  (  liges 
probablement  aussi.  Le  désir  qu'exprime  Fenice  semble  en  outre 
être  une  envie  subite,  inspirée  par  le  chant  du  rossignol.  Jusque  Là 
elle  devait  se  plaire  dans  le  souterrain.  La  nostalgie  (\\\  grand  air 
ne  s'empare  d'elle  qu'au  bout  de  quinze  mois.  Je  ne  trouve  rien  de 
singulier  dans  la  conduite  de  Jehan.  Par  contre,  je  suis  surpris  que 
Cligès  et  Fenice.  lorsqu'ils  sont  découverts,  s'empressent  de  fuir  au 
lieu  de  rentrer  dans  le  souterrain  où  personne  ne  les  aurait  trouvés 
(5576  sqq.).  Il  est  vrai  que  cette  fuite,  qui  s'accomplit  avec  le 
secours  de  la  magie,  ne  présente  aucun  danger  (6660).  Elle  doit 
pourtant  exposer  les  amants  à  des  fatigues,  inséparables  de  tout 
voyage,   même  accompli   avec-  le  concours  d'une  magicienne. 

Glossaire.  Amis  4225  semble  avoir  le  sens  d'amis  charneus,  pa- 
rents.   .4 liront re   prépos.    et    ancontre    subst.    devraient   former   deux 


538  i  OMPl  ES  i;i:mm  s. 

articles  suivahl  l'usage  adopté  dans  les  glossaires  de  M.  F.  Antra 
Imtii.  ajoutez  l'indication  r.  réfléchi  de  même  antravenir.  .1 
ajoutez  le  seul  cas.  dans  Cligès,  où  ce  mot  est  adverbe.  1024. 
C'Judonge  (498)  est  plutôt  la  plainte  «au  eujet  «l'un  tort  que  le  tort 
donnant  lieu  à  une  plainte.  C'ontrenwnder,  li^ez  [contremander],  I)<  . 
à  la  lin  «If  cet  article  lisez:  bei  m-  u.  inf.  mil  vorangehendem  Arti- 
l.il,  etc.  l'u'i.  les  trois  exemples  sont  identiques.  La  traduction 
indiquée  en  second  lieu  suffit  pour  tout  l'article.  Garcenier,  la 
traduction  affaiblit  un  peu  (peut-être  a  dessein)  le  sens  de  ce  mot. 
Muni  2.  main  ù  main,  3653.  me  paraît  avoir  la  signification  usuelle 
main  contre  main,  la  main  dans  la  main:  la  trêve  est  prise  au  moyen 
de  la  paumée,  elle  a  dû  être  aflee  de  lu  main.  Plevir,  biffez  la  pre- 
mière traduction  ou  remplacez-la  par:  [fuet  tint  Schuld]  einstehen, 
hafttn.  Recovrier,  lisez  1933  au  lieu  de  933.  Respondre,  ajouter  un 
article:  2.  respondre,  2515.  re  -t-  exponere.  Sore,  lisez:  s.  sot  2 
(au   lieu   île  1). 

Jean    AcHER. 


L.   Pfandl.   —  Hippolyte  Lucas,   sein  Leben  und  seine  dramatifichen 
Werke.  Munchen,  A.  Buchhotz,  1903.  Un  vol.  in-8    de  289  p. 

Hippolyte  Lucas  a  joué  un  rôle  assez  notable  dans  deux  épisodes 
au  moins  de  l'histoire  dramatique  en  France  au  XIXe  siècle:  par 
ses  nombreuses  adaptations  de  pièces  de  Lope,  de  Calderon,  d'Alar- 
con,  de  Rojas  Zorilla,  il  contribua  autant  que  personne  chez  nous, 
vers  la  fin  de  l'époque  romantique,  à  populariser  la  littérature 
espagnole:  un  peu  plus  tard,  par  ses  tragédies  d'Alceste  et  de 
Médée,  par  sa  comédie  des  Nuées,  il  participa  un  des  premiers  au 
mouvement  qui.  après  l'échec  des  Burgraves,  ramena  le  goût  français 
vers  le  classicisme  et  l'hellénisme;  ceux  qui  écrivent  aujourd'hui 
des  drames  antiques  pour  le  théâtre  d'Orange  ont  en  Lucas  un 
précurseur  très  honorable,  bien  qu'oublié.  Le  reste  de  son  œuvre 
dramatique  compte  moins. 

Il  était  donc  désirable  que  l'on  eût  une  bonne  monographie  de 
Lucas.  Ce  qu'on  peut  reprocher  à  celle  que  nous  donne  M.  Ludvig 
Pfandl,  c'eal  de  ne  pas  suffisamment  raconter  et  expliquer  les 
divers  mouvements  littéraires  auxquels  le  poète  fut  mêlé,  c'est  d'étu- 
dier trop  exclusivement  en  elle-même  et  pour  elle-même  une  œuvre 
dramatique  qui  est  intéressante  surtout  par  ce  qu'elle  nous  apprend 
sur  certains  courants.  Tel  qu'il  est  fait,  le  livre  de  M.  Pfandl  rendra 
cependant  de  grands  services.  Chaque  pièce  de  Lucas  est  analysée 
en  détail,  comparée  à  ses  sources  avec  précision,  caractérisée  avec 
justesse;    pour   chaque  pièce,    il   est   donné   un    résumé   des   critiques 


I  (iMi-i  i  -   l;l.M)i 


539 


don!  rllc  fut  l'objet;  el  c'est  même  là  la  partie  la  plus  utile  de  cette 
monographie,  les  pièces  de  Lucas  nous  important  avant  tout  aujour- 
d'hui par  ce  qu'elles  nous  révèlent  sur  le  goûl  de  la  génération  qui 
les  applaudit.  Une  bibliographie  détaillée,  très  précise  et  très  bien 
bée,  des  œuvres  publiées  et  inédites  de  Lucas  complète  heu- 
reusement   l'otn  rage. 

Joseph    Yiwi.i. 


G.  Michaut.    Pages  de  critique  et   d'histoire  littéraire   (XIX    siècle). 
Paris,   Fontemoing,   1910.    Un   vol.   in-18  de  311   p.   Prix:  3   fr.  50. 

Dans  ce  volume  sont  réunies  sept  études  de  <l;itt\s  différentes  et  de 
sujets  divers:  La  littérature  contemporaine  à  l'Université;  Senan- 
cour;  l'idée  du  romantisme  en  lo25:  la  doctrine  et  l'école  de  l'art 
pour  l'art:  le  roman  d'amour  et  le  «  Livre  d'amour  »  de  Sainte- 
Beuve;  la  Confession  de  Sainte-Beuve;  .M.  Brunetière  et  l'Ency- 
clopédie. -  -  Dans  toutes  ces  études  l'auteur  applique  une  méthode 
aussi  exacte  que  possible,  aussi  soucieuse  que  possible  des  textes  il 
des  laits:  il  ne  tire  ses  idées  générales  que  des  textes  .'t  des  faits;  il 
n'appuie  ses  jugements  personnels  que  sur  des  textes  et  des  faits. 
Et  c'est  la  d'abord,  comme  il  nous  le  dit  lui-même  dans  son  «  Aver- 
tissement ».  ce  qui  fait  l'unité  de  ce  recueil.  —  Ce  qui  en  fait 
encore  l'unité  —  et  la  valeur  —  c'est  que  M.  Michaut  a  un  remar- 
quable talent  de  systématisation.  Qu'il  veuille  définir  une  école,  la 
doctrine  d'un  critique,  une  intelligence  et  une  sensibilité,  ou  qu'il 
veuille  expliquer  la  fortune  d'une  œuvre,  il  ex  elle  a  dégager  le 
caractère  fondamental,  la  faculté  dominante,  l'idée  essentielle.  Et 
tout  cela  est  exposé  avec  clarté,  avec  logique  et  avec  vigueur. 

Dans  la  première  étude,  qui  sert  aux  autres  d'introduction,  M. 
Michaut  revendique  pour  les  Universités  le  droit  d'étudier  la  litté- 
rature tout  à  fait  contemporaine.  Il  montre  fortement  ce  que  cette 
étude  peut  avoir  d'efficace  pour  la  formation  (liez  l'étudiant  d'un 
esprit  indépendant  et  combien  elle  peut  être  utile  même  à  l'intelli- 
gence de  la  littérature  classique.  —  La  cause  que  V..  Michaut  plai- 
dait ainsi  il  y  a  cinq  ans  dette  étude  est  de  1905)  est  aujourd'hui 
gagnée.  Dan-  presque  toutes  les  Universités  françaises  il  s'est  fait 
en  ces  dernières  années  des  cours,  des  thèses,  des  mémoires  où  la 
littérature  la  plus  récente  a  été.  ave<  grand  profit,  étudiée  selon  une 
méthode  vraiment  scientifique,  ("est  l'honneur  de  M.  Michaut 
d'avoir  été  un  des  promoteurs  de  ce  mouvement,  et  par  son  ensei- 
gnement  et   par  ses  ouvrages. 

Joseph    VlANEY. 


5  iO  (  OMPl  I  -   HINDI  S. 


E.  Dupuy.  —  Alfred  de  Vigny,  Ses  amitiés,  Son  rôle  littéraire. 
I.  Les  Amitiés.  Paris,  Société  français*  d'imprimerit  et  </<  librai- 
rie, 1910.  —  Un  vol.  in  18  de  411  p.   Prix:  3  fr.  50. 

ivre  sur  les  amitiés  <ie  Vigny  est  digne  à  tous  égards  des 
excellents  travaux  qui  ont  classé  M.  Ernest  Dupuy  an  premier 
rang  des  critiques  les  mieux  informés  de  l'époque  romantique.  Dan.-; 
les  trois  premiers  chapitres  sont  étudiées  1rs  amitiés  du  foyer,  du 
collège  (Ravignan,  le  comte  d'Orsay),  du  régiment  (notamment 
Taylor,  Gaspard  de  Pons.  France  d'Houdelot)  ;  dans  les  liait  der- 
niers, les  amitiés  du  Cénacle  (les  trois  Deschamps,  H.  de  Latouche, 
Nodier,  Ancelot,  Brifaut,  A.  Soumet.  Guiraud,  Hugo.  A.  Dumas. 
Lamartine,  Sainte-Beuve,  Gustave  Planche.  Fontaney,  A.  de  Mus- 
set, Th.  Gautier).  Et  de  cette  série  d'études  jaillit  sur  le  noble 
poète  un  jour  vraiment  nouveau:  car  l'impression  principale  qu'el- 
les nous  laissent,  c'est  qu'il  y  eut  chez  Vigny  plus  de  bonté,  de 
tendresse,  d'exquise  délicatesse  qu'on  ne  le  croyait.  Ces  études  font 
en  outre  pressentir  ce  que  montrera  sans  doute  la  série  suivante 
qui  nous  est  annoncée  par  M.  Dupuy:  que  le  rôle  littéraire  de 
Vigny  fut  encore  plus  important  qu'on  ne  le  supposait.  On  savait 
bien  qu'il  eut  de  très  fidèles  et  de  très  enthousiastes  disciples.  Mais 
M.  Dupuy  nous  apprend  qu'il  fut  pour  beaucoup  de  jeunes  talents 
un  patron  aussi  efficace  que  généreux:  c'est  lui  qui  révéla  à  Planche 
sa  vocation  littéraire  et  lui  ouvrit  la  carrière:  il  fut  plusieurs  fois 
pour  A.  Dumas  un  censeur  éclairé;  il  fut  un  de  ceux  qui  facilitèrent 
les  débuts  de  Th.   Gautier. 

En  même  temps  qu'il  précise  la  physionomie  morale  et  littéraire 
d'Alfred  de  Vigny,  ce  livre  jette  de  la  lumière  sur  bien  des  hommes, 
sur  bien  des  choses  de  l'époque  romantique.  (Signalons,  en  particu- 
lier, les  pages  sur  le  comte  d'Orsay:  elles  sont  pleines  de  détails 
intéressants  sur  le  succès  (pie  nos  romantiques  eurent  en  Angle- 
terre.) M.  Dupuy  a  utilisé  un  grand  nombre  de  documents  inédits. 
Mais  il  l'a  fait  avec  discernement.  11  ne  cite  que  ce  qui  est  signi- 
ficatif. Ce  livre  très  solide  est  un  livre  très  bien  construit.  Ai-je 
besoin  d'ajouter  que  l'exposition  ne  cesse  d'être  distinguée,  vivante. 
émue  sans  affectation? 

Joseph   Vianet. 


TABLE   DES  MATIÈRES 


Tomï    1.1  II 
ARTICLES  DE  FOND 

Pages 

Ami  m:    (J.).  —   Nol  I!  tmbrai 101 

Barbier    fils   (P.  "  26 

rgin  (B.).  ta  agédie 

1  uives    70 

Thauziès  il!..         Etudi    -ni   les  sources  de  J.  M.  «le  Heoredia . .     461 

TEXTES   ET   DOCUMENTS 

I î ai.                            \       di       ri    l:        rd     lyêque  de  Chichester..  245 

Bertoni  (G.).  —  Con   zioni  al  beeto  délia  Passione 513 

—  testa  di  Bonifai  io  Calvo.  99 
Calmette  (J.)    •!    Eurtebisi    (E.-G.).  —  Cbrrespondanci    de   La 

ville  de   Perpignan 400 

Lamberi  (L.).  —  Chansons  populaires  <lu  midi  de  La  France..  5 
Lanofors    A.i.     -  Contributions  à  ta  bibliographie  des  Plaintes 

de    la    Vierge 58 

VARIÉTÉS 
I'.i.iit  ni    (G.).   —   fntorno  a   Peire  de  la   Cafavana 397 

BIBLIOGRAPHIE 

1°  Revue   des    revues 161,    415,    515 

2    Comptes    rendus    

Bkck.  —   Die   Melodien  der   Tiroubadours   (Acher) 208 

La    Musique   des   Troubadours    (Acher) 426 

Belloc.   —  Déformations  des   noms  de  lieux   pyrénéens    (Gram- 

.MONT     183 

Bertoni.    —   Un  tiattatello  di    Medicina    in   volgare    Bolognese 

(Castets)     239 

La  versione  francese  délie  prediche  di   s.   Gregorio 

su    Ezeohiele    (F.    C.) 419 

Boer.  Philomena    (Anglade) 227 

Bourciez.  —  Eléments  de  linguistique   romane  (Ronjat) 437 

36 


542  TAULE    DES    MATIÈRES 

Braga.     -   Recapitulaçâo  da  I  la   littaratuira   portugueza 

Paoli)  230 

îagne.  —  Versification  et  métrique  de  Baudelaire  (Grammont)  171 

Dorchain.  -      L'.ii  i  des  a    re  (Gb  lmmont) 170 

ESCOLO     FELIBRENCO     DE     l  A     TaRGO     (J.     R.) 192 

Farae.  Lee   jongleurs   en    France   au    Moyen-âge     Castets), 

(Acheb) 422.  522 

Foerster.         Kiistian    von   Troyes,   Cligès'     Lcher) 526 

Ginneken.  —  Principes  «le  linunist  Lque  psicologique  (Ronmat)  . .  197 

1\k.    —    Carati    populari    Vedletrani    (Castets) 236 

Kolsen.  —  Samtliche  Liedei   iln    Trobadors  Giraul   dé   Bornelh 

B]  !  TO.M)    516 

Lavergne.  —  Le  parler  bourbonnais   (Ronjat) 204 

Levt.  —  Petit    dictionnaire    provençal-français    (Ronjat)    261  ''"' 
Levi-Malvano.    -     L'Elegia  amorosa  ne]  Setteoemito  (Castets)..  420 
Mkyf.r.  —  Documents  linguistiques  du  Midi  de  la  France  (Ron- 
jat)       186 

Mistral.  —  La  Genèei  traducho  en  prouvençau   (Rot7Njat)  .  .  .  .  450 

Monaci.  —  Il  cinquantenario  di  Mireào   (Castets) 241 

Philoeogische   t-nd    Voeksktjndliche   Arbeiten   K.    VollmôLler 

dai  geboten     (  Anci.adk) 223 

Praviel.  —  L'Empire  du  Soleil    (Ronjat) 190 

Praviel    et    Rozès.    —   Anthologie  du   Félibrige    (Ronjat)  ....  191 

Rajna.  —  Per  la  Storia  del  Tennis  dans  le  Marzocco  (Castets).  416 

Rodrigtjez.  —  El  teatro  en  Espafia    (H.   M.) 214 

Roman.   —  Lei   Mount- Joio    (Ronjat) 199 

Romilly.   —  Vers  l'effort   (Grammont) 180 

Ronjat.   —  Les  noms   de  lieux  dans  les   montagnes   françaises 

(Grammont)     182 

Rounjat.  —  L'ourtougràfi   prouvençalo   (M.    G.) 181 

Samson-Himmelstjerna.   —  Rhythmik   Studien   (Grammont)....  163 

Schoch.   —  Silvio  Pellioo  in  Mailand   (F.    C.) 235 

SorzA.  —  Où  nous  en   sommes    (Grammont) 175 

Spire.   —  Versets   (Grammont) 177 

Stase  von  Hot.stein.  —  Le  roman  d'Athis  et  Propbilias  (Cons- 
tats)       220 

Vermenotjze.  —  -Tous  la  Cluchado  (Ronjat) 189 

VéziNET.  —  Molière.  Florian  et  la  littérature  espagnole  (Méri- 
mée)       216 

3°  Ouvrages  annoncés   sommairement  : 

ont.,  239  —  Bliss-Ltjqtjxens,  202,  227  —  Cagnac,  434  —  Carta- 
ni.T-  r>F.  Santo-Estello,  201  —  Claretie,  233  —  Constantin  et  Gave, 

196  —  Desdevises  \n-  Dézert,  232  —  Duptjt,  540  —  Fagtjet,  234. 


TABLE 


DES    MATIÈRES  543 


435  —  l'iM  I         Fbati,  432  —  Gabier,  233  —  (Iei.zer,  243 

Gœij,  169  —  Hue,  233  -  Sutdobro,  215  —  Joannidès,  231, 
232  —  Julien,  4SI  Kùchler,  433  —  Laubscher,  229  —  Menen- 
dez-Pidàl,  433  -•   Meunier,   186  —   Michai  î.  639  Monaci,   195 

-  Monnet,  219        Montées,,  435  —  Novelab,]   Catala,  202         P]  i 
rot,  203  —  Pfandl,  538  -     Re<  bnitz,  226  —  Reiche,  526  —  Rosny, 
435,  436  —  Schœn,  452  —  Soubees,  232,  436  —  Staël  von    Hoi 
tkix,  240  —  Suchier,  228  —  Thùre,  228  —  Vaganay,  219  —  Vivo 
Prouvenço    !  194,  451  —   Wajllenskôld,   195. 

Correspondance    453 

Chronique     244 

Talilc    des    Matières 541 


PC 
2 

t. 

Revue  des  langues  romanes 
53 

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